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Lorsqu’onfrappaàlaporte,Coryeutl’impressionquesoncœurs’arrêtaitdebattre.Commeilétaitdifficile,parfois,desedébarrasserdecertainsréflexes!Maisaprèsuneannéepasséedanscecomté, lasituationluiparaissaitplusgérable.Commeàson
habitude,elles’approchaàpasfeutrésdumoniteurdiffusantlesimagesenregistréesparlacaméraduperron.Ellescrutal’écranavecappréhensionetfutsoulagéedereconnaîtrel’hommechargéd’assurersaprotection,Gage,avecsonvisagecouvertdecicatricesetsonuniformedeshérif.Elles’empressadedésactiverlesystèmed’alarme,luiouvritetl’accueillitavecunsourire,qu’elle
s’efforçaderendrenaturel.—Salut,Gage.Ilesquissaunsourirelégèrementdebiais,card’uncôtédesonvisage,lescicatricescauséespardes
brûluresrelevaientsensiblementlescommissuresdeseslèvres.—BonjourCory.Aurais-tuuneminuteàm’accorder?—Atoi,biensûr.Ellelefitentreretluiproposauncafé.—Nonmerci, lui répondit-il. J’ai abusé de celui deVelma, etmon estomac n’a pas tardé àme
rappelermaconditiondesimplemortel.Velmaoccupaitlepostederépartitriceaubureaudushérif.Cettefemmed’âgeincertainpréparaitun
breuvagesicorséqueraresétaientceuxquiparvenaientàfinirleurtasse.SeulslesadjointsdeGageenavalaientdeslitres.Coryl’invitaàs’asseoirdanssonsalonminuscule,etilpritplaceauborddufauteuilinclinable,son
Stetsoncouleursableentrelesmains.—Commentvas-tu?luidemanda-t-il.—Çava.Cen’était pas tout à fait vrai, et ne le serait probablement plus jamais,mais elle ne tenait pas à
évoqueràquelpointelleavaitl’impressionque,désormais,soncœuretsonâmeétaientaussiaridesqu’undésert.Coryn’étaitpasfemmeàs’épancher,avecpersonne.—Emmam’aglisséunmotàtonsujet.Emma,l’épousedeGage,maisaussilabibliothécaireducomté,étaitunefemmequeCoryappréciait
etadmirait.—Ellem’alaisséentendrequeturencontraisdesdifficultésfinancières.Corysentitlerougeluimonterauxjoues.—Cetteinformationn’avaitpasvocationàêtrerenduepublique.Gageluisourit.—Simpleconfidenceentreépoux.Celan’irapasplusloin,jet’assure.Elle fit de sonmieux pour lui rendre son sourire. Sa situation, en effet, était préoccupante. Son
salaired’employéedesupéretten’avaitjamaisétémirobolant,maiscommelestempsétaientdifficiles,lepatronavaitrevuàlabaisseleshorairesdetoutlemonde.Avecdesrevenusàlabaisse,ilarrivaitparfoisqu’unebriquedesoupeconstituesonseulrepasdelajournée.Gagesecoualatête.—Décidément, je ne comprendrai jamais la façon dont est géré le programmede protection des
témoins.Corysemorditlalèvre.Elledétestaitévoquercettepériodedesavie,aucoursdelaquellesonmari
procureur était devenu la cible des trafiquants de drogue dont il voulait démanteler le réseau. Unhommes’était introduitchezeuxenpleinenuitet l’avaitabattu.Parmesuredesécurité, lesfédérauxavaientconvaincuCorydechangerd’identité,etelleavaitdûabandonnersesprochesettoutcequ’elleaimait.—Ilsfontdeleurmieux,luiaffirma-t-elle.—Cen’estpassuffisant.Ilssesontcontentésdet’achetercettemaison,detetrouverunpetitboulot
et de te laisser quelques poignées de dollars avant de t’abandonner à ton sort. Après ce que tu asenduré…—N’oubliepaslaprimed’assurance.Primedontilnerestaitpresquerien,carlamaisonn’étaitpasneuve,etlesfraisoccasionnésparles
réparationsavaientconsidérablementgrignotésesmaigreséconomies.—Ilsontégalementprisencharged’autresaspects,cequ’ilsnefontpashabituellement.Ellepensait à l’interventiondechirurgie esthétiquequi avait totalementmodifié sonvisage, ainsi
qu’àl’installationd’unsystèmed’alarmederniercriquilaprotégeaitjouretnuit.—Jesuisvenupourteproposerquelquechose.—Jet’écoute.—L’amid’unamivientd’arriverenville.Ilchercheunendroitoùseloger,autrequ’unmotel,mais
ne souhaite pas s’engager dans un bail à long terme. Pourrais-tu envisager de le prendre commelocataire?Iloccuperaittachambred’amis,ettun’auraispasàtesoucierdesesrepas.Elle y réfléchit un instant.La chambre à l’étage était effectivement vacante.Un lit, une commode
ainsiqu’unfauteuils’ytrouvaientdéjàlorsqu’elleavaitemménagé.Saproprechambresetrouvantaurez-de-chaussée,ellen’auraitpasmêmeàsupporterlaprésenced’unvoisindepalier.Maisleschosesn’étaientpasaussisimples.—Gage…—Jesaisqu’ilestdifficiledefaireconfiance,aprèsunteltraumatisme.Jemesuisrenseignéàson
sujet.Ilapassévingtansdanslamarine.Toutestsoigneusementconsigné.Ilareçusuffisammentdemédaillespourdécorertoutunpandemur.TuasdéjàvuNateTate,n’est-cepas?—Biensûr.Elleavaitfaitlaconnaissancedel’ancienshérif.Nateavaitbeauêtreretraité,ilsefaisaitunpoint
d’honneur à tisser des liens avec tous les habitants du comté. Elle avait même plusieurs fois étéconviéeàdînerchezsonépouseetlui.—Ehbien,cetypeestunprochedesonfils.JenesaispassituasrencontréSethHardin.Ellefitnondelatête.
—Jegardecettehistoirepourunautremoment.MaisSethestunbongars,et il luia suggérédevenirdécompressericipourquelquetemps.—Décompresser?Ellen’étaitpaspersuadéequecettesituationallaitluiconvenir.—Ecoute,jenesaispastrop…— Je ne te demande pas de faire du baby-sitting, reprit-il avec un sourire. Il est parfaitement
capabledes’occuperdelui.Ilaseulementbesoindeprendreunpeuderecul.Dechangerd’air.Cen’estpasungrandbavard.Etlaplupartdutemps,tuneremarqueraspassaprésence.—Jevaisysonger.—Quedirais-tusijelefaisaisentreretquejeteleprésente?Elle sentit sa gorge se serrer sous le coupde l’appréhension.Chaquenouvelle tête constituait un
danger potentiel. Sans exception. Se fondre dans le paysage était devenu sa spécialité, et chaquenouvellerencontreravivaitdevieillesangoisses.—Jevaislechercher,poursuivit-ilavantqu’ellepuisseprotester.Ilestdanslavoiture.Elle voulait lui crier denepas le faire,mais elle resta vissée sur son siège. Instinctivement, ses
doigts vinrent se poser sur son côté, là où la cicatrice laissée par la balle la faisait encore parfoissouffrir.Qu’enétait-ildesonlibrearbitre?Desacapacitéàrefuserunesituationinconfortable?Ellelesavait toutbonnementperdus, lorsd’unenuiteffroyable,unanauparavant.Depuis,ellevoyait lesjours défiler, mais elle avait l’impression d’être une machine, effectuant soigneusement ce qu’onattendaitd’elle,etfeignantd’yattacherdel’importance.Envérité,leseulsentimentqu’elleéprouvaitencoreétaitlapeur.Lechagrin,aussi.Lacolère,parfois.Elleentenditdubruitsousleporche.EllereconnutleboitillementdeGage,accompagnécettefois
d’unpasbienpluslourd.Instinctivement,elleseleva,nonparcourtoisie,maispourêtreenmesuredefuirsinécessaire.LevisiteurquiaccompagnaitGageétaitlel’hommeplusimposantqu’illuiaitétédonnédevoir.Il
devaitmesurerauminimumdeuxmètres,étaitvêtud’unjeanetd’unechemiseclairsetsemblaittaillédansdelapierre.Alafoisfort,puissantetimposant.Maisleplusimpressionnantchezluiétaitsonvisagedurettotalementdénuéd’expression.Sesyeux
et sescheveuxcourtsavaient lanoirceurde l’obsidienne.Quantà sonâge, il semblait impossibleàdéterminer.Elletressaillitintérieurement,sesentantaussivulnérablequ’uneproiefaceàsonprédateur.L’hommepritlaparole.Savoixgrondaitcommeletonnerre.—Bonjour,madameFarland.Jem’appelleWadeKendrick.Ilneluitenditpaslamain.Ils’étaitexpriméavecunecertaineréticence,sembla-t-il,commes’ilrisquaitdelabrusquer.Corysesentitsoulagéedelevoiraussipeuconfiant.—Bonjour,répondit-elle.Asseyez-vous,jevousenprie.Ilregardaautourdelui,commes’ilcherchaitunsiègesusceptibled’accueillirsacorpulence.Ilfixa
sonchoixsurl’extrémitéducanapé.Coryserassitdanssonrocking-chair,tandisqueGageprenaitlefauteuilinclinable,plusconfortablepoursesdouleurschroniques,dontilévitaitdeparler.
—Trèsbien,commençaGage,voyantquelesilencepersistait.Wadechercheàlouerunechambre.Pourcombiendetemps,ill’ignoreencore.Raisonpourlaquelleilneveutpaslouerunappartement.Ilestprêtàpayeraumois,seulementpourlegîte.— Je prendrai mes repas à l’extérieur, précisa Wade. En aucun cas, je ne souhaite être trop
envahissant.Elleappréciasasollicitude,mêmesielleenfutquelquepeudéconcertée.Eneffet,Wadenesemblait
pasêtrehommeàsesoucierdecegenrededétails.—Cettechambren’ariend’exceptionnel,voussavez…,leprévint-elle.—Jenesuispastrèsdifficile.Pastrèsvolubilenonplus,songea-t-elle.Toutcommeelle.—Ehbien,sivouspensezquelachambrepourraitvousconvenir…,finit-ellepardire.Vousseriez
monpremierlocataire.—Madame,jenecherchequ’unendroitoùmereposer.PourCory,cetargentétaitlebienvenu,etelleavaittouteconfianceenGage.Elles’efforçadefaire
abstractiondelapeurquinelaquittaitjamaistotalement,pasmêmedanssesrêves.— Allez visiter la chambre, proposa-t-elle. Elle se trouve à l’étage. Il y a une salle de bains
attenante…quenousn’auronspasàpartager,carlamienneestenbas.L’homme se leva et se dirigea sans un mot vers l’escalier. Cory se sentait oppressée. Peur ?
Méfiance?Ellel’ignorait.—Toutsepasserabien,Cory,larassuraGage,tandisqu’ilspercevaientdespaspesantsau-dessus
d’eux.Aunmomentouunautre,toutlemondeabesoind’unhavredepaix.Corynelesavaitquetrop,mêmesi,poursapart,elleavaitparfoisl’impressiondeseterrer.Elle se raidit en entendant le bruit des bottes sur les marches. Elle fit un effort pour ne pas se
retourner, troublée par l’impact que cet étranger avait sur elle. Mais elle ne put se dérober bienlongtemps,carsonvisiteurvintseplanterenfaced’elle.—C’estexactementcequ’ilmefaut,luiannonça-t-il.Ilsortitsonportefeuilleetluitenditsixbillets
de cent dollars, flambant neufs, comme s’ils sortaient tout droit de la banque. Je vais cherchermesaffaires.Il quitta la pièce, etCory resta immobile, ne pouvant détacher son regard de l’argent. Elle avait
l’habitudedemanipulerdetellessommesautravail,maisellesneluiappartenaientpas.Samainsemitàtrembler.—C’estbeaucouptrop,murmura-t-elle.Cettesommecorrespondaitàsonsalairemensuel.Gagesecoualatête.—S’ilteproposecemontant,c’estqu’ilestimequecelalevaut.Uneminuteplustard,Waderéapparaissait,chargéd’unencombrantsacdepaquetage.Enl’espace
d’une demi-heure, elle avait accepté un pensionnaire dont toute la vie tenait, semblait-il, dans unballuchon.AprèsledépartdeGage,elleduts’habitueràentendrequelqu’unbougerau-dessusdesatête,une
premièredepuisqu’elleavaitemménagédanslamaison.Illuiétaitfacilededevinercequ’ilfaisait,
rienqu’entendantl’oreille:ilrangeaitsesaffairesdanslavieillecommode.Elle devrait lui confier une clé, songea-t-elle soudain, et son cœur tressaillit à cette pensée. Sa
sécurité reposait sur sa nouvelle identité, mais aussi sur des serrures qu’elle verrouillaitconsciencieusementetunsystèmed’alarmeinstalléparlesfédéraux.Al’idéed’avoiràfournirlacléetlecodedesécuritéàuninconnu,ellesentitl’angoisselagagner.Elle se rappela avec quelle facilité ces hommes étaient parvenus jusqu’à son mari. Elle avait
pleinement conscience du fait qu’aucun système de surveillance ne la protégerait si elle ouvrait saporteaumauvaismoment.«Parpitié,Cory,arrête!»s’admonesta-t-elle.Sielleseretrouvaitdanscetrouperdu,aufinfond
duWyoming, elle, une enseignante devenue employée de supérette, c’était pour éviter de passer lerestantdesesjoursàregarderpar-dessussonépaule,àl’affûtd’undangerhypothétique.Aujourd’hui,savien’avaitplusrienàvoiraveccellequ’ellemenaitauparavant.Nisontravailni
sonvisage.Ilsetrouvaitlà,levéritableprixdesatranquillité,etnondansdesverrousetlesboutonsd’urgence.ElleentenditWadedescendrel’escalier.Elles’obligeaàleregarder.Ellesentitunfrissondepeur
laparcourir.Mêmesisaforceluipermettaitdetuerquelqu’unàmainsnues,Gageavaitestiméqu’ilnereprésentaitaucundangerpourelle,etelleaccordaittoutesaconfianceaushérif.— Il faut que je vous donne une clé, et que je vous explique comment désactiver l’alarme,
monsieurKendrick.Elleavaitparléd’unevoixàpeineaudible,maissansangoisse.Illafixaduregard.—Etes-vouscertainequecelanevousdérangepas?Qu’avait-ilsentiaujuste?Sapeurselisaitsurellecommedansunlivreouvert?—Vousvivezici,désormais.Vousdevezpouvoiralleretveniràvotreguise,ycomprislorsqueje
travaille.—Non.—Jevousdemandepardon?—Jepeuxmedébrouiller.Cetteréponseladésarçonna.Ilpayaitunloyerqu’ellejugeaitexorbitantpourvivredansdeuxpièces
défraîchies,etilétaitprêtàseretrouverenfermédehorslorsqu’elles’absenterait?—J’aimeraisalleracheterdesserviettes,desdraps,etdeuxoutroisautreschoses,reprit-ilaubout
d’unmoment.Dansquelledirectionsetrouvelesupermarché?—Avez-vousunvéhicule?—Jepeuxmarcher.—Moiaussi,répliqua-t-elle,sentantsapersonnalitérenaîtresubrepticement.Sivousavezbeaucoup
d’articlesàtransporter,vouspourriezavoirbesoind’uncoupdemain.—Çaira.— Oui, je sais. Vous vous débrouillerez. Elle poussa un soupir, puis se leva. Je vais vous y
conduire.Jedoismoiaussifairequelquesemplettes.
Grâceàlui,ellepouvaitmaintenantselepermettre.Ellesesentitlégèrementcoupable.Elleallacherchersonsacàmain.Avantdequitterlamaison,elleinsistapourluidonnerundouble
de la clé et lui confier le codede l’alarme.S’il trouvait étrangequ’unemaison aussi délabrée soitéquipéed’unsystèmedeprotectionaussiélaboré,iln’enditriennin’enlaissarienparaître.Ilneposaqu’uneseulequestion.—Ya-t-ilaussidesdétecteursdemouvement?—Jenelesmetsenmarchequelanuit.Lecodeestidentique.Avez-vousremarquéleboîtierquise
trouvedansvotrechambre?—Oui.—Ehbien,sivousdescendezdurant lanuit,vouspouvezdésactiver lesystèmecomplet.Lepetit
panneaurégitlesdétecteursdemouvement,etlegrand,toutlereste.Elle se força à le regarder.Un autre frisson la parcourut à l’idéeque cet homme, s’il le voulait,
pouvaitlabriserendeux.Autrefois,cetypedepenséenel’auraitjamaiseffleurée.Aujourd’hui,ellenepouvaits’endéfaire.—Si,pouruneraisonquelconque,vousdevezpartir,etquejesuisabsenteouendormie,j’aimerais
quevousactiviezlesystèmecomplet.Ilacquiesça.Riensursonvisagen’indiquas’iltrouvaitcelaétrangeounon.Elleluimontralesboutonsd’urgence,reliésdirectementàlapolice,auxpompiers,ouauxurgences
médicales.L’existencemêmedecesystèmeluirappelaitsanscessecequis’étaitpassé.Maisaucundecesgadgets sophistiquésn’auraitpuchanger lecoursdesévénementsqui s’étaient
produitsquinzemoisplustôt.Ellemitl’alarmeenmarche.Cequineleurlaissaitquequarante-cinqsecondespourpasserlaporte
d’entréeetlarefermer.Duréeencorebeaucouptroplongue,songea-t-elle.Les marshals lui avaient également fourni un véhicule, des plus ordinaires, qui n’attirait pas
l’attention.Danslesfaits,onauraitditunchar!Etilconsommaittantd’essence!Maissesprotecteursavaient insistépourqu’elle legarde.Ce4x4avaitquatreans,mais lemoteurétaitneuf,unV-8bienpluspuissantqu’ellen’enavaitbesoin.Sijamaislesassassinsdesonmarilaretrouvaient,ilsneluilaisseraientpasleloisirdes’enfuiren
voiture.Elleenétaitconvaincue.Unjour,bientôt,sepromettait-elle,dèsqu’elleenauraitl’occasion,ellelaremplaceraitparunecitadine,pluspetite,maisplusfiable.Ellen’avaitpasbesoindececocond’acier.LeseulavantagedesonvéhiculeactuelétaitqueKendricknes’ysentiraitpasàl’étroit.Elledoutait
fortqu’ilpuisseseglisserdanslacompactequ’ellecomptaits’offrirunjour.Ilneprononçapasunmotdurant le trajet jusqu’aucentrecommercial. Ilpritalorscongéavecun
«Merci»laconique.—Aquelleheurevoulez-vousquejeviennevousprendre?Ilhaussalesépaules.—Ceneserapaslong.Jenesuispastrèsdifficile.Venezquandçavousarrange.Lalisted’articlesqu’elleavaitétabliementalementpourellen’étaitpasbienlonguenonplus.Même
lamanne inespérée que représentait le loyer versé parKendrick ne lui permettait pas de faire des
folies. Elle détestait cuisiner pour une personne, mais elle s’obligea à choisir des produits sains,comme des légumes, des préparations pour salade, et un peu de poulet. Elle retournerait faire lescoursesaprèssaprochainejournéedetravail,c’est-à-direaprèssestroisjoursdecongé.Troisjournéescomplètes,avec,par-dessuslemarché,uninconnudanssamaison.Lessoiréesétaientlonguesenété,d’autantquelesoleiln’embrasaitl’horizonqu’après21heures.Il
disparaissait lentement à l’ouest, mais l’air perdait rapidement sa chaleur. Lorsqu’elle sortit dumagasinavecsesdeuxsacsàprovisionsentoile,latempératureavaitdéjàchuté.EllerepritlarouteducentrecommercialettrouvaWadequil’attendaitsurletrottoir.Ilsemblaitavoirachetébienplusdedeuxoutroisbricoles,àenjugerparlenombredesacsplastiques,etellesefélicitadenepasl’avoirlaisséfairelecheminàpied.Lepauvreauraitdûsinoneffectuerplusieursvoyagespourtransportersesoreillers,draps,serviettesetautrescouvertures.Ce qu’il aurait certainement fait sans se plaindre. Dire que ce type parlait peu relevait de
l’euphémisme.Ellepatientapendantqu’ildéposaitsesachatssurlabanquettearrière,àcôtédessiens,puisilprit
placesurlesiègepassager.—Merci,répéta-t-il.—Jevousenprie.Ilneprononçapasunmotdeplus.C’étaitpresquecommes’ilcherchaitàserendreinvisible.Loindesyeux,silencieux,horsd’atteinte.S’ils’étaitagidel’undesesétudiants,elleenseraitarrivéeàlaconclusionquesonsilenceavait
pouroriginedeterriblessecrets,carrienenluinelaissaitsupposerqu’ilétaittimide.Maisiln’étaitpassonélève,maisunhommeadulte.Ils arrivèrent à lamaison.Elle s’engageadans la courte allée et coupa lemoteur.Elle n’utilisait
jamais legarage,nepouvant systématiquement envérifier tous les recoinsqui auraientpu servirdecachettes.Apeineavait-ellemislefreinàmainqueWadedescendaitdéjàduvéhicule.—Jevaism’occuperdevoscabas,déclara-t-il.Elle fut tentéede lui répliquerqu’ellepouvaitsedébrouiller,maisellecomprit instantanémentce
quilapoussaitàréagirdelasorte:unbesoindereprendrelecontrôle,mêmefugace,desavie.Cethomme faisait simplement preuve de courtoisie, et c’était sa manière de la remercier de l’avoiremmené.Elleavaitmieuxàfairequerabrouerlespersonnesquifaisaientpreuvedegentillesseenverselle,d’autantqu’ilnefaisaitqueluirendrelapareille.Ah,bonsang!Ellen’avaitpaspourhabitudedejurer,maiscettejournéecommençaitàluiendonner
l’envie.Avoiràaccueillirquelqu’undanssonrepairelacontrariaitauplushautpoint.Maisdécouvrirque l’enseignante existait toujours en elle, qu’elle vivait et respirait, bien qu’elle ait cherché àl’annihilertotalement,luicausauneindiciblesouffrance.Après l’annéequ’ellevenaitdevivre,ellepensaitqueseul sonmaripouvaitencore luimanquer.
Sonabsenceluicausaitunedouleurquinelaquitteraitjamais.Têtebaissée,ellegravitlesmarchesduperron,cherchantsaclé.Elletrouvacellesdumagasin,de
lavoiture,dugarage…tantdesésames,etuneviesiétriquée.Alorsqu’elledéverrouillait enfin la serrure, elle entendit la sonneriedu téléphone.Probablement
sonpatron,pensa-t-elle,quil’appelaitpourremplacerunecollèguemalade.Craignantdemanquercetappel, et surtout les heures supplémentaires à la clé, elle laissa la porte ouverte derrière elle pourWade, composa le code aussi rapidement qu’elle le put, et se précipita vers le combiné sans fil dusalon.Elledécrocha.—Jesaisoùtues,murmuraunevoixétouffée.Puis,riend’autrequelatonalitéd’unecommunicationcoupée.Ellelâchal’appareilettombaàgenoux.Ilsl’avaientretrouvée.
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—Quesepasse-t-il?Ellerelevalatêteetregardalecolossequiétaitentrédanssaviedeuxheuresplustôtàpeine.Ilse
tenait sur le seuil, les bras chargés de paquets.Elle tenta de respirer,mais la panique lui nouait lagorge.Elleétaitincapabled’articulerlemoindreson.Dèsquesarespirationfutredevenueàpeuprèsnormale,deslarmessemirentàcoulersursesjoues.
Uneirrépressibleenviedefuirlasaisit.Uneenviedeprendresavoitureetdefileràtouteallure,aussilongtempsquesesmaigreséconomiesleluipermettraient.Elle se rendit compte ensuite que, s’ils avaient effectivement retrouvé sa trace, le simple fait de
passerlaported’entréepouvaitluicoûterlavie.—MadameFarland?Legéantlâchasessacsplastiquesetseprécipitaverselle.—Allongez-vouscomplètement.Puis, de sesmains étonnamment précautionneuses pour quelqu’und’aussi imposant, il l’aida à se
couchersurlesol,puisluirelevalesjambesqu’ilappuyasurlebordducanapé.Illuiprodiguaitlessoinsquel’onadministrehabituellementauxpersonnesenétatdechoc!—Quevousest-ilarrivé?luidemanda-t-il.Toutsebousculaitdanssatête.Quidevait-elleappeler?Lesmarshals?Ellesavaitquellesmesures
ilsprendraient,etellen’avaitaucuneenviedes’yplierunefoisencore.—Leshérif.IlfautquejeparleàGage.Ilneluiposaaucuneautrequestion,secontentantdesaisirlecombinéqu’elleavaitlaissétomber,
qu’ilposadanssamain.—Souhaitez-vousquejem’enaille?luiproposa-t-il.J’iraidéchargerlavoiture…Iln’étaitpascenséentendrelaconversationqu’ellecomptaitavoiravecGage,maisdanssesyeux
sombres,ellecrutreconnaîtrel’éclatd’uneinquiétudenonfeinte.Quelquechosedisantqu’ilferaitcequiseraitlemieuxpourelle,quoiquecefût.Sagorgeseserra.Ilyavaitsipeudepersonnesautourd’ellequisesouciaientdesavoirsielleétait
encoreenvie.Lesmarshalseux-mêmesnelaconsidéreraientquecommeunélémentstatistiquedansleursdiagrammesd’échecsetderéussites.—Je…Elle hésita, bien consciente du fait qu’elle ne pouvait révéler à quiconque sa véritable situation.
Maisqu’allait-elledirequ’ilnepuisseentendre?Riennel’obligeaitàfairementionduprogrammedeprotectiondestémoinsoudesonvrainom,puisqueGageétaitdéjàaucourant.—Toutvabien,luiassura-t-il.Nevousrelevezpasimmédiatement.Jem’occupedescourses.C’étaittoutbonnementincroyable!Il se levaet repartitvers lavoiture,commesicequivenaitdesepasser—soneffondrement, le
désirdeparleraushérif—n’avaitriend’extraordinaire.Lastupéfactionpassée,elleseditqu’ilvalaitmieuxnepaslaissersonvéhiculesanssurveillance.
Deplus,ellepréféraitnepaslaisserindéfinimentlaporteouvertenil’alarmedésactivée.Marmonnantunjuronqu’ellen’avaitpascoutumed’utiliser,ellefitapparaîtreàl’écranlenuméro
préenregistréduportablepersonneldeGage.Ildécrochainstantanément.—C’estCoryFarland,dit-elled’unevoixtremblante.—Cory?Est-cequeçava?—Gage,j’ai…reçuunappel.Letypeauboutdufilm’asimplementdit«Jesaisoùtues.»Gagejuraàsontour.—C’estprobablementuneblaguedemauvaisgoût.Tusaiscommentsont lesgosses,quandilsne
saventpascomments’occuper.Et,crois-moi,cescanularsnesontpaslespires.—Jem’endoute,mais…—Jesais.Fais-moiconfiance.Jem’enoccupe.Restecheztoi.Nemetspaslenezdehors,etpense
bienàactiverlesystèmed’alarme.Est-cequetontéléphoneaffichelesnumérosentrants?—Non.Ilétouffaunautrejuron.— Je vais y remédier dès que possible.Mais, Cory, ne te mets pas martel en tête. Il ne s’agit
probablementqued’unemauvaiseblague.Elle avait l’habitude de côtoyer des enfants. C’était probablement un canular, comme lorsqu’ils
appelaientdesnumérosauhasardpourannoncerdesgainsàlaloterie.Biensûr,ilnedevaits’agirqued’unemauvaiseblague.Gagerepritlaparole.—Penses-y,Cory.S’ilst’avaienteffectivementretrouvée,pourquoit’avertiraient-ils?Bonnequestion.—Tuasraison.Son raisonnement était logique. Elle prit une nouvelle inspiration tremblotante et sentit son cœur
retrouverprogressivementunrythmepratiquementnormal.—Jen’écarteaucunehypothèse,Cory, reprit-il.Mais je suis convaincuqu’ilne s’agitqued’une
blague.—D’accord.Elle le remercia puis raccrocha. Les yeux fixés au plafond, elle observa, songeuse, les taches
d’humidité qui dessinaient des formes, pareilles à des visages. Comme celui de l’homme qui avaitabattuJimetquiavaitfaillil’assassinerelleaussi.Elle entendit la porte d’entrée se refermer, le verrou qu’on pousse et l’activation du système
d’alarme.Lesignalsonoredéchiralesilence,cevideincommensurable.Ellesecoualatêtepourchassersespensées.ElletournalatêteendirectiondeWade.—Commentvoussentez-vous?—Jevaisbien,merci.
Certainement le plus gros mensonge de toute sa vie, qui lui vint néanmoins avec une étonnantefacilité.—Vousavezreprisquelquescouleurs.Avez-vousbesoind’aidepourvousasseoir?—Jevousremercie,jepeuxmedébrouiller.Elle en était parfaitement capable. Semettre debout, se rendre dans la cuisine pour y ranger ses
courses,etfairecommesitoutétaitnormal.Ellen’avaitpaslechoix.Toutessesalternativess’étaientvolatiliséesunanplustôt.Ellesoupira,retiralespiedsducoussin,etroulasurlecôtépourserelever.Asagrandesurprise,
elle sentit une main l’agripper par le coude, lui donnant un appui. Elle scruta le visage dur etimperturbabledeWadeetsedemandas’iln’étaitpasdouéd’uninstinctparticulierpourvenirenaideauxautres.Elleauraitdûlerabrouer.Maisaprèsuneannéepasséeàéviterlecontactaveclesautres,cegeste
simple,cettemainoffertepourassurersonéquilibre,luifitdubien.—Merci,murmura-t-ellelorsqu’ellefutdebout.Jevaisrangermescourses.Ilesquissacequipouvaits’apparenteràunlégersourire.Ilpritsontempspourrépondre,comme
s’ilpesaitlemoindredesesmots.— Je pense que vous feriezmieux de rester assise. Si vousm’expliquez, je peuxm’occuper du
rangement.Elle s’apprêtait à protester. Elle acceptaitmal qu’on fasse les choses à sa place.Mais avec ses
genouxencoreflageolantsetdesproduitsàrangeraucongélateursansplusattendre,ellen’avaitpastroplechoix.Elles’abstintderouspéter.Lesmontées d’adrénaline, lorsqu’elles se calmaient, la laissaient toujours épuisée. Cory escorta
Wadejusqu’àlacuisine,lepasmalassuré,ets’assitàlatabledeFormicapendantqu’ilsortaitunàunles articles et lui demandait où les ranger. Il accomplit samission avecune efficacité remarquable,économetoutàlafoisdesesmotsetdesesmouvements.Ellesesentaitmalàl’aise.Commentparlerdetoutetderien?Ellen’avaitplusdepassédontelle
pouvait parler, etmentir n’était pas son fort. Son interlocuteur, lui aussi, semblait peu porté sur laconversation.—Voilà,annonça-t-illorsquetoutfutrangé.Sivousvoussentezmieux,jevaismontermesaffaires.Elleauraitdûleremercieretenresterlà.Maisàcausedecetappeltéléphonique,elleredoutaitde
se retrouver seule. Elle qui s’était réfugiée depuis si longtemps dans la forteresse de sa solitude,pourquoiavait-ellesoudainenvied’enabattrelesmurailles?—Sijeprépareuncafé,lança-t-elle,enprendrez-vous?Ellecrutlevoirtrèslégèrementhausserlessourcils.Levisagedecethommeétaitinsondable.La
propositiondeCoryparutleperturberetilpritletempsdelaréflexion.—Avecplaisir,finit-ilparrépondre.Elle remarqua à cet instant qu’elle avait retenu sa respiration. Craignait-elle un rejet ? Mais
commentpouvait-elleprendreunéventuelrefus,sianodin,pourunehumiliation?Cette réactionétaitprobablementàmettresur lecompteduconfinementpresque totaldans lequel
ellevivait,songea-t-elle,oùseulssessouvenirsavaientdroitdecité.
Elleesquissauntimidesourire,auquelilréponditparunsignedetête.—Jemontemesaffairesetredescendsdansuneminute,ajouta-t-il.Elle l’observa attentivement tandis qu’il quittait la pièce… ses larges épaules, son bassin étroit.
Toutsoncorpssemouvaitaveclasouplessed’unathlète.MonDieu,soupira-t-elle,depuiscombiendetempsunhommen’avait-ilpasattirésonattention?DepuisJim.Maisencemoment,ellen’avaitnulleenviedesuccomberaudélicieuxappeldelasensualité.Ellesecoualatêteetseleva.Sesforcesétaientrevenues.Elleputseconsacreràcettetâchesimple
etautomatique—préparerlecafé—quioccupaitsesmainstandisquesatêtecontinuaitd’échafaudermillehypothèses.Gageavaitprobablementraison.Lestueursnel’avertiraientpass’ilsétaientsursestraces.Ildevait
doncbiens’agird’uncanularconcoctépardesjeunesdésœuvrés.Autrefois,elleseraitparvenueàlamêmeconclusionqueGage,sansavoiràconsulterquiquecesoit.Auneépoqueoùellen’étaitpasàfleurdepeau,ellepouvaitpenserdefaçonrationnelle.Cette femme qui sommeillait en elle devait se réveiller, si elle voulait survivre. Elle sentait sa
personnalitésedésagrégerparpansentiers.Combien de temps allait-elle attendre avant de réagir ? Avant d’être réduite à une condition de
robot, une carapace vide d’être humain.Elle devait trouver unmoyen de reprendre contact avec lemonderéel.Elleserappelalesproposd’unmarshal,lorsqu’elleluiavaitexpliquéqu’ellenevoulaitpasrompre
lesamarresavecsonpassé:«Imaginezlenombredepersonnesquidonneraientn’importequoipourcommencerunenouvellevie!»Acetteépoque,cetteremarqueluiavaitparudéplacée,maisaujourd’hui,elleenmesuraitmieuxla
portée.Unnouveaudépart.Finielaterreur.S’ilsavaientvoulularetrouver,ilsyseraientparvenusdepuis
longtemps.Waderéapparutdanslacuisine,àl’instantoùlecaféfinissaitdecouler.—Commentl’aimez-vous?luidemanda-t-elle.—Noircommelanuit.Elle plaça la cafetière sur la table et sortit deux tasses, qu’elle emplit généreusement. Elle avait
toujoursaiméajouterunegouttedelaitàsoncafé,l’unedesrareshabitudesauxquellesellen’avaitpaseuàrenoncer.Ellepouvaitencoredégustersesplatspréférés,boiresoncaféavecunnuagedelaitetapprécierlesmêmesfilmsetromans.Peut-êtreletempsétait-ilvenudefairelebilandecequ’ellen’avaitpasperdu.Elle s’assit en face deWade,mais s’efforça de ne pas l’observer demanière trop insistante.De
tempsàautre,ellelevaitlesyeuxversluietcroisaitimmanquablementsonregard.—Pourquoimeregardez-vousdelasorte?finit-ellepardemander.Quelquechosenevapas?—Vousêtesunvéritablemystère.Elleclignadesyeux,surprise.—Vousnemeconnaissezpas.—Celaycontribuecertainement, rétorqua-t-il.Savoixprofonde luiévoquacette foisunvelours
noir,sombreetépais.—Qu’insinuez-vouspar là ? insista-t-elle,même si elle sentait qu’ellepénétrait surun territoire
dangereux.—Ilyacertainsdétails…—Soyezplusprécis.Ilposasatasse.—C’estétrangederencontrerunefemmesemblantaussiterrifiéequevousdanscegenred’endroit.Elle eneut le souffle coupé. Il nedétournapasun instant lesyeuxetne semblait attendreaucune
réponse.—Jeconnaislapeur,poursuivit-il,jel’aivue,sentieetgoûtée.Elleémanedevous,dechaquepore
devotrepeau.Désarçonnée,ellenesutquerépondre…peut-êtresimplementparcequ’ilavaitraison.—Jesuisdésolé,s’excusa-t-il.Riennem’autoriseàvousdirecegenredechoses.Il n’y allait pasparquatre chemins,pensa-t-elle, et elle regrettapresquede lui avoirproposé ce
café. Elle aurait préféré ne pas avoir à partager samaison avec lui. Ses yeux sombres étaient tropperspicaces.Beaucouptrop.Ill’avaitmiseànu.Ellesentitlacolèremonterenelleetluiadressaunregardnoir.Commentosait-
il?Aprèstout,ellel’avaitbiencherché.L’espaced’uninstant,elleeutenviedequitterlatablesansunmotdeplus.Poursemettreàl’abri.
Maisquelquechosel’endissuada.—Est-cesivisiblequecela?demanda-t-elle,piquée.Ilsecoualatête.—Probablementpaspourceuxquin’ontpasmonexpérience.Vousdonniez lechangedemanière
assezconvaincante…jusqu’aucoupdefil.—Toutemavieestunemiseenscène,déclara-t-elle,elle-mêmesurprisedesondévoilement.Il hocha la tête. Lorsqu’il posa de nouveau les yeux sur elle, quelque chose dans son regard
l’accrocha,commes’ilcherchaitàl’attirerverslui.Elledétournarapidementlesyeux.Pasquestiondeprendrecegenrederisque.—Ecoutez, reprit-il, je n’avais nullement l’intention de vous blesser. J’aimerais simplement que
voussachiezque…Illaissasaphraseensuspens.—Quejesachequoi?insista-t-elle.—Jepeuxmerendreutile.Sivousavezbesoind’aide,jesuislà.Ilseversaunpeuplusdecafé,puisselevaenemportantsatasseaveclui.
***
Wadefaisaitsonlitavecuneaisanceacquiselorsdeseslonguesannéesdepratique,quandilétaitdans lamarine.Descoinsparfaitementcarréset lacouverture tendueaupointqu’onpouvaity fairerebondirunepiècedemonnaie.Sesvêtements étaientpliésde sorte à tenirdansuncasier, enpilesparfaitementcarrées.Lesvieilleshabitudesont laviedure, songea-t-il, et sixmoisde retraiten’enétaientpasvenusà
bout.Il s’assit dans le fauteuil disposé dans l’angle de la pièce.Cette femme, à l’étage inférieur, était
aussi effrayée qu’une nouvelle recrue de section de combat, se dit-il. Ou que les vieillards et lesenfantsqu’ilavaitcôtoyésdansdessituationsqu’ilpréféraitoublier.Cen’étaitpasceàquoiilaspiraitens’installantici.Ilétaitvenujusqu’ici,danscettebourgadeau
milieudenullepart,parcequeSethHardinluiavaitassuréqu’ilytrouveraitlapaixetlasolitude,etqu’ilpouvaitrompreavectoutcequilerattachaitàsonpassé.Manifestement,Sethneconnaissaitpascettefemme.CorinneFarland.Cory.Ilsepencha,saisitlatasseposéesurlacommodeetenvidalamoitiéd’unseultrait.Cecaféétait
délicieux.Il ressentit quelquespicotements auniveaude la nuque en repensant à ce qui s’était passé.Cette
sensationfugaceluiavaitplusd’unefoissauvélavie,etils’yfiait.PourquoiGageDaltonl’avait-ilinstalléchezelle?Danslecomté,leschambresàlouernedevaient
pasmanquer.Mais peut-être s’agissait-il véritablement d’une coïncidence. Il en doutait.Consciemment ou non,
Gageavaitpenséàcettefemme,àsaterreur,etàcettechambrevide.Cen’étaitpasanodin.Cette fois,un long frisson luiparcourut lacolonnevertébrale.Ledegréde
paniquedeCorysuggéraitunemenacelatentemaisdurable.Cequi le plongeait au cœurd’une situationqu’il avait cru laisser loinderrière lui.Qu’il voulait
oublier.Ildevaitreprendreunevienormale,neplusraisonnerenagentdesforcesspéciales,etredevenirun
citoyenordinaire.Arrêterdedormird’unœil,neplusêtreconstammentsurlequi-vive.Pour l’heure,ceprojetqui lui tenaitàcœursemblaitcompromis,parcequ’ilvenaitd’emménager
chezunefemmeterroriséeaprèsunappeltéléphonique.Quelquechoseclochait.Lespiècesdupuzzlenes’assemblaientpas.Sonintuitionluidisaitqu’illuifaudraitencorepatienteravantdedormirdusommeildujuste.Certes, il pouvait s’en aller, mais cette solution ne lui semblait pas acceptable. Il ne pouvait la
laissersedébattreseuleavecsonangoisse.Unepersonneterrifiéeavaitbesoind’êtreprotégée.Maispourunefois,décréta-t-il,ilseraitceluiquiprotège,etnonceluiquieffraie.Unsourireamerluitorditlabouche.Ceseraitunepremière.
***
Dieumerci,letéléphonen’avaitplussonné.Coryn’avaitavaléqu’unesaladepourtoutdîner,puisavaittentédesedétendredevantlatélévision.Ellesedoutaitqu’elleneparviendraitpasàconcentrerson attention sur l’un des livres empilés sur la petite table jouxtant le rocking-chair. Son espritbouillait,lesidéessebousculaientdanssatête.Illuisemblaplusfaciled’allumerlatélévision,pourladistractionsonoreetvisuelle.Plusaucunbruitneluiparvenaitdel’étage.Sonlocatairedormaitprobablement,maiscommetous
sessensétaientenalerte,ignorercequ’ilfaisaitlamettaitmalàl’aise.Lasolitudeétaitsonamie,saforteresse,sacompagnehabituelle.Elleavaitouvertsonrefugeàunenvahisseur,dontlecalmeluiparaissaitpirequelebruitqu’ilavait
faitens’installant.Ellepassarapidementdechaîneenchaîne,pourarriveraubulletinmétéorologique,maiselletomba
sur le journal télévisé et un reportage où une équipe de policiers pénétrait dans unemaison où lecadavred’unhommeavaitétédécouvert.Ils’agissaitcertesd’unereconstitution,quisuffitnéanmoinsàexhumerdessouvenirsqu’elles’efforçaittantbienquemaldegarderenfouisdanssamémoire.Jimgisantdansunemaredesang.Elle,blessée,essayantderamper jusqu’à luienmurmurantson
nom.Ellesavaitàcemoment-làqu’ellel’avaitperduàtoutjamais.Ellefermalesyeux,commepoureffacercesterriblesimagesquilatorturaient.Jimétaitunhomme
doux, mais déterminé, au large sourire et au cœur immense, et qui croyait fermement contribuer àrendrecemondemeilleur.Illuiparlaitavecdouceuretbienveillance,maisunefoisencourdejustice,oulorsdesdépositions,ilsetransformaitenvéritableprédateur.Unhommetalentueux,etadmirable.Ellel’aimaitdetoutsonêtre.Elleserappelaleurdernierdînerensemble.Jiml’avaitemmenéedansl’undesmeilleursrestaurants
deTampa, pour célébrer un test de grossesse positif. Ils avaient beaucoup ri en énumérant tous lesprénomsgrotesquesdontilsn’affubleraientjamaisleurenfant.Peuaprèsminuit,toutesavieavaitbasculé.Ledeuildesonbébén’avaitpasétéleplusdifficile,car
ellen’avaitpasencoreeuletempsdes’habitueràsaprésence.Letraitbleusurlebâtonnetnesuffisaitpasàrendreconcrètecettegrossesseàlaquelleuncoupdefeuvenaitdemettreunterme.MaisJim…Jimétaittoutpourelle.Lui,etsesélèves.Laviequ’ilss’étaientconstruiteendeuxansà
peine.Elleprituneprofondeinspiration,s’efforçantdesecalmeretderefoulersessanglots.Maislessouvenirsdecetteterriblenuitserappelaientconstammentàelle.Lescoupsfrappésàla
porte.Jim,selevant,somnolent,pourallerouvriràdespoliciers.—Onacertainementessayédevolermavoiture!Ce«tacot»,commeillequalifiait,achetéàl’époqueoùilétaitencoreétudiant.Lastéréodernier
criqu’ilyavaitinstalléevalaitplusquelevéhiculelui-même.Ellel’avaitentenduouvrirlaporte,puis…Non!Ellenes’infligeraitpastoutcelaunefoisdeplus.C’étaitfini,etsicescauchemarsrestaientà
jamaisgravésaufonddesamémoire,riennel’obligeaitàleslaisserremonteràlasurface.Le téléphone sonna, interrompant le flot de ses pensées.Cette fois, elle ne se précipita pas pour
décrocher, et elle n’imagina pas un instant qu’il s’agissait de son patron. Elle fut tentée de laissersonner,maiscommeellen’avaitpasderépondeur,ellecraignaitderaterunappeldeGage.Acontrecœur,elleattrapalecombiné.Elleétaitsitenduequetoussesmuscleslafaisaientsouffrir.—Allô?—Cory,c’estGage.Jevoulaisteprévenirqued’autresfemmesontreçulemêmegenred’appelque
toi.C’étaitsûrementuncanular.D’accord?Ellesoupira,soulagée.—Merci,répondit-elle.Mercibeaucoup.— J’ai pris contact avec ton fournisseur de services, pour activer l’affichage des numéros des
appels entrants. Cela devrait fonctionner d’ici quelques jours. Et ne t’inquiète pas pour le coût, lecommissariatleprendàsacharge.—Oh,Gage…Une fois de plus, les mots lui manquèrent. Jamais elle ne remercierait assez les marshals qui
l’avaientinstalléedanscetteville,oùelleybénéficiaitdusoutienindéfectibledeGageDalton.—Eh,dit-ildoucement.Nousprenonssoindesnôtres,parici.C’estnaturel.Avantqu’elleaiteuletempsdeleremercier,ilavaitraccroché.—Toutvabien?Surprise,ellefaillitpousseruncri.Ellen’avaitpasentenduWadearriver.Elleétaitprobablement
tropabsorbéeparsaconversation.Ellepritquelquesinspirationsprofondes,afindecalmersonrythmecardiaque.— Je suis désolé, ajouta-t-il. Je n’avais pas l’intention de vous faire sursauter. J’ai entendu la
sonnerie,etaprèsvotreréactiondetoutàl’heure…—Biensûr,jecomprends.Ellefermalesyeuxets’efforçadesedétendre.Maislesexercicesderelaxationnefonctionnaient
plustrèsbiensurelle.—Toutvabien.C’était…Gage.Quepouvait-elleluirévélerdecetappel?Mêmequelquesmotsrisquaientd’êtredesmotsdetrop.Comme il restait là, elle comprit que sa réponse ne le satisfaisait pas. Il patientait sans poser la
moindrequestion.Sonflegmelarassura.Elle-mêmen’ycomprenaitgoutte.—J’aireçuunappeleffrayant,cetaprès-midi,annonça-t-elle,pesantsesmots.Ilhochalatête.—C’estbiencequej’avaiscrucomprendre.—Effectivement.Elleseditqu’ildevaitlatrouverstupide.Elleseressaisitettentades’expliquer.—Gagevientdemeconfirmerquejen’étaispaslaseuleàavoirétéimportunée.Ilfronçalessourcils.—Vraiment?—Ilnes’agissaitqued’unemauvaiseblague.
—C’estunehypothèse.Ilnesemblaitpasconvaincu.—Pourquoidites-vouscela?—Ehbien,celadépend,n’est-cepas?—Dequoi?—Decequivousatantbouleverséeetdesautresvictimesdecesappels.—Oùvoulez-vousenvenir?Ilhaussalesépaules.—Laviem’arendusoupçonneux.—Oh,jevois.Elle semordit la lèvre inférieure. Rien ne l’avait préparée à cohabiter avec ce genre d’homme.
Contrairementàelle,ilsemblaittoutvoirvenirparlepetitboutdelalorgnette.Ilpivotasursestalons,prêtàquitterlesalon.—L’essentielestquevousalliezbien…Ilneluiavaitpasposédequestions.Elletrouvaitcelaétrange,étantdonnétoutcequ’ilavaitdeviné
à son sujet depuis qu’il avait emménagé. N’importe qui l’aurait bombardée de questions, mais cethommeacceptaitsonangoisse,pensantqu’elleavaitdebonnesraisonsd’êtreterrorisée,etquecelaneleconcernaitpas.Encetinstant,ellesongeaqu’ellepourraitmêmeenveniràappréciersadiscrétion.—Wade?Ils’arrêtanetetseretournaverselle.Ilneprononçapasunmot,secontentantdelaregarder.—Je…euh…Comment lui faire comprendre qu’elle ne voulait pas rester seule ? Qu’elle était lasse d’être
prisonnièredesespensées?Quesi sasolitudeavaitgaranti sasécurité,depuisunan,elleenavaitassezdésormais.Elle était si fatiguéede tout cela, qu’elle était prête àprendreun risque, s’il étaitminime.—Vousvoulezquejevousprépareuncafé?proposa-t-il.Ilavaitsaisisonmessage,mêmesielleignoraitcomment.Elleétaitsurlepointdeluiposermille
questionsoudetoutluiavouer.Incapabled’endireplus,ellesecontentad’un«Merci.»Elle éteignit la télévision,pour l’entendrebougerdans la cuisine.Tout cedont il avait besoin se
trouvait à côtéde la cafetière.Enoutre, ellepouvait désormais s’offrir le luxedeboireplusd’unetasseparjour.Etrerationnéeàunebriquedesoupeetunetassedecafé,quelmalheur!Evidemment, le monde était peuplé de personnes bien plus à plaindre qu’elle, mais elle n’avait
jamais été soumise à de telles restrictions.Elle avait toujours été chanceuse.Enfin, jusqu’à l’annéedernière.Waderevintavecdeuxtasses.Cellequ’ilavaitpréparéepourelleétaitcrémeuseàsouhait.Aucun
détailneluiéchappait,aussiinfimefût-il,sedit-elle.Ils’assitenfaced’elle,danslefauteuilinclinable,etsirotasoncafé,attentif,bienquesilencieux.
Finalement, son idée n’était peut-être pas si judicieuse. Comment engager la conversation avec uncolossedepierre?Ellenesavaitmêmepluscommententamerunediscussion!Cequiluiavaitautrefoissembléaussi
naturelquerespirerdevenaituneépreuve,aprèsuneannéepasséeàsoupeserchaquemotquipassaitlabarrièredeseslèvres.Wadebutuneautregorgéedesoncafé.Ilsemblaits’accommoderparfaitementdecesilence.Après
quelquesminutesunpeuembarrassantes,illasurpritenprenantlaparole.—Connaissez-vousSethHardin?Ellefitnondelatête.—J’airencontrésonpère,maispasSeth.—C’estunhommeformidable.J’aisouvent travailléavec lui.C’est luiquim’asuggérédevenir
ici.Toutàcoup,ildevenaittrèsvolubile.—Pourquoi?—Ilpensaitquej’ytrouveraislasérénité.Elleneputretenirunrirequifrisaitl’hystérie.— Excusez-moi. A peine êtes-vous arrivé, que vous avez affaire à une veuve folle à lier qui
s’effondreàcaused’uncanular.Jenequalifieraispascetenvironnementdepropiceàlasérénité.Sesyeuxd’obsidiennelascrutaient,sansjuger.—Unefrayeurtellequelavôtreestgénéralementjustifiée.Cette phrase aurait pu être une question, mais pas dans la bouche de Wade. Cet homme ne la
pousseraitpasàseconfier.Mêmesil’occasionseprésentait.Ellecherchaunmoyendepoursuivre.—Gagem’aditquevousétiezdanslamarine.Ilacquiesça.—J’yaipassélamoitiédemavie.—Impressionnant!Ellenesavaitpasquoiajouter.—Oui.Plutôtlaconiquecommeréponse.Auboutdequelquesinstants,ils’agitadanssonsiège.—Vousavezbesoindeparler.Ellesecrispainstantanément.Quecherchait-ilàdécouvrir?Ilrepritlaparole,levantsesinquiétudes.—Jenesuispastrèsbavard.Jenel’aijamaisété.Etl’artdemeneruneconversationfaitpartiedes
talentsquejenepossèdepas.—Toutcommemoi.Maiscen’étaitpaslecasautrefois.Ilhochalatête.—Certainesexpériencesrendentleschosesdifficiles.Pourmapart,jepensenejamaisavoireuce
don.
—Cen’enestpeut-êtrepasun.Laplupartdesdiscussionssontsansimportance,unsimplebruitdefond.—Celaasansdouteàvoiravecnotrerapportauxautres.J’aiarrêtédepuislongtempsdenouerdes
relations.—Pourquelleraison?Ilbaissalesyeuxverssatasse.Ellepatienta,pendantqu’ilsoupesaitcequ’ilallaitdireetcequ’il
allaitgarderpourlui.—Parcequ’ellespeuvents’avérercoûteusessurleplanpersonnel.Ellelesavaittropbien.C’étaitunedesraisonspourlesquelleselleétaitrestéesursaréservetoute
cetteannée,etpasuniquementparcequ’ellecraignaitdesedévoiler.Ellecraignaitprobablementdes’attacherdenouveau.—Jecomprends.Elle sentit sesmâchoires se contracter de nouveau, glissant irrémédiablement vers ses souvenirs.
Elles’efforçadeseraccrocherauprésent.Le téléphone retentit de nouveau. Elle sursauta, l’œil fixe. Gage avait déjà appelé. Etait-ce son
patron?Peut-être.—Voulez-vousquejedécroche?demandaWade.Sabienveillanceluifitchaudaucœur,maiscelanel’aideraitpasàaffronterlaréalité.Elleavaitété
protégéeaupointdeneplusexister.Al’abri,maisterrorisée.Elledevaitrecommenceràvivre,etnonplusseulementsurvivre.Elle tendit le bras vers le combiné, malgré son cœur qui battait à tout rompre et sa main qui
tremblait.—Allô?—Cory!Ellereconnutunevoixfamilière.Marsha!C’étaitsacollèguedetravail,aveclaquelleilluiarrivaitdepasserdutemps,parcequ’ellesavaient
despointscommunsdontellespouvaientparler.Maisellesn’étaientpasarrivéesàcestadeoù,amies,ellespouvaients’appelersansraisonparticulière.—Bonsoir,Marsha.Commentvas-tu?Sonrythmecardiaqueralentit,etsamaincessadetrembler.—JecroisqueJackm’aretrouvée!Onm’aappelée!Coryretintsarespiration.Ellen’avaitrienconfiédesonpasséàMarsha,maisaufildesmois,elle
enavaitapprisbeaucoupsurlaviedesonamie.—Qu’est-cequitelefaitcroire?—Cegarsaditqu’ilsavaitoùj’étais!—Marsha,j’aireçulemêmeappel.As-tuprévenuleshérif?—Poursipeu?réponditMarsha,dontlavoixtrahissaitlanervosité.Pourquoiprendrait-illapeine
dem’écouter?—Parcequenoussommesplusieursdanscecas.
Unsilencesefit.—Alorsjenesuispaslaseule?repritMarsha,avecespoir.—D’autresfemmesontcontactéGage.Ilpensequ’ils’agitd’uncanular.Denouveau,lesilencesefitauboutdelaligne,etCorysentitqueMarsharetrouvaitsoncalme.Elle
attenditquelarespirationdesacollèguereprenneunrythmenormal.—Est-cequetuveuxvenirchezmoi?demanda-t-elle.Elle ne le lui avait encore jamais proposé, même si elle s’était déjà rendue plusieurs fois au
domiciledesonamie.Comment,eneffet,expliquerlesystèmed’alarme?Ellerépugnaitàmentir.—Non,çavaaller.SiGagepensequecen’estriendesérieux,etsid’autresfemmesontreçule
mêmecoupdefil,iln’yapasderaisonsdes’affoler.—Çam’enatoutl’air.—Maisjevaisacheterunchien,ajoutaMarsha,avecunedéterminationsoudaine.Demain,j’iraien
choisirun.Ungros,quiaboiefort.Sonrirepritunaccentmétallique.—Siçatepermetdetesentirensécurité,c’estunebonneidée.—C’estlebutrecherché.Sijesuisencoreaussinerveuseaprèstoutcetemps,c’estquej’aibesoin
d’uncoupdepouce.Tuseraispartantepouruncafé,demainmatin?Celasignifiaitqu’elledevraitquitterlamaison,contrairementauxrecommandationsdeGage.Mais
c’étaitavantqu’ildécouvrequ’ils’agissaitd’uncanular.—Jepréfèreterappelerdemain,répondit-elleaprèsunmomentd’hésitation.—Trèsbien.Commeça,situesdisponible,tupourrasm’accompagnerauchenil.Ellesegardadeluidirequ’ellenes’yconnaissaitguèreenchiens.—Jetepasseraiuncoupdefilvers9heures,d’accord?—Parfait.Merci,Cory.Jemesensmieuxmaintenant.Lorsqu’elleraccrocha,ellepritconsciencequeWadeétait toujourslà,àboiresoncafé,attentifet
silencieuxcommeàsonhabitude.—C’étaitmonamieMarsha.Elleareçulemêmeappelquemoi.—Pourquoiétait-elleeffrayée?— Son ex n’était pas commode. Il était très violent, pour tout vous dire. Elle a peur qu’il la
recherche.Ilhochalentementlatête.—Doncelleaussisecacheici?—Elleaussi?Elle préféra ne pas chercher à imaginer pourquoi il s’était exprimé de la sorte ni ce qu’il avait
devinéàsonsujet.Aprèsunmomentdesilencepasséàdégustersoncafé,Wadereprit:—Queluiaditceluiquil’aappelée?—Seulement«Jesaisoùtues.»
Ilhochalatête.—Suffisantpourdéstabiliserunepersonnequitientàsasolitude,ajouta-t-elle.Elleenavaittropdit.Mais,curieusement,elleneselereprochapas.Mauvaiseblagueounon,deux
femmescesoiréprouveraientdesdifficultésàs’endormir,etcelal’exaspéra.—Quelimbécileferaitcela?reprit-elle,agacée.Jememoquequ’ils’agissed’enfants.Cen’estpas
drôle.Vraimentpas.—Jepartagevotreavis.Le fait qu’il soit d’accord avec elle la calma quelque peu. Après tout, elle connaissait les
adolescents:elleavaitenseignépendantplusieursannées.— A croire qu’ils n’ont rien dans la tête. Ils ont dû avoir cette idée en regardant un film, et
maintenantilsdoiventbienrired’avoirfichulafrousseàquelqu’un.—Certainement.—Ilsneserendentpascomptequecertainespersonnesontdebonnesraisonsd’avoirpeur.—Probablement.Elleluilançaunregardfurieux.—Vousarrive-t-ildeconstruiredesphrasescomprenantplusd’unmot?Cetteremarquelefitsourire.Commeunefissuredanssafaçadedemarbre.—Parfois,répondit-il.Quelnombredemotsvousconviendrait-il?—Contentez-vousdem’expliquerpourquoivosréponsessontsiévasives.—Jevousl’aidit,jesuissuspicieuxdenature.Racontez-moil’histoiredevotreamieMarsha.—Pourquoi?Jevousenaidéjàtracélesgrandeslignes.IlposasatassesurlapetitetableetsepenchaversCory,lescoudesplantéssurlesgenoux,mains
jointes.—Vivez-vous toutes lesdeux icidepuis longtempsouyavez-vousemménagérécemment?Avez-
vousàpeuprèslemêmeâge?Vousressemblez-vous?Alorsqu’ellecommençaitàcroirequ’ilétaitdevenufou,touts’éclaira.Durantquelquessecondes,
elleeneutlesoufflecoupé,aupointdeneplusêtreenmesuredeparler,etlorsqu’elletentadeprendrelaparole,savoixn’étaitplusqu’unmurmure.—Vouspensezquequelqu’unpourraitêtreàlarecherchedel’unedenousdeux?—Jel’ignore,dit-ilsansdétour.Jen’aiaucunepreuve,maismacuriositéaétépiquée.Acceptez-
vousdem’endireplus?Ellehésita,etfinitparacquiescer.—Marshaetmoisommesamiescarnous…avonsdespointscommuns.Nousavonsemménagéicià
deuxsemainesd’intervalle,ilyaenvironunan.Noustravaillonstouteslesdeuxàlasupérette.—Qu’enest-ildevotreapparence?Etdevotreâgerespectif?—Nousn’avonspasl’airdesœursjumelles.—Jem’endoutais,maispouvez-vousêtreplusprécise?—Noussommescommelejouretlanuit.
C’étaitvrai.Marshaavait lescheveuxroux,coupéscourt,unmentoncarré,desyeuxverts,etunepoitrinepour laquellenombrede femmesauraientétéprêtesàpayerune fortune.Elle,pour sapart,arboraitunecoupeaucarré,avaitlescheveuxauburn,colorationqu’elledétestaitquidissimulaitsonblondfoncénaturel.Sesyeuxbruns,sijolislorsqu’elleétaitblonde,luiparaissaientmaintenantbienfades.Elleavaitégalementsubiune légèrerhinoplastie,sur lesconseilsdesmarshals,etsonnezenboutonétaitaujourd’huipluslongetplusdroit.Onn’avaitcependantpastouchéàsonbuste,detaillemoyenne.—Vosdifférencessecantonnent-ellesàdescaractéristiquesfacilementmodifiables?Ellen’aimaitpasdutoutcequ’ilcommençaitàlaisserentendre.—Vousêtesréellementsuspicieux.Maispourdirevrai,elleaussi.Toutàcoup,cetappeldeGageluiparutbeaucoupmoinsrassurant.—Marthaetmoinenousressemblonspasdutout.Enétait-ellevraimentconvaincue?—Alors,jesuistropméfiant.Beaucouptrop.—Pourquoi?—Parcequej’aivécudansl’ombretoutemavie.Lasuspicionestmoncredo.Jeneprendsjamais
rienpourargent comptant.Neprêtezpas l’oreille àmesdivagations, ajouta-t-il avecunhaussementd’épaules.C’estcequ’elleauraitfait,sielleavaiteuunevieordinaire.Ellel’auraitprispourunparanoïaque.Maissasituationactuellen’avaitriend’ordinaire.—Pourquelleraisonappellerait-ilplusieurspersonnes?Siquelqu’uncherchaitàretrouver l’une
denous,quelintérêtaurait-ilàalarmertantdepersonnes?Ilhochalatête.—Jevouslerépète,n’yprêtezpasattention.Plusfacileàdirequ’àfaire,d’autantqu’ilsemblaitsuivreunraisonnementprécis.Maisiln’endit
pasplus.Quoiqu’ilensoit,unechoserestaitcertaine:l’hommequivoulaitlafairedisparaîtreneprendrait
paslapeinedetéléphoneràuneribambelledefemmespourleseffrayer.Ceseraitmêmeladernièredeschosesqu’ilferait.S’ill’appelait,elleseraitprévenue,etsielleétaitsuffisammentangoisséepourprendrecontactaveclesmarshals,cesderniersn’hésiteraientpasàlachangerdeville.Cedéménagementprendraitdutemps,elleseraitplusdifficileàapprocherpuisqu’ellebénéficierait
d’unesurveillanceaccrue,commecelaavaitétélecasdurantlestroismoisayantsuivil’assassinatdeJim.Ildevaits’agird’uncanular.Elles’accrochaitàcetteidéecommeàunfétudepailleaumilieud’un
ouragan.
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Lelendemainmatin,Corydécidad’allerprendreuncaféavecMarsha.Elleavaitquelquessousenpoche,grâceàWade,etunetassedecaféchezMaudenecoûtaitpastrèscher,sil’onparvenaitàéviterlesmélangesplussophistiquésquelapatronneavaitcommencéàajouteràsacarte,copiantaupassagelesgrandeschaînesde torréfacteurs.Corypensaitque lemarchépour les« lattemokadécaféinés»resteraitmodestedanscetteville,mêmesiellelesadorait.Marshalaremerciadel’avoirrappelée.Savoixtrahissaitunetensionsemblableàlasienne.Elle
n’avaitpasbiendormilanuitprécédente,remuantsansarrêt,uncauchemarenchassantunautre.Lorsqu’elle avait finalement renoncé à chercher le sommeil, il était 5 h 30 dumatin. Elle avait
attrapéunromanposésursatabledenuit,serésignantàlireunpeu.Auboutdedeuxheures,elleeutlesentimentquelesmotsauraientaussibienpuêtredisséminésauhasarddespages,carqu’ellen’avaitrienretenudel’histoire,etelleenconclutqu’elleavaitdûsomnoler.Wadedormaitencore,s’était-elledit,lorsqu’elleavaitprogrammél’alarme,avantdesefaufilerpar
laported’entrée.Personnen’yavaittouchédepuisqu’elleétaitréveillée,puisqu’ellen’avaitpasperçulesignalsonore,etqu’ellen’avaitpasentenduWadesedéplacerdanslamaison.Elleauraitpenséqu’ilétaitplutôt lève-tôt.Parcequ’ilétaitunancienmilitaire?Ceshommes,en
effet, avaientparfoisun rythmespécial.Peut-êtreopérait-ildenuit ?Elle ignorait toutdesmissionsdont il se chargeait habituellement. Tout ce qu’elle savait, c’est qu’il avait reçu suffisamment dedistinctionspourcouvrirtoutunmur.Illuisuffiraitdeposerlaquestion,sedit-elle.Maiselledoutaitfortqu’ilacceptedeluirépondre.Il
auraitétémalvenudesapartdes’enplaindre,ellequigardaitaussidesinombreuxsecrets.ElleauraitpumarcherjusquechezMaude—lajournéed’étés’annonçaitbelle—maisellechoisit
de prendre sa voiture, s’y sentant plus à l’abri. Par ailleurs, se dit-elle pour se justifier, siMarshasouhaitaitvraimentacheterungroschien,son4x4restait lemoyende transport lemieuxadaptéà lasituation.Marsha était déjà assise à une des tables, un café devant elle.A peine s’était-elle glissée sur la
banquettefaceàsonamiequeMaudefitsonapparition,posanténergiquementunetassesurleplateaudeFormica,qu’elleentrepritderemplir.Unpetitpaniercontenantdesdosettesdecrèmeétaitdéjàsurlatable.Coryesquissaunlégersourire.Enunan,ellen’avaitjamaisriencommandéd’autrequeducafé,et
Maude avait visiblement renoncé à lui proposer les spécialités du jour. De temps à autre, elle luiglissait une part de tarte, mais celle-ci n’apparaissait jamais sur l’addition. CetteMaude était unefemmegénéreuse.Marshaluisourit,sourirecontreditparl’éclatdesesyeux.Ellesemblaitépuisée.Elleaussiavaitdû
passerunemauvaisenuit.—Mercidem’avoirditqued’autresfemmesontellesaussiétéimportunées,luiconfiaMarsha.—Gagem’aparlédeplusieursfemmes,maissansm’enpréciserlenombre.Ilestconvaincuqu’il
s’agitd’uncanular.
—Cequitombesouslesens.Marshaouvrituneautredosettedecrème,etsoncaféprituneblancheurlaiteuse.— J’imagine que si quelques-unes ont signalé cet incident, poursuivit-elle, d’autres, commemoi,
n’ontpasjugéutiledelefaire.—Probablement,confirmaCory.J’ail’impressionquetanuitaétéaussireposantequelamienne.Marshalaissaéchapperunrirebref,peuconvaincant.—Onressembleàdeuxzombies,n’est-cepas?Jen’aicessédepenseràJack,etàtoutcedontil
m’amenacée. Presque une année s’est écoulée.En y réfléchissant, jeme dis qu’il ne cherchait pasvraimentàmeretrouver,maisseulementàm’effrayer.Marshaavaitdebonnesraisonsd’êtreterrifiée,comptetenudecequesonancienpetitamiluiavait
fait subir. Cory aurait aimé lui prodiguer des paroles rassurantes, mais elle en était incapable.Commentpouvait-ellelaréconforter,alorsqu’elleéprouvaituneangoissesimilaire?Sespoursuivantsavaient de meilleures raisons de remonter jusqu’à elle, étant donné qu’elle pouvait contribuer àidentifierl’und’eux,l’assassindesonmari.Celasignifiait-ilpourautantquel’ex-marideMarshasoitmoinsdéterminé?—Comptes-tutoujoursprendreunchien?Marshaacquiesça.—J’aiappelélevétérinaireavantdevenir.Ilaquelqueschienssusceptiblesdemeconvenir,d’un
natureltrèsprotecteur.—C’estunboncritère.—Jeluiaipréciséquejevoulaisungroschien,maisilnepartagepasmonavis.—Pourquelleraison?Marshaeutunrirequiexprimaitsafatigue.—Ilm’ademandécombiende temps jepourrais consacrer à sespromenades, et si jevoulais le
prendresurmesgenoux…Savoixsebrisa.—Excuse-moi,reprit-elle.C’estlafatigue.Maisaufond,l’idéedepouvoirleserrerdansmesbras
meplaîtbien,etpuis,avecmeshorairesdetravail,j’auraisétéincapabledelesortirtouslesjoursàlamêmeheure…Ellesoupira,etbaissalesyeuxverssatasse.Toutàcoup,Coryretrouvaunesensationqu’ellen’avaitplusressentiedepuislongtemps:l’enviede
protégerquelqu’und’autre.Ellesentitcedésirenflerdanssapoitrine,consumantunepartiedesapeur.Ces hommes lui avaient non seulement volé sa vie, mais ils l’avaient aussi dépouillée de sa
personnalité.Ellelesavaitlaisséslatransformerenrecluseapeurée,dontleseulbutétaitdesurvivre,unjouràlafois.Combien de temps allaient-ils encore exercer cette tyrannie sur elle ?Comment avait-elle pu les
laisser faire ? Elle n’était pas la seule personne sur cette planète à avoir peur et à éprouver desbesoins. Il suffisait de regarderMarsha.Qu’avait-elle fait demal, àpart choisir unmauvaismari ?Marsha,quielleaussiétaitvenueseterrerdanscetrouperdu.Corysentitl’exaspérationlagagner.Elleposaquelquesdollarssurlatable,pourréglerlescafés,et
seleva.—Allonschoisircechien.Celateredonneralesourire.Surprise,Marshaesquissaunfaiblesourire.—Tuasraison.Allons-y.—Leplusmignonetleplusaffectueuxpossible.Le comté affichait une faible densité de population, et ce déficit de contribuables obligeait
l’administrationàgérerlesdépensespubliquesdemanièredrastique.Ainsi,lacliniquevétérinaireetla fourrière animale partageaient les mêmes locaux, tandis que le vétérinaire percevait uneindemnisationpourlegardiennagedesanimauxabandonnés.Commedenombreuxconfrèresexerçantdansdepetitesbourgades,illuiarrivaitaussideprendresoindechevauxoudereptiles.Bel homme d’une trentaine d’années, il avait remplacé son prédécesseur cinq ans plus tôt, et
semblait apprécier sapatientèlevariée. Iln’avaitqu’unassistant,mêmeside l’aide supplémentaireauraitétébienvenue.—Vousavezbienchoisivotrejournée,fit-ilremarqueràMarshaetCory,aumomentoùtoustrois
traversaientsonbureaupourrejoindrelechenil.Jenesuispastrèsoccupé.Jepeuxdoncprendreletempsdebienvousconseiller.Lorsqu’ils arrivèrent près de la clôture métallique derrière laquelle s’alignaient les cages, les
aboiementsredoublèrentd’intensité.—Ilsnousontsentisarriver,expliqualevétérinaireensouriant.Maisavantquenousentrions,ilse
tournaversMarsha,j’aimeraissavoirpourquellesraisonsvousvoulezprendreunchien.Est-cepourvous protéger ? Ou bien cherchez-vous un compagnon ? De quel budget disposez-vous pour lanourriture?Marshasoupira.—J’enaiassezd’êtreseule,concéda-t-elle.Oui,j’aimeraisunchienquim’alertesiquelqu’unentre
chezmoi,maisjeveuxaussiunebouledepoilsàdorloter,aveclaquellejepourraijouer.Quantàsanourriture—elleplissalenez—ilvaudraitmieuxqu’iln’aitpasgrosappétit.CettedernièrephrasefitsourireMikeWindwalker.— Dans ce cas, j’ai quelques pensionnaires susceptibles de vous plaire. J’ai des compagnons
joueursetaffectueuxdanstouteslestailles!CoryrestaunpeuenretraitpendantqueMikeprésentaitàMarshaplusieurspetitschiens.Ellene
souhaitaitpas trop s’attacher à l’und’eux, car,une foisqueWade seraitparti, àmoinsd’obtenirunpostemieuxpayé, ou d’effectuer plus d’heures, elle n’aurait pas lesmoyens d’entretenir un animal.Sans compter qu’elle ne pourrait pas le laisser vagabonder la nuit, à cause des détecteurs demouvement.Commeilétaitdifficilederésisterauxyeuxemplisd’amourdecesboulesdepoils!Ellesentaitsa
déterminationfondre.Elledutserappeleràplusieursreprisesqu’ellenepouvaitpasselepermettre.Unepointed’envielapiqualorsqueMarshaarrêtasonchoixsurunlouloudePoméranie.—Laloyautésurquatrepattes,commentaMike.Ilvouspréviendradèsquequelqu’uns’approchera
dechezvous,etceschiensontlaréputationdedéfendreleurmaîtres’illefaut.Ilsecoualatête.Lesgens sous-estimentparfois le côtéprotecteurdeschiensdepetite taille.Onpeut toujours trouverunmoyendelesmettrehorsjeu,maiscespetitsbonshommesontdescœursdelion.
Marsha avait vraiment l’air d’être sous le charme. Elle était de tempérament joyeux,mais il luiarrivaitsouventd’êtreenproieàl’angoisse.Encemomentprécis,enrevanche,ellenesemblaitplustoucherterre.—Sachezquej’animedescoursdedressage,quisontgratuits.Jevouslesconseillesivousoptez
pourcetteracedechiens.—Avecplaisir.—Jedémarreunenouvellesessionsamedimatinà9heures.Marshaluiadressaunlargesourire.—Jeserailà.Ellevenaitd’accomplirunebonneaction,seditCorysurlecheminduretour.Elleétaitpersuadée
queMarshaneseseraitpasdécidéeaussivitesielleavaitétéseule,carvivredansl’angoisseavaittendanceàvousparalyser,desortequelesdécisionslesplusanodinesprenaientuneallured’affaired’Etat.Il était grand temps que cela s’arrête, songea-t-elle.Depuis trop longtemps, elle n’était plus que
l’ombred’elle-même.Wadeavaitdû l’entendre segarer,car il l’attendaitenbasde l’escalier. Ilvenaitde se réveiller,
semblait-il,carsescheveuxétaientenbataille,etsachemisebleueouvertepar-dessussonjean.Cefutplusfortqu’elle.Elles’arrêtanet,etadmiracetorseauxmuscleslissesetcettepeaubronzée
quisemblaientn’attendrequ’unecaresse.MonDieu,commesielleavaitbesoindeça!Ellelevalentementlesyeux,etleregrettaaussitôt,carellelutdanssesyeuxd’obsidiennequeson
troubleneluiavaitpaséchappé.Ilnefitaucuneremarque,maiss’abstintdeboutonnersachemise.—Marthaa-t-ellechoisisonchien?demanda-t-il,avantquelesilences’installetrop.—Oui.C’estunloulou.—Undemesamisenpossédaitun.Illesurnommaitsonpiranhadepoche.Coryéclataderire,pourlapremièrefoisdepuisbienlongtemps.UnsourirediscretilluminalevisagedeWade.—Iladoraitmemordillerleschevilles.Elletrouvacelaencoreplusdrôle.—Quelstupidecabot!lança-t-elle.—Absolumentpas!—Ildevaitl’êtrepourtant,pours’attaqueràquelqu’undevotregabarit!LesouriredeWades’élargit.—Ilsavaitquejeneluiferaispasdemal.Leschienslesentent.Quandsonhilaritésefutcalmée,CoryréalisasoudainqueWadel’attendaitpeut-être.—Avez-vousbesoindequelquechose?—Ehbien,àvraidire…Ilhésita.Ilétaitconvenuquejemangeàl’extérieur.Maisjemedemandais
sicelavousdérangeraitquej’utilisevotrecuisine?Jeremettraitoutenordre,etvousneremarquerezpasquejesuispasséparlà.
Sanssavoirpourquoi,elleétaitrassuréeàl’idéequ’ilnelalaisseraitpasseuletroisfoisparjourpourallerserestaurer.Incroyable,lecheminqu’elleavaitparcouruenunejournée.Laprésencedecethomme,quiluiparaissaitmenaçanteàpremièrevue,luiétaitdevenuerassurante.Non,ellenevoyaitpasenquoilefaitqu’ilutilisesacuisinepouvaitladéranger…—Celanemeposeaucunproblème.Elleétaitunpeusurprisequ’ilaitpréciséqu’elleneremarqueraitpassaprésence.Peudegensse
seraientpréoccupésdecegenrededétails.—Quelquechosenevapas?Cettequestionluifitreprendrepiedaveclaréalité.—Non,toutvabien.Monesprits’égareparfois.Jepensequejepassetropdetempsseule.Elleeutunpetitriregêné.—Jevaisallerfairequelquesachats,alors,conclut-il.Ellesecoualatête.—Celavapeut-êtreàl’encontredevosprincipesdedemanderdel’aide,maisriennevousobligeà
vous rendre à pied à la supérette, alors que je peux vous y conduire.Accordez-moi uneminute, letempsdeboireunverred’eau,etjevousyemmène.Elle crut qu’il allait protester. Quelque chose en lui montrait qu’il avait quelques réticences à
accepterdel’aide,dumoinssil’offren’émanaitpasdeproches.Ilfinitparaccepter,d’unsignedelatête.—Prenezvotretemps.Commevouslevoyez,jenesuispaspressé.«Waouh!pensa-t-elleensedirigeantverslacuisine.Acerythme-là,jenepourraibientôtplusle
faire taire.»Elleprit son tempspour sedésaltérer, carelle l’avaitentendu regagner sachambre. Ilétaitprobablementallésecoiffer,boutonnersachemiseetenfilerdeschaussures.Ilredescenditcinqminutesplustard.Elleposasonverreetsedirigeaverslevestibule.—Vousêtesprêt?luidemanda-t-elle,mêmesielleconnaissaitdéjàlaréponse.Ilavaitenfiléunepairedechaussuresbateau,plusconfortablesquesesbottes,etilavaitremisde
l’ordredanssatenueautantquedanssescheveux.—Sivousl’êtes,répondit-il.Elleattrapasonsacàmainetsesclés.—Enroute,alors.—Vousêtessûrequecelanevousimportunepas?Denouveaulacraintedegêner.Ellelefixaduregard,hésitantàsoulignercequisemblaitêtreun
traitdesoncaractère.Maiselles’enseraitvouludecommettreunfauxpas,etrisquerqu’ilsereferme.Ilnel’avaitpassubmergéedequestions,etlamoindredeschosesétaitdeluiretournercettepolitesse.—Celanemedérangepasdutout,luiassura-t-elle,avantdeluiadresserunsourire.Letrajetjusqu’aumagasins’effectuaensilence,maisellecommençaitàs’yhabituer,etellenese
sentitpasaussimalàl’aisequelaveille.Iln’ouvritlabouchequ’aumomentoùelles’engageasuruneplacedestationnement.—Vousn’êtespasobligéedem’attendre,luiprécisa-t-il.Sivousavezdeschosesàfaire…
Ellesecoualatête.—Jesuislibrecommel’air.Jevaisseulementpasservoirmacollègue,afindevérifierqu’ilsn’ont
pasd’heuressupplémentairesàproposer.Elle quitta son véhicule, puis le verrouilla. Une autre voiture se gara près de la sienne, et le
conducteur se mit à farfouiller dans une liasse de papiers. Sans doute cherche-t-il sa liste decommissions,seditCory,amusée.Wadel’attendait.Iltraversaleparkingàsoncôté,ajustantsonpasausien.—C’esticiquevoustravaillez?—Oui.Lepatronadiminuénotrevolumed’heuresilyaquelquessemaines.— J’imagine que cela doit être difficile pour vous. Pas étonnant que vous soyez contrainte de
prendreunlocataire.EtMarsha,comments’ensort-elle?—Unpeumieuxquemoi,carelletoucheunepensionalimentaire.Ils’arrêtanet,justeaprèsavoirpassélesportescoulissantes,etillascrutaduregard.—Alorssonexsaitoùellesetrouve.— En théorie, non. C’est son avocat qui lui envoie le chèque, et il a pour consigne de ne pas
dévoilersonadresse.Ilhochalatête.—C’estplusprudent.Ellesedirigeavers lebureaududirecteur,derrière lecomptoirduserviceà laclientèle,pendant
qu’ilprenaitunchariotetcommençaitàarpenterlesallées.Intéressantqu’ilexprimedel’inquiétudeenversMarsha,songea-t-elle.Souscettefaçadedemarbrebattaitfinalementuncœur.BetsyCorens,sasupérieure,l’accueillitavecsonéternelsourire.—Jesuisdésolée,Cory,maisjen’aipasd’heuresàteproposer.Dumoinspourlemoment.Maistu
esentêtedeliste,aucasoùnousdevrionsfaireappelàquelqu’un.Corysesentitpresquegênée.—Quemevautcethonneur?Beaucoupd’autrescollèguescomptentaussisurcesheures.— Nous en avons tous besoin. Mais tu vis seule, alors que beaucoup d’employés ont d’autres
sourcesderevenus.Corysentitlerougeluimonterauxjoues.—Mais…Betsyfitnondelatête.—Nousapprécionslaqualitédetontravail.Sijepeuxfairequelquechosepourtoi,jeleferai.Un client arriva pour une réclamation, aussi Cory prit-elle congé deBetsy avec un sourire. Elle
n’avait pas l’habitude de se promener dans les rayons sans rien à acheter ni à faire. Au bout dequelquesminutes,elleserenditcomptequ’elles’arrêtaitdetempsàautrepourremettreenordrelesarticlessurlesprésentoirs.Elle détestait rester oisive, ce qui lui était arrivé bien trop souvent durant l’année qui venait de
s’écouler. Entre Jim et son poste d’enseignante, elle n’avait autrefois pas une seconde d’inactivité.Aujourd’hui,ellejouissaitdebeaucoupdetempslibre,cequiéquivalaitpourelleàbientropd’heures
passéesàressasserdesombrespensées.Desjournéesentièrespourpenseràsaviepassée,àlaisserl’angoisseetlatensionprendretoutela
place.Ilsl’auraientdéjàretrouvée,sitelleavaitétéleurintention.Elle tomba sur Wade au détour d’une allée, et jeta un coup d’œil à son chariot. Il n’y avait
pratiquementrienmis.—Vousavezdumalàtrouvercequ’ilvousfaut?Ilesquissaunpetitsourire.—Onpeutdireçacommeça.—Quesepasse-t-il?—Pendantdesannées, j’aipris laplupartdemesrepasdansdesréfectoiresouavalédesrations
toutes prêtes. J’ai des connaissances basiques en cuisine, mais je n’imaginais pas qu’il serait sicompliquédefairedescoursespourunepersonne.Enuneminute,ilvenaitdeluidivulguerbeaucoupd’informations,cequilafitsourire,sansqu’elle
sachetroppourquoi.—J’aiuneidée.—Laquelle?— Je déteste cuisiner pourmoi seule. Cela vous dirait que nous cuisinions à tour de rôle ? lui
suggéra-t-elle.—Etes-vouscertainedevouloirprendrecegenrederisque?—Vousparlezdevostalentsdechef?—Dequoid’autrepourrait-ils’agir?—Vivonsdangereusement!Etsicelanemarchepas,ehbien,jepourraitoujoursvousdonnerdes
leçonsdecuisine.Oubienjeprendrailescommandesdesopérations.Ilsecoualatête.—Ilesthorsdequestionquevousfassiezàmangerpourmoi.Cen’estpascequiétaitconvenu.Elle levoyait se refermerpeuàpeu, commesi l’idéed’avoir àdépendred’elle lemettaitmal à
l’aise.—Trèsbien,jemecontenteraidoncdevousdonnerdesconseils,lecaséchéant.Cettepropositionparut lesatisfaire.Laperspectived’avoiràmitonnerdespetitsplatssembla lui
donnerdesailes,carsonchariots’emplitàvued’œil.—Jevaismoiaussifairequelquesachats,décida-t-ellesoudain.Jeviensdemerappelerquejen’ai
pasbeaucoupderéservesàlamaison.—Permettez-moidelefairepourvous.Celacompenseralescoursquevousdevrezprobablement
medispenser.Elleouvrit labouchepourprotester,maisseravisa.Cethommenesupportaitpasd’êtreunpoids
pour quelqu’un.Mieux valait donc le laisser faire, se dit-elle. Quand elle le vit déposer dans sonchariotdesarticlesqu’elleauraithabituellementignorésenraisondeleurprix,ellenesoufflamot.—Jen’aipaslamoindreidéedecequ’ilvousfautpourcuisiner,avoua-t-ilauboutd’uninstant.
Choisissezcequivousplaît.
Iln’eutpasbesoindeleluidiredeuxfois.Audétourd’uneallée,elleaperçutdenouveaul’hommequiavaitgarésonvéhiculeprèsdusien.Il
poussaitsonchariot,unmorceaudepapieràlamain,etlasaluadelatêteenlacroisant.Elleluirenditsonsourire.Detouteévidence,ilavaitretrouvésaliste.Deux autres personnes la saluèrent alors que Wade et elle continuaient leurs courses. Cela lui
paraissaitnaturel lorsqu’elleportait sa tenuedecaissière.Pour lapremière fois,elleseditquecespersonnesétaientpeut-êtrechaleureusesparnature.Ilétaitgrandtempsqu’ellefasseuneffort.Dès l’instantoùellequitta lemagasin, chargéedequatre sacsdeprovisions, il lui tardad’être à
l’heuredudîner.Depuiscombiendetempscelaneluiétait-ilpasarrivé?Aquoibonseposercegenredequestions,
sereprit-elle.Pasaujourd’hui,alorsqu’ellesesentaitsibien,presquenormale,pourlapremièrefoisenunan.Iln’yavaitaucunmalàêtreheureuse.Jimn’auraitpasaimélafemmequ’elleétaitdevenuecesderniersmois.Aumoins,elleavait leméritede faireuneffort,et le reculaidant,elle se réjouitquecesenfants
aientdécidédeluijouerunsaletour.Certes,cetappell’avaitmisedanstoussesétats—etilavaitaussi terrifiéMarsha—,mais devoir faire face l’avait poussée à aider son amie. Et elle pourraitdésormaisenseignerlacuisineàWade.Des détails insignifiants,mais qui avaient plus d’importance que tout ce qui s’était passé depuis
cetteeffroyablenuit.Iln’yavaitpasdepetitesvictoires.— A quelle heure dînez-vous habituellement ? lui demanda-t-elle une fois rentrés, tandis qu’ils
s’affairaienttousdeuxàrangerlescourses.Ellemarquaunepausepourregarderlecontenuduréfrigérateur.Jamaisiln’avaitétéaussirempli.Il
débordaitdevictuaillesentousgenres.Ils’arrêta,uneboîtedeféculedemaïsàlamain.—Madame,vousparlezàunagentdesforcesspéciales.J’aiapprisàmangerquandlanourriture
étaitdisponible.—Oh!Unagentdesforcesspéciales?—Oui.Cetaveulevaitlemystèresurcertainsaspectsdesapersonnalité.Voilàpourquoiilparaissaitsidur
etsidangereuxparmoments.Saréserve,aussi,etsonimpassibilité.—J’oseàpeineimaginercequevousavezdûvivre,dit-elled’unevoixhésitante.Ilsouritenguisederéponse.Affaireclassée.Dumoins,siellen’insistaitpas.Querisquait-elleàle
questionner,maintenantquelaglacesemblaitunpeubriséeentreeux.Maisellenetenaitpasnonplusàfranchirlalimitequ’ilvenaitd’établirparsonsilence.—J’aivubeaucoupdereportagessurcessections,dit-ellepourrelancerlaconversation.—Commelaplupartdesgens.Ilpliaitsoigneusementlessacsàprovisions.—L’entraînemental’airterrible.—Oui.
Décidément,ilétaitintarissable!Elleréprimaunsoupir.—J’aivuundocumentairedanslequellesagentsdevaientaborderunvaisseauenpleinemer,pour
enretirerunchargementdeplutoniumquiauraitpuserviràfabriquerunebombe,poursuivit-elle.—Oui.—C’estincroyablecequevousêtescapablesd’accomplir!—Lescivilsn’ontpaslamoindreidéedecequ’onnousdemandedefaire.Surcesmots,ilrassemblalessacsenunepileparfaiteetquittalacuisine.Ellel’entenditgravirlesmarches,etperçutlegrincementfamilierdelaportelorsqu’ilpénétradans
sachambre.Avecluis’envolalebonheurquiavaitilluminésajournée.
4
Corys’envoulait.Pourlapremièrefoisdepuisbienlongtemps,elles’étaitsentievivante,maiselleavaittoutfichuparterre.Elles’étaitmontrée indiscrèteenversWade,alorsqueson intuition l’avaitprévenuequ’elleallait
trop loin.Sesaptitudessociales semblaientavoir souffertdeson isolement.Autrefois,elle se seraitmontréebeaucoupplussubtile.Elle auraitmieux fait de se taire, d’autant qu’elle avait aimé accomplir ces tâches routinières en
compagniedeWade,endépitdufaitqu’elleleconnaissaitàpeine.En outre, elle ne s’était nullement montrée intrusive. Elle s’était abstenue de toute question
personnelleetnel’avaitpasnonplusinterrogésurlesopérationsauxquellesilavaitprispart.Elleavaitbeausedirequ’iln’yavaitpasdequoisetourmenter,ellen’yparvenaitpas.Commepour
l’appeltéléphoniquedelaveille.Danssonanciennevie,ellel’auraitinstantanémentchassédesonesprit.Son calvaire l’avait transformée.L’angoisse l’avait peu à peuminée, et chaquenouvelle épreuve
l’affectaitunpeuplusprofondément.Lesdétails lesplus insignifiants repassaientenboucledans satête.Maisaujourd’hui,grâceàMarsha,puisàWade,elleétaitparvenueàfaireabstractiondecetappel
saugrenuetàluiredonnersavéritableplace.Cependant,ellesentaitquecechangementétaitfragile,etqu’ilnefaudraitpasgrand-chosepourque
l’angoisseetlapeurréclamentdenouveauleurdû.Elle se leva, décidée à chasser ses ruminations en sortant prendre l’air. Elle avait passé trop
d’heuresterréedanscettemaison,cequin’avaitfaitqu’accroîtresonmal-être.Peut-êtresonincapacitéàretrouverunevienormaleétait-elledueàcetteterreurquil’avaitenvahie
aupointdelaparalyser.Oui,elleportaitencoreledeuildesonmari,maislechagrinetlapeurétaientsiintimementmêlés
qu’elleneparvenaitplusàfairededistinctionentrelesdeux.Aujourd’hui,illuisemblaitavoirfaitdeuxpetitspasdanslabonnedirection.Ilétaittempsdesortir
del’ombreetderecommenceràvivrecommetoutunchacun,sanscraindrelepireàchaqueinstant.Elleattrapasesclésetdécidadenepass’embarrasserdesonsacàmain.Elleenfilasesbasketset
éteignitl’alarme.Ellen’avaitpaslechoix,carlorsquelesystèmeétaitactivédepuisplusdequarantesecondes,ildevenaitimpossibled’ouvriroudefermerlaportesansdéclencherunesonneried’alerte.Ellenebénéficiaitquedecesprécieusessecondessiellenesouhaitaitpasquelapolicesoitprévenue.Ellecomposalecodeetentenditlesonstridentdevenufamilier.Ilneluirestaitplusqu’àremettrele
systèmeenmarcheetàquitterleslieuxsansattendre.Maisellen’eneutpasleloisir.—Oùallez-vous?Elle se retourna et aperçut Wade en haut de l’escalier. Elle sentit une pointe d’exaspération la
titiller,changementnotablepourelled’ordinairetaraudéeparlapeur.—Jesors.Est-cequecelavousintéresse?—Non.Sachemiseétaitdenouveauouverte,etelleaperçutdavantagequeson torsepuissant.Sonventre
était plat et sesmuscles abdominauxbien dessinés, sans être trop proéminents.Elle dut s’obliger àleverlesyeux,pourcroisersonregard.Ildescenditquelquesmarches.—Jevousaccompagne.Elleenrestabouchebée,maissonirritationnefitques’accroître.—Pourquoi?Jevaissimplementfaireletourduquartier.—Celameferaleplusgrandbien.Ellefaillitluirétorquer,assezsèchement,qu’ellen’avaitnulleenviedesacompagnieMaisellese
ravisa.L’angoissen’étaitpas très loin.Quefairesi lapeur lasubmergeaitdenouveauaucoindelarue?Neferait-ellepasmieuxd’acceptercettemaintendue?Abienysonger,ellen’étaitpastoutàfaitsûred’avoirlecouragenécessairepours’aventurerdehorsseule,surtoutaprèscecanular.—Nomdenom!grommela-t-elle.Ilavaitdescendul’escalierets’employaitàboutonnersachemise.Illevalesyeuxverselle.—Qu’ya-t-il?—Jenepeuxpluslesupporter!—Dequoiparlez-vous?Ellehésita.—Vousn’êtespasobligéedem’enparler.Marchervousaideraàvousdétendre.Elleneréponditpas.Pourlapremièrefois,ellepritlapeinedel’étudier,passantoutresacarrure
imposante,etremarquaqu’ilétaitvraimentbelhomme.Soudain,ellecompritimmédiatementquelefrissonqu’ilavaitprovoquéenellen’avaitrienàvoir
aveclapeur.Depuiscombiendetempsn’avait-elleplusressentidetroublefaceàunhomme?Wadelatiradesespensées.—Alors,onyva?—Onyva.Ellecomposalecodeetilssortirentdelamaison.Ellepritladirectionduparcsituéaucentre-ville.
Depuiscombiendetempsn’avait-ellepasregardédesenfantsjouer?Jusqu’àprésent,ellecraignaitdeselaisserenvahirparlanostalgiedesonancienmétier.Désormais,ellesesentaitprêteàassocierdenouveaulesenfantsauxbonsmomentsdesavie.Wadeajustasonpasausien,commesicelaluiétaitnaturel.Commeàsonhabitude,ilneprononça
pasunmot.C’étaitunechaudeaprès-midid’été,etlesoleilbrillaitdecetéclatpropreauxrégionsduNord.Se
laissant aller à unbien-être qu’elle n’avait plus ressenti depuis desmois,Cory se sentait d’humeurloquace.—Avant,j’habitais…plusausud.Presquesouslestropiques,àvraidire.Lesoleilparaîtdifférent
ici.—C’estvrai,confirma-t-il.—Les journéesd’étéontbeauêtreplus longues, le soleilnesemble jamaismonteraussihautou
brilleravecautantd’intensité.Etlesnuitsd’hiversontsilongues.—Oui.—Maisaumoinsjenecrainspluslescoupsdesoleil,ajouta-t-elleenriant.Là-bas,vouspouvez
parfairevotrebronzagerienqu’entraversantlarue.Ileutunrire,aussipeuconvaincantqueceluideCory.—J’aiconnupresquetoutesleslatitudes.Elleseditquesaréponseconstituaitunpremierpasencourageant.—Celanem’étonnepas.Ellepritsoindenepaslequestionneretpoursuivitsesconfidences.—J’aidûbeaucoupm’adapter,sanstoujoursbeaucoupdesuccès.Ilfitquelquespassansdireunmot.—Ilestdifficiled’allerdel’avantlorsquelapeurvoustétanise,constata-t-il.—Çasevoittantqueça?—Commejevousl’aidit,celuiquil’acôtoyéeauquotidiensaitlareconnaître.—Jenesaispassic’estuncomplimentouunecritique.—Nil’unnil’autre.Unesimpleobservation.—Vousarrive-t-ild’êtreeffrayé?Dès qu’elle eut prononcé cesmots, elle se dit qu’elle avait peut-être, une fois encore, franchi la
limite,mais ilétait trop tardpour fairemachinearrière.Elle retintsa respiration,sedemandants’ilallaitfairedemi-tourets’éloigner.Ellefutsurprisedel’entendrerépondre.—Jesuisunêtrehumain.Plutôtvague,commeréponse.Ellesedétenditetjetaunregardauxalentours,observantlesarbres
centenaires qui bordaient la rue, dont les feuilles bruissaient dans la brise estivale. Il n’y avaitpersonneàl’horizon,cequinelasurpritguère.Ici,commeailleurs,lesdeuxconjointsavaientbesoindetravailler.—Lesoir,lesgenss’installentsouventsousleurporche.Làoùjevivaisauparavant,c’étaitpresque
inconcevable. Mon ancienne maison était située dans une zone résidentielle récente, et le mustconsistaitàavoirunjardinclôturéderrièresapropriété,àl’abriduregarddesautres.—Dansnombredepaysoù j’aivécu, lamaisonest le lieuoù l’ondort,etquisertdeprotection
contre les éléments naturels. Les activités quotidiennes prennent place dans des espaces communs,danslarue,oudevantlelieud’habitation.Naturellement,certainespersonnes,quelquesoit lepays,tiennenttoujoursàresteràl’écartdesautres.Enrevanche,danscertainescultures,unjardinclosfaitpartiedestraditions,maiscommeplusieursgénérationscohabitentsousunmêmetoit,onnepeutpasvraimentparlerd’isolement.Danslabouchedecethomme,cesexplicationsprenaientdesalluresdecours.
—Vouspensezquenouspassonsàcôtédel’essentiel,ennousretranchantderrièrecesbarrières?—Toutdépenddecequevouscomptezfairedevotrevie.Maisunefoisquecemurestmonté,si
vousfaitesunbarbecue,vousavezpeudechancesd’avoirlavisited’unvoisind’humeurvolubile,quiarriveraitavecunpackdebières,etfiniraitparresterdîner.—C’estvrai.J’ignorequellessontlescoutumesdelarégion,concéda-t-elle.Généralement,lorsque
jequittemontravailpourrentreràlamaison,jecroisequantitédepersonnes,probablementamicales,maisjepoursuismonchemin,puisjemebarricadechezmoi.—Vousavezsûrementunebonneraison.—Eneffet.Ellesoupira.—Toutàl’heure,j’aieul’impressiondesortirdececerclevicieux.C’estcequim’apousséàaller
marcherquelquesinstants.—Mais?—J’aivitecomprisquecetétatnedureraitpas.Quel’angoisseétaitencoreprésente,àcausedecet
appeltéléphonique.Jeneparviensmêmepasàmel’expliquer.Ilsatteignirentleparcetaperçurentunbancenborduredetrottoir.Personnen’yétaitassis,cequi
réduisitànéantlesespérancesdeCory.Elles’attendaiteneffetàytrouveruneconnaissance,quiferaitofficedediversion.Pendantquelquesminutes,Wadelaissalesilencesemêleràlabrisequiflottaitentreeux.—Parfois,nousperdonsnosrepèresparcequ’unchangements’opèreennous.Elle se tourna vers lui et sentit de nouveau ce trouble qu’elle avait déjà ressenti à son contact.
Pourquoiavait-elletoutàcouptellementenviedeposerlatêtesurl’épauledecetinconnu?Desentirsesbrasl’enlacer?Elle se leva d’un bond et rebroussa chemin. Marcher lui sembla la solution tout indiquée pour
dissipercetrouble.—Ilfautallerpréparernotredîner,offrit-ellecommeseuleexplicationàsaréactionsoudaine.Impossibledeluiavouerquelessensationsqu’ilfaisaitnaîtreenelleluiparaissaientpresqueaussi
effrayantesquel’appeltéléphoniquedelaveille.Malgré sondépart inopiné, il la rattrapa avant qu’elle ait eu le tempsde faire deuxpas. Il ne la
quittaitpasd’unesemelle,cequil’irritaitetlarassuraittoutàlafois.Elleétaittotalementdéroutée.Aumoins,sonchagrincommesapeurétaientclairscommedel’eauderoche.Elleseforçaàralentirl’allurequandelleremarquaqu’ellecouraitpresque.—Quelquechosenevapas?luidemandaWadedoucement.Elles’arrêtanetetplantasonregarddanslesien.Elleeutl’impressiond’ylireunevéritéqu’elle
n’étaitpascertainedepouvoiraccepter.Aprèstout,quesavait-elledelui?—Unévénementvousa-t-ildéjàpousséàprendredurecul,afind’yvoirplusclair?—Oui.—Etsicequevousdécouvrezvousdéçoit?Elle n’attendait pas vraiment de réponse, aussi se remit-elle à marcher. Elle n’imaginait pas un
instant qu’il puisse lui donner son avis. Ce type de question à voix haute s’adressait généralementdavantageàsoi-même.Aussifut-ellesurprisedel’entendrerépondre.—Vousfaitesensortedechanger.—Plusfacileàdirequ’àfaire.—Commetoujours.Latensionqu’elleressentaitbaissad’uncran.Changer?Pourquoipas?Aprèstout,elleavaitlaissé
lavielaballottercommeunevictime.Etellen’enétaitpastrèsfière.—Parfois,poursuivit-elle,ilfautredevenirmaîtreàborddesonvaisseau.Cequ’ellen’avaitplusfaitdepuislafusillade.—Pasévident,lorsqu’onestprisenpleinetempête.Ellesetournaverslui.Ilparlaitd’expérience,ellel’auraitparié.Maisellen’osaitposerplusdequestions,depeur…qu’il
s’enaille.Pour une raison obscure, elle avait cessé de le considérer comme un envahisseur. Sa présence
suffisaitàluirappelerqu’elleétaittoujoursvivanteetsesattentionslafaisaientsesentirensécurité.Amoinsquecenesoitl’attirancequ’elleéprouvaitpourlui,quiauraitabattutouslesmursqu’elleavaitérigésautourd’elle.Cesmurs,ellenelesavaitpasmontésbriqueparbrique;ilss’apparentaientplutôtàdesbarrières
métalliquesérigéeslorsdecettefunestenuit.Barrièresquil’avaientaussicoupéed’elle-même,delapersonnequ’elleétait,unejeunefemmejoyeuseaimantlacompagnie.Elle lui jetauncoupd’œilfurtif.Elleauraitdûavoirpeurdelui,à lamanièredontellecraignait
toutechoseaujourd’hui.Pourtant,lespenséesquil’habitaientétaientd’unetoutautrenature.Labouchede Wade, aux contours parfois si durs, s’adoucirait-elle au contact de ses baisers ? Et ses braspuissants…Commeelleavaitenviedes’yblottir…MonDieu!Elleperdaitlatête.Tandisqu’ilstournaientàl’angledelaruemenantàlamaisondeCory,deuxvoituress’engagèrent
dansleurdirection.Ellelevalamainpoursaluerlesconducteurs,ayantdécidéqu’ilétaitgrandtempspourelledesemontrerplusamicale.Lafemmeauvolantdupremiervéhiculeluisouritetlasaluaenretour,contrairementauconducteurdusecondvéhicule,quinedaignapasmêmeluidécocherunseulregard.Unefoisentrésdanslamaison,ilsreprogrammèrentlesystèmed’alarme.Sansunmot, il lasuivit
dans la cuisine, visiblement disposé à prendre son premier cours de cuisine. Elle commença àrassemblerlesingrédients.Ellecomptaitréaliserunplatdepâtesauxlégumesetàlasaucissefumée.—Jeneme faisplusconfiance,marmonna-t-elle, sans se rendrecompte,dansunpremier temps,
qu’elleréfléchissaitàvoixhaute.Elleavaitpassétantdetempsseule,qu’iln’étaitpasrarequesespenséespassentlabarrièredeses
lèvres.—Toutvadetravers,poursuivit-elle.Maisquiditquej’étaispluslucideavant?Jevivaisdansune
sortedemondemerveilleux.Unpaysoùlemalheurn’existaitpas.Lepaquetdesaucissesàlamain,elleseretournaetsetrouvafaceàWade,quil’observait,lesbras
croisés.Acemoment-làseulement,ellecompritqu’elleavaitparlétouteseule.Lerougeluimontaaux
joues.—Excusez-moi.Ilm’arrivedepenseràvoixhaute.C’estunemauvaisehabitude.—Nefaitespasattentionàmoi.—Pourêtrefranche,cen’estpastrèsintéressant.Etjenesuispassûredevouloirquequelqu’un
entendemesélucubrations.—Jepeuxm’enaller,sivouspréférez.Ellesecoualatête.—Restez.Jevousaipromisdevousapprendreàcuisiner,etceplatestidéalpourundébutant—
elleluitenditlesachet—.Aumicro-ondes.Appuyezdeuxfoissurlebouton«Décongélation»,s’ilvousplaît.Il saisit le paquet et suivit ses instructions. Immédiatement, le bourdonnement familier dumicro-
ondesemplitlacuisine.Puiscefutletourdespoivronsvertsetdestomates,devéritablesproduitsdeluxeàcettepériodedel’année,qu’ellerinçadansl’évierets’apprêtaàcouper.—Vousaimezlesoignons?—Jelesadore.Elleenpritundanslepaniermétalliquequipendaitduplafondetl’épluchaavecdextéritéavantde
ledéposeràcôtédesautreslégumes.—Jesais trancheretcouperencubes,annonçaWadeen lavoyantprendreuncouteauàémincer.
Commentlesvoulez-vous?—Encarrésd’uncentimètredecôté.Elleluitenditlecouteau.Leursdoigtssefrôlèrent,etellesentitlachaleurdesamain.Ellefermales
yeux, pourmieux goûter le plaisir oublié du contact d’une peau. Elle ne laissait pratiquement pluspersonnel’approcherd’aussiprès,etsurtoutpasunhomme.Unevaguededésirlasubmergea,etelleinspiraprofondément.—Qu’ya-t-il?Il se trouvait si prèsd’ellequ’elle sentit son souffle sur sa joue.A la foisdouxet frais.Elle fut
parcourued’unfrissonetseforçaàouvrirlesyeux,prêteàimproviseruneexplicationbanale.Maisdèsquesonregardcroisalesien,ellesutqu’ellen’yparviendraitpas.Sesyeuxd’obsidienne
semblèrentdevenirplussombresencore,etelleentenditsonsouffleprofond.Lecouteauémitunbruitmétallique lorsqu’il atterrit sur leplande travail.L’instantd’après, elle se retrouvait dans sesbraspuissants.Il lasoulevadusolet la fitasseoirsur leplande travail,s’insinuantentreses jambes jusqu’àce
qu’ellesentesachaleuràcesendroitsrestésfroidsetvidesdepuisbientroplongtemps.Iln’étaitpaslegenred’hommeàhésiter.Il prit ses lèvres avec fougue, sa bouche se faisant tout à la fois douce et exigeante. Son torse
athlétiqueluiparutpluspuissantencorelorsqu’ilseplaquacontresesseins.Sesbras,aussidursquedel’acier,auraientdûl’intimider,toutcommeelleauraitpuredouterdeseretrouverainsiàlamercid’unhommeaussirésolu.Maiselleneressentaitplusqueledésir.Undésirquiparcouraitenondespuissantestoutsoncorps,
réclamantsondû.Peuàpeu,cequirestaitd’inhibitionsetutenelleetellepassalesbrasautourdela
nuquedeWade,commesielleseraccrochaitenfinàlavie.Alaréalité.Al’icietmaintenant.CommeuneBelleauboisdormants’éveillantdesoncauchemar,
ellerenouaitavecleplaisird’êtreenvieetdes’abandonneràsondésir.Leur langue se mêlèrent dans un ballet sensuel et exigeant. Entre deux baisers, Cory reprit son
souffle.ElleenroulasesjambesautourdeshanchesétroitesdeWade,plaquantsonbassincontresonsexedurci.Lepeudeluciditéquiluirestaitvolaitenéclats:soncorpsréclamaitplusdecaresses,descaressesplusintimes.Ellesesentaitredevenirunêtredechair,enfincapabledebrisercesbarrièresquin’existaientquedanssatête.Ilallaitetvenaitcontreelle, simulant l’étreintequibientôt lesembraserait. Il libérasaboucheet
promenaseslèvressursajoue,danssoncou,lafaisantfrissonnerdedésir.Ellepoussaunpetitcriets’arc-boutacontrelui.Ellefitglissersamaindanssondos,remontajusqu’àsanuque,etl’attiratoutcontreelle.Ellevoulaitprofiterpleinementdecetinstant.Soudain, lasonneriedumicro-ondessefitentendre.Commesi laréalité,danscequ’elleavaitde
plusbanal,reprenaitbrutalementsesdroits.Wades’écartad’elleetlafixadesesyeuxplussombresque la nuit. Elle le regarda à son tour, prenant soudain conscience de la façon dont elle s’étaitabandonnéeàlui.Commes’ilavaitpudéchiffrersonexpression,ilreculaunpeuplus.L’absencedepressionentreses
cuisses accentua sa souffrance, au point de lui donner envie de pleurer. Il ne s’écarta pascomplètement, réticent à rompreuncontact aussi délicieux.De samain, il commençaà lui caresserdoucementlescheveux.—Vousêtesdélicieuse,dit-ild’unevoixrauque.Vraiment ? Personne ne lui avait jamais dit cela. Elle resta sans voix, incapable d’articuler le
moindre son, consciente que son visage, ses yeux, et même sa respiration exprimaient une véritéqu’ellenesouhaitaitpasmettreenmots.Pasencore,etpeut-êtrejamais.—Jemesuislaisséaller,ajouta-t-il.Elle aussi s’était abandonnée. Elle ne savait quoi dire, se contentait de le dévorer du regard,
tirailléeentreledésirirrépressiblequ’elleressentaitetcequ’illuirestaitdebonsens.Ilsepenchaverselleetluiposaunbaiseraériensurleslèvres.—Jepensequejeferaismieuxdem’occuperdeceslégumes,dit-il.Elleparvintàhocher la tête,assailliede tantdesentimentscontradictoiresqu’elledoutait fortde
parveniràlesdémêlerunjour.Ilsetournapoursaisirlecouteauetentrepritd’émincerlespoivrons.—N’ayezpaspeurdemoi,commenta-t-il,unepointedegravitédanslavoix,jesauraimetenir.Quelétrangechoixdemots!Alorsqu’ellebataillaitintérieurementcontrelafrustrationdesdésirs
qu’ilavaitéveillésenelle,ellepritlepartidemettrecetteréflexiondecôté.Acemomentprécis,elleaspiraitseulementàrecouvrersesesprits.Elleyréfléchiraitàtêtereposée.Wade,quis’apprêtaitàdécouperlestomates,posasoncouteauetsetournaverselle.Illasaisitpar
latailleetladéposaàterre.—Jevouspriedem’excuser,commença-t-il.J’auraisdûypenser.Elle aurait très bien pu se laisser glisser seule du plan de travail,mais, encore sous le coup de
l’émotion,ellen’avaitpasbougé.Ellemarmonnaunmercietdétournaprécipitammentleregard,loindelui,cherchantàs’occuper.
Ellefinitparprendreunbol,afindemesurerlaquantitédepenne,puispassaderrièreWadepoursortirlessaucissesdumicro-ondes.Elles’évertuaàagircommesiriennec’étaitpassé.Maistoutsoncorpsluidisaitlecontraire.Ilavaitsuffidececontact,brefmaisfougueux,pourqu’un
instinctseréveilleenelle.Elleversaunfiletd’huiled’olivedansunepoêle,puisfitdorerlessaucissesàfeumoyen.Sesmains
tremblèrentlégèrementlorsqu’ellesortitlamarmitedontelleseservaitpourcuirelespâtes.Unfaitoutde mauvaise qualité, dont l’usage devait se restreindre à la cuisson de contenus majoritairementliquides.Ellesesurpritàmarquerunepause,soudainementprisonnièred’unsouvenirridicule,celuide son ancien cuiseur, unemarmite hors de prixmunie d’une passoire intégrée ainsi que d’un cuit-vapeurdanslequelelledéposaitleslégumes.Réminiscencecurieuse,quisemblaitsortiedenullepart.Depuisfortlongtemps,elleavaitcesséde
sepréoccuperdesobjetsqu’elleavaitdûabandonnerenchangeantdevie,maissanssavoirpourquoi,ellesentaitpresquelepoidsdecetustensileentresesmainsetceluidessouvenirs,cespetiteschosesbanales.Ces souvenirsn’étaientpas liés à Jimni à leurvie commune.Elle adorait cuisiner, et elleavaitpatiemmentéquipésacuisinedesmeilleursustensiles.Comptetenudesonsalaired’enseignante,elle avait dû économiser pour se les offrir.Désormais, elle utilisait un faitout en aluminium à cinqdollars,ainsiqu’uncouteauàdécouperqu’elleavaitachetéensoldeàlasupérette.Comme c’est étrange, pensa-t-elle, en observant sa casserole. Cela lui paraissait si important,
autrefois. Et finalement, maintenant qu’ils ne lui appartenaient plus, ces objets lui manquaient peu.Mêmesielleenavaiteulesmoyens,ellenelesauraitprobablementpasremplacés.Unlégersoupirluiéchappa,etelleplaçalefaitoutdansl’évierpourleremplird’eau.Descaprices,
des petites folies. Sa vie passée en débordait, alors que celle d’aujourd’hui en était totalementexempte.Aujourd’hui, elle avait l’impression d’ignorer celle qu’elle avait été et celle qu’elle étaitdevenue.Lorsqu’ellesoulevalalourdemarmiteemplied’eau,Wades’approchapourl’aider.—Nemetraitezpasdemacho.C’estmonéducation.Pourquoiunefemmedevrait-ellelefairesije
suislà?Unefoisencore,ellesedemandacommentprendresespropos,maisserisquacettefoisàposerla
question.—Quevoulez-vousdireexactement?Quejesuistropfaiblepourlefaire?Ilsecoualatête.—Non.Toujourscettemêmeréponselaconiquequinevoulaitriendire.—Pourriez-vousêtreplusexplicite?Ilposalefaitoutsurlaplaquedecuisson.—Est-cequevousvoussentiriezmieuxsinousnousdisputions?Sarépliquelacoupanetdanssonélan.Etait-cecequ’elleétaitentraindefaire?S’emporter,pour
chasserdesonespritlesautresémotionsprésentes?—Considérez-lesimplementcommeungestedecourtoisie,ajouta-t-il.—Vousêtesdifficileàcerner,secontenta-t-ellederépondre.Etvousnefaitesrienpourarranger
leschoses.—Jelereconnais.—Jevousremerciedem’avoiraidéeàsoulevercettecasserole.—Jevousenprie.Unpeugênée,ellerepritsapréparation.Ellen’auraitpeut-êtrejamaisdûacceptercemarchéconclu
autourdelacuisine.Ilauraitétéplusjudicieuxdeleteniràl’écart,commeunlocatairequ’ellecroisaitàpeine.Parcequ’àcemomentprécis,ellesesentaitbientropconfuse,tirailléeentrepeuretattirance.
5
Wade alla se terrer pour la nuit. Il n’avait aucune difficulté à rester à l’écart, au premier étage,jusqu’au petit matin. Son instinct particulièrement aiguisé le prévenait lorsqu’il était temps de sefondredansledécor.D’adopterlesteintesdupapierpeint.Dedevenirunarbredelaforêt.Cemomentétaitarrivé.Lesheuresdéfilaient,etillisaitunromanachetédurantsontrajetenautobus,maisqu’iln’avaitpas
encorecommencé.Denombreusespenséessebousculaientdanssatêtetandisquelesheuresglissaientdoucementversl’aurore.Unpasséaveclequeliln’avaitpasencorefaitlapaix,unavenirqu’ildevraitconstruirepiècepar
pièce, parce qu’il ne pouvait plus y échapper. Sans compter cette femme qui dormait au rez-de-chaussée.Deux jours à peine qu’il avait fait la connaissance deCoryFarland.Manifestement, cette femme
vivaitdansuneangoissepermanente,mêmes’ilenignoraitlesraisons.Entrèspeudetempspourtant,elleavaitessayédes’enlibérer,aupointqu’elleavaitfaillifairel’amouravecunparfaitinconnu.Wade savait reconnaître les symptômes d’un profond traumatisme émotionnel. Les actes et les
réactions de Cory n’étaient pas toujours très sensés ni adaptés à la situation, et il lui était aiséd’imaginerdansquelétatdeconfusionellesetrouvait,carill’avaitlui-mêmevécu.Ils’envoulaiténormémentd’avoircédéaudésirquiselisaitcommeàlivreouvertsurlevisagede
Cory,danslacuisine.Elleétaitsidésirable!Maisellen’étaitpaslegenredefemmeàrechercheruneliaison sans lendemain. S’il était allé plus loin, il aurait risqué d’ajouter une blessure à celles quisemblaientsecicatriseravecpeine.Lui-même avait été surpris par ses réactions. Généralement, il gardait la tête froide. Certes, sa
dernière liaison remontait à un certain temps, mais il avait, depuis plusieurs années, renoncé auxaventuressensuellessansintérêt.Pournombredefemmes,seretrouverdanslelitd’unagentdesforcesspécialesétaitterriblementexcitant,etilfutuntempsoùilétaittrèsheureuxdecomblerleursdésirs.Aujourd’hui, être idolâtré comme un héros et devenir un trophée de tableau de chasse ne le
satisfaisaientplus. Il recherchaitunevéritable relation,mêmes’ilétait incapabled’enétabliruneetqu’ilnepouvait se lepermettre.Commeil l’avaitexpliquéàCory, iln’avaitpascedon,et ilavaitcessé depuis longtemps de faire semblant. Il trouvait plus simple de garder le reste du monde àdistanceraisonnable.Il n’avait pu ne pas remarquer queCory avait besoin qu’il la protège.La peur qu’elle ressentait
laissaitpenserquelamenace,quellequ’ellesoit,étaittapiequelquepart.Elle lui avait raconté l’histoire deMarsha et de son mari violent, mais elle s’était bien gardée
d’expliquerlesraisonspourlesquellescetappeltéléphoniquel’avaitelleaussiterrifiée.Commeelles’étaittournéeversleshérifpourdemanderdel’aide,ilendéduisaitqu’ellen’étaitpasunefugitive.Quiétait-elle?Soudain,touteslespiècesdupuzzlesemirentenplace.Ilseredressalégèrementdanssonlit,aufur
et à mesure que les conclusions s’imposaient à lui. Elle s’était installée ici un an auparavant et
bannissait de son discours toutes les références précises à l’endroit où elle vivait autrefois. Sessilences en disaient plus long que ses paroles. Aucune comparaison entre sa situation et celle deMarsha.Unsystèmedesécuritéderniercri,alorsqu’elleneroulaitpassurl’or.Elles’étaiteffondréeparcequ’unevoixnonidentifiéeluiavaitsimplementmurmuré«Jesaisoùtues.»Leprogrammedeprotectiondestémoins.Il connaissait leurs procédures, ayant fait partie de leurs troupes à l’étranger. Généralement, la
personnedontilsavaientlachargebénéficiaitdecetteprotectioncarelleavaitacceptédetémoignercontreuncrimineldangereux.Ilétaitprêtàparier toutcequ’ilpossédaitsurlefaitquecettefemmen’avaitelle-mêmejamaisriencommisd’illégal,sicen’estroulerunpeuvitesurl’autoroute.Cequilemenait à la conclusion qu’elle avait été le témoin d’un crime, que sa vie était en danger et que lescoupablescouraient toujours.Riend’autrene luiauraitpermisdebénéficierduprogrammeniauraitinciterlesmarshalsàinvestirdansunsystèmed’alarmeaussisophistiqué.Ilnes’agissaitnullementdutraitementréservéaucrimineldebase,mêmerepenti.Iljuraàvoixbasseetdirigeasonregardverslaporte,close,desachambre.Chaqueréflexeacquis
durantsaformationrefaisaitsurface.Pasétonnantquecetappelaitpul’effrayer.Ellesemblaittoujoursêtresurdescharbonsardents.Il
se remémora alors un détail de leur promenade de l’après-midi, qui lui fit l’effet d’une déchargeélectrique.Sansplusattendre, ilsautadulit,enfiladesvêtementssombresetsesbottespréférées.Ildésactiva les détecteurs demouvement, en sedisant qu’il aurait aimé sedispenser de leur sonneriestridente,ets’engageadansl’escalier.Avantmêmequ’ilatteignelebasdesmarches,Coryétaitsortiedesachambre,lespaupièreslourdes
desommeil,enveloppéedansunpeignoirbleudontelletenaitlespansserréscontreelle.—Jem’excuse,luidit-il.J’avaisbesoindeprendrel’air.«Ouplutôtdesécuriserlepérimètre.»Je
mesuisditquejerisquaisdevousréveillerenfaisantlescentpasdansmachambre.Sesyeuxbrunsseposèrentsurlui.—Quelleheureest-il?finit-elleparluidemander,enréprimantunbâillement.Il jetauncoupd’œilverssamontredeplongéeultra-sophistiquée. Ilne l’avaitpasportéedepuis
desmois,maisill’avaitinstinctivementpasséeautourdesonpoignetcettenuit.Commesisoninstinctluidisaitquel’heureétaitvenuedereprendreduservice.—Unpeuplusde5heures.—Presquel’heureidéalepourfairecouleruncafé,commenta-t-elle,toutenbâillant.—Jepeuxm’enoccuper.Pourquoineretournez-vouspasvouscoucher?—Jefaispartiedecesgensqui,unefoisréveillés…Elleeutunhaussementd’épaulesetsedirigeaverslacuisine.—Jevaisfaireletourdupâtédemaisons,précisa-t-il.—C’estbien.Elleneseretournamêmepas,secontentantd’unsignedelamain.Il désactiva l’alarme, puis la remit en route. Il savait qu’il ne lui faudrait pas longtempspour en
veniràdétestercettealarme.Ellelegênaitdanssesmouvements.Ilauraitdûpouvoiragirsanslatirerdesonsommeil.
Dehors,lesoleilselevaitdéjà,baignantlemonded’unedélicatelumièrerosée.Ilfitletourdelamaison,avantd’entamersonjoggingdanslequartier.Soudain,ilserappelaqueleconducteurdusecondvéhiculeaperçudanslajournéecirculantdansla
ruedeCoryétaitlemêmequeceluiquiavaitgarésavoitureàcôtédeleur4x4àlasupérette,mêmes’ilconduisaituneautrevoiture.Manifestement,sesréflexess’étaientramolliscessixderniersmois!Lorsqu’ilétaitenservice,cegenrededétailneluiauraitjamaiséchappé.Maintenantqu’ilavaitétabliunlienentrelesdeuxsituations,ildevaitvérifiersiCoryétaittoujoursl’objetdecettesurveillance.Ilfallaitrattraperletempsperdu.Maisiln’aperçutnil’hommemystérieuxnil’undesesvéhicules.Cequineprouvaitrien.S’ilfilaiteffectivementCory,ilavaitdûconsidérerquesaproienetenterait
riendelanuit.Savérificationachevée,WaderetournachezCory,larespirationàpeineplusrapide.Ilentraets’affairaautourdel’alarme,puissedirigeaverslacuisine.Cory était assise à la table, le menton posé dans ses mains, les yeux mi-clos, attendant que la
cafetièreremplissesonoffice.—Vousarrive-t-ildedétestercettealarme?demanda-t-il,ensortantdeuxtassesduplacard.Ilen
posaunedevantelle.—Parfois,répondit-elleavecunsourirelas.—Jevaism’yhabituer.Ilsaisitlacafetièreetremplitlesdeuxtasses.Ilsortitensuitelabriquedelaitduréfrigérateurpour
elle.—Jevousremercie.Oui,jesuissûrequevousvousyferez.—Jesuisdésolédevousavoirréveillée,répéta-t-il.Jenetenaisplusenplace.Cen’étaitpasaussisimplequeça,maispresqueaussivrai.—Inutiledevousexcuser.Jenepourraipasmerendormirtoutdesuite,maisjem’accorderaiune
petitesiestecetaprès-midi,sic’estnécessaire.Toutvabien.Elleversaunedemi-cuillèredelaitdanssoncafé,portalatasseàseslèvresethumaleseffluvesqui
s’enéchappaient.—Commej’aimel’odeurducaféjustecoulé.—Moiaussi.Iltiralachaisequisetrouvaitfaceàelle,maislacherchaduregardavantdes’asseoir.—Vouspermettez?Unvoiled’inquiétudesemblapassersursonvisage,maisdisparutrapidement.—Jevousenprie.Ilfitpivoterlachaiseets’assitàcalifourchonenfacedeCory.—Lajournéeprometd’êtrebelle.—Certainement.Maislapluiememanque.—Pardon?Ellecouvritsabouche,pourétoufferunnouveaubâillement.—Quand je vivais à… enfin, là où j’habitais, à cette période de l’année, il y avait des orages
presquetouslesjours.Çamemanque.—C’estpareilici,non?—Parfois.Maisilsnesontpasaussifréquents,mêmes’ilssontplusbeaux.—Quevoulez-vousdire?—L’horizonestsidégagéquevouspouvezpratiquementlesvoirseformer.Iln’yaplusaucunarbre
pourvousboucherlavue,dèsquevousquittezlaville.—C’estvrai.—Maisiln’yapastantd’éclairs.J’aimaislesobserverlorsquej’étaisà…Ellelaissasaphraseensuspens,puissoupira.— Certaines nuits, nous les regardions, poursuivit-elle. Lors d’une de ces tempêtes, des éclairs
zébraientlecielpresqueencontinu.Lorsqu’ilsatteignaientlesol,ilseformaitcommeunhalovertquiirradiait aux alentours avant de s’élever vers le ciel. Je n’y ai assisté qu’une fois, mais cela m’afascinéeaupointquej’aieffectuédesrecherchespourcomprendrecephénomène.—Dequois’agissait-il?— De l’effet corona. C’est assez habituel au cours de décharges électriques, même si nous ne
l’observons pas souvent. L’air se charge d’ions pendant que la charge se dissipe. Ce n’esthabituellementpasdangereux,sauflorsqu’ils’agitd’éclairs.Ellesirotasoncafé,tenantsatasseentresesdeuxmains,lescoudesposéssurlatable.—Vousavezdûassisteràdestempêtesunpeupartoutdanslemonde.—Absolument.Lesmoussons,lesouragans,lestyphons,sanscompterlesdélugesoccasionnels,qui
peuventcauserdesacrésdégâts.—Eneffet.Unetempêtepeuts’avérerextrêmementpuissante.Lorsquej’ensei…Elles’arrêtanetetbaissalesyeux,semblantvouloirsedissimulerderrièresatasse.«Une enseignante ? » sedit-il. Il ne fit aucun commentaire.Ladernière chosequ’il voulait était
raviversescraintes.Cen’étaitpaslebonmoment.Ilnegagneraitrienàl’effrayerplusencore.Ilredevintsilencieux,goûtantsoncafé,toutenpensantàcequ’ildevaitfairepourlaprotéger.Une
des premières choses serait de s’entretenir avec le shérif. Mais connaissant les procédures duprogrammedeprotectiondesvictimes,ilyavaitpeudechancesqueDaltonpuisseluitransmettrelamoindreinformation.Ildevraitdoncjouercavalierseulsurcetteaffaire,dumoinstantqu’ilenrestaitaustadedeshypothèses.Restait à déterminer s’il devait ou non parler à Cory. Devait-il lui expliquer quels éléments lui
avaient permis de tout comprendre ? Ou valait-il mieux se taire, de manière à ne pas l’effrayerdavantage?Ils’agissaittoujoursd’unequestionépineuse.Ilétaitnécessairequelapersonneprotégéecoopèreautantquepossible,maisilétaitinutiledel’effrayeretderisquerainsidescomportementsdesapartsusceptiblesparfoisdefaireratertoutel’opération.Cory gardait la tête baissée, cachant son visage. Il l’observa longuement, s’efforçant de la voir
commel’objetd’unemissionetnoncommeunefemmequiavaitréveillédessentimentsenfouisaufonddeluidepuissilongtemps.Il devait gagner sa confiance, demanière à cequ’elle coopère.Mais commentyparvenir ? Il ne
s’agissait pas d’une affaire ordinaire, où le fait d’être armé jusqu’aux dents et engoncé dans un
uniformeàl’épreuvedesballessuffisait.Il ne pouvait lui avouer combien elle avait été trahie par ses silences. Elle ne pourrait alors
s’empêcherdesedemandersiellen’avaitpaslaisséderrièreelleunepistefacileàsuivreparceuxquilarecherchaient.C’étaitcequ’ilcraignait.Cetappeltéléphonique,ilenétaitdésormaispersuadé,n’avaitriend’un
canular innocent. Une personne prenait contact avec des femmes qui correspondaient à un profilparticulier. Puis observait les changements opérés suite à cet appel. C’était la seule explicationlogique.Quipréviendraitsacible,s’ilavaitl’assurancequec’étaitlabonne?LaoulespersonnesquipourchassaientCoryavaientpeut-êtreencoredesdoutes.Toutdépendraitde
laréactiondesautresfemmesayantreçulemêmeappel.Marshaavaitadoptéunchien,sansdissimulerlefaitquec’étaitpourseprotéger.Qu’enétait-ildeCory?Soudain, les dernières pièces du puzzle semirent en place.Elle avait pris un locataire, que l’on
pouvaitfacilementprendrepourungardeducorps.Bonsang!Serait-ilceluiquimèneraitsonpoursuivantjusqu’àelle?Pourdesraisonsdesécurité,il
devaitenvisagerlepire.Cetteperspectivelerendaitmalade.Faceàluisetrouvaitcettefemmedontildevaitgagnerlaconfiance,mêmesiellenesavaitriende
lui,etquinerisquaitpasd’enapprendredavantages’ilnesedécidaitpasàouvrirlescercueilsdesonpassé.Il jura intérieurement et se versa une autre tasse de café. Cette fois, il devait aller contre ses
instincts.Ets’exposercommejamaisauparavant.Cetteopérationn’avaitrienàvoiravectoutescellesqu’ilavaitaccomplies.Paroùcommencer?Il s’éclaircit lagorge, cherchant sesmots.Elle leva automatiquement lesyeuxvers lui, cequine
simplifiaitpasleschoses.Maisildevaitselancer,commes’ils’apprêtaitàsauterd’unhélicoptèreenpleinetempêtepourplongerdevingtmètresdansunemersemblableàunmurdebriques.Sesyeuxsemblèrentsubitementplusalertes,sesjolisyeuxmarron,naturellementdouxetchaleureux,
toutparticulièrementlorsquelapeurnelesenvahissaitpas.—Euh,jevousaidéjàditquejen’étaispastrèsdouépourlierconnaissance.Ellehochalatête,maisn’essayapasdeluirépondre.—Avraidire,j’ail’impressiond’êtreunextraterrestre.Ellehaussalessourcils,sansquesesyeuxneperdentdeleurdouceur.—Pourquelleraison?demanda-t-elle.Voilàquiétaitdifficileàexpliquer.Maisaprèstout,c’étaitluiquiavaitlancélesujet.—Parcequej’aivisitédeslieuxquepeudepersonnesconnaissent.Elleopinalentement.—J’imaginequevousneparlezpasdegéographie.—Non.S’ilenrestaitlà,samissionseraitloind’êtreremplie.
—J’aifait,vu,etsurvécuàdeschosesquelaplupartdesgenssontincapablesd’imaginer,reprit-il.Jesaisdequoijesuiscapable.Etjen’aipasledroitd’enparler.D’unepart,parcequecesfaitssontclasséssecret-défenseet,d’autrepart,parcequepersonnenecomprendrait.—J’imagine.—Lesseulsàcomprendresontceuxavecquij’aiservi.Etnouspartageonstouscesentimentd’être
différents.Certainsensontfiers.Ungrandnombred’entreeux.Maisilyaunprixàpayer.—C’estnormal.—C’estpourcelaquenousavonsdumalànouerdesrelations.Nousessayons.Maisnosfemmes
nousquittentparcequenousnoustaisons,nosenfantsnousconsidèrentcommedesétrangersquileurrendentvisitedetempsentemps.Mêmenosparentsnousregardentcommes’ilsnenousconnaissaientpas.Etilsn’ontpastort.Nousfaisonssemblant,noustentonsdeparaîtreordinaires,maisplusrienaufond de nous ne l’est. Et finalement, nous arrivons à la conclusion que les seules personnes aveclesquellesnouspouvonsnouslierd’amitiésontlesmembresdenotreéquipe.—Jepense,avança-t-elleprudemment,quejepeuxvaguementimaginercequevousressentez.Ilattendit,espérantqu’àsontourelleallaitluifairepartagersonexpérience,maisellen’enfitrien.
Ildécidadoncdepoursuivre.—Jenesuispasentraindem’apitoyersurmonsort.—Jenel’aipaspenséunseulinstant.—J’essaiesimplementdevousexpliquerpourquoiilestsidifficiledecommuniqueravecmoi.Au
fildesans,entrelessecretsquejedevaistaireetlesréalitésquejenepouvaispasaborder,j’ensuisarrivéaupointoùjeneparleplusbeaucoup.Denouveau,ellehochalatête.—Vousavezunefemme?Desenfants?—Non, et c’est une chance. J’ai vu trop demariages voler en éclats.Chezmoi, il n’y a pas de
squelettedansceplacard.—Etmaintenant,vousêtesprivédesmembresdevotreéquipe,quisontaussivosseulsamis.Iln’yavaitpassongésouscetangle,maisiladmitqu’elleavaitraison.—C’estunpeuça.—Etquefaites-vousencemoment?—J’essaiedemereprésenteràquoipourraressemblermaviehorsdececontexte,mais,pourêtre
honnête,j’aidumalàl’envisager.—J’ai…Jepenserencontrerlemêmegenredeproblème.Jenesaispasnonpluscequejecompte
fairedemavie.Ilpatienta,attendantqu’elleendiseplus,maisellen’ajoutarien,etsecontentadesirotersoncafé.Il
tentaalorsuneapprocheindirecte.—C’estsouvent lecas lorsqu’onsubitunchangement radical.Vousdevezpenserque j’auraispu
m’ypréparerplusefficacement,puisquejesavaisquej’allaisprendremaretraite.L’occasion parfaite pour Cory d’expliquer que, dans son cas, les changements avaient été
imprévisiblesetcontraints.Maisenvain.Wades’efforçadetrouveruneautrestratégie.
Pourlapremièrefois,ilseditque,pourlesautres,communiqueravecluidevaitêtreaussipéniblequelefaireavecCoryàcetinstantmême.Endépitdesraisonsquilepoussaientd’habitudeàrestersilencieux,ildevaitcettefoisfaireuneffort.S’ilavaitraison,etilsetrompaitrarementdanscegenredesituation,elleallaitdevoirapprendreàluifaireconfiance.Maisiln’avaitjamaiseuàmeneruntelbrasdeferjusqu’alors.Ils’étaitfaituneplaceauseinde
sonéquipedurant sa formation,puis au coursde leursmissions, et enfin, dansunecertainemesure,grâceàsaréputation.Maisilnedisposaitd’aucundecesoutils ici.Ici, ildevaitrecouriràunetoutautretechnique,maisiln’avaitpaslamoindreidéedecellequiconviendrait.Enoutre,letempsétaitcompté.Peut-êtredevait-ilcontinueràparler.Ilnevoyaitpasd’autremoyen.Leproblèmerésidaitdansle
faitquelesvingtdernièresannéesdesaviecontenaienttantd’informationsconfidentielleset tantdesouvenirs qu’il ne pouvait partager avec des néophytes, que sa mémoire elle-même aurait dû êtreestampillée secret-défense. Et sans expériences à partager, de quoi pouviez-vous bien parler, si cen’estdelapluieetdubeautemps?Coryorientaalorslaconversationsurunepartiedesaviequin’étaitpasconfidentielle,mêmes’il
avaitparfoissouhaitéqu’ellelefût.—Vousavezdelafamille?luidemanda-t-elle.S’ilvoulaitqu’elleselivre,ildevaitluiaussiselivrerunpeu.—Jenesuisplusencontactaveceux.—Pourquelleraison?—C’estdel’histoireancienne.Avantqu’ilaitpudécidercequ’ilallaitluiraconteretcequ’ilvalaitmieuxgardersoussilence,elle
poursuivit:—Ilsvousontfaitdumal,n’est-cepas?Peudechosesavaientlepouvoirdeledécontenancer,maiscettesimplephraseyparvint.—C’estaussivisiblequeça?Ellesecoualatête.—Jenevoudraispasparaîtreindiscrète.Maisvousavezditdeuxoutroischosesqui…ehbien,qui
merappelaientdes…personnesaveclesquellesjetravaillais.Elle contournait toujours les références à sonpassé, tout enposantdesquestions sur le sien.Les
rôles venaient de s’inverser, et il l’avait aidée à le faire. Ce qui ne voulait pas dire que cela luiplaisait.—Ehbien,oui,concéda-t-il.Quelleschosesai-jebienpudire?— Ce n’est pas important. Vous n’êtes plus cet enfant. Vos paroles m’en rappelaient d’autres,
entenduesilyalongtemps.Laplupartdesgensn’auraientrienremarqué.Toutcommeilsn’auraientpasrelevélesomissionsdeCory.Ellemontad’uncrandeplusdansson
estime.Asamanière,elleétaitaussiobservatricequelui.Ellesaisitlacafetièreplacéeentreeuxetseresservitducafé,auquelelleajoutaunsoupçondelait.—Ilmesembleparfoisquelessouvenirsnouscollentàlapeau,mêmelorsqu’onpenselesavoir
laissésloinderrièrenous,dansnotrepassé.
—Certainement.Commentaurait-ilpuprétendrelecontraire,alorsqu’ellevenaitdedéterrerunehistoirequ’ilavait
profondémentenfouiedanssamémoire?—C’estvrai,ilsm’ontfaitdumal.—Physiquementetpsychologiquement?—Oui.—Jesuisdésolée.Illutchaleuretcompassiondanssesyeuxmarron.—Celaa-t-iljouéunrôledansvotredécisiond’intégrerunebrigaded’élite?Ils’apprêtaitàrépondrepar lanégative,car ilavaitquitté ledomiciledesesparentsdepuisplus
d’unan lorsqu’il avait rejoint l’armée.Mais le lienentrecesdeuxévénements,qu’iln’avait jamaispressenti,luiapparutsoudain.—Oui,reconnut-il.D’unecertainemanière.—C’est-à-dire?—Lorsquej’aiquitté le lycée, jevoulais lesrayerdemavie.J’aiexercépleindepetitsboulots,
maisjen’allaisnullepart.J’étaisperdu.—Perdu?Elleavaitrépétélemot,etilauraitjuréqu’elleétablissaitunlienavecsapropresituation.Ilaurait
puattendrequ’elledéveloppesonpropos,maisilsedoutaqu’ellen’enferaitrien.—Totalementperdu.J’avaisvécutoutescesannéesavecunseulbutentête,survivreetéchapperà
leuremprise.Etunefoisquej’yétaisparvenu,jen’avaisplusdebut.Jemesentaiscommeétrangeràmoi-même.J’aicomprisquej’allaisàladérive,etquecelanememèneraitnullepart.Lelendemainmatin, je poussais la porte d’un bureau de recrutement. Je venais de trouver un nouvel objectif àatteindre,autrequesimplementsurvivre.L’arméem’enavaitdonnéun.Elleacquiesça.—Jevouscomprends.Commej’aimeraismoiaussiredonnerunsensàmavie!Ilpritunpari,enluifaisantunenouvelleconfidence.—Quandvousavezvécusi longtempsenayantunecertaineimagedevousetenimaginantlavie
d’unecertainemanière,siunévénementvienttoutbouleverser,c’estcommesilaterres’ouvraitsousvospieds.Toutevotreidentitépeutdisparaîtredanscegouffre.—C’estexactementcequejeressens.Sonvisageexprimaitdeladouleur.—Particulièrementlorsquetoutcequevouspensiezêtresereflétaitdanslaviequevousmeniez.Ill’entenditprendreuneprofondeinspiration.Ildécidad’allerplusloin,des’exposerdavantage.—Pendant toutce temps, jem’étais identifiéenoppositionàmesparents,enpartiepourprouver
quecequ’ilsdisaientàmonsujetétaitfaux,etaussienréactioncontreeuxetcequ’ilsfaisaient,ceenquoiilscroyaient.Et,toutàcoup,jen’avaisplusrienàquoim’opposer.Plusderaisondemebattre.J’ensuisunpeuaumêmepointàl’heureactuelle.Ellerelevasubitementlatêteetleregardadroitdanslesyeux.
—Parcequevousavezprisvotreretraite?Ilacquiesça.—Pendantvingtans,lamarinem’adonnéuneidentitéetdesbutsàatteindre.J’aidenouveautout
perdu.—Oh,Wade,dit-elledoucement.Jesaiscombienc’estdifficile.—Parfois,ajouta-t-ilavecinsistance,j’ailesentimentquevouslesavez,effectivement.Elleouvritplusgrandlesyeux.— J’étais…Monmari est décédé, il y a un peu plus d’un an.Avant que j’arrive ici. Tout s’est
effondrésousmespieds.Elleétaitrestéeévasive,maisellevenaitdeluifaireunepremièreconfidence.Ilattendit,espérant
qu’ellepoursuivrait,maiselles’étaitdenouveauréfugiéedanslesilence.Illuiavaitexposétoutcequ’ilpouvaitdécemmentraconterdelui.Etluiavaitavouébienplusque
cequ’ilavaitescompté.Ilavaitmisenmotslecombatqu’illivraitdepuissixmois.Ils’étaitmisànudevantelle.Lavieluiavaitapprisque,danscettesituation,celarevenaitàdonner
àl’autredesmunitionscontresoi.S’il s’était écouté, il serait immédiatement sorti courir. Dix kilomètres pour oublier. Mais il ne
pouvaitpas laisser seulecette femmequi semblait courirunvéritabledanger. Ilnepouvaitpasnonplussefuiréternellement.Ilcouraitdepuisbien trop longtemps.Depuis l’âgedequatreans. Ilcouraitdanssa tête,aprèssa
carrière,sanscesse.Ilfallaitqu’unjourils’arrête.Manifestement,cejourétaitvenu.
6
Wade quitta la cuisine pour aller prendre une douche.Cory replaça la cafetière sur son réchaud,rangea le lait et lava les tasses. Elle étouffa un nouveau bâillement, songea à aller s’habiller, puisrepoussacetteidée.Elleavaitbienletemps,d’autantqu’ellen’avaitaucunrendez-vousextérieur.Millepensées sebousculaientdans sa tête.Traînassantdans son salon, elle sepelotonnadansun
coinducanapé,recouvritsesjambesaveclespansdesonpeignoir,etposasonmentondanssamain,seremémoranttoutcequeWadeluiavaitconfiéunpeuplustôt.Elle aurait aimé deviner ce qui l’avait incité à s’ouvrir à elle, mais elle reconnut qu’elle était
satisfaited’ensavoirunpeuplussurlui.Ellen’avaitpasétédutoutsurprised’apprendrequ’ilavaitétémaltraitédansl’enfance.Niquela
marineluiavaitapportéunecertainesécurité.Lesenfantsvictimesd’abusavaientbesoind’ordredansleurvie,derèglesstrictes,aprèsavoirétésoumisauxcaprices imprévisiblesd’adultesviolents.Cestyledevietrèsstructuréfaisaitdisparaîtrelacraintedenejamaissavoirs’ilsavaientounonbienagiets’ilsallaientêtreréprimandés.Apparemment, il avait aussi ressenti le besoin d’assumer des responsabilités, sinon il n’aurait
jamaischoisid’intégrercettesectiond’élite.Ilyavaitcertainementdanssadécisionlavolontédeneplusjamaisêtremaltraité.Elle ne se considérait pas comme une experte, mais en huit années d’enseignement, elle avait
rencontrésuffisammentdejeunesmenantlesmêmescombats,etbienpeud’entreeuxétaientpromptsàenparler.Ilétaittristedeconstaterqu’ilsdevenaientcomplicesdeleursbourreaux,enlesprotégeantdeleursilenceouenproférantparfoisd’improbablesmensonges.Et souvent, si elle estimait avoir réuni suffisamment d’éléments pour procéder à un signalement
auprèsdesautorités,rienn’yfaisait.Sanspreuvedeviolencephysique,etaussilongtempsquel’enfantniaitlesfaits,personnenepouvaitrienfaire.Elle avait été bouleversée de mesurer l’incalculable dommage émotionnel qui résultait pour un
enfantdecesactesperpétréspardestiersdeconfiance.Elles’étaitposédenombreusesquestionsàcesujetetlaréponsesetrouvaitaujourd’huidevantelle.
Wade avait affirmé que son incapacité à nouer des relations avec d’autres personnes était laconséquence de son travail, et c’était probablement vrai dans une certaine mesure, mais ellesoupçonnaitquelesracinesduproblèmesetrouvaientdanssonenfance.Ellefermalesyeux, lementontoujoursposésursamain.Commeàsonhabitude,dansce typede
situation,sapremièreréactionconsistaitàvouloiroffrirsonaide,maisenl’occurrence,ellenevoyaitpasvraimentcomments’yprendre.Faceàcethommedetrente-huitoutrente-neufans,ellenepouvaitseposerenangesalvateur.Ilrefuseraittoutdego,ethonnêtement,ellen’ensavaitpasassezpourêtreenmesuredelesoutenir.
Lemieuxrestaitencoredeluiprêteruneoreilleattentivelorsqu’ilressentaitlebesoindeparler.Il constituait un exemple de choix pour l’adage « Il ne faut pas se fier aux apparences. » Si son
expérience ne lui avait pas appris à déceler ces fêlures dans le discours des autres, elle aurait
certainementconclud’embléequecethommeétaitduretsévère,qu’ilsesuffisaitàlui-même,etqu’iln’avaitbesoinderiennidepersonne.C’étaitprobablementcequ’ilavaittentédedeveniretl’imagequ’ils’évertuaitàperpétuer.Elle dut admettre qu’elle se sentait bien plus à l’aise à présent, sachant qu’il n’était pas ce bloc
monolithiquequ’ilparaissaitêtredeprimeabord.L’écouterl’avaitaussifaitpenseràsapropresituation,cequilamettaitmalàl’aise.Deterribles
choses lui étaient arrivées, et sa vie entière en avait été bouleversée, mais comment pouvait-ellejustifierletempsqu’elleavaitperducetteannée?Laterreuretletraumatismen’expliquaientpastout.Labattantequ’ellepensaitêtres’étaittransforméeentrouillardeinvétérée.Cettefois,horsdequestiondesecontenterd’excuses.Ellebénéficiaitdecirconstancesatténuantes,
mais cela ne justifiait pas tout.Après tout,Wade était parvenu à se dégager du traumatisme de sonenfance.Ils’étaitpeut-êtreégarépendantpresqu’unan,maisilavaitensuitedécidédesereprendreenmainetdesedonnerunbut.Cequ’ellen’avaitmêmepasenvisagé.Mais tandis qu’elle restait assise à battre sa coulpe, espérant que cela l’aiderait à reprendre les
rênesdesavie,l’épisodedelacuisine,laveille,lorsqu’ill’avaitsoulevéepourl’asseoirsurleplandetravailetqu’ill’avaitembrassée,luirevintsoudainàlamémoire.Lasimpleévocationdecemoment fugacesuffit à réveiller ledésir intensequ’elleavait ressenti.
Elleavaitcruquecettepartied’elle-mêmeétaitmorteàtoutjamais,etelledécouvrait,surprise,quedesimplescaressesavaientsuffiàlaranimer.Soncorpsréponditàcesouveniraveclamêmeintensitéqu’ilavaitéprouvéesouslacaresse.Elle
nepouvaitqu’imaginercequ’elleressentiraitàêtredésiréeparuntelhomme,sifort,sipuissant,etsiàl’aiseavecsespropresdésirs.Elleaimaitfairel’amouravecJim;c’étaitunactepleindetendresse,mais elle savait d’instinct que cette expérience serait totalement différente avec Wade, bien plusépicée.C’étaitprobablementcedontelleavaitbesoinencemoment,unhommequilapousseau-delàdes
limitesqu’elleavaittracéesautourd’elleetquilabousculedesorteàluifairequittersoncocon.Wade finit par redescendre et la tira de sa somnolence où les rêves de baisers passionnés se
mêlaientàdespeursirrépressibles.Rasédeprès, fleurantbon lesavon,mêmeàprèsd’unmètrededistance, ilpritplaceen facede
Cory.—Denouveau,jevousairéveillée.Jem’enexcuse.—Jen’avaispasl’intentiondem’endormir.Sivousenvoulez,lecafédoitêtreencorechaud.Le souvenir de son étrange rêverie lui fit monter le rose aux joues. Elle espérait qu’il ne
remarquerait rien.De fait, les rideauxétaientencore tirés,cequi laprotégeaitdespremières lueursmatinales.Ilétaittempsdesedécideràlesouvrir.Delaisserpénétrerlalumièredanscettemaison,cequ’elle
n’avaitencorejamaisfait.Elleselevasubitementets’apprêtaàtirersurlacordelette.Aumomentoùsamainallaitl’atteindre,
Wadehurla:—Non!
Decesimplemot,ilfitvolerenéclatstouteslesrésolutionsquiemplissaientsatêteetravivacettepeurtétanisante.Ellesefigeaetsentitsesgenouxflanchersouselle.Commeelleauraitaiméressentirdelacolère,
unecolèrequil’auraitaidéeàsetenirdebout.Elletenditlamainpours’appuyeraumuretfermalesyeux.Lorsquesavoixémergeaenfin,elleétaitfaible.—Pourquoi?—Jesuisdésolé.Commes’ilavaitsentilatempêtequivenaitdelasubmerger,lalaissantunefoisdeplusparalysée
par l’angoisse, il s’approcha d’elle, glissa son bras autour de sa taille et la raccompagna jusqu’aucanapé.—Jevouspriedem’excuser,murmura-t-il,toutenl’aidantàs’asseoir.Ils’installaàcôtéd’elle.Illuipritlamain,latintentrelessiennesetlacaressaavecuneétonnante
délicatesse.Il fautquecelacesse,pensaCory.D’unemanièreoud’uneautre,elledevait trouverunesolution
pour se débarrasser de cette frayeur. Autrement, comment pourrait-elle entreprendre de nouveauxprojets?—Jenepeuxpluscontinuer,avoua-t-elleàWade,d’unevoixépuisée.—Quevoulez-vousdire?—Jedoiscesserd’êtreconstammentterrorisée.Jecommençaisàpeineàréussirunpeuàtenircette
frayeur à l’écart.Commeaccepter devous laisser emménager, ou aiderMarsha.Ouvrir ces satanésrideaux,pourlapremièrefoisenunan!Etvousm’avezarrêtée.Pourquelleraison?Au moins, elle n’avait pas fondu en larmes, mais elle n’en était pas loin. Depuis cet appel
téléphonique,elleavaitl’impressiond’êtresurdesmontagnesrusses.Jusqu’alors,elleavaitconnuunecertainestabilité,mêmesielleétaitpeupléedechagrinetd’angoisse.Wadel’attiradanssesbrasetlatintserréecontrelui.—Excusez-moi,murmura-t-il.Lentement,ilfitglissersesdoigtsdanssescheveux.—Après…après…Soudain,ellecomprit.—Quesavez-vous?luidemanda-t-elledansunsouffle.Quesavez-vousquej’ignore?LamaindeWadesemblahésiter,puisrepritsonballetdanslacheveluredeCory.—Jenesuispassûrdequoiquecesoit.—Dites-le-moi!Derage,elleluiassénauncoupdepoingenpleinepoitrine.LetorsedeWaderésistaàsapression
commes’ilétaitfaitdeciment.Ilsoupiraetresserrasonétreinteautourd’elle.—Wade,pasdecejeu-làavecmoi,reprit-elle.Ouvousêtesaucourantdequelquechose,ouvous
nel’êtespas.
Lorsquesaréponsetardaàvenir,elleseraidit,prêteàs’écarterdelui.—Vousnepouvezpasmefaireça!s’écria-t-elle,lapeurlaissantplaceàlacolère,etlafaiblesseà
laforce.Vousnepouvezpasdébarquercommeçadansmavie,etfairedeschosesquimereplongentdanscetétatdepanique!Passansraison.Jen’ycroispasunseulinstant!—D’accord.Maisgardezàl’espritquec’estprobablementinsensé.—Jevousécoute.—Cethommequenousavonsrencontréaumagasinhieraprès-midi?Quenousavonsensuitecroisé
dansuneallée?—Oui?Etalors?—Vousrappelez-vouslafemmequivousafaitsigne,lorsquenousrentrionsàlamaison?Tôtce
matin,ilm’estapparuquecetypeconduisaitlevéhiculequisetrouvaitjustederrière.Se souvenantàpeinedecet épisode,elle fituneffortpour rappeler ses souvenirs.C’estvrai,un
hommeétaitauvolantde lasecondevoiture.Elle luiavaitfaitunsignedetêteetavaitcherchéà lereconnaître.—Cen’étaitpaslemêmevéhicule.—Eneffet,maisils’agissaitdumêmehomme.Ilpossèdepeut-êtredeuxvoitures.Elleavaitbeauseconcentrer,impossibledeseremémorerlevisagedecetindividu.—Commentpouvez-vousl’affirmer?Jenesaisplusàquoiilressemblait.—Fiez-vousàmonexpérience.Sijenem’étaispaslaisséallerdurantlessixderniersmois,jem’en
serais immédiatement aperçu. Il se peut parfaitement qu’il possède deux voitures. C’est le cas denombreusespersonnes.Ilbaissasesyeuxd’obsidiennedanssadirection.—Jenepeuxpasignorercedétail.Quecesoitounonunecoïncidence,jenepeuxpaspasseroutre.—C’estlaraisonpourlaquellevousêtesdescendusitôtcematin,etêtesallécourir,n’est-cepas?
Vousétiezàsarecherche.Ilacquiesça.—Jenel’aipastrouvé.—Ilpourraitdoncs’agird’unsimplehasard.—Peut-être.Ellesecoualégèrementlatête,essayantdedémêlerunnœuddepenséesconflictuelles.—Cetappeltéléphoniquen’aaucunrapportavecça,n’est-cepas?demanda-t-elle.Ellevoulaitsepersuaderqu’ilnes’agissaitqued’unecoïncidence,maiscecanular,qui,àsonavis,
n’enétaitpasun,revenaitsanscessedanssonesprit.—C’estinsensé.Pourquoim’appeler,s’ilsaitoùjemetrouve?— Parce que parmi cette poignée de femmes, il ignore probablement laquelle est réellement sa
cible.—Etqu’est-cequecelaprouve,aujuste?Il desserra son étreinte autourd’elle, lui accordantdavantaged’espace,mais elle nebougeapas.
Ellenevoulaitpas.Ilpritenfinlaparole.—Parfois, la seulemanière d’identifier une cible est de la provoquer, de façon à ce qu’elle se
dévoile.Ellescrutasonvisage,maissonexpressionrestaitindéchiffrable.—Vousest-ilarrivéd’employercestratagème?—Quelquesfois.—Çaamarché?—Pourmoi,oui.—Maisjen’airienfaitdeparticulierdepuiscetappel.Votresuggestionnefonctionnepasdansmon
cas.—Peut-être.—Arrêtezdevousmontrersiévasif.Dites-moicequevouspensezréellement.Jevousenprie!—J’aiemménagéchezvousjusteavantquevousreceviezcetappel.Imaginezuninstantlaréaction
delapersonnequichercheàvouslocaliser,siellem’avuaprèsseulementqu’elleaappelé?Ellesentitsonventreetsoncœurseserrer.—Ungardeducorps,murmura-t-elle.Puisuneautreidéeterrifianteluivintàl’esprit.—Marshaaadoptéunchien.—Aleurplace,jenem’intéresseraispasvraimentàunchien.Ellesesentaitdeplusenplusmalàchaquesecondequidéfilait.—Moinonplus.D’autantquesonpetitamipourraitremonterjusqu’àelle,s’illevoulait.—Enserait-ilcapable?Dans cette phrase, elle perçut l’écho desmillions de questions sans réponse qui constituaient sa
nouvellevie.Ellevenaitpratiquementderévélercequilataraudait.Etilenavaitdéjàdevinéunepartnonnégligeable.Quedevait-ellefaire?Luiavouerlavérité,oubiencontinueràmentir,perpétuerlessecretsetlesomissions?Elleeutuneautreidée.—Etsi…,commença-t-elle.Profondémentmalà l’aise,ellese libéradesonétreinte.Croisant lesbrassursapoitrinecomme
pourseprotéger,elleplantasonregarddanslesien.L’horreurlagagnaitpeuàpeu.Ilfinitlaquestionàsaplace.—Et si j’étais celui qui vous traque ?Appelez le shérif sans plus tarder.Dites-lui de venirme
chercheroucequevousvoulez.—Etensuite?—Jem’enirai.Dèsquemonpaquetageserafait,jequitteraicecomté.Etait-cevraimentcequ’ellevoulait?Non…pass’ilétaitceluiqu’ilétaitcenséêtre.—Vousensaveztropàmonsujet.
—Madame,jenevousconnaispas.J’aidevinécertaineschoses,maisvousnem’avezrienapprisdeplus.—Qu’avez-vousdeviné?Ilpassaunemainsursonvisage.—Celavouseffraierait-il,sijemelevaispourfairequelquespas?J’aitoujoursbeaucoupdemalà
tenirenplace.D’unsignedelamain,elleluisignifiasonaccord.Debout,ilsemblaitemplirtoutelapièce.Ilsemitàarpenterlapièce,lentement,prenantsoindenepass’approcherd’elle.—Voussavezquej’airemarquécombienvousavezpeur.—Oui.— Eh bien, j’ai observé d’autres choses également, et la nuit dernière, tout semble être devenu
beaucoup plus clair. Quand vous évoquez votre passé, vous hésitez et vous bannissez de laconversation toutélémentpouvant révéler le lieuoùvoushabitiezauparavant.Etpuis, lorsquevousavezétéeffrayéeparcecoupdetéléphone,vousvousêtestournéeversleshérif.—Quellesconclusionsentirez-vous?Ill’observa.—Quevousêtesterroriséeetquevousfuyezunemenacequivoushanteencore.Maisvousn’êtes
pasunecriminelle,sinonvotrepremierréflexen’auraitpasétédeprendrecontactavecGageDalton.Elleacquiesça,unpeuraidedanssonmouvement.—Etpuis,ilyacesystèmedesécurité,quiestau-dessusdevosmoyens.—Vousavezraison,concéda-t-elle.—Voussavez,j’aiprispartàdesopérationsdeprotectiondetémoinsàl’étranger.—MonDieu!Elleselaissatombersurlerocking-chair,lesbrasserrésplusfortementautourd’elle.—Touslesindicessontlà,pourunepersonnecapabledelesdéchiffrer.Cequin’estpaslecasde
toutlemonde.Ilm’afalluplusd’unejournéepourcomprendre,aussi,n’imaginezpasquetoutlecomtéa découvert votre secret. Vous ne leur avez rien révélé. Mais pour moi, c’était le seul scénarioenvisageable.Est-cequejemetrompe?Ellesecoualatête.—Etait-cesisimple?—En réalité, vousm’avez compliqué les choses.Comme je vous l’ai dit, ilm’a falludu temps.
Maisunefoisquej’aicommencéàrecoupercertainsfaits,cefutl’unedesdeuxexplicationsplausiblesquiseprésentaient,l’autreétantquevousétiezfolle.Maisj’aivitetirémaconclusion:vousn’êtespasfolle,Cory.Ellesesentaitengourdie,commesiletraumatismeluifaisaitquittersoncorps.Cethommel’avait
cernée si facilement, et pourtant, il affirmait que cela lui avait paru bien long. Comment y était-ilparvenu?Et s’il l’avait percée à jour, combien d’autres personnes y étaient-elles également parvenues ?
D’aprèslui,toutlemondeignoraitsonsecret.Maisétait-ilprudentdelecroire?
—Faites-moi confiance, répéta-t-il, une personne qui ignore tout de ce genre de procédure n’yverraitquedufeu.Vousnevousêtespastrahie.—J’ai…j’aipeineàlecroire.—C’est pourtant la vérité. Ce programme de protection n’est pas la première chose à laquelle
penseraituncivil.Ceseraitprobablementladernière.—Pourquoi?—Parcequepersonnenevous soupçonneraitd’êtreune repentie,mêmes’ildécouvraitquevous
dissimulezcertainssecrets.—Jenesuispasunecriminelle!—Jelesais.C’estévident.Etcommelesgenspensentqueseulslesmalfaiteursbénéficientdecette
protection,vousêtescouverte.Sesyeuxbrûlaient,etlorsqu’elleleregarda,ellesesentitvidéedesesforces.—Etmaintenant?demanda-t-elledansunmurmure.— Je n’ai que des soupçons.Mais le choix vous revient quant à la décision à prendre. Si vous
appelez leshérif, je luiexpliquerai toutceque j’ai relevéàproposdece type.Sivousappelez lesmarshals, ils vous déplaceront une fois de plus. Autrement, je peux essayer de vous protéger, enattendantquenousayonsdespreuvestangibles.Elle avait décrété qu’il était hors de question de déménager. Une fois était bien suffisante. Elle
refusaitdesacrifierlesquelquesrelations,siténuesqu’ellessoient,qu’elleavaitnouéesici.Ellenepouvait recommencer de zéro dans une ville inconnue.Après tout, elle avait Emma,Marsha,Gage,Nate etMargeTate à ses côtés.Même s’ils n’étaient pas des proches à proprement parler, elle lesconnaissaitunpeu.Etellevenaitsubitementdecomprendrequ’elleaimeraitlesconnaîtredavantage.Ellelevalesyeuxverslessiens,sarésolutionluiconférantdel’aplomb.—Jerefusedefuirdenouveau.Ilacquiesça.—Jemesuisfaitlamêmeréflexioncematin.Ellehochalatêteàsontour,lentement.—C’estcequej’aicrucomprendre.Maintenantquesadécisionétaitprise,sesmusclesserelâchaientunparun,progressivement.—Ilestsansdoutetempspourmoidevousracontermonhistoire.—Cory,riennevousyoblige.Jepeuxm’enaccommoder,sansensavoirplus.Vossecretspeuvent
resterlesvôtres.Maisj’endéduis,puisquevousn’avezpasreconnul’individudumagasin,qu’iln’estpasceluiquivousfaitsipeur.—Non.Enréalité,jen’aivuqu’unseulhomme.Celuiquiaabattumonmarietm’atirédessus.—Ilvousablessée?Ils’arrêtanet.Elle fitouide la tête, etpourune raisonqu’ellen’aurait suexpliquer, elleouvrit sonpeignoir et
relevalehautdesonpyjama,demanièreàdévoilerlacicatricesursonventre.—Ilaaussituémonbébé.
Il poussa un juron, un mot qu’elle n’avait pas l’habitude d’entendre, et l’instant d’après, il lasoulevait dans ses bras pour lamener jusqu’à sa chambre. Il la déposa sur son grand lit, avant des’allongeràcôtéd’elle.Sansunmotdeplus,ill’attiraverslui,commes’ilvoulaitquesoncorpsfasseofficedebouclieretqu’illaprotègedetoutcequipouvaitlaheurter.Mais rienn’yfaisait.Elleobservait lementondeWadesansvraiment levoir.Ellegardait la tête
poséesursonbras,commesileventvenaitdetoutbalayerenelle,laissantungrandvide,qu’ill’avaitdépossédéedesonpassé,desesespoirs,desesrêves,etdesessentiments.Quelquechosevenaitdemourirenelle,unefoisencore.Danscettesolitudequisemblalahapper,elleentenditsavoix,quisonnasomnolente,déconnectéeà
sesoreilles,commesielleappartenaitàquelqu’und’autreetqu’ellen’enavaitpaslecontrôle.Cequiétaitpeut-êtrevrai.—Jen’aipasvraimenteuàfaire ledeuildecebébé,s’entendit-elledire.Jevenaisd’apprendre
que j’étais enceinte.Cela ne faisait pas suffisamment longtemps pour que j’aie eu le temps dem’yhabituer.—Mmm.Cegrognementluiindiquaitqu’ill’écoutait.— C’est devenu plus concret lorsque, en me réveillant après l’opération, les médecins m’ont
annoncé que je venais aussi de perdre tout ce qu’il me restait de Jim. Le choc causé par sa mortm’avaitfaitfaireunefaussecouche.—Jesuisdésolépourvous.—C’était…C’étaitleplusbeaujourdemavie.Jen’avaisjamaisconnuunbonheursiparfait.Jim
etmoi,nousallionsavoirunenfant.Onn’apeut-êtrepasledroitd’êtreaussichanceux.—Toutlemondeyadroit.—Vraiment?Vousaussi?Ilneréponditpas,maissonsilenceparlaitpourlui.— Nous étions sortis dîner, pour célébrer cette bonne nouvelle, puis nous sommes rentrés à la
maisonet…nousavonsfaitl’amour.Puiscesalaudestentrécheznouset,d’uncoupdepistolet,m’atoutpris.Il murmura quelque chose qu’elle ne chercha pas à comprendre. Elle s’en moquait. Elle était
incapabledebouger,commesielleétaitenveloppéedansducoton.—J’aivucethomme.Maisilsnel’ontniretrouvéniidentifié.Nouspensions…Ilspensaientqu’il
travaillaitpourunréseaudetrafiquantsdedroguesqueJims’apprêtaitàdémanteler.Unmercenaire,certainement. Ilsm’ontplacée sousprotectiondès l’instantoù je suis arrivéeà l’hôpital. Ilsont étéjusqu’àrefuserquej’assisteauxfunéraillesdeJim.EllesentitlesbrasdeWadeseraidirlégèrement,maisilnefitaucuncommentaire.—Puis, après troismois passés dans une résidence surveillée, ilsm’ont annoncé qu’ils allaient
devoirmedéplacer.Larumeurcirculaitdanslemilieuqu’uncontratavaitétéplacésurmatête.Parcequej’étaisenmesured’identifierlemeurtrierdeJim.—Cen’étaientdoncpasdepetitsmalfrats.—Non.Parfois,jemedisqu’ilsétaientencoreplusdangereuxqueJiml’imaginait.
—C’estprobable.— Nous n’avions reçu aucune menace. Aucun avertissement, quel qu’il soit. Jim s’apprêtait à
présentersesconclusionsaugrandjury,afinqu’illancelesprocéduresdemiseenaccusation.Cequin’allaitguèretarder,unefoisquelesprotagonistesauraientétéarrêtés.Maisiladûyavoirunefuite,carpersonnen’étaitcenséêtreaucourant.Etjeneconnaîtraiprobablementjamaislavérité.—Donc,aprèstroismoispasséssoushauteprotection,cefutledébutd’unvoyageversl’inconnu.— D’abord, j’ai subi une petite intervention de chirurgie esthétique. Une rhinoplastie. Afin de
modifiermonapparence,aucasoùilsferaientcirculerunephotodemoi.Puismescheveux…Jesuisobligéedelescolorer.J’aiaussichangédecoiffure.Maispasdetransformationmajeure.—Cen’est pas anodin, cependant, en particulier le nez.Unemodificationminime,mais avec un
impactmaximal.—Cesontleurspropresmots.Sivousmodifiezlenez,voustransformezlevisagetoutentier.—Celaadûêtredifficilepourvous.—Encoreaujourd’hui,ilm’arrivedesursauterlorsquejemevoisdanslemiroir.Ilsm’ontdéplacée
dans trois villes différentes avant deme faire subir cette opération.Puis six villes de plus.Nousypassionsquelquetemps,puisilsmedisaientdeplierbagage,etilsm’emmenaientdenouveau.D’aprèseux,c’étaitpours’assurerquepersonnenemesuivait.—C’estvrai.—Vousavezprispartàcetyped’opérations?—DeAàZ.Dudéménagementàlarésidencesurveillée.Enrevanche,j’avaislatâcheingratede
protégerdeuxvraissalestypes.Parfois,jemedisaisquecelan’envalaitpaslapeine.—Maisc’étaitfaux,n’est-cepas?— S’ils détiennent suffisamment d’informations, cela me semble justifié. Mais pour quelqu’un
commevous,ç’auraitétéunhonneur.Elletenditunbrasetluitouchalementon.Immédiatement,ilbaissalatêtepourlaregarder.—Jedétestaisça,murmura-t-elle.—Jen’aipasdepeineàvouscroire.—Mais ils faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pourm’aider.Etmême si je haïssais cette
situation,jelacomprenais.Ilssesontmisenquatrepourmoi.—Parcequevousétiezinnocente.— Et parce que mon mari était procureur fédéral. Il était l’un des leurs. Je ne me berce pas
d’illusions;s’ilnes’agissaitpasdeJim,jen’auraisjamaisbénéficiédetoutecetteattention.L’hommequejepeuxfairemettrederrièrelesbarreauxaabattuunreprésentantdelaloi.Quelque chose dans ses yeux sombres sembla s’adoucir légèrement, mais il décida de ne pas
répliquer,probablementparcequ’ilsavaitqu’elleavaitraison.—Cesfonds,poursuivit-elle,nesontpasattribuésàn’importequi.Si j’avaisassistéàn’importe
quelautreassassinat,etmêmesij’avaisétéleseultémoincapabled’identifierlemeurtrier,j’auraisdûmedébrouillerseule.—Cequiestunpeuvotrecasencemoment.
—C’estleurmanièredeprocéder.Ilconfirma,d’unsignedetête.—Généralement.Celavousmet-ilencolère?— D’avoir voyagé en première plutôt qu’en classe économique ? Comment pourrais-je le leur
reprocher?Cequimemethorsdemoi,c’estdesavoirquetoutceàquoijetenaism’aétéarraché.Mafamille,mesamis,macarrière.Parfoisjem’enveuxdelesavoirlaissésmeprendretoutcela.—Soyezraisonnable.Enquoiauriez-vousétégagnantesivousvousétiezfaittuer,vousaussi?—Celam’auraitépargnédemenerunevieaussidénuéedesens.Ilsoupiraetposasamainchaudesursajoue.— Ne dites pas ce genre de choses. Nous allons mettre la main sur ce type, et vous pourrez
recommenceràvivrenormalement.—Vraiment ? Je n’en suis pas certaine. J’étais censéeme sentir en sécurité, depuis que je suis
arrivéeici,etjen’aicesséunseulinstantderegarderpar-dessusmonépaule.—Cequejepeuxvousassurer,c’estquel’épiloguedevotrecauchemarn’estpasloin,etquejesuis
forméàcegenredesituation.Quantàl’annéequivientdes’écouler…Cory,pensezuninstantàcequevousavezsubi.Ilestnormaldenepasêtreparvenueàprendrevosrepères,d’autantquevousaviezdebonnesraisonsd’êtreterrifiée.—Effectivement,puisqu’ilsemblequej’aieétéretrouvée.Ilsetutquelquesinstants.—Vousallezmedétesterenentendantcequejevaisvousdire,reprit-il,maisc’estpeut-êtreune
bonnechosequ’ilvousaitretrouvée.Celanousdonneuneoccasionderéglercetteaffaireunebonnefoispourtoutes.Nousallonsprobablementvousrendrevotrevie.—Jen’aipluspersonneversquimetourner.—Vouspourriezrentrerchezvousetreprendrevotrecarrière?—Jenesuispassûredevraimentlevouloir.Les regrets l’envahirent, parce que sa léthargie sembla disparaître au profit de sentiments qui se
réveillaientlentement.Etc’étaitune terreurplusprofondeque leGrandCanyonqui l’envahissaitpeuàpeu.Lorsqu’elle
fonditenlarmes,ill’attiraplusprèsdelui.Commesicelapouvaitl’apaiser.
7
Ilessuyalentementseslarmeslorsqu’ellesecalmaenfin.Pendantdelonguesminutes,ilsecontentadelatenirserréecontrelui.—Ilfautquenousdiscutionsdelastratégieàadopter,dit-ilenfin.—Quepouvons-nousfaire?—Ilfautquej’yréfléchisse,maisnousdevonsenparler. Il fautdéterminercequivousconvient,
ainsi qu’à moi, avant de prendre une décision. Je suis assez polyvalent, mais je ne travaillegénéralementpasseullorsquejedoismettreenplaceuneopération.—C’estuntravaild’équipe?—Oui, et vous êtesma partenaire pour celle-ci. Ainsi que le shérif. Il faut qu’il participe à la
discussion.—Horsdequestion!Ets’ilappelaitlesmarshals?Jeneveuxpluspasserparlà.—Ducalme.Jesuispersuadéquenouspouvonsleconvaincredenepaslefaire.Maismalgrémon
expérience,jenesuisqu’unhomme,Cory.Nousallonsavoirbesoinderenforts.Elleenfouitsonvisagecontrel’épauledeWade,détestantcettesituation,cettepeurquiluilongeait
lacolonnevertébrale,cettesensationd’êtrepriseaupiège.Nepouvait-elles’accorderuneheurederépit?Etait-cetropdemander?Illafitpivoterlégèrement,demanièreàcequ’ellesoitplusprochedelui.Illaissasamainglisser
sursondos,oùildessinadescerclesréguliersetapaisants.Dumoins,c’estcequ’ellepensaaudébut,avantquecesgestesluifassentuntoutautreeffet.Leurbaiserpassionnédelaveilleluiavaitrappeléqu’elleavaitaussidesbesoins,etilnefallutpaslongtempsàsoncorpspourluisuggérerqu’ilyavaitdebonsmomentsàpartagerdans lavie,etquecebonheurse trouvaitàportéedemain.Etqu’il luipermettraitd’oublier.Mais cette sensation céda bientôt la place à une chaleur grandissante. Si son cœur et son esprit
tressaillaient,soncorpsvoulaitrenaîtreàlavieets’endélecter.Elle laissaéchapper leplusdélicatdessoupirs,puisremuacontre lui,exprimantavecsapeauce
qu’elleétaitincapablededire.Wades’arrêta.Dèsqu’ellecompritqu’ilvenaitderecevoirsonmessagesilencieux,elleretintson
souffle,déchiréeentrel’enviedes’éloignerdeluietl’espoirinsoutenablequ’ilnelarejetteraitpas.Elle ferait mieux de prendre la fuite. Immédiatement. Parce qu’elle ne supporterait pas d’être
repoussée.Pasaprèstoutcequ’elleavaitpartagédesonhistoirepersonnelle.«Eloigne-toitoutdesuite,neluilaissepasletempsdetedirenon.»Mais son corps refusait d’obtempérer, il réclamait quelque chose de primal, d’élémentaire, une
affirmationdelaviequipassaitoutrelescircuitsendommagésdesoncerveau.Ilretirasamain.Coryseraidit,sepréparantàunrejet.Illasaisitalorsparlementonetlevason
visageverslui.Sesyeuxsombrescherchèrentlessiens,commes’ilycherchaituneréponse.Puis,soudain,ill’embrassaavecuneintensitéquilasidéra,luidonnantlesentimentqu’ilallaitlui
volersonâme.Oh, il savaitembrasser.Sa langues’accordaità la siennesuivantun rythmequiaccompagnait les
pulsationsqu’ilfaisaitnaîtredanssoncorps.Desdéchargesélectriquesparcouraientsesterminaisonsnerveuses,rendantchaquecentimètredesapeausisensiblequelesimplefrottementdesesvêtementsdevenaitirrésistiblementsensuel.Unsimplebaiseravaitprovoquécetembrasement.Ilserrasesjambesautourdessiennes,mettantentreeuxunpeudedistance.Alorsqu’elletentaitde
plaquer de nouveau son corps contre le sien pour retrouver ce contact qui l’avait électrisée, ellecomprit.Ilavaitenvied’elleautantqu’elledelui,maisillafaisaitpatienter,l’obligeaitàprendresontemps.Ellesedétendit,acceptantdesuivresonallure.Nulbesoindeseprécipiter.D’unemain,illamaintenaitserréecontrelui;del’autre,ilcommençaitàexplorerlagéographiede
soncorps.Illaglissasoussonpeignoir,etsondernierrempartfutceluidesonpyjama.Ill’effleuradesesdoigts,duseinjusqu’àlacuisse, làoùsajambeenserrait lessiennes,puis il les laissaremonterlentement…silentement.Il les faufila sous son haut de pyjama. Elle s’arc-bouta légèrement, mettant fin à leur baiser,
lorsqu’ellesentitsapaumerugueuseseposersursapeaunue.Ils’attardaàcetendroit,décrivantdepetits cercles nonchalants sur sonventre, tandis que sabouche réclamait denouveau celle deCory,cettefoisplusdélicatement,faisantéchoaumouvementdesesdoigts.Denouveau, elle sentit l’urgencedudésir.Ellemourait d’envie qu’il caresse ses seins, qu’il les
embrasse,etellefinitparcroirequeledésirallaitluifaireperdrel’esprit.Pourtant,ilpersistaitàlarefréner.Elledétachasabouchede lasienne, reprit sonsouffle,haletante,puis,d’unemain,déboutonna la
chemisedeWade.S’ilneluiendonnaitpasplus,elleviendraitseservir.Ilnel’arrêtapaslorsqu’elleenécartalespansetqu’elleposalamainsursontorse.Ellecrutmême
percevoir un grognement de plaisir, lorsqu’elle commença à dessiner les contours de ses musclessaillants, se délectant de la douceur de sa peau, des vaguelettes qui striaient son abdomen, et despointesdresséesdesestétons.Unegourmandisepourlesmains,toutautantquepourlesyeux.Puis,sanslaprévenir,illasaisitparlataille,lalibérantdelaprisondesesjambes,etl’installaà
califourchonsurseshanches.Elle poussa un gémissement lorsque, l’attirant contre lui, elle sentit leur sexe entrer en contact à
traverslescouchesdejeanetdecoton.Quefaisait-il?Elledevaitsedébarrasserdecesvêtementsquilesgênaient.Mais lorsqu’elle toucha leboutondesonpantalon, il lui saisit lamainet luimurmurad’unevoix
rauque:—Chevauche-moi,Cory.Ellenecompritpascequ’ilvoulait,jusqu’aumomentoùillasaisitparlatailleetlafitalleretvenir
contre lui.Toutàcoup,ce tissun’eutplusaucuneespèced’importance.Seshanchesondulèrentsanspouvoirs’arrêter,exigeantdelevoirétanchersondésir.Tandis qu’elle se frottait contre lui, il glissa sesmains sous sonpyjama et prit ses seins dans le
creuxdesesmains,titillantsestétonsduboutdupouce.
Elleeutl’impressionqu’illasoumettaitàuncourantélectrique.Desdéchargesluiparcouraientlecorps,l’embrasant,etconvergeantverssonintimité,aupointdeprovoquerunedouleurquiluifaisaitoubliertoutlereste,àl’exceptiondesondésir.—Continue…,souffla-t-ild’unevoixrauque.Ellesesentaitlibre.Libredefairecequ’ellevoulaittandisqu’elles’abandonnaitàcesondulations,
laissantlibrecoursàsondésir,sanspluspenseràrienniàpersonned’autrequ’elle-même.Libred’êtresoi.Dechevaucherlacrêtedecettevaguejusqu’àtourbillonnerfollementdansseseauxchaudes.Etderetrouverlapaixdel’âme.ElleseplaquacontreletorsedeWade,parcouruedesoubresauts,etill’entouradesesbras.Ellene
s’était jamais sentie aussi détendue, à l’abri du danger, depuis… la fusillade. Et pas le moindresentimentdeculpabiliténevintl’effleurer.Sicen’estqu’elle ignorait siWadeyavaitprisautantdeplaisirqu’elle,et s’ilelle l’avaitmené
jusqu’àl’orgasme.Il lui parut étrange de se sentir un peu gênée après ce qu’ils venaient de vivre, cette expérience
rendueencoreplusrenversanteparlamanièredontelleavaitétéprovoquée.Jamaisellen’aurait imaginéquefairel’amourtouthabilléepourraitdonnerdupiquantàlachose,
l’exciteràcepoint,etluioffrircettelibertéprimitive.Quec’étaitbon!IlcaressalanuquedeCorypuisenroulaunemèchedesescheveuxautourdesondoigt.—Çava?luidemanda-t-il,d’unevoixrauque.—Oui,murmura-t-elle.Ettoi?—Jesuisunpeuabasourdi,pourêtrefranc.Enentendantcesmots,ellelevalatêteetledévisagea.Sonexpressions’étaitadoucie,etmêmeses
yeuxd’obsidienneavaientperduleuraspectminéral.—Queveux-tudire?—Jeseraisincapabledel’expliquer.EllereposasajouesurlapoitrinedeWade.—Lesmotsnousmanquent,parfois,pourdécrirecequel’onressent.—Probablement.Illaissaretomberlaboucleet,desonindex,dessinalescontoursduvisagedeCory.—Est-cequetuenseignais,avant?demanda-t-il.Cet homme possédait un don pour assembler en un clin d’œil les différentes pièces d’un puzzle,
aussin’aurait-ellepasdûêtresurprisequ’ilaitdécouvertcequ’ellecachait.—Pourquoimeposes-tucettequestion?—Acaused’unephrasequetuasprononcée,ouplutôtamorcée,etquetun’asjamaisterminée.Tu
t’esarrêtéenetàlapremièresyllabedumot.—Ettuasdevinélafindecelui-ci.
—Çam’arrive,parfois.—Tuesincroyable.J’aiquelquefoislesentimentquetuescapabledelirecequisepassedansma
tête.—Jesuistrèsobservateur.Lesmotsnesontpastoujoursindispensables.—D’accord,c’estvrai.J’étaisprofesseur.Etjeleredeviendraipeut-êtreunjour.—Ya-t-iluneraisonpourlaquelletun’aspasfaitreconnaîtretesdiplômesici?—Lesmarshalscraignaientquecelanedevienneunepistetropévidentepourlesmalfaiteurs.Ladureréalitévenaitfaireintrusiondanscemomentdesérénité.Celaluidonnaitenviedefrapper
dupoingdanstoutcequiseprésenteraitsursonchemin.—Désolé,jesuisentraindegâchercemerveilleuxmoment.« J’ai dûme raidir », songea-t-elle.Et il avait perçu sa réaction.Cet hommeétait époustouflant.
Dansdenombreuxdomaines.Jimavaittoujoursétéattentionné,maispasàcepoint.—Non, ce n’est rien. Je ne peux pas me permettre de perdre pied avec la réalité. Surtout pas
maintenant,reprit-elle,alorsquejesuisprobablementconfrontéeàunevéritablemenace.—Non.Ilpartageaitsonavis.Ellesentitsonestomaccrierfamine.Lapauseétaitbeletbienfinie,pensa-t-elletristement.—Quedirais-tud’allerprendreunedouche,pendantquejenousprépareunpetitdéjeuner?—Tutesensprêtàcuisiner?—Commejetel’aidit,jeconnaismesclassiques.Jeseraisincapabledecopierleplatdepâtesque
tunousasconcoctéhiersoir,maisjesuislespécialistedesœufsbrouillés,etjepeuxlesprépareràpartirden’importequellesourcedechaleur,quecesoitunrayondesoleil,unréchaudpourrationdesurvie,unechandelle,oumêmeunegazinière.—Jetesuggèredechoisirladernièreoption.—Puisqu’elleestdisponible…Ellelevalatêteetscrutasonregard.—Commentcuisines-tuàpartird’unrayondesoleil?—Nousemportonstoujoursdesmiroirspourcommuniquerparsignauxlumineux.Ilfautsimplement
savoirlesorientercorrectement.Ellehochalatête.—J’espèreavoirdroitàunedémonstration,undecesjours.Ilroulasurlecôté,sibienqu’elleseretrouvaprécipitéesurlelit.Illuiadressaunsourire,unvrai,
lorsqu’ilserelevaetsecalasuruncoude.—Aladouche,répéta-t-il.Jem’occupedesœufs.Ilposaunbaiserappuyésurseslèvresavantdedisparaître.Pourlapremièrefoisdepuisbienlongtemps,Coryréfléchitàcequ’elleallaitporter.D’ordinaire,
elleattrapaitsatenuedecaissièreouunT-shirtetunjean,sansyprêterattention.Maiscematin,ellehésitaitentreunejupeenjean,sachemiseàcarreauxauliserégansé,ouunbanalpolo.
Ellefinitparsedirequ’elleétaitridicule,etarrêtasonchoixsurunchemisierjauneetunjean.EnFloride, les gens en portaient rarement, sauf lorsque les températures chutaient,mais ici, c’était latenuehabituelle,mêmes’il faisait très chaud.Ellemitun soupçonde rougeà lèvres etdemascara,qu’elleretrouvaparmilesrareseffetsqu’elleavaitemportésavecelle.Laconsigneavaitétéclaire:rienquinepuisseentrerdansunevalise.Dèsqu’elleouvritlaportedesachambre,dedélicieuxeffluvesvinrentluichatouillerlesnarines.
Apparemment,Wadeavaitajoutédubaconaumenu,etellereconnutégalementlabonneodeurdecaféfraîchementcoulé.Cen’étaitpaslasecondetasse,maislasecondecafetièredelajournée,etsicelan’avaitriend’extravagant,celafaisaitlongtempsqu’ellenes’étaitpasaccordécepetitplaisir.Lorsqu’elle pénétra dans la cuisine, le couvert était déjà mis. Le bacon était disposé dans une
assiette,surunefeuilledepapierabsorbant,etunepiledetranchesdepaingrillées,déjàbeurrées,setrouvaientsurleplandetravail.—Tusaiscuisiner!dit-elle,surprise.—Jetel’aidit.Quesepasse-t-il,d’aprèstoi,lorsquenoussommeslivrésànous-mêmes,dansun
campretranché?Nouscuisinonsàtourderôle,etmalheuràceluiquin’estpascapabledepréparerunpetitdéjeunerdignedecenom!Ellelaissaéchapperunpetitrire.—Ici,c’estbeaucoupplussimple.Tuasmêmeungrille-pain.Assieds-toi.Jetesersuncafé.Elleobtempéra.—Jecroyaisquevousaviezdesrationspréemballées,rétorqua-t-elle.Commentcelas’appelle-t-il,
déjà?— Les RCIR. Rations de Combat Individuelles Réchauffables. Je te fais grâce des surnoms
sympathiquesqu’onleurdonne.—Maisvouscuisiniezquandmême?—Quandon se déplace, il faut être rapide et léger.Nous faisons en sorte denous ravitailler en
produitslocaux.D’autantquecequetumangesaffectetonodeur.Ilestdoncpréférabledeconsommerlesmêmesalimentsqueleshabitantsducoin.Elleremarquasonemploisystématiquedutempsprésent,etsedemandas’ilétaitdouloureuxpour
luide tourner lapage, après ces annéespasséesdans les forces spéciales,ou si l’évocationdecessouvenirsl’avaitfaitbasculerdansunmodederéflexionparticulier,commes’iln’avaitjamaisquittésonposte.—Celanem’auraitpastraversél’esprit,commenta-t-elle,tandisqu’illarejoignaitàtable,etqu’il
ydéposaitcequ’ilvenaitdepréparer.Lesœufs étaient cuits à la perfection, ni trop, ni trop peu, en dépit du fait qu’il ne les avait pas
battus.Pasétonnant,pourquelqu’unquiavaitprincipalementcuisinéenextérieur.Illesavaitcependantrehaussésd’unepincéedepoivre,pourlesrendreplussavoureux.—C’estexcellent,lecomplimenta-t-elle.Ilesquissaunsourire.—Merci.Jedétestelorsqu’ilssonttropcuits.Pourunhommesoi-disant incapabled’alimenteruneconversation, ilsedébrouillaitplutôtbien.Il
commençaitprobablementàsortirdesaréserve,commecelaavaitétésoncasunpeuplustôt.Dèsquecettepenséeluitraversal’esprit,ilsemblaretrouversonmutisme.Ilsprirentleurdéjeuner
ensilence,etn’échangèrentquequelquesparolesenfaisantlavaisselle.Ilsregagnèrentensuitelesalonplongédansl’obscurité.—Jevaisappelerleshérif.Ladureréalitérepritsesdroits,unefoisencore.Wade conversa avec Gage, puis sortit pour aller courir. Il n’expliqua pas à Cory pourquoi il
s’absentait,maisellen’avaitpasbesoindeleluidemander:ilallaitvérifierquel’hommedelaveillene rôdaitpasdans lesparages.Elle fit semblantde remettrede l’ordredans lamaison,bienque laseule tâchenécessairesoitunlégerépoussetage.Elles’étaitacquittéedesonménagequelques joursauparavant,etmêmesitrèspeudepoussières’étaitaccumuléedepuis,celaluioffraituneexcusepours’affaireretd’essayerainsideconjurersapeur.Enpartie,dumoins.Gage, qui arriva en même temps que Wade, était habillé en civil. Les deux hommes entrèrent
ensemble,etGagerejoignitCorydanslesalon.Avantqu’elleaiteuletempsdesaluerleshérifoudeposersonplumeau,Wadeluifitsonrapport.—Jenel’aipasvu.Coryn’étaitpascertainededevoirs’enréjouir,étantdonnélessoupçonsdeWade.Elledéposason
ustensile sur la table et s’essuya les mains sur son pantalon, avant de serrer celle de Gage et del’inviteràprendreunsiège.—Uncafé?Ilfitnondelatête.—Jeteremercie,Cory.Allonsdroitaubut,situesd’accord.Waden’apasététrèsexplicite.Ilm’a
seulementexpliquéquetuavaisbesoindemevoir.Elleacquiesça,avantdes’enfoncerdanssonrocking-chair.Gage,commeàsonaccoutumée,choisit
le fauteuil inclinable, tandisqueWades’asseyait sur lecanapé, àproximitédeCory.Elle se tournaverslui.—Explique-lui,s’ilteplaît,demandaCory.—D’accord.Wadesepenchaenavant,coudessurlesgenoux.—Dès lespremiers instants, j’ai remarquéqueCoryétait terrorisée.J’étaisprésent lorsqu’ellea
reçucetappeltéléphonique,celuiausujetduquelellevousaappelé.Gagefitunpetitsignedelatête.Corynotaqu’ilnefitaucuncommentaire.Ilnedévoileraitrien,tant
qu’iln’auraitpascernécequeWadeavaitcompris,etcequ’ilpensaitdelasituation.«Ilprotègemessecrets»,songeaCory.—Quoiqu’ilensoit,repritWade,jenevaispasvousennuyeravecuneavalanchededétails,saufsi
vouspensezquecelapeutvousêtreutile.J’aiparticipéàdesopérationsdeprotectiondetémoins,etdepuiscematin,j’ailaconvictionqueCoryenbénéficie.Gageseraiditinstantanément.—Jenepensepas…,commença-t-il.—Détendez-vous,lerassuraWade.Personnen’auraitpudeviner.Jesuisparvenuàcetteconclusion
parce que j’ai eu l’occasion de l’observer, de sentir sa peur, sans compter ses omissions, qui meparaissaienttrèsrévélatrices.Gagepoussaunjuron,puislançaunregardàCory.—Jesuisdésolé.Jen’auraisjamaisfaitvenirWade,sij’avaisimaginéqu’ildécouvriraitlavérité.—Net’enfaispas,luiréponditCory.Celanemeposeaucunproblèmequ’ilsoitaucourant,bienau
contraire.Pourêtrehonnête, jepensequ’ila raisonenaffirmantquepersonned’autrenes’enseraitrenducompte.Ilatirélesbonnesconclusionsparcequesonexpérienceluipermettaitdelefaire.—J’espèrequetuasraison,ditGage,visiblementcontrarié.Sonairn’avaitplusriendesympathique.Wadenesemblapasdéconcertéparlaréactiondushérif.Amoinsqu’ilsesoitsimplementretranché
danssaforteresse,songeaCory,quisesurpritàespérerquecen’étaitpaslecas.Ellenevoulaitpasleperdre. Elle commençait à apprécier l’homme qui s’était révélé, même s’il restait encore bienmystérieuxàsesyeux.—J’aimapetiteidéequantàlaraisondecetappel,repritWade.Jemesuisrappeléundétailquine
m’auraitjamaiséchappé,sijen’avaispaspassélessixderniersmoisàtenterd’oubliertoutcequej’aiapprisdanslesforcesspéciales.—C’est-à-dire?— Laissez-moi tout d’abord vous expliquer une méthode que nous utilisons parfois lors de nos
opérations.Nousn’avonspastoujoursuneidéetrèsclairedenotrecible.Parfois,nousn’avonspasdephoto, ni de description précise. Dans ce cas, nous tentons de faire peur à un groupe de ciblespotentielles, puis nous les observons, afin de définir laquelle a effectué une action susceptible derévélersonstatut.Gagehochalentementlatête.—Vousêtesentraindemefairecomprendrequececanulartéléphoniquen’enétaitpasun.—C’estprobable.J’aidebonnesraisonsd’avoirdessoupçons:nousavonsvulemêmehommeà
deuxendroitsdifférentshier.Ilnousasuivissur leparkingdelasupérette,puisnousl’avonscroisédanslesalléesdumagasin.—Celaneprouverien.—Effectivement, si ce fait estpris isolément.Maishieraprès-midi, tandisquenous rentrionsde
notrepromenadeauparc,nousavonsdenouveauvucetype.AproximitédelamaisondeCory,etauvolantd’unautrevéhicule.—Nomdenom!Gagesegrattalefront,visiblementcontrarié.—Jegardeàl’espritquecertainespersonnespossèdentplusieursvéhicules.Etquececanularen
étaitpeut-êtreun.Maislorsquevousrassembleztousceséléments,etquevoussavezqueCoryestsousprotection,carelleestlaseulepersonnecapabled’identifierlemeurtrierdesonmari,ildevientrisquédesedirequecen’estqu’unecoïncidence.—Vousavezraison.MaisquelgestepourraitavoirtrahiCory?Ellen’arienfaitdeparticulier.—Apartmeprendrecommelocataire.Etcetypequilasurveillenem’aprobablementpasaperçu
avantl’appel.Entoutelogique,iln’adûmultipliersesrondesqu’aprèsavoircontactésesvictimes…
etjesuisarrivéjusteavant.Denouveau,Gagesecontentadehocherlatête.—Sinouspartonsduprincipe, repritWade,quece typeaà l’œil,disons,unedemi-douzainede
femmesquiontemménagéiciencoursd’année,ilvadevoirpasserdel’uneàl’autreafind’observerleurréaction.Or,peuaprèssonappel,ilremarquedeuxchoses:dansunpremiertemps,CoryetsonamieMarshaserendentàlafourrièrepourychoisirunchien.CelaauraitpusuffireàdésignerMarshacommecible,saufque,danslesheuresquisuivent,Coryrentrechezelle,puisquittesondomicileenmacompagniepourserendreausupermarché.—Etonpourraitfacilementvousprendrepourungardeducorps,soulignaGage.Corypritlaparole.—JepensequeWadearaison,Gage.Sionyregardedeplusprès,j’ainonseulementlaisséWade
s’installer dansmamaison,mais il est égalementvenu fairedes emplettes avecmoi.Généralement,seulesdespersonnesseconnaissantbienfontcegenredechosesensemble.Or,Waden’estentrédansmaviequ’hier.Etenysongeant,jemedisquelesgensquinousentouraientpouvaientcroirequejefaisaismescourses,etqueWadenefaisaitqu’actedeprésence.—Trèsbien,conclutGage.Vousavezrevucetypel’après-midi.Auvolantd’unautrevéhicule.—Etilnenousamêmepasjetéunregard,alorsquelaconductricedelavoitureprécédentenousa
sourietnousafaitunsigne.—Commelefontlaplupartdeshabitantsducomté,repritGage.Lespersonnesquinelefontpasne
sontsouventpasd’ici.Ilsecaressalementon,etregardaCory.—Maisilnes’agitpasdel’hommequiaassassinétonmari?—Non,ilneluiressemblepasdutout.Jel’auraisimmédiatementreconnu.GagefronçalessourcilsetregardaWadeetCorytouràtour.—Voussavezquec’estplutôtmince,commepiste?—Trèsmince,précisaWade.—Maisjenepeuxpaslaisserpasserça.Laissez-moiréfléchiruninstant.Corycrutsoudainentendrelamusiqued’unjeutélévisédanssatête.Ellese tournaversWade,et
découvrit un homme parfaitement capable d’attendre lorsque c’était nécessaire,même s’il préféraitêtredanslefeudel’action,etquipouvaitresteraussiimperturbablequ’unestatuelorsqu’illevoulait.Cequ’ilfaisaitd’ailleursencetinstantmême.Gagefinitparromprelesilence.—Tantquenousnesommessûrsderien,ilestprudentdeconsidérerqueWadeavujusteenparlant
d’actesrévélateurs.LetypequirechercheCorynesaitpeut-êtrepasquesonapparenceestdifférente.La chirurgie esthétique n’est pas courante pour le programme de protection.Mais, étant donné quepersonnenecorrespondprécisémentàladescriptionqu’ilapuavoir,cegenredeprovocationparaîtlogique.Aconditionqu’ilsacheoùla trouver.Et laseulemanièredont ilapu l’apprendre,c’estenrecevantcetteinformationdequelqu’unquitravaillepourlesmarshals.LecœurdeCorymanquaunbattement,puissemblas’emballer.—Jen’yaipassongéuneseconde,murmura-t-elled’unevoixéraillée.
Gagesetournaverselle.— Cela fait un an, Cory. De toute évidence, les marshals ont réussi à se débarrasser de tes
poursuivants. La seule manière d’obtenir des renseignements à ton sujet, c’est de faire parlerquelqu’un.Ilyadoncunefuitequelquepart.—MonDieu!s’écria-t-elle.Sonvisagesemblarefléterdenouveaulapeuretl’angoisse.—Quepeut-ilsavoird’autre?poursuivit-elle.Gagesecoualatête.—Jel’ignore,maissiWadearaison,iln’apasencoredécouverttanouvelleidentité.Celuiquit’a
trahienel’apasbeaucoupaidé,sinonilconnaîtraittonnomettonadresse.—C’estvrai.—Etquelquechosemeditquetun’aspassuivileprotocolehabituel,quiconsisteàchoisirunnom
defamillecommençantparlamêmeinitiale,etàconserverleprénomd’origine.Sinon,ilsauraitdéjàquituesetoùtuhabites.—Onm’aditquec’estcequefaisaientlaplupartdesgens,maisl’undesmarshals…,savoixse
brisa,puiselleseressaisit,…étaitunamidemonmari.Ilsemblaitplusinquietquelesautres,etilm’asuggérédechoisirunpatronymetotalementdifférent.—C’estcequetuasfait?luidemandaWade,brusquement.Maispeut-onétablirunlienentreton
nomactueletl’ancien?Corysemorditlalèvre.—LeprénomdemamèreétaitCory.Etsonnomdejeunefille,McFarland.WadescrutaGageduregard.—Ilpeutrassemblercesindices,maintenantqu’ilsaitoùlatrouver.Gageacquiesça.—Bientropfacilementàmongoût,maisàconditionqu’ilprennelapeinedelefaire.—Pourquelleraisons’enpriverait-il?interrogeaCory,dontlecœurbattaitencoreàtoutrompre.—Parceque,àsupposerquecetypesacheoùtues,ilimagineprobablementqu’ilpossèdetoutes
lesinformationsdontilabesoin.Jenepeuxpasliredanssespensées,Cory.Jesaissimplementqu’ilfautprendrecertainesmesures.—Dequoiparles-tu?Tucomptesprévenirlesmarshals?Ilsecoualatête.—Pourquoileferais-je?S’ilnes’agitpasd’unecoïncidence,nouscollaboronsavecunservicequi
a déjà communiqué des informations confidentielles à ton sujet. Ce sont bien les derniers quej’appellerais.Saufsic’estcequetuveux.Coryfitnondelatête.—Horsdequestion.Jeneveuxpluscourirdevilleenville.Jen’enaipluslaforce.Sonâmesemblaithurlerqu’uneautrefuiteenavantlabriseraitàtoutjamais.Elleserralespoings.LevisagedeGagesedétendit.
—Mêmepaspoursauvertavie?—Dequellevieparles-tu?Sijenemebatspasaujourd’hui,jeneleferaijamais.Jesuisépuisée
d’êtresanscesseeffrayéeetderegarderàchaquepaspar-dessusmonépaule.Cetypeestunmeurtrier,etjesuislaseuleàpouvoirlefairemettreenprison.S’ilm’aretrouvée,ehbien,qu’onenfinisse.Jenepeuxplus…vivredecettemanière.C’estassez.—Trèsbien.Gageseleva.— Je n’appellerai pas lesmarshals pour le portrait-robot du tueur. Je vais t’envoyer une artiste
localequis’enchargera.ElleferaaussiceluidutypequeWadearepéré.Celateconvient-il,Cory?—Absolument.Sonchoixétaitfait.Elleallaitsedéfendre.Contretouteattente,cettedécisionl’apaisa.Cetteséréniténedureraitprobablementpas,maiscela
luifitunbienfou.— Je ne supporte plus de laisser cet homme gâcherma vie, ajouta-t-elle, son regard passant de
WadeàGage.Ethonnêtement,jen’aipasvraimentvécu,cetteannée.Alorsfinissons-en,d’unemanièreoud’uneautre.LaportraitisteenvoyéeparGagenecorrespondaitpasàl’idéequeCorys’étaitfaited’elle.Esther
Nighthawkétaitunejolierousseaffectionnantlesjupeslonguesetquisedéplaçaitavecl’aided’unecanne,uncarnetàcroquissouslebras.—Voussavez,jefaisçapourrendreservice,expliqua-t-elleàCory,alorsquecelle-cil’invitaitàla
suivredanslacuisine,oùelleauraitunetablesurlaquelletravailler.Jesuisaquarellisteàtempsplein,reprit-elle,maisj’aimedonneruncoupdemainaushérifenréalisantcesesquisses.Elle s’assit en facedeCoryetouvrit soncarnet àunepagevierge.Elle tiraensuiteuneboîtede
crayonsàdessindugrandsacentissuqu’elleportait.—J’auraisaimévousrencontrerplustôt.Maismonmarietmoivivonsdansunranch,carilélève
desmoutons,etjenevaisenvillequedeuxfoisparmoispoureffectuerdesachats.Oulorsquel’undenosenfantsabesoindes’yrendre.—C’estlegenredeviequimeplairait,déclaraCory,rêveuse.—J’ensuissûre,réponditEsther,dont leregardsemblas’adoucir.Maviearadicalementchangé
depuismarencontreavecCraig.Autrefois,jepassaisleplusclairdemontempsàmecacher.—Aquoivouliez-voustantéchapper?—Alavie.J’étaispersuadéequemonartétaittoutcequicomptait,maisj’étaissurtouteffrayéepar
toutuntasdechoses.Névroséeseraitunqualificatifquimedécrivaitbienàcetteépoque.—Etmaintenant?—J’appréciechaqueminutedechaquejour.Estheravaitponctuésadernièrephrased’unsourire.—Alors,êtes-vousprêteàm’aider,pourdresserleportrait-robotdel’hommequisembleinquiéter
Gage?—Oui,enfin,jevaisessayer,réponditCory.
—Danscecas,vousparlez,etjedessine.Coryfermalesyeuxuninstant,tentantderaviverlesouvenirdel’hommequiavaittuéJim.—C’estdifficile.Sonvisagesembledevenirfloulorsquejemeconcentresurlui.—Jesais.C’est la raisonpour laquellevousnedevezpas insister.Commencezparundétail. Je
l’esquisserai,etvousmedonnerezvotreavis.Cequivousplaît,etcequinevousconvientpas.Çavaaller,faites-moiconfiance.C’estcequefitCory.Elledécrivitlaformeduvisagedumeurtrier,etaprèsquelquesrectifications,
elles parvinrent à un résultat satisfaisant. Elles passèrent ensuite au nez, pour lequel seules troiscorrections furentnécessaires.Petit àpetit, l’image seconstruisit, et comme l’avaitpréditEsther, ilétaitplusaisédepointercequin’allaitpasplutôtquededonnerunedescriptionexactedecedontellesesouvenait.Unedemi-heureplus tard,ellese trouvait faceàunvisageétrangementfamilier,qu’elleauraitété
incapabledefairesurgirdesamémoiredemanièreaussiexacte.—C’estbienlui,conclut-elle.Vousnepourriezpasêtreplusprochedelaréalité.Estheracquiesça,ensouriant.—Cen’estjamaisaussidifficilequelesgenslecroient.—C’estparcequevousêtesuneartistetalentueuse.Wade les rejoignit, et avec l’aide de Cory, ils parvinrent à esquisser le portrait de l’homme
rencontréausupermarché.— C’est incroyable, commenta Cory en scrutant le second dessin. Je croyais l’avoir totalement
oublié,maisc’estbienlui.—Vousêtestrèsdouée,ditWadeàEsther.Ellesemitàrire.—Continuezàflattermonego.Iln’enajamaisassez.Ellecommençaàrangersescrayons.—Pourquoineviendriez-vouspasdînerauranchunsoir?Celanouspermettraitdefaireplusample
connaissance,et,quisait,peut-êtreunjourpourrez-vousmemettredanslaconfidence,etmeraconterdequoiils’agit?—Ceseraitavecplaisir,réponditCory,aveclafermeintentiondetenirparole.Sonbesoindecréerdesliensdanscettevillesemblaitdevenirobsessionneldepuisquelquesjours.
Commesidessignauxd’alarmes’étaientdéclenchésdanssonesprit,luiindiquantquesiellecontinuaitsurlamêmelancée,elleferaittoutaussibiendemourir.Elleressentaitégalementundésirdesefairedenouveauxamis,etdereprendreunevienormale.Celarisquaitdel’obligeràaffronterdesdangers,telsceuxdontellesecachaitdepuisplusd’unan.Arrivée à la porte d’entrée, Cory salua Esther, avant de reculer pour laisser àWade le soin de
raccompagnerl’artistejusqu’àsavoiture.—Enferme-toi,etréactivel’alarmelorsquejeseraisorti,luimurmura-t-ilenpassant.Jevaisaller
inspecterlesenvirons.Elle suivit ses instructions, puis alla s’asseoir dans le salon, afindepatienter jusqu’à son retour.
Commentavait-ellepusurvivreunandansuntelétatdeprostration?Dansl’attented’uneapocalypsequi n’arrivait jamais, trop effrayée pourmener un semblant de vie normale, s’efforçant de devenirinvisible,mêmesursonlieudetravail.Avecuneinébranlablecertitude,ellecompritqu’ellenepourraitplusretourneràcegenredevie.
Elles’étaitlaisséemouriràpetitfeudepuisbientroplongtemps.Ellenelesupportaitplus.Sicelasupposaitqu’elledevaitrisquersavie,ehbien,c’estcequ’elleferait.Waderevintauboutd’unevingtainedeminutes.Ildésactival’alarme,puislaremitenmarcheavant
d’allerlarejoindresurlecanapé.—Tuvasdevenirfouàlier,luidit-elle,lorsqu’ils’assitprèsd’elle.—Vraiment?Pourquelleraison?—Parcequejeviensd’ouvrirlesyeux.—C’est-à-dire?Ellesecoualégèrementlatête.—Cettemaisonestunavant-goûtdel’enfer.J’yresteassisependantdesheures,àm’inquiéter,àme
lamenter,àtremblerdepeur.Tuvasperdrelaboule,enferméiciavecmoi.— Je vois. Ses doigts pianotèrent sur l’accoudoir du sofa. Ça va aller. J’ai passé des journées
entières,enfilature,àattendrequelebonmoment,ouquelacible,seprésente.Jetiendrailecoup.—Moi, jen’enpeuxplus. Jemedemandaiscomment jeparviendraisà rester inactivependantsi
longtemps.—Ah,Cory,luidit-ilplacidement.Nesoispassiexigeanteenverstoi-même.Tuasvécuunchoc
terrible,puistuasétéparachutéeenterraininconnu,oùpresqueriennet’étaitfamilier.Tuavaisbesoindetemps,ettul’aspris.—Tuestrèsindulgent.—Jene faisque t’exposermonpointdevue.Si tuavaisperdu tonmari,maisque tuavaiseu la
possibilité de rester auprès de tes amis et de ta famille, et de conserver ton emploi, tu aurais plusfacilement surmonté ton chagrin. De même que si tu n’avais pas perdu ton conjoint, mais avaisseulementétécontraintededéménager,tasituationauraitétéplusgérable.—Enes-tusisûr?— J’ai pu observer ta transformation au cours des deux derniers jours. Je suis catégorique. Par
ailleurs,jecroisréellementquetudevraistemontrerplusbienveillanteenverstoi-même.Tuasconnudeuxexpériencestraumatisantes.Sanscomptercetueurquicourttoujours.Plusd’unepersonneauraitbâtiuneforteresseautourd’elle,ets’yseraitenfermée.—C’estenquelquesortecequej’aifait.—Regarde-toi.Tuasatteintlestadeoùtuesprêteàallerdel’avant.Cequineveutpasdirequele
tempspasséàpansertesblessuresn’étaitpasjustifié.Elle n’aurait jamais imaginé que cet homme puisse être aussi compatissant. Ou qu’il puisse se
montrer aussi ouvert qu’il l’avait été aujourd’hui. Il lui avait paru si renfermé, si impénétrable, unvéritable roc.Etcependant, toutenressentantcette force incommensurablequi l’habitait, il luiavaitfaitlecadeaudepartageravecellesagentillesseetsabienveillance.Ilsepouvaitqu’ellesoitpasséeàcôtéd’autrespersonnesenquielleaurait trouvédesemblables
qualités,maiselleétait si terrifiéequ’elles’étaitenferméedanssonsilence.Sa frayeurétaitdueenpartie à ce meurtrier qui était probablement lancé à ses trousses, mais aussi liée aux contraintesimposéesparlesmarshals,àleursmisesengarde.Celapartaitd’unebonneintention,ellen’endoutaitpas,maiscommentretrouverunevienormalelorsquetousvosrepèresontétéannihilés?— J’ai eu le sentiment qu’on me dépossédait de ma personnalité, et qu’on m’imposait de
recommencerdezéro,commeunenfantquivientdenaître.Ilhochalatête.—De leur point de vue, c’était lameilleuremanière de procéder.Mais cela ne vous laisse pas
grand-choseàquoivousraccrocher.—D’autresysontpeut-êtreparvenuesplusaisémentquemoi.—Ellesn’ontcertainementpasperduleurmarietleurbébéenl’espaced’uneseconde.Labrutalitédesfaitsluifitbaisserlatête.Elleprituneprofondeinspirationpourtenterderefouler
seslarmes.Ilpassaunbrasautourdesesépaulesetlespressadélicatement.—Dis-toiquetuasfaitdumieuxquetupouvais.—Cen’estpassuffisant.—C’est ce que j’ai cru comprendre. Tu dois considérer l’année écoulée comme une période de
convalescence,ajouta-t-ilauboutdequelquesinstants.Cesblessuressontlonguesàcicatriser.Pendantquetuemployaistesforcesàguérir,toncorpsréagissaitauralenti.Ou,danstoncas,tonespritettesémotions.C’estcequ’onappelleunreposforcé.—Vivredanscetétatdefrayeurn’avaitpourtantriendereposant.—Qu’ensais-tu?Ellesetournaversluipourscrutersonvisage.—L’étatdepeurdans lequel tu t’étaismurée tepermettaitpeut-êtred’échapperàd’autreschoses
plusterrifiantesencore.Ellesesentittotalementdésarçonnée.Ellen’avaitjamaisvuleschosessouscetangle.—Probablement,finit-elleparadmettre.Maismonquotidienn’avaitrienderelaxant.—Aquoiressemblait-il?— J’avais l’impression d’être embourbée dans des émotions abominables, sans échappatoire
possible.—Etmaintenant?—Jevoisuneissue.Jeredoutecequipeutsetenirsurlaberge,celam’effraie.Mais,commejel’ai
dit,jedoism’extirperdecemaraisoujevaisymourir.—Jevaist’aideràregagnerlarive.Il semblait si sûr de lui. Elle aurait aimé pouvoir en faire autant. Mais la vie n’offrait aucune
garantie,et sielleavaitacceptécetétatde faitquelquesmoisplus tôt,elleauraitdéjàcommencéàconstruiresanouvellevie.Or,sielleavaitagidelasorte,elleseraittoutdemêmelà,assise,àcraindrequeletueurnel’ait
retrouvée.Sasituationaurait-elleétéplussimple,sielleavaitnouécesliensd’amitiédontelleavaitsi
enviedepuishier?Pasdutout.En réalité, cela aurait pu lui sembler encore plus angoissant. Et les choses allaient déjà être
suffisammentstressantes.
8
Elle tenta de faire passer le temps en lisant un livre. Wade inspectait la maison à intervallesréguliers,puisrevenaits’asseoirdanslesalon.Elleignoraits’ilregardaitparlesfenêtresous’ilétaitsimplementincapabledetenirenplace.Elle-même trouvait cette situation difficilement supportable. Elle finit par refermer son roman et
levalesyeuxverslui.—Allons-nouspasserlajournéelà,ànerienfaire?Wadeesquissaunsourire,puisvintlarejoindresurlecanapé.—Quefais-tupourt’occuper,d’habitude?—Riendeplusquecela,reconnut-elle.Maisaujourd’hui,j’ailabougeotte.—Jepensequenousdevonsnoustenirtranquilles,jusqu’àcequeGagenousconfirmequ’ilestprêt
àintervenir,sibesoinest.L’attenteesttoujourslapartielapluspénible.Coryfitlamoue,tentantd’imaginercequirisquaitdeseproduire.—Tusais,déclara-t-elle,cetueurn’apaseupeurdevenirànotreporteaubeaumilieudelanuit,
puisdefairefeusurtoutcequibougeait.—C’estcequej’aicrucomprendre.—Danscecas,qu’est-cequil’empêchedereproduirecescénarioici?— Rien, si ce n’est que je suis « l’inconnue » dans son équation. Cela ne le retiendra pas
indéfiniment,maisj’ailaconvictionquecelal’obligeàyréfléchiràdeuxfois.—Queveux-tudire?— Il doit se demander quel type de protection je peux t’assurer. S’il existe un moyen de nous
séparer,afindet’isoler.Maiscela,bienévidemment,n’estvalablequedans lamesureoù il t’auraiteffectivementretrouvée.Ellesoupira.—J’aimeraisenavoirlecœurnet.—Ilyadesmomentsoùilfautagir,etd’autresoùondoitsecontenterderéagir.Parcequenousne
sommessûrsderien.Elleeutunpetitsourire.—Ecoute,j’aipasséuneannéeàmelaisserballotterdanstouslessens,etmaintenant,contretoute
attente,j’aibesoindeprendreleschosesenmain.Quellesqu’ensoientlesconséquences.—Jeconnaisça.—J’ensuispersuadée.Ellebaissalesyeuxverslelivrequ’elletenaitencore.—Jenecomprendstoujourspascequ’ilsontcruaccomplirenassassinantJim.Cen’estpascomme
sicetacteleurpermettaitd’échapperàunprocèsoudevoirlespoursuitesabandonnées.
—Jel’ignore.Ilsontpeut-êtreestiméques’ilsabattaient leprocureur, legouvernementauraitdumalàluitrouverunremplaçant.L’intimidationestleseulmobilequimevientàl’esprit.—Jedoutequelasuiteleuraitdonnéraison.—Maistun’enaspaslacertitude?Ellesecoualatête.—Jimnemeparlaitpasdesesdossiers.Iln’enavaitpasledroit.Cequifaitque,mêmesijelisais
lapresseousijeconsultaislesregistresdestribunaux,jeseraisincapabledetrouverdequelleaffaireils’agissait.—Maistusaisqu’ilmenaituneenquêtesurunréseaudetrafiquantsdedrogues.—Oui,mais il n’était probablementpas le seul procureur à travailler surune affaired’une telle
envergure.Dansunsens,ilestrageantdenepastenirpouracquisquesonenquêteapermisdemettreces malfaiteurs derrière des barreaux, mais en même temps… Elle haussa les épaules. Quelledifférencecelaferait-il?Celanechangeraitrien,nipourmoi,nipourJim,nipournotrebébé.Il passa une main sur sa joue, l’obligeant à tourner son visage vers le sien et l’embrassa
délicatement.—Jesuissincèrementdésolé.Sicebaiseravaitpourbutde laréconforter,soneffets’avérabeaucouppluspuissant.Elleaurait
aiméluifairecomprendrequ’ilavaiteulafacultédechasserdesonesprittoutessespréoccupations.Etdirequ’iln’avaitpascherchéàlerendresensuel!Elleeutlesoufflecoupéenreconnaissantl’éclatquibrillaitdanssesyeuxsombres.Ellen’étaitpas
laseuleàressentirdudésir,loindelà.Cependant,ilnecherchapasàl’emmenersurcechemin.Cette attirance qu’elle ressentait pour lui lui faisait tourner la tête, au point où elle n’eut plus
consciencederien,misàpartcethomme,etlachaleurquilagagnaitdanstoutsonêtre.Ilyavaitquelquechosed’incroyableàémoustilleraussifacilement,etsirapidement,unhommeàla
foissipuissantetsiréservé.C’étaitpeut-êtreleseulmoyenqu’ilconnaissaitpourcréerunlienavecquelqu’un.Ilréagissaitprobablementdemanièresimilaireavectouteslesfemmes.Elles’enmoquait.Ellesavaitcequ’ellevoulaitetelle l’avaitàportéedemain.Ellelutdansses
yeuxqu’ilpartageaitsonenvie.Avantqu’elleserendecomptedesongeste,elleavaitcommencéàdéboutonnerlachemisedeWade.
Illalaissafaire,toutenladévisageantavecintensité.Lorsqu’elleenécartaenfinlespans,elleadmirasontorse.—Commetuesbeau!murmura-t-elle.Elle posa ses paumes sur sa peau douce et chaude, puis fit courir sesmains sur les creux et les
pleinsdessinésparsesmuscles,sedélectantdessensationsquil’envahissaient, toutautantquedelanonchalanceaveclaquelleillalaissaitexplorersoncorps.Jusqu’àcequesarespirationparaisseplussaccadée.—Est-cevraimentcequetuveux?luidemanda-t-il,lesoufflecourt.—Oui.Elleavaitàpeineprononcécemot,qu’illasoulevadanssesbraspuissantspourlamenerjusqu’àsa
chambre.
—Cettefois,jenem’arrêteraipas,laprévint-il.Pasdedemi-mesure.—Çameconvient.—Alors,pasdequartier,conclut-il.Ellen’étaitpascertainedesaisirlemessage,maiselleaussivoulaitallerjusqu’aubout.Illadéposasursonlit,danscettepièceplongéedanslasemi-pénombre,etsetintau-dessusd’elle,
commeunestatuegrecque,imposante,indestructible,etdotéed’uneforceetd’unepuissancepresqueirréelles.Ilabandonnasachemisepuisdéfitsaceinture.Elleregardait,avecunefascinationmêléededésir,lafermetureEclairqu’ilfaisaitdescendretrès
lentement.—Ilestencoretempsdereculer,luidit-il.Elleluirenvoyalemotqu’ilaffectionnaittant.—Non!Sonregard,jusque-làhypnotiséparlabraguettedeWade,remontajusqu’àsonvisage,surlequelse
dessinaitunsourireamusé.Ilavaitlesyeuxmi-clos,maissonexpressionsemblaits’êtredurciesouslecoupdudésir.Ilretiraseschaussures,puis,d’unmouvementleste,sedébarrassadesonpantalonetdesessous-
vêtements.Lorsqu’ilseredressa,ils’offraitnuauregarddeCory.Son corps était magnifique. MêmeMichel-Ange n’avait jamais sculpté un corps d’homme aussi
parfait, songea-t-elle. Elle n’avait pas non plus souvenir d’unApollon doté d’une telle érection. Sigrosse,sidure.Lavisiondecesexequiladésiraitaccrutplusencoresondésir.Sarespirationsefithaletanteetelle
sentitunechaleurextrêmel’envahir,entresescuisses.Wade ladéshabilla, avec impatiencecette fois, jetant sesvêtementsauxquatrecoinsde lapièce,
jusqu’àcequ’ellesoitcomplètementnue. Il ladévoradesyeux, luidonnant l’impressiond’êtreà lafois totalement vulnérable, mais diablement belle. Personne ne l’avait jamais regardée de cettemanière,pasmêmeJim,commesi elleétait la femme laplusdésirableaumonde.Son regard suffitpourqu’ellesentesestétonsdurciretsonsexevibreraupointd’endevenirpresquedouloureux.Acetinstant,sesinstinctsrefirentsurface.Toutlerestedisparut.Plusriennecomptait,misàpartcet
hommeetcemoment.Elleremarquaàpeinequ’ilavaitutilisécesquelquessecondespourenfilerunpréservatif,carelleétaittropenvoûtéeparsesyeux,quiparcouraientsoncorpscommeunecaresse.Ils’allongeasurelleetl’enveloppadesesbras,puissejetasursabouche,l’embrassantavecune
tellepassionquelamartèlementaufondd’elledoublad’intensité.Ilsemitàluipétrirlecorpsavecunmélangedechaleuretdedésirqui luifaisaitpresquemal.Chacundesesgestesmontraitcombienilavaitenvied’elleet,lecielenétaittémoin,elleenavaitterriblementbesoin.LeslèvresdeWadeserefermèrentsursonmamelon,envoyantdesvaguesdeplaisirjusqu’auplus
profond d’elle. Sa main se promena sur la peau satinée de sa hanche, avant de plonger entre sescuisses,enquêtedesachaleuretdesamoiteur.Elleétaitprisedansune tempêteà laquelleellenesouhaitaitpaséchapper.Cequ’iltouchaitdevenaitsien,entoutelégitimité.Ilrelevalatête,etmurmurad’unevoixrauquedesencouragements,tandisquedesesdoigts,illui
faisait atteindre des sommets de plaisir.Trop rapide, se dit-elle, en proie au vertige,mais ce légerreproches’estompatandisqu’elleapprochaitdel’abîme,qu’ellesentaitimminent.—Tuessidouce,chuchota-t-ilàsonoreille.Etellesentituneautrevagued’excitationlasubmerger.Lorsque,cherchantàs’agripperàquelquechose,ellelabouradesesongleslapeaudeWade,illui
saisitlesmainsetluienroulalesdoigtsautourdesvolutesmétalliquesdelatêtedelit.Il luiécarta lescuisses.Haletante,maisrésistantautantqu’elle lepouvait,elle levalesyeuxvers
lui.Sasilhouetteimmenseetimposantesedécoupaitdanslapénombre.Ellen’auraitjamaisimaginé,nimêmerêvé,qu’unechoseaussirenversantepuisseluiarriver.Chaquecelluledesoncorpslesuppliaitdelameneràl’extase,enréponseàl’élancementquis’étaitréveillédanssoncorps.Ileffleuradélicatementsonsexe,écartant les lèvrespouratteindresonclitorisqu’ilcaressaavec
milleprécautions,luifaisantatteindredesdegrésdeplaisirsuccessifs,jusqu’àlatenirsuspenduedanscetteexquisedouleuroùellecriaitpresquesonnom.Ilglissaunbrassousseshanches,l’attirajusqu’àluietlapénétra,semblantcomblerunvidedont
elleavaitoubliél’existence.Achaquemouvementdesonbassin,ellesesentitapprocherduprécipice.Ellelâchalatêtedelit,
enfonçantsesdoigtsdanssachairdouceetmusclée,etl’attiracontreelle.Ellevoulaitsentirsonpoidssurelle.—Laisse-toialler,murmura-t-ilàsonoreille.Puis,d’unpuissantcoupdereins,illafitbasculerdansl’abîme.Uninstantplustard,sonvisagese
contractaitalorsqu’illarejoignait.Corypensaquel’explosionquivenaitdeseproduireenellenefiniraitjamais.Ilsrestèrententremêlés,épuisés.Coryseditqu’elleétaittroplasseetrassasiéepourquelemoindre
soupçondepeurnepuisselasaisir.Ellevenaitdedécouvrirlemeilleurremèdeaumonde.LorsqueWadevouluts’écarterd’elle,ellel’attrapaparlesépaules,craignantqu’ill’abandonne.— Je reste là, dit-il. Il se glissa à côté d’elle et s’allongea sur le dos, la respiration encore
saccadée.L’airparaissait frais sur leurpeauchaudeetmoite,unautrecontrastedélicieux. Ilsavaientgrand
besoin de fraîcheur, mais elle supportait mal de ne plus sentir la peau deWade contre la sienne.Lorsqu’elle tendit une main dans sa direction, il la saisit immédiatement. Lorsqu’elle la pressalégèrementdesesdoigts,illaluiserraunpeuplusfermement.—Pourquoilavieneressemble-t-ellepastoujoursàça?demanda-t-elledoucement.Dèsquecesmotspassèrentseslèvres,ellecompritquelaréalitéreprenaitsesdroits,etqu’iln’y
avaitaucunmoyend’yéchapper.—Sic’étaitlecas,nousneferionsriend’autre.Ellefutsurprisedelanoted’humourdanssavoix.Ellesetournaversluietluisouritleplusnaturellementdumonde,commeellenel’avaitplusfait
depuiscesquinzederniersmois.—Serait-cesigrave?Ileutunpetitrire.
—Absolumentpas.Elletenditlebrasetparcourutdudoigtsontorse,avantdedescendrejusqu’àsonbassin.Sonsexe
réagitimmédiatement.—Jen’auraispasdemalàm’yfaire,déclara-t-elle.—Dequoiparles-tu?—Det’avoirtotalementàmamerci.—Ah!D’unmouvementpreste,sisubitqu’illapritparsurprise,illafitroulersurledoset,emprisonnant
sesjambesentrelessiennes,sesyeuxsombresplongèrentdanslessiens.—Quidomineraitqui?demanda-t-il.Corysentitunsourireamuséluimonterauxlèvres.—Peuimporte,d’unemanièreoud’uneautre,celameconvient.—Bien.D’undoigt, il traçadescerclesautourdesesseins,puislelaissaglissersursonventre,lafaisant
frissonnerdelatêteauxpieds.—Ceseraàtourderôle.—Bientôt?—Oui,luiassura-t-ilavecunsourire.Maispeut-êtrepastoutdesuite.Ellesoupira.—D’accord.Ilsepenchaverselleetbalayasabouched’unbaiser.—Jenedemanderaispasmieux,Cory.MaisGagevacertainementappelerd’icipeu.Ellen’avaitaucunargumentàluiopposer,endépitdufaitqu’elleauraitaimérepoussercesombres
auxconfinsdesonesprit.C’estvraiqu’il leur faudraitaffronterdesdangers,demanièresansdouteimminente, mais elle éprouva du ressentiment, une sensation qui lui était inconnue jusqu’alors.Auparavant,elleétaitsubmergéeparlapeuretlechagrin,nelaissantdeplaceàaucunautresentiment.—J’aidumalàl’accepter,annonça-t-elle.Puis,aussitôt,elleregrettasesparoles,lorsqu’ileutunmouvementderecul.Elleallaitdroitversun
malentendu.—Rienàvoiravectoi,précisa-t-ellehâtivement.Jemesensbienpourlapremièrefoisdepuisdes
lustres,etmaintenantjedoispenserà…à…—Jecomprends.Ilrevintverselleetposaunbaiserdélicatsurseslèvres.—C’étaitsiaffreuxqueça?luidemanda-t-elle,toutencaressantsescheveuxcourts,tandisquesa
jouereposaitsursapoitrine.—Dequoiparles-tu?—Detonenfance.Ilseraiditsubitementetneréponditrien.Elleretintsonsouffle,laissantlessecondess’égrenerune
àune,sedemandantsielles’étaitaventuréetroploin.Celanelaregardaitpas,etellelesoupçonnait
derechigneràavouersavulnérabilité,endépitdecequ’illuiavaitconfiéautourd’unetassedecaféauxpremièreslueursdujour.—Pisencore,finit-ilparrépondre.J’aipassépasmaldetempsenfermédansunplacard.Etmon
pèreprenaitgrandplaisiràmefouetteravecsaboucledeceinture.—Quellehorreur!—J’aisurvécu.—Mais…Ilposaundoigtsurseslèvres.—Jesuisencorelà,déclara-t-ild’untonferme.Cequinevoustuepasvousrendplusfort.—Tuycroisvraiment?—Oui.Probablement, songea-t-elle. Mais cela ne signifiait nullement que les cicatrices aient disparu,
qu’ellessoientphysiquesoupsychologiques.Cesdernièresétaientclairementperceptibles,neserait-cequedansl’habitudequ’ilavaitdesanscesses’excuser.Commes’ilressentaitlebesoindedevenirinvisible.Puisuneautrepenséeluitraversal’esprit.—Tesens-tucommeunpoissonhorsdel’eaumaintenant,jeveuxdire,sanstescollègues?Ilrelevalatête.—Jeunedame,sivousavez l’intentiondemettremonâmeànu,vous feriezmieuxdeme laisser
choisirlelieuetlemoment.Elle se sentit blessée. Ce n’était pas justifié, mais elle ne put s’empêcher d’être piquée par sa
réponse. Elle savait pourtant que les femmes ont plus tendance à se sentir liées à un homme parcequ’ellesontfaitl’amouraveclui,etelleserenditcomptequel’expériencequ’ilsvenaientdepartagerl’avaitplusmarquéeémotionnellementquelui.Ilsrestaientdesinconnus,aprèstout,dontlesdestinss’étaientcroisésàlasuited’unconcoursdecirconstance,etquin’étaientliésqueparunemenace.Ilavaitcertainementprévudedéménageraussitôtqu’ilauraitréglésespropresproblèmes.Et, denouveau, elle serait seule.Lebon sens lui intimait denepas s’attacher à cet homme.Elle
devaitconsidérer leur intermèdesexuelcommeunsimpleréflexefaceàundangermortel,etriendeplus.Elleauraitdûsemontrerpluscirconspecte.Sejetertêtebaisséedansuneaventureavecunhomme,
pourlaseuleraisonqu’ils’étaitmontrésuffisammentcourtoispournepaslalaissersombrerdanslechaos,étaitdangereux.Ellenesesentaitpascapabledesupporterunabandon,alorspourquoicréerunesituationquilarendaitvulnérable?Elletentadeluisourire,maissonvisagesemblaitnepasvouloircoopérer.—Jedoism’habiller.Gagepeutpasserd’uneminuteàl’autre.—Bonsang!grommela-t-ilenroulantsurledos.Elleluijetaunregardetremarquaqu’ilfixaitleplafond.—Qu’ya-t-il?—Jet’aivexée,etcen’étaitnullementmonintention.Elleressentitunnouveaupincementaucœur,maispourlui,cettefois.
—Non,cen’estrien.C’estunréflexetypiquementféminin,des’attendreàdesconfidencesaprèsunmomentcommecelui-ci.Jedevraislesavoir.Iltournalatêtedanssadirection.—Moiaussi,jedevraislesavoir.Jem’excuse.Ilsortitdulitetentrepritderassemblersesvêtements.IldéposaceuxdeCoryàcôtéd’elle,enfila
lessiensprestement,puisquittalapiècesansmêmeavoirprisletempsdeboutonnersachemise.UnelarmechaudecoulasurlajouedeCory.Elleavaitessayéd’établirunliendeconfianceavec
lui,maiselles’étaitmontréeplutôtmaladroite,etsemblaitavoirmalchoisisonmoment.D’ailleurs,pourquoiunhommes’attacherait-ilàelle?Ellen’étaitplusquel’ombreterrifiéedela
femmequ’elleavaitété,unecarapacevidedontpersonnenevoudrait.Elleauraitdûlesavoir.Danslacuisine,Wadeétaitfurieuxcontrelui-même.Ilpréparaitducafé,boissonquil’avaittoujours
revigoré lors des épreuves les plusmarquantesde sa vie, et qu’il avalait commepar réflexe, de lamême manière que certaines personnes réclameraient une tasse de thé ou une couverture pour seréconforter.Ill’avaitsiroté,brûlantetépais,àbordd’unnavire.Parfoisinstantané,mêléàuneeaupratiquement
insalubre.Oul’avaitbuclair,préparéàpartirdequelquesmarcsqu’ilavaitdûréutiliser.Peuimportaitlegoût,tantqu’ilpouvaittenirunetasseserréeentresesmainsetytrouverunpeuderéconfort.Ilavaiteubeausefixerdes limites, il lesavait finalementfranchies ; ilavait fait l’amouràcette
femme.Etmêmes’ilavaitclairementexposé,àlui-mêmetoutautantqu’àelle,qu’ilétaitincapabledetisserdevéritablesliens,ilavaitaccomplilegesteleplusàmêmed’encréerunentredeuxpersonnes.Ilavaitfaitcepasdetrop,avaitébauchéunerelationavecelle,toutensachantqu’ilseraitincapable
delanourrir.S’ilpossédaitungrammedebonsens,ilymettraitfinsanstarder,boucleraitsesvalisesets’eniraitavantdeluifairedavantagedemal.Maisilenétaitincapable,tantquecettemenaceplanaitsurelle.Oui,ilétaitpersuadéqueleshérif
etsabrigadegarderaientunœilsurelle.Et,non,iln’avaitpasunegohypertrophié.Malgrétout, ilgardaitàl’espritquemêmelefilet leplusserrédumondedemeuraitunepassoire,
carilétaitillusoiredechercheràenboucherchaqueinterstice.AmoinsqueGagenechargel’undesesagentsdesurveillerCoryvingt-quatreheuressurvingt-quatre,cequiétaitpeuprobable:eneffet,ils’agissaitd’unpetitcomté,etGagenedisposaitcertainementquedupersonnelluipermettantdefairefaceaux interventionsde routine. Il fallaitdoncquequelqu’und’autreassure laprotectiondeCory.Unepersonnecapablederéagiràcetypedemenace.Lui.Même si des agents locaux avaient suivi une formation similaire à la sienne, il craignait qu’ils
n’aientplusl’expérienceduterrain.Ilavaitpeineàimaginerqueleursréflexessoientrapidesaupointqu’uneombresemouvantdansleurchampdevisionprovoqueeneuxunepousséed’adrénaline.Cetentraînementnes’oubliaitpasfacilement,maislemanquedepratiquevousrendaitmoinsréactif.
N’était-ced’ailleurspasdanscebutqu’ilétaitvenuici?Cequi faisaitde lui lepluspromptet leplus impitoyabledes sales typesducoin. Iln’allaitpas
passersonchemin.Quedevait-ilfaireausujetdeCory?Elleavaitnaturellementconsidéréquefairel’amourensemble
lesavaitrapprochés,et,pourêtrefranc, ilavaitplusoumoinspartagécetteimpression.Rienàvoiraveccesfemmesquin’avaientpourobjectifquedecoucheravecunagentdesforcesspéciales.Coryétaitdifférente,toutcommel’expériencequ’ilsvenaientdevivre.Iln’étaitd’ailleurspastrèsfierdesamanièredefaire,ils’étaitmontrébrusqueetpressé,etétait
complètementpasséàcôtédesfiorituresromantiquesqu’elleméritaitamplement.Il s’était laissé submerger par le désir comme jamais auparavant, mais il avait voulu s’assurer
qu’elle avait la possibilité de lui dire non…et s’était laissé aller à son désir dès qu’elle lui avaitdonnélefeuvert.Ensuite,elleavaitessayédeserapprocherdelui.Certainementpourseprouverqu’elleétaitàses
yeuxdavantagequ’unfantastiqueobjetsexuel.Nomdenom!Ilappuyasonfrontcontrelafaçaded’unplacardmural,attendantquesoncafésoit
prêt,ensedemandantcommentilétaitparvenulà.Celaluiressemblaitbien.Ils’étaittoujoursplusoumoinssentihandicapéparrapportauxrelations
humaines.Lesseulslienssolidesqu’ilavaittissésluiavaientprisdesannées,étaientfondéssuruneexpérience commune et une confiance absolue, et avaient toujours été établis dans le cadre de sontravail.AvecCory,ilneconnaissaitpaslesrègles,étaitdépourvudemoded’emploi,etilavaitpourobjectifdelagarderenvieletempsdecomprendrequeldangerplanaitsurelle.Il ignorait comment s’y prendre. La seule chose dont il était sûr était que Cory, sur le plan
émotionnel,étaitaussifragilequ’uneporcelaine.Ilvenaitprobablementdeprovoquerunecraquelure.Ilméritaitunebonnegifle.—Wade?appelaCory,d’unevoixhésitante.Ellesetenaitsurleseuildelacuisine.Ilfermalesyeuxaussifortqu’ilput,cherchantàcontrôlerla
colèrequ’iléprouvaitcontrelui-même.—Oui?parvint-ilàrépondre.—Jetiensàm’excuser.Jen’auraispasdûteposercettequestion.Il se retourna vivement pour se retrouver face à elle. Elle était rhabillée, et son regard semblait
perdudanslevide,éteint.Elleluiprésentaitdesexcuses,alorsqu’àcausedelui,cetairaffligéétaitréapparusursonvisage.—Bonsang!s’écria-t-il.Ellesursauta.—Jevaistelaissertranquille.—Non!Ellehésita,etcroisa lesbrassursapoitrine,commesielle ressentait lebesoinde s’accrocherà
quelquechoseoupourêtresûredenepassebriserenmillemorceaux.—Pourquoi,non?—Assieds-toi.Resteavecmoi.Il lui fallut une éternité avant qu’elle se décide à faire un pas en direction de la table et qu’elle
s’assoieenfin,lesbrastoujoursserréautourd’elle.Illuitournaledos.
—Jesuisvraimentnul,déclara-t-il.Denouveau,ilappuyasonfrontcontreleplacard,soulagéquelecafénesoitpasencoreprêt,car
celaluifournissaituneexcusepouresquiverleregardquipesaitsurlui.—Dequoiparles-tu?—Jetel’aidit.Lesrelationshumaines,lacommunication.Jenesaispasquelestletermeàlamode
encemoment.Letypeassisaufonddubarpendantquelesautresplaisantentautourducomptoir,c’estmoi. Je ne parle pas pour le plaisir, seulement pour aborder les aspects techniques d’unemission.Personnenemeconnaîtréellement,etçamevabiencommeça.—Parcequeçat’évitelesmauvaiscoups.Ungrognementirritéluiéchappa.—Epargne-moilaséancedepsychothérapie.Mêmesituasraison.—D’accord.La cafetière était pleine, et son excusevenait de s’envoler. Il sortit deux tassesduplacard et les
remplitavantdelesposersur la table.Puis ilallachercher labouteilledelait,qu’ildéposadevantelle.Ils’assitàcalifourchonsurlachaiseenfaced’elle,enveillantbienàévitersonregard.Ilnevoulait
plusvoirsonexpressiondésespérée.— Je suis un champ de mines, confessa-t-il. Oui, j’ai subi des violences lorsque j’étais enfant,
commebeaucoupd’autrespersonnes, et celanemedonnepasdroit à un traitement spécial. J’ai fuiaussitôtquejel’aipu,etjemesuisjurédeneplusjamaismeretrouverdanscegenredesituation,oùje serais à la merci de quelqu’un. La marine m’a sorti de l’ornière, tout bonnement, m’a donnéconfianceenmoiainsiqu’unbut.Maisellen’apassudésamorcertoutescesbombes.J’aidoncapprisà les garder enfouies profondément, puisque de toute façon elles n’ont aucune utilité. A quoi bonressasserdesactescommisilyavingtoutrenteans,alorsqu’ilsontcessé?Ellearticulaunson,maisWaden’auraitsudires’ilsignifiaitqu’ellepartageaitsonopinion.—Ce qui compte, conclut-il, est qui je suis aujourd’hui. Combienmon expériencem’a façonné.
Malheureusement, je n’ai jamais côtoyé de personne avec laquelle je n’entretenais pas une relationd’ordreprofessionnel.C’estpourquoijesuisaussimaladroit.—Mmm.Elleneprenaitpasderisques.Maisaprèstout,quepouvait-ilespérer,alorsqu’illuiavaitintiméde
setairetandisqu’ils’épanchait?Ilfinitparleverlesyeuxverselle.Aumoins,ellen’étaitplussurlepointdecraquer.Sonvisage
paraissaitplusserein.— Je ne tiens pas à évoquermon enfance, la prévint-il. Je n’en ressens pas lebesoin. Çam’est
passélejouroùj’aicomprisquesimonpèreseprésentaitdevantmoi,jepourraislebriserd’uneseulemain.Elleopina.—J’aidépassélestadedelapeur,etceluidel’impuissance.Mêmesilacolèreestencoreenpartie
présente.—C’estundébut.
Ellelevasatasseetbutunepetitegorgée.—Toutlereste,c’estmoiquiensuisresponsable,paseux.—Vraiment?—Oui.Ilnelalaisseraitpasleconvaincreducontraire.—Lessouvenirsquimehantentnesontpasliésàmesparents,maisàdesexpériencesplusrécentes.—Dequois’agit-il?—Dechosesquej’aivues,quej’aifaites,ouquej’aichoisidenepasfaire.Sij’avaisuneleçonà
retenirdecesannéesde service, ce serait la suivante :quoiqu’il arrive,onest responsablede sesactes.Lepasséappartientaupassé,etsaseuleutilitéestdemeservird’exemplepourfairemieuxlaprochainefois.Elleinspiraprofondément.—Tuessérieux?—Biensûr.Et lorsquejeregardeenarrière,etquejevois toutcequej’aipréféréesquiver, j’en
accepte les conséquences. J’ai laissé ma vie professionnelle me dévorer, et je n’ai pas essayé dereprendreunevienormale.D’ailleurs,enobservantmesamis,j’ensuisarrivéàlaconclusionquecelan’envalaitpaslapeine.Dumoins,tantquej’étaisenservice.C’estdoncmafautesij’aichoisidenejamaisapprendreàentretenirunerelationquinesoitpasprofessionnelle.—Tuportesuntelfardeausurtesépaules?—Biensûr.C’estmoiquiaipriscesdécisions.—Celadoitt’accabler.Laplupartdesgensreconnaissentaumoinsqueleurpasséaparticipéàla
constructiondeleurpersonnalité.—Jenedispaslecontraire.Maisilmerevientdedéterminerquelrôleilajoué.Jeneprétendspas
nepasêtreleproduitdemonpassé.J’affirmeplutôtquejesuislerésultatdeschoixquej’aieffectuésautrefois.Elleacquiesçalentement,etilsentitsapoitrineseserrerlorsqu’ilvitlevisagedeCoryserefermer
denouveau.—Qu’ya-t-il?luidemanda-t-il.Qu’ai-jedit?Ellesemorditlalèvre.—Jeréfléchisàcequetuviensdedire.Tuesdoncconvaincuque,mêmeétantenfant,tun’étaispas
unevictime?Ilsecoualatêteavecimpatience.—Cen’estpasmonpropos.Acetteépoque,jegéraiscommejepouvaiscequelaviemettaitsur
monchemin,commen’importequelgamin.Etàcetâge,n’ayantpasl’expériencequel’onacquiertplustard,ilestfaciledesecroireunevictime.Maisunefoisadulte,c’estdifférent.Cequineveutpasdirequelesvictimesn’existentpas.Cen’estpascequejepense.—Quelleesttonopinion,danscecas?insista-t-elle,suruntonplusferme.—J’ai laconvictionquenoschoix,et les leçonsquenousen tirons,nousdonnent lecontrôlede
notre vie. Ilm’est arrivé de commettre des erreurs terribles, et j’ai certainement tiré demauvaises
conclusionsàcertainsmoments.Cequirevientàdirequejenepeuxpasenvouloiràcemômequej’aiété,alorsquelaplupartdesdécisionsimportantesquej’aiprisesappartiennentàmavied’adulte.Elleacquiesça,d’unsignedetêtenerveux.—Cory,quesepasse-t-il?T’ai-jeblessée?Cen’étaitpasmonintention.—Non,pasdutout.Cequetudism’amèneàréfléchir.Ilcompritàcetinstantcommentellerisquaitd’interprétersesparoles.—Ilnes’agitpasd’unecritiqueàtonencontre.Jenemepermettraisjamaisdepenserquetun’es
pasunevictime.—Jelesais.C’estseulement…Ilattendit,mais,lorsqu’ellegardalesilence,ill’incitaàs’exprimer.—Jet’écoute.—Jepartagetonavis.Cettepenséemehantedepuisquelquesjours.Cesalaudm’avolémonmari,
monbébé,monanciennevie.Maisjerespireencore.Etqu’ai-jechoisidefaire?Jemesuisenterréeaufondd’untrouetj’aicessédevivre.Jeluiaipermisdemedéposséderdemonespérance.—N’importequoi!Il ne pouvait en supporter davantage. Il se leva si brusquement qu’il en renversa sa chaise. Il
contournalatable,vintseplanterdevantelleetlasoulevadesonsiège,l’emportantdanslesalon,oùils’assit,ellesursesgenoux.—C’estfaux,luimurmura-t-il,enlaserrantdanssesbras.Tun’asrienfaitdemal.Toutlemondea
besoindetempspourpansersesblessuresavantderepartiraucombat.Cetempst’étaitnécessaire,jenecesseraijamaisdetelerépéter.Sitajambeavaitétéemportéeparunobus,tucroisquetuauraispuéchapper à la chirurgie et à la rééducation ? Certainement pas. J’essaie de t’expliquer que je suiscoupableden’avoir jamaisappris lesrèglesdelaviesociale.Denepassavoirparlerauxfemmes.D’êtreincapabledenouerdesliensaffectifs,oudem’ouvrirauxautres.—Aucontraire,répliqua-t-elled’unevoixbrisée,jetrouvequetutedébrouillestrèsbien.—J’aiencoredesprogrèsàfaire.Jet’aifaitdelapeineàdeuxreprises,enmoinsd’uneheure.J’ai
eulamainunpeulourde.Ellel’agrippaparlachemise.—Ecoute-toiparler.Tumetrouvestoutuntasd’excuses,maisaucunenes’appliquelorsqu’ils’agit
detoi.Réfléchisàcela,Wade.Ceuxquitefaisaientsouffrirsontsortisdetavie.Etcommentréagis-tu?Tuteflagellesàleurplace.Il devint subitement si silencieux, immobile, qu’elle sentit l’angoisse la gagner.Venait-elle de le
provoquerunefoisdeplus?Elle se raidit, s’attendant à ce qu’il s’emporte et la rejette, avant de boucler ses valises
définitivement.Ellelesentitsedétendrepeuàpeu.—Tuaspeut-êtreraison,finit-ilparadmettre,d’untonbourru.—Tuaffirmesn’êtrel’amidepersonne,maisas-tudéjàessayé?Tut’ensorstrèsbienavecmoi.—Maisjet’aiblessée.
—Etalors?Celafaitpartiedujeu.Lesgensseheurtent,maistantquecen’estpasintentionnel,çava.Jenepensepasquetucherchaisàmefairesouffrir,jemetrompe?—Biensûrquenon.—Alorstoutestréglé.Çaarrive.Ellesoupira.Crois-tuquemonmariageavecJimétaitparfait?Il
nousarrivaitdenousdisputer.Etdenousblesser.Leplusimportantestdesavoirpardonneretoublier.C’estainsiquel’onconstruitunerelation.Ilysongeaunlongmomentetseditqu’elleserévélaitparfoisbienplusmûrequelui.—Avecmoi,ilfaudraitavoirunepatienceàtouteépreuve.—Mêmechosepourmoi.Elleremuasursesgenouxetposasatêtecontresonépaule.—Nousavonstousnospointsfaibles,Wade.Lavieestainsifaite.Etlorsqu’ellenoussoumetàdes
épreuvesterribles,ildevientdifficiledevivrenormalement.—Pourmoi,leschosesontempirécesdernièresannées.Ilenconnaissaitpertinemmentlacause.—Lesancienscombattantssonttousàlamercidesouvenirsquileshantent,poursuivit-il.Unbruit,
uneodeur,unpaysage.Parfois,unsimplemotlesfaitresurgir.Jet’aiexpliquéquejenetenaispasenplace.Cen’estpasseulementdûàmonentraînement,maisplutôtàmonexpérienceduterrain.—C’est-à-dire?— Combien de temps doit-on se tenir au bord du gouffre avant que cette manière de vivre ne
deviennelaseulequiparaissenormale?Tucroispouvoirdécompresserparcequeturentrescheztoi,loinduchampdebataille?Beaucoupd’entrenousboivent,carc’estleurseulmoyendesedétendre.D’autresviventdansl’angoissepermanentequ’undésastreestsurlepointdeseproduire,etilssontincapablesdelaisserretomberlapression,neserait-cequ’uneminute.Elleacquiesçad’unpetitsignedetête.—J’aivécuunpeuplusd’unancommeça.Et toi, toute tavie.Dansl’insécurité,persuadéqu’un
malheurvatetomberdessus.—Oui,c’estcequimerendsiimpulsif.Ilsoupira,ignorantlesraisonsquilepoussaientàs’épancherdelasorte,etnesachantpasceque
cettediscussionluiapporterait.Ilespéraitqu’elleavaitsaisisonmessage,etqu’elles’éloigneraitdeluitantqu’ilenétaittemps.Aumoins,laprochainefoisqu’ilsemontreraitmaladroitdanssesgestesousesparoles,ellecomprendraitqu’ilnecherchaitpasàluifairedelapeine.Endépitdecela,ilsavaitqu’illablesseraittôtoutard.D’unemanièreoud’uneautre,ilpasseraiten
mode auto-défense, et une fois passé ce point, il risquait de considérer que l’attaque constituait lameilleuredéfense.—Tudoismecomprendre,dit-ilbrusquement.Illefaut.—Dequoiparles-tu?—Meprotégerestdevenuunautomatisme.Quellequesoitlanaturedelamenace.Elleinclinalégèrementlatête,etilcompritqu’elleétaitentraindel’observer.Ilrefusaitdecroiser
sonregard.Qu’ellelisecequ’ellepouvaitdanslafossettedesonmenton,ilneluiendévoileraitpasdavantage.Pasmaintenant,etpeut-êtrejamais.
—D’accord,conclut-elle.Tuteprotèges,etc’estlégitime.Illaissaéchapperungrognementd’irritation.—Tucomprendscequecelaimplique?—Probablementpasdanslesmoindresdétails,maisj’aisaisilesgrandeslignes.Il appréciait l’assurance qu’avait prise sa voix, même s’il n’y croyait pas trop. En dépit des
malheursqu’elleavaitsubis,etmêmesilerécitqu’elleluienavaitfaitfaisaitfroiddansledos,ilnepouvait imaginerqu’ellesoitpréparéeàaffrontercequirisquaitdeseproduiresouspeu.Etellenesoupçonnaitpasdequoiilétaitcapable.Mais lui le savait. C’était la malédiction des agents des forces spéciales. Vous connaissez vos
limites,etpireencore,vousvousrendezcomptequevousn’enavezpasbeaucoup.Lamissionavanttout.Etparfois,leseulobjetdelamissionétaitd’ensortirvivant.Celanesignifiaitpasqu’ilavaithontedelui-même,maisplutôtqu’ilseconnaissaitsousunangle
que laplupartdesgensn’explorent jamais, car rienne lesoblige à sonder lesprofondeurs lesplussombresdel’âmehumaine.Ets’ilsensontdispensés,c’estgrâceàdestypescommelui.Quantàceuxqui s’y aventurent, ils évoluent dans unmonde cauchemardesque, ayant perdu au passage toute leurinnocence.Ceuxquireviennentdeceslieuxmaudits,decestréfondsducœuretdel’âme,sont transformésà
toutjamais,carilsuffitdejeterunseulregarddanscetabyssepourqu’ilvousengloutisse.Ellepensait lecomprendre.Sansblague!Parcequ’elleavaitvucetueur,cettenuit terrible.Mais
elleétaitbienloinducompte,carvoirn’estpasfaire.Parfois,unepersonnecommeCorypercevaitlalueurlointainedecegouffre.Lesgarscommeluiypénétraient,s’yfondaient.Età leur retour, seuls leurscompagnonsdevoyage,quiavaient suivi lemêmeparcours,étaientà
mêmedesaisircequiavaitentraînéleurmétamorphose.Commentpouvait-onselibérerdesfantômesdupassé?
9
Gageappelaendébutd’après-midi.Coryallachercherlecombinémunid’unefonctionhaut-parleurdanssachambreafinqueWadepuisseprendrepartàleurconversation.—Bien,commençaGage,touslesagentsontprisconnaissancedesportraits-robots.Tonnomn’est
mentionnénullepart,Cory;j’aiseulementpréciséquecestypesdevaientêtreinterrogésdanslecadred’uneenquêteconcernantunhomicideetqu’ilssontconsidéréscommearmésetdangereux.Coryretintsonsouffleenentendantcettedescription,sanspouvoirexpliquerpourquoi.Commesi
ellenesavaitpasàquelpointilsétaientredoutables.Maislefaitdel’entendredelabouchedeGagerendaitlamenaceplusconcrète.Elleavaitcesséd’êtrepurespéculationetdevenaitréelle.Sentantsoncœurseserrerdanssapoitrine,elleserenditcomptequ’ellevivaitdepuisunandansun
dénicomplet.Oui, elleavait été terrorisée, àunpointqui frisaitparfois le ridicule,maiselleavaitsecrètement espéréque cette éventualité ne seprésenterait jamais.Etmêmeen cemoment, unepartd’ellepersistaitàpenser,«nousnesommessûrsderien».Cequin’étaitpasfaux.Ilsagissaientsurlabasedecoïncidences,etd’unfaisceaudeprésomptions.
Jimavaitcoutumedediredanscegenredecas,«çanetiendrajamaisdevantuntribunal».Gageenavaitcertainementconscience.Pourtant,ilallaitdel’avant,commesiunevéritablemenace
avaitétéproférée.Cequiavaitpeut-êtreétélecas,sil’onprenaitencomptecetappeltéléphonique.Etlefaitqu’unan
auparavantlesmarshalsavaientjugénécessairedelaplacersousprotectionpermanente.Après tout,ilsn’étaientpasdugenreparanoïaque,àinventerdesconspirations.Ellene suivait qued’uneoreille distraite la conversationdeWade etGage.Dès l’instant où elle
avaitsaisiqueledangerpouvaitêtreimminent,elleavaiteulesentimentqu’unesorted’interrupteuravaitétéactionnédanssonesprit.Elles’étaitsentiedenouveauanesthésiée,commevidée.Iln’yavaitcependantplusdeplacepour la peur, nimême la colère.En réalité, l’étincelled’espoir qui l’avaitaniméedepuiscesderniersjoursvenaitdes’éteindre.Iln’yavaitpasd’échappatoirepossible,ilfallaitqu’ellesedébarrasseunefoispourtoutesdecette
menacequiplanaitsurelle.Caléeaufondducanapé,écoutantvaguementcequedisaientlesdeuxhommes,ellepritconscience
dufaitquesavieresteraitaussiternetantquecetueurseraitàsestrousses.Il n’y avait pas de guérison possible, ni d’espoir, aucun avenir. Voilà ce que cet homme et sa
vendettaluiavaientfait.Ilauraitdûl’acheverd’uneballedanslatête.Ellerefusaitderedevenir lafemmequ’elleétaitquelques joursauparavant.Cardepuis,elleavait
reprisgoûtàlavie.Elleavaitconnul’illusiondubonheurentrelesbrasdeWade,etcelasuffisaitàluifairecomprendrequ’ilétaitexcludefairemachinearrière.Quelqu’ensoitleprix.Du fond de cet abîme surgissait une volonté de fer, qu’elle n’avait jamais connue. Lamort était
préférableaumodedeviequiavaitétélesien.Ellenepouvaitpas,etnevoulaitpas,reveniraupointdedépart.Elle n’envisageait pas non plus d’inclure Wade dans ses projets. Il était un homme complexe,
compliqué, torturé, qui était venu ici pour y trouver la sérénité,mais il lui faudrait accomplir cettequêteseul.Toutcommeelledevaittrouversaraisondevivre,parelle-même.Elle refuserait toutebéquille, si ellen’était pas temporaire, car ellesn’étaientpas fiables.Ainsi,
décida-t-elle,sesentantdésormaiscapabledegarderla têtefroide,qu’elleprendraitcesépreuvesàbras-le-corps. Puis elle deviendrait la femme qu’elle aurait dû être. Celle qui adorait son métierd’enseignanteetquimitonnaitdespetitsplatscommesisacuisineétaitcelled’unrestaurantdeluxe.Elledécouvriraitpeut-êtred’autresfacettesdesapersonnalitéenchemin,cellesqu’ellen’avaitpas
pris le temps d’explorer autrefois, parce qu’elle était trop occupée par les objectifs qu’elle s’étaitfixés,puisparJim.Ellepritlarésolutiond’apprendreàseconnaître.Lapremièreétapeconsisteraitàsedébarrasserdecettemenace.Et refuserqu’ellene luivoleun
jourdeviesupplémentaire.Elle ne fit plus l’effort de suivre la conversation qui se poursuivait entre les deux hommes. Les
détailsdeleurplandedéfensen’avaientaucuneimportanceàsesyeux.Cequicomptaitétaitqu’elleallaitaffronterlemeurtrierdesonmari,quitteàylaissersaproprevie.Ilne fallutpas longtempsàWadepour remarquer lechangementqui s’étaitopéré.Elle sentit son
regardpesersurelleaucoursdesheuressuivantes.Elles’enmoquait.Ilpouvaitlascruterautantqu’illesouhaitait.Sielleavaitcraquésurleplanpsychologique,lechangements’étaitavérébénéfique.Elleenavaitassez.Sicelaimpliquaitqu’elledevaits’enfermerdansunetourd’ivoirejusqu’àcequetoutsoitfini,elle
étaitprêteà le faire.Se rappelant soudainqu’elle s’était littéralementeffondréedeux joursplus tôt,après cet appel téléphonique, elle se dit que la froideur était infiniment préférable. Tout comme lamort.Celafaisaittroplongtempsqu’ellepayaitpourlescrimesdequelqu’und’autre.Elleprépara le repas à l’heurehabituelle.Wade la rejoignit,maisneprononçapasunmot.Elle-
mêmesecontentadeluidonnerdesdirectives,puisqu’ilsemblaitdécidéàlaseconder.Ellen’yajoutariendepersonnel,paslamoindreémotion.Desinstructionssèches,dénuéesdesentiment.Ellen’avaitpastrèsenviedemanger,etsafaimnemanifestaitqu’unbesoindereprendredesforces.
Ellenesepermitmêmepasdeprendreplaisiràcuisiner.Cen’étaitpaslemoment.Pasquestiondeselaisserdistraire.Elle ne voulait surtout pas regretter ce lien qu’elle venait de briser. Elle avait d’autres
préoccupationsplusinsistantes.—Quesepasse-t-il?finitparluidemanderWadeaucoursdudîner.—Dequoiparles-tu?—Tuasunregardhanté.Ilétaitenfinparvenuàattirersonattention.—Queveux-tudire?—Celuiqu’ontleshommesquirentrentduchampdebataille.Distant.Eteint.Ellepiquaune feuilledesaladeet laportaàsabouche, touten réfléchissantàcequ’ilvenaitde
dire.—C’estàpeuprèsjuste,reconnut-elle.
—Quet’est-ilarrivé?Elleleregardaàpeine.—J’enaiassez.C’esttout.Jeveuxquecelacesse.Jesuisprêteàluiréglersoncomptemoi-même,
s’illefaut.—Jevois.Ellen’endoutaitpasuninstant.Ellepoursuivitsonrepas.Ilenfitautant.—Ceregardm’inquiètetoujours,luiavoua-t-ilquelquesminutesplustard.—Ahbon?Etpourquoi?— Parce qu’il signifie qu’on a dépassé ses propres limites. Et que la seule façon de ne pas
totalementcraquerestd’allersemettreauvert.C’estunsymptômedestresspost-traumatique.—Hmm.Çamecorrespondbien,ondirait.—Probablement.Lesilences’installadenouveau.—Cory?—Quoi?—Cen’estpasunebonneidée.Ellelevalesyeuxdesonassiette.—Qu’est-ce qui te contrarie ?Que j’aie décrété que j’en avais assez ?Ou que j’aie décidé de
reprendremavieenmain,quellesqu’ensoientlesconséquences?Ilsecoualatête.—Cen’estpascequejeveuxdire.—Alorssoisplusprécis.—Ilestdangereuxdesecouperdesautresetdesepersuaderquerienn’ad’importance.J’aivudes
hommesagirdemanièrestupidelorsqu’ilsavaientceregard.Çaleuraparfoiscoûtélavie.Elle se contenta de l’observer, puis se remit à manger. Retrouver les sensations qui l’habitaient
auparavant?Pasquestion.Ilétaitbienplusconfortabled’êtreinsensible.Wade n’ajouta pas unmot de tout le dîner. Elle n’aurait su dire quel goût avait son plat, elle ne
faisait qu’emmagasiner de l’énergie. Wade l’aida ensuite à faire la vaisselle, ce qui ne prit pasbeaucoupdetemps.Aprèscela, ilsn’eurentqu’àpatienter.Cequ’ellenepouvaitaccepter.C’enétaitassez.L’épéede
Damoclèsnel’effrayaitplus,mêmesielleétaitencoresuspendueau-dessusdesatête.—Jevaismepromener,annonça-t-elle.—Passansmoi.—Jen’aipasditquej’iraisseule.—Trèsbien,répondit-il.Commeildétestaitcetteexpressiondanssesyeux!Ilchaussasesbottes,leslaçasoigneusement,se
préparantàpasseràl’action.Ilallajusqu’àfixerlefourreaudesonpoignardàsaceinture,dissimulésous les pans de sa chemise. Il pouvait lancer ce couteau sur une courte distance avec autant de
précisionques’iltiraitsurunecibleéloignéedeseptcentsmètres.Celafaisaitpartiedessavoir-fairequ’ilavaitacquis,utilisés,etaveclesquelsildevaitaccepterdevivre.Puisqu’iln’avaitpasledroitdesepromeneravecunfusil,unearmeblancheferaitl’affaire.Ainsi
quelegarrotqu’ilfourradanssapocheetlestroisliensenplastiquequiservaientdemenottes.Mêmes’ildevaitêtreemprisonnépourlerestedesesjours,ilnelaisseraitriendefâcheuxarriverà
Cory.Cettecertitudes’insinuaenluiavecunetropgrandefacilité.Cen’étaitpasunsentimentnouveau,etilnesavaitquetropbiendequoiilétaitcapablelorsqu’ilétaitdanscetétatd’esprit.Nuldoutequese lisaitdésormaissursonvisageceregardqu’il exécrait, songea-t-il. Il sentait le
calmeprécédantlecombatl’envahir.Cettesensation luiparaissait familière,semblableàcelleque l’onéprouveenenfilantunevieille
pairedebottes.Ilytrouvaituncertainconfort,mêmesileressentin’étaitpasforcémentagréable.Ilavait participé à suffisamment d’opérations pour le savoir.Même le succès laissait parfois un goûtamer…etuneconsciencepastoujourstranquille.Ilappréciaitencoremoinslesfrissonsquiluiparcouraientlacolonnevertébrale.Toutluirevenait,à
présent.Cequ’ilavaitpassésixmoisàdémêlerouàabandonnerdanssonsillageremontaitcommes’iln’étaitjamaisparvenuàs’endéfaire.L’hommequ’ilpensaitavoircesséd’êtrereprenait ledessus.Peuimporte :durantdesannées,cet
homme,ilavaitchoisidel’être.Aujourd’hui,ilavaitbesoinderedevenircethomme-là.PourlebiendeCory.Il était prêt à tout. Les objectifs de la mission passaient au premier plan et le reste devenait
secondaire.L’hommequ’ilespéraitdevenirattendraitsontour.Ilavaitbeauêtrepasséenmodecombat,ilauraitpréféréqueCorychanged’avisconcernantcette
promenade.Eneffet,elleseretrouvaitinutilementexposée.Ilauraitaimél’endissuader,maisilvoyaitqueriennel’arrêterait,saufs’ildécidaitd’enfreindrela
loietdelaséquestrerdanssapropremaison.Maisilsavaitpertinemmentqu’unepersonnehabitéepardetellespenséesétaitcapabled’agirdemanièredéraisonnable.Laseulechoseàfaireétaitd’appelerGagepourl’avertirdecequ’ilss’apprêtaientàfaire.—Etes-vousfousàlier?luihurla-t-il.—Jenepourraipasl’enempêcher,àmoinsdel’enfermer.Tupréfèresendiscuteravecelle?—Nomdenom ! J’ai compris…Je vais voir si je peux envoyer des hommesdans les environs
immédiatement.Après avoir raccroché, il rejoignitCoryà laported’entrée.Sesyeux semblaient toujoursdénués
d’expression,tandisqu’elles’agitaitimpatiemment.Unesensationqu’ilneconnaissaitquetrop.—J’imaginequejenepourraipastefairechangerd’avis?demanda-t-ildoucement.Elle se contenta de lui lancer un regard vague, puis désactiva l’alarme. Il dut se charger de
composerlecodeafindelaremettreenmarcheavantleurdépart.Celaneprésageaitriendebon.Surleperron,elles’arrêta,semblants’interrogersurl’itinéraireleplusindiqué.—Tudevraisprendreletempsd’yréfléchir,luisuggéra-t-il.—C’estcequejefais.
—Non,tuesentraindeprendreletaureauparlescornes,maissansaucunepréparation.Tudevraisresteràl’intérieur,letempsquej’ailleeffectuerunereconnaissance.—Jeveuxretrouvermavied’avant.Etj’enaiassezd’attendrequecesalaudsemanifeste.Il la comprenait et s’identifiait à ce qu’elle ressentait. Ce qui l’inquiétait était l’indifférence
perceptibledanssavoix.Sielleavaitétéencolère, ilauraitpuengagerunevéritableconversation.Maisdanssonétatd’espritactuel,ilétaitvaindechercheràlaraisonner.Elle se dirigea à l’opposé du parc. Elle mettait sa sécurité en jeu, mais, manifestement, elle ne
voulaitpascompromettrecelledesfamillesquisetrouvaientdansl’airedejeux.Elleavançaitàgrandesenjambées,commesielleconnaissaitladestination.Waden’eutaucunmalà
ajustersonpas.Sessensétaientenalertemaximaleetsonchampvisuels’étaitélargi,sibienquesavision périphérique devenait aussi importante pour son cerveau que les images apparaissant droitdevant sesyeux.Chez laplupartdesgens, celane seproduisaitqu’encasdepousséed’adrénaline.Chezlui,c’étaitlerésultatd’unlongentraînement.Lemêmephénomèneseproduisaitavecsonouïe.Lecerveau,d’ordinaire,filtrelaplupartdessons
et leur attribue un ordre de priorité, au point que les gens ne perçoivent généralement pas trèslongtempsunbruitdefond.MaisWadepouvaitanalyser tous lessonsavecune intensitéégale,sansqu’aucunnes’estompe.Il étaitdansunétatdeconscienceaccrue.Malheureusement,Coryn’avait pasbénéficiédumême
entraînement,etdanssonétatactuell’adrénalinenesuffiraitpasàaiguisersessens.Cequifaisaitd’elleunecibledechoix.Ilfallaitàtoutprixqu’ellesortedecettetorpeur.Ilnecherchaitpasàl’effrayer,maisuneoncede
prudenceauraitétélabienvenue.Personnenepouvaitprendredebonnesdécisionsencasdedangers’ilneressentaitpaslapeur.C’est cequ’il avait essayéde lui faire comprendreunpeuplus tôt.Et de toute évidence, elle ne
l’écoutaitpas.Mais après tout, ce n’était pas comme s’il n’avait jamais eu à gérer ce genre de situation. Cela
pouvait arriver à tout le monde, à tout instant : après un premier combat, un affrontementparticulièrement long ou sanglant, ou sans la moindre raison. Il suffisait d’un grain de sable dansl’engrenage,ettoutlesystèmesemettaitenveille.Il se doutait qu’il s’agissait d’un réflexe de protection utile, à condition qu’il ne dure pas trop
longtempsetqu’ilnesedéclenchepasàn’importequelinstant.Ce fut une promenademenée au pas de charge. Ils ne couraient pas à proprement parler,mais il
auraitétéimpossibledeparlerencoredemarches’ilsavaientadoptéunrythmeàpeineplussoutenu.IlregardaCoryàladérobéeetremarquaquesonvisagerestaitinexpressif,endépitdesperlesdesueurquidonnaientàsapeauungrainvelouté.Mais il ne passa pas trop de temps à la regarder. Ses sens en éveil l’obligeaient à analyser les
moindressons,odeursetimages.Ilmémorisaladispositiondesbâtimentsetdesespacesvertssurplusieurskilomètresautourdela
maisondeCory.Cespaysagesluiplaisaientautantquelesmontagnesd’Afghanistan.Ici,iln’yavaitnirochernigrottepouvantfaireofficed’abri,maislesmaisonsetleursgarages,lesarbresetlesarbustespouvaientremplirlamêmefonction,car,commedansdenombreusesvillesanciennes,leshabitations
étaienttrèsprocheslesunesdesautres.Lesgensquilesavaientbâtiespensaientêtreprotégésparlenombredevoisinsalentour,plutôtqueparl’étenduedelapelousequilesséparaitdesautres.Ilsedemandasielleavaitconsciencedufaitqu’elleselivraitdelasorteàunexcellentexercicede
reconnaissance.Probablementpas.Pourl’heure,cesconsidérationsn’avaientpasleurplacedanssonesprit.A mesure qu’ils progressaient, il aperçut un nombre de plus en plus important de voitures de
patrouille.Riendetrèsvisible,maispratiquementunedémonstrationdeforcepourunquartieraussitranquille.Il ignorait ce qu’il devait en penser. Exiger le départ de ces voitures ne ferait que repousser le
problème.Lorsqu’ils atteignirent enfin le porche de lamaisondeCory, il était sûr d’une chose : iln’avaitaperçunullepartl’hommequil’avaitmissurlequi-vive.Plusieurs explications se bousculaient dans sa tête, certaines encourageantes, d’autres beaucoup
moins.Lorsqu’il remit l’alarme en route, une fois à l’intérieur, il vit Cory longer le couloir jusqu’à sa
chambre,puisentenditlejetdeladouche.Cettemaisonétaitvraimentétouffante,dufaitdelachaleuraccumuléetoutaulongdelajournée.Il
nepouvaitimaginervivreainsipendantunan,enayantmêmepeurdeprovoqueruncourantd’air.Suruncoupdetête, ildécidadedésactiverl’alarmeetouvritunefenêtredanslesalon,ainsique
celledelacuisine,demanièreàlaisserlabrisevivifiantedusoirs’yengouffrer.Ilpouvaitsurveillerlesdeuxouvertures,etl’airfraispourraitenvahirtoutl’étageinférieurenquelquesminutes.Puis ilserenditcomptequ’enéteignant l’alarme,plusaucunepartiede lamaisonn’étaitprotégée
contrelesintrusions.Quelcasse-tête!Ilsoupira,irrité,etretournaprèsduboîtier,parcouranttoutelalistedesmisesen
garde,pourarriverenfinauxzonesd’exclusion.Iln’hésitaqu’uninstant,prenantletempsd’inspecterlacarteplastifiéeindiquantlespiècescouvertesparchaquesystème.Parfait.Ilpouvaitdésactiverlacuisineetlesalon,toutengardantlerestedel’habitationsoussurveillance.Il pressa le bouton d’exclusion des deux pièces, puis remit l’alarme en marche. Il lui fallait
cependant rester vigilant et attendredevoir qui émergerait de la cabinededouche.Une femmequivenaitdereprendresesesprits,ouuneautre,prisonnièredesonmutisme.Coryréapparutenfin,vêtued’unpetitdébardeuretd’unshort.Ilprituninstantpourapprécierses
joliesjambesetsesbrasgraciles.Elleneparutpasremarquerqu’ilavaitouvertlesfenêtres,maisellenetarderaitpasàs’enrendrecompte.L’airsecemportaitlachaleurdanssonsillage,etmaintenantquelesoleilsecouchait,labrisedevenaitdeplusenplusfrisquette.Corynesemblapasenêtregênée,carellesedirigeaverslesalonets’assitsurlecanapé,sansque
sonregardnesoitattiréversunendroitspécifique.Ilseditqu’ildevaitessayerdelafaireparler,lasortirdeceslimbesoùl’espritetlesémotionsse
trouvaientsubmergés.—Cory?Elleleregardaàpeine.—Ques’est-ilpassé?—Dequoiparles-tu?
Aumoins,ilétaitparvenuàobteniruneréponse.—Qu’est-cequit’afait…Ilhésitaitàemployerleverbecraquer,sachantqu’unepersonnedanssonétatpouvaitpasserdela
torpeuràlarageenuneseconde.—Qu’est-ce qui t’a fait basculer ? reprit-il, tout en se disant que sa formulation n’était pas très
subtile.—Tout.—D’accord.Ilavaitlesentimentdetraverserunterrainminé.—Maisunévénementprécist’abouleversée.Elleeutunmouvementd’épaulesàpeineperceptible.—TuparlaisavecGageautéléphone.J’aicomprisàcetinstantquejenevoulaisplusvivredecette
manière.Jem’yrefuse.C’estassez.Ellecommuniquait.C’étaitbonsigne.—C’estlégitime.—Iln’yaaucunintérêtàvivrecommejel’aifait.Jeneveuxplusyêtreassujettie.C’était là que résidait le danger. Dans ce type de situation, les envies suicidaires n’étaient pas
toujourstrèsloin.Ilcherchaunmoyendepercersacarapaced’indifférence.—Cettedécisionnedevraitpast’inciteràagirdemanièredéraisonnable.—Etpourquoipas?Sesyeuxlefixaientdésormais,sanscligner.—Pourquelleraisondevrais-jesupportercelaunjour,oumêmeuneheuredeplus?—Parcequ’unefoisqu’onauraréglécetteaffaire,tupourrasconstruireunenouvellevie.— Sur quelles bases ? Ce salaud a pris tout ce qui comptait à mes yeux, directement ou
indirectement.Jeneveuxpasmecontenterdesurvivre.—Alorsqueveux-tu?Ilaperçutenfinuneétincelledanssesyeux.Uneseule.—Jel’ignore,etcelanem’intéresseplus.—Biensûrquesi.Elledétournaleregardetreplongeadanslesilence.—Reconnais-le,Cory,poursuivitWadeauboutd’un instant,cesderniers jours, tuas réapprisce
qu’étaitl’espoir.Etleplaisir.Tut’esrappeléquelaviepouvaitêtreagréable.—Non!Elle lui fit face, et à présent, elle paraissait furieuse.Ce revirement était courant en cas de choc
post-traumatique,maisaussidifficileàgérerqueledétachement.— Crois-tu vraiment, rétorqua-t-elle, que faire l’amour avec toi suffit à me redonner envie de
vivre?Penses-tuquequelquesgalipettesm’aiderontàvoir lavieen rose?Sansblague,n’importequelautrehommesemontreraitplusperspicacequeça!
Ilnerépliquapas.Elleavaitraison,etsesremarqueslepiquèrentauvif.—Jevisdansuneprison!s’écria-t-elle,bondissantducanapé.Jen’aibénéficiéquededeuxheures
deliberté,riendeplus.Etaprès,jemesuisdemandépourquoijedevraisreprendreespoir.Qu’est-cequimeditque leschosesvonts’arranger?Etque je retrouveraimaplacedans lasociété,mêmesinousnousdébarrassonsdecesalaud?Ellesetournaverslui.—Lesmarshals ne sont pasparvenus à l’arrêter, alors qu’ils l’ont cherchépendant quinzemois,
avecl’aideduFBI.Enfait,jepariequesijemerenseigneauprèsd’eux,jedécouvriraiqu’ilnefaitpluspartiede leurspriorités, rétrogradébien loinderrièreunbraqueurouundétenuencavale.Uneaffaireàclasser.Ilgardalesilence,lalaissants’épancherautantqu’elleenressentaitlebesoin.—S’ils finissentpar l’épingler,ce seraparcequ’il s’enseraprisàmoi.Maintenant,Gageet toi
suspectezquequelqu’unauraitpuluirévéleroùjemetrouve.Cequiconstituaitmonuniqueprotection.Ils m’ont dépossédée de tout ce qu’il me restait. Ils auraient mieux fait deme renvoyer dansmonappartementmaculédesang.Aumoins,jen’auraispaseuàendureruneannéecommecelle-ci!Ellecroisalesbrasautourdesonbusteetcommençaàarpenterlesalon.—Ilssesontcontentésdem’enfermerencelluled’isolement.Tuprétendsque tues incapablede
nouerdesrelations?J’enaiétéempêchée,sousprétextequedevenirprochedequelqu’unaugmenteraitles risquesque jedivulgueune informationquipourraitme trahir.Et regardeavecquelle facilité tum’as percée à jour, rien qu’en analysant ce que jene disais pas. Ils ont affirmé que je serais ensécurité,unefoisquej’auraisdéménagé,maisjen’yaijamaiscru.Commentcelaaurait-ilétépossible,alors qu’ils ne parvenaient pas à arrêter ce tueur, et que j’étais la seule personne en mesure del’identifier?Etquecemonstrequiavaitassassinémonmariavaitplacéuncontratsurmatête?—Jel’ignore,répondit-ildoucement,cherchantsurtoutàluimontrerqu’ill’écoutaitattentivement.—Veux-tuconnaîtrelefonddemapensée?—Biensûr.—J’ai la convictionqu’ilsm’ont intégrée à ceprogrammeparceque j’allais devenir un fardeau
poureux.Ilsnepouvaientpasmettrelamainsurlecriminel,nimerenvoyeràmaviepassée,depeurque je ne fasse la une de tous les journaux si je finissais assassinée.Alors ilsm’ont exilée,m’ontenvoyéeleplusloinpossible.Unefoisquejemesuisretrouvéedanscettemaisondélabrée,avecunsalairedemisère,ilsm’ontlaisséquelquescartesdevisite,avantdeprendrelaroutesansseretourner.Affaireclassée.—C’estvraimentcequetupenses?—Que suis-je censée croire ?Me voici, un an après avoir été abandonnée à mon propre sort,
encoretraquéeparunassassin,quim’aprobablementretrouvéegrâceàeux!—Tun’ensaisrien.—Commentaurait-ilfait,autrement?Regardeautourdetoi,Wade!Est-celegenred’endroitoùtu
cacheraisun témoin?Les inconnusattirent l’attention ici.Alorspourquoiont-ilschoisicetteville?Pourquoipasunemétropole,danslaquellejepasseraisinaperçue?Saquestionsemblaitparfaitementjustifiée.Ilsel’étaitd’ailleursposéeauparavant.—Ilsimaginaientsûrementquepersonneneviendraittechercherici.
—Ilssesontmanifestementtrompés.Mevoicicomplètementlivréeàmoi-mêmepouraffronterlesdangersdontilsétaientcensésmeprotéger.LavoixdeWadesetransformaenmurmure.—Tun’espasseule.—Pasencemoment.Pourlasimpleraisonquetuasatterriici,encherchantunpeudetranquillité.
Ilsnecomptaientpaslà-dessus.Ilsentaitunesensationdemalaisel’envahirlentement.—Tuterendscomptedecequetudis?—Biensûr!—Ilyaunélémentquirendtonscénariopeuplausible:cetappeltéléphonique.Ellelevaunemainensigned’irritation.—Etalors?Commetul’assouligné,cetypen’avaitqu’àrepérerlesfemmesquiavaientemménagé
icidurantl’année,puisdéterminerlaquelleétaitsacible.Etsituasraisonàproposdecetappeletdugars que nous avons croisé, cela signifie qu’on l’a mis sur ma piste. Car, à part Gage, les seulespersonnesàconnaîtremonlieuderésidencesontlesmarshals.Ilpréféranerienrépliqueretanalysersesaffirmationsafind’enévaluerlacrédibilité.—Aprèstout,quimeditquec’esteffectivementSethHardinquit’aenvoyéici?ParcequeGageme
l’adit?Parcequ’ilaffirmequetuasreçusuffisammentdemédaillespourentapisserunpandemur?Cela ne signifie pas que tu n’es pas venu ici avec une autre idée en tête. Je ne peux pas te faireconfiance.Tuestoi-mêmeuntueur,etilnet’apasfallulongtempspourmecerner.Acetinstant,Wadesesentitredevenirimpassible,froidetsilencieux.Desonpointdevue,toutse
tenait.Maisils’agissaitd’unevisionfaussée,biaiséeparlapeur,letraumatismeetlaparanoïa.Cecidit, il ne laisserait jamais plus personne le traiter de cette façon. Il avait suffisamment de mal às’accepter telqu’ilétait. Ilne laisseraitpasCoryutilisercequ’ellesavaitsur luipourclamerqu’iln’étaitpasdignedeconfiance.Ilseleva.—Jem’envais.Elleneréponditpas.Ellesetenaittoujoursdebout,lesbrasautourducorps,sonregardrivéausien.—J’aimeraisqu’unechosesoitclaireentrenous.Jenesuispasunmenteur.Deshommesdevaleur,
dansdessituationsbienpluspérilleuses,m’ontaccordéleurconfiance.Etjenel’aijamaistrahie.Ilfitvolte-face,puispensaauxfenêtres.Sansunmot,ilclaquacelledusalonetlaverrouilla.Ilfitla
même chose avec celle de la cuisine, puis revint activer le système d’alarme. Cory apparut alorsderrièrelui.—Jeseraipartidanstrenteminutes,lança-t-ilsèchement.—Wade…—Non,Cory.Pasunmotdeplus.Personnenemeparlecommeça.Ilétaitaumilieudel’escalierlorsqu’ill’entenditfondreenlarmes.
10
Quevenait-elledefaire?Laléthargiequil’avaitenveloppéeunebonnepartiedel’après-midietdelasoiréevenaitdesedissiper,laplongeanttoutd’aborddanslacolèrequipeuàpeuavaitfaitplaceaudésespoir.Quandelleavaitéclatéensanglots,Wadenes’étaitpasmêmeretourné.Ellenepouvaitpasluien
vouloir,carelleétaitlaseuleresponsabledecequivenaitdeseproduire.Maisd’oùpouvaientdoncvenircessoupçons?Commentdetellesparolesavaient-ellespupasserseslèvres?Etparquelmoyende tellesaccusations luiavaient-elles traversé l’esprit,aprèscequ’elleavaitdécouvertdupassédeWade?Elle avait l’impression qu’unmauvais génie avait pris possession de son esprit,mettant dans sa
bouchedesproposcalomnieux.Auboutdequelquesinstants,elleavaitcomprisqu’ellenecroyaitpaselle-mêmeàcequ’ellevenait
dedire.CelaneressemblaitpasàWade.Maisilétaittroptardpourréparerlemalqu’ellevenaitdefaire.Elleretournadanslesalonetserecroquevillasurlecanapé,laissantlibrecoursàseslarmes.Tout
allaitdetravers.Sansexception.Elleétaitsitraumatiséepsychologiquementquelanormalitéqu’ellecherchaittantàretrouverdepuisquelquesjoursluiéchapperaitàtoutjamais.Siellesurvivaitàcetteépreuve.Etlepluseffrayantétaitqu’ellen’étaitplusvraimentcertained’y
accorderlamoindreimportance.Ellevoulaitjusteenfinir.Etqu’avait-elle fait ?Elle avait attaqué la seulepersonnequi lui avait redonné legoûtdevivre.
C’étaitd’ailleurslàquerésidaitlavéritablemenace:ill’avaitpousséeàchassersesvieuxfantômespour se construireunenouvellevie. Il l’avait obligée à se tournervers l’avenir et nonplusvers lepassé.Elle s’en était prise à lui en visant là où ce serait le plus douloureux : elle avait touché à son
honneur.Quelgenredepersonneétait-elledevenue?Ellenesesupportaitplus.Elleenfouitsonvisagedans
uncoussin.Elleétaitinutileetnerépandaitquelemal.Elleserappelasonpasséd’enseignante.Combiendefoisavait-elleaidésesélèvesàsortirgrandis
de leurs mauvaises expériences ? Combien de fois leur avait-elle expliqué que même la piremésaventurepouvaitleurapporterquelquechosedepositif?Lerésultatétaitédifiant.Elleétaitincapabledesuivresespropresrecommandations.Leslarmescessèrentenfindecouler,carleurflots’étaittari.Latempêtes’étaitéloignée,maiscette
fois,ellenesesentaitplusanesthésiée.Non,ellesouffraitvraiment,etellesetrouvaitméprisable.Ellen’avaitplusdroitauconfortdel’apathie.Lorsqu’elle se redressa enfin, elle trouva le salon plongé dans l’obscurité. Plus étonnant encore,
Wadeavaitprisplacedanslefauteuilinclinable,silhouettemassiveparmilesombres.—Jecroyaisquetupartais.
—Jen’abandonnejamaismonposte.Il avait adopté un ton résolument neutre. Il avait enfermé ses sentiments à l’abri d’un coffre-fort,
commeellel’avaitfait,plusieursheuresdurant,aujourd’hui.—Jesuisdésolée,déclara-t-elle.J’ignored’oùvientcetteméchanceté.—Celan’apasd’importance.Ilétaitindifférent,insondable.Semblableàl’imagequ’ildonnaitlorsqu’ilétaitarrivé.Elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle. Elle l’avait ramené en ces lieux où lesmurailles étaient
hautesetbiengardées.Enoutre,ellenepouvaitpasretirercequ’elleavaitdit.—Jeregrettevraiment,insista-t-elle.Cesparolesétaientparfaitementinutiles,puisquelesblessures
avaientdéjàétéinfligées.Jenelepensaispas.Jenesaispascequej’avaisentête.—Tun’aspasréfléchi.—C’estévident.J’airéagicommeunanimalquibonditsurtouteslesproiesqu’ilcroise.—C’estpossible.Ilrestaitcampésursespositionsetnesemblaitpasdisposéàfaireunpasverselle.Commentaurait-
ellepuleluireprocher?—J’avaissipeur.—Non,c’étaitdelacolère.—Leurorigineestcommune.—Mmm.Elleparlaitdenouveauàunmur.Etdésormais,cen’étaitplusseulementdérangeant,oufastidieux.
C’étaitdouloureux.Presquesuffisammentpourlarendrefurieuse,unefoisencore,àl’idéequ’ilpuisselafairesouffrir.Elle resta silencieuseun instant, frottant ses jouespoureneffacer les larmesquiyavaient séché.
Elleseditquelaseulemanièredefairetombercemurseraitd’abattrelesien.Sonrythmecardiaques’accéléra, lorsqu’ellesongeaaudangerauquelelles’exposait.Maiselle le luidevaitbien,pour lesimplefaitqu’ilétaitencorelà,aprèsleshorreursqu’elleavaitproféréesàsonencontre,etqu’ilétaitprêtàlaprotégeraupérildesaproprevie.Untelhommeneméritait-ilpaslavérité?—Je…Jet’aiattaquéparcequetum’asredonnéespoir.J’étaiseffrayée,parcequetudisaisqueje
pourraisretrouverunevienormale.Etquejen’ycroisplus.C’estimpossible.J’aiatteintlepointdenon-retour.Jeneseraijamaisplusnormale.—Trèsvraisemblablement.Bon sang ! Elle ne pouvait croire qu’elle l’avait blessé aussi profondément. Elle avait vraiment
perduuneoccasiondesetaire!Ilrepritenfinlaparole,souscouvertdel’obscurité,sibienqu’ellenepouvaitriendéchiffrersurson
visage.Sontonétaitmesuré,etilparlaitlentement.—Aucunepersonneayantvéculesexpériencesquisont les tiennesoulesmiennesnepourraêtre
considéréecommenormale.C’estinconcevable.—J’enaibienpeur.Unelarmechaudevints’égarersursajoue,qu’ellebalayad’undoigt.
—Lescicatricesseronttoujoursprésentes,continua-t-il.Leschosesn’aurontjamaispluslamêmeallurequ’avant,lorsquelaviolenceétaitétrangèreànosvies.—Jamais.Ellecommençaitàs’exprimercommelui.Quelquessecondess’écoulèrent.—Cen’estpasparcequenousavonssouffert,etquenousavonsconnudesépreuvesquelesautres
ignorent,quenoussommesanormaux.Ilyatantdepersonnesencemondequiontsubidesviolences,quenousreprésentonspeut-êtredavantagelanormequecellesquionteulachancedenejamaisyêtreconfrontées.—Quelleperspectiveeffrayante!Cetteidéelafittressaillir,nonseulementenimaginanttousceuxdontilparlait,maisparcequ’elle
avait passé tant de temps à s’apitoyer sur son sort, et qu’elle était encore en train de le faire.Ellesavait qu’il avait raison. Il suffisait de regarder le journal télévisé pour voir combien les autressouffraientauquotidien.—Peut-être,mais c’est la triste réalité. J’ai roulémabosseunpeupartout, et je t’assure que le
malheurestlelotdenombreusespersonnes.Jeneprétendspasquec’estjuste,maisçaexiste.—C’estvrai.Savoixsebrisalégèrement.J’enaiétépréservéetoutemavie.—C’estlecasdeceuxquiontlabonnefortunedenepasgrandirenzonedeguerreouparmiles
malfrats.Maisunemajoritéd’entrenousfinit,tôtoutard,paravoirunaperçudeszonesd’ombredelanature humaine.Malheureusement pour toi, tu n’avais pas de famille ou d’amis auprès de toi pourpartager ton expérience et te soutenir. C’est peut-être la pire épreuve que ce dispositif pouvaitt’infliger.Ilt’aprotégéephysiquement,maisnet’apasdonnélesmoyensdeguérirpsychologiquement.—C’estpossible,reconnut-elle.—Laplupartdesgenssontpluschanceuxquetoi,carilssontentourés.—Cen’étaitpastoncas,quandtuétaisenfant.—Non,mais engrandissant, les chosesont changé.Même si les cicatricesne s’effacent pas.En
revanche,j’aieudesdécenniespourremonterlapente,contrairementàtoi.Ettupeuxapprécierquelmagnifiqueexemplederésiliencejereprésente.—Arrêtedetedénigrer.Jem’ensuisdéjàchargée,etdemanièreinjuste.— J’essaie simplement de mettre certaines choses au point. Tu peux reconstruire ta vie. Il faut
seulementquetusachesqu’àcertainsmomentsceseradouloureux.—J’aicompris.—Avec le temps, ça s’estompe,mais ça ne disparaît jamais.Désolé, je n’ai rien demieux à te
proposer.—Çamesuffit.—C’esttavie.Atoid’enreprendrelesrênes.—Jecomptaislefaire.Etpuis…tuaspuadmirerlerésultat.—Oui.Ilgardalesilenceunmoment,puisajouta,nonsansunepointed’humour:
—Tuasessayédetereconstruireàcoupsdedynamite!Ellefitunegrimace,carsadescriptionétaittrèsjuste.Etqu’ilavaitétélavictimeinvolontairede
son explosion. Elle ne s’était jamais doutée qu’elle pouvait se montrer aussi odieuse, et cetteperspectivenelarassuraitpas.—Etjen’aipasobtenulesrésultatsescomptés!—Ne t’en fais pas, je te comprends, la rassura-t-il. J’en ai déjà été témoin plusieurs fois, et ça
m’estarrivé,àmoiaussi.J’yfaisaisallusion,lorsquejeteparlaisduchampdemines.Mêmelorsquetusaisoùellessetrouvent,etquetupensespouvoirlesdésamorcer,çanesepassejamaiscommeça.Bonsang,tudoisavoirdumalàcroirequetupourrasvivredenouveaunormalement!Elle n’avait pas envisagé les choses sous cet angle jusqu’alors,mais les nœuds qui lui tordirent
alorsl’estomactémoignaientdel’effetdesesparolessurelle.—Jen’ensuispasencorelà.—Probablement,maisçanetarderapas.Sanscompterlesyndromedeculpabilitédusurvivant,qui,
s’ilnet’apasencoreatteinte,finiraparsemanifesteràsontour.Sic’estlecas,etquejesuisencoredanslesparages,n’hésitepasàm’enparler.J’aiconnuçaaussi.«S’ilsetrouvaitencoreici.»L’éventualitéqu’ilpuisses’enallerlataraudadavantage.—Bonsang,jesuisàramasseràlapetitecuillère.—Pasplusquequiconqueayantsubicegenredetraumatisme.Essaied’ytrouveruneconsolation.—Jen’arrivepasàcroirequetucherchesàmeréconforter,aprèslamanièredontjet’aitraité.Tu
esbeaucouptropbienveillantenversmoi.Cethommeétaitabsolumentremarquable,àtouspointsdevue.—Cessedetetorturer.Son ton était plus doux et plus aimable qu’au début de leur conversation, ce qui exacerba son
sentimentdeculpabilité.—Aprèscequejet’aidit!—Jenet’enveuxpas.Monterdansmachambreetprendreletempsdemecalmerm’apermisde
comprendreque tu avais simplementmis lepied surunedecesmines.Aumoinsune. J’ai réagidemanièredisproportionnée.—Jenecroispas.Ellenesepardonnaitpasdes’êtremontréesiabjecte.—Tuasproposédemeprotéger,alorsqueriennet’yobligeait.Tuméritaismieuxdemapart.— Etant donné les circonstances, tu n’as rien dit de si affreux. Oublie cela. Pourmoi, c’est de
l’histoireancienne.Etait-cevrai?C’étaitcequ’ilaffirmait,maissaréactiontémoignaitdufaitquesesmotsl’avaient
profondémentblessé,d’autantqu’elleavaitvisésespointssensibles:sonsensdudevoir,sonamour-propre.Lesidéauxauxquels ilavaitdévouétoutesavied’adulte.Iln’étaitpeut-êtrepas trèsfierdecertainesmissionsqu’ilavaitdûaccomplir.Ellenepouvaitqu’imaginerletyped’opérationsquel’onattribuait aux agents des forces spéciales.Certaines pesaient probablement sur sa conscience.Maiselleétaitconvaincuequ’iln’avaitjamaistrahiaucundesescamaradesetn’avaitjamaismanquéàsondevoir.Etellel’avaitfaitpasserpourunvulgairemercenaire.
Commeelleauraitsouhaitépouvoireffacerlesouvenirdecesmots!—Allons,jeunefille,dit-ilensoupirant,cen’estpassigrave.Necrois-tupasavoirsuffisamment
devieuxdémonsàapprivoiser?—Certainement,maiscelanemeconfèrepasledroitdedéchaînerceuxdesautres.—Cen’étaitpaslecas.Findeladiscussion.Elle en conclut qu’elle ne comptait pas assez à ses yeux pour le blesser vraiment. Elle se sentit
soulagée de constater que ses talents de mégère ne l’avaient pas affecté tant que ça, mais, pluségoïstement, elle regretta d’avoir si peu d’importance pour lui. Mais comment en aurait-il pu êtreautrement?Deux joursne suffisaientpasà tisserune relation solide.Mêmeuneparfaitecomplicitésexuellenecompensaitpascemanquedetemps.Aenjugerparlamanièredontilavaittoutd’abordréagilorsqu’ellel’avaitaccusé,elleseditqu’il
n’étaitpassi intouchablequ’il leprétendait.Dumoinsàcemomentprécis,carellesemblait l’avoirprojetédansceslieuxoùilnelaissaitplusrienl’atteindre.Cependant, il y avait plus grave que de savoir si elle l’avait fait souffrir ou non. Elle s’était
comportéedemanièredéplorable.Ellefutsurprisedelevoirseleverettraverserlapiècepourvenirseplanterdevantelle.Ilfaisait
sombre,lesalonn’étantéclairéqueparlesquelquesraisdelumièredel’éclairagepublic,quiavaientréussiàs’immiscerdanslesintersticesdesrideaux.—J’aienviedetoi,luiannonça-t-ilsansdétour.Ellesentitsoncœurfaireunbonddanssapoitrine.Elleaimaitsonfranc-parler,lefaitqu’ilexprime
ses besoins simplement, sans hésitation. Et surtout, sans lamoindre gêne.Cela lui permettait de sesentirpluslibre,elleaussi.Elletenditunemainpoursaisirlasienne.—S’ilteplaît,nemeportepas.—Pourquoi?—Parceque,pourunefois,j’aimeraisgagnermonlitparmespropresmoyens.Iléclataderire.—Marchéconclu.Désolédet’avoirtantpromenée.—Celanes’estpasproduitsisouventqueça.Elleréponditàlapressionqu’ilexerçaitsursamainetseleva.—Pourquelleraisonfais-tucela?—Jel’ignore.Ilrestasilencieuxquelquessecondes,serranttoujourssamain.—Probablementparcequec’estleseulmoyenquejeconnaispourtegardercontremoi.Lorsqu’elleentenditcesmots,elleeneutpresquelecœurbrisé.C’étaitlegenrederévélationqui
devaitluidonnerl’impressiond’avoirmissessentimentscomplètementànu.C’étaitunechosededireàunefemmequevousaviezenvied’elle,maisunetoutautredeluiavouerquevousaviezbesoindelaserrercontrevous.Ellesentitsagorgesenouer,aupointoùelleseretrouvaincapabledeparler.Ilsétaienttousdeuxdesâmesensouffrance,essayanttantbienquemalderecréerdesliensavecles
autres,mêmes’ilss’endéfendaient.Ilrecherchaitlecontactphysique,carilnesavaitpascomments’yprendreautrement;ellerefusaittouterelationoùelleauraitdûs’impliquerémotionnellementparcequec’étaittropdouloureuxettrouvaitlamêmeconsolationqueluidanslecorpsàcorps.Etait-cemal ?Non, bien évidemment. Il s’agissait peut-être d’un premier pas sur le long chemin
qu’ilsdevraientparcourir, ensemble,ouchacunde soncôté.Elle serra sesdoigts,pour lui signifierqu’ellelecomprenait,puiss’éclaircitlagorge.—Tusais,tupeuxmeporter,situveux.Ileutunpetitrire.—C’estétrange,maisfinalement,jepensequej’aimeraisdavantagequetum’accompagnes.Viens
t’allongeravecmoi,mabelle.Il n’aurait pas pu choisir de mots plus appropriés pour éveiller son désir, même si elle était
incapable de l’expliquer. Une vague de chaleur sembla tourbillonner jusqu’au plus profond d’elle-même.Soncorpsréclamaitdéjàsescaresses,saforceenveloppante,laplénitudedelesentirenelle.Elleavaitdéjàconnuledésir,maisjamaisavecunetelleintensité,niaussirapidement.Desmotssimplesavaientsuffiàéveillercedésir.D’unecertainemanière,son«Viens t’allonger
avecmoi»latouchaitplusqu’un«Laisse-moitefairel’amour»,oun’importequelleautresuggestionaffectueuseoucoquinequ’elleavaitl’habituded’entendreavecJim.LesmotsdeWadeluimirentlesnerfsàfleurdepeau,etelleserefusaitàlesanalyserdavantage.
Elleenavaitassezdevivresouslalouped’unmicroscope.Illuioffraitlalibertéd’êtreelle-même,etelleétaitdécidéeàacceptercecadeauàbrasouverts.Iln’avaitcettefoisaucuneenvied’uneétreintebrusqueettumultueuse.Ilsetintdevantelle,àcôté
dulit,etcommençaàluiretirerlentementsesvêtements,commes’ilouvraitunprésent,etqu’ilvoulaitsavourerl’excitationdelasurpriseunpeupluslongtemps.Ileffectuaitchaquegestetrèslentement,mêmelorsqu’illuiretirasondébardeurenleglissantpar-
dessussatête.Illaissasesmainsglisserlelongdesescôtes,diffusantdesondesdedésirdanstoutsoncorps.Ilpoursuivitsesdélicatescaresses,balayantdesapaumelespartieslesplussensiblesdesesbras,
pourremonterjusqu’àl’extrémitédesesdoigts.Lorsqu’ilfinitparjeterauloinsoncorsage,elleeutlasensationqu’elleallaitêtretraitéecommeunereine.Ilne s’arrêtapas là. Il sedébarrassaà son tourde sonT-shirt, et lapénombrequi envahissait la
chambreaccentuaitlemystèredetoutcequiseproduisaitenelle.Lorsqu’ilplaçasesmainsfermementautour de sa taille pour l’attirer vers lui, elle découvrit la sensation exquise de sa peau contre sonventre,n’accordantgrâcequ’àsesseins,encoreàl’abridesonsoutien-gorge.Puisilsepenchapourlui donner unbaiser qui lui coupa le souffle et sembla la toucher jusqu’au tréfondsde son âme.Salanguesemêlaitdoucementàlasienne,tandisquesesdoigtsdessinaientdesensuellesarabesquessursondos,promessedeplaisirinfiniquin’exigeaitrienenretour.Puis ildétacha sabouchede la sienne,pourdescendre lentement le longde sagorge.Elle s’arc-
boutaetgémitdeplaisir.—Tuestellementdésirable,murmura-t-ildanslecreuxdesoncou.Ellesentitunfrissonlaparcourir.Avait-ellejamaisconnuexpérienceplusdélicieuse?—C’estgrâceàtoi,répondit-elle,haletante.
Ilpoursuivitlalenteexplorationdesoncorps,saboucheetseslèvresdessinantlescontoursdesonsoutien-gorge, prolongeant l’attente.Elle tressaillit de nouveau et passa ses bras autour de son cou,s’offrantàlui.Lorsqu’ellesentitsesmusclessecontractersoussespaumes,ellelescaressaetsuivitlesbossesetlesdénivellationsjusqu’aucreuxdesesreins.Ilfutsaisid’unfrisson.D’unmouvementrapide,ildéfitl’attachedesonsoutien-gorge.Ellesentaitlesondesquilaparcouraients’intensifier,pourconvergerverssonsexe,commesiplus
riend’autren’existait.L’airparutseraréfierdanslapièce,ellehaletait,àboutdesouffle,latêteenarrière,lesyeuxclos,
s’abandonnantàluicommeellenel’avaitjamaisfait:sansretenue,dansuntotalabandon.Icietmaintenant.Toutlerestes’étaitvolatilisé.Wadesentitlemomentoùelleperditpiedaveclaréalité,neseconcentrantplusquesurcequise
passaitenelle.Ilenétaitpresquearrivéaumêmepoint,maisilluttaitcontresoncorpstenducommeunarcetl’impériositédesondésir.Parcequ’ilvoulaits’assurerdetoutluidonner.Ilnepouvaitsel’expliquer.Ilsavaitseulementqu’il
voulaitmarquercettefemmedemanièreindélébile.Lorsqu’ellecherchaàdéboutonnersonjean,gémissantdoucement,ill’arrêta.Ilsaisitsonshortetsa
culotte, et les fit glisser d’unemain le long de ses cuisses, tandis que sa bouche se posait sur sonmamelondressé.Illesuçadoucement,puis,lasentantsepressercontreluiavecinsistance,ildécidad’intensifiersescaresses.Legrognementqu’elleémitl’excitadavantage,aupointderendrecetteattentedouloureuse.Sicette
femme ne devait se rappeler qu’une chose le concernant, ce serait la nuit qu’ils allaient passerensemble.Ilsesentaitmûparunbesoinplusanimalencorequesondésirinassouvi.Pourlapremièrefoisde
sa vie, il voulait qu’une femme lui appartienne. Et cela ajoutait encore à son excitation, le rendantpresqueaussidésespéréqu’insatiable.Il finit par envoyer valser son short et sa culotte, après les avoir libérés de l’emprise de ses
chevilles,enlasoulevantd’unbras.Seslèvresrestaientcolléesàsonsein,etchaquemouvementdesalangueoudeseslèvreslafaisaittressaillir.Elle s’agrippait à lui aussi fort qu’elle le pouvait, et la pression de ses mains sur son dos lui
semblaitêtrelasensationlaplusmerveilleuseaumonde.Peut-êtreencoremeilleurequecequiallaitsuivre.Il aurait préférémourir sur place plutôt que d’avouer combien de temps s’était écoulé depuis la
dernièrefoisqu’ilavaitsentidesmainslecaresser,combienc’étaitbon,etcombienilenavaitbesoin.Ilhésitaitpresqueàladéposersurlelit.MaissoncorpsavaitdéjàfaitdenombreusespromessesàceluideCory,et ilcomptaitbientenir
chacuned’elles.Il l’allongea sur les draps et se débarrassa de ses vêtements, ne s’arrêtant que pour extirper un
préservatifdelapochedesonjean.Iljetalapochettesurlatabledenuit,avantd’envelopperdesesbraslabeauténuequisetrouvait
souslui.Ilauraitpuresterainsijusqu’àlafindestemps.Leurscorps se rencontrèrent enfin, leurpeauchaudeetdoucecollée l’uneà l’autre, leurs jambes
entremêlées,poursesentirencoreplusprochel’undel’autre.Mais il avait des promesses à honorer. Il semit à l’explorer de sa bouche et de sesmains, lui
dérobanttoussessecretsàchaquecentimètreparcouru,lahissantjusqu’auxcimesdelapassion.Ses lèvres suivirent l’itinéraire emprunté par ses mains, sur son ventre, ses hanches, puis de
l’intérieurdesescuissesjusqu’àseschevilles.Ilnepouvaitsongeràuneplusbellemanièredelamenerauplaisirsuprême.Lespulsationsdesonbas-ventrerésonnaientmaintenantjusquedanssatête.Ilremontalelongdesa
jambe,et,enivréparleseffluvesmusquésdesonsexe,ilyplongealalangue.Elleétaitàlui.Illapossédait.Elle s’arc-bouta en criant lorsqu’il caressa de sa langue son clitoris. Il se laissait griser par son
parfum.C’étaitsibon.Iln’avaitquerarementpratiquécettecaressequiluiparaissaitsiintime,etiléprouvaunelégèrecrainteàl’idéequ’ils’yprenaitpeut-êtremaladroitement,maislecorpsdeCoryréponditinstantanément,commes’ilavaitentendusaquestion.Ilyprenaitautantdeplaisirqu’elle.Illaléchaavantdeplongersalangueplusprofondémentenelle,
etilneputréprimerunsourirelorsque,desesmains,elleluisaisitlatêteetl’attiraplusprèsencore,avantdeplantersesonglesdanssesépaules,commesicequ’illuiinfligeaitdevenaitinsoutenable.Il sentit les soubresautsqui laparcoururent alorsque l’orgasme la submergeait, et l’écoutagémir
sanspouvoirsecontrôler.Avantquelavaguedeplaisir laquitte, ilenfilalepréservatifetseglissaentre ses cuisses, lapossédant cette fois complètement alorsqu’il s’immisçaitdans sesprofondeurschaudesetaccueillantes.—Wade!Lemurmuresechangeaencri,etsonnomneluiavaitjamaissembléaussimélodieux.Ilsavourason
triomphe,carelleétaittouteàlui.Puis les élancementsde soncorps se firentpluspressants, etCory s’agrippaà lui, l’accompagna
danssonva-et-vient,etlorsqu’ilsefitplusinsistant,ellemurmurasonnomunenouvellefois,toutenenveloppantdesesbrassontorsepuissantetdesescuissesseshanchesminces.Elleletenait,l’enserraitdetoutsoncorps.Elleluifaisaitcomprendrequ’ellel’acceptaittotalement,
qu’ellel’accueillaitdanssoncœuretdanssoncorps,etl’emmenaavecellejusqu’auseptièmeciel.L’espaced’uninstant,ils’autorisaàcroirequ’ilétaitàsaplaceauprèsd’elle.
11
Ilsrestèrentallongéslongtemps,blottisl’uncontrel’autre.L’expérienceétaitnouvellepourWade.IlserésolutàenparleràCory,mêmes’ilcraignaitqu’ellenelejugedurementenapprenantque,jusqu’àprésent,coucheravecquelqu’unnereprésentaitrienàsesyeux.Enrevanche,ilpartageaitavecCorydes secrets qu’il n’avait jamais avoués à personne. Certainement parce qu’elle semblait lecomprendre.—C’estlapremièrefois,luidit-ildoucement.Elleremuasousluiet,lorsqu’ilscrutasonvisagedansl’obscuritéquasitotale,ilcrutydécelerun
sourire.—Qu’ya-t-ildesidrôle?—Eclaire-nous,luisuggéra-t-elle.Jeveuxtevoir.Ilallaitsetrouverexposé,unefoisdeplus.Lesconfidencesétaientplusfacilesdanslenoir,comme
ill’avaitapprisaucoursdesnombreusesheurespasséestapienplanque,dansdescontréesétrangères.Maisilobtempéra,etallumalalampedechevetposéesurlatabledenuit.Ilfaisaittoujourssombre,l’ampouledispensantjusteassezdelumièrepourlire.Elleluisouriait,leslèvresgonflées,lesyeuxlourdsdesommeil,etilseplutàconstaterqu’ellene
luiavaitjamaisparuaussiheureuse.—J’aidumalàcroirequetun’avaisjamaisfaitl’amouràunefemme.—Cen’estpascequejevoulaisdire.Ilregrettapresquedes’êtreexprimé.—Dequoiparlais-tu,alors?Sonsouriredisparut,etsonregardsefitplussérieux.Ilhésitaavantdeprendrelaparole.—C’estlapremièrefoisquejeresteblotticontreunefemmeaprès…Coryécarquillalesyeuxet,l’espaced’uninstant,ellesemblanepassaisirlaportéedesesparoles.
Maisaprès,sonvisageprituneexpressionquitouchalecœurdeWade.—OhWade!murmura-t-elle.Toutàcoup,ellel’entouradesesbras,etleserrafort,sifort,pourquecesentimentnedisparaisse
jamais.—OhWade!répéta-t-elle.Jepensequec’estlachoselaplustristequej’aieentendue.—Non,nemeplainspas.Soisheureuse,autantquejelesuis.Elleenfouitsonvisagedanslecreuxdesonépauleetydéposauntendrebaiser.—Tuesvraimentunêtreexceptionnel,contrairementàcequetupenses.—Toiaussi.Elleneréponditpas,secontentantdeletenirplusfortcontreelle.
Ilauraitaiméresterainsiindéfiniment,etpeut-êtreques’ilavaitétéuntypeordinaire,ilauraitpus’offrir ce luxe.Mais en tant qu’ancien agent des forces spéciales, le tic-tac scandant le compte àreboursdesamissionrefusaitdemarquerunepause.Ilnepouvaitfaireabstractiondelaréalitébienlongtemps,nioublierqu’unmeurtrier rôdaitprobablementdans lesparages. Il savaitparexpériencequelessystèmesd’alarmen’étaientqu’uneminceprotectioncontreunmalfratdéterminé.Malgrélecrève-cœurquecelareprésentait,illaissalaréalitéreprendresesdroits.—Allonsprendreunedouche,proposa-t-il.Unemanièredoucedereprendrepiedavecleprésent.Carresterdanslapositionoùilssetrouvaient
leslaissaientsansdéfense.Mêmenu,ilneseraitpasforcémentàsondésavantageencasdelutte,maisil ne pouvait en dire autant de Cory. Et s’il la laissait le distraire de nouveau, ce qui était uneéventualitéasseztentante,ilscouraienttousdeuxdesrisques.Adeuxsouslejetbrûlant,ilsinventèrentdesjeuxcoquins,commepourprolongerl’exquiseétreinte.Il l’aidaàsesécher,puiss’éclipsapendantqu’elleremettaitdel’ordredanssescheveux.Ilavait
baissélagardependanttroplongtemps.Il commençaparvérifier leboîtierde l’alarme.Tout semblaitnormal,mais ildécidamalgré tout
d’inspecterlamaison.Ilreplaçasonpoignardàsaceintureetchaussasesbottes.Ilsedispensadesont-shirt,carilfaisaitencorechauddanslamaison.Lorsqu’il eut la convictionque lepérimètre était sécurisé, il suivit le raide lumièrequi lemena
jusqu’àlacuisine,oùCorypréparaituncafé.Iljetaunregardàl’horlogemurale.—Cen’estpasunpeutardpourcegenredeboisson?Ouunpeutôt,envérité.Ellesecoualatête,etlorsqu’elleseretrouvafaceàlui,ilcompritquelaréalitéavaitaussireprisle
dessus chez elle. La douceur avait quitté son visage, à l’exception de ses yeux, lorsqu’elle lespromenaitsurlui.Dumoins,jusqu’àcequ’ilsseposentsursoncouteau.—Jevois,futtoutcequ’elleparvintàarticuler,avantdeluitournerledos,feignantd’attendreque
lecafésoitprêt.—Jemedoutaisquenousnedormirionspasbeaucoup,d’unemanièreoud’uneautre.—Tuascertainementraison,reconnut-il.Cory,jesuisdésolé.—Arrêtedeculpabiliser,pourl’amourduciel!Cequiarriven’estpastafaute.Nilefaitqueje
soisdécouragée.Nousavonsprisdubontemps,enfin,jeparlepourmoi.L’espaced’uninstant,j’aieul’impressiond’êtrenormale,etjen’aipasl’intentiondem’excuserpourcela.Maismaintenant,ilfautredescendresurterre.—Cory,tuesnormale.— Je t’en prie, souviens-toi de ce que j’ai fait aujourd’hui. J’ai carrément craqué, avant deme
refermersurmoi-même.Puisjem’ensuispriseàtoi.Elleseretourna,saisitdeuxtassesetlesposasurlatable,avantdes’emparerdelabouteilledelait.
Unjetdevapeurannonçaquelecaféétaitpratiquementprêt.Tandisqu’ill’observait,ilsentituneétrangedouleurdanslapoitrine.Ilsprirentplaceautourdela
table.—Cessedet’envouloiràcausedecequetum’asdit,dit-il.
—Etpourquoidonc?Jemesuismontréeabjecte.Jesuissurprisequetuaiespumefairel’amouraprèscela.Ce n’était pas bon signe. Il ne voulait pas faire naître ce genre de sentiment en elle. Jamais.
Commentluifairecomprendrequ’ilavaitvraimenteffacécetépisodedesamémoire?Ilchoisitsoigneusementsesmots.—J’ai eu tout le tempsdedévelopperuneplusgrandeconfianceenmoi.Lesnomsd’oiseauxne
m’affectentplus.J’aientendubienpire.Jeneprétendspasêtreparfait,loindelà.Maisaucoursdesvingt dernières années, j’ai eudesoccasionsdeme reconstruire.Pas toi.On t’a détruite, et tu doisapprendreàpatiemmentrecollerlespièces.Ilestlégitimedesesentirdépasséeparlesévénements,parfois.Maistuvast’ensortir.Tuvasmodelerunenouvelleversiondetoi-même.Etjetesouhaitedet’yprendremieuxquemoi.—Queveux-tudire?—Essaiedetedébarrasserdecertainesmines!Sonconseillafitrirejaune.—Jen’aiaucuneidéedel’endroitoùellessetrouvent.—Biensûrquesi.Tusaiscequitemetmalàl’aiseetcequit’effraie.Tum’asmêmeexpliquéce
quit’apparaissaitcommeunemenace.—Vraiment?—L’espoir,luirappela-t-il.C’estcequiteterrifie.De longues minutes s’écoulèrent, tandis que Cory réfléchissait à ce que venait d’énoncerWade.
Commesisesmotsvenaientdedéchirerlevoilequiluidissimulaitlaplusprofondedesesblessures.C’étaitdouloureux.Desamain,ellecouvritlebasdesonvisageetfermalesyeux.—C’estparcequejeleconsidéraiscommequelquechosed’acquis,auquelj’avaisdroit.—Jesais.Çareviendra.Ilparaissaitsisûrdelui,maiselleenavaitétéprivéedepuissilongtempsqu’elleavaitpeineàle
croire, tout en craignant paradoxalement qu’il ait raison. Car après tout, qu’avait-elle à espérer ?Qu’elleseréveilleraitunmatin,quesonquotidienseraitexemptde toutemenace,etqu’ellepourraitreprendresavied’antan?Elle ne serait plus jamais cette femme. Jamais. Du fait du chaos dans lequel elle se débattait
actuellement, elle ne pouvait imaginer qui elle deviendrait, si cette épée deDamoclès disparaissaiteffectivement.— Commence par de petites choses, dont les résultats semblent immédiats. De petites graines
d’espérance.—Est-cequetulefais,toi?—Biensûr.J’aspireàdenombreuxchangements.—Telsque…?—J’aimeraismefondredanslamassedescivils,justeassezpourneplusêtreunebombequirisque
àtoutmomentd’exploser.Jevoudraisarrêterdevoirledangerpartoutetdepenserquechaquerecoinsombre est une cachette potentielle. Je veux dormir sans me réveiller dans des sueurs froidesprovoquéesparmescauchemars.
—Çat’arrive,àtoiaussi?—Constamment.Moinsqu’ilyaquelquesmois,cependant.—Commemoi.Audébut,j’avaismêmepeurdem’endormir.—Celanem’étonnepas.—Pendantlongtemps,unsimplecoupfrappéàlaportememettaitdanstousmesétats.—Maisçavamieux,maintenant?—Oui.—Tu vois ? Il posa lesmains à plat sur la table. Ce sont de petits pas, Cory,mais tu as déjà
parcouruduchemin.Etmonexpérienceteditqu’ilt’arriveraaussidereculer,àcertainsmoments.—Commecefutlecasaujourd’hui.—Pasdutout.—Ahbon?Commentqualifierais-tucequej’aifait?Ceregard…hanté,commetulequalifiais.
Cettefuriequis’estemparéedemoi?Lafaçondontjet’aiinvectivé?—Tescrismontraientqueturevenaisparminous.J’aivudesgarssombrerbienplusprofondément
etyresterlongtemps.Jediraisquetuesviteremontéeàlasurface.—Tupensesquec’estencourageant?—Absolument.Tuespleinedevie,Cory.Tucommencesàruerpourtedébarrasserdecettepeuret
decedésespoir.Tuvasdevoirlutter,maisjesuispersuadéquetuensortirasvictorieuse.—Jel’espère,ellelaissaéchapperunpetitrire,tum’asentendueparler?—Tuessurlabonnevoie.Ilremuasursachaiseetsepenchalégèrementenavant,verselle.—Cette année semble t’avoirpermisde commencer àguérir. Jene suispaspsy,mais c’estmon
avis,d’aprèscequej’aivu,etcequej’aiapprispendantmacarrière.—J’enaiassezd’êtresanscesseterrorisée.— Sans blague ! Mais regarde-toi. Tu es encore là. Tu cherches à remonter la pente. D’autres
auraientdéjàabandonné.—Jenesaispas.—Jenesuispasjugeenlamatière.Maispose-toicettequestion:depuisquetut’esinstalléeici,
as-tuconstammentvécudansl’angoisse?Elles’apprêtaitàrépondre«oui»,puiselleseditquecen’étaitpasvrai.Cetteprisedeconscience
lasurpritaupointdesuspendreuninstantlesbattementsdesoncœur.Lavisionqu’elleavaitd’elle-mêmen’étaitpeut-êtrepasexacte.—Au début, oui.Mais ensuite, c’était uniquement lorsque quelque chose venaitme perturber. Il
seraitfauxd’affirmerquej’aiconnuuneannéed’angoisseirrépressible.— Je suis prêt à parier que la plupart du temps, tu n’en avais plus conscience. En absence de
menacedirecte,lorsquetutravaillais,parexemple.Elleacquiesçalentement.—C’estvrai.
—Ilestdoncexagérédedirequetuaspassétoutcetempsàangoisser.Ils’agitd’uneinterprétation,l’idéequetut’enesfaite,maispeut-êtredemanièrepastotalementobjective.—Tuasraison,dit-elleenseredressantimperceptiblement.Celamesortaitparfoisdelatête.Pas
pourtrèslongtemps,maiscelam’arrivait.C’étaitlaseulefaçonderespirerunpeu.—C’est évident.Accorde-toi aumoins cela,Cory.Dans ces circonstances terribles, après avoir
perdutoutcequicomptaità tesyeux, tuasréussiàallerdel’avant.Agarder tonposte,àrégler tesfactures,àlireetprobablementàalleraucinémaunefoisoudeux.Tuaspoursuivitonchemin.Tut’ensortaisbienmieuxquecequetupensais.—Non,non,pasvraiment.Ellenepouvaitquese rappelerses tropnombreuxéchecs,etdemanière tropprécise.Cequ’elle
n’étaitpasparvenueàfaire, lesmotsqu’ellen’avaitpasdits.Sielledécidaitd’endresseruneliste,ellefiniraitparsedétester.— En es-tu si certaine ? Tu n’as pas baissé les bras, alors que beaucoup l’auraient fait. Il faut
admettrequetuauraisguéribienplusfacilement,etplusrapidement,situn’avaispasététransplantéeloindecequit’étaitfamilier.Maiscelanerendtessuccèsqueplusadmirables.—Jen’aipasprogressé!—Lefaitd’avoirsurvécupendantunan,partespropresmoyens,estunevictoireensoi.Pourquoi
netereposes-tupassurtesforcesplutôtquedesoulignertespointsfaibles,histoiredechanger?Cetteremarqueladéconcerta.Quelsétaientsespointsforts?Celafaisaitunanqu’ellen’étaitàses
yeuxqu’unesourisrongéeparlapeur,incapablederépondreàlaportesansvérifierd’abordl’identitédesonvisiteur.—Tuesalléetravaillerchaquejour,tut’esrendueàlabanque,tuesalléefairetescourses.Tut’es
mêmefaitdesamis.—Pasréellement.J’étaisincapabledelaisserquiconquedevenirtropproche.—Maisaprèscequetuavaisvécu,s’agissait-ildeparanoïa,ouplutôtdesagesprécautions?Elle s’apprêtait àprotester, enarguantqu’ilne laconnaissaitpas suffisammentpourdevinerquel
avaitétésonétatd’esprit.Maisunesoudaineprisedeconsciencel’obligeaàsetaireetàanalysersesactionset soncomportement sousun journouveau.Oui, elleavaitvécudans la terreur,maispasaupointoùcelle-ci l’avaitempêchéedemeneruneviequotidiennepassablementnormale.Pasaupointd’êtrerestéeterréechezelle.Ellen’avaitjamaisappréhendéd’allertravailler,mêmesiellen’avaitjamaisbaissélagarde.Oui,
elle avait éprouvé des difficultés à ouvrir sa porte d’entrée à ceux qui s’y présentaient,mais étantdonnélascèneàlaquellecettesituationétaitassociéedanssonesprit,elledevaits’estimerheureused’êtrecapabledelefaire,mêmedifficilement.ElleavaitdînéàplusieursrepriseschezNateetMargeTate,ouchezGageetEmmaDalton.Ellese
rendait régulièrement à la bibliothèque et n’avait jamais redouté de le faire, au bout de quelquessemainesdumoins.End’autrestermes,peut-êtreavait-ellefaituneconfusionentreprudenceextrêmeetterreur.Ilétait
évidentqu’elleavaitététerrifiéeaprèslamortdeJim,lorsqu’elles’étaitretrouvéelivréeàelle-même.Pourlapremièrefoisdepuisdenombreuxmois,ellen’avaitpluslesmarshalsàsescôtés,elledevaits’habitueràcettenouvellevilleetreconstruireunsemblantdequotidien.
Elleyétaitparvenue.Lecœur lourd,brisé,aupointqu’il luisemblaitmêmedifficilederespirer,détestantetcraignanttoutàlafoisl’inconnuquereprésentaitl’aveniretlepasséquipouvaitêtretentédelapoursuivre.Maiselles’enétaitsortie.—Tuvois?insista-t-il,commes’ilavaitperçulechangementquivenaitdeseproduire.Cequit’est
arrivéaujourd’huiadûseproduireuncertainnombredefoisdepuis l’assassinatde tonmari.Tuascraqué parce que tu subissais trop de pression. Le passé et le présent, tous ces problèmess’accumulaient tandis que tu écoutais ma conversation avec Gage. Alors tu as déconnecté tous lessystèmes.C’estunfusibled’autoprotection,quiconstitueparfoisnotreseulrecours.—Celat’arrive,àtoiaussi?—Jetel’aidéjàdit.Etj’enaiététémoinrégulièrement.C’estlelotdeceuxquisurviventauchamp
de bataille ou aux catastrophes naturelles. Le cerveau accumule tant de tension qu’il finit par direassez.Iln’estpluscapabledegérerunesituation,alorsilcoupe.Cen’estpasunéchec,etceluiàquicelaarrivenedoitpassesentircoupable.Ils’agitd’unréflexedesurvie,quinedevientnéfasteques’ils’installedefaçondurable.—Tuasparlédesyndromedechocpost-traumatique.N’est-cepasunemaladie?—Cen’estpascequej’aivuaujourd’hui,Cory.TonSCPTétaitsalutaire.Cequejem’évertueà
t’expliquer est que, d’après ceque j’ai puobserver chez toi, tu n’espas aussi irrécupérableque tusembleslecroire.Elle soupira, laissant lesmots deWade faire leur chemin en elle, remettant de l’ordre dans ses
idées,afindesevoirsousunjourplusoptimiste.Cechangementlafitsesentirmalàl’aise.Puisunenouvellepenséeluitraversal’esprit.—Jecroisquetuasvujuste,enparlantdeculpabilitédusurvivant.—Queveux-tudire?—Lapeur et le chagrin…Ilsn’étaientpeut-êtreque les instrumentsque j’avais choisispourme
punir.Même si elle saisissait la logique de ce mécanisme, elle n’aimait pas cette idée. Elle espérait
presquequ’ilallaitlacontredire.—Celanemeparaîtpasdénuédesens.Maistutetransformesenpsyàlapetitesemaine,etmoi-
mêmejemesuisengagéunpeutroploinsurceterrain.Cequejeteraconten’estquelerécitdecequej’aiobservéetvécuaucoursdecesdernièresannées.Elle y réfléchit plus longuement, cependant, essayant de trouver un lien avec ses réactions. Les
marshalss’étaientefforcésderecréerunenvironnementpropiceàunnouveaudépart.Enyregardantdeplusprès,ilsavaientfaitdubontravail.C’estellequiavaitplusoumoinsrefusécetteopportunitéquiseprésentaitàelle.Ledeuilétaitunechose, toutcommesacraintedeseretrouverseule,surtoutaudébut.Maisavait-ellecommencéàutilisercettefrayeurcommeunmoyendeseflagelleretdelimiterseschoix,parcequ’elleétaitencoreenvie,alorsqueJimetleurbébéétaientmorts?Elleeutlesentimentquedesportess’ouvraientdanssonesprit,luidonnantunevisionplusglobale
quecellequ’ellepercevaitdel’intérieurdelaboîtedanslaquelleelles’étaitenferméependantunan.De nouvelles perspectives s’offraient à elle, mais enmême temps, elle ne se reconnaissait plus
vraiment.Quiétait-elle,réellement?Qu’avait-ellefaitdesaviel’annéedernière?Ellesedoutaitquecettenouvelleimaged’elle-mêmeétaitplusprochedelaréalitéquecelleplutôtrestreintequ’elleavait
euejusqu’alors.Lechagrinetl’angoissen’expliquaientpastout.Ellesoupira.—J’aibesoind’examinercela.Maisj’aimeraisquetuacceptesmesexcusespourcequejet’aidit
toutàl’heure.Jesuishorrifiéeparmoncomportement.—Jepensaisquel’affaireétaitclose.Maisj’acceptevolontierstesexcuses.—Tuesvraimentgentil.Ilneréponditrien,cequilapoussaàsedemandersiellel’avaitoffensé.—Ilfautquej’apprenneàaccepterlescompliments,ajouta-t-ilavecunepointed’humour.—Celatemet-ilmalàl’aise,lorsquejedisquetuesgentil?Elleespéraitquecen’étaitpaslecas,carils’étaitvraimentmontrébienveillantenverselle,bien
plusqu’ellen’étaitendroitdel’attendre.—Maconscienceessaiedemerappelertoutescesfoisoùjenel’aipasvraimentété,répondit-il,de
latristessedanslavoix.Elleeutunsourireunpeutriste.—Oui,toutcommelamienne,quimemontrequej’aigâchéunandemavie,avectouscesprojets
quej’auraispumeneràbien.—Jecroisqu’ilesttempsdelâcherunpeudelest.—D’accord.Maisenétait-ellecapable?Pouvait-ellepartagersonpointdevue?Ilavaitfaitsonpossiblepour
laconvaincrequ’aprèscequ’elleavaitvécu,sesréactionsétaientnaturellesetquelavisionqu’elleavaitd’elle-mêmeétaiterronée.Ellesedécidaàluiposerunequestionqui,ellelesavait,pouvaitavoirdelourdesconséquences.
Mais la réponse l’aiderait à faire grandir cet espoir en elle et lui donnerait une chose à laquelles’accrocher.—Wade?—Oui?—Dis-moiàquoituaspires,encemoment.Justeunepetitechose,pastesgrandsprojets.Ellevitsonvisagesefigerprogressivement,mais,avantqu’ilsesoitcomplètement transforméen
roc indestructible, elle le vit se détendre de nouveau, pratiquement muscle par muscle. Il restasilencieuxpendantuneminute.—Wade?—J’espèrequetumeserrerasencoredanstesbras,undecesjours,finit-ilparconfesser.Sesmots luiallèrentdroitaucœur.Elleeutmalpour lui,quisouffrait tantdesonisolementetsa
solitude.Elleseleva,fitletourdelatableetseglissasursesgenoux.Ellel’entouradesesbras.— Et moi, commença-t-elle, la voix empreinte d’émotion, que tu me laisseras te tenir ainsi de
nombreusesfois.Celamefaittantdebien!Ill’enlaçaàsontour.—Autantquetuleveux,Cory.
De nouveau, il sentit des frissons dans sa nuque, probablement parce qu’il avait baissé la gardedepuistroplongtemps.Ouparcequesonhorlogeinternevenaitbattrelerappeldestroupes,calculantlenombredejoursetd’heuresqu’ilfaudraitautueurpourentrerenaction,s’ilavaitidentifiéCory.Cettesensationl’avaittoujoursavertiencasdedangerimminentetilsavaitqu’ilpouvaits’yfier.Le soleil se lèverait dansmoins d’une heure.C’était lemoment idéal pour attaquer, lorsque l’on
pouvait encore s’envelopper du manteau de l’obscurité et que la plupart des gens étaient le plusvulnérables. C’était l’heure à laquelle les sentinelles perdaient de leur vivacité, où le sommeilembrumaitlessens.L’heurequiprécédaitl’aurore.Ilselivraàunrapidecalcul:toutd’abord,cetappeltéléphonique,puiscetinconnuquiconduisait
deuxvéhiculesdifférents. Il s’agissait peut-êtredu tueur enpersonne, àmoinsqu’il ne soit que songuetteur,unvisagenonidentifiéquivenaitrecueillirdesinformations,sansquepersonneneremarquesaprésence.Bonsang,commeilauraitaiméêtrefixé!IlavaitaumoinsréussiàconvaincreCorydesomnolersurlecanapé,luipromettantqu’ilmonterait
lagardeauprèsd’elle.Maisilauraitaimésefaufileràl’extérieurpourinspecterlesenvirons,parcequemêmesilesadjointsdushérifaccomplissaientleurtâcheaveczèle,ilétaitplusefficacequ’eux.Ilvérifial’alarmeàplusieursreprises,afindes’assurerqu’ellen’avaitpasétédéconnectée.Aucun
signeanormaln’apparaissaitsurl’écrandecontrôle.La sonnerie du téléphone retentit.Wade décrocha immédiatement, en espérant que la sonnerie ne
réveilleraitpasCory.Lajeunefemmerestaplongéedanslesommeil,manifestementépuisée,etayantprobablementplacétoutesaconfiancesurl’hommequiveillaitsurelle.Ilespéraits’enmontrerdigne.Ilemportalecombinédanslacuisine,aprèsavoirvaguementsaluésoninterlocuteur,etc’estlavoix
deGagequiluirépondit.Atraverslesrideaux,ildistinguaitlespremièreslueursdel’aube.—Onaidentifiéletypeauxdeuxvoitures,luiannonçaleshérif.Ilsemblaitàpeineéveillé.—Quiest-ce?—UndétectiveprivédeDenver.—Nomdenom!—JevaisdemanderauxcollèguesduColoradodel’appréhender,afindedéterminerquil’aengagé.
Ainsi,noussauronsquellesinformationsilarecueillies,etàquiillesatransmises.—Oui,etonpourraitseservirdelui.Wade passait en revue les scénarios possibles, tout en remplissant sa tasse de café. Plus il y
réfléchissait,etpluscetteidéeluiplaisait.—J’ysongeaisaussi,luiréponditGage.S’iln’estpastroptard.Maisilfautd’abordl’interroger.Il
devracoopérer,s’ilveutconserversalicence.—Combiendetempscelaprendra-t-il?—LorsquelesgarsdeDenverl’aurontarrêté,jemènerail’interrogatoireautéléphone.Jetetiendrai
aucourant.Maisnelalaissepasquitterlamaison.
—D’accord.Gage?—Oui?—J’aibesoindedormir.Quatreheures,pasplus.— Je vous envoie Sara Ironheart, en civil. Comme si elle venait prendre un café. Accorde-moi
uneheure.Jepeuxégalementmettredesgensenplanqueàproximité,maiscelaprendraplusdetemps,sionveutfaireleschosesdiscrètement.—Ilnefaudraitpaslefairefuir.Ilesttempsd’enfinir.—Jepartagetonavis.Peux-tuteniruneheuredeplus?—Jevaisbien.Maisjeseraisplusefficaceenm’étantreposéunpeu.Ilraccrochaetsefrottalesyeux.Unprivé?Quelqu’unquineconnaissaitriendel’histoire,àquion
pouvait faire avaler des couleuvres. Et comme il n’avait aucun lien direct avec lesmalfaiteurs, ilsl’avaientenvoyéretrouverCorysansattirerl’attentiondepersonne.Enthéorie,dumoins.Ce tueur savait ce qu’il faisait. Il ne s’agissait pas d’un débutant. Les paumes de Wade
commençaientàledémanger,enpensantautraitementqu’ilauraitaiméluiinfliger,maisqu’ildevraitoublier,carilétaitdésormaisuncitoyenordinaire.Il existait des centaines de façons demourir, et il avait appris que rares étaient celles à la fois
rapidesetmiséricordieuses.Il chassa ces pensées. Il avait cessé d’être cet homme. Il essayait de devenir quelqu’un d’autre,
dignederespirerlemêmeairqueCoryFarland.Enrevanche,unechoseétaitsûre:ilferaittoutpourlaprotéger.Mêmes’ildevaitpourcelapasser
lerestedesavieenenfer.
12
SaraIronhearts’annonçaenfrappantdiscrètementàlafenêtrejouxtantlaported’entrée.Elleportaitungrandpulletunjeansousunevesteunpeuépaisse,dontelleécartaunpanpourlaisserapparaîtresonbadge.Il remarquaaupassagele9mmsemi-automatiquesanglédansunholsterauniveaude lapoitrine.Acontrecœur,carilcraignaitquelesignalréveilleCory,Wadedésactival’alarmepourpermettreà
Sarad’entrer.Illaremitenrouteaussitôtaprès,maudissantle«bip»retentissant.—Wade?appelaCory,d’unevoixensommeillée.—Jesuislà,luirépondit-il.Toutvabien.Rendors-toi.Ellemarmonnaquelquechose,puis il lavitchangerdepositionsur lecanapé,avantde retomber
danslesbrasdeMorphée.Cettefemmen’avaitriendelasouristerroriséeàlaquelleellesecomparaitrégulièrement.Il fit signe à Sara de le suivre dans la cuisine et ferma la porte derrière eux afin que leur
conversationnedérangepasCory.—Mercid’êtrevenue.—Iln’yapasdequoi.Amontourdejouer,allezvousreposer,luiordonna-t-elleenesquissantun
sourire.—Lecaféestici,etlestassessetrouventdansleplacardau-dessus.—Merci.—Quatreheuresmaximum,luiprécisa-t-il.Elleacquiesça.—Jevousréveillerai.Une fois la sentinellepostée,Wade retournadans le salonet s’installa aussi confortablement que
possibledanslefauteuilinclinable.Unesoudainepousséed’adrénaline tentade legarderéveillé,maisc’étaitunebataillequ’ilavait
déjàgagnéemaintesfois.Danscemétier,unhommenepouvaitfairedevieuxoss’iln’apprenaitpasàdormirn’importeoù,n’importequand,mêmedebout.Cefauteuilétaitdoncunvéritableluxe.Quelquesminutesplus tard,soncorpss’était relâché,et ilavait laissé lesommeil,quoique léger,
l’envahir.Mêmeassoupi,sesoreillescontinuaientàfonctionner,analysantchaquesonqu’ellesrépertoriaient
commenormalouinquiétant.Unautredesesréflexesdesurvie.Coryseréveillapeuaprès,basculantenunefractiondeseconded’unrêvechaudetcotonneuxàla
panique.—Chut!luimurmuraunevoixféminine,etlorsqu’elleouvritlesyeux,elleaperçutSara,accroupie
àcôtéd’elle.
—Nevousinquiétezpas.J’aiprislarelèvedeWade.Coryrespiraavecdifficulté,maisréussitàluiadresserunsignedelatête,tandisquesoncœurse
calmaitpeuàpeu.—Voulez-vousuncafé?chuchotaSara.Coryacceptaets’assitsurlecanapé.Lorsqu’ellevitWadeendormidanslefauteuil,ellesesentitde
nouveauensécurité.Lesmotsdelanuitdernièresemblaientavoirprisracineenelle.Ellesesentaitbien,endépitdelamenacequelaprésencedeSaranecessaitdeluirappeler.ElleselevaaussidiscrètementquepossibleetsuivitSaradanslacuisine.— Il a le sommeil léger, lui fit remarquer celle-ci. Il me fait penser à mon chat. Ses oreilles
semblentréagiràchaquebruit,mêmesisesyeuxrestentclos.Corysourit.—Ilestincroyable.—Jemedoutaisquevousalliezvousréveiller,carvousvousagitiez.Jen’avaispasl’intentionde
vous effrayer, mais je ne voulais pas non plus que vous sentiez que quelqu’un était là, sans vousexpliquerimmédiatementquij’étais.—Mercid’yavoirpensé.Elle remplitsa tasseet resservitSara.Ellesprirentplaceautourde la
table.Quefaisons-nous,maintenant?—Wadeavaitbesoindesereposer,c’estlaraisonpourlaquelleGagem’aenvoyéeici.Jen’aipas
reçud’autresconsignes.—Iln’apasfermél’œildelanuit.Elle ne jugea pas utile de préciser en quoi elle y avait contribué,mais Sara l’avait certainement
deviné.Puisuneautrepenséeluitraversal’esprit.—S’iln’étaitpastranquilleàl’idéedes’endormirsanspersonnepourmonterlagarde,celasignifie
qu’iladûyavoirdunouveau.—Jen’aipasétémisedanslaconfidence,réponditSara,affichantunsourireunpeucontrit.Mon
beau-frère,Micah…Vousleconnaissezpeut-être?—Unpeu.—Ehbien, autrefois, il faisait partie des forces spéciales, et il lui arrive encore aujourd’hui de
devenirtrèsnerveuxparmoments,commes’ilappréhendaitquelquechose,maissanssavoirdequoiils’agit.Mêmeaprèstoutcetemps,ilretrouvesesvieuxréflexes,rienneluiéchappe.Nemedemandezpas de vous expliquer d’où ça vient,mais ondirait qu’ils sontmunis d’un radar leur permettant dedétecterlemoindreélémentinhabituel.—Luiarrive-t-ildesetromper?—Disonsquej’aieumaintesoccasionsd’apprécierdel’avoirpourcoéquipier,enplusd’êtreun
membredemafamille.Coryacquiesça,d’ungestelent.—Celanedoitpasêtrefacileàvivrepoureux.—Jenesaispas.Ilsonttendanceànepass’étalersurlesujet.
LesouriredeSarasemblasefiger.—C’estcommes’ilsseconnectaientàunsystèmed’informationsurnaturel.Parexemple, lorsque
monfilss’estcassélebras.Micah,dèslaveille,netenaitplusenplaceetaffirmaitquequelquechoseallaitseproduire.Lelendemain,Sagetombaitd’unarbre.—Impressionnant!commentaCory.—Parfois,lorsqu’onestenintervention,ilal’impressiond’êtreéquipéd’uneespèced’horlogequi
égrèneuncompteàrebours.Sixs’estproduitàtelleheure,alorsydevraitarriveràtelmoment.PuisSarahaussalesépaules.—Jen’aipasd’autreexplication.Etj’aibeaun’êtrequesous-officier,ilm’arriveaussid’avoirce
genredepressentiment.Çaressembleàdescourbaturesouàdespicotements iciet là.L’impressionquequelquechosenetournepasrond,expliqua-t-elleàCory.—C’estprobablementvotreintuition.—Peuimportelenomqu’onluidonne.Ellesetournaverslapendule.—Wadem’afaitpromettredeleréveillerauboutdequatreheures,pasuneminutedeplus,ajouta-t-
elle.Cequiveutdirevers10heures.—Cen’estpassuffisant,protestaCory.Ildoitsereposerdavantage.—Lorsqu’unhommecommeluiditquatreheures,onnediscutepas.Jenem’engageraipassurce
terrain.—Moinonplus,reconnutCory.Wadepouvaitsemontrerentêtésurcertainspoints,etelleavaitfaillileperdreàcausedeparoles
blessantes.Quipouvaitprévoircommentilréagiraitdanscecas?Ilrisquaitdevoirrougesiellenerespectaitpassesconsignes.En outre, il serait stupide de ne pas coopérer avec son garde du corps, même si à ses yeux il
s’agissaitdedétails.Elle soupira et éprouva un sentiment semblable à celui qui lui était familier à l’époque où les
marshals l’avaient placée en résidence surveillée pendant trois mois. Prise au piège, observée enpermanence, dénuée de toute volonté. Au moins, cette fois, elle avait accompli son deuil. Enfin,presque.Néanmoins,cesévénementsvenaientdefairerenaîtredevieuxsouvenirs,danslesquelselleseforça
àmettredel’ordre.Ladouleurd’avoirperduJimetleurbébéétaittoujoursprésente,maiss’apparentaitdésormaisplus
àcelled’unmembrefantômequ’àcelled’uneplaieouverte.Ellenedisparaîtraitprobablementjamais.Mais comme l’avait souligné Wade, cela ne l’empêcherait pas de vivre, si elle s’y employaitactivement.Siellefaisaitl’effortd’allerdel’avantetd’acceptercommetelslespetitsplaisirsquelavieluioffrait,aulieudesesentircoupable.Maisilluifallaitd’abordsedébarrasserdecetueur.Denouveau,elleseretrouvaitfaceàunchoix.Est-cequ’ellelaisseraitcethomme,quicherchaità
assurersapropre tranquillité, l’empêcherdevivrepleinement?Ouallait-elleprendresondestinenmain?
Carpersonne,absolumentpersonne,nepouvaitluipromettrequ’elleverraitunautrejourselever.Après tout,siellese trouvait làaujourd’hui,c’étaitparcequ’uncoupdefeuavait failli la tuer,elleaussi.Etait-cedu tempsqu’elleavaitvoléà lamort?Possible.Oupeut-êtreétait-ce toutsimplement la
vie,etilétaittempspourelled’yprendrepartdenouveau.A10heures,elleallaréveillerWade.Lespectaclequ’elleeusouslesyeuxlafascina.Wadeouvrit
brusquement les yeux et tout son corps se contracta, comme s’il s’apprêtait à bondir. Dès qu’ill’aperçut,sonvisagesedétendit.—Toutvabien?demanda-t-il.—Oui.Saras’apprêteàpartir.—D’accord.Ilsepassaunemainsurlevisageets’assit.Ilpassasesbrasautourdeshanchesde
Coryetpressasonvisagecontresonventre. Immédiatement,elle ressentitdedouxpicotementsdanssoncorps.Elleluicaressalescheveux.—Undecesjours…,murmura-t-il.—Quoi?Ilsoupira,puisbasculalatêteversl’arrière,etluisourit.—Undecesjours,nouspasseronsautantdetempsquenouslevoudrons,seuls,rienquenousdeux.Elleluisourit,charméeàcetteidée.—J’ycomptebien.—Tantmieux.Ilrelâchasonétreinte,etlegardeducorpsrefitsurface,sonvisageserefermantetsesyeuxprenant
unéclatmétallique.D’unepoussée,ilsedégageadufauteuiletaccompagnaCorydanslacuisine,oùSararemettaitsaveste,afindecamouflersonarme.Elleressemblaitàunefemmecommelesautres,etaucundétailn’auraitpulaisserpenserqu’elletravaillaitpourleshérif.—Ehbien,déclara-t-elleensouriant,ilesttempspourmoid’yaller.Soudain, quelqu’un frappa à la porte. Tous trois se figèrent sur place. Cory eut le sentiment de
recevoiruncoupdepoignardenpleincœur,commechaquefoisqu’elleentendaitcebruit.—Jem’encharge,déclaraWade.MaisSaraluiemboîtalepas,revolveraupoing.Ellesetenaitàl’écart,tenantl’armedesesdeux
mains,auxaguets,pendantqueWadejetaitunregardsurl’écrandecontrôledelacaméra.Cory tentade suivre la scènede la cuisine, agrippant lemontant de la porte si fortementque les
jointuresdesesdoigtsavaientblanchi.—C’estGage,annonçaWade.Ilouvritlaporteaushérif,etCoryfutsisurpriseenlevoyantqu’ellefaillitpousseruncri.Ellene
l’auraitjamaisreconnu.Ilauraitputravaillerdanslesquartierschauds,enfilaturepourlabrigadedesstups,comme il le faisaitautrefois. Ilavaitplutôtmauvaisealluredanssavestedecuirélimée,sonjeanmaculédetachesetlacasquettequiremplaçaitleStetsonqu’ilarboraitd’ordinaire.— Salut ! dit-il en entrant. Veuillez excusez ma tenue négligée, mais je ne voulais pas donner
l’impressionqueleshérifvenaitvousrendrevisite.
—Tudonnesvraimentbienlechange,lefélicitaCory.Ilricana.—C’estlebutrecherché.Bon,ilfautqu’ondiscute.—Est-cequetuveuxquejereste?demandaSara.—Oui.Nousdevonsmettreaupointunplan.Le salon étant la seule pièce dans laquelle ils pouvaient tous trouver un siège, Gage choisit le
fauteuilinclinableetSaralerocking-chair,laissantlecanapéàCoryetWade.LecœurdeCorysemitàbattre.Gageneseraitpaslàs’iln’avaitrienapprisdenouveau.—Bien.J’aiparléàWade,toutàl’heure,maisjenesaispass’ilaeuletempsdetefairepartde
notre conversation. Le type que nous soupçonnions de te filer est un détective privé qui vient deDenver.D’unedesespoches,ilsortituncarnetqu’ilsemitàfeuilleter.—Jevaisessayerdem’entenirauxélémentsessentiels.—D’accord.Elle crut que son cœur allait s’arrêter, mais les battements redoublèrent d’intensité. Sa bouche
devintsèche,souslecoupdelapeurqu’ellesentaitémerger.—Sonclient,quisefaitappelerVincentOrdano,l’aembauchépourteretrouver,enprétextantque
tu luidevaisunegrossesommed’argent.D’après lui, ilsavaitque turésidaisdanscecomté,que tusemblaisavoirchangédenometd’apparence,etqueleseulmoyendetecoincerétaitdetefairecroirequ’ont’avaitdémasquée.ExactementlastratégiesuggéréeparWade.Corysentitsonestomacsenouer,etellecouvritsabouchedesamain,commesicelapouvaitl’aider
àdissipersonmalaise.—Quoiqu’ilensoit,etconformémentauxsoupçonsdeWade,l’enquêteur,quis’appelleMoran,a
ciblédesfemmesd’uncertaingrouped’âge,ayantemménagéenvilleaucoursdel’annéepassée.Ilenarecenséhuit,etcommeOrdanoétaitincapabled’identifiercellequ’ilrecherchait,Moranapassécesappels téléphoniques et observé les réactions de chacune. Son choix s’est arrêté surMarsha et toi,comme l’avait devinéWade, une fois encore.Moran a remarquéqueMarsha avait adoptéun chien,mais lorsqueWadeasemblésurgirdenullepart, il s’estditqu’ilvenaitd’atteindresonbut.Carcechangementluiparaissaitbeaucoupplusparlant.Jeteprésentemesexcuses,Cory.—Cen’estpastafaute,Gage,luirépondit-elle.—Tuaspeut-êtreraison.Quiauraitcruquel’arrivéed’unlocatairepourraitmettreletueursurta
piste.Parailleurs,Moranavaitcommencéàenquêtersurtonamieettoi,afind’ensavoirplussurvotrepassé.PourMarshac’étaitsimple,ilestviteremontéjusqu’àlasource.Quantàtoi,ils’estrapidementtrouvédansuneimpasse,cequiadûleconforterdansl’idéequetudevaisêtrecellequ’ilrecherchait.Cory tenta d’étouffer un cri.Wade lui prit immédiatement lamain, ce qui, sur lemoment, ne lui
procuraqu’unemaigreconsolation.—Etait-ildoncsisimpledemeretrouver?— Seulement parce que quelqu’un, quelque part, a orienté les recherches d’Ordano, lui rappela
Gage.Etc’estunproblèmequenousnousefforceronsderégler,dèsquenousauronsmislamainsurlui.
—Commentallons-nousnousyprendre?—C’estcedontnousdevonsdiscuter.Maislaissez-moipoursuivre,caraumilieudecemarasme,je
suistoutdemêmeporteurd’unebonnenouvelle.Coryluifitsignedecontinuer,toutenserrantplusfortlamaindeWade.—Morann’apasencorefaitsonrapportàOrdano,quiignoredoncqu’ont’aretrouvée.Morann’a
bouclésonenquêteque tardhiersoir,etnous l’avons interpelléà lapremièreheurecematin,avantmêmequ’il se rende à sonbureau.Par ailleurs, il est tout à fait prêt à coopérer, et il est consternéd’apprendrelesconséquencesqu’auraientpuavoirlesrésultatsdesoninvestigation.—Maiss’ilsaitoùsetrouveOrdano…— Il l’ignore. Toutes leurs communications se sont effectuées par e-mail ou par téléphone, et le
paiementparcartedecrédit.Noussupposonsquelecommanditairedoitêtredanslesenvirons,maisnousnesavonspasoù.Nousattendonsderecevoirl’historiquecorrespondantàlacarteutiliséepourlatransaction,maislesinformationsneserontprobablementplusexploitablesefficacementaumomentoùnouslesrecevrons,ensupposantqu’ilyenait.Ilnel’utilisepeut-êtreplus,etrienneprouvequ’ilsoiteffectivementVincentOrdano.Desrecherchessontencours,maisellespeuvents’avérerinfructueuses.Coryessayadedéglutir,maissaboucheétaittropsèche.—Etilesthorsdequestion,j’insistesurcepoint,dedemanderlesoutiendesmarshals.Gagefronçaitlessourcilsdemanièremenaçante.—J’ignorequiatransmislesinformationsàtonsujet,Cory,maislafuiteestincontestable.Ettant
quejen’auraipasdémasquélecoupable,cesontmeshommesquiprendrontcetteaffaireencharge.—Jesuisdetonavis,déclaraWadesuruntonferme.Lamoindrebévuepourraittoutfairerater.Et
jerefusequeCoryviveunejournéedeplusdansl’angoisse.—Jene l’auraispasmieuxdit, confirmaGage. Ici,nousprenons soindesnôtres, etCoryabien
assezsouffert.Corysentitsagorgeseserrer.Ellefaisaitdoncpartiedecettecommunauté,ellequiavaittellement
cherchéàseteniràl’écartdesautres.Cetaccueilchaleureuxetinattendularasséréna.Oui,ellevoulaitresterici,etelleétaitprêteàtoutpouryparvenir.—Pourlemoment,poursuivitGage,nousbénéficionsd’unavantage.PourOrdano,Morann’apas
encoreidentifiésacible.Cequisignifiequenouspouvonsluitendreuneembuscade,ennousservantd’unleurresefaisantpasserpourCory.—Certainementpas!Lesmotsavaientpasséseslèvressansqu’elles’enrendecompte.Toustroissetournèrentverselle.—Personnenerisquerasaviepourmoi.Jerefuse.—Cory…,commençaWade.—Non.Sadéterminationparaissaitinébranlable.—Vous ne comprenez pas ? J’ai eumon compte de situations traumatisantes. Je ne pourrais pas
vivre en songeant que quelqu’un est mort ou a été blessé à ma place. Qui plus est, j’ai besoind’affrontercetype.Lapeurnemequitterajamaisplussijenelefaispas.
Pourelle,c’était leseulmoyend’exorciser lesdémonsqui la torturaient.Comment leurexpliquerqu’aprèsavoirfuisilongtemps,ilétaittempspourellederegardersaterreurenface?Ellen’eutpasàargumenter.Toussemblaientserangeràsonavis.—Trèsbien,réponditGage,tandisqueWadeacquiesçait,assezmollement.Nousallonsluitendre
unpiège.CommeilestimpératifqueCorysoitmunied’ungiletpare-balles,ilvautmieuxprévoiruneopérationdenuit,afinqu’ellepuisseporterunevestesanséveillerdesoupçons.Jepencheraispourleparkingdusupermarché.IlseraitplausibledevoirCoryquittersonlieudetravail,apparemmentseule,unedemi-heureaprèslafermeture.D’autantquecelieucomporteuneinfinitédeplanquespossibles:des bennes à ordures, des véhicules stationnéspour la nuit, quelques arbres, sansoublier le toit ducentre commercial. Il faudra seulement s’assurer qu’Ordano n’aura pas l’idée de choisir la mêmecachettequel’undenous!Wadepritlaparole.—Donne-moiunevuedégagée,aussiéloignéesoit-elle,etjenemanqueraipasmacible.Gagehochalatête.—Est-cequetumedemandesdet’accréditerpourcetteopération?—Sicelapeutsimplifierleschoses.Assure-toisimplementdemetrouveruneplacesurletoit,sans
obstacleentravantmalignedemire.Aucasoù.CoryneputréprimerunfrissonenentendantlasuggestiondeWade.Ellenevoulaitpasajouteruntel
fardeauàsaconscience.Ellenepourraitpaslesupporter.—Micahestuntireurd’élite,luiaussi,intervintSara.—Alorspositionne-nous tous lesdeuxsur le toit.Ça réduira lenombred’hommesque tudevras
posterausol,et,decefait,limiteraaussilerisquedebévue.Gageacquiesçalentement.— O.K. Ça me convient. Je vais tout mettre en place, et dicter à Moran l’histoire qu’il devra
raconteràOrdano.Jevaisfaireensortequ’ill’inciteàpasseràl’actionsanstarder.Nousnepouvonspasnouspermettredeluilaisserpeaufinersonpland’attaque.—Sicequic’estpassélanuitoùilaabattumonmaripeutvousdonneruneidéedesapersonnalité,
déclara Cory, on peut en déduire que la planification n’est pas son point fort. Il se montre plusconsciencieuxlorsqu’ils’agitdeprotégersonanonymat.Ilavaiteumaintesoccasionsd’approcherJimlorsqu’ilétaitseul…Savoixsebrisa.—Riennel’obligeaitàs’introduiredansnotreappartementlorsquenousnousytrouvionstousles
deux,ajouta-t-elle.—Bienvu,luiditWade,accentuantlapressionsursamain.Ildoits’agird’unopportuniste,quine
sesoucieguèredesdétails.Ilachoisiunmomentoùilétaitsûrdemettrelamainsurtonmari,etoùilserait facile de s’échapper, car les rues étaient désertes. Il n’y aurait donc pas de témoin. Maisvisiblement,ilsefichaitdesdommagescollatéraux.Ilmarquaunepause.—CetOrdanosembleseprendrepourunvrai tueur,poursuivit-ilauboutd’un instant,mais je le
trouveassezmédiocre.Jepensequ’ils’agitd’unpetitmalfratquiafaitçapourl’argent,maisqu’iln’a
pasbeaucoupd’expérienceenlamatière.Corysetournaverslui.—Commentlesais-tu?—Parcequej’auraistravailléplusproprement,etquetun’auraispasétédanslesparages.LesmotsdeWade luiglacèrent le sang.Plantant son regarddans le sien,elleyperçut ladouleur
qu’il ressentait, parcequ’on lui avaitordonnéde le faire autrefois.Elle souffraitpour lui,pour cesfardeauxqu’ilportaitensilence,pourledevoirqu’ilavaitaccompli,maisqui le laissaitcouvertdecicatrices.Elleneputquel’admirerdavantage,encomprenantqu’ilnesedébarrasseraitjamaisdecessouvenirsdontelleapercevaitlesfantômesaufonddesesyeux.—Trèsbien,conclut-elle,commesi toutétaitréglé.Dites-moioùjedoismerendre,quand,etce
quevousattendezdemoi.Maisj’insistesurlefaitquejenelaisseraipersonnecourirdesrisquesàmaplace.C’estau-delàdemesforces.Gagesoupira,puisfitunpetitsignedelatête.—Jetecomprends,Cory.Ilfautparfoisaffrontersesdémons.C’estleseulmoyendes’enlibérer.De ces quelquesmots, il avait résumé sa situation. Ce qui ne voulait pas dire qu’elle dormirait
mieuxdésormais,niquesoncœurarrêteraitdebattreàtoutrompre.Maiselledevaitlutterpourretrouversadignité.Maintenant.Cettefois-ci.Quelqu’ensoitleprix.GageetSaras’enallèrent,brasdessus,brasdessous,bavardantcommeuncoupletoutenremontant
larue,pourrejoindrelepick-upantédiluviendeSara.Ilscontinuaientàjouerleurrôle,aucasoù.Aucasoù.Coryeutl’impressionquelesmotss’attardaientdanssatête,commelafuméed’unfeudéjàéteint.
IlspartaientdupostulatqueMoranétait leseul informateurd’Ordano, toutengardantà l’espritquec’étaitpeut-êtreuneinformationerronée.Ilsnevoulaientprendreaucunrisque.Elleeutlasensationquelamaisonserefermaitsurelle,commecelaavaitétélecasunanplustôt,
danscesrésidencessurveillées.Maintenantqu’elleenétaitprivée,elleserenditcomptedelalibertédontelle jouissait,endépitdesesaccèsd’angoisse.Rienne l’empêchaitalorsdeserendresursonlieudetravailoudes’asseoirsursaterrasselorsqu’ilfaisaitchaudensoirée.Depetiteschoses,maisquiprenaientuneautredimensionlorsqu’onenétaitprivée.—Nousallonsréglertoutça,larassuraWade.Tousdeuxfaisaientlescentpas,commedesanimaux
encage,cequ’elleauraitcertainementtrouvécomiquedansd’autrescirconstances.—Ets’ilparvientànouséchapper?—Impossible.Elleluifitface.—Tunepeuxpasêtreaussicatégoriqueaveccegenredechoses.Ils’arrêta,sefigeantcommeunestatue.—Sicelaseproduit,jetefaislesermentquejeletraqueraiauxquatrecoinsdumonde.Ilnes’en
sortirapas.Ellesentitsapoitrineseserreretdevenirdouloureuse.ElletenditlamainpoursaisircelledeWade,
qu’ellepressafermement.
—Non,Wade.Promets-moidenepaslefaire.Jenelesupporteraipas.Jenepeuxpasaccepterquetutetransformesenprédateurpourmoi.LeregarddeWaderestaimpénétrable.—Celaneseraitpaslapremièrefois.—Probablement,maistuvoulaisenfiniraveccettepartiedetavie.Jure-moiquetunereviendras
passurtadécisionàcausedemoi.Tuasfaittontempsettuasaccomplitondevoir.Maintenant…ilfautsereconstruire,etnondétruire.Donne-moitaparole,jet’enprie.—C’estimpossible.Ils’écartad’elleetrecommençaàarpenterlapièce.Elle resta immobile, à l’observer, impuissante.Cet homme ferait ce qu’il considérait comme son
devoir,etriennipersonnenel’enempêcherait.Restait à savoir si elle accepterait cet état de fait. Si elle accueilleraitWade comme il était et
commeilrisquaitderedevenir.Aufondd’elle-même,elleconnaissaitdéjàlaréponse.
13
Wade estimait que tout serait réglé enmoins de deux jours. Son raisonnement était relativementsimple.SiOrdanosetrouvaitàproximité,ilréagiraitimmédiatement.ProbablementaprèslajournéedetravaildeCory.S’ilsetrouvaitàl’autreboutdupays,ilfaudraitcompterunjourdeplus.— Au maximum, ajouta-t-il. Ce type veut se débarrasser de cette menace le plus rapidement
possible.Gagepartageaitsonavis.Coryserenditàlasupéretteàlamêmeheurequed’habitude.Sonhoraireavaitétéprolongé.Gage
avait eu une conversation avec son patron, et il avait été convenu que Cory quitterait le centrecommercial seule, environ une demi-heure après la fermeture. Les autres employés resteraient àl’intérieur,àl’abridesregards.Mêmesi elle s’inquiétaitpour ses collègues,Coryétait soulagéedenepasdevoirpasser tantde
temps seule dans le magasin vide, même fermé à clé. Gage considérait que la présence d’autresemployésdissuaderaitOrdanodeforcerlaportepourattaquerCory.Ilsfaisaientleurpossiblepourquel’assautait lieusurleparking.Coryavaitpourconsignedese
rendredans la sallede reposdes employéspoury revêtir songilet pare-balles, avantd’enfileruneveste etdequitter lemagasin.Si elle croisait le chemind’Ordano, elledevait se jeter à terre et semettreenboule.Serecroquevilleretnepasresteràportéedemain,oud’arme.Elle s’étaitmuée en appât vivant, totalement exposé au danger. L’anxiété lui donnait la chair de
poule,et,tandisquel’heurefatidiqueapprochait,lerythmedesoncœurs’accélérait.Ellesentaitdespicotements à l’estomac. Elle avait fait des dizaines d’allers-retours à la fontaine pour calmer lasécheressedesabouche.Ellesavaitquelesinspecteursétaientlà.Wadesetrouvaitsurl’undestoits,accréditéparGagepour
quelquesjours.Lepireétaitqu’ils’étaitdenouveaurefermé,etqu’ilressemblaitàlastatuedepierrequ’elleavait
rencontrée quelques jours plus tôt. Pas de sourire pour illuminer ses yeux. Pas de phrase inutile. Ils’étaitéloignéd’elleaussisûrementques’ilavaitquittélaville.Cettedistanceluiétaitdouloureuse.Aunpointoù,siellesurvivait,elleauraitunnouveaufardeauà
porter:celuid’êtretombéeamoureused’unhommequipouvaitlamettreàl’écart,commes’ils’étaitretiréderrièreuneportequ’ilavaitensuiteferméeàdoubletour.Ellesouffraitpourlui,imaginantlessouvenirsdéchirantsqu’unetellesituationdevaitluirappeler,
etleslieuxqu’ilavaitcherchéàeffacerdesamémoire.Qu’ilaitraisonoutort,quecesoitsondevoirou non, aucun soldat ne s’en sortait indemne. Toutes ses anciennes blessures avaient dû se rouvrirlorsqu’ils’étaitglissédanslerôlequ’ilavaitchoisid’endosserpourlaprotéger:ilétaitredevenuuntireurd’élite,untueur,unprédateur.Elleenvenaitpresqueàregretterqu’Ordanonel’aitpasretrouvéeavantsarencontreavecWade.La
souffrancepsychologiquequ’ildevaitendurerluiétaitinsupportable.Lemomentarrivaenfin.Ellesentait lesbattementsdesoncœurjusquedanssagorge.Ellejetaun
regardàBetsy,sasupérieure.Celle-ciluifitunpetitsignedetête,maissonvisageexprimaitunepeurmêléedechagrin.—Soisprudente.Coryacquiesça.Ellegagnalasallederepos,enfilalegiletdeprotectionpuissaveste,etsedirigea
verslaporteprincipale.Betsy luiavaitprêtéunecléafinqu’ellepuisseverrouiller lemagasinensortant.Gagenevoulait
pasprendrelerisqued’exposerunemployé,enl’obligeantàsetenirprèsdupanneauvitré,carOrdanoavaiteul’occasiondemontrerqu’ilsefichaitdeblesserd’autrespersonnespouratteindresacible.Cory fut parcourue de frissons lorsqu’elle mit un pied à l’extérieur, et l’air lui semblait
particulièrement frais pour une nuit d’été. Tout son dos sembla la démanger lorsqu’elle se retournapours’occuperdelaserrure,carellesesentaitobservée.Ilyavait,aubasmot,unedizained’yeuxbraquéssurelleàcemomentprécis.WadeetMicahse
trouvaientquelquepartsurlestoits,etd’autresinspecteursétaientdissimulésdansdesvéhicules.Gagen’étaitpasentrédanslesdétails,etellen’avaitpasinsistépourensavoirdavantage.D’ailleurs, les deux hommes affalés contre la devanture de la pizzeria, à quelquesmètres d’elle,
mêmes’ilsétaientdépenaillésetpartageaientunecouvertureeffilochée,étaientpeut-êtredesagentsdeGage.Commentl’aurait-ellesu?Entoutcas,ilsparaissaientvraimentivresetsedisputaientpoursavoirquidesdeuxavaitbuplus
quel’autre,furieuxdeconstaterqueleurbouteilleétaitdéjàvide.Elleentrepritdetraverserleparking,sanssepresser.Onluiavaitsuggérédegarersonvéhiculele
plusloinpossible,afinquesonparcourssoitpluslong.CequidonneraitplusdetempsàOrdanopoursemettreenaction.Ilyavaitunedemi-douzainedevoitures stationnéesdevant lecentrecommercial.Mêmesi toutes
semblaientvides,certainesdevaientêtreoccupéespardesinspecteurs.Gage lui avait ordonné de rester visible et de se tenir à l’écart de tout ce qui pouvait servir de
cachette.Elle avançait pas à pas, les jambes aussi lourdesqueduplombet le cœurbattant si fort qu’elle
n’entendaitplusriend’autre.Ellefaisaitdesécartsafindecontournerlesvoitures,et,pourdonnerdutemps à son agresseur potentiel, décida de rassembler les chariots abandonnés. Elle s’efforçait del’obligeràquittersonvéhicule.S’ilétaitlà.Elle jetaunregardalentour,maisn’aperçutpersonne.Elle regardason4x4,qui représentaitaussi
unemenace,mêmesielleétaitconvaincuequ’ilavaitétésurveilléenpermanencedepuissonarrivée.Elledoutaitfortquequelqu’unsoitparvenuàs’yintroduire.Dumoins,c’estcequ’ellevoulaitcroire.Unpasdeplus.Ellesaisitunautrechariotetlepoussajusqu’àsonairederangement.«Enerve-le,
luiavaitsuggéréGage.Fais-luiperdrepatience.»Ilyavaitencoresuffisammentdechariotsorphelinspouryparvenirsanstropd’efforts.Ellesemitàfrissonner,mêmes’ilnefaisaitpasréellementfroid.Sesjambesdeplombsemblèrent
soudaindevenircaoutchouteuses,etellesedemandasielleauraitlaforced’atteindresavoiture.Unchariotdeplus.Ellefitdemi-touretleramenaàbonport,toutens’yagrippantpourconserverun
semblantd’équilibre.
CommentWadeavait-ilpuvivredecettemanièrependantsilongtemps?Ellenepensaitpasêtreenmesuredetenirdixminutesdeplus.Qui sait, son agresseur ne frapperait peut-être pas ce soir. Elle se dirigea vers son véhicule,
s’éloignantàchaquepasdesdeuxtypesassisdevantlerestaurant.—Tevoilàenfin!Elle ne reconnut pas sa voix. Elle se figea sur place, et sa peur se transforma en terreur
incontrôlable.Bienqu’engourdie,elleréussitàpivotersursestalons.C’étaitlui!Dèsqu’elleavaitvusonvisage,plusaucundouten’avaitétépermis.Ilpointaitsurelle
unearme,judicieusementcamoufléedanslesplisd’unevesteample.—Vous!Lemots’étrangladanssagorge,tandisqu’ellecontemplaitlevisagequiavaithantésescauchemars.—Onvaallerfaireunepetitepromenade,annonça-t-il.Unebaladebiensympathique,rienquetoiet
moi.Lepistoletétaitdirigéverssapoitrine.Uninstant,lapeurembrumasonesprit.Elleétaitparalysée,
aupointd’oubliercequ’elleétaitcenséefaire.—Avance,luiintima-t-ild’unevoixmenaçante.Elleétaitincapabledebouger,quandtoutàcoup,commelamajoritédespersonnesmenacéesd’une
arme,ellesemitàobéir,demanièrepresqueautomatique.«Non ! »Elle entendit sa propre voix hurler dans son crâne. « Jette-toi à terre !Eloigne-toi de
lui!»Elle ne pensait pas en avoir la force. C’était comme si son corps s’était statufié. Comble de
malchance, elle se trouvait dans la ligne de mire des tireurs. D’ailleurs, comment pourraient-ilsdevinerqu’ils’agissaitdel’assassin,siellenesecouchaitpas?C’étaitlesignalconvenu.Subitement, levisagedeWadeapparutdanssonesprit.Cettepensée lui rappelacedontelleétait
capable.«Plusjamaisjeneseraicettesouristerrorisée»,serappela-t-elle.Duhautdutoit,Wadeobservaitcequisepassait.L’attitudedeCoryneluipermettaitpasdesavoir
s’il s’agissait du tueur ou simplement d’un client qui lui demandait un renseignement.Elle se tenaitdebout,quoiquetrèsraide,maisn’agissaitpascommeconvenu.IlavaitbeauregarderàtraverslalunettedeviséedufusilqueGageluiavaitprêté,ilnevoyaitpas
grand-chose.Coryluibloquaitlavue.Etilnepouvaitpasfairefeusansêtresûrdesongeste.Nomd’unchien!Il retint sa respiration, craignant que Cory se fasse assassiner sous ses yeux à cause de ses
tergiversations.Maiscommeiln’avaitpasreçulesignal,ilétaithorsdequestiondetirer.Iljetauncoupd’œildel’autrecôtéduparking,endirectiondutoitsurlequelétaitpostéMicah.Il
semblaitaussihésitantquelui.Informations insuffisantes. Il reprit son observation, à l’affût d’un élément déterminant. Seule sa
longue expérience lui permettait de garder son calme, ainsi que des battements de cœur réguliers.«Oubliequ’ils’agitdeCory,serépétait-il.Nelaissepaslesémotionsprendreledessus.»«Gardetonsang-froid.Respirelentement,ledoigtsurladétente,patiente.»«Restedemarbre.»
Acet instant, lesdeuxagentsplacésdevant lapizzeria commencèrent à sequerellerbruyamment,éructantdesphrasesinarticulées.L’hommequifaisaitfaceàCoryseretournalégèrement,aussiCoryenprofita-t-ellepoursejeteràterre.C’étaitlui.Wade prit une inspiration et s’apprêta à appuyer sur la détente.Mais avant qu’il ait eu le temps
d’accomplirsongeste,ladétonationdel’armedeMicahtransperçalanuit.L’assassin s’effondra, comme une marionnette dont on avait sectionné les fils.Wade maintint sa
position,prêtàfairefeuaubesoin,tandisquelesdeuxivrognesabandonnaientcouvertureetbouteilleets’élançaientendirectiondeCory.Lorsqu’illesvitrepousserl’armedumalfaiteurpuissepencherpourlemenotter,ilretiraenfinson
doigtdeladétente.Un profond soupir de soulagement lui échappa, et il se laissa rouler sur le dos, enfin libre de
contemplerlefirmamentparseméd’étoiles.Dieumerci,toutétaitfini!Lecalmenocturnefutensuiteperturbépardeslumièresmulticoloresetlebruitdessirènes.Vidéde ses forces, il restait allongé, à remercier le ciel, jusqu’àcequ’unepousséed’adrénaline
l’obligeàselever.IldevaitrejoindreCory.Immédiatement.LorsqueWadearrivaàgrandesenjambées,ilretrouvaCorysecouéedetremblements,leregardrivé
sur l’hommequiavait tuésonmari. Ilparaissaitvivant,etellenesavaitpas trèsbiencequ’elleenpensait.MaislorsqueWaderefermasesbrasautourd’elle,elleseditqu’ellen’avaitjamaisconnumoment
plusmerveilleux.Ellesepelotonnacontreluietprononçasonnom,encoreetencore.—Çava?luidemanda-t-il,lamainposéesursanuque,luiplaquantlevisagecontresapoitrine.Elleparvintàesquisserunsignedetête.PuisellereconnutlavoixdeGage.—Raccompagne-lachezelle,Wade.Nousauronstoutletempsdediscuterquandjemeseraioccupé
decetordu.LapropositiondeGageluiconvenaitparfaitement,etelleneprotestapasnonpluslorsqueWadela
souleva et la porta jusqu’à son véhicule. Elle trouva plus embarrassant qu’il l’installe sur le siègepassageretqu’ilaillejusqu’àluibouclersaceinturedesécurité.Mais lorsqu’il eutprisplacederrière levolant,misen route lemoteuret enclenché lavitesse, il
tenditlebrasverselle,etluisaisitlamain,commes’ilcraignaitqu’ellepuissesevolatiliser.Il la prit de nouveau dans ses bras au moment de quitter le 4x4. Lorsqu’ils pénétrèrent dans la
maison, il désactiva l’alarme, mais ne prit pas la peine de la remettre en marche. Ce n’était plusnécessaire.Acettepensée,Coryneputs’empêcherdesourire.Ellenevivraitplusdanslapeur.Wadeladébarrassadesaveste,ainsiquedugiletpare-balles,puisenveloppasoncorpsfrissonnant
dansunecouvertureetl’installasurlecanapé.—Tuasbesoind’uneboissonchaude.Tuveuxuncafé?Est-cequetuasfaim?—Seulementuncafé,parvint-elleàarticuler.Ellesesentaitincapabled’avalerautrechose.Elleavaitl’impressiond’êtreencorelà-basetavait
dumalàreprendrepiedaveclaréalité.Ilpartitluipréparerlebreuvagechaud,maisrevintaussitôts’asseoiràsoncôté.Ill’entouradeses
braspuissantsetlafrictionnapourstimulersacirculation.—Tuaslatêtequitourne?Tutesensmal?Tuespeut-êtreenétatdechoc.—Jevaisbien.Lentement,maissûrement,ellecompritqu’ils’agissaitdelavérité.Lorsquelecaféfutprêtetqu’il
revintavecdeuxtasses,elleluisourit.—J’airéussi!s’exclama-t-elle.Il fallut unmoment àWade pour qu’il se détende lui aussi, laissant un sourire affleurer sur ses
lèvres.—Bravo!répondit-il.Iln’yavaitrienàajouter.Ilsrestèrentblottis l’uncontrel’autretoutelanuit.Toutd’abordsurlecanapé,puisdansle litde
Cory.Ilsnefirentpasl’amour,ilsavaientseulementbesoind’êtreserrésl’uncontrel’autre.Lesmotseux-mêmesétaientinutiles.Lorsquel’aubecommençaàpoindre,Coryavaitrenouéavecdesémotionsqu’elleavaitcruapparteniraupassé.Ellesesentaitfièreeteuphorique.Ellel’avaitfait!Elleavaitaffrontécetueuretcontribuéàson
arrestation.Elle s’était juréd’accomplircegeste,pourJimet leurbébé.C’était leplusbelhommagequ’elle
pouvaitleurrendre,maisaussisonpremierpasdanscettenouvellevie.Elle bondit hors du lit et se dirigea vers la cuisine, bien décidée à y prendre un petit déjeuner
pantagruélique.Elleavaitfaim,maissurtoutenviedecroquerlavieàpleinesdents.Wadeluiemboîtalepas,nonsansmarmonnerquelquechoseàproposd’unefemmequinesavaitpas
apprécierleconfortd’unlitdouillet,maissapointedemauvaisehumeurlafits’esclaffer,sibienqu’ilsemitàrireàsontour.C’étaitsibondel’entendrerireetdelesentirsiheureux.Ellepréparaunemontagned’œufsbrouillésetdepommesdeterrerôtiesetremplitdegrandsverres
dejusd’orange.—Jesuissifierdetoi!déclaraWadelorsqu’ilsprirentplaceautourdelatable.Venantdelui,ils’agissaitd’unsacrécompliment.—Moiaussi!répondit-elle.—Tuastouteslesraisonsdel’être.Elleluisouritetfutraviedelevoirluirendresonsourire.—Tespommesdeterrerôtiessontdivines,mabelle!—Atonservice!Elleprenaitduplaisiràcuisineretàpartagercerepasaveclui.Toutaufondd’elle,unepetitevoix
luirappelaitquecettesituationn’étaitquetransitoire,etqueWades’eniraitdèsqu’ilauraitfaitlapaixaveclui-même.Maisellenevoulaitpasypenser.Non,ellepréféraitprofiterdumomentprésent,quitteàenassumerlesconséquencesplustard,parce
qu’il était si bon de se sentir renaître, et que la vie n’avait pas de sens si l’on n’acceptait pas deprendrequelquesrisques.Uneleçonbienassimilée,depuispeu.Aprèsavoirrangélacuisine,ilsdécidèrentdepartirenpromenade,etCory,pourlapremièrefois
depuisbienlongtemps,selaissaséduireparlabeautédecequilesentourait,deschantsd’oiseauxàlabrisequifaisaitbruisserlesarbrescentenairesbordantletrottoir.Elleremarquaitenfinquetoutétaitvivantautourd’elle.Ensuite, ils somnolèrent sur le canapé, car ils n’avaient guère dormi la nuit précédente, jusqu’à
l’arrivéedeGage,quiapportaitdesélémentsderéponseàcertainesquestionsencoreensuspens.—Ordanoestàl’hôpital,sousbonnegarde.Lesmarshalssontarrivéscematin,etleFBInevapas
tarder à prendre les choses en main. Nous avons pu l’interroger dès qu’il s’est réveillé de sonanesthésie.Cory,noussavonsquil’aembauchépourassassinertonmarietquit’atrahie.—Dequis’agit-il?—D’unesecrétairetravaillantchezlesmarshals.Iln’asuffiquedequelquesmotsdouxetdedîners
envillepourqu’elletombeamoureusedecesaletype.Ellearéussiàdécouvriroùtutetrouvaisetluia transmis l’information.Maisriendeplus.Etantdonnéqu’ellen’étaitpascenséeavoiraccèsàcesdossiers,ellen’apaspuapprofondirsarecherche.—C’estincroyablecequelesgenssontprêtsàfaireparamour.—Oulorsqu’ilspensentêtreamoureux.Quoiqu’ilensoit,elleaétéarrêtée,etlesprocéduresde
confidentialité vont être modifiées, d’après ce qu’on m’a affirmé. Mais cela ne te concerne plus,désormais.—Non,etjen’ensuispasmécontente,rétorqua-t-elleavecunsourire.— Il te reste à faire ta déposition auprès des agents du FBI et à identifierOrdano comme étant
l’individuquiaassassinétonmari.D’autreschefsd’accusationvonts’ajouteràlaliste,étantdonnécequis’estpasséhiersoir.Maisunechoseestcertaine,tun’aurasplusjamaisàtepréoccuperdecetype.Ellenecessaitdesourire.—Quelsentimentmerveilleux!Jesuisincapabledevousledécrire!—Jepensequejepeuxl’imaginer.GagesetournaversWade.—Nousavonsunposted’adjointàteproposer,situdécidesdet’installerici.Réfléchis-y.Ilseleva,pritsonStetsonetlessaluatousdeuxd’unsignedelatête.— Je t’appellerai lorsqu’il sera temps de venir faire ta déposition.Ce sera probablement en fin
d’après-midioudemainmatin.—Peuimporte,jesuisdisponible.Elleétaitmêmelibrecommel’air,enfin.Etc’étaitsibon!Cependant,une foisGageparti,d’autrespensées l’envahirent.Elle se sentit soudainmalà l’aise.
Ellen’étaitpassûredevouloirconnaîtrelaréponseàlaquestionqu’elles’apprêtaitàposeràWade,maisenmêmetemps,elleavaitbesoindesavoiràquois’attendre.—Vas-tuaccepterlapropositiondushérif?demanda-t-elled’unevoixhésitante.—Jel’ignore,jedoisysonger.Çadépend…
Ellesentitsoncœursemettreàbattreàtouteallure.—Çadépenddequoi?Il se tourna vers elle. Il semblait avoir retrouvé cette expression lointaine.Ou était-ce une autre
émotionqu’elleapercevaitdanssesyeuxsombres?Del’embarras?Despréoccupationsqu’ilneluiavaitpasconfiées?Elleétaitincapabled’endéchiffrerlasignification.—Situasenviequejeresteounon.Elleeneut lesoufflecoupé. Incapabled’articuler lemoindremot,elleobservaitcevisagequise
durcissait aupointde ressembleràde lapierre.Non, ellenedevaitpas le laisser se refermer.Peuimportaitcombienellesouffraitdeserendreaussivulnérableauxblessuresqu’ilrisquaitd’infligeràsoncœur.—J’aienviequeturestes,parvint-elleàbredouiller.Sestraitssemblèrentseradoucir.—Tuessérieuse?Ellesaisitsoncourageàdeuxmains.—Jeveuxquetusoisprèsdemoiàtoutjamais.—Vraiment?C’estparcequetumeconnaisàpeine.—Jeteconnaissuffisammentpoursavoirquejeneveuxpasqueças’arrête.Tunecroispeut-être
pasaucoupdefoudre.C’étaitmoncas,autrefois.Ilm’afalludutempspourtomberamoureusedeJim.Mais avec toi… Elle marqua un temps d’hésitation. Wade, j’ai connu l’amour. Je sais à quoi çaressemble,etj’enconnaisleshautsetlesbas.Jesuisamoureusedetoi,enversetcontretout.Il resta parfaitement immobile. Elle sentit son cœur s’affoler, craignant d’avoir exigé de lui un
engagementauqueliln’étaitpasprêt.Aprèstout,ilnecessaitdeclamerqu’ilétaitincapabledenouerdesliensaffectifs.—Moiaussi,je…jecroisquejet’aime,luiavoua-t-il.Jen’aijamaisressenticela,c’estpourquoi
je n’ose pas me faire confiance, mais ce qui est sûr, c’est que… je veux rester près de toi. Pourtoujours.Personnenem’avaitjamaisfaitceteffet-là.J’ignoraisquelebien-êtredequelqu’und’autrepouvaitm’importer,aupointoùjescrutechaquemot,chaqueregard,chaquegeste.Jeveuxterendreheureuse, si tumemontrescommentm’yprendre. Jeneveuxpas te fairedemal. Jamais.Est-ceça,l’amour?Ellesepenchaversluietl’entouradesesbras.L’instantd’après,ill’enlaçaitàsontour.—Quecelanefinissejamais,murmura-t-elle.Illaissaéchapperunsoupirdecontentement.—Jeveuxt’épouser.Etsavoirquetuasenviededevenirmafemme.Jesuisprêtpourlesalliances
etlespromesses.Ettoi?Ellelevalevisagedanssadirection,espérantquesesyeuxparlaientpourelle.—Contrairementàcequejem’étaisimaginécesderniersmois,oui,jesuisprête.Sic’estavectoi.—Alors,tuacceptesdem’épouser?Ellevitsonvisages’illuminerlorsqu’elleluiréponditd’unsimple«Oui».Il laprit sur sesgenouxet l’embrassa, renforçant le lienqui lesunissait de lameilleuremanière
1
Quelqu’unl’observait.Hannah fitvolte-face.Autourd’elle tout semblaitnormal.Les trois femmeset levieilhommequi
faisaientlaqueuederrièreelleàlasupérettenesemblaientpass’impatienter.Ellenedécelachezeuxnipiétinementsrageurs,niregardsagacés.—MademoiselleMarks?l’interpellalejeunecaissier.Il avait les yeux braqués sur la carte de crédit d’Hannah tandis que ses courses étaient déjà
soigneusementemballéesdansdessacsdepapier.—Oh,désolée,Denis…Elleenfichasacartedanslelecteuravecprécipitation,bienrésolueàreprendrelecontrôledeses
émotions.Maiscettesensationd’êtreépiéepersistait.Tandisqu’elletraversaitleparking,ellejetadenombreuxregardsautourd’elle,espérantdécouvrirquil’observait.Pourquois’était-ellegaréesiloindu magasin ? Enfin, elle fut suffisamment proche de sa voiture pour déclencher à distance ledéverrouillagedesportes,puisouvrirlecoffre.Al’intérieur, lepneucrevéluirappeladefaireundétourparlastation-serviceafindeleréparer.
Elle disposa tant bien quemal ses achats autour du pneu qui occupait les deux tiers de l’espace etrefermalecoffred’ungestesec.Sonregardseperditauloinversl’unedesdeuxplagesd’Allota,uneétroitelanguedesablevolcaniquemenantaugrandbleudel’océanPacifique.L’eauétaitfroideaunorddeSanFrancisco;àpeinedixdegrésenpleinété.Alafindumoisdemai,
alorsquelesoleilétaitvoilépardehautsnuagesetqueleventsoufflaitfort,seulsquelquescourageuxavaientosébraverleséléments.Nonloind’elle,laported’unvéhiculeclaqua;Hannahsursauta.Ellen’étaitpaslaseulefemmedes
environs à être sur les nerfs ; deux assassinats non résolus de femmes seules, survenus dans leurvoiture,dansleurpropregarage,faisaientlaunedesjournauxdujour.Maislà,ellen’étaitniseule,niconfinéedansungarage,aussin’avait-elleaucuneexcuse.« Enervements et manque de sommeil », avait conclu Fran, son amie et collègue de travail,
lorsqu’elleluiavaitdécritcequ’elleressentait.Pasdedoute,Franétaitdanslevrai.Cefut toutdemêmeavecsoulagementqu’Hannahs’installadanssavoiture.Qu’avait-ellefaitdes
clés?Ellefouillasespochessanssuccès.Ellefinitparlesdénicheraufonddesonsacàmain.Tandis qu’elle se penchait pour enfoncer la clé dans le démarreur, la portière passager s’ouvrit
brusquementetunhommes’engouffraàcôtéd’elle.Unepeurintensel’envahit,luicoupantlesouffle.La peau mate, les cheveux noirs, le visage anguleux, l’individu avait un regard bleu acier quesurmontaientdessourcilsdroits.Unregardchargéd’unehainefarouche.Toutenessayantderouvrirsaportière,Hannahécrasaleklaxon.—Hannah!Arrête!s’exclamal’inconnud’unevoiximpérieuseenluisaisissantlamain.Enentendantsonprénom,ellereconnutaussitôtcettevoix.Cessantimmédiatementdelutter,ellese
tournaverslui,bouleversée.—Jack?Ilacquiesçasilencieusementtoutendesserrantdoucementsonétreinte.—Biensûr.Cenepeutêtretoi,marmonna-t-elle.Ilhaussalesépaulesavecimpuissanceetellesutalorspourquoiellenel’avaitpasaussitôtreconnu.
Il avait perdubeaucoupdepoidsdepuis la dernière fois qu’ils s’étaient vus et donnait la sensationd’êtreplusvulnérable. Ilportait aussidenouvellescicatrices sur levisage ;uneprèsdunezetuneautre plus fine, le long de la joue. Ses cheveux, habituellement coupés très court, lui tombaient àprésentjusqu’auxépaulesendelonguesbouclesrebelles.Sonpremierréflexefutdesejeterdanssesbras.—Jack!Jetecroyaismort!Maisill’arrêtaaussitôtdanssonélanenlarepoussantavecfroideur.Peinée,elleretombasurson
siège,etunefoissastupeurpassée,murmura:—Quesepasse-t-il?—C’estàtoidemel’expliquer,répondit-il.—Jenecomprendspas…Ellenepouvaitrienluidire.Mêmesilenomd’Aubrielleluiétaitaussitôtvenuàl’esprit.Quesavait
Jackàproposd’elle?Etait-ellelaraisondesaprésence?—Jeveuxsavoirquit’amisesurcecoup,Hannah.C’estaussisimplequecela.Donne-moiunnom
etjedisparaîtrai.Maisellenel’écoutaitplus.Quelqu’unfrappaitàlavitre;unpetitvieillardavecd’énormessourcilstouffusladévisageait.Elle
baissalavitredequelquescentimètres.—Toutvabien?demanda-t-il,sonépaissemoustacheblancheluidissimulantlabouche.—Oui,oui,toutvabien,répondit-elle.Elle ne savait pas trop où Jack voulait en venir,mais en aucun cas la situation ne requérait une
quelconqueinterventionextérieure.—J’aiappuyésurleklaxonparmégarde.—Vousêtessûre?insistalevieilhommeenreportantsonregardsurJack.—Oui,merci,affirma-t-elleavecuneassurancefeinte.—Sivousledites,marmonnalevieilhommeenhaussantlesépaules.S’appuyantdetoutsonpoidssurunevieillecannedebois, ilfitdemi-touretsedirigealentement
versunevieilleberlinevertamande,sonlongpardessusraclantpresquelebitume.HannahseretournaversJack.—D’aprèstoi,j’auraisdûluidemanderd’appelerlapolice?—J’appellerailesflicsmoi-mêmedèsquej’auraidécouvertquit’aaidée.—Toi?Appelerlesflics?Pourquoiferais-tuunechosepareille?— J’ai eu du temps pour réfléchir, annonça-t-il avec calme. Des mois pour comprendre que tu
m’avaisdupé.Oh,jesaistrèsbienquetun’aspastoi-mêmecommisdemeurtre,maistuaslesangdeplusieursinnocentssurlesmainsettulesais.Bienquechoquéepar lesaccusationsdeJack,Hannahfutnéanmoinssoulagéedecomprendreque
toutcecin’avaitrienàvoiravecAubrielle.—TuveuxparlerdecetteembuscadeenTierraMontañosa?l’interrogea-t-elle,abasourdie.Es-tu
entraind’affirmerquej’ensuisresponsable?—Toutàfait,soutint-il.Elleôtalesclésdudémarreuret,sansvraiments’enrendrecompte,inséralesdoigtsdanslelevier
d’ouverturedelaportière.— J’ai entendu dire que tu étaismort, tué en compagnie d’autres hommes et jeté dans une fosse
commune.Commentes-tuarrivéjusqu’ici?—Jemesuiséchappé.Ilsontmassacré lesautres.Etpourqu’onmecroiemort, ilsontplacéma
montreparmilescadavresetyontmislefeu.Ildétournaleregard,semblareprendresonsouffle.Hannahelle-mêmeavaitdumalàrespirerrien
qu’àimaginerlascènequ’ilvenaitdeluidépeindre.—Jesuistellementdésolée,murmura-t-elle.Ilfitunpetitsignedetête.Elleneleconnaissaitpassibienquecela,enfait.Ellen’avaitpasséqu’unenuitdanssesbras,mais
cettenuit-là, il l’avait aidée,etcelabienplusqu’ilnepouvait l’imaginer.Aprésent, elle souhaitaitsincèrement lui offrir son aide en retour. Il donnait l’impression d’en avoir grand besoin,même si,apparemment,ilsemblaitplutôtrechercherauprèsd’ellelaconfirmationdesessoupçons.—Laisse-moit’expliquercequelegouvernementdelaTierraMontañosaarapportéàlaFondation
Starr,commença-t-elle.Legroupederebellesquiamenél’attaquesefaitappelerlesGuérillerosdelaTierra Montañosa, bien qu’ils réfutent toute implication dans cette histoire. Je pense qu’ils secomportent toujours ainsi. Leur leitmotiv est l’affranchissement de la tyrannie,mais, à la vérité, ilscherchent surtout à imposer leur propre loi. Jeme suis renseignée sur leur action depuis…eh biendepuislafameuseembuscade.Cesontdesgenshorribles,ils…D’unsignedelamain,Jackl’interrompit.—Tupensesquejeneconnaispasceshommes?Mamissionsurplaceétaitdeprotégerdesgens
comme toi de groupes extrémistes comme le GTM. Mon travail consistait à débusquer cesorganisations terroristes et identifier leurs meneurs, alors arrête de prétendre tout m’expliquer. JechercheàdécouvrirquileuracommuniquélesinformationsconfidentiellesleurpermettantderéussircetteembuscadeàCostadelRio.Ilsdevaientavoirunindicateurinfiltrépourmonteruncouppareil.Ils connaissaient parfaitement notre itinéraire ainsi que notre emploi du temps. Et c’est toi qui asorganisécetteexpédition…—Oui,c’estbienmoi.—Alors,quid’autreétaitaucourant?—Jusqu’audépartduconvoi,personneàparttoi.Desmenacesontétéproféréesmaisnousavons
ététenusdegardercetteinformationsecrète.—Etlefilsdufondateur,quelestsonnomdéjà,HugoCorrea?
—Oui,etalors?—Etait-ilinformédecesmenaces?—Non,biensûrquenon.Tuneprétendspasqu’HugoCorreaentretientdesliensaveclesrebelles,
n’est-cepas?—Quelmalyaurait-ilàcela?Est-cepolitiquementincorrectd’accuserunhommemort?—HugoCorrean’estpasmort…Jacklevalessourcilsdesurprise.—Quedis-tu?—Tun’espasaucourant?—Maisnon !Bonsang ! Jenesuis revenuauxEtats-Unisquedepuisdeuxpetites semaines.Ma
premièreidéeaétéderequérirl’aidedemasœur.Jel’aitrouvéeenpleinedépressionetc’estelleenfaitquiavaitbesoindemoi.Ensuite,j’aidécouvertqu’elleétaitenceinte.Ladernièrefoisquej’aivuHugoCorreaetseshommes,ilsétaientdansuncamionavecunetrentainedeguérillerosleurpointantlecanondeleursarmessurlatempe.Plustard,onm’aapprisqu’ilsavaientétéliquidés.Lafondationagardélamajoritédelaprimed’assurancepoursescadresetadûpayerunesommeastronomiqueauxrebellespourleurlibération.J’aiaussientendudirequetuallaisêtredésignéepournégocierlasortiedeprisondesmembresduGTM.Encequimeconcerne,jen’auraispaschoisicetteoption,ajouta-t-ildoucement.Correaetl’hommequil’accompagnaitontpassédessemainesàl’hôpital.Apparemment,Correaatentédes’enfuirensautantducamionetareçuuneballedanslajambe.Lablessureseseraitinfectée. L’autre homme, un type nommé Harrison Plumber, a attrapé une sorte de complicationgastrique.Dèsqu’Hugoestsortidel’hôpital,SantiCorrealuiaconfiélesclésdelafondation,plusoumoinsdebongré.Jacksefrottalesyeux.—Ah,monDieu,murmura-t-il.Puis,setournantverselle,ilajouta:—Dis-moijustequic’était.—Dequiparles-tu?—Avecquiétais-tudemèche?Etpourquoi?Tul’asfaitpourdel’argent?Jenevoispasd’autre
explication.Quepouvais-tuattendred’autredecesgens?—Evidemment que je ne l’ai pas fait pour de l’argent ! s’écria-t-elle tandis que lemot argent
résonnaitdanssatête.Jen’airienàvoiravectoutcela.—Lesgensfontparfoisdeschoseshorriblespourunbeaupaquetdefric,dit-il.Ellefrémitsousl’insulte.Sonregardseperditauloinversl’océan,del’autrecôtédelaroute.Ce
n’étaitpaspossible…—Hannah?Elletournalesyeuxversluisansvraimentlevoir.ElleseremémoraitlejouroùDavidétaitvenu
chezelleavecunjolimagotpourluidemanderdelecacher,toutenluifaisantjurerdegarderlesecret.Cette démarche l’avait surprise— leurs rapports étaient plutôt chaotiques— et tout à coup, il semettaitàparlermariageetluiproposaitdefuiràl’autreboutdumonde…Qu’est-ce que tout ceci avait à voir avec l’histoire de laTierraMontañosa ? Pourtant, à présent
qu’elleavaitreliélesfaitsentreeux,pourquoineparvenait-elleplusàendétachersonesprit?—Jen’aipasoubliéquec’estlanuitprécédantl’embuscadequetum’asséduit,repritJack.Toutce
quejetedemandeàprésent,c’estlenomdelapersonne,hommeoufemme,quit’aembringuéedanscettehistoire.MaisHannahnel’écoutaitplus.Elletâchaitdeseconcentrer.Commeinconsciente,ellesortitdela
voitureetattrapasonsacàmain.Soninstinctluidictaitdes’éloigner,defuir.Toutdesuite.Jack futprèsd’elleenun instantet luiagrippa fermement lebras.Uneseulequestion ravageaità
présentl’espritd’Hannah.Davidétait-ilmêléàtoutcela?Etsitelétaitlecas,qu’allait-ellefaire?Quepouvait-ellefaire?Ilstraversèrentlarouteàdeuxvoies,puissefrayèrentuncheminparmilesrochers,lesboismortset
lesalgues jonchant lagrève.Jack lui lâcha lebrascommeelle trébuchaitsurunvieux troncd’arbredéraciné.Elleseretournaverslui.Ilétaitimpressionnantdanssachemiseblancheclaquantauventcontresa
peaubronzée,tandisquesonregardbleuazurbrillaitd’unelueursauvage.—Tum’épiesdepuisdes jours,dessemainesmême, lança-t-elle,soulagéed’avoirenfin identifié
lescausesdesonmalaise.Mais cela n’arrangeait pas les choses pour autant. La présence de Jack dans le tableau pouvait
expliquer cette désagréable sensation d’être observée,mais ses terribles accusations et sa venue àAllotan’auguraientriendebon.—J’aisouventsentitonregardsurmoi,ajouta-t-elle.—Impossible,rétorqua-t-il.JenesuisarrivéenCaliforniequ’hiersoir.—Jenetecroispas.—Denousdeux,cen’estpasmoilementeur.Elle s’assit surunvieux troncmortet tentad’organiser sespensées. Il fallaitqu’elle rentre seule
chezelle.Aussidevait-elleconvaincreJackqu’ellen’avaitrienàvoiraveccettetragiqueembuscade.Ainsi, il irait chercher ailleurs. Elle le regarda à travers ses longuesmèches fouettées par le ventcapricieux.—Quetulecroiesounon,j’étaisvraimentsincèrelanuitoùnousnoussommesconnus,avança-t-
elle.J’étaisunefemmedésespérée,abattueparlamortdesoncompagnon.Abattue par la culpabilité, plutôt. Elle avait failli avouer àDavid qu’elle n’était pas amoureuse,
qu’ellevoulaitqu’ilreprennesonargentetdisparaissedesaviequandilavaittrouvélamortdansunstupideaccident.—Correaaproposédemedispenserdel’accompagnerenAmériqueduSudpourl’ouverturedela
nouvelleécole,histoiredemechangerlesidées,etj’aifailliaccepter.Lesgensmereprochaientmatristesse,maisj’avaisdumalàsupporterlamaladiedemongrand-pèreetlamortdeDavid.Aufinal,j’ysuis toutdemêmealléeetc’estainsiqueje t’airencontré.TuconnaissaisDavid; tu t’esmontrécompatissantettendre.Tum’asbeaucoupparlé,tum’asofferttonaide.C’estaussisimplequecela.—Disleschosessincèrement,Hannah,insistaJackens’agenouillantenfaced’elle.Il l’encadrade sesbraspuissants,prenant solidement appui sur levieil arbremort.Sonvisageà
quelquescentimètresdusien,ilmurmurad’unevoixtendue:
—N’essaiepasdem’embobiner,tuveuxbien?Tonpetitamiétaitmortdepuismoinsd’unmois.Onabuquelquesverres,tuaspleuré,puisons’estenvoyésenl’aircommedesfous.Cettenuit-là,jesuisrestédormiravectoi,chosequejenefaisjamais,maisj’avaisdumalàtequitter.Pourquoi?Jen’ensaisrien.Peut-êtreparcequejemesentaiscoupable,perturbéaussi.Jesuisd’ailleursarrivéenretardaurendez-vousavecCorreaetilafalluquelecortèges’ébranleenfinpourquejereprennepleinementmesesprits.Ensuite…ehbientuconnaislafindel’histoire.Tun’étaispaslà;pourquoi?Il avaitmartelécesmotsavecune telledéterminationqu’ils résonnaient sans relâchedans la tête
d’Hannah.Allait-elledevoirsefaireviolenceetluiavouersesdoutesàproposdeDavid?AumoinsJackdétournerait-ilsonattentiond’elleunmoment.Maisilétaittroptôt;ilyavaitd’autrespersonnesimpliquées.Elleluttapourrecouvrersoncalmeetreprit:—J’étaisdéjààl’école,jem’yétaisrenduedirectementdepuisl’hôtel.Jenefaisaispaspartiede
l’expédition.Jedevaisjusteêtrelàunpeuplustôtpourtoutorganiser.Ilacquiesçad’unmouvementdetête.—Donc,selontoi,tun’asabsolumentrienàvoiraveccequis’estpassé.—Pasplusquetoi,répondit-elleenrepensantàDavidetàladernièrefoisqu’ellel’avaitvu.Non, elle devait se tromper.David ne pouvait pas avoir été un traître.Adoucissant la voix, elle
ajouta:—Mêmesituavaisétédanslavoitured’HugoCorrea,celan’auraitrienchangé.—Lesdeuxhommesquiontprisplacedanscettevoituresontmorts,rétorqua-t-il.Deshommesqui
travaillaientpourmoi.J’auraisdûêtreaveceux.—J’aivulesphotosprisesaprèsl’embuscade.J’aivucequ’ilsontfait.Tunet’enseraispassorti,
Jack.C’estunmiraclequ’ilyaitdessurvivants.—Mamissionétaitdem’assurerquepersonnenemeure.—Jenetecomprendspas,répliqua-t-elleaveccolère.Lesseulsresponsablessontlesrebellesqui
n’hésitent pas à supprimer des vies innocentes pour parvenir à leurs fins. Tu connais bien leursméthodes, tu saisparfaitementdequoi ils sont capables. Ilsn’hésitentpasà enrôlerdesenfants. Ilssoutiennentdescartelsdedrogueafindefinancercequ’ilsosentappelerdupatriotisme.Ilstuentsanspitié ceux qui veulent les quitter.Moi, je travaille pour une organisation humanitaire fondée par unhommequisouhaiteaméliorerl’éducationdesenfantsenAmériqueduSud,lesaideràseconstruireunfuturmeilleur.Commentpeux-tupenserquej’aiequoiquecesoitencommunavecleGTM?Jacks’écartad’elleetdardasonregarddanslesien,à larecherchedelavérité.Ellecrutenfiny
décelerunelueurdedoutequantàsaculpabilité.Un an plus tôt, alors qu’il la rejoignait au bar de l’hôtel afin de préparer le programme du
lendemain,elleétaittoutdesuitetombéesoussoncharme.Grand,beauetténébreux,ilpossédaitundecesregardsbleuquifaitfondrelesfemmes.Leurattiranceavaitétéimmédiate,etilavaitraison:lesinstantspassésensembleétaientvraimentmémorables.Amaigri,àprésent,maisd’unecertainefaçonplusanimal,plusvirilaprèsdesmoisdeprivation,il
exhalaitencoreunpuissantsex-appealcapabledefaireflancher la femmelaplusfidèle.Sonregardn’étaitnidouxnichaleureux,songeaHannah,maisiléveillaitenelleunsentimentd’impuissancedontellen’étaitpasfière.—Jetelaisse,annonça-t-elle.Jedevraisêtreàlamaisondepuisunedemi-heure.Salut.
Elleselevaetfitquelquespasavantdeseretourner.—Jack?Tumecrois,n’est-cepas?—Jenesaisplus,avoua-t-il.—Jenecomprendspaspourquoic’estsiimportantpourmoi,maisilfautquetumecroies.Jet’en
prie,insista-t-elle.Ilpassalamaindansseslongscheveuxafindedégagersonvisage.—Lesfaitss’emboîtaientsibien,dit-il.J’étaistellementsûrquec’étaittoi!— Mais toi, comment as-tu pu t’échapper, Jack ? Je m’étonne qu’on n’en ait pas parlé aux
informations.—Personnenesaitquejesuisderetour.—Tunet’espasrenduauconsulat?Iltefallaitbienunnouveaupasseport,non?—Pasdelafaçondontjesuisrentrédanslepays.—Tuveuxdirequetuesrevenudefaçonillégale?Maispourquoi?Tuesunhéros…—J’aivouluréapparaîtrediscrètementafindedécouvrirlavérité,expliqua-t-ilenjetantunregard
auloin,versl’océan.Jen’avaispasenviedemeperdredansdestracasadministratifs.Jeverraicelaplus tard. J’ai le sentiment qu’il y a une bombe à retardement cachée quelque part et je ne peux latrouver.—Oh,Jack,jesuisdésolée.Illuilançauncoupd’œilfurtif.—Jepensaisquetuauraislesréponsesàmesinterrogations.Jen’ensuisplussisûràprésent…—Jesupposequejedoism’encontenter,commenta-t-elleavantdereprendresonchemin.—Retrouve-moicesoir,dit-ilsoudainenlaprenantparlebras.—Jenepeuxpas,murmura-t-elle.C’estimpossible.Les doigts de Jack glissèrent le long de son bras, puis s’attardèrent sur samain en une caresse
légère.—Maissi.ViensàFortBraggjustepouruneheure,murmura-t-ild’unevoixplusdouce.FortBragg, situé à quelques kilomètres au sud d’Allota, hébergeait la FondationStarr.Hannah y
étaitencoreuneheureauparavant.—Jesuisdésolée.— S’il te plaît, insista-t-il. J’ai besoin d’en savoir plus sur tes préparatifs à Costa del Rio. Le
moindresouvenirpeutêtreutile.Jedoisdécouvrircequis’yestpassé,Hannah.C’estbeaucoupplusimportantquetunelecrois,maisjenepeuxt’endireplus.C’estbienplusénormequel’embuscadeetsademi-douzainedemorts.Etiln’estpasseulementquestiondevengeance.Baissant lesyeux sur leursmainsenlacées, elle se remémoracommeelle s’était sentieperdueen
apprenantsadisparition,lelendemaindeleurnuitd’amour.Saperte,survenantjusteaprèsledécèsdeDavid,l’avaitréellementconvaincuequ’elleportaitmalheurauxhommesquientraientdanssavie.Avait-elle secrètement espéréquecettenuit torride allait semuer enune relation sérieuse ?A la
vérité,oui.CeJackStarling l’avait totalementséduite,depuis lepremier jouretaujourd’huiencore.Maislasituationavaitévoluéetilétaittroptardàprésentpours’impliquer.
—Cen’estpaspossible,Jack.—Moiaussijesuisdésolé,murmura-t-il.Marchantcôteàcôte,ilsparcoururentlecheminensensinverse.Duhautd’unedune,ilsaperçurent
surleparkingpresquedésertlavoitured’Hannah,àl’arrièredusupermarché.Ilsnes’étaientabsentésqu’unedemi-heure.Lescoursesdanslecoffrenedevaientpasavoirtropsouffert,àpartpeut-êtrelacrèmeglacée…L’explosion ne fut pas spectaculaire, mais si inattendue qu’elle projeta Hannah contre Jack. Il
l’entoura aussitôt de ses bras puissants afin de la protéger. Le garde du corps en lui s’étaitinstinctivementréveillé.Jetantunregardeffrayépar-dessussonépaule,Hannahvitunépaisnuagedefumées’échapperdesa
voitureenuntourbillondevolutesnoires.
2
Sur la demande des officiers de police, Jack présenta sa carte d’identité, priant pour qu’ils nedécouvrent pas qu’il s’agissait d’un faux. Le nomde famille qui y figurait étaitCarling, au lieu deStarling.Touts’étaitbienpassélorsduderniercontrôleet,apriori,iln’yavaitpasderaisonqu’ilenaille autrement aujourd’hui. Les policiers prirent quelques notes, lui rendirent ses documents etreportèrentleurattentionsurlevéhiculeendommagé.Hannah s’était éloignée afin de passer un appel en toute discrétion et revenait à présent dans sa
direction, affichant une mine désespérée. Jack se demanda alors si elle avait sa petite idée surl’identité du poseur de bombe, ou si l’un de ses proches, ayant appris les événements par lesinformations,luiavaitfaitpartdesoninquiétude.Ilignoraittantdechosesàsonsujet!Regroupés autour de la voiture encore fumante, les officiers de police, assistés des pompiers,
poursuivaient leur enquête et prenaient des notes en se concertant. Déjà, le crépuscule s’annonçaitalors que la brise s’accentuait, faisant danser les cheveux d’Hannah de façon désordonnée. Elle seplaça face au vent afin de remettre de l’ordre dans sa chevelure et débarrasser son visage de cesmèchesrebellesd’unblondcuivré.L’observantdiscrètement, Jack fut troubléde ladécouvrirplusconfiante,plus forte et assurément
moinsvulnérablequelorsdeleurpremièrerencontre.Elleétaittoutaussiattirante,c’étaitindéniable,voireplusexcitanteencore.Iladoraitpar-dessustoutsonpetitnezlégèrementretrousséetlesquelquestachesderousseuréparpilléessursespommettes.Maintenantqu’ils’étaitenfinrapprochéd’elle,qu’ilavaitpulavoir,luiparler,iln’étaitplusaussi
sûrdesonimplicationdanscetactehorriblequ’avaitétél’embuscadedelaTierraMontañosa.Ilavaitl’intimeconvictionqu’Hannahdisaitlavérité,maisqu’ellecachaitparailleursdesfaitsqu’ilsedevaitdedécouvriràtoutprix.—Qu’est-cequiabienputelaissercroirequejet’espionnais?interrogeaJack.—Cen’estpasimportant,répondit-elleavantdedétournersonattentionversunpointauloin,par-
dessussonépaule.Ilseretournaetvitquel’undespolicierss’étaitdétachédugroupeetsedirigeaitverseuxd’unpas
décidé.Hannahjetaunbrefcoupd’œilàJacketallarapidementàsarencontre.Jacknefutpaslongàcomprendre,àlafaçondontelletournaitlatêtepourparleravecl’officier,qu’elletenaitàgarderleurspropossecrets.Ilavaitusédecegenredestratagèmetoutaulongdesapropreexistence.Ilravalasonimpatienceet,lesyeuxclos,fitlevidedanssonesprit,s’employantàretrouverenlui
cettesérénitéquil’avaitaidéàendurerseslongsmoisdecaptivité.Pourunhommehabituéàmaîtriserla situation, il n’y avait riendeplus frustrant quede se retrouver à lamerci d’êtres sans scrupulescommecesguerriersduGTM.Maisilavait trèsviteacceptéquelaseulefaçondesurvivre, toutenpréservantsesfacultésmentales,étaitdes’adapteràlasituation.La tension logée dans lesmuscles de sa nuque disparut peu à peu, tandis que la brise venant de
l’océan jouait avec sa chevelure et fouettait l’étoffe de sa chemise contre son torse. Il se concentra
uniquementsurlecridesmouettesetletumultedesvaguessefracassantauloin.Lebruitenvironnants’estompaprogressivement.Ilsesentaitenfinlibre.Finislesbarreaux,leschaînesautourducou,laperpétuellesensationdefaiminassouvieet,surtout,
lescanonsdesmitraillettesluilabourantlescôtesàtoutmoment.Finisleshurlementsdedétresse,lesmenaces,laterreur.Maisilsubsistaitenluidenombreusesinterrogations.Unepartdelui-mêmerefusaitd’accepterque
les événements se soient déroulés commeHannah le prétendait.Quant à disparaître sur-le-champetreprendre le coursde savie comme si rienne s’était passé, il savait au fondde son cœurqu’il nepourrait jamais s’y résoudre. Son existence mouvementée l’avait endurci et fait de lui un hommeaccompli,aujourd’huibiendéterminéàdécouvrirlavérité.Ilrouvritlesyeux;Hannahl’observaitdeloin.Elleportaitunpetithautcouleursaumonenparfaite
harmonie avec le rosenaturelde ses lèvres.Acet instantprécis, il lui semblan’avoir jamaisprêtéattentionaudessindesabouche.Ilseressaisit;cen’étaitpaslemomentdeselaisserdistraireparlesouvenirdugoûtsuavedeseslèvresoudesdélicieusescourbesdesoncorpsoffert.Certes,ilavaiteurecours à ces images pour soulager les souffrances de sa captivité,mais à présent, il devait restermaîtredelui-même.HannahacquiesçadelatêteauxproposdupolicieretfitlechemininverseversJack,sapoitrinese
balançantdoucementaurythmedesespas.Ileutsoudaintrèsenvied’elle.—Jerentreàlamaison,Jack.L’officierLatimerproposedetedéposerquelquepartenville.IljetaunregardverssaHarley,garéeàl’extrémitéduparking.GrandmerciàEllaetSimond’avoir
veillésursamotodurantsonabsence.—Nonmerci,répondit-il.—Bien.Aurevoir,alors.Jesuissoulagéedetesavoirenvie.Prendssoindetoiettâched’oublier
lepassé.Tuméritesd’êtreheureuxàprésent.S’appuyantsurseslargesépaules,ellesehissasurlapointedespiedsetluidéposaunpetitbaiser
surlajoue.Lachevelured’Hannahsentaitbonlefrais.Illuipritlamainavantqu’ellenes’échappe.—Vas-tuenfinm’expliquercequetuentendaispartesentirobservée?—Jepensequejemefaisdesidées,répondit-elletandisqu’illarelâchait,àcontrecœur.—Enas-tuparléàlapolice?—Biensûr,répondit-elleendétournantleregardafindedissimulerceténormemensonge.Jacknefutpasdupeuneseconde.Pourquoin’avait-ellepasinformélesautorités?—Quelqu’unatoutdemêmemislefeuàtavoiture,chérie,dit-ildoucement.Tudevraispeut-être
prendrecetavertissementausérieux.—Lapolicem’aassuréquelabomben’étaitpasplacéedansl’intentiondemeblesser.Ilyaeudes
cassimilairesdanslarégion,ajouta-t-elle.Ilspensentqu’ils’agitd’unengindepetitetaillequel’onafixéaupotd’échappement.Tusais,mêmesijem’étaistrouvéeàl’intérieur,jem’enseraistiréesansaucuneégratignure.J’iraidéposerlavoitureaugaragedemainenespérantqu’ilspourrontlaréparerauplusvite.Voilà.Findel’histoire.—Oh,cen’estpassisimple,Hannah,rétorquaJack.—Si,Jack.Toutestdit.Jesuisdésoléequetu tesoisretrouvéimpliquédanscettehistoire,mais
c’estmieuxpournousdeux.Bonnechance,etpuisses-tutrouvercequetucherches!Jedoisyaller,àprésent.Tuvois,l’officierLatimermefaitsignedemedépêcher.Aurevoir,Jack.—Attends…,dit-il.Mais elle ne lui offrit qu’un vague sourire compatissant tout en s’éloignant. Il n’insista pas et se
contentad’observer,impuissant,levéhiculedémarrer.Jack demeura là quelques instants, perdu dans ses pensées, tandis que la dépanneuse, suivie du
camion de pompiers, quittait les lieux et que les quelques curieux, attirés par le spectacle, sedispersaientd’unpasnonchalant.Cependant,troispointsmajeursdemeuraient.Premièrement,Hannahavaitpeur.Maisdequi,aujuste?Deuxièmement,ellenevoulaitpasqu’ilsacheoùellehabitait.Pourquoi?Qu’avait-elleàcacher?Etenfin,troisièmement,avait-ellelanaïvetédepenserqueluicachersonadressesuffiraitàletenir
àdistance?
***
Lamaisonqu’Hannahpartageaitavecsagrand-mèresesituaitnonloindel’océan,nichéedansunpetit quartier boisé bien tranquille. Comme toujours, rentrer chez elle lui procura une profondesensationd’apaisement.Toutparticulièrementcesoir,oùellevenaitdeseconfronteràunhommeaussidéterminéqueJackStarling.Sagrand-mère,MimiMarks,étaitunevieilledamedesoixante-treizeansplutôtexcentrique.Elle
arrangeaitsescheveuxgrisendelonguestressesetavaitunfaiblepourlessalopettesenjean,amplesdepréférence,etleschaussuresdecouleursvives.Ilyavaitmaintenantbienlongtempsdecela,elleavait aidé sonmariàbâtir cettepetitemaison.Lesvendredis soir,onpouvait àcoupsûr la trouverbuvantdelabièreoujouantauxcartesavecsesamies,installéeschezl’uneoul’autre,selonl’humeurdumoment.ElleseprécipitapouraccueillirHannahsurlepasdelaporte.Cejour-là,elleportaitsimplement
une longue tunique verte qui se terminait par de fines rayures orange et brunes. AutantMimi étaitsimpleetpétillante,autant,parcomparaison,lamèred’Hannah,toutjusteremariée,étaitprétentieuseetsnob.Enfait,sesgrands-parentsl’avaientplusoumoinsélevée,samèreayantd’autresoccupationsplusimportantes.—Dis-moilavérité,commençaMimi.Tuessûrequeçava?—Çava,Mimi,toutvabien.Commejetel’aiditautéléphone,jen’étaismêmepasdanslavoiture.—Qui pourrait bien te faire une farce pareille ? demanda la vieille dame avant d’ajouter, sans
attendresaréponse:J’aireçudesdizainesdecoupsdefildetoutAllota.CertainsdisentquelapoliceimputelesfaitsàunebandedepetitsvoyousdeFortBragg.Hannahnefutpassurpriseoutremesure;lesragotsallaienttoujoursbontrainàAllota.—Tu vois ! Ce n’est donc pas la première fois que ce genre d’incident arrive, en conclut-elle.
CommentvaAubrielle?—Trèsbien.Elleabulelaitquetuavaistiré.Vavitelavoir; jesaisquetuenmeuresd’envie.
Bon,pourcesoir,ceseraundîneràlabonnefranquettepuisquelescoursessontpartiesenfumée.
—Nousironsremplirlefrigodemain,avectavoiture,réponditHannah.Ellepénétradanslamaison,traversalelongcouloirquidesservaitleurschambresrespectivespour
s’arrêterdevantcelled’Aubrielle.Tapisséedanslestonsroses,lejourmêmeoùl’échographieavaitrévélélesexedubébé,lapetitechambreaupapierpeintfleuriétaitcertainementunpeurococo,maisavaitledond’attendrirHannah.Mimi,quisouhaitaitàl’époqueunedécorationàbasedevertpommeetdejaunecanari,avaitcachésondépit.Aprèstout,lamamanavaittoujourslederniermot.Aprésent,cenourrissonâgédetroismoisreposantdanssonberceaucaptivaitl’attentiond’Hannah.
Elle entra dans la pièce, espérant que le bébé s’éveillerait au son de ses pas, souhaitant plus quejamaislaprendredanssesbras,lacouvrirdebaisersetpeut-êtrebienavoirlebonheurdeluidonnerlesein,silafaimsefaisaitsentir.Cependant,Aubrielleavaitdéjàlesyeuxgrandsouverts.Hannahlasoulevaetlanichaaucreuxde
sesbras,toutcontresapoitrine;lebébésemitàgazouilleretHannah,enproieàuneimmensevaguedetendresse,sentitsoncœurs’emballer.Ellepritunegrandeinspirationetmurmuraàl’oreilledesafille:—J’aivutonpapaaujourd’hui.Pourlapremièrefois,elles’entendaitprononcercettephraseàvoixhaute.JackStarlingétaitbienle
pèred’Aubrielle.Elleenétaitsûre.Ilavaitsuffid’uneseulenuitd’amourpourengendrerlaplusbellecréatureaumonde.—Jeveuxquetusachesquejenelelaisseraijamaisvenirbouleversertavie,monpetitamour.Je
t’enfaisleserment.Toietmoiformonsunefamille.Jenevaispasaccepterqu’unétranger,parcequ’ilesttongéniteur,aitdesdroitssurtoi.Net’inquiètepas,monange,toutirabien.C’estnotresecret.Elless’installèrentdanslerocking-chairquifaisaitfaceàlafenêtre.Hannah,repoussantleslarmes
quil’assaillaient,retrouvaunsemblantdeplénitudeenluioffrantlesein.Elledétestaitmentir.Deplus,ellesesavaittrèsmauvaiseàcepetitjeu.Jackméritaitlavérité,ça,elleenétaitpersuadée,maislasécuritéetlebien-êtred’Aubriellepassaientavanttout.Jackétaitungardeducorps,unduràcuire,etlepeuqu’Hannahsavaitdesavieluiprouvaitqu’ilétaittoutsaufunpèreresponsable.Lapreuveenétait son obsession actuelle. Sur de simples pressentiments, il se permettait d’accuser de pauvresinnocentsdespirescrimes.Deplus,ilsepromenaitdanslepayssanspasseport,danslapluscomplèteillégalité. Hannah se dit qu’une année de mauvais traitements au fin fond de la jungle avait trèscertainementaltérésesfacultés.ElleévitaitdesongeràDavid,àlaTierraMontañosaetàl’embuscadedeCostadelRio.L’espace
d’un instant,elle futconvaincuequeDavidn’étaitpas impliquédanscettehistoiresordide ; ilavaitd’ailleurs trouvé lamort plusieurs semaines avant la fameuse expédition. Il n’avait jamaismis lespiedsàCostadelRio,saresponsabilitéprofessionnelleselimitantauterritoiredesEtats-Unis.Mais alors, d’où provenait cette somme considérable ? Pourquoi lui avait-il demandé la plus
grandediscrétion?Soudain, elle se souvint queDavid lui avait remis l’argent dans un sac de sport.Où l’avait-elle
rangé?Dans sonbureauà lamaison?Non, elle l’avait emporté à son travail ; elle s’en souvenaitclairement. Elle avaitmême transvasé les billets du sac dans son porte-documents.Y avait-il autrechosedanslesac?Elletâchadeseremémorerlesévénements.Illuisemblaalorssesouvenirdelaprésence d’une note manuscrite accompagnant les billets, au fond du sac. Qu’avait-elle fait de cemaudit sac ? L’avait-elle simplement déposé dans son casier ou était-il sagement rangé dans le
compartimentverrouillédesonbureau?Secreuserainsilatêteneluiapportantaucuneréponse,elledécidaqu’illuisuffiraittoutsimplement
defairedesrecherchesdèssonarrivéeaubureau,lelendemainmatin.Ellefermalesyeux,etlapremièrepersonneàlaquelleellepensafutJack,etnonDavid.Leregard
de Jack.Labouchede Jack.Sa silhouette.Lorsqu’il l’appelait doucementchérie, tout son être s’entrouvait chamboulé, sans défense. Le souvenir de la nuit torride qu’ils avaient passée ensemble luiapparutendecrusdétailsimagésquiluiéchauffèrentlessens.Commeellereposaitsatêtesurlemontantdurocking-chairetqu’Aubriellesenourrissaitgoulûment
àsonsein,sonregards’égaraauloin,àtraverslecadredelafenêtre,verslecielparsemédepetitsnuagesquiviraitlentementducrépusculeàlapénombre.Elleavaitchoisicetemplacementprécispourlavueetsesvertusreposantes;maiscesoir,elleneparvenaitpasàtrouverunquelconqueapaisement.Elleavaitl’étrangesensationquequelqu’un,depuislejardin,étaitentraindel’espionner.L’éclairagede la chambre lui sembla soudainement trop cru, lui infligeant la désagréable impression d’êtreexposée,commesurledevantd’unescène.Y avait-il réellement une présence, là, dehors ?Cette idée était stupide, et absolument infondée,
maislemalaisen’enétaitpasmoinsprésent.Jackavaitcertainementraison.Elleauraitdûavertirlapolice.Mais,d’unautrecôté,l’évocationd’uneenquêteofficielle,avecJackStarlingdanslesparages,l’effrayait.Ellenesouhaitaitenfaitqu’unechose:qu’ilquittelaCaliforniepourdebon.Si,àlasuitede son départ, elle ressentait encore quelque appréhension, elle en toucherait un mot à l’officierLatimer.Lui,aumoins,semblaithumainetcompréhensif.Ellepouvaitavoirconfianceenlui.Bercéeparsamaman,Aubrielleserendormitrapidement.Perduedanssespensées,Hannahsereprit
soudain ; il lui fallait à toutprixdompter sesémotions.Elle se levaavecprécaution, sapetite fillesomnolantdanssesbras.ElledéposaunbaisertendredanssonpetitcoutoutdouxavantderecoucherAubrielledanssonberceau.Elles’assuraensuitequelafenêtreétaitbienverrouilléeettiralesrideauxavantd’éteindreetquitterlachambreenrefermantlaportederrièreelle.Laveilleuseorangéeenformede champignon nimbait la pièce d’une lueur douce et bienveillante. Aubrielle était en sécurité, etc’étaitlachoselaplusimportantepourHannah.EntraversantlecouloirpourrejoindreMimi,elleperçutunevoixd’hommevenantdusalon.Pensant
tout d’abord que celle-ci provenait de la télévision, elle fut surprise d’entendre sa grand-mère luirépondre. Encore sous l’emprise des péripéties de la journée, elle se précipita dans le salon avecappréhension.Mimiétaitassisesurlecanapé,etJacktranquillementinstallédanslefauteuilbleu,unverredevin
blancàlamain.IlsseturentdeconcertetdévisagèrentHannahlorsqu’ellefitirruptiondanslapièce.Jack posa son verre et se leva d’un bond. Avec sa chevelure désordonnée et son expression
orageuse,ilavaitl’aird’unmercenaireparachutéparerreuraubeaumilieud’unjardind’enfants.L’aird’unsalegosseeffronté.—Hannah.TonamiJackmeracontaitvotrevoyagedanslaTierraMontañosa,expliquaMimi.Tune
m’avais jamais parlé de lui ! Bon, toujours est-il que je l’ai invité à dîner ce soir, même si nousn’avonspasgrand-choseàluioffrir.Machérie,tuasunemineterrible;assieds-toi.Jetesersunverredevin,annonça-t-elleengagnantlacuisine.—Commentas-tudécouvertmamaison?demandaHannahd’unevoixsourde.—Jesuisallévoir lecaissierde la supérette, je luiaiditque tuavaisoublié tescourses sur le
parking et je lui ai proposé de te les ramener. Il n’a pas hésité une seule seconde àmedonner tonadresse. Il paraît que sa propre belle-mère joue souvent aux cartes avec ta grand-mère. C’estl’avantagedespetitesvilles;toutlemondeseconnaît!—Commenttepermets-tudet’inviterchezmoi?Quemeveux-tuencore?—Justem’assurerquetuvasbien,répondit-ilenseréinstallantconfortablementdanslefauteuil.—Arrêtedementir!lançaHannah.—Bon,j’avoue.Jesuisrevenucarjesensquetumecachesquelquechose…Luiprenantlesmains,ill’attiraàluietlafitasseoiràsoncôté,surlerebordducanapé.—Pourquoies-tusinerveuse?—Tun’étaispasobligéd’accepter.—Tagrand-mèrem’ainvité,répondit-ilavecaplomb.Mimiréapparutavecunverredevinqu’elletenditàHannah.Puis,arborantunlargesourire,ellese
plaçabienfaceàeux,lesmainssurleshanches.—Vousdeux,bavardeztranquillementdupassétandisquejemechargedudîner.Nousn’avonspas
grand-chosemais je vaisme débrouiller.Au fait, Jack, auriez-vous connu un Français travaillant àCostadelRio?—UnFrançais?—Oui,unexpatrié.—Non,désolé.Jenemesouviensd’aucunFrançais…—Jemedisaisquevousl’aviezpeut-êtreconnu…Hmm…Vousavezbienvécuplusieursannéeslà-
bas,n’est-cepas?Hannah,poursapart,n’yapasséquedecourtsséjoursetvousm’avezditquevousaviezpasséunesoiréetouslesdeuxetque…—Grand-mère,intervintHannahafind’évitercesujetbrûlant.Etcedîner?—Oh, jemedisais juste qu’il serait bien d’avoir des nouvelles du papa d’Aubrielle, se justifia
Mimi.Tunemeparlesjamaisdelui…Hannah encaissa le coup. Cela dut se lire instantanément sur son visage, car Mimi et Jack la
dévisagèrent,visiblementintrigués.—Jesaisbienquenousnedevonspasparlerdelui,insistaMimi,etquetuconsidèrescetteunion
commeuneénormeerreur,maisjemedisaissimplement…—Jackneleconnaîtpas,tranchaHannah.—Jenesavaispasquetuétaismaman,murmuraJack,surpris.— Mais je vous ai dit tout à l’heure qu’Hannah était occupée avec Aubrielle, avança Mimi,
perplexe.—J’aipenséqu’Aubrielleétaitunefemme.—Bon,jevaisvoircequejepeuxcuisiner,annonçaMimienfuyantverslacuisine.Dèsqu’ellefuthorsdelapièce,JacksetournaversHannah,leregardinquisiteur.—Toi,tuasunbébé?Hannahbutunegorgéedevinetsoupira.
—Oui,avoua-t-elle.—Quelâge?—Troismois.—C’estdrôle,jenemesouviensd’aucunexpatriéfrançaisvivantàCostadelRio.Puis,lalumièresefaisantdanssonesprit,ilmurmura:—OhmonDieu,Hannah,est-ce…monenfant?Ilavaitl’airterrifiéparl’ampleurdecetterévélation.Tantmieux,seditHannah.—Non,Jack.Aubriellen’estpastonenfant.—Pourtant,lesdates…—Non.—Est-ce…Davidlepère?Aprèsunmomentd’hésitation,Hannahapprouvad’unsignedetête.—Pourquoialorsnepasavoueràtagrand-mèrequec’estDavidlepère?demandaJack.—C’estcompliquéàexpliquer…—Essaietoujours;jesuistoutouïe.—Ehbien,ilestprécisédanslerèglementintérieurdelafondationquetouterelationintimeentre
sesmembresesttotalementinterdite,etnousavonsenfreintcetterègle,Davidetmoi.Iln’estpluslàaujourd’huietjen’aiaucunintérêtàremuerlepassé.Jepourraisbienyperdremontravail,alorsquej’enaiplusquebesoin.—Là,tuesentraindetejustifier,rétorquaJack.—Biensûrquejemejustifie!C’estuneréactionnaturellequandtoutvadetravers.Onfaitdeson
mieuxpourqueleschosess’arrangent,dit-elleavantdeprendreuneprofondeinspiration.Magrand-mèreconnaissaittrèspeuDavidetsurtoutpaslarelationquinousunissait.Commetuasput’enrendrecompte, elle n’est vraiment pas douée pour garder les secrets. Et puis, il fallait aussi prendre enconsidérationlafamilledeDavid.Sesparentsontdéjàprèsd’unedouzainedepetits-enfantsetviventàdesmilliersdekilomètres.Jenelesaijamaisconnus.J’aitoutsimplementdécidéderaconterquelepèred’AubrielleétaitunFrançaisquej’avaisrencontréenAmériqueduSud.Maistoutceciestbienloindenospréoccupations…—Donc,tuétaisenceintequandnousnoussommesconnus?Elleleregardadroitdanslesyeuxavantd’approuverd’unbattementdecils.—SiAubrielleaeffectivementtroismois,celanousramèneà…—ToutjusteavantqueDavidnedécède,toutàfaitM.l’inspecteur,tranchaHannah.—Reprends-moisijedivague,maistadécisionderompreavecDavidadûaffreusementtetorturer
etteculpabiliser,n’est-cepas?—Celanet’estjamaisarrivé,àtoi,decouchersansressentirlemoindresentiment?riposta-t-elle.—Touché.Dis-moi,ilestmortjustelelendemainmatin,enserendantautravail,n’est-cepas?—Oui. Il était sur son vélo. Le chauffeur du camion qui l’a percuté a déclaré queDavid avait
dérapésurdesgraviersetchutéaubeaumilieudelaroute,soussesroues.
Jackl’observaquelquesinstants,imaginantl’horribleaccident,avantdepoursuivre:—Tusais,j’aifinalementdécidédetecroire.Jenepeuxpasimaginerquetuaiestrempédanscette
histoired’embuscade.Ellefutsoulagéedesesentirenfininnocentéeet,surtout,dechangerdesujet.—Bien.Etpeut-onsavoircequit’afaitchangerd’avis?—Jenesaispastrop,àvraidire.Enfait,jepensequetuessuffisammentintelligenteetruséepour
avoirmontélecoup,maispasassezcruelle.—Jesuissoulagéedetel’entendredire,répondit-elle.—Maistusais,ouplutôt,tususpectesdeschoses.Quicherches-tudoncàprotéger?Hannahvidasonverred’untraitetlereposad’ungesteunpeubrusque.Ilétaittempsdemettreles
chosesaupoint.EllesepenchatoutprèsdeJacket,d’unevoixsévère,déclara:—Parlonspeu,parlonsbien.Tun’esqu’unétrangeravecquij’aipasséunenuitexceptionnelle,ily
aunpeuplusd’unan.C’estunfait indéniable.Commetume l’assibienrappelécetaprès-midi,etavecforcedétails,cen’étaitqu’uneaventuresexuelleetriend’autre.Jenevaispasmeconfondreenexcuses,maisterevoirestplutôtembarrassant;aujourd’hui,avectoutcequiestarrivé,onnepeutpasdirequejemesoismontréesousmonmeilleurjour.Suis-jebienclaire?—Toutàfait!Sijeneconnaissaispasencorelahonte,voilàquiestfait.Tuviensdemetaillerun
beaucostumepourl’hiver,ironisa-t-il.Ilmarquaunebrèvepause.—Unenuitexceptionnelle,as-tudit?Il affichait un sourire canaille tandis qu’elle le dévisageait, furieuse. Mimi provoqua une trêve,
annonçantdepuislacuisine:—J’aipréparédesgalettesdesojaaccompagnéesdelégumesfrais!—Magrand-mèreestpersuadéed’êtreuncordon-bleu,chuchotaHannah.Maisjepeuxt’assurerque
cen’estabsolumentpaslecas.—Jenesuispasdifficile.Jemangecequ’onmesert,rétorquaJackenhaussantlesépaules.Puis,voyantqu’ellenegoûtaitpaslecomiquedelasituation,ilajoutad’unetraite:—J’aimeraisbienvoirl’enfantdeDavidetjesuisréellementaffamé.Hannahselevad’unbond.C’enétaittrop.Jackreprésentaitunréeldangerpourelle,pourlebébé,
pourleuravenir.Ilfallaitqu’ilparteafinqu’ellepuissefairelepointsurlesdoutesquil’assaillaient.Peut-être,aufinal,accepterait-elleunjourdelespartageraveclui,maiscen’étaitpasenvisageablepourlemoment.Ilfallaitqu’elleparvienneàleconvaincrededisparaître,neserait-cequ’unesemaineoudeux,letempspourelledemenersapropreenquête.Fransavait-elledeschosesàproposdecetteexpédition ? En qualité de directrice des ressources humaines de la fondation, elle donnaitl’impressiond’avoirsonpetitdossiersurchacundesemployés.—Tevoilàsoudainàdesannées-lumièred’Allota,ditJackenvenantseplacerjustedevantelle.—Lajournéeaétérude,Jack,réponditHannahensepassantlamaindanslescheveux.Jemesens
traquée sans répit par une présence invisible, et toi, tu viens m’accuser d’être de mèche avec unmeurtrier. Laisse-moi tes coordonnées au cas où un fait importantme reviendrait à l’esprit, que jepuissetetenirinformé,dit-elleaveccynisme.Aprésent,jevaisprendreunebonnedoucheetpendant
monabsence,jetesauraigrédeprésentertesexcusesàmagrand-mèreetdet’éclipsergentiment.Est-cetroptedemander?—Beaucouptrop,affirma-t-il.Jen’aiquetropattendu.Letempsfile…—Cettehistoiredatemaintenantd’unan.Nousnesommesplusàquelquessemainesprès,argumenta
Hannah.—Cen’estpassisimple.Jet’aidéjàditqu’iln’estpassimplementquestiondevengeance.Ilssedévisagèrentquelquesinstants,tousdeuxdansuneimpasse.Lasituationétaitinsensée,songea
Hannah;elleétaitlà,chezelle,etJackavaituncertainculotderefuserdes’enaller.Lorsqu’il détourna son regard, elle crut qu’il s’absorbait dans la contemplation de leur propre
image,sereflétantdanslavitrederrièreelle.Laseconded’après,ilétaittoutprès.Illapritdanssesbrasetl’entraînaaveclui,laforçantàsejeteràterre.Elleeneutlesoufflecoupé.Soncorpsmusclélamaintenaitclouéeausoltandisquesesmainsencerclaientsonvisage.Ellerassemblatoutessesforcespourrepoussersontorsepuissant,maisillamaintenaitfermement.Unebrèveexplosion,suivid’uncriauloinetd’autresbruitsinintelligiblessemirentàbourdonner
dans les oreilles d’Hannah. Une pluie de petits morceaux de verre les inonda, rebondissant sur lemobilier,dansantsurtoutelasurfaceduparquet.Jackresserrasonétreinte;elleréfrénauncridedétresseenpensantàAubrielle.
3
—Qu’est-cequisepasseici,bonsang?s’écriaJackavantd’aiderHannahàserelever.—Jen’ensaisrien!répondit-elle,leregardaffolé.Mimirevintprécipitammentdelacuisine.—Regardez!Lafenêtre!s’écria-t-elle,horrifiée.HannahetJackvirentuntroubéantaubeaumilieudelavitrefracassée.—C’étaituncoupdefeu?demandalavieilledame.—Non.Jepenseplutôtàungroscaillou,réponditJack.Hannahs’employaitàôterlesmorceauxdeverredontelleétaitcouverte.Puiselles’élançaversle
couloirmenant à la chambred’Aubrielle, dontonentendait lespleurs s’éleverdepuis le fondde lamaison.Maissagrand-mèrel’interceptarudement.—Turisquesdelablesseravectoutceverre!Laisse-moiyaller,ordonna-t-elleenquittantlesalon
d’unpasdécidé.—Vas-tutedécideràmedirecequisepasse,Hannah?demandaJackd’untonexcédé.Ellesemblasurlepointdel’envoyerpromener,maisseravisa.—Jen’enaipaslamoindreidée,avoua-t-elle.—Allons, dis-moi ; tout ceci ne te surprendpas tantque cela. Il y a eud’autres incidentsde ce
genre,n’est-cepas?—Maisnon,répondit-elle.Peut-êtrebien…Oh,jenesaisplus!Riendecomparable,entoutcas.Il
y a bien eu le cambriolage, mais aucun objet de valeur n’a été dérobé. As-tu vu quelqu’un àl’extérieur?— J’ai aperçu une voiture ralentir, puis repartir en trombe, répondit Jack. De quel cambriolage
parles-tu?—Tuastoutdemêmedesacrésréflexes,admit-elletoutensedébarrassantdespetitsmorceauxde
verreprisdanssescheveux.—Quelcambriolage?—Oh,c’estarrivé justeavantque jeviennem’installerchezMimi.Quelqu’uns’est introduitpar
effractiondansmonancienappartement,enville.Lapoliceestvenuefairesonrapport,etcommeiln’yavaitpaseuvol,l’histoireenestrestéelà.Jackfronçalessourcils,tentantderelierentreeuxlesdifférentsévénements;onl’avaitcambriolée,
on avait fait exploser sa voiture, et à présent, on lapidait sa maison. Y avait-il un lien avecl’embuscadedelaTierraMontañosa?Aveclepeud’informationsqu’ilpossédaitsurlavied’Hannah,commentaurait-ilpuparveniràunetelleconclusion?Ilparcourutlapièceduregardetfinitpardénicherunpavéd’unetaillerespectablequiavaitterminé
sacoursesouslatablebasse.Ils’emparad’undespetitsnapperonsquidécoraientlesflancsducanapé
afindelesaisirsansydéposersesempreintes.Unmotyétaitattachéparuneficelledecotonblanc,disponibledansn’importequellequincailleriedupays.—Aurais-tudesgantsencaoutchouc?demanda-t-il.Hannah gesticulait pour faire tomber les derniersmorceaux de verre qui la recouvraient. Tandis
qu’elletentaitdeserecoiffer,sonsweat-shirtremontalégèrement,dévoilantunebandedepeauclaireàhauteurdunombril.Avecsescheveuxemmêlésetsesvêtementsfroissés,elledonnaitl’impressiondesortirdulitetJacksentitrenaîtresondésir.—Dans lacuisine,sous l’évier, répondit-elleenremettantde l’ordredanssa tenue.Jedoisaller
voirsiAubriellevabien.Tandisqu’ellequittaitlesalon,Jackobservaseshanchessebalancerdefaçonsuggestive.«Ressaisis-toi,Jack»,pensa-t-ilensedébarrassantàsontourdeséclatsdeverreaccrochésàses
vêtements.Déposantavecprécautionleprojectilesurledessusdelatélévision,ilgagnalacuisineoùuneforte
odeurdebrûlél’assaillit.Lapoêleavaitétéretiréedufeu,maissoncontenuétaittoutsaufappétissant.Celadit,ilavaitconnupire,notammentdurantsacaptivité.IltrouvaeffectivementlesgantsencaoutchouclàoùHannahleluiavaitindiquéetrejoignitlesdeux
femmesdanslesalon.—Dieumerci,elles’estaussitôtrendormie,annonçaHannah.Elles’étaitmunied’unepelleetd’unebalayetteets’employait,sous le regardattentifdeMimi,à
ramasser lesmorceaux de verre éparpillés dans toute la pièce.Dans un coin, l’aspirateur attendaitd’entrerenscène.IlfallutquelquesinstantsàJackpourcomprendrequ’Hannahparlaitdesonbébé.—Trèsbien,commenta-t-il.Aprésent, labrisenocturnepénétraitdans le salonpar le troubéantde lavitre. Jacksortitde la
maisonetgagnal’atelierdugrand-pèred’Hannah,oùMimiluiavaitassuréqu’iltrouveraitunrouleaude filmplastique ainsi qu’une agrafeuse. Il avait souhaité, en premier lieu, découvrir le contenu dumessage,maislebien-êtredubébéluidictaitd’observercertainespriorités.Ilavaitparailleurslecontrôledelasituationetpersonnen’étaitblessé.C’étaitleplusimportant.
De retour dans le salon, il vint se placer autour de la table oùHannah etMimi s’étaient installées.Hannahavaitinsistépourouvrirelle-mêmelemot,argumentantqu’illuiétaitassurémentdestiné.Parcequelesgantsétaientbeaucouptroppetitspourseslargesmains,Jackavaitfiniparaccepter.Lepapierutiliséprovenaitd’unbloc-notesclassiqueetlesmotsquicomposaientletexteavaientété
découpésdansplusieursmagazines.Lemessageétaitcourtetdirect;Hannahlelutàhautevoix.«Labomben’apasétéposéepardesjeunes.Laisseztomberetmêlez-vousdevosaffaires!»MimietJackdévisagèrentHannahet,ensemble,luidemandèrent:—Qu’est-cequeçasignifie,Hannah?—Maisjenesaispas!sedéfendit-elle.—Tuessûre?insistaJack.— Absolument sûre, répondit-elle sur un ton qui se voulait ferme, mais révélait néanmoins une
certainetension.
—Tout d’abord, on brûle ta voiture, etmaintenant on vient nous attaquer à lamaison,murmuraMimi,dépitée.—L’undenous,etjepensesurtoutàAubrielle,auraitpuêtreblessé.Etpourquellesraisons?Je
n’aifaitdemalàpersonne!s’écrialajeunefemme.—Apparemment,quelqu’unpenselecontraire,ditJack.—Qui,àlafin?demanda-t-elle.Maisiln’yavaitpourl’instantaucuneréponseàcettequestion.Toustroisétaientabsorbésdansla
contemplation du message, comme s’il allait spontanément révéler son auteur. Puis Jack reprit laparole.—Commentcettepersonnea-t-ellefaitlelienentrelabombeetlesjeunes?—Parceque lapoliceenaparlé touthautsur leparkingde lasupérette, rétorquaMimid’un ton
condescendant.ToutsesaittrèsviteàAllota.Puis, se dressant sur la pointe des pieds afin de se grandir, elle poursuivit avec une pointe
d’humeur:— Ecoutez-moi bien, vous deux ! Je meurs de faim et le petit plat que je vous ai concocté est
complètementbrûlé.Nouspourronsmieuxnousconcentrer leventreplein.JedescendsenvillenouschercherduchinoischezShangaiLo.Ellesaisitsesclésdevoitureetsonsacàmainavantdeseretournerverseux.—Toutlemondeaimelebœufauxbrocolis,jesuppose?Jeprendsaussiunesoupedecrabe?—C’estparfait,réponditJacktandisqu’Hannahsemblaitperduedanssespensées.DèsqueMimifutpartie,Hannahsemitàarpenterlesalon,enproieàuneprofonderéflexion.Elle
vintensuitesecamperjusteenfacedeJack.— Je dois prendre une douche et me débarrasser du moindre petit morceau de verre avant
d’approcherAubrielle.Pourrais-tutendrel’oreilleaucasoùelleseréveillerait?Ensuite,tupartiras.Ilauraitpréféréqu’ellel’inviteàpartagersadouche.—Biensûr.—Nelaprendspasdanstesbras,s’ilteplaît.Viensjustefrapperàlaportedelasalledebainss’il
yaquoiquecesoit.—Rassure-toi,jenelatoucheraipas,répondit-ild’unevoixsèche.Lorsqu’il entendit l’eau couler, Jack lutta intérieurement pour ne pas laisser vagabonder son
imagination,maislatentationétaitvraimenttropforte.Unanauparavant,Hannahetluiavaientprisunedouche,longueetsensuelle,aubeaumilieudelanuittropicale.Jackl’avaitsoulevéedanssesbrasetelleavaitenroulésesjambesautourdesatailletandisquel’eaufraîcheinondaitleurscorpsenlacés.Ilrevoyaitlespetitesgouttesd’eauquisinuaientlelongdesoncouetvenaientmourirdanslecreuxdesesseinsofferts.Lefeuquilesconsumaitsurpassaitdeloinledegréd’humiditéambiante,etlesparoisvitrées de la cabine s’étaient vite nimbées d’unebuéeopaque.Ce souvenir particulièrement torridel’avaithantédurantlespremierstempsdesacaptivité.Il entendit alors de petits gazouillis et, inspirant profondément, chassa de son esprit ces pensées
voluptueuses.Illuifallaitàprésentvérifiersil’enfantdeDavidétaiteffectivementéveillé.Jacks’immobilisasurlepasdelaporte;jamaisiln’avaitvuunetelledominantederose!Ilhésitait
àentrer,mais lebébésemanifestaenchouinant.Allumant leplafonnier, ils’approchaduberceauetdécouvrit Aubrielle. Elle était si menue ! Il l’observa quelques instants, paralysé devant une tellevulnérabilité. Il pouvait distinguer lesminuscules veines courir sous sa peau d’un blanc immaculé,légèrementtranslucide.Lesommetdesonpetitcrâneétaitcouvertd’unlégerduvetbrun.Ellenesemblaitpasfranchementréveillée,enfait.Elleremuaitparà-coups,émettantdespetitssons
etsouriantdanslevide,deminusculesbullesdesaliveéclosantsurseslèvres.C’étaitlapremièrefoisqu’ilapprochaitunbébéd’aussiprès.LebébédeDavid.Bonsang…Ils s’étaient connus dans les marines. David était pilote d’hélicoptère ; Jack, tireur d’élite. Ils
avaientconduitensemblequelquesmissionsàhautrisqueavantdeseperdredevue.Jackavaitdonceutoutloisirdel’étudier,etcertainstraitsdesapersonnalitéluiavaientfranchementdéplu.Davidétaitunêtreprofondémentégoïste,n’hésitantpasàdéguiserlavérité,àprendredesrisquessuperflus,quitteàmettre laviedesescompagnonsendanger.Deplus, ilétaitdugenreàaccepterunpetitdessousdetablequandl’occasionseprésentait.D’unecertainefaçon,lamortdeDavidétaitplutôtlabienvenue.Eneffet,Jacknepouvaitl’imaginer
en père responsable.Mais la vie lui avait récemment appris qu’avec du temps et de la volonté, larédemptionétaittoujourspossible.Lavieoffraitsouventunedeuxièmechance.Davidavait-ilsaisisachance?Jack,poursapart,avaitsugagnerlaconfianced’unefemmeaussi
belleetremarquablequ’Hannah;peut-êtreenavait-ilétédemêmepourDavid?—Est-elleréveillée?demandaHannahdepuisleseuildelachambre.Embarrassé,ilseretourna,unsourirecoupableauxlèvres.Ilétaitsurlepointdecaresserlajoue
d’Aubrielle,curieuxdevérifiersisapeauétaitaussidoucequ’ellelesemblait.—Jepensequeoui,répondit-ilens’écartantduberceaucommesicedernierrecélaitunebombesur
lepointd’exploser.Hannahlefrôlaens’approchantdesonenfant,répandantdanssonsillageunedoucesenteurfleurie.
Elle avait revêtu un pantalon et une tunique noirs, qui rehaussaient la blancheur de sa peau. Sachevelurerousse,encorehumide,ondulaitplusquedecoutume.Elleétaitsexyendiable.Ilfaillitenoublierderespirer.—J’imaginequetuasdestasdechosesàfaire,avança-t-elleensoulevantAubrielledanssesbras.
Mercipourtonaide,cesoir.—Changeonsdesujet.—Jack…—Jen’irainulleparttantquenousn’auronspaseuunepetiteconversationtouslesdeux.Hannahpoussaunprofondsoupir.—JedoisallaiterAubrielle;tupourraisallerm’attendredanslesalon…— Pas question. Ne t’occupe pas de moi. Je me retourne, si tu veux, mais il faut qu’on parle.
Maintenant.Jacks’exécutaetcroisalesbras.Aprèsuncourtmomentd’hésitation,Hannahreprit:—Jenevaispasm’adresseràtondos,Jack.Allez,retourne-toi.Illuiobéit,s’adossantcontrelechambranledelaporte.Hannahs’étaitchastementdrapéed’unchâle
roseentricot.Jacknepouvaitapercevoirquelepetitpiedd’Aubriellequiendépassait.Biendécidéàmettreleschosesaupoint,ilattaqua:—Tuasvraimentbesoind’aide,Hannah.—Non.—Tuesaucœurdelatourmente,quetuleveuillesounon.— Si tu entends par là que je ne sais absolument pas pourquoi on s’en prend à moi, là, tu as
parfaitementraison.—Sais-tucequejetrouveplutôtamusant?Elleledévisageaavecuneappréhensionvisible.—Non.Quoidonc?—Quetun’aiespasprévenulapolice,cesoir.—Qu’est-cequecelaauraitchangé?—Les policiers auraientmené leur enquête, cherché des indices, analysé lemessage, tenté d’en
retrouverl’auteur…—Apartird’unevulgairefeuilledepapier,demotsdécoupésdansdesjournauxetd’uncaillou?—Lesempreintesdigitales,tuconnais?Lestracesdepneussurlaroute?Etlesvoisins?Ilsont
peut-êtrevuquelquechose…—Et,d’aprèstoi,queferaientlespoliciers,enpremierlieu?Jackl’interrogeaduregard;ellepoursuivit:—Ilscommenceraientparenquêtersur toi,Jack.Tuesunétranger, ici.Quelleest laraisonde ta
présence?D’oùmeconnais-tu?Etsijamaisilsvenaientàdécouvrirquetespapierssontfaux?—Cesontmeshistoires,répondit-il.Celaneteconcernepas.—Apartirdumomentoùtutetrouveschezmoi,celameconcernetoutàfait.Etcequivautpour
moivautpourmonbébé.— Si tu ne portes pas plainte, ta grand-mère ne pourra réclamer aucun dédommagement aux
assurances,lasermonna-t-il.—Elleneferaaucuneréclamationcarelleapeurquel’assurancerésiliesapolice.J’aiunepetite
réserved’argentquejevaisutiliserpourluioffrirunenouvellefenêtre.Ilabandonnalalutte.—Jevaistefaireuneproposition,ajouta-t-elle.Situt’engagesàpartirsur-le-champ,jeprometsde
prévenir la police. Je leur exposerai les détails de l’incident ainsi quemon impression d’être sanscesseépiée.Je leurdonnerai lecaillouet lemessage.Jenesuispas tenued’informer lacompagnied’assurances, car ma grand-mère n’y tient pas, mais les autorités seront officiellement saisies. Aprésent,tupeuxreprendretaroute.Jackrefusad’unsignedetête.—Pastantquetumeraconterasdesmensonges.Jeveuxdécouvrirceluioucellequetucherchesà
protéger;cedoitêtreunmembredelaFondationStaar.—Oh,pitié!Tunevaspasrecommenceravecça,seplaignit-elle.—Jenet’aipasencoreracontécequej’aivulà-bas,danslajungle,annonçaJack.
Aubrielle se mit à pleurer. Hannah parvint à rectifier adroitement la position du bébé tout enréajustantsonchâle.—Retourne-toiquejerattachemonsoutien-gorge,luidit-elle.Ensouriant, ilobéit.C’étaitplutôtamusantde ladécouvrirsoudainaussipudique,ellequis’était
promenéenuedevantluisansaucuncomplexe.—D’accord,qu’as-tuvu?demandaHannahentapotantdoucementledosdubébé.Ilauraitaiméqu’elleserapproche,luipermettantainsidebaisserlavoix.Lagravitédesfaitsqu’il
sepréparaitàrelaterméritaitunpeuplusd’intimité.Hannahseréinstalladanslerocking-chair,Aubriellesomnolantdanssesbras,bienauchauddansle
châlerose.Jackparcourutlapièceduregard,àlarecherched’unsiège,etdénicha,dansuncoin,uncoffreàjouetsdebois.Ill’apportatoutprèsd’Hannahets’assitsursoncouvercle.—Toutd’abord,lesguérillerosconnaissaientmonhistoire.Ilssavaientquej’avaisétémercenaire
parlepassé.Ilsm’ontréservéuntraitementspécial,metenantàl’écartdesautres.Audébut,j’aipenséquec’étaitparcequejeparlaisespagnol,maisjemesuisrenducomptequ’ilssecomportaientcommes’ilscherchaientàmetester,espérantpeut-êtrequejechangedecampenleuroffrantmonaide.Hannahécarquillalesyeux,incrédule.—Etqu’as-tufait?— Je n’avais plus rien à attendre d’eux à partir dumoment où ils avaient commencé à tuer les
otages. Puis, je me suis dit que si je voulais un jour parvenir à m’échapper, je devais être pluscoopératif.J’aijouéauprisonnierbiensagetoutengardantmessensenéveil.—Mais…—Jevaisraccourcir l’histoire; jesuisconvaincuquelaFondationStarrestpartieprenantedans
l’actionduGTM,qu’ellesoutientcesterroristesetravitailleleurscampsdeguerre.Jedoisdécouvrirquiestimpliquéetdequellefaçon.—C’estcomplètementabsurde!s’exclama-t-elle.SantiCorreaetsonfilsHugoneferaientjamais
unechosepareille.—Qu’ensais-tu?Commentpeux-tuenêtreaussisûre?Elleobservauncourtmomentderéflexion.—Dans ce cas, ne pourrais-tu pas saisir nos autorités, ou celles de la TierraMontañosa, et les
laissermenerleurenquête?—Tupensesbienqu’àlaminuteoùj’airéussiàm’échapper,lescampsdanslesquelsj’aiséjourné
ont été déplacés vers d’autres positions. Je les sentais s’activer au montage d’une opérationd’envergure.Peude tempsavantmafuite, je lesvoyaiss’entraîneractivementàprendred’assautunbâtimentimaginaire.Çaressemblaitentoutpointàlapréparationd’uncoupd’Etat.—Soisplusprécis.—Jepensequ’ilssepréparentàattaquerdeslieuxpublics,desimmeublesparexemple,etqu’ils
n’hésiterontpasuneseulesecondeàmassacrerdesinnocents.Lesgouvernementssontbeaucouptroplents et s’embourbent dans de longues procédures. Il leur faudrait desmois pour vérifierma réelleidentité,lapertinencedemontémoignage,etcomprendrepourquoij’aipassélafrontièreavecdefauxpapiers.Entretemps,leGTMauralargementeuletempsdebouclersonopération.
—Jevaisêtretrèsclaire,annonça-t-elle.Jepeuxcomprendrequetusoisdirectementconcernépartoutecettehistoire,maiscelan’arienàvoiraveccequim’arriveaujourd’hui.—Vraiment?Enes-tusûre?Ilvitdanssonregardquecen’étaitabsolumentpaslecas.Illuipritdoucementlamain.—Hannah,mêmesicelanet’apparaîtpasclairement,tafamilleettoi-mêmen’enêtespasmoinsen
danger.Tudoisprendrecesmenacestrèsausérieux.Tantqu’ils’agissaitdepetitsincidents,cen’étaitpas grave, mais aujourd’hui, tu as de gros soucis et je te sens terrifiée. La bombe aurait pu fairebeaucoupplusdedégâts,voiretetuerainsiquequiconquesetrouvantsurleparking.Lepavéàtraverslafenêtreauraittrèsbienpuêtreuneballederevolver.Tantquetun’auraspasacceptél’idéequetureprésentesunemenacepourceluiquiteharcèleetqu’ilnevacertainementpasenresterlà,tucoursunréeldanger.—Sijevaisvoirlapolice,jedevrairacontertoutel’affaire,etilsvontsemettreàéplucherlesvies
detouteslespersonnesimpliquées.Situastort,nousauronsentachélacrédibilitéd’unemagnifiqueorganisationhumanitaire.Jenedoutepasquecescampsexistentréellement,maisdetesaffirmationssurleslienslesrattachantàlaFondationStarr.LeGTMdoitavoirdescontactsdanstouslepays.—Tunem’aspasbienécouté.—Aucontraire,Jack,rétorqua-t-elle.Jenesuistoutsimplementpasconvaincue.—Alors,pourlacentièmefois,quicherches-tuàprotéger?—Ohnon,pasencorecerefrain…Jackdodelinalatêtededépit.—Ecoute-moibien ; jesuis làetnebougeraipas tantque jen’auraipasdécouvert le finmotde
l’histoire.—C’est tonpointdevueet jenemesenspasconcernée.Cen’estpasparcequenousavonsété
amantsletempsd’unenuitilyabienlongtemps…—Justement!Laisse-moidevenirtongardeducorpspersonnel!Ainsi,onpourraunirnosforceset,
ensemble, tirer cette histoire au clair.Et je pourrai assurer ta protection. J’ai besoin dem’installerquelquepartletempsdemenermonenquête.—Horsdequestion!Jen’aipasbesoindeprotection.—Ahoui!Tupensesvraimentcequetudis?—J’ensuistoutàfaitconvaincue.Celanemarcherapasentrenous.Tudoispartir,Jack.—Tutetrompes,énonçaunevoixdansledosdeJack.Ilsdécouvrirent enmême tempsMimiqui se tenaitdans l’encadrementde laporte,visiblementà
l’écoutedeleursdernierspropos.—Grand-mère…,commençaHannah.— Tu te trompes totalement, Hannah Marie. Depuis l’époque où ton grand-père nous a quittés
jusqu’à ladécouvertede tagrossesse, tuas tentéde tout faire touteseule.Mais tuasbesoind’aide.Nousavonsbesoind’aide.—Peut-êtrebien,acquiesçaHannahàcontrecœurenjetantunregardsombreàJack.Maispasdela
partdecethomme!Mimi promena son regard tout autour d’elle dans une attitude volontairement comique avant de
rétorquer:—Bien.Quelautrehomme,alors?—Grand-mère…—Vousêtesembauché,Jack,tranchaMimienleregardantdroitdanslesyeux.—Maistuneleconnaismêmepas!argumentaHannah,visiblementoutréedevanttantd’aplomb.Lavieillefemmeapprouvad’unlargesignedetête.—Tuastoutàfaitraison;jeneleconnaispas.Maisjel’aimebien,ettoiaussi.—Parlepourtoi,maugréaHannah.—Peu importe. Si tu ne veux pas de lui en qualité de garde du corps,moi, je l’embauche pour
protégermapetite-fille adorée.Ce seraune trèsbonnechosed’avoirunhommedans laplacepourprendresoind’unpetitbébésansdéfense.Acceptez-vouslamission,M.Starling?—Avecplaisir,réponditJackdutacautacavantqu’Hannahn’aitpuprotester.
4
—Tudormirasici,ditHannahàJackplustarddanslasoirée,alorsquelamaisonavaitrecouvrésoncalme.Aubrielle dormait paisiblement dans son berceau qu’Hannah avait pris soin de déplacer dans sa
proprechambre. Iln’étaitpasquestionde laissersonbébéseul,dansunepiècemunied’unefenêtredonnantsurl’extérieur.Mimis’étaitéclipséedepuislongtempsdéjàetdevaitdormiràpoingsfermés.Jack,quiavaitcatégoriquementrefusédelaisserlesfemmesseulesletempsdeserendreaumoteldeFortBragg afin de récupérer ses effets personnels, avait finalement cessé de la tarabuster avec sesquestions.Se tenant près d’elle, il parcourait du regard la pièce qui avait été le refuge de son grand-père
jusqu’auxderniersjoursdesavie.Lesmursétaienttapissésdelivresanciensmaissonbureauavaitmigré dans une autre pièce et était désormais à la disposition d’Hannah lorsqu’elle travaillait à lamaison. Ainsi, cette pièce était devenue une chambre d’amis. Le placard était rempli de cartonsbeaucouptroplourdspourêtremontésaugrenier.Hannaheutuneétrangesensation,commesitroisâmesemplissaientàprésentlapetitepièce;elle,
Jack, et le spectre de leur première et unique nuit ensemble. Ce souvenir existait par lui-même,dépassant la simple addition de leurs deux êtres. Il était là, bien présent entre eux, et attendait lapremièreoccasionpourrenaître.—Chérie,prononçadoucementJack,sonregardluisantdanslapénombre.Hannah pouvait sentir son désir se propager en ondes puissantes auxquelles elle se promit de
résister.—Profitonsdecetinstantderépitpouravoirunebonnediscussion,proposa-t-elle.Illadépassa,luifrôlantnégligemmentlapoitrinedesonbras,ets’assitsurlefuton.Illuifitsignede
venirprendreplaceàsoncôtéenarborantunpetitsourirecoquin.—Jet’écoute.Elleallaouvrirlaporteduplacardetattrapaunsacdecouchageperchétoutenhautsurunepilede
cartons.Elleleluilançaetpritunoreiller.—Ils’estpassépasmaldechosesdepuisquenousnoussommesrencontrés,commença-t-elleen
gardantsesdistances.Ellelevaundoigtsentencieuxalorsqu’ilouvraitlabouchepourrépliquer.—Etjeveuxdire,àchacundenous.Toutestdifférentàprésent.Nousnesommespluslesmêmes.
Tuespeut-êtreparvenuàt’incrusterdanslamaisondemagrand-mère,mais…—Jenepourraipasm’incrusteraussidanstonlit?trancha-t-ilenfinissantsaphrase.Serrantl’oreillerdanssesbras,dansunréflexedeprotection,elleacquiesçad’unsignedetête.Ilposalesacdecouchageàcôtédeluisurlefuton,selevaetvinttoutprèsd’elle.—Jenem’invitejamaisdanslelitd’unefemme.J’attendsquecesoitellequilefasse,répondit-il
avecaplomb.
Hannah savait bien qu’il en avait été ainsi lors de leur première nuit. Elle soutint son regard etdéclara:—Ehbien,sachequejenet’inviteraipascesoir.—Queldommage…,luimurmura-t-ilàl’oreille.Puis,redevantsérieux,ilchangeadesujet:—Tagrand-mèrem’aapprisquetun’allaisàlafondationquedeuxfoisparsemaineetque,lereste
dutemps,tutravaillaischeztoi.Donctunet’yrendrasqu’après-demain,n’est-cepas?Sesouvenantquelanotequiaccompagnaitl’argentqueDavidluiavaitremisdevaitsetrouverdans
lesacdesport,ellerépondit:—Enfait,jedoisyfaireunsautdèsdemainmatin.Ilmefautrécupérerlacopied’undossierquia
brûlédansl’incendiedelavoiture.Enplusdecela,nousavonstousunechargedetravailbeaucoupplusimportanteàcausedelajournéeportesouvertesdelafondation,leweek-endprochain.Jacklaregardaavecscepticisme.—Jenepensepasque…—N’oubliepaslestermesdetoncontratdegardeducorps,luirappela-t-elle.Cessedemedirece
quej’aiàfaire!—Jenemelepermettraispas,rétorqua-t-il,unepointedemoqueriedanslavoix.—Parcequetuasconsciencequetaprioriténumérounestdeprotégermonbébé,oubienoserais-tu
revenirsurtaparole?—Biensûrqu’Aubrielleestmapriorité,maisconsidérantleproblèmedanssonensemble…—Alorssitudoisdemeurerici,chezmagrand-mère,acquitte-toidetamissionetconcentre-toisur
Aubrielle.—Fais-moiconfiance,répondit-il.Mais j’attendsde toiquetum’expliquesdèsdemaincequetu
t’emploiesàmecacher.Nousdevonsœuvrerensemble,Hannah,etdèsàprésent.Il était minuit passé, et les événements de la journée avaient eu raison des dernières forces
d’Hannah;aussidécida-t-elled’abandonnerlaluttepourlemoment.—As-tuunearme?demanda-t-elle.—Non.—Mongrand-pèrepossédaitunfusildechasseetunecarabine.—Jelesais.Tagrand-mèrem’aindiquéoùlestrouver.Ilplongealamaindanssapocheetenretiralapetiteclédoréequiouvraitl’armureriesituéedansle
salon.—Mais j’espèrebiennepasavoir àm’en servir, répondit-il enenfouissant lapetite clédans sa
poche.Hannahétait atterréeque sagrand-mèreaitpuconfiercettecléàunhommequ’elleconnaissait à
peine.—Etsilasituationt’yobligeait?—Jeleferaissanshésiter.Il posa ses mains sur les frêles épaules d’Hannah et la regarda intensément. Malgré les efforts
qu’elle déployait pour dompter ses émotions, sa respiration se fit soudain haletante.Elle s’absorbadans la contemplation des lèvres de Jack alors qu’un petit rictus amusé se dessinait au coin de labouchedecelui-ci.Elleseprépara…aupire.Pourquoirefusait-elled’accepterlavérité,lacertitudequecethommel’attiraitcommeaucunautreavantlui?Cen’étaitcertainementpasuneraisonpourselaisserséduire,maissementirainsin’étaitpasnonpluslasolution.—Vaaulit,murmura-t-il.Elles’échappa, l’honneuràpeuprèssauf,etdormitd’unsommeildeplomb,entrecoupéderêves
bizarres.Ens’éveillantlelendemainmatin,elleétaitsûrequ’Aubrielleavaitpleurépendantlanuit.Sapremièreoccupationdelajournéefutdeprendresoindesafille,puisellel’emmenadanslesalon.Lefilmplastiquetenduentraversdelavitreluirappelal’incidentdelaveilleet,defilenaiguille,
lamiseengardequ’onluiavaitadressée.JonglantentreAubrielleetl’annuairetéléphonique,ellenotalenumérodelaseuleentreprisedelavilleapteàréparerlesdégâtsetl’appelaafind’obtenirundevis.Quelles étaient les intentions de celui qui l’avait ainsi agressée ? Que s’imaginait-il à propos
d’elle ? C’était la questionmajeure qui lui était sans cesse revenue à l’esprit ces douze dernièresheures,maisbienqu’elleyaitconsacrétoutessesréflexions,ellen’avaittrouvéaucuneréponse.Elle s’occupa d’Aubrielle, mit de l’ordre dans ses dossiers et fit un peu de rangement, l’esprit
constammentassailliparlesderniersévénements.ElletrouvaJacklisantlejournal,installédanslacuisineavecsagrand-mère,tousdeuxgrignotant
destoastsàmoitiébrûlés.Onauraitditdeuxamisdelonguedatevenantdeseretrouver.Jackportaitles mêmes vêtements que la veille, certes un peu plus froissés puisqu’il avait dû les garder pourdormir. Mais cela n’enlevait rien à son charme ravageur. Qui plus est, sa barbe naissante luiassombrissaitlevisageetfaisaitressortirlebleuprofonddesesyeux.Pour sa part, elle portait une jupe de coupe très stricte surmontée d’une veste noire ; une tenue
appropriéepourserendreautravail.DèsqueMimilavit,elleselevad’unbondetvintluiprendreAubrielledesbrasenjetantdespetitsregardsencoinàJackquiavaitlevélesyeuxdesonjournal.—Qu’ya-t-ilentrevousdeux?demandaHannahenseservantunetassedecafé.—Riendutout,réponditMimidutacautac.—Enfait…,attaquaJackaprèss’êtreraclélagorge.—Mespartenairesdepokerserontlàdansunedemi-heure,annonçaMimienberçantAubrielle.Il
est bien trop tôt pour sortir les chips et la bière. Je vais faire du thé.Y a-t-il des gâteaux dans leréfrigérateur?—Jenesaispas, réponditHannah.Depuisquand joues-tuauxcartes lemardimatin?Bon,vous
deux,quemecachez-vous?demanda-t-elleenreportantsonregardsurJack.—Maisriendutout!réponditMimi.Barbet lesautresviennentmetenircompagniependantque
Jackettoiirezmenervotreenquête.Aufait,as-tuappelépourfaireréparerlafenêtre?Hannahavalaunegorgéedecaféet le trouvadeuxfois,non, troisfoisplusfortqued’habitude.Il
n’étaitpassorcierdedevinerquidesdeuxl’avaitpréparécematin.Hannahjetauncoupd’œilà lapendule.—Tesamiesarriventvers10heures,donc.Mais,qu’entends-tupar«enquête»?demanda-t-elle.—Jeviensavectoiàlafondation,luiréponditJack.—Jenepensepasquecelasoitunebonneidée.
—Je teconseilleparailleursd’appeler tonassuranceàproposdesréparationsde lavoiture.Demoncôté, jedoisquitter l’hôtelavant10heures.OnpourraitprendremaHarley,mais j’aipeurquecelanesoitpastrèsdiscret.Miminousproposegentimentsavoiture.—Etqu’est-cequecettehistoiredepokeraàvoirdanstoutcela?interrogeaHannah.—Jeneveuxpasquequiconqueresteseuldanscettemaisontantquenousn’auronspasdécouvert
cequisetrame.—Donc, tu comptes sur cinq femmes de plus de soixante-dix ans pour protégermon bébé ? Je
pensaisquec’étaittoilegardeducorps?—Lameilleure façondeprotégerAubrielleestde trouver lapersonnequis’enprendàsamère.
Pourcequiestdecematin,c’estcequej’aidemieuxàproposer.Celanouspermettrad’ailleursdeparleretmettreaupointnotrestratégie.Nousformonsuneéquipe;j’espèrequetunel’aspasoublié…Ilétait superflude luidemander le sujetqu’ilvoulaitaborder.Hannahne le savaitque trop.Elle
repensaà la fenêtre fracassée, à la lettre anonymeet auxmenacesquipesaient sur elle.Après tout,pourquoicherchait-elleàcouvrirDavid?Parailleurs,siJackdécouvraitlavérité,ils’eniraitenfinetcelalamotivaàacceptersaproposition.—D’accord, finit-elleparapprouverenregardant tourà tourJacketsagrand-mère.Maiscessez
vospetitescombinesdansmondos.—Bienentendu,machérie,réponditMimi.N’oubliepasdefaireuncrochetparlesupermarchéafin
defairelescoursespourledîner.Jet’aipréparéuneliste.—Surtout,n’hésitepasàm’appelersurmonportableencasdeproblème,ordonnaHannah.—Net’enfaispas.C’estpromis.Jackrepliasonjournaletselevaens’étirant.—Mimi, je suispersuadéquevous savezvous servirdu fusil, aussiprendrons-nous lacarabine.
Celavousva?—Pasdesouci!Personnen’approcheraAubrielletantquemesamiesetmoiserontlàpourveiller
surelle.
***
Hannah et Jack firent une courte pause au garage afin de régler lesmenus détails concernant lesréparations, et furent bientôt sur la routemenant à Fort Bragg. Celle-ci gravissait les collines à lasortied’Allotaensuivantlacôteverslesud.JackconduisaitlapetitevoitureblanchedeMimiavecaisance,lamenantdecourbeencourbed’unemainexperte.—CetteroutemerappellecellesdeTierraMontañosa,dit-ilpourlui-même.—Escarpéesetsinueuses,ajouta-t-elle.Ilsfirenttoutd’abordhalteaumoteldeJack.Hannahpréféraattendredanslevéhiculetandisqu’il
rassemblaitsesaffairesetréglaitlanote.IltraversaleparkingpourrejoindreHannah,ungrossacdecuir jeté sur son épaule et un blouson d’aviateur sous son bras. Le vent s’était soudainement levé,commesouventdanslesderniersjoursduprintemps,etsemaitledésordredanssachevelurebrune.Il
avaitpris le tempsde sechangeretportait àprésentunechemisenoire surun jeandélavé ; elle letrouva sincèrement irrésistible et, de ce fait, absolument dangereux. Dieu merci, pensa-t-elle, ilsemblaitnepasenavoirconscience.Apeineétait-ilinstalléàsoncôtéqu’ellel’interrogea:—Commentt’es-tuéchappéduGTM?—C’est une sale histoire, répondit-il en regardant au loin. Je ne crois pas que tu aies envie de
l’entendre.—J’aimeraispourtantquetumeracontes.Ilmarmonnaunevagueréponse.—S’ilteplaît,Jack.Jeveuxsavoir.Ilpritunegrandeinspirationmaisneréponditpas.Aumomentoùelleallaitlaissertomber,ilpritla
paroled’unevoixmonocorde:—Unenuit,jemesuisrenducomptequenotrecampétaittoutproched’unpetitvillage.Jem’étais
rapprochédel’undesgardesdepuisquelquesjoursetjepensequ’ilavaitfiniparm’avoiràlabonne.Ilavaitquelquepeurelâchésonattentionet,cesoir-là,quandilestvenupourm’apportermonrepas,j’aisaisimachance.Jel’aiterrasséetj’airetournésonarmecontrelui.Ilobservaunelonguepause,apparemmentperdudanssespensées.Hannahavaitdumalàrespirer.Il
étaitévidentquetromperainsilaconfiancedecethommeluiavaitdéplu,etcesouvenirlemettaitmalàl’aise.Hannahnepouvaitnéanmoinscomprendre.Aprèstout,savieétaitenjeuetilavaitagiparpurinstinct.Il l’interrogea du regard, attendant un éventuel commentaire de sa part. Elle ne savait que dire ;
quelleexpérienceavait-elledecegenredesituations?— Je n’ai pas hésité une seconde à tuer ceux qui se sontmis en travers dema route, ajouta-t-il
finalement.Jenesaiscombienontpéricartouts’estdérouléenunéclair.C’étaiteuxoumoi.Maisuneexpressiondeculpabilités’étaitpeintesursonvisage.—Jack,tun’espasobligédecontinuer…—Jemesuiscachédesjoursdurant,siprèsdeleurcampementqu’ilsauraientpumedécouvrirà
chaque instant. Finalement, ils ont abandonné les recherches et sont partis. J’ai eu la chance derencontrerunhommequiavaitperduunfilsàcauseduGTM.Grâceàlui,j’aipujoindreunamiquim’aaidéàpasserdefaçonillégaleenEquateur.Personnenedevaitsavoirquej’étaisenvie,niquej’avaisl’intentionderevenirparici.Detoutefaçon,c’estdupassé.Cequiestfaitestfait.Jenepeuxchangercequiestsurvenuetjedevraivivreavecpourlerestedemesjours.Elleressentitdeladouleurdanssavoix,desregretssurtout.Elleavaitenviedeletoucher,delui
offrirsonsoutien,maiselleseretint.—Voilà.Tuconnaistoutel’histoire.Nousdevonsallerdel’avant,àprésent.Elle ledévisagea, tâchantde liredanssespensées. Ilétaitclairqu’iln’enavaitpas finiaveccet
épisodedesavieetqu’iln’étaitpasprèsdel’oublier.Ellecomprenaitaisémentqu’ilpréférechangerdesujet.—Quevas-tufairependantquejeseraiaubureau?demanda-t-elle.—Jesaismedébrouillerseul,Hannah.Lafondationest-ellesituéeenville?
—Non,environàseptkilomètresdanslesterres.Tourneàdroiteaudeuxièmefeurouge,etensuiteprendstoutdroit.Jet’indiqueraiaufuretàmesure.Acetteheuredelajournée,ilyavaitpeudecirculationsurlagrandeavenuequis’élançaithorsde
FortBragg.Jacksuivitlesdirectivesd’Hannahetempruntalesraccourcisquilamenaientàsontravailenévitantlestraditionnelsembouteillagesdumatin.—Parle-moidelafondation,lança-t-iltandisqu’ilfranchissaitunevoieferrée.—SantiCorreaestnéauPérouet apassé sonenfancedansdifférentspaysd’Amérique latine,y
comprisenTierraMontañosa.Ilestalléàl’universitéauxEtats-Unisetaenseignéquelquetempsdansdivers établissements scolaires. Puis, las de tirer le diable par la queue, il a obtenu un poste àresponsabilitésdansuneentrepriseprivéequiluiapermisderapidementdémontrersescompétences,et surtout de gagner beaucoup d’argent. Enfin, cela ne l’amusant plus, il a monté une organisationhumanitairespécialiséedansledéveloppementd’écolesgratuitessurtoutlecontinentsud-américain.—Là,tuesentraindemeservirlebaratindelabrochuredeprésentation,rétorquaJackengarantla
voitureenhautd’unecôteoffrantunmagnifiquepointdevuesurlavallée.Onpouvaitdistinguer, au loin, lesbâtimentsde la fondation s’élevant aucentred’unepetite zone
d’affaires.—SantiatoujourspréféréinvestirdanssesécolesenAmériquelatineplutôtquedanssespropres
locaux, ici, aux Etats-Unis. Il est vrai que, de son temps, les locaux commençaient à se délabrersérieusement,maisdepuisqu’Hugoareprisleschosesenmain,lasociétéaunautrecachet.Delàoùilssetrouvaient,ilétaitmanifestequelesbâtimentsdelaFondationStarr,resplendissant
d’unblancimmaculé,sedistinguaientdesautresconstructions.— Il faut dire que cela fait partie de la remise en état générale à l’occasion du trentième
anniversaire de la fondation et de ses journéesportes ouvertes, poursuivit-elle.Legouverneur nousfera l’honneurdesaprésenceainsiquedeuxou troismembresducongrès.CommeHugoCorrea l’ajustementfaitremarquer,plusuneentrepriseparaîtprospère,plusellereçoitdedons.—Ainsi,SantiCorreaaconfiélesrênesdel’entrepriseàsonfilsjusteaprèsl’incidentdelaTierra
Montañosa,ajoutaJack,poursuivantleraisonnementd’Hannah.—L’enlèvementd’HugoacomplètementdésespérélepauvreSanti.Tunepeuximaginerdansquel
étatilétaitlejourdel’embuscade!Hugoavaitpersuadésonpèredenepasassisterauxfestivitésdudépartduconvoicar ilavaitétésouffrant lanuitprécédente.Santi s’est senti tellementcoupableden’avoir pu être là ! Nous nous sommes retrouvés tous deux seuls à l’hôtel, les autres l’ayant toutsimplementabandonnédanssonmalheur.IladémissionnélorsqueHugoetHarrisonontétélibérés,etleconseild’administrationadésignéHugopourluisuccéder.Santidonnaitalorsl’impressiond’avoirvieillidedixansenquelquessemaines.— Je l’ai croisé une fois et il m’a effectivement semblé bien âgé. Hugo doit approcher de la
cinquantaine,n’est-cepas?—JecroisqueSantiapresquequatre-vingtsans.Lepauvrehommeestsurledéclin.Hugodoiten
souffrir.Jackhochalatêted’unairpensif.—Qu’est-cequetumijotes?lequestionna-t-elle.—Moi?
—Ondiraitquetudoutesdemespropos.NemedispasquetusoupçonnestoujoursHugo…Jackl’interrompitenhaussantlesépaules;encoreunedesesdétestablesmanies,pensaHannah.—Peut-êtrenel’est-ilpas,chérie.Maiscecidit,c’estluilegrandpatronaujourd’hui,n’est-cepas?
Etdecefait,sonpèrenecontrôleplusdutoutlafondation.Hannahsoupira,excédée.—Tun’abandonnerasdoncjamais?—J’aimisdecôtél’idéequetupouvaisêtreimpliquéedanscettehistoire,luifit-ilremarquer.—Terends-tucomptequeturacontestoutetsoncontraire?—C’est-à-dire?—Examinonscelaendétail.Toutd’abord,tuaspenséquej’avaisprispartàl’embuscade.Ensuite,
quec’étaitl’œuvred’unmembredelafondation.Aprésent,tuprétendsqu’Hugos’estarrangépoursefairekidnapperetainsirécupérerladirectiondel’entreprise.—Eneffet,celafaitunpeu«cinglé»surlesbords,admit-ilensouriant.—Complètementcinglé,oui.—Maisimaginonsqu’HugoaitdesliensavecleGTM;prendrealorslecontrôledelafondationest
toutàfaitjudicieux.Celaluipermetdedétournerlesfondsdestinésauxécoles,parexemple.—Jenesaisplus,répondit-elleaveclassitude.HannahnepouvaitserésoudreàconsidérerHugocommeunhommeaussivil.Parailleurs,Jackne
savaitpasqueDavidluiavaitremisuneimportantesommed’argentàpeuprèsàlamêmepériode.Elledevaitéclaircircepointavantdeluienparler.Maispourcela,illuifallaitremettrelamainsurlesacdesportetvérifiersilafameusenotes’ytrouvaitencore.Mais en tout cas, Jack n’avait pas vu l’état dans lequel Hugo se trouvait à l’hôpital, après
l’embuscade…—Que fait-on, à présent ? demanda-t-elle. Tu veux pénétrer dans les locaux de la fondation et
fureterunpeupartout?C’estcelatonidée?—Biensûrquenon.Mêmesipersonnenemeconnaîtici,HugoetHarrisonPlumbersaventquije
suis.Si l’undes deux est le traître en question, il pourrait avoir appris que jeme suis échappé. Jepréfèreremettrecetteconfrontationàplustard.Pourlemoment,jemecontenteraidemefamiliariseravecl’endroit.C’estbienplusvastequejemel’imaginais.—C’est immense, tu veux dire. Par exemple, lorsque le brouillard se lève sur la côte, la piste
d’atterrissagel’empêched’arriverjusqu’ici,générantunmicroclimattrèsparticulier.—JecroyaisquelaFondationStarrnefaisaitpasdeprofits?—C’estlecas.—Moijetrouvequec’estplutôtchiccommesiègesocial.Hannahtâchadevoir l’ensembleducomplexeàtravers leregarddeJack.Elledevaitreconnaître
que, depuis leur point de vue, les bâtiments en imposaient. De plus près, il aurait pu distinguerl’érosiondutempssurlastructuremétalliqueetquelquesdégradationsçàetlà,maisilavaitraison;l’entrepriseétaitgéréed’unemaindemaître.— Ces terres appartenaient à une riche héritière que Santi a épousée il y a une cinquantaine
d’années.Elleenafaitdonàlafondationafind’yinstallerlesiègesocial.UnepetiteparcelleaétépréservéepourybâtirlademeurefamilialedesCorrea.LorsqueSantiadéménagépourSanFrancisco,Hugoaprispossessiondelamaison.—Santiestdoncunhommetrèsriche,conclutJack.—Plusoumoins.Mais,parconséquent,Hugoaussi;l’argentnepeutdoncpasêtresamotivation.— Il s’agit de l’argent de son père, pas du sien, rétorqua Jack. Et puis, je n’ai jamais prétendu
qu’Hugopouvaitêtredanslecouppourdel’argent.—Alorspourquelmotif,selontoi?—Comme je te l’ai déjà dit, peut-être a-t-il épousé la cause des guérilleros ?Combiende gens
travaillentici?— En ce moment, il y cinquante et un employés, y compris moi. Je suis chargée des relations
publiquesetdelacoordinationdel’événementiel.Nousavonsaussidespostesdédiésàlacollectedefonds, à la recherche appliquée, à la formation, à l’administratif et à la comptabilité. L’un de cesbâtimentsestréservéàl’hébergementdesvacataires.Ilyaaussiunecafétéria,unecantine,unatelierpourlesvéhiculesroutiersetunhangarpourlejetprivé.—Etunpilote?—Oui,maisc’estunpiloteintermittentcariln’estpassollicitétouslesjours.L’avionestsagement
garésouslehangarquetuvoislà-basetlorsqu’undéplacementestprogrammé,onfaitappelàlui.—Etcepilote,c’étaitleplussouventDavid,n’est-cepas?—Oui.Ilacommencéparpiloterl’hélicoptère,puisaobtenusalicencesurjetprivé.—Etlaroutequinousamenésjusqu’iciestcellequ’ilavaitl’habituded’emprunterpourserendre
autravailàvélo,poursuivitJack.—Cettemême route sur laquelle il avait rendez-vousavec lamort, c’est exact, Jack. Il avait été
appelécematin-làpouremmenerHarrisonPlumberenvilleassisteràuneréuniondepréparationdel’expéditionenTierraMontañosa.—AlorscommentHarrisons’yest-ilrendu?Hannahouvritlaboucheethésitauneseconde,cherchantsesmots.—Jen’ensaisrien.Ilacertainementdûannuler.Pourquoicettequestion?— Simple curiosité. Donc, l’accident est survenu à peu près un mois avant que nous fassions
connaissance,touslesdeux?—C’estcela.—Quesais-tuàproposdesotagesassassinés?Faisaient-ilstouspartiedelasociété?—L’un d’eux seulement. Les autres étaient des salariés locaux des deux écoles que nous avions
ouvertesprécédemment.—Laspersonasgastables,prononçaJackdansunsoupir.—Etcelaveutdire…?—Desgenssansimportance,noncouvertsparlesassurances,surtout.—LesassurancessonthorsdeprixdansdespayscommelaColombieoulaTierraMontañosa.Il
n’estpassurprenantquel’onn’assurequelescadressupérieurs.Etcessedecroirequecettetragédie
puisseêtreunevictoirepourquiquecesoit.Jackneput réprimerungrognementsourd.Hannahpouvaitvoirqu’ilétaitpersuadéducontraire ;
celuiquiavaitmanigancécecoupdiaboliquedevaitpleinementsavourersavictoire.— Es-tu sûr de ne pas vouloir m’accompagner ? Fran Baker est la responsable des ressources
humaines.Elleestdanslasociétédepuisunedizained’annéesetconnaîtàpeuprèstoutlemonde.Jepourraisteprésentersousunautrenom…—Jepréfèretelaissert’enoccuper.CorreaetPlumberontcertainementdûm’apercevoirdurantnos
déplacementsdanslajungle.Moi,entoutcas,jelesaivus.Jeneveuxpasrisquerdelesrencontreràcestadedemonenquête.Seremémorersacaptivitéétaitapparemment toujoursaussiperturbantetdouloureuxpourJack. Il
semblaitdenouveauperduaufinfonddelajungle.Hannahtentadelerameneràlaréalité.—Situestoujoursdanslesparageslasemaineprochaine,tupourrasterendreauxjournéesportes
ouvertes,parexempleentedéguisant.—Peut-êtrebien,répondit-ilévasivement.—Quandtum’aurasdéposéesurleparking,reviensteposteràcetendroit.Jetelaissemonportable
afindeteprévenirquandtupourrasvenirmerechercher.—Selonmonraisonnement,lapersonnequiajetéunepierredanstafenêtrehiersoirsetrouvelà,
dansl’undecesbâtiments.Celasignifiequequelqu’untesurveilledeprès.IlsortitduvéhiculeetHannahlesuivit.Laprenantparlesépaules,ill’attiraàluiavecdouceur.—Jesaistrèsbienpourquoituvaslà-basaujourd’hui.C’estécritsurtonvisage.Situasl’intention
d’ymenertapetiteenquête,fais-le,maisdis-toibienquelecoupableestparmieux.Est-cebienclair?—Jack…—Garde la voiture et ton portable. Je reste ici en attendant que tu reviennes. Pense surtout à te
comporternormalement.—MonDieu,Jack,quevas-tufairependantcetemps,perduenpleinenature?—Chérie,murmura-t-ilavantdeluidéposerunpetitbaisersurlefront.C’estbondesavoirquetu
t’inquiètespourmoi.—Cessedetejeterdesfleurs,répondit-elletandisqu’ils’éloignait.Ildisparutdanslessous-boissansseretourner.
5
L’emblème de la Fondation Starr représentait une étoile à sept branches entrecroisées, faites decuivre,demétaldoréetd’acierchromé.Iltrônaitdanslehalldel’entréeprincipale.Justeendessous,unjeuneréceptionnistesetenaitderrièreunimposantcomptoirenmarbregris.ReconnaissantHannah,illuifitunsigneamicaldelamaintoutenrépondantautéléphone.Ellefranchitunedoubleportedeverreets’engageadanslelongcouloirquidistribuaittroisbureaux
avantlesien.Ellepressalepas,espérantainsiéviterderencontreruncollègue,souhaitantjustemenersamissionetrepartiraussivitequepossible.LesmisesengardedeJackl’avaientagacéeetrenduenerveuse. Pour la première fois, depuis six ans qu’elle travaillait à la fondation, traverser ce longcouloirluisemblaitdangereuxetl’effrayait.EttoutceciétaitlafautedeJackStarling.—Hannah?Ellereconnutaussitôtlavoixquil’interpellait;ellerevintsursespasets’arrêtadevantlebureaude
FranBaker.Enqualitéderesponsabledesressourceshumaines,Fransemblaitenpermanenceavoirunœil sur chaque salarié de l’entreprise. Elle leva son visage aux traits délicats dans la directiond’Hannah.—Tun’estpascenséetravailleraujourd’hui.Toutvabien?—Oui,oui…,balbutiaHannah.—Nememenspas,HannahMarks,luiditFranensouriant.Maissonsouriredisparutrapidementendécouvrantl’expressionaffligéed’Hannah.Elledéposale
styloaveclequelellerédigeaitsesnotesetseleva.Fran avait cinq ou six ans de plus qu’Hannah. Petite et plutôt boulotte, elle était toujours tirée à
quatreépingles.Etsestenuessemblaientchaquejoursortirtoutdroitdupressing.—Tuasencorecrevéunpneu?demanda-t-elleencontournantsonbureau.Elle s’arrêta juste en faced’Hannah.Lehaut de sa coiffure sophistiquée lui arrivait tout juste au
niveaudel’épaule.AprèsavoirpassélamatinéeàregarderverslehautendirectiondeJack,celaluifittoutdrôled’avoiràbaisserleregardpours’adresseràFran.—Jesavaisquejedevaistesuivre,poursuivit-elle.Jen’auraisjamaisdûtelaisserpartiravecta
roue de secours à plat. Il est suffisamment dangereux pour une femme de se déplacer seule de nosjours.—Net’inquiètepas,larassuraHannah.Jen’aieuaucunproblèmeavecmespneusetpersonnene
m’a suivie. Ilm’est juste arrivée un petit incident.Des gosses ont posé un engin explosif dansmavoiture.—Quoi?s’exclamaFran.Hannahdutconsacrerenvirondixminutesàluiexpliquerendétailsl’incidentsurvenusurleparking
delasupérette.AuvudelacuriositéinsatiabledeFran,elledécidabienévidemmentdepassersoussilencelebrisdelafenêtreainsiquelalettreanonyme.—Jedoisphotocopierlesdocumentsquiontbrûlédansl’incendiedelavoitureetfileràlamaison
pourm’occuperd’Aubrielle.Magrand-mèreattendmonretouravecimpatience.Aplustard,Fran.Franluifitunpetitsigneenguised’aurevoirtandisqu’Hannahs’éloignait.Ilétaitévidentqu’elle
auraitaiméprolongercetteconversationafind’apprendrelesmoindresdétailsdetoutecettehistoire.Hannahparcourutladistancequilaséparaitdesonbureausansautreembûche,maislasensationd’êtreépiée était denouveauprésente.Elle se retournaetdécouvrit que le couloir était désert, excepté laprésenceduréceptionnistequipénétraitdanslebureaudeFran,unepilededossierssouslebras.—JackStarling,murmuraHannahpourelle-même.Tuasledondememettrehorsdemoi…Elleentradanssonbureauetenrefermaaussitôtlaportederrièreelle.Ellefarfouillaunbonmoment
dans son sac à main avant de dénicher la clé qui ouvrait le compartiment contenant ses dossiersconfidentiels. Le tiroir coulissa silencieusement. Sous une pile de documents composés de modesd’emploidesnouveauxfaxetimprimantesquelasociétévenaitd’acquérir,lapoignéedusacdesportapparut.L’extrairedutiroiretregarderàl’intérieurluipritmoinsd’uneseconde.Ainsiqu’elleenavaitsouvenir,ilrecelaitbienunpetitmorceaudepapier.Alors qu’elle s’apprêtait à le déplier pour en lire le contenu, la porte s’ouvrit brusquement et
Hannah,ensursautant,laissaéchapperlemot.HarrisonPlumbersetenaitdansl’encadrementdelaporte.—Excusez-moi, je ne savais pas que vous veniez aujourd’hui, dit-il en détachant son regard du
morceaudepapierpourlereportersurelle.Hannahfitdisparaître lesacdesportsouslebureau,conscientequ’ilépiaitchacundesesgestes.
Elleignoradélibérémentlaprésencedupetitcarréblancsursonbureauetluirépondit:—Jenefaisquepasser.Enquoipuis-jevousêtreutile,M.Plumber?Hannah avait toujours trouvé Harrison Plumber gauche, comme mal à l’aise dans ce corps qui
paraissaittropgrandpourlui.DepuissadétentionparleGTMenTierraMontañosa,ilsemblaitencoreplus désorienté et maladroit. L’infection intestinale qu’il avait contractée dans cette jungleinhospitalièrel’avaitencoreamoindri,leclouantaulitpourdelonguessemaines.—Jechercheuneenveloppe,répondit-il,etmasecrétaireestabsente.Ducoup,jesuisperdu.N’est-
cepaspathétique?Hannahritparpurepolitesse.—Dequelletaille,cetteenveloppe?—Tailleclassique,s’ilvousplaît.Enavez-vousàl’entêtedelafondation?Elleouvritl’undestiroirsdesonbureaupourenextraireuneliasse.—Biensûr.Tenez.Ils’avançadanslapièceafindelesrécupérer,marquaunecourtepausepourexaminerlemotsurle
bureauets’enallaprécipitamment.Ellevérifiaaussitôtsilapositiondupapierpermettaitd’enlirelecontenu;malheureusement,c’était
lecas.Al’encrenoire,ilétaitinscrit:9D1251-2.Celaneluifournit,surlecoup,aucunindicesurlasignificationdececodeétrange.Ellereplialepetitpapieretlemitdanssapocheavantderefermerson tiroir à clé.Suivant les consignesde Jack, elle se rendit à laphotocopieuseafinde justifier, sibesoinétait,savenueàlafondationetfitfonctionnerlamachineàvide.Ilfallaitsecomporteravecnaturel,luiavaitrecommandéJack.Elletraversalelongcouloirensensinverse,enlançantaupassageunvaguesalutàFran,etgagnalavoituredeMimiquil’attendaitsurl’immenseparkingdelafondation.
Une grosse boule dont elle était incapable d’expliquer l’origine s’était formée au creux de sonestomac.Toutbienconsidéré,ellel’expliquaittrèsbien.C’étaitàcausedeJack.
***
Hannahvenait de raccrocher sonportable après undeuxième appel sans succès à sa grand-mère,lorsque Jack revintducomptoir avecuneassiettedepoisson frit auxpommesde terrequ’ildéposadevanteux,surlatabledeformicableu.Hannahl’avaitobligéàvenirchezNoyoHarbor,prétendantqu’ildevaitêtreaffaméaprèsunpetitdéjeuneruniquementcomposédequelquestoastsàmoitiébrûlés.Ilsavaittrèsbienquec’étaitelleenfaitquimouraitdefaim,maisilavait,luiaussi,grandementbesoind’unepausedéjeuner.Situé sur les quais, non loin du petit port de pêche, leNoyoHarbor était un petit snack-bar qui
offrait de simples plats à emporter. Il proposait une unique table un peu bancale permettant de serestaurersurplace,faceàl’embouchuredelarivière.Unpeuplusàl’ouest,celle-cisedéversaitdansl’océan tandis que, vers l’est, en remontant son courant, elle menait à une petite île abritant unemodestemarina.Unpontdeteckreliaitlesrivessudetnordenenjambantsonfaiblecourant.Unelégèrebriseseleva,faisantdanserlachevelurebrunedeJack.Elleleurapportadeseffluves
marinschargésd’iodeetdevarechqu’ilsinhalèrentgoulûment.Untroupeaudephoques,seprélassantdans les eauxde la baie, poussaient leurs cris plaintifs par intermittence.L’atmosphère générale dumomentétaitbienloindecelledelaTierraMontañosa.La nourriture aussi. Un bon filet de morue fraîchement pêchée, une salade de crudités bien
assaisonnéeetdespommesallumettesdoréesàpoint;unrepassainpourlecorpsetl’esprit,songeaJack.Etpourcouronnerletout,ilétaitencompagnied’unefemmetrèsattirante.Il savourait l’instant. Il avait appris durant sa captivité à apprécier chaque moment de bonheur
commesic’étaitledernieretàlegraverpourtoujoursaufonddesamémoire.Ilsereprit;c’étaitlàdespenséesbienpoétiquespourunhommedesatrempe…Il fit couler quelques gouttes de jus de citron sur son plat et en avala une bouchée. Hannah le
regardaitavecunsouriremélancolique.—Ondiraitquetuesauparadis.Il approuva d’un signe de tête, trop occupé à déguster son plat pour parler. Hannah se décida à
goûtersonpoissonetentrempaunpetitmorceaudanslasaucetartare.Jack termina son déjeuner bien avant elle et, sous prétexte d’observer un petit canot à moteur
remontant larivière, ils’éloignaafind’observerdiscrètementcettefemmequi lefascinait.Elleétaitapparemmenttroptroubléepourappréciersonassiette,alorsqu’illuisemblaitsesouvenirque,lorsdeleurpremiertête-à-têtedansunrestauranthuppédelaTierraMontañosa,elleavaitdégustésonplatdefruitsdemeravecdélectation.Plustarddanslasoirée,elleavaittrinquéavecluiàlabièrelocale,etbienquecettedernièresoitassezchargéeenalcool,elleavaitbuunpeutrop.Ellenedevaitpassavoirqu’elleétaitdéjàenceinte.
Hannahterminasonrepasets’essuyadélicatement laboucheà l’aided’uneservietteenpapier. Ilrevintverselleets’installasurlebancàsoncôté.Ilressentitalorsuneviveattiranceetprialecielqu’ellesoitréciproque.—Es-tuenfindisposéeàmedirecommentcelas’estpasséaubureau?demanda-t-il.—Touts’estbiendéroulé,répondit-elleensepassantunemaindanslescheveux.Leplusdifficilea
étédegérerlapeurquetesmisesengardeontfaitnaîtreenmoi.Voilàpourquoielleétaitd’humeurmaussadedepuisqu’ellel’avaitrejoint,pensaJack.—Dis-moilavérité,Hannah;pourquoies-turéellementalléeaubureaucematin?—JesensquetuaimeraisbienquejeteparledeDavid,répondit-elleaprèsunecourtepause.—David?C’estluiquetucherchesàprotéger?Hannahledévisagead’unregardsombre.—Ilestmort,tusais…—Maisc’estlepèredetonenfant,coupa-t-il.Ses sentiments pour David étaient-ils plus forts que ce qu’il avait imaginé, ou bien était-ce la
réputationdupèrede sonenfantqu’ellevoulaitpréserver ?De toute façon, celan’avaitpasgrandeimportance,pensa-t-il.Iln’avaitpasàêtrejalouxd’unmort.—J’aimeraissimplementajouterqueDavidatoujoursniéêtrealléenTierraMontañosa.Iln’adonc
puséjourneràCostadelRio.—Belleentréeenmatière,ironisa-t-il,maisjesensun«mais»seprofileràl’horizon.—«Mais»ilaeffectivementvoyagépeudetempsavantsondécès.Pourdesvacances.—Oùcela?—IlditêtrealléenArizonapourrendrevisiteàsasœuretsabelle-famille.—Tun’aspasl’airconvaincue…Elle baissa le regard et il s’aperçut qu’elle avait noué ses mains au creux de ses genoux. En
s’asseyant,sajupeétaitremontéeetluidécouvraitpartiellementlescuisses.Lavisiondecettechairnueetofferteledéstabilisauninstant;illevalesyeuxetfitunsuprêmeeffortpourresterconcentrésurleurconversation.—Jen’avaisaucuneraisondedouterde lui jusqu’àceque tu introduises lanotiond’argentdans
l’histoire,admit-elle.Tesaccusationsm’ontremémorélanuitdesonretourdecongés.Davidestarrivéchezmoitoutexcité.Ilm’aconfiéunsacdesportdontlafermetureEclairétaitscelléeparunanneaudeplastique.Ilm’aalorsfaitjurerden’enparleràpersonne,cequej’aifaitjusqu’àprésent.Tueslapremièrepersonneàquijemeconfie.—Tunesavaispascequecontenaitlesac?—Jenel’aiouvertqu’aprèssamort.Ilétaitremplidebillets.—Combien?—Cinquantemilledollarsengrossescoupures.Jackémitunsifflementd’admiration.—Çafaitunbeaumagot!—Jenetelefaispasdire,surtoutpourDavidquiétaitunvraipanierpercé.
JacksesouvenaitdeDavidexactementtelqueledécrivaitHannah.Cetypeaimaittellementl’argentqu’ilétaitprêtàenfreindrelaloipours’enprocurer.Maisilétaittoujoursfauché.—Sais-tud’oùprovenaitcettesomme?Elle leva la tête et croisa son regard. Il remarqua que ses yeux se confondaient avec le vert de
l’océan.—Aucune idée. Il avait l’air vraiment bizarre, aussi l’ai-je prévenu que je ne voulais pas être
impliquéedansunecombineillégale.Ilajurésesgrandsdieuxqu’iln’enétaitrienetqu’ilrepasseraitdèslelendemainrécupérerlesac.Ildisaitquej’étaislaseuleenquiilpouvaitavoirconfiance.—Etlelendemain,iltrouvaitlamortsurlechemindubureau…—Exactement,approuvaHannah.—Tun’aspastrouvécelasuspect?—L’enquêtedepoliceadémontréquecelan’étaitqu’unstupideaccident.Lechauffeurducamion
était unmodeste père de famille. Il paraît qu’il était effondré et culpabilisait énormément.C’est cejour-làquej’aiouvertlesacetdécouvertl’argent.JeneparvenaispasàimagineroùDavidavaitputrouverunetellesomme,maisilyavaitcertainsélémentsquimelaissaientcroirequ’il l’avaitpeut-êtrevolée,oualorsextorquée.—Quelséléments?laquestionnaJack.—Toutd’abord,notrevoyage.Ilétaitquestionquel’ons’échappequelquesjoursloindeFortBragg
afindepasserdubontempsensemble.Maisilaannuléautoutderniermoment,prétextantdevoirserendreauprèsdesasœur,enArizona.Avraidire,j’enaiétésoulagéecarjecommençaisàenavoirassezdesoncomportementsecret,et jesentaisquenotrehistoire touchaitàsa fin.Le faitqu’il soitrevenu de ce séjour improvisé avec autant d’argent a commencé àme faire cogiter.De plus, je nevoyaispascommentrenvoyeràsafamilleunetellesommeenliquide.—Tul’asdépensée?Cettequestionluivalutunregardoutragé.—Biensûrquenon!—Alors,oùsetrouvet-il?—Al’abri,dansuneconsigne.—Hannah,permets-moidetedireleschosescommejelesvois.Tonpetitamit’amèneunpaquetde
fric,tedemandedelegarder,sefaittuerlejoursuivant.Ensuite,tonappartementestcambrioléettunereliespaslesfaitsentreeux?—Lesfaitsnesesontpassuccédédefaçonsiordonnée,répondit-elle,excédée.Elleseleva,fitquelquespaspourallers’adosseràlabalustradeetleregardaavecdéfi.—Ilm’aremisl’argentjusteavantdemourir.Jepensaisqu’àunmomentouàunautre,quelqu’uny
ferait allusion, mais apparemment, personne n’était au courant de l’existence de cette somme. J’aiemportélesacaubureau.Jel’aitoutd’abordenfermédansundemestiroirspuisj’aitransférél’argentdansmonattaché-caseetl’aidéposéàlaconsigne.C’estsuiteaprèsquejemesuisrendueenTierraMontañosaetquel’embuscadeaeulieu.Tunepeuximaginerdansquelétatjemetrouvais:HarrisonPlumberetHugoCorreakidnappés,etvousautresretenusenotage.Jevenaisjustedeterencontreretlelendemain,tudisparaissais.Toutceciétaitcomplètementfou.SansparlerdupauvreSantiCorrea.Il
m’avaitrecrutéedèsmasortiedel’université,m’avaittoujourstémoignélaplusgrandegentillesseetjeme retrouvais dans ce pays perdu, seule, à prendre soin de lui car il était persuadé que son filsuniqueallaitêtrefroidementexécuté.Hannahrepritsonsouffleenlefixantdroitdanslesyeux.—Ensuite,mongrand-pèreestmort,mamères’estremariée,HugoetHarrisonontété libéréset,
pour couronner le tout, j’avais des nausées chaque matin à cause de ma grossesse. Lorsqu’on acambriolémonappartement,j’étaisdansunétatd’anéantissementtotal.Commerienn’avaitétévolé,j’aipenséqu’ils’agissaitdesimplescasseurs,etdetoutefaçon,j’avaisprévud’allervivreavecmagrand-mère.Aussi,monsieur je-sais-tout,n’ai-jepas fait la relationentrecesévénements jusqu’àcequ’hier,tumedemandessij’avaisjouéunrôledanslaremisedelarançonauxguérilleros.Celam’arappelélescinquantemilledollars.Ducoup,jemesuisinterrogée:siDavidesteffectivementalléenTierraMontañosaplutôtqu’enArizona,qu’aurait-ilbienpuyvendrepourunetellesomme?Jackpritquelquesminutespouranalysersespropos;lesinformationsqu’ellevenaitdeluidélivrer
s’organisaientprogressivementdanssonesprit.—Davidétait-ilinformédel’itinéraireduconvoi?—Ilavaitaccèsàmesdossiers,répondit-elleenrechignant.Ilnemeseraitjamaisvenuàl’idéede
luicachercesinformations.Rienn’étaitencoreprouvé,mais,sileraisonnementd’Hannahétaitjuste,lepèredesonenfantavait
alorssapartderesponsabilitédanslamortd’unedizained’êtreshumains.«David,espèced’ordure,commentas-tupufaireunechosepareille?»—S’ilestsortidesEtats-Unis,sonpasseportdoitavoirététamponné,affirmaJack.— J’ai envoyé un colis à lamère deDavid contenant ses affaires après samort,mais je neme
souvienspassisonpasseports’ytrouvait.—As-tuparléavecsasœuràl’enterrement?T’a-t-elleconfirméqu’ilétaitvenuluirendrevisite?—Non.Ellen’yapasassisté.Ilyavaitseulementsamère,sonbeau-pèreetl’undesesfrères.—Peut-êtrepourrais-tul’appelereninventantunprétextequelconquepourévoquersonséjourchez
elle?Ainsinousserionsfixés.—Jenevoispascequejepourraisbieninvoquer,avouaHannah.Safamillemeconsidéraitcomme
sacollègue,pascommesapetiteamie.—Tupourraisfaireuneffort.Elleréfléchituninstant,maisellen’étaitpasemballéeparcetteidée.—Oui,jevaistâcherd’ysonger.Elle lui tourna ledos et seperdit dans la contemplationde l’océan. Il se levade table etvint la
rejoindre.—Unautremembrede la fondationest-il allé là-basavant lesévénements?Pour l’ouverturede
l’école,parexemple?—Tuesencoreentraind’essayerderelierl’embuscadeàl’undesemployés,avança-t-elle.—JeveuxbiencroirequeDavidsoit legenredegarsàvendredes informationsauxguérilleros,
mais je ne vois pas comment il s’y serait pris, vu qu’il ne se rendait pas régulièrement en TierraMontañosa.
—Entoutcas,ilavaitapprisl’espagnolparsonbeau-pèrequiestoriginairedeMexicoet,àvraidire, lecomprenaitmieuxqu’ilne leprétendait.De toute façon, siquelqu’unde la fondation s’étaitrendulà-bas,n’aurais-tupasétérecrutépourleprotéger?—Jenel’étaispassystématiquement…Elleacquiesçad’unairdépité;ellesemblaitsiaccabléepartoutecettehistoirequ’ilressentitune
immense compassion. Comment pouvait-il, encore vingt-quatre heures plus tôt, penser qu’elle avaittoutorganisé?Celaluiparaissaitàprésenttoutsimplementimpossible.—Jeneparvienspasàtrouverlelienentrelesévénements,dit-ilendétaillantseslongscilsourlés,
maisjesuissûrqu’ilexistebeletbien.Ilyadeuxquestionsmajeures.Lapremière:quiaorganisél’embuscade?Sijesuisdanslevrai,quelqu’unauseindelafondationdétournedesfondsauprofitduGTM,quilesutilisepourinstallerdescampsd’entraînementpourterroristes.Sic’estlecas,commentpouvons-nouslescontrer?Etquelestlelienaveclapersonnequiteharcèle?— Cela fait au moins trois questions. La réponse la plus probable à la dernière est que cette
personneestaucourantpourl’argent.—Celaexpliquelecambriolage,maispaslebrisdelafenêtrenilalettreanonyme.Ondiraitqu’ily
adeuxespritsdifférentscontretoi.TonpassageaubureaucematinavaitunrapportavecDavid,n’est-cepas?—J’avaiscomplètementoublié,répondit-elleensortantdesapochelemorceaudepapierqu’elle
luitendit.Jacklutàhautevoix:—9D1251-2.Qu’est-cequeçasignifie?—Jen’enaiaucuneidée.C’étaitdanslesacdesportavecl’argent.Çateditquelquechose?—Absolumentrien.Cepourraitêtrelacombinaisond’uncoffre,lescoordonnéesd’unlieu,uncode
secret…As-tugardélesacdesport?—Ilestdansmontiroir,aubureau.Ilestvideetneprésenteaucuneparticularité,réponditHannah.Illuitenditlepapiermaiselleluifitsignedeleconserver.—Jepréfèrequecesoittoiquilegardes,luidit-elle.Illepliaavecprécautionetlerangeadanssonportefeuille.Hannah respira profondément ; cela lui enlevait un sacré poids de la conscience d’avoir informé
Jackàproposdel’argent.Mais,sanslesecoursdeDavid,ilallaitêtrecompliquédefairelalumièresursaprovenance.Ilssetenaientcôteàcôte,appuyéscontrelabalustrade,leurscorpssetouchantpresque.Lorsqu’elle
tournalatêtedanssadirection,Jacks’aperçutqu’unelarmeperlaitauborddesescilsetl’attiraàlui,luientourantlesépaules.Hannahfrissonnaetselaissaaller.Ildéposaunbaiserdanssescheveuxetpuensentirledouxparfum.Ellelevaalorslesyeuxetluioffritunregardlégèrementsurpris.Ilsepenchaverselle,s’attendantàcequ’elletented’échapperàsonétreintemaisellen’enfitrien.
Aucontraire,elle s’approchadoucementet, tandisque levent faisaitdanser leurscheveuxde façondésordonnée,ilpritsonvisagedanslacoupedesesmainsetluioffritseslèvres,réclamantunbaiser.Elleeutunpetitmouvementderecul, le regardaprofondément,puis l’enlaçaenseblottissant tout
contre lui. Sa poitrine se pressait contre son torse puissant tandis que ses doigts jouaient avec les
longues boucles brunes dans sa nuque. Son regard était si intense qu’il se sentit vulnérable commejamaisauparavant.Lorsqueleurslèvresentrèrentencontact,cefutunvéritablesoulagement.Elleglissasalanguedans
saboucheetJacksentitalorstoutsonêtres’embraser.L’annéequis’étaitécouléedepuisqu’ilsavaientfaitl’amourvolaenéclats,etilluisemblaêtretransportédanslanuitmoitedeCostadelRio.Si seulement ils avaient éténus, peaucontrepeauà cet instantprécis…Bon sang, sedit Jack, il
devaitsereprendre;depuisquandunbaiserlemettait-ildansuntelétat?Il luiprit lespoignetset larepoussaavecdouceur.Ellebattitdespaupièreset luioffritunregard
teintéd’incompréhension.Ilfituneffortsurhumainpourdomptersespulsionsetrecouvrerlamaîtrisedelui-même.Ilnesutquoiluidire,saufpeut-êtrequ’ilétaittombédanssonproprepiègeetavaitsuccombéàses
charmes.Uneannéedanslajunglesanslemoindrerapportsexuelavaitendormisalibido,etcelle-ciseréveillaitinstantanémentchaquefoisqu’Hannahposaitlesyeuxsurlui.Jacksavaitnéanmoinsquecetteattirancedépassaitlesimpledésircharnel.—Jemesuisunpeulaisséaller,dit-ildansunsouffle.—Moiaussi.Ilyavraimentquelquechoseentrenous,avoua-t-elle.Jenesauraislenier.Ildéglutitavecpeinetoutencherchantsesmots.—Chérie,tuavaisraisonhiersoir.Tuaschangé.Nousavonschangé.Jesuislegardeducorpsde
tonbébé,pas tonamoureux.Il tefautunhommequisoitunbonpèrepourAubrielle,etnoussavonstousdeuxquecen’estpasmoi.—Effectivement,admit-elled’untonsiconvaincantqu’ilenfûtpeiné.Illuicaressalementon,puisglissalamaindanssachevelure.—Cettejournée,cerepasprisensemble,cettesensationdeliberté,toi…toutcelam’aembrouillé
l’esprit.JedoismeconcentrersurlasoudainerichessedeDavid,laFondationStarr,lesgensquisontaprèstoi,etaulieudecela,jenepensequ’àt’attirerdansmonlitchaquefoisquenoussommesseuls.Elleluicaressaaffectueusementlajoue,sesdoigtssuivantlespetitssillonsdesescicatrices.Jack
fermalesyeux;ilauraittoutdonnépourquecettehistoirenesoitjamaisarrivée,leurpermettantainsidevivreleuramourentoutequiétude.—Davidauraétéuneerreurdansmavie,dudébutàlafin,admit-elle.Tuasraison,jenepeuxplus
mepermettrelemoindrefauxpas.—Jesuisinquietdeconstaterquetuprendstoutcequit’arriveàlalégère.Tagrand-mère,elle,est
mortedepeur.—Jem’enrendscompte,àprésent.Jen’enavaispasconsciencejusqu’àaujourd’hui.ElleseblottittoutcontreluietJackenfutému.Celareprésentaitàsesyeuxunemarquedeconfiance
bienplusgrandequelebaisertorridequ’elleluiavaitaccordéquelquesinstantsplustôt.—Jevaistoutmettreenœuvreafindeprotégertonbébéettagrand-mère,annonça-t-il,passantsous
silencelefaitqu’ilétaitprêtàremuercieletterrepourlaprotéger,elle.JesaisquelaFondationStarrestimpliquéedansuntraficavecleGTMet…— Jack ?Oublie tout ce quim’est arrivé.Oublie tout ce qui concerne la Fondation Starr.Nous
n’avons aucune idée d’où provient l’argent que m’a remis David, ni à qui il était destiné. Es-tu
absolumentsûrquetesaccusationsnesontpasguidéesparundésirdevengeance?—Non, je n’en suis pas si sûr. Je vais être franc ; j’admets que je rêve de punir les salopards
responsables de ce massacre. Peut-être la haine emplit-elle mon cœur d’un profond désir devengeance.Maisj’aisurtoutapprisilyabienlongtempsàfaireconfianceàmonintuition.Elleapprouvadelatêtecarsesproposluisemblaientjustesetfondés.—Jack…Elles’interrompitaussitôt,commeunepetitemélodies’échappaitdesonsacàmainqu’elleavait
laissé sur la table.Elle s’élança, l’ouvrit fébrilementet en sortitunpetit téléphoneportablequ’elleportaàsonoreille.— On a raccroché, annonça-t-elle en consultant l’écran. C’est le numéro de la maison. Je me
demandepourquoigrand-mèrearaccrochésivite.Elleappuyasurlatouchedecompositionautomatiquedudernierappelreçu.Sonexpressionreflétait
unevivetension.Jacksentitsonestomacsenouer.—Pasderéponse.—Tuasduréseau?Ellejetauncoupd’œilàl’écrandutéléphone.—Oui.Çasonnemaisellenedécrochepas…Sonvisageétaitlivide.—Ilfautyaller,Jack!Ils’étaitdéjàélancéverslavoiture.
6
Hannahtentadejoindrelamaisonsansrelâche.Puiselleeutl’idéed’appelerunedesjoueusesdelapartiedepoker.Dèslasecondesonnerie,ondécrocha.—Barb?Dieumerci,lançaHannahenoffrantàJackunsouriredesoulagement.LetéléphonedelamaisonétaitcertainementendérangementetMimines’enétaitpasrenducompte.—Allo?Hannah?Toutvabien,trèschère?Jackvenaitd’entrerdansAllota,dépassantleparkingdusupermarchéoùlavoitured’Hannahavait
brûlélaveille.—Jeseraiàlamaisondansuninstant,dit-elleàBarb.Jem’inquiètequegrand-mèrenerépondepas
autéléphone.—Elledoitêtreàlamaison.Nousl’yavonslaisséeilyabienuneheuredecela.Ellen’avaitpas
prévudesortir.—Queveux-tudire?Tun’espasavecelle?—Non,réponditBarb.—Elleestseule?—Oui.Miminousamisesdehors.JackieetDarlène,lesdeuxsœurs,tusais,ehbienellessesont
disputéesetcelaaréveillélebébéet…—Excuse-moi,Barb,l’interrompitHannah,jeterappelle,d’accord?HannahraccrochaetsetournaversJack.—Grand-mèreestseuleàlamaisonavecAubrielle.—Bonsang!Onyseradansuneminute,annonça-t-ilenfaisantcrisserlespneusdanslevirage.Iln’yavait aucunevoituredevant lamaisonet laported’entréeétait entrouverte.SaHarleyétait
toujoursprèsdugarage.—Ne pénètre pas à l’intérieur, ordonna Jack alors qu’Hannah avait déjà sauté de la voiture et
s’élançaitverslamaison.Elleentenditsonavertissementmaispassaoutre,folled’inquiétude.—AttendsHannah!s’écriaJack.Mimiestsûrementàl’arrièredelamaisondanslejardin.Çadoit
êtreleventquiaouvertlaporte.Oupeut-êtreMimigisait-elleàl’intérieur,assommée?EtAubrielle?Hannahs’envoulaitd’avoir
laissésagrand-mèreseule,sansdéfense,avecunbébé.—Hannah!Elle entendit Jack l’appeler une dernière fois tandis qu’elle entrait dans lamaison. Elle s’arrêta
aussitôt,pétrifiée.Laporteavaitétéfracturéeetuncyclonesemblaitavoirtraversélesalon.—Grand-mère?appela-t-elledoucement.Aubrielle?Jackfutprèsd’elleenuninstant.
—Elles ne sont pas là,mais on va fouiller lamaison, dit-il en la dépassant pour entrer dans lacuisine.Ellejetaunregardpar-dessussonépauleetvitquetoutétaitenordre,contrairementausalonoùrégnait lechaos.Laportemenantaujardinétaitgrandeouverte.HannahseglissasouslebrasdeJackets’élançaàl’extérieur.Personnenonplusdanslepetitjardin.Hannahfitdemi-touretretrouvaJackdanslesalon.N’ytrouvantaucunindicedeleurprésence,ils
s’élancèrent dans le couloir, Jack inspectant la chambre de Mimi tandis qu’Hannah gagnait celled’Aubrielle.Elleneremarquariendeparticulierdanslapièce,exceptéletéléphonesansfilquigisaitsurlatable
àlanger.Elles’ensaisitetappuyasurlatouchedecompositiondudernierappel;sonportablesemitàsonner.—Rienici?demandaJackensurgissant.—Non.—Regardedansleplacard,luidemanda-t-il.Hannahvérifia,sanssuccès.—Oùa-t-ellebienpualler?Chezunvoisin?suggéraJack.—Peut-êtrechezlesHendricks,maistupensesbienqu’elleauraitlaisséunmot!Etpuis,comment
expliquer la pagaille qui règne dans le salon ? On a regardé partout et je ne vois pas où ellespourraientsecacher…Oh,lacave!—Ilyaunecavedanscettemaison?— Pas vraiment une cave. Une dénivellation du terrain sous les fondations. Grand-père y avait
aménagéunaccèsafind’yrangernotrefourbi.—Commentonyaccède?—Parici,réponditHannahentraversantlecouloir,maisgrand-mèreahorreurdecetendroitcarça
grouilled’araignéeslà-dedans.Elle ouvrit la porte d’un placard et vit que les deux valises habituellement rangées côte à côte
étaient empilées le longdumur.Elle souleva une trappe au sol, révélant une ouverture sombre.Onapercevaitdifficilementlapremièremarchedel’escalierdebois.Baissantlavoix,ellemurmura:—Ilss’enservaientprincipalementpourentreposerlesdécorationsdeNoël.Tudevraistrouverune
lampetorchesuspendueàuncrochet,surtadroite.—Iln’yapasdelampe,répondit-il.Enrevanche,j’enaivuunedanslachambred’amis.Attends-
moiici.Depuisquandlalampeavait-elledisparu?Ellecrutpercevoirunpetitbruitdanslesprofondeursde
lacave.Lecœurbattant,elleagrippalarambardeetcommençaàdescendrel’escalier.Sagrand-mèredevaitavoirprislatorche,toutsimplement.Toutàcoup,unfaisceaulumineuxl’aveugla.—J’aiunearmeetjen’hésiteraipasàm’enservir!crialavoixdeMimidepuislapénombre.Un
pasdeplusetjet’envoieenenfer!—C’estmoi,grand-mère.Hannah.—Hannah!OhmonDieu…
MimidétournalefaisceaudelatorcheetHannahputdévalerl’escaliersansrisquerdeseromprelesos.Commentsagrand-mèreavait-ellepuseréfugierlàavecAubrielledanslesbras?ElleparvintàladernièremarchealorsqueJacksurgissaitenhaut,unelampeàlamain.Mimi émergea d’un coin sombre et se fraya un chemin parmi les vieux cartons et les caisses
empilées çà et là. Elle tenaitAubrielle serrée dans ses bras. La lumière tremblait dans samain etprojetaitdesombresfantasquessur lesmurscouvertsdetoilesd’araignées.Ellesemblait totalementépuisée.Hannahl’enlaçaavecémotion.—Assieds-toi,dit-elleenaidantsagrand-mèreàseposersuruncartonpoussiéreux.Jacklesrejointaussitôtetvints’agenouillertoutprèsdeMimi,luiprenantlatorchedesmains.—Çava,Mimi?luidemanda-t-ildoucement.—Çavamieux, répondit-elle dans un soupir.Quand j’ai entendudes pas là-haut, j’ai cru qu’ils
étaientrevenus.—Maisdequiparles-tu,grand-mère?questionnaHannah.—Jenesaispas…—Sortonsd’ici,proposaJack,etvousnousraconterezcequis’estpassé.Il se saisit d’Aubrielle et fit une rapide inspection.Tout avait l’air normal chez la petite fille. Il
arrangealechâleroseautourdesonpetitcorpsdélicatetlatintserréecontrelui.Hannahressentitunedrôledesensationenvoyantcettepetiteformerosedanslesbrasdecethomme
imposant.Elleselaissatomberàcôtédesagrand-mère.—Tutesensbien?demandaMimienluitapotantlamain.Hannahfermalesyeuxetmarmonna:—Non.
***
—Racontez-nouscequis’estpasséavantquelapolicen’arrive,ditJack.Hannahavaitappelé lecommissariatavantdevenirs’installerdans lacuisineavecAubrielle. Ils
avaientdécidédelaisserlesalonenl’étatafinquelesenquêteurspuissentreleverd’éventuelsindices.JackavaitinstalléMimisurunechaiseetluiservaitunetassedethébienchaud.Hannahfutsurprise
delevoirprendresoindelavieilledame,cetélandecompassionluidévoilantunenouvellefacettedesapersonnalité.—Jackieavaitverséunpeudecognacdanssonthéets’estmiseànousraconterqueDarlèneallait
subiruneliposuccion,alorsDarlèneestdevenufollederage…Oh,chérie,n’enparleàpersonne,c’estsecret.Enfin,bref,jelesaimisesàlaportejusteaprèstoncoupdefilm’annonçantquevousétiezenchemin.Ensuite,jesuisalléedanslachambred’Aubriellepourlachanger.Jevenaisdeterminerquandj’aientendudubruit sur leperron.Quelqu’un tripatouillait laserrure.Medoutantquecenepouvaitêtrevous,carvousavezuneclé,j’aiprispeuretn’aipaseulecouraged’allervoir.Commej’avaisletéléphoneavecmoi,jevousaiappelés.Çasonnaitdanslevideetjemesuisditquesic’étaitvous,là
devantlamaison,tonportableauraitsonné.Puisj’aientenduungrincementetdesvoixinconnues;là,j’ai vraiment paniqué. Le téléphonem’a échappé desmains quand j’ai soulevéAubrielle dansmesbras.—Oh,grand-mère,laissatomberHannah,jesuistellementdésolée…—Non,chérie, toutestma faute. Jen’aurais jamaisdû renvoyer les filles. Jeneparvenaispasà
imagineroùnouscacher.Aubrielleétaitbienréveilléeetémettaitdespetitsgazouillis,cequipouvaitnousfaireremarquer.Jemesuisrisquéedanslecouloir,voulantsortirparlaportedederrière.Quandj’ai entendu un objet se fracasser dans le salon, je me suis souvenue de la cave. J’ai alors prisconsciencequej’avaisoubliéletéléphonedanslachambred’Aubriellemaisc’étaittroptard.—Tun’asvupersonne?demandaHannah.—Non.—Etlesvoix?Masculinesouféminines?Combiendepersonnes?questionnaJack.— Je ne sais pas exactement. On a demandé : « Il y a quelqu’un ? » Bien entendu, je n’ai pas
répondu.Peut-êtrequesij’avaisétéseule,j’auraisfaitpreuved’unpeuplusdecourage.Ducoup,jemesuiscachéeàlacaveavecAubrielle.Lesalonestdévasté,n’est-cepas?—Lesdégâtsmatérielsnesontriencomparésauxvieshumaines,rétorquaJackenjetantunregardà
Hannah.TandisqueMimiseplaignaitàhautevoixdesonmanqued’audaceets’accusaitdetousles torts,
HannahdonnaleseinàAubrielle.Soudain,elleentenditunevoitureapprocheretvitparlafenêtrelesgyropharesprojeterleurslueursbleuetrougesurlamaison.—Lapoliceestlà,annonça-t-elle.Aufait,grand-mère,jepensequ’ondevraittenirJackendehors
detoutceci.JackvoulutprotestermaisMimineluienlaissapasletemps.—Jesuisdetonavis,approuva-t-elleenallantouvrirauxpoliciers.—Hannah…,commençaJack.Ellelefittaireenapposantundoigtsurseslèvres,maiscenefutpasunebonneidée.Toutcontact
physiqueentreeuxrisquaitdedégénérer.Elleretirabrusquementsamain,commesielles’étaitbrûlée.—Tun’esenrienconcernéparcequivientd’arriveret,quiplusest,tuesensituationirrégulière,
déclara-t-elle.Silespoliciersvenaientàs’intéresseràtoi,ilspourraientbienfairelarelationaveclafondationettecollerlaresponsabilitédel’embuscadesurledos.Toiquivoulaisquejeprennetoutecettehistoireausérieux,tevoilàservi!—Hannah,dit-ilendégageantlechâleduvisaged’Aubrielle,jesuissongardeducorps.Jenevais
pasmecacher.— Sois raisonnable pour une fois, Jack. Agis dans son intérêt. La police sera là d’un instant à
l’autre.—MaHarleyestgaréejustedevantlamaison.Ettupensesbienqu’onadûmevoiralleretvenir
danslesparages.—Jeleurdiraiquetuesunamiquimerendvisite.C’estainsiquej’aiparlédetoi,hier,àLatimer.
Sorsparlaportedujardinetvafaireuntoursurlaplage.Laisse-moigérerlasituation.Jeviendraitechercher.
—Non,nelaissepasAubrielleettagrand-mèreseules.Jereviendraiquandilsserontpartis.Ildisparutaussitôtaprèsluiavoirdéposéunbaiserdanslescheveux.
***
Jackévitalespoliciersettraversalejardinenveillantànepasdétruireunindicequelesagresseursauraientpulaisser.Iln’étaitpasquestionpourluides’éloignerdelamaisonetilsemitenquêted’unpointd’observationàcouvert.Il trouvasonbonheurde l’autrecôtéde la rue.Uneépavedevoituregisait làdepuisdes lustres,
sous un hangar rafistolé qui menaçait de s’écrouler à tout moment. A travers le pare-brise sale etfissuré,ilpouvaitvoirlespolicierssansêtrevu.L’und’euxsetenaitsurlepasdelaporteetdiscutaitavec Hannah et Mimi. Puis cette dernière s’en fut avec Aubrielle dans les bras, laissant Hannahrépondreauxquestions.Lepolicierseretournaenfinetjetaunregardendirectiondesoncollègue.Nettementplusâgé,ce
derniers’étaitéloignéetrédigeaitsonrapport.Jackreconnutleplusjeunedesdeux:c’étaitluiavaitraccompagnéHannahlaveilleaprès l’incidentde lasupérette.Hannahluiserra longuement lamain,puisrentradanslamaison.Lepolicierrejoignitsoncollègue,unpetitsourireencoinauxlèvres.Lorsqueleurvéhiculefuthorsdevue,Jacksortitdesacachetteetregagnalamaison.Iltrouvales
deuxfemmesdanslesalon,occupéesàremettredel’ordredanscefatras.Tandisqu’elless’affairaient,ellesluifirentuncompterendudesobservationsdespoliciers.Maiscelan’apportaitaucunelumièresurl’incident.—L’officierLatimeraprislalettreanonymepourlaconfierauservicescientifiquedeFortBragg.
Leposted’Allotan’estpaséquipépourcetyped’investigation.—Ilssesontcomportéscommesinousleurcachionsdeschoses,luidéclaraMimienpoursuivant
sonménage.—Jenesuispasde tonavis, rétorquaHannah. Jepenseplutôtqu’ilsétaientaussiperplexesque
nous.—Ont-ilsrelevédesempreintes?demandaJack.—Quelques-unes,réponditHannah.Ilsontprislesmiennes,cellesdeMimietontdemandéquetu
passesdéposerlestiennesaupostedepolice.—J’auraisdûm’endouter,grommela-t-il.—Jeleuraiditquejen’étaispassûrequeturepasses,aussileurai-jedonnétonverreàdentsafin
qu’ilscollectenttesempreintesetrayentainsitonnomdeleurlistedesuspects.—Joliréflexe,approuvaJack.—C’estàcausedessériespolicièresqu’elleregardeàlatélévision,expliquaMimi.—Ilsn’onttrouvéniempreintedepasnitracedepneus,poursuivitHannah.Etunefoisdeplus,rien
n’adisparu.—Peut-êtrelescambrioleurscherchaient-ilsdel’argentliquide,avança-t-ilenluijetantunregard
lourddesignification.
—Ici?Danscettemaison?s’esclaffaMimi.Jepenseplutôtàdespetitsdroguésenmanque.—C’estpossible,admitHannah.Latimerm’apromisdemetenirinforméedel’avancementdeson
enquête.JackfuttentédeluidemandercequeLatimeravaitbienpuluiraconteravantdesedéciderenfinàla
quitter.Maisiln’enfitrien;aprèstout,celaneleregardaitpas.Hannahselevadebonneheurelelendemainmatin.Elleavaitpassél’après-mididelaveilleàtenter
de rattraper son retard sur les préparatifs de la journée portes ouvertes, mais certaines opérationsnécessitaientsaprésenceaubureau.Travailleràlamaisonoffraitcertainsavantages,lepremierétantdedemeurerauprèsd’Aubrielle.
Elletrouvaitpourtantqu’ellenepassaitpasassezdetempsavecsafille.Siellen’avaitpaseubesoind’argent,elleauraitbienprisuncongésabbatique.HeureusementqueMimiétaitlàpourlaseconder.Aprésent,elledevaitcomposeraveclaprésencedeJack.Ildevaitéviterlafondationdepeurd’être
reconnu. Du coup, il allait passer beaucoup de temps avec Mimi et Aubrielle, et cela contrariaitprofondémentHannah.Laseulefaçondesedébarrasserdeluiétaitdedécouvrirquilaharcelait.Ensuite,ilpourraitbien
alleroùbonluisemblerait.Sipossibleloind’Allota.Elles’habillarapidementaprèsavoirchangéAubrielleetladéposadanssonberceaupoursasieste
matinale.Elle se composaune expressionneutre avant depénétrer dans la cuisine.Elley trouva lamêmescènequelaveille;JacketMimi,bavardantentoutecomplicité.—Bébéestnourri,changé,etdortdanssonberceau,annonça-t-elleà sagrand-mèreavantde lui
déposerunbaisersurlajoue.EllefutrassuréedevoirqueMimiavaitreprisdescouleurs.Jack,poursapart,grignotaitsestoasts
brûlés accompagnés d’œufs au plat trop cuits. Levant les yeux vers Hannah, il remarqua sa tenueimpeccable.—Prêtepourletravail?Elleseservitunetassedecaféetpritunebarredecéréales.—Toutàfait.Jeseraideretourendébutd’après-midi.Untechnicienviendraversmidiremplacer
lavitredusalon.La veille au soir, Jack avait réparé le verrou de la porte d’entrée.Une fois la vitre changée, la
maisonseraitdenouveausécurisée.Ils’agissaittoutefoisd’unesécuritérelative;Hannahfinissaitparpenserquecemotnevoulaitpasdiregrand-chose.—J’aifaituntourdanslequartier,cematin,luiappritJack.Jen’airienremarquédespécial.—Grand-mère,jepensequejevaisencoret’empruntertavoiture,ditHannah.—Pasdesouci.Jevousprépareunbonrôtipourcesoir,annonçaMimi,etunecharlotteauxfraises.—Mondessertpréféré,ajoutaJacksanssedouterqueMimirisquaitfortdelemassacrer.HannahsortitparlaportearrièredelamaisonpourgagnerlavoituredeMimidanslegarage.Jack
avait insisté pour que celui-ci soit fermé à clé durant la nuit, empêchant quiconque d’approcher levéhicule.—Jepeuxappelerlegaragistepourtoi,proposaJack,quil’avaitsuivie.—Jeveuxbien,merci.
—Jen’aimepasdutouttevoirpartirseule.—Toutvabien.—N’oubliepas:évitedeposerdesquestionstropprécises,celapourraitmettrelapuceàl’oreille
dequelqu’unet…—Jack?Arrête!l’interrompit-elle.Toi,surveillerAubrielle,dit-elleenlepointantdudoigt.Moi,
allertravailler,ajouta-t-elleenseplaquantlamaincontrelapoitrine.—Pasdeconsignesparticulièresàproposdemes«clients»?demandaJackavechumour.—Aubrielleadorequ’onlaberceenluichantantdeschansons,maisnet’inquiètepas,grand-mère
saittrèsbienyfaire.Contente-toidesurveillerlesenvironsetsoisarméaucasoùlesagresseurssereprésenteraient.Jackluiadressaunepetitegrimaceenréponseàsessarcasmes.—Jeneplaisantepas,Jack,veillesimplementàlasécuritéd’Aubrielle.Ceseraparfait.
***
Visiblement,songeaHannahsurlechemindutravail,Jacksesentaitdeplusenplusimpliquédanssavie.Laseulefaçondesetirerdecettesituationétaitdedémêlertoutecettehistoireauplusvite.Tâchant de se faire discrète au bureau, elle fit de nombreuses recherches sur internet sur les
établissements scolaires en TierraMontañosa.Ainsi qu’elle en avait informé Jack, elle connaissaitbienl’historiquedelaFondationStarr.Ellesavait,parexemple,queSantiCorreas’étaitdémenésansrelâchepourmonteraumoins troisécolesdanscepetitpays,cecidans lebutd’enrayer lapauvretégrandissante et de lutter contre le vice qui l’accompagnait inévitablement. Il était donc impossibled’imaginerSantidemècheavecleGTM.Ilnerestaitdoncplusqu’HugoetHarrisonPlumber.Tousdeuxavaientlargementsouffertentreles
mainsdesguérilleros.PeuimportaitcequeJackprétendait;celalesmettaienthorsdecause.EtDavid?S’ilavaiteuuncompliceetquecelui-cicherchaitàrécupérerl’argent?Maispourquoi
s’enprendreàelle?Ilauraitétéplussimpledeluiréclamerdirectementlasomme.Onfrappaetlaportes’entrouvrit,laissantapparaîtrelevisagedeFran.Celle-cijetaunrapidecoup
d’œil dans le couloir avant de se glisser dans le bureau d’Hannah. Cette dernière ferma sa pageinternetparprudence.—Quelquechosenevapas?demanda-t-elletandisqueFrans’asseyaitenfaced’elle.—Tunevasjamaiscroirecequejeviensd’apprendre.Tuesconcernée,chérie.—Moi?—C’estàproposdetesamoursetc’estplutôtcroustillant,avançaFranenbaissantlavoix.Hannah pensa que quelqu’un avait découvert la véritable identité de Jack et le fait qu’elle
l’hébergeait.Croisantlesbras,ellesepréparaaupire.
7
LesyeuxdeFranpétillaientdemalice.—Jenesauraistedirequiestàlabasedecesragots,poursuivit-elleàvoixbasse.J’aientenduune
conversationàlacafétéria.Deuxfillesduserviceentretienpapotaient.L’uned’ellesaditàl’autrequetoietDavidLengellsortiezensemblejusteavantsondécès.Fran l’observait, attendant sa réaction. Jack était pourtant le seul à être informé de sa relation
amoureuse avec David, songea Hannah. Il n’avait pas eu le temps de bavarder. Ni un intérêtquelconqueàlefaire.Fransemépritsurlesilencedesacollègue,l’interprétantcommeunaveu.—Nememenspas,jesaisquec’estfaux.Quandjerecroiseraicesdeuxcommères,je…—Etmêmesic’étaitvrai?l’interrompitHannah.Qu’est-ceçachangerait?Davidestdécédé.—C’est grave, ce que tumedis là.SiHugoCorrea apprenait que tu as euune relation avecun
collègue,cequiestcontraireaurèglement,ilpourraitterenvoyer.Etjetesignalequejesuislaseuleaucourantquelepèred’AubrielleestunexpatriéfrançaisenposteàCostadelRio.Si jamaiscetterumeuràproposdeDavidvenaitàserépandre,onpourraitpenserquec’estluisonvraipère.« Tu es à présent dans de beaux draps, se dit Hannah. Voilà ce qu’il en coûte de raconter des
mensonges.»Maisilétaitunpeutardpourlesregrets.Silarumeursepropageait,ehbien,tantpis.Lesautrespourraientpensercequ’ilsvoulaient.Maiscelane risquait-ilpasdeparvenirauxparentsdeDavid?Ellenevoulaitpasqu’ilssouffrentdavantage.Aprésent,sonprincipalregretétaitd’avoirfautéavecDavid.Deplus,celan’avaitpasétéunesi
belleaventure.—S’ilteplaît,n’enparleàpersonne,demanda-t-elle.—Jenetesuispas.Pourquoitu…— Fran, l’interrompit Hannah. J’ai tellement de problèmes à régler en ce moment que tu n’en
imaginesmêmepaslequart.Cetterumeurestlecadetdemessoucis.LeregarddeFransefitplusinquisiteurquejamais.—Bien,mam’zelle,qu’est-cequisepasse?Dis-moitout.Il était horsdequestionqu’Hannah se confie àFran,mais il était possibleque l’officierLatimer
viennemener son enquête jusque dans les locaux de la fondation à propos du cambriolage et de lalettre anonyme. Aussi Hannah lui raconta-t-elle les tous derniers événements, se gardant bien dementionnerJack.Elleneparlapasnonplusdel’argentdeDavid,maisfaillitadmettrequ’ilsétaientsortisensemble.
Cependant,cetteinformationn’apportaitaucunepistesupplémentaireetrisquaitdeluicauserdutort.Aussitint-ellesalangue.—Jesuisstupéfaitequetuprennestoutceciàlalégère,ajoutaFranlorsqueHannaheutterminéson
récit.Tun’asaucuneidéedequiestaprèstoi?—Non.Toujoursest-ilquesisonintentionestdemerendremortedepeur,ilaatteintsonbut.
—Ondiraitquedeuxpersonnesdistinctesagissentdeconcertcontretoi,conclutFran.Jackavaitlamêmesensation.Unfrissonparcourutl’échined’Hannah.Unadversaireétaitdéjàbien
suffisant;nulbesoind’enrajouterunsecond.—Sij’apprendsquoiquecesoitdenouveau,jet’eninformeaussitôt,luiditFrand’unairsincère.—Ceseraitgénial.Maisn’enparleàpersonneetgardetonsang-froid,d’accord?—Promis.Tusais,cesontplutôtlesautresquimefontdesconfidences,ajouta-t-elleenarborantun
sourirefier.Maisjevaisêtrehonnêteavectoi;jenecroispasunesecondequetumediseslavérité.—Tunemecroispas?Tunecroispasque l’onaitvoulum’agresseren jetantunpavédansma
fenêtreetenforçantmaporte?—Si,làjeveuxbientecroire.MaisjesuissûrequetumensàproposdeDavid.—Jen’aipasparlédelui,sedéfenditHannah.—Evidemment.Tut’esbiengardéedementionnersonnom.Cependant,jemesouvienstrèsbiende
safaçondeloucherverstonbureautandisquenousbavardionsdanslehall.Etaussidelaprésencedesavoituredevantcheztoi,bienquetum’aiesjuré,àl’époque,quej’avaisdûrêver.Sansparlerdelapiècedethéâtrequevousêtesallésvoirensemble,l’annéedernièreàFortBragg.Plusçava,plusjemedisquelesragotsdesdeuxcommèresduserviceentretiensontfondés.Franétaittoutexcitéeàl’idéedetenirlàunscoop.Hannahsedemandaitnéanmoinscommentelle
n’avaitpassuspectéplustôtsarelationavecDavid.—Fran,veux-tubienlaissertomber?—J’aimequel’onsoitfrancavecmoi,réponditsacollègueensemordantlalèvre.Davidnet’a-t-il
rienoffert?—Aquoipenses-tu?rétorquaprudemmentHannah.—Tusaisbien.Sivousétiezaussiprochesqu’onledit,çaauraitpuêtretentantderecevoirunbeau
présentdesapart.MonDieu,songeaHannah;Franévoquait-ellesagrossesse?—Jenevoisabsolumentpasdequoituveuxparler.—Hum;sujetdélicat?demandaFranenéclatantderire.—Ecoute,Fran…—Oublietoutcela.Jesuistropcurieuse.Tumeconnais…Hannahcommençaitàendouter.
***
Jackn’avaitjamaiscruqu’ilauraitunjouràpasserautantdetempsencompagnied’unedameâgéeetd’unbébé.Ilsavaitqu’Hannahavaitcachéàsagrand-mèresesdoutesàproposd’unmembredelafondation,etcelaneluifacilitaitpaslatâchelorsqueMimil’assaillaitdequestions.Aubrielle,lepauvrepetitchou,n’avaitbienentenduaucunenotiondecequisetramaitautourd’elle
etJackytrouvaituncertainapaisement.Ellesecontentaitdevivrel’instantprésentetiladmiraitson
innocence.Enproposantdedevenirlegardeducorpsd’Aubrielle,ilnesedoutaitpasquecelaallaitfreinerses
facultésd’investigation.Mêmesesfameuxexercicesdeconcentrationneparvenaientplusàcombattrel’anxiété due à son inactivité.Mimi avait certainement deviné son impatience car elle lui proposad’allersepromeneravecAubrielle.Pasquestiond’êtrevuauxcommandesdelapoussetterosequ’elleluiprésenta.Mimiluioffritalorsunealternative:ungenredegiletpermettantdeporterl’enfantcontresoinomméporte-bébé.C’étaitbeaucoupmieux.JackinstallaAubriellecontresontorseetenfilasonblouson d’aviateur. Il convainquit Mimi de se rendre chez les voisins durant son absence, luipromettantderevenirlachercheraprèssabalade.Il se rendit à pied chez le garagiste qui lui apprit que la voiture d’Hannah serait prête le
surlendemain.Ilnégocial’échangedesaHarleycontreunpick-upqu’ilfitpromettreaugaragistedeluilivrerenfind’après-midi.Puisilmarquaunecourtepausedéjeunerdansunrestaurantgrecoùilavalaunsandwichaupaindesésamegarnideféta.Aubrielleleregardamangerdesesgrandsyeuxbleus.—Aubrielleestunbienvilainprénompourunesi joliepetitepuce, luidit-ildoucement. Jevais
t’appelerAbby,maismieuxvautnepasledireàtamaman.Il passa ensuite récupérerMimi et tous trois revinrent à lamaison juste à temps pour ouvrir au
vitrierquiétaitarrivéavecsonmatériel.Lavieilledame luidemandaalorsdedescendreà lacaverécupérer son chaudron à confitures. Jack s’exécuta, sachant qu’elle ne risquait pas grand-chose enprésencedutechnicien.Lescartonsempilésdans lacavecontenaientsuffisammentdedécorationsdeNoëlpour illuminer
toutlequartier,maispastraceduchaudron.IlmontaalorsaugrenieretfouillaitunpeupartoutlorsqueHannahapparutenhautdel’échelle.Un
rayondesoleill’éclairaitàcontre-jouretnimbaitsachevelurederefletscuivrés;onauraitditunangetombéduciel.Jackjuraensonforintérieur,conscientqu’illuifallaitàtoutprixfuircettemaisonetcesfemmes.—Tuastrouvélechaudron?demanda-t-elle.—Non.Jemedemandesitagrand-mèren’apasrêvé.—Pourtantjemesouviensl’avoirvulorsquej’aiemménagé.—Etàproposdelafondation?As-tudunouveau?Ellefronçalessourcilsetniad’unsignedetête.—Hannah,qu’est-cequetumecachesencore?—Riendutout.—Bon sang ! râla-t-il en s’approchant d’elle. Jeme suis retrouvé coincé ici toute la journée à
rongermonfrein.Dis-moicequis’estpassé.Elleréfléchituneseconde,puisluirépondit:—Riend’important.Maisnousavonsunnouveausouci.—Ohoui,biensûr,ironisa-t-il.Lagrandeénigmeduchaudronmagique.— Je parle d’un type nommé Hank Nebbins qui prétend que tu as échangé ta Harley contre un
horriblepick-upverdâtre;nemedispasquetuasfaitcela?—JenepeuxpasmedéplaceràmotoavecAubrielle,expliqua-t-il.
—Oùpenses-tuemmenerAubrielle?demanda-t-elleenfronçantlessourcils.Visiblement,cetteidéeneluiplaisaitguère.—Jen’ensaisencorerien,maisc’estjusteaucasoù.—IlesthorsdequestionquetuteséparesdetaHarleyàcausedemonbébé…—Hannah?Cen’estqu’unemoto.—Tavisiondeschosesabeaucoupévoluéenunejournée,Jack,répondit-elle.Elledescenditl’échelledevantluietJackenprofitapourplongerleregarddanssondécolleté.Illa
suivittoutensongeantàsesdernierspropos.Evoluer.Oui,c’étaitletermejuste.Ilseremémoraleurbaiserdelaveille,danslepetitport,ets’envoulutd’avoirrompulecharme.Pourquoicetteréservevis-à-visd’elle?Seprenait-ilpourunpreuxchevalier?Sil’occasionsereprésentait,elleallaitvoirdequellefaçonsessentimentsavaientévolué.Il estvraique la situationétait frustrante. Iln’avait rien faitde sa journée,àpart chouchouterun
bébéetcompterlesheures.Iln’enpouvaitplus.Unchangementdevaitsurvenir.Leplustôtpossible.
***
Certains jours, Aubrielle n’était pas de bonne humeur et le faisait savoir. En ce moment, parexemple,ellehurlait.Tandisquesagrand-mèretentaitdelacalmer,Hannahsesouvintquesapetitebalançoireavaitétérangéequelquessemainesplustôtdansleplacarddelachambred’amis.Uneidéeenamenantuneautre,ellerepensaauchaudrondeMimiquidevaitaussis’ytrouver.Ellemenaitdes recherchesdans leplacard lorsqueJack la rejoignitdans lapièce.Sa transaction
avecHankNebbinsdevaitêtreconclue.—Quefais-tu?luidemanda-t-il.—Jecherchelechaudrondegrand-mère.Jepensel’avoirvudansceplacardquandj’aiemménagé.Ilvints’asseoirsurlefuton.Puisilserelevaaussitôtetfitlescentpasdanslapièce.Ilcommençait
à s’énerver.Elle sortit unepetiteboîte ferméeparunebandede scotch afind’accéder àune caissenichéederrière.—Qu’est-cequec’est?laquestionnaJackensesaisissantdelapetiteboîte.—Jenesaispas.—C’estadresséàDonnaGonzales.Neserait-cepaslamèredeDavid?Illuimontral’étiquetteetHannahreconnutsapropreécriture.Ellel’avaittoutsimplementrapportée
chezsagrand-mèreaulieudelaposter.—Oui,ellen’apaslemêmenomdefamillequeDavid.Jepensaisl’avoirexpédiée.Pasétonnant
qu’ellenem’aitjamaisrépondu.Jeferaicelademain.— Il y a peut-être quelque chose d’important à l’intérieur ? On pourrait tout de même vérifier,
proposa-t-il.—Bonneidée.Entre sa grossesse, le cambriolage et l’enterrement de son grand-père, les événements s’étaient
succédédansunlapsdetempssicourtqu’ellen’avaitplusaucunsouvenirdecequ’elleavaitbienpurangerdanscetteboîte.Mimiapparutsurlepasdelaporte.—Aubriellefaitunepetitesieste.Oh,voilàmonchaudronàconfitures!—Oui,réponditHannahenleluitendant.Mimis’engageadanslapièce,puisreportasonattentionsurJack.—Jack,commentsefait-ilqu’Aubrielleaitdesgrainsdesésamedanslescheveux?—Desgrainsdesésame?répétaHannah.Jackpritunairpenaud.—J’aimangéunsandwichenvillependantnotrepromenade.Désolé.—Oh,cen’estpassigrave,ditMimiensouriant.—Tuesallétepromeneravecmonbébé?questionnaHannah.Quand?—Cematin.—Pourquelleraison?—Jetournaisenronddanslamaison.J’aipenséquecelaluiferaitdubiendesortirunpeu,avoua
Jack.Mimisemitàrire.Hannah,elle,frissonna.Ellen’appréciaitpasdutoutlefaitqueJacksesentede
plusenplusà l’aiseavecAubrielle.Enfait,cesdeux-làapprenaientàseconnaîtreet leurs liensseresserraientinévitablement.—Ceboutdechouvousaurarendugagaavantquevousnevousensoyezaperçu,commentaMimi
enluitapotantl’épaule.Pourriez-vousm’apporterlechaudronencuisine?—Biensûr.Jerevienstoutdesuite,dit-ilàHannah.Elle avait demoins enmoins le contrôlede la situation, songeaHannah. Jack avait renoncé à sa
Harley, s’était promenéavec sonbébé tout l’après-midi, avait déjeunéavecelledans lesbras, et àprésent,sagrand-mèrel’enrôlaitdansdestâchesménagères…Elledevaittrouverlemoyendeleficherdehors.Jackfutaussitôtderetouravecsoncouteaudepoche.Ildécoupaminutieusementlescotchscellantla
boîte.— Oh, je me souviens à présent ! s’exclama soudain Hannah. Son passeport est là, dans une
enveloppecontenantaussideslettresécritesparsamère.JacksortitunlotdecassettesetHannahsouritenlesapercevant.—Davidécoutaitdifférentsstylesdemusiqueenfonctiondesesoccupations.Durockmétalsursa
moto,duclassiqueauxcommandesdesonavion…—Pourquoilesas-tuconservées?—Ilmelesadonnéescarj’étaissaseuleconnaissancepossédantencoreunlecteurdecassettes.La boîte contenait aussi des cassettes VHS, dont une du premier atterrissage de David en solo
lorsqu’ilavaitpassésonbrevetdepilote,etuneautredumariagedel’undesescousins.C’est,entoutcas,cequeprétendaientlesétiquettes.
Une enveloppe de grand format se trouvait enfouie sous des papiers. Hannah en sortit un lot dephotographies,deuxlettresainsiquelefameuxpasseportqu’elletenditàJack.Ilsemitàenparcourirlespagesàlarecherched’indices.—Alors?s’enquit-elle.—Ilyaletampondesdouanesd’Equateur,annonça-t-il.—Aquelledate?—Ilyaunpeuplusd’unan,le28avril.—ExactementàlapériodeoùilaprétenduserendreenArizona,ajoutaHannah.—L’EquateuresttoutprochedelaTierraMontañosa.—Jelesaisbien.Ainsi,ilm’amenti.Etilauraitpufranchirlafrontièrefacilement.—Ouavoirrendez-vousenEquateuravecundesmembresduGTM.Maisilluifallaituncomplice
auseindelaFondationStarrpourtoutorganiser.Ellevoulutprotestermaisseravisa.Jackavaitraisonsurtoutelaligne.Davidavaitcertainementeu
recoursàuncomplicetravaillantàlafondation.Elleétaitconvaincuequesonex-petitamiavaittrahilessiensetquesesmainsétaientcouvertesde
sang.PartagercetterévélationavecJackl’aidaitàensupporterlepoids.
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—Ilfautqu’onsachesiunautremembredelaStarrs’estrenduenEquateuràlamêmepériode.Jacks’étaitlevéetarpentaitdenouveaulapetitechambre,l’airvisiblementpréoccupé.—Comment ?D’aprèsmes souvenirs,David a été le seul à s’y rendre.Et tupensesbienque si
compliceilya,ilnevapaslecriersurlestoits.—Ilyacettefemmedonttum’asparléhier,tusais,cellequisaittoutàproposdetoutlemonde.—FranBaker?—Oui.Tupourraisluidemander?—Pasquestion,répondit-elle.—Pourquoipas?—Parcequej’aidéjàabordéavecelleaujourd’huiunsujet…plutôtdélicat.Jeneveuxpasqu’elle
s’immiscedavantagedansmavieprivée.—Tavieprivée?Hannah,ilestquestiondenombreusesautresvies!—Touscesgenssontmorts,Jack.Davidestmort.Ilseratoujourstempsdedécouvrirlescoupables
et les mener devant un tribunal, mais mes propres problèmes passent avant tout. Aubrielle est mapremièrepréoccupation.—Etquefais-tudespréparatifsauxquelsselivrentactuellementlesrebelles?—C’esttoiquiimaginesquedesinnocentssontendanger.LeregarddeJacksefitdesplusinquisiteur.—Dequoias-tuparléaveccettefemme?Hannahbaissaleregard.Pourquoileschosesétaient-ellessicompliquées?—Hannah?S’ilteplaît.—Ellem’aditqu’unerumeurcirculaitàproposdemaliaisonavecDavid.Puisellem’acarrément
demandés’ilétaitlepèred’Aubrielle.J’ainié,bienentendu.—Penses-tuavoirfaitlebonchoixenluimentant?—Jenesuisplussûrederien…En songeant à toute cette histoire, elle prit conscience que son plus grosmensonge était de faire
croireàJackqueDavidétaitlepèred’Aubrielle.—Ecoute,Hannah, sielleestvraimentmadame je-sais-tout,c’estàelleque tudevraisposer les
bonnesquestions,insistaJack.—Tum’avaisditd’êtreprudente.—Laprudencenedonneaucunrésultat.Jenepeuxtoutsimplementpasresterplanquécheztoi,jour
aprèsjour,enattendantquequelquechosesepasse.—Cen’estpascequejetedemande,répondit-elleavecunepointed’agressivité.C’étaittonidée.—Ehbien,c’étaituneidéestupide.
—C’est bien possible.D’ailleurs, j’en suis sûre à présent. Tu devrais sortir de cettemaison etpartir à la recherche d’informations, d’indices. De plus, comme il ne s’est rien passé depuis deuxjours,peut-êtrefaisons-nousfausseroute?Noscraintesnesontpeut-êtrepasfondées.—Attendsuneseconde;lapierreàtraverslafenêtreaveclalettreanonymenetesuffisentpas?Et
quediredel’enginexplosifposédanstavoiture?Elleleregardadroitdanslesyeux.Lesilencesefitpesanttandisqu’ilss’observaient.Lasonnerie
dutéléphonefixelesfitsursauter.Hannahdécrochaaussitôtpournepasqu’Aubrielleseréveille.—Oui?—C’estmoi,réponditunevoixféminine.HannahtournaledosàJack.—Fran?Quoideneuf?—M.Correaaimeraitquetusignesquelquesdocumentsavantledépôtducourrier,cesoir.C’esten
rapportaveclajournéeportesouvertes.—Ilmedemandedereveniràlafondationmaintenant?—Non.Jeproposedetelesapporter.Jevaisvoirdesamisnonloindecheztoi.JeseraiàAllota
dansquinzeminutesenviron. Je saisquec’estunpeucourtpour teprévenir,maismonportablen’aretrouvéleréseauqu’enhautdelacolline.Jepourraispasserdirectementcheztoi,maisceseraitpluspratiquesil’onseretrouvaitauparkingdelaplage.—D’accord.Pasdeproblème.—Jenemesouvienspasbiendeslieux.Disonslacôtenorddansquinzeminutes?—Parfait.ElleraccrochaetsetournaversJack.—J’aiunrendez-vousàlaplage.—Fran?—Commentl’as-tudeviné?—Tuasprononcésonnom.C’estparfait.Voicil’occasiondeluidemanderquis’estrenduenTierra
Montañosaenavrildernier.Ilnelaissaitjamaistomber,pensaHannah.Ellenonplus,d’ailleurs.—J’aviserai.—Bonsang,Hannah…Jackfitvisiblementunénormeeffortpournepasexploser.—Tuvasdevoir…—Jenedoisriendutout,Jack,trancha-t-elleensedirigeantverslaporte.Puisquelasituationnete
convient pas, pourquoi ne fais-tu pas tes valises pendantmon absence ? Peut-êtremême pourras-turécupérertaHarley?Arrêtelesfraistantqu’ilenestencoretemps,etsoisgentildemetenirhorsdetoutcela.—Alors queDavid t’amenti sur son voyage et a rapporté une telle somme en liquide, tu peux
encoreprétendreque…—Occupe-toi de cet aspect des choses,moi, je veille surma famille, d’accord ?Nouspouvons
éviterdedevenirdesennemis. Il est tempspour toidepartir.Grand-mèreprendra soind’Aubriellependantmonabsence.Dis-toibienquetuesviré.—Pourquoiai-jetoujoursl’impression,avectoi,qu’ilyaanguillesousroche?demanda-t-il,une
lueurdedoutedans le regard.Audébut, j’aipenséque tucherchaisàprotégerquelqu’un,et j’avaispleinementraisonpuisqu’ils’agissaitdeDavid.Ensuite,auvudesdistancesquetumettaisentrenous,j’aipenséquec’étaitunproblèmed’attirancesexuelle,etj’avaisencoreraison,carc’estbienlecas.—Adirevrai…—Maisc’estcertain;ilyaautrechose,conclut-il.—Tutelaissesguiderpartonimagination,ettulesaistrèsbien.—Enes-tuvraiment sûre,chérie?demanda-t-il tendrementens’approchant.Tupensesceque tu
dis?Il l’enlaça doucement et plongea son regard dans le sien.Hannahmourait d’envie de lui dire la
véritéàproposdeleurenfant,etdeluioffrirsaconfiance,aussi.—Cen’estpasletempsdesconfessions,murmura-t-elleavantd’échappergentimentàsonétreinte.Elleluitournaledosetsortitdelapièce,lesentantladéshabillerduregard.Aprèsavoirlaisséun
petitmot dans la cuisine à l’attentiondeMimi, elle attrapa son sac àmain ainsi que les clés de lavoiture et s’enfuit rapidement, refusant de se torturer l’esprit avec les arguments de Jack.Elle étaitnéanmoinsconscientedes risquesqu’elleprenait,dumanquede sagessede soncomportementetdel’attiranceindéniablequ’elleressentaitpourJack.Maiscespointspourraientêtreabordésplustard.Le parking de la plage était plutôt chargé pour une fin d’après-midi en semaine. De nombreux
touristess’yétaientgarés, tantôtdansdesvéhiculesde location, tantôtdans leurscamping-cars.Au-delàdupromontoiremenantàlaplagedesable,unamoncellementderochersressemblaitàunchâteaufort.Hannah, enfant, était souvent venue jouer là, accompagnée de ses grands-parents, alors que samère était soit en train de divorcer, soit en train d’organiser un nouveau mariage. Elle admira lepaysageavecnostalgie.Franavaitdûmalévaluerladistancequilaséparaitd’Allotacarelletardaitàarriver.Hannahsortit
delavoitureetfitunpetittourd’inspection.Laplupartdesvéhiculesétaientvides,exceptéquelquescamionnettesdontonnepouvaitvoirl’intérieur.Soudain,ellesesentitobservée.Ilyavaitdestoilettesàunetrentainedemètressurlagauche.Etpersonnesurlecheminymenant.
Afind’êtrerassurée,elles’enapprochaetvisitalapièceréservéeauxfemmes.Vide.Ellehésita,puisrenonçaàs’introduiredanscelledeshommes.Ellescrutalaplage,couvertedegrosrocherssombres.Uneescouadedecommandosauraitpus’y
dissimulersansqu’ellelesache.Cefutavecsoulagementqu’elleaperçutlavoituredeFrans’engagersurleparking.
***
Sionl’avaitsurprisdanslachambred’Aubrielleenluidemandantcequ’ilfaisaitlà,àcetinstant
précis, Jack n’aurait su quoi répondre. Il se tenait tout près du berceau, sentant sa colère et sesangoissesl’abandonnertandisqu’ilcontemplaitlepetitêtrequidormaitpaisiblement.Avecprécaution,illuicaressatendrementlajoue.—Aurevoir,Abby.Aundecesjours…Aprésent,illuifallaitaffronterMimi.Ellen’allaitcertainementpasapprécierqu’illesabandonne
ainsi.Quelques instants plus tard, il était au volant de sonpick-up, quittantAllota en direction deFort
Bragg,encoreémuparleslarmesdelavieilledame.Maisc’étaitplutôtàsapetite-filledelaconsoler.Iln’avaitpas,delui-même,décidédepartir.Par ailleurs, il espérait qu’Hannah savait ce qu’elle faisait en lui signifiant son congé. Peut-être
était-elle dans le vrai lorsqu’elle prétendait qu’il perdait un temps précieux à rester cloîtré à lamaison.De toute façon, il avait besoin de recouvrer une réelle liberté. Il venait de passer des mois en
captivité, des mois durant lesquels les autres décidaient pour lui. N’était-ce pas agréable d’avoirreprislarouteensolitaire,ainsiquelecontrôledesavie?SiHannahMarksdésiraitsevoilerlafaceetsepréoccuperuniquementdesafamille,dequeldroitpouvait-ilsemettreentraversdesonchemin?Ilavaitd’autreschatsàfouetter.Peut-êtrelaviolence,dontlavietranquilled’Hannahsenimbaitchaquejourunpeuplus,luifaisait-
ellepeuretl’empêchait-elledefairefaceàlaréalité?Peut-êtrel’angoissefaisait-ellepartiedesonquotidienets’enétait-elleaccommodée?«Bon.Jack,réfléchis»,sedit-il.David, un homme que, d’après lui, l’on pouvait acheter facilement, s’était rendu secrètement en
Equateur quelques semaines avant l’embuscade. Il en était revenu une nuit avec une grosse sommed’argentqu’ilavaitremiseàHannah,espérantlarécupérerlelendemainafindeladéposerenlieusûr.Ilavaitétéappeléàlafondationavantdepouvoirreprendrel’argent.Ilavaittrouvélamortdansunaccidentsursontrajet.Juste après cela, l’appartement d’Hannah avait été cambriolé et les incidents s’étaient enchaînés.
Lesmises en garde avaient redoublé de vigueur ces derniers temps et semblaient indiquer que l’oncherchaitàintimiderlajeunefemme.Maisellenecessaitdeclamersoninnocence.Mentait-elle,enfait?Ensavait-elleplusquecequ’ellevoulaitbienluiconfier?Decela,ilétaitabsolumentcertain.Yavait-ilun lienavec les journéesportesouverteset lavenuedugouverneur?Avec l’argentde
David ? Pouvait-on enfin imaginer un éventuel rapport entre cette histoire et les politiciens deCalifornie?Difficileàétablir…Enconclusion,ilfallaitdécouvrirlescirconstancesdel’accidentdeDavid,lenomdesoncomplice
etaussis’offrirunepetitevisiteàlafondation.Ilallaitimaginerunstratagème…«Faismarchertacervelle,Jack,s’exhorta-t-il.Pasdetempsàperdre!»
***
Hannah se doutait bien que l’anniversaire de la fondation approchant, la masse de travail allaits’accentuer,maislorsqu’onlafitmanderd’urgenceaubureaulelendemainmatin,elleauraitbienaimérefuser.Lasituationétaitdesplusconfuse.Mimiétaitenproieàuneviveanxiétéetnedormaitquasiment
plus la nuit. Aubrielle était plus grognon que jamais et Hannah souffrait d’une horrible migraine.Cependant, Harrison Plumber avait été très clair : il exigeait qu’elle s’occupe personnellement del’intégralité des fournisseurs, et comme leurs coordonnées se trouvaient au bureau, elle devaitfatalements’yrendre.Mimi invita ses amies pour une nouvelle partie de poker, et elle promit àHannah de garder ses
invitéesjusqu’àsonretour.Desqu’ellesfurenttouteslà,Hannahembrassasafilleetfitsesdernièresrecommandations à sa grand-mère avant de prendre le volant.Durant le trajet versFortBragg, ellerepensaavectristesseauxturpitudesqu’elleimposaitàsafamilleetàlamanièredontelleavaitchasséJack.Ellel’aimaitbien,aprèstout.Iln’étaitpaslegenred’hommesurlequelunefemmepouvaitcompter
toutesavie,mais ilyavaitquelquechosede fortetd’agréableémanantdesapersonne,au-delàdetoutenotiond’attirancesexuelle.SoncomportementavecAubriellelaperturbaitprofondément,maissadouceuretsabontévis-à-visdubébéluiallaitdroitaucœur.Jackétaitpartietc’étaitmieuxainsi.Mieuxpourlui,pourAubrielleetpourelle-même.Tout en garant sa voiture sur le parking de la fondation, elle remarqua que sa migraine s’était
accentuéeetsongeaavecsoulagementautubed’aspirinequisetrouvaitdansletiroirdesonbureau.Commeellepénétraitdanslehall,ellepercutaHugoCorreaquisortaitprécipitamment.Ilressemblaitbeaucoupàsonpère.Ilsétaienttousdeuxbienbâtis,plutôtimposants,avecdegrands
yeux d’un marron profond dans un visage rond. Alors que les cheveux de Santi étaient devenustotalementblancs,ceuxd’Hugo,pluslongs,viraientaupoivreetsel.Ilétaitpluscoquet,préférantlescostumescintrésauxtraditionnelscompletsdesonpère.Depuissalibération,ilboitaitlégèrement,àcausedelaballequ’ilavaitreçuedanslajambe.Cette
légèreinfirmitéseremarquaitplusoumoins,selonlesjours.Aujourd’hui,c’étaitflagrant.—M.Correa,dit-elleavecunsourirepoli,comment…Sonregardfroidluiôtalesmotsdelaboucheetluivrillal’estomac.Elleportainconsciemmentla
mainàsapoitrine.Détournantleregard,ilpoursuivitsoncheminsansluiadresserlaparole.Elleseretournaetleregardas’éloigner,sujetteàunvaguesentimentdemalaise.Puiselle fit le rapprochementavec la rumeurquicouraitàproposdeDavidetelle ; ildevaiten
avoir eu connaissance. Elle traversa le long couloir et venait juste de dépasser le bureau de Franlorsquecelle-cil’interpella.—Hannah?Qu’est-cequinevapas?—Riendespécial,répondit-elleenrevenantsursespas.UnhommesetenaitassisdedossurleborddubureaudeFran.Ilportaituncostumedelinnoiret
sescheveux,plusnoirsencore,étaientcoupéscourt.—Tuessûre?
—J’aijustelamigraine,avouaHannahendétaillantl’hommededos.—Tunesemblaispasdanstonassiettehiersoir,surleparkingdelaplage,poursuivitFran.Franchement,était-ilnécessairedeparlerdetoutceladevantunétranger?sedemandaHannah.Tout
cequ’ellesouhaitaitàprésent,c’étaitpréparerlesbonsdecommandedesfournisseursetrentreràlamaison,laissantàFranlesoindelesachemineràquidedroit.Ellenesesentaitpasaussiefficacequedecoutume.—Tuveuxquelquechosecontretonmaldetête?proposasacollègue.—Nonmerci.J’aidel’aspirinedansmonbureau.—Avantdetesauver,ajoutaFran,laisse-moiteprésenterJackCarling.Jack,voiciHannahMarks.L’hommeseretournaetluisourit.Elleauraitpusedouter,àl’énoncédesonnomàlaconsonance
familière,qu’il s’agissaitdeJack,maisdecroiser son regard,de le trouver làenchairetenos,encompagniedeFran,luifitunchoc.—Ravidefairevotreconnaissance,lançaJackavecunsourirecharmeur.—J’airencontréJackhiersoir,annonçaFran.Ilm’attendaitdevantchezmoi.Jack se leva et serra la main d’Hannah avant de lui tendre sa carte de visite. « Carling Agent
Immobilier»étaitinscritenlettresnoiressurfondbleu.Apparemment,ilavaittrouvésansproblèmelepetitimprimeurducentrecommercial.Ilsemblaitsidifférentavecsescheveuxcourts!Moinssauvage,plussociable,exceptélalueurde
téméritéquibrillaittoujoursaufonddesonregard.—Jeviensd’arriveràFortBragg,poursuivit-il.Jeroulaistranquillementhiersoirdanslequartier
àlarecherched’unepropriétéàvendreetj’aivulepanneaudevantlavilladeMmeBaker.C’estunetrès belle demeure. Je l’ai attendue afin de lui proposer mes services, au cas où elle souhaiteraitchangerd’agent.Hannah fut sur lepointde luidemander si de tellespratiques étaient conformesà l’éthiquede la
professionlorsqu’ellepritconsciencedelasituation.—Jenesavaispasquetuvendaistamaison,dit-elleàFran.Celle-cihaussalesépaules.—Jerecherchequelquechosedeplussympa.Cecidit,Jacketmoiavonspasséunbonmomentà
papoterduprixdesterrainsdanslarégion.Jevaisl’aideràs’implantercheznous.—Franm’aproposéunevisitedelafondation,déclaraJack.C’estunsacrésiègesocialquevous
avezlà.Franluilançaunpetitclind’œilaguicheur.Jackluiavait-iljouélasérénade«àlaCostadelRio»
hiersoir?Hannahétaitsurlepointdeperdresonsang-froid.—Etes-vouspropriétaire?luidemandaJack.—Euh…Non.Jevischezmagrand-mère.Ilfeignitladéception.—Ah.—Cefutunplaisir,M.Carling,conclutHannah.—Ilenvademêmepourmoi.Sivotregrand-mèredécidaitunjourdevendresamaison,j’espère
quevouspenserezàmoi.Jetantuncoupd’œilpar-dessussonépauleenquittant lebureaudeFran,Hannah levit reprendre
tranquillementsaposition.
***
Troiscachetsd’aspirineetdeuxheuresplustard,Hannahavaitterminésesdossiers,àdéfautd’avoirvaincusamigraine.ElleavaitdélibérémentfermélaportedesonbureaupournepasêtredistraiteparlavuedeJacketFranvisitantleslocaux.L’idéequ’ilspuissentavoircouchéensemblelanuitpasséelarongeaitintérieurement,bienquecelanelaregardâtpas.Leplusimportantétaitlecomportementdésagréabled’HugoCorreaàsonégard.Detouttemps,il
avaittoujoursétépolietagréableavecelle.Cetincidentétaitinquiétantetellesedemandaitcommentleréparer.Si seulement elle pouvait effacer cette liaison avecDavid, elle le ferait instantanément.Peut-être
aurait-elledûavouerspontanémentleurrelationaprèssondécès?Maisilluiavaitsembléqu’ilétaitunpeutard,etsurtoutqueleurhistoiren’étaitpassuffisammentsérieusepourqu’elleenfassecasaugrandjour.Ellenefaisaitquesejustifierlamentablement.Ellen’avaitpasjouélabonnecarteàtempsetilétait
presque inévitable qu’après les journées portes ouvertes, elle pourrait aller se chercher un emploiailleurs.Lorsqu’oncommetdeserreurs,ilfautenassumerlesconséquences,songea-t-elle.Elle semit enquêted’HarrisonPlumber afinde l’informerque tout était enordre et apprit qu’il
avaitterminésajournée.Aussiluienvoya-t-elleunemaildétaillantsonintervention.Franavaitquittésonbureau,certainementencompagniedeJack.Dehors, le soleil brillait tandis qu’un léger brouillard s’annonçait au loin.Manque de chance, il
allaitfairefrisquetetmocheàAllota.SapromenadeavecAubrielletombaitàl’eau.Elle venait de quitter le bâtiment quand Jack sortit de son pick-up et vint à sa rencontre.
Manifestement,c’étaitellequ’ilattendait.—Jevoulaisvousentreteniràproposdelapropriétédevotregrand-mère,dit-ilàvoixexagérément
haute,alorsquepersonnen’étaitdanslesparages.—Ellen’estpasàvendre,M.Carling,répondit-ellesurlemêmeton.—Toutestàvendre,MmeMarks.—YcomprisFranBaker?rétorqua-t-elleenbaissantlavoix.—J’aiprécisémentdeschosesàt’apprendreàproposdetonamieFranetjenesuispascertainque
tuveuilleslesentendre,dit-ildansunegrimace.—Laisse-moideviner:elletravaillesecrètementpourlecompteduGTM?—Trèsdrôle.—Jepensaisquetucraignaisqu’HarrisonouHugonetereconnaisse?—C’estexact.Maisjemesuisditqu’ilétaittempsdecourirlerisque.J’enavaisassezdefairedu
sur-place.Ilfautquetusachesunechoseimportante:Franaenfreintlerèglementdelacompagniesur
lemêmesujetquetoi,etquiplusest,àlamêmepériode.—Elleaussientretenaitunerelationavecquelqu’undelafondation?Ilhochalatête.Hannahpréférachangerdesujet.—Pourquoin’as-tupasrécupérétaHarley?—J’aimebienlepick-up.—Biensûr…—J’aichangé,tuasoublié?TuneveuxpassavoiravecquiFransortait?— Non. Je suis lasse de ces ragots. Et puis, je ne peux concevoir qu’elle t’ait fait une telle
confidence.Amoinsquecenesoitsurl’oreiller?—Bonsang!jura-t-ilenluiprenantlespoignets.Tun’aspasautrechoseentête,Hannah?—D’accord,dit-elleenfermantlesyeux.Jesuisdésolée.—Ilnes’agitpasd’unehistoiredefesses.Franmel’aditenface,expliqua-t-ilenmettantsesmains
danssespoches.Lesfemmesbavardentfacilement.Jesaisquecelavatefairedumal,maisjepréfèrequetul’apprennesdemoi.Ilprituneprofondeinspiration.—EllesortaitavecDavid.—MonDavid?—TonDavid.Iltetrompait.Elle semassa les tempes en tentant de rassembler ses esprits. Elle aurait dû être furieuse contre
David, etpeut-êtreaussi contreFran.Maisà lavérité, ellene ressentaitpasgrand-chose.SiDavidavaitsurvécu,Franl’auraitpeut-êtreeupourelleseule.Etait-ce la raisonpour laquelleFrancherchait àdécouvrirqui était lepèred’Aubrielle ?Si elle
aimaitsincèrementDavid,savoirqu’uneautrefemmeavaitportésonenfantluiauraitcausébeaucoupdepeine.—Etcen’estpastout,poursuivitJack.La listedes révélationsn’étaitpas finie?Bien, sedit-elleen reprenant sonchemin.Elledésirait
plusquejamaisrentrerchezelle.Jackcontournasonpick-upetluiemboîtalepas.— Fran m’a appris qu’un groupe de la fondation s’est rendu en Equateur quelque temps avant
l’embuscade. Le but de la mission était de rechercher des financements. Il y avait Santi, Hugo,HarrisonPlumberetuntypenomméJenkins.—AlamêmepériodequeDavid?Frana-t-elleparlédecela?—Non.QuiestJenkins?—C’estnotreexpert-comptable.Commentai-jepuoublierqu’ilsavaientfaitcevoyage?J’avais
tellementdesoucisàl’époque.Lamaladiedemongrand-père,lequatrièmemariagedemamère,marelationavecDavidquibattaitdel’aile…—JesuisallérendrevisiteautypequiatuéDavid,l’interrompit-il.—Lechauffeurducamion?—MitchReynolds. Il vit avec sa famille dans un véritable taudis, de l’autre côté du pont, juste
derrièreunecarrièreabandonnée.Samaisonsemblemenacerdes’écrouleràtoutmoment.
—Etalors?—Alors,devantlamaison,ilyaunmagnifique4x4rougeflambantneuf,etavantquetudisesqu’il
s’agissaitpeut-êtredeceluid’unvisiteur, je te signaleque j’aivérifié auprèsdu servicedescartesgrises.—Ilacertainementobtenuunprêt.—Non,ilarégléenunefois,etenespèces.Lesvendeursdelaconcessionenparlentencore.Ilya
aussi une berline neuve garée à côté du 4x4. Et, tiens-toi bien, l’un des vendeurs m’a appris queReynoldstravaillaitdetempsàautrepourlaStarr.—Nousemployonsbeaucoupdeprestatairesoccasionnels,rétorquaHannah.—C’estcertain.Maiscelalerelieànotrehistoire.Cethommeétaitdiablementplusefficaceenenquêtantsurleterrainqu’ensurveillantunbébé,sedit
Hannah.—Qu’est-cequecelaaàvoiraveclamortdeDavid?—Reynoldsachangédevéhicule tout justedeuxsemainesaprès l’accident.Levendeura tiquéà
l’époque,carilavaitlulerécitdanslesjournauxetvusaphoto.—Qu’essaies-tudemedire,aujuste?—ToutporteàcroirequeReynoldsaétésoudoyépourtuerDavid.Ilfautquejetrouveunprétexte
pour l’approcher, pour savoir s’il avait emprunté son itinéraire habituel ce jour-là. Nous savons àprésentqu’iltravaillaitparintermittenceàlaStarr.—Jenesaispasquoirépondre,Jack.—LecoupdefilàDavidcematin-làauraittrèsbienpuêtreunpiège.SiDavidaréellementmonté
l’embuscadeavecuncompliceets’ilagardétoutl’argentpourluiseul,alorscecompliceavaittoutintérêtàlesupprimer.Toutsetient.—Toutsaufl’avertissementqu’onm’aenvoyé,ajouta-t-elle.Etl’injonctiondememêlerdecequi
meregarde…—C’estexact.—Lesgensontparfoisdesrentréesd’argent inattendues.Reynoldss’estpeut-êtreoffertsonjouet
grâceàunhéritage.EllesetutenapercevantlavoituredeMimi.Elleétincelaitsouslesrayonsdusoleil,lecapotavant
commeparsemédemillepierresprécieuses.—Lepare-brise!hurla-t-elletandisquelasonneriedesonportableretentissait.Jacks’élançapouranalyserlesdégâts.—Hannah,c’estmoi.Grand-mère.—Grand-mère,tunevaspascroirecequivientd’arriver.Unlongsilencesefitsurlaligne.Hannahsentitsonestomacsenouer.—Grand-mère?Qu’ya-t-il?—Rentrevite.Aubrielleadisparu.
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—Qu’est-cequis’estpassé?demandaJacktandisqu’Hannahprenaitplaceàsoncôtédanslepick-up.Ilavaitdémarréetgrimpaitdéjàlacollineavantqu’Hannaheûtclaquésaportière.Ellesetenaitraide,regardantauloindevantelle,lesbrascroisés.Ilpouvaitsentirtoutsoncorps
frissonner.Ilsétaientàunevingtainedeminutesderouted’AllotaetJackroulaitàtombeauouvert.—Hannah?Raconte-moicequeMimit’adit.Elletournaversluiunvisageconsterné.—Jen’aipasbiencompris.Elleaparléd’unfeu.—Qu’a-t-elleditquandtuasluidemandéd’appelerlapolice?—Ellem’arappeléquelalettreanonymedisaitdenepasprévenirlapolice.—Maisillefaut!argumenta-t-il.Hannahfitnondelatête.—Elleneveutpas.Elleaditquejecomprendraisetqu’ilfallaitquejefasseauplusvite.—Appelle-lestoi-même.—Pasquestion.—Mais…—Grand-mèreesttrèsinquièteàcausedelamiseengardeetpensequelavied’Aubrielleesten
danger.Rouleplusvite.Ilétaitdifficiled’augmenterlavitesseàlaquelleilsroulaientdéjà,maisJackécrasal’accélérateur,
espérant croiser une voiture de patrouille qui le prendrait en chasse.Ainsi, il pourrait expliquer lasituationauxpoliciersetréclamerdel’aide.Ils’envoulaitdes’êtrelaissémanipulerparHannahetd’avoirabandonnéunenfantendanger.Iljetaunregardverssapassagère.Ildevinaqu’elles’envoulaitd’avoirconfiésafilleàunegrand-
mèreetsescopinesdejeu.Mimidevaitêtreenproieàuneindicibleculpabilitédes’êtrefaitravirlebébésoussesyeux.Mais lamoralede l’histoire se résumait ainsi : si unebandedemalfaiteurs avait décidéde s’en
prendre à cette famille sans défense, il était impossible de les arrêter. N’était-ce pas la mêmeconclusionquis’imposaitaprèsl’embuscadedelaTierraMontañosa?—Il fait froidet ilya tellementdebrouillard,murmuraHannah tandisqu’ilsdévalaient lapente
menantaucentre-villed’Allota.—Noussommespresquearrivés,annonçaJackd’unevoixrassurante.Ilsn’échangèrentpasd’autresparolesjusqu’àdestination.Uncamiondepompiersétaitgaréprèsde
la maison et son équipage s’activait en tous sens, déroulant les tuyaux et aboyant des ordresincompréhensibles. Jack se demanda alors comment relier cette scène surréaliste à leur histoire.Hannahluimontralacarcassefumantedelavieillevoitureabandonnéedel’autrecôtédelarouteet
Jackreconnutlacachettequiluiavaitpermisd’observerl’interventiondelapolice.Levéhiculen’étaitplusqu’unamasdetôlescalcinéesetfumantes.Mimi s’élançait hors de lamaison avec deux de ses amies tandis que Jack stoppait son pick-up
devantlegarage.Hannahavaitdéjàsautéhorsduvéhiculeetcouraitverssagrand-mère.LorsqueJackpénétra à son tour dans lamaison, il rencontra les deux amies deMimi qui lui lancèrent un regarddépité.Poursuivant son chemin, le cœur battant la chamade, il fit halte devant la chambre d’Aubrielle.
Hannah etMimi s’y tenaient, la petite-fille tâchant de réconforter sa grand-mère tout en scrutant lapièceàlarecherchedesonbébédisparu.Ilressentitunevivetristessedevantcettescènetragique.Privéed’Aubrielle, lapièce semblait abandonnée, sansvie,malgré laprésencedes trois adultes.
Hannah, lesyeuxdébordantde larmes,croisa le regarddeJack.Elle tenaità lamainune feuilledepapieretJackvintseplacerdanssondosafindelirepar-dessussonépaule.Untexte,dansunepolicedecaractèresstandard,s’inscrivaitdanslamoitiésupérieuredelapage.«Ceciestnotredernieravertissement.Laprochainetentativedechantageentraîneradessanctions
immédiatesetirrévocablesàl’encontredevotrebébé.Neprévenezpaslapolice.Utilisezvotretête(cequiestbonpourvousl’estaussipourmoi)etvoussaurezoùellesetrouve.Lemoindrefauxpasetvousnereverrezjamaisplusvotreenfant.»—Qu’est-cequeçasignifie?s’écriaHannahenpleurant.Chantage?Jenefaischanterpersonne!—Onétudieracelaplustard,réponditJackenregardantleberceauvidepuislafenêtredétruite.—Jen’auraispasdûtecongédier,avouaHannahenrencontrantsonregardabattu.—Jen’auraisjamaisdûpartir,répondit-il.Il prit une grande inspiration et conduisit Mimi vers le rocking-chair dans lequel elle se laissa
tomberlourdement.—Allez,Mimi,racontez-nouscommentcelas’estpassé.Lapauvrefemmesemblaitperdueetavaitdumalàcontenirletremblementdesesmains.—J’étaisaveclesfillesdanslesalon,commença-t-elle.Aubrielleavaitbulelaitqu’Hannahavait
tiré et s’était endormie. Je l’ai alors placée dans son berceau. Tout à coup, Barb a remarqué uneagitationàl’extérieuretonavuquelavieilleépavedel’autrecôtédelarouteétaitenfeu.—Vousn’avezvupersonnetraînerdanslesparages?—Personne.Barb a appelé les pompiers qui sont arrivés dans lesminutes qui ont suivi.On est
restéeslààlesregarderluttercontrelefeu,puisj’aieuuneintuition;j’aivouluvérifierqu’Aubrielleseportaitbienetelleétait…Elleavaitdisparu.A ce stade de sa narration, les larmes refirent leur apparition dans ses grands yeux verts. Elle
s’essuyad’unreversdelamain.—Jen’auraispasdûmelaisserdistraire.J’auraisdûlagarderdansmesbras.—Cen’estpastafaute,luiditHannah.—Hannah,réfléchisunpeu,demandaJack.Penseàlaphraseduravisseuraffirmantquetusaisoù
se trouve Aubrielle, que ce qui est bon pour toi l’est aussi pour lui. Cela ne te donne aucuneinformation?—Non,rétorqua-t-elle.Jenefaischanterpersonne.Quelsenstoutcecipeut-ilbienavoir?
—Mets-toiàsaplace.Ilvafalloirsecreuserl’espritetsionneparvientpasàunrésultatauplusvite, on devra prévenir la police. Revoyons ensemble les différents acteurs concernés par cettehistoire.—Oùveux-tuenvenir?s’exclama-t-elle,àboutdenerfs.—Réfléchis,chérie,dit-ildoucementmaisavecfermeté.PenseàFran,parexemple.—Franétaitavectoicematin.—AquelleheureAubriellea-t-elledisparu?demanda-t-ilàMimi.—Oh,ilyaàpeuprèsuneheure,réponditunedesamiesquisetenaientsurlepasdelaporte.—Franaquittélafondationilyabienplusd’uneheure,avançaJack.Elleaditavoirunrendez-
vous.—Sivousn’avezplusbesoindeMimipourl’instant,jevaislaconduiredanslacuisineetluiservir
unthébienchaud,proposal’amiedeMimiens’exécutant.Hannahserrasagrand-mèredanssesbrasavantqu’ellenequittelapièce.— Je me suis conduite de façon totalement égoïste en la mêlant à tous mes problèmes, avoua
Hannah.Ilfautqu’onretrouveAubriellesaineetsauvesinongrand-mèreneselepardonnerajamais.Il approuva d’un signe de tête. Il savait que ni lui ni Hannah ne se pardonneraient jamais la
disparitiondecepetitêtreinnocent.—PourquoiFranserait-elle impliquéedans toutceci?demandaHannah.Pourquoipenserait-elle
quejeveuxlafairechanter?—Laissonscesinterrogationspourplustard.Examinonslesfaits.EtHugoCorrea?Franaditqu’il
étaitabsentaujourd’hui,avançaJack.—Ilpartaitquandjesuisarrivée.—EtHarrisonPlumber?—Lorsquej’aiquittélebureau,ilétaitdéjàparti.Jenesaispasàquelleheureilaterminé.—Quid’autre?—Jenevoispas…Celam’estimpossibled’imaginerquel’unedecespersonnessoit…—Continuederéfléchir,l’interrompit-il,enrepensantauxmomentsqu’ilavaitpartagésavecAbby,
la veille, lorsqu’il l’avait emmenée en ville.Concentre-toi sur chacune de ces personnes et sur lesproposquetuastenusenleurprésence.Unfait,uneidée.Surtout,évitedechercherunquelconquelienaveclesévénements.—Commequoi,parexemple?Illevalesmainsauciel.—Jenesaispas,moi!Unrestaurant,unfilmquetuauraissuggéréàquelqu’un.Unmagasin…Elleseconcentraquelquesinstants,lesyeuxrivésausol,fouillantsamémoireàlarecherched’un
indice.—J’aiproposéàHarrisonPlumberderécupérersesaffairesaupressing,ilyaquelquesjoursde
cela.Ilétaittrèsenretardpoursonvoletc’étaitsurmaroute.Deschosescommecela?—Oui.Quoid’autre?AproposdeFranettoi,parexemple.—C’estellequiaproposédenousretrouversurleparkingdelaplagehier,pourmefairevérifier
desdocumentsqu’Hugodevaitsignerauplustôt.Apartcela,etendehorsdutravail,jenevoispas.Attends!Jemesuisoccupéedesfleurslorsd’uneréceptionilyaplusieurssemaines.J’aisollicitéuneancienneamiefleuristeetFranm’afaitsescompliments.—D’accord.Nous avons un pressing, un fleuriste et le parking de la plage,mais rien surHugo
Correa.—Jen’aiplusd’idées,avoua-t-elleendétournantleregard.Illaconnaissaitàprésentsuffisammentpoursavoirqu’elleluicachaitquelquechose.—Dis-moiàquoitupenses.Vite.—Cen’estpeut-êtrerien.C’estjustequ’Hugos’estcomportédefaçonbizarrecematin.Jepense
qu’ilsaitàproposdeDavidetmoietqu’iln’estpascontent.Maiscelan’arienàvoir.Ondoitagir.Nousperdonsnotretemps.—Peut-êtreétait-ilfurieuxàproposd’autrechose,avançaJack.Cependant, il partageait l’avis d’Hannah ; il leur fallait agir au plus vite. Mais s’élancer dans
l’inconnusansunpland’actionn’étaitpasunebonneidée.—QuandjepenseàAubrielle,seule,peut-êtredehorsaveccebrouillard…—Biensûr!s’exclamaJack.Nousallonscommencerparl’endroitleplusexposé,leparkingdela
plage.Sielleestàl’intérieur,toutirabien,maissielleestdehors…Jack n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’Hannah traversait le couloir en courant, ses talons
résonnantbruyammentsurleparquet.IlrejoignitMimidanslacuisineafindesollicitersonaide.—Mimi,jevaisavoirbesoind’unecouvertureetdejumelles.Lorsqu’elleluiremitlesobjetsdemandés,ilpoursuivit:— Il y aune faible chanceque lapersonnequi akidnappéAubrielleveuillenous éloignerde la
maisonafindelaramenerentoutetranquillité.Sicelaseproduit,netentezrien.RécupérezAbbyetprévenez-nouspartéléphone,d’accord?Mimiacquiesçad’unpetitsignedetête,lesyeuxrougisdelarmes.IlrejointrapidementHannahquil’attendaitdanslepick-upetrangealacouvertureetlesjumelles
derrièresonsiège,ainsiquelacarabinedugrand-pèrequ’ilavaitprisedanslerâtelierdusalon.Leregard qu’Hannah lui adressa lui brisa le cœur, mais se maîtrisant, il tâcha de se concentrer surAubrielle.Bientôt,ilferaitpayerlecoupable.Cher.Trèscher.
***
Hannah aperçut la boutiqueLindyFleurs alors qu’ils tournaient dansMainStreet.Les trois lieuxqu’ilsavaientàvisitercomposaientunitinérairelogiquequidevaitlesmeneràl’extérieurd’Allota.Lefleuristeétaitenville,laplageverslesudetenfinlepressingdanslenorddeFortBragg.Ilétaitdoncdansleurintérêtdeprocéderdansl’ordreafindenepasperdredetemps.EtsiAubriellen’étaitnullepart?Quefairealors?Prendrelerisquedeprévenirlapolice?—Jerevienstoutdesuite,annonçaHannahquandJacks’arrêtaàunfeurouge.
Elledescenditdupick-upavecagilité,laissantJackàsesprotestations.Lafemmequi tenait laboutiqueLindyFleursétaitalléeà l’écoleavecsamère.Sadernièrefille,
Jill, était amie avecHannah. Dès que Lindy la vit pénétrer dans sa boutique, elle afficha un largesourire.— Hannah, je viens juste de recevoir une carte postale de ta mère. Imagine-la voguant sur la
Méditerranéeensoleilléetandisquenous,noussommesdansunbrouillard…—L’as-tuvue?l’interrompitHannah.—Tamaman?Pasdepuissonmariage…—Non,pasmamère.Mafille,Aubrielle.Personnen’estvenutelaconfier?—Biensûrquenon,réponditLindy,interloquée.Pourquoivoudrais-tu…Ce furent les derniers mots qu’Hannah perçut tandis qu’elle s’élançait hors du magasin. Elle
retrouvaJackquis’étaitgarédel’autrecôtédelarueetl’attendaitpatiemment.—Alors?demanda-t-ilenregagnantaussitôtleflotdelacirculation.—Riend’intéressant.Allonsàlaplage.Lesquelquesminutesqueleurpritletrajetjusqu’àlaplageleurparurentuneéternité.Jackralentit
enpénétrantdansl’enceinteduparking.Hannahsentaitsoncœurtambourinerdanssapoitrine.A proximité de l’océan, le brouillard était encore plus dense, en dépit du vent qui soufflait par
bourrasques.—Va vers l’extrémité nord, lui intima-t-elle afin de se rapprocher de là où elle s’était garée la
veille.Maisaujourd’hui, lepaysageétait totalementmétamorphosé.Labenneàorduressemblaituncube
d’unvert glauqueà sagaucheet les toilettes, à sadroite, unblocdebétond’ungrismenaçant.Lesvéhiculesstationnéseux-mêmesfaisaientpenseràdescorbillards,etlesrocherssombresauxpincesd’unénormemonstremarinpréhistorique.Sanss’êtreconcertés,ilssedirigèrentd’unmêmeélanverslabenneàordures,préférantinspecter
l’endroit le plus improbable enpremier lieu.Hannah sentit son estomac se révulser en reniflant leseffluvesmalodorantsqueleventtransportait.L’idéequ’onpuisseydéposerunbébédetroismoislarendaitfolledeterreur.D’unautrepointdevue,Aubrielleyseraitàl’abriduventglacialethumide.JackseplaçadevantHannahetlevalecouvercleavecprécaution.Sonintentionétaitdelaprotéger,
songea-t-elle,maissisonbébésetrouvaitbienàl’intérieur,iln’auraitrienpuchangeràlasituation.Aucuneparole,aucunepenséenepouvaitlaréconforter.Aubrielleétaitsachair,sonsang.LachairetlesangdeJackaussi…Cetteidéeluitraversal’espritenunéclairetellelachassaaussitôt.EllecontournaJackafindese
rendrecompteparelle-même.Apartquelquesrésidusdesandwichsetdescanettesdesoda,pasdetraced’Aubrielle.Ilsreprirentleurrespirationavecunénormesoulagement.—Lestoilettes.Ils empruntèrent le chemin longeant la côte et gagnèrent rapidement la petite construction. Jack
s’engouffra dans le quartier des hommes tandis qu’Hannah inspecta celui réservé aux femmes.Méthodiquement,ellevisitachaquecompartiment,deplusenplusinquiète.Eneffet,siAubriellenesetrouvaitnidanslabenneàorduresnidanscestoilettes,oùlachercherdanscetenvironnementhostile?
Ducoup,elledevaitêtrequelquepartàl’extérieur,exposéeaugrandair,livréeauxcapricesduvent,etcettepenséeétaitinsupportable.Lepressing!Elleavaitcomplètementoubliélepressing.—Hannah?criaJackdepuisl’extérieurdubâtiment.Elle prit alors consciencequ’elle s’était figée, dans cette horrible pièce vide, les yeuxpleins de
larmes.EntendantlavoixdeJack,ellesursautaetseprécipitaau-dehors.Peut-êtreavait-ilenfintrouvésonbébé?Ill’accueillitd’unsignedetêtenégatif,uneexpressiond’impuissancesursonvisage.Un crissement de freins annonça l’arrivée d’un nouveau véhicule et les fit se retourner. Son
conducteur, un homme d’une trentaine d’années à la chevelure d’un roux flamboyant, vint garer sonbreakàquelquesmètresd’euxetdemeuraassisauvolantquelquesinstants.Enfin la portière s’ouvrit et l’homme descendit. Il portait un large sweat-shirt blanc sur lequel
s’étalaitunefleurdelysnoiretor.Jacks’interposaentreHannahetl’homme.Ellepouvaitsentirlatensionquiémanaitdetoutsonêtre.—Salejournéepourunebaladesurlaplage,déclaral’hommeenlessaluantd’unpetitsignedela
mainavantdedisparaîtredanslestoilettes.Dès qu’il fut hors de vue, Jack et Hannah se précipitèrent vers son break pour en inspecter le
contenuàtraverslesvitres.Unattaché-case,unparapluiedémantibulé,unvieuxchapeauetunecannedeboisàmoitiédissimuléssousunimperméableusé…maispasdebébé.Ilss’écartèrentjusteàtempstandisquel’homme,d’unedémarchelourde,regagnaitsonvéhiculeen
sifflotant.Bienqu’Hannaheûtlesyeuxrivéssurlui,ill’ignoratotalementetrepritplaceauvolant.Ilfitdemi-tourets’éloignarapidement,letoutsansleuradresserlamoindreattention.Ilsdécidèrentensuitedefouillerlaplage,sedéplaçantchacundesoncôtéàtraverslesrochersaux
formesmenaçantes,àlarecherched’uneanfractuositéquiauraitpurecelerAubrielle.Lamaréeétaitbasseàprésentetlesvaguess’étaientcalmées.Ilsfirenthalteàquelquespasdel’eau,surlesableduret mouillé. L’océan était étrangement calme et semblait, tous comme eux, retenir son souffle, parcompassion.—Jenevoisrien,ditJackenscrutantlasurfacedesflots.Lesjumellessontrestéesdanslepick-up.—Nousdevrionsappelerlepressing,rétorquaHannahensesaisissantdesonportable.—Appelleplutôttagrand-mèreafindesavoirsionn’apasramenéAubrielleentretemps.CetespoirfutvitedéçulorsqueMimiexpliquaqu’elleavaitfaitletourdelamaisonplusieursfois
encompagniedesesamiesetqu’ellesn’avaientabsolumentaucunepiste.Barbannonçaqu’elleavaitprissurelled’appelerlepressingafindeleurdemandersipersonneneleuravaitdéposéunbébédetroismoisenviron.—Ilsontcruàuneblague,expliquaMimienrécupérantlecombiné.Oh,Hannah,qu’est-cequ’onva
faire?Hannah raccrocha. La silhouette imposante de Jack s’était éloignée d’elle et s’avançait vers les
flots.Soncostumenoircontrastaitavecl’étenduedesablegrisetlebleu-vertpasteldel’océan.Soudain,sonattitudealertaHannah;ils’étaitarrêtéetregardaitauloin,lecorpstendu.Ellecourut
lerejoindreetremarquaalorsunetacheroseflottantàlasurfacedel’eau.
Il s’élança tout habillé dans les vagues en direction de l’objet. Fendant l’écume de ses cuissespuissantes, ilparvintà l’intercepteret le tenditàboutdebrasdansladirectiond’Hannah.Elleétaitpétrifiéed’angoisse.Trempé jusqu’à la taille, Jack revint vers Hannah en tenant dans ses mains un paquet d’algues
entremêléesàunmorceaudetissurose.HannahfrissonnalorsqueJackdéposaletoutàsespieds,surlesable.Elles’agenouillaafindeprocéderàunerapideinspection.Etsijamaisils’agissaitduchâled’Aubrielle?Heureusement,iln’enétaitrien.Ils’agissaitenfaitd’unechemised’homme,rougeàl’origine,qui
avaitcertainementséjournéunelonguepériodedansl’eausalée,tantelleétaitdélavée.Ellelevalesyeuxversluicommeilluieffleuraitl’épaule.—On ne peut tout de même pas attendre que l’on veuille bien nous la ramener, dit-il d’un air
sombre.HannahéclataensanglotsetJack lapritdanssesbras, lapressantcontreson large torse.Ellese
laissaalleruninstant,puislerepoussagentiment.—Cet inspecteur de police que tu aimes bien, Latimer ? demanda-t-il en cherchant son regard.
Donnons-luirendez-vousquelquepart.Ceseraplusfaciledeluiexpliquerdevivevoixplutôtqu’autéléphone.Onvoussurveille.Neprévenezpaslapolice.Lemoindrefauxpasetvousnereverrezjamaisplus
votreenfant.Hannahvoulutprotester;Jackl’arrêta.—Jevaisêtredirect.Abbyesttropfragilepoursurvivreau-dehors.Nousn’avonsguèrelechoix.Il
nousfautdel’aideavantqu’ilnesoittroptard.Le ton déterminé de sa voix redonna courage à Hannah. Il avait raison. Il ne restait plus qu’à
prévenirlapolice.—Rentronsetappelons-ledepuislamaison,justeparprécaution.Hannah,réfléchisàunendroitoù
nouspourrionsnousrencontrer.Savoixs’estompadansunmurmure.Pensait-ilquesontéléphonepouvaitêtresurécoute?Illuiprit
lamain et l’entraîna vers le pick-up.Le parking était désert et le brouillard lui conférait un aspectlugubre.Jackouvritlaportièreetreculabrusquement.Hannahvit sur le siège avant le sweat-shirt vert deMimi.Elle ne se souvenait pas l’avoir vu là
auparavant, mais peut-être Jack l’avait-il emporté pour emmailloter Aubrielle au cas où ils laretrouveraient?Ilyavaitunmotaccrochédessus,utilisantlamêmepolicedecaractèresqueleprécédentmessage.
Hannahlutrapidementlapremièrephrase:Laprochainefois,ceseraletourdelavieillefemme.Unsentimentdefrustrationetdecolèrel’envahittoutentièreetelleplongealamainpoursesaisir
dusweat-shirtetdumotd’ungestebrutal.Jacks’interposajusteàtempsetluisaisitfermementlespoignets.—Non,Hannah!ordonna-t-il.Avait-ilremarquéquelquechosedesuspect?Unebombecachéedanslesreplisduvêtement?Tout
étaitenvisageable.
Puis, à son tour, elle vit le sweat-shirt bouger. Un petit cri se fit entendre tandis qu’un piedminusculeapparut.Le cœur battant,Hannah déplia l’étoffe et le visage tout rose d’Aubrielle apparut.Hannah sentit
alors un immense soulagement l’envahir. La tension nichée au creux de sa poitrine disparutinstantanément.Ellen’avaitjamaisressentiuntelbonheurdetenirsapetitefilledanssesbras.Jackdécrochalemot,leparcourutrapidementetl’enfouitdanssapoche.
10
—Grimpedanslepick-up,Hannah!Sentant l’urgence dans sa voix, elle serraAubrielle dans ses bras et obéit sans protester. Si elle
avaiteuletempsdelirelemot,seditJack,peut-êtreaurait-elledécouvertqu’ilsétaienttoujoursépiésetqueMimirisquaitsavies’ilsneregagnaientpasrapidementlamaison.Il juraensonfor intérieurenprenantplacedans lepick-up. Iln’auraitsuexpliquercomment tout
cela était arrivé, mais ces trois femmes étaient désormais sous son entière responsabilité, et ledemeureraientjusqu’àcequ’ilrésolveenfincetteaffaire.Jackpressentaitquedenombreusesautresvieshumaines,àl’autreboutdelaplanète,dépendaient
aussidelui.Il jetaun regardversHannah, sedemandantcequ’ellepouvaitbien luicacher. Ilyavaitquelque
chose;ilenétaitpersuadé.Toutétaitarrivésiviteaujourd’huiqu’iln’avaitpaseuunmomentderépitpourréfléchir.Hannah avait ôté le sweat-shirt deMimi et inspectait sa fille, s’assurant qu’elle était en parfaite
santé.Aubriellesupportaitdebonnegrâcelesinterminablespalpationsdesamaman,maisundébutdeprotestationlesprévintqu’elledevraitymettreuntermeauplusvite.EllesentitalorsqueJackladévisageaitetelleluifitfaceensouriant.—Elleal’aird’allerbien.Sacouchen’estpastrèsnette,maisceluiquil’aenlevéeneluiapasfait
demal.—Quelsoulagement!—As-tululemot?Pourrais-jelevoir?Jen’aipaseuletempsdelelireenentier.Ilétaitheureuxdelavoirredescendresurterreetremettredel’ordredanssesidées.Ilsortitlemot
desapocheetluitendit.BerçantAubrielledanssesbras,ellelelutsilencieusement.—Ilesttempsdefairelalumièresurtoutecettehistoire,conclut-elle,sespenséesrejoignantcelles
deJack.—Oui,grandtemps.Yavait-ilquelquechosedespécialàproposdel’argent?—L’argentdeDavid?Non,pasque jesache. Ildort toujoursà laconsigne,aussipourrons-nous
allervérifierdèsdemain.Ellemarquaunepause,puisajouta:—Fran.—Quoi,Fran?—C’était son idéedenous rencontrer sur le parkingde la plage, hier.Elle est sûrementdans le
coup.—Peut-êtrebien…—Commentpeux-tuendouter?s’indignaHannah.Soncostumeneufluicollaitàlapeauetseschaussuresendaimétaientfichues.Aprèsavoirvécude
longsmoisdanslachaleuretlamoiteur,ilseretrouvaitmaintenantàgrelotterdefroid.Ilrêvaitd’unebonnedouchechaude,songeaJack.Avecelle.Ildésiraitl’entraînersousladoucheavecluietluifairel’amoursauvagement,commeà
CostadelRio.Ilrêvaitd’eautrèschaude,desavonparfuméetdesexeavecelle.Elle,etaucuneautrefemme.«Monvieux,tuasdesérieuxproblèmes»,sedit-il.Ildevaitrésoudrecettehistoireauplusviteet
fuirAllota,Hannah,sonbébé,sagrand-mère,sansjamaisseretourner.—Jack?Illuifallutquelquessecondespourmettredel’ordredanssesidées.—Lemottrouvédanslachambred’Aubrielledisait:«Utilisezvotretêteetvoussaurezoùellese
trouve.»—Leparkingdelaplage,réponditHannah.—Maisc’estFranquiaproposécetendroit,n’est-cepas?Aubriellen’étaitpaslàànousattendre.
On l’y a amenée tandis que nous étions au bord de l’eau. Je suis sûr à présent que nous avons étésuivis.En fait, nous aurionspu aller n’importe où. Il a suffi quenousnous éloignions suffisammentpourquelebébéréapparaissecommeparenchantement,accompagnéd’unnouvelavertissement.—MaisFransaitdeschoses,persistaHannah.—Commentpeux-tuenêtresisûre?Elleprituneprofondeinspiration.—Monintuition,peut-être?Jackémitunpetitrire.—Jesuisraviquetuaiesdécidédesuivretoninstinctplutôtquedetetorturerl’esprit,parceque
celui-ci,cesdernierstemps,n’apasvraimentfonctionnéàmerveille…—Oùveux-tuenvenir?l’interrompit-elle.Avantdepouvoirpréparersesarguments,ilétaitdéjàstationnédevantlamaison,d’oùsurgissaient
Mimietsesamies.Ilpritalorsconsciencequ’ilsavaientoubliédelaprévenirqu’ilsavaientretrouvéAubrielleets’ensentittoutpenaud.—Penses-tuquenouspuissionslaconvaincredes’éloignerd’icipourquelquetemps?— Ta grand-mère ? C’est une très bonne idée. J’allais d’ailleurs te le proposer. As-tu une
destinationentête?—Oui.Jeferaismieuxdenepasluimontrerlemot.Çanepourraitquel’effrayerunpeuplus.—Toutàfaitd’accord.—Jack,j’insistepourquetunepréviennespaslapolice.Tuaslulemot.Celuiquinousmenacea
enpermanenceunebonnelongueurd’avanceetjeneveuxplusrisquerlaviedegrand-mère,nicelled’Aubrielle.Sielleparvenaitàconvaincresagrand-mèredes’éloignerquelquetemps,peut-êtreaccepterait-elle
delesuivreavecAubrielle?seditJack.L’expressiondeMimi lorsqu’elleaperçut lepetitbébénichédanssonsweat-shirt lui fitchaudau
cœur.MaisJacksereprit;ilseramollissait.
S’éloignant du petit comité d’accueil, il fit le tour de lamaison et s’arrêta sous la fenêtre de lachambredubébé.Ilvoulaitinspecterlaterredumassiffleurietespéraityreleverdestracesdepas.Ildécouvritenfaitquelekidnappeuryavaitplacél’unedeschaisesdejardinafindes’éleveràla
bonnehauteurpourfracturerlafenêtre.Jackn’avaitaucunementl’intentiondeprévenirlapoliceàl’insud’Hannah,maisildevaitserendre
à l’évidence ; il ne pouvait se substituer à un inspecteur chevronné. Il n’avait aucune idée sur lamanièredeprocédersurunescènedecrimenilematérielnécessaire.Parailleurs,ilyavaitl’incendiedel’autrecôtédelarue.Celaaussidevaitfairel’objetd’uneenquête,carilnes’agissaitcertainementpasd’unecoïncidence.Ilseditqu’ilallaitréunirlesdifférentespreuves,ycomprislesweat-shirtdeMimi,etbouclerla
chambred’Abby.Hannahlerejoignitàl’arrièredelamaison,serrantAubrielledanssesbras.—Commentseportetagrand-mère?luidemanda-t-il.— Elle est morte de peur. J’ai demandé à Barb si elle accepterait de l’emmener pour un petit
voyage.Elleestplutôtfavorableàcetteidée,maisgrand-mèrerenâcleunpeu.Jepensequ’ellevafinirparaccepter.—TupourraislesaccompagneravecAbby,suggéra-t-il,toutenespérantqu’ellerefuse.—Non, jedoispoursuivremonenquête. Jenecomprends toujourspasenquoi je suis impliquée
danscettehistoire.Jenevaispasmesauverenlaissantleschosesenl’état.Ildoitforcéments’agirdequelqu’unquejeconnais.Jenepeuxmecacherindéfiniment.—Danscecas,prendsunechambred’hôtelavecAbbysousmonnom.CommeHannahouvraitlabouchepourluirépondre,ilsepréparaàrecevoirunflotdeprotestations.
Au lieudecela,elle regardapar-dessus sonépaulevers la fenêtre fracturéeet resserra sonétreinteautourdesafille.— Je ne veux plus retourner dans cette maison, avoua-t-elle doucement. Je ne pourrai jamais
recoucherAubrielledanssonberceauetlalaisserseuledanssachambre.Unhôtelestunebonneidée,etpeut-êtrequeceladécideragrand-mèreàpartiravecBarb.— Tâche de la convaincre et profites-en pour prendre quelques affaires. Tu veux que je garde
Abby?Elleluijetaunbrefcoupd’œil.—Tues trempé.Commencepar techanger.Demandeàgrand-mèredemerejoindresur leperron
afinquejeluiparle…Enfin,elleprenaitlasituationausérieuxetfaisaitlesbonschoix.C’étaitunsoulagementdenepas
avoiràlaprieroulabousculerpourqu’elleagissecommeillesouhaitait.Il accompagna Mimi sur le perron, prit une rapide douche, se changea et emballa ses affaires.
Lorsqu’il revintdans lesalon, ilvitMimi trimballantdeuxgrossesvalisesvers laported’entrée. IlaperçutHannah,assiseau-dehors,berçantAubrielleenveloppéedansunchâlerose.—Jack,jevoulaisvousparler,luiditMimi.Jackdésignalesvalisessagementalignéesdevantlaporte.—Vousallezfaireunpetitvoyage?
Leslarmesmontèrentauxyeuxdelavieilledame.—Est-cequejefaislebonchoixenabandonnantHannah?—Absolument,assura-t-il.Pensezàlaisservotresweat-shirtaucasoùlapoliceleréclameraitpour
comparerdesfibresoud’autresindices.—Etmavoiture?Hannahm’aditqu’onavaitcassémonpare-brise.—J’aidéjàappelélegarage.Ilsvonts’enoccuper,nevousinquiétezpas.—Voussavez,poursuivit-elle,jenem’eniraispassivousn’étiezpaslàpourveillersurmapetite-
fille.Veiller surHannah. Ce n’étaient que de simples mots. Alors, pourquoi éveillaient-ils en lui un
étrangemalaise?—Jevouspaierai,quelquesoitvotretarif,pourvosservicesdegardeducorps.—Onverracelaplustard,luirépondit-il,sesurprenantàluidéposerunpetitbaisersurlajoue.Ilétait fierqu’elle lui rappellequ’ils’agissaitd’unesituationprofessionnelle. Ilétait legardedu
corpsd’Aubrielle,unpointc’esttout.Elleluitapotalajoue.—J’aimebienvotrenouvellecoupedecheveux,bienquejedoiveadmettrequevousétiezplussexy
avant.—Çarepoussera!Unegrosselimousinebleuevintsegarerdevantlamaison.—C’estBarb,annonçaMimiensesaisissantd’unevalise tandisqueJacksoulevait l’autre.Vous
prenezbiensoindemesfilles,d’accord?Mûparunélandetendresse,ilposalamainsursonépaule.—Mimi,n’oubliezpasdevousenregistrer sous lenomdeBarb.Ne restezpasplusd’unenuità
chaqueendroit.Sivousvous sentez suivieou si vous avez lemoindredoute, allezdirectement à lapolice.EtappelezHannahtouslessoirs.Elletrouvalecouragedeplaisanter.—Avousécouter,ondiraitquejesuisuntémoincrucialencavale.Jackl’aidaàchargersesaffairesdanslavoituredeBarbetsetintsilencieusementenretraittandis
quelesfemmessedisaientaurevoir.Ilregagnalamaisond’unpasrapide,fermementdécidéàquitterleslieuxauplusvite.Ilétaitplusqueprobablequequelqu’unlesobservaitdeloin.Hannah,quiavaitattenduquelavoituredisparaisseauboutdelarue,s’étaitfinalementdécidéeà
regagnerlamaison.Ildevinaitenelleunecertaineréticenceàdevoirl’accompagneravecAubrielleetenattribuaitlacauseàsoninstinctmaternel.Ilestvraiquelajournéeavaitétémouvementée,maisilétaittempsd’agir.ElleacceptatantbienquemaldeluiconfierAubrielle.—Faisbienattentionàsatête,recommanda-t-elle.—Vatepréparer.LebébéémitunpetitgrognementetHannahfutsurlepointdefairedemi-tour.—Hannah,luiintima-t-il,vatepréparer.Toutvabien.Elleserésignaàsuivresadirective.
—Tamamanestunpeucollante,dit-iltouthautens’adressantàAbby.Le son de sa voix calma aussitôt la petite fille. Elle le regardait droit dans les yeux et semblait
attendreuneréactiondesapart.Ils’assitdanslerocking-chairetcommençaàsebalancerdoucement,lebébébieninstallésursescuisses.L’aird’unechansonqu’ilavaitentendueenTierraMontañosaluitraversal’esprit.L’unedesfemmes
ducampvenaitparfoistravailleravecsonenfantetluichantaitcettedoucemélodie.Ilserenditcomptequ’ilenavaitinconsciemmentretenulesparoles.S’assurantquepersonnenepouvaitl’entendre,ilsemitàchantonner.—Duerme, niño chiquito, commença-t-il en tressaillant au propre son de sa voix.Duerme, mi
alma.Duermetelucerito.Delamañana…Abbynes’endormitpas,maiscontinuadelefixerdesesgrandsyeuxcurieux,etJackretrouval’un
decesmomentsdegrâce,depaixintérieureabsolue,commeilenavaitmaintesfoischerchéaucoursdesavie.—Lamusiqueadoucitlesmœurs,hein,Abby?Hannahrevint,l’airencoreplustourmentéquelorsqu’ellelesavaitlaissés.Elleavaitlesbraspleins
d’affairespourAubrielleetportaitunecouchenégligemmentjetéesurl’épaule.Ellelesregardaavecinquiétude.—Toutvabien,larassura-t-il.
***
—Unechambre?demanda-t-ellecommeilrevenaitdelaréceptionavecuneseulecléàlamain.—Unechambre.Jesuislegardeducorpsd’Abby,tun’aspasoublié?Celaimpliquequ’elledoit
demeurerauprèsdemoiettufaispartiedulot.Hannahfronçalessourcils.—Elles’appelleAubrielle.—Jeconnaissonnom,répondit-ildutacautac.Le ton de sa voix suggérait qu’il l’appellerait comme bon lui semblerait. Elle trouva stupide
d’engager le débat sur ce sujet car elle savait bien qu’elle était affreusement possessive avec sonenfant.Lorsqu’elle l’avait entendu,quelques instantsplus tôt, chanter cette comptine espagnole à safille,elles’étaitsentiespoliée.—Bon,bon,d’accord,accepta-t-elle.Ils conduisirent lepick-updans leparking souterrain. Jack avait insisté auprèsde la réception et
obtenuunechambreauquatrièmeétage,offrantunmaximumdesécurité.—Qu’insinuais-tuendisantquetuétaisraviquej’aiedécidédesuivremoninstinct?Jackluijetaunrapidecoupd’œil,puisgaralepick-upprèsdel’ascenseur.—Cequetumecachest’effraiebeaucoupplusqu’unindividuquipénètrepardeuxfoischeztoiau
grandjour,etkidnappetonenfant.Ilafalluqu’ilt’agresseavecsuffisammentdehargnepourquetoninstinctsemetteenmarcheetquetuchangesdecomportement.Etj’ensuisravi.
Pourtouteréponse,ellelevalesyeuxauciel.Tandisqu’ilstransféraientleursbagagesdansl’ascenseur,puiss’élevaientauquatrièmeétage,elle
luidemandadeluiexposersesintentions.—JevaisallervoirFran,répondit-il.—Pourquelleraison?Tuasunacheteurpoursamaison?Illuisourit,amusé.—Serais-tujalouse,chérie?—Hmm…—Après que tum’as renvoyé, hier, je suis parti à sa recherche. Lorsque j’ai vu l’écriteau « à
vendre » sur samaison, jeme suis rendu au centre commercial pour acheter un costume,me fairecouperlescheveuxetimprimerdescartesdevisite.Asonretourdutravail,j’étaislààl’attendre.Jeluiaifaitunpeudebonimentetsuisparvenuàmefaireinviterchezelle.J’aiacceptésoninvitationàdîner,luiairacontédestasdemensongesetj’airiàsesplaisanteries.Ellem’aparlédetouslesgensavec lesquels elle travaillait, principalementde toi etDavid. Jepenseque c’est ellequi a lancé lafameuserumeur.Jeneseraispassurprisqu’ellesachequec’étaitluilepèred’Abby.HannahseconcentraitsurAubrielleafindenepasavoiràreleversespropos.—Toujoursest-ilque,cesoir,jeconfessetousmespéchés.Lesfemmesadorentqu’onlesmetteen
valeur.Peut-êtrem’endira-t-elleplussi…—Maistudisquelerendez-vousàlaplagenel’impliquepasforcémentdanslesévénements.—C’estexact,maisjepariequ’elleensaitplusqu’elleneveutbienledire.Comme,parexemple,
levoyagedesquatremembresdelafondationenEquateur.Quelenétaitlevraimotif?C’eûtétéuneoccasionidéalepourDavidderencontrerlesmembresduGTM.Etsielleétaiteffectivementintimeaveclui,désolédereparlerdecela,peut-êtresait-elledequiils’agit?Danscecas,jemefaisfortdelui soutirer un nom. Et si je l’obtiens, je te promets de faire avouer à ce salopard pourquoi il tepersécute.—Tuvasunpeuloin,dit-elledoucement.—Queveux-tu,jemesenscommeenlisédansdessablesmouvantsetjedoisfairefonctionnerma
têtepourm’ensortir.—Aubrielleetmoit’accompagnonschezFran.—Horsdequestion.Jedemanderaiaugardedel’hôteldesurveillerlachambre.ToietAbbyrestez
cloîtréesici.—Tunepeuxt’enempêcher,n’est-cepas?Arrêtedem’imposertaloiàtoutboutdechamp!Fran
estmonamieetjeviensavectoi.Siellesaitquelquechoseàmonsujet,illuiseraplusnatureldemele dire directement plutôt qu’à toi. Surtout lorsqu’elle se rendra compte que tu lui as menti sur taprofession.—Tueslafemmelaplustêtuequej’aiejamaisrencontrée,maugréa-t-il.La chambre contenait une petite table et un fauteuil dans un coin, une penderie, une télévision
démodée ainsi que deux lits deux places occupant lamoitié de sa surface. Ils avaient entassé leursaffairessurlelitprèsdel’entrée.Hannahôtalecouvre-litduboutdesdoigtsetdéposaAubriellesurlesdrapspropres.Lorsqu’ellesereleva,elletrouvaJackquil’observaitavecunelueurintenseaufond
desyeux,etlesouvenirdeleurpremièrenuitd’amourdanscethôteldelaTierraMontañosaluirevintàl’esprit.D’ungesteferme,iltestalafermetédumatelas.Lavisiondesamainhâléepressantlecotonblanc
luisuggéradefollespenséeset,durantuninstant,ellefuttentéedesejetersurlui.—AllonsvoirFran,trancha-t-il.
***
Fran habitait dans une impasse, au fin fond d’une longue rue parsemée de nombreuses maisonsinhabitées,enattented’acquéreurs.Hannahn’yétaitvenuequederaresfois,àl’occasiond’unesoiréeoupourydéposersacollègue,alorsquesavoitureétaitenréparation.Lehayondesongarageétaitgrandouvertetlaissaitvoirsavoiture.AumoinsFranétait-ellechez
elle.Ilsn’avaientpasprévenuavantdevenir,préférantjouersurl’effetdesurprise.Aubrielle était endormie.Cette fois,Hannah détacha son siège-auto et l’emmena jusqu’à la porte
d’entrée. Jack luiproposa sonaidemais elledéclina.C’était lourdet encombrant,maismoins Jacks’occupaitd’Aubrielle,plusHannahétaitrassurée.Ilsonna,puisfrappaàlaporte.N’obtenantaucuneréponse,iltentad’ouvrir.—C’estferméàclé,annonça-t-il.—Vuqu’elleadéjàquittélebureau,elledoitêtreentraindejardiner.—Aveccetemps?rétorquaJackenfermantsonblouson.Ellem’aditqu’elleavaitunrendez-vous.
Ellen’apasparlédejardinage.—Tuasuneautreexplication?Ilsfranchirentunepetitebarrièrepourfaireletourdelamaison.Iln’yavaitaucunetracedeFran.
Unregardàtravers labaievitrée leurpermitdedécouvrir lesalonet lacuisine.LorsqueJacktentad’ouvrirlavitrecoulissante,Hannahsedemandas’ilavaitréellementl’intentiondepénétrerchezFransansyêtreinvité.—Verrouillée,commenta-t-il.Revenantsur ledevantdelamaison, ils inspectèrent legarage.Peut-êtreFranavait-elleemprunté
cettevoiepourallerfaireuntour;maiscelasemblaitétrangequ’elleaitlaissélegaragegrandouvertalorsqu’ilrecelaitdenombreuxbienspouvantattiserlaconvoitise.—Ilyauneporteaufondquimèneàl’intérieur,dit-ilens’engageant.—Elledébouchesurlabuanderie,murmuraHannah.Elle lesuivaitdans lapénombredugarage.Ellen’avaitpasdépassé lepare-chocarrièrequeses
cheveuxsedressèrentdanssanuque.—Jack,j’aiunétrangepressentiment…Ill’arrêtad’unsignedelamainetsepenchapourregarderàtraverslavitrepassager.—Resteenarrière,s’ilteplaît.JackeutunvifmouvementdereculetHannahsutàcetinstantqu’ilavaittrouvéFran.
Il luiadressaun regarddemiseengardeet,utilisant lamanchedesonblouson, tentad’ouvrir laportecommuniquantaveclamaison.Maiselleétaitferméeàclé.—Qu’est-ilarrivéàFran?demandaHannahenchuchotant.—Elleestmorte.—Comment?Lesiège-bébécontenantAubrielleseretrouvaentrelesmainsdeJackavantqu’ellelelaissechoir.
Illuifitrebrousserchemin.—Onluiatiréenpleinvisage,expliqua-t-il.Hannahneputréprimerunsanglot.—Appellelapolice,ajouta-t-il.Lesmainstremblantes,ellesesaisitdesonportableetfaillitlelaissertomber.Elleallaitcomposer
lenumérolorsqu’elleseravisa.—Ilfautquetuquittesleslieuxavant,dit-elle.—Jen’aipasl’intentiondevouslaisserseulesici…—Illefaut.Jediraiauxpoliciersquejesuisvenueluirendrevisite.Ilspeuventbienenquêtersur
moitantqu’ilsveulent.Maistoi,Jack,tutetrouvesmanifestementaubeaumilieud’unsacréimbroglio.Unebombe,deslettresanonymes,unkidnapping…etunmeurtre,àprésent.Celafaitbeaucouppourunseulhomme.—Mespapiersontpassétouslescontrôlesjusqu’àpreuveducontraire.Jenevaiscertainementpas
telaisserseuleaveclapolice.—Soisraisonnable.Commentpourras-tuveillersurAubrielledepuislefondd’unecellule?Tout
estchamboulé,maintenant.—Non,protesta-t-ilenlaregardantdroitdanslesyeux.Jenevaispast’abandonner.Necomprends-
tupaslasituation?OnatuéFran,etlemeurtrierpourraitencoresetrouverdanslesparages.—Maistu…—Non,Hannah.Ilnes’agitpasdemoi,cettefois.Appellelapolice.— Deux meurtres ont été commis dans les mêmes circonstances, ces derniers temps. Fran
s’inquiétaitquejemesenteobservée,car,biensûr,jeluienaiparlé.—Tucroisvraimentquec’estunecoïncidence?Elle l’aurait souhaité, mais, au regard des terribles événements de la journée, ç’aurait été de la
mauvaisefoi.— L’assassin a eu recours à une mise en scène afin que l’on fasse le lien avec les meurtres
précédents,concéda-t-elle.Ilsseréfugièrentdanslepick-upafindediscuteraucalmedeleurstratégie.Illeurfallaitsemettre
d’accordsurleursdépositions.— Pas unmot à propos du kidnapping, ordonna Hannah en faisant promettre à Jack de tenir sa
langue.Elleétaitterrifiéeàl’idéequeleravisseurpensequ’ilsavaientappelélapolicepourlesinformer
desesactesetinterprètecelacommeungestedeprovocation.Parailleurs,ellenevoyaitpasd’autre
option.Ils’agissaitd’unmeurtreetl’onnepouvaitraisonnablementlecacherbienlongtemps.Aprèssoncoupdefilàlapolice,l’endroit,habituellementsicalme,futbientôtsubmergédevoitures
officiellesfaisanthurlerleurssirènes.Onlesentendaitapprocherdepuislecentre-villed’Allota.JacketHannahfurentséparésafindedéposerleurstémoignagessurladécouverteducorpsdeFran.
Hannahleurlivratouslesdétailsdontellesesouvenait,expliquantqu’elleétaitvenueparlertravailavecFranetqueJackl’avaitaccompagnéecarsavoitureétaitenréparation.Tout le temps que dura cette procédure, son attention était partagée entre la scène de crime à
quelques mètres de là, Aubrielle grognant dans son siège-bébé et son inquiétude pour Jack. LesinspecteursallaientquestionnerchaquemembredelafondationetapprendrequeJackavaitpassé lamatinéeprécédenteavecFran.Sesempreintesdigitalessetrouvaientsurchaquepoignéedeportedesondomicilemaisaussiàl’intérieur,vuqu’ilsavaientdînéensemble.Ellesereprochaden’avoirsuleconvaincredequitterleslieux.Finalement,l’inspecteurremarquaquelebébén’enpouvaitplusetsemblaitprêtàsemettreàhurler.
Les cheveux blonds presque rasés, il accusait un surpoids d’une bonne dizaine de kilos. Une forteodeurdetabacsedégageaitdesesvêtementsetdesonhaleine.—Vouspouvezyaller,MmeMarks.Maisrestezdanslesenvirons.Nouspourrionsavoird’autres
questionsàvousposer.— Est-ce l’œuvre de l’assassin des garages ? demanda Hannah tandis que les ambulanciers
emmenaientlecorpsdeFran.Elle regarda s’éloigner lebrancard,neparvenantpasà se faireà l’idéeque sacollègue reposait
danscegrandsacnoir.L’inspecteurhaussalesépaules.—JackCarlinga-t-ilterminé?demanda-t-elle,manquantdeprononcersonvraipatronyme.IljetaunregardversJack.—Pasencore.Jevaisvousfaireraccompagneràlamaisonavecvotreenfant.—Jepréfèreappeleruntaxi.Hannahnesavait sielledevaitounonmentionner le faitqu’elleétaitdescenduedansunhôtelde
FortBraggencompagniedeJack.Elleétaitbouleverséededevoirmentir,ou,toutaumoins,déguiserlavérité,alorsquelamortdeFran,elle,étaitbienréelle.EllerencontraleregarddeJacktandisqu’elles’engouffraitdansletaxi.Elleputfacilementdeviner
sespensées:«Soisprudente.Ilyaunmeurtrierenlibertéettupourraisbienêtrelaprochainesursaliste…»
11
Jackavaitdonnél’hôteldeFortBraggcommeadresse,etenvironuneheureplustard,ilconduisaitpourrejoindreHannah,l’injonctiondelapolicededemeurerenvillerésonnantdanssatête.Ilétaitun«élémentcapital»danslemeurtredeFranBaker.Maistantquesonidentitédemeureraitsecrète, iln’auraitpasgrand-choseàcraindre.Ilavaitdûavouerauxinspecteursqu’ilavaitpassélasoiréeavecFranlaveilledesonassassinat,
mais avait passé sous silence sa visite à la fondation. Il n’avait aucune idée de là où cela allait lemener,maisilsedoutaitbienquesilespoliciersdécouvraientsacartedevisitedanslesaffairesdeFran,ilauraitàexpliquerpourquellesraisonsilavaitmenti.Laprison.Laperspectived’êtreenferméluifaisaitfroiddansledos.Saconscienceluidictaitde
poursuivre sa route jusqu’à l’autreboutdupays.Audiable laTerraMontañosa,Hannah,Aubrielle,Mimiettouslesautres.Découvrirlavéritéetpeut-êtreainsiempêcherunecatastrophevalait-illeprixdesaliberté?Ilregagnatoutdemêmel’hôtel,inquietdesavoirsiHannahetAubrielleétaientarrivéessaineset
sauves.S’ildécidaitdefuirpourdebon, ildevaits’assurerenpremier lieuqu’ellesétaienthorsdedanger.Enpénétrantdanslachambre,iltrouvaHannahsereposantdansunfauteuil,latêterenverséeetles
yeux clos. Elle avait dû prendre une douche car ses cheveux étaient humides. Elle avait enfilé unpantalondejogginggrissombreetunT-shirt.Seslèvresoffertesluifirentpenseràunepêchejuteuseetilseretintdelesembrasser.Abbydormait paisiblement sur ses cuisses et sonpetit visage aux joues roses affichait une totale
quiétude.Illescontemplaunlongmoment,depuisl’encadrementdelaporte,puissedécidaàentreretreferma
derrièrelui.LecliquetisdelaserrureéveillaHannah.—Jack,j’aieutellementpeurqu’ilst’emmènentpourt’interroger.—C’estcequirisquedeseproduirebientôt.Ilnenousrestequepeudetemps,Hannah.—Tupensesqu’ondevraitchangerd’hôtel?—Celaneferaitquenousrendreplussuspects.Non,celaneserviraità rien.Maisdemainest le
jourdevérité.Nousdevonsprovoquerlesévénements.Noussommestotalementhorsdélai.—Jelesaisbien.—J’aibesoind’unebonnedouche,admit-il.—J’appellelaréceptionetnouscommandeunbondîner.Unepetiteheureplustard,ilsétaientinstallésàtableetpartageaientunplatdepâtesaupoulet,trop
préoccupés par la mort de Fran pour tenir une conversation. Hannah fut la première à prendre laparole:—D’aprèstoi,lapolicenesuitpaslapistedutueurdesgarages?—Jenecroispas.Ilsnecommuniquentjamaistoutesleursinformationsauxjournaux,aussiest-ce
difficilededevinerleursdéductions.—Ont-ilsmentionnél’heuredudécès?—J’aientenduuninspecteurparlerde15heures.—Jack,jemedemandesiFrann’étaitpaslemaîtrechanteur.—Etlapersonnequ’ellefaisaitchanterauraitcruquec’étaittoi?—Ehbien,oui.—Sitelétaitlecas,pourquoiaurait-ellekidnappéAbby?Eteffrayétagrand-mère?L’assassinne
pouvaitêtreenplusieursendroitsaumêmemoment.SiFranfaisaitchanterquelqu’un,cettepersonneaurait dû tenter de récupérer l’objet du chantage en la conduisant à l’intérieur de lamaison pour yprocéder àune fouille.Si elle avait rendez-voushorsde chez elle, pourquoi lemeurtrier l’aurait-ilramenéedanssongaragepourl’exécuter?—Pourquesoncrimesoitattribuéautueurdesgarages.—Peut-êtrebien…Jenesaisplus.Maisj’ailesentimentquequelquechosenouséchappe.—LapoliceiraenquêteràlaStarr,n’est-cepas?demandasoudainHannah.—Ilyadegrandeschances.—CertainsdirontalorsqueFranétaitavectoihier,Jack.Ilssaventpeut-êtrequetut’esfaitpasser
pourunagentimmobilier.—Jelesaisbien,Hannah.Leportabledelajeunefemmesemitsoudainàvibrer.—Bonsoirgrand-mère,dit-elle.Tandisqu’Hannahprenaitdesesnouvelles,Jackfermalesyeuxets’assoupit.Hannahleréveillaen
luieffleurantlamain.—Grand-mèrevabien.Jesuissoulagée.Puisellesecouchadans l’undes litsavecAubrielleet Jackprit l’autre.C’étaitunbiengrand lit
pour un homme seul.Un rai de lumière filtrant à travers les rideaux lui permettait d’apercevoir lescourbesd’Hannah,pelotonnéesouslesdrapsblancs.Ilseretournafaceaumuretfermalesyeux.Maislesderniersévénementsletourmentaient.Ilrevoyait,flottantsurlesvagues,cetteformerosequiauraitpuêtrelapauvrepetiteAbbyetaussilevisagedéfigurédeFran.C’enétaittrop;presqueassezpourluifaireregretterlajungle.Plustarddanslanuit,ils’éveillaensursaut,sentantlelitbouger.Ilbandasesmusclesetallongeale
brasafindesaisirl’importunàlagorge.Sesdoigtsserefermèrentsurunepeaudouceetsoyeuseetilrelâchaaussitôtsonétreinteendéglutissant.Hannah…Elles’approchadoucementetluipritlamain,sonhaleinechaudeluicaressantlajoue.—Çanevapas?demanda-t-ild’unevoixdouce.Ellesoulevalesdrapsetseglissatoutcontrelui.Elleétaitnue,etlasensationdesoncorpsbrûlant
toutcontresapeauluifitl’effetd’unedéchargedecentmillevolts.Quesepassait-il?Lesmotsavaientdûluiéchappercarelleémitunpetitrirecoquin.—Jenepeuxpasêtreplusclaire,murmura-t-elledansl’obscurité.
Ilsentitsesseinssepressercontresontorseetseshanchesencouragersavirilité.—Bonsang,Hannah,cen’estpasdujeu.—Jesais,jesuisdésolée.Maissoncomportementindiquaitlecontraire.Ellesemitàjoueraveclatoisondesontorsetouten
lecouvrantdepetitsbaisers.—Celafaitplusd’unan,Hannah.Situt’attendsàcequejetejettedulitetjoueauprudechevalier,
tuastoutfaux.—Unan?Alors,depuisquetoietmoi…—Lesvisitesfémininesnesontpasvraimentautoriséesdansuncamprebelle.Encoremoinspource
genredechoses.Elle demeura silencieuse. Il changea délicatement de position, glissant un bras sous sa nuque,
enfouissantsonvisagedansledouxparfumdesescheveux.Sachairn’étaitquebraiseardente.—J’aicruquej’allaismourirquandj’aiappristacaptureàCostadelRio,murmura-t-elle.Ensuite,
ilsontditquetoncorpsavaitétéidentifié.J’aipenséquejenetereverraisjamais.Mais,Dieumerci,tueslà,prèsdemoi.Elledéposaunbaiseraucoindeseslèvres.SesmotsréchauffèrentlecœurdeJack,bienplusqu’il
ne l’aurait imaginé.Durantsacaptivité, ilavaitpenséàHannah tous les jours,espérantsecrètementqu’ellenel’oubliepas,qu’elleaccepteunjourdelerevoir.Etait-celavéritableraisondesonretour?—Tuneveuxtoutdemêmepasquejetesupplie?chuchota-t-elleenpromenantsesdoigtsautourde
sonsexe.Ilsallaientatteindrelepointdenon-retour.Illuiattrapalamain.—Jenesuispaslegenred’hommequ’iltefaut,chérie.—Tu es exactement l’homme qu’ilme faut, susurra-t-elle tandis qu’il retenait son souffle. Je te
veux,Jack.Maintenant…Savoixsefêlasursesdernièresparoles.—Tuasdequoiteprotéger?reprit-elle.—Non.Ettoi?—Nonplus.—Etsitutombaisenceinte?—Pasdesouci.Cen’estpasmapériode.Avecunegrandedouceur,ellefitglissersamainlelongdesonventreetl’amenalàoùill’attendait,
flattantimpudemmentsavirilité.Jackselaissaentraînerdanslaspiraledelavolupté.
***
Ils ne retrouvaient pas lesmêmes sensationsque lorsqu’ils avaient fait l’amour la toutepremièrefois. Le feu de leur désir n’avait pas été alimenté par une longue soirée de flirt, de préliminairesamoureux,letoutsaupoudrédequelquespetitsverresdetequila.L’ambiance,aussi,humideetlourde
danscettechambred’AmériqueduSud,étaittotalementdifférentedanscethôteldeFortBragg.Mais c’était meilleur, car moins précipité. Jack prit soin de faire monter l’envie d’Hannah,
s’attardantsurchaquepartie inexploréedesoncorps, luifaisantdécouvrirdeszonesdeplaisirdontellen’avaitjamaissoupçonnél’existence.Maisauparavant,elledutlerappeleràl’ordre,carils’étaitemporté,presséde laposséder totalement.Quand il laprit,ce futavecun teldésir,un telabandon,qu’elles’entrouvachaviréeauplusprofonddesonâme.Leursébatsfurentnécessairementplusdiscretsquelapremièrefois,vuqu’Aubrielledormaitdans
lelitjusteàcôté,etilsatteignirentrapidementl’orgasme.Aprèsunecourtepause,Jacksemitendevoirderallumerlaflammed’Hannah.Luiprodiguantde
coquines caresses sur tout le corps, de ses doigts experts, de sa bouche gourmande, il la menaprogressivementversl’extaseetl’yrejoignitdansunultimeélandevolupté.Ilss’endormirentenlacésetfurentréveillésparlespremièreslueursdujourfiltrantparlesrideaux
disjoints.Hannahsedemandasiellesedevaitsesentirgênée,s’ilenétaitdemêmepourJack,maissonregardlarassuraaussitôt,faisantrésonnerenellel’échodeleurmutuelleattraction.Ellevérifiaqu’AubrielledormaittoujoursdanslelitvoisinetsepelotonnatoutcontreJack.—Bonjour,susurra-t-elle.Illapritdanssesbras.—Bonjour.Tuveuxprendreunedoucheavantqu’onfasselepoint?—Oui,admit-elleenselovantencorepluscontrelui.Sesintentionsétaientclairesettoutsonêtrevibraitàl’idéederecommencerleursjeuxtorrides.Elle
l’embrassadanslecouetfitjouerseshanchescontrelessiennes,dansunsuggestifva-et-vient.Maistoutàcoup,ellesereprit.—Cen’estpaspossible.Aubriellenevapastarderàs’éveiller.Pourrais-tulasurveillerpendant
madouche?—Biensûr,machérie,répondit-ilenluidéposantunesériedepetitsbaiserssurlevisage.Latentationétaitgrande,maiselletrouvalavolontéd’échapperàsonétreinte.Ellesentitsonregardcontemplersoncorpsnutandisqu’ellegagnaitlasalledebains.Elle ne s’attarda pas sous la douche, lavant sa peau des derniers effluves de Jack Starling à
contrecœur.Lanuitqu’ilsvenaientdevivrenesereprésenteraitcertainementplus,etilseraitstupidedetenterlediableets’exposeràdenouvellespeinesdecœur.Maisellen’avaitsuluirésister.«Oh,Hannah,soishonnête,s’admonesta-t-elleenenfilantsonjean.Ildormaitprofondément.»Envérité,elles’étaitéveilléebienavantluietavaithésitéavantdesedécideràlerejoindre.Elle
reposaitdansl’obscurité,tâchantdedénouerlasituation,sonespritressassantenbouclelecauchemardelaveille, lorsqu’uneidéeavaitprisformepeuàpeu.Ellesavaitqu’elledevaiteninformerJack,aussi s’était-elle approchée, s’asseyant sur le bord de son lit avec précaution. Elle apercevait lescontoursdesoncorpsendormiets’étaitmiseendevoirdechoisirsesmotsavantdeleréveiller.Maisil luiétaitbienviteapparuqu’ellen’enauraitpaslecourage, tantsonplanétaitmédiocre.Pourtant,ellevoulaitplusquetoutaumondeletirerdesonsommeil.Allait-elleoser?Elleavaittoutd’abordvérifiéqu’Aubrielledormaitprofondément,puisavaitôtésachemisedenuit
et s’était lentement approchée, sans faire debruit.La suite, ehbien la suite avait été telle qu’ils ladésiraienttouslesdeuxsecrètement…Ilestvraiqu’ilsnes’attendaientpasàceque leurunionsoitaussi forte,bouleversante,àceque
cettenuitravivelessouvenirsdupasséavectantd’intensité.Elle termina sa toilette en se faisant un chignon et se prépara à une nouvelle journée qu’elle
pressentaitparticulièrementricheenrebondissements.Fran était morte, sauvagement assassinée, et Hannah était persuadée qu’elle connaissait son
meurtrier.HarrisonPlumber,gauchedeprimeabord,maiscertainementruséenréalité.SantiCorrea,dégoûtéparlacapturedesonfils.HugoCorrea,relâchédecaptivitéavecunejambeatrophiée.GaryJenkins,untypeplutôtrangéavecunepetitefamille…Elledevaitsûrementconnaîtrel’assassindeFran;ellenepouvaitcependantl’identifierclairement.
Pasencore.Maiscelanesauraittarder.Letoutétaitdesurvivreàcettedécouverte.
***
Hannahrevintsurlesujetd’unevoixcontenue:—L’idéalseraitd’attirerleurattention.Jackavaitdûserésoudreàl’écouterpatiemment.Ils’attendaitàcequelapoliceviennefrapperàla
porteàtoutmoment.Ilnesouhaitaitqu’unechose:quittercethôtelauplustôt.—Tuveuxdire leurmontrerqu’onensaitsuffisammentpour les inquiéteretainsi lesforceràse
démasquer?demanda-t-ilavecironie.—Plusoumoins.Monidéeestdeleurenvoyeràchacununemail.J’écrisquejedétienscequ’ils
veulent,qu’ilsuffitd’ymettreleprix,etlesinviteàmerejoindrelàoùilsm’ontramenéAubrielle;àlaplage.Celan’auradesensquepourl’und’entreeux,celuiquisemontrera.—Etc’esttoiquisersd’appât.—C’estjuste,maistoi,tuesletypearmécenséprotégerl’appât.Tuasunemeilleureidée?—Meilleure?Non,maisdifférente.JeveuxparleraugarsquiatuéDavidetinspecterlasomme
qu’ilt’alaissée.Monseulsouciestdevousprotéger,Abbyettoi,durantmamission.—Jetel’aidéjàdit;elles’appelleAubrielle,rétorquaHannahavecunepointed’agacement.—Pourquoiest-cesiimportantpourtoi?Dansquelquesjours,jeneseraipluslà.Il semordit la lèvre, regrettant aussitôt ses paroles. Après la nuit passionnée qu’ils venaient de
partager,ellessemblaientduresetcruelles.Injustessurtout,auregarddessentimentsqu’Hannahavaitfaitrenaîtreenlui.Asadécharge,letempsfilaitsansleurapporterlamoindrepisteetcelalerendaitfou.Ellel’observauninstantavantdedéclarer:—C’estsonnom,unpointc’esttout.—D’accord.Elles’appelleAubrielle.Queferez-vouspendantmonabsence?—Conduis-nousàAllota.Mavoitureestprêteetjeveuxlarécupérer.
—Nousrestonsensembletantquetoutcecin’estpasterminé.Jesuislegardeducorpsdetafille.—Vraiment?Ehbien,c’estmoisamamanet j’aibesoindemavoiture.Vade toncôté, j’iraidu
mien.—Mais…— Jack, je ne vais certainement pas rester les bras croisés à attendre qu’on vienneme prendre
Aubrielleunesecondefois.—SiFranétaitlaresponsable,tun’asplusrienàcraindre.—Tusaistrèsbienquec’estpluscompliquéquecela.Quepouvait-ilfaire?L’enfantn’étaitpaslesien.Iltentait,tantbienquemal,d’assurersaprotection
augrédesesembauchesetlicenciementsàrépétition.—Noussommesprêtes,dit-elleenvenantseposterdevantlui.Vêtuedenoirdela têteauxpieds,elleétaitdiablementsexy.Seuls lapetite touchederoselovée
dans ses bras et le sac d’un orangé éclatant suspendu à son épaule détonnaient, à son goût, avecl’ensemble.Dehors,lebrouillarddelaveilleavaitlaisséplaceàunefortepluie.Illeurfallutpresqueunedemi-
heure pour rejoindre le garage d’Allota et récupérer la voiture d’Hannah refaite à neuf. Jack luidemandadelesuivrejusqu’àFortBragg,maisellerefusa,expliquantqu’ellesouhaitaitprésentersesexcusesàLindy,lafleuriste.—Alorspromets-moidemeretrouveràlaposte,disonsdansdeuxheures.Ellesehissasurlapointedespiedspourluidéposerunbaiseraucoindeslèvres.—Jetelepromets.Arrêtedet’enfaire.—Nefaisrien…d’irraisonné.Ellenepritpaslapeinedeluirépondre.
12
Laversionfinaleétaitbrève.
Jesaistout.J’aidespreuves.Retrouvez-moià15h30aujourd’huilàoù,hier,vousavezdéposéquelquechoseauqueljetiensparticulièrement.Venezavecdesespèces.Etseul.Hannahn’apposaévidemmentpassasignature.L’undesdestinatairessaurait;ellenesouhaitaitpas
afficher son identité, car la plupart d’entre eux penseraient qu’il s’agissait d’unemauvaise blague.Utilisantuneadresseemailqu’elleavaitcrééeplusieursmoisauparavant,elleenvoyasonmessageentoutanonymat.Son raisonnement était clair ; soit lemeurtrier deFran avait aussi enlevéAubrielle et visité son
appartement, soit il n’avait rien à voir avec tout cela. Dans tous les cas, son message devraitl’inquiéter.Ilchercheraitalorsàdécouvrircequ’ellesavaitetquellespreuveselledétenait.Dumoinsespérait-ellequ’ilsecomporteraitainsi.L’emailavaitétéenvoyésuffisammenttôtpourquel’hommeait largementletempsdeserendreà
Allota, y compris Santi Correa, qui demeurait au sud de la baie, à trois heures de route. Il seraitcertainementtropsecouépourprendrelui-mêmelevolant,maisilavaitunchauffeur.Sic’étaitbienluil’intéressé,ilsauraithonorerlerendez-vous.EtJack?Ilseraitfâchéden’avoirpasétéconsulté,maisils’enremettrait.Lepointdontelleétait
absolumentsûre,c’estqu’iln’auraitjamaisacceptédel’impliquerdansuntelarrangement.Alorsque,misaupieddumur,iln’auraitpluslechoix.Ellecliquaquatrefois,pourenvoyersonemailàquatredestinatairesprécis,puissesaisitdusiège-
autodanslequelAubrielledormaitetsortitsouslapluie.Prochainedestination:chezMimi.La maison lui sembla abandonnée, bien qu’en pénétrant à l’intérieur, elle eut la sensation que
quelqu’un était venu récemment. On avait procédé à des recherches parmi les étagères de labibliothèque;lesplacardsetlestiroirs,auparavantfermés,étaientgrandsouverts.LemeurtrierdeFranavait-ilvisitéleslieux?Ellesavaitbienqu’elleauraitdûrebroussercheminetfuircetendroitauplusvite,maislatentation
était trop forte. De toute façon, le visiteur était reparti. Elle l’aurait juré. Elle fit au plus vite,récupérantçàetlàleseffetsdontelleavaitbesoin.Jackayantprislesjumelles,ellesecontentadelalunettedeprécisionde lacarabine.Celle-ci ferait l’affaire.Elle sechangea rapidement, troquant satenuenoirecontreunjogginggris,etsecoiffad’unbonnetdelaine.Elleverrouilla laported’entréeavec soulagementet regagna savoiture, avecAubrielledans ses
bras.ElleserenditchezLindyFleursetgarasavoituresurleparkingàl’arrièredumagasin,prèsd’une
camionnettede livraison.Attendantqu’iln’yaitpluspersonnealentour,ellepritAubrielledanssonfauteuil,lepaquetdecouches,ets’élançaàl’intérieurparlaportedeservice.EllesetrouvanezànezavecLindy,occupéeàlaconfectiond’unesuperbecompositionflorale.
Sonexpressionapeuréeviraaussitôtausoulagementlorsqu’ellereconnutHannah.—Hannah!Toutvabien?Tuétaistellementbizarre,hier.J’aitentédet’appelersanssuccès.Hannahrefermalaporteetpritunelongueinspiration.—Pourrais-tuappelerJillpourluidemanderdenousretrouverici?Jedoisvousparler.J’aibesoin
devotreaide.
***
—Rappelez-moivotrenom?Lajeunefemmequiluiposaitcettequestionfitpassersonenfantd’unehancheàl’autre.—JackCarling,répondit-ilenluimontrantsesfauxpapiers.—Etqu’est-cequevousvoulezexactementàMitch?—Je travaillepour leconcessionnairequi luiavenduson4x4 l’annéedernière.Nouseffectuons
uneenquêtedesatisfaction.—Ehbien,iln’estpaslà.L’enfant qu’elle portait était plutôt costaud, tandis que l’épouse deMitch semblait avoir besoin
d’unebonnedosedevitamines.Bienqu’elleoffrîtuneimpressiondefragilité,ellen’étaitpaspourautantprivéedesenspratique.
Ellefronçalessourcilsendemandant:—Est-cequ’ontoucheraquelquechoseenparticipantàvotreenquête?—Undéfraiementdevingtdollars,annonçaJackdansunsourirequ’iltentaderendrechaleureux.
Bienentendu,cen’estpasunegrossesommepourdesgenscommevousetvotremari.—Qu’est-cequevousinsinuez?répliqua-t-elledutacautac.Juste au-dessus d’eux, la toiture de la véranda s’affaissait sous le poids des eaux de pluie. Les
Reynoldsvivaienteffectivementdansuneimpasse,etcela,danstouslessensduterme.Jackfitunsigneverslagrosseberlinestationnéelelongdelamaison.—Ehbien,desgenscommevous,avecdebellesvoitures…Elle émit un vague grognement. L’enfant lui faisait visiblement mal à la hanche et cherchait
désespérément à descendre. Lorsqu’elle le déposa enfin sur ses pieds, il partit en courant dans lamaisonenhurlantàpleinspoumons.—Nevousytrompezpas,répondit-elleens’appuyantcontrelechambranle.Celacoûteunefortune
defairelepleindecejoujou.Ons’enestservisqu’unefoisetpuislacriseestarrivée,etonn’apluseulesmoyensderoulerdedans.Mitchlavoulait;ill’aeue.C’esttout.D’accordmonsieur,jerépondsàvotreenquête.—Jesuisdésolé,maisc’estàMitchenpersonnederépondre,carc’estluiquiasignélacartegrise.
Savez-vousàquelleheureildoitrentrer?—Ilestpartihiermatinpourunecourseetjenel’aipasrevudepuis.J’espèrequ’ilnetraînepas
avecdesmauvaistypes,commetoujours.
Elleobservaunelonguepause,détaillantJack,puisreprit:—Vousvoulezentrerprendreunetassedecafé,monsieurCarling?Jackfitdesonmieuxpouravoirl’airsincère.— Je n’ai pas le temps.Désolé.Avez-vous lamoindre idée d’où je pourrais le trouver ? C’est
normalqu’ils’absentetouteunenuit?Vousn’êtespasinquiète?—Ouais,iln’apasl’habitudededécoucher,maisiladûêtreretenu…Maisaufait,qu’est-ceque
çapeutbienvousfairequemonmaridécouche?Quiêtes-vous,àlafin?—Jetâcheraideletrouverautravail,déclaraJackens’enallant.TransportsAce,n’est-cepas?Elleleregardasilencieusement,puiséclatad’unpetitrireaigrelet.—Foutaises !Vousmefaitesdesblagues,n’est-cepas? Ilvousdoitde l’argent,c’estça,hein?
C’estpourçaquevouslecherchez.Ehbien,ilaétéviréilyadeuxmoisetn’apastravailléunseuljourdepuis;alorsnecomptezpastropsurlui.Surce,elleclaqualaporte.Jackdémarraetquittaleslieux,extrêmementcontrarié.Etait-ceunecoïncidencesiMitchReynolds
disparaissait le jour oùFranBaker était assassinée ?Probablement.Rienne les reliait, excepté lescirconstances.FransortaitavecDavidetDavidavaitététuéparMitch.Soitc’étaitunaccident,commeilleprétendait,soitc’étaitunmeurtre,maisriennepermettaitencoredeleprouver.ToutcecileramenaitinévitablementàlafondationStarr.IlavaitencoredutempsavantderetrouverHannahetAbby,maissoninstinctluidictaitdefairevite.
Ilvoulaitlessavoirensécurité.Rienneleurarriveraittantqu’ilseraitprésentauprèsd’elles,etnonsur la route, à la recherched’informationsaléatoires.L’indépendanced’Hannah le tourmentait,maisd’unpointdevuepurementprofessionnel,c’étaitAubriellequ’ildevaitsurveiller,passamaman,aussidélicieusefût-elle.Les pneus usagés du pick-up avaient du mal avec les routes défoncées qui distribuaient cette
banlieue. S’éloignant de la carrière, il ralentit l’allure suite à un petit dérapage sur une aire degraviers.Quelquesinstantsplustard,ilcroisaunvéhiculedepolice.Sesgyropharestournoyaient,projetant
deviveslueursbleuetrouge,maissasirèneétaitmuette.Jackgarasonpick-uplelongdelarouteetobservalespoliciersfilerdansladirectiondesReynolds,curieuxdesavoirs’ilsserendaientounonchezeux.Lesonstridentd’unesirènelefitsursauter;ilseretournasursonsiègepourapercevoiruneautrevoituredepolicesuivied’uneambulance,toutesdeuxroulantàtombeauouvertàcontresens.Lestroisvéhiculestournèrentàgaucheetdisparurentauloin.RienàvoirdoncaveclafamilleReynolds.«Bouged’ici,espècedecrétin»,s’admonesta-t-ilenrepensantàFran,HannahetAbby.Illuifallait
découvrircequisetramait.Ilfitunecentainedemètres,dégotaunendroitassezlargepouryeffectuerundemi-tourets’élançaà
lapoursuitedesvéhiculesdepolice.Unvieuxpanneauaubordde la routeannonçaitunecarrièreàdeuxkilomètres.Ilsavaitqu’ilauraitdûrebrousserchemin,etpourtantcelaluiétaitimpossible.Ilpénétradansuneforêtdenseparunepistedelaquellepartaientdenombreuxcheminsbarrésde
chaînes rouillées et d’écriteaux « défense d’entrer » qui disparaissaient sous un enchevêtrement deplantes.Lorsqu’ils’aperçutquelarouteprenaitfinàlacarrière,ilralentit.Nichéeenpleinevégétation
luxuriante,lecratèrederochesgrisesévoquaitunpaysagelunaire.Jackpritunchemin longeant lacarrièrequedissimulaitun rideaudesapins.Unpeuplus loin,un
petit dégagement offrait un poste d’observation parfait. Il tenta de regarder à travers le pare-briseconstellédegouttesdepluielorsqu’ilsesouvintdelaprésencedesjumellesderrièresonsiège.La carrière était manifestement abandonnée depuis des lustres. Le matériel semblait figé par le
tempsetsedégradaitchaquejourunpeuplussouslesintempéries.Lesquelquesconstructionsencoredeboutpenchaientdangereusement.Làoùlarocheavaitétécreuséeseformaientd’immensespochesd’eauàl’aspectinquiétant.Perdus au milieu de ce lieu sinistre, les différents véhicules et l’agitation de leurs occupants
apportaient une note de gaieté inespérée et lui redonnaient vie. Jack découvrit une voituresupplémentaire,decouleurblanche,delaquellesurgitunjeunecouple.Lafemmedéployaunparapluierouge tandisque l’undespolicierss’avançaitverselle. Ilprenaitdesnotes touten luiparlant. Jackreconnutl’officierLatimer.Intéressant.Lesjeunesnepouvaientdétacherleregarddubassin,situéàunetrentainedemètresd’eux.Delàoù
ilsetrouvait,Jacknepouvaitapercevoircequiattiraitleurattention,maisilneluienfallaitpaspluspourdevinerquelasituationétaittragique.Deuxautresvéhiculesfirentleurapparitiondanslesminutesquisuivirent.L’unétaitunedépanneuse
et l’autre,unecamionnettedepoliceremorquantunebarque.Deséquipementsdeplongéefirent leurapparitiontandisquelesambulancierspréparaientleurmatériel.D’autres voitures arrivèrent encore, avec toujours plus d’intervenants. Une bonne demi-heure fut
nécessaireàl’undesplongeurspoursemettreàl’eauetrevenirdesapremièreinspectionlesmainsvides.Jacksortitdupick-up.Uneaccalmiedans l’averse luipermitdesedétendre les jambesetdecalmerlatensionquiluinouaitl’estomac.Leplongeurretournadansl’eau,cettefoisenemportantlecâbledeladépanneuse.Quelquesinstantsplustard,lasurfacedel’eausetroublaetunelongueberlinevertamandeémergeadesprofondeursdubassin.Jackétaitabsorbéparlascène,lesyeuxrivésàsesjumelles.Lesambulancierssemirentenbranle
etsesaisirentdubrancardavecdesgestesassurés.Cependant,unsilencedemortrégnaitalentourettouslesregardsétaientfocaliséssurl’épaverecrachantsontrop-pleind’eauparsesvitresfracassées.Ils’agissaitd’unmodèledeluxedesannées1960,fabriquéàl’époqueauxEtats-Unis.Jackétaitsûr
del’avoirvurécemment.Les équipesparvinrent finalement àouvrir laportière et découvrirent un corps à l’intérieur. Jack
abaissalesjumelles,malàl’aise.Iljetaunautrecoupd’œil.Descheveuxrouxplaquéssurlecrâne,unsweat-shirtblancavecunefleurdelysnoireetor,untrou
aumilieudufrontluidessinantuntroisièmeœil.L’œildelamort.Jackdéglutitavecpeine;ilvenaitdereconnaîtrelavictime.C’étaitletypequ’ilsavaientcroiséla
veilleàlaplage.Maiscen’étaitpaslavoitureaveclaquelleilétaitarrivé.Lemêmehommedansunevoituredifférente…Ilétaittempsdeprendrelelarge.Parchance,lapluiequis’étaitremiseàtombercouvriraitlebruit
desonmoteur.
Ilseprojetamentalementlesévénementscommeonrembobineunfilm.Oùavait-ilvucetteberlinevertamande?Pourquoi,en l’apercevant,avait-il immédiatementpenséàunhommeâgé,marchantàl’aided’unecanne?—Creuse-toilesméninges,Jack!»dit-iltouthautenfrappantlevolantdesespoings.Celaeutpoureffetderaviversamémoire.LeparkingdelasupéretteoùilavaitretrouvéHannah!Elle avait appuyé parmégarde sur le klaxon et un vieil homme était venu frapper à sa vitre, lui
demandantsitoutallaitbienavantdes’enaller,s’appuyantsursacanne.Il revit alors le contenu du break qu’ils avaient inspecté à la plage et réalisa que la canne s’y
trouvait,ainsiquel’imperméableusé.Oùtoutcelamenait-il?Quiétaitcethomme,etquellienlereliaitàHannah?Ilenexistaitun,incontestablement,puisquecet
hommeétait làquandHannahs’étaitsentieobservée.Quiplusest, ilétaitvêtud’unaccoutrement lefaisant passer pour un homme âgé. Puis, il était venu sur le parking de la plage, tandis qu’ilscherchaientAubrielle…Bien.MaisquevenaitfaireMitchReynoldsdansletableau?Etait-ceparpurecoïncidencequ’ilne
rentrait pas chez lui le jour où Fran Baker était assassinée ? Le même jour où l’on retrouvait uncadavreàmoinsdetroiskilomètresdesamaison?Lamêmearmeavait-elleservipourlesdeuxmeurtres?UnfiletdesueurfroidecoulalelongdestempesdeJack.Ilseforçaàconduirelentement,soulagé
dedécouvrirque lecheminmenaità la routeprincipaleparun itinéraire luiépargnantdecroiser lapolice.Lesinspecteursallaientrapidementidentifierlecadavreetretracerlesagissementsdesesdernières
heures.IlsallaientenquêteràlafondationetleréceptionnistenemanqueraitpasdesignalerqueFranétait venue accompagnée d’un homme nommé Jack Carling, le jour même de sa mort. Si MitchReynolds était impliqué dans l’affaire, ils allaient aussi questionner son épouse et elle citerait denouveau sonnom.De fil enaiguille, ils feraient le rapprochementavecHannah, surtout l’inspecteurLatimer. Ce dernier ne manquerait pas de se souvenir qu’elle était en compagnie d’un homme,propriétaired’uneHarley,surleparkingdelasupéretteetqu’ilsenommaitJackCarling.Etpuis,n’était-cepasencoreceJackCarlingquiavaitdécouvertlecorpssansviedeFranBaker,
aprèsavoirpartagéavecellelasoiréedelaveille?Jack se dit qu’il ne lui restait plus que cette journée pour tout résoudre. La probabilité de se
retrouverdansunecelluledusystèmecarcéralcalifornienn’étaitpasplusagréablequederéintégrerlescampsduGTM.Danslerétroviseur,ilvitleslueursdesgyropharesapprocheretentenditlessirènessedéchaîner…Il fit halte sur le bord de la route, priant le ciel pour que la police passe son chemin, mais le
véhiculenoiretblancvintsegarerjustederrièrelui.Jacks’efforçadegardersoncalme,luttantavecsonintentiond’écraserl’accélérateurets’échapper.
Ilpritunegrande inspirationetpensaàHannah. Ildevait rester librepour laprotéger.Elleétait sapriorité,aumoinspouraujourd’hui.Ilcachasalampetorcheàsespieds.Concernantlefusil,ilétaitàl’abridesregards,derrièreson
siège. Il est vrai qu’il se trouvait à moins d’un kilomètre d’une scène de crime, mais il n’y avaitcommis aucune infraction. Son plus grand souci était Hannah, car elle n’était pas informée de ladécouvertedecedeuxièmemeurtre.Aubrielleétaitsansdéfense;ildevaitéviterdesefaireprendresouspeinedeneplusêtreenmesuredeveillersurelle.Ilgarderaitsonsang-froid.Cecidit,ceseraitunvéritablemiracles’ilnefinissaitpaslajournéederrièrelesbarreaux.
***
Hannaharrivaà laposteavecunpeuderetard. Iln’yavaitpas tracedeJack.Aubrielledans lesbras,elleattenditsousl’auventavecimpatience,jetantunregardàsamontreàchaqueinstant.Oùpouvait-ilbienêtre?CertainementpluschezlesReynolds.Elleavaitbesoindesaprésence,elle
comptaitsurlui.Aprésentquesonplanétaitengagé,illeurfallaitagirenconséquence.Iln’étaitpasquestiondesetournerlespouces.Cen’étaitpassonhabituded’êtreenretard.Unedésagréableappréhensionluitraversal’esprit.S’était-ilmisdansdesalesdraps?Lesavait-il
abandonnées?Cetteabsencenefaisaitpassonaffairecarelleavaitbesoindelui,ettoutdesuite.Bienentendu,il
allait la féliciter d’avoir conçu cet email. C’était une bonne tactique. Pas très fine, mais efficace.Même la pluie jouait en sa faveur en obscurcissant légèrement la luminosité ambiante. Elle auraitpresquepusedissimulerderrièrelesgouttesdepluie.Maisceladissimuleraitaussilapersonnequiavaitravisonbébé,ettuéunefemmesansdéfense…Elle s’aperçut alors qu’elle avait inconsciemment séparéFran, son amie et collègue, deFran, ce
corpssansvie.Peut-êtreaurait-elleacceptéladureréalitéendécouvrantlebureaudeFranvide,lesdernierseffluvesdesonparfumflottantdansl’air.Franavaitétébrutalementassassinée,etHannahvenaitdeproposerunrendez-vousàsonassassin.
Décidément, cela ne pouvait être une bonne initiative. Jack avait raison ; c’était beaucoup tropdangereux.«Réfléchis. »Comment ferait-elle si sonplan s’avérait irréalisable ?Fuir comme l’avait fait sa
grand-mère?Non, elle ne pouvait se laisser gagner par la peur. Elle devait s’en sortir seule. Jack avait beau
s’inquiéter pour de pauvres innocents en TierraMontañosa, et elle partageait ses sentiments sur cepoint,elles’inquiétaitplus,àdirevrai,desapropreexistence.Aprèsunlongmomentàpiétinersurplaceenmaugréant,elle regagnasavoitureetdémarra.Elle se rendità l’hôtelafindesignaler leurdépart etvérifier si Jackn’yétaitpas repassépourune raisonouuneautre.Elle trouva lachambredans l’état où ils l’avaient laissée. Leménage n’avait pas encore été fait et les serviettes de bainhumidestraînaientçàetlà.HannahchangeaAubrielleetluidonnalesein,espérantvoirJackarriveràtoutmoment, les yeux rivés sur la porte.Finalement, elle détourna la tête et son regard seposa surl’empreintede leurscorps sur lesdraps froissés.Le souvenirde lanuitpassée lui traversaaussitôtl’esprit.Cessouvenirssuffiraient-ilsàmeublersaviefutureaucasoùJackviendraitàdisparaître?Lefutur.Elleétait là,àsongeraufutur,alorsqu’elleauraitdûconcentrer toutesonénergiesur le
présent.Utilisantlepapieràlettredel’hôtel,ellerédigeaunmotàl’attentiondeJackluiintimantdesetenir éloigné du parking de la plage, puis quitta la chambre. Quelques minutes plus tard, pour lasecondefoisdelajournée,ellesegaraàl’arrièredelaboutiquedeLindy.Détachant le siège d’Aubrielle, elle le recouvrit d’un plaid pour protéger sa fille de la pluie et
courutverslaportedeservice.Jill,lagrandefilledeLindy,lacroisadanslecouloir.Elleétaitdedeuxanssonaînée,maisavait
déjàtroisenfants, tousâgésdemoinsdecinqans.Aprèsluiavoirfait labise,ellesoulevasapetitefilledusiège-auto.Aubrielle,quihurlait,setutaussitôt,commeparenchantement.—Désolée,maisjenepouvaismelibérerplustôt,expliquaJillenembrassantAubrielle.J’aijuste
euletempsdedéposerlesenfantsàleurpère,àlacasernedespompiers.Ilestdereposaujourd’hui,maisilsontorganiséunbanquet.Mamanm’aexpliquéautéléphone.TuviendrasrécupérerAubrielleàlamaison?—Oui,réponditHannahenluicommuniquantsonnuméroainsiqueceluideMimi.Grand-mèreest
envoyageetmasonnerieseracoupéepourunmoment,maisjeconservelevibreur.Ducoup,jemettraicertainementunpeudetempspourterappeler,d’accord?— Pas de souci. Souviens-toi ; j’ai été infirmière avant d’être mère au foyer et mon mari est
pompier. Il ne peut pas nous arriver grand-chose.De toute façon, nous serons un bonmoment à lacaserne.Toi,tuteconcentressurtonentretiend’embauche.—Mercibeaucoup,ditHannah,soulagéedenepasavoireuàluiraconterdemensonges.Jillbaissalavoix.—Tonnouvelemploia-t-ilàvoiraveclemeurtredecettefemme?—Meurtre?—Oui,cettefemme,FranBaker,quitravaillaitaussiàlafondationStarr.Lesjournauxontdéclaré
qu’ils’agissaitdel’assassindesgarages,maismonmariestpersuadéquec’esttotalementfaux.—Non,celan’arienàvoir,réponditHannahenluttantcontresonenviedeluiarracherAubrielleet
fuiràl’autreboutdupays.—Ahbon.—Avez-vousentenduparlerdel’autremeurtre?demandaLindy.—Quelautremeurtre?—On l’aannoncéà la radio, ilyaquelquesminutes.BraceTysonaété trouvémortà lavieille
carrière.Uncoupledejeunesavusavoitureimmergéedansunbassin.—Brace?Tuessûre?demandaJill,choquée.Es-tusûrequ’ilaétéassassiné,maman?—Ilsontparléde«circonstancessuspectes».—QuiestBraceTyson?demandaHannah.—Ilavaitdeuxclassesd’avancesurmoiàl’école,aussinel’as-tucertainementpasconnu,raconta
Jill. IladéménagépourLosAngelesaprèsavoirobtenusesdiplômesetn’estrevenudanslarégionquel’annéedernièrepourymontersasociété,TysonEnquêtes&Filatures.Tuaspeut-êtreremarquésonbureaudanslepetitcentrecommercialausuddelaville?C’étaitunchictype.Ainsi, un détective privé avait été retrouvé mort dans la vieille carrière, non loin de chez les
Reynolds,alorsqueJacks’yétaitrendupourinterrogerMitch?Etàprésent,Jackétaitinjoignable?
MonDieu!Lapolicel’avait-ellearrêté?Hannahsentitsonestomacsenouercommeelle jetaituncoupd’œilàsamontre. Iln’yavait rien
d’autreàfairequedeserendreàlaplageetseprépareràrecevoirlemystérieuxvisiteur.Jackallaitdevoir sedébrouiller seul.Cecidit, il n’existait aucunepreuvede son implicationdanscenouveaurebondissement.Peut-êtresonpick-upavait-ilfiniparrendrel’âme,toutsimplement.Ellecaressaitmachinalementlespetitesmainsdesafille.Jilllaregardaavecdouceur.—Net’inquiètepas,Hannah.Tout irabien.Jeprendraibiensoind’elle.Onaimelesbébésdans
notrefoyer,tulesaisbien.Hannahseforçaàsourire,mais lerésultatn’étaitpas trèsconvaincant.Ellevit lamèreet lafille
échanger un bref coup d’œil et se dit qu’elles ne devaient pas croire un instant à cette histoired’entretiend’embauche.Déposantundernierbaisersurlefrontd’Aubrielle,elles’enallarapidement.Sonpremierarrêtfutaucybercafé.Elleseconnectaetconsultalecomptequ’elleavaitutilisépour
envoyersonemail.Ellen’avaitreçuqu’uneseuleréponse,maiscelle-ciétaitd’uneimportancecapitale.Envoyée,elle
aussi,depuisuncompteanonyme,elledisait:
Jeserailà.Toutcecidoitprendrefin.
13
Jackparlaitvite,suruntonpassablementagacé.Lepolicierneprêtaitqu’uneattentiondistraiteàsespropostandisqu’ilexpliquaitqu’ils’étaitégaréententantderegagnerlarouteprincipale.—Jemesuisperdusurcespetitesroutesdecampagne.Ellesseressemblenttoutessouslapluie.
J’aivulesvéhiculesdesécurité,alorsjemesuisarrêtéquelquesminutespourregarder.Quelqu’unaétéblessé?Lepolicier,quinesemblaitpasprêterlamoindreattentionaufaitquetousdeuxétaienttrempéset
frigorifiés,neréponditpas.Ilpréféraitétudiersonpasseportetsonpermisdeconduire,qu’ilfinitparluirendredansungrognement.—Vous devez continuer sur cette route environ un kilomètre et tourner à droite.Allez tout droit
pendantquatrekilomètres,prenezencoreàdroite,puistoutdroitjusqu’àFortBragg.Tâchezd’évitercespetitesroutes,àl’avenir.—Merci.Jack suivit ses conseils et rejoignit la route principale avec la sensation d’avoir évité de peu
l’échafaud.Hannah n’était pas à la poste et cela lui déplut. Où pouvait-elle être ? Souhaitant éviter de se
montreràl’hôteloùlapolicenemanqueraitpasdelerechercher,ilfithalteàunecabinepublique.Ilappela tout d’abord Hannah, mais n’obtint pas de réponse. Puis il joignit l’hôtel et demanda leurchambre.Personnenerépondit.Aufinal,ilappelalaboutiquedefleursd’Allota.—LindyFleurs.Bonjour,réponditunevoixféminine.Jackseprésentaetajouta:—Jesuisunamid’HannahMarks.Nousavionsrendez-vous,maisjesuisarrivéenretard.Auriez-
vouslamoindred’idéed’oùellesetrouve?—Ellem’aparlédevous,M.Carling,m’assurantquevousétiezlaseulepersonneavecsagrand-
mèreàquijepouvaisparlerd’Aubrielle.Ellenousaquittéesilyaunpetitmomentpourserendreàunentretiend’embauche.—Unentretiend’embauche?A-t-elleprisAbbyavecelle?Enfin,jeveuxdireAubrielle?— A vrai dire, ma fille Jill surveille le bébé. Ils sont tous à une petite fête à la caserne des
pompiers.Ellem’achargéedevousdemanderdevousteniréloignéduparkingdelaplagesijamaisvousappeliezaprès14h30.Etcommeilestpresque15heures,jevouspasselemessage.—Jevousremercie.Deretourdanssonpick-up, ilprit lechemind’Allota.Abbyavaitbeauêtreen lieusûr, il sentait
qu’Hannahétaitendanger.Iln’allaitpasresterlesbrascroisés.
***
Toutcecidoitprendrefin.Ces quelques mots trottaient dans l’esprit d’Hannah. Elle se les répétait en boucle depuis la
découvertedel’email.Ilsluiétaientdestinés,certainementécritsparunassassin.Sapremièreintentionavaitétédelerencontrerfaceàface,Jackprotégeantsesarrières,dissimulé
derrièreunrocher.MaisJackayantdisparu,ceplanétaitdevenuobsolète.Ellenepouvaitrisquersavieetfaired’Aubrielleuneorpheline.L’hommequiviendraitaurendez-vousavaitprobablementtuéFran,peut-être aussiDavid, etpourquoipas ledétectiveprivédont le corps avait été retrouvéà lacarrière.Elleneseraitpassaprochainevictime.Ellevoulaitseulementl’identifier,carpourcequiétaitdespreuves,elleendétenaitsuffisamment.
Ellelelivreraitàlapoliceetexpliqueraittoutel’histoire.Ettoutseraitenfinterminé.Elledépassal’entréeduparkingetavançajusqu’auxdunesadjacentes,cherchantlapistequimenait
au promontoire, et l’emprunta pour se dénicher un poste d’observation. Elle l’avait parcourue denombreuses fois à vélo, lorsqu’elle était enfant, pour se rendre à son château imaginaire. La pluierendaitsesrecherchesdifficiles,maisellefinitparlaretrouver.Ellegarasavoitureenretraitdesdunesetfitleresteducheminàpied,lacarabinedesongrand-
pèrebienassuréedanssamainfroideetmouilléeparlapluie.Elleavaitprisl’armepourlalunettequil’équipait,luipermettantd’observerlesenvironssansêtrevue.Songrand-pèreluienavaitexpliquélemaniement alors qu’elle était encore adolescente et, en l’absence de Jack, celle-ci lui procurait unsentimentdesécurité.Aurait-ellelecrandetirersicelas’avéraitnécessaire?Plutôtdeuxfoisqu’une.L’armeétaitchargéeetn’attendaitquecela.Nésd’unepousséephénoménaledepuis lesentraillesde laTerre,desmillénairesauparavant, les
rochers s’élevaient au-delà du sommet des dunes en de majestueux remparts. Ils recelaient unemultitudedecachettesdisponibles,tantpourl’imaginairedesenfantsquepourunefemmeenproieàuneréelleinquiétude.Hannahdénichaunemplacementsouslesrochersoffrantunevuedégagéesurleparkingdelaplage.
Plusieursvoituresyétaientgarées,éparpilléesçàetlà.Hannahsentitquel’hommes’ytrouvaitdéjàetdevaitl’attendre.Elledétaillachaquevéhicule,gardantentêtelaCadillacblanched’HugoCorrea,laVolvorougede
GaryJenkins,le4x4bleud’HarissonPlumberetlaMercedesbleuazurdeSantiCorrea.Aucuned’entreellesn’étaitprésente.Durantunebonnevingtainedeminutes,iln’yeutaucunmouvementsurleparking.Hannahnefaisait
qu’interrogersamontre.Letempss’étiraitpluslentementquejamais.Unecrampesedéclaradanssajambedroite.Uneanfractuositédans la roche, justeau-dessus, faisait s’écoulerun filetd’eau froidedanssanuque,sinuantlelongdesondos.Enfin, un fourgon noir aux vitres teintées fit irruption sur le parking. Hannah frissonna. Cela ne
concordait pas avec sa liste de suspects. Peut-être était-ce un touriste supplémentaire, attiré par larenomméedupaysage.Oubienl’hommequ’elleattendaitavaittoutsimplementchangédevéhicule…Le fourgon alla se garer près des toilettes, face à l’entrée.Hannah retint son souffle comme une
silhouette endescendait,mais laportière conducteur étantducôtéopposé, elleneputdiscerner sestraits.L’inconnufitletourdesonvéhicule,sedéplaçantlentementmalgrélapluie.Hannahregardaàtraverslalunettecommeils’éloignaitdedosendirectiondestoilettes.Ellenotaun imperméablegrisacier,unchapeaunoirà largesbords,des lunettesdesoleil etdes
gants. Un pantalon noir avec un large ourlet et des bottines noires. Démarche prudente. Cheveuxdissimulés.Soncomportementétaitdetouteévidencesuspect.L’inconnupénétradanslasectionréservéeauxfemmes,enressortitparcelledeshommes,puisse
tint à l’extérieur, s’accordant manifestement une pause à l’abri de la pluie sous l’auvent du petitbâtiment.Hannahn’était pas convaincueque cette personne soit son agresseur.Elle avait seulementl’intuitionqu’il s’agissaitd’unepersonnede sexemasculin,bienqu’avec ladistance et lapluiequifaisaitécran,satailleneluidonnâtpasd’indicationsprécises.Soudain, unmouvement au loin vers l’est attira son attention. Hannah fit lamise au point de sa
lunetteetvitunvieuxpick-upfranchirlabarrièred’entrée.Jack.Bonsang…Ellevisadenouveauverslestoilettes.Leconducteurdufourgonnoiravaitdisparu.Oùétait-ilpassé?Jack descendit de son pick-up, fouilla derrière son siège et en extirpa le fusil. Il demeura là un
moment,étudiantlesalentours.Ellevitseslèvresremueretsutqu’ill’appelait.Ellefutsurlepointdesortirdesacachetteetluifairesignelorsqu’elleaperçutdumouvementverslestoilettes.Réajustantsalunette,elleobservalascène.L’individuavaitfaitletourdubâtimentetsetenaithorsdevuedeJack.Celan’étaitpascontraireà
laloi,maispourquoisecomporterdelasortesil’onn’avaitrienàsereprocher?ElleétaitsurlepointdereportersonattentionsurJacklorsquel’hommevêtudenoirplongeasamaingantéedanssapocheetlaressortit,prolongéed’unpetitautomatiqueargenté.OùétaitJack?Désespérément,ellelecherchaduregardetlevitsedirigerverslebâtiment.Depuis
saposition,ilnepouvaitvoirlamenace.S’ilfaisaitunfauxmouvement,lapersonnepaniquerait-elleetoserait-ellefairefeusurlui?Quedevait-ellefaire?Aprèsavoirjetéunregarddanslesdeuxtoilettes,Jacksepostaàl’extérieuretscrutalesenvirons.L’hommearméapprochait,lerevolveràlamain.Hannahcriadansleurdirection.Soncrineparvintpasjusqu’àeux.Elleétaitbeaucouptroploin,etlefracasdelapluiesurl’auvent
métalliquecouvraittout.L’hommes’avançaencore,plusmenaçantquejamais.Unéclatdelumièrefitbrillerlecanondesonarme;elleétaitpointéeendirectiondeJack.Hannaharma la carabine.N’ayantpas tirédepuisbien longtemps, ellemanquait deprécision.La
distance séparant Jack de son agresseur était demoins de deuxmètres. Si elle ratait sa cible, ellerisquaitd’atteindreJack.Elle décida de viser le fourgon. Faire voler une vitre en éclats nemanquerait pas d’attirer leur
attention.Laballeratalacibleetatteignitlavitrearrièredupick-up,maiscelaproduisitsoneffet.Jackse réfugiaaussitôtdans l’ombredubâtimentetempoignasonfusild’ungestemenaçant.Elle
pouvaitlirel’indécisionsursonvisagebienqu’ellenepûtenvoirlestraitsavecprécision.Ilétaitprêtaucombat.Cependant, son tirn’avaitpasproduit l’effetescompté ; en focalisant l’attentionde Jackdanssadirection,Hannahluiavaitfaittournerledosauvéritabledanger.L’hommeréapparutetplantasonrevolverdansledosdeJack.Cedernierfutcontraintdedéposer
lentementsonfusilàterre.Ellelesvitéchangerquelquesparolesetdevinaquel’hommeforçaitJackà
regarderdroitdevantlui.IlnedutpasapprécierlamanièredontJackrépondaitàsesquestions,carils’agitanerveusement.Hannahpressa ladétenteunenouvelle fois,endirectionde labenneàordures.Lecoupseperdit
dans lanature,maisdétourna suffisamment l’attentionde l’hommepour lui faireperdre sesmoyens.Tandis qu’il s’échappait en courant, une rafale fit s’envoler son chapeau. Hannah tressaillit en lereconnaissant. Il s’engouffra dans son fourgon au moment où Jack ramassait son fusil. Hannah tiraencoreunefoismaislevéhicule,indemne,pritlafuite.Jackavaitregagnésonpick-uppours’élanceràsapoursuite.Maisilneputallerbienloincarl’un
desespneusavaitététouchédanslafusillade.Ilsautaduvéhicule,découvritsonpneuàplatetjuraenlevantlespoings.Enfin,Hannahnel’entenditpasjurer,mais,leconnaissant,elleenfutpersuadée.Illevalatêteetregardaverslesdunes.Hannahsortitdesacachetteetsesignala,levantsacarabineàboutdebrasetfaisantdegrandsgestes.Elleregagnasavoitureetfitauplusvitepourlerejoindresurleparking.Jack,trempéjusqu’auxos,avaitenmainslechapeaudufuyard.—Est-cequeçava?demanda-t-elleenbaissantsavitre.Ils’installaàsoncôté.—Jevaisbien.Ettoi?— Oui, Jack. Je sais qui c’était. Hugo Correa. J’ai vu son visage quand le vent a chassé son
chapeau,etj’aireconnusadémarched’estropié.Jeneparvienspasàycroire.Jenesaispascequ’ilnousveut,mais…—Moi, j’ai reconnu sa voix. Il veut une cassette.C’est ce qu’ilm’a dit enmemenaçant de son
arme.«OùestHannah?Oùestlacassette?»—Quellecassette?interrogeaHannah.—Jen’ensaisrien.—Lesseulescassettes…—LesseulescassettesentapossessionsontcellesqueDavidt’alaissées.Illaregardaavecinsistance.—Enroute!
***
EnpénétrantchezMimi,Jacksutaussitôtquequelqu’unétaitpasséavanteux.—Ilestpeut-êtretroptard,annonça-t-ilendécouvrantlamaisonsensdessusdessous.— Je ne crois pas. Lamaison était déjà dans cet état quand je suis venue cematin récupérer la
carabinedegrand-père.SiHugoavaittrouvécequ’ilcherchait,pourquoiserait-ilvenuàlaplage?Ilgarda lesilence.Elleavaitbeau luiavoirsauvé lavie,elleavait toutdemêmemissonplanà
exécutionsansmêmeleconsulter.Ilavaitbiendumalàexercersonrôledegardeducorps.Laboîteétaitrangéedansleplacard,exactementlàoùilsl’avaientlaissée.Siellenecontenaitpas
labonnecassette,ilsnesauraientalorsoùmenerleursrecherches.—J’avaisoubliélesVHS,dit-elleeninspectantlecontenu.Grand-mèreaunvieuxmagnétoscope
danssachambre;allons-y.Jackémettaitdepetitsgargouillisenmarchant,tantsesvêtementsetseschaussuresétaienttrempés,
maisiln’allaitpasperdreunprécieuxtempsàsechanger.Silapolicedécidaitdelesretrouver,cettemaisonseraitleurpremièredestination,aprèsl’hôtel.EtsiHugoCorreavoulaitsevenger,ilsavaitoùHannahhabitait…Hannahinséralacassettedumariageetmitenmodelecturetandisqu’elledisparaissaitpourallerse
changer.Ellerevintquelquesinstantsplustard,portantsatenuenoiredumatin.—C’esttoutcequejepeuxfairepourtoi,dit-elleenluitendantunepairedechaussettesdelaine.—C’estmieuxquerien.Pour l’instant, lacassettenecontientquedesimples imagesdemariage,
ajouta-t-ilenôtantseschaussurespourchangerdechaussettes.—Onpeutlireenaccéléré,non?—Pourquoipas?Illuitenditlatélécommandeetfouillalaboîtepourenextraireuntasdecassettesaudio.—Ilfaudraitdesheurespourécoutertoutcela,maiscommençonstoutdemême.Tuasunlecteurde
cassettes,Hannah?—Dansmavoiture.Onpouvaitcomptercinqcassettesdemusiqueclassique,deuxou troisdemusiquepop,duheavy
métaletunopéra.CertainesavaientétéenregistréesparDavidlui-mêmeetellereconnutsonécrituresurlesjaquettes.Ilfallaitprobablementcommencerparcelles-ci.Malheureusement,aucuneneportaitlamention«K7chantage».HannahéchangealaVHSdumariageaveccelledescoursd’aviation.Jacks’impatientait.Lorsque leportabled’Hannahsonna, ilenprofitapourprendre lecontrôledu
magnétoscope. Sur l’écran de télévision, un Cessna bleu et blanc venait d’atterrir et approchait ducameraman.Atraverslavitreducockpit,Davidfitunsignedelamain.L’écranseremplitdeneige.Jackfitdéfilerlabandeenmodelectureaccélérée,aucasoùunautre
programmesetrouveraitàlasuite.—Grand-mère est dans une ville nommée Ferndale et son amie et elle sont descendues dans un
motel,annonçaHannahenraccrochant.—Nousdevonspartird’icileplustôtpossible.—Laisse-moiappelerJill.Celaneprendraqu’uneminute.Effectivement,leurconversationfutonnepeutplusconcise.—Jillditqu’Aubrielleestéveilléeetpassesontempsàdévisagersafilleâgéededeuxans.Elleest
prêteàlagarderpourtoujours.—Ettuluiasrépondu«non,merci»,ironisaJack.—Jeluiaiditqu’ilsepourraitquejeluilaisseAubrielleunpeupluslongtempsqueprévu.Ellen’y
voitaucuninconvénient.—Ceneserapasnécessaire.Jevoudraisquetuailleschezellemaintenant,etyrestesletempsque
jedémêlecettehistoire.— Il n’en est pas question, répondit Hannah. Ma famille est menacée par une personne que je
pensaisêtremonami.Jen’imaginetoujourspasHugoCorreacambriolantmonappartementetenlevantmafille.C’esttoutsimplementincroyable.Jackcomprenaitsontrouble.IlneconnaissaitpasbienHugo,maisavaittoutdemêmeétésongarde
ducorps,quelquesjours,enTierraMontañosa.Correaluiavaitdonnél’impressiond’unhommeunpeufaiblevivantdansl’ombredesonpère.Ill’avaitrevudanslecampdesguérilleros.Ungardel’avaittabassé à coups de crosse de revolver devant ses yeux. Difficile d’imaginer qu’un homme puissesurvivreàcesmauvaistraitementspourseretrouveràjoueraveclaviedesautres.IlenlaçaHannahetl’attiraàlui.— Hannah, écoute-moi bien. Abby a besoin de sa maman. Tu es tout pour elle. Moi, je n’ai
personne.Sijevenaisàmourir,ceseraitdansmonrôledegardeducorps,envousprotégeanttouteslesdeux.Maiss’ilvousarrivait…Ilneputcontinuercarelleavaitécraséseslèvressursabouche.Ilgoûtasonbaiseravecdélice.Il
prialecieldeluidonnerletemps,lapaix,lachancedevivreunenouvellevie.Ellemitfinàleurbaiseretluimurmura:—Quechantais-tuàAubrielle,l’autrejour?—Lacomptine?Elles’appelle«Duerme,NiñoChiquito».—Queracontentlesparoles?—Laisse-moiréfléchir…Dors,monpetitbébé,commença-t-ildoucement.Dors,monpetitamour,
dorsmapetiteâme,jecroisquec’estça.Dorsjusqu’aupetitmatin,mapetiteétoile.Elle l’écouta calmement, sous le charme de sa voix, puis revint soudainement à leur sujet de
préoccupation.—J’aioubliédetedirequelapoliceatrouvéundétectiveprivémortàlacarrière.—Jesuisaucourant.J’étaislàquandilsl’ontsortidel’eau.J’aiapprissonidentitéàlaradio.Je
mesuisfaitarrêterenquittantleslieux,etmaprésenceaévidemmentfaitl’objetd’unedéposition.—Ilétaitpeut-êtreàlasolded’Hugo?Cedevaitêtrelui,l’hommequimesurveillaitsanscesse.—Celanemesurprendraitpas,avouaJack.Allonsécoutercescassettes.
***
Ilss’installèrentdanssavoiture,Hannahs’asseyantd’autoritéauvolant.—Eloigne-nousdecettemaison,luiditJack.Ellesortitduquartieretvintsegarerdevantunterraindésert.—Commençons par le heavymétal, proposa Jack. Elle fait partie des cassettes enregistrées par
David.Onlesécouteratoutesenvitesseaccéléréeetonpasseraenmodelecturedetempsàautrepourvérifiers’iln’apasinséréautrechosequedelamusique.Sionnedécouvrerienaveccetteméthode,ondevratoutécouter,dudébutàlafin.
Hannah soupira.Ces cassettes contenaient des heures et des heures demusique.Elle se demandas’ilsneferaientpasmieuxd’allertoutraconteràlapolice.Elleregardadenouveaudans laboîteet fixasonattentionsur lescassettesdemusiqueclassique.
Tandis que Black Sabbath vociférait dans l’autoradio, elle lut les étiquettes. Mozart, Chopin,Beethoven.—Jack?luidit-elleenbaissantlevolume.As-tutoujourslemotquejet’aidonné?Celuiquiétait
danslesacdesportcontenantl’argent?—Dansmonportefeuille,répondit-ilenlesortantdesapoche.9,D,125,1,2,lut-ilàhautevoix.Ellesuivaitsurlajaquettedelacassette.—Symphonienuméro9enDMineur,Opus125,Mouvements1et2deBeethoven, lut-elleàson
tour.UnlargesourireapparutsurlevisagedeJack.—C’estcelle-là.IléjectaBlackSabbathet inséra lacassettedeclassiqueenaugmentant levolume.Unquatuorde
violons emplit la voiture.Hannah pressa la commande d’avance rapide puis remit sur lecture.Destrompettes,desflûtesetdespercussions.Ellerefitdeuxfoislamêmeopérationavantdetombersurunpassage où des voix d’hommes remplaçaient la musique. Ils parlaient en espagnol, trop vite pourHannah,etl’arrière-plansonoreétaitfortementbruité.Elle retrouva lemoment où lamusique disparaissait brutalement et la conversation débutait.Une
voixd’hommemurmurait:«30avril,11h20dumatin,CorreaetHurtado,àlafrontièredelaTierraMontañosa,àbordduBellN480,E,X».Hannahsentitun frisson laparcourir.Cela lui faisait toutdrôled’entendredenouveau lavoixde
David, et bien que la conversation en espagnol devînt son centre d’intérêt, elle pouvait sentirl’exaltationdanssarespirationhaletante.—Reconnais-tulavoixd’Hugooucelledel’hommequeDavidnommeHurtado?demandaJack.—Non.JeneconnaisaucunHurtado.Ilsparlentespagnol,etleursvoixsontétouffées.—Ilsdoiventsetrouveràborddel’hélicoptère.ElleimaginaDavidauxcommandesduBell.Peut-êtreavait-ilétéenrôléenqualitédepilotepour
lesemmenersecrètementenEquateur?Peut-êtreécoutait-il lasymphonie lorsqu’ilavaitsurprisuneconversation intéressante ?David comprenait bien l’espagnol. Il s’était sûrement dit qu’il tenait ungroscoups’ilparvenaitàenregistrerleursproposdanslebutdelesfairechanter.Jack monta le volume et concentra toute son attention sur la conversation. La symphonie reprit
brusquement.Iléteignitl’autoradio.Ilavaitl’airsombreetpréoccupé.—Qu’ya-t-il?Dequoiparlaient-ils?demanda-t-elle.—JepensequeDavidlesasurprisenpleincomplot.Ilspréparaientl’embuscadeetontmêmeparlé
demedroguer.Bonsang,tutesouvienscommenoussommestombésdesommeilcettenuit-là?Hugoétaitdescendudanslemêmehôtel.Ilasûrementdemandéàuncomplicedeverserunsomnifèredansnotrevin.Ellesesouvenaitbiendes’êtreéveilléevaseuselelendemainmatin.
—Oui,Hugoétaitbienlà,aveclesautres.Nousétionstouslogésaumêmeétage.—JenepenseplusqueleGTMaitvraimentétéimpliquédansl’embuscade.J’aicrucomprendreen
écoutantlacassettequecetype,Hurtado,étaitchargédemonterungroupearméquidevaitprétendreappartenirauGTM.—Pourquoiauraient-ilsfaitcela?Dansquelbut?—Pourrécupérerl’argentdesassurancestoutenreportantlestortssurleGTM.—Hugos’estlui-mêmetiréuneballedanslajambe?—Non, je ne pense pas. Il n’avait certainement pas prévu d’être blessé. Il a dû se produire un
incidentlorsdelamiseenscènedeleurlibération.Oualorsl’autretype,HarrisonPlumber,asuspectéunearnaqueetHugos’estdévouépoursefairetirerdessus,pourchassersesdoutes.Tul’asdit toi-même l’autre jour : la fondation n’assure que les cadres supérieurs. Ils avaient donc besoin de laprésencedesdeux,CorreaetPlumber.—Ducoup,celaprouvequelafondationStarrnefinancepaslesforcesduGTM.—Non.Ilsontaussiévoquéun«plandutrentièmeanniversaire»surlabande.—C’estprévupouraprès-demain,complétaHannah.Nousdevonsprévenirlesautorités,Jack.— Nous avons encore deux jours devant nous. Tu penses que la police nous écoutera ? Qu’ils
prendrontausérieuxcetenregistrement?Qu’ilstransmettrontledossierauxfédérauxàtemps?«OubienilsmettrontJackenprisonentantquesuspectnuméro1dansdeuxaffairesdemeurtre!»—SantiCorrea,dit-elle.—Quoidonc?—Ila toutes lesconnectionsnécessaires. Ilpeutannuler la réceptiond’unseulcoupde fil.Mon
Dieu, le gouverneur et des sénateurs doivent y assister. Pour quelle raison voudraient-ils attenter àleursvies?—Aucuneidée,avoua-t-il.Peut-êtrepourréclamerunenouvellerançon?—Santiviendradèsdemainaprès-midipourpréparerlacérémoniededimanche,maisceseratrop
tard.Onpourraitl’appeler…—Tunepeuxpasannonceràunhommepartéléphonequesonfilsaprévuderuinerl’œuvredesa
vie.Combiendetempscelaprend-ilpourserendrechezlui?—Troisheures.Peut-êtrequatre.—J’yvais,décida-t-il.—Jet’accompagne.—EtAubrielle?—C’esttropdangereuxdel’emmener.—Jet’enprie,resteavecelle.JepeuxtrèsbienimaginertadéceptionenapprenantqueDavidait
préférésefairedel’argentaveccettehistoireplutôtquededénoncerlescoupables.Iln’apashésitéàsalir le nomd’Abby avec sesmagouilles. Je connais deux, trois cas de pères ayant fait des chosesterribleset laissantleursenfantsenassumerlesconséquences.Laisse-moiagirpour lebiend’Abby.Toi,turestesàl’écart.Hannah sentit les larmes lui monter aux yeux. Le vrai père d’Aubrielle était un homme loyal et
courageux,etnonunpeureux,commeDavidl’avaitété.Ellen’avaitjamaiseuautantenvied’avouerlavéritéàJack.—Fais-moiconfiance,luidemanda-t-il.—J’aitouteconfianceentoi,lerassura-t-elleenluimentant.Ellerechignaitencoreàluiconfiersafille,bienquecesoitaussilasienne.—Celadépasselecercled’Aubrielleetmoi,Jack.Santinet’écouteracertainementpas,sitoutefois
ilacceptedeterecevoir.Ilm’écoutera,moi.C’estnotreseulechance.—AlorsAbbynousaccompagne.—Jenesuispaspour,Jack.—Jesuissongardeducorps.Lesproblèmessurgissentchaquefoisquenoussommesséparés.Soit
nousyallonsensemble,soitj’yvaisseul.Sonultimatumfitmouche.Ilavaitraison.Lesproblèmessurgissaientdèsqu’ilsseséparaient.Maisparfois,ilssurgissaientaussiquandilsétaientensemble.
14
Laprioritéétaitdes’assurerqueSantiCorreaétaitbienchezlui.Ilyavaitfortàparierqu’ilavaitdéjàprislaroutepourserendreàlafondationetcommencerlespréparatifs,surtoutquesonemployée,FranBaker,avaitététuéelaveille.Comptetenudesasantéfragile,ilpouvaitavoirprisdel’avancesursonvoyage.Lapolicel’avait-elledéjàinterrogéàproposdeFran?Hugoavait-ileuletempsdeparleràson
père?Hannahnesavaitàquois’attendre.Santi n’avait pas particulièrement paru soucieux au téléphone et n’avait mentionné aucun des
tragiquesévénementssurvenuscesvingt-quatredernièresheures.Cequiamenaitlaquestionsuivante:leurserait-ild’unequelconqueaide?D’unautrecôté,ilsn’avaientpasd’alternative.«Jeseraisravidevousrecevoir»,avaitdéclaréSantiselonsonstyleformeletbienparticulier.IlsrécupérèrentAubriellequelquesinstantsplustard.Jillavaitprissoindelalaveretdeluidonner
sonrepas.MaislapetiteAbbynesemblaitpasprêtepourunesieste.Jackpritlevolantafinqu’Hannahs’occupedesafille,l’amusantavecsesjouetsetluichantantdetendresrefrains.ElledevaitsanscesseseretournerafindesurveillerAubrielle,etcettepetitegymnastiqueluidonnaitmalaucœur.—Davidétaitaucourantdetout,dit-elleens’installantfinalementfaceàlaroute.Ilsavaitquedes
gensdevaientpériretiln’arienfaitpourl’empêcher.Jen’arrivepasàycroire.—Si,ilafaitquelquechose,réponditJack.IlaprévenuCorreaqu’ilétaitaucourantquequelque
chosesetramaitetCorreaaachetésonsilence,avecl’argentqu’ilt’aremis.Celaadûsepasserainsi.—EtHugoapayéMitchpourletueretdéguisercelaenaccident.—EtFrandevaitsedouterdequelquechose.Lespiècesdupuzzles’assemblentenfin.—Toutporteàcroirequ’ellefaisaitchanterHugo;sanouvellevoiture,sadécisiondedéménager…
Si David entretenait vraiment une liaison avec Fran, il y a des chances qu’il lui ait raconté toutel’histoire.EtFrandesemettreenrecherchedel’argent,voiredecambriolermonappartement.—Oupeut-êtrecherchait-elleàmettrelamainsurlafameusecassette?EnadmettantqueDavidlui
enaitrévélél’existence.— Fran et David étaient complices. Ils étaient prêts à fermer les yeux sur un massacre pour
s’enrichir.Jen’aipasvraimentétéperspicace,n’est-cepas?—Oh,cen’étaitpassiévident,répondit-ilenéchangeantunbrefcoupd’œilavecelle.Quedireà
monsujet,alors?Elleeutunsourireteintéd’amertume.Cematin,aprèsqu’ilsavaientfaitl’amourunebonnepartiede
lanuit,neluiavait-ilpasannoncéqu’ils’eniraitquandtoutseraitfini?Ellenepourraitcomptersurluiindéfiniment;ill’enavaitprévenueàdenombreusesreprises.—Prendslaprochaineàgauche,indiqua-t-ellealorsqu’ilapprochaitd’unepetiteroutes’enfonçant
danslesterres.DepuisWillets,onavaitaccèsàunpetitquartieraunorddeSanFranciscoappeléHighlandHillsoù
Santis’étaitinstalléquelquesmoisauparavant.Lapluiecessaenfincommeilss’engageaientsurunpontenjambantunpetittorrent.Lespharesdu
pick-up leur révélèrent ses eaux tumultueuses tandisquedesnuages sombres couraient dans le ciel,jouantàcache-cacheaveclalune.Ils dépassèrent un panneau indiquant qu’ils étaient à quarante kilomètres de l’embranchement de
l’autoroute.Letraficétaitplutôtlégeretconcentrésurlesensinverse.Jackétaitsilencieux,concentrésurlaroute,etHannahsentaitsespaupièreslourdesdefatigues’abaisserinéluctablement.Lafaimfitsonapparitionuncourtmoment,maisneputluttercontresonépuisementbienlongtemps.Elles’éveilladansunsursaut,lecœurbattant.—Qu’ya-t-il?demanda-t-elleenregardantJack.L’éclairagedutableaudebordluiconféraituneétrangeexpression.—Noussommessuivisparunfourgonnoir,annonça-t-ilenluijetantuncoupd’œil.Ilserapproche,
puiss’éloignedenous,régulièrement.Accroche-toi.Ellecompritquec’étaitlarudessedesaconduitequil’avaitréveillée.Ilsroulaientvite,enchaînant
lesviragesserrés,tantlaroutesuivaitlesméandresdutorrent.Lorsqu’elleseretournapourregardercomment Aubrielle supportait les embardées du véhicule, les phares du fourgon illuminèrentl’habitacle.—C’estlefourgonduparkingdelaplage?Hugo?—Quid’autrecelapourrait-ilbienêtre?réponditJack.Acet instant, levéhicules’approchajusqu’àvenir taper lepare-chocarrièrede lavoiture,quifit
uneembardée.—Tuasbienattachétaceinture?demandaJackd’unevoixempreinted’unevivetension.Le fourgon les heurta de nouveau.Hannah étaitmuette de terreur.En fait, sa ceinture de sécurité
n’étaitplusattachée.Ellel’avaitenlevéepours’occuperd’Aubrielleets’étaitassoupieenoubliantdelareboucler.Ellepensaalorsàsapetitefille;était-ellebienarriméeàsonsiège?Ellesepenchaverslabanquettearrière,tâtonnantdansl’obscuritépoursesaisirdelafixation.Lefourgonlesdépassaentrombe.—Attention!Jack cria comme l’autre véhicule leur coupait la route.Venant percuter la portière conducteur, il
projetalapetitevoitured’Hannahhorsdelachaussée.Ilsdévalèrentunesérieusepenteàtraverslesarbres,lelongdelaroute.Jackluttaitaveclevolanttandisquelesbranchesgiflaientlesflancsdelacarrosserie.Hannahaperçutauloinlasurfacedel’eaubrillantsouslesrefletsargentésdelalune.Lavoituresemitàdéraperdebiaislelongdelariveetperditdelavitesse.Aubrielle.Silavoituretombaitdansletorrent,ellenesurvivraitpasàceseauxfroidesetsombres.
HannahpoussaunhurlementdedétressetandisqueJackluttaittoujoursavecladirection.Saportières’ouvritd’elle-mêmeetelle s’accrochaàsonsiège.Aubrielle semitàpleurer sous levacarmedestôlesheurtantlesarbresetlesrochers.Enfin,lavoitures’immobilisa.Hannahselaissatomberparsaportièreouverte.Jacklançasonbras
etl’attrapaparlamain.—Accroche-toiàmoi,cria-t-iltandisquelevéhiculeseremettaitàglisserdansungrondementde
métal.Lemoteur était heureusement coupé.Hannah avait une jambe qui pendait dans le vide, juste au-
dessusdeseauxtumultueuses.Lavoitureglissaencoreunpeu,s’approchantinexorablementdutorrent.—IlfautsauverAubrielle,Jack.—Jenetelaisseraipas.—Illefaut,Jack.C’estsaseulechancedes’ensortir.—Tiensbon.La voiture fit une embardée ; le pied d’Hannah entra dans l’eau et le courant voulut l’entraîner.
L’intérieurdelavoitureétaitsisombrequ’ellen’apercevaitdeJackqueleblancdesesyeuxetdesesdents.—Jevais…Elleluicoupalaparole.— Ecoute-moi bien. Tu dois sauver Aubrielle. Tu dois la sortir de cette maudite voiture avant
qu’ellenetombedanslarivière,sinononlareverrajamaisvivante.—Tuestoutpourelle,luidit-ilfermement.Jepeuxvous…—Non,tunepourraspas!Lecourantlatiraitdeplusenplusfortetleursmainsseséparaientinexorablement.—Ellen’apasquemoidanssavie,avoua-t-elledansunsanglot.Elleasonpère,Jack,etc’esttoi!Son annonce provoqua un grand silence, comme si l’homme et le bébé avaient suspendu leurs
respirations.Dansungrincement, la voitureglissaunpeuplusvers l’ondemenaçantede la rivière.Hannahtentades’accrocheraumontantdelaportière,maislecourantétaitvraimenttroppuissant.Ellefut happée par les eaux bouillonnantes, le froid tétanisant ses muscles alors qu’elle tentaitdésespérémentdesemainteniràlasurface.
***
Durantunmomentquiluiparutinterminable,Jackdemeuralààobserverleremousàlasurfacedeseaux,àl’endroitoùHannahvenaitdedisparaître.Ilperçutalorsunpetitcriderrièreluietrevintàlaréalité.Ilsedéplaçaavecprécaution,espérant
quecettemauditevoituretienneencorequelquesinstantssurlarive.Sefaufilantàl’arrière,ilparvintàouvrirlaboucledelaceintureretenantlesiège-bébéetpritAubrielledanssesbrasavecsoulagement.Le sac de couches était pris dans la poignée de la porte et il le décrocha avec force. Au derniermoment, il se souvint de la cassette dans l’autoradio et la récupéra pour la placer dans le sac decouches.La voiture d’Hannah émit un grognement sinistre et glissa légèrement vers le torrent. Cette eau
glacéedanslaquelleHannahvenaitdedisparaître…Non,ilnefallaitpaspenseràHannah,ildevaitavanttoutsortirsonbébédecettevoiture.Sonbébé.Leurbébé.Ils’enétaittoujoursdouté.Quelquepartaufonddesonêtre,aufonddeson
cœur.Aprésent,ilcomprenaitpourquoiilavaiteul’étrangesensationqu’Hannahluicachaitquelque
chosedepuis ledébut.Ellen’avait jamaiseu l’intentionde luidévoiler lavérité jusqu’àceque lesévénementsl’ycontraignent.Elleneluifaisaitpasconfiance,enfait.Ilserrasafilledanssesbrasaussifortqu’ilputet,retenantsonsouffle,appuyadetoutsonpoidssur
laportièrecabosséeafindelafairecéder.ToutenpriantlecielpourquecettetentativenelesexpédiepasrejoindreHannah,ilparvintenfinàfaireployerlemétalrécalcitrant.Avecprécaution,ilsortitunejambehorsdelavoitureetputposerunpiedsurlarive.Basculantlepoidsdesoncorpssurcetappui,ils’arrachadelacarcassemenaçantetoutenveillantàprotégerlafragiletêted’Abby.Enfinlibre,ilremontapéniblementlariveens’éloignantlepluspossibleduvéhicule.Dansungémissementlugubre,lavoitureserapprochadequelquescentimètresdutorrent,sesphares
illuminantsasurfacetumultueuse.—Hé!criaunevoixau-dessusdelui.Ilyaquelqu’unenbas?Jack se sentit à la fois soulagé et sur le qui-vive. Etait-ceHugoCorrea qui revenait afin de les
achever ? Il cherchaHannah du regard, sachant par ailleurs qu’il était quasiment impossible de larepérerdanssesvêtementsnoirs,enadmettantqu’elleaitpusortirdel’eau.—C’estbienunbébé,commentaunevoixdefemme.Une femme. Jack se mit à escalader la rive qu’éclairaient des faisceaux de lumière. Lorsqu’il
parvintàsonsommet,ilsetrouvafaceàuncoupleâgé.Leurénormeberlinerougeétaitgaréelelongdelarouteettousdeuxtenaientenmainunelampetorche.—Oh,monDieu,s’écrialafemme,c’estunbébé.J’enétaissûre!Est-cequ’ilvabien?—Çava,maisj’aibesoindevotreaide,réponditJack.—Jem’appelleJimFranklin,etvoicimafemme,Caroline.Enquoipouvons-nousvousaider?—Lamamandecebébéest tombéeà l’eau.Prenez soind’Aubrielle,gardez-labienauchaudet
prêtez-moiunedevostorches.—Biensûr,pasdesouci,ditl’hommetandisquesafemmeéchangeaitsalampecontrelebébéetle
sacdecouches.—Nosportablesnecaptentpasderéseauparici,ajoutaJim.Jeviensavecvous.—Non.Restezavecvotrefemme,insistaJack.Déjà il s’éloignait. Il ne voulait pas qu’Aubrielle et la femme demeurent seules au cas oùHugo
reviendrait.Ilselaissaglisserlelongdelarive,lalumièredesatorcheprojetantdesombresfantasquesparmi
lessapins.—Hannah!hurla-t-ildanslanuit.Hannah!Aplusieurs reprises, ilcrutvoirsasilhouetteéchouéesur la riveet seprécipitaenvain,glissant
danslaboue,pourdécouvrirqu’ils’agissaitd’unquelconqueamasderochers.Ilparcourutlarivedelongenlargeencriantsonnomdésespérément,luttantcontrelesbranchesdesarbresquiluicinglaientlevisageetluiécorchaientlesmains.Lorsqu’iln’avaitpasd’alternative,ilpénétraitmêmedansl’eauafindecontournerunobstacle.Le faisceau de sa lampe attrapa un gros rocher planté au milieu du courant. Sa forme escarpée
pouvaitenfaciliterl’escaladeetlecœurdeJacksemitàtambourinerenimaginantqu’Hannahauraitpus’yréfugier.Maislelitdutorrents’éloignaitradicalementdutracédelarouteàcetendroitpréciset
rendaitl’approchepérilleuse.Illuifallaitdel’aide.Cette aide impliquait de prévenir la police. Ce qui le conduirait probablement en prison. Cela
supposaituntempsdemiseenœuvreinacceptabledanslasituationprésente.Celaimpliquaitaussi,aucas oùHannah soitmorte, de se séparer à jamais d’Abby. Il se retrouvait pris entre lemarteau etl’enclume,etsaprioritéétaitdetenterdesauverHannah,quoiqu’ilpuisseluiencoûter.Dirigeantsa lampevers larivefaisantfaceaurocher, ilaperçutuneformenoire.Ilcompritalors
quelecoudequeformaitlecourantàcetendroitpermettait,àquiconqueenavaitladétermination,denager afin de regagner la berge. Il s’élança de nouveau dans cette direction en appelantHannah detoutessesforces.Le faisceau de sa lampe révéla des cheveux blonds et une vive émotion le submergea. L’instant
d’après,iltombaitàgenouxàcôtédelajeunefemme.—Mapetitechérie,murmura-t-ilenlaretournant,espérantqu’ilnesoitpastroptard.Sapeauétaitlivideetfroideautoucher.Iltâtasagorgeàlarecherchedesonpoulsetelletoussa.Il
l’aidaàsepencherenavantafinqu’elleexpulsel’eauqu’elleavaitavaléetpritsonvisageentresesmains.—Commenttesens-tu?demanda-t-ilenôtantsavestepourl’enenvelopper.—Aubrielle?—Toutvabien.Elleestsauve.Ilembrassaseslèvresglacéestoutenluifrictionnantlesmains.—Jesuisépuisée.Frigorifiée.Trempée…—Quandj’aicruquejet’avaisperdue…Ilneputpoursuivre.Ilyavaittantàdire,maiscen’étaitnilelieunilemoment.Ilvoulaitéviterde
s’engagervis-à-visd’unefemmequiavaitattendulederniermomentpourluifaireunerévélationaussicruciale.Unbruitau-dessusd’euxlesfitsursauter.—Nebougepas,ordonnaJackenéteignantsalampe.Unefoisdeplus,ils’imaginaHugo,unrevolveràlamain,lesmenaçant.Hannahétaittoujourssous
lechoc;ellen’auraitpufuiretJacknel’auraitabandonnéepourrienaumonde.Ilsformaientuneproiefacile.Ilplaçasoncorpsenbouclier.—Vousl’aveztrouvée?demandaunevoixd’hommequeJackreconnutpourêtrecelledeJim.Levieilhommes’approchad’eux,leséclairantavecsatorchequ’iltenaitd’unemainmalassurée.—Ellevabien?—Oui,annonçaJack.—Carolineetmoiavonssuivilefaisceaudevotrelampe.Notrevoitureestjusteau-dessus.—Quisontcesgens?demandaHannahtandisqueJackl’aidaitàseremettresurpieds.—Nosangesgardiens.Allons-y.
***
Hannahavaitpasséunjeanetungrandsweat-shirtqueCarolineluiavaitprêtésetberçaitAubrielledanssesbras.Aprèscettedureépreuve,êtretoutprèsdesafilleetdeJackluifaisaitunbienfou.Elle avait été à deux doigts de tout perdre, ce soir. Dans un dernier sursaut combatif, elle avait
profitéd’uneaccalmiedanslecourantdelarivièrepournagerverslabergeetescaladerlesrochers,nesachantalorssielleévoluaitdanslaréalitéousielleavaitdéjàbasculédansl’autremonde.PuisJackl’avaitsecourue.—Alors,quandonavulapluiequis’annonçaitsurlacôte,onadécidéd’allerdanslesterrespour
rendrevisiteànotrefils,expliquaitCaroline.IlvitàSanRafael.Tandisqu’ilsapprochaientdeWillets,Jimannonçaàhautevoix:—Ilyaunpanneauquisignaleuncontrôledepoliceplus loin.C’est làque jeproposedevous
déposer,àmoinsquevousnepréfériezallerdirectementàl’hôpital.Hannahjetauncoupd’œilàJackquisemblaittenducommeunarc.—Vouspensezpouvoirnousamenerjusqu’àHighlandHills?demandaHannah.—Qu’est-cequ’onfaitdevotrevoiture?réponditJim.Etpuis,vousdevezvoirunmédecin.—Non.Pasdemédecin.NousdevonsimpérativementnousrendreauplusviteàHighlandHills.On
s’occuperadelavoituredemain.Il y aurait bien d’autres sujets à traiter le lendemain, songea-t-elle, comme par exemple le fait
d’avoiravouéàJackqu’ilétait lepèred’Aubrielle. Iln’yavaitqu’àvoircomment ils’employaitàévitersonregard.—Onpeutfairecelapourvous,acceptaCaroline.C’estpilesurlecheminnousamenantcheznotre
fils.—Vouspourreznousdéposern’importeoùenville.Onprendrauntaxi,ajoutaJack.—Nesoyezpasstupide,rétorquaJim.Onvousdéposeralàoùvousallez.Iln’yaaucunproblème.
***
Hannahn’étaitjamaisalléechezSantiCorrea,maiselleluienvoyaitsuffisammentdecourrierpourconnaîtresonadresseparcœur.AlorsquelesFranklinlesdéposaientdevantlagrillefermantl’alléequimenaitàl’imposantedemeure,Jackleurdemandadepatienterquelquesinstants.—AppelleSantiàl’Interphone,ordonnaJackàHannah,etassure-toiqu’Hugon’estpasdéjàarrivé.—Aprèscequ’ilafait,sonpèreestladernièrepersonneversquiilsetournerait.—Lesarmessontrestéesdanslecoffredetavoiture;tusuismonraisonnement?Aubrielledanslesbras,Hannahactionnaleboutondel’Interphone.Santiréponditaussitôt.—Vousvoilàenfin,dit-ild’unevoixrassurée.Jem’inquiétais.—Noussommesdésolésd’arriversitard,ditHannah.Jack avait repéré la caméra de surveillance et se tenait à l’écart de son champ de vision, dans
l’ombre.—Serons-nousseuls?ajoutaHannah.
Santiémitunpetitrire.—Ilestpresqueminuit, trèschère.Ma femmedortet lesemployéssont rentréschezeux.Oùest
votrevoiture?—Jevousexpliquerai.Pouvons-nousentrer?—Oui,oui.Biensûr.Unbruitmagnétiquesuivid’unclaquementdéverouillalaserruredelaporte.IlsremercièrentlesFranklinets’engagèrentdansl’allée.HannahsesentaitàboutdenerfsetJackne
vintpasarrangerleschoseslorsqu’ilvintluimurmureràl’oreille:—Hugopeutsurveniràtoutmomentetleschosesmaltourner.Restesurtesgardes.
15
Santivintouvrirlaported’entrée.—Hannah,machère,dit-ilenarborantunlargesourire.SessourcilspoivreetselselevèrentdesurpriseenapercevantJack.— Voici mon ami, Jack Starling, annonça Hannah. Vous avez fait sa connaissance en Tierra
Montañosa,ilyaunanenviron.Jack lui tendit unemain que Santi serra avec une énergie surprenante pour un homme, aux dires
d’Hannah,faibleetabattu.Ilestvraiqu’ilvieillissait—soncorpss’affaissaitinexorablementetsescheveuxblanchissaient—,maisilyavaittoujourscettelueurcombativeaufonddesesyeux.—Diasbueni,miamigo,lançaSanti.Quelestcemiracle?Nouspensionstousquevousaviezpéri
danslajungle.—J’aieudelachance,monsieur.Maiscesoir,nousvenonsavecdesinformationstrèsalarmantesà
proposdelaTierraMontañosa.—Entrez,entrez, les invitaSantienrefermantderrièreeux.Veuillezexcusermespropos,mais je
vous trouve l’air de personnes qui ont traversé de rudes épreuves. Venez dans mon bureau, on vaprendreunverre.Il les conduisit dansunegrandepièce luxueuse comportantungrandbureaudeverre et, à l’autre
extrémité,uneimposantecheminéedemarbrerose.Santirefermaleslourdesportesisolantlapiècedurestedelademeure.—Jen’ai pas encorevuvotrebébé,Hannah, dit le vieil hommedansun sourire amical.Elle se
prénommeAubrielle,n’est-cepas?HannahsoulevaAubrielleafindeluimontrersonpetitminois.—Elleestaussibellequesamaman,commentaSanti.Puis-jelaprendredansmesbras?Hannahpesalepouretlecontreavantd’accéderàsarequête.—Biensûr.—Laissez-moim’installerdanscefauteuilaupréalable.Jesuisunvieilhommeet jenevoudrais
paslafairetomber.HannahdéposaAubrielleavecprécautionsurlesgenouxdeSanti.Ilsouritavecbonheur.—Jack?Voulez-vousfaireleservice,s’ilvousplaît?Jeprendraiunwhiskyàl’eaugazeuse.—Lamêmechosepourmoi,ajoutaHannah.Jacks’exécutadebonnegrâce,seservitunwhiskybientasséetleurtenditlesdeuxautresverres.
Choisissant une chaise en face de Santi, il réfléchit à lameilleure façon d’aborder le sujet qui lesamenait.Paruneexplicationcomplète?Parlacassetteaudio?Hannahregardasuccessivementsonvisage,sesmainspuisSantiavantdedéclarer:—Noussommesvenusvousparlerd’Hugo.—Hugo?Qu’est-cequ’Hugoa àvoir avec laTierraMontañosa?Lesécolesy sontouvertes et
fonctionnentbien.LafondationtravailleàprésentsurlaColombie.—Justement,c’estàproposdesécoles,rétorquaHannahenjetantunregarddedétresseàJack.Et
aussidel’embuscade,duGTM…—Monsieur,avez-vousunlecteurdecassettes?l’interrompitJack.Celapourraitnousfairegagner
beaucoupdetemps.Santisemontrafortsurprisdecettedemande,puisémitunpetitriremoqueur.— Dans ce meuble. J’ai un vieux système hi-fi que j’aime beaucoup trop pour le remplacer,
répondit-ilenmontrantunesorted’armoireenacajou.JackfouilladanslesacdecouchesetensortitlacassettedeDavid.Ill’inséradanslelecteuretsa
voixemplitbientôtlapièce:«30avril,11h20dumatin,CorreaetHurtado,àlafrontièredelaTierraMontañosa,àbordduBellN480,E,X».—Qu’est-cequeçasignifie?demandaSanti.Quiestcethomme,Hurtado?—Attendezlasuite,déclaraJack.Laconversationsedéroulantenespagnolcaptivaittoutel’attentiondeSanti.ToutenberçantAbby,il
tendait l’oreille. Une fois encore, Jack entendit Correa et Hurtado comploter pour le droguer etorganisersereinementl’embuscade.—Vousavezétédrogué?demandaSantilorsquelabandeparvintàsafin.—C’estexact,réponditJackenreprenantlacassettequidistillaitàprésentlaneuvièmesymphonie
deBeethoven.C’estpourquoijen’étaispasdanslavoiturequiouvraitleconvoi.Jenedevaismêmepasêtreprésent,etsij’aifinalementpulesrejoindre,çaaétépourmefairecapturerquelquesheuresplustard.— Mais vous n’êtes pas mort. Ils ont dit qu’ils tueraient toute personne de la compagnie
suffisammentimportantepourquelesassurancesacceptentdepayerunerançon.—Oui,maisjepensequ’ilsontcrupouvoirm’enrôleràterme.Ilsentraînaientdestireursd’élite,et
j’aidescompétencescertainesdanscedomaine.Hugoavaitdûentendreparlerdemoi.Jepensequen’importequiàlafondationavaitaccèsàmondossier.Santiseleva,tenantAbbynichéedanssesbras.Ilalladroitàsonbureauetsesaisitdutéléphone.
Jackfutsoulagédelevoirs’impliqueraussipromptement,mais,aprèsunesecondederéflexion,Santireposalecombiné,fitquelquespasdanslapièceetleurfitface.—Vousêtesentraind’accusermonfilsdemeurtre.Pire,deterrorisme.—Etcen’estpastout,ajoutaJack.N’oubliezpasqu’ilsontévoquéletrentièmeanniversaire.—Vouspensezqu’ilsparlaientdesjournéesportesouvertesdelafondation?—Quoid’autre?—Hmm…—Ecoutez ; je lesaivusà l’entraînement là-bas,simulerdesopérationsdegrandeenvergure.Je
n’aiaucuneidéedecommentilscomptents’yprendrepoursefondredanslapopulationdeFortBragg,maisilsontcertainementunplanbienpréparéavecl’aidedevotrefils.Pourcequenousensavons,ilspourraientavoirdescomplicesauseindelafondation…—Toutceciparaîtvraimentincroyable,etvouslesavezbien,interrompitSantid’unevoixpuissante
enseredressant.
—Peut-êtrebien,maisvousnesavezpascequiestarrivédurantvotreabsence,surtoutcesderniersjours.Santibalayacesaffirmationsd’ungestelarge.—Quid’autreestaucourantausujetdecettecassette?—Votre fils, répondit Hannah. L’homme qui l’a enregistrée était David Lengell, et comme vous
devezlesavoir,ilestmortaussitôtaprès.IlfaisaitchanterHugo.Santitressaillit.—Jesaisquecelafaitbeaucoupàdigérerd’uncoup,ajoutaHannah.Nousvousexpliqueronstout
endétailplustard.Pourl’instant,s’ilvousplaît,contentez-vousd’annulerlacérémoniededimanche.Vousêtesleseulàenavoirlepouvoir.Votrefilsatentédenoustuercesoir.Ilfautl’arrêter.Onfrappaàlaporte.SantiallaouvriretHugoentra,visiblementsecouéendécouvrantlesvisiteurs
desonpère.—Ah,Hugo,mercid’avoirréponduàmonappel.Nousavonsdesinvités.Hugoavaitl’airtotalementdérangé,bienplusencorequedanslescampsdesguérillerosdesmois
auparavant.Son regard s’illuminait d’une lueur de folie et sonvisagebrillait d’une sueurmalsaine.Pénétrantdanslapièce,iloffritàHannahunregardempreintdemalice.Ainsi,Santiavaitmentiàproposdel’absencedesonfils.Peut-êtreessayait-ildeleprotéger?Jack
pouvaitcomprendresamotivationbienlégitime,maisilétaittroptardpoursevoilerlaface.LorsqueSantis’étaitapprochédutéléphone,ilavaitdûutiliseruneligneinternepouravertirHugo.Aprésent,ilsétaienttouslesdeuxlàetlasituationétaitdélicate.Hannahsembla s’effondrerdans son fauteuil.Son regardpassadeSantià sa fille,quecedernier
tenaittoujoursdanssesbras.—Vous, lançaHugo en pointantHannah du doigt, pourquoi nem’avez-vous pas tout simplement
donnécettecassette?—Pourquoil’aurais-jefait?rétorqua-t-elleavecdéfi.Vousm’avezterrorisée.Vousauriezputuer
monenfant.— Ce qui est arrivé il y a longtemps ne compte plus aujourd’hui. Pourquoi vouloir ruiner la
fondationàcausedecela?Combiend’argent…—Jenevoispasdequoivousparlez,coupaHannah.—Biensûr,ditHugoavecironie.—Qu’est-cequevousracontez?demandaJackàHugoenselevant,lespoingsserrés.Santipouvaitbiensecontenterderesterlààécoutersansagir,maispaslui.—Vousfaisiezchantermonpère,poursuivitHugo.Vousluiavezretournélespochesetbienqu’ilait
payé,vous l’avezmenacéde toutrévéleraugrandjour.Avez-vousaussi tuéFran?Avait-ellepercévotreplan?—Jenecomprendsplusrien,avouaHannah.Jen’aijamaisfaitchanterquiquecesoit!—Vousniezm’avoirenvoyéunemailcetaprès-midi?Etunaussiàmonpère?Santitraversalapièceetvintseposterdevantlacheminée.—Non,jeneniepas,maisc’étaitjustepourvouspousseràsortirdel’ombrecarvousaviezpris
monbébéetmenacédelatuer,ainsiquemagrand-mère.—Jamaisdelavie,réponditHugoenapposantlamaincontresontorse.Letroubleleplussincèreselisaitdanssesyeux.—Vousnousavezprojetéshorsdelaroute,cesoir,lançaJack.—Oui,c’estvrai.J’avaispeurquevouslivriezàlapresselabandedesébatssexuelsdemonpère
aveccetteavocate. J’ai suquevousprojetiezd’organiseruneconférencedepressequin’auraitpasmanquédedébouchersuruneenquêtenationale.Ilnesavaitpasquecettefemmevoulaitseservirdeluienleplaçantdansunesituationdélicate.Jen’auraisjamaisdûêtrearmésurleparkingdelaplage,jel’admets.J’étaishorsdemoi.—VousavezfaillituerHannahetAbby,intervintJack,lamâchoirecontractée.—Attendezuneseconde, intervintHannah.Jenesuisaucourantd’aucunebandecompromettante.
Vousvousêtesintroduitchezmoi,vousavezpiégémavoiture,vousavezsoudoyédesterroristespourfairetuervospropresemployés.Hugolevalesmainsensignedeprotestation.—Là,c’estvousquimentez.Jen’airienfaitdetoutcela.J’aiembauchéundétectiveprivé,certes,
maisilaététrèsclairsurlefaitqu’ilnetransgresseraitaucuneloi.Iln’afaitquevoussurveiller.—Etes-vous en train d’affirmer que vous n’avez pas organisé l’embuscade avec un type nommé
Hurtado, que vous n’avez pas tué David et Fran et que vous ne préparez pas un attentat pour lesjournéesportesouvertes?Hugoenétaitbouchebée.—Qu’est-cequecettehistoired’attentat?— Il est prévu d’y faire sauter une bombe et de reporter les responsabilités sur un groupe de
terroristes,expliquaHannah.Commesivousnelesaviezpas!— Ils vont venir jusqu’ici ?C’est stupide. S’ils avaient vraiment prévuune telle action, ils s’en
prendraientà leurspropresécoles. Ilyaaussiunecérémoniedeprévuelà-bas,avecuntasdegensimportantsdugouvernement.Ceseraitplusfacileàmettreenplacequ’àcinqmillekilomètres.Quelseraitalorslebut?Commentferaient-ils,neserait-cequepourpénétrerauxEtats-Unis?Unlourdsilences’installasurlepetitgroupeetJacklemitàprofitpouranalysercetimbroglio.CorreaetHurtado.Oui,maislequeldesCorrea?Il dévisagea Santi qui tenait Abby à bout de bras devant lui. Son châle était tombé et elle
apparaissaitsivulnérable,àmoitiéendormiedanslesmainsduvieilhomme.Sonenfant.Sonavenir.—Celasuffit,ditSanti.Hannahselevad’unbond,mueparlesmêmessentimentsqueJackàproposd’Aubrielle.—C’est incroyable commeunbébé sembledélicat, poursuivitSanti en regardantAbby.Tous les
enfants,d’ailleurs,passeulementlesbébés.Etnousenavonstantperdus,decesenfants.—M.Correa?murmuraHannahens’avançantverslui.Jevoudraisrécupérermonbébé.—Restezoùvousêtes,trèschère.Vousaveztoutfaux.Monfilsn’apaslestripespourfairecedont
vousl’accusez.C’estmêmesurprenantqu’ilaiteulecouragedevousbalancerhorsdelaroutecettenuit.Iln’estpeut-êtrepasperdu,aprèstout.—Jenevouscomprendspas,réponditHannah.JackfitunpasversSantietpritlaparole:—Cen’étaitpasHugosurlacassette,c’étaitSanti.Jenem’ensuispasrenducomptecarelleest
endommagée.—Quellecassette?demandaHugo.Lacassettedemonpèreaveccetteavocate?—Cette cassette n’existe probablement pas, rétorqua Jack.Votre père vous amenti,Hugo.Celle
qu’ilvoulaitquevousrécupériezavaitétéenregistréeenTierraMontañosaparDavidLengell.Alors,Santi,oùestMitchReynolds?Vous l’avezembauchépour tuerDavidaprèsqu’ilvousasoutiré lespremierscinquantemilledollars.Ensuite,Mitchs’enestprisàHannahparcequeFranavaitreprislechantagedeDavidàvotreégardetqu’elleluiavaittoutmissurledos.Est-cequeMitchaaussituéFranàvotredemande?— Elle était devenue trop gourmande. Elle a eu la bêtise de dévoiler son identité. Concernant
Hannah,j’aihésité.C’étaitunejeunemaman,aprèstout.MaisFran…AprèsqueMitchs’estoccupédeceratédedétectiveprivéquifourraitsonnezdanscequineleregardaitpas,j’aijugéutiledeluioffrirdesvacancesdéfinitives.— Je ne comprends rien, intervint Hugo. Pourquoi racontent-ils toutes ces insanités à ton sujet,
papa?JackobservaitSantiquiavaittoujoursAbbydanssesbras.— Ce sont les écoles, expliqua Jack. Ce n’est pas la fondation, la cible, mais une école en
particulier,commevousl’avezsuggéré,Hugo.—Bravo,s’exclamaSantidansunlargesourire.Maisvousvoyeztroppetit.—Alors,ils’agitdetouteslesécoles.—JustecellesinstalléesenTierraMontañosa.—MaispourquoimonterungroupusculeseréclamantduGTM?demandaHugoàsonpère.Pour
quelles raisons voudrais-tu détruire ce que tu as mis une vie à construire ? Ces écoles sontmagnifiques.—Lesécolesnesontquedesbâtiments,rétorquaSanti.Celanem’intéressepas.Jackrepensaauxentraînementsdontilavaitététémoindanslajungleetrevitlebusscolairequ’il
avait aperçunon loinducamp.Une sectiondeguérilleros l’avait empruntéun jour etn’était jamaisrevenue.Ilavaitalorspenséàdesimplesmouvementsdetroupes,maisàprésent,ilyvoyaituneautreraison.HannahfitunnouveaupasversSanti.—Rendez-moimonenfant,ordonna-t-elle.Jack en profita pour se rapprocher de lui discrètement. Santi plaqua Aubrielle contre son torse.
L’enfants’éveillaetémitunpetitcriplaintif.—Unpasdeplusetjelajettesurladalledemarbre.Sonpetitcrâneexploseracommeunmelon
tropmûr,Hannah.Cen’estqu’uneenfant,guèreplusimportantequelescentainesd’autresquimourrontdemain.
Hannahs’immobilisa.—Vousalleztuerdesenfantsinnocents?demandaJack,choqué.—Tunepeuxpasfaireça,avançaHugo,bienquel’horreurquiselisaitdanssesyeuxtémoignaitdu
contraire.— Année après année nous construisons des écoles que les enfants fréquentent avec joie, mais
finalementleGTMoud’autresfactionsterroristesfinissentparlesrécupérer,expliquaSanti.Quecesoientdesfillesoudesgarçons,ilssontdéportésdanslajungleetentraînésàtuerouàtransporterdeladrogue,cettedroguequi finance toutes leshorreursquenoussommes incapablesd’enrayer.C’estsansfin.—Alorsvousavezcrééungroupefacticepourperpétrerunhorribleattentat?Qu’est-cequecelava
changer?demandaJack.— Le massacre de milliers d’enfants, d’enseignants et de dirigeants, imputé au GTM, va enfin
réveillerlesconsciences.Lepeupleexigeradugouvernementqu’ilengageuneluttefarouchecontreleGTMetlescartelsdedroguequipourrissentlasociétéàtousseséchelons.Lalibertédetousvautbienquelquessacrifices.—Cegenred’idéologienepaiejamais,tranchaJack.Desfêléscommevousagissentdelasorteaux
quatrecoinsdumonde,maiscelanemarchejamais.—Maismoi,jesuissûrd’avoirraison,argumentaSanti.Jevaisécrireunepagedel’histoireence
jour qui va libérer la Tierra Montañosa. Personne ne saura jamais que je suis derrière cettemachinationetcelamevatrèsbien.Celaseramonlegsàl’humanité.Hugos’approchadesonpère.—C’esttoiquiasorganisél’embuscade?—Oui,bienentendu.MoietHurtado.SiJackavaitétéarmé,ilauraitdescenduSantiàlasecondemême.Levieilhommen’auraitjamais
sucequil’avaitrayédumondedesvivants.LedangerauraitétédeblesserAbby,biensûr.Elleétaitbien trop fragile pour survivre à une chute sur le marbre de la cheminée. Ses doigts cherchaientinconsciemmentlagâchettequiluiauraitpermisdemettrefinàcettehorriblescène.Lesquatre adultes se tenaient en cercle, se faisant face, enproie àune indicible tension. Jack se
creusaitl’espritafindetrouverunesolutionradicaleàcestatuquo.—Tun’étaispasmaladecettenuit-lààl’hôtel,ditHugo.Tum’asracontédeshistoiresafinquejete
place en fin de cortège. Tu savais qu’on allait être attaqués et tu nous as envoyés à la mort sanssourciller.—Çat’aexcité,n’est-cepas?réponditlevieilhomme.—J’aidûpasserdesmoisencompagniedecesmonstres.J’aicruquej’allaismourir.Ilsm’onttiré
dessus!—C’était nécessaire, répondit Santi avec suffisance, afin que personne ne suspecte la fondation.
J’avaisprévudetefairelibérer.—Ilétaitprêtàvoussacrifier,ditJackàHugoentâchantdelerallieràsacause.Asesyeux,vous
n’étiezpasplusimportantquen’importequelautreêtrehumain.—Cen’estpasvrai,criaSanti.Monfilsvautplusquedesmillionsdedollars.
HannahtenditlamainversSanti.—M.Correa,toutestterminé.Donnez-moimafille.Iln’yaplusd’issuepossible.Tropdegenssont
impliqués.Rendez-moimonbébé,s’ilvousplaît.—Jevaisvousdirecequel’onvafaire,annonçaSanti.Nousallonstousattendrebiensagement.La
cérémonieenTierraMontañosaalieucesamedi.Dimancheestunjoursainetjesaisqu’ilsvonttoutfairepourreculerd’unjourlesfestivités.Lesattaquesaurontlieusimultanémentdanslestroisécolesà9heuresdumatin.Ilsonttroisheuresd’avancesurnouslà-bas,aussitoutcommencera-t-ilà6heuresici.Jevousrendraivotreenfantà6h30.—Ensuitenouspréviendronslesmédiasdecequevousavezfaitetlafauten’enincomberapasau
GTM.Tousvosplansdélirantspartirontenfumée,expliquaJack.—Là,vousavezraison,réponditSanti.J’aiquelquepeuignorécetaspectdeschoses.Votresurvie
entraîneraitlaruinedemonaction.Puis,s’adressantàHannah:— Vous avez ma parole que je confierai votre enfant à votre grand-mère afin qu’elle l’élève
dignement.Avantqu’Hannahaitpuesquisserunmouvementverscemonstre,Hugofitapparaîtreungroscalibre
danssamain.Santilevitetsourit.—Jenem’attendaispasàcequetutecomportesenhommecesoir,fils.Tun’aspasàtirersurqui
quecesoit.Mitchafait lesaleboulotàmaplace,maisjenerechigneraipasàenvoyercesdeux-làmoi-mêmeenenfer.—Cen’estpaseuxquejevise,criaHugo.C’esttoi!Santiaccusalecoupsuperbement.—Mêmesituétaiscapabledemetuer,cedontjedouteparfaitement,tutueraisaussiprobablement
cettepauvrepetitefille.—Tuesprêtàtoutsacrifierpourtafolie,répliquaHugo.Peut-êtresuis-jeprêtàTEsacrifierpour
arrêtertoutcela.—Non!VousalleztuerAubrielle!hurlaHannahcommeSantiserraitlebébéencoreplusfort.—N’ayezcrainte,Hannah,claironnaSanti,iln’enapaslecourage.L’espaced’uninstant,JackcruqueSantidisaitvrai,maisunelueursauvagenaquitdansleregard
d’Hugo.ProjetantHannahsurlesol,ils’élançaversSanticommelerevolveraboyaitfurieusement.
16
Hannahroulasurelle-mêmeetrampasurleluxueuxtapispersantandisqueladétonationrésonnaitdanssatête.EllelevalesyeuxetaperçutAubriellechuterdansladirectionopposéeàcelledeSanti,tandisqueJacks’élançaitlesbrastenduspourrecevoirsonbébé.Lascènesedéroulacommeauralenti.Abbys’approchaitdusolmillimètreparmillimètretandisque
lesmains de Jack parvenaient lentement à se placer sous elle.Hannah cessa alors de respirer, sonattentionfocaliséesurlesdeuxêtresqu’elleaimaitleplusaumonde.Ellen’eutpasunregardpourlecorpsdeSantiquis’effondraitsurladalledemarbre,telunpantindésarticulé.JackréceptionnaAubrielledanssesmainspuissanteset le filmrepritaussitôt savitessenormale.
HannahserelevaenuninstantetpritsafilledesbrasdeJack,mueparunirrésistibleinstinctmaternel.Jackluioffritunsourirerayonnant.Hugoalladirectementaubureaudesonpèreets’assitlourdementdanssonfauteuilendéposantle
revolversurleplateaudeverre.Jack se releva d’un bond et s’approcha d’Hannah qui serrait sa fille dans ses bras, la berçant
gentiment afin de la calmer.Des taches de sang se voyaient çà et là sur le vêtement du bébé,maisaucunetracesursapeau.JackallasepenchersurlecorpsdeSantipourprendresonpoulsettournalatêteversHannahavec
unregardexplicite.—J’aituémonpère,balbutiaHugoendécrochantletéléphone.—Prévenezlecomitéd’organisationenTierraMontañosaavantlapolice,ordonnaJack.—Jenepeuxpas,jedoisavanttoutavertirlapolice…Jackfonditsurlui.— Si vous alertez la police en premier, vous ne pourrez certainement pas appeler la Tierra
Montañosaàtemps.Passezcetappelcrucialavanttoutechoseetinsistezpourqu’ilsagissentaussitôt.Il fautqu’ilspréviennent lesmédias, lesforcesde l’ordreetqu’ilsmettentun termeàcettehorriblemachination.Donnez-leurlenomd’Hurtado.Ilneleurrestequequelquesheures.—Maislaloidit…—Hugo?Votrepèreestmortetvousavezfaitcequevousdeviezfaire.Nousnesommesplusà
quelquesminutesprès.Terminezcequevousavezcommencé.Hugodéglutitdifficilementetapprouvad’unsignedetête.Tandisqu’ilfouillaitlesaffairesdeson
pèreàlarecherched’unagendatéléphonique,Jackretournaauprèsd’Hannah.ElleétaitenfinparvenueàcalmerAubrielledontlespleurss’étaienttransformésenpetitshoquetsplaintifs.Jack passa son bras autour de ses épaules et l’embrassa tendrement avant de déposer un chaste
baisersurlefrontdesafille.Hannahsentitleslarmesluimonterauxyeux.—Tuluiassauvélavie,murmura-t-elle.—Jesuissongardeducorps.—Etsonpère.
—Acepropos…—Jack,jetedemandepardonpourmesmensonges.Desoncôté,Hugos’exprimaitenespagnolautéléphoneetletondelaconversationdevenaitdeplus
enplusprécipité.—Jet’ensupplie,nevapascroirequej’attendsdetoiquetuchangesradicalementtavieàcause
d’unenuitd’amouretdubébéquenousavonsconçuensemble.Jesouhaitebiensûrquetufassespartiedesavie,mais…—Tais-toi,l’interrompit-ildoucementenplongeantsonregardaufonddesesyeuxverts.—Tais-toi?—Tuasattenduladernièresecondepourm’avouerquej’étaissonpèrecartuascruquetuallais
disparaîtreàjamais.Tunemefaisaispasconfiance,enfait.Tum’asmentitoutcetemps.Situn’avaispasfrôlélamort,tunem’auraisriendit.Qu’aurait-ellepurépondretantsesparolesétaientjustes?Illadétestaitàprésentetenavaitbienle
droit.—Jevoulaistelediremaisj’avaispeur,avoua-t-elle.—Peurdequoi?—Quetuneveuillespasd’elle…Ouquetuveuillesmelaprendre.—Hannah,dequoiavais-turéellementpeur?Saquestionl’ébranla.Ellebattitdespaupièresetravalaseslarmes.—J’avaispeurquetuneveuillespas…denous,murmura-t-elleenfin.Ilseserratoutcontreelleetenfouitsonvisagedanssescheveux.—Tumeconnaisbienmal,répondit-il.—Maisjet’aime.Cetaveuréveillalestamboursdesoncœuretilssemirentàbattreensonseinlerythmeendiabléde
l’amour.Maisc’étaitlavéritéetelledevaitlaluidireenface.Ilpritsonvisagedélicatemententresesmains.—C’estaussilaraisonpourlaquellejesuisrevenuverstoi,madouce,parcequej’étaisamoureux
detoi.Elleseblottittoutcontreluietlatensionaccumuléecesderniersjourss’évaporacommeparmagie.
Ellesesentitàlafoisépuiséeetsoulagée.Ainsi,Jackl’aimait.—TunechevaucherasdoncplusjamaistaHarley?—Qui?Moi?Jen’aiplusdeHarley.Jepossèdejusteunvieuxpick-upquetuasfaillimassacrer
cetaprès-midi.Ceciétant, j’aimaintenantdesresponsabilitésàassumer.Jesuispèredefamille.Enfait,ilesttempsquejeteposeunequestion.Hannah,veux-tum’épouser?Enluioffrantsonplusbeausourire,elleaccepta.
Epilogue
Sixmoisplustard.
LaneigetombaitàgrosfloconstandisqueJackengageaitlavoituredansl’alléemenantchezSimonet Ella. Il n’était venu qu’une fois à BlueMountain, plusieursmois auparavant. A cette époque, ilrentraittoutjustedelajungledeTierraMontañosaetroulaitsurcetterouteinterminable,sedemandantdequellelafaçonHannahMarkspouvaitêtreimpliquéedanstoutecettehistoire,intimementpersuadéqu’elleyjouaitunrôledécisif.Aprésent,elleétaitsonépouse,l’amourdesavie.—J’espèrequ’ilsvontm’apprécier,avançaHannah.Illuipritlamainetydéposaunlégerbaiser.—Commentpourraient-ilsnepast’apprécier?—Tun’espasobjectif,monchéri.—Ça,c’estsûr.Unpetitcrivenantdel’arrièreduvéhiculeleurannonçaqu’Abbyenavaitassezdedemeurerassise
danssonsiège.Heureusement,ilsétaientarrivés.Hannahappuyasurlasonnette,Jackàsoncôté,lesbraschargésdeprésents.Illuiavaitfalludesmoispoursemettreenrèglevis-à-visdesautoritésaméricainesquinevoyaient
pasd’unbonœiluneentrée illégalesur le territoire.Cettepériodeavaitaussivu la fondationStarrpéricliter.Ilss’étaientmariéssansgrandeeffusion,aprèsquetoutfutrentrédansl’ordre.Ilsvenaientdedéménagerpours’installerdansunevilleplusgrandeetJackattendaitsa licenceafindepouvoirouvrirsoncabinetdedétectiveprivé.IlsavaientpassébeaucoupdetempsavecMimi,et,àdirevrai,lavien’avaitjamaisétéaussidouce.Laportes’ouvritsuruneEllaquelquepeuchangée,sescheveuxayantpoussédepuisleurdernière
rencontre.Sesyeuxs’illuminèrentlorsqu’elleaperçutlepetitêtredanslesbrasd’Hannah.—Alors,c’estcelavotresurprise?ditEllaenéclatantderireavantdeprendreHannahdansses
bras.—Jeteprésentemafemme,Hannah.—Entrez,entrez.Simon,dépêche-toi!TuvasvoirlasurprisedeJack.Enpénétrantdanslamaison,ilssentirent lefumetdélicieuxd’unedindequirôtissaitencuisineet
virent lesdécorationsdeNoëlqui clignotaientunpeupartout.Cettedouceambiance familiale émutJackplusqu’ilnel’auraitsupposé.Cetteravissantefemme,confortablementinstalléeavecsafamilledanscettecharmantemaison,était-elleréellementsapropresœur?Avait-elleréussiàs’échapperdesondouloureuxpasséetconstruirecettenouvellevie?Etpourquoipas?Ill’avaitbienfait,lui.Simon apparut avec leur petit dernier dans les bras. Il leur offrit un véritable sourire d’amitié
sincèreenvenantàleurrencontre.
—Je suis si heureux de vous rencontrer, dit-il àHannah. Jack, espèce de vaurien, tu as osémecachertesdeuxtrésors!Ilvafalloirtefairepardonner,monvieux.—Onvoulaitvousfairelasurprise,s’excusaJack.Onatellementdechosesàvousraconter.—Jevaisdéboucherlevin,annonçaSimonenenlaçantElla.Aufait,quelestlenomdevotrepetit
ange?—Abby,réponditsanshésiterHannah.Aumêmeinstant,Jackrépondait«Aubrielle».Ilsseregardèrentetsesourirenttendrement.
Prologue
«Unefichuefaçondeseretrouveràlatêtedequelquescentainesdemillionsdedollars»,seditValerie Beaufort, les yeux baissés sur le cercueil de son père. Elle aurait tout donné pour ne pas setrouverlà.C’étaientsesmillionsàlui,paslessiens.Del’argentqu’ellen’avaitjamaisdésiré,etencoremoinsmaintenant.
—S’ilyaquoiquecesoitquenouspuissionsfaireValerie,machérie,ditPorterJohnsonenluiprenantlamainetenlatapotantdoucement,dis-le-nous.TusaisqueBetsyetmoit’aimonsautantquenospropresfilles.
LegestedePortersortitValeriedesespenséesmorbidesetluifitprendreconsciencequelacourtecérémoniefunèbreétaitterminée.LesgensréunispouraccompagnerCharlesValentineBeaufortjusqu’àsadernièredemeurecommençaientàrefluerversleursvoituresgaréesauxabordsduvastecimetière.
Sansdouteaurait-elledûécoutercequeleprêtreavaitditàproposdesonpère,maisellen’avaitnulbesoind’unquelconquepanégyriquepourserappelerlafaçondontcedernieravaitmenésavie,oucombienellel’avaitaimé.
—Iln’yavaitpasmeilleurhommeaumondequeCharlieBeaufort,ditdoucementPorter. Jen’aijamaiseudemeilleuramiquelui.
Touchéeparlasincéritédesavoix,Valeriesepenchaenavantpourdéposerunbaisersursajoue.Sapeauétaitdoucecommeduvelourspatiné,etamollieparl’âge.EllesongeasoudainquePorterétaitencoreplusâgéquesonpère.
Defait,ellesesouvintquec’étaitledoyendesfondateursd’Av-TechAéronautique.Sonpèreetluin’auraientpusedouteràl’époquequelapetitesociétélancéeàpeudefraisaulendemaindelaguerredeCorée deviendrait un géant de l’industrie. Peut-être même que les choses auraient été différentes siç’avaitétélecas.
—Jesuistellementdésolépourtonpapa,majolie,ditEmoryHunterdèsquePorteretsonépousesefurentéloignés.
Emoryluitapotalajoue,toutcommeilavaitl’habitudedelefairedepuisqu’elleétaitpetitefille.— Charlie était un homme foncièrement bon. Peut-être le meilleur que j’aie jamais connu. Ça
devrait temettreunpeudebaumeaucœur, tout commedevoir l’ampleurde la foulequi s’est réunieaujourd’hui.
Ilpointadudoigtlescentainesdepersonneséparpilléessurlapelouse.—Oui,çamemetdubaumeaucœur,acquiesça-t-elle,parvenantàsourireàcetautreassociéde
sonpère.Etçam’aidedesavoirqu’ilavaitdesamiscommetoi.PorteretEmoryétaientdeshommesqu’elleavaitconnustoutesavie.
— Appelle-moi dans quelques jours, et on parlera de ton sacré vieux papa. Je connais desanecdotesdontjeseraisprêtàparierqu’ilnet’ajamaisparlé.Ilnevoulaitsûrementpasquetusachesquelgenredefêtardilétaitréellement,ditEmorydansunéclatderire,avantderetrouversonexpressiondecirconstance.
Aprèsquelquessecondesdesilence,ilajouta:—Çafaitdubiendeparlerdesgensqu’onaimeaprèsleurmort.C’estsaindeserappelerlesbons
moments.Onal’impressiondegardercesgensenvieunpeupluslongtemps.Emoryn’avait jamaisperdusonaccentduSud,bienqu’ilaitvécudenombreusesannéesdans le
Colorado.Vuqu’ilapprochaitlessoixante-dixans,ilneleperdraitsansdoutejamais.—Jet’appellerai,jetelepromets,ditValerieenluisouriant.EtmerciEmory,tonamitiésignifiait
beaucouppourpapa.Ils’éloignaetellesetournaverslafiledepersonnesquiattendaientpourluiparler.Trèsvite,les
visagesetlescondoléancessemélangèrent,etelleeutl’impressionderépéterlesmêmesparolesencoreetencore,l’espritàdesmilliersdekilomètresdelà,toutcommeaucoursdelacérémonie.
Toutcequ’ellevoulait,c’étaitenfiniretrentrerchezelle.Sedébarrasserdesesvêtementsdedeuilet enfiler un jean. Aller faire une balade à cheval pour évacuer la tension qui s’était transformée endouleurentresesépaules.Oublierleparfumdesfleurscultivéessousserre,etsesortirdelatêtelebruitdetoutescesvoixetdeleursparolesderéconfort.
Cen’étaitpasunmanquederespectenverssonpère.Ilauraitétélepremieràdirequ’allergaloperdanscespaysagesaridesqu’ilsaimaienttousdeuxétaitunemeilleureidéequesetenirau-dessusdesatombe.CharlieBeaufortavaitaimélehautdésertetlesmontagnesavecunepassionviscérale.Toutautantque le ranch situé dans une petite vallée, qu’il avait acheté quarante ans plus tôt. Il avait construit lebâtimentd’habitationetlaplupartdesdépendancesdesespropresmains.
Toutefois,cesdixouquinzedernièresannées,aucoursdesquellesAv-Techavaitvraimentprissonessor,iln’avaitpaseuletemps—ouplutôtpasprisletemps,corrigeaValerie—des’échapperetdeserendreauranch.Quandelleétaitenfant,ilsyallaientpresquechaqueweek-end.Entassésdansunvieuxbreak,samère,sonpèreetellepassaient lasoiréeduvendrediàserendre là-bas,arrivantbienaprèsminuit.
Certains desmeilleurs souvenirs qu’elle avait de son père étaient associés à cet endroit.C’étaitaveccesmoments-làqu’ellevoulaitrenouer.C’étaitcesannées-làqu’ellevoulaitserappeler.
—Val,machérie,situasuneminute…,luichuchotaHarperSpringfieldàl’oreille.—Letempsqu’ilsterminentici…HarperSpringfield,unautredesfondateursd’Av-Tech,lasaisitfermementparlecoudeetlaforçaà
sedirigerà l’écartde la tombedesonpère,oùunefiledegensattendaitencorede leurprésentersescondoléances,àelleetàsabelle-mère.
Le beau visage de Constance Beaufort et ses cheveux blonds impeccablement coiffés étaientrecouvertsd’unvoilenoir,sasilhouetteélancéeétaitvêtued’untailleurnoir;elleportaitdesbasnoirségalement et des escarpins en chevreau noirs. Pas une touche de couleur ou un bijou— hormis sonallianceenorévidemment—nevenaitgâcherl’imagequeConnievoulaitdonner.
Celledelaveuveéplorée,pensaValerieensedétournant.Uneveuveréellementéploréelorsqu’elleavaitapprislestermesdutestamentdesonépouxdéfunt.CharlieBeaufortavaitétéassezstupide,seditValavecregret,pourépouserunefemmeplusjeunequesaproprefille.Maisheureusementsesavocatss’étaientmontrésassezintelligentspourleconvaincredeluifairesigneruncontratprénuptial.
Conniebénéficieraitd’uneclausegénéreusequiluiprocureraitassezd’argentpourvivreàl’abridubesoinpendantplusieursannées,maisellen’hériteraitd’aucunepartd’Av-Tech,etc’estbiensûrlàquerésidaitlamajeurepartiedelafortunedeCharlieBeaufort.
Ce n’est que quand Valerie parvint à détacher son regard de la performance d’actricequ’accomplissait sa belle-mère qu’elle comprit où Harp la menait. Les associés de son père étaientréunisenarcdecercleausommetd’unepetitebuttequidominaitlatombe,etHarplaconduisaitjusqu’àeux.
Elleavaitd’abordpenséquelaforceaveclaquelleHarpl’avaitsaisieetemmenéeétaitdéplacée,maiscettebrutalitésemblaitenfaitétudiée.Mêmesiellepréféraitseconvaincredecettedernièreidée,elleneparvenaitpasàcomprendrepourquoilesassociésdesonpèrepensaientqu’ondevaitlabrusquerpourqu’elleacceptedevenirlesvoir.Laplupartd’entreeuxl’avaientfaitsautersurleursgenouxquandelleétaitencorebébé.
Ils avaient l’air nerveux cependant, alors qu’elle et Harp s’avançaient. Etait-ce parce qu’elledevenaitl’actionnairemajoritairedelasociétéquileuravaittoutapportépendanttantd’années?C’estvraiqu’ilsappartenaientàuneautregénération.Peut-êtreétaient-ilsperturbésparlaperspectivedevoirunefemmeprendre la têted’unemultinationale.Quiévoluait,quiplusest,dansunsecteuraussipointuquelessystèmesdeguidagedemissilesetlatechnologiederniercrienmatièredesatellites.
Valerieserésolutàleurdirequ’ellen’avaitpasl’intentiondetoutdiriger.Mêmesitelavaitétésonsouhait,ellen’enavaitpaslescompétences.Etellen’enavaitbiensûrpasledésir.Celafaisaitplusdedixansqu’ellesetenaitàl’écartdel’argentdesonpère,cen’étaitdoncpaspourreveniràcegenredevieaujourd’hui.Peuluiimportaitlestermesdutestament.
—Noussommestoustombésd’accordpourparlerdecequivasepassermaintenant,déclaraBillClemensaumomentoùelleetHarparrivaientàlahauteurdugroupe.
«Faites confiance à Billy pour aller droit au but », se dit Val. Parmi les quatre hommes quiavaientétélesassociésdesonpèredepuisplusdequaranteans,Billétaitceluidontonparlaitlemoins,et aussi celui que Valerie aimait le moins, sans vraiment savoir pourquoi. Bill adorait dire qu’il seconduisait tel qu’on le voyait. Il avait raison, etVal n’appréciait pas particulièrement ni sesmanièresd’agir,nisonapparence.
Peut-êtrequesonpèrenonplusd’ailleurs,mêmes’iln’avaitjamaisouvertementdénigréClemens.Pourtant,siCharlieBeaufortavaitfaitensortequesespartssoientpartagéesentresesassociésàsamortaulieudefaireprendreàsafillelatêtedelasociété,Billyseraitdevenul’actionnairemajoritaire,etlesresponsabilitésquiendécoulaientluiseraientrevenuesàluietnonàelle.
—Cequivasepassermaintenant?répéta-t-elle,mêmesiellevoyaitvaguementoù ilvoulaitenvenir.
—Ilyabeaucoupdeprojetsencoursencemoment.Beaucoupdecontratsattendentd’êtrehonoréssouspeinedelourdespénalités.Etjemedemandecequevouscomptezfaireàcesujet.
—J’ail’intentiondefaireensortequecescontratssoienthonorés,etquelasociéténepayeaucunepénalité,réponditVal.
—Tucomptest’installerdanslefauteuildetonpère?demandaHarpSpringfielddebutenblanc.—Voussaveztoustrèsbienquenuln’enestcapable,ditlajeunefemmeenlesregardanttouràtour.
MonpèreadédiésavieàAv-Tech.Sij’essaiedem’enmêler,jevaistoutficherenl’air.—Tuesl’actionnairemajoritaire,Val,luirappelaPorterJohnson.Ilfautquequelqu’unprennela
barredunavire.—Est-ceunactedecandidature,Porter?demanda-t-elledoucement.Tous savaient bien quelle serait la réponse du vieux monsieur. Johnson avait un cancer de la
prostate,etnesouhaitaitpasplusqu’elleprendrelatêtedelasociété.HormisBillClemens,Valpensaitqu’aucunparmileshommesregroupésautourd’ellenechercheraitàprendrelepouvoir.
—Tusaismieuxquenousquetonpèreétaitlecœuretl’âmedecettesociété,ditPorter.Maiscesdeuxdernièresannées…mêmeCharlien’arrivaitplusàtoutmenerdefront.
Elle fut reconnaissante à Porter d’avoir exprimé cela avec mesure. La santé de son père avaitcommencé àdécliner longtemps auparavant, et elle détestait admettre nepas s’en être rendu compte àtemps.Dumoinspasavantsapremièreattaque,deuxansplustôt.
—C’estpourquoinousallonstrouverquelqu’unquivanousdirecequenousdevonsfaireausujetdelasociété,dit-elle,sevoulantrassurante.
—Vousn’avezpasl’intentiondevendre?demandaClemens.Vousnepouvezpasfaireça.— Pour le moment, mon intention est d’engager un conseiller en direction d’entreprise, dit Val.
Quelqu’un qui observera nos méthodes de travail, regardera les livres de comptes, examinera noscontratset feradessuggestions.Jepensequec’estcequemonpèreauraitdûfaire lorsqu’ilest tombémalade.Ill’auraitfaits’ilavaitétéenpleinepossessiondesescapacitésderaisonnement.
Unsilencesuivitmaispersonnenecontestasespropos.Ellepoursuivitdonc,reconnaissantequ’ilsluilaissentaumoinsl’occasiondeleurexposersonpointdevue.
—J’aidéjàdemandéànosavocatsdechercherunepersonnequipossèdeunesolideexpérienceendirectiond’entreprise,avecunprofiladaptéàlaparticularitédenotredomained’activité.
Elle fut surprise de la facilité avec laquelle les mots lui venaient.Nos avocats. Expérience endirectiond’entrepriseavecunprofiladaptéà laparticularitédenotredomained’activité. Pour unefillequiavaitpassédesannéesàclamerqu’ellenes’intéressaitpasàtoutça,nideprèsnideloin,ellefaisaitillusion.Peut-êtretenait-elleplusdesonpèrequ’ellenelepensait,finalement.
—Tonpèrenefaisaitpasconfianceauxconseillers,ditPorter.—Monpèreestmort,Porter.Etjusqu’àilyadeuxans,ilsavaittrèsbiencequ’ilfaisaitquandil
s’agissaitd’Av-Tech.Pasmoi.Maisen tantqu’actionnairemajoritaire, jedoisdescomptesauxautresactionnaires—c’est-à-direàvous—ainsiqu’auxgensquitravaillentpournous.Jevaisdoncchercherdel’aidepourmefaireuneidéedecequiest lemieuxpour lasociété.Jenemeseraispas impliquéedanstoutcelaavant,maisaujourd’hui,c’estmaresponsabilité.JesuislafilledeCharlieBeaufort,tint-elleàleurrappeler.
Aprèsquelquessecondesdesilence,elleajouta:—Jenelaisseraipaslasociétéqu’ilaimaitpar-dessustouts’effondrer.Jeveuxquequelqu’unqui
sait quoi faire soit en place dès que possible, et j’espère que vous coopérerez avec lui sans arrière-pensées.
Ellejetaunregardcirculairepourinspecterchaquevisageetn’ydécelaaucunedésapprobation.PasmêmesurceluideBillClemens.
—Tonpèreauraitétéfierde toi,machérie,ditEmoryHunter.Çameva toutàfait.Etpourêtrefranc,jesuissoulagédesavoirquel’œuvrequenousavonscommencéevaseretrouverentredebonnesmains.
Hunterayantbrisélaglace,ilyeutunmurmured’approbation.Iln’yavaitpersonnepourprotester,dumoinsouvertement.Çan’auraitpaschangégrand-chosedetoutefaçon,songeaValerie,carsespartsluidonnaientassezdepouvoirpourfairecequ’ellevoulait.Maisçafaisaitdubiendenepasdéclencherdefrondeàlapremièredesesdécisions.
— Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, j’ai une longue route à faire pour rentrer, etj’aimeraisêtreàlamaisonavantlanuit,dit-elle.
Elleneleurlaissapasletempsdeprotester.Elletournalestalonsetredescenditlabutte.Songenoucommençaitàluifairemaletl’obligeaitàboiterfortement.C’étaittoujourscommeçaquandellesavaitqu’onlaregardait.
Lorsqu’ellepassaprèsdelatente,ellevitquesabelle-mèreétaittoujoursoccupéeàentretenirsacour.Deuxemployésdespompesfunèbrescommençaientàenleverlesfleursposéessurlecercueil,afinqu’il soit descendu en terre. Tu es poussière, pensa-t-elle, détournant hâtivement ses yeux qui
s’emplissaientde larmespourregarder lepaysagedesgrandespelousesvertesàpertedevue,barréesd’arbresetdecroix.
Etturedeviendraspoussière.Adieupapa,chuchotasoncœur.Ellechassavolontairementlascèneducimetièredesonespritpourseremémorersonpèreinstalléauvolantdesonvieuxbreakcabossé,lesemmenant au ranch pour leweek-end. Toujours jeune et heureux, avec toute la vie devant lui : voilàcommentellevoulaitselerappeler.
Danssondos,elleentenditlegrincementdelamanivellequifaisaitdescendrelecercueil,etlavoixdesabelle-mèrequiclamaitàquivoulaitl’entendrecombiengrandeétaitsadouleur.
Quatrejoursplustard
—Ungarde du corps ? répétaGreySellers, incrédule.Qu’est-ce qui peut bien leur faire penserqu’onpourraitavoirbesoind’ungardeducorpsdansuncoinpareil?
—C’estcequejetedis,lançaJoeWallace,ens’installantenfacedelui,c’estdugâteau.Jevaisengagerungarspoursatisfairecesbravesgens,alorspourquoiceneseraitpastoi?Prendsleurargent,règlequelquesdettesetprofitedupaysage.
L’allusion à ses ennuis financier était le bon bouton sur lequel appuyer, reconnut Grey, et il sedemandasiWallaceenétaitconscient.Desfacturesempiléessursonbureau,ilyenavaitplusd’uneencemoment.
Cen’estpasqu’ilseplaignait,envérité.Dumoinspasavantqu’iln’aitcommencéàrecevoirdesavisdenon-paiement.Des lettresqui commençaientpar«Très cher client» et se terminaientparunemenaced’actionenjustice.
—Jenesuispasgardeducorps,déclaraGrey,quirésistaitàlatentation.Cetteaffirmationn’étaitpasentièrement fausse.Certes, il avait lescompétences requisespource
métier, car il avait reçu l’entraînement adéquat, tout cela aux frais du gouvernement. Il avait apprisbeaucoup de choses au cours des quinze années qu’il avait passées à la CIA, mais rien qui puisseréellements’apparenteràlafonctiondegardeducorps.Cequis’enétaitleplusrapproché,c’était…
Ilcensurace souvenir, commed’habitude.C’était cequi l’avait faitquitter laCIAet sonéquipe.Quitter les seuls amis qu’il avait,même si après ce qu’il avait fait, il n’était pas sûr qu’il puisse enconsidérerencorebeaucoupparmieuxcommesesamis.
—Etalors?demandaJoeens’agitant.Tun’aspasbesoind’êtreunspécialisteenlamatière,vuquela jeune femmedont je t’aiparlén’apasvraimentbesoind’ungardeducorps.Cen’estqu’uncontratcouché sur le papier. Si quelqu’un venait à kidnapper Valerie Beaufort, la compagnie d’assurancepourraitseretrouversurlapaille,ilsontdoncplutôtintérêtàcouvrirleursarrières.Maistoietmoi,onsaitqu’ilnevarienluiarriver.Onn’ajamaisvuunP.-D.G.sefaireenlevercommeça.Déjàqu’onn’apasbeaucoupdeP.-D.G.ici,ajoutaWallaceavecunsourireironique.IlsontdûnousconfondreaveclaCalifornie.C’estdugâteau,jetedis,etquelqu’unvadécrochercejob,alorsautantquecesoittoi.Jamaistun’aurasgagnédel’argentaussifacilement.
—Tusaiscequ’onditdel’argentfacile,réponditGreyenhaussantlessourcils.Ilfutsurprisdeserendrecomptequelapropositionl’intéressait.Bonsang,quiconquechercherait
cetteValerieBeaufortseperdraitprobablementavantdetrouverleranchoùellevivait.D’aprèscequeluiavaitdécritJoe,ilsetrouvaitaumilieudenullepart.
Ilôtasesbottesdesonbureauet laissasachaise retomberausol,puisse levaets’étirapourseremettre ledoset lesépaulesenplace. Il avaitpassé tropde tempscematinpenchésur sonbureauàchercherunesolutionpourgarderàflotsoncabinetd’investigations.
Cabinet d’investigations, se dit-il amèrement. Ça sonnait sûrement mieux que « service desurveillanced’épousesinfidèlesetd’escrocsauxassurances».
—Pasvraiment,réponditJoeàsaremarque,sic’estuneblague,jenel’aijamaisentendue.Qu’est-cequ’onditdel’argentfacile,alors?
Grey alla à l’endroit où le climatiseur ventilait mollement un air qui n’était pas plus frais qu’àl’extérieur.Iljouaquelquesinstantsaveclesboutonsderéglagepuisseretourna,laissantlecourantd’airtièdeparcourirsondos.Lefrissonprovoquéluidonnauneimpressiondefraîcheur.
—Quelaplupartdutemps,onnelegagnepassifacilementquecela.— Tu as besoin d’un appareil neuf, dit Joe en guise de conseil, sans même relever la banale
remarquesurl’argent.—Ilyabeaucoupdechosesdontj’aibesoin,ditGrey.«Acommencerparunverre, sedit-il. Il
fauttraiterlemalparlemal.»Comme il n’était que 10 heures, un jour de semaine ordinaire, il n’exprima pas ce besoin à son
clientpotentiel.CeneseraitpaslameilleurechoseàfairequedemontrersadépendanceàWallace,etluidirequ’ilétaitenmanque.
Quandilavaitouvertsoncabinet,unanplustôt,Greys’étaitdoutéquelesaffairesdémarreraientlentement,dumoinspendantunmoment.Mais ilavaitsous-estimécette lenteur.EtvuqueJoeWallaceétaitundesesraresclientsréguliers,ilnevoulaitpasperdresaconfiance.WallacesemblaitpenserqueGreysavaitcequ’ilfaisaitetilnepouvaitpassepermettredeneplustravailleraveclui.
Wallacereprésentaitplusieursgrossescompagniesd’assuranceau-delàdesfrontièresdel’Etat.Cesderniersmois, il avait chargéGreyde s’occuper de la plupart desmissions de surveillance qu’on luiavaitconfiées.Lesmissionsenquestion,principalementdesplaintesd’arnaqueàl’assuranceetquelquesappelsdegensducoinquidemandaient àGreyd’espionnerunconjoint infidèle, constituaient la largemajoritédesaffairesclasséesdanssonmeubledebureau. Il s’agissaitdeboulotsennuyeux,sans réelsenjeux,maisils’yattelaitavecuneconstancetenace,mêmepardesjourscommecelui-ci.Mêmequandilétaitenmanqueetavaitenviedeboireàenavoirmal.Ilfaisaitsontravailaussibienquepossible,GriffCabot l’avaitentraînécommeça.Anerien laisserauhasard,à toutvérifier,mêmelesdétails lesplusinsignifiants.
Il le faisaitaussiparcequeça luipermettaitdemanger,d’avoirun toitetdes’offrirde tempsentempsunebouteilledebourbon.Cesdernierstemps,c’étaitdevenuplusqu’unebouteilleoccasionnelle,ildevaitbienl’admettre.GreySellersnesementaitpasàlui-même.Jamais.
Au cours de l’année précédente, il s’étaitmis en tête qu’il aimait les boulots ennuyeux, ou qu’ilapprendraitàaimerça.Aprèstout,ilavaitdéjàconnuassezdesensationspourremplirdeuxvies,sedit-il,amer,alorsque lui revenaitdenouveauen tête,malgré lui, ladernièremissioneffectuéepourGriffCabotetl’élitedelaCIA,l’équipetrèsclandestined’ExternalSecurity.
—Accepteceboulotetpaie-toideuxoutroistrucsdonttuasbesoin,suggéraWallace.Greyserra les lèvresalorsqu’ilcherchaitunebonneraisonde refuser,endehorsdu faitqu’ilne
souhaitaitpassetrouverdenouveaudanslapositiondel’angegardien.Lefantômequilepoussaitàavoirenviedeboiresitôtlematinétaitliéàl’idéedeprotégerquelqu’un,ouplutôtàl’échec,àlapeurdenepouvoirassurercetteprotection;etcetéchecétaitlesien.
—De l’argent facile, et un gars va le récolter, répéta Joe, qui savait décidément jouer la cordesensible.
—Quedevrais-jefaireaujuste?demandaGrey,toutensachantaufonddeluiqu’ilcommettaituneerreur,commechaquefoisqu’ilselaissaitguiderparsespulsions…
—Jeterunœilauxenvirons.Donnerdeuxoutroisconseilsdesécuritéclassiquesenfonctiondelaconfiguration des lieux. Assurer la surveillance de la personne concernée le temps qu’ils aient misquelquechoseenplace.Remplirlespapiers.
Joefitunsignedetêteendirectiond’unpaquetdedocumentsjetéssurlebureauendésordre.Greynelesavaitmêmepasregardés.Lapaperasseluiétaitfamilière.Çanepouvaitpasêtretrès
différentdecelledugouvernement,àlaquelleilavaiteuaffairependantdesannées.Griffenavaitprislamajeurepartieencharge,maischaquemembredel’équipeavaitdetempsentempsundebriefingàtapersurpapier.
Ilrepoussaencoreunefoissessouvenirsdansuncoindesamémoire,etessayadeseconcentrersurl’affaireencours,malgréletumultequiagitaitsespensées.
—LecontratneconcernemêmepasdirectementcetteValerieBeaufort?demanda-t-il,essayantdeseremémorerlesdétailsexposésparJoeavantcetteallusionauxfacturesquiavaitattirésonattention.
— La police d’assurance, telle qu’elle est rédigée, répéta Joe avec patience, couvre le P.-D.G.d’Av-TechAéronautique, qui est aujourd’huiValerie Beaufort, suite au décès de son père la semainedernière.Doncons’estmisentêtechezBeneficialLifequec’estellequisetrouvecouverteaujourd’hui.C’estassezclassique, toutes lesgrandessociétéssouscriventcegenredecontratpour leursdirigeants.Lesassureursacceptentdepayerlarançonencasd’enlèvementduP.-D.G.Cegenredetrucs.
— Mais il n’y a aucune raison de penser qu’elle pourrait effectivement avoir besoin d’uneprotectionrapprochée.
Joeéclataderire.— Les assureurs se couvrent. Tout comme moi. Ils lui feront installer un système de sécurité
infaillibledanssonranch.D’iciàcequelananalefasse, ilsveulentungarspour lasurveiller,à titretemporaire.C’estçalemarché,commejetel’aidit:dugâteau.
—O.K.,ditGrey,toujoursaussipeuenthousiaste,mêmequandils’entenditdonnersonaccord.Iln’étaitpascertaindecequilefaisaithésiteràcepoint.Sûrementd’autresmessagesquivenaient
desestripes.— Il faut que je leur fournisse un rapport sur toi. Tes références. Si tu as un papier avec ça, je
n’auraiplusqu’àleleurfaxer.Greyquittaleclimatiseuretsedirigeaverslemeubleàdossiers,situédansuncoindupetitbureau.
Ilouvritletiroirsupérieur,leseulquicontîntquelquechose,etfitglisserdupoucelesclasseurs,videspourlaplupart.Ilfinitpartrouverceluioùétaientrenferméeslesinformationsqu’ilavaitinséréesdanslesencartspublicitaireséditéslorsdulancementducabinet.
IltenditunedesfeuillesàJoe,puisserassitderrièresonbureau,tandisqu’illisaitledocument.Illeparcourut quelques instants puis releva les yeux. L’agent d’assurances sortit un stylo de sa poche dechemiseetposalafeuillesurlebureaudeGrey,prêtàécrire.
—Desréférencessupplémentaires?«Qu’est-cequetudiraisd’unanciendéputé,directeurdelaCIAetprésumémort»,pensaGrey,
quelque peu amusé à l’idée de donner le nom deGriff. Cabot se porterait garant pour lui siGrey levoulait,maisiln’avaitpasl’intentiondedemanderunefaveurquelconque,niàGriffniàquiquecesoitd’autre.Surtoutpaspourobtenirunboulotqu’ilavaitd’abordpensérefuser.Sicesgensn’appréciaientpassesréférences,ilsn’avaientqu’àengagerunautretype.
—Jesuisunancienmilitaire,ditGrey.Toutestlà.—Jeveuxdirequelqu’unquipourraitattesterdetesqualifications,insistaJoe.—Cequetuvoislàesttoutcequetuauras,ditdoucementGrey.Siçaneleurplaîtpas,ilsn’ont
qu’àsedénicherunautregardeducorpspourveillersurleurpetitehéritière.Cellequin’apasvraimentbesoind’ungardecorps,commetudisais.
Joe leva de nouveau les yeux sur lui et contempla un instant son visage. Il avait l’air d’avoird’autresquestionsàposer,maisaprèsquelquessecondes,peut-êtreàcausedecequ’illutdansleregarddesoninterlocuteur,ilremitsonstylodanssapochedechemise.Puisilseleva,plialafeuilleetlaglissadanslamêmepoche.
—Iln’yapersonned’autresurlecoup,ditGreyavecunsourire,sabonnehumeursoudainrevenue.—Tu lesaisaussibienquemoi.Deplus ilsnevontpaschicanerpourun rapport.Ceboulotne
dureraquequelquesjoursauplus.Mêmesionleurdonnaitunnom,ilsneprendraientprobablementpasletempsdevérifier.Alorspourquois’embêter,hein?Jemeporteraigarantpourtoi.
Grey acquiesça, se demandant encore pourquoi il acceptait ce travail. Son instinct lui disait quec’étaitunemauvaiseidée.
LorsqueJoeatteignitlaporte,ilhésitaavantdel’ouvrir,etregardapar-dessussonépaule.—Ceseraitmieuxsiturestaislà-basseptjourssurseptetvingt-quatreheuressurvingt-quatre.Tu
comprends,aucasoùilsepasseraitquelquechose,ilsnepourraientpasseretournercontrenousetdire«çaneseraitpasarrivésicecicela…».Tucomprends?répéta-t-il.
—TuveuxquejerestechezBeaufortenpermanence?—Ceseraitmieux.Jusqu’àcequelesystèmedesécuritésoitinstallé.C’estjusteuneprécaution.—J’aiuncabinetàfairetourner,protestaGrey,quisavaitàquelpointcetteexcuseétaitridicule,
mêmesiJoen’étaitpascensélesavoir.—Ouaisben…c’estjusteparprécaution,tucomprends.Etpuistuasunrépondeurdetoutefaçon.—Jecroyaisquetuavaisdit…Joecoupacourtàsesprotestations.—J’avaispresqueoublié.Voilàlepremierversement,dit-il,revenantdanslapiècepourposerun
chèquesurlebureau.Lapremièresemaineplusuneavance.Greybaissalesyeuxetregardalasommerondeletteinscritesurlechèque.Millecinqcentsdollars
couvriraientlaplupartdesesfactures,dumoinscellesquiportaientlamention«troisièmerelance».—Milledollarslasemainepluslesfrais,déclaraJoe.Ilsvontdemanderdesreçuspourça,ilssont
prèsdeleurssous,ajouta-t-ilsuruntonsansappel.Grey entendit la porte se fermer avant d’avoir levé les yeux. Joe Wallace était parti et il se
retrouvait seul avec un chèque sur son bureau et un boulot qu’il ne voulait pas faire,mais qu’il avaitcependantaccepté.
—Quelimbécile!Encolèrecontrelui-même,ilouvritletiroirinférieurdesonbureauetseversaunwhiskydansle
petitverrequ’ilgardaitlà.Ilrenversalatêteenarrièreetavalalebreuvageambréenunegorgée,sentantlefeudel’alcooldescendrejusqu’àsonestomacvideetproduireunepetitebrûluresalvatrice.Ilreplaçaleverredansletiroiretrebouchalabouteilledesesdoigtstremblants.
Cetremblementsignificatifledérangeait.Ilavaiteularéputationd’êtreceluiquiarrivaitlemieuxàgarder la tête froide au sein de l’équipe. Seul Hawk avait des mains plus sûres que les siennes.Evidemment,reconnut-ilavecunlégersourirecrispé.
« Il n’avait pas bu directement au goulot, c’était déjà ça », se dit-il avec ironie. Ça viendraitsûrement.AprèssapremièrerencontreavecMlleValerieBeaufortetsesmillions.
1
Valeriefuttoutdesuitecertainededeuxchoses:lepick-upcabosségarédevantsamaisonn’étaitpas là quand elle était partie deux heures plus tôt, et il n’appartenait à personne de sa connaissance.Commeellenerecevaitquepeudevisiteurs,encoremoinsdesinconnus,cesdeuxélémentslafirentsetenir sur ses gardes. Il n’était pas facile de sortir des sentiers battus et de se retrouver là. Elle mitHarvardaupastouteninspectantduregardlevéhiculeinsolite,puissedirigealentementversleranch.
LevéhiculearboraitdesplaquesduColoradoainsiqu’unedemi-douzained’impactsetdebosses.Lapoussièrequicouvraitsapeintureneprovenaitpasseulementduchemindifficilequimenaitjusqu’ici.Çafaisaitunbailqu’ilavaitbesoind’unbonnettoyage.
Elle inspecta la véranda, la balayant rapidement des yeux, et découvrit une forme étrangère. Unhomme,quelesombresdelafind’après-mididissimulaientpresque,étaitassisdansundesfauteuilsàbasculedesamère,sesjambesbottéescroiséesauniveaudeschevilles,lespiedsposéssurlabalustradedeboisdelavéranda.
L’homme avait ramené unStetson noir sur son visage, comme s’il dormait,maisVal aurait pariéqu’iln’enétaitrien.
Elle remarqua l’usuredesbottes tandisqu’elle évaluait les jambes longilignesetmusculeusesdel’homme,vêtud’unjeandélavé.Unechemisechamoiscouvraitsonbustelarge,etsesmanchesrelevéeslaissaientvoirdesavant-brasbronzés,croiséssurunventreplat.Sesmainsauxlongsdoigtsreposaient,totalement relâchées, de chaque côté de sa taille. Tandis qu’elle le regardait, il releva du pouce sonStetson.
Sesyeuxétaientgris.Grisocéan.Gristempête.Ungrisdenuageetdepluie.Valerieeutletempsdeselivrerencoreàuneoudeuxdecescomparaisonsineptesavantqu’ilneseredressedanslefauteuilàbascule,poselespiedsausoletrejettecomplètementsonchapeauenarrière.
Ses cheveux étaient d’un noir de jais, et légèrement plus longs que Valerie ne l’appréciaitgénéralementchezunhomme.Ellen’auraitpudiresic’étaitungenrequ’ilsedonnaitous’ilavait toutsimplementbesoind’unebonnecoupedecheveux.Elleposadenouveausonregardsursonvisagemaiseutdumalàs’attacheràautrechosequ’àsesyeuxirrésistibles.
Ilsétaientcouleurargentmaintenant,opaquesdanslalumièretamisée,etencadréspardescilsépaisetnoirs.Leurcouleurétait l’unique touchededouceurdansunvisageaussidurque lepaysageautourd’eux. Ses traits étaient anguleux et profondémentmarqués. Son nez busqué était planté avec défi au-dessusdelèvresmincesetdureset,detouteévidence,ilavaitétécasséaumoinsunefois,sinonplus.
—Madame,dit-il,touchantsonchapeauenungestehabituelderespect.Maissonregard,lui,étaitdénuédetoutrespectetétudiaitsonvisageavecunecuriositéaumoins
égaleàlasienne.
—Quiêtesvous?demanda-t-ellesuruntoninquisiteuretlégèrementarrogant.C’étaitunefaçade,untonqu’elles’étaithabituéeàprendreilya longtempsafindedissimuler la
nervositéquil’étreignaitchaquefoisqu’ellerencontraitunétranger.—Jem’appelleGreySellers,madame.C’estBeneficialLifequim’envoie.Ilyeutunsilencequiduraletempsdedeuxlentsbattementsdecœur.—Ahbon,etonvousenvoiepourquoi?s’enquitValerie.Ellen’enavaitpaslamoindreidée,maiselleétaitsûrequecethommen’avaitenrienl’alluredes
agentsd’assurancequ’elleavaitdéjàrencontrés.—Pourêtrevotregardeducorps,répondit-il.L’espace d’un instant, quelque chose était passé derrière ce regard si dur à percer. Etait-ce de
l’amusement?sedemandaVal.Cettealtérationavaitdisparutropvitepourêtreidentifiableetavaitcédéàlamêmepolitessemielleusequesespropos.
—Mon…gardeducorps?Est-ceuneplaisanterie?—Pasquejesache.Lechèquequ’onm’adonnén’étaitpasdebois.Cettefoislasituationl’amusait,çanefaisaitplusdedoute.—Laissez-moidireleschosesclairement,ditVal.Quelqu’unvousapayépourveniricietdevenir
mongardeducorps?Un garde du corps : cette expression lui semblait tellement absurde qu’elle eut du mal à se
convaincre de la prononcer. Il s’agissait demots que l’on n’entendait qu’au cinéma, ou bien dans lesmauvaises émissions de télévision. Les gens qu’elle fréquentait n’avaient pas de garde du corps, pasmêmelesplusriches.
—C’estBeneficialLifequim’apayé,répondit-il.—Jen’aipassouscritdecontratavecBeneficialLife,dit-elle.Alorssivouspouviezquitterma
véranda,monsieur…?— Sellers, s’empressa-t-il de répondre sur un ton docile, le coin de ses lèvres se relevant
légèrement.—MonsieurSellers,répéta-t-elle.Sivouspouviezquittermavérandaetmapropriété,jevousen
seraisreconnaissante.Elleavaitdéjàcommencéàguidersonchevalverssonécurielorsqu’ils’adressadenouveauàelle.—Ilsavaientétabliuncontratavecvotrepère,madame.Cesmotslastoppèrentdanssonélan.Lacicatricedelamortdesonpèreétaitencoreviveettoute
allusionàluilasaisissait.Lorsqu’elleseretourna,Sellersluitendituneliassedepapiers.Elledemandad’untonsarcastique,etsanstendrelamainpours’ensaisir:—Etc’estvousqu’ilsontenvoyépourrécupérerleurargent?Personneavecunbrindebonsensneseseraitaventuréàconfierdel’argentàunhommecommelui,
tantilavaitl’airlouche,etilslesavaienttouslesdeux.—Nonmadame,dit-il avecunamusement toujoursaussi évident, je croispasque les termes du
contratauraientétélesmêmessivousn’aviezplusd’argentpourlesrembourser.Elleinspirapourgardersoncalme.Elleserenditcompteàsagrandesurprisequ’ellenesesentait
enaucune façonendanger.Même laméfiancenéedu faitde trouverun inconnusous savérandaavaitcommencéàs’atténuerpourlaisserplaceauscepticisme.
—Dans ce cas, quels étaient les termes du contrat,monsieur Sellers ? demanda-t-elle avec unepondérationétudiée,commesielles’adressaitàunindividupeuvifd’esprit.
—Vouspouvezregarderlespapiers,répondit-ilenposantlaliassesurlabalustrade.Maisàcequejecomprends,lecontratassuraitlesautresassociésqueriendefâcheuxn’allaitarriverauP.-D.G.d’Av-TechAéronautique.
—Riende…fâcheux,répéta-t-elle.Cemotétaitaussiincongrudanssabouchequelaprésencedecegrandéchalasaumilieudesavéranda.
—Acequejecomprends.—Jevois.Vousêteslàpourveilleràcequeriendefâcheuxnem’arrive.—Ouimadame,dit-il avec solennité,maisdenouveauquelquechosepassabrièvementdans les
profondeursdesesyeuxgris.—Jenecroispasqu’ilyaitquoiquecesoitdefâcheuxtapidansl’ombreparici.Etvous?Ellehaussalessourcilsetattendit.Le regard de l’homme fit le tour de la cour bien tenue puis se posa sur lesmontagnes, dont on
devinait le relief au-dessus de la vallée étroite où se nichaient le ranch et la source qui l’alimentait.C’étaitgrâceàcettesourcequeleranchpouvaitexisteraumilieudecettearidité.
— J’ai encaissé leur chèque, annonça-t-il, son regard semblant contempler la clôture quis’estompaitendirectiondel’écurie.
Elle attendit un instant afin de savoir s’il lui expliquerait pourquoi cette révélation était censéel’intéresser.
—Etalors?finit-ellepardemander.—Ehbienfranchement,çameferaitmalderendrecetargent,dit-ilenluifaisantdenouveauface.Lepliaucoindesaboucheseretroussaencoreunpeuplusetformauneébauchedesourire.Ses
yeux,enrevanche,restaienttoujoursaussiopaquesetneutres.—Ehbien,jecroisquecettequestionvadevoirseréglerentreeuxetvous,monsieurSellers.Ça
m’atoutl’aird’êtreunaspectquinemeconcerneenrien.Jeveuxquevousayezquittéleslieuxdans….deuxminutes?dit-elle,leregardtournéverslacamionnettecabossée.
—Jepourraisfaireçamadame,àconditionquemonvéhiculedémarre,évidemment,etc’est loind’êtresûr.Maisjecroisqueçaneleurplairaitpastrop.AuxgensdeBeneficialLife,jeveuxdire.
—Je n’en ai rien à faire que ça leur plaise ounon, voyez-vous, répliquaVal. Je veuxquevouspartiez.
Ellenehaussapasletonmaisavaitprononcécederniermotavecunaplombtranchantetdéfinitif.— Je voudrais bien vous faire plaisir, mademoiselle Beaufort, croyez-moi.Mais j’ai un devoir
professionnel à accomplir. Je suis sûr qu’en tant que P.-D.G. d’une grande société vous pouvezcomprendreça.
Ilavaitdétachécestroislettresavecemphase,etlesavaitprononcéessuruntontraînantetmoqueur.— J’ai accepté leur argent, alors je dois faire le boulot, que ça nous plaise à tous deuxou non,
ajouta-t-il.—Vousavezl’intentiond’assurermaprotection,dit-elle,sentantlacolèremonterenelle,quejele
veuilleounon.Est-celàcequevousessayezdemedire,monsieurSellers?—C’estcequejeveuxdire,madame,approuva-t-il,laconique.—N’avez-vouspaslesentimentquesansmacoopération,çarisqued’êtrecompliqué?demanda-t-
elle,feignantladouceur.—Ehbienceseraitcertainementplusfacileavecvotrecoopération,mais jepensepouvoirm’en
passer,répondit-il.Ellepoussaun long soupir et sentitHarvard s’agiter sous elle. Il devait percevoir la tensionqui
l’habitait.Elle était furieuse sans savoir vraiment contre qui elle l’était le plus.BeneficialLife ?Lesavocatsd’Av-Techquineluiavaientpasparlédececontrat,sitantestqu’ilexistâtvraiment?Oucontreceparasitesuffisantassissoussavéranda?
Elles’approchadelabalustradeettenditlebraspourenôterlaliassededocumentspliésentroisqu’ilyavaitposée.Ellefitreculersonchevalquandelleeutlesdocumentsenmain.
—Partez,dit-elledoucement.
—Ilsenverrontquelqu’und’autre,réponditSellers,cettefoissansironie.Ilsnevouslaisserontpasseuleicisanssystèmedesécurité,etj’aicommel’impressionquevousn’enavezpas.
Valerien’avait jamaisressenti lebesoind’assurersasécurité.Quandonvivaitaumilieudenullepart,onn’avaitpaslesoucidecambriolagesintempestifs.D’autantmoinsquandonnepossédaitrienquipuissejustifieruncambriolage.
—Qu’est-cequivousfaitcroireça?demanda-t-elle,canalisantl’impatiencedesamontureavecladextéritéd’unecavalièreconfirmée.
GreySellers soutint son regardun instantpuis se levadu fauteuil àbascule etmarcha jusqu’à laported’entrée. Il l’ouvritpuis attendit.Bien sûr, il ne sepassa rien. Iln’yavaitpasd’alarme.Pasdesystème qui alertait directement le bureau du shérif. Vu l’état des routes qui menaient au ranch et ladistancequileséparaitdelavillelaplusproche,toutforfaitsusceptibledeseproduireseraitdetoutefaçonterminélongtempsavantl’arrivéed’unhommedeloi.
PuisSellersentraetpoussalafenêtresituéederrièrelefauteuilàbasculedanslequelils’étaitassis.Ellen’étaitpasfermée.Valnégligeaitaussideverrouillerlesfenêtres,çaallaitdesoi.
Illaregarda,sonvisagecachéparl’ombredesonchapeau.—Ondiraitquevotresystèmed’alarmenemarchepas,mademoiselleBeaufort.—Iln’yenapas,vouslesavezbien.—Euxaussilesavent,dit-il.Jeparledelacompagnied’assurance.Siquelquechosevousarrive,il
leurfaudracracherunpaquetdefricàAv-Tech.Orilsn’aimentpastropcetteidée.Jedoisdirequejelescomprends,d’ailleurs.
—Maisquecroyez-voussusceptibledem’arriverici?—Rien,dit-il.Puisilajoutad’unevoixdenouveauamusée:—Pastantquejesuisdanslesparages.Il revint à la balustrade, la toisant de son regard presque caché par le bord de son chapeau
poussiéreux.«Toutàfaitdecirconstance»,pensa-t-elle.Iln’étaitàcoupsûrpasmembredelabrigadeduchapeaublanc,cesyeuxdissimulésparl’ombreavaientvutropdechoses.
« Mais comment puis-je affirmer cela simplement en regardant ses yeux, bon sang ? », sedemanda-t-elleavecdégoût.Elleavaitl’impressiond’avoirdéveloppéuneobsessionpourcethommeaucoursdesdernièresminutes.
Harvards’ébroua.Serapprochantducheval,Sellersposalamainsursonchanfrein,etlecaressadufrontauxnaseaux.Puisilsepenchaenavantetsouffladessus,unvieuxtrucdecavalier.
—Toutdouxmonbeau,dit-il.Surveilletesmanières.Cesmotsapaisantsfurentprononcésdoucement,aveclavoixdequelqu’unquiaimaitleschevaux.«Ilsenverrontquelqu’und’autre,avait-ildit. Ilsnevous laisserontpasseule icisanssystèmede
sécurité.»Ilavaitprobablementraison.Ellen’étaitplusValerieBeaufort,ancienentraîneuretéleveurdechevaux.ElleétaitdésormaisP.-
D.G. d’Av-TechAéronautique, et que ça lui plaise ou non, des inconvénients allaient de pair avec lafonction.Desinconvénientscontrelesquelsellenepouvaitpasgrand-chose.
Elleallaityremédier,c’étaitsonintention.Pasquestiondepassersavieenchaînéeàcettefichuesociété,commesonpère.Enchaînéeauxmigrainesquecedévouemententraînait.Ilsenverrontquelqu’und’autre.C’étaitcertain.Etelleallaits’occuperdeluiquandilarriverait.
—Dites-leurquejeferaiinstallerunsystèmedesécuritédèsquepossible,dit-elle.—Sivousnelefaitespas,ilss’enchargeront.—Dansmamaison?Jecroisqu’onappellecelauneviolationdedomicile.—EtmoijecroisquelecontratauquelAv-Techasouscritleurdonneledroitdeprendretoutesles
mesuresadéquatespourprotéger leur investissement.BeneficialLifene l’auraitpasmisnoirsurblanc
sanscela.—Jerésoudrailaquestionauplusvite,monsieurSellers,dit-elle,aveclesentimentqueluiavait
raisonetelletort.Unsentimentdésagréable.— Merci de m’avoir informée des termes du contrat, ajouta-t-elle. Maintenant si vous vouliez
bien…Elleseretournaetdésignadenouveaulacamionnetteduregard.—Ilsenverrontquelqu’und’autre, réitéra-t-il.Çaprendraquelques joursavantqu’unsystèmede
sécuritésoitinstallé,etilsnevouslaisserontpassansprotectiondansl’intervalle.—Alorsjesupposequejerecevraiunenouvellevisitedemain.Celadit,ilyaunboutdecheminà
faireavantderetrouverlacivilisation,et ilfaitpresquenuit,aucasoùvousnel’auriezpasremarqué.Lesroutespeuventserévélertortueusesquandilfaitnoir.
Ses yeux la fixèrent un longmoment. Il finit par la saluer en touchant de nouveau son chapeau,traversalavérandaetdescenditlesquelquesmarches.Lestalonsdesesbottesrésonnèrentsurleslattes.Ilmontadanssonpick-upetfermalaportière.Valnebougeapas,commesiellepouvaitprédirecequiallaitsepasser.
Ellenefutpasdéçue.Lemoteurtoussaplusieursfoismaisnedémarrapas.Il l’avaitprévenueenévoquantlafiabilitéaléatoiredesonvéhicule.Ilavaitprobablementdébranchélescâblesd’allumageouautrechosedanslegenreafinquelacamionnettenedémarrepas.
Ellepouvaitdescendredechevaletessayerelle-mêmedefairedémarrerlevéhicule;oubienluidemanderde soulever le capot et la laisser jeter unœil aumoteur.Mais s’il avait habilementbricolécelui-ci, elle finirait par passer pour une idiote, et elle voulait éviter ça par-dessus tout. Elle s’yconnaissaitbeaucoupplusenchevauxqu’encombustioninterne.
Ellerepensasoudainàl’interventiondeceSellersauprèsd’Harvard.Maisellenepouvaitpasleconsidérer comme non dangereux pour la simple raison qu’il aimait les chevaux. Elle inspira pourdissimulersondépit.
Elledéplialespapiersramasséssurlabalustradetandisqu’ilfaisaitdenouveautoussersonmoteur.L’en-têteportaitlelogodeBeneficialLife,lesdocumentsavaientuneallureofficielle.
«Ilsenverrontquelqu’und’autre.»Aumoins,ilsavaitfaireladifférenceentrel’avantetl’arrièred’uncheval,çaplaidaitensafaveur.Pourelledumoins.EtValn’avaitpaspeurdelui,endépitdecequ’elleavaitcruliredanssonregard.
— Je sais ce que vous devez penser, dit-il, impuissant. Je peux vous donner le numéro de JoeWallace.Vouspouvezl’appeleretvérifierqu’ilm’abienenvoyéici,siçapeutvousrassurer.Jenesaispass’ilseraencoreàsonbureauàcetteheure-ci,mais…
—Ilyauneannexelà-bas,lecoupaVal.Vouspouvezydormircettenuit.J’appelleraiBeneficialLifedemainmatin.
—C’estgentildevotrepart,dit-il.—MonsieurSellers?—Madame?—Jen’aipasdesystèmedesécuritémais jepossèdeenrevancheunSmithetWesson,et jesais
m’enservir.—Çamesoulagebeaucoup,madame,répondit-il.Savoixavaitretrouvéuneintonationamusée,bienquesonexpressionn’aitpaschangé.Iln’yavait
pas de rictus au coin de sa bouche, pas une once de malice dans ses yeux. Juste une bonne dosed’amusementdanssavoixavantqu’ilneseretournepourattraperunsacdesportenNylonposésurlabanquettearrièredupick-up.
Elle le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse derrière l’écurie. Puis, tout en prenantconsciencedecequ’ellevenaitdefaire,elletouchalesflancsd’Harvarddestalonsetluifitprendreunedirectionquasi-similaire.
***
GreySellersréprimaitencoreunsouriretandisqu’ilapprochaitdel’annexeindiquée.Ellesemblaitaussibientenuequelerestedelapropriété.IlsedemandadequelleaideValerieBeaufortdisposaitpourentretenirleslieux,carjusqu’àprésent,iln’avaitpasvuâmequiviveendehorsdelajeunefemmeelle-même.
Aprèsêtrearrivécetaprès-midietavoircomprisqu’ellen’étaitpaschezelle,ilavaitfaitunpetittourdesbâtiments.«Pourétablirundiagnosticsurlasécuritédeslieux»,s’était-ilditafindejustifiersoncoupd’œildiscret.
Il s’était immédiatement senti chez lui,même s’il ne vivait plus dansun ranch en activité depuislongtemps. Ilavait lesentimentderetrouver lemêmecadrerudimentairequeceluidans lequel ilavaitgrandi,lesvachesenmoins.Etpourtant,àpeinequelquesminutesplustôt,ils’enétaitfalludepeuqu’ilpasseàcôtédel’opportunitédegoûterdenouveauàcettevie-là.
Juchée sur ce bon vieux cheval,ValerieBeaufort semblait assez frêle pour qu’une bourrasque ladésarçonne,maiselleavaitdelarepartie,etsavaitcequ’ellevoulait,ounevoulaitpasenl’occurrence.
Greyn’étaitpas sûrdecequi l’avaitdécidéeà l’autoriser à rester.Peut-être toutbonnement soncharme,pensa-t-il,réprimantencoreunefoisuneenviedesourire.Oubiensavivacitéd’esprit.Cars’ils’étaitraséavantdeprendrelarouteets’étaitbienregardédanslemiroir,ilavaitdumalàseconvaincrequesonapparencephysiqueaitpulaséduire.Ilavaituneallurebrutededécoffrage,unpeucommesionl’avaitlavéàfroidetmisàséchersurunecordeàlinge.C’étaitd’ailleursàpeuprèsl’étatdanslequelilsesentait.
L’effetdel’aspirinepriseavantdequittersonbureausedissipait.Conduiresurcesroutesétroitesaveclesoleildel’après-midienpermanencedefacen’avaitfaitqu’augmenterlamigrainecauséeparsagueuledeboisdumatin.
Ilauraitbienbuunverre,àvraidire.Ilavaitvolontairementlaissélabouteilledebourbondansletiroirde sonbureau. Ilnebuvaitpaspendant le travail ; ilne l’avait jamais fait.Griffne l’auraitpaslaissé faire de toute façon, ni lui ni aucunmembre de l’équipe, car trop de vies dépendaient de leurcapacitéàaccomplir leurdevoir.L’alcooln’avaitpasconstituéunproblèmeàcetteépoque.Toutavaitbasculélejouroù…
Il entendit grincer la double porte, à l’avant de l’écurie. Lemême bruit s’était produit lorsqu’ill’avaitpousséecet après-midipour inspecter l’intérieur. Il leva lesyeux, et s’aperçutque l’arrièredel’écurieétaitgrandouvert,luirendantl’ensembledubâtimentvisible.
ValerieBeaufortmenaitsonchevalàl’intérieur.Ilsefitlaréflexionqu’ilnes’étaitpastrompésurson allure fragile, car le jean étroit et la chemise de coton qu’elle portait laissaient deviner sa frêlesilhouette. Elle était trop mince pour lui. Des seins menus et des hanches de petite fille. Elle avaitrepoussésonchapeauenarrière,laissantapparaîtredescheveuxcouleurfeuillesd’automne.Elleavaitdutempérament,çanefaisaitaucundoute.
Illuifallutquelquessecondespourprendreconscienced’autrechosequiauraitdéjàdûlefrapper.Sadémarcheétaitanormale.Çasevoyait.Unfrissond’émotioninattenduparcourutsonestomac,frissondontileutdumalàcernerlanature.
La tête basse, les yeux au sol, elle n’avait pas remarqué qu’il la regardait traverser l’écurie enboitant,songrandchevallasuivant,docile.Greynepouvaitserésoudreàdétournersonregard,même
s’il se faisait l’effetd’êtreunvoyeur,etcemêmefrissonqui luiavaitparcouru lesentraillesquand ils’étaitrenducomptedesonhandicaprevintlechatouiller.
ValerieBeauforts’étaitmontréetrophargneuseavecluipourqu’ilsesentedésolépourelle.Maisc’était peut-être aussi pour cette raison qu’elle se montrait si hautaine, pensa-t-il en la revoyant, lementonportéfièrementenavant,quandellel’avaitprévenuqu’ellepossédaitunearme.C’étaitpeut-êtreàcausedecelaetpasdesonargent,commeill’avaitd’abordpensé.
Acetinstantellelevalesyeuxetcroisasonregard.Greysesentitgênédes’êtrefaitsurprendreentrain de l’observer.Mais il se refusa néanmoins à baisser les yeux. Il savait très bien comment ellepourraitinterpréterlefaitqu’ildétournesonregard.
Ellepinçaleslèvresavantd’ouvrirlabouchepourdemander:—Aviez-vousbesoind’autrechose,monsieurSellers?—Nonmadame.Ils restèrent tous deux immobiles. Le cheval derrière elle s’agita, mais elle l’ignora. Ses yeux
marron,presquetropgrandspoursonpetitvisageovale,défiaientGrey.—Vouspouvezutiliser le lit devotre choixdans l’annexe, finit-ellepardire.Ledîner seraprêt
à21heures.C’estpeut-êtreplus tardquevousn’enavez l’habitudemais jen’aimepasdîneravant lecoucherdusoleil.
—Vousm’invitezàdîner,mademoiselleBeaufort?—Les règlesde l’hospitalitém’interdisentde laisserundemes invités leventrevide,monsieur
Sellers,mêmeuninviténondésiré.Maisnevoyezriend’autredanscetteinvitation.Ilestplussimpleàmonavisquevousveniezàlamaisonqued’apporterunplateaujusqu’ici,dit-elle,enpointantdumentonlebâtimentderrièrelui.
—Oui,madame,réponditGrey.Ilpritconsciencequelaregardertraverserl’écurieenboitantavaitdétruitleplaisirunpeupervers
qu’ilavaitpuprendreà la tourmenter.Seconduirecommeçamaintenant luiauraitdonné l’impressiond’êtremesquin,dedonnerdescoupsgratuitsàquelqu’unincapabledesedéfendre.
Certes,çan’avaitpassembléluiposerproblèmed’avoiràaffrontersessarcasmes,ilsavaitquecen’étaient que des états d’âme — et il savait d’où ils venaient. Savoir ces état d’âme installés luidéplaisait,etilsavaitégalementqu’ellel’enverraitpaîtres’illesexprimait.Ellen’étaitsûrementpasdugenreàapprécierqu’onluitémoignedelapitié,mêmetravestieenunautresentiment.
—Nevoyezpasautrechosederrièrecetteinvitation,monsieurSellers,répéta-t-elle,etcettephrasehostile le sortit de ses pensées. Je ne veux pas devenir votre amie, je ne souhaite pas mieux vousconnaître.Jenesouhaitaispasnonplusêtrevotrehôte,neserait-cequepourunenuit,maisapparemmentonnem’enlaissepaslechoix.Alors…ledîner,c’esttout.
—Grey,sehasarda-t-il.Onnem’appellepasassezsouvent«monsieurSellers»pourquejesoisàl’aisequandons’adresseàmoiainsi.
Illuisourit,dugentilpetitsourirepoliqu’ilréservaitauxvieillesdames,auxprêteurssurgagesetauxofficiersdepolicequiportaientuncarnetàsouche.
Ellepinçaleslèvres.—21heures,monsieurSellers.Inutiledevousmettresurvotretrenteetun.Elleseretournaetcommençaàdessellersoncheval.Larapiditédesesgestesprouvaitàcoupsûrsonexpérienceetsonhabitudeàlesexécuterdepuisde
nombreuses années. Il avait déjà intégré que c’était une femme fière et pugnace,mais cependantGreyposasonsacetentradansl’écurie.C’étaitdéjàlecrépuscule,lalumièredusoleilbientôtcouchébaissaittrèsvite.
L’obscuritébienplus importante à l’intérieurde l’écuriequ’audehors le surprit. Il fut égalementsaisiparlesodeurssifamilièresquiluirappelaienttantdechoses.Ilinspiraprofondément,inhalantun
parfummêlédefoin,defumierdechevaletdecuirpatiné.Dessenteursquiluiévoqueraienttoujourssonfoyer.
Il s’avança en direction du cheval et de sa cavalière, regarda ses petites mains travailler avecdextérité.Dèsqu’elleeutdétachétouteslessangles,Greyavançaetpassadevantellesansprévenir.Ilôtalaselleetlaposaenhautdelagrilledelastallelaplusproche.
Lorsqu’ilseretourna,ValerieBeaufortledévisageait.Elleavaitlerougeauxjouesetellepinçaitleslèvrestellementfortquecelles-cin’étaientplusqu’uneligneblafarde.
—Nerefaitesjamaisquoiquecesoitdecegenre,luiordonna-t-elle.Pluselleétaitencolèreetplussavoixétaitcalme.Ilavaitdéjàremarquécelasouslavéranda.Ce
quisignifiaitqu’àl’instantelleétaitfurieuse.—Jenesaispasquelgenred’hommesvousavezl’habituded’avoirautourdevous,mademoiselle
Beaufort,maismoi, j’ai étéélevécommeungentleman. J’auraisagide la sorteavecn’importequelleautrefemme.
—Vousêtesunmenteur,dit-elle.Vousvousêtesditquevousalliezdonneruncoupdemainà lapauvrepetiteéclopée,qu’elleaitbesoind’aideounon,etpeut-êtreentrerdanssesbonnesgrâcesenvouscomportantengentleman.Oualorssoulagervotreconscienceenaccomplissantvotrebonneactiondelajournée.Jemefichedesavoirpourquoivousavezfaitça,maissi j’aibesoindevotreaide,jevousleferaisavoir.Sijenedemanderien,vousmefichezlapaix,monsieurSellers.
Une colère identiquemonta en lui lorsqu’elle déversa cesmots. Peut-être lamigraine lancinanteaffrontéetoutelajournéelerendait-elleplusirritable,oubienlebesoindeboireunverre,besoinqu’ildétestaitadmettre.Oubienencoreétait-ceunsentimentdeculpabilité,carelles’étaitapprochéetropprèsdelavérité.Quellequesoitlaraison,sacolèrepassaoutresacapacitéhabituelleàgardersoncalme.
Il lui saisit les bras, les serrant assez fort pour la faire tressaillir. Ses pupilles se dilatèrent desurprise.MlleBeaufortlapetitefillerichen’avaitcertainementjamaisététouchéeparunhomme,sedit-il,quecesoitsousl’effetdelacolèreoupourautrechose.Quienauraitenvied’ailleurs,étantdonnélafaçondontelletraitaitlesautres?Bienqu’ileûtdéjàconscienced’avoircommisunegraveerreur,illasecoua.Pasfort,cependant.
Ilsentaitlesosmaigresdesesbrassoussesmains,desosaussisemblablesàceuxd’uneenfantquelerestedesoncorps.Elleétaittellementvulnérable!Sentircettevulnérabilitéauraitdûmettrefinàsacolère.Ilauraitdûavoirhontedetraitercommeunhommequelqu’undetellementpluspetitquelui.
Unepersonnequiétaitdeplusune…éclopée.C’estletermequ’elleavaitemployé.Avoircemotdanslatêteleperturbait.
— Je ne sais pas quel est votre problème, petite demoiselle, dit-il d’une voix basse etvolontairementmenaçante, alors qu’il continuait de la serrer. Je suis venu ici parcequ’onm’a engagépourfaireuntravail,etparcequej’aibesoind’argent.Jen’aipasplusenviequevousdedevenirvotreami,croyez-moi.Etsivouspensezquemeproposerdemedonneràmangervousdonneledroitd’êtredésagréable,alorsilfautrevoirvotreconceptiondel’hospitalité.J’auraisaidén’importequellefemmeàportercetteselle.Onm’aélevéainsi.Toutefoisvouspouvezêtresûrequ’êtresympathiqueavecvousestuneerreurquejenecommettraiplus.
Illalâchasibrusquementqu’ellechancela.Ilrésistaàlatentationdeluiattraperlecoudeetdelaretenirpourluipermettrederetrouversonéquilibre.Adéfaut,ilsefrayaunpassageentreelleetleflancducheval,traversal’écurieàgrandesenjambées,furieux,etallajusqu’àl’endroitoùilavaitlaissésonsac.Ill’attrapaaupassagesansjeterunregardenarrière,entradansl’annexeetclaqualaportederrièrelui.
Lebruitdelaporten’arrangeapassamigraine,pasplusquelesangquiluibattaitauxtempes.Ilyavaitbienlongtempsqu’iln’étaitpassortidesesgonds.Bienlongtempsquequelqu’unouquelquechose
nel’avaittirédelabrumed’apathiequil’entouraitdepuissondépartdel’équiped’ExternalSecurity.Iln’avaitpasmêmeundébutd’explicationsurcequivenaitdeluifaireperdresoncalme.
Maisilsesentaithonteuxetmisànu.C’étaitcommes’ils’étaitouvertetavaitmontréàcettefemmeque les mécanismes censés tourner harmonieusement dans sa tête s’étaient un peu emballés. Voirebeaucoup.
Il jetasonsacsurle litdecampleplusprochedelaporteetregardalepetitnuagedepoussièresoulevéparsongeste.Elleallaitsûrementporterplainte.IlespéraitqueceseraitauprèsdeBeneficialLifeplutôtqu’auprèsdeJoeWallace.DanscecasilpourraitduperWallaceavecunehistoirequelconquepourexpliquerpourquoiçan’avaitpasmarché.
Illuifaudraitrembourserl’argent,d’unemanièreoud’uneautre.Iln’avaitaucuneidéedecommentilallaitarrangerça.Ils’assitsurlebordd’unautrelitetpritsatêtedouloureuseentresesmains.
«Bienjoué»,sedit-il,tandisquelesproposqu’ilavaittenusàlajeunefemmerepassaientdanssatête.Unebonnefaçondesefairedesamis.
—«Jeneveuxpasêtrevotreamie»,avaitditValerieBeaufort.Poursûr,ilnepouvaitpasluienvouloir.
2
Valeriepiquasafourchettedanssacôtelettedeporc,yfaisantunerangéesupplémentairedepetitstrous nets. Grey Sellers ne s’était pas présenté pour le dîner, elle s’était donc mise à table peuaprès21heures,avecunsentimentd’indignation.Puiselles’étaitsentieécœurée.
«Jesuisalléegalopertroploincetaprès-midiparcettechaleur»,sedit-elle.Tut’escomportéecommeuneimbécile,luidisaitunepetitevoixdanssatête.Toutçaparcequ’un
hommeaeul’audacedet’aideràdessellertoncheval.«Ill’afaitpourdemauvaisesraisons.»Espècedeféministebornée!semorigéna-t-elle.Enquoiétait-ceuncrimepourunhommed’aider
unefemme?«C’enestunquandillefaitpourdemauvaisprétextes.»Tusaisliredansl’espritdesautres?sedemanda-t-ellesoudain.Tuescertainedecequil’apoussé
àfairecegestequetutrouvessiinfâmant?Fatiguéepar ce conflit intérieur, et par l’effort qu’elle devait produire pour tenter de répondre à
cette dernière question,Val repoussa sa chaise et, son assiette enmain, alla jusqu’à la poubelle. Ellepressa la pédale d’ouverture et y jeta la côtelettemaltraitée, le petit pain et les haricots verts qu’elleavaitpréparés.Puiselleposasonassiettedansl’évieretseretournapourcontemplerlessaladierssurlatabledelacuisine.«Quellehontedegâchertoutecettenourriture.»
Etce,alorsqu’ilyadansl’annexeunhommequin’apasmangéetseraitàcoupsûrravideluifaireun sort.Unhommeque tu as invité à dîner par respect prétendudes règles d’hospitalité.Et que tu asensuiteenvoyépaîtreparcequ’ilaeulemalheurd’avoirungestequin’étaitpeut-êtreriend’autrequel’expressiondesagratitude.
« L’expression de sa gratitude. Il m’a agrippé les épaules assez fort pour que j’en ai desbleus ! », se dit-elle, déterminée à se convaincre du bien-fondé de sa colère. Sans quoi elle devraitadmettres’êtremalcomportée.
Elleallaà la table, ramassa lesplats, lesposasur lecomptoir,ouvrit lapoubellemaisneputserésoudreàjeterl’ensembledelanourriture.
Aucontraire, elle sortit unenouvelle assiette duplacard, la posabrusquement sur le comptoir, ydéposadeuxcôtelettes,troispetitspainsetlerestedeharicotsverts.Puisellelamit,ainsiquelasaladedefruitsetdescouverts,surunplateauetprotégealetoutd’uneserviettepropre.
Ellecontemplasonœuvrequelquesinstants,tenditlebraspouratteindrel’interrupteurau-dessusdel’évier et éclairer la cour. Elle prit le plateau avant d’avoir le temps de changer d’avis et sortit,repoussantlevantaildelahanche.
Lorsqu’elletournaaucoindel’écurie,ellevitunfaibleraidelumièresouslaportedel’annexe.Lalumière des bâtiments n’atteignait pas la zone où elle se trouvait. «Je suis en sécurité », se dit-elle,reconnaissanteenverslesombresquiladissimulaient.«Maisensécuritécontrequoi?»luidemandasavoixintérieure.Elleressentaitdeplusenplusdeméprispourl’absurditédesesraisonnements.
Valerie dut se forcer à avancer jusqu’à la porte et à frapper, le plateau en équilibre, car ellerechignaitencoreàseretrouverfaceàl’hommeaprèsquielleavaitcriécetaprès-midi.Aucunbruitnesortaitdel’annexe,etiln’yeutpasderéponseaucoupqu’elleavaitdonnéàlaporte.Ellelaissapasserquelquesinstants,frappadenouveau,plusfortcettefois,puistournalapoignéeetouvrit.
—MonsieurSellers?Pas de réponse. Elle se décida à entrer. L’annexe semblait vide. Peut-être faisait-il d’autres
contrôlesdesécurité,sedit-elle.Ellel’avaitvucontrôlerl’ensembledesportesetdesfenêtrespendantqu’ellefaisaitlacuisine.Ellelesavaittoutesverrouilléesdèsqu’elleétaitrentréedanslamaison,afindeneluidonneraucuneraisondeseplaindredelasécurité.
Elle déposa le plateau devant le poêle ventru et s’apprêta à repartir. Son regard fit le tour dubâtimentconstruitparsonpère.Ilétaitplutôtrudimentaireparrapportauxnormesdeconfortactuelles.Sixlitsdecamp—troisdechaquecôté—,latableoùelleavaitdéposéleplateauetquatrechaises,lepoêle, et des bibliothèques qui contenaient toutes sortes de puzzles, jeux et livres, constituaient lemobilier.
L’ensembleétaitrecouvertd’unefinecouchedepoussièredéposéepar leventdudésert.Ellen’yavaitpasfaitleménagedepuislongtemps,carpersonnen’avaitvécudansl’annexedepuisdesannées,etc’estbiencequ’ellevoulait.
Sonpèrel’avaitaccuséedevivrecommeunerecluse,etc’étaitpeut-êtrevrai.Maisl’altercationdecetaprès-midiavecGreySellersluiavaitrappelécombienelleneregrettaitpassonchoixdevie.Ellen’avaitpasbesoindecegenredebouleversement,surtoutpasmaintenant.
« Ce genre de bouleversement. » Elle se répéta la phrase, se demandant pourquoi elle l’avaitutilisée àproposdeGreySellers. Il n’y avait riende communentre cette situation et cequ’elle avaitéprouvéavant.
Ellelevalesyeux,parsimpleréflexe,etlevitlaregarderdepuislepasdelaportedelasalledebains. Ses cheveux noirs étaient mouillés et prenaient des teintes bleutées sous la lumière crue etoscillantedel’ampouleélectrique.Apparemmentilsortaitdeladouche,cequiexpliquaitqu’iln’aitpasréponduquandelleavaitfrappéetappelé.
Il portait lemême jeanquedans l’après-midi,mais il était piedsnus, et reboutonnait sa chemisechamois.Sesyeuxgris,quil’avaientinterpelléel’après-midimême,étaientrivéssursonvisage,avecunairinquisiteur.
Seslongsdoigtsfinscontinuaientderefermerchaquebouton,unparun,sanshâte.Lespansdesachemiseencoreouvertelaissaientapparaîtreunventrebrunetplat,parcourud’unesombrepilosité.Duregard,elleeutletempsdesuivrecetteombrejusqu’àlaceinturedesonjean,oùelledisparaissait,avantqu’iln’aitreferméledernierboutondesachemiseetmisfinàcettefugacevision.
—Jevousaiapportévotredîner,dit-elleens’efforçantdeleverdenouveaulesyeux.Elleavait labouchesèche,eteutdumalàarticuler.Elleespéraitqu’ilneserendraitpascompte
que le bref regard qu’elle avait porté sur son corps avait altéré son comportement, lequel ne laissaithabituellementpastransparaîtresesémotions.
LesyeuxdeGreyallèrentduplateauposésurlatableàelle.—Merci,madame.—Jevoulaisaussim’excuserpour…vousavoirclaquélaporteaunezcetaprès-midi,dit-elle,se
forçantàprononcercesmots,conscientedutonfroidetsecqu’elleemployait.
Sesexcusessonnaientfaux,maisavecletemps,sasociabilités’étaitunpeurouillée.Deplus,cethommeavait lepouvoirde ladéstabiliserd’unregard,d’unsimplemouvementauxcommissuresdesabouche,etillefaisaitdenouveau.
Ildonnaitl’impressiondenerienvouloirpartageraveclesautres.Etderireintérieurement.Est-cequ’il semoquait d’elle ? se demanda-t-elle. Paranoïa, lui répondit sa voix intérieure sur le ton de laréprimande,tandisqu’elles’efforçaitdeneplusregarderseslèvres.
— Je n’aime pas que les gens se mettent en tête que je ne suis pas capable de faire ce quej’entreprends,reprit-elleavecobstination,déterminéeàenfinir,etàexpliquerpourquoielleavaitréagisivivementdansl’après-midi.
Sanspourautants’approchertropprèsdelavéritéquiluifaisaitsimal,etquiétaitqu’elledétestaitêtretraitéecommeunehandicapée.
—Jeneme suis pasmisquoi que ce soit en tête à proposde cequevouspouvez faireoupas,mademoiselleBeaufort,répondit-ild’unevoixnette,sansaltération.Onm’aélevécommeungentleman,jevousl’aidit.C’estpeut-êtredémodé.Maisétantdonnéquejevousaioffensée,jevousprésentemesexcuses.Pour…tout,finit-ildoucement.Jevousprometsqueçan’arriveraplus.
Ilgardait le regard fixé sur sonvisage, et sesyeuxendisaientplusque sesparoles. Il exprimaitcertainementdecettefaçonsesregretspouravoirportélamainsurelle.Maisiln’yavaitmêmepasfaitallusion.Ilneluiavaitprésentéaucuneexcusepourl’avoirrudoyéecommeunhomme.
C’estvraiqu’iln’étaitpasseulànepastoutdire.D’habitude,Valeriemettaitunpointd’honneuràignorerceuxquifocalisaientsursonhandicap.Aveclui,elleenavaitfaittouteuneaffaire.Etelledevaitadmettre,sielleétaithonnête,qu’ellesavaitpourquoi.
C’était le premier homme qui l’attirait depuis des lustres — depuis plus longtemps qu’elle nevoulaitselerappeler.Lepremierquiréveillaituneexcitationd’ordresexueldepuisqu’elleavaitrompusesfiançaillesavecBartonCarruthers.
«Çan’arriveraplus»,avaitpromisGreySellers.Ilavaitprissoindenepasprécisercequiétaitcenséneplusarriver.Etellenesouhaitaitpasnonplusreparlerdecetincident.Cethommeseraitpartidèslelendemainmatin.Elleyveillerait,mêmes’illuifallaitleconduireelle-mêmeenvilleetenvoyerquelqu’unremorquersonpick-up.
Ensuite, elle appelleraitWallace, ou la compagnie d’assurance, et c’en serait fini de toutes cesabsurdités.Saréactiondel’après-midiavaitpeut-êtreétéexagérée—elleenconvenait—maisilétaitinutiledecontinuerainsi.GreySellersavaitchoisidenepasfaireallusionaufaitqu’ill’avaitmolestée,elleenferaitdemême.
—Mercid’avoirapportéleplateaujusqu’ici,dit-iltoutbas.Jepensaisquevousaviezrésiliévotreinvitationàdîner.
Résilié.Lechoixdecemotétaitaussiétrangepourcetyped’hommequefâcheuxl’avaitété.Maisla sincérité qui émanait de sa voix lui rappela qu’elle ne le considérait pas commedangereux.Mêmequand il l’avait saisie et secouée, elle ne s’était pas sentie en danger. Il n’avait fait que réagirinstinctivementàsacolèreetàsesaccusations.
—Bonnenuit,dit-elle,brisantàdesseinleliennouveauquis’établissaitentreeux.EllenevoulaitpasensavoirplussurGreySellers,ellenesouhaitaitpaspenseràluiplusqu’ellene
l’avaitdéjàfait.Elletraversalapièceenboitant,conscientedel’échoirrégulierdesespassurlesvieillesplanches,
et du regard deGrey posé sur elle, même si elle lui tournait le dos. «Laisse-le regarder. Laisse-leprofiterduspectacle»,sedit-elle,soudainirritée,sanstropsavoirpourquoi.
Demain, les choses reprendraient leur cours normal. Du moins aussi normal que possible, tantqu’ellenes’étaitpasdébarrasséed’Av-Tech,cebouletqu’elletraînait.
Refermant sèchement la porte de l’annexe derrière elle, elle se dit que plus tôt elle en seraitdébarrassée,mieuxceserait.Maisjusqu’àsonretouràlamaison,elleeutlesentimentdesentirdesyeuxgrisargentfixéssurelle.
***
—Toutvabien,ditValerieàl’étalon,d’unevoixdouceetapaisante.Calme,maintenant,toutdoux,monbeau.Toutvabien,espècedegrandcoquin.
«Riennepeut remplacerça», pensa-t-elle.Elle sentait refluer de son cou et de ses épaules latensionqu’elleavaitcombattuelanuitprécédente,aucoursdelaquelleellen’avaitpresquepasdormi.
C’étaitcertesunebonnechosed’êtretenduquandonavaitaffaireàunchevaleffrayé.Malgréseseffortspermanentspourlerassurer,l’étalonmontraittoujoursdessignesdepanique,latêteenl’airetlesoreillesenavant.
Elle avait choisi Kronus comme premier étalon à cause de son tempérament. Il étaitremarquablement bien élevé pour un cheval de sa trempe. Elle l’avait regardé travailler, et sonpropriétaire précédent s’était porté garant de lui. Et depuis qu’elle était devenue sa propriétaire, lechevals’étaittoujoursmontréàlahauteurdesaréputation.
Jusqu’àaujourd’hui.Dèsqu’elleétaitsortiedelamaisonlematin,peuaprèsleleverdusoleil,ellel’avaitentendus’agiterbruyammentdanssastalle.Ilavaitmêmefaitunéclatdansunebarrière.Ellenesouhaitaitdoncpaslelaisserdanssonpetitenclostantquelabarrièreneseraitpasréparée.
Ilseraitcertainementmieuxdanslecorral.Lesautreschevauxétaienttousdanslepréautourdelasource,iln’yauraitdoncrienpourledéranger;riendeplusquecequil’avaitrendusiénervé,entoutcas.
Ilseraitdansunespacemoinsconfinéetnerisqueraitpasdeseblesser.Ellelequittadesyeuxetinspectalastalled’oùellevenaitdelefairesortir.Ellesetrouvaitàl’intérieurdel’enclosqu’elleavaitmontéelle-mêmelorsqu’elleavaitdécidéd’acquérirsonpropreétalon.Lebâtimentallouéétaittrèspetit,maisapparemmentparfaitementsûr,etassezéloignédel’écuriepourqu’ilnecausepasdeproblèmesauxautreschevaux.
Ellenevitriendanslastallequipuisseexpliquerl’agitationdel’animal.Maisbeaucoupdechosespouvaienteffrayeruncheval,unbruitnonfamilierouinattendu,oumêmeunmorceaudeplastiqueausol.
Peut-êtrequeKronusavaitsentiqu’ilyavaitunétrangerdansleranch.Lorsqu’ellepassaavecsonétalonapeuréàcôtédel’annexe,ellejetaunbrefregardsurlaporte,toujoursferméedanslalumièredujourquimontait.Ellepritconsciencequ’elleavaitfaitattentionàlaportetoutletempsoùelleavaitétédanslacour.
Est-cequ’elledevançaitlemomentoùsoninvitéindésirablel’ouvrirait?C’estlaquestionqu’elleseposaittoutenmenantsonchevaldanslecorral.Sic’étaitça,alorsc’étaituneattentequ’ellenevoulaitpaséprouver.Maismalgrésarésolution,ellenepouvaits’empêcherdeseremémorerl’impactduregarddeGreySellers.Ainsiquecepetitplid’amusementauxcommissuresdesabouche.
Elle avait été momentanément distraite par ce souvenir, mais elle ramena toute son attention àKronus,làoùellen’auraitjamaisdûcesserd’être.Ils’étaitmontrénerveuxlelongducourttrajet,etilsemettaitmaintenantàencenser,tirantbrusquementsursabrideetpiaffant.
Elle raccourcit la corde de Nylon en changeant la position de sa main, afin de canaliser lesmouvementsducheval.Elle se tenaitàcôtédesonépaule,exactementoùelledevait se trouver.Maismême comme cela, elle le sentait bander les muscles de son arrière-train puissant ; elle eut mêmel’impression,pendantuninstant,qu’ilétaitparvenuàdécollerlessabots.
Valcomprenaitqu’ildésiraits’échapper,partirloindecequil’effrayait.Cetinstinctdefuiteétaittrèsdéveloppéchezleschevaux.Kronusvoulaitdétalerleplusvitepossible.
Elle lui parlait sans arrêt,mais elle sentaitmalgré cela la tension quimontait en lui. Et elle necomprenaitpaspourquoi:iln’yavaitrien…
Ilencensaencore,tirantfortsurlabride,laissantapparaîtreleblancdesesyeux.Ellerestaàcôtéde lui, luttantpour lemaintenir. Ils étaient toutprèsde l’enclos, si elleparvenait à lui fairepasser labarrièreetentrer,ilsseraientensécurité.
Elle tendit sa main libre pour ouvrir la barrière mais Kronus recula brutalement, tentant de selibérer et s’éloignant de quelques pas de la clôture avant qu’elle ne soit parvenue à lui faire courberl’échine.
Songenoufaiblecommençaitàtrembler,commechaquefoissouslecoupd’uneffort.Ellen’entintpas compte, serrant les dents pour résister à la douleur, et s’accrocha avec acharnement tandis quel’étalonfaisaitunnouveaubonddecôté.
C’aurait été dangereux de le lâcher, tant sesmouvements étaient fous.Même si la propriété étaitclôturée,ilyavaittropd’endroitsoùilpouvaitseblesser.
Larobed’ébènedeKronusluisaitauxendroitsoùellen’étaitpasmaculéedepoussière,etsesyeuxétaientrévulsés.Ilsecabradenouveau,etelles’accrochadetoutessesforces,soulagéedeporterdesgantsdecuirquiluiévitaientd’avoirlesmainsbrûléesparlacordedeNylon.
Lorsquel’animalretombaausol,elledutreculerpourl’esquiver.Maissongenoulâcha,lafaisantbasculer. Comme elle tentait de retrouver l’équilibre, le cheval vacilla lui aussi. Déséquilibrée, ettoujoursaccrochéeàlabride,elletombaet,danssachute,satêteheurtaunedesbarrièresducorral.
Malgré le choc de son crâne contre le piquet de bois, elle ne perdit pas connaissance. Elle euttoutefois l’impression que l’air se raréfiait et que tout s’assombrissait autour d’elle, et tandis qu’elles’efforçaitderesterconsciente,ellesentitqu’elletenaittoujourslacorde.Unréflexed’instinct,unpeuabsurdevul’étatdepaniqueducheval.
Sesmusclesétaienttétanisés:impossibledelaisserKronuss’échapper.Saseulepenséeétaitqu’ilrisquaitdeseblessersurceterrainaccidentéetrocailleux.
Elle-mêmerisquaitdesefaireencoreplusmal,étenduelà,souslessabots.Ellepivotasurlecôtédroit,voûtant sonépaule, alorsque le cheval secabraitune fois encore,parvenantpresqueà lui fairelâcherprise.Soudain,delonguesjambesenvahirentsonchampdevision.
— Lâchez la corde, ordonna Grey Sellers, alors que le cheval se cabrait une fois de plus,complètementpaniqué.
Comprenant qu’elle n’avait pas le choix, elle lâcha tout. Grey avait déjà passé son bras autourd’elleetlarelevait.Vivement,illadégageaaumomentoùlechevalretombait,etlessabotsbattirentlesoltoutprèsdel’endroitoùellesetrouvaituninstantauparavant.
Alorsqu’ilsétaientencoreàterre, lechevaltournoyaets’enfuit.Valeriemitquelquessecondesàprendreconsciencedudangerauquelelles’étaitexposée.Etunedepluspourcomprendrequ’elleétaitpourainsidireassisesurlesgenouxdeGreySellers,ledosplaquécontresapoitrinemusclée.Ilavaitencorelesbraspassésautourd’elle,justeendessousdesesseins.
Il la serrait si fort qu’elle avait du mal à respirer. Ou alors sa difficulté à respirer était uneconséquencedecequivenaitdesepasser,ellenesavaitpastrop.Enquelquessecondes,elleavaitperdulecontrôle.
Elleétaitfatiguéeetdésorientée.Elleappuyasatêtecontrel’épauledeGrey,luttantcontrelanauséequi l’avaitbrusquementenvahie.Elle leva lesyeuxvers lecielbleu turquoise,etcherchaàaspirerdel’air.
—Çava?demandaGrey,savoixtouteproche,seslèvressiprèsdesonoreillequ’ellesentaitsonsoufflesursajoue.
Ellefitsignequeoui,et tourna la têtepour le regarder.Sabarbematinalefrottacontresa tempe.Aprèsquelquesinstants,ilregardadansladirectionoùdisparaissaitl’étalon,sessabotsclaquantsurle
solsec.Valerie savait qu’il pouvait courir surplusieurskilomètres sans rencontrerde clôtures.Mais il y
avaitd’autresobstaclesredoutablesdanscetteplainedehautdésertoùtoutpouvaitarriver.Ellerécitaunecourteprièreprotectrice,leregardantgaloperverslelointaindesmontagnes.
Lorsque l’étalon ne fut plus qu’un point sombre à l’horizon, Grey s’adressa à elle, d’une voixaffectéeparlamêmehumeurqu’elleyavaitdéceléelaveille.
—Ilesttoutletempscommeça?Parcequesic’estlecas,vousavezunsacrétempéramentpourvousenoccuper.
—C’estlapremièrefoisqu’ilsecomporteainsi,répondit-elle,sincère.—Vousavezuneidéedecequil’amisdanscetétat?demandaSellers,faisantéchoauxquestions
qu’elleseposaitelle-même.Ellefitsignequenon,cherchantcequipouvaitavoirénervéKronusàcepoint.Riendanslastalle.
Riennonplus le longdutrajet jusqu’aucorral.Ellenepouvaitfournir lamoindreexplicationsurcetteagitationincohérenteetinhabituelledel’animal.
—Toutceque jesais,c’estqu’ilvafinirparseblesser,dit-elle,sedébattantpourse libérerdel’étreintedeGrey.
Cedernieravaittoujourslebrasautourdesonbuste,effleurantsesseins.Ilrelâchasonétreintedèsqu’ellebougea,etelletentadeserelevermaladroitement,poussantsur
sesgenoux,gênéeparlapositionintimedeleurscorps.«Alerte»,sedit-elle,déterminéeànepasavoiruneréactiondémesurée,commelaveille.
Ildevait laprendrepourune sortedenévrosée, effrayéepar leshommesà l’idéede toutcontactaveceux.
Elle tentade se lever,mais lorsqu’ellepoussa sur ses jambes,unedouleur fulgurante se réveilladans son genou blessé. Elle fut de nouveau prise de vertige. Lorsqu’elle retrouva complètement sesesprits, quelques secondes après, elle fut soulagée de constater qu’elle n’était pas tombée. Elle étaitdebout,maiss’appuyaitcomplètementcontreGrey.Ilavaitrepassélebrasautourd’elle,etlasoutenaitconsciencieusement,sansriendedéplacédanssongeste.
—Jemesuisblesséeàlatête,dit-elleenlevantlesyeuxverslui.Dans la lumière du matin, ses yeux étaient d’un gris transparent, moins opaque que la nuit
précédente.Soudain,illuipritlementonetluifitpivoterlatête.Priseparsurprise,ellenerésistapas,malgrél’agitationintérieurequecegesteprovoquaenelle.
MaisellecompritqueGreynecontemplaitpassonvisage:ilexaminaitl’étatdesatempequiavaitheurté le piquet quandKronus l’avait fait chuter.Elle regarda sesyeux s’agrandir unpeupuis revenircroisersonregard.
—Ondiraitquevousallezavoirbesoindequelquespointsdesuture.Elleparcourutsablessureduboutdesdoigts.Ellegrimaçalorsqu’elleappuyasurl’entaille.Ellesentitlevertigerevenir,maisdécidéeànepass’évanouirunefoisencore,commeunestupide
héroïnevictorienne,ellemorditl’intérieurdesajoueassezfortpourcontrerladouleurquesatempeetsongenoublessésprovoquaient.Elleressentitunmaldechien,maisçaluipermitderetrouvertoussesesprits.
—Cen’estrien,dit-elle,bienplusinquiètepoursonchevalquepourelle-même.—Vousrisquezdegarderunecicatricesivousnefaitespasrecoudrevotreblessure.Elle semit à rire, ce qui eut pour effet de lui faire écarquiller les yeux. Est-ce que cet homme
pensait que ça lui importait un tant soit peudegarderune cicatrice ?Certes, il nepouvait pas savoirqu’elleenavaitdéjàquelques-unes.Etcen’estpasunepetitecoupurequiallaitladécideràprendresavoiturepourallersefairerecoudreenville.Elleavaitplusimportantàfaire,àcommencerparveillerà
cequ’iln’arriverienàl’étalondanslequelelleavaitinvesti.Encemomentmême,ilcouraitdesérieuxrisquesàgalopercommeunfouaumilieudecetteplainehostile.
—Ilfautquejelerattrape,dit-elle,selibérantdel’étreintedeGrey.Parchance,cettefois,ellenefutpasprisedevertige.Ellealla jusqu’à laclôture touteproche,enboitant fortement, chaquepas se révélantune torture.
Ellecompritqu’elleneseraitpascapabledeselanceràlapoursuitedesonétalon.Ellepouvaitàpeinemarcher,etencoremoinsfairelenécessairepourretrouversonchevaletleramener.
—Ilauradisparuavantquevousayezletempsdevousmettreenselle,etvousn’arriverezpasàsuivresapistesurunterraincommecelui-là,ditGrey.
Peut-êtrequesonexpériencedecavalièreluipermettraitdemonteràchevaletdejugulerladouleur,maispourlereste,ilavaitraison.MêmesiceterrainrocheuxpermettaitdesuivrelapistedeKronus,illuifaudraitcertainementdescendreetremonterdecheval,etellen’enétaitpascapable.
—Jenepeuxpaslelaissergalopercommeça.—Commencezd’abordparallervousfairesoigner,ditGrey.—Maisc’estmoncheval.C’estmondevoird’allerlechercher,protesta-t-elle.— C’est mon devoir à moi de veiller sur vous, mademoiselle Beaufort, dit-il tranquillement.
L’auriez-vousoublié?Eneffet,illuiétaitsortidelatêtequ’onl’avaitenvoyépourêtresongardeducorps.Ungardedu
corps,sedit-elle,tournantl’idéeendérision.Ellen’avaitjamaisappréciéqu’onluidisequ’ellen’étaitpascapabledefairetelleoutellechose.Dumoinsdepuissonaccident.
—Çan’arienàvoir,dit-elle,lesyeuxtournésverslatraînéedepoussièrequis’estompaitauloin.—Selonlestermesdemamission,iln’yariendontjenedoivevousprotéger.Celaconcerneaussi
les risques de commotion cérébrale et d’hémorragie interne.Et de toute façon je vous ai déjà dit quej’avaisencaissél’acompte.Alorsjevaischercherlavoiture.
Ellecherchaàattrapersonbras,maislemouvementréveillaladouleurdanssongenouetelleneparvintqu’àsaisirsamanche.
—Jenepeuxpaslaisserlechevalcommeçasansrienfaire.—Jenecroispasquevousayezlechoix,ditGrey.Ilavaitraison.Iln’étaitpasquestionpourelledemontersurunchevaletdeselanceràlapoursuite
deKronus.Maisrienn’empêchaitGreydefaireçaàsaplace.Iln’étaitcertespaspayépours’occuperdesoncheval.BeneficialLifene luiavaitpasversécet
acomptepour cela.Mais qu’est-cequi l’empêchait de lui demander cette faveur, hormis peut-être sonorgueil?Etsonorgueil,elleétaitprêteàlemettredecôtépourvoirKronussainetsauf.
—Vous,vouspourriezallerlechercher,suggéra-t-elledoucement.—Ouijepourrais,maisseulementsijenedevaispasm’occuperdevousd’abord.—Nevousoccupezpasdemoi.Jenecoursaucundanger.C’estluiquipourraitseretrouverblessé.
Et, ajouta-t-elle, pensant que cet argument pourrait le toucher, c’est un cheval d’une valeurexceptionnelle.
Elledisaitlavérité.Elledevaitàsonétalonl’ensembledesprofitsqu’elleavaitaccumulésl’annéeprécédente.Cen’étaitpaslaraisonpremièrequifaisaitqu’ellevoulaitqueGreyselanceàsapoursuite,évidemment.Ellevoulaitpar-dessustoutéviterquelechevalneseblessegravement.Peut-êtrequ’ilsecalmeraitaprèss’êtreépuiséàgaloper,etalors…
—Ilestdemaresponsabilitédefaireletravailpourlequelonm’apayé,ditGrey.—Çasignifiequevousvoulezquejevouspayepourramenerlecheval?demanda-t-elle.Jecrois
qu’onpeutarrangerça.Vousacceptezleschèques?Jecrainsdenepasavoirbeaucoupdeliquidesouslamain.Maisjen’auraipeut-êtrepasassezsurmoncompteenbanque.Çavamecoûtercombien,monsieurSellers,pourquevousalliezcherchermoncheval?
Ilyeutunsilencequiduraquelquessecondes,avantqu’ilnedéclare:—Çadoitêtredurd’êtreaussicynique.—Pascynique,expérimentéeplutôt.L’argentaparfoisuneinfluencequasimystiquesurlesgens.—Passurmoi,mademoiselleBeaufort,désolédevousdécevoir.Maintenant,plusvitenousserons
partis vous faire soigner, plus vite nous serons revenus, et je pourraime lancer sur la piste de votrecheval.
—Acemoment-làilserapeut-êtredéjàtroptard.—C’est àprendreouà laisser,dit-il, sebaissantpour ramasser sonStetsonnoir et l’épousseter
contresajambe.—J’auraisdûmedouterqu’unchevalnesignifiaitpasgrand-chosepourquelqu’uncommevous,
dit-elle,brusquementencolère.Ellenesavaitmêmepascequ’elleentendaitparlà,maisportercetteaccusationlasoulagea.Ellepartitendirectiondupré,boitanttoujoursfortementets’appuyantsurlaclôturepouravancer.
Sajambedevenaitplusraideetdouloureuseàchaquepas.—Vousavezsûrementlesmoyensdevouspayerunautrecheval,mademoiselleBeaufort,maispas
uneautrevie.Danscedomaine,noussommestouségaux.Ellesentaitlesarcasmepoindrederrièresespropos,commeellel’avaitsentilorsqu’illuiavaitdit
êtredésoléque lapoliced’assurancedesonpèrenesoitpasdecellesqu’onsoldaitd’une traite.Cesdeuxallusionssous-entendaient«espècederiche»tellementfortqu’iln’avaitpasbesoindeledire;Valavaiteudroitàcegenredesarcasmestoutesavie,dumoinsjusqu’àcequ’elleviennes’installerici,àl’abridescritiques.Furieuse,ellesetournaverslui.
—Pourvotregouverne,monsieurSellers,c’estàKronusquejedoisl’ensembledemesgainsdel’andernier,dit-elle.Maiscen’estpasqu’unequestiond’argent.L’argentn’estpastout,voussavez.
Elle regretta immédiatement cette dernière phrase.Tout comme la veille, elle ne parvenait pas àmesurersesproposquandelleétaitaveclui.Toutaufondd’elle-même,ellesavaitpourquoi,maispourlemoment,ellerefusaitd’affrontercepourquoi.
—Jeveuxallerexaminersastalle,alorspeut-êtrevaudrait-ilmieuxquevousveniezavecmoi,dit-ellesuruntonsarcastique,afindedissimulerlavéritableémotionquil’étreignait.SiparhasardlachosequiaeffrayéKronusyestencore,vousserezlàpourm’enprotéger.
***
Ilsnetrouvèrentriendanslastallequipuisseexpliquerlecomportementducheval.Greyn’enfutpassurpris.Sic’étaitunserpentouquelquechosecommeçaquiavaitfaitpeuràKronus, ilétaitpartidepuislongtemps.Maisilavaitlesentimentquel’étalonneseseraitpasmisdansuntelétat.Lechevalauraitpeut-êtreétéperturbé,maisilneseraitpasdevenufouàcepointunefoiséloignédudanger.
Ilexaminaitlaplanchebriséeparlechevallorsqu’ils’aperçutqueValerieétaitassiseparterredansl’enclos,ledosappuyécontrelaparoidebois,lesyeuxclos.Tandisqu’illaregardait,elleposalatêtesursongenoureplié.
Elle nebougeapas,mêmequand il vint se poster en faced’elle, et bienqu’elle ait certainemententendulebruitdesespas.
—Çava?demanda-t-il.Elle levala tête, lesyeuxgrandsouvertset trèssombres.Avait-elle lespupillesdilatées,oubien
était-celecontrasteavecsonvisagetrèspâlequileurdonnaitcetaspect?Oubienétait-cedûàunétatdechoc,àunecommotioncérébrale?L’entaillesursatempesaignaitencoreunpeu.Lesangcollaitàsescheveuxautourdelablessure,etsachemiseétaittâchéeàl’épaule.
—Jemesensunpeuétourdie,dit-elle,reposantlefrontsursongenou.
Elleavaitétendusajambevalide.—Venez,dit-il,luitendantlamain.Ellelevalesyeuxpourregardercettemain,sanslasaisir.Ellesecoualatêteensignededénégation
etreposalefrontsursongenou.—Ilfautquequelqu’unexaminecetteblessure.Ilsepeutquevousayezunecommotion,dit-il.—Jesuisseulementunpeuétourdie.—Raisondepluspour…—Jevousaidéjàditquejen’iraipasenvillepouruneégratignure,dit-elle,résistantàlatentation
defairecequ’ildisait.Illacontemplaencoreuninstant,réfléchissantàcequ’ilpouvaitfaire.Ils’yconnaissaitplutôtbien
pouradministrerlespremierssoins.Mêmesielleavaitunecommotion,unhôpitalneferaitquelagarderenobservationpourlanuit.Ça,ilpouvaittrèsbienlefairelui-même.
Mais passer la nuit à veiller sur Valerie Beaufort n’était pas exactement une perspective quil’enchantait.Chaquefoisqu’illaregardait,ilsentaitsonestomacsenouer,sanscomprendrepourquoi.
Celavenaitpeut-êtredelavulnérabilitéquiémanaitd’elle,desonapparencedepetitefilleperdue.Oualorselleavaitvujuste,c’étaitparcequ’elleboitait,mêmesil’idéeneluiplaisaitpasplusàluiqu’àelle.Cequ’ilsavaitenrevanche,c’étaitquel’inquiétudedelavoirblesséeouendangeravaitprisuntourbeaucouppluspersonnelqueprofessionnel.
—Soitvousmarchez,soitjevousporte,dit-ilsèchement.Avousdevoir.Ellelevaimmédiatementlesyeux,d’abordsurprisequ’iloseluiparlerainsi,ensuiteempreintede
défi.Carilétaitprêtàfairecequ’ilvenaitdedire,etquelquechosedanssonregardousavoixdutleluifairecomprendre.Ellepinçaleslèvres,maissoutenantsonregard,ellefinitparluitendrelamain.
Ilsentitdenouveauunfrissond’émotionincongruluititillerl’estomaclorsqu’ilserrasamainautourdelasienne.Peut-êtreparcequ’ildevaitlaprotégeretquesavieavaitétéendangercematinmême.Oubien, pensa-t-il amèrement, parce qu’il savait qu’il n’était plus assez fort pour gérer ce type deresponsabilitéavecaplombetsang-froid.
3
—Alorsont’yprendàtetaperlatêtecontreunmurdebriques,hein?demandaHalleyBurgessensouriant.
Sesgrosdoigtstravaillaientdoucement,tandisqu’ilnettoyaitlesangcoagulésurl’entaille.Mêmes’ils’étaitmontrébrusque,Valn’auraitsûrementpassentigrand-chose,tantsamigraineétaitforte.
Grey l’avait conduite jusqu’ici, et chaque fois qu’il était passédansuneornière, ç’avait eupoureffetd’accentuer ladouleur.Aprèsqu’il luieut fait comprendrequ’il l’emmèneraitdegréoude forcechezunmédecin,ellen’avaitpluscherchéàdiscuter.ElleluiavaitdonnélesclésdesajeepetindiquéladirectiondelacliniqueoùexerçaitHalley,danslesenvironsdeRainsville.
Halleyétait sonmédecindepuis son installationau ranch,dixansauparavant,mais lenombredevisitesqu’elleluiavaitrenduespouvaientsecomptersurlesdoigtsd’unemain.Endépitdesonaspectfrêleetdesonhandicap,elleavaitunesantédefer.
—Contreunpiquetdebarrière,enfait,dit-elle.Elleétaitassiseauboutdelatabled’examen,contenteden’avoirpaseuàs’allonger.Assise,elle
sesentaitmoinsinvalide—etbeaucoupmoinsstupide.—Commentest-cearrivé?demandaHalley.—L’étalonquej’aiachetéàKirbyGillsestdevenucomplètementfoucematin.Ilm’arenversée,et
entombant,jemesuiscognélatêtecontrelabarrière.—Ilestdevenufou?repritHalley.—Ils’est…affolé,sansraison.Ilétaitcomplètementeffrayé.Jenesaistoujourspaspourquoi.Halley ne répondit rien. Il avait suffisamment nettoyé la plaie pour pouvoir l’examiner ; il se
retournaetjetaletampondegazetâchédesang.Valerietournadoucementlatêteetleregarda.—Alors,quelestvotreverdict?Vais-jesurvivre?—J’ycomptebien,maistonamiavaitraison.Ilvafalloirquelquespointsdesuture,carlapeauest
fragileàcetendroit.Quatreoucinqdevraientfairel’affaire.Aprèstuserascommeneuve.—Pasdecommotion?demanda-t-elle.—Tesyeuxontl’airnormaux.Tuasmalàlatête?Valhésitaàrépondre.Elleétaithabituéeàvivreavecsesmauxetdouleurs,etdétestaitseplaindre.
Maisilauraitétéstupidedenepastoutdireaumédecin.Ellen’étaitpasvenuedesapropreinitiative,etGreydemanderaitcertainementsiellesouffraitd’un
traumatismecrânien.C’estpourquoielleavaitposélaquestion.Etpuis,lorsqu’onsubitunchocàlatête,ilyatoujoursunrisqued’hémorragieinterne—etellesouhaitaitl’éviter.
— J’ai l’impression d’avoir un forgeron qui tape à l’intérieur de mon crâne, lui dit-elle avecsincérité.
—Jepeuxtedonnerquelquechosecontrelamigraine.Çafaitunpeusomnoler,maiscen’estpasgrave,vuquetuneconduispas.Cetypequit’aamenée,c’estunnouvelemployé?
Il laquittadesyeuxet leva lessourcils,unsigneà l’intentionde l’infirmièrequi l’assistaitet setenait de l’autre côté de la table d’examen. Halley devait signaler par là qu’il était prêt à pratiquerl’anesthésie localepourdévitaliser lazoneautourde lablessureavantde recoudre.Uneseulepiqûre,plutôtqueplusieurs.
—Oubienquelqu’und’autre?repritlemédecin,laregardantdenouveau,tandisquel’infirmièresedéplaçaitdanslapièce.
—Oui,quelqu’und’autre.—Unpetitami?—Oh,docteur,pitié,dit-elled’untonmoqueurpourcoupercourtàsesallusions.—Niunemployéduranch,nitonpetitami!Alors,Valerie,oncachequelquechoseàsonbonvieux
DrBurgess?—Jedevraispeut-être.Lavéritéestunpeutiréeparlescheveux.Enfait,c’estmêmefranchement
ridicule,etjen’aipasenviededevenirlariséedelarégion.L’infirmièretendituninstrumentàHalleydansledosdeVal,quineputs’empêcherdesouriretant
lamanœuvreétaitvisible.—J’aimeraisbienentendrecetteplaisanterie,ditHalleyenpréparantlaseringue.Lapiqûrelafitgrimacer.EllenesavaitpassiHalleyétaitvexéouintrigué.Peuimportait.Detoute
façon,ilarriveraitàsesfins:luifairedirelavérité.—C’estmongardeducorps.Halleymarquauninstantd’hésitation,lesmainsensuspensau-dessusdelatempedeValerie.—Tuasditton…gardeducorps?Elle voulut acquiescer de la tête mais le médecin lui avait déjà maintenu le visage en position
adéquate.Ilpiquaàl’autreextrémitédelablessure.L’anesthésiedevaitdéjàfaireeffetcarcefutmoinspénible.
— Vous voyez que c’est ridicule, dit-elle. Tout ça à cause d’une police d’assurances qu’unecompagnie a souscrite avec papa. En tant qu’héritière de ses parts d’Av-Tech, j’ai aussi hérité de lapoliced’assurances.Etlestermesducontratexigentquej’aieunsystèmedesécuritéauranch.Or,commejen’enaipas,lacompagnieaenvoyéquelqu’unpourmeprotégerjusqu’àl’installationduditsystème.
—Ehbien,ilal’aird’avoirlacarrurepourassurertouttypedeprotection,ditHalley.Ungardeducorps,hein?
Ellesurpritunpetitriretandisqu’ilprenaitl’aiguilleàsuturequel’infirmièreluitendait.Letempsquel’anesthésiefassecomplètementeffet,elledevraittoutraconteràHalley.
—S’ilestcenséteprotéger,commentsefait-ilqu’ilaitlaissécechevalterenverser?—C’estluiquim’asortiededessouslecheval,réponditValerie.Ellemarqua une hésitation, sachant que ce qu’elle allait dire était la vérité,même si ça lui était
pénibledel’avouer.—Enfait,s’iln’avaitpasétélà,j’auraispuêtregravementblessée.—Est-ceàcetteoccasionquetut’esdenouveaufaitmalaugenou?demandaHalley.Reconnaissante envers le médecin qui n’avait pas fait de commentaire sur sa claudication plus
forte—sa jambes’était raidiedemanièrespectaculaireaucoursdu trajet,à telpointquesortirde lajeeps’étaitrévéléunevéritableépreuve—ellerepensaaufaitqu’elleavaitdûaccepterlamaintenduedeGrey,ets’appuyersursonbraspourallerjusqu’aucabinet.
Elleavaitencorelesouvenirducontactdesesmainssursapeau.Desmainsdetravailleur,fermesetrugueuses.
—J’aidûme fairemalaugenouen tombant,dit-elleaumédecin. Il s’estpeut-être tordudans lachute.Honnêtement,touts’estpassésivitequejenem’ensouviensplus.
—Jevaisyjeterunœilaussi.—Mercidocteur,maisjepeuxvousassurerquejesaisdéjàtoutcequejedoisfairepourprendre
soindemajambe,assura-t-elle.Asoninsu,sesproposs’étaientteintésd’amertume.Elles’étaitdéchirélegenoudansunaccidentde
chevalquandelleavaittreizeans.Impossibledes’ensortirsansdommageslorsqu’unchevalaussigrandqueKronusavaitécraséson
genoudetoutsonpoids.Nonseulementsesoss’étaientbrisés,maislesligamentsetlesnerfsavaientététouchés.Mêmelesmeilleursorthopédistess’étaientmontrésimpuissantsfaceàl’ampleurdesdégâts.
Pour reconstruire son genou, elle avait subi plusieurs opérations qui n’avaient apporté que desaméliorationsminimes.Etmalgrél’insistancedesonpère,elleavaitfiniparsecontenterdesonétat.
Çafaisaitvingtansqu’ellevivaitavecunejambediminuée.Ellesesavaitchanceused’avoirgardéautantdemobilité.Çanel’empêchaitpasdemonteràcheval,etd’habitudeellenesepréoccupaitguèredeslimitesquesongenouluiimposait.D’habitude.
—Amon avis, prendre soin de ta jambe signifie rester allongée quelques jours, déclaraHalley.Penses-tuquetongardeducorpssoitcapabledes’occuperdetesbêtes?
—Jeneluiaipasposélaquestion.—On va te trouver une paire de béquilles et aller lui en parler. S’il n’en est pas capable, on
essaieradedénicherquelqu’unquipuisset’aiderpendantunmoment.Ilmesemblequetun’espasàcourtd’argent,alorsautantl’utiliserpourdel’aidequandtuenasbesoin.
Valnediscutapas.Trouverdel’aiden’étaitpasleproblème.Pourelle,aujourd’huicommehier,leplusdurétaitd’admettreenavoirbesoin.
Une foisqu’il eut terminé lespointsde suture,Halley insistapour l’aider à choisir unepairedebéquilles adaptées— des béquilles qu’il gardait de côté pour ses patients qui en avaient besoin demanière temporaire,déclara-t-il.Valenavaitunepaireauranch,quidevaitse trouverdans l’écurieetqu’elle n’avait pas utilisée depuis des années. La dernière fois qu’elle s’en était servie, c’étaitlorsqu’elles’étaittordulegenouensautantlepetitruisseauquitraversaitsapropriété.
—Qu’est-ce que tu sais de ce prétendu garde du corps, au juste ? demandaHalley, alors qu’ilréglaitlahauteurdelasecondebéquille.
— Pas grand-chose, admit-elle. La compagnie d’assurance l’a engagé jusqu’à ce que je trouvequelqu’unpourm’installerun systèmede sécurité.Oubien jusqu’àceque jeme soisdébarrasséedespartsdelasociétéquejedétiens,ajouta-t-elledansunsouffle,mêmesicetteallusionétaitstupide.Elleétait P.-D.G. de la société, et le sens des responsabilités était quelque chose que son père lui avaitinculqué.
Halleylevalatête.—Tuvasvendretespartsd’Av-Tech?releva-t-il,visiblementsceptique.—Jenepeuxpasvraimentfaireçacomptetenudesstatuts,maismescompétencesenmatièrede
directiond’unesociétécommecelle-làsontpourainsidirenulles,réponditValenhaussantlesépaules.—Bien,faisquelquespas,ditHalley,revenantàsonmétier.Voyonscommenttut’ensors.Vals’exécuta,faisantunaller-retourdanslapièce,heureusedechangerdesujet.Sedéplaceravec
desbéquillesn’étaitpasunsoucipourelle.C’étaitcommefaireduvélo,quelquechosequ’onn’oubliejamais.
—Tupeuxengagerquelqu’unpourdirigerlasociétéàtaplace,suggéraHalley,quiobservaitsesdéplacements.
—Noussommesàlarecherched’unconseillerendirectiond’entreprise,justement.—Qu’enpensentlesautres?Jeveuxdirelesassociésdetonpère?—Ilssonttousaussivieuxquelui,sinonplus.Plusvieuxqu’ilnel’était,corrigea-t-elle.Lamortdesonpèreétaitencoretroprécentepoursemblerréelle.Auranch,elleavaitfaitcommesi
de rienn’était, sonpère et sa nouvelle épousevivant leur propre vie àBoulder.Et au lieu de cela…Aprèsuninstant,ellerepritd’untonferme.
—Amaconnaissance,aucund’euxnesongeàdirigerlasociété.Oun’enestcapable.Jecroisqueje leur dois, à eux et à papa, de faire en sorte que la direction de la société arrive entre desmainscompétentes.D’autantplusqu’Av-Techemploiebeaucoupdemonde.
— Toujours beaucoup de travail dans le domaine de la défense ? Des contrats avec legouvernement?
—Enmajoritédansledomainedessystèmesdeguidagedesatellites.—Onaarrêtéd’envoyerdesbombessurlatêtedesgenspourlesabreuverdesitcoms.Jenesais
pascequiestlepiredesdeux,réponditHalleyenluisouriant.Valéclataderire.—Moinonplus.Lemédecinsemblaitensavoirautantqu’ellesurAv-Tech,c’est-à-direpasgrand-chose.Elleavait
faitlechoixdesetenirloindesactivitésdesonpèreetdesessuccès,etcedepuislongtemps.Presquedixans,sedit-elle,unpeusurprisedeserendrecomptedutempsécoulé.
—J’aigarélajeepdevantlaporte.Valse retourna tropviteausondecettevoixetdut faireunpetitpasdecôtépournepasperdre
l’équilibre.GreySellerssetenaitprèsdel’infirmière,àl’entréedelasalled’examen.Dessituationscommecelle-cinepouvaientseproduirequedansunepetitecliniquedecampagne,et
çane luiplaisaitpas.LaprésencedeGreydanscettepièce—quiun instantplus tôt luiavait sembléparfaitementintimeetsûre—ladéconcerta.
Halleyseredressaenpoussantungrognementd’effortexagéré.—HalleyBurgess,seprésenta-t-ilentendantlamain.—GreySellers.—J’aiapprisquevousétiezlegardeducorpsdeValerie,ditlemédecind’unevoixamusée.Greylançaunrapideregardàlajeunefemme,puisaumédecin.Ilavaitàcoupsûrcomprisquesice
dernierprenaitçaà laplaisanterie,c’estqueValenavait faitdemême.Elleavaitdûsemoquerde lasituation,voiredelui.
—Pourlemoment,répondit-ilsèchement.—C’estcequeValm’adit.Vousvousyconnaissezunpeuenchevaux?—Pasmalmême,ditGreyenreportantsonregardsurValerie.Celle-ciregrettaqu’Halleynesesoitpasmontréplusdiscret,mêmes’ilnepouvaitsavoiràquel
pointlesrelationsentreelleetson«gardeducorps»étaienttendues.Maistoutdemême,sonattituden’arrangeaitrien.
—Valauraitbesoindequelqu’unpourprendresoindesesbêtespendantsaconvalescence.Peut-êtrepourriez-vousl’aider,étantdonnéquevoushabitezdéjàsurplace.
—Jepeuxlefaire,oui,ditGrey.—Etaussi vousoccuperdeVal?Parceque jeveuxqu’elle resteallongéequelques jours.Vous
avezmapermissionpourl’attachersinécessaire.IlyeutunpetitmomentdesilencegênédurantlequelGreynelaregardapas.—Jepeuxfairelesdeux,pasdeproblème,finit-ilpardire.Valsedemandasielleavaitétélaseuleàremarquerletempsqu’illuiavaitfallupourdonnerson
accord.Ellen’avaitpasaiméqu’Halley formulecette requête, et çan’avaitpasdûplairedavantageà
Grey. D’emblée, une certaine animosité s’était installée entre eux, et maintenant voilà qu’Halley luidemandaitdejouerlesgardes-malades.
—Çaneserapaslapeine,dit-elleenregardantGrey,etconscientequ’elleemployaituntonsec.Ilyapleindegensdanslesenvironsquicherchentdutravail.NousironsconsulterlesannonceschezHank.
—JemedisaissimplementquelesemployeursdeM.Sellersrisquaientdenepasapprécierqu’unétranger vive au ranch en ce moment. On n’est jamais trop prudent de nos jours. Est-ce que je metrompe?demandaHalleyàGrey.
—Jesuispersuadéqu’onpeutsedébrouillerseulspendantunjouroudeux,ditGrey,sansrépondredirectementàHalley.
«Onestjamaistropprudentdenosjours.»CesmotsrésonnèrentdanslatêtedeVal.GreySellersétait lui aussiunétranger, après tout.Halleyétait en traind’arranger les chosesafinqu’ilprenne soind’elle,maisiln’avaitpasétéengagépourcelaaudépart.Etellenesavaittoujoursriendelui.
Certes, ilavaitprésentédespapiersenbonneetdue forme,maisquesavait-ellevraiment de cethomme?Cematinmême, elle avait l’intentiond’appelerBeneficialLife, ainsique JoeWallace,maisKronusavaitbouleversésesprojets.
Illuifallaitabsolumentpassercescoupsdefil.Laveille,elles’étaitretrouvéecoincéeavecGreysousprétextequesonvéhiculenedémarraitpas.D’unautrecôté,s’ilnes’étaitpastrouvélà,leschosesauraientputrèsmaltourner.
Çanesignifiaitpasqu’elledevait feindred’ignorer lesdangerspotentielsque représentait le faitd’hébergerunétranger.Mêmesisoninterventiondecematinavait,pouruntemps,calmésessoupçons.
—Eneffet,jevousencroiscapable,commentaHalley.Letondesavoixlaissaitpenserqu’ilenétaiteffectivementconvaincu.—Appelle-moi,Val, si jamais lesmédicaments ne calment pas tesmaux de tête, ou si d’autres
symptômesapparaissent,ajouta-t-il.Etnet’appuiepassurtajambe.Quoiquetuaiesàfairecheztoi,çapeutattendreunjouroudeux.
—J’aipourhabitudedenourrirmeschevauxàintervallesréguliers.—AlorslaisseM.Sellerss’enoccuper.Hormispourtesortirdetempsentempsdespattesdecet
étalonexcité,tun’aspasbesoind’uneprotectionrapprochéeàchaqueinstant,àmonavis,ditHalleyensouriant.Qu’est-cequiapuprovoquerl’affolementducheval,selonvous,monsieurSellers?
La question d’Halley avait été posée sur un ton totalement désinvolte, comme s’il cherchaituniquementàfairelaconversation.Enrevanche,Valétaitvivementintéresséeparl’opiniondeGrey,etellesedemandapourquoielleneluiavaitpasposéelle-mêmelaquestionavant.
«Parcequ’ilm’avaittraitéedepetitefilleriche,etquejenel’avaispasdigéré»,songea-t-elle.Enréalité,ilneluiavaitpasdirectementtenucepropos.C’estcequ’elleavaitludansletondesavoix.
—S’il ne s’était pas trouvé dans sa stalle quand ça a commencé, j’aurais dit qu’il avait ingéréquelquechose,ditGrey.
—Ingéré?Quelquechosecommedesmauvaisesherbes,vousvoulezdire?—Peut-être,ditGreyenhaussantlesépaules.—Saufqu’ilétaitbiendanssastalle,intervintVal.—Peut-êtrequelachaleurafaitfermentersonavoine,suggéraHalley,unpeumoqueur.—Oubienc’estjusteunétalonquiaprispeur.Ilsuffitparfoisdepeudechoses,ditGrey.— Je suis sûr que vous finirez par trouver, dit Halley. Prenez bien soin de notre Val,monsieur
Sellers.Elleabesoindeserefaireunpeu.Empêchez-ladesemettredebout,etfaitesensortequ’ilneluiarriverien,vousm’avezbiencompris?
—C’estpourçaqu’onmepaye,ditGrey.Cettefois-ci,illaregarda,etilyavaitcommeunairdedéfidanssesyeuxgris.
***
—Iln’apasparléd’uneordonnanceàallerchercher?demandaGreyenremontantdanslajeep.Suiteàl’insistancedeVal,ils’étaitarrêtépourconsulterlesannonceschezHank.Elleétaitrestée
danslavoiture,maiselleavaitquandmêmepuvoirqu’iln’yavaitquequelquesfeuillescolléessurlepanneaudeliège.EtGreyluiavaitditqu’aucuneneconcernaitunedemanded’emploi.
L’ordonnanced’Halleyétaitdanslapochedesonchemisier,maisellen’avaitpasl’intentiond’allerchercherlesmédicamentsprescrits.Elleprendraitdeuxaspirinesenrentrant.Ellerefusaitd’avalerquoique ce soit de plus fort depuis longtemps. Elle en avait assez de combattre la douleur à coups demédicaments.
—J’aidéjàtoutcequ’ilfautàlamaison,mentit-elle.Greyacquiesçaetdémarra. Ils roulèrentunmomentensilence.Auboutdequelquesminutes,Val
ferma les yeux pour apaiser son mal de tête, se demandant si son entêtement à ne pas vouloir allerchercher ces cachets n’était pas une erreur. Se soigner après une blessure, ce n’était pas comme êtredépendantedesmédicaments,cequiavaitétésoncasaprèssonaccident.
—Çava?demandaGrey.—Jevaisbien,dit-ellesuruntonferme.Ilavaitquitté laroutedesyeuxpourlaregarder,maisellenetournapasla tête.Par lavitre,elle
regardaitdéfilerlepaysage.Greyroulaitplusvitequ’elle,donnantl’impressiond’avoirpratiquétoutesaviecesroutesétroites
etsinueuses.Sonstyledeconduiteétaitàl’imagedureste.Depuisqu’ellel’avaitrencontré,ellel’avaitvuréalisertoutcequ’ilentreprenaitavecuneaisancenaturelleetbeaucoupdeconfianceenlui.
Etait-ce un ancien flic ? Ou un militaire ? Quelque chose en lui le suggérait. Puisqu’ils étaientcoincés ensemble pendant deux heures dans cette voiture, c’était lemoment idéal pour chercher à ensavoirplussurlui,sedit-elle.Ensuite,ellepourraitvérifiersesdires.Celaéviteraitparailleursquelaconversationenvienneàs’attardersurelle,sasantéousessentiments.
—Alors,commentêtes-vousdevenugardeducorps?demanda-t-elle,lesyeuxtoujoursfixéssurlepaysage.
Ilneréponditpastoutdesuite,sibienqu’àcontrecœur,ellefinitpartournerlatête.Ellelevoyaitdeprofil.Sesyeuxregardaientlaroute,etseslèvresétaientserrées.
Grey,luinonplus,n’aimaitvisiblementpasparlerdelui.—Jetiensuncabinetd’investigationsàDeFarge,dit-il.Elleattendit,maisiln’ajoutariendeplus.— Un cabinet d’investigations ? Et sur quoi enquêtez-vous ? Je veux dire, vous faites quoi
exactement?—Principalementdes filatures.Des enquêtes surdepossibles arnaques auxassurancespourdes
compagnies situées hors des frontières, qui ont des doutes sur certaines déclarations faites par desrésidentsdel’Etat.
BeneficialLifeavaitdû trouversonnomparcebiais, songeaValerie. Ilétaitde la région,autantqu’onpeutl’êtredansceszonesisolées,etileffectuaitd’autresmissionspoureux.Toutçaétaitlogique.
—Vousnevousvoyezpasconfierdemissionsdeprotectionrapprochéeentempsnormal?chercha-t-elleàsavoir.
Seslèvressecrispèrentdavantageencore.—D’habitude,non,eneffet,avoua-t-il.—Etvoscompétencesvousrendentqualifiépourcegenredetravail?Lesilencequisuivitétaitchargéde tension.Ilnedevaitpasapprécierqu’ellemetteendouteses
compétences.Oualorsilnel’aimaitpas,elle.
Elleavaitcependantledroitd’ensavoirplussursescapacités,mêmesiellenedoutaitpasdesoncourage:ilenavaitfaitpreuvelematinmême.
—Jeveuxdireparlà,est-cequevousaveztravaillédansunorganismequelconquedemaintiendelaloi?demanda-t-ellepournepaslaissers’installerunsilencepesant.LeFBI?Lesservicessecrets?
Ellelâchamalgréellecettequestionsuruntonmoqueur.—IldoitbienyavoiruneraisonpourqueBeneficialLifeaitfaitappelàvous,monsieurSellers.
Autrequelefaitquevoussoyezinstallédanslesecteur.Elle lefixa. Il finitpar lui jeterunregardrapide,car ildevait regarder laroute.Maiselleeut le
tempsd’ypercevoirdelacolère.—C’estpeut-êtreparcequ’ilsmeconsidèrentcompétent, suggéra-t-ildoucement.Sivousavezà
vous plaindre de quelque chose, voyez avecBeneficial Life,mademoiselleBeaufort. Ce sont eux quim’ontengagé.Maisc’estvraiqu’ilsne l’ontpas fait seulementparceque jevisdans la région.Alorspourquoineleurdemandez-vouspasdirectement?
—J’enaibienl’intention,croyez-moi,monsieurSellers.Satisfaite des renseignements qu’elle avait glanés, elle feignit de s’intéresser de nouveau au
paysage.Commeilsentraientdanslacour,ilsaperçurentKronus,têtebassedanslecorral.—Dieumerci,ditValerieensoupirantdesoulagement.Greysavaitqu’ellevoudraitimmédiatements’assurerquel’étalonn’étaitpasblessé.Ilnepouvaitle
luireprocher,carill’auraitfaitspontanément.Lajeunefemmeavaitdétachésaceintureetouvertlaportièreavantmêmel’arrêtcompletdelajeep.
Pourluiéviterdeparcourirunedistancetropgrandesursesbéquilles,ils’étaitgaréleplusprèspossibledesmarchesdel’entrée.Pouravoirdéjàeulepiedcassé,ilsavaitcombienilétaitpénibledemarcheraveccesinstrumentsdetorture.
Elles’appuyadelamaingauchesurlecapotdelajeepetsedirigearésolumentverslecorral.Greyouvritlaportièrearrièreetsortitlesbéquillesposéessurlabanquette,puispassadel’autrecôtédelavoiturepourlesluiapporter.
—Tenez,dit-il.Il se doutait qu’elle ne l’écouterait pas s’il lui conseillait d’entrer d’abord dans lamaison. Elle
détachasesyeuxduchevaletleregarda,commesielleavaitoubliésaprésence,toutcommeelleavaitapparemmentoubliél’existencedesbéquilles.Ellelescontempla,puisleregardadenouveau.
—Merci,dit-elled’unairabsent.Ellelespritetlesajustaens’appuyantsurlajeep.Puiselleavançaendirectiondel’enclos.Elle
s’arrêtaàlabarrière,regardantlechevalépuisépar-dessuslaclôture.—Alorsmonbeau,appela-t-elledoucement.Lechevalnelevapaslatête,pasmêmelorsqu’ellesifflaunpetitairpourattirersonattention.Les
oreillesde l’étalonne frémirentmêmepas.Grey se tenait à sescôtés.Elle le regarda, sesyeuxbrunspleinsd’inquiétude.
—Ilestépuisé,ditGrey.Rienneditqu’ilestblessé.Elle acquiesça, désireuse de le croire, puis passa derrière lui et contourna la barrière restée
ouverte.Greylasuivit,observantlemouvementharmonieuxdesmusclesdesondos,desesfessesetdesescuissesquiluipermettaientd’avanceravecaisance.L’aisancedequelqu’unhabituéàmarcheravecdesbéquilles.
Une foisencore il sentituneémotion l’étreindre.CedevaitêtrenormaldesedemanderpourquoiValerieBeaufortboitait,aprèstout.Iln’avaitpaspourhabitudedemettresonnezdanslesaffairesdesautres,mais dans ce cas précis, il était curieux de savoir.Bien sûr, il était hors de question qu’il lui
demandedirectementcequiluiétaitarrivé.Siellevoulaitqu’ilfassecommes’iln’avaitpasremarquésonhandicap,alorspoursûr,ils’yemploierait.
Ellearrivaàhauteurduchevalet,libérantsamaingauche,luicaressaledos.Lechevalneréagitpas, il y eut à peine un frémissement sur sa peau.Valerie saisit les béquilles de lamain droite, plialentementlegenoudesajambevalide,sebaissaetposalesbéquillesausol.
Elletenditalorslamainpoursaisirlabride:lechevalfitunpasdecôtéavecdifficulté.Lajeunefemme s’immobilisa. Puis ignorant la corde qui se balançait, elle allongea le bras et commença àinspecter la jambe avant à sa portée, passant sa main le long de celle-ci, afin d’y déceler une zonechaude,enflée,ouuneécorchure.
Greysedisaitqu’ilyréfléchiraitàdeuxfoisavantdesebaissersouscecheval,comptetenudesoncomportementdumatin.Maisl’animalparaissaittropépuisépourbougerousemontrermenaçant.
Tandisqu’illaregardaitfaire,Valerietentadesaisirlajambearrièreduchevalpourenexaminerlesabot.L’animalreculaetValtombasurlesfessesdanslapoussièreducorral.Greyl’entendithaleter.Lesoln’étantpasassezdurnisachuteassezlourdepourqu’ellesesoitfaitmal, ilcompritquesajambeblesséel’avaitfaitsouffrir.
Ilseretenaitd’entrerdanslecorralpourl’aideràserelever.Carsesparolesdelaveilleavaientétéexplicites:«Si j’aibesoindevotreaide, jevousleferaisavoir.Si jenedemanderien,vousmefichezlapaix,monsieurSellers.»
Ilserésolutdoncàseplieràcetterègle.Pourtant,illuiétaitpéniblederestersansrienfaire.Elles’avançaenposantlesmainsàplat,appuyéesursajambevalide.Elletenditencoreunefoisla
mainendirectionducheval.Cettefois,l’étalonsedérobaets’éloigna.AssezloinpourqueValnepuissepasl’atteindre,comprit
Grey. Il regardait la scène avec une vive attention et ne s’était pas rendu compte qu’il avait posé lesmainssurlaclôture.Illaserraitsifortqu’ilsentitdeséchardespénétrersapeau.Ilseforçaàdesserrersonétreinte.
Çaluiprendraittrentesecondespourdécelersilechevalétaitblesséounon,carilsesavaitaussicompétent que Valerie Beaufort. « Si je ne vous demande rien, vous me fichez la paix, monsieurSellers»,serépéta-t-il.Justement,elleneluidemandaitrien.
Au lieu de ça, elle se remit debout en ramassant les béquilles et, toujours en équilibre sur unejambe, les ajusta sous ses bras. Elle s’avança vers le cheval qui se tenait tête basse, sa robe noirefrémissant.
Toutenchantonnantd’unevoixdouceetcajoleuse,ellesebaissaenpliantsajambevalide,posadenouveaulesbéquillesettenditlebraspourattraperlabride.
Lecheval réitéraunpasdecôté, s’éloignapuiss’arrêta.Onpouvait se rendrecomptenéanmoinsqu’ilprenaitappuisursajambeavantgauche.
UnefoisencoreValerieramassasesbéquillesetseleva.Greyavaitl’estomacnoué.Depeurpourelle,decolère,defrustration,oubienunpeudestrois,iln’auraitsudire.
Peut-êtreressentait-ilbienmalgréluidel’admirationpourlajeunefemme?ValerieBeaufortétaitpeut-être bornée et sacrément orgueilleuse,mais elle avait du courage. Il devait bien l’admettre. Il ensavaitlongsurlesgensquiavaientducourageetsurceuxquin’enavaientpas.
Une fois de plus, Valerie s’approcha du cheval. Il avait un peu levé la tête et la regardait. Dèsqu’elles’approchaitdelui,avecsesbéquillesquigrinçaient, ilsedéplaçait, laissanttoujourslamêmedistanceentreeuxdeux,neluipermettantjamaisderegarder,moinsencoredetoucher,sajambeblessée.
—Etmerde,finit-ellepardire,aprèsl’avoirvainementpoursuivi.Elle avait continué de parler au cheval avec douceur et patience, tout en tentant de l’approcher.
Cettesoudaineexclamationtranchaitavecceton,etexprimaitsondépit.
Elles’arrêtaaumilieudel’enclos,comprenantqu’ellenegagneraitpaslabataille.Greys’agrippaittoujoursàlaclôture,serrantpuisrelâchantsonétreinte,suivantlesprogrèsdesaproprefrustration.
Elle se tourna vers lui. Grey croisa son regard, s’efforçant de dissimuler les émotionscontradictoires qui l’avaient étreint. Elle détourna les yeux, les posant brièvement sur l’étalon.Aprèsquelquessecondes,sautillantsurunejambe,ellefitfaceàGrey.
—Croyez-vousquevouspourriez examiner sa jambe?Etpeut-être le ramenerdans l’écurie. Jeseraisplusrassuréedelesavoirlà-bas.
Ilsavaitcombiencettedemanded’aidecoûtaitàValerie.Ilpouvaitleliredanssesyeux,danssonmaintien.Etsursabouchecrispée.
«Sijenedemanderien,monsieurSellers,vousmefichezlapaix.»Comptetenudelavoléedeboisvertqu’ilavaitreçuelorsqu’ilavaitvoulul’aider,ilauraitdûressentirdelasatisfaction.Célébrersacapitulation.
Maisilnesesentaitpaslecœuràlafête.Ilétait impossibledetriompherenvoyantcettefemmeréduiteàuneimpuissancequ’elledétestait,illecomprenaitd’instinct.Lui-mêmeauraitdétestéça.Loinde se réjouir de cette défaite, tout ce qu’il voulait était la prendre dans ses bras, l’emmener dans lamaisonetlamettreaulit.
Cettedernièrepenséerésonnadanssatête.D’habitude,lorsqueGreySellersassociaitl’idéed’unefemmeàunlit, letermeappropriéétaitplutôt«lacoucherdanssonlit».Ladifférencedeconnotationaveccequ’ilressentaitencemomentprécisétaitimportante.
Toutàcoup,ilsedemandacequ’ellevaudraitaulit.Est-cequesontempéramentderoussefièreetbornées’exprimerait?Etdanscecas…
Danscecas,sedit-ilavecdégoût,ilneseraitpasl’hommequipourraitrépondreàcettequestion.Ilétaitlàpouraccomplirunemission.Etiln’avaitpasbesoindanssaviedescomplicationsqu’apporteraitunefemmecommeValerieBeaufort.
Iln’avaitpasbesoindequelquecomplicationquecesoit,d’ailleurs.C’estpourquoiilétaitlàoùilse trouvaitquand JoeWallaceétaitvenu le solliciterpourceboulot.Etoù il se trouverait encore s’iln’avaitpasagicommeunidiot,àreboursdesoninstinct,etacceptécettemission.
—MonsieurSellers?insista-t-elle.—Jeserairavid’examinervotrecheval,répondit-il.Illâchalaclôture,etremarquaquesesmainsétaientdouloureusestantil l’avaitserrée.Puisilse
dirigea vers la barrière ouverte. Il savait que Valerie ne le regardait pas : son regard était fixé surl’étalon.
Ellen’avaitsollicitésonaidequepour lecheval.Pourelle-même,biende l’eauauraitpucoulersouslespontsavantqu’elleneformuleunedemande.Greylesavait,etpourlapremièrefoisdepuisledébutdecetaffrontementd’egosetdepersonnalités,ildesserraleslèvres.
«Vousavezducourage,petitedemoiselle.Jedoisbienl’admettre»,pensa-t-il.Ilaffichaunpetitsourire admiratif. C’est vrai qu’il était allé à bonne école pour savoir combien cette qualité étaitimportante.Etcombienelleétaitrare.
4
—S-e-l-l-e-r-s,épelalentementValautéléphone.Prénom:Grey.Jenesaispassiças’écritavecuna ouune,mais commece n’est pas très courant, il ne peut y en avoir qu’un.Attends une secondeAutry,dit-elle,serappelantqu’elleavaitpeut-êtrelenomdeGreymarquéquelquepart.
Elle tendit lamain au-dessusde la table situéeprèsdu fauteuil où elle s’était effondréeune foisdéshabillée.LepaquetdedocumentsqueGreyavaitprésentéàsonarrivéeauranchétaitposélà,presquehorsdesaportée.
Elleparvinttoutefoisàletirerjusqu’àelle,enprenantsoindenepasbougersajambeblessée.Elleleposaenéquilibreà l’aidededeuxoreillersempiléssur lachaisecapitonnéed’ottoman.Ladouleurétait supportable si elle restait tranquille. Bouger, plier le genou ou s’appuyer dessus était une autreaffaire.
—J’aidesdocumentsdeBeneficialLifesouslamain…,dit-elledanslecombiné,enfaisantdéfilerlesfeuillesdupouce.PasdementiondeGreySellers.Çaneconcernaitquelestermesducontrat.Non,désolée.Jen’aipassonnomécrit.Tucroisqueçasignifiequecetypementendisantquec’estBeneficialquil’aenvoyé?
Autry Carmichael, qui était un peu plus jeune que les fondateurs d’Av-Tech, était le chef de lasécuritédel’entreprise.IlavaitservienCoréesouslesordresdupèredeVal.Aprèslaguerre,ilétaittropjeuneetsanslesoupourinvestirdanslasociétéd’aviationnaissante—c’estdumoinslaversionqu’ildonnaitquandonluiposait laquestion—etnecomptaitdoncpasparmilesassociésfondateurs.MaispourValeriecommepoursonpère,Autryavaittoujoursfaitpartied’Av-Techaumêmetitrequelesautres.
—Non,cesontbieneuxqui l’ontenvoyé,précisa-t-elle. J’aiappelé lacompagniepourvérifier.Maisilsn’ontriensurlui.Ilaétérecrutéparunagentindépendantquis’occupedeleursdossiersdanscettepartiedel’Etat.PourlescompétencesdeSellers,ilssesontfiésauxgarantiesdonnées.
—Jenetrouvepasçatrèssolide,déclaraAutryàl’autreboutdufil.Valsourit.Autryn’aimaitpasleschosesquin’étaientpassolides.Etonnepouvaitpasl’accuserde
nepasfaireuntravailsolidechezAv-Tech.SonpèreavaittoujoursditqueCarmichaelétaitlemeilleurqu’ilaitjamaisrecruté.C’estpourquoielleavaitchoisides’adresseràlui.Etaussiparcequec’étaitunamienquielleavaitconfiance,presqueunmembredesafamille,commelesassociésd’Av-Tech.
—Iln’estlàqu’àtitretemporaire,expliquaVal.Jedoisfaireinstallerunsystèmedesécurité.Lapolice d’assurances contractée par papa m’y oblige. Une fois le système posé, il partira. Au fait,pourrais-tumerecommanderquelqu’unpourl’installer?
—Tuveuxquejem’enoccupe?Quej’envoiequelqu’undelasociété?
—Passûrquelesassureursapprécientqu’ontraitecetteaffaireeninterne.Çarisquedeviderlapoliced’assurancesdesonsens.Jenesaisd’ailleurspaspourquoicecontrataétésouscrit.Ilfautquejemerenseigneàcesujet.Maisavantquetoutçanesoitfait,peux-tumedonnerlenomdequelqu’underéputédansledomainedelasécurité,quejepourraisfairevenir?Jen’ainibesoinnienvied’avoirungardeducorps.
—Biensûr.Jepeuxmêmeappelercertainesdemesconnaissancespourréglerça.Faireensortequ’ils envoient quelqu’un pour étudier les lieux et te donner des conseils, t’expliquer ce qui vaut lemieux.Maisçaprendracertainementquelquesjoursavantquelestechniciensviennentposerlematériel,dit-ilens’excusant.
—Queldélaienvisages-tu?—Unesemaine,peut-êtreunpeuplus…Letempsquejelesappelle.Çateva?Unesemaine!pensaValavecdésarroi,seremémorantlatensionquiavaitenvahilajeepquandelle
avaitinterrogéGrey.C’avaitétéunmomentpesantetdésagréable,etildevaitbienyavoiruneraisonquiexpliquaitsaréticenceàrépondre.
MaiselleseremémoraitaussiavecquelledouceurilavaitexaminéKronusdesesmainspuissanteset expertes.Elle avait éprouvéun soulagement immense lorsqu’il avait découvertqu’il boitait à caused’uncailloucoincésousleferd’unsabot.
Greyavaitensuiteentièrementpalpél’animal,enluiparlantdoucement.Unefoisl’examenterminé,Kronusavaitparusoulagéd’êtreramenéàl’écurie,ensécurité.Aussisoulagéqu’elle.
Aprèsça,Greyl’avaitaidéeàrentrerdanslamaison,étaitpartivoirlesautresanimauxdanslepré,et s’y trouvait encore, sansqu’elle le lui ait demandé.Mais ellene savait toujours rien sur lui,mêmeaprèsavoirparléàBeneficialLife.Ilpouvaittoutaussibienêtreunassassinquiattaquaitsesvictimesàlahache.Ellecontractaleslèvres,réprimantunsourire.Danscecas,ils’étaitjusqu’icimontrétrèsfortpourcanalisersespulsions.
—Vapourunesemaine.Maisdis-leurdefairevite,s’ilteplaît.—Cesgarsmesontredevables.Onlesasouventfaittravailler.Cesonteuxquiontmisauxnormes
lesystèmedesécuritédans lanouvellemaisonde tonpèreetde tabelle-mère,doncçadevraitcolleravecBeneficialLife.Jen’avaispascomprisàl’époquequeCharlievoulaitfairerevoirsonsystèmepourêtreenaccordaveclestermesdesapoliced’assurances,maisçadevaitêtreça,non?
—Probablement,réponditVal,seremémorantsabelle-mèredevantlatombedesonpère.Connieetelleneseraientjamaisproches,maisellesavaitqu’elledevaitl’appeler,neserait-ceque
pour prendre de ses nouvelles. C’est ce que son père aurait voulu. Elle avait aussi promis à EmoryHunterdel’appeler.
—Alorstuveuxtoujoursquejecherchedesrenseignementssurcetype?Parceques’iln’estlàquepourunesemaine,etvuquetusaisquec’estbienBeneficialLifequil’aenvoyé…
Autrysemblaittrouvertoutecettehistoireanodine.«Onn’estjamaistropprudent,denosjours»,avaitditHalley.Valpensaitqu’ilavaitraison.
—Cherche des renseignements de routine, comme si c’était quelqu’un que tu souhaitais engager,Autry.Riendeplus.Tupeuxfaireçapourmoi?
—Bien sûr.Ce serait plus facile si j’avais sonnumérode sécurité sociale,mais tun’aspas ça,n’est-cepas?demandaAutrysurletondequelqu’unquisavaitqu’ilendemandaitbeaucoup.
—Sonnom,c’esttoutcequej’ai.Jenecroispasquel’agentindépendantaitenvoyéautrechoseàBeneficialLife.J’aiessayéde le joindremais iln’estpasàsonbureau,et jen’aimepasdemandercegenrederenseignementsàunesecrétaire.
—Etsitudemandaisdirectementàcetype?suggèraAutry.—J’aidéjàconnudesgensplusdiserts.—Ilneselivrepasfacilement?
—Ilnelâcherien,dit-elle,choisissantsesmots.—Pour un enquêteur, ce n’est pas un défaut. Çame dérangerait plus que ce soit un type qui la
ramènetoutletemps.—Çapoursûr,cen’estpaslecas,ditValensouriant,tantcetteimageétaitloindeGrey.Faisdeton
mieuxettiens-moiaucourantsurcequetuastrouvé.Cetypevitchezmoi,etvuquel’endroitestisolé…Ellelaissasaphraseensuspens.Endépitdesonbonsens,delamiseengarded’Halleyetdece
qu’ellevenaitdedireàAutry,ellenesesentaitnullementendangeràl’idéedesavoirGreyauranch.Aaucunmomentellen’avaiteupeur.Uneaurademystèreetdetéméritéémanaitdelui,maisellene
sentaitpasd’ondesnégativesnidemenacesplanerau-dessusd’elle.—Tuveuxquejepassetevoir,machérie?Valerieéclataderire,maisellesegardabiendedireàAutryqu’elles’étaitdenouveaufaitmalàla
jambe,sansquoiilviendraitpourdebon.Ill’avaittoujoursunpeusurprotégée,toutcommelesassociésdesonpère.
—Etqu’adviendrait-ild’Av-Techpendantcetemps-là?Jevaisbien,jet’assure.C’estjustequejejugeplussûrdansuncascommecelui-làd’ensavoirplussurlesgensqu’onemploie.Mêmesicen’estpasmoiquil’aiemployédirectement.
—Jechercheraiunpeu,etjetetiendraiaucourantdesrésultats.MaisjenedisposepasdesmoyensdelaCIA,tusais.
Ilsrirentdeconcert,puisilyeutunlégerblancavantqu’Autrynereprenne.—Jeveuxquetusachescombienjesuisdésolépourtonpère.C’étaitunvéritableami,etunhomme
bon.—MerciAutry.Çametouchebeaucoup,venantdetoi.Ilt’aimaitbeaucoup,tusais.Ilyeutencoreunblanc,puislevieuxmonsieurditd’unairbourru:—Prendssoindetoi,petite.Autry semblaitheureuxd’avoirprésenté ses condoléances.Valerienedoutaitpasde sa sincérité.
Leshommesdesagénération—celledesonpère—nedévoilaientpasfacilementleurssentiments.Ilenallait peut-être de même pour les hommes de sa génération à elle, pensa-t-elle, revoyant les lèvresferméesdeGreylorsqu’elleavaitcherchéàensavoirplussurlui.
—D’accord,luidit-elle.—Jet’appelledèsquej’aidesnouvelles,bonnesoumauvaises.—Merci,jeterevaudraiça,Autry.Elleraccrocha,levalesyeuxetvitGreyàl’entréedelapièce,quilaregardait.«Décidément,ça
devientunehabitude»,pensa-t-elle,soudainconscientequ’elleportaitunenuisetteencotontrèscourte.Songenouavaitenflé,sonjeanlaserrait,etcommeilfaisaitchauddanslamaison,elleavaitmis
quelque chose de frais et confortable, sans penser qu’un homme pourrait faire irruption devant elle.Habituéeàêtreseule,ellen’avaitpasfaitattentionàsatenue.
—Jevoulais vous épargnerd’avoir à vous leverpourouvrir la porte, ditGrey, comprenant sonembarras.Alorsjen’aipasfrappé.
—Commentvontleschevaux?demandaVal,feignantd’ignorersapropregêne.Ellesesentaitnéanmoinsrougir.Quandonavaitunepeaucommelasienne,c’étaitunproblème.On
nepouvaitpasdissimulersesémotions.Encoremoinsquandonportaitunenuisettelégère.Certes, Grey faisait semblant de ne s’apercevoir de rien. De ne pas prêter attention à sa jambe
marquéedecicatrices,étenduedanslefauteuilottoman,etexposéeàsonregard.— Ils vont bien. Je ne sais pas quelle mouche a piqué votre étalon, mais elle n’a pas répandu
d’épidémie,dit-ilenplaisantant.Vousavezdebienbeauxchevaux,mademoiselleBeaufort.—Merci,ditVal,quisesentitfière,endépitdesagêne.—Ondiraitquevousavezlàunélevagedetoutpremierchoix.
—C’est ce que jem’emploie à faire, oui. Et j’apprends aussi à seller un cheval, surtout à desjeunes.Jefaistoutçaàpetiteéchelle,maisçamepermetderéglermesfacturesàlafindumois.
Ilacquiesçad’unairmoqueur.Ellecompritl’absurditédesespropos,ellequivenaitd’hériterd’unesociétéquipesaitplusieurscentainesdemillionsdedollars.
C’étaitpourtantvraiquesonélevageluiavaitpermisdevivrependantlongtemps.Elleavaitfiniparseforgeruneréputationdans lemicrocosmedeséleveurs.Aprèsavoir luttédesannéespourgardersapetiteexploitationà flot,c’étaitdifficilepourelledesesentir riche.MaisGreySellers savaitqu’ellel’était.
Le silence s’abattit sur la pièce. Ils avaient tous deux épuisé leur stockd’échanges courtois.Lesjourssuivantsrisquaientdesemblerbien longss’ilsneparvenaientpasàparlerd’autrechosequedeschevaux.Certes,unefoisqueGreyauraitprissesmarquessurcequ’ilavaitàfaire,elleneleverraitplusguèreaucoursdelasemainesuivante.
Greyposasonregardsurlespapiersétaléssurlatable,etellesesentitcoupable.Elletentadeserassurerensedisantqu’ilnesavaitpascequ’ellevenaitdefaire.Aprèstout,cen’étaitriend’autrequelecontratrédigéparBeneficialLife,etildevaitbiens’attendreàcequ’ellelelise.
—Qu’aimeriez-vousmangeràmidi?demanda-t-il.Saquestionlapritdecourt,etelleledévisagea.Aaucunmomentellen’avaitsongéàmanger,toute
préoccupéequ’elleétaitparKronus.EttoutepresséedepassersescoupsdefilpendantqueGreyétaitoccupéailleurs.
Avantdesortircematin,elleavaitdéjeunéd’unboldefloconsd’avoine.Maisiln’yavaitpasdeprovisions dans l’annexe. Laisser de la nourriture là-bas n’aurait fait qu’attirer des rats et d’autresenvahisseursindésirables.Ilyavaitbienlongtempsquepersonnen’avaithabitédanslebâtiment.Maisilétaitplusde14heures,etGreydevaitmourirdefaim.
—Jenesuispasuncordon-bleu,reprit-il,maisjepeuxmedébrouillerpourbricolerquelquechosequinouspermetteaumoinsdesurvivre.Vousvoulezdessandwichs,delasoupe,unplatsurgelé?
Valavaittoutceladanslacuisine,soitdanslegarde-manger,soitdanslevolumineuxréfrigérateurde la véranda, à l’arrière de la maison.Mais rien ne lui mettait l’eau à la bouche. Elle n’avait pasparticulièrementfaim,maisGreysi.
Elledevaitsemontrerdignedel’hôtequ’elleétait.EllenepouvaitpaslaisserGreyvivreicisansluidonneràmanger,siloindetoutecivilisation,quiplusest.Elleeutleréflexed’attrapersesbéquillesposéesàcôtédufauteuil.
—Vousdevezéviterdevouslever,ditGrey.Dites-moiseulementoùsetrouventleschosesetcequevoussouhaitezmanger.
—Lacuisinesetrouvelà-bas,dit-elleenpivotantpourluiindiquerlecouloirderrièreelle.Ce mouvement fit remonter la nuisette sur ses cuisses dénudées. Elle tira dessus, tout en se
retournantverslui.— Vous y trouverez tout ce que vous avez cité dans votre menu, dit-elle, se sentant rougir de
nouveau, et parlant surtout pour dissimuler sonmalaise. Il y a tout un choix de plats surgelés dans leréfrigérateurdelavérandaarrière.Jenesaispastrèsbiencuisineràpartirderien.
—Unpeucommetoutlemondeaujourd’hui,non?Alors…qu’est-cequivousferaitplaisir?
***
Elle hésita, se disant que siGrey était résolu à préparer le déjeuner,mieuxvalait qu’ellemangequelquechose,neserait-cequeparpolitesse.MêmesiHalleyetGreys’étaientmisd’accordpourquecedernierjouelesgardes-malades,fairelacuisinenerentraitpasdanssesattributions.Cen’étaitdoncquepargentillessequ’ilseproposaitdeluipréparerquelquechose.
***
Oubienétait-ceparpitié?interrogeasaconscienceperverse.C’estvraiquedanslecorral,Greyl’avaitregardéetomberplusieursfoissurlesfesses—humiliationsuprême—sansesquisserungeste.Peut-êtrequ’ilsesentait toutsimplementdésolépourelle.Biendesannéesplustôt,elleavaitapprisàsesdépensquecertainshommes réagissaientdecette façon faceà sonhandicap. Ilsvoulaientprendresoind’elle.Maisellen’avaitpasbesoin,ninevoulaitqu’onprennesoind’elle.
***
OubienGreyfaisaitensortequ’elleserétablisseleplusvitepossiblepourpouvoirseremettreàfaire,danslesmeilleursdélais,cepourquoionl’avaitinitialementengagé.Iln’avaitpasétéembauchépourpallierlamoindredesesfaiblesses.S’ils’yattelait,Valerieconsidéraitqu’elledevaitlepayerencontrepartie.
—Jenevousaipasoffertunchoix immense,dit-il, afinde soulignerqu’ellemettait du tempsàrépondre.Jenesaiscuisinerquedeschosessimples.Delasoupe,dessandwichsouunplatsurgelé.
—Ilvafalloirquejevousaugmentesivousdevenezlecuisinieretlabonneàtoutfaire.Elleavaitessayédeprononcercesmotsavechumour.Maisuninstant, lesyeuxdeGreyfixéssur
elledirentlecontraire.Sesyeuxd’ungrisardoise,commelaplaineduhautdésertavantlaneige.—Toutestliéàl’argentpourvous,hein,mademoiselleBeaufort?Valsoupira,àlafoisembarrasséeetencolère.—En fait, jeme fiche de l’argent,monsieur Sellers. Je sais bien que vous pensez le contraire,
mais…jen’aimesimplementpasquelesgenssoientobligésdefairedeschosespourmoi.— Ce que vous n’aimez pas, c’est accepter l’aide des autres, dit-il, quelles que soient les
circonstances.Savoiximitaitlasienne.Ellenepouvaitpasnierqu’elledétestaitdemanderdel’aide.Oudevoiradmettresonincapacitéà
fairequelquechose.C’étaitliéàsonhandicap.Ellenesel’avouaitqu’àelle-même.Mêmeavecsonpère,ellen’enavaitjamaisparlé.Etellen’allaitpascommencermaintenant.
—C’estvrai,admit-elle.Jenepensepasquebeaucoupdegensdansma…situationaimentça.Ilacquiesça,etsonregardsefitmoinsdur.—Quevoussouhaitiezêtrecapabledevoustenirsurvosdeuxjambesetvousdébrouillerseule,je
lecomprends,et jevousadmirepourça.Mais ilyadesmomentsoù il fautaussisavoirdemanderdel’aide,oudumoinsl’accepterquandonvousenproposedebonnegrâceetquevousenavezbesoin.
—Jesais,répondit-elle.Ellen’auraitpaspus’occuperdeschevauxavecsesbéquilles.SurtoutpasdeKronus.L’étalonlelui
avaitdéjàfaitcomprendre.Elleavaitbesoind’aide,Greys’étaitproposé—depleingré,sansattendredecontrepartie—,etelle…Elleavaittoutfichuenl’airenproposantdelerémunérer.Elles’étaitencorecomportéecommeune«petitefilleriche».
—Jeprendraiunpeudesoupe,dit-elleenseforçantàleverlesyeux.Ellelesavaitbaisséssanss’enrendrecompte.LesermondeGreyavaitviséjuste.—Vousavezunepréférence?L’incidentsemblaitclos:elleluienfutreconnaissante.—Non,prenezcequevoustrouverezsurl’étagère.Jevisseule,doncjen’achètequedeschoses
quimeplaisent.—Çameva.
Ils’avançad’unpasoudeux,ets’arrêtatoutprèsdesonfauteuil.Ilcontemplasongenouquelquesinstants.
—Bellecollectiondeblessuresdeguerrequevousavezlà,dit-il.Elleavaitlecœurquibattait lachamade,maisunefoisencoreelleseforçaàleregarder.C’était
pénible.Sic’étaituntest,alorsbonsang,elleallaitencoreéchouer.— J’espère bien qu’elles sont belles, j’ai mis des années à les acquérir, dit-elle, soulagée de
constaterquesavoixétaitclaire,bienqu’ellesesentîtlesoufflecourt.—Undecesjours,oncompareranoscicatricesrespectives.Surcesmotsils’éloigna,passantàcôtédesonfauteuiletempruntantlecouloirquimenaitdansla
cuisine.Valerieinspiraetfermalesyeux,soulagée.«Undecesjours,oncompareranoscicatrices.»Etantdonnéque,pasplusqu’elle,iln’avaitdecicatricesapparentes,ellesedemandasielleavaitbiencompriscequeçasous-entendait.
Sesjambesàluidévêtuesetexposéesàsonregard.Alesvoirbougerdanssonjeandélavé,ellelesimaginaitaussibellesquesesmains:longues,musclées,parcouruesd’unesombrepilosité.
Elle repensa auventreplat et brunqu’elle avait aperçuquand il avait tranquillement refermé lespansdesachemise,lanuitprécédente.Ellen’avaitpasvudecicatricessursapeaubronzée.
ToutenpensantaucorpsdeGrey,ellesentitunechaleurnouvellel’envahir.Pasàcausedesagêne.C’était une sensation qu’elle n’avait pas ressentie depuis des années, qu’elle ne s’attendait plus àéprouveretqu’ellen’avaitpassollicitée.
Etcelapourunebonneraison.Unetrèsbonneraisonmême.Elleregardasongenou,vulnérableetexposéà lavuede tous, avec toutes seshorribles cicatrices.Ses jambesétaient tropblanches, jamaiscaresséesparlesrayonsdusoleil.Jamaiscaresséesdutout.
Elle connaissait la situation par cœur. Les hommes ne s’intéressaient à elle que pour une seuleraison.Etlamortdesonpèrenepouvaitqu’aggraverleschoses.
AlorsmieuxvalaitéviterdefantasmersurlecorpsdeGreySellers.Oudecherchercequ’ilavaitvoulu dire par ses allusions. Jamais ils ne « compareraient leurs cicatrices ». Jamais elle n’aurait denouveauunhommedanslapeau.Elleneselaisseraitpassurprendre.
Ellen’étaitpluscellequ’elleétaitdixansplustôt,vulnérableetenmanqued’affection.Elleregardadenouveausongenou,serécitantlesparolesdeBartonCarruthers.Sonex-fiancéluiavaitinculquéunedouloureuseleçon,maiscelle-cis’étaitrévéléeprécieuse,etellenel’oublieraitjamais.Pastantqu’elleseraitvivante.
***
«Unfichupetitsermonquetuasrécitélà,monvieux»,seditGreyavecsarcasme,enouvrantlegarde-mangereteneninspectantlecontenu.«C’estçamongars,continuecommeçaetdisauxautrescommentilsdoiventmenerleurbarque.Toiquiastellementbienmenélatienne.»
Ilavaitpeineàcroirequ’ilavaitosédébitertoutescesâneries.Maisdequisemoquait-il?Commes’ilavaitécritunlivresurl’incapacitéàaccepterl’idéed’avoirbesoind’aide.
Et pourtant, beaucoup de gens avaient essayé de l’aider.Griff. EtHawk aussi.Mais il les avaitenvoyéspaître.Pire,ilavaitfeintl’indifférence.
Ilcensuracessouvenirssursoncomportementetpritunebriquedesoupeauhasard.Ilouvrit lesportes des placards, à la recherche d’un récipient qui allait aumicro-ondes. Il remarqua que samaintremblaitquandilserraitlespoignéesdeportes.Sansdouteparcequ’iln’avaitrienmangédelajournée,pasmêmeavaléunetassedecafé,alorsqu’ilenbuvaithabituellementcinqousix.
Unemigrainesemblableàcelledontilavaitsouffertlaveillecommençaitàs’installer:était-celemanquedenourriture?Oulebesoindecaféine?Peut-êtrelesdeux.
Ouvrantunautreplacard,ilmarquauntempsd’hésitation.Iln’yavaitpasderécipientadapté,maisunebouteilledewhiskynonentaméetrônaitsurl’étagèredumilieu.
C’étaitsacrémenttentantaprèsla journéequ’ilavaitpassée.Aussi tentantqueleslonguesjambesgalbéesdeValerieBeaufort,quelacourtenuisetteluiavaitpermisdecontempler.
Ilenavaitvuplusd’ailleurs.Elleneportaitpasdesoutien-gorge,etsesmamelonspointaientsouslefintissu,rendantcettevisioncruellementtentante.
Ilavaiteudumalàdétachersonregardd’ellelorsqu’ilavaitouvertlaporte.Maisdèsqu’elleavaitreposéletéléphone,elles’étaitrenducomptedesaprésence.Il luiavaitfallumobilisertoutsonsang-froidpourgarderlesyeuxfixéssursonvisage.
« Sang-froid », pensa-t-il. « Maîtrise de soi. Tu te rappelles ça, vieux ? C’est la capacité àréprimersesenvieslesplusprimaires.»
Il referma le placard, et ferma les yeux en même temps. Il les maintint fermés aussi fort quepossible. La femme qui se tenait dans la pièce d’à côté était son employeur. Elle était sous saresponsabilité.Etsespenséesdivaguaient,entotalecontradictionaveclesexigencesdesontravail.
Lentement,ilouvritlesyeuxettournaledosauplacard.Ilyavaitungrosplatcreuxenterrecuitedansl’égouttoir.Soulagédenepasavoiràchercherpluslongtemps,ils’ensaisit,pritlaboîtedesoupeetl’emportaprèsdel’ouvre-boîte.
Cen’étaitpasparcequ’ilavaitfaitéchouerunemissionqu’iln’étaitpluscapabledebienfaireuntravail de bout en bout, se dit-il avec obstination. C’est ce qu’il s’était déjà dit deux ans plus tôt. Ilcommençaitàpeineàs’enconvaincre.
UnefoisledéjeunerapportéàMlleBeaufort,ilreviendraitsefaireunsandwich.Etducafé,pourcalmer samigraine. Il réchauffa la soupeà la tomatedans lemicro-ondes.Pendantqu’il attendait, sesyeuxrevinrentseposersurcemauditplacard.
«Lavoiede la facilité.Etaprès tuvasallerdireauxautrescommentvivre.Tuasunboulotàfaireici,alorstut’ytiens,sinontuvasreplonger.»
Ilregardalerécipienttournerdanslemicro-ondes,ens’avouantqu’ilnesavaitpastropàquoiildevait«setenir».Ilsavaitqueçaavaitunlienaveccequ’ilavaitressentienregardantValerieBeaufortsedébattreavecl’étalon,sansqu’elleéprouvelamoindrepeur.Puisenlavoyantsuivrecemêmeétalonquil’avaitmisesurdesbéquilles,quandelletentaitdevérifierqu’ilneluiétaitrienarrivé.Cequ’ilavaitressentiaussienexaminantsongenouenfléetsescicatrices.
Mais toutçan’était rienàcôtédecequ’il avait éprouvéà lavueérotiquedumouvementde sesseinsàtraverssanuisette,àchaquerespiration.
Jamaisiln’auraitdûavoirdetellespensées.CarValerieBeaufortn’étaitenrienlegenredefemmeauquelildevait,oupouvaitsepermettre,des’intéresser.Surtoutpasdecettefaçon.
5
—Ai-jeréussiàrendrelasoupemangeable?demandaGrey.Valbaissalesyeuxverssonboldesoupeàpeineentamé.—Lasoupeestbonne,maisjen’aivraimentpasfaim,répondit-elleenhaussantlesépaules.C’est
peut-êtreàcausedelachaleuroudel’agitationdecematin.—Oualorsçavientdemacuisine,dit-il,retirantleplateauposésurlesgenouxdeVal.C’estvrai
qu’ellen’apasunaspecttrèsappétissant.Une écume s’était formée à la surface du potage refroidi qui avait pourtant bel aspect quand il
l’avaitapporté.MaisValerien’avaitpuserésoudreàmanger.—Non,vraiment…—Quediriez-vousd’unsandwich?Ellesecoualatêteensignededénégation.—Jevousjurequejen’aitoutsimplementpasfaim.Illafixadroitdanslesyeux.—Avez-vousprisvosmédicaments?Vousvoulezquejevouslesapporte?Valavaitprisdeuxantidouleur toutdesuiteaprèss’être installéedans le fauteuil.Le flaconétait
encoreposésurlatableàcôtéd’elle.Ilsn’avaientenrienatténuéladouleur,etdetoutefaçonilétaittroptôtpourenreprendred’autres.
—Çava,jesuisjusteunpeuflapie.Il continuait de contempler sonvisage.Lemiroirbienéclairéde la salledebainsoùelle s’était
déshabilléeluiavaitfidèlementrenvoyésonapparence:lespointsdesuturestyleFrankensteinposésparHalleyétaientsoignés,maisnecontribuaientpasàlarendreséduisante.Ellenes’étaitpasmaquilléecematin,etç’avaitétélecadetdesessoucisunefoisrentrée.
Elle avait essayé de nettoyer avec un lingemouillé le sang séché dans ses cheveux,mais il luifaudraitunshampooingpourenveniràbout.Etvusamigraineetsongenoudouloureux,cen’étaitpassapriorité.
Elleregrettanéanmoinsdenepasavoirfaitdavantaged’effortspourparaîtrepluspimpantedevantle regardappréciatifdeGrey.Elle sedemandaitpourquoielleéprouvaitcesentiment, surtoutaprès ladiatribeintérieurequ’elleavaitlancéecontreleshommes.
Grey finit par acquiescer, faisant un peu lamoue, puis emporta le plateau sans dire unmot.Valreposalatêtesurledossierdufauteuiletfermalesyeux,écoutantlebruitdesespasquis’éloignaient.
Puisrevenaient.Ellel’entendits’arrêteràcôtéd’elle.Elleouvritlesyeux,sansreleverlatête.Ilnelaregardaitpas,cettefois.Ilavaitprisleflacond’antidouleuretlisaitl’étiquette.
—C’estçaquevousavezpris?
«Qu’est-cequeçapeutvousfaire?»,pensa-t-elle.Maisellenecontestapas.—Jecroyaisquevousaviezuneordonnance.—J’enavaisune.«Ilyaàpeuprèsquinzeans»,ajouta-t-elleensonforintérieur.—Alorspourquoivousprenezçaàlaplace?Cette fois c’est elle qui fit la moue. Les comprimés n’avaient pas eu d’effet sur la douleur, la
questionétaitdoncpertinente.Maisellesedemandaits’ilsétaientassezprochespourqu’ellesejustifie.«Etpourquoipas?»,pensa-t-elle.Ellen’avaitpasàavoirhontedelabataillequ’elleavaitmenée
etgagnée,etnesouhaitaitpasimpressionnerGreySellers.Oualorspeut-êtrequesi?—Parcequej’aipassélamajoritédemonadolescencesousladépendancedesantidouleur,àvivre
dans la torpeur qu’ils provoquaient, dit-elle sans détour. Une fois sevrée, j’ai juré que ça nerecommenceraitjamais.Alors…
Ellepointad’unsignedetêteleflaconqu’iltenait.Un changement subtil apparut dans les yeux deGrey.Néanmoins, ilmaîtrisait tellement bien ses
émotionsqu’ellen’auraitsudirecequ’ilsexprimaient.—D’autresquestions?demanda-t-elledoucement,s’attendantàlevoirgêné.Laplupartdesgensétaientdéconcertésd’apprendrequequelqu’uncommeelleavaitétédépendante.
Ellen’enavaitpasleprofil.—Voulez-vousquejevousaidepourvousrendreàlasalledebains?demanda-t-il.Ilavaitposésaquestionsuruntonsibanal,tellementdécaléaveccequ’ellevenaitd’avouer,qu’il
fallutàValerieunmomentpourcomprendrecequ’ilvenaitdedire.Cequiluidonnaenviederire.Cette révélation n’avait en rien fait naître la gêne qu’elle attendait. Elle en déduit deux choses :
premièrementqu’ilenfallaitbeaucouppourchoquerGreySellers,etdeuxièmementqu’ilétaitdécidéàprendresonrôledegarde-maladeàcœur.
—Merci,maisçaira,dit-elleenréprimantunsourire.Décidément,ilavaitl’artdedédramatiserlessituations.—N’hésitezpasàm’appelersibesoin.Ah,aufait,j’aipréparéducafé.D’habitude,j’enboisune
cafetièreentièrechaquematin.Vousenvoulezunetasse?Elleréfléchituninstant.Peut-êtrequelecaféstimulerait l’effetdesmédicaments.Mais il risquait
aussidelateniréveillée.Orellesedoutaitqu’elleseraitsuffisammentassailliededouleursetd’imagesdésagréablesdanslanuitpournepasenrajouter.
Ellefitnondelatête,etilacquiesçadenouveau.—Jeseraidanslacuisine.Appelez-moisivousavezbesoindequelquechose.—Jesaiscequ’aditHalleycematin,mais…Jeveuxdire,jevoussuisreconnaissantedetoutce
quevousfaitespourmoi,maisvousn’avezpasbesoindeveillerà toutenpermanence.Jenesuispasimpotente.
Seslèvresbougèrent,etlepetitpliretrousséqu’elleavaitremarquéauxcommissuresdesabouchependantleuraltercationsouslavérandaréapparut.
—Jenevousconsidèrepascommeuneimpotente,mademoiselleBeaufort,croyez-moi,dit-il.C’estunjeud’enfantsd’évolueravecdesbéquillespourquelqu’unquiestcapabledesefrotterauquotidienàunétalondecettetrempe.
Elleneréponditrien.Elleleprenaitcommeuncompliment.C’étaitvraiqu’elleavaitl’habitudedesbéquilles.
— Je savais en acceptant ce travail que je n’aurais pas beaucoup de protection rapprochée àassurer.MaisBeneficialLifemepayepourêtrelà,alorsautantquejemerendeutile.
—Etvousavezdel’expériencepourcequiestde…Ellehésita,cherchantunefaçonappropriéedeluidemanders’ilavaitdéjàjouélesgardes-malades.
—D’êtreutile?suggéra-t-il,commeellehésitait.Puisiléclataderire,cequifitapparaîtredefinesridesaucoindesesyeuxetaucreuxdesesjoues.
C’étaitlapremièrefoisqu’ellelevoyaitrire,ettoutcommepourlepetitpliaucoindesabouche,ellefutfascinéeparl’effetdubonheursursestraitssévèresetsonvisageanguleux.
—Jesuistoujoursprêtpourdenouvellesexpériences.CettedéclarationcréaenValerieuneimagementalehorscontexte,commelorsqu’ilavaitparléde
comparerleurscicatrices.«Toujoursprêtpourdenouvellesexpériences.»Ellesavaitqu’iln’yavaitriendesexueldanssespropos,ellesedemandaitdoncpourquoielleleprenaitcommetel.Ellen’avaitpourtantpasl’espritmaltourné,d’habitude.
—Tantmieux,vuquelescirconstancesontévoluédepuisquevousavezacceptécetravail.—Çaira,tantquenous…—Nousnenousvolonspasdanslesplumes?—J’allaisdire tantquenousseronshonnêtes l’unenvers l’autre.Mais je tenteraidenepasvous
volerdans lesplumes,commevousdites.Appelez-moisivousavezbesoin.Sansquoi jeconsidéreraiquevousvousdébrouilleztouteseule.
Elleeutencoreunepenséesansrapportavecsespropos,etne trouvapasderéponseà formuler.Elledécidadoncdel’imiter,enapprouvantsimplementdelatête.
Ilrestaimmobilequelquessecondes,leregardposésurelle.Elleeutl’idéeidiotequ’ilpensaitàsepenchersurellepourl’embrasser.Elleeneuttellementfortlepressentimentqu’elleouvritlégèrementleslèvres.Maisaulieudeça,ilquittalapièceettraversalecouloir,lestalonsdesesbottesmartelantlesol.
Valeriefutsoudainenvahieparunétatdefrustration,presqued’abandon.Deuxsentimentsabsurdes.Elle aurait dû interrogerHalley sur les effets secondaires possibles d’une commotion cérébrale. Elles’étaitsansdoutecognélatêteplusfortqu’ellenelecroyait.Assezfortpourluifaireoublierqu’ellenes’intéressaitpasauxhommes?Etpoursemettreàfantasmersurunétranger,unhommedontellenesavaitrien?Elleinspiraprofondémentetfermalabouche.
Encore deux jours, et les choses reprendraient leur cours normal. Elle serait sur pieds et ne sesentirait pas si vulnérable. Si dépendante. Elle n’avait aucune raison d’éprouver ces deux sentiments.Elleavaittoutcedontelleavaitbesoin.Elleétaitheureusedelaviequ’ellemenaitdepuisdixansdansceranch.Etriennereviendraitremettreencausecela.Absolumentrien.
***
Les trois jours suivants semblèrent durer une éternité. Valerie ne pouvait pas faire grand-chose,hormisresterassiseetsefairedusouci.Aproposdeseschevaux.D’Av-Tech.Etsurtoutàproposdespensées qui l’assaillaient chaque fois queGrey Sellers lui apportait un repas ou venait l’informer dequelquechose.
Kronusnes’étaitpaseffrayédenouveau,Dieumerci.EtselonGrey,toutallaitbienauranch.Luietuntypedelasociétédesécuritéavaientpassédeuxheuresàfaireletourdelapropriété,puisdeuxautrespenchéssurunplan,danslavéranda.
Ilsétaientapparemmentd’accordsurletypedesystèmedesécuritéqu’ilfallait installer.Lorsquel’agent commercial lui avait montré le projet, elle n’avait pas cherché à discuter. Autry Carmichaell’avait assurée qu’il avait fait appel auxmeilleurs, etGrey était le représentant officiel deBeneficialLife.C’étaitàeuxdepeaufinerlesdétailspourêtreenaccordaveclestermesducontrat.
Avant lamortdesonpère, lecoûtdecette installation l’aurait faitpaniquer.Maiscette fois,elleavaitsimplementavisé lereprésentantde lasociétédesécuritéd’envoyer lafactureàAv-Tech.Aprèstout,siçan’avaitpasétépoursemettreenconformitéaveccettepoliced’assurances,ellen’auraitjamais
faitinstallercesystème.Lasociétépouvaitprendreçaencharge,àdéfautdeluiverserlesalaireauquelelleavaitdroit—bienqueP.-D.G.depuispeu.
Elles’attendaitàcequ’Autryl’appellepourluilivrerlesrésultatsdesapetiteenquêteets’informerdelavisitedelasociétédesécurité.Maisausoirdecetroisièmejour,iln’avaitpasdonnésignedevie.Elle avait déjà abandonné ses béquilles et se déplaçait en clopinant avec de plus en plus d’aisance,s’appuyantsurunmurouunmeublelorsquecelas’avéraitnécessaire.
Cesoir-là,elleavaitmêmeréussiàprendreunedouche.Elles’étaitrisquéeàselaverlescheveuxmalgrélespointsdesuture,parvenantàsedébarrassertotalementdusangséchécolléàsoncrâne.Ellesesentaitbeaucoupmieuxainsi.
Sousladoucherevigorante,elleavaitdécidéquecettejournéeseraitladernièrepasséesanssortirdelamaison.Certeselleneseraitpasenétatdetravailler,maiselleseraitaumoinsdehors,aubonairetausoleil,àregarderGreyvaquerauxtâchesauxquelleselles’attelaitentempsnormal.Elleattendaitcemoment avec une impatience exagérée tandis qu’elle se séchait vigoureusement les cheveux avec saserviette.
Pendantcestroisjourselles’étaitsentiedeplusenplusattiréeparGreySellers.Ilnel’aidaitquequandc’étaitnécessaire,sanslafairesesentirinvalide.Illatenaitinforméedelasantédeschevauxetdetout ce qui se passait au ranch. Et petit à petit, la tension qui avait empoisonné leurs rapports s’étaitestompée.
Cependant,uneautreformedetensionétaitnéeenValerie.Decellesquis’installententreunhommeetunefemmequidoiventpartagerunecertaineintimité.
Cette pensée lui fit suspendre son geste. Elle se pencha pour se regarder de près dans lemiroirembué,cequ’ellefaisaitpourlapremièrefoisdepuisbienlongtemps.Endépitdespointsdesutureetdel’écorchurequ’elleavaitàlatempe,sonvisageavaitplutôtbelaspect.Mêmecommeça,ellen’avaitpasunetêteàfairepeur.
Sonvisageétaitunpeuétroit,cequifaisaitparaîtresesyeuxtropgrands,etsabouchetroplarge.Les taches de rousseur sur ses pommettes ressortaient un peu plus, car c’était l’été, et elle négligeaitparfoisdeseprotégeravecunecrèmesolaire.
Ellen’avaitpasunvilainvisage,serépéta-t-elle,maispasnonplusunvisageàfairesepâmerlesfoules. Ou qui arrêterait un homme dans la rue. Sans la fortune des Beaufort, rien ne la rendaitremarquable.
Cet argent lui avait toujours permis d’avoir un chevalier servant durant son adolescence.Mêmeaprèssonaccident.Elleavaitcontinuéd’alleràdesfêtesetàdesconcerts,sanssedouterqu’elleneseretrouvaitjamaistouteseuleparcequ’elles’appelaitValerieBeaufort,etnonValerieDupont.
EllepouvaitremercierBartCarruthersdeluiavoirouvertlesyeux.Elledevaitvraimentluienêtrereconnaissante.Etelleleseraitsiannulerleurmariageàladernièreminuteneluiavaitpasfaitsimal.Lepire avait été d’expliquer à son père pourquoi elle annulait son mariage. Pire que de surprendre laréflexiondeBart.Pirequederenvoyertoussescadeauxdenoces.
Son père s’était senti responsable de ce fiasco, peut-être parce que habituellement, tout luiréussissait.Maiscen’étaitpassafaute,évidemment.Valavaitmêmefinipardécréterquecen’étaitlafautedepersonne.Lemondeallaitainsi,voilàtout.
Uncoupinattendufrappéàlaportedelasalledebainslafitsursauter,laramenantbrutalementdansleprésent.
—Oui?dit-elle,passantsaservietteautourd’elle.—Jereparsàl’annexepourlanuit,ditGrey,lavoixétoufféeparl’épaisseurdelaporte.Jevoulais
justem’assurerquevousn’aviezbesoinderienavantd’yaller.Lorsqu’elle avait décidé de prendre une douche, il faisait la vaisselle.Bien qu’il lui ait posé la
mêmequestion chaque soir, elle ne s’attendait pas à ce qu’il vienne frapper à la porte de la salle de
bains.—Nonmerci,toutvabien,répondit-elle.Elle avait envie d’ouvrir la porte et de le regarder avant qu’il ne parte et disparaisse dans
l’obscurité. Peut-être parce qu’elle savait qu’elle allait faire changer la nature de leur relation dès lelendemain. Si elle était debout et capable de sortir, alors il n’aurait plus à lui apporter ses repas etdonc…
Etdonc,elleleverraitcertainementmoinssouvent.Elleregardadanslemiroirseslèvresseserreràcettepensée,etseforçaàlesdétendre.
—Au fait, j’allais oublier, ajoutaGrey. Il y a eu un coup de téléphone pour vous.UndénomméAutry.
Sansréfléchir,elleposalaserviettesurlacuvettedestoilettesetclopinajusqu’àlaporte.Elleposalamainsurlapoignée,hésitauneseconde,puisouvrit.Surpris,ilposasonregardsurelle.
Puis sesyeux tombèrent sur ledécolletéde sa finenuisetteblanche.Cettenuisetteétaitbienplusféminine que les chemises de nuit qu’elle portait habituellement, et elle n’aurait su dire pourquoi ellel’avaitchoisiecesoir.Pasplusqu’ellen’auraitsuexpliquerpourquoielleavaitouvertlaporte.
—A-t-ilditqu’ilallaitrappeler?demanda-t-elle.Les yeux deGrey remontèrent lentement jusqu’à son visage, ce visage banal qu’elle avait étudié
quelquessecondesplustôtdanslemiroirembuédelasalledebains.Unvisagemaigre,marquédetâchesderousseur,etencadrédemècheshumidesdecheveuxroux.Maiscen’étaitpascesdétailsqu’ilvoyait.Ilyavaitautrechosedanssesyeuxgris.
Comme… de l’excitation, découvrit-elle avec surprise. Etat vite réprimé qu’elle n’avait faitqu’entrevoiruneseulefoisauparavant.Elleleconnaissaitmaintenantsuffisammentpoursavoirqu’ilneluiauraitpasdévoilécequ’ilressentaits’ilnel’avaitpassouhaité.Cequ’ellelisaitdanssesyeuxétaittellementpuissantqu’ellesentitunesortedebrûlurelaparcourirjusqu’aucreuxdel’estomac.
—Jecroisquec’estvousquidevezlerappeler,ditGrey.Elleapprouva,lagorgeserrée,etlabouchesoudainsèche.—C’estvotrepetitami?demanda-t-il.Endépitdel’intenseattirancesexuellequis’étaitinstalléeentreeux,elleéclataderire.Etregarda
denouveaucepetitpliauxcommissuresdeseslèvres.Ilavaittoujourslesyeuxsombres,presquegrisfumé.
—C’estundesamisdemonpère.Apeuprèsdumêmeâgequelui.Asontourilhochalatête,sesyeuxtoujoursrivéssurlessiens.—Jepensequejenefaisqu’anticiperlemomentoù…quelqu’unvavenirvousrendrevisite.—Quelqu’unquiseraitmonpetitami?Ilhochalatête.Ilavaitbrièvementregardéseslèvreslorsqu’elleavaitprononcécesmots.—Jen’enaipas.Vivreici…Elles’interrompit,conscientequ’ellen’avaitpasàluidonnerd’explicationssurlefaitqu’elleétait
seule.—Restreintvotreviesociale,suggéra-t-il.—C’estàpeuprèsça.Il luiprit lementonentre lepouceet l’indexet fit tourner sa tête.Ellenecherchapasà résister.
Sentirsesdoigtssursapeaulafitpresquevaciller,maisellecompritvitequ’ilnefaisaitquejeterunœilàsespointsdesuture.
—Vousnelesavezpasmouillés,n’est-cepas?—J’ai faitensortequenon.Jen’enpouvaisplusd’avoirdusangséchédans lescheveux.Eten
plus…
Ellemarquaunepause,craignantpresquedeluiannoncerqu’elleallaitmieux.Craignantdedétruirele lienquis’étaitnouéentreeux.Ellenepouvaitnierque lesdoutesqu’elleavaitàsonégardavaientdisparu.Commentnepassentirdesympathieenversl’hommequis’occupaitdeseschevaux,luiapportaitàmanger,etluiavaitpourainsidiresauvélavie?
Maisilétaitpayépourça,serappela-t-elle,luttantcontreladouleuragréabledanssonbas-ventre,tandisqu’elleregardaitsesyeuxgris.
Iln’avaitrienfaitdeplusquesonboulot.Elleavaitbesoindeseconvaincrequeçan’avaitpasétéuneattentionpersonnelle.
—Jesuiscapabledemetenirdeboutetdemarchermaintenant,seforça-t-elleàdire.Ilfautquejebougeunpeumongenou,pourlerééduquer.
—Vousêtessûre?—Oui,j’ensuissûre.J’aibeaucoupd’expérience.Danscedomainedumoins.Cette précision fit naître au coin de la bouche deGreyunpli amusé.«Comment ne le serait-il
pas?»,sedit-elle.Gênée,ellebaissalesyeux.Ellenesavaitpaspourquoielleavaitditça.Iln’yavaitaucuneraison,àmoinsd’essayerdesemontrerprovocante,cequiauraitétédéplacévusonallure.
—Etpasdans…d’autresdomaines?demanda-t-il,lamaintoujoursposéesursonmenton.Ilsseregardaientdenouveaudroitdanslesyeux.Valerieneréponditpas,carcequ’ellevoyaitdans
lesyeuxdesonpartenairel’empêchaitdeprononcerlamoindreparole.Ilbougealatête,l’inclinantlégèrementpourplacerseslèvresfaceauxsiennes.Ellelesavaitdéjà
entrouvertes,commeellel’avaitfaitlesoiroùils’étaittenulongtempsàcôtédesonfauteuil.Elleavaitcrualorsqu’ilallait l’embrasser,maiselles’était trompée.Cettefois,elleretenaitson
souffle,pournepasbriser le charme. Il nequittapas lapièce. Il continuad’approcher ses lèvresdessiennes,luirelevantdoucementlatête.
Quandellen’eutplusdedoutesursonintention,ellefermalesyeux,commepourchasserlaréalité,etbasculantdanslemondedefantasmesqu’elleavaitbâtiaucoursdecestroisderniersjours.Mondeoùelle avait imaginéqueGrey l’embrassait, que ses bras l’entouraient pour la serrer sur son torse viril,contrelequelelles’étaitappuyéelorsqu’ill’avaitsortiedesouslessabotsdeKronus.
Il lâcha sonmenton et posa doucement ses lèvres sur les siennes.Des lèvres sèches, chaudes etincroyablement agréables.Elle eut vaguement conscience qu’il la saisissait par les épaules, comme ill’avaitfaitlejourdesonarrivée.
Maiscesoir,sonintentionétaittoutautre.Iln’yavaitpasdecolèredanslamanièredontillatenait,niquandilglissadoucementsalangueau-delàdeseslèvres,rencontrantlasienne.
Elleledésirait.Ellel’avaitdésirédèslemomentoùellel’avaitvu,maisl’avaitniéjusque-là.Plusmaintenant.
Sonbaisersefitplusprofond,illaserracontrelui,etsesmainsdescendirentlelongdesondos.Les seins de Valerie effleurèrent son torse musclé, puis se plaquèrent contre lui. La brûlure qu’elleressentaitentrelesjambesseraviva.
Cette sensation était infiniment agréable, réveillant une attente qu’elle avait tellement cachée etrefoulée qu’elle en devenait presque douloureuse. Elle tenta de soulager cette douleur en se serrantencorepluscontrelui,collantsonbas-ventrecontrelesien,cherchantàapaiserl’appelincontrôlabledesessens.
Lafineétoffedesanuisetteconstituaitunebarrièredérisoireentreleursdeuxcorps.Enréponseàcemouvement,Greyplialesgenouxpuislesresserra,pressantl’expressiondesavirilitécontrelapartielaplussensibledesonanatomie.
Le gémissement qu’elle émit en retour fut sans ambiguïté, mais peu importait. Tout ce qu’ellevoulait,c’étaitserapprocherdelui.Sentirlaforcedesoncorpscontrelesien,lesentir,lui.
Cegémissementluifitdétachersabouchedelasienne.Greytournalégèrementlatêteetposaleslèvressursajoue.Ellesentaitsoncœurbattrelachamadecontresesseins,etcelal’excitaitaussi.
—Jenevoulaispastefairemal,chuchota-t-il.—Tunem’aspasfaitmal,répondit-elledansunsouffle,replaçantsabouchejustesouslasienne.Elletrouval’audacedepassersalangueautourdeseslèvres,etillaserraplusfortcontrelui,d’une
pressiondelamainsursondos,etl’embrassadenouveau.Salangueexplorasaboucheavecunsavoir-faireauquelellenes’attendaitpas.Illaissaglissersamainautourdeseshanchesetlaserradefaçonàcequ’ellesentedenouveausonérection.
C’étaitcequ’elledésirait.Elleavaitobservélemoindredesgestesdecethommeaucoursdestroisderniers jours.Elleavaitobservélemouvementdesesmusclessoussesvêtements.Celuidesesyeux.Celuidupliaucoindesabouche,quiévoluaitselonsonhumeur.Ellel’avaitdanslapeau.
Etpourtant elle était toujours ingénue.Sansvouloir l’admettre, elle avait tellementenviequ’il latouchequec’enétaitdouloureux.Elleavaitatteintlepointdenon-retour.Pourlapremièrefoisaucoursdecesdixdernièresannées,elleavaitréussiàadmettrequ’elleavaitbesoindeça.Qu’ellevoulaitsentirleslèvresd’unhommesurlessiennes,etsesmainssursoncorps.
Detousleshommesrencontrésaucoursdecesdixannéesdedénuementaffectif,ilfallutqueleseulquil’attirâtétaitceluidontellenesavaitrien.Unétranger,aussisecretqu’ellesursavie.
Succomber à ce désir lui faisait risquer la pire des blessures.Bienpire que toutes les blessuresphysiquesqu’elleavaitconnues.Elleneparvenaitpasàcomprendrepourquoielleavaitsuccombé.Maisil était trop tard.Et à cet instantprécis, alorsqueGrey la tenaitdans sesbras, si fortque seuls leursvêtementslesempêchaientdenefaireplusqu’un,elleneregrettaitrien.
Leur baiser se prolongea encore et encore, leurs langues s’entremêlant pour le faire durer, pours’explorermutuellement.Greyposalamaindroitesoussesfesses,ettoutenpliantlesgenoux,laserraencoreplusfortcontrelaturgescencedesonbas-ventre.
Sa respirationétait irrégulière,etelleaimait sentirqu’elle lui faisaitceteffet-là.Ellesentaitdeseffluvesdedésirs’échapperdesoncorpsenréponseaumouvementdeseshanches,desalangueetdesesmains.
Ilsecontractasoudain,détachantsoncorpsdusien.Ilrelâchasonétreinteetposalesmainssursesépaules,reculantd’unpas.Elleouvritlesyeux,aveclemêmesentimentd’abandon,defrustrationetdepertequel’autresoir.
Illaregardait,laboucheclose,sansaucunmouvement.Ellevoulaitrevoircemouvementaucoindeseslèvres,cettepetitemarqued’amusement,demoquerie.Mêmesic’étaitpoursemoquerdecequisepassaitentredeuxpersonnesquis’étaientd’abordaffrontées.
—Grey,dit-elle,netrouvantpasd’autresmots.—Nousnesavonspluscequenousfaisons,dit-ildoucement.Elle évalua ses propos. Ils n’étaient pas déplacés. Ils décrivaient demanière juste ce qui s’était
passé, du moins pour elle. Elle avait perdu son sang-froid. C’est lui qui avait fait voler en éclat lecontrôleimplacablequ’elleexerçaitsursesémotionsdepuisplusdedixans.
Elleacquiesça,soutenanttoujourssonregard,etcherchantàliresespensées.—Jenevoulaispasquecelaarrive,dit-ildoucement.Elleacquiesçadenouveau,sentantladélicieuseexcitationquil’habitaitàpeinequelquessecondes
plus tôts’enaller.Sansqu’ellesachepourquoi. Iln’yavait riendechoquantdans lesproposdeGrey.Ellenonplusnepensaitpasqueçaarriverait.
—Jeferaismieuxdepartir,jepense.Lesmotsrestèrentsuspendusdanslevide.Est-cequ’ilespéraitqu’elleluiproposeraitdepasserla
nuitici?sedemandaValerie.Danssonlit?
Toutenformulantcespensées,ellesavaitqueceseraituneerreur.Pourelle,poureux.C’étaittroptôt, tropsoudain.Trop…dangereux.Ellene leconnaissaitpas.Ellenesavait riende lui,hormisqu’ilétaitcapabledelafaireredevenircequ’ellen’avaitplusétédepuisdesannées:unefemme.Vulnérable,pleinededésiretdebesoins.
Ellen’étaitpasconvaincued’êtreprêteà l’assumer.Elleétait capablede seposer lucidement laquestiontantqu’ellenesentaitpassalanguejoueraveclasienne,savirilitéplaquéecontresoncorpsluitransmettantsonexcitationetsaforce.
«Troptôt.Tropsoudain.»—Çavaudraitpeut-êtremieux,répondit-elleavecdouceur.—Vousallezbien?demanda-t-ilenlaregardant.Elle fit signe que oui, sentant les larmes poindre sous ses paupières,malgré l’assurance qu’elle
affichait.Elleluttapournepasleslaisservenir.Ellesoutintsonregardenmobilisanttoutesavolonté,cettedéterminationbornéequiluiavaitpermisdetraversertantd’épreuves.
—Jevaisbien,chuchota-t-elle.Maissavoixetsonvisagedémentaientsespropos.Delamain,Greyécartadesatempeblesséeune
mèchedecheveuxhumides.Puisildéposaunbaisersurlespointsdesuture.—Sûr?demanda-t-il,sonsoufflechaudparcourantsapeau.—Oui,nevousinquiétezpas.Ilfinitparacquiescer.—Verrouillezvotreporte,onseverrademainmatin.Il relâcha sonétreinteetpartit, s’éloignantdans lecouloir, sansun regard.Valerie rentradans la
salle de bains et s’appuya doucement contre le lavabo. Puis elle ouvrit les yeux et se retourna pourobserversonrefletdanslemiroir.
Quelque chose avait changé dans son image.Une altération dans les yeux, peut-être. Sombres etgrands ouverts. Comme sous l’effet d’une immense surprise. Et légèrement voilés par des larmesretenues.
Oualorsunchangementsursabouche,meurtrieparlesbaisersfougueuxd’unhomme.Oubiensursesjouescolorées,marquéesparlecontactdecelles,rugueuses,d’unhomme.
Elleétaitdifférente.Vulnérable.Pleinededésiretdel’enviepressantederetrouverlessensationséprouvéesautrefois.Maisc’étaittroptôt.Tropsoudain.Etbeaucouptropdangereux.
***
Ilfaisaitnoirdanslacuisine,carilavaitéteintlalumièreaprèsavoirfinilavaisselleetprogrammélacafetière.Enquittantlasalledebains,ilavaitl’intentiondesortirparlaportededevant,maisilavaitéchouélà,remarquaGrey.Apparemment,c’étaitlanuitdetouteslestentations.Ilavaitdéjàcédéunefoisetgoûtéàunplaisirinterdit.
Pendantpresquequatrejours, ilavaitrésistéàlatentationd’embrasserValerieBeaufort.Joursaucoursdesquelsilavaitadmirélecouragedelajeunefemme,nonseulementavecl’étalon,maisaussiencomprenant pourquoi elle n’avait pas voulu aller chercher lesmédicaments que sonmédecin lui avaitprescrits.Ill’avaitvues’accommoderdeladouleursansseplaindre,etluidemanderdel’aidedebonnegrâce,malgrésesréticences.
Ce soir, lorsqu’elle était apparuedans cette nuisette si finequ’elle en était immatérielle, il avaitsuccombé.Et il succombait une fois de plus en saisissant la bouteille dewhisky. Il se tint là un longmoment,passantenrevuetouteslesraisonspourlesquellesilnedevaitpasl’ouvrir.
Ilétaitenmission,mêmesic’étaitdelafoutaise.Onlepayaitpourceboulot,etilnebuvaitjamaisautravail.C’étaitunerègled’or.Desviesétaientenjeu.
Maisdesgensétaientmortsdetoutefaçon,pensa-t-ilamèrement,etquandc’étaitarrivé,iln’avaitpasbu.Ils’étaitmontréincompétent.
«Etc’estenbuvantquetuvasredevenircompétent?»luiassénasaconscience.«Boireunverrevam’aideràdormir,aprèscequivientdesepasser»,sedit-ilenretour.Malgré
la douleur dans son bas-ventre, et sa désaccoutumance au désir d’être en compagnie d’une femme àlaquelleiltenait.
IlvoulaitêtreavecValerie.Ilavaitcessédesedemanderpourquoi.Ellen’étaitpasvraimentbelle.Pasaupointd’êtreirrésistible.Etaudépart,ellenepouvaitpaslevoirenpeinture.
Ilinspira,etlâchalabouteille.Pourtant, elle ne l’avait pas embrassé comme quelqu’un qu’elle ne pouvait pas voir. Elle avait
répondu à ses baisers avec fougue. Comme si elle avait voulu qu’il lui fasse l’amour, autant qu’il ledésiraitlui-même.
Etait-ceparsolitude?Quisait.Entoutcaselleavaitréagiavecpassion,cequinerendaitpasleschosesplusfaciles.Aucontraire.
Ilsaisitdenouveaulabouteilleetl’emportaaveclui,sortantparlaportearrière.Ilhésitauninstant,lamainsurlapoignée.S’ilvoulaitboirepours’endormir,illuifallaitunverre.Questiond’honneur.Leseulquiluirestât.Iln’enétaitpasencorearrivéàboiredirectementaugoulot.
Uninstant,l’imagedeValerieBeaufortapparutdanssatête,aussiclairementquelorsqu’illuiavaitsaisileshanchespourlaserrercontrelui,commes’ilenavaitledroit.Commesicen’étaitpaslaP.-D.G.d’unedesplusgrossesentreprisesdel’Etat.Dupays,même.
Commes’ilétaitceluiqu’ellevoulaitsentircontreelle.«C’étaitlecas»,luirappelasonego.«C’estparcequ’ellenesaitpas…»Ilinterrompitcettepenséeavantqueneseformentlesimagesquiaccompagnaientcesmots.Iltourna
lapoignéede laporte, en colère, sachantquece soir, il viderait cettebouteille.Ce serait toujoursunproblèmemoinslourddeconséquencesqueceluiqu’illaissaitderrièreluidanscettemaisonsilencieuse.
6
La sonnerie du téléphone déchira le calme de la nuit, brutale car inattendue. Beaucoup de gensavaientappeléaucoursdelasemaineoùsonpèreétaitmort,d’autresaudébutdecettesemaine-ci,maiscesderniersjours, lesappelss’étaientraréfiés.Letéléphonen’avaitmêmepassonnédutoutdepuislaveille.Pasdepuisqu’elleavaitexpliquéaureprésentantdelasociétédesécuritécommentvenirauranch.
Valerieressentitcetappelcommeuneintrusiondontelleseseraitbienpassée.Elleavaitd’autreschosesentêtedepuisledépartdeGrey.Elleétaitassisedanslefauteuiloùelleavaitpassélamajeurepartiedesontempscesderniersjours,ressassantcequis’étaitpassé,etsurtoutcequecelasignifiait.
Ellefinitpardécrocheràcontrecœur.«Faitesquecesoitn’importequisaufConnie»,souhaita-t-elle.—Tupeuxparlerlibrement?C’étaitAutry.ElleavaitoubliéqueGreyl’avaitavertiedesonappel.Elleavaitdumoinsrelégué
l’informationdansuncoindesamémoirepourseconcentrersurd’autreschoses.Bienplusimportantes,selonelle.
Avant d’entendre cette voix familière, elle n’avaitmême pas envisagé que ça puisse être lui. Saquestion—«Tupeuxparler librement ? »— la prit donc de cour.Elle sonnait commedans un filmd’espionnage,maisc’étaitbiendanslestyled’Autry.
—Biensûrquejepeuxparlerlibrement,répondit-elle,amusée.—Oùesttongardeducorps?—Dansl’annexe.Acemoment,sonespritengourdiparvintàsaisirlemotifdecetappel.ElleavaitdemandéàAutry
deserenseignersurGrey.Mais leschosesavaientchangédepuis,ellen’éprouvaitplus lebesoind’ensavoirplussurl’hommequivivaitdanssonranch.Etaprèscequis’étaitpassécesoir…
—Tuessûrequ’ilnepeutpast’entendre?insistaAutry.—Oui,j’ensuissûre.Qu’est-cequisepasse,Autry?—TuvoulaisquejemerenseignesurSellers.Après cette soirée, cette demande lui paraissait être une trahison, songeaValerie.Unmanque de
confiance.«Saufquej’aidesraisonspournepasavoirconfianceenn’importequi»,serappela-t-elle,amère.
Enoutre,elleavaitbeletbiendemandéàAutrydeserenseigner,etapparemmentils’étaitatteléàlatâche.Ils’étaitpeut-êtremêmedonnébeaucoupdemal,vuletempsécoulédepuiscetterequête.Ellesedevaitdoncauminimumd’écoutercequ’ilavaitàluidire.
Le ton méfiant qu’employait Autry donnait l’impression qu’il avait découvert quelque chose dedésagréabledanslepassédeGrey,cequilafaisaitcependanthésiteràl’écouter.«Maisbiensûrquesi,
ilfautl’entendre»,luidisaitsonespritrationnel.«Tuasdéjàsouffertunefoisd’avoirfaitconfianceàunhommequin’enétaitpasdigne.Alorsgrandis.»
—Qu’est-cequetuastrouvé?seforça-t-elleàdemander,retenantsonsouffle.—Rienderien,ditlevieuxmonsieur.Letondesavoixn’étaitpourtantpasrassurant.—Tantmieux.Non?ajouta-t-elle,devantlesilencedesonami.—Cequejeveuxdire,c’estquejen’airientrouvédutout.Cetypen’apasdepassé,Val.Iln’yen
apasdetraces,dumoins.—Toutlemondeaunpassé.—C’estvrai.C’estpourquoiquandonnetrouveriensurceluidequelqu’un,ons’inquiète.—Jenetesuispas,là.—Toutcequinousarrivedansnotrevielaissedestraces.Notrenaissance,notremort,lesécoles
qu’on a fréquentées, le fait d’avoir appartenu à l’armée, les emplois qu’on a occupés. Toutes cesinformationssetrouventstockéesdansunordinateur,quelquepart.Dansdesregistresdupersonnel,desimpôts,oudansceuxdelaSécuritésociale.Généralement,ilyaunetrace.
—Ettun’asrientrouvédetoutçasurGreySellers?Val n’avait pas envie d’entendre ça,mais Autry avait cependant attiré son attention. Parce qu’il
n’avaitrientrouvédutout.Ellecomprenaitcequecelaavaitd’étrange.C’étaitmêmeimpossible.—Pasdetraces,confirmaAutry.Pasd’adresseavantqu’ilnes’installedansl’Etat.Riensurdes
emploisqu’ilauraitoccupés,rienderien.—Qu’est-cequeçasignifie,selontoi?—Quequelquesoitlesecteurdanslequelilatravaillé,iln’yaaucunmoyendelesavoir.Peut-être
qu’ilpourrait citerdesnomsde sociétésqui l’auraient employé.Etmême trouverquelqu’unquidirait«oui,oui, il a travaillécheznousde telledateà telledate».Mais le fait estqu’onne trouvepasdetraces d’employeurs qui auraient payé des charges sociales pour lui. Pas de documents W2, pas devolets401K.Rienderien.
—Jepensequ’ilétaitmilitaire,ditVal,sanssavoircequiluifaisaitcroireça.—Cen’estpasinscritdanslesfichiersdugouvernement.—C’estabsurde.—Amoinsqu’onaitnettoyélesfichiersoùilapparaît.—Nettoyélesfichiers?—EffacétouteslesdonnéesserapportantàundénomméGreySellers.—Oualorscen’estpassonvrainom,suggéraVal.—Peut-être,maisc’esttoutcequenousavons.Uncertificatdenaissance,rédigéilyatrente-huit
ans,ici,dansleColorado.EtcecertificatcomporteunnumérodeSécuritésociale.—Etiln’yariend’autre?demandaVal,incrédule.—Rien qu’on puisse consulter. Dumoins pas avant qu’il s’installe dans la région, au début de
l’annéedernière.—Alors…qu’est-cequeçasignifie,aujuste?Ilyeutunnouveausilence.—Jen’ensuispassûr,finitparavouerAutry.Ellel’entenditsoupireràl’autreboutdufil.—Entoutcas,faireça,cen’estpasuntravaild’amateur.Cen’estpasquelquechosequisefaiten
untourdemain,surtoutquandc’estfaitaussiconsciencieusement.Quelqu’unquialebraslonganettoyétoutcequiconcernaitnotrehomme,c’estpourquoij’aimissilongtempsàterappeler.
—Est-cequeçaveutdire…qu’ilatrempédansdesactivitéscriminelles?
Valsentaitl’effroiluinouerl’estomac.Ellenevoulaitpasentendreça.C’étaitdéjàassezdurpourelledeseconvaincrequ’elleétaitentraindetomberdenouveauamoureuse.
Or, tomber amoureuse d’un homme qu’elle connaissait à peine était bien la dernière de sesintentions.Etvoilàqu’Autryétait en trainde luidirequeGreySellersétaitpotentiellementdangereuxpourelle,poursessentimentsetsonintégritéphysique.
—Pasforcémentcriminelles,ditlevieilhomme.CesmotsapaisèrentlégèrementVal.—Enfait,çaressembleplutôtàunecouverture.Auboutdequaranteansdanscemétier,onfinitpar
flairerleschoses.—Unecouverture?—C’estpeut-êtreuntémoinqu’onprotège,ouquelquechosecommeça.Quirentredansuncadre
officiel en tout cas. Je cherche encore à en savoir plus,mais jeme suis dit qu’il valaitmieux que tusachescequ’ilenétait,machérie,d’autantplusqu’ilhabiteavectoi.
— Comment devient-on un témoin protégé ? Est-ce que ça ne concerne pas les criminels quiacceptentdetémoignercontred’autresmalfrats?
—Ça peut aussi concerner les témoins de crimes.Ou bien des flics infiltrés qui ont perdu leurcouverture.Ilyapleindecaspossibles,enfait.Çapeutconcernerquiconqueabesoind’êtreprotégéetconsidérécommeayantassezd’importanceparlegouvernementpourqu’onluiaccordecetteprotection.
Unnouveausilences’installatandisqueValerieréfléchissaitàcequ’Autryvenaitdedire.— Si Grey Sellers avait besoin d’être protégé, est-ce qu’il dirigerait un cabinet de protection
rapprochée?demanda-t-elle.Çanecollaitpasavecl’hommequ’elleavaitcôtoyédetrèsprèscesderniersjours.Pourtant,elleétaitsûrequ’Autryluidisaitlavérité,carilavaittropd’expériencepoursetromper.
Dèsledépart,elleavaitsentiqu’uneaurademystèreflottaitautourdeGrey.Maiscommel’avaitditsonami, s’il bénéficiait d’une protection, ça ne voulait pas forcément dire qu’il avait commis un acterépréhensible.
Elle se souvint de s’être demandé si Grey avait appartenu à un service de sûreté. Peut-être quec’était quelqu’un dont la couverture avait sauté et qui avait dû « devenir » un autre. Il n’était pasforcémentdumauvaiscôtédelaloi.
—Dirigeruneagencedesécuritépourraitêtrelacouvertureparfaite,déclaraAutry.Aprèstout,quisoupçonneraitquequelqu’unquitravailledanscesecteurbénéficied’uneprotectionlui-même?
—Ceseraitunex-flic?demanda-t-elle.C’étaitl’explicationqu’ellepréférait.—C’estunepossibilité,réponditAutry,visiblementsceptique.—Maistun’ycroispas.—Jen’aipasassezd’élémentsàdispositionpourcroirequoiquecesoit.—Quefaire,alors?—Jecontinuedechercher.Ettoi,turestestrèsprudente.Jen’aimepaslesgensquinesontpasce
qu’ilsprétendentêtre.Cetypeestunbaratineur.PourAutryetlepèredeVal,lesbaratineursétaientcequ’ilyavaitdepire.Sonex-fiancéenétait
un.Val pensait que sa belle-mère en était également une, raison pour laquelle elle s’en était toujoursméfiée.EtmaintenantGrey…
Ellesoupira.—MerciAutry.Jeseraiprudente,jetelepromets.Detoutefaçon,ilserapartidèsquelesystème
desécuritéserainstallé.—Est-cequetuasparléàcetagentindépendant?Cetypequil’aenvoyé?—Pasencore,ditVal.
Ellen’avouapasqu’ellen’avaitpascherchéàlerappeler.IlsepouvaittrèsbienqueJoeWallacesoitrevenudanssesbureauxetaitétédisponibleaucoursdestroisderniersjours.
—Essaiedel’avoir.Interroge-le.Chercheàsavoirs’ilsepeutqu’ilssoientensemblesurlecoup.—Surquelcoup,Autry?Qu’est-cequetucroisqu’ilspourraienttenterdefaire?demanda-t-elle,
suruntonexaspéré,carellenecomprenaitrienàcequisepassait.Or,elledétestaitêtredansleflou.Jen’aipasd’objetsdevaleur,jen’aiquemeschevaux.Sionvoulaitlesvoler,onn’auraitqu’àleschargerdans un camionpendant la nuit et s’enfuir.Onne se donnerait pas lemal d’envoyer un fauxgarde ducorps.
—Jen’aiaucuneidéedeleursintentions,machérie.Jen’ensaispasassez,mêmepourrisquerunehypothèse.Peut-êtrequejemefaisdesidées,queleprofildecetypen’apasderapportdirectavectoi.Mais il te faut garder en tête que tu es devenueune femme riche.Cequi signifie que toutes sortes devautours risquent de te tourner autour, avec toutes sortes d’idées malsaines, et l’espoir de te sentirvulnérable.Afindes’emparerd’unepartdugâteau.
—Jesais,dit-elledoucement.«Avec l’espoir de te sentir vulnérable… » Ces mots avaient fait mouche. Elle s’était montrée
vulnérablequandGreySellers—ouquelquesoitsonnom—l’avaitembrassée.Rienn’avaitchangé,sedit-elle,amère,saufqu’ellenepouvaitplusdissimulerqu’elleétaitlafille
deCharlieBeaufort et ne se tenait plus à l’écart de l’argent de celui-ci.C’étaient sesmillions à ellemaintenant, et elle avait été bien naïve de croire qu’elle allait échapper à la convoitise en venants’installerici.
Dixansauparavant,elleavaitespérés’êtreéloignéedetouscestracas.Maisledécèsdesonpèrel’avait ramenée au centre de la scène. Grey Sellers était-il le premier à se rendre compte qu’elleconstituaitungibierdechoix?Lepremieràfomenterunplan?
—Sijamais…,repritAutry,sansfinirsaphrase.Ellel’entenditdenouveausoupirer.—Sijamaisilt’arrivaitquelquechose,Val,qu’adviendrait-ildetesparts?Sijamaisilt’arrivaitquelquechose…Ellen’avaitjamaispenséàça.Carellen’avaitjamaiseude
raisonsd’ypenser.Ellen’avaitquetrente-troisans,bonsang!MaisAutryn’avaitpastort:désormais,elle était riche. La question de son vieil ami était donc pertinente, d’autant plus qu’elle venait dequelqu’und’expérience.
— Mes parts seraient réparties entre les différents associés, en proportion de la part qu’ilspossèdentdéjàrespectivement.C’estunaccordclassiqueentreassociés.Selonnosavocats,dumoins.
—Enfaitjemedemandaissi,comptetenudufaitquetuavaishéritédespartsdetonpère…Bienqu’ellesachequesurletestamentelleapparaissaitcommel’héritièredesonpère,ellepensait
obtenirseulementleranch.Desannéesplustôt,peuaprèsavoirrompusesfiançailles,elleavaitimploréson père de faire en sorte qu’à sa mort ses parts soient divisées entre les autres associés. Ni latechnologiedanslaquelleexcellaitAv-Tech,nilafortunequ’avaitapportéelasociétéàCharlieBeaufortnel’intéressaient.Elleavaittoujoursconsidérécetargentcommelaracinedetouslesmaux.
Puis,àlalecturedutestament,elleavaitdécouvertquesonpèreavaitfaitlecontrairedecequ’ellelui avait demandé. Il lui avait transmis ses parts de la société, avec toutes les responsabilitéscontraignantesquiendécoulaient.
—Jepourraistransmettremespartsàunhéritier.Chaqueassociélepeut—quecesoitàsafemmeouàsesenfants.Maissil’und’eux…Sil’und’euxvientàmourirsanshéritier,sespartssontpartagéesentrelesassociésrestants.
—Etdanstontestament…,repritAutry.—Jen’aipasrédigédetestament,lecoupaVal.Jen’envoyaispasl’utilité,nepossédantquemes
chevaux.
—Maintenanttupossèdesbienplus.Ilavaitraison,biensûr.Etendépitdel’accord,elleignoraitcombiendetempsçaprendraitpour
quesesparts,àsondécès,soientdiviséesentrelesautresassociés.Ilsétaienttousâgés,certainsétaientenmauvaisesanté, ilsavaientdoncbesoindeladisponibilitédeleurscapitaux,ycomprisceuxplacésdanslasociété.Lecaséchéant,illeurseraitplusfaciled’obtenirsespartssielleécrivaitnoirsurblancdansuntestamentlamêmeclausequecellefigurantdansl’accordentreassociés.
—J’appellerailesavocatsdemainmatin,dit-elle.Jeteprometsdeleursoumettrelaquestiondèsquepossible.Jemedemandepourquoiilsnem’ontpaspresséederédigeruntestament.Detoutefaçon,ilfautquejevoieaveceuxoùilsensontdeleursrecherchesd’unconseillerendirection.Ilfaudrapeut-êtrequejelessecoueunpeu.
—Tuferasbien,machérie,maiscen’estpaspourçaquejeteposaiscettequestion.Tucherchaiscequepourraitavoiràgagneruntypequit’envoieungarsquin’estpas…vraimentceluiqu’ilprétendêtre.
—Quecherches-tuàmedire?—Sicetypearriveàt’influencer…,commençaAutry.Valeriesentituncourantfroidparcourirlapartieinférieuredesoncorps,àl’endroitmêmeoùelle
brûlaitdedésirquelquesminutesplustôt.Elleseremémoralasalledebainshumide,leslèvresdeGreysurlessiennes,lasensationdesesmainsposéessursesfessespourl’attireràlui.
—Ouàavoirquelqueeffetsurtoi,continuaAutry,maladroit.Enfin,tuvoiscequejeveuxdire.Jeveux simplement que tu sois consciente que s’il tente quelque chose de ce genre, il se peut que sesintentionsnesoientpascequ’ellesparaissentêtre.
—Tusous-entendsquecethommepourraitenvouloiràmonargent,etnerienavoiràfairedemoi?Quelleidéechoquante,ditVal.
Elle pensait avoir dit ça sur un ton très étudié,maisAutry n’était apparemment pas dupe de sonsarcasme.
—Désolé,machérie,jesaisque…Ilhésita.AutryCarmichaelétaitundesraresàsavoirpourquoielleavaitrompusesfiançailles,elle
sedoutaitdoncqu’ilchoisissaitsesmotsavecsoin.—Ecoute,jenecherchequ’àfairecequ’auraitattenduCharliedemoi.Entantqu’ami.Entantque
sonamietletien.Mamiseengardeétaitamicale.Unrappel.Jesaisquetuestropintelligentepourtelaisserbernerparunenfoiréquin’envoudraitqu’àtonargent.
—Unefemmeavertieenvautdeux,c’estça?—Val…—Çava,Autry,toutça,c’estderrièremoimaintenant.Jen’yrepensejamais.Jenerepensejamaisà
lui.Etjetejurequejesuisbienplusmaturequ’àcetteépoque-là.—Donc,cetypenet’apasfaitd’avances?—Ilm’afaitlacuisine,ditValsuruntonvolontairementléger,réprimantsonancienneamertume,
oulanouvellequicommençaitàpoindre.Ils’estaussioccupédeschevaux.Maisiln’apasessayédememettredanssonlit,sic’estcequitetracasse.
—Passerquaranteansdanslasécuritérendsuspicieux,ditAutry,quisemblaitsoulagé.J’imaginequec’estplutôt idiotdemapartdepenserqu’ilpourraitavoirdemauvaises intentionspour lasimpleraisonqu’onnetrouveriensursonpassé.
—Etantdonné…—Quoimachérie?—Rien. Ecoute, j’appellerai les avocats demainmatin, et je ferai en sorte que tout soitmis en
ordre.Jemedemandepourquoijen’aipaspenséàrédigeruntestamentavant.Tropdechosesenmême
temps,jecrois.Etjen’aijamaisvouludecesparts,enplus.J’aiessayédelefairecomprendreàpapa.Jepensaisqu’aprèscequis’étaitpasséavecBart,ilavaitcompris.
Autryéclataderire.—QuandCharlies’étaitmisune idéeen tête, ilétaitdifficilede lui fairechangerd’avis.Jesuis
contentqu’àcetégardturessemblesàtamère.C’étaitétonnantd’entendreAutrylacompareràsamère,etnonàsonpère.—Jeterappelleraiaprèsavoircontactélesavocats,dit-elleencoreunefois.—Dorsbien,machérie,ditAutry,etnet’inquiètepas,toutvabien.«Maisbiensûr,seditVal,toutvabien,saufmoi.»
***
Greyseréveillaensursaut,laboucheouverteetsèche,lecœurbattantcommes’ilallaitéclater.Ilhaletaitaussifortques’ilavaitcouru.
Il avait fait un cauchemar. «Un rêve», se dit-il en s’efforçant de s’éveiller complètement,« cen’estqu’unrêve».
Ilétaitassisdansson lit, lesdrapsserrésdans lespoings. Il fermalesyeux,cherchantà respirerpluscalmement,àralentirsonrythmecardiaque.
Il ne pouvait plus revenir sur ce qui s’était passé. Il avait deux ans de retard. Une décharged’adrénalinequivenaitletirerdesonsommeilalcoolisénepouvaitrienychanger.
Ilsemitàrespirerplusnormalement.Ilfermalabouche,passantlalanguesurseslèvressèches.Ilsavaitoùilétait.DansleranchdeValerieBeaufort,dansleColorado.Iln’étaitpaslà-bas.
«On ne peut pas revenir en arrière », lui avait ditGriff. Griff ne devait cependant pas savoirgrand-chosesurlescauchemars.Cardanslescauchemars,onrevenaitsanscesseenarrière.
Il ouvrit lesyeux, sentit lamigrainequi l’étreignait, et fut surpris de l’obscuritéqui régnait dansl’annexe.Plustôtdanslanuit,ilavaitperçul’éclatdelaluneetuneodeurdepluie.Ilétaitrestésurlepasdelaporte,inspirantprofondément,pourtenterd’oublierleparfumdeValerieetpourquesonimageluisortedelatête.
Il parcourut la pièce des yeux, à la recherche de la bouteille qu’il avait bue au clair de lune,cherchantàoubliersesactes.IlavaitfranchilaligneblancheentouchantValerieBeaufort.Iln’arrivaitplusàmaîtrisersesémotions.Iln’avaitplusdesang-froid.L’hommeentraînéparGriffCabotn’existaitplus.
Perdudanssesregrets,ilfinitparpercevoirunbruitquiavaitdûservirdefondsonoreàsonaffreuxcauchemar.C’étaitpeut-êtremêmeçaquil’avaitréveillé.
C’étaitunclaquementrégulierassezlointain.Unvoletquibattaitdanslevent?Uneported’écurie?Par association d’idées, il devina ce qui provoquait ce bruit : l’étalon essayait une nouvelle fois des’échapperdesastalle.
Greyrepoussasesdrapsetseleva.Tropvite:lapiècesemitàtourbillonner.Ilserassitsurleborddulitdecamp,etsepritlatêteentrelesmains,respirantlaboucheouverte.Aprèsquelquesinstants,ilouvritlesyeux.
Son jean était par terre, là où il l’avait jeté lorsqu’il s’était effondré dans son lit. Il se penchalentement pour le ramasser, prenant soin d’éviter d’être de nouveau pris de vertige. Apparemment, iln’avaitpasdormiassezlongtempspourqueleseffetsdel’alcoolsesoientcomplètementdissipés.
Ilenfilasonpantalon,toujoursassis,etunemainposéesurlelit,semitdoucementdebout.Soulagédeconstaterque leschosesavaientcesséde tournerdans lapièce, il remontasonpantalon,maisne lefermapas.
Puisilchaussasesbottes,négligeantdechercherseschaussettesdansl’obscurité.Ilnetrouvapassachemise,etn’allumapas,carlaseulepenséedelalumièreblafardedel’ampouleluidonnaitmalàlatête.Iltraversalapiècetoutenboutonnantsonjean.Lorsqu’ilouvritlaporte,ilfutheureuxdesentirleventfraisquis’engouffraitdanslapièce.Çaluipermettraitderecouvrersesesprits.
Ilpleuvait:degrossesgouttess’écrasaientsurlesolmeubleetsecdelacouretrésonnaientcommedesgrêlonssurletoitenfer-blancdel’annexe.L’airétaitchargéd’électricitéàl’approchedel’orageetc’estcequiexcitaitl’étalon,évidemment.
Greyposalamainsurlarampepourdescendrelestroismarchesetgardersonéquilibre.Lewhiskyqu’ilavaitabsorbéluibrouillaitencoreunpeulesidées,maisl’airquiluifouettaitlevisageluifaisaitdubien.Unéclairdéchiralecieltandisqu’ilsedirigeaitversl’écurie,puisleroulementdutonnerresefitentendre.Etenfondsonorerésonnaittoujourslebruitrégulierquil’avaitréveillé.
Des nuages de poussière soulevés par le vent volaient devant lui. Il jeta un regard à lamaison,plongéedansl’obscurité,portesetvoletsclos.Maissilebruitprovoquéparlechevall’avaitréveillé,lui,ilrisquaitégalementderéveillerVal.
Ilsedemandaits’illesouhaitaitounon.Cen’étaitpastroplemomentdesetrouverdenouveaufaceàValerieBeaufort. Il s’étaitmontré incapabledegarder sesdistances avec elleunpeuplus tôt, alorsqu’iln’avaitpasbuunegoutte.
Ilouvrit ladoubleportesur ledevantde l’écurieetentendit toutdesuitecemêmebruit régulier,plusfort.Ilentraetattenditquelquessecondes,laissantsesyeuxs’habitueràl’obscurité,puissedirigeaverslastalle.
Ilcompritquelebruitnevenaitpasdelà.Levoletsupérieurdelaportearrièredel’écurie,cetteporteàtraverslaquelleilavaitregardéValàsoninsupourlapremièrefois,s’étaitdétaché.
Leventlefaisaitbattreetclaquersansarrêtcontrelemurdel’écurie.Grey se dirigea hâtivement vers les stalles, à l’endroit où l’ouverture de la double porte laissait
filtrerlalumière.Aupassage,iljetaunœilàl’étalon.Kronusétaitagité,àcausedel’orageapprochantetdubruitdelaporte,maisplutôtcalmecomptetenudescirconstances.
Greyattrapalevoletaumomentoùilallaitclaquerdenouveau.Illuttacontreleventetparvintàlefermeretàbloquerlabutée.Ilrestaimmobilequelquessecondesdanslecalmerevenu,prêtantl’oreilleauxbruitsdudehors.Ilpleuvaitplusfort,lesgouttesmartelaientletoitdel’écurie.
Lesodeurssi familièresdesa jeunessesemblaientencoreplus intensesdans l’obscurité.La terresèchequiabsorbaitl’humidité.Lefoinmouilléquidéveloppaitsesparfums.L’odeurdeschevauxetdessellesdecuirpatiné.
Parsimpleprécaution,ilserenditàlastalledel’étalon,carsilebattementdelaportenel’avaitpaseffrayé,lapluienel’inquiéteraitpasd’avantage.
—Tuesunbongarçon,hein?chuchotaGreysuruntonapaisant.Ilnecaressapaslecheval.Ilétaitunétrangeretnevoulaitpasrisquerdel’effrayer.—Cen’estrien,justeunpeudeventetdepluie.Riendegrave.—Ilvabien?Ilseretournad’unblocetvitValeriedansl’entrebâillementdeladoubleporte.Sachemisedenuit
blancheluisaitdansl’obscurité,maisilnevoyaitpassonvisage.—Ilvabien,oui.Unvoletdelaportes’étaitdécroché.C’estçaquifaisaitcebruit.Elleneréponditpas.Ellevérifiaitpeut-êtrequelaporteétaitbienraccrochée.Ilnevoyaitqu’une
silhouettefantomatique.Soudain,unautreéclairzébralecieletl’éclaira.Pour se protéger de la pluie,Valerie tenait au-dessus d’elle une sorte de poncho. La lumière de
l’éclairlaissaentrevoirlapartieinférieuredesoncorpsàtraverslefintissu,presquecommeunrayonX.Unevisionfugace,puisl’écuriereplongeadansl’obscurité.
Greysentit lesangluimonteràlatête, tellementfortqu’iln’entendaitpluslapluie.Commesiuncônedesilences’étaitforméautourdelui,nelaissantfiltrerquel’imagedeValerieavecsachemisedenuitcolléeparlapluie.Unevisionencoreplusexcitantequesielleavaitéténue.
—Commentcelaa-t-ilpuarriver?demanda-t-elle,d’untonétrange.—Acauseduvent,ditGrey,dontl’espritétaitailleurs.Ilseremémoraitlasoiréequ’ilsavaientpassée;soncorpscontrelesien,lafaçondontelleavait
réponduàsonbaiser,commesielleavaitattenducemomentdepuisplusieursjours.Elle entra dans l’écurie et referma les portes derrière elle.L’obscurité était presque totale,mais
Greypercevaitnéanmoinsqu’elles’approchaitdelui.Peut-êtrepourallerinspecterlaportearrière,cequisignifiaitqu’ellepasseraittoutprèsdelui.Siprèsqu’ilpourraitlatoucher.
«Latoucher.»Cesmotsrésonnèrentdanssatêteetilluttacontreeux.C’estparcequejesuisivre,sedit-il,quel’idéedelatoucherm’atraversél’esprit.
Ilnedevaitplusriensepasserentreeux.Iltravaillaitpourelle,ilnedevaitpluslatoucher.Déjàunepremièrefoisiln’avaitpasréussiàsemaîtriseretcettefois…
Cettefois, toutauraitétémieuxs’iln’avaitpasétésiprèsdelafemmequ’ilétaitcenséprotéger.Maisn’était-cepascontradictoirepuisqu’ilétaitsongardeducorps?
Sesyeuxs’habituèrentàl’obscurité,etildistingualescontoursdesoncorps,commesielleprenaitsoudainforme,siprochequ’ilpouvaitsentirleparfumdesonshampooing,évocationimpalpabledecequis’étaitpassédanslasalledebains.
—Vraiment, il va bien ? répéta-t-elle d’un ton dubitatif. Lorsque j’ai entendu du bruit, j’auraisjuré…
Ellerepliasonponcho,enprenantsoindenepaslefroisser.—Jesais,ditGrey,quis’efforçaitdenepasrespirersonparfum,denepaspenseràelle.Jel’aicru
aussi,maismêmelebruitdelaportenel’apaseffrayé.—Vouscroyezquequelqu’unluia…faitquelquechose?Jeveuxdire,cematin.—Quoiparexemple?—Jenesaispas.Faitmal,oudonnéquelquechose.Halleyaparlédemauvaisesherbes.—Vousvoulezdirequequelqu’unluiauraitfaitmangerquelquechose?Çaluisemblaitpeuvraisemblable.Lesétalonsétaientparnatureinstables,etendépitdecequ’il
avaitditaumédecin,ilattribuaitlecomportementduchevalàcetteinstabilité.—Oul’auraitdrogué,ditdoucementValerie.Greycompritqu’elleavaitcette idéeen têtedepuisunmoment. Il sedemandapourquoiellen’en
avaitpasparléplustôt.—Avecquoi?C’étaitun sujet sur lequel iln’étaitpas très calé,mais ildevaitbienexisterdes substancespour
rendreunchevalfou,toutcommeilyenavaitpourrendrelesgenspsychotiques.—Jenesaispas.Jepensaisappelermonvétérinaireetluiposerlaquestion.—Vouscroyezvraimentqu’onauraitpuprovoquerçademanièredélibérée?Ellehésitaavantderépondre.—AutryCarmichaelarappeléaprèsvotredépart.—C’estl’Autryquin’estpasvotrepetitami?—C’estlechefdelasécuritéd’Av-Tech.—Etilpensequequelqu’unaputoucheràl’étalon?—Non,pasvraiment.Nousn’avonspasexactementparlédeça.Ilattendit,maisellenesemblaitpasdécidéeàcontinuer.Elleposadoucementleponchoausolet
allajusqu’àlastalle.L’étalontenditlatêteverselle,etelleluicaressadoucementlechanfrein.
LeseffluvesdeshampooingetdesavonenveloppaientGrey, tantValerieétaitprochede lui. Ilsedemandasiellesentaitsonhaleinealcoolisée.Detoutefaçon,ilétaittroptardpours’ensoucier.
—Vousattendezquejevousdisedequoinousavonsparlé?Elle le regardade facepour lapremière fois. Ilauraitpuprendresonmentondanssamain.Elle
étaitàunpasdelui.Siprèsque…—Nousavonsparlédevous,dit-elle.Il espérait que c’était bon signe, mais le ton qu’elle avait employé pour prononcer ces mots
indiquaitlecontraire.—Dequoi,exactement?demanda-t-il.SiCarmichaels’étaitrenseignésurlui,Greysavaitqu’iln’avaitpastrouvégrand-chose.C’étaitune
des clauses de sa « démission ».LaCIAne souhaitait pas que l’on puisse établir un lien entre lui etl’agence,plusexactementavecl’équiped’ExternalSecurity,quiexistaittoujours.
—Depeudechose,àvraidire.—Peut-êtreparcequ’ilyapeudechoseàdire.—C’estexactementcequ’aditAutryetcequil’arendususpicieux.Qu’iln’yaitpasgrand-choseà
dire,vuqu’onnetrouveriensurvous.Pourriez-vousm’expliquerpourquoi?—Jecrainsdenepascomprendre.Trèsmauvaiserepartie,songeaGrey.Comptetenudel’entraînementqu’ilavaitreçu,ilauraitdûse
montrercapabledefairemieux.—Vouscompreneztrèsbien,aucontraire.Onnetrouveriensurvous,nullepart.Commesivous
n’existiezpasavantd’ouvrirvotrecabinetd’investigations.Etj’aimeraisbiensavoircequevousfaisiezavant,justement.
—Carmichaelnesavaitpasoùchercher,c’esttout.Greytentaitdegagnerdutemps,évaluantcequ’ilpouvaitluidireoupas.—Ilconnaîtsontravail,maistoutetracedevousaétéeffacée.Demanièreprofessionnelle,ajouta-
t-elle.—Carmichaelvousaditça?—Jevousenprie,nejouezpasavecmoi.Riendecequejevousdisnevoussurprend.Laseule
chosequivousétonne,c’estqueCarmichaelaitpuledécouvrir,maisc’estunautresujet.—Jenesaispasdequoivousparlez.Ilnepouvaitrienavouersansbriserlestermesdesonaccordavecl’agence.Orilmettaitunpoint
d’honneuràrespectersaparole.Pourtant,avant,iln’auraitjamaisbuenmission,nieudeliaisonavecunefemmequ’ilétaitcensé
protéger.Touslesprincipessurlesquelsilavaitvécus’effondraientlesunsaprèslesautres,sansqu’ilcomprennepourquoi.
Ce qu’il ressentait pourValerieBeaufort, depuis lemoment où il l’avait vue poursuivre l’étalonavecsesbéquillesmalgrésablessure,enétaitpeut-êtrelacause.
—Pourquoibénéficiez-vousd’unecouverture?demanda-t-ellesoudain.—Jenebénéficied’aucunecouverture,dit-il,cherchantàfaireparaîtrecetteidéeridicule.Jesuisà
moncompte,jefaisdelapublicitépourmonaffaire,monnuméroestdansl’annuaire.VérifiezauprèsdeJoeWallace.
—OudeBeneficialLife,oui, je sais.MaisBeneficialLifen’en saitpasplusquemoi survous,Wallaces’étantportégarantdevous.EtWallacesembleavoirdisparu.Alors…jenesuisplustrèssûredesavoirpourquoivousêteslàaujuste,monsieurSellers.
—Jesuislàparcequ’onmepayepourfaireunboulot…—Etessayerdememettredansvotrelit,çafaisaitpartiedevotreboulot?Oubienétait-cejuste
une…compensationquevousvouliezvousoctroyer?demanda-t-elledoucement.
Greynecompritpastoutdesuitesaquestion,peut-êtreàcausedeseffetsdel’alcool.Ouparcequeles recherches de Carmichael l’inquiétaient. Il n’avait pas imaginé que Val puisse penser que ce quis’étaitpasséentreeuxpouvaitavoirunlienaveccequeCarmichaelavaitdécouvert.
—Non,répondit-il.C’étaitlavérité,biensûr.Iln’yavaitaucunrapportentresamissionetcequis’étaitpasséentreeux.—Alorstoutças’estproduitparcequejesuisunebombesexuelle?Unefemmetellementattirante
quevousn’avezpaspurésister?demanda-t-elleavecironie.—Iln’yariende…Ils’interrompit,comprenantqu’ellen’étaitpasprêteàrecevoirquelqueexplicationquecesoit.Et
d’ailleurs,lui-mêmeavaitétélepremiersurprisdesesentirattiréparelle.—Jen’aipasd’agendacachésurlequelfigurevotrenom,dit-ilaulieudechercheràs’expliquer.Elleéclatad’unrirevindicatif.—Tout ce qui vous concerne est caché d’une manière ou d’une autre. J’essaye simplement de
comprendrepourquoi.Etdecomprendrecequevousfaitesici.—Onm’aengagépourvousprotéger.—Contrequoi?—Contre…n’importequoi.—Contreceuxquicherchentàs’emparerdelafortunedesautres?—Pastantqu’ilsnecherchentpasàvousfairedemal.—Pourtant ilmesemblequec’est lecas.Pasphysiquement.Maisquisait?L’argentpeutrendre
fou.Est-cevotrecas,monsieurSellers?L’argentpeut-ilvousfairefairedeschosesaussiabsurdesquedetenterdecoucheravecunefemmequevousconnaissezàpeine?
Greyneréponditpas.Iln’arriveraitpasàlafairechangerd’avis.Elleavaitfaitunlienentrecequis’étaitpasséentreeuxetcequeCarmichaelluiavaitdit,etelleenavaittirédesconclusionserronées.
—Jeveuxquevousayezquittémapropriétédemainmatinauplustard,asséna-t-ellebrusquement.Sesparolesétaienttranchantes,pleinesdecolère.Elletournalestalonsetpartit,maisilluisaisitle
poignet:elleseretournaetcroisasonregard,sanschercheràselibérer.Ilnedécelaitaucunetracedepeursursonvisage.
—Cen’estpasvousquim’avezengagé,jenecroispasquevouspuissiezmevirer.—Vousnefaitesquevouscacheretmesurveiller,dit-ellefroidement.—LesgensdeBeneficialLife…—Risquentdenepasapprécierdesavoirquevousbuvezpendantvosheuresdetravail.Ilrestainterdit,cequiétaitapparemmentl’effetqu’ellerecherchait.— Ils apprécieraient encoremoins que je vous laisse ici sans protection, répliqua-t-il après un
moment.—Vousnetrouvezpasbizarrequeriendedangereuxnemesoitarrivéavantquevousn’arriviez?
Euxtrouveraientçabizarre.— Vous croyez que j’ai fait quelque chose à votre étalon ? demanda-t-il avec indignation,
comprenantoùellevoulaitenvenir.— Je trouve simplement étrange que cela se soit passé le matin suivant votre arrivée. Avec un
chevalquin’ajamaiseucetypedecomportementavant,quiplusest.—Vouscroyezquejechercheàvousfairedumal?—Non,pasvraiment,sansquoij’auraisétéstupidedeveniricicesoir,n’est-cepas?Jenesuis
pasidiote,monsieurSellers.—Qu’aurais-jeeuàgagneràprovoquerlapaniqueducheval?—L’occasiondefairepreuved’héroïsme.L’opportunitédevousproposerpourmedorloter,etainsi
nousfairenousrapprocherl’undel’autreaufildesjours.Vousespériezquejefiniraispartomberdans
vosbras.C’étaitça lescénario?Ethistoiredefinir le jeucommencéunpeuplus tôtdans lasalledebains, faire battre une porte et provoquer une rencontre impromptue dans l’écurie.Vous saviez que lebruitmeferaitvenir.Vousaviezprévuquenousnousétreignionsdanslapaille?Ondiraitquevousvousétiezmême habillé pour l’occasion, lui lança-t-elle, faisant allusion à son torse dénudé. J’ai déjà puadmirervosatours,jen’aipasbesoinqu’onmerejouelefilm.
—Cequis’estpassécesoir…— Aviez-vous besoin d’être ivre pour trouver le courage de jouer la scène de la séduction ?
Dommagequevousn’ayezpuconvaincreWallacedejouerlerôledugardeducorps.Ilapeut-êtreplusdecouragequevous.
—Quelestvotreproblème,bonsang?Malgréleveninqu’elleluicrachaitàlafigure,jusqu’àcetinstant,iln’avaitpasvraimentcompris
dequoielleparlait.—Jesuisvenue,j’aifaitcequej’avaisàfaire.Jeveuxquevoussoyezpartiquandjemeréveillerai
demainmatin.—Jen’enaipasaprèsvotreargent,pasplusqueJoeWallace.BeneficialLifem’aengagésursa
parole.Çasepassecommeçapourcetypedeboulot.Iln’yariend’étrangeàça.—Et chercher à faire l’amour avecmoi vous est venu commeça, sansquevousy ayez réfléchi
avant,biensûr.—Pascomplètement.— La vérité va-t-elle enfin surgir, monsieur Sellers ? ironisa Valerie. Se confesser est toujours
bénéfique.Il y avait bien longtemps qu’il ne s’était pas confié à quelqu’un.Mais il lui devait la vérité, au
moinsàcesujet,quellesqu’ensoientlesconséquences.Derrièreletonironiquequ’elleavaitemployé,ilsentaitpoindreunedouleurqueseulelavéritépouvaitguérir.
—Vousm’attirez,cen’estpasuncrime.Etçan’arienàvoiravecvotreargent.Elleéclataderireetilsentitlacolèrel’envahir,unecolèrecommeiln’enavaitpaséprouvédepuis
longtemps.—Vousnemecroyezpas?—Jenesuispasnaïveàcepoint.Jesaisquijesuisetcequejesuis.Jenemefaispasdefausses
idées.—Etvousêtesquoi,aujuste?—Unefemmetrèsbanale.Avecunvisagecommun,etuncorpscommun.Jenesuispasunefemme
attirante au premier coup d’œil. Pas pour quelqu’un comme vous dumoins.Vous ne feriezmême pasattentionàmoisivousmecroisiezdanslarue.Jelesaistrèsbien.
Lepire,c’estquec’étaitvrai,songeaGrey.Lui-mêmen’arrivaitpasàs’expliquercequil’attiraittantchezcettefemme.Çavenaitpeut-êtredesoncourage,desapugnacité.Ouencoredelavulnérabilitéquiaffleuraitderrièrelaforcequ’elleaffichait.
—Jen’aipascherchéàcequ’ilarrivequoiquecesoitentrenous,croyez-moi.—Jevousaifaitperdrelatêtealors,c’estça?dit-elle,railleuse.Ilpritsonvisageentrelesmainsetl’attiraàlui.Ill’embrassa,sedisantqueçalaferaitaumoins
taire.Ilnesavaitpascequ’ilcherchaitàprouver.Ilnefaisaitqueréagiràladouleurprovoquéeparses
railleries.Elleneréponditpasàsonbaiser.Aprèsunlongmoment,ildécollaseslèvresdessiennesetilla
regarda.Lafroideurqu’illutsursonvisageluitransperçalecœur.—Jeveuxquevoussoyezpartidemainàmonréveil.Jeveuxquevousnesoyezplusqu’unmauvais
rêvequ’onoublieaumatin.
Elle tentade se libérer de son étreinte. Il nevoulait pas la laisser partir avec toutes ces faussesidéesentête,maisilnesavaitpasquoidire,etilfinitparlalâcher.
Iln’auraitjamaisdûtomberamoureuxdeValerieBeaufort.C’étaitsansissue.Alorsqu’est-cequeçapouvaitbienfaire,cequ’ellepensaitdelui?
Ellerestafaceàluiàledévisageruninstant,puiss’enalla,sefondantdansl’obscurité.«Jeveuxquevoussoyezpartiàmonréveil.»Ehbien,ils’enirait.
7
Grey savait qu’il allait réveillerWallace quand il composa son numéro sur son portable, et quecelui-cineseraitpasravid’entendrecequeGreyavaitàluidire,encoremoinsàcetteheure-là.
Après ce fiasco, JoeWallace ne lui confierait plus aucune mission. Valerie Beaufort et l’agentd’assurancesseparleraient,etl’affaireseraitpliée.
—Jeparsparcequ’ellem’afichudehors,réponditGreyàunJoevisiblementébahi.Sans détours et sans explications, il avait asséné à Wallace qu’il fallait qu’il lui trouve un
remplaçant.— Je resterai dans le secteur le temps que tu trouves quelqu’un,mais je te conseille de ne pas
traîner.—Etcommentvais-je fairepourdénicherquelqu’unà…5heuresdumatin?DemandaJoeavec
colère.Qu’est-cequetucroisque…—Lesystèmedesécuritéserainstallédansdeuxjoursauplustard,lecoupaGrey.Alorsd’icilà,
envoien’importequi,levigiledel’épicerieducoin,unflicàsoncompte,oualorsvienstoi-mêmejouerlesbaby-sitterspourMlleBeaufort,jem’enfiche.Trouvequelqu’un,c’esttout.
—Commentt’es-tudébrouillépourqu’elletefichedehors?— J’ai irrité la demoiselle, ce qui n’est pas très difficile car elle traîne un certain nombre de
complexes.Grey regretta instantanément ses paroles.Quelque part, il trahissaitValerie,même si ses propos
n’étaientpasdénuésdevérité.Maisluiaussiavaitdescomplexes,dontilnefaisaitpasétatauprèsdeJoeWallace.
—Quelgenredecomplexes?demandaJoe,intéressé.—Elleadumalàseconvaincrequ’onpuissenepasenvouloiràsonargent,parexemple.Cetteexplicationsuffisait,iln’endiraitpasplus.—Vul’ampleurdesafortune,jelacomprendsunpeu,remarquaJoe.—Trouvequelqu’und’autre,c’esttout.—Tuesencorelà-bas?Tun’asquandmêmepasdécampéenlalaissanttouteseule?L’inquiétudedeJoeétaitperceptible.—Jesuissurlacornichequidomineleranch.Ellem’ademandédequittersapropriété,jel’aifait.
Je vais rester là unmoment,mais quand le soleil va semettre à taper, je vaisme retrouver dans unesituationdifficile.
—Jepeuxpasinventermoi-mêmeuntypequivienneteremplaceraupiedlevé,ilfautquetumelaissesunpeudetemps.
—C’estexactementcequejetedis.Tuasunpeudetemps.SituveuxquetaValerieBeaufortsoitsousprotection,alorsbouge-toilesfessespourtrouverquelqu’unavantquejenegrillesurplace.
Il raccrocha, coupant court aux protestations de Joe. Il savait qu’il le mettait dans une situationdélicate, mais il n’y pouvait rien. Joe lui avait dit que cette mission serait du gâteau. S’il en étaiteffectivementconvaincu,iln’auraitpasdemalàluitrouverunremplaçant.
«Et si Joe se trompe?»ValerieBeaufort était très riche.Ce qui ne signifiait pas qu’elle étaitforcémentendanger.SelonWallace,ilyavaitpeuderisquesqu’onchercheàl’enlever.EtGreynevoyaitpasderaisonspourqu’onveuilleluifairedumal.
Wallace avait besoin que quelqu’un soit auprès d’elle pour respecter les termes de la policed’assurancesetcouvrirsesarrières.Etjusqu’àcequ’iltrouvequelqu’un…
Greyréglases jumelleset lespointaendirectionduranch.Dans la lumièredusoleil levant, toutsemblaitd’uncalmeparfait. Iln’yavaitpasde lumièresalluméesdans lamaison,Valeriedevaitdoncdormir.
Ilposasesjumellesets’appuyacontreunrocher.Ils’étaitdéjàarrêtésurcettecornichelejourdesonarrivée,carilsedoutaitqu’elleoffraitunebellevuesurleranch.Cependantiln’avaitalorspaseuàgrimperdansl’obscurité,commeilavaitdûlefairecettefois-ci.
Cette corniche était aussi un bon endroit pour réfléchir, s’éclaircir les idées. Il avait pris uneaspirineetespéraitqu’elleallaitfaireeffet.Etcontrairementàcequ’ilavaitditàJoe,ilétaitàl’abridusoleiletdesregards.
Ilavaittoutfaitcapoter.Ilavaitlaissépasserl’occasiondegagnerassezd’argentpourépongersesdettesetmaintenirsoncabinetàflot.Toutçaparcequ’iln’avaitpasétécapabledeseretenirdeposerlesmainssurValerie.Lafemmequ’ildevaitprotéger.Ilfermalesyeuxpourapaisersamigraine,repensantauxjoursprécédents,àelle,etàtoutesseserreurs.
LesproposdeValerieàproposdeKronus le taraudaient.Est-cequequelqu’unavait faitensorted’exciter l’étalon?Sioui,pourquoi?Siquelqu’unvoulaits’enprendreà la jeunefemme,ceprocédésemblaitunpeucomplexe.Pourtant…
Il se saisit demanière impulsive de son portable, et composa un nouveau numéro, qu’il n’avaitencorejamaisutilisé.Unnumérolaissésursonrépondeurdepuissixouseptmoisenviron.
Le numéro de quelqu’un qui se croyait redevable envers lui, et qui savait renvoyer l’ascenseur.Tandisqueletéléphonesonnait,ilcherchaàévaluerledécalagehoraireentreluietsondestinataire.Ildevaitêtretrèstôtdansl’Est,maispeuimportaitlorsqu’onappelaitLucasHawkins.
Lorsquecelui-cidécrocha,savoixétaitalerte,pascelledequelqu’unqu’ontiraitdulit,commeJoeWallace.
—Hawkins.Cette voix familière toucha Grey au cœur. C’était comme s’il lui avait parlé la veille et qu’ils
travaillaientencoreensemble.—Tuaslaissétonnumérosurmonrépondeur,ditGrey.Il n’était pas sûr depouvoir parler sans s’effondrer, s’il disait quelque chosedeplus intime.Un
courtsilencesuivit.—Contentquetuaiesfiniparl’utiliser,réponditHawkins.—Cen’estpascequetucrois.J’aisimplementbesoindedeuxinformations.Greynevoulaitpasqu’ilyaitdemalentendusurlebutdesonappel.—Laisse-moiletempsdeprendredequoinoter.Greysavaitquesarequêtenerencontreraitpasd’obstacles.Nidequestionssur l’endroitoùilse
trouvaitoularaisonpourlaquelleilavaitbesoindecesinformations.—Vas-y,jet’écoute,ditHawkins.
—Situcherchaisàrendreunchevalfou,queltypededrogueutiliserais-tu,etcommentlaluiferais-tuprendre?
—D’accord,jevois.Greyattendit,sachantqueHawkinsnotaittout.—Secondequestion?— Je voudrais que tu te renseignes sur une société nommée Av-Tech, spécialisée dans la
technologiepoursatellitesetmissiles.Etpeut-êtreencoredansd’autresdomaines,maisjen’ensuispassûr.
—Çamarche,ditHawkins.Tucherchesquelquechoseenparticulier?—L’organigramme de la société, un point précis sur leurs activités et sur les gens pour qui ils
travaillent,lesrumeurséventuelles,toutcequipeutparaîtrelouche,ettoutcequiattireratonattention.Despleursdebébérésonnèrentsoudaindansletéléphone.Greyrapprochal’appareildesonoreille,
sedemandantsic’étaituneinterférence.Cemoyendecommunicationn’étaitpasleplussûr,maisc’esttoutcequ’ilavaitsouslamain.
—Désolépourlebruit,ditHawkinsd’untonamusé.—Ondiraitdespleursdebébé.—Oui,c’estmonbébé.—Ton…bébé?—GreysonCabotHawkins,deuxmois.Jecroisqu’ilafaim,maisjenesuispasencoretrèsdoué
pourdécrypterlelangagedesenfants.«GreysonCabotHawkins.»Greysentitsagorgeseserrer.—Tun’étaispasobligédel’appelercommemoi,tusais.Hawkins éclata de rire. C’est du moins ce que Grey crut percevoir. Il n’avait pas souvenir de
l’avoirjamaisentendurire.—Sanstoi,jen’auraispasétélàpourdonnerunprénomàmonfils.Alorsc’étaitlamoindredes
chosesquejepouvaisfaire.Greynetrouvarienàrépondre.Aucunsonnesortaitdesagorgenouée.Ilsedemandapourquoiil
avait attendu si longtemps pour l’appeler. SiValerie n’avait pas été impliquée, peut-être en danger, iln’auraitjamaiscomposélenumérodesonex-collègue.
— Tu travailles toujours avec Griff ? demanda-t-il, plutôt que de commenter la gratitude deHawkinsenverslui,etd’exprimersessentiments.
—GriffetJordan.Lesportesdel’équipetesonttoujoursouvertes,tusais,ditHawkinsd’unevoixlégère,presqueamusée.
—D’autrespersonnesquejeconnaisvousontrejoints?—Deuxseulement.Noussommestrèssélectifs.—Pastantqueça,ditGrey.Hawkins lui avait proposéde les rejoindre, c’est pourquoi il l’avait appelé. Il avait parlé d’une
agence de protection montée par trois ex-agents de la CIA. Hawkins avait insisté pour qu’il intègrel’équipemalgrécequis’étaitpasséaucoursdeladernièremissionqu’ilsavaienteffectuéeensemble.
Grey n’avait jamais donné suite, car il savait qu’il n’avait plus le profil. D’autres membres del’équipepouvaientbienretournertravaillerpourGriff,maisluinefaisaitpluspartiedesleurs.Etcequis’étaitpassélaveilleausoirvenaitdeleconfirmer.
Venantdeperdre toutechancedesauvegarder soncabinet, il auraitdûse sentir rassuréqu’on luiréitèreuneoffred’emploi.Maisnon.
IlsedoutaitqueGriffetlesautressavaientcequ’ilfaisaitdepuisqu’ilavaitquittél’équipe.Tout.Même ce qu’il aurait aimé leur cacher.Griff Cabot ne serait jamais resté sans s’informer sur ce que
devenaientlesmembresdesonéquipe.C’étaientseshommes,c’estluiquilesavaitentraînés,etGriffsesentiraittoujoursresponsabled’eux.
Dans soncas, luiproposerde rejoindrecettenouvelle agencen’était riendeplusqu’ungestedecharité.EtGreyn’étaitpasprêtàaccepterça,mêmedelapartdeGriff.
—Sijamaistuchangesd’avis…,ditHawkins.—Jenechangeraipasd’avis,maismerciquandmême.Bienque tousdeuxnefussentpasbavards, iln’yavait jamaiseuentreeuxdesilencegêné.Cette
fois,si.—Oùpuis-jetejoindrelorsquej’aurai lesinformationsquetum’asdemandées?finitparlâcher
Hawkins.Grey ne savait pas où il serait dans les jours à venir. Toujours là, sur sa corniche, àmoins que
Wallacenetrouvequelqu’unrapidement.Illuidonnasonnumérodeportableetceluidesonbureau.—Jesaisquejet’endemandebeaucoup,maisplustôttupourrasmerappeler,mieuxcesera.—Çamarche.—Merci…Hawk.—Tumeremercierasquandj’auraitrouvécequ’iltefaut.—Jeneparlaispasdeça,jevoulaisdire…pourlebébé.Ilyeutunnouveausilence.Cesmotsétaientsortistoutseulsmalgrélaforteetinhabituelleémotion
quil’étreignait.—Unenfantabesoindeprendreunbondépartdanslavie,réponditHawkins.C’estlemeilleurque
je pouvais lui donner. Et je n’attends rien en retour, rassure-toi, ça ne me viendrait pas à l’idéed’encombrerunenfantavecunprénomcommelemien.
Greyéclataderire.—Çafaisaitunboutdetempsquejenet’avaispasentendurire,ditHawkins.—Etlamèredubébé,commentest-elle?Grey etHawk ne s’étaient jamais rien confié sur leur vie privée.Mais jamaisGrey ne se serait
imaginéLucasHawkinsinstallédansuneviedefamille.Avecunbébé,bonsang!—Elleaducran.—C’estlapremièrechosequetuasremarquée?demandaGreyavecunsourire.—Non,pasvraiment.Maisaufinalc’estcequicompte,plusquetoutlereste.— J’aimerais bien rencontrer la femme qui a accepté de vivre avec toi, dit Grey, conscient de
prononcerunephrasedetrop.C’étaittroppersonneletçadonnaitl’impressionqu’ilsouhaitaitrenoueravecHawkins.—Çapourraits’arranger,ditcelui-ci.—Pasdanscettevie, j’enaipeur, réponditGreydemanièreabrupte.Appelle-moidèsque tuas
quelquechose,oumêmesitunetrouvesrien.J’aibesoindesavoir.—Entendu.Est-cequeçatedérangesijedisàGriffquetum’asappelé?Greyréfléchituninstant.Aprèstout,commeilcherchaitdesrenseignements,Griffpourraitpenser
qu’ilfaisaitencorequelquechosedevalable,cequiseraitunepetiteconsolation.—Dis-luiquejesuisheureuxqu’ilaitsurebondir.Quand laCIAavaitdémantelé l’équiped’ExternalSecurity, elle avait enmême temps«détruit»
l’hommequi l’avait créée.Mais tel le phoenix,GriffCabot était parvenu à renaître de ses cendres etavait réuni lesanciensmembresde sonéquipeau seind’unenouvelleorganisation, avecunenouvellemission:protégerceuxquiavaientbesoindescompétencesparticulièresqu’ilsavaientdéveloppéesaucoursdeleurcarrièreàlaCIA.Greyauraitaiméenfairepartie,maiscetteépoqueétaitpourluirévolue.Lanuitdernièreétaitlàpourleluirappeler.
—Jeleluidirai,assuraHawk.
—Merci,ditGrey,lagorgeserrée.Ilraccrochabrutalementetjetaletéléphoneàcôtédelui.Ilajustasesjumellesetbalayalesecteur.IlvitValeriesortirdelavérandaensetenantàlarampe.
Ilgardalesjumellespointéessurelle,commeelletraversaitlacourendirectiondel’écurie.Ellenejetapasmêmeunregardversl’endroitoùsonpick-upavaitétégaré:elleluiavaitdonnéun
ordre, ilavaitobtempéré.Asa façon,biensûr. Ilne lui restaitplusqu’àattendresonremplaçant,et ilsortiraitdéfinitivementdelaviedeValerieBeaufort.Lameilleuredeschosespoureuxdeux,sansdoute.
***
GreyavaitsuggéréàWallaced’engagerlevigiledel’épicerieducoinsanspenserquecedernierpourraitleprendreausérieux.Cetypeportaitunesorted’uniformedeflic,constata-t-il,incrédule.
GreyregardalenouveaugardeducorpséchangerunepoignéedemainavecValerie.Ilétaitpetitettrapu, sonventre passait par-dessus la ceinture de sonpantalon et il avait des cheveuxgrisonnants degrand-père.Mais ilétaitarmé,c’étaitdéjàça.Greypointases jumellessursonarmeet,à la tailledel’étui,enconclutquecedevaitêtreungroscalibre.
Valerie,dudoigt,luiindiqual’annexe.Greysedemandabrièvementcequ’ellepensaitàcetinstantprécis,sielleregrettaitdel’avoirrenvoyé.«Maispourquoileregretterait-elle?Tuasprouvéquetun’étaispascapabled’adopteruneattitudeprofessionnelle.»
Ils’étaitfaitvirer,alorsqu’est-cequ’ilfaisaitencorelà,àtranspirersouslesoleil?Ilnepouvaitrien faire de plus.ValerieBeaufort avait un nouveau garde du corps, il n’avait officiellement plus detravail,alorsilétaittempsdemettrelesvoiles.
Avecsesjumellesillaregardaunedernièrefois,gravantsonimagedanssonespritavantqu’ellenetourneles talonsetparteaveclegardeendirectiondel’annexe.Elleboitaitplusfortquele jouroùill’avaitrencontrée.
Unfrissond’émotionleparcourutalorsqu’illaregardaits’éloigner.Maiscettefois,ilsavaitqueçan’avaitrienàvoiravecdelapitié.
Il était bientôtminuit. Grey avait rangé toutes ses affaires à l’arrière de son pick-up, dans deuxvalisesetunsacdevoyage.Ilavaitpresquefinidedébarrassersonbureau,quid’ailleursnecontenaitpasgrand-chose.
IlposaledossierdeladernièreaffairetraitéepourJoedansuncoin,au-dessusd’unepile.Ilavaitl’intentiondetoutdéposerchezWallaceenquittantlaville,lelendemainmatin.
Toutenvidantsestiroirs,ils’étaitatteléàdiversestâches.Ilavaitparcourusesrelevésbancaires,vérifiantcequ’ilrestaitdel’avancequ’ilavaitreçue.BeneficialLifeavaitsûrementledroitderéclamerunremboursementpartiel,étantdonnéqu’ilavaitoccupésonpostemoinsd’unesemaine.
Il parcourut une dernière fois la pièce des yeux avant de s’asseoir et d’ouvrir le classeur quicontenaitlesnotesdudossierBeaufort.Ill’avaitdéjàfaitl’autrejouraprèsledépartdeJoe.Ilyavaitpeuàlire.
Ilpritunstyloetcommençaàrédigerlesconclusionsdel’affaire,cequ’ilfaisaittoujourslorsqu’ilclôturaitundossier.Samainhésita,ensuspensau-dessusdesnotesqu’ilavaitprisesquelquesjoursplustôt. Il ne savait pas quoi écrire. Viré pour cause de conduite inappropriée et manque deprofessionnalisme?
C’étaitcequiserapprochaitleplusdelavérité,maisilnel’écrivitpas.Ilreposalestyloetfermaledossier.Joeenferaitcequ’ilvoulait.Ilposaledossiersurlapile.
Letéléphonesonnaetilsedemandaquipouvaitbienl’appeler.Wallace,quiavaitvudelalumièreàlafenêtredesonbureauenrentrantchezlui?Hawkins?Oualors…
Non,Valerien’avaitpassonnuméro.Et ilsavaitqu’ellene l’appelleraitpasde toutefaçon.Ilsefaisaitdesillusions.Ildécrochaàlasecondesonnerie,s’attendantàentendrelavoixdeJoe.Maisc’étaitHawkins.
—J’aiunepartiedesrenseignementsquetum’asdemandés,dit-il.Av-Tech, pensa Grey. Il n’avait pas fallu longtemps à cet ex-agent de la CIA pour trouver des
renseignementssurlasociété.S’ilavaitfaitcorrectementsontravail,ilauraitcherchécesrenseignementslui-mêmeavantdeserendreauranch,aulieudes’enteniràl’avisdeJoeWallace,quivoyaitceboulotcommeunebagatelle.
—O.K.,dit-ilenprenantunstylo.IlouvritledossierBeaufortdel’autremain.— En fait, plusieurs drogues peuvent exciter un cheval. La plupart agissent rapidement après
injection.Deuxautrespeuventêtremélangéesà lanourritureducheval,mais sansqu’onpuissedireàquel délai elles sont ensuite susceptibles d’agir. Ça dépend du temps qu’il fait, de la constitution ducheval,delaquantitédedrogueabsorbée.
—Donclemoyenleplussûrpourqueladroguefasseeffetàunmomentdonnéestdepratiqueruneinjectionintraveineuse.
—C’estàpeuprèsça.Tuveuxlenomdesdrogues?—C’estsurtoutleurseffetsquim’intéressent.—Est-cepourcompareràunévénementquiadéjàeulieu?—Enfaitj’avaisjustebesoindesavoirs’ilyavaiteffectivementdesdroguessusceptiblesdefaire
devenirunchevalfou.TuasquelquechosesurAv-Tech?—Griff travaille encore dessus. Ce nom lui dit quelque chose, mais il cherche quoi. Il voulait
vérifier. Il a encore des contacts à l’agence. Moi, je suis persona non grata. Ou non persona, toutsimplement,ditHawkinssurletondelaplaisanterie.
GreyauraitpréféréqueGriffnes’enmêlepas,maisilsavaitquesonancienpatronétaitleplusàmêmededécouvrirs’ilyavaitdessecretscachésauseindelasociétédeValerie.
— Je comprends ce que tu ressens, dit Grey. La personne qui s’est occupée d’effacer mesrenseignementspersonnelsaeulamainlourde.
—C’estleursméthodesaujourd’hui.Surtoutpournous.Jeterappelledèsquej’aidesnouvellesdeGriff.
—Merci,ditGrey.Il raccrocha, les yeux posés sur les notes qu’il venait de prendre. Il savait qu’au moins deux
substancespouvaientrendreunchevalfou.Unedrogueadministréeparinjectionsiquelqu’unvoulaitêtresûrqu’ellefasseeffetaumomentoùValeriesortiraitdelamaison.Quelqu’unquidevaitforcémentbienconnaîtreleranchouavoirsurveillédeprèsleshabitudesdelajeunefemmepoursavoiràquelleheureelle semettait au travail. Peut-être que quelqu’un avait surveillé le ranch depuis une corniche qui lesurplombait,commeluicematin.Ilyenavaitplusieurstoutautour.
Danscettehypothèse,celuiouceuxsusceptiblesd’avoirfaitçadevaientsetrouverauranchl’autrenuit,etn’auraientpujustifierleurprésences’ilsavaientétésurpris.Maisqu’auraiteuàgagnerquelqu’unàrendrel’étalonfou?Greyreposalestyloetcontemplalanuitau-dehors.
Avoirlemalpartout,ilcommençaitàsesentirparanoïaque.L’étalonavaittrèsbienpus’affoleràcausedesanatureinstable.Maisdanscecas,Greyn’étaitpas
plusavancé.Il sentait un vague sentiment d’inquiétude au creux de son estomac.Le sentiment qu’il se passait
quelquechosetandisqu’ilétaitlààrangeretclassersesdossiers,àfairel’étatdesescomptes.EtcependantqueValerie…
Ilinspiraprofondément,sentantl’anxiétémonterenlui.PendantqueValerieétaitlà-basentraindedormir,protégéeparcevigiled’épicerie,sedit-il.
Cetypeavaitunearme,maisiln’avaitpasuneallureàsavoirs’enserviravecdextérité.Maiss’enservir contre quoi ? se demanda Grey, irrité. Contre les ombres ? Les chevaux ? Les théories ducomplot?
Ne demeurait que cette terrible intuition qu’il se passait quelque chose de grave là-bas, dedangereux.UnesituationàlaquelleleguignolenvoyéparJoenesauraitpasfaireface.
C’étaitluiquiétaitcenséprotégerValerie.Etaulieudecela,ill’avaitabandonnée.S’iln’agissaitpas,unautrefantômeviendraithantersesnuits.Etcettefois,iln’ysurvivraitpas.
8
GreymitmoinsdedeuxheuresàparcourirlesroutessinueusesquimenaientchezValerie.Unefoisqu’il fut sur la corniche, ses jumelles à infrarouge lui permirent de constater que tout paraissait aussicalmequelaveilleàl’aube.
Pourtant,ilavaittoujoursl’intuitionqu’ilsepassaitquelquechosed’anormal.EtlesannéespasséesàlaCIAluiavaientapprisqu’ilfallaittoujoursécoutersoninstinct.
Ils’étaitretenud’allerjusqu’auranch.OnétaitenpleinenuitetValerie,ainsiquelevigile,étaientarmés ; ç’aurait donc été lameilleure façon de se faire tirer dessus parce qu’on l’avait surpris à sefaufilerdanslapropriétéalorsqu’ilétaitsupposéneplusrienavoiràyfaire.
Ilétaitdoncremontésurlacornichedansl’espoirdevérifierquesoninquiétude,quiluiavaitfaitfermersonbureaueteffectuercetrajetinfernal,n’étaitpasjustifiée.Ilavaitconduitbeaucouptropvitesurcesroutesdemontagnepérilleuses,sefiantàsessouvenirsetàsoninstinctpournégocierlesviragesenépingleàcheveux.
Tout laissait croire qu’il avait fait cela pour rien, se dit-il, balayant de ses jumelles les lieuxpaisibles.C’étaittantmieux,aprèstout.Ilneluirestaitqu’àpasserlanuitici,etdemain…
Ilmarqua un temps d’hésitation. Le souffle court, il pointa ses jumelles à l’endroit où il pensaitavoirvuuneformetapiedansl’ombre,entrel’écurieetl’annexe.
Bonsang.Ilnevoyaitplusrien.C’étaitl’endroitleplussombreduranch,etmêmesesjumellesàvisionnocturneneluipermettaientpasd’identifiernettementcequ’ilavaitvu.
Uneformeplusclairequisedétachaitsurl’obscurité?Quelquechosequiavaitbougé?Cepouvaitêtreuncoyote,unpuma,ouunprédateurbienplusdangereux:unhumain.
Ilbalayadenouveau lacourdeses jumelles,maisnevit rien.Laseule façondes’assurerdecequ’ilavaitcruvoirétaitdedescendre,d’allerinspecterleslieux.
Ledangerdecetteentreprisenel’arrêtapas.Ildescenditdelacornicheetremontadanssonpick-up.Valerieétaitlà-bas,etuneformerôdaitautourduranchdansl’obscurité.
Ildesserralefreinàmainaveclesentimentd’agircommeunidiot.Lacamionnettedévalalapenteenrouelibre.
***
UnsilencedemortentouraitGreytandisqu’ilévoluaitdecoinsombreencoinsombre,évitantleszonesexposéesauclairdelune.Riennebougeait.
Toutcequ’ilentendaitétaitlebruitdesespassurlescaillouxdelacour.L’airlui-mêmesemblaitensuspens.
Ilavaitlaissésesjumellesdanslepick-uppournepass’encombrer,negardantquesonarmesurlui.Cela faisait bien longtempsqu’il n’avait plus porté d’arme,mais la sentir dans sa paume lui semblaitaussi familier que de serrer la main d’un ami. C’était la même sensation que d’entendre la voix deHawkinsautéléphone.
Il contourna lamaison. Il voulait inspecter l’arrièrepuis sedirigervers la zone entre l’écurie etl’annexe,làoùilavaitcruvoirbougeruneombre.
Ilnes’attendaitpasà trouverquoiquecesoit, car il luiavait falluprèsd’unquartd’heurepourdescendredelacorniche.Laformequ’ilavaitaperçueavaitdonceutoutletempsdedisparaître.
Et pourtant, un sentiment de malaise grandissant s’emparait de lui, son instinct lui criait d’êtreprudent.Ilsedéplaçaitcommes’iltraversaitunchampdeminesouunmilieuhostile,entouréd’ennemisinvisibles.
Iltournaaucoindelamaison,rasalesmursdelavérandaarrière,etsedirigeaversl’endroitoùsetrouvaitlegroscongélateur.Iljetaunregardendirectiondelamaisonetcompritqu’ilyavaitquelquechosed’anormal:levantailqueValeriegardaittoujoursferméétaitdétaché,grandouvert.
Laporteelle-même,quisedétachaitfaiblementàlalumièredelalune,semblaitfermée.Etait-elleverrouillée?
Pourvérifierlaporte,ilposalepiedsurlapremièremarchedelavéranda,dontleboisgrinça.Ilsoulevalepiedengrimaçantetleposaavecprécautionsurlasecondemarche.
Aumomentoùilpénétraitdanslavéranda,ilaperçutuneformequisedéplaçaitàl’autreextrémitédelamaison.Ileutl’impressiond’uneprésence,aussitôtdisparue.Cettevisionavaitétésifugacequ’ilsedemandasielleétaitbienréelle.
D’unbond,ilseplaquadansl’ombre,derrièrelecongélateur.Ildistinguadesvêtementssombres.C’étaitlevigile.Greyavaitréagiassezvitepournepassefaire
tirerdessus.Malgréunefortepousséed’adrénalinequiattisasoninquiétudepourlafemmequidormaitdansla
maison,ilrésistaàl’enviedesereleverpourjeterunnouveaucoupd’œil.Ilavaitsous-estimélevigileenvoyéparJoe.Commelui,letypeeffectuaitdesrondes,vérifiaitles
accès. Lui, il l’avait surtout fait parce qu’il ne parvenait pas à trouver le sommeil, et ces insomniesn’avaientpasgrand-choseàvoiravecdessoucisdesécurité.
Ilnesavaitplusoùétaitpassélevigile.Celui-ciattendaitpeut-êtrequeGreybougepourluitirerdessus.Oubien il était retourné à l’annexe appeler le bureaudu shérif. Il avait sûrement unportable,commetoutlemonde.Greyvoulutl’appeler,direquiilétait.Qu’avait-ilàperdremaintenantqu’ilavaitétérepéré?
Mais il luiseraitdifficilede trouverunmotifvalablepourexpliquer lefaitqu’ilsoit retournéauranchaubeaumilieudelanuit.Ilnesevoyaitpasdire:«J’aieuunepulsionquimedisaitqueValerieétaitendanger.»
Toutefois, il ne pouvait pas passer la nuit recroquevillé derrière le congélateur. La situationl’amusaitpresque:deuxtypesjouaientaugendarmeetauvoleuravecdevraiesarmes.Greynepouvaitpastirersurlevigile,maiscederniern’auraitpaslesmêmesétatsd’âme.
Pourlui,Greyn’étaitriend’autrequ’unintrusquin’avaitrienàfairelà.Soitilétaitpartiappelerdel’aide,soitilattendaitqueGreybouge.EtcommeGreysavaitàprésentquelaformequ’ilavaitaperçuen’étaitriend’autrequelevigilequifaisaitsaronde,iln’avaitriendemieuxàfairequededétaleravantdesefairetrouerlapeau.
Il se demanda ce que penserait Valerie en découvrant son cadavre dans la véranda. Et ce quepenseraitJoeWallace.Tousdeuxsediraientqu’ilavaitmaltournéetavaitdesprojetsdouteux,surtoutquandValerieauraitracontécequ’ellesavaitsursonpassé,ouplutôtsonabsencedepassé.
Sansbruit,lesyeuxfermés,ilsepencha,sentantlemétalfroidducongélateurcontresonépaule.Ilseconcentraquelquessecondes.Puisilsepenchadenouveaupourjeteruncoupd’œilendirectiondel’endroitoùilavaitvulasilhouette.
Apparemment iln’yavaitpluspersonne. Il laissadépasserducongélateur samain,puis sonbrasentier.Toujoursrien.Pasunbruit,pasunmouvement.
Il s’avançaaccroupi.Pasde réaction. Il fit deuxpas enavant, toujourspenché, sur lapointedespieds,s’efforçantdenepasfairedebruit.
Une planche grinça. Il s’immobilisa pendant quelques secondes qui lui parurent une éternité,attendantuneréaction.Iln’yeneutpas.
Lameilleure chose à faire était de remonter dans son pick-up, pourtant il fit tout le contraire. Ilsavaitpourquoi.
Acausedecefichuvantail.Greyavaitpeut-êtreinterrompulevigiledanssarondeaumomentoùilcontrôlaitlaportearrière,oubienluiaussiavaittrouvéanormalquelevantailsoitouvert.
Quoiqu’il en soit,Greyvoulaitvérifierque laporte étaitbel etbienverrouillée. Il avaitbesoind’enêtresûr.
Il tendit l’oreille pour vérifier s’il y avait quelqu’un de l’autre côté de la véranda. Tout étaitsilencieux.Pasunsouffle.
Il se releva complètement et d’un pas se plaqua contre le mur de la maison. Puis il attendit,dissimulédansl’ombre.Iltâtonnalelongdumuretatteignitlapoignée,qu’iltourna.Laportes’ouvrit.
Greyfermalesyeux,effrayéàl’idéededécouvrirqueValerieétaitendangercarlamaisonoùelledormaitn’étaitpassûre.
Plus question de partir. Il fit quelques pas de côté et se glissa dans la maison. La cuisine étaitplongéedansl’obscurité.Onnepouvaitluitirerdessus.
IlseméfiaitautantduSmith&WessondeValeriequedel’armeduvigile.Ilfermaleverroudesamainlibre.
Ilnotaqu’ilyavaitune tracesombresur laporte,à lahauteurdesyeux.A l’endroitoù il l’avaitsaisiepourlarefermer.Etait-celuiquiavaitfaitcettetrace?Ilretournasamain,frottasonpoucecontresesautresdoigtsetsentitunesubstancehumide,sombreetcollante.
Il comprit immédiatement : il avait du sang sur la main et il n’avait rien touché d’autre que lapoignéedelaporte.
Lapeurs’emparade lui, si fortqu’elle lui fit tourner la tête. Ilnepensaitqu’àValerie,etaufaitqu’ill’avaitlaisséelàsansprotection.
Cen’étaitpeut-êtrepaslevigilequ’ilavaitaperçudanslavéranda,finalement.Lapropriétéétaittout entière dans l’obscurité.Est-ce que le vigile n’aurait pas laissé une lampe alluméedans l’annexependantsaronde?Surtouts’ill’effectuaitsanslampedepoche.
Greys’essuyalesdoigtssursonjeanettraversalacuisineavecprécipitation,sansprêterattentionaubruitqu’il faisait. Ilétaitaumilieudelapiècelorsquelafenêtreau-dessusdel’évierexplosa.Deséclatsdeverreentaillèrentsapeau.Ilsecouchaausol,rampantparmilesbrisdeverreendirectiondeschambres.
Ilnesavaitpassilaballel’avaiteffleuré,sielleavaitététiréeauhasardousionl’avaitvuetvisé.Peuluiimportait.Iltraversalacuisineetlecouloiraumomentoùunelampes’allumaitdanslachambredeValerie.
—Baissez-vous!cria-t-ilenvoyantlalumière.Il continua d’avancer à quatre pattes, ses bottes dérapant sur le plancher quand il essaya de se
relever pour courir. Un second tir retentit et fit éclater une autre vitre, cette fois dans la chambre deValerie.LebruitretentissaitencorequandGreyypénétra.
Elleluiavaitobéiets’étaitrecroquevilléeàcôtédesonlit.Elletenaitsonpistoletdesdeuxmains,pointéendirectiondelaporte.Ileutletempsd’apercevoirsesyeuxagrandisparlapeur.
—Nebougezpasetfermezlesyeux,dit-il,sansmêmepenserqu’elleauraitpuluitirerdessus.Ilbranditsonarmeetfitéclaterenmillemorceauxlalampedechevetenporcelaine.Uncoupdefeu
venantdel’extérieurréponditausienetfitvolerenéclatsunautrecarreau.Greypointasonarme.Sesyeuxs’habituèrentàl’obscuritéetilvitbougerlesfinsrideauxdansl’air
que lescarreauxbrisés laissaientpasser.Aucune formederrière,personnequi regardaitdans lapièce,pasd’armepointéesurlui.
Il chercha Valerie du regard. Elle avait un bras levé en guise de protection contre le verre desfenêtres. Dans ses cheveux, il aperçut des éclats qui scintillaient dans le clair de lune. Comme lesdiamantsd’unetiarefunéraire.
Ce n’était pas son sang sur la porte, se dit-il, soulagé. Il regarda de nouveau en direction desfenêtres.Ilentendaitsoncœurbattre,maisçaallaitmieuxmaintenantqu’ilsavaitquelajeunefemmeétaitvivanteetenbonnesanté.
Il avait été tellement terrifié de découvrir du sang sur la poignée de la porte qu’il savourait cemoment.Maissicen’étaitpaslesangdeValerie…
—M.Davis,c’estM.Davis,dehors,ditdoucementlajeunefemme.—Levigile?C’estsonnom?—Davis.HaroldDavis.Greyacquiesça,mêmes’ilsavaitqu’ellenepouvaitpaslevoir,carilsetenaitdansuncoinsombre
de la pièce. Il s’approcha des fenêtres, restant le plus possible plaqué au sol. Lorsqu’il se déplaçait,Valerieserraitsonarmedesdeuxmains,etlapointaitsurlui.Ilnepouvaitpasluienvouloir,mêmes’ilétaitclairqueledangervenaitdel’extérieur.
Carilsavaitqu’ellesetrompaitsurl’identitédeceluiquiétaitdehors.PourquoiDavisprendrait-illerisquedetirerdanssachambre?Ilsavaitqueletirdanslacuisinel’auraitréveilléeetquec’étaitellequiavaitallumélalumière,pasunintrus.Çan’avaitpasdesens.
Greyauraitpucroirequec’étaitDavissionavaitviséàtraverslaportearrière,maispasici.Pasàl’aveugledanslachambredeValerie.
—Qu’allez-vousfaire?chuchota-t-elle.—Jenesaispasencore,ditGrey.Ilseredressa,lamainsurl’appuidelafenêtreetdosaumur.Iljetauncoupd’œilentrelerideauet
lemontantdelafenêtre.Ilnevoyaitpasgrand-chose.Unboutde lacour,endirectionde l’écurie.Riennebougeait.Grey
rampasouslafenêtre.Puisilregardadehorsdansladirectionopposée.—Laissez-moil’appeler,luidirequevousêtesunami,ditVal.Ellesetenaitàcôtédelui,sonarmeàlamain.Ellelevalatête,commesiellevoulaitregarderàla
fenêtre.Greylasaisitàlataille,latiraenarrièreetsejetasurellepourlaprotégerlorsqu’unautrecarreau
explosa.Illatenaittoujours,soncorpssurlesien,quandlesmorceauxdeverreleurtombèrentdessus.Etillatenaitencorelorsquelesilences’abattitdenouveausurleranch.
Ellelevalatêteàsahauteur.Ilpouvaitàprésentsentirleparfumdesescheveux.—Cen’estpasDavis,chuchota-t-il.—Commentlesavez-vous?—Davisn’auraitpastirédecoupsdefeudansvotrechambre.Par-dessus son épaule, il jeta un regard aux fenêtres. Toujours rien de visible. Rassuré, il se
retournapourlaregarder.—Maisalorsoùest-il?demanda-t-elle.S’ilaentendulescoupsdefeu…
Ellene terminapassaphrase.Endépitde l’obscurité,elle lisait sespenséessur sonvisage. Ilyavaitdusangsurlapoignée.PasceluideValerie,celuidequelqu’und’autre.
—Quefait-on?demanda-t-elle.—Oùestletéléphone?—Surlatabledenuit.Il se levaavecsoin,ens’appuyantsursamainqui tenait toujourssonarme. Il tâtonnade l’autre,
parmileséclatsdeverre.Iltiralecombinéàlui,leportantàsonoreille.Commeils’endoutait,laligneétaitcoupée.
—Vousavezunportable?—Dansmonsac,aumilieudesaffaires.Jenesaisplus.Greyessayaderéfléchir.Ilsavaientchacununearme,etilsétaientensécurité,ici.Dumoinspourle
moment.Maisçaneluiplaisaitpasdenepassavoircequisepassaitdehors.Denepassavoirquiétaitl’agresseur,nioùilsetrouvait.Etencoremoinsdenepassavoircequ’iltramait,là,danslenoir.
—Pourquoiêtes-vousrevenu?demandasoudainValerie.Ils’assit,s’écartantunpeud’elle,etsedemandantcommentrépondre.—J’aieul’intuitionqu’ilsepassaitquelquechose.—L’intuition?Elles’assit,dosappuyécontrelelit.—J’aieul’intuitionquequelqu’unallaitchercheràvousfairedumal.—Pourquoiquelqu’unvoudrait-ilmefairedumal?—Peut-êtremême…plusquevousfairedumal.Iljetaunnouveaucoupd’œilàlafenêtre.Elleluiagrippalementonpourqu’illaregarde.—Est-cequequelqu’unessaiedemetuer?Est-cecequevouspensez?Vouscroyezqueceluiqui
setientlàdehorsveutm’assassiner?Ilacquiesça,etvitsesyeuxs’agrandirtandisqu’elleprenaitconsciencedecequecelasignifiait.—Mais…pourquoi?—Jeparieraisqueçaaunrapportaveclasociétédontvousvenezd’hériter,dit-ilavecsarcasme.Ellesecoualatêtelentement.— Je sais que les gens qui pourraient tirer parti de… ma mort ne feraient jamais ça. Ils sont
comme…mafamille,dit-elleenlevantlesyeuxverslesfenêtresauxcarreauxbrisés.Iléclatad’unrirecynique.—Parcequevouscroyezquelesmembresd’unemêmefamillenepeuventpass’entretuerquandily
aautantd’argentenjeu?Personnen’estnaïfàcepoint,vouslesavezbien.—Alorspourquoin’ont-ilspascherchéàtuermonpère?Greyavaitdéjàpenséàcela.Aprèstout,sonpèreétaitbeletbienmort.—Non,dit-elle,refusantdecroirecequ’ellelisaitdanssesyeux,monpèreestmortd’uneattaque.—Vousavezfaitpratiqueruneautopsie?—Non,mais…Jesaisbiencequi l’a tué.Çafaisait longtempsqu’ilétaitenmauvaisesanté.Sa
mortn’avaitriend’étrange.Onpensaitqu’ilallaitserétablirmais…Encoreune fois elleneput achever saphrase,puis jetaunbref regard aux fenêtres. Il suivit son
regard.—Quefait-on?demanda-t-elledenouveau.—Onattendjusqu’àl’aube.Grey prit cette décision au moment même où il prononçait ces mots. Sortir maintenant dans
l’obscuritéétaithorsdequestion. Il lui faudrait soitemmenerValerieavec lui, soit la laisser seule,etaucunedecessolutionsneluiplaisait.
Aumoins,s’ilsrestaientlà,ilpourraitlaprotéger.
—EtM.Davis,nedevrions-nouspas…—Davisestunprofessionneletilestarmé.C’étaitvrai,maisGreyluttaitcontresapropreculpabilité.C’estluiquiavaitditàJoed’envoyerle
premiervenu. Ilnepensaitpasque l’assureur leprendraitausérieuxet il sesentait responsablede laprésencedecevigilequin’étaitpasapteàaffrontercegenredesituation.
C’étaitsontravailàlui.ValerieBeaufortétaitsoussaresponsabilité,ilavaittoutfaitcapoter.—Vouslecroyezmort,ditsoudainValerie,laconique.—J’enaibienpeur.—Vousn’enêtespassûr?Ilsecoualatête.—Alorsondevraittenterdes’enassurer.S’ilestblessé…Ellesoutintsonregard,presqueimplorante.LesmotsdeHawkinsàproposdesafemmerevinrentà
lamémoiredeGrey.«Elleaducran.»Valerieaussi.Ill’avaitcomprisl’autrematin,enlavoyantauxprisesavecl’étalon.
Cette fois elle s’inquiétait pour le vigile. Il aurait dû s’inquiéter aussi, mais il était certain queHaroldDavisétaitdéjàmort.Iln’allaitpasrisquerlaviedeValeriepours’enassurer.
—Onresteicijusqu’auleverdujour.Acemoment-là,l’agresseurserasûrementparti.—Etsicen’estpaslecas?Il n’avait pas de réponse. Un bruit se fit entendre au-dehors. Grey rampa jusqu’à la fenêtre, et
observalepetitcoindecourqu’ilapercevait.Ilnevoyaitrien,maislemêmebruitretentitdenouveau.Etait-cequelquechosequ’ontraînait?Çaressemblaitàunbruitdeboiss’entrechoquant.Ilattendit,
retenantsarespiration,maisçaneserépétapas.Ilyeutdeuxautresbruitssourds,maisquibizarrementsemblèrentvenirdeplusloin.
—Grey,chuchotaValeriederrièrelui.Ilneseretournapas,neditrien,maislevalamaingauche,pourdemanderlesilence.Ellerespectasademande,pendantdixsecondespeut-être.—Grey,répéta-t-elle,etilfinitpartournerlatête.Elleavaitleregardrivésurlaplusbassedesfenêtresbrisées.Ils’enapprocha,maisnecomprenait
pascequ’ellevoyait.—Qu’est-cequ’ilya?demanda-t-il.Elleinspira,etparvintàchuchoter:—Delafumée.
9
—Nousallonspasserparlaportearrière,ditGrey.—Pourquoipas…—Çanousprendraittropdetempsdepasserparlafenêtre,lacoupa-t-il.Onconstitueraitunecible
dechoix.Deplus, le tueur s’attendà cequenous fassions ça,ouquenous sortionspardevant.Alorssortonsparoùjesuisentré.Onparviendrapeut-êtreàlesurprendre.
Val savait que sa maison était en pin, et les bouffées de fumée qui pénétraient par les fenêtresbriséesl’écœuraient.Lefeuluifaisaitbienpluspeurquelaprésenced’uninconnudehors.
Toutlemondeasesphobies.Lefeuétaitlasienne.Ellefaisaitrégulièrementdescauchemarsdanslesquelsl’écurieétaitenfeu.Ellepensaàseschevaux:Kronusétaittoutseuldansl’écurie.Lesautresétaientdanslepré.
Ils étaient en sécurité, pensa-t-elle en suivant Grey d’aussi près que possible. Le fait de resterrecroquevilléelafaisaitsouffrir,auniveaudesongenou.Maisçavalaitmieuxquedeprendreuneballedanslatête,etelleserralesdentspourconjurerladouleur.
Greys’arrêtaà l’entréede lacuisineet se redressa.Ensuivant sonmouvementdesyeux,elle serenditcomptequ’illuitendaitlamain.Elleavaitsimalaugenouqu’ellesavaitqu’elleauraitbesoindeluipourserelever.Ellepassasonarmedanslamaingaucheetsaisitsamaintendue,afinqu’ill’aideàseredresser.Ellegémitlorsqu’elles’appuyasursongenou,maisillaserraplusfortetsefitrassurant.
—Çava?demanda-t-il.Ill’installaàl’abriderrièrelui,ledoscolléaumur.—J’aiunetrouillepaspossible,est-cequ’onpeutdirequeçavaquandmême?dit-elle.—Jel’espère,sinononestdansdesalesdraps.Malgré les circonstances, sa voix retrouvait une intonation amusée. Et il émanait de lui une
impressiond’assuranceetdesang-froid,malgrélecommentairequ’ilavaitfaitsurlapeur.Elleavaitbesoindesdeux.Elleavaitbesoindesavoirqu’ilavaitpeurluiaussietqu’ilétaitnormal
qu’elleaitpeur.Elleavaitaussibesoindesentirqu’ilsavaitquoifaire,endépitdecettepeur.Sentirsoncalmeapaisaitsapanique.
—Restezderrièremoi,chuchota-t-il.Etsoyezprudente,ilyaduverrebriséparterre.En cet instant précis, il n’y avait plus d’amusement dans sa voix, il était concentré sur ce qu’il
faisait.Elleavaitsentiquelquechosesoussespiedsnussanssavoircequec’était.Elleauraitdûpenserà
mettredeschaussures,maisellen’avaitjamaisétéconfrontéeàcettesituationauparavant.Ils traversèrent lacuisineen rasant lesmurs.Elles’aperçutque leverrequi se trouvaitpar terre
venaitd’unefenêtrebriséeparletirquil’avaitréveillée.
—Jevaisouvrirlaporteetsortirparlavéranda,annonçaGrey.Restezderrièremoi.Nousallonscontourner le congélateur, sauter depuis le coin de la véranda et courir en direction de la route.D’accord?
D’accord,saufpoursauteretcourir,répondit-elleensonforintérieur.Commentpensait-ilqu’elleallaitfaireça?Ilavaitdûoublierl’étatdesongenou.Entempsnormal,ellen’auraitrientrouvéàredire.Maislà…
—S’ilm’arrivequoiquecesoit,nevousarrêtezpas.Resteztapiedansl’ombre.Monpick-upestgaréaupieddelacorniche,àl’entréeduviragequimèneàvotrepropriété.Lescléssontsurlecontact,dit-ildoucement.
—Etilvadémarrer?demanda-t-elle,cherchantàafficherlemêmetoncalmeetamuséquelui.Ellesecramponnaitaupeudecouragequiluirestait.L’odeurdefuméedevenaitplusforte,etelle
avait le sentimentqu’ils étaientdansune impasse : soit ils sortaient et s’exposaient àdes tirs, soit ilsrestaientàl’intérieuretrisquaientdebrûlervifs.
—Jesuissûrqueoui,ditGrey,avecunsourire.Valerie se sentit physiquement réagir à ce sourire. Que Grey soit capable de sourire dans cette
situationréveillal’attirancesexuellequ’elleavaitpourlui,attirancequ’elleavaitcherchéàrefouler.ElleétaitamoureusedeGreySellers,s’avoua-t-elle.
—Jevaisvousralentir.Ilfautquevouspartiezsansmoi,dit-elle,auborddeslarmes.Ellenevoulaitpasqu’ilse fasse tuerenessayantde luiportersecours.SiDavisétaitbienmort,
commeillepensait,alorsceluiquiétaitdehorsn’hésiteraitpasàtirer.Sanselle,Greypouvaits’enfuir.Maisavecelle…
—Allez-vous-en,dit-elledansunmurmure.Illaregardapar-dessussonépaule.Sesyeuxavaientdesrefletsargentés,chaudsetlumineux.—Vous deviez aimer les films avec JohnWayne quand vous étiez petite, dit-il avec amusement.
Ceuxoùlehérossesacrifie.Maisleshérosmortsnevalentpasunclou.C’estceuxquirestentenviequisontlesmeilleurs.Jevousprometsqu’ilnevarienvousarriver,Valerie,niàmoinonplus.Onaquelquechoseàfinir,touslesdeux.
Ces mots résonnèrent en elle, créant une émotion aussi puissante que le ton sur lequel il avaitprononcécesparoles.
C’estvraiqu’ilsavaientbeaucoupdechosesàfinirtouslesdeux,maiscen’étaitnil’endroitnilemoment.Ellenefitqu’acquiescer,incapabledeprononcerunmot.
—Vousêtesprête?Ellefitsignequeouietilseretournafaceàlaporte.Dèsqu’ildétournasonregard,ellesesentit
commeabandonnée,etdenouveaulapeurs’emparad’elle.—Maintenant,dit-il.Iltournaleverroupuislapoignée.Laportes’ouvrit.Ilsortit,etellelesuivit.Ladouleurdesongenouluiremitlesidéesenplaceettoutcequivenaitdesepasserluirevintàla
mémoire.Ellesentitlapaniquel’envahir,malgrélesmotsdeGrey.«Jevousprometsqu’ilnevarienvousarriver.Niàmoinonplus.»Maiselleétaitincapabledecourir.Ellen’avançaitpasassezvite.Elleallaittombersurcesolaccidenté.Greyreviendraitenarrièrepourl’aideret…
Elletraînaitderrièrelui,avecl’impressiondevivresonpirecauchemar.Illasaisitfermementparl’avant-brasetlatirabrutalementderrièrelui,pourlaplaquerentresoncorpsetquelquechosedefroid.C’étaitlecongélateur.Çasignifiaitqu’ilsétaientsouslavéranda.
Puis il la tiraderrière luipourcontourner l’appareil.Elle regarda lacourpar-dessus l’épauledeGrey : tout luisemblaitparfaitementcalmesous leclairde lune.Ellenevoyaitdeflammesnullepart,malgrélafuméeâcreetdésagréablequiluiirritaitlesnarines.
Ellevitlecontourdesmursdel’écurie.Toutsemblaitpaisible.Ellenevoyaitpasl’annexe.Peut-êtrequelafuméevenaitdelà-bas.Siquelqu’unavaittuéM.Davis,lefeuétaitpeut-êtreunmoyend’eneffacerlespreuves.
Ilsavaientàprésentpresqueatteintl’extrémitédelavéranda.L’endroitd’où,selonleplandeGrey,ilsdevraientsauterpuiscourirendirectiondupick-up.D’unœilanxieux,elleestimaladistancequilesséparaitdelaroute.Ilsseraientcomplètementàdécouvert,exposésaufeud’untireurembusquédansuncoinsombre.
«VousdeviezaimerlesfilmsavecJohnWaynequandvousétiezpetite.»Ellevoulaitluidirequ’ilsetrompait,ellen’aimaitpascetypedescénario.
—Prête?murmura-t-il.Elleregardalecoindelavéranda,àpeuprèsàdeuxmètresau-dessusdusol,etau-delàleterrain
rocailleuxenvahidemauvaisesherbesparendroits.—Jen’yarriveraipas,dit-elle,soudainprisedepanique.—Si,vousyarriverez,réponditGreysuruntonféroce.—Qu’est-cequibrûle?dit-ellepourgagnerdutemps.Kronusestdansl’écurie.—Cen’estpasl’écurie.Il lui saisit le poignet pour la décider à se placer tout au bout de la véranda.Ensuite il faudrait
sauter,iln’yavaitpasd’autreissue.—Grey,l’implora-t-elle.Illalâchaetsauta,seréceptionnantsursespieds,lesbrasécartéspournepasperdrel’équilibre.
Elle s’attendait à entendre claquer un coup de feu, mais rien ne se produisit. Dans une parfaitecoordination,ilseredressaetseretourna.
—Sautez,luiordonna-t-ildansunsouffle.Il la regardait avecdes yeux sévères.Elle s’aperçut qu’il avait glissé son armedans sa ceinture
pourluitendrelesmains.Ilétaitlà,désarmé,àl’attendre.Maiselleétaitparalysée,tétanisée.—Sautez,répéta-t-ilplusfort.LesyeuxdeValeriesevoilèrentdelarmes.Elleessayades’éclaircirleregard,encherchantsurla
routel’endroitoùilavaitgarésonpick-up.Etquelquechoseattirasoudainsonattention,quelquechosed’important.
—Ecoutez,dit-elle,scrutantl’obscurité.Unevoituremontaitlaroutequimenaitàlacorniche.Valpercevaitlevrombissementdumoteursur
ladéclivité.Levéhiculenedescendaitpasdanslavalléeendirectionduranch,maislequittait.ElleregardaGrey,maisluiregardaitailleurs.Endirectiondelaroute.—C’estvotrecamionnette?demanda-t-elle.—Non.Quelsalaud,dit-ilcommesilemotluiavaitéchappé.—Ils’enva.Elleexultait,c’étaittoutcequ’elleressentait.—Mettez-vouslàettirezsurtoutcequibouge.Jeprononceraivotrenomavantdetourneraucoin
delamaison.Siquoiquecesoitd’autrebouge,tirez.Illaregardapar-dessussonépaule,attendantqu’elleacquiesce.—Quoiquecesoitd’autre.Vousm’avezbiencompris,Valerie?Sivousvoyezquelqu’unetqu’il
n’apasprononcévotrenomavant,vousluitirezdessus.Peuimportedequiils’agit.Puisilpartitverslecôtéopposédelamaison,nonducôtédelaroutecommeelles’yattendait.Elleserecroquevillacontrelecongélateur,tenantlepistoletàdeuxmains,commeleluiavaitappris
son père. «Tu pointes et tu tires.Ne cherche pas à viser », lui avait-il enseigné. Toutes ces leçonsapprisesdesannéesplustôtluirevinrentàlamémoire.Elleétaitunebonnetireuse.Illuiavaitapprisàledevenir.
Lemomentdepaniqueétaitpassé.Ellen’auraitpaspucourir,quoiqu’endiseGrey,maisellesavaittirer.Appuyersurunegâchette.Ellen’hésiteraitpasàtirersurceluiquilesavaitagressés.
Maiselleétaitpersuadéequel’assaillantétaitparti.C’étaitluiquiétaitdanscettevoiturequ’elleavaitentendues’éloigner.Greylesavait,c’estpourquoiill’avaitlaisséeseule.
—Valerie,c’estmoiquitourneaucoindelamaison.—D’accord,répondit-elle,toujoursprêteàseservirdesonarme.EllereconnaissaitlavoixdeGrey,maisnevoulaitcouriraucunrisque.Ilsortitdel’ombreetposa
sonarmesurleplancherdelavéranda.Puisilsehissajusqu’àelle.—J’aiéteintlefeu.Apparemmentiln’yapasdegrosdégâtspourlamaison.—Pourquoiest-cequ’il…—Rentrezetappelezleshérif.Dites-leurdevenirauplusvite.Jevaisàl’annexe.Ilvoulaitallervoircequ’ilétaitadvenudeDavis.—Netouchezàrien,lemit-elleengarde.Ellel’entenditriredansl’obscurité.Ilsepenchasurl’armequ’elletenaitencoreàboutdebraset
l’embrassa.Çan’avaitrienàvoiraveclebaiserqu’illuiavaitdonnédanslasalledebains.C’étaitunbaiser furtif, comme ceux que son père donnait à samère en guise de remerciement, ou pour lui direbonjour.
—Nevousinquiétezpas,dit-il.—Vosempreintesnesontpasrépertoriéesoùquecesoit,n’est-cepas?—Pasdanslesdossiersauxquelslesautoritésontaccès.Il partit, cette fois-ci en empruntant lesmarchesde lavéranda.Elle le rattrapapar lamanche. Il
s’arrêta.Leursregardssecroisèrent.Ilposasamainsurlasienne.Sesdoigtsétaientrugueuxetchauds,réconfortantspoursesmainsglacées.
—Onéclairciratoutça.—Jesais.Allezprévenirlesflics.Illâchasamainets’éloigna.Elleauraitvoululeretenirencore,legarderprèsd’elle.Maisilavaitdeschosesàfaire,toutcommeelle.Lorsqu’ellecomposalenumérodushérifetprit
consciencequ’ilsétaienttousdeuxhorsdedanger,sesmainssemirentàtrembler.Ellepréféraitqu’ilnesoitpaslàpourlevoir.
***
Leshommesdushérifétaientarrivéstrèsviteetdesvéhiculesemplissaientlacour,tousgyropharesallumés.Lespolicierssetenaientparpetitsgroupesdansl’airenfumédelanuitetparlaientsibasentreeuxqueValerieneparvenaitpasàentendrecequ’ilssedisaient.
Ilsluiavaientdemandéderacontercequis’étaitpassé.EllelesavaitvusparleràGrey.Ilsavaientcherchépartoutdanslacour,inspectantchaquecentimètredusol.Ilsavaientpassél’annexeaupeignefin.Inspectélavéranda,oùleboisdechauffeencorehumidedel’oragedelanuitprécédenteavaitétéempilépêle-mêlecontrelemurdelamaisonetallumé.
Enfin, elle les avaitvusemmener le corpsdeHaroldDavis.On l’avaitpoignardé, ellene savaitplusquileluiavaitdit.Leshérif,peut-être.Greys’étaitrenduàl’annexeaveceux.Greyetellen’avaientpaseul’occasiond’échangerdeuxmotsdepuisl’arrivéedesforcesdepolice.
Parmoments,dansl’agitationgénérale,ellelevaitlesyeuxetcroisaitsonregard.IlluiétaitplusdifficilederegarderGreydanslalumièreartificielleetblafarde.C’étaitplusfacile
pourellederévélersessentimentsdansl’obscurité.Ellesedemandaitsic’étaitpareilpourlui.Ils’étaitpassétantdechosesaucoursdecesquelquesminutesdeterreur!Poureuxmaisaussientre
eux.Des choses importantes pour sa vie, qu’elle neparvenait pas àmettre enordre, pas avec tout ce
mondeautour.Lespoliciersétaientpartisbienaprèsleleverdusoleil.Greyavaitparléaushériflongtempsaprès
ledépartdetoutlemonde,ycomprisdel’ambulancequitransportaitlecorpsdeDavis.Valétait restéeappuyéecontre l’évierde lacuisine,à les regarderà travers la fenêtrebrisée, se
demandantcequ’ilspouvaientbiensedire.SeremémorantcequeluiavaitapprisAutryetcherchantàsavoirquipouvaitbienêtreexactementGreySellers.
Unhommequiluiavaitsauvélavie.Quiétaitrevenuauranch,malgrélesaccusationsqu’elleavaitportées contre lui et malgré sa mise en demeure de quitter les lieux. L’avait-elle fait à cause de cequ’avaitditAutry,ouparcequeGreyl’avaitembrasséeetqu’elleavaitaiméça?
Elleluiavaitdemandédepartirparcequ’elleavaitpeur,c’étaitlaseulechosedontelleétaitsûre.Peurdefaireconfianceetd’êtreblessée,denejamaissavoirs’ils’intéressaitàelleouàl’argentdontelleavaithérité.Cebouletquesonpèreluiavaitmisaupied.
Leclaquementd’uneportièrelatiradesarêverie.Leshérifmontaitenvoiture.Greyposalamainsurletoitensigned’aurevoiretreculapourlelaisserfairedemi-tour.Puisilsuivitlavoituredesyeuxjusqu’àcequ’elleempruntelechemindelacorniche.
D’oùelleétait,Valerieentendaitlebruitdumoteurdurementsollicité.Celafaisaitdixansqu’elleentendaitcebruitchaquefoisqu’unevoiturequittaitleranch.Pourtant,hiersoir,elleavaitfaillinepasl’identifier.
Grey gravit lesmarches de la véranda. Son regard croisa le sien à travers la fenêtre.Elle sentitl’émotion l’étreindre. Elle était peut-être anxieuse à l’idée de se retrouver face à lui,mais elle avaitattenducemoment.Ilouvritlaporte,ethésitaavantd’entrer.Ellesedemandas’ilsesentaitdanslemêmeétatqu’elle.
—J’aifaitducafé,vousenvoulez?—Aumoinstroislitres,répondit-ilenscrutantsonvisage.—Jedoutequeleshommesdushérifenaientlaisséautant.Ilenresteenvironunetasseoudeux.—Prenez-enunetasseavecmoi.Il franchit le seuil et referma la porte derrière lui. Il se tint un moment immobile, la regardant
toujours.—Ilfautqu’onparle.—Jesais.Elle détacha son regard du sien, feignant d’avoir à servir le café. Il le buvait noir, ce qui ne
demandait pas beaucoup de préparation. Elle prenait du lait, ce qui lui laissa quelques secondessupplémentairesavantd’avoiràaffronterdenouveaucesyeuxgrisquiensavaienttrop.
Lorsqu’elleseretourna,unetassedanschaquemain,ilétaitdéjàattablé.Elletraversalacuisineettiralachaiseàcôtédelasienne.Elleposalesdeuxtassessurlatableetpréféras’asseoirdel’autrecôtédelatable.
Il lui serait plus facile de réfléchir à cette place. Si elle était trop près de lui, elle perdrait sesmoyensetoublieraitdeposerdesquestionsvitales.
Greyrestasansbouger,mêmequandellemitlesmainsautourdesatasseenlaportantàseslèvres.Ellefinitparleverlesyeux.Lepetitpliauxcommissuresdeslèvresétaitlà.Unepointed’amusement.
Ellebaissalesyeuxsursoncafé,unpeuembarrassée.Gênée,même.Illisaitenellecommedansunlivreouvert.Elleinspira,labouchecrispée.
—Cen’estpasaussigravequevouslepensez,dit-il.Elle leva les yeux de surprise. Il tira sa tasse à lui,mais ne but pas. Il la tenait comme s’il se
réchauffaitlesmains,leregardrivésurelle.— Comment est-ce que ça peut ne pas être aussi grave ? Un homme est mort. Et je le serais
égalementsi…
Elles’interrompit,luttantcontrelechevrotementquis’installaitdanssavoix.—Jeseraismorteégalementsivousn’étiezpasrevenu.Commentfallait-ilexprimersagratitudedansuncascommecelui-là?Elleétaitsiheureused’être
envie.Aussiheureusequ’elleétaitdésoléepourHaroldDavis.Tellementheureusequ’onnesoitpasentraindetrierlesdécombresdesamaisoncalcinée,àlarecherchedesoncorps.Commentest-cequ’onremerciaitquelqu’unpourça?
—Cen’estpascequejevoulaisdire.Jeparlaisdecequevousaditvotreamisurmoncompte.—Autry?Il fallait égalementqu’elle sache lavéritéàce sujet,maisaprèsavoirvuGreydiscuteravec les
autorités cematin, elle pensait que c’est elle qui avait vu juste.C’était un témoin sous protection.Unancienpolicierdontonavaiteffacélestracespoursapropresécurité.Quelquechosecommeça.
CarGreyn’avaitpasadoptédecomportementsournois.S’ilavaitétéhors-la-loi,témoignerausujetd’unmeurtreauraitététropdangereux.Orellenel’avaitpassentimalàl’aise.Elleavaitplutôtperçudelacompétenceetdel’assuranceémanerdelui,commelanuitprécédente.
—Ilvousaditqu’onavaiteffacétoutetracedemonpassé.Elle acquiesça. Elle attendait ses explications. Elle se savait désormais trop attachée à lui pour
rejouer la scène de l’écurie, lui ordonner de sortir de sa vie. A présent, c’était impossible. Ça luibriseraitlecœur.Lesouvenirdel’annulationdesonmariageluisemblaitunebroutilleencomparaisondecequ’elleressentaitpourGrey.
—Ilavaitraison,ç’aétéfaitdemanièreprofessionnelle,maispaspourlesraisonsqu’iladûvoussuggérer.
—Vousêtesuntémoinsousprotection,dit-elledoucement,leregardfixésurlui,persuadéequ’ellesauraitdécelers’ildisaitlavéritéounon.
Ilposa lesyeux sur sa tasse,puis sur laportequidonnait sous lavéranda.Puis il la regardadenouveau.
—Cen’estpasaussisimplequeça.Ellesentitsoncœurs’arrêterdebattre.Elleavaitentenducetteexpressiontoutesavie.Elleattendit
sansriendireetsanslequitterdesyeux.—Jesuisunancienmembred’uneunitéspécialedelaCIA.Sanstropvousdonnerdedétails,cette
unitéétaitspécialiséedanslalutteanti-terroristeetagissaitclandestinement.Peudegens,auseinmêmedelaCIA,connaissaientnotreexistence.
Ilmarquaunepause,lesyeuxendirectiondelafenêtrebriséeau-dessusdel’évier.Maisellesavaitqu’illaregardaitsanslavoir.Ilrevoyaitsonpassé,cespansdesaviequ’onavaiteffacés.
—J’aifaitéchouerladernièremissionqu’onm’aconfiée.Seslèvressecrispèrent.—Undenosagentsavaitétéfaitprisonnierparuncarteldeladroguequiopéraitsouslaprotection
d’undictateurd’Amériquecentrale.Nousétionsdeuxàdevoir retrouvernotreagentpour le récupérer.J’ai…mal compris les informations dont nous disposions et nous ne nous sommes pas rendus au bonendroit.Etpendantqu’oncouraitdanslevide,legarsqu’ondevaitdélivrersefaisaittortureràmort.
Ildéglutitpourcontenirl’émotionquil’étreignait.—Aumomentoùnousavonscomprisoùnousaurionsdûaller,ilétaitdéjàtroptard.Etc’étaitma
faute.—Etonvousa…Ellehésita,nesachantquelstermesemployer.—Onvousamisàpiedpourça?Illaregarda,ouvrantgrandlesyeux,peut-êtredesurprise.—Ilsn’ontpaseuàlefaire.
—Vousavezdémissionné.Ilnepouvaitenêtreautrement,étantdonnélafaçondontilavaitditcela.—J’aitoutfaitrateretunhommeestmort.Etunautre,unami,afailliypasseraussi,aucoursde
l’opérationdesauvetagequej’aivoulutenter,mêmesijesavaisaufonddemoiqu’ilétaittroptard.Toutatournéaufiascoàcausedemoi.Etunhommedevaleurestmort.Presquedeux.
Ellesecoualatête.—Toutlemondefaitdeserreurs.Elleserendaitcompteenprononçantcesmotsqu’ilsétaientinutilesetplats.Iléclatad’unrireamer.—Peut-être,maisçan’aboutitpastoujoursàlamortdequelqu’un.—Quelqu’unestmortàcausedemonerreuràmoi,ditValerie.LesyeuxdeGreyseplissèrent,maisilneditrien.Valeriereprit.—Sijenevousavaispasdemandédepartir,M.Davisneseseraitpastrouvélà.—VousnevoussenteztoutdemêmepascoupabledelamortdeDavis?—Etpourquoineledevrais-jepas?—Parcequecen’estpasvousquil’aveztué.—Est-cevousquiaveztuél’hommequiestmortaucoursdecettemission?Sabouchesecrispa.—Pouruntasderaisons,jen’étaispasàl’endroitoùj’auraisdûmetrouver,pasàtempsentout
cas,etilestmort.C’étaitmonboulotde…Elleattendit,etaprèsunmoment,ilreprit.—C’étaitmonboulotdeleretrouver.Jen’aipasfaitmontravailcorrectement,etparconséquentil
estmort.—Jepenseplutôt…Ellevitsonvisagesefermer.Ilnevoulaitpasentendrecequ’ellepensait.Çafaisaitlongtempsqu’il
s’étaitmisentêtequec’étaitsafaute,bienavantsarencontreavecelle.—Ypenser,c’estcequej’évitelepluspossibledefaire.Ainsiqu’enparler.Jevoulaissimplement
quevous,voussachiezlavérité.C’estimportant,carlaraisonpourlaquellevotreamin’arientrouvésurmonpassén’arienàvoiravecnousdeux.
Cetteexpressionluiparaissaitdéplacée.CombiendefoisGreySellersavait-ildit«nousdeux»enparlantàunefemme?Endépitdesdoutesinitiauxqu’elleavaiteusàsonégard,elleavaitl’intuitionqueçan’étaitpasarrivésouvent.
—Jen’enveuxpasàvotreargent.Çan’aaucunrapportaveccequis’estpassé.S’ildisaitvrai,alors…alorsquoi?Pourquoidevrait-ellecroirequec’étaitvrai,pourlapremière
foisdesavie?—Mêmesilesgensontdumalàl’admettre,touteslesrelationsavecmoisontliéesàl’argentd’une
manièreoud’uneautre,dit-elle,cherchantàluifairecomprendrequesesdoutesvenaientd’unelongueexpérience. Personne n’arrive à en faire abstraction,même si certains prétendent le contraire. Ça faitpartiedemoi,etçaatoujoursétécommeça.
Ilbaissalesyeuxsursoncafé.—Etdonc,qu’est-cequeçasignifie?demanda-t-il.—Jenecomprendspas.—Vouspensiezquejevoulaiscoucheravecvousàcausedevotreargent.Jevousaiditquel’argent
n’avaitrienàvoirlà-dedans,maisvousnemecroyezpas,alors…qu’est-cequeçasignifiepournous?Il n’avait pasdit : « Jevoulais vous faire l’amour. »En fait, il n’avait fait que répéter lesmots
qu’elleavaitprononcésdansl’écurie.Ilneparaitpassessentimentsd’atoursromantiques.Cen’étaitpassonstyle.Iln’étaitpasdugenreàfairedespromesses.
—Pourquoiavez-vousfaitçaalors?demanda-t-elle.Illevalesyeux,lesposasursonvisage,avecunaird’interrogation.—Pourquoiavez-vousessayédecoucheravecmoi?reformula-t-elle.Sabouches’anima,commes’ilréprimaitunsourire.—Pourlesraisonshabituelles,jesuppose.—Parcequevousêtesamoureuxdemoi?demanda-t-elleenseforçantàsoutenirsonregard.Il fallaitqu’ilsaillentauboutdeschoses,qu’iln’yaitpasdemalentendusentreeux.C’était trop
important.—Jen’aijamaisditçaàunefemmedemavie.J’aitoujourssuquesijelefaisais,je…Elleattenditqu’ilpoursuive.Ellen’étaitpourtantpassûredevouloirentendrecequ’ilallaitdire.— Je vous veux, vous. J’ai très envie de vous faire l’amour.Ne vousméprenez pas à ce sujet,
articula-t-ilfinalement.Son regard était limpide, sincère. Elle sentit des sensations s’éveiller en elle. Il la désirait
vraiment.Maiscomptetenude…Encolèrecontreelle-même,ellecoupacourtà l’idéequi luivenait :est-cequ’ellecroyaitqu’un
hommetelqueGreySellersnepouvaitpasladésirerphysiquementparcequ’ellen’étaitpas…toutàfaitcommelesautres?Sioui,ellen’avaitplusàdemanderàêtretraitéecommelesautresfemmes.
C’est pourtant comme une femme à part entière qu’il la considérait, et il essayait de semontrerhonnêtesursessentiments.Assezhonnêtepournepasluipromettreunamouréternel.
—Valerie?—Etpuisaprès?demanda-t-elletoutbas.Ilneréponditpastoutdesuite.—Jecroisquec’estàvousdedécider.Quoiqu’ilsepasse,ladécisionvousappartient.Ellesavaitqu’ilétaitsincère.Pasdepromesses,pasdemensonges.Amoinsquetoutnesoitquemensonges,commeavecBart.—Maisilfautquevousfassiezquelquechoseàproposdel’autre,dit-il.—Quelautre?demanda-t-ellesanscomprendre.—Celuiquivousenveut.Celuiquiétaitlàlanuitdernière.Iln’avaitriendeplusàajouteràproposd’euxdeux.Ilparlaitmaintenantdel’hommequiavaittué
M.Davisetmislefeuàlamaison.—Peut-êtrequesijecomprenaiscequisepasse…—Quelqu’unessayedevoustuer.Outentedevouslefairecroire,dumoins.—Tentedemelefairecroire?releva-t-elle.—Soitc’estça,soitc’estleplusincompétentdesassassinsquej’aiejamaisvu.Desassassins,ellesedemandacombienilavaitpuencroiseretcequ’ilavaitfaitexactementàla
CIA.—Iln’apasétéaussiincompétentqueçaavecDavis,dit-elle.—Lui,ilvoulaitbeletbienletuer.—Etpasmoi?C’estabsurde!—Jesais.Ilportasoncaféàseslèvres.Illuijetaunregardenreposantsatasse.—Quiauraitintérêtàvousvoirmorte?Elleavaitdéjàpenséàça.Etelleluiavaitdéjàditavecsincéritéqu’ellenecroyaitpascapablesde
luifairedumalceuxquitireraientbénéficedesamort.—Quoiquevousenpensiez,çan’arienàvoiraveclasociété,dit-elle.—Commentpouvez-vousenêtresisûre?
—Jeconnaistropbienlesgensquihériteraientdemespartspourcroirequ’ilspourraientattenteràmavie.Çavientd’ailleurs,dit-elle,obstinée.
—Voushéritezdespartsd’unesociétéd’unevaleurde…plusieursmillionsdedollars.Au ton de sa voix, elle comprit qu’il annonçait une somme au hasard,maismême si lemontant
annoncéétaittrèsendessousdelaréalité,ellenelerepritpas.—Etvouspersistez à croireque çan’apasde rapport avec le fait qu’on cherche àvous tuer ?
Alorsmêmequ’aucunautrechangementn’estsurvenudansvotrevie?—Aucundeceshommes…—Quesepasserait-ilaprèsvotremort?lacoupa-t-ild’untonsévère.Elle savait qu’il avait raison,mais admettre qu’un des associés de son père, qu’elle considérait
commeses«grands-pères»,puisseêtreàl’originedecequis’étaitpasséfaisaits’effondrerlemondedesonenfance,uncoconconfortableoùrégnaientamouretconfiance.
—Mespartsseraientrépartiesentrelesautresassociés,dit-ellesèchement.—Pourquoicelanes’est-ilpasfaitàlamortdevotrepère?—Parcequ’ilm’adésignéecommehéritière.Chaqueassociéalepouvoirdetransmettresespartsà
unhéritier. Sansquoi les parts sont divisées entre les différents associés restants en proportion de cequ’ilspossèdentdéjà.
—Cetaccordaétérédigédèsledépart?Elleacquiesça.—Ilsonttouscontribuéàhauteurdeleursmoyensrespectifsauxcoûtsdedémarrage,etreçudes
partséquivalentesàlasommequ’ilsavaientinvestie.C’estàcemomentqu’ilsontétabliunaccordentreassociéspoursavoircequ’iladviendraitdeleurspartssil’und’euxvenaitàdisparaître.Autantquejesache, c’est un accord classique, sauf qu’il n’y a pas d’autres options possibles. Chaque associédéterminecequ’iladviendradesespartsàsamort,etlesautresnepeuventpasrevenirdessus.
—Quidétientlesplusgrossesparts,aprèsvous?Ellerechignaitàprononcerlenomqu’il luidemandait.Çaferait immédiatementdecethommeun
suspect.Orellenelecroyaitpascoupabledecequis’étaitpassé,endépitdelalogiquedeGrey.Etellelecroyaitencoremoinscoupabledemeurtre.
—BillClemens,dit-elle.—Alorsoncommenceparlui.—Billyn’arienàvoiraveccemeurtre.—Cen’estpastrèsdifficile,denosjours,detrouverquelqu’unpourcommettreunmeurtreàvotre
place.Etc’estpluslégerpourlaconscience.JesuispersuadéqueClemensaassezd’argentpourengagerunhommedemain.
—Maisilneleferaitpas.Etilne…Ellen’arrivapasàprononcerd’autresmots.«Etilnechercheraitpasàmetuer.»C’étaitridicule.
Maisellen’étaitpasprêteàavalerlathéoriedeGreynonplus.Çaluisemblaitencoreplusridicule.Celui qui avait tué Harold Davis avait probablement voulu les tuer tous les deux. Bill
Clemens— elle en avait la conviction—n’avait rien à voir là-dedans. Elle était contente queGreyignorel’ampleurdecequ’ilpourraitempocheràsamort.
Ilpinçaleslèvres,baissalesyeux,puislesrelevaavecfroideur.—Alorsquelleestlacausedecesévénements,selonvous?Ellen’enavaitaucuneidée.Contesterl’hypothèsedeGreysemblaitdoncvain.Etpourtant…—Billestdéjàassezrichecommeça.Lepliaucoindesaboucheréapparut,maisilseretint.—Etilneseraitpasplusrichesivousdisparaissiez?—Si.
—Alorsilauneraisondevouloirvotremort.—Ilsont touslesquatreuneraisondevouloirmamort.Ilssontpeut-êtretouslesquatredansle
coup.L’organisationdemonassassinatétaitinscritàl’ordredujourdudernierconseild’administration,non?dit-elleavecsarcasme.
—Quanda-t-ileulieu?—Iln’apaseulieu,c’étaitcenséêtreuneplaisanterie.—Ehbienalors,quanddoitavoirlieuleprochain?—Aladatequejedéciderai,jepense.—Fixezunedatealors.—Etaprèsjefaisquoi?—Vousleurditesquevousnommezunhéritier.—Mais…jen’aipersonnequejepeuxnommercommehéritier,répondit-elle,désemparée.—Nommezuneœuvrecaritative.Créez-enune.Toutlemondefaitça.—Etcommeça,aucundesassociésnepourraittirerprofitdemamort.C’étaitcrédible.Sisesennuisvenaientbiendelà.Etmêmesicen’étaitpaslecasaussi.—Jedevraismedébarrasserunebonnefoispourtoutesdecesparts,dit-elledoucement.—Etlescéderauxautres?Cen’étaitpascequ’elleavaitvouludire.Ellevoulaitlescéderàuneœuvrecaritative,commeille
lui avait suggéré. Elle aurait pu céder ses parts aux autres associés, mais ça n’était pas la dernièrevolontédesonpère.
—JenecroispasquemonpèrevoulaitqueBillprennelecontrôledelasociété.—Pourquoi?—Jen’ensuispassûre,mais…sic’étaitcequ’ilavaitvoulu,ilauraitléguésespartsauxautres.
C’estd’ailleurscequejeluiavaisdemandédefaire.Moi,jen’enaijamaisvoulu.— Alors débarrassez-vous-en. Convoquez un conseil d’administration et rendez votre décision
publique.Lasociétéétaitl’héritagedesonpère.Ellesefaisaitundevoirmoraldelaplacerentredebonnes
mains.—Cen’estpasaussisimplequecela.—Aucontraire,çal’est.Nommezunhéritieretmettezfinàtoutrisquequ’undeceshommespuisse
tirerprofitdevotremort.Oualorscédez-leurvospartsetdésintéressez-vousdecequ’iladviendra.C’esttrèssimple.Sinon…
Ilétaitinutilequ’ilprécisecequ’ilvoulaitdire.L’avertissementétaitclair.Sinon,elleseraittoujoursmenacée.EllelisaitdansleregarddeGreyqu’ilenétaitconvaincu.Etsa
solutionétaitsimple:renonceràcetargentqu’elleavaittoujoursdétesté.Ça,çaluiseraitfacile.Maisalors,elleneseraitplusprotégéeparl’hommequ’elleaimait.Etça,
c’étaituntoutautretypedesacrifice.
10
Vingt-quatre heures. C’était selon les avocats le délai minimum pour convoquer un conseild’administration.
Val l’avait donc planifié pour le lendemain après-midi et demandé aux avocats d’en avertir lesautresassociés.Lesavertirparcebiaisleurferaitcomprendrequ’ellen’étaitpluslapetiteValeriequ’ilsavaientfaitsautersurleursgenoux,maisValerieBeaufort,P.-D.G.d’Av-Tech.
P.-D.G., jusqu’à ce qu’elle trouve unmoyen de se dessaisir de ses parts, se disait-elle pour serassurer.Selonlesavocats,mettresurpiedlafondationcaritativequ’ellepensaitcréerettransférersesparts entre les mains d’un groupe de gestion d’actifs prendrait du temps. Ils lui avaient égalementvivementconseilléderédigeruntestament.
Une fois ses volontés inscrites noir sur blanc, il serait difficile à quiconque, sa belle-mère parexemple, de contester ces dispositions. Lemoyen le plus sûr était de nommer un héritier temporaire,jusqu’àcequelafondationexistebeletbien.
Maisellen’avaitpasd’héritier.Pasdeproches.SaufsielleconsidéraitConniecommeunmembredesafamille,maiselleneparvenaitpasàs’yrésoudre.Cequil’avaitramenéeauxassociésdesonpère,qu’elleavaittoujoursvuscommesafamille.
EllenevoulaitpasdonnertropdecréditauxsoupçonsdeGrey,maisonavaitbeletbienpoignardéHaroldDavisetessayédelatuer,elleaussi.
Or,leseulchangementquis’étaitproduitdanssavieétaitl’héritagedespartsd’Av-Tech.L’argentdesonpère:laracinedetouslesmaux.
Craignantqu’AutryCarmichaelneliselecompterendudesévénementsdelanuitdanslapresse,nes’inquièteetnedébarqueauranch,Valavaitprislesdevantsetl’avaitappelédèslematin.ElleluiavaitparlédecequeGreyluiavaitracontédesonpassé,pourcequ’ellepouvaitendivulguer.
Autrys’étaitmontrérassurédesavoirquelemystèreGreySellersétaitrésoluetqu’ellenecouraitaucundangeraveclui.—Avez-voustoutpréparépourleconseild’administration?
Elle leva les yeux :Grey se tenait à l’entrée de la cuisine.Après leur conversation, il était alléclouer des planches sur les fenêtres brisées. Ça lui avait permis de passer ses coups de fil en toutetranquillité.
— Les avocats se chargent de l’organiser et de prévenir tout le monde. Je me suis dit que çasembleraitplusprofessionneldelefaireparleurintermédiaire.
—Vousvousattendezàdesdésistements?— Non, car les associés s’attendent à ce qu’un conseil soit convoqué. Ils savent que nous
recherchonsunconseillerendirection.—Celaveut-ildirequevousn’avezencoretrouvépersonne?
—Non,pas encore. Jevoulaisque ce soit les avocatsqui le recrutent,mais il semblerait qu’ilssouhaitentquejerencontremoi-mêmelescandidats.Jemedemandepourquoi.
—ParcequevousêtesleP.-D.G.,non?—J’aiessayédeleurfairecomprendrequepourmoicen’estqu’untitrehonorifique.Jeneveuxpas
dirigerlasociété.—Av-Technevousajamaisintéressée?Auneépoque,elles’était intéresséedeprèsauxactivitésde lasociété.Elleavaitgrandidans le
milieu de l’aviation, assistant dans sa jeunesse à des essais d’avions expérimentaux, top secrets pourcertains.Elleavaitensuiteessayédesuivrelesévolutionstechnologiquesquiavaienttransformélapetitesociétéaéronautiqueengéantdel’industrie.
C’étaitavantqu’ellenetourneledosàlafortunedesonpèreetparconséquentàlasociétéquienétaitl’origine.Av-Techévoluaitaujourd’huidansunesphèretechnologiquequidépassaitamplementsesconnaissances basiques. Les projets les plus récents, qui concernaient les systèmes de guidage demissilesetdesatellites,étaientbeaucouptroppointuspourelle.
—Auneépoquesi.Monpèrevoulaitquejeconnaisselesecteur,etj’aitentédelefaire,dit-elle,légèrementsurladéfensive.Maisdepuisquej’aiprismesdistancesavectoutça…
—Acausedel’argent?Lemomentétaitpeut-êtrevenupourelledetoutluiraconter.Greyavaitbesoindesavoircommentet
pourquoielleétaitdevenuecellequ’elleétait,autantqu’elleavaiteubesoind’ensavoirplussurlui.Illuiavaitavouécequilerendaitsimystérieux.Ellesedevaitdeluirendrelapareille.Ellenecherchapasàcomprendrepourquoiellesentaitquec’étaitsiimportant.
—Parcequej’aidécouvertlaveilledemonmariagequel’argentdemonpèreétaitlaseulechosequiintéressaitmonfiancé.Cetteexpériencefutextrêmementdésagréableet,àtortouàraison,dansmonesprit,elleatoujoursétéassociéeàAv-Tech.
Elles’attendaitàcequ’ilréagisse,qu’illuitémoignedelasympathieaumoins.MaisGreyneditrien.Ilfinitparsedirigerverslacafetièreetremplitunetasse.
—Çaadûêtredur.Illuitournaitledos,etavaitditcelad’untonparfaitementneutre.«Dur » était très en deçà de ce qu’elle avait éprouvé.Mais au bout de dix ans, elle devrait se
montrercapabled’enparleravecdétachement.—Au cours de cette soirée, quelqu’un a demandé àmon fiancé pourquoi nous ne dansions pas
ensemble.Elleneputempêchersavoixdetrembler.EllepensaitavoiroubliélesmotsdeBartcesoir-là,mais
ilsluirevinrentsoudainemententête,commesiças’étaitpassélaveille.Penseràcelaluifaisaittoujoursaussimal.Dixans,cen’étaitpeut-êtrepastantqueça,toutcomptefait.Pasassezentoutcaspourqu’elleenparleavecrecul.
Elle trouvait son comportement stupide et immature. Ce n’était que desmots, après tout, et BartCarruthersétaitunpauvretype.L’annulationdesonmariageétaitcequiluiétaitarrivédemieuxdanslavie.Alorspourquoicesouvenirétait-ilsidouloureux?
Ilsassistaientàunbaldansunclubde loisirs,unedecesnombreusessoiréesorganiséespendantleurs fiançailles par les amisde sonpère, etVal était allée se repoudrer le nez.Elle revenait vers lecercled’amisoùsetrouvaitsonfiancé,lequelluitournaitledos,lorsquequelqu’unavaitdemandéàBartpourquoiiln’avaitpasinvitéValerieàdanserpendantlasoirée.Elleserappelaitmêmeletonsurlequelcettequestionluiavaitétéposée:suffisant,légèrementmoqueur.
—Ila réponduque tout cequ’on luidemandait était de coucher avecmoi, et quepour tout cetargent,ilétaitprêtàrecevoirdanssonlitlafiancéedeFrankenstein,dumomentqueçasefaisaitdansl’obscurité,dit-ellesoudain,lesyeuxbaisséssursesdoigtscroisés.
Ilyeutunsilence.PuisGreyéclataderire.Elleauraitétémoinschoquées’il l’avaitgiflée.Ellelevalesyeuxetleregarda.Ilétaitappuyécontrelecomptoir.
—Bravetype,dit-il,sourianttoujours.Puisilportasatasseàseslèvres.Maiscequ’ilvitdanssonregardstoppasongeste.—Vousn’avezpaspenséquececommentairevousétaitdestiné,toutdemême?Elle se força à déglutir, malgré la boule qui lui obstruait la gorge, mais elle n’arrivait pas à
prononcerlemoindremot.Ellenecomprenaitpassaquestion.Biensûrqueçaluiétaitdestiné.C’étaitàproposd’elle,deleurrelation.
—Ildevaitenavoirplusquemarred’entendreparlerdel’argentdevotrepère.Iln’avaitpaslesépaulesassezlargespours’opposerauxrailleriesetexpliquerpourquoiilvoulaitvousépouser,alorsiln’afaitquedirecequ’onattendaitdelui.
—Ensemoquantdemoi?—Illuiauraitsûrementfallusedonnerbeaucoupdepeinepourconvaincrelesautresqu’ilnevous
épousaitpaspourl’argent.—Maisiln’étaitpasquestiond’argentdanscetteconversation,maisdemoi.—Vousl’avezprispourvous,plutôt.—Jenevoispascommentj’auraispufaireautrement.Elleluiavaitfaitcetteconfidencepourqu’ilcomprennepourquoielleseméfiaitdeshommes.Mais
Greysemblaitinsinuerquecelan’avaitrienàvoiravecl’argent.CelaluifaisaitpresqueaussimalquelesproposdeBart.
—Peut-êtrequevousauriezdûprendrecetteremarquecommelaréponsemaladroited’unabrutiquiessayaitdesedéfendrecontreundesesamisenvieux.Maisçan’avaitpasderapportdirectavecvous.C’estimpossible.
«C’estimpossible.»EllerepassalesparolesdeBartdanssatête.«Toutcequ’onmedemande,c’est de coucher avec elle. Je pense que je peux le faire. Bon sang, pour tout cet argent, je seraiscapabledecoucheraveclafiancéedeFrankenstein.Tantqueçasepassedanslenoir.»
—Maissi,ilparlaitdemoi,dit-elle.—Nonilparlaitdelui.Desestravers,pasdesvôtres.Cen’estpaspareil,ditGrey.Ellesecouadoucementlatête,enungestededénégation.—Vouspensiezqu’ilnevoustrouvaitpasattirantephysiquement?Elleinspiraprofondément,carellesavaitquec’étaitlàlenœudduproblème.Bartnelatrouvaitpas
séduisante.Ellel’avaittoujourssu.—Non,ilnemetrouvaitpasattirante.—Ilnevousajamaisfaitl’amour?Al’époque,elleavaitpenséquelemanqued’intimitédansleurrelationvenaitd’elle.Jusqu’àcette
soiréefatidique,elleavaitpenséqueBartsemontraitchevaleresqueetromantique,qu’ilrespectaitsonchoix.Etaulieudecela…MonDieu,qu’est-cequej’aipumemontrerstupide!Ellesesentithonteused’avoirétéaussinaïve.
— Il est évident qu’il n’en avait pas envie. Une fois que tout aurait été signé, qu’il auraitdéfinitivementmis lamain surmoi—ou plutôt, devrais-je dire, sur l’argent demonpère—alors ilauraitconsentiàfairecesacrifice,dit-ellesèchement.
—Etpendanttoutescesannées,vousn’avez…Ilnefinitpassaphrase,maisunsentimentqu’elleavaitdéjàvupassadanssonregard.Delapitié?MonDieu,faitesquecenesoitpasça.Elledétesteraitqu’ilaitpitiéd’elle.Surtoutà
cetégard.—Toutescesannéesjen’aipasquoi?demanda-t-elle,commelesilenceseprolongeait.Plutôtquederépondre,illuidemanda:
—Combiend’hommesavez-vouseusdansvotreviedepuiscesoir-là?Elleneréponditpas.Peuimportaitcequ’elleressentaitpourGrey,çaneleregardaitpas.Elle,elle
neluiposaitpasdequestionssursavieprivée.—MonDieu,etc’estarrivéilyacombiendetemps?demanda-t-ilsanslaquitterdesyeux.—Assez longtemps pour que ce soit de l’histoire ancienne. Je ne saismême pas pourquoi nous
parlonsdeça.Elleavaitpenséqu’ildevaitsavoirpourquoiellenevoulaitpasentendreparlerdel’argentdeson
père,pourquoielleavaitportédesaccusationscontreluil’autrenuitdansl’écurie.Queçal’intéresseraitdesavoirpourquoielleétaitsiméfianteàcesujet.Maisaulieudeça…
—C’étaituneerreur,quelquechosequin’auraitjamaisdûseproduire.—Ilestdifficiledesavoirenquionpeutavoirconfiance.Maisça,jepensequevouslesavezdéjà.—Oui,répondit-elle,amère.Greyposasoncafésurladesserteets’avançaverselle.Ilsetintquelquessecondesàcôtédelatable,lesyeuxsurelle,puissepencha.Sonvisageétaittout
prèsdusien.—Moi,jeneveuxpasdevotreargent,mademoiselleBeaufort,maisjevousveux,vous.Plusque
tout.Jeveuxdanseravecvousetvousfairel’amour.Etvouspouvezêtresûrequeçanesepasserapasdanslenoir.
Unlongmoment,ilsoutintsonregard.Ellesentitlesangrefluerverssonvisage.Ellenesavaitpasquoidire.Greys’étaitemparédesparolesdouloureusesincrustéesenelledepuisdixansetlesluiavaitrenvoyéesàlafigure.
Aprèsunmomentquiluiparutuneéternité,ilfinitparseredresser.Iltraversalacuisine,ouvritlaporteetsortit.
Par la véranda arrière. Là où il l’avait protégée la nuit précédente, en offrant son corps commebouclier.
C’étaitsongardeducorps,évidemment,etc’étaitsonboulot.Maisça,c’étaittoutautrechose.Ellevoulaitêtresûred’avoirbiencompriscequ’ilvoulaitdire.L’heureétaittropgravepoursetromper.
***
EllerestaimmobilelongtempsaprèsledépartdeGrey,àserepassersesparolesenboucledanssatête.«Jevousveuxvous.Plusquetout.Jeveuxdanseravecvousetvousfairel’amour.Etvouspouvezêtresûrequeçanesepasserapasdanslenoir.»
Au fondd’elle-même, elle avait la certitudeque si elle trouvait le couraged’allervers lui, dansl’obscuritéoudanslalumière,elleneseraitpasdéçue.
Depuisqu’elles’étaitmiseaulit,Valerieétaitagitée.Ellesavaitpourquoi.Ilyavaitd’abordeulaconversation de ce matin et l’allusion à l’éventualité qu’un des associés de son père essaie de lasupprimer. Cette idée s’était transformée en terreur à l’approche du conseil d’administration dulendemainaprès-midi.Etaumilieudetoutcela,ilyavaitsarelationavecGreyetledéfiqu’illuiavaitlancé.
«Etvouspouvezêtresûrequeçanesepasserapasdanslenoir.»Avait-il dit cela pour la provoquer ?Dans ce cas, çamarchait. Elle avait lutté toute la journée
contreledésird’allerletrouver,avecl’espoirqu’ilsepassequelquechose.Etcedésirnelalâchaitpas.CarGreyluiavaitditque,pourmonterlagardeetveillersurelle,ilrestaitdanslamaison,plutôtqued’allerdormirdansl’annexe.
C’estsontravail,sedit-elleens’agitantsursonoreiller.Ilnefaitquesonboulot…Elleroulasurledos,lesyeuxfixésauplafond.
ElleneparvenaitpasàsesortirGreydelatête.Peut-êtrequedeuxcomprimésl’aideraientàtrouverlesommeilouapaiseraientaumoinssadouleur
augenou.C’étaitpeut-êtrecettedouleurquilatenaitéveilléeetpassespensées?Maisoui,biensûr,sedit-elle,conscientequ’ellecherchaitàsementir.
Elle repoussa ses draps et s’assit au bord du lit. Elle ouvrit le tiroir où se trouvait le flacon decomprimés.Elle le cherchadans l’obscurité, avantde se rappelerqu’elle l’avait laissé sur la table, àcôtédufauteuiloùelleavaitpassélaplupartdesontempsaucoursdesaconvalescence.
Il fallait qu’elle aille le chercher. Il fallait qu’elle dormepour avoir les idées claires lors de laréuniondulendemain,d’autantqu’ellen’avaitdéjàpasbeaucoupdormilanuitprécédente.Ilétaitplusdedeuxheuresdumatin,ellenepouvaitsepermettredeveillercommeçapluslongtemps.Ellen’avaitqu’àseglisserdanslebureau,récupérerlescomprimés,passeràlasalledebainsetenprendredeux.Greynes’apercevraitmêmepasqu’elles’étaitlevée.
Lorsqu’elleétaitalléesecoucher,ilbuvaitducafé,assisàlavieilletabledeboissurlaquellesamèreluiavaitapprisàconfectionnerunepâteàtarte.C’étaitl’undesacquisdesonenfancedontelleétaitla plus fière, se dit-elle dans un sourire.Elle se revoyait encore, présentant à son père—pour qu’ildonnesonavis—lapremière tarteauxpommesqu’elleavait faiteelle-même.Cela faisaitdesannéesqu’ellen’avaitplusfaitdetartes.Cariln’yavaiteupersonnepourqui…
Ellerefermabrutalementletiroir,chassantcettepensée,agacéeparlaperversitédesamémoire.Acetteépoque, toutcequ’ellevoulait était ressemblerà samère,avoir lamêmeviequ’elle.Semarier,avoirdesamis.Etunepetitefilleàquitransmettresonsavoir-faire,serréecontreelledansunecuisined’été,embaumantleparfumd’unpetitplatmitonné.
Qu’était-il advenu de ces rêves ? Avait-elle laissé Bart Carruthers les détruire ? Les avait-elledétruitselle-mêmeparpeur,lâchetéouapitoiement?
Encetinstantprécis,ellesutdequoielleavaitenvie:allertrouverGreyetlelaisserrebâtircesrêvesquetoutescesannéesn’avaientpasexaucés.Quecesoitdansl’obscuritéouenpleinelumière.Elles’enmoquait.
CommeellesemoquaitdesavoirpourquoiGreyavaitenviedefairel’amouravecelle.C’étaitladernièredesespeurs,ladernièrebarrièreàfranchir.Ettantpissic’étaitàcausedesonargent,ettantpissic’étaitlaseuleraisonpourlaquelleGreyvoulaitd’elle.
Ellenesavaitpassicetterésolutionétaitunevictoireouunedéfaite,maisellel’avaitprise.
***
—Grey?appela-t-elledoucementàl’entréeducouloir.Lalumièreétaittoujoursalluméedanslacuisine.Elle se souvenait des recommandations queGrey lui avait données la veille.Elle ne voulait pas
risquerdese faire tirerdessuspar sonpropregardeducorps. Ilapparut sur le seuilde lacuisine, sacarrureremplissantl’encadrementdelaporte.Elleavaitdumalàdistinguersestraits.
—Qu’est-cequinevapas?Faceàlui,ellen’arrivaitpasàjustifiersaprésence.Elleavaitespéréqu’ils’endouterait.—Valerie?—Toutvabien.Il attendit, puis commeelle n’ajoutait rien, il tendit le bras et alluma la lumière du couloir. Elle
clignadesyeuxetlevalamainpourseprotéger.Ellelevitlaregarderfixement.Danssonregard,elleretrouvalamêmeexcitationquel’autresoir.Ceregardétaitsiintensequ’elleeutpresquepeurdecequ’ilsignifiait.
Mais c’était bien pour ça qu’elle était là, après tout. Pour cette excitation. Elle n’avait rien àcraindre.Pasça,nilui.Ellen’avaitjamaiseupeurdelui.Soninstinctétaitaussibonquelesien.
—Cen’estpasunebonneidée,dit-ildoucement.Cette remarquepouvait être interprétéedediverses façons.Elle inspira, s’efforçantdenepas se
tromper sur ce qu’il voulait dire, de ne pas laisser revenir ses vieux démons et détruire ce qu’elleressentait.Etcequ’ilressentaitlui,elleenavaitlaconviction.
—Pourquoipas?demanda-t-elle,heureused’entendresavoixassuréemalgrésoncœurbattant.—Parcequ’onaessayédevous tuer lanuitdernièreetquemon travail, c’estdevousprotéger.
Pas…defaireça.Cettepetitehésitationétaitunevraieprovocation.Ellevoulaitqu’ilprononcelesvraismots.Tous,
même les plus crus. L’idée d’entendre ces mots dans sa bouche en sachant qu’il les prononcerait enparlantd’ellel’excitait.
—Vous avez dit que vous vouliezme faire l’amour.Que ça se passe dans le noir ou en pleinelumière…
Ellelevitprendreuneprofondeinspirationquifitsesouleverlalignedesesépaules.L’hésitationqu’ellemarquaitétaitpeut-êtreaussiprovocantequelasienne.Etaussidélibérée.
—Lesdeuxmevont,finit-elledoucement.—Vousnecraignezpasquequelqu’un…—Non,dit-ellesansluidonnerletempsdeterminersaphrase.Pourlapremièrefoisendixans,ellen’avaitpeurderiennidepersonne.NideGrey,niduridicule,
nidesevoirrejetée.Ellen’avaitmêmepaspeurdecauserunedéception.Elleavaitunbienprécieux,quin’appartenaitqu’àelle,dontelleétaitlibrededisposer,etcesoir
ellevoulaitleluioffrir,c’estpourquoiellel’avaitappelé.—Nepassemontrerattentifpeutserévélerdangereux,dit-il.Elleeutunpetitsourired’amusement.Tropsoudain.Troptôt.Tropdangereux.—Est-cevotreintuition?Avez-vouslesentimentqu’ilyaquelqu’unquisecachedehors?—Cen’estquedubonsens,pasde l’intuition. Jene ressens rienà l’intérieur.Enfin…pasàce
sujet,dumoins.Savoixs’étaitfaiteplusdouceetaguicheuse,commel’étaitparfoissonregard.—Votre instinct avait vu juste à propos d’hier soir, alors il n’y a peut-être effectivement aucun
dangercesoir.Etmêmes’ilyenavait,vousseriezplusprèsdemoiquevousnel’êtesenrestantassisdanslacuisine.
Elleemployaituntonlégèrementprovocant,séducteurmême,etelleaimaitça,mêmesic’étaittrèséloignédesanature.
—L’essencemêmedelaprotectionrapprochéeestlaproximitéaveclesujetàprotéger,dit-il,avecunpetitpliaucoindeslèvres.
Proximité.Elleprenaitsoudainconsciencedelaconnotationsexuellequepouvaitprendrecemot.Quiimpliquaitdel’intimité,àcausedelamenacequiplanaitsureux.Aprèstoutescesannées,cethommeavaitfaitvolerenéclatslesbarrièresdesesémotions.
—Ehbienalors…C’étaituneavance.Ellen’enrevenaitpasd’avoireulecouragedelaformuler.Dansl’attentequ’il
l’accepte,elleretintsonsouffle.—Dites-moi,dites-moicequevousvoulez,murmura-t-il.Ellen’avaittoujourspaspeur.Elleneressentaitquedudésiretdel’amour.—Jeveuxquevousm’aimiez.Enpleinelumière.
11
Lejourdel’arrivéedeGrey,Valerieavaitsuenleregardantcaresserlechanfreind’Harvarddesesbelles mains bronzées qu’il était un homme qui connaissait les chevaux. Ce soir-là, elle apprit qu’ilconnaissaitégalementtoutdesfemmes.
Elleavait trèsvitecompriscombien ilétaithabile,patientetmaîtredechacundesesgestes,carchaquefoisqu’illatouchait,soncorpsfrissonnaitdedésir.
« En pleine lumière », avait-elle dit. Mais lorsqu’ils étaient entrés dans la chambre, il l’avaitsimplementmenéejusqu’aulit,baignédelaclartédelalune.Puisils’étaitdéshabillésobrement.Ilavaitd’abord déboutonné sa chemise, suffisamment pour la passer par-dessus sa tête.Chacun de ses gestessemblaitdétachéetdégageaitunmélangedeforceetdegrâce.
Lorsqu’il s’assit au bord du lit pour ôter bottes et chaussettes,Val prit conscience qu’elle allaitlaisserunhommequ’elleconnaissaitàpeineluifairel’amour.MaislaperspectivequeGreypartagesamaisonetsonlitluiparaissaitallerdesoi.
Perduedanssespensées,ellefutlégèrementsurpriselorsqu’ilseleva.Ildéboutonnasonjeanenlaregardant,lefitglisserets’enlibéra.
Ilneportaitriendessous.Deboutdevantelle,entièrementnu,ilémanaitdeluilamêmeforcequedel’oragedel’autrenuit.Uneforceélémentaireetprimitive.
—Avousmaintenant,dit-ildoucement.Elleinspiraprofondément,malassurée.Elleportaitunechemisedenuitàmancheslonguesetcol
haut.Cen’étaitpasexactementunetenuedeséductrice.Maisellemanquaitunpeudepratiqueentermesde séduction.Elle porta des doigts tremblants à la boutonnière en perles de sa chemise de nuit. Il luisaisitlesmainsavantqu’elleaiteuletempsdedétacherdeuxboutons.
—Jen’aipasditquec’étaitàvousdelefaire.Elleauraitpumontrerdel’embarrasetdel’incompréhension,maisilluisouriait.Ellesecontenta
doncd’acquiescer,lagorgetropserréepourpouvoirprononcerlemoindremot.—C’estàmoidefaireça,pasàvous.Vousn’avezrienàfaire,cesoir.Ilnetouchapastoutdesuiteauxboutons.Ilposalesmainssursesépaulesetdoucement,fitglisser
sabouchelelongdesoncou.D’instinct,elleinclinalatête,cequiprolongealacaresse.Ellesentittoutetensionl’abandonner,commesielledevenaitliquide,malléableetpleinededésir.Sabouchelaissaunetraced’humiditélelongdesagorgeetcommeilposaitseslèvressurlabase
desoncou,ellesentitquesesmainss’affairaientsurlesboutonsdesachemisedenuit.Unefoislesboutonsdéfaits,ilfitpasserlachemisedenuitau-dessusdesesépaules,accompagnant
desabouchelemouvementquidévoilaitchaqueparcelledesapeaujusqu’àsesseins.Lafraîcheurdel’airrencontral’humiditélaisséeparsaboucheetellefrissonnaencore.
Elle sentit un désir brûlant, presque douloureux, prendre forme dans son bas-ventre. Un besoinprimitifetélémentaire.
Greyluiôtaentièrementsachemisedenuitet lefrottementducotonsurlapointedesesseinsfutpresqueaussiérotiquequelacaressedesabouche.Maiscettesensationfutencoreplusfortelorsqu’ilpassasalanguesursesseins,etlafitglisserautourdesestétons,l’unaprèsl’autre.Ellelessentitdurciret sedresser sous lachaleurde sabouche.Un légergémissementdeplaisir lui échappaet toute forcel’abandonna.
LabouchedeGreyserefermasurlapointed’undesesseinsetcesoudainmouvementlasurprit.Uncrisortitdesagorge,incontrôlable.
Valerien’avait plusdevolontépropre.Elle était perduedans lebonheurde ces sensations, et laboucheavidedeGreycontinuaitdelaparcouriretdelacaresser.Sesmainsbougeaientsursoncorpsenharmonieaveclemouvementdeseslèvres.Sesdoigtscaressaientouenfermaientsesseins,lesportaientàsaboucheetàsalangue.Ilcontinuajusqu’àcequ’ellen’enpuisseplus.
Assez,cria-t-elleintérieurement.Assez.Maisellesavaitqu’ilsenvoulaientencoreplustousdeux,quecen’étaitqu’unprélude.Ilavaittellementplusàluiapprendre!
Aprèsunlongmomentoùellecrutdéfaillir,ilsepenchaau-dessusd’elle,seslèvresglissantentreses seins, etdescendant jusqu’à sonnombril.Elle laissa sa langue laparcourir, l’excitantencoreplus,explorantchaquepartiedesoncorps.Apprenantàleconnaître.
LespoucesdeGreyétaientposéssurseshanches, leboutdesesdoigtssursesfesses.Sesmainsl’attiraientàlui,àsaboucheavide.
Seslèvresdescendirentplusbas,etValeriesentitsonventreréagirencomprenantquellepartiedesoncorpsellesallaientexplorer.
Ellefermalesyeux,latêterejetéeenarrière,leslèvresouvertes.Unepartied’ellevoulaitprotester,maisc’estpourtantbiencequ’elleavaitvoulu,cesoir,tandisqu’elleavaitétéseuleàs’agiterdanssonlit.
Uncri,dontellen’auraitsudéfinirlanature,s’échappadeseslèvresaupremiermouvementdelalanguedeGrey,etelleempoignacompulsivementsescheveux.
Ilneprêtapasattentionàsoncri,niàsesmains.Ilnes’intéressaitqu’audésirbrûlantqu’ilavaitéveilléetattisait,jusqu’àcequ’ilemplissechaqueparcelledesoncorps.
Valerien’avait jamais rien ressentidesemblable.Soncorps luiétait livré telun territoireviergedontilprenaitpossessionenluirévélantsasexualité.
Ce n’était qu’un début, un prélude. Tous deux en voulaient encore plus. Et pourtant elle nes’imaginaitpasressentirunplaisirplusintense,niyrésister.
—Asseyez-vous,dit-il.Elleobéitpromptement,s’aidantdesesmainstremblantes,tandisqu’ilcontinuaitdelacaresser.Ellelerevitsoufflerdoucementsurlesnaseauxd’Harvard:elleressentaitlamêmecaressedesa
respiration.Celled’unhommequiconnaissaitlesfemmes.Elleretombaenarrière,défaillante,etenunmouvement, ilseretrouvaàgenouxentresesjambes
qu’elleavaitouvertespresqueinstinctivement,commesielleavaitvouluqu’ils’ytrouve.Elleétaitàsamerci,vulnérable,maisnullementeffrayée.
—Allongez-vous,dit-il.Savoixn’étaitqu’unmurmurecharmeur.Mêmesielleavaitvoulurésister,ellen’enauraitpaseula
force.Elleavaitperdutoutcontrôledesessensàl’instantoùilavaitposéseslèvressursoncorps.Elles’allongea,enappuisurlescoudes.Illuiplaçalesjambesdanslapositionlaplusconfortable
possible,légèrementfléchies.Puisilrepritlacaressedesabouche.Elle pensait être prête pour la suite. Chaque nouvelle caresse se révélait plus forte que la
précédente.
Il passa doucement la pointe de la langue sur son intimité, déclenchant des éclairs de plaisir àtravers tout son corps, aussi violents que ceux de cette nuit d’orage où elle l’avait découvert dansl’écurie.
Elles’emparaàpleinesmainsdesescheveux,serrantpuisdesserrantsonétreinteparintermittence.Ellen’étaitplusmaîtressed’uncorpsquivenaitàlarencontredesabouchepourenintensifierlacaresse.
Toutcequ’ellesavait,c’estqu’ellevoulaitêtretoutprèsdelui.Neplusfairequ’unaveclui.Iln’yavait pas demots assez forts pour exprimer ce qu’elle ressentait. Elle ne parvenait plus àmettre del’ordredanslechaosdesespensées.
Soncorpss’arquadenouveau,etl’airluimanqua.Elleéprouvaituneémotionnouvelle,au-delàdetoutcontrôle.
Elle ne comprenait plus ce qui se passait, la bouche de Grey était toujours sur son corps et untremblement se déclencha au fondd’elle-même, parcourant chaque atomede son corps.Elle se noyaitdansunocéandesensations,dansunplaisirsiintensequec’enétaiteffrayant.
Acemomentprécis,Greyarrêtasacaresse.Lesentimentd’abandonqueValerieressentitfutsifortqu’ellecria,maisalorsquel’échodececrirésonnaitencore,ils’allongeasurelleetlapénétra.
Elle ressentit une brève douleur, comme si quelque chose en elle se déchirait. Grey suspenditl’espaced’unesecondelemouvementqu’ilavaitengagé.Etquandillereprit,ladouleuravaitdisparu.Un sentiment d’accomplissement la remplaçait, alors qu’il entrait complètement en elle, comme si soncorpsavaitétéconçupourl’accueillir.
Elle attendit, le souffle coupé, apprenant ce que son corps venait de comprendre.Grey semit àbougerenelle,d’unmouvementpuissantetgracieuxdeshanches.Iltenaitsonvisageentresesmains.Elleouvrit les yeux, regarda les siens, gris argenté, et y lut une douceur qu’elle n’y avait jamais vueauparavant.
Voilàcommentilregarderaitunefemmequ’ilaime.Cettepensée,qu’ellen’auraitjamaiscruavoir,luirappeladerespirer.Sarespirationétaitsaccadée,haletante,commesielleavaitmanquéd’airpendanttroplongtemps.Enréponse,ilcontinuadebougerplusfortenelle,sansquittersonregard.
De ses pouces, il chassa les larmes qui se formaient au coin de ses paupières et posa un baiserdélicatsursescils.
Lorsqu’elleouvritdenouveaulesyeux,illuisouriaittoutenbougeantenelle.Iln’yavaitplusdedouleur.Soncorpsaccueillaitavecaisancel’expressiondelavirilitéquis’étaitfrayéuncheminenelle,avecuneinfiniedouceur,avecuneinfiniepatience.
Denouvellesvaguesdeplaisirlasubmergèrent,encoreplusfortes.Unplaisirtellementintensequ’ilenétaitindicible.
Cettenouvellevaguedeplaisirlapritcomplètementdecourt,carriennel’yavaitpréparée.Soncorpss’arquaencoreetencore,jusqu’àrencontrerleshanchesdeGrey.Elleagrippasesfesses
et sentit la puissance de sesmuscles. Soudain, il tressaillit, comme pris de convulsions, alors que sasemence se répandait en elle. Puis son corps retomba de tout son poids sur le sien.Tout près de sonoreille,ellel’entendithaleter,etsentitlecontactdesabarbesursajoue.Leurssueurssemêlèrent.
Ellelevadoucementsesmainstremblantes,etcaressasondospuissant.Ilsnefaisaientplusqu’un.C’étaitledésirqu’ellen’avaitpuformuler.Nefaireplusqu’unaveclui.Peuimportecequisepasserait,jamaiselleneregretteraitcesinstants.
Elle s’était donnée à lui librement, sans conditions, sans arrière-pensées, pensait-elle tout en lecaressantdoucement.Ilseredressapourlaregarder.
—Pourquoinemel’as-tupasdit?chuchota-t-il.Elle chassa ses vieux démons. Sa question n’était pas une accusation. Et même si elle était
inexpérimentée,rienenellenel’avaitinsatisfait.—J’avaispeur,dit-elle,sincère.
—Demoi?—Quetuneveuillesplusdemoisitusavais.Lemêmepetitsourireapparutsurseslèvres,qui—ellelesavaitmaintenant—n’étaientniduresni
pincées.Niriendecequ’elleavaitpenséauparavant.—Çanemarchepascommeça.Ellesecoualatêteavecunregardinterrogateur.—L’inexpériencene…freinepasledésir.—Jecroyaisquesij’enavaissuunpeuplussurlesujet,ç’auraitétémieuxpourtoi.Elleinspiraprofondément,carmalgrécequ’ilavaitdit,ellehésitaitencoreàfairecetteconfession.—Enfait,jen’avaispaslamoindreidéedecequejedevaisfaire.Ilsouritdenouveau,vraimentamusécettefois,etellesentitensonforintérieurunbouleversement
égalàceluiqu’ilavaitprovoquédanssoncorps.—Tun’avaisrienàfaire.Riendeplusquecequetuasfait.—Maisjen’airienfaitdutout,dit-elle,esquissantuntimidesourireenréponseàcequ’ellelisait
danssonregardetdanssavoix.PourtantcetamusementquittabientôtlevisagedeGrey.Sesyeuxs’assombrirent,etsonairredevint
sérieux.—Pourquoies-tuvenue?Ellenesavaitpastrèsbiencequ’ilvoulaitdireparlà.Ellen’étaitjamaissûrederienaveclui.Elle
luiditdonclavérité,sansdétour.—Parcequej’avaisenviedecequis’estpassé.J’avaisenviedetoi.—Riend’autre?Pasdepromesses,sedit-elle.Iln’yenavaitpaseu.Depuisledébut.Pasdeconditions.—Seulementcequetuveuxdonner.—Qu’est-cequetuesprêteàdonner,toi?L’espace d’une seconde, les anciennes peurs deValerie resurgirent. Elle venait de lui donner ce
qu’elleavaitdeplusprécieux.Quepouvait-ilvouloirdeplus?—Etsi…,commença-t-il.—Etsiquoi?Latensionrevenait,c’étaitdésagréable.—Tusaisquejenesuispasuncadeau,jet’aidéjàditpourquoi,mais…ilyaautrechosedontjene
t’aipasparlé.Il serra les lèvres, comme s’il voulait empêcher les mots de sortir. Elle ne le pressa pas de
questions.Ellesavaitquec’étaitenrapportaveccettemissionratéeetlesentimentdeculpabilitéqu’iléprouvaitpourlamortdecethomme.
—J’aidécouvertquesijebuvais,çam’empêchaitdepenserà…cequej’avaisfait,finit-ilpardireaprèsunlongmoment.
Lesmotsrestèrentcommesuspendusdansl’obscurité.Elleattendit,carellesavaitqu’il luifallaittoutdire.ToutcommeelleavaitéprouvélebesoindetoutluidiresurBart.
—L’autre nuit, dans l’écurie… j’avais bu parce que je savais que je n’avais pas le droit de tetoucher.J’étaislàpourteprotégeretaulieudeça…
—Tum’asprotégée,dit-ellepourapaisersadouleur.Ileutunpetitrirebref.—Parceque j’aiunbon instinctetque j’aieubeaucoupdechance.Nousavonseubeaucoupde
chance.—Monpèrem’a toujoursditques’ildevaitchoisirentreêtrequelqu’undebonouquelqu’unde
chanceux,ilchoisiraitsanshésiterd’êtrequelqu’undechanceux.
Ilritdenouveau,demanièremoinscaustique.—Tuauraisaimémonpère,etilt’auraitaimé,chuchota-t-elle,lagorgeserrée.C’étaitlavérité.Elles’étaitpeut-êtretrompéeavant,maispascettefois.Greyétaitunhommebon.
Unhommequilaprotégeraittoujoursdudanger,commelanuitprécédente.Quecesoitsontravailoupas.—Maintenant,comptetenudetoutcequetusaisdemoi…Ellelecoupanet.— T’aurait-il accueilli les bras ouverts ? Ce n’était pas son style. Les pères sont par nature
circonspects.Mais…jecroisqu’ilauraitfinipart’apprécier.Malheureusement,situcherchesàavoirsabénédiction,tuarrivesquelquesjourstroptard.
Doucement,ilpassalepoucesursalèvreinférieure,quitremblait.L’émotionl’avaitsubmergéeparsurprise.
—Jeregrettedenepasl’avoirconnu.—Moiaussijeregrettequetunel’aiespasconnu.Ellepassalamainsursonvisage,effleurantduboutdesdoigtssabarbenaissante.Ilnes’étaitpasrasécarlajournéeavaitétélongue.Ilavaitencoremoinsdormiqu’elle.Unpeuplus
tôt,elleavaitdéjàremarquélafatiguedanssonregard.Pourlapremièrefoisdepuisqu’elleleconnaissait,ilsemblaitvulnérable.Peut-êtreparcequ’illui
avait fait partde ses faiblesses etde sespeurs. «Jene suis pasun cadeau»,avait-ilavoué, évitantd’aborderlavéritablequestion,commeellel’avaitfaitavantlui.
S’ils continuaient à contourner le sujet, sans aller au-delà de l’intimité physique qu’ils avaientpartagée,ellesavaitqu’ilsortirait trèsvitedesavie,dèsqu’elleneseraitplusendanger.Unefoisdeplus,elleseretrouveraitseule.
Illuiavaitdemandécequ’ellevoulait,elleavaiteupeurdeleluidire.—Jeveuxtout,dit-elle.Cesmotssortirentdesabouchespontanément,aveclamêmeémotionquelorsqu’elleavaitévoqué
lamortdesonpère.C’étaitlavérité,ellenecherchadoncpasàlesretenir.Ellen’avaitpasoubliélesrêvesdelapetitefillequifaisaitdelacuisineavecsamaman.Aucentre
decesrêvessetenaitunhomme,àlafoisfortetbon.Etc’étaitlui.Grey.—Jeteveuxtoi.Le silence s’installa, puis il finit par acquiescer. Unmouvement à peine perceptible avant qu’il
n’abaissesonvisageversellepourl’embrasser.
12
—Jevoulaisquevoussachieztouscequisepasse,afinquevouscompreniezpourquoij’agisainsi,déclaraValerie,dontleregardallaitdel’unàl’autredesprotagonistesassisautourdelatable.
Ilsétaientencoresouslechoc.Cequ’ellevenaitdeleurraconterressemblaitàunthriller.Ellejetaunregardversl’endroitoùsetenaitGrey,sousunecaméradesurveillance,aussidiscret
quepossible.Ellenel’avaitjamaisvuainsi,etcen’étaitpasseulementdûàl’onéreuxcostumedesoiegrisequ’il
portait,niàlachemiseetàlacravateassorties.Ilparaissaitparfaitementàsaplacedanscettesalledeconseild’administration.Et,pourcombled’ironie,bienplusqu’elle.
—Laissez-moireformulerleschosesclairement.Vousêtesentraindenousinformerquevouscédezvospartsdelasociétéàunestupidefondationcaritative.C’estçaValerie?demandaBillClemensavecagressivité.
—Lemotclé,c’estquecesont«mes»parts,Bill,luirappelaValqui,pourlapremièrefoisdepuislamortdesonpère,sesentaitsûredecequ’ellefaisait,malgréletondelaquestiondeClemens.Papame les a cédées sans condition. Je ne souhaite pas diriger la société. Je ne veuxpas nonplus de sonargent,encoremoinsaveccequisepassedepuisquej’aihérité.Lafondationdétiendramespartsparlebiais d’un groupe de gestion d’intérêts. Les profits générés par mes parts seront utilisés pour desopérationscaritatives.Etlagestionauquotidiendelasociétéseraassuréeparuneéquipededirection.
—Que tuneveuillespas t’impliquer,machérie, jecroisquenous lecomprenons tous trèsbien,surtout après les événements que tu viens de nous décrire, ditHarp Springfield en caressant du doigtl’arête de son nez aristocratique, comme si ses lunettes lui faisaient mal. Mais pourquoi donner lecontrôledelasociétéàuneentitéextérieurequiauraunpoidsplusimportantquenous,sesfondateurs?Pourquoinepasdivisercespartsentrenous,commelestipulel’accordinitial?
Valeriesavaitquecetteexplicationpourraitserévélerdouloureuseetellenesouhaitaitfairedemalàpersonne.
—Sic’est cequemonpèreavaitvoulu, il l’aurait fait,Harp.Maisc’est àmoiqu’il a cédé sesparts,malgrémesdemandesréitéréespourqu’ilnelefassepas.
—Maiss’ilavaitvouluquesespartssoientcédéesàquelqu’und’extérieuràlasociété,ill’auraitfait,ditPorterJohnson.Laissersespartsàquelqu’und’extérieur,c’estautantallercontresavolontéquedepartagersespartsentrenous.
—Jenecèderien,jeplacemesintérêtsdanslesmainsdequelqu’und’autretantquejesuisvivante.Techniquement, je reste propriétaire de ces parts. Mon héritier, et la fondation, n’en deviendrontpropriétairesquesiquelquechosem’arrive.
—Celavaàl’encontredesprincipesdel’accordd’origine,Valerie,ditEmoryHunter.
—Unetentativedemeurtreaussi.Labrutalitédecesmotslesfittaireuninstant.Unhommeétaitmort,etonavaittentédelatuerelle.
S’ilsespéraientladissuaderd’agircommeellelevoulaitenlaculpabilisant,ilsallaientêtredéçus.—Est-cequecette…fondationadéjàétécréée?demandaBilly.—Pasencore,admit-elle,levantlesyeuxversGreypourserassurer.C’estencours,etjusqu’àce
que ce soit fait, j’ai nomméun héritier provisoire.C’est une sorte d’assurance. S’ilm’arrive quelquechose avant que la fondation ne soit mise en place, mes parts iront à cet héritier et ne seront pasredistribuéesentrevous.
—Maisquiestcethéritier?demandaHarp.Ilyavaitdelacolèredanssavoix.—Aucundevous,nilafemmedemonpère,aucasoùvousvousposeriezlaquestion.Jenevousen
diraipasplus.Jenesouhaitepasmettreunevieendanger,commelamiennel’aété.—Tucroisvraimentàcette…absurdité?Tucroisvraimentquequelqu’unessayedetetuerpour
récupérertespartsd’Av-Tech?demandaEmory,quisecouaitlatête,incrédule.—Jen’arrivepasàtrouverd’autreraison,dit-elle.Ellen’essayapasdeleurdirecombienelleavaitsouhaitéarriveràuneconclusiondifférente.—Tutetrompes,ditEmory,quisoutintsonregardavantdeleposersurchacundesautresassociés
assis autourde la table. Je connais ceshommesdepuis toujours.Plusdequarante ansd’amitié. Je lesconnaisaussibienquejeconnaissaistonpère.Jet’assurequetutemetsledoigtdansl’œilsitupensesquel’und’entrenouspourraitavoirunrapportquelconqueaveclamortdecethomme.Ouaveclefaitd’attenteràtavie.
Ellelutdelasincéritédanssonregardetsavaitqu’Hunterétaitconvaincudedirelavérité.Cedernierreprit.—Cequisignifiequesiquelqu’un tenteeffectivementde te tuer, tucherchesaumauvaisendroit,
pourdemauvaisesraisons.Alorsfaisattention,machérie.Faistrèsattention.Hunter se levaet fitunedemi-révérenceendirectiondeValerie.Puis il traversa lapiècevers la
sortie.Avantd’ouvrirlaporte,ilsetintimmobileunlongmoment,lamainsurlapoignée,lesyeuxfixéssurl’étrangerquiétaitlà,tranquillementappuyécontrelemur.
Greyhaussalessourcilssousleregardd’Hunter.CedernierfinitpardétournersonregardpourleposersurValerie.Incrédule,ilsecouadenouveaulatête,avantdedisparaîtredanslecouloir,tandisquelalourdeporteserefermaitderrièreluiavecunbruitsourd.
Valerie balaya du regard les associés encore présents. Hormis Bill Clemens, qui tapotaitnerveusementsonbloc-notesavecsonstylo,aucunnecherchaitàl’éviter.
—Quelqu’unaquelquechoseàajouter?HarperSpringfieldpritlaparole.—Cen’estpasjuste,Valerie,ettulesais.Lasociétéestànous.Nousavonsversésang,sueuret
larmespourlacréer,autantquetonpère.Lefaitquetuendonneslesrênesàquelqu’und’autre…—Harp,reprit-elle,avantqu’illacoupedenouveau.—Charlien’auraitpasvouluça.Peuimportelamanièredonttuprésentesleschoses.Nousétions
sesassociésetsesamis.Etreassociéssignifieavoirconfiance,Valerie.Personneicin’essaiedetetuer.Jecroisquequelqu’unamontéçadetoutespiècespourtefairepeur.Jetecroyaisplusperspicace.
Ses mots pesèrent sur sa conscience. Quoi qu’elle dise, elle ne parviendrait pas à leur fairecomprendrequ’ellenefaisaitqueprendredesmesuresfaceàunemenaceréelle.Mêmepourelle,cefaitavait été difficile à admettre,mais elle était sur place cette nuit-là.Elle avaitvu le corps inanimé deHaroldDavispartirdansuneambulance.Elleavaitvulesfenêtresbriséesparlescoupsdefeu,elleavaitvuleboiscarboniséàl’endroitoùonavaittentédemettrelefeuàsamaison,avecelleàl’intérieur.
Ilfallaitdoncdesmesuresdeprotection.SonregardcroisaceluideGrey,quiétaitaussiferméquelesoiroùellel’avaittrouvéassissouslavéranda,sonStetsonnoirramenésursesyeux.
—Ehbien,jepensequenouspouvonsenresterlàalors.Jetetiendraiinformé.Dèsquelesavocatsauronttrouvéuneéquipededirection…
Harpseleva.—Netedonnepaslapeinedem’appeler.Jeleurdonnerailenumérodemespropresavocats.Nous
n’avons qu’à communiquer par avocats interposés. Je ne pensais pas vivre une telle situation demonvivant,conclut-ilavecfroideur.
Valneflanchapasdevantsacolère.Ellen’avait rienfaitdemal.Ellenevolait rienàcesquatrehommes.Leurcolèreétaitdavantagemotivéeparl’accusationimplicitequ’elleavaitformuléequeparlacréationdecettefondationquidétiendraitsesparts.Elleenétaitdésolée,maisagircommeellelefaisaitluisemblaitparfaitementsensé.
Harpquittalapièce,suiviparPorteretBill.Aucunneditunmotdeplus.Unefoislapiècevide,àl’exceptiondeGrey, elle leva les yeuxde ses papiers.Elle dut battre des paupières pour chasser seslarmes.
—Jenesaispaspourquoi,maisjenem’attendaispasàcequeçasepassesimal.J’auraisdûmieuxmepréparer,dit-elledoucement.
—Toninstinctt’aditquelquechose?Elle secoua la tête, cherchant à se remémorer ce que les associés de son père avaient dit, les
expressionsqu’ilsavaientemployées,letondeleurvoix.—Riendutout,hormisquejemesensdésolée.Mais…cen’estpasEmoryentoutcas.C’estcequi
m’afaitleplusmal.Ledécevoir.—Ilyenaunquiestimpliqué,ditGrey,quivintseposterderrièrelachaiseoùClemensétaitassis
précédemment.C’estforcé.Iln’yapasd’autreexplication.Ilfitletourdelatable,regardantlesbloc-notes.Apparemment,iln’yavaitriend’écritdessus,pas
mêmesurceluideBill,maisValn’auraitjamaispenséàvérifier.Voilà pourquoi c’est lui l’agent de la CIA et pas moi.Ex-agent de la CIA, corrigea-t-elle au
momentoùilcroisaitsonregard.Ilsn’avaientpasreparlédelanuitdernière.MêmesiGreyn’étaitpasloquace,ilavaitencoremoins
parléqued’habitudecematin.—Tuesprête?demanda-t-il.Plusvitenousseronspartis,mieuxcesera.— Je ne vois pas pourquoi, dit-elle en rassemblant ses papiers pour les ranger dans son porte-
documents.Aucund’euxn’aplusrienàgagneràmemettresurlatouche.Jecroyaisquec’étaitlebutdecetteréunion.Annihilertoutevelléitédetentativedemeurtre.C’estcequej’aifait,ilmesemble.Maisenfaisantça,jemesuismisàdostouteslespersonnesquitenaientencoreàmoi.
—Pastoutes,ditGrey.Ilfitletourdelatableetladirigeaverslasortie,unemainenbasdesondos.—Tuas réellementnomméunhéritierouc’était justeunemanœuvrepour teprotéger jusqu’à la
miseenplacedelafondation?EllesavaitqueGreyluiposeraitlaquestionaumomentmêmeoùellel’avaitannoncéauxassociés.
Elleavaiteuletempsdepréparersaréponse,dumoinsdepuisqu’elleavaitrédigéson«testament».TandisqueGreyétaitsortidanslamatinéepourallervoirleschevaux,elles’étaitinstalléedevant
sonordinateuretavaitrecopiéaumotprès,àl’exceptiondunomdel’héritier,leparagraphedutestamentde son père, dans lequel il la nommait comme seule héritière.Elle en avait imprimédeux copies, lesavaientsignéestoutesdeuxetrangéesdanssonporte-documentsoùellessetrouvaientencore.
Ellesavaitdéjàquielleprendraitcommetémoin.Quelqu’unquin’auraitrienàgagneràsamort,enquielleavaitconfianceetquicomprendraitlanécessitédecequ’elleavaitfait,mêmesiçasemblaitun
actedeparanoïapourlesautres.Quelqu’unquicomprendraitsonbesoindediscrétion.«Jenesouhaitepasmettreunevieendanger»,avait-elledit.Ellecompritcombienc’étaitvraien
regardantl’hommequisetenaitàsescôtés.—Cen’étaitpasunemanœuvre,dit-elle,inquièteàl’idéed’avouerlavérité.Greyavaitcontrôlélecouloirdésert.Acetteheure-là,unvendrediaprès-midi,lamajeurepartiedu
personnelavaitdéjàquittél’immeuble.Peut-êtreàcausedutondesavoix,ouparcequesoninstinctétaitaussiaffûtéqu’illeprétendait,ils’arrêta,lamaintoujoursaubasdesondos.Illaregardadroitdanslesyeux.
—J’aiinscrittonnomsurmontestament,dit-elle.Elle avait cru comprendre toutes les implications de ce qu’elle faisait, car elle y avait pensé
longuement, la nuit précédente, alors qu’il dormait à côté d’elle. Mais en voyant le regard de Greychangeraumomentoùelleprononçaitcesparoles,ellecompritquec’étaitunebévue.
—Monnom?—Jenevoyaispersonned’autreenquijepourraisavoirconfiance.—C’estinsensé.—C’estaucontrairelachoselaplusraisonnablequej’aiejamaisfaite.—Tunepeuxpasfairedemoitonhéritier.—Selonlesavocats,jepeuxnommerquijeveuxcommehéritier.Tantquejesuissained’esprit.—Jecommenceàendouter.Est-cequetuasparléauxavocatsdecette…idiotie?Sic’estlecas,
tupeuxlesrappeleretleurdonnerunautrenom.—Jen’aipersonned’autre.« Personne sauf toi », ajouta-t-elle intérieurement. C’était encore plus vrai à l’issue du conseil
d’administration. Elle ne comprenait pas les protestations de Grey. Elle croyait avoir bien suivi sesconseils,etlecouchersursontestamentluiavaitsemblésensé.Uneévolutionnaturelledeleurrelation.Elles’étaitpeut-êtreméprisesurlesintentionsdeGrey.Elles’étaitdéjàtrompéeunefois.
—Est-cequec’estunesortedemiseàl’épreuve,Valerie?demanda-t-ildoucement.—Unemiseàl’épreuve?reprit-elle,ébahie.—Tuastellementlaissécetargentenvahirtaviequ’ilaffectetoustessentiments.Situn’yprends
pasgarde,ilvafinirpardétruireentièrementtonaptitudeàfaireconfianceauxautres.—Maiscegesteprouvejustementàquelpointj’aiconfianceentoi.Sije…—Jenesuispastonfiancé,etjen’enairienàfoutredetonargent,lacoupa-t-il,encouvrantses
paroles.—Jelesais,c’estpourquoi…—Sijelaissequelquechoset’arriver,jedeviensmultimillionnaire,c’estça?Son regardétaitdurcommede lapierre.Ellenecomprenaitpasoù ilvoulaitenvenir.Une telle
éventualiténeluiavaitjamaistraversél’esprit.—Ilnevarienm’arriver,tuyveilleras.Parailleurs…—Si je fais en sorte qu’il ne t’arrive rien, tu auras la certitude que je tiens plus à toi qu’à ton
argent,c’estçal’idée?«C’est ça l’idée?»Etait-ilpossiblequ’elleait eucette arrière-penséepourmettreà l’épreuve
l’amour qu’il lui portait ?Ça n’avait pas de sens. En désignant un héritier, elle avait neutralisé toutevelléitédelasupprimer.Ilneluiarriveraitdoncrien.Personne,exceptéGrey,n’auraitdebénéficeàentirer,etelleavaituneentièreconfianceenlui.
—Commentpourrait-ceêtreunemiseàl’épreuve?Pluspersonnen’aderaisondechercheràmefairedumal,maintenant.
—Personnesaufmoi,dit-il,amer.
—J’aifaitcequetum’asdit!Jenesaispascequitemetsiencolère,dit-elle,deplusenplusirritée.
—Jenet’aijamaisdemandédemettremonnomdanstontestament.Bonsang,non,jen’aijamaisdemandéça!
—Tuétaisleseulàquijepouvaisfaireentièrementconfiance.Ausilencequecesmotsprovoquèrentsuccédalasonneried’untéléphone.Pasceluidelaréception,
auboutducouloir.Unesonnerieétouffée.—Bonsang,ditGrey,encolère,encherchantdanslapocheintérieuredesoncostume.Ilensortitunpetittéléphoneportablequ’ilouvritd’ungestesec.—Sellers,dit-il.Puisilécouta,sanslaquitterdesyeux.Valrésistaàlatentationdepartir.Certes,elles’étaitattendueàcequ’ilnesoitpasenthousiasteà
l’idée de devenir son héritier— elle le connaissait assez maintenant pour s’y attendre—mais ellen’auraitjamaisimaginéqu’ilsemontreaussisoupçonneux.
—Dèsquejepeux,ditGrey.Ilrefermaletéléphone,leremitdanssapocheetluisaisitlebras,assezfortpourluifairemal.—Viens,ordonna-t-il.Ellecherchaàselibérer,maisilnelalâchapas.—Tumefaismal.—Tantmieux!—Tuneparlespassérieusement.—Si!—Grey…—Onreparleradeçaplustard.Ilfautquejetrouveunecabinetéléphonique.—Pourquoi?demanda-t-elle,sentantl’urgencedansletondesavoix.—Parcequec’estplussûr.Elle leva lesyeuxvers lui,mais il regardait ailleurs.Son regardparcourait le couloir, et il était
apparemmentpluspréoccupéparcequ’onvenaitdeluidireautéléphonequeparleurconversation.—Del’autrecôtéduvestibule.Ilyaunebatteriedetéléphonesdansunesalleàgauche.C’està
quelsujet?demanda-t-elletandisqu’illatiraitendirectionduvestibule.—Jen’ensuispassûr.Ilsnevoulaientpasmeparlersurunportable.Onpeuttropfacilementen
capterlafréquence.—Ils?Illaregarda.—Devieuxamis.Desgensavecquijetravaillais.Jeleuravaisdemandédefairedesrecherches
surAv-Tech.Ilsonttrouvéquelquechose.«Desgensavecquijetravaillais.»LaCIA,comprit-elle.—Ilsnet’ontdonnéaucunindice?—Cen’estpasleurfaçondefaire,répondit-ilsèchement.Ilsétaientarrivésprèsdestéléphonesqu’elleluiavaitindiqués,dansunegrandesalleenmarbre.
Greylapoussaderrièrelui,ledoscontrelemur,soncorpsentrelesienetlesportesvitréesdel’entrée.Ilsemblaitsurveillerlesalentourstoutenmettantunepiècedansletéléphoneetencomposantlenuméro.Ellesedisaitquelesvieilleshabitudesavaientlaviedure.
Elleattendit,imaginantunesonneriequ’ellen’entendaitpas.Greyneprononçaqu’unmot:«O.K.»Puisilécoutadenouveautandisquesonregardinspectaitparintermittencelevestibuleetlesportes.Auboutdedeuxminutes,Valerieposasonlourdporte-documents.
Pluslaconversationdurait,etplussonangoissemontait.EllefinitpardétournerlatêtedelanuquedeGrey.
AutryCarmichaelsetenaitàl’autreboutdelapièceetlesregardait.Cen’étaitpassurprenant.Cettepartiedubâtiment abritait également lesbureauxde la sécurité.Autryavaitdû sortirde sonbureauetremarquersaprésence.Ilavaittrèsvitecomprisquiétaitavecelle.
EtcommeCarmichaeln’avait jamais rencontréGrey,Val savaitqu’ilprofitaitde l’occasionpourjaugersongardeducorps,commel’auraitfaitsonpère.Aprèsl’animositéqu’elleavaitessuyéeaucoursduconseild’administration,voirAutryadopteruneattitudepaternelleétaitréconfortant.
Val se rappela soudain qu’elle avait eu l’intention de demander àAutry d’être le témoin de sontestament.Elle luisourit,et lui fit signed’approcher.Elle le regardas’avancerverseux,sansfairedebruit.EllesetournapourvoirsiGreyavaitterminésaconversation,maisilluitournaittoujoursledos,têtebaissée,letéléphonecolléàl’oreille.
Alors,toutsepassatrèsvite:Autryseprécipitasureux,lacrossedesonsemi-automatiquebrandie.IlfrappaGreyàlatête,cequilefitvaciller,puiss’effondrer.
Stupéfaite,Valnepoussapasuncri.Ellecherchaitàcomprendre.EllelevalesyeuxversAutryetvit qu’il pointait maintenant son arme sur la tête de Grey. Il la dévisagea tandis qu’il raccrochait lecombinédutéléphonedesamainlibre.
—Nedisrien,nefaispasdebruitetjeneteferaipasdemal,jetelepromets,mabelle.Tufaiscequejetedisetjeneluiferaipasdemalàluinonplus.Maintenantavance.
De la tête, il lui fit signed’avancerendirectionducouloird’oùelle l’avaitvuvenir.Elle suivitcettedirectiondesyeuxavantderevenirposersonregardsurlui,lesyeuxpleinsdequestions.PuiselleregardalecorpsinanimédeGrey,carellenepouvaits’enempêchermalgrélamenacedel’arme.
Unemaredesangserépandaitsoussatête,tachantlamoquetteclaire.Valregardaendirectiondel’accueil,dans l’espoird’apercevoirquelqu’unquiviendraitàsonsecours.Maisellenevoyaitque lebureauenacajoudansl’angleduvestibule.Cequisignifiaitquepersonnenepouvaitlesvoir.
—Dépêche-toi,Valerie,ordonnaAutryd’unevoixquise faisaitmenaçante.Si tu fais lemoindrebruit,jedevraivoustuertouslesdeux,jen’aiplusrienàperdre.Faiscequejetedis,onsortd’icisansêtrevus,etiln’arriverarienàpersonne.
Suivresonagresseurn’étaitpaslachoseàfaire,Valerielesavaitpertinemment.Elleauraitmieuxfaitd’appeleràl’aide.C’estcequetoutlemondepréconisaitdanscegenredesituation.Mais«toutlemonde»nesetrouvaitpasforcémentdanscecasdefigure.
AutryCarmichaelavaitdéjàtuéunhomme.Lestuertouslesdeuxn’aggraveraitpassoncass’ilsefaisaitprendre.«Rienàperdre»:cesmotsrésonnaientencoredanssonespritalorsquelessecondess’égrenaient.
Ellevoyaitdansleregardd’Autryqu’ilétaitdéterminé,prêtàappuyersurlagâchettesielleouvraitlabouche.
Siellelesuivait,ilneferaitplusdemalàGrey.Quelqu’unfiniraitparletrouveretlesoigner.Oualorsilreprendraitconnaissancetoutseuletappelleraitdel’aide.
Unepaniquenouvelles’emparad’elle :siGreyreprenaitconnaissancealorsqu’ilsétaientencorelà,ilferaitsonpossiblepourempêcherCarmichaeldel’emmener.MaisGreyétaittoujoursinconscient,Valerienedevaitdoncpascomptersurlui.
Ellenevoulaitpasqu’il risque saviepourelle.Elle finitdoncparobtempérer, tandisqu’Autry,avec son arme, lui faisait de nouveau signe d’avancer.Elle espérait qu’il tiendrait sa promesse de neblesserpersonne.
Valsemitenmarche,lesjambeschancelantes,laissantGreyinconscientderrièreelle.
13
Grey connaissait maintenant la vérité sur Av-Tech. Mais les battements sourds dans son crânel’empêchaientdeseconcentrerpourcomprendrequisecachaitderrièrecequ’avaitdécouvertGriff. IlétaitobnubiléparladisparitiondeValerie,dontlasécuritédépendaitdelui.
ProtégerValétaitdevenuplusqu’uneresponsabilitéprofessionnelle.S’iléchouaitàlaretrouveràtemps,commeilavaitdéjàéchouéunefoispourquelqu’und’autre,iln’ysurvivraitpas.
Personnen’avaitassistéàl’enlèvementdeValerie;ilneconnaissaitnilenomnilesmotivationsdeson ou de ses ravisseurs. Ce qu’il savait, c’est que celui ou ceux qui l’avaient enlevée avaient déjàessayédelatuerunefoisetqu’ilsavaientassassinéHaroldDavisdesang-froid.
Greyfermalesyeuxpournepasselaissersubmergerparledésespoir.Qu’ilsoitdéjàarrivétroptardunefoisnesignifiaitpas…
—Çadevraitfairel’affaire,ditlemédecin,quiletiradesesangoissesetdesespenséesd’auto-dénigrement.Ceseraitplussûrquevouspassiezunscanner.Avecuneblessurecommecelle-là,ilpeutyavoirtoutuntasdecomplicationsqu’onnepeutdécelersurl’instant.
«Toutuntasdecomplications…»Cetypeavaitraison.Ilselevatropviteetdutprendreappuicontrelemurpourgarderl’équilibre.S’ilnefaisaitpasattention,ilslemettraientdansuneambulanceetl’emmèneraientàl’hôpital,malgrésesprotestations.
Orilavaituncontratàhonorer.Avantdelaisserlesmédecinssoignersablessureàlatête,ilavaitdéjàfaitlepointpoursavoiroùValpouvaitsetrouver.
Lesflicsfouillaient l’ensembledubâtimentetdessous-sols,mais iln’avaitguèred’espoirqu’ilstrouventunindicequelconque.Greyavaitdemandéqu’onfassevenirlesassociésdeValainsiqu’AutryCarmichael, le chef de la sécurité. Si quelqu’un pouvait répondre aux questions soulevées par Griff,c’étaitbiencescinqhommes.Sinon…
Grey chassa de nouveau cette idée. Ce qu’il devait faire, c’était découvrir qui était derrière lesmalversations au sein d’Av-Tech et la raison pour laquelle ils avaient enlevé Val.Mais aussi où ilsl’avaientemmenée.Ensuite,ildevraitserendrelà-basavantque…
Ilinspiraprofondémenttandisqu’ilprenaitconsciencedel’énormitédelatâchequil’attendait.Ilnedevaitrienlaisserentraversacapacitéàraisonnerdefaçonclaireetlogique.
Ildevaitappliqueràcetteenquêtetoutcequ’ilavaitapprisàlaCIA,mobilisertouteslesforcesdel’instinctdontils’étaitvantéauprèsdeVal.Etsurtout,illuifallaitavoirdelachance.
«Jepréféreraisêtrequelqu’undechanceuxplutôtquequelqu’undebon»,avaitdit lepèredeVal.Greydevaitêtreàlafoisbonetchanceux.Trèsbonettrèschanceux.
***
—Lorsquelesfuitesontétédécouvertesl’annéedernière,ilyavaitplusieurshypothèses,ditGrey.Plusieurssociétéstravaillentdanslesecteurdestechnologiesconcernées.Maisladernièrefuiteendateprovient directement d’Av-Tech. Il n’y a pas de doute possible, car seule Av-Tech maîtrise cettetechnologieparticulière.
—DesfuiteschezAv-Tech?C’estimpossible,ditHarperSpringfield.—PasselonlaCIAquinepeutpassetrompersurunsujetaussiimportant.Ilestétabliqu’ausein
de la société, quelqu’un qui a accès aux contrats les plus sensibles passés avec laDéfense nationalerevendlessecretstechnologiquesàdespaysennemis.
Springfieldenperditdesasuperbe.Cependant,Greylisaitencoredel’incrédulitédanslesyeuxduvieilhomme.MaisselonCabot,iln’yavaitaucundoutepossible.
—Il fautquevousenparliezàAutry.AutryCarmichaelestenchargede lasécurité.Depuisdesannées,ditSpringfield.
— Mais c’est votre société, dit Grey qui se remémora les paroles acerbes lancées à Val parSpringfieldaucoursdel’après-midi.Vousyavezconsacré«sang,sueuretlarmes»,ilmesemble.Vousaviez donc tous l’obligation de faire en sorte que cette technologie ne tombe pas dans des mainsennemies.Uneobligationenversl’ensembledesAméricains,qui,àtraverslescontratsquevoussignezaveclaDéfensenationale,versentunsacrépaquetd’argentàAv-Techdepuisquaranteans.
—Vousn’avezaucundroitdeportercesaccusations,protestaBillClemens.LorsqueCarmichaelarrivera, il vous dira tout sur notre sécurité. C’est lameilleure dans le secteur. Le gouvernement n’ajamaiseuàs’enplaindre.
—SelonlaCIA,çafaitdeuxmoisqu’Av-Techaétéprévenuedecequisepassait.—Aquiont-ilsparlé?demandaClemens,toujoursagressif.— L’habitude est d’en référer directement au P.-D.G. Etant donné les états de service de M.
Beaufortetl’implicationdelonguedatedelasociétédanslescontratsmilitaires,c’estcequis’estpassé.—Charlien’enapasditunmot,ditClemens.—Parce queCharlie avait l’habitude de se tourner immédiatement versAutry pour ce genre de
problème.Ilnel’auraitjamaistraitélui-même.Lasécurité,c’estledomainedeCarmichael,ditHarperSpringfield.
—Etilatoujoursbienfaitsonboulot.Jenecroispasuninstantqu’ilyaiteuunefailledansnotresystèmedesécurité,ajoutaClemens.
—Bonsang,Billy, legouvernementn’arrivemêmepasàsécuriserses laboratoiresde recherchenucléaire! intervintPorterJohnson.Tunepeuxpasaffirmerquecethommese trompesurcequis’estpassé.Est-cequetucontrôlescequefaitCarmichael?Luias-tudéjàdemandés’ilabienverrouillélesystèmedesécurité?Jepariequenon.
—EtlefaitqueCharlieluiaitfaitconfianceduranttoutescesannéesnesignifiepasqu’Autrysoitcapabledecontrecarrerlesprocédésd’espionnageutilisésaujourd’hui.Etnousencoremoins.Aucundenousneconnaîtquoiquecesoitauxsystèmesinformatiquesqu’ilsutilisent.Commentpouvons-nousêtresûrs d’être hermétiques au piratage informatique hypersophistiqué d’aujourd’hui ? ajouta HarperSpringfield.
— Et il a également raison lorsqu’il dit que ce qui se passe au sein de la société est de notreresponsabilitéàtous,ditPorterendésignantGreydumenton.AutantdenotreresponsabilitéquecelledeCharlieoudeCarmichael.Valaessayédenousdirequ’undangernousguettait.Nousn’avonspasvoulul’écouter de peur que le contexte change autour de nous, que quelqu’un vienne nous dire que nousprélevonstropd’argentsurlasociétéoujenesaisquoid’autre.Quequelqu’unviennefairetanguernotreconfortablepetitnavire.
—Ehbien,sic’estvrai,lenaviretanguefort,maintenant.Harpsecoualatête,leslèvrespincées.
—MaisoùestAutry,bonsang?—Lapolicelecherche,ditGrey.Savoituren’estpassurleparkingetçanerépondpaschezlui.—Evidemment,c’estleweek-end,ditEmoryHunter.—Quevoulez-vousdire?demandaGrey.—Carmichaelpossèdeunpetitchaletdanslamontagne.Parbeautemps,ilvapasserleweek-end
là-bas.Vousdevriezappelersonassistant,ditHunter.—C’estdéjàfait,maisilnem’apasparléd’unchalet.—Carmichaelneparlepasbeaucoupdesesactivités.LuietCharlieétaientproches.Maisnous…PorterJohnsonhésita,peudésireuxd’allerauboutdesonpropos.—Autryn’estpasundesnôtres,ditHarp.Charliel’avaitengagéparcequ’ilavaitservisousses
ordresenCorée,maisAutryn’apasinvestid’argentdanslelancementdelasociété.CequePorterhésiteà vous dire, c’est que nous n’avons jamais fait d’efforts pour nous lier d’amitié avec lui. Pour nous,Carmichaeln’estqu’unemployéparmid’autres.Nousévoluonsdansdescerclessociauxdifférents.Nousavonsdesviesdifférentes.Un…statutdifférent,pourrions-nousdire.
Greyacquiesça.Ilencomprenaitplusqu’ilsneluiendisaientsurlarelationentreCarmichaeletceshommes.Autryétaitl’outsider.Iln’avaitpaspartagélesuccèsfulgurantdelasociétéfondéeparCharlieBeaufortavecl’argentinvestiparcesquatrehommes.
Poureux,Carmichaeln’étaitqu’unhommeengagépourlesaider.Engagépourprotégerdesprojetstechnologiques hypersensibles. Des informations qui se revendraient très cher sur le marché noirinternational.Etsi,aprèstoutescesannéespasséesàregardertoutceladubordduterrain,Carmichaelavaitdécidédes’arrogerunepartdugâteauquelesautress’étaientpartagédepuislongtemps?
Ça se tient, pensaGrey, qui pour la première fois depuis qu’il avait repris connaissance, sentaitl’espoirrenaîtreenlui.Carmichaelasaisiuneoccasion.Etilaleplusvieuxmobiledumonde:l’appâtdugain.
SoninstinctsoufflaitàGreydes’accrocheràcefil ténu.Deplus,Autrymanquaitàl’appel,alorsqu’onavaitcherchéàlejoindre.
—Quelqu’unsaitoùsetrouvecechaletdeweek-end?demandaGrey.Illesregardaunàunsecouerlatêtenégativement.
***
—Nouspouvonsréglercelaensemble,ditVal,quisavaitqu’elledevaitêtretrèsprudentesurtouslesmotsqu’elleprononçait.
Elle devait convaincre Autry qu’il ne s’en sortirait pas après cet enlèvement, qu’on finirait pardécouvriroù il l’avaitemmenée.Ellenepouvaitnéanmoinspaséluder lapossibilitéqu’ilparvienneàsesfins.
—Jeferaitoutmonpossiblepourt’aider,jesaisquec’estcequepapaauraitsouhaité,dit-elle.—Charlie est le seulparmices enfoirésquim’ait traité avec respect.Commesi j’étaismembre
d’Av-Techàpartentière,quelqu’undevalable.Lesautresonttoujoursagicommes’ilsétaientmeilleursquemoi.J’aiconsacréautantdetempsdemaviequ’euxàcettesociétéetj’aitravailléplusdur,dit-il,tandisqu’illuisaisissaitlecoudepourl’empêcherdesedébattre,surlecheminaccidentéquilesmenaitauchalet.
—Jesais,ditValsuruntonapaisant.ElleavaitlespoignetsattachésavecunecordedeNylonsiserréequ’elleentamaitsachair.Autry
l’avait ligotée dès qu’ils étaient entrés dans son bureau. Puis il l’avait conduite au parking souterraindésertetforcéeàentrerdanslecoffredesavoiture.Ilnel’avaitlaisséesortirqu’unefoisqu’ilsétaientarrivésauchalet.
Elleétaitàl’airlibre,c’étaitdéjàça.Ellesavouraitcemomentaprèss’êtresentieclaustrophobe,enferméedanscecoffrependantplusieursheures.Ellenesentaitplusl’extrémitédesesdoigtsengourdis.Danscettesituation,sesoucierdesesmains,c’étaitcommes’inquiéterdessourisàbordduTitanic.
—Tonpèreauraitpuarrangerleschoseslui-mêmes’ilavaitvoulu,ditAutry.Illaserraplusfortpourlatenird’aplombtandisqu’ilsmontaientl’escalier.—Aucoursdetoutescesannées,j’aivraimentcruqu’illeferait.Maisilaeucetteattaque,s’est
marié avec Connie et j’ai compris qu’il ne ferait rien pour moi. Elle ne l’aurait pas laissé faire. Jecroyaisquec’étaitellequihériteraitdesespartsetquejemeretrouveraissansrien.Maisaulieudeça,ilt’atoutlégué.
—Situmediscequejedoisfaire,jeleferai,Autry.S’illalaissaitpartir,ilobtiendraittoutl’argentqu’ilvoulait.Laracinedetouslesmaux,sedit-elle
unefoisdeplus.Elle examina l’intérieur du chalet. Elle savait qu’Autry possédait une retraite dans lamontagne,
maisellen’yétaitjamaisvenue.EllesavaitaussiqueCarmichaelavaitconstruitcechaletdesespropresmains, travaillant chaque week-end, comme lorsque son père avait construit le ranch. Etait-ce parmimétisme?
—C’esttroptard,tusaisbienquej’aituéunhomme.Jecroyaisquec’étaitluilegarsdelaCIA.Jecroyaisqu’ilsl’avaientenvoyépourenquêter.
—Enquêtersurquoi?demandaVal,interloquée.—Onnem’ajamaispermisd’obtenirmapartdelasociété.Cesvieuxenfoirésavaientl’intention
detrairelavachejusqu’àleurmortetensuitedetouttransmettreàleursgosses.Mêmetonpapan’apascompriscequisepassait. Ilyaplusd’unefaçondemettrede l’argentdecôté,machérie.J’aiapprisdeuxoutroischosesaucoursdecesquarantedernièresannées.
—Commelafaçondet’octroyertapartparexemple?demandaVal,quicherchaitsurtoutàsetirerdecemauvaispas.
Car personne ne viendrait à son secours, pensa-t-elle, en se remémorant l’état dans lequel ilsavaientlaisséGrey.
Elletentadechasserl’imagedusangdeGreysurlamoquette.Greyneseraitpasenétatdeveniràsonsecours,mêmes’ilparvenaitàcomprendrecequisepassait.D’ailleurs,ellenevoyaitpascommentilpourraitcomprendre,elle-mêmen’yvoyantpasencorecomplètementclair.
—Onpeut se faireunpaquet de fric, quandon sait ceque je sais, ditCarmichael, qui attira denouveausonattentionsurlui.
— De quoi parles-tu au juste, Autry ? Qu’est-ce que tu sais ? demanda-t-elle, comme si sesdivagationsl’intéressaientréellement.
—QuebeaucoupdegenssontprêtsàpayertrèscherpourposséderlessecretstechnologiquesquedétientAv-Tech.
Valmitquelques instantsàétablirun lienentrecette révélationetunprétenduenvoyéde laCIA.Maintenant, c’était clair.C’est pour ça qu’il était venu au ranch l’autre nuit : il voulait éliminerGreySellers.AlaplaceilavaittuélepauvreHaroldDavis.
—Tuasrevendunossecretstechnologiques.L’espace d’une seconde, elle se demanda si Grey avait été envoyé au ranch pour démasquer un
traître.Mais elle se rappela vite à quel point ils s’étaient trompés sur lesmotivations de l’agressionqu’ilsavaientsubie.C’étaituneautreformedeconvoitisequianimaitAutry.Cellequipoussaitunhommeàtrahirnonseulementsesamis,maisaussisapatrie.
Elleétaitsoulagéequesonpèren’aitpasvécuassezlongtempspourassisteràça.Ilétaitaniméd’unpatriotismefortetsincère,etl’idéequelesavoir-fairedesasociétépuisseunjourêtreutilisécontrelesEtats-Unisl’auraitrendumalade.Surtoutvenantd’unamienquiilavaituneconfiancetotale.
—Jeméritaisquequelquechosemerevienneaprèstoutescesannées,ditAutry.Illaforçaàs’asseoirsurunechaisedelacuisine.Cen’étaitpasunevéritablecuisine.L’ensemble
n’étaitqu’unegrandepièceavecuneimmensecheminéeaucentreetunemezzaninepourdormir.—Jenecomprendstoujourspaspourquoitum’asamenéeici.Peut-êtrequesiellearrivaitàcomprendrecequ’ilvoulait…—Tuvasmedireoùsetrouvecetestament,ditAutry.—Cesontlesavocatsquil’ont,mentit-elle.—Çasepourrait,ditAutry,serrantlamâchoirealorsqu’ilcontemplaitsonvisage.Maisenfaitje
netecroispas,machérie.Tun’aspaseuletempsdeleleurtransmettre.Tuleurasparlémaistunet’espasrendueàleurbureau.Etautéléphone,tuneleuraspasdonnélenomdel’héritier.
—Commentlesais-tu?—Lasécurité,c’estmonboulot,rappelle-toi,dit-ild’untonnarquois.—Tum’asmisesurécoute.— Je n’ai écouté que lorsque j’en avais besoin, dit Autry, comme si ça rendait les choses
acceptables.Aprèsquej’aidécouvertqu’ilsavaientenvoyéquelqu’unpournousespionner.Nousespionner?CommesitoutlemondeàAv-Techétaitimpliqué.—GreySellersnefaitpluspartiedelaCIA.Carmichaeléclataderire.Ilnelacroyaitpas.—Tuauraismieuxfaitderesterdanstoncoin,Val.Tunevoulaispasdecetargent.Tuauraismieux
faitdecédertespartsauxautresetdeprendrelelarge.Aulieudeça…Ilsecoualatête,leslèvresserrées,lesyeuxposéssurelle.—Tuavais l’intentiond’engagerquelqu’unquiexamine la situationde la société.Quelqu’unqui
auraitposébeaucouptropdequestionssurnosactivités.C’étaitçalecœurduproblème,compritVal.CequieffrayaittantCarmichael.Ilnevoulaitpasque
quiconqueviennemettresonnezdanslesaffairesd’Av-Tech.—Tucraignaisquel’équipededirectionquejesouhaitaisengagerdécouvrecequetumanigançais.—LorsquelaCIAapriscontactavectonpère,ilestvenumevoirtoutdesuite.Jeluiaiditqueje
m’enoccupais, et ilm’acru.Peut-êtreparcequ’il avait enviedemecroire.Charlie était déjàmal enpointetlorsqu’ilestdécédé…
—Personned’autren’étaitaucourantdecequ’avaitdécouvertlaCIA,finitVal,quiassemblaitlespiècesdupuzzleuneparune.Tuvoulaiséviter toutrisquequ’ondécouvrequelquechose.Combiendetempscrois-tuquetuauraispucontinuercommeça,Autry?
—Assezlongtempspourrécupérercequim’étaitdû.Puistut’enesmêlée.—Tuasvoulumefairepeur.Si quelqu’un avait bel et bien drogué son étalon, c’étaitAutry.Ensuite, il était venu au ranch au
milieu de la nuit. C’étaitGrey sa cible, compte tenu de ce qu’il avait découvert quand elle lui avaitdemandédefairedesrecherchessurlui.
—Tunevoulaispasdirigerlasociété.Nouslesavionstousdeux.Jemesuisditquesileclimatdevenait vraiment trop inquiétant, tu lâcherais tout, tu céderais tes parts aux autres et tu te retirerais,commetul’avaisdéjàfaitauparavant.
C’étaituneallusionàsafuiteaprèslesévénementsavecBart.Lorsqu’elleavaitfuilaréalitédelavie.Autryavaitraison.C’estexactementcequ’elleavaitfait.
—Maisjen’aijamaiseul’intentiondeteblesser,machérie,dit-ildoucement.C’était peut-êtrevrai.Comme l’avait ditGrey, ses attaquesn’étaient pas cellesdequelqu’unqui
voulaittuer.Ilavaittiréàtraverslesvitresdesachambre,maishorsdesaportée,etleboisauquelilavaitmislefeuétaittropmouillépourproduireautrechosequedelafumée.
CependantAutryvoulait tuerGrey ce soir-là.Dans l’annexe, il était juste tombé sur lemauvaishomme.C’estellequi luiavaitditautéléphonequesongardeducorpsdormaitdansl’annexe.Acettepensée,Valeriefutprisedenausée.
Lorsqu’ilavaitfouillédanslepassédeGrey,Autryavaitdûendécouvrirpluslongqu’iln’enavaitdit.AssezpourlemettresursesgardesetimaginerquelaCIAavaitenvoyéGreypourdécouvrirquiétaitàl’originedesfuites.
—Situneveuxpasmefairedemal…,ditVal,hésitante.—Jeveuxcetestament.Elle était peut-être lente à comprendre mais elle ne voyait toujours pas… Oh mon Dieu.
Comprendresesintentionsluiglaçalesang.Autryvoulaitdétruireletestamentdanslequelelledésignaitunhéritier.Ensuiteillatueraitetcommelegroupedegestiond’intérêtsàquiellevoulaittransmettreladirectiond’Av-Techn’étaitpasencorelégalementconstitué,sespartsseraientpartagéesentrelesautresassociés.Onenreviendraitàlasituationinitiale.
En tant qu’actionnairemajoritaire,Bill deviendrait P.-D.G.Comme toujours, il passerait plus detempsàjoueraugolfqu’àtravailleràAv-Tech.Lesautresassociésn’aimaientpaslechangement,Autrypensaitdoncjuste:Clemenslelaisseraitenchargedelasécurité,cequiétaittoutcequ’ilvoulait.
—Situneveuxpasmefairedemal,pourquoineprends-tupaslafuiteavectoutcequetuasdéjàamassé,ditVal,quicherchaitunargumentpourlefairechangerd’avis.ParsauMexique,parexemple,oun’importeoùailleurs.
— Je ne le fais pas à cause d’un petit détail qu’on appelle extradition. Et si la procédure nemarchaitpas, laCIAenverraitunagentàmes trousses.Comme tonami,parexemple.Etpuis, jeveuxavoirtoutcequimerevient,jusqu’auderniercentime,pourcesquaranteannées.J’aidéjàtuéunhomme,alorsjenevaispasm’enfuiretlaissercequimerevientàcettebanded’idiots.
—Etsijetedisoùsetrouveletestament,qu’est-cequisepassera?demandaValàvoixbasse,carelleconnaissaitdéjàlaréponse.
—Jen’ai jamaisvoulu te fairedemal,machérie. Jevoulaisque tu restesendehorsde toutça.Pourquoia-t-ilfalluquetut’enmêles?
Ilavaitposécettequestionsuruntonplaintif.Commesic’étaitluiquiavaitététrahi.Etc’estbiencequ’ilpensait.Sonregardendisaitassezlong.Ilsesentaitdanslapeaudeceluiàquionavaitfaitdumal.
—Jepeuxlefairedèsmaintenant.Jepeuxleurcéderlespartsdepapa,dit-elle.Ilsouritetellesentitdenouveausonsangseglacerdanssesveines.—C’esttroptard,mapetite.Jeteconnais.Bonsang,jet’aiàmoitiéélevée.TuescommeCharlie.
Tunemelaisseraispaspartiraprèscequej’aifait,quoiquetuendises.Maisjeteprometsquesitumedisoùsetrouvele testament, jeneteferaipassouffrir.Je leveuxautantquetoi,mapetite,crois-moi.Sinon,tusaiscequ’ilfaudraquejefasse.Etceseraterriblepournousdeux.
Sonregardétaitposésurelle,commes’ilattendaitqu’elleluirévèlel’endroitoùelleavaitlaissélepapier.Unepartied’elle-mêmeétaitprêteàcéder,carelleenconnaissaitunrayonsurladouleur.Maisellesavaitaussicequ’iladviendraitunefoisqu’elleauraitlâchélemorceau.
Autrylatuerait.PuisiltueraitGrey.Ilnepourraitpascourirlerisquedelelaisserenvie.Maisplusellegagnaitdetemps…
L’espoirestunechoseformidable.Ellelesentitgonflersoncœur,luiredonnerducourage,commesionluienavaitfaituneinjection.Tantqu’ilyadelavie,ilyadel’espoir,ditleproverbe.QueGreylaretrouve. Que quelqu’un, les amis de Grey membres de la CIA peut-être, découvrent la vérité etretrouventlapisted’Autry.
Del’espoir…Dévisageantunhommequ’elleavaitconnutoutesavie,sans leconnaîtrevraiment,ValerieBeaufortfitlentementsignequenon,ellenediraitrien.
***
IlavaitfallumoinsdedeuxheuresàGriffCabotpourtrouverunetraceduterrainacquisparAutryCarmichaelprèsdequaranteansplustôt.Greyauraitpulefairelui-même,plusvitemême,siçan’avaitpas été leweek-end.Les bureaux du cadastre étant fermés,Griff avait donc utilisé les ordinateurs del’agenceetlesdonnéessatellitepourluitransmettreunplanprécisdel’endroitoùsesituaitlechalet.
Ilnel’auraitjamaistrouvésansceplan,pensaGrey,alorsqu’ilexaminaitlechaletetsesenvironsàtraverssalunettedevueinfrarouge.Lesrideauxétaienttirés,maisilyavaitdelalumièreàl’intérieur.Pasunmouvement.Pasunbruit,hormisceuxdesanimauxnocturnes.
Grey réprimait la peurde s’être trompé.Lapenséequ’il était là, en trainde surveiller un chaletvide,pendantqueCarmichaelétaitailleursentraindetorturerVal,letraversa.
Mais ce n’était qu’un vestige de cauchemar. Il n’y avait pas de raison que Carmichael tortureValerie.Greychassacettepensée.Iln’yavaitpasdeplacepourlapeur.Ilavaitunboulotàfaire.Unenouvellechance.Unechancedeseracheter.
SelonGriff,Hawkins était en chemin.Dèsqu’il aurait atterri,Griff lui faxerait lemêmeplan.EtquandHawkinsarriverait…
QuandHawkinsarrivera,ilseratroptard.D’oùluivenaitcettecertitude?Greyn’ensavaitrien.Mais l’idée s’imposa, avec une conviction tellement forte qu’il était inutile de lui résister. Vas-ymaintenant,oubienceseratroptard.
Aumomentoùilselevait,lesrèglesqu’onluiavaitinculquéesluiintimaientl’ordred’attendredesrenforts.L’anxiétéqu’ilressentaitn’étaitqu’unautrevestigedesonéchecpassé.TenterseulcesauvetageaugmentaitlesrisquesqueValeriesoitblessée,lesrisquesqueCarmichaellemettehorsd’étatd’agiretemmène Val dans un lieu où ils ne la retrouveraient pas. Alors qu’il pesait le pour et le contre, ilprogressaitverslechalet,dominéparsoninstinct,balayantsesprincipesetsaraison.Valétaitendangerets’ilnevoulaitpasrevivrecequis’étaitpassédeuxansplustôt…
Un son perçant l’arrêta dans son mouvement, paralysant ses muscles. Jamais il n’avait entenduValeriecrierdeterreur,maisilétaitsûrquec’étaitcequ’ilvenaitd’entendre.Etcecrifitvolerenéclatstoutcequisubsistaitdesesprincipes.
Greyn’avaitjamaisaimélesscènesdefilmsoùlehérosfaitirruptiondansunepièceenenfonçantlaporte.Onluiavaitapprisàlefaire;ilsavaitpourtantquelaplupartdutemps,çanemarchaitpas.Maislà,nesachantpasoùValsesituaitdanslapièce,ilnepouvaitsepermettredefairesauterlaserrure.
Surcecheminaccidentéquimenaitauchalet,sespenséesdéfilaientplusvitequesesjambesneleportaient.Ilforçal’entréedelavéranda,épauleenavant,puis,lajambegauchelevée,propulsaletalondesabottejusteau-dessusdelapoignéedelaported’entrée.
Asagrandesurprise,elles’ouvritcomplètement.Ellen’étaitmêmepasverrouillée.Ilseretrouvaàl’intérieur, penché en avant, les genoux fléchis pour ne pas perdre l’équilibre. Il tenait son semi-automatiquedesdeuxmains,enpositiondetireuraguerri.
Lespectaclequis’offritàluisortaittoutdroitdesespirescauchemars.Toutsepassaitdelamêmefaçon:soncœurbattait,ilavaitlesoufflecourt,etcequ’ilvoyaitl’horrifiait.Saufquec’estValeriequiétaitlà,etnonPaul,l’agentqu’iln’avaitpusauver.
Unfeuvacillantdanslacheminéeproduisaitunefaiblelueur.Sachaleuroppressantetransformaitlechaletenantreinfernal.
L’homme qui se tenait à côté de la chaise de cuisine sur laquelle était assise Valerie tenait uncouteauà la lamechaufféeàblanc. Il s’était tournéendirectionde laporte lorsqu’elle s’étaitouverteavecfracas.Lasueurcoulaitsursonvisageenrigolesépaissesetsesyeuxs’étaientagrandisdesurprise.Greyn’avaitjamaisvuAutryCarmichael,maislevisageridéetlescheveuxgriscollaientavecl’imagequ’ilsefaisaitdelui.Sonapparencedegrand-pèrerendaitlascèneencoreplusobscène.
Malgréledanger,Greyneputs’empêcherdejeterunregardàVal.Satêtetombaitsursapoitrine,etilnedistinguaitpassonvisage.L’adrénalinequ’ilavaitsentie leparcouriren l’entendantcriersemblarefluerdesonsang,etilsentitsesgenouxsedérober,sesmusclesdevenirliquides.
Val,pensa-t-il,désespéré.MonDieu, faitesque jene soispasarrivé trop tard.Pasencoreunefois.
L’hommebougea etGrey fixa de nouveau son attention sur lui.Tout sembla se passer au ralenti.GreycompritcequeCarmichaelfaisaitetréagit.Etpourtant,ilavaitl’espritengourdiparlaterreuretlesmusclestétanisés.
Carmichaelavaitrefermésamainsurl’armeposéesurlatable.Iltentaitdelapointersurlui.Acemoment-là,Vallevalatête,lesyeuxgrandsouvertsdesurprise,commeceuxdesonravisseurunpeuplustôt.
Elle était vivante. Grey n’eut que le temps de former cette pensée, puis il pressa la détente,plusieursfois,commes’ilétaitsurunchampdetir:pasdetremblement,pasd’erreur.
L’uniqueballequeCarmichaeleutletempsdetirerbrisaunevitre,del’autrecôtédelapièce.Greylasentitsiffleràunmillimètredesatête.Lesdeuxtirsclaquèrentaumêmemoment.Carmichaelavaitratésacibled’uncheveu,tandisqueGreyavaitfaitmouche,commetoujours.Lesmainsduchefdelasécuritébrassèrentl’air,etsonarmeluiéchappatandisqu’ilbasculaitenavant.
GreyneserappelajamaislebruitducorpsdeCarmichaelquis’effondrait.Acemoment-là,ilétaitdéjàagenouilléauxpiedsdeVal.Depuisqu’elleavaitredressélatête,ellenel’avaitpasquittédesyeux.
—C’estfini,dit-il.Elle était d’une pâleur effrayante. Même dans l’obscurité, ses tâches de rousseur légères se
détachaientsursonvisagecouleurdecraie.Sespupillesétaientdilatées.Ilnesavaitpassic’étaitàcausedecequ’ellel’avaitvufaire,dumanquedelumière,oudelapeurqu’elleressentait.Oubienencoredeladouleur.
—Ilestmort?demanda-t-elle.Elletentadesetournerpourapercevoirlecorpsd’AutryquigisaitderrièreelleetGreys’aperçut
qu’elleétaittoujoursattachéeàlachaise.IltrouvalecouteaudeCarmichaeletcoupalesliens.—Ilestmort,l’assuraGrey.Ill’avaitatteintlàoùilavaitvisé,entrelesdeuxyeux.Iln’avaitdoncaucundoutesursonétat.Apeinelibérée,Valsejetadanssesbras.Ilss’agenouillèrenttousdeuxsurlesolets’étreignirent.
Valnepleuraitpas,maiscen’étaitpasforcémentbonsigne.—C’estfini,chuchota-t-il,seslèvressurlespointsdesuturedesatempe.Il avait l’impressionque son accident avait eu lieu des années plus tôt, et pourtant c’était arrivé
seulementquelquesjoursauparavant.Troppeudetempspourexpliquerlaforcedecequ’ilressentait.—J’aipriépourquetuviennes,jesavaisbienquesituétaisencoreenvie,tumeretrouverais.Ilfermalesyeux,tentantdechasserdesatêtel’horreurdelascène.S’ilnel’avaitpasretrouvée…—Sortonsd’ici.Peux-tumarcher?—Aussibienqu’ilm’estpossibledelefaire,dit-elled’untonlégèrementrieur.Unecrisedenerfs?sedemanda-t-il,préoccupé.Elleavaittraverséassezd’épreuvespourrésister,
maisçal’inquiétait.ÇaneressemblaitpasàVal.—Est-cequetuétaissérieux?demanda-t-ellecommeill’aidaitàselever.—Aquelsujet?—Jet’aiditquejevoulaistoutettuasacquiescé.C’étaitvrai,Grey.Maintenantjelesais.Jen’ai
pascessédepenseràça,àmeforceràypenser,aulieudepenseràce…qu’Autryfaisait.Jerepensaisàmamèredanslacuisine.Etauxpetitesfilles.
—Etauxpetitesfilles?Afairedespetitesfilles?
Ilcherchaitàcomprendrecequ’ellevoulaitdire,sedemandanttoujourssiellefaisaitunecrisedenerfs.
Alorselleéclataderireetlamusiquedesavoix,sacapacitéàêtrejoyeuseaprèscequ’ellevenaitd’endurervinttouchersonâmemeurtrieparcesdeuxdernièresannées.Sonrirel’apaisait,leguérissait.
—Cen’estpascequejevoulaisdire,mais…Ellepoussaunlongsoupir.—Enfaitoui,c’estpeut-êtrecequejevoulaisdire.Parcequeçamesembleunebonneidée.Jesais
quetuasbesoindetempspouryréfléchir,maisjetepréviens:jenefuiraipas.Niloindelavie,niloindetoi.Jenem’enfuisjamaisquandjeveuxvraimentquelquechose.
— Je ne comprends rien à ce que tu racontes, dit-il, sincère, tandis qu’il se penchait pourl’embrasser.
—Marions-nous,ditVal.—Qu’onsemarie?Ce n’est pas qu’il n’y avait pas pensé. Car en fait si. Beaucoupmême.Mais il n’arrivait pas à
comprendrepourquoiValvoulaitsemarieraveclui.Quandilpensaitàquielleétait…Ilchassacedoute,carilsavaitquielleétait.Etçan’avaitrienàvoiravecAv-Tech,niavecl’argent.
—Amoinsquetuneveuillespas,dit-elle.Elles’écartalégèrementdeluipourcontemplersonvisage.Elleattendaitqu’illuiréponde.«Elleaducran,avaitditHawkins,etaufinal,c’estçaquicompteleplus.Plusquelereste.»
Beaucoupplusimportantquetoutlereste,Greyenétaitconvaincu.Saufl’amour.—Jeleveux,dit-il.—Ettuveuxfairedespetitesfilles?demanda-t-elledansunsourirequiilluminaitsonvisage.—Unepour toi,dit-ilendéposantunbaisersursonfront.Etunepourmoi,dit-ilendéposantun
baiserauboutdesonnez.—Etunpetitgarçon,dit-elle,seserrantdenouveaucontrelui.Unelarmeluiavaitéchappé,maisellesouriaittoujours.Sesyeuxétaientdouxetprofondsdansla
lumièredufeu,etellecherchaitsonregard.C’est comme ça qu’elle regarderait quelqu’un qu’elle aime, se dit-il, toujours surpris que ce
quelqu’unsoitlui.—Jepensequ’ondevraitpouvoirarrangerça.—Vitealors,j’aibeaucoupdetempsàrattraper.Greyacquiesça,réprimantdeslarmesd’émotion.—Moiaussi,dit-ildoucement.Luiaussi,toutcommeVal,avaitfui.Maisiln’avaitplusàfuirloindeseséchecs,désormais.Etily
avaitdesgensàquiilleferaitsavoir.Etàquiildiraitmerci,aussi.—Rentronsàlamaison,ditVal.
Épilogue
—Jecroisbienquec’estmadanse,ditGrey.Surprise,ValinterrompitsaconversationavecClaireCabotpourluifaireface.Toutcommel’autre
jourdanslasalledeconférences,ellesesentitchavireràsavue.Entenuedesoirée,Greydégageaituncharmeterriblementmasculin;trèsmâle.Etmaintenant,ilétaitàelle.C’étaitsonmari.
La noce avait été simple et discrète,mais presque tous les gens qu’elle connaissait étaient là, ycomprislesassociésdesonpère.Al’église,EmoryHunteravaitremplacéCharliepourluiprêterlebraset lui faireparcourir l’allée, lentement,d’unpasdélicatement ajusté au sien.Radieux, il avaitposé lamaindeValdanscelledeGrey,unefoisqu’ilsétaientarrivésdevantl’autel.
Tous les amis de Grey étaient également présents. L’homme grand et calme qu’ils appelaientHawkinsetquiluirappelaitGreyétaitsontémoin.GriffCabot,sonancienpatronàlaCIA,étaitlà,luiaussi.Ainsiqu’unhommeélégant,quiparlaitavecunbelaccentduSudetquis’appelaitJordanCross.
Ilsétaienttousaccompagnésdeleursépousesquisemblaientêtrelesparfaitespartenairespourceshommesvigoureux.Parfaites,sedit-elleencore.Toutestellementparfaites.
Cetteréflexionlatraversaàsoninsu.Ellenevoulaitpasypenser,c’étaitunéchoamerdupassé,quelquechosequ’ellevoulait chasserdesamémoire.Son regard tombasur lamaindeGrey,qu’il luitendaitpourl’inviteràdanser.
—Jetel’aidéjàdit,repritGrey,tandisqu’ellelevaitunregardinterrogateurverslui.Ilsouriait,decepetitsouriresecretqu’elleluiconnaissaitdanslesmomentslesplusintimes.—Tunepeuxpasdirequejenet’aipasprévenue.Etsoudain, lesmotsqu’ilavaitprononcésun jour,penchéau-dessusde la tablede lacuisine,en
soutenantsonregardcommeillefaisaitencemoment,luirevinrent:«Jeveuxdanseravecvousetvousfairel’amour.Etquandçaarrivera,soyezsûrequeçanesepasserapasdanslenoir.»
Ellen’avait jamaiscruqu’il luidemanderaitdedanser.Elleétait incapablededanser.Elleauraitpeut-êtrepus’ilsavaientétéseuls,dansl’intimité.Maisdevanttouscesgens,ellen’yarriveraitpas.Pasdevanttoussesamisetleursépouses…
Parfaitesrésonnaitdanssatête.Etçaluifaisaitmal.Etalors,commesiçadevaitluiservirdeleçon,lesmotsd’Autryluirevinrent.Ilavaitcruqu’elle
prendraitlafuitedèslespremierssoucis.Qu’ellecéderaitsespartsetretourneraitàl’isolementqu’elleavaittoujourscherché.Elles’étaitjurédeneplusagircommeça.
Si Grey avait trouvé le courage de retourner travailler avec Griff Cabot au sein de PhoenixBrotherhood, malgré ce qui s’était passé deux ans plus tôt, alors elle, elle parviendrait à trouver lecouraged’allertrébuchersurunepistededanse,sitelétaitsondésir.
Laisse-lesregarder,sedit-elle,serecroquevillantderrièresonhabituellefaçadedecellequin’enarien à faire.Peu importe ce qu’ils pensent, et elle donna la main à Grey, une main incroyablementassurée comparée à la sienne qui ne faisait que trembler. Il était tellement fort. Assez fort pour laprotéger, se dit-elle, les yeux plongés dans les siens. Et elle se rendit compte avec surprise que sonregardbrillaitdefierté.Defiertéd’êtreavecelle?
LorsqueGreylamenadansladanse,ellenepensaàriend’autrequ’àladouceurqu’exprimaientsesyeuxgris.Ellenesentaitquesesbrasrassurantstandisqu’illaguidaitdoucementsurlapiste.Commesielleétaitfragile.Ouinfinimentprécieuse.
Et lorsque les applaudissements retentirent, car de toutesparts, leurs amis les applaudissaient ensouriant,Valeriesouritaveceux.
1
Mac se précipita vers l’écurie d’où venait le cri. A cause d’un accident qui avait ralenti lacirculationàlahauteurdeLouisville,ilarrivaitavecdeuxheuresderetard.Etait-ceEmmaClarebornquiavaithurlé?Celasignifieraitqu’ilavaitd’oresetdéjàéchouédanssa
mission.Ilpoussalalourdeportedubâtimentets’yengouffra,prêtàsebattre.Cela faisait des années qu’il souhaitait revenir à Firehill Farm, mais pas dans ce genre de
circonstances. L’odeur familière du foin fraîchement coupé fit remonter en lui des souvenirs qu’ilrepoussa.Cen’étaitpaslemomentdeselaisserdistraire.Apartlafaiblelumièrequiprovenaitdelaporteentrouvertedelasellerie,unpeuplusloinsurla
droite,l’écurieétaitplongéedansl’obscurité.Yavait-ilquelqu’unàl’intérieur?Ils’apprêtaitàyallervoirlorsqu’ilperçutunmouvementderrièrelui.Unhommeportantunbandanaquiluicouvraitlebasduvisageetunecasquetteenfoncéejusqu’aux
yeuxémergeadel’ombreetfonçaverslasortie.Macsejetasurluietleplaquaauxjambes.Ilsroulèrentàterremaisl’autreréagitrapidementenlui
envoyantunepoignéedepoussièredanslesyeux.Bienqu’aveuglé,Macparvintàlerattraperparlachevilleavantqu’ilneserelève.L’hommesedébattitet,desabotte,lefrappaauvisage.Macsentitdusangcoulersursajoue.Illâchapriseetserelevaenmêmetempsquesonadversaire.L’intrusparalecrochetdudroitqu’il
luidestinaitetpritlafuitesansdemandersonreste,disparaissantdanslanuit.Un instant,Mac fut terriblement vexé de n’être pas parvenu à neutraliser cet homme. Puis il se
rappela pourquoi il était là : parce qu’il était encore convalescent et avait besoin de reprendre sesmarques.Ilessuyasajoueensanglantéedureversdelamainetsetournadenouveauversl’écurie.—MademoiselleClareborn?Ilavança,cherchantàs’habitueràl’obscurité.—EmmaClareborn?Dansunestalletouteproche,unchevals’agitaitnerveusement.Macs’approchaettenditlamainàtraverslagrillepourcaresserlechanfreindel’animal.—Ecartez-vousdelui!Mac fit volte-face, prêt à subir un nouvel assaut, mais il s’immobilisa aussitôt au contact d’une
fourchecontresonventre.Malgrésasituationpourlemoinshumiliante,ilneputs’empêcherd’admirerladéterminationdela
femmequisetenaitdevantlui,lesyeuxplissés.—Quiêtes-vous?—MacTitus,del’agenceSolberg.C’estmoilegardeducorpsenvoyépourvousprotégercontre
ceuxquis’enprennentàvotreranch.Ellepoussaunsoupirdesoulagementetsedétenditunpeu,sanspourautantbaissersagarde.—Vousavezdespapiersd’identité?—Dansmonportefeuille.—Sortez-leetposez-leàvospieds.Macsortitsonportefeuilledelapochedejeanets’exécuta.Ellesepenchapourleramasser,sanslequitterdesyeux,etl’ouvrit.—Vousavezmeilleureallurequandvousn’avezpas levisageensanglanté, remarqua-t-elleaprès
l’avoircomparéaveclaphotodesacarted’identité.—Etvous,commentallez-vous?—Çava.Ellebaissasafourche,refermaleportefeuilleetleluitendit.—C’est ladeuxièmefoiscettesemainequ’onessaiedes’enprendreàmonpur-sang.Ce typeau
bandanam’aréveilléeenforçantleverroudel’écurie.Commes’ilavaitcomprisqu’onparlaitdelui, lechevalpassala têteà travers lagrilleet l’agita
plusieursfoisdehautenbas.—D’ailleurs,monsieurTitus,votremissionneconsistepasàmeprotégermoi,maisNavigator.Elledésignalechevalderrièrelui.Macsepassalamainsurlevisage,pours’assurerqu’ilnesaignaitplus.—Monboulotc’estdeprotégerlesgens,pasleschevaux.—Solbergm’a assuré que vous sauriez d’autantmieux remplir cettemission que vous avez une
grandeexpériencedeschevauxdecourse.Denouveau,Navigatorhochalatête,commepouracquiescer.Macs’apprêtaitàprotesterlorsqu’ilremarqualescernesdefatiguesurlevisaged’Emmaetlelitde
fortuneinstalléàproximitédelastalledupur-sang.—Vousdormezici?—Oui.Depuisquej’aireçuunappelanonymelelendemaindelavictoiredeNavigatoraugrand
prixdeChurchillDowns,ilyadeuxsemaines.—J’avoueêtreimpressionné,mademoiselleClareborn,maisc’estuncheval.Entempsnormal,mes
clientsmarchentsurdeuxjambes.Ill’avaitmanifestementvexée,carsonregardsedurcitettoutsoncorpsparutseraidir.—Cen’estpasn’importequelcheval!Jel’entraînepourqu’ilgagnelederbyduKentuckyainsique
ceuxdePreaknessetdeBelmontStakes.Autrementdit,laTripleCouronne,monsieurTitus.Navigatorhochadenouveaulatête.CetteapparentecomplicitéentrelechevaletsapropriétaireamusaMac,quisedétenditunpeu.De
toutefaçon,ilétaitinutiledevouloirs’opposeràEmmaClareborn.L’éclatdesesyeuxsombresetladétermination de son expression révélaient qu’elle était certaine de ce qu’elle avançait. Pour avoirdéjàobservécetyped’obsession, ilsavaitquelseffetsdestructeursellepouvaitengendrer.Lesgensquiselaissaientàcepointdominerparleurpassionfinissaientgénéralemententhérapie.—Avez-vousuneidéedequichercheàs’enprendreàlui?— Non. Je n’ai pas reconnu la voix au téléphone et, évidemment, l’identité de l’appelant était
masquée.Enoutre,cepourraitêtrelamoitiédespropriétairesderanchesdeFayetteCounty,tousceuxqui élèvent des chevaux et ont l’ambition de remporter les derbys.Dès cet automne, plusieurs sontvenus espionnerNavigator à l’entraînement et l’ont chronométré sur la piste. Ils savent tous à quelpointilestrapideetn’ontaucuneenvied’alignerunchevalfaceàlui.Ellefitunpasenavantpourvenirpasserlamainsurlechanfreinimmaculédupur-sang.Lechevalbaissadoucementlatêteetfermalesyeux,confiantetsatisfait.N’importequiauraitétécapabledecomprendreàquelpointelleaimaitcechevaletcroyaitenlui.
MaisMacn’étaitpasunnovice,etilsavaitqueplacerautantd’espoirssurunanimalétaituneerreur.—Ilyaunetroussedepremierssecoursdanslasellerie.Venez,jevaisnettoyervotreplaie.Ellesedirigeaverslaportedanslecoindel’écurieenajoutant:—J’aimeraisaussisavoirquelgenred’hommeonm’aenvoyé.Mac la suivit, notant au passage l’élégant balancement de ses hanches, qui ne le laissa pas de
marbre.EmmaClarebornavaitbiengrandi!Ladernièrefoisqu’ill’avaitvue,vingt-cinqansplustôt,c’était
une gamine avec des taches de rousseur et des couettes. Elle était devenue une femme aux courbesgénéreusesquilemettaitdanstoussesétats.—Depuisquanddirigez-vousFirehillFarm?—Depuis que mon père a eu une attaque qui l’a diminué, peu de temps après la naissance de
Navigator.Macfuttroublé.Ainsidonc,ThadeousClareborn,l’ancienennemidesonpère,étaitencorevivant?—Cetteattaquel’aclouédansunfauteuilroulant.
***
Sespenséestournéesversl’hommequilasuivait,Emmaentradanslasellerie.Ilavaitbeauavoiruneentailleàlajoueetêtrecouvertdepoussière,ellel’avaittrouvéséduisantdèslepremierregard.Physiquement,ilcorrespondaitparfaitementàcequ’elleavaitdemandéàSolberg,avecsescheveux
mi-longsetsonvisagemarqué.Restaitàdéterminers’ilseraitcapabledeprotégersoncheval.—Asseyez-vous,dit-elleendésignantuntabouretposécontrelemur.Macletiraets’installa,brascroisés.Emmaseretournapourprendrelatroussedesecours.Lorsqu’elleluifitdenouveauface,Macfut
surprisparlesouriresatisfaitqu’elleluiadressa.
—Solbergabienfaitdevousenvoyer.Vousavezexactementleprofilquej’avaisdemandé;vousn’aurez aucunmal à vous faire passer pour un employé de ranch.A vrai dire, je craignais de voirdébarquerunhommeencostumeavecdesRay-Ban.Danslesfilms, lesgardesducorpsressemblentsouventàcela.—Jesuisheureuxderépondreàvosattentes.Celanel’empêcheraitcependantpasdefairesavoiràWinslowSolbergquelefaitdeseretrouverà
devoirprotégerunchevalsansavoirétéprévenuneluiplaisaitguère.IlcontemplaEmmaquipréparaitdequoinettoyersablessure.—Pourêtrefranche,Mac…JepeuxvousappelerMac,n’est-cepas?Ilétaittellementsouslecharmeque,lorsqu’elletenditlamainpourluireleverlementon,ilfaillit
tomberdutabouret.—Vouspouvezm’appelercommebonvoussemble,mademoiselleClareborn.Aprèstout,c’estvous
quipayez.Ellefronçalégèrementlessourcilsavantdereprendreuneexpressionplusdétendue.—Jevousenprie,appelez-moiEmma.Oh!votreagresseurnevousapasraté!Samainétaitàlafoisfermeetdouce,etlasentirsursapeauprocuraitàMacdessensationsqu’il
duts’évertueràcontenir.Enfin,elleretirasamainetcherchadanssatroussedesecours.—Laplaieestnette.Jevaispouvoirlarecoller.—Larecoller?—Oui,c’estuntrucquem’aapprismonpère.Pourfaireserefermeruneplaienette,iln’yariende
mieuxquelacolle.Vousn’aurezmêmepasdecicatrice.Ilneréponditrien.EmmaClarebornapprendraitbienasseztôtqu’unecicatricedeplusoudemoins
étaitlecadetdesessoucis.Tandis qu’elle déroulait une bande de gaze puis ouvrait un flacon de désinfectant, il observa ses
mainsdélicates.Lorsqu’elleeutreposéleflacon,illuisaisitlepoignetetluifittournerlamainpourexaminerles
callositésaucreuxdesapaume.—J’aicommel’impressionquevousneménagezpasvotrepeine.L’airconfus,ellebaissalesyeuxetretirasamain.—Ilfautbienquequelqu’uns’assurequeNavigatordonneralemeilleurdelui-mêmesurlapiste.Denouveau,ilfutirritédedécelerunetelleobstinationchezelle,maisn’enlaissarienparaître.—Puisquejeseraisurplacevingt-quatreheuressurvingt-quatre,vouspourrezsoufflerunpeu.Elleledévisageapendantplusieurssecondesd’unairméfiant.—Nevousinquiétezpas,reprit-il.Jevousprometsdeveillersurvotrechevalautantquesurvous.Unbrefinstant,illutdusoulagementdanssonregard.Ilcompritnéanmoinsqu’ilauraitfortàfaire
pourlarassurertoutàfait.—J’espèrequevousréussirezàprotégerNavigator,ditEmmaensoupirant.Depuisl’accidentde
monpère,leschosesnesontpluscommeavant.«Pluscommeavant»étaituneuphémisme,voireunmensonge,dontellen’étaitpasfière.Quoiqu’il
en soit, elle ne tenait pas à ce qu’il sache qu’elle avait dû revoir le fonctionnement du ranch pourfinancerl’engagementd’ungardeducorps.Fairetournerunranch,éleverunchevalcapabledegagnerles derbys et payer une infirmière à plein temps pour son père n’était pas rien. Il avait bien fallutrouverdesfondsquelquepart.Tousdeuxse turent,etEmmaseconcentrasursa tâche.Ellenettoya lesangséchéet lapoussière
autourdelaplaie.LorsquesesyeuxseposèrentsurlamâchoireinférieuredeMac,elleretirasamain,gênée.—Vousvoyez,unecicatricedeplusnevapaschangergrand-chose, remarqua-t-ild’un tondénué
d’émotion.Emmaexpira lentement et se remit au travail, incapablededétacher son regardde labalafrequi
s’étendaitdesonoreillegaucheàlabasedumenton.Elle se redressa légèrement pour croiser son regard bleu acier. Cette cicatrice était récente et,
d’aprèssonaspect,iln’étaitpasdifficiled’imaginerqu’ilavaitfailliperdrelavie.—Jesaisqueçanemeregardepas,mais…comment…—Commentai-jerécoltécettecicatrice?Il baissa les yeux une seconde et Emma vit son expression s’adoucir. D’instinct, elle se pencha
davantageverslui,commesielles’apprêtaitàrecevoirsaconfession.Ellefutcependantdéçue,carilseredressabrusquement.—Pourvous,mademoiselleClareborn,cequicompte,c’estdesavoirquejesuislàetquejeferai
toutmonpossiblepourassurerlasécuritédevotrecheval.Lereste,commevousvenezdeledire,nevousregardepas.Emma l’observa,afinde jaugeràquelpoint ilétait sérieux.Sonexpressionétaitgrave,mais ily
avaitautrechose.Deladouleur?Unbruitdepaslatiradesespensées.VictorDagopassalatêteàlaportedelasellerie.—Meschevauxsonttrèsagités.Toutvabien,ici?MacvitEmmajeteraunouveauvenuunregardpleind’hostilité.Elleneleportaitmanifestementpas
danssoncœur.— Victor, je vous présente mon nouvel employé, Mac Titus. Il a fait une mauvaise chute dans
l’écurie et a effrayéNavigator.Voschevauxontdû l’entendrehennir, cequi explique leur agitation.J’ensuisdésolée.LenomméVictorentradanslasellerieets’avançaversMac,maintendue.— Heureux de vous connaître. Je suis content que Mlle Clareborn se soit décidée à engager
quelqu’unpourl’épauler.Macluiserralamainetcherchaàdevineràsonaccentd’oùilétaitoriginaire.—Vousavezdeschevauxici?demanda-t-il.—Oui,unedemi-douzaine.Enfin,pour lemoment.DeuxsontencoreàFrontRoyal. Ilsdoiventy
resterdeuxsemaines,enquarantaine.—Ilssontmalades?
—Non,pasdutout.C’estlaprocédureclassiquequanddesanimauxentrentsurleterritoire.Nousironsleschercherdèsquepossible.Emmacroisalesbrasetserapprochadelui,commesiellecraignaitVictor.—Désolépourledérangement,repritMac.Laprochainefois,jeferaiplusattentionoùjemetsles
pieds.Victoracquiesça.—Trèsbien.Alors,bonsoir,dit-ilavantdes’enaller.Emmapoussaunsoupirdesoulagement:Victorétaitparti.—Qui est-ce ? demandaMac après avoir attendu quelques secondes pour être sûr que l’homme
avaitbienquittél’écurie.—VictorDago.Ilentraînedeschevauxpourlecompted’unémirquejen’aijamaisrencontréetà
quijen’aimêmejamaisparlé.Jeleurlouel’écuriequiestdel’autrecôtédelapisted’entraînement.Saréponsen’expliquaitpascequ’ellesemblaitavoircontrecethomme.—J’aieulesentimentquevousnel’aimiezpasbeaucoup.—Disonsque jeneme senspas à l’aise avec lui, c’est tout, répliqua-t-elle avantdeprendreun
cotonpourfinirdesoignersablessureà la joue.Fermez lesyeux, lacolle risquedevousbrûlerunpeu.Obéissant,ilfermalesyeuxetlesrouvritquelquessecondesplustard.Iln’avaitressentiqu’unléger
picotement.Enlavoyantdevantlui,attentive,ilsongeaqu’elleavaitdécidémentunvisagemagnifique.—Jolitravail,docteur,dit-ild’untonlégerenpassantdoucementleboutdesdoigtssursaplaie.Elleluisouritetileutenviedelaserrercontreluipourchasserlafatiguedesestraits.— Pourquoi n’allez-vous pas vous reposer ? Je vais vous relayer auprès de Navigator, et nous
continueronsàdiscuterdemainmatin.Emma acquiesça et sortit de la sellerie. Pour la première fois depuis plus d’unmois, elle sentit
l’espoir renaître.Mac était là, et elle était certaine qu’il ferait tout pour l’aider. Alors qu’elle sedirigeaitverslaportedel’écurie,ellevitbrillerquelquechosesurlesol,àl’endroitoùMacs’étaitbattuavecl’intrus.Une seringue !Elle sebaissapour la ramasser,maisMac,qui l’avait suivie, lui saisit lepoignet
pourl’enempêcher.—N’ytouchezpas.Sijamaiselleappartientàl’hommequis’estintroduitici,ilyapeut-êtrelaissé
sesempreintes.—Entoutcas,ellen’estpasàmoi.Toutlematérielmédicaleststockédansunearmoireferméeà
clé.—Avez-vousuntissuquelconquedanslequelnouspourrionsl’envelopper?—Jevaisallervoir.Elleretournadanslasellerieetill’entenditouvriretrefermerdestiroirs.Soudaininquiet,ilscrutal’obscuritéautourdelui.Soninstinctluidisaitquequelquepart,là,dans
l’ombre,onlesobservait.Iln’auraitpassul’expliquer,maisillesentait.Ilenétaitpersuadé.
Emmarevintprèsdelui.—J’aitrouvéungantenlatex.Pensez-vousqueçaferal’affaire?—Oui,trèsbien.Illeluipritdesmainsetlepassa.Ilsebaissa,ramassalaseringueparlepistonetlalevadansla
lumièredelasellerie.Apparemment,ellen’avaitpasservi.—Ilfautdéterminercequ’ellecontient.Ilobservaleliquidejaunepâle.—Letypequenousavonssurprisavaitsansdoutel’intentiondel’administreràvotrecheval.Macôtalegantavecprécautionetl’enroulaautourdelaseringue.—Nousavonségalementunautreproblème.IlsetournaversEmma,quifronçalessourcils.—Jecroisquenousnesommespasseuls,reprit-iltoutbas.Allezmettreçaàlasellerie.Jevous
attendsici.Elleneprotestapasetneperditpassonsang-froid,cequiétaitbonsigne.Siellesavaitgarderson
calmeetlelaissaitprendreleschosesenmain,ceseraitplusfaciled’assurersaprotection.Pendantqu’elles’occupaitdelaseringue,ildéboutonnasavesteetsortitsonarme.—Restezprèsdemoi,dit-illorsqu’ellefutrevenue.Elle acquiesçade la tête et saisit aupassage la fourchequ’elle avait laisséeprèsde la stallede
Navigator.Lentement,ilsavancèrentverslefonddel’écurie.Macouvraitchaquestalled’uncoupdebotteet
vérifiaitquepersonnenes’ycachait.Derrièrelui,Emmatournaitlatêteàdroiteetàgauche,safourchebrandie,telunguerriermédiéval.Ils’arrêtadevantladernièrestalle,despicotementssurlanuque.Illevalajambeetrepoussaviolemmentlagrilleavantdeserueràl’intérieur,l’armeaupoing.Personne.Toutjustevit-ilunesourisfilerentresesjambesetdisparaîtredansleboxvoisin.—Toutvabien,dit-ilenregardantautourdelui.Ilabaissasonpistoletetcherchaàsedétendre.Pourtant,lasensationd’êtreobservéétaittoujours
présente;iln’arrivaitpasàlachasser.Le soulagementqu’il lut sur levisaged’Emma le convainquitqu’il fallait qu’iloublie ses soucis
pourlanuit.Iln’yavaitpersonne.—Jevousraccompagnejusqu’àvotremaison.Elleluisourit.—Merci.Avant,jevaisvousfairerapidementvisiterl’annexe.Leréfrigérateurestplein,etilya
égalementtoutcequ’ilfautpourlatoilette.
***
—Passezsurlacaméra1etzoomezsursonvisage.—Compris.L’hommes’affairasurletableaudecommandesdanslecamiondesurveillance.Uneimageapparut
brièvementsurunmoniteurpuisl’écrandevintneigeux.—Onaencoreperdulaliaisonavecla1!Ilvadenouveaufalloirallerlaréparer.RennDonahue,unagentdelaNSA,fixalemoniteur.—Repassezsurlacaméra2.Unautremoniteurs’allumaetoffrituneimagenette.L’agent Donahue observa l’homme qui se tenait à côté d’Emma Clareborn. Ainsi, un nouveau
protagonisteétaitentréenscène.Quelrôlejouait-ildanscettehistoire?—Tirez-moisonportraitetfaiteslesrecherchesd’usage.Jeveuxsavoirquiestcetypeetcequ’il
faitàFirehillFarm.Enoutre,ilestarmé.Considérez-ledonccommepotentiellementdangereux.
2
AprèsavoirnettoyélastalledeNavigator,Macallaviderunedernièrebrouettéedefumieretôtasesgantsdetravailencuir.Onétait endécembre, et le jour se levait àpeine. Il contempla lespremiers rayonsdu soleilqui
tentaientdepercerlabrumeau-dessusdescollinesduKentucky.Ilavaitpresqueoubliéàquelpointilaimaitcesmoments.Lefroid,lasérénitéquiimprégnaitl’air
avantqu’unenouvellejournéenedémarre…Toutcelaluiavaittoujoursfaitdubien.—Bonjour.La voix d’Emma derrière lui le fit sursauter. Il se retourna et posa d’instinct le regard sur ses
courbessensuelles.Laveille,ilnes’étaitpastrompé;elleétaitvraimentcraquante.Ilserenditcomptequ’ill’observaitdemanièreunpeutropappuyéeenlavoyantrougir.—Jeconstatequevousm’avezdispenséedemescorvéesmatinales.Ellepassaprèsdeluietentradansl’écurie.—Mercibeaucoup,ajouta-t-elle.Il lasuivit,charmépar lebalancementdeseshanchesetdesa longuenattequivenaitcaresser la
ceinturedesonjean.Oui,décidément,ilaimaitbeaucouplesmatins,etcelui-ciplusquetoutautre.—Moncavalierd’entraînementseralàà7heurespourfairetravaillerNavigator.Elleallachercherunlicou,unmorsetunebrossedanslasellerie.—Ilabesoind’êtrebienéchauffé,dit-elleenrevenant.Cematin,ilvacourirpendantlongtempset
nousallonslechronométrer.Macs’avançapourouvrirlagrilledelastalle.Elleentradanslepetitespaceetposasabrosse.Lepur-sangpoussaunhennissementguttural etbaissadocilement la tête lorsqueEmma luimit le
morsetlelicou.Puiselleramassalabrosse.Maclaregardabrosseraffectueusementledosetlesflancsdel’animal.—QuelestsoncoefficientBeyer?Sanss’interrompre,elleluijetauncoupd’œilpar-dessusl’épaule.— Vous utilisez un jargon de spécialiste. Vous vous y connaissez vraiment bien en chevaux de
course.—Mmm.Il ne souhaitait pas révéler comment il connaissait si bien l’univers des chevaux de course et le
systèmeBeyer,quiconsistaitàprendreencomptelavitessenaturelled’unepiste,letempsdepassaged’unchevalsurcettemêmepisteet,delà,àentireruncoefficientquiexprimaitlaréellerapiditédel’animal.—C’estcentvingt-six.Maclaissaéchapperunsifflementd’admiration.Ilsemitàétudierlepur-sangendétail:ilavaitle
chanfreinbiendessiné,unlargepoitrail,delonguesjambesetunecroupepuissante.—Cen’estpasmaldutout!Oùa-t-ilcourupourladernièrefois?—AChurchill Downs, lors d’une course d’obstacles. Il l’a remportée avec plusieurs longueurs
d’avance.Ilsentitunfrissond’excitationleparcourirmaissefittrèsvitelaleçonetsereprit.Ilconnaissaitcet
étatetsavaitcequecelafaisaitquandonplaçaittropd’espoirsdansunchevaletqu’onfinissaitdéçuaprèsavoirconnulavictoire.Ilavaitvutropd’hommesselaissergriser,tomberdehautpuissombrerdansladépression.Ledernierd’entreeuxétaitsonproprepère.—Ilprogresserégulièrement.C’estsûr,iladupotentiel,poursuivitEmma.Macsortitduboxets’appuyacontrelemur,leurtournantledos,àelleetaucheval.—Sonaïeulagagnélederbyen1987.Al’énoncéde ladate,Macdutcontenir lavaguedecolèrequi l’envahit. Ilseretournaetsaisità
deuxmainslesbarreauxdelagrille.—Alysheba?—Absolument!LechevalquiaengendréSmoothSailing,lequelaengendréNauticalMile,lepère
deNavigator,expliqua-t-elletoutensellantsoncheval.Mac avait l’impression d’étouffer tant il avait le cœur serré. Smooth Sailing était le cheval que
ThadeousClarebornavaitvoléàsonpèreaucoursd’uneventeauxenchères.Etvoilàquec’étaitaussil’aïeul d’un pur-sang qu’on entraînait pour gagner le derby ? Le coefficient Beyer était un bonindicateur,etcelasignifiaitqueNavigatoravaiteneffet toutesseschancesderemporterlederbyduKentuckyetlaTripleCouronne.
***
Emmamit lepiedàl’étrier,attrapalepommeaudelaselleetmontasurOliver,sonpoulain.Elletendit lamain pour prendre les rênes queMac lui donna. Il recula après lui avoir adressé un brefregard.Unregardtellementintensequ’elleeneutlesoufflecoupé.—Ilfaitàpeinecinqdegrés,cematin,Emma.EchauffezbienNavigator.Elleacquiesça.—Jevaisluifairefaireunpetittrot,etjevousretrouveauportiquededépart.EllefittournerOliververslapisteenespérantqueMacn’avaitpasremarquéàquelpointelleavait
rougi.En fait, elle était intimidée.Elle avait bien euquelques petits amis,maisMacTitus avait uncharmebrut,presqueanimal.Ilétaitterriblementsexyet,chaquefoisqu’illaregardait,ellesesentaitdéfaillir.ElleattrapalesguidesdeNavigatoretletiraderrièreelle,verslapistedecourse.Le brouillard limitait la visibilité,mais elle connaissait par cœur cette piste ovale ; elle l’avait
parcouruedesmilliersdefois,mêmedenuit.
EllefitavancerOliveraupetittrotet,aupremiervirage,seconcentrasurlarampepouroptimisersatrajectoire.Maclaregardadisparaîtredanslabrume,lessensenalerte.Iltournalégèrementlatêteàdroiteet
perçutleclaquementdessabotssurlesolhumide.Ilfermalesyeuxafindeseconcentrerdavantagesurceson.Iln’auraitsudirepourquoifermerles
yeuxaiguisaitsonaudition,maisçamarchaittoujours.Toutefois,jusqu’àcequ’ilsefassetirerdessusenservice,iln’avaitjamaisbeaucoupprêtéattentionàsescapacitésauditives.Désormais,l’auditiondesonoreillegaucheétaitirrémédiablement…Commeonluiposaitlamainsurl’épaule,ilfitbrusquementvolte-face.D’instinct,ilsaisitl’hommequisetrouvaitderrièreluiparlecoletleplaquacontrelabarrière.—Hé!Doucement!Lejeunegarsqu’ilvenaitd’immobiliserlecontemplaitavecdesyeuxagrandisdefrayeur,lesmains
levéesensigned’apaisement.Macrecouvrasoncalme.L’inconnuportaituncasqueetunetenuedejockey.—Oh!pardon!Jesuisdésolé!Jenevousavaispasentenduapprocher.Illelâchaetreculad’unpas.—J’aivraimentréagicommeun imbécile.JesuisMac, lenouveaupalefrenierd’Emma.Etvous,
vousêteslecavalierd’entraînementdeNavigator,c’estça?—Eneffet.Jem’appelleJoshDuncan.Ilremitsacasaqued’aplomb.—Je suis en avance.Mongalopd’entraînement chezMcCluskie a été annulé, alors je suis venu
directementici.—ChesterMcCluskiedirigetoujoursRamblingFarm?—Oui,etluiaussi,iladegrandesambitionspourlederby.Ouplutôtilavait,devrais-jedire,parce
queOpheliaMine, sa pouliche, a disparu unmoment hier soir et, quandon l’a retrouvée, elle étaitblessée.Apparemment,c’estsérieux.Levétérinaireestd’ailleurssurplace.Macfutprisd’undoute.Etait-ilpossiblequeNavigatorn’aitpasétélaseulecibledutypemasqué
qu’ilavaitsurprislaveilleausoir?Ilfallaitqu’iltransmettesanstarderlaseringuedécouvertedansl’écurieàlapolice,afinqu’ondéterminecequ’ellecontenait.— Emma est partie échauffer Navigator en le tirant derrière elle. Elle ne devrait pas tarder à
revenir.Ilsetournadenouveauverslapisteetécoutalebruitdessabotssurlesol.—Alors,qu’enpensez-vous?VouscroyezqueNavigatoralesmoyensderemporterlederby?—Iladevéritablesaptitudes.Personnellement, jepenseque jesuis loinde luiavoir faitdonner
toutesamesure.Avecunjockeyperformant,jesuispersuadéqu’ilpeutgagnerlaTripleCouronne.Génial!Encoreunquiplaçaittoussesespoirsdanscecheval.Macserralabarrièrepoursecalmer
tandisqu’Emma,OliveretNavigatorémergeaientdubrouillard.Cettefois,ilobservad’unœilcritiquela démarche de l’étalon. Il avançait la tête haute, le regard clair, déterminé. Il paraissait à la foissauvageetconfiantenlui.Selonlarumeur,seulslestrèsgrandsavaientcegenred’allure.
Ilsentitsoncœurbattreplusfort.Voilà…maintenant,luiaussisemettaitàêtreanimédel’espoirdevoircechevalréussirdegrandesperformances.Quandondécelaituntelpotentielchezuncheval,onétaitprêtàremuercieletterrepourenfaireunchampion.Ilauraitmieuxfaitdedétournerlatêteetdepenser à autre chose avant qu’il ne soit trop tard, car il n’avait rien à gagner dans cette histoire…EmmaClareborn,si.Alalumièredujour,ilavaitpuserendrecomptequelesbâtimentsdeFirehillFarmavaientbesoin
d’être rafraîchis et les terres entretenues. Si le cheval ne répondait pas à ses attentes, elle auraitcertainementbeaucoupdemalàmaintenirl’exploitationàflot.Intérieurement,ilsefitlapromessedetoutmettreenœuvrepourqu’ellenesoitpasdéçue.Emmaattachasonchevalàlabarrièreetmitpiedàterre.—Voilà,ilestchaud,Josh.Neleménagezpas,cematin.—Entendu!Joshprit les rênes tandis qu’Emma retirait àNavigator le licou qu’elle avait utilisé pour le tirer
derrièreelleetvérifiaquelaselleétaitbiensanglée.— Faites-lui travailler ses trajectoires intérieures et extérieures. Ainsi, la prochaine fois qu’il
courra,silesviragesdelapistesontmaldélimités,ilseraprêtàréagir.Macs’avançasurlapisteets’approchadeJosh.—Allez,enselle!dit-ilenaidantlejeunehommeàmonter.—J’aimeraisbienquelebrouillardselèveunpeu,remarquaEmma.Elletirasonpoulainjusqu’àl’enclosetl’yfitentrer.Maclaregardafaire.—Aimeriez-vousvousencharger?luidemanda-t-elleenrevenantverslui.Elleluitendaitunchronomètreargenté.L’instrumentdesillusionsdetouslesentraîneursdechevaux
decourse…Déciders’ilvoulaitounonsechargerdechronométrer lechevalauraitdûêtrefacile.Pourtant, il
hésitait.Letempsdepassagedupur-sangallaitluidireunebonnefoispourtoutescequ’ilavaitdansleventre.—Oui,biensûr,répondit-ilfinalementenprenantlechronomètre.Emmaeutunpetitsourire.—Jejureraisquevousavezpassébeaucoupdetempsavecdeschevauxdecourse.Macsentitqu’ildevaitêtreprudent.Quelâgeavait-elleàl’époqueoùleurspèresétaientdevenus
rivaux?—Oui,maisc’étaitilyalongtempsetjen’étaisqu’ungamin.Çadoitêtredansmesgènes,etçane
s’oubliepas.—Donc,Solberg avait raison.Vous êtes l’homme idéal pour cettemission. Je suis heureuse que
voussoyezlà.Mac la contempla et fut ému par la sincérité de son ton et l’éclat de ses yeux noisette. Il devait
vraimentseméfier,carilnefaudraitpasgrand-chosepourqu’ilsuccombeàsoncharme.Enentendantlebruitdesabotsaugalopserapprocherrapidement,ilsetournabrusquementversla
piste.
Lebrouillardl’empêchaitdevoirbienloin,maislechevaletsoncavalierétaientbienlà.Illevalechronomètreetposaledoigtsurleboutonenretenantsonsouffle.Soudain,lepur-sangjaillitdubrouillard.Macenclenchalechronomètrelorsqu’ilpassaàhauteurdu
portiquededépartpuisl’écoutagaloperdanslalignedroiteavantd’attaquerlepremiervirage.Emmaluiposalamainsurl’avant-brasetleserra.—Jevousavaisbienditqu’ilétaitrapide!Jesaisqu’ilpeutréussir.Macselaissagagnerparsonenthousiasmeetéprouvadel’exaltation.Aubruit,ilsutqueNavigator
avaitdéjàparcouruundemi-tourdepiste.Il n’osa même pas consulter le chronomètre. D’instinct, il savait que le temps était hallucinant.
Mieuxvalaitattendrequelechevalrepasse.Là,aumoins,enl’ayantsouslesyeux,ilauraitmoinsdemalàycroire.Toutàcoup,ilfronçalessourcils.Lerythmedugalopvenaitdechanger.Cen’étaitpasnormal.Une
secondeplustard,uncridedouleurdéchiralabrume.—Ilyaunproblème!s’exclamaEmmadontlamains’étaitcrispéesursonbras.Navigatorsurgitpeuaprèsdubrouillardsanssoncavalier.Parréflexe,Macpressaleboutonduchronomètrepuislemitdanssapoche.—PrenezOliveretallezchercherJosh!Moijem’occupedeNavigator!criaEmmaquis’élançait
déjàsurlapiste.Tandisqu’ilcouraitversl’enclos,MacentenditEmmasifflerpourrappelerNavigator.Ilsaisitlesrênesdupoulain,mitlepiedàl’étrieretsehissaenselle.Celafaisaitdesannéesqu’il
n’avaitplusmonté,maisc’étaitcommelevélo,çanes’oubliaitjamais.Lançant l’animal au trot, il s’engagea sur la piste. Josh devait être quelque part après le virage
lorsquelerythmedecoursedeNavigatoravaitchangé.Auboutd’unecentainedemètres,lebrouillardunpeumoinsdenseluipermitdevoirdevantlui.Joshgisaitrecroquevillétoutprèsdelarampeintérieuredelapiste.Ilnebougeaitpas.Inquiet,Macfitaccélérersamontureetgalopajusqu’àl’endroitoùgisaitJosh.—Josh!Tum’entends,petit?demanda-t-ilenmettantpiedàterre.Ils’agenouillaetposalamainsurl’épauledujockey.Josh gémit, roula un peu sur le flanc et tenta de se redresser. Mac l’en empêcha d’un geste
bienveillant.—Non,non,nebougepas.Macserralesdents,préoccupéparl’airhagarddujeunehommedontlevisageétaitmaculédeboue.
Mais, plus encore, c’était la positionde son avant-brasdroit, anormalement tordu, qui lui avait faitcomprendre qu’il ne devait surtout pas bouger. Il fallait qu’il soit pris en charge et transporté àl’hôpitalrapidement.—Ilfautquejerattrapelecheval,ditJoshencherchantencoreàseredresser.Macl’immobilisaenluiposantdoucementlamainsurlapoitrine.—Détends-toi,Emmas’encharge.Ellevalerattraper.Jecroisquetuaslebrascassé,alorsreste
tranquille.
Joshbaissalesyeuxsursonbrasetgrimaça.— Que s’est-il passé ? demanda Mac qui souhaitait faire parler Josh pour éviter qu’il perde
connaissance.— Je ne sais pas. Je n’avais pas de visibilité, et tout à coup j’ai fait un écart et j’ai heurté la
barrière.—Acausedubrouillard?—Unelumièrerougeestvenuemefrapperdansl’œilet…—Unlaser?—Possible.MaisjecroisqueNavigatorétaitviséaussiparcequ’ils’estsubitementexcité.Ils’est
déportéetatapélarampe.Jen’airienpufaire.J’espèrequ’iln’estpasblessé.Alorsqu’ilregardaitautourdelui,MacvitEmmaetNavigatorsortirdubrouillard.—Est-cequeJoshvabien?criaEmma.Macserelevaetattenditqu’ellesoitassezprèsets’arrête,cherchantàcalmerNavigator.—Ilalebrascassé.Ilfautappeleruneambulanceetleshérif.Cen’étaitpasunaccident.Quelqu’un
leuraenvoyéunraysonlaserdanslesyeuxpourlesaveugler.Jesupposequeceluiquiafaitçaétaitdanslesboisderrièrelapiste.Il se tournavers les arbres et soupira, frustré.Labrumeempêchait devoir si quelqu’un s’y était
dissimulé,etilnepouvaitpaslaisserJoshetEmmatoutseulspouralleryjeteruncoupd’œil.Emmasortitsontéléphoneportabled’unemaintremblanteetcomposale911.Ellen’avaitpasprévu
que ses ennuisprendraient ce tour-là.Ceuxqui lui avaient envoyédesmenacesparaissaientprêts às’enprendreàsonentourage,passeulementàsesbiensouàsesanimaux.Plusquejamais,elleavaitbesoindeMacTitus.
***
—Après avoir surpris un intrus dans l’écurie, nous avons découvert ceci près de la stalle deNavigator.Ilestpossiblequelesempreintesdel’inconnusoientdessus.MactenditaushérifRayWilkeslegantcontenantlaseringue.—Ças’estpassélanuitdernière?—Oui,peuaprèsmonarrivée,auxenvironsde22heures.J’aientenduMlleClareborncrier,jeme
suis précipité dans l’écurie et me suis retrouvé nez à nez avec un type qui s’enfuyait. Nous noussommesbattus,maisilaréussiàs’échapper.Amonavis,ilavaitl’intentiond’administreràNavigatorcequ’ilyadanscetteseringue.Macregardas’éloignerl’ambulancequiemmenaitJoshetrepensaàcequelejockeyluiavaitappris
surlapoulichedeMcCluskie.—Joshm’aparlédecequis’estpasséàRamblingFarmhiersoir. Ilsembleraitqu’unchevaldu
ranchaitluiaussieudesennuis.Ilpourraityavoirunlienentrelesdeuxincidents.— Je vais emporter la seringue au labo et j’irai parler à Chester. Depuis deux semaines, les
incidentssemultiplientdanslesranchesdesenvirons.Leséleveurssontinquiets.Macvoulutensavoirplus.—D’autreschevauxont-ilsétéaveuglésaulasersurlapisted’entraînement?—Pasquejesache.Maiscequejepeuxvousdire,c’estquedeuxautresincidentsonteulieudans
des ranches où Victor Dago a loué une écurie. Je suis heureux que vous soyez là pour épauler etprotégerMlleClareborn.Soyeztrèsprudent,et,aumoindreproblème,appelez-moiimmédiatement.Macpritlacartequeleshérifluitendait.—Jen’ymanqueraipas.Denotrecôté,nousaimerionsconnaître les résultatsdesanalysessur la
seringuedèsquepossible.—Jeferaiensortequ’onprocèdeauxexamenssanstarder.Maclevalatêteversl’enclosetobservaEmma,appuyéecontrelabarrière,quiregardaitNavigator
secalmerentournantenrond.Lorsqueleshériffutparti,ils’approchad’elleetsepostatoutàcôté.—LeshérifWilkesvaemporterlaseringueaulaboratoire.—Quipeutbienvouloirluifairedumal?Macsuivitsonregardetcontemplalepur-sang.—J’aimeraisbienledécouvrir.Ilsuivitdeprèslesévolutionsdel’animalpourdéterminersisadémarcherévélaituneblessure.—Ilal’airenforme.—Oui, iln’apasuneégratignure.Maispourquoinenous laisse-t-onpas tranquilles?C’estdéjà
assezdifficiledesefaireuneplacedanscemétiersansqu’onnousmettedesbâtonsdanslesroues!Illuidonnaunpetitcoupdecoude.—N’ayezcrainte,Emma,jem’opposeraiàtousceuxquiveulentluifairedumal.Ellesetournaverslui,avecuneexpressionindécise,entreespoiretscepticisme.— Nous sommes tellement près d’atteindre les minima requis pour le derby ! Il faut que nous
gagnions laHolidayClassic afinqu’en janvier jepuisse l’inscrire etquenousayonsunechancederemporterlaTripleCouronne.J’enaibesoin,Mac;Firehillenabesoin.—Lasituationduranchest-ellesiprécaire?Ellehaussalesépaulesetsoupira.—Elleestsuffisammentgravepourquej’aiedûignorerlesrumeursquicouraientsurVictorDago
et son équipe et accepter de lui louer une de nos écuries. Sans cela, je n’aurais pas eu lesmoyensd’inscrireNavigatoràlacoursed’obstaclesdeClark.—Dagovousa-t-ilcausédutort?Mac se crispa, prêt à aller trouver ce type si par malheur Emma lui apprenait qu’il s’était mal
comporté.— Non. A part quelques commentaires déplacés et le fait que je me sente mal à l’aise en sa
présence,jen’airienàluireprocher.Quiplusest,l’émirpourquiiltravaillem’envoieunchèqueendébutdemois,sansfaute.Seshommeset luirespectentmapropriétéetsemontrentdiscrets.Encoreunefois,jen’airienàleurreprocheretjedevraismêmeêtreheureusequ’ilscontribuentàredresser
mesfinances,mais…—Quelquechosevousdérange,sansquevoussachiezquoi?—Exactement.Lesoleilavaitfinipardissiperlebrouillardetdonnaitdesrefletscuivrésauxcheveuxd’Emma.Ilseretintdeprendreunemècherebelleentresesdoigtspourlareplacerderrièresonoreille.—QuellesortederumeurscirculentsurlecomptedeDago?Ellebaissalesyeuxuninstant.—Onditqueseshommesetluisontdesrôdeurs,qu’ilscirculentbeaucouplanuit.Janet,uneamie
quitientleranchdeLoomisFarm,m’aracontéqu’unsoir,alorsqu’elleétaitsortiepourrappelersonchien,elleavuunhommevêtudenoirquiportaitunecagouledeskisortirdeleurécurieetdisparaîtredans lesbois.Lematinsuivant,ellea retrouvésonchienattachéàunpiquetdebarrière, lemuseauscotchéausparadrappourqu’iln’aboiepas.Macenregistratoutescesinformations.—LoomisFarmentraîneaussiunchevalpourlederby?—Non. On peut même dire qu’ils constituent une exception dans la région, car ils élèvent des
quarterhorses.Aprèscetincident,JanetadécidéderésilierlebaildeDago,quiestensuitevenumevoir.J’avaisdésespérémentbesoind’argent,alorsj’aiacceptédeluiloueruneécurie.Macluipassaunemaindansledospourlaréconforter,maisiléprouvadetelsfrissonsàsoncontact
qu’ils’empressaderetirersamain.—Jeseraivigilant.Riennevousarrivera.Niàvotrechevalniàvous.—Merci.Elleluisouritpuisentradansl’enclosetsedirigeaversNavigator,quiétaitmaintenantcalme.Macmitlamaindanssapocheetsentitlechronomètrequ’ilavaitcomplètementoublié.Illesortitet
regardaletempsqu’ilaffichait.Ileneutlesoufflecoupéetapprochal’appareiltoutprèsdesesyeux,commes’ilavaitmalvu.Uneminuteetcinquante-sixsecondes!C’étaittroissecondesdemieuxqueSecretariat,lechevalqui
détenaitlerecordduderbydepuis1973.Avecunteltemps,Navigatorpouvaitàcoupsûrremportercettecourse.Ilneluirestaitdoncplusqu’às’assurerqu’iln’arriveraitrienaupur-sang.
3
Mac sursauta et se demanda ce qui l’avait réveillé. Il consulta sa montre aux chiffresphosphorescents:4h35.Seredressantdanssonlitdefortune,ilfouillal’obscuritéduregard.Dansl’écurie,toutsemblaitnormal.LeseulbruitperceptibleétaitlarespirationrégulièredeNavigatorquidormaitdanssastalle.Lentement,ilrecouvraitsonauditiondel’oreillegauche.Depuislecoupdefeuquilaluiavaitfait
perdremomentanément,ellerevenaitpeuàpeu.Selonlespécialistequil’avaitexaminé,iln’entendraitplusjamaisaussibienqu’avantdecetteoreille,maisiln’étaitpasprêtàserésigneràcediagnostic.Ils’allongeadenouveau,lesmainscroiséesderrièrelatête,lesyeuxfixésauplafond.Peut-êtres’était-ilréveilléàcausedecettesensationd’êtreobservéqu’iléprouvaitenpermanence
lorsqu’ilsetrouvaitdansl’écurie.Pourtant,laveilleausoir,ilavaitnettoyétouteslesstallesetfouillépartout,sansrésultat.Soudain,unbourdonnementélectriqueattirasonattention.Il se redressa dans son sac de couchage aumoment où quelqu’un ouvrait doucement la porte de
l’écurie.Grâce à la lumière du jour qui commençait tout juste à se lever, il distingua à contre-jour la
silhouetted’unhommeenfauteuilroulant:ThadeousClareborn,lepèred’Emma.Macs’éclaircit lagorge tandisque levieilhommes’approchaitde lui.Certes, ilavaitchangéde
nom,maisClareborn,quil’avaitvuquelquesfoislorsqu’ilétaitenfant,reconnaîtrait-ilsonvisage?Ilsepassa lamaindans lescheveuxpour les remettreenplaceetprit le chapeauposéprèsde lui. Ilsortitdesonsacdecouchage,selevaetsepréparaàlarencontreavecl’hommequi,selonsonpère,avaitruinétoutessesambitionsdanslavie.Thadeousarrêtasonfauteuil.—Comment…t’appelles-tu…fiston?Ilparlaitlentement,chaquemotsemblantluidemanderuneffort.—Mac.MacTitus.Levieilhommeréponditparungrognementetapprochadelastalle.—Emmat’a…engagé?—Oui.Thadeousposalamainsurlagrilledelastalleetseredressadequelquescentimètrespourvoirle
pur-sang.—C’estunboncheval?demanda-t-il.—Plusqueça,monsieurClareborn.C’estuncrack.Levieilhommeesquissaunpetitsourire.—Est-cequejeteconnais?Embarrassé, Mac secoua la tête en signe de dénégation. Ce n’était pourtant pas réellement un
mensonge. Il avait toujours observé de loin les discussions entre son père et Clareborn. Il ne leconnaissait pas personnellement, ne lui avait jamais été présenté. La dernière fois qu’il l’avait vu,c’étaitlejouroùsonpèreetluiavaientamenéSmoothSailing,leurétalon,àFirehillFarm,uneveilledeNoël. Après cela, en rentrant, Paul Calliway, son père, avait descendu une bouteille entière debourbonavantdesombrerdansladépression.Soudain,Macremarquaqu’ilsepassaitquelquechosed’étrange.D’habitude,lorsqu’unvisiteurse
présentaitdevant sa stalle,Navigatorvenait toujourspasser la têtepour recevoirunecaresse.Cettefois,ilétaitrestédanslecoinetreniflaitnerveusement.MaccontournaThadeousClarebornetouvritlagrille.Ilentradansleboxets’approchadel’animal.
Il lui passa doucement la main sous l’encolure, là où il avait heurté la barrière de la pisted’entraînement.—Ilauneclaviculeenflée.Nousferionsmieuxd’appelerlevétérinaire.MacpensaàEmmaetàl’effetqu’auraitcettenouvellesurelle.UneblessuredeNavigatorpourrait
avoirraisondesonmoraletaccroîtrelesdifficultésdeFirehillFarm.—Jevais…yaller,ditThadeousClareborn,quifittournersonfauteuilpourressortirdel’écurie.—Restetranquille,murmuraMacaupur-sangenluicaressantlechanfrein.
***
LeDrRemingtonsetenaitàcôtéd’EmmadevantlastalledeNavigator.—Troissemaines,unmoisaumaximum.Veillezàlefairebougertouslesjourspouréviterqu’ilse
raidisse.Maispasd’entraînementintensif,pasd’exercicesviolents.L’hématomeestimportant.Al’expressiond’Emma,Maccompritquechaqueparoleduvétérinaireluifaisaitmal.LaHoliday
Classic avait lieudans trois semaines et, sans entraînement, leniveaudeperformancedeNavigatordéclineraitinéluctablement.Seschancesdepouvoirs’alignerpourlederbys’amenuisaientd’autant.—Des cataplasmes à lamoutardepourraient-ils lui faire dubien ?demanda-t-il, se rappelant le
remèdequ’utilisaitsonpèreetqui,plusd’unefois,s’étaitrévéléefficace.Levétérinaireplissalefront,dubitatif.—C’estunvieuxremèdedebonnefemmedont jenesauraisgarantir l’efficacité,mais jenevois
aucuneraisondevousempêcherd’essayer.Aumoins,leregardpleind’espoirqueluiadressaEmmaétaitdéjàuneconsolation.
***
Macôtaunnouveaucarrédetissudelabouilloireetleposasurlaplanchequ’ilsutilisaientcommeplandetravail.Il étendit soigneusement dessus une couche de moutarde puis le replia en deux pour former un
cataplasme.
Emmaleluipritdesmainsensouriant,etallal’appliquersurl’épauledeNavigator.Ils’avançaverslastalleetlaregardafaire.—Çava,voustenezlecoup?—J’ailesépaulesenfeuetj’aiunecrampe,maispasquestiond’arrêter.Macétaitdeplusenplus impressionnéparson tempérament.Laplupartdesfemmesnormalement
constituées auraient été sur les rotules après avoir passé autant de temps auprès d’un cheval, àrenouvelerrégulièrementsescataplasmesetàlefairebouger.PasEmmaClareborn.Ellen’avaitriendel’enfantgâtéeetcapricieusequ’ils’étaitattenduàrencontrerenacceptantcettemissionàFirehillFarm.Elleavaitdelapersonnalitéetducourage;elleméritaitsonrespect.Ils’approchad’elle,luiposalamaindansledosetsentitàquelpointsesmusclesétaienttenduspar
larépétitiondesefforts.Illamassalentement.Ellesedétenditpeuàpeu.—Çavamieux?—Oui,merci,çafaitdubien,répondit-elle,encoresouslecharmedesoncontact.Il recula d’un pas et songea que, chaque fois qu’il l’effleurait, il n’était plus le même. Un peu
perturbé,ilquittalastallepourallerpréparerunautrecataplasme.—Après la pose de celui-ci, nous devrions le fairemarcher un peu pour voir si l’hématome a
diminuéets’ilestmoinsraide.—D’oùtenez-vousceremèdedesorcière,aufait?—Demonpère.Quandnepeutpassepermettred’appelerlevétérinairechaquefoisqu’unanimal
estblessé,ilfautsavoirimproviser.—Ilétaitdelavieilleécole,ondirait.—Ouais.Il lui tourna ledoset sortit unnouveau tissumouilléde labouilloire.Avecunpeudechance, le
traitementréussirait.Ilvoulaitentoutcasycroiredetoutessesforces.Une ombre s’étira sur le sol lorsque le shérifWilkes entra dans l’écurie en ôtant ses lunettes de
soleil.—Bonjour.—Bonjour,shérif,réponditMacenluitendantlamain.WilkesadressaunpetitsalutdelatêteàEmma.—Vousaviezraison.Leproduitdanslaseringuequevousavezdécouverteétaitlemêmequecelui
retrouvédanslesangdelapoulichedeMcCluskie.C’estunesubstancehallucinogène,cequiexpliquequelapoulichesoitdevenuefolle.Ilvaluifalloirunpetitmomentpours’enremettre,etelleestd’oresetdéjàforfaitpourlaHolidayClassic.Emmasortitdelastalleetposalecataplasmefroidqu’elleavaitàlamain.—C’est terrible ! Je saisqueChesterplaçaitdegrandsespoirsenelle.Elle faisaitde trèsbons
temps.—Qu’enest-ildesempreintes?— Le technicien n’a rien trouvé. J’aurais aimé vous apporter de meilleures nouvelles.
Malheureusement,àpartvous recommanderunenouvelle foisde restervigilants, jenepeux riende
pluspourlemoment.Apartirdecesoir,jevaisdemanderqu’unevoituredepatrouillefasseletourduranch deux fois par nuit. On ne sait jamais, peut-être mes hommes réussiront-ils à coincer leresponsable.—Merci,shérif.—Maisderien,répondit-ilavantderemettreseslunettesetdes’enaller.—Peut-êtredevrions-nouséquiper l’écuriededétecteursdemouvement,pourque tout s’illumine
brusquementcommeunsapindeNoëlencasd’intrusion.Emmahaussalessourcilspuissourit.—Pourquoipas?— Un à l’entrée et un autre au fond devraient faire l’affaire. Nous pourrions aussi installer un
systèmed’ouvertureélectroniquesurlagrilledelastalle.—Vousêtessérieux?—Biensûr.Illaregardadroitdanslesyeux,afinqu’ellecomprennebienqu’iljugeaitabsolumentnécessairede
prendretouteslesprécautions.—Pluslescourseshippiquesserapprochent,plusladéterminationdeceluiquichercheàéliminer
desconcurrentspotentielsvaserenforcer.—Vousmefaitespeur.—C’estmon intention. Il faut toutmettre enœuvre pour assurer votre sécurité et celle de votre
cheval,etnesurtoutpassous-estimervotreadversaire.Ilrepliaunnouveaucataplasmequ’Emmapritetallaappliquersurl’hématomeducheval.—Dèsdemain,j’appellerailemagasindematérielélectriquepourqu’onnouslivredesprojecteurs
ainsiqueleserrurierpourqu’ilvienneinstalleruneserrureélectronique,dit-elleens’asseyantsurunebottedepaille.Vouspouvezvouschargerd’installerlesprojecteurs,n’est-cepas?—Biensûr.Macs’assitluiaussietilsattendirentquelquesminutesensilence,chacunperdudanssespensées.
PuisMacserelevaetallavoirNavigator.—Lederniercataplasmearefroidi.Voyonssiçaamarché.Emma, qui s’était approchée de lui, sentit l’espoir renaître, car l’hématome semblait presque
entièrementrésorbé.Dansquelquesinstants,ilsseraientfixés.Macsaisitunlicouetleluitendit.—Non, faites-le vous-même, lui dit-elle.C’est grâce à vous que je peux encore croire quemes
rêvesnesontpasanéantis.Avecunvisagegrave,MacpassalelicouàNavigatoretlefitlentementsortirdesastalle.Emmasetenaitàl’entrée,lesoufflecourt.Elleobservalecomportementetladémarchedesonpur-
sang.Sonpasétaitrégulier;aucunedouleur,aucuneraideurnesemblaientl’affecter.Unimmensesoulagementl’envahit.—Ilvabien!Vousavezréussi!ElleseprécipitaversMacetlepritdanssesbras,sansréfléchir.
Toutaussispontanément, ilpassalesbrasautourdesatailleet lasoulevadusol,sanseffort.Sonbusteétaitvigoureux,chaudetferme.Lorsqu’illareposaausol,ilsseregardèrentunmoment,puisMacbaissalesyeuxsursabouche.Troublée,ellesepassalalanguesurleslèvres.Ilbaissadoucementlatêteets’arrêtaàquelquescentimètresdesabouche,tandisque,derrièreeux,
Navigatorhennissaitetsoufflaitdoucement,lesoreillesenarrière.Impulsivement,Emmasemitsurlapointedespiedsetluidonnaunpetitbaiser.Cebrefcontactluiprocuraunesensationtellementintensequ’ellerecula,abasourdie,necomprenant
rienàcequ’elleressentait.Macs’écartaetpartit,surpris,verslaportedel’écurieavecNavigator.Quediables’était-ilpassé?
Ou,plusexactement,pourquoiavait-illaissécelaarriver?PlusilpassaitdetempsàFirehill,plusilsesentaits’attacherauxlieuxetàleurpropriétaire.DelààembrasserEmma…mêmesienfaitc’étaitelle qui l’avait embrassé…Peu importe, c’était une erreur, se dit-il, conscient que son corpsdisaitexactementlecontraireetréclamaitdavantage.IlmenaNavigatoraupetitenclosdetrot,attachalelicouaupiquetcentral,laissalechevalévoluer
tout seul.Cherchant à reprendre le contrôle de lui-même, il alla se poster derrière la barrière pourl’observer.Commeils’yattendait,Emmanetardapasàvenirlerejoindre.—Ilal’airenpleineforme,Mac.Mercibeaucoup.—Derien.Ilnefaudrapasoublierdeluipasserdulinimentsurl’épauletouteslesdemi-heures,et
aussicesoiravantquelatempératurecommenceàchuter.Etil luifaudraunecouverture,aussi.Sonmuscledoitresterbienchaudetsouple.—D’accord.Allezdoncprendreunedoucheàl’annexe.Jeveilleraisurluipendantcetemps.—Est-ceunefaçondemefairecomprendrequejesensmauvais?Emma lui jeta un coup d’œil et s’aperçut qu’il souriaitmalicieusement. Elle eut envie de goûter
encoreunefoisàseslèvres,deseserrercontresontorsevigoureuxetpuissant.—Unpeu.En fait, l’odeur de lamoutarde vous colle auxvêtements.Comme c’est parti, je vais
avoircetteodeurdanslenezpendantunmois.—Oui,moiaussi.Ilseredressaetluifitface.Denouveau,ellesentituneboufféededésirl’envahir.—Nousl’avonsremissurpied,Emma.Ilvaréussir.—Oui,j’ensuissûre.Allez-y,dit-elleendésignantl’annexedelamain.Elleleregardas’éloignerdesadémarcheassuréeetsoupleetsoupira.—Respire,Emma,respire,murmura-t-elle.EllereportasonattentionsurNavigator,quicontinuaitàtournercalmement,etfitdesonmieuxpour
recouvrersonétatnormal.Sic’étaitpossible.
***
Ilétaitplusdeminuit,etMacétaittoujourséveillé,allongédanssonsacdecouchage,lesyeuxauplafond.Emmaavaitpréparéledîneretétaitvenuelepartageravecluidansl’écurie.Commeprévu,toutes
lestrenteminutes,ilss’étaientoccupésdeNavigator.Ilauraitdûrefuserqu’elleresteaveclui,aprèscettejournéeharassante,maisiln’avaitpaseulaforcedelarenvoyerchezelleetd’écourterletempspasséensacompagnie.Il était conscient qu’il était déjà très attaché à elle. Voilà vingt-cinq ans qu’il nourrissait une
animosité envers Thadeous Clareborn et le monde des éleveurs de chevaux de course en général,animositéquesonpèreluiavaittransmise.Enmoinsdevingt-quatreheures,elleavaitvoléenéclats.Pourtant,cetterancœuravaitguidéseschoixdevieetfaitdeluicequ’ilétaitetcequ’ildésirait.Alors qu’il était perdu dans ses pensées et que rien n’avait attiré son attention, il sentit la lame
froided’uncouteaucontresagorge.D’instinct,àlavitessedel’éclair,ilfrappadutranchantdelamainlepoignetdesonagresseurpour
écarterlalame.L’instantd’après,ilenvoyasonpoingenavant,atteignantsonadversaireaufront.L’hommebasculaenarrièreets’effondra.Macroulasurleventreetl’attrapaparleschevillesaumomentoùiltentaitdeserelever.Ilserrafortettiraenarrière.Denouveau,l’hommes’effondraenpoussantungrognement.Mac se redressa et voulut se saisir de son arme lorsqu’il entendit un bruit de pas derrière lui et
reconnutlegrésillementcaractéristiqued’untirdeTaser.Ilsentitunimpactauniveaududos,futimmédiatementparalyséetperditconnaissance.
4
Emmas’agitaitdanssonlit,àmoitiéendormie.Ellejetauncoupd’œilàsonréveil:3heures.Une bouffée d’air frais entra par sa fenêtre qui donnait sur l’écurie.C’était une habitude qu’elle
avait depuis son enfance : elle laissait sa fenêtre entrouverte pour entendre ce qui se passait dansl’écurie,entendreleschevaux.Toutàcoup,unlonghennissementrésonnaquiluifitouvrirgrandslesyeux,puisunautre.Complètementréveillée,ellesedressabrusquementsursonséant,l’oreilletendue.De nouveaux hennissements lui firent courir un frisson dans le dos. Ce n’était pas normal. Il se
passaitquelquechose.Elleselevad’unbondetattrapasarobedechambrequ’ellepassaàlahâte.Danslecouloir,elle
s’arrêta pour glisser ses pieds nus dans ses bottes en caoutchouc et allumer la lumière du porched’entrée.Alors qu’elle se dirigeait vers l’écurie, Navigator hennit de nouveau longuement. Elle se mit à
courir.Devantl’écurie,ellesaisitunepelleetentraenlabrandissantcommeunearme.D’unemainfébrile,
elleactionnal’interrupteur,prêteàsebattre.Navigatorpassalatêteàtraverslagrilledesonboxpoursemanifester.EmmaluijetaunrapideregardpuisposalesyeuxsurlelitrenversédeMac,aupieddelastalle,et
lesacdecouchageàcôté,surlesol.—Mac!Laissant tomber sa pelle, elle se précipita vers lui. Elle tomba à genoux, balaya de la main la
poussièreetlapaillesurlesacdecouchageetcherchalafermetureEclairpourl’ouvrir.Ellelatrouvaetladescenditprestement.
***
Del’air!Macinspiraunelonguegouléeparlenez,ouvritlesyeuxetcontemplaEmma,impuissant.Emmaluiôtalesparadrapquiluicouvraitlabouche.—Ques’est-ilpassé?demanda-t-elleens’attaquantaux liensqui luientravaient lespoignets, si
serrésquelesangnecirculaitplusdanssesmains.—Lecheval?Commentva-t-il?—Avotreavis,quim’aréveillée?Ellecontinuadedéfairesesliensetfinitparluilibérerlesmains.—JesaisqueNavigatorabeaucoupde talents,mais jemedoutequecen’estpas luiquivousa
ligoté.Ques’est-ilpassé?Macseredressa,sefrotta lesmainspourrétablir lacirculationets’occupa lui-mêmededétacher
seschevilles.—J’aiétéattaquéparuntypehabilléennoir.Ilavaituncomplicequim’aneutraliséavecunTaser.IldéfitlederniernœudpuisselevaetincitaEmmaàenfairedemême.—NousdevonsnousassurerqueNavigatorn’arien.Ilouvritlagrille,passalamainsurlechanfreinduchevaletexaminasesjambes.—Nouspouvonslefairemarcherunpeupourvérifierquetoutestnormal.—Oui,allons-y.J’aidûpasserunedemi-heureàsuffoquerdanscesacdecouchage.Mesagresseurs
onteutoutletempsnécessairepours’enprendreàNavigator.Ilétaitterriblementinquiet.Ildevaitbienadmettreque,malgrésonentraînement,iln’avaitpasété
detailleàs’opposeràdeuxhommesarmésd’unTaser.Quiplusest,sonauditiondiminuéeneluiavaitpaspermisdelesentendrearriver.Ilpritunlicou,entradanslastalleetlepassaàNavigator,qu’ilfitensuitesortir,marcherjusqu’au
centredel’écurieettourner,sousleregardd’Emma.—Ilal’airenpleineforme,Mac.Nousavonseudelachance.—S’ilsnel’ontpastouché,alorsquesontvenusfairecesdeuxtypes?demandaMac,agacédene
pascomprendrecequis’étaitpassé.Tenez-le,ajouta-t-il.Jevaisexaminerlebox.—Ilestvraiquec’estbizarrequ’ilsaientprissoindevousligoteretdes’enallersanss’enprendre
àlui.Mac était bien d’accord avec elle. Il passa le box en revue à la recherche dumoindre élément
suspect,sansriendécouvrir.—Toutestenordre.—Tantmieux.EmmafitentrerNavigatordanssastalleetdéfitlelicou.—Votredescriptiondecesdeuxhommes ressemblebeaucoupàcellequ’enavait faitemonamie
Janetlorsqu’elleavaitsurprisdesintrusàLoomisFarm.Ellelessoupçonnaitd’êtredesemployésdeDago.IlssortirentdelastalleetMacrefermalagrille.—Dagoa-t-ildesambitionspourlederby?— Il n’en a rien dit, mais il entraîne un étalon de trois ans, Dragon’s Soul, qui a de vraies
prédispositions.Ilfaitdebonstempsetilaremportésapremièrecourse.Macseditqueledangerquimenaçaitleranchprovenaitpeut-êtreduranchlui-même.Ildevaitagir
vite.—J’aiuncontactàLexington.Jevaisl’appeleretluidemanderdeserenseignersurVictorDago.—Bonneidée.Alorsvousétiezdanslapoliceavantdedevenirgardeducorps?—Jefaisaispartiedesservicessecrets.J’avaispourmissiondeprotégerdesdignitairesétrangers
envisiteauxEtats-Unis.Emmalecontemplaquelquesinstants,lesyeuxplissés.
—C’estcommeçaquevousavezétéblessé?Illuiretournasonregardetcompritqu’ellesouhaitaitqu’illuiracontecequiluiétaitarrivé,enlui
donnantdesdétails,cequ’iln’étaitpasprêtàfaire.— Oui, répondit-il simplement avant de s’éloigner pour ramasser son sac de couchage, qu’il
époussetaetreposasursonlit.Ilfautquejedormeunpeu,ajouta-t-il.—Bien,danscecas,jevouslaisse.Macserenditalorscomptequ’elleportaitdesbottesencaoutchoucavecunerobedechambre.Cette
visionluiarrachaunpetitsourire.Puisils’attarda,subjugué,surseslongscheveuxnoirsetbrillantsquidescendaientjusqu’àsataille.—Merciencoredem’avoirlibérédecesacdecouchage.Unpetitsouriresedessinasurseslèvrespulpeuses.—J’aientenduNavigatorm’appeler,c’esttout.C’estluiquevousdevezremercier.Aplustard.—Bonnenuit.Il la suivit lorsqu’elle sortit de l’écurie et s’appuya contre lemontant de la porte pour attendre
qu’ellesoitrentréedanslamaison,oùelleétaitensécurité.Lorsquelalumièreduporches’éteignit,ilfitdemi-touretregardaautourdelui.L’écurieétaitfacile
d’accès.Sesagresseursn’avaienteuaucunmalàs’yintroduireentoutediscrétion.Ildevraitfaireensorte d’en limiter les entrées et peut-être envisager d’installer son couchage dans le fenil, quisurplombaitlastalledeNavigator.On ne pouvait y accéder qu’avec une échelle ou par une lourde porte de chargement, difficile à
bouger.C’étaitleposted’observationidéal.Ilavançalentement,àlarecherched’empreintesquiauraientrévélécequ’avaientpufairelesdeux
intrus. Dans la paille, c’était presque mission impossible. Pourtant, il remarqua des traces quisemblaientindiquerqu’ilss’étaientrendusdanslefonddel’écurieetétaientsortisparlaportearrière.Lesdeuxhommesavaientcherchéàleneutraliser,pasàletuer,apparemmentpourgagnerdutemps.
Maisdutempspourquoifaire?Il examina chaque stalle jusqu’à la porte arrière puis son regard se posa sur l’échelle du second
fenil.Ilremarquadesrésidusdesciuresurlescinqpremierséchelons.Biensûr,Emmaavaitpuymonterpourallerchercheruneballedeluzerne,mais,encemoment,on
utilisait les réserves dupremier fenil, à l’avant, pour nourrirNavigator.Emmaavait cependant trèsbienpuutiliserl’échelle.Illuiposeraitlaquestiondemain.Ilfermalaportearrièreetinstallalabarrederenfort.Pourlemoment,lepur-sangétaitsainetsauf,c’étaitleplusimportant.
***
EmmaregardaitMacfinirdefixerledernierdesdétecteursdemouvementqu’ilsvenaientd’installerà l’avantetà l’arrièrede l’écurie.Siunchaterrantvenait rôderenquêtedesouris,cela suffirait àilluminerl’ensembledel’écurie.Elle poussa un soupir de soulagement tandis qu’il descendait de l’échelle. Elle était vraiment
heureusede l’avoir àFirehill ; elle appréciait ses capacités à atténuer ses soucis.Avec lui, elle sesentaitplussereine.—LeserrurierviendrademainposerunverrouélectroniquesurlastalledeNavigator.—Parfait.Illuitenditletournevisqu’iltenaitet,unbrefinstant,leursdoigtss’effleurèrent.Troublée,elleretiravivementsamain.—Lanuitdernière,aprèsvotredépart,j’aipassél’écurieenrevueetj’airemarquéqu’ilyavaitde
lasciuresurlesbarreauxdel’échelledufenilarrière.Yêtes-vousmontée?—Non.Pasdepuislalivraisondeluzerne,enoctobre.Jenecomptaisd’ailleurspaspuiserdansces
réservesavantjanvier.—Jemedemandesilesdeuxtypesquim’ontattaquénesesontpascachéslà-haut.Acetteidée,Emmafrissonna.Firehillregorgeaitdecoinsoùl’onpouvaitsecacher.S’ilsdevaient
lespassertousenrevue,ilsn’étaientpasprèsd’avoirfini.Toutcelan’avaitrienderassurant.— N’ayez crainte, à partir d’aujourd’hui, je veillerai à ce que la porte arrière soit fermée en
permanence.Illuiadressaunpetitsourireconfiantquilarassuraunpeu.—D’autrestâchesàaccomplir?demanda-t-il.Emmaauraitvouluprendreunairmalicieuxetfaireminederéfléchiràlaquestion,maisellen’avait
jamaissusecomporterautrementqu’avecfranchiseethonnêteté.—Ehbien,àdirevrai,jecroisqu’ilesttempsd’installerlesguirlandeslumineusessurlamaisonen
prévisiondeNoël.Sivouspouviezm’aider,çamerendraitungrandservice.LesouriredeMacs’effaçaetsestraitssedurcirent.—Çanefaitpaspartiedemesattributions.—Avez-vousunedentcontreNoël?Ildétournauninstantlesyeuxpuislaregardadenouveau.—Disonsquejen’aipasquedebonssouvenirsliésàcettepériodedel’année.—Jesuisdésolée,dit-elle,àlafoisennuyéeetcurieusedesavoircequipouvaitbienlemettredans
cetétat.Danscecas,faisonscommesinousajoutionsdeslampesdesécuritésupplémentaires.Celles-ciserontpluscolorées,voilàtout.LesouriredeMacréapparut.—Vousn’aimezvraimentpasmonterauxéchelles,ondirait.—Non,c’estvrai.Allez,venez, j’ai laissé lesguirlandesdevant lamaisonet il faut lesdémêler
avantdelesinstaller.Elle tourna les talons et partit vers lamaison tandis qu’elle entendait derrière elleMac prendre
l’échelleetlasuivre.—Sitoutvabien,ceserafaitavantlatombéedelanuit.Cen’étaitpasparcequ’elleadoraitNoëletlesheureuxsouvenirsquiyétaientliésqu’ildevaiten
êtredemêmepour tout lemonde.Pourtant,elleauraitvraimentvoulusavoirpourquoiMacn’aimaitpascettefête.
MacsuivaitEmma,l’échellesurl’épaule.IlserappelaitclairementcetteveilledeNoëloùilétaitvenu à Firehill Farm avec son père pour livrer Smooth Sailing, leur étalon fétiche. Le bâtimentd’habitationétaitdéjàparédeguirlandeslumineuses.C’estàpartirdecejour-làquesavieavaitprisuntoursinistreetquesonpèreavaitsombrédansla
dépressionetl’alcoolisme.Lesdentsserrées,ilfitdesonmieuxpourrepoussercesouveniréprouvantetcalal’échellecontrele
murdelamaison.Emmacommençaàdémêleruneguirlandeetl’enroulaautourdesonbras.—Les crochets pour les fixer ainsi que les prolongateurs sont toujours en place, dit-elle en lui
tendantlaprise.Ilsavaientdécorélamoitiédelafaçade,lorsqueMaccommençaàsedétendreetàseprendreau
jeu.Nonseulementilavaittoujoursaiméfairedel’exercice,maisaccomplircettetâcheencompagnied’Emma, qui lui souriait avec chaleur chaque fois qu’il terminait une installation, lui procurait unplaisirindéniable.Elledémêlaunenouvelleguirlandeetluitenditlaprise.Lapriseenmain,ilremontasurl’échelle.Une ampoule éclata non loin de lui.Dans la seconde qui suivit, une autre explosa, projetant des
éclatsdeverre,etunimpactdeballeapparutsurlemur.L’instantd’après, ilyeutunnouveauclaquementet lemursemarqua toutprèsde l’endroitoùse
tenaitEmma.—Baissez-vous!Macsautadel’échelle,attrapaEmmaparlamainetlatiraàl’abriderrièrelui.Il la plaqua au sol, lui faisant un rempart de son corps, et regarda endirectiondes arbres, àune
cinquantainedemètresdelamaison.Parmilesbranches,ilrepéralasilhouetted’unhomme.Ildégainasonarme.—Avez-vousvotreportablesurvous?—Non.Lesienétaitrestédanslasellerie.Unnouveautirretentitetuneballesifflaau-dessusd’eux.Ilsétaientprisaupiège,dansl’impossibilitédebougersansrisquerd’êtretouchés.Toutétaitallétrèsvite.Emmaavaitencoredumalàcomprendrecequisepassait,alorsqu’ellese
trouvaitcouchéeparterre,lecorpsdeMaccontrelesien,telunbouclier.Quelqu’unleurtiraitdessus?Quelqu’unvoulaitlestuer?Lapeurs’emparad’elle.Ellefermales
yeuxets’accrochaàlasensationdusouffledeMacsursescheveuxpournepascéderàlapanique.Macétaitlà,illaprotégeait.— Je vais riposter pour créer une diversion, dit-il.Quand je le ferai, je veux que vous rampiez
jusqu’àlaportearrière,enprenantsoindenesurtoutpasleverlatête.Unefoisàl’intérieur,appelezle911.—D’accord.Ilseredressalégèrementpourlalaissersedégager.Elleglissasurlecôtépuiscommençaàramper
lorsqueMacsemitàtirer.Unefoisqu’elleeuttournéaucoindelamaison,ellesemitàquatrepattesetfilajusqu’àlaporte.Arrivéedanslecouloir,ellesereleva,courutverslesalonsurleseuilduquelellefaillitentreren
collisionavecsonpèredanssonfauteuil.—J’aiappelé…leshérif,luidit-il.Quiestdehors?—Jenesaispasquinousatirédessus,maisMacesttoujoursendanger.Inquiète,elleprêtal’oreillepourentendrecequisepassaitàl’extérieur.Lestirsavaientcesséetlesilencerégnait.Ellen’osaitpasimaginercequecelapouvaitsignifier.Soitletireuravaitététouché,soitMac…Elles’approchadelafenêtre,enprenantsoindenepassemontrer,etrisquaunregardàl’extérieur.La nuit commençait à tomber, mais elle aperçut Mac qui courait pour se réfugier à l’abri d’un
châtaignier.Dieumerci,iln’étaitpasblessé.Dumoinspaspourlemoment.Elles’écartaavecprécautiondela
fenêtreensedemandantcombiendetempsilfaudraitaushérifpourarriver.LacicatricequeMacportaitauvisageétaitcertainementdueàuneblessureparballe.Ilavaitdit
avoir travaillé au sein des services secrets. Sans doute s’était-il sacrifié pour la personne qu’ilprotégeaitetavait-il reçuuneballeàsaplace.Toutcomme ilavaitétéprêtàsesacrifierpourellequelquesinstantsplustôt.Elle déglutit et ferma les yeux, cherchant à imaginer ce qu’il avait dû endurer, mais c’était
impossible.Auloin,elleentenditunesirène.Ellerouvritlesyeux,jetaunnouveaucoupd’œildehors,etaperçut
l’éclatbleud’ungyropharedepolice.—Emma!l’appelasonpère.—Oui?Elles’approchadelui.Ilavaitlevisagegraveetserraitunpapierdanssamain.—DonneçaàWilkes…C’estaussipourça…quejedevaisl’appeler.Ellepritlepapieretlutletexteécritàl’aidedelettresdécoupéesdansunjournal.«Nefaitespascourirvotrecheval,sinon,laprochainefois,jenelerateraipas.»—D’oùcelavient-il,papa?—C’estarrivéaucourrier…cetaprès-midi.Samanthame l’aapporté…justeavantdepartir. Je
venaisdel’ouvrir…quandj’aientendulescoupsdefeu…C’estunemenace…contreNavigator.Ilfaisaitdegroseffortspourparler,leregardpleind’effroi.Elleluipassaunbrasautourdesépaules.—Net’inquiètepas.Macetmoi,nousveilleronsàcequ’ilneluiarriverien.Sesparolessemblèrentl’apaiserunpeu.Elleserenditdanslacuisine,ypritunsacdecongélation
etyglissalalettredemenaceavantderetournerdanslesalon.—Oùestl’enveloppequicontenaitcemot?—Surlebuffet.Iln’yapas…d’adressed’expéditeur.
Ellesedirigeaverslemeuble,repéral’enveloppeblancheàcôtédelapiledecourrieretlaglissadanslesacplastique.—Jevaisdonnerçaaushérif.Sonpèreacquiesça.Elletraversalecouloir,allumalalumièreduporcheetentrebâillalaportepour
s’assurerqu’ellepouvaitsortirsansrisques.LeshérifWilkesetMacsetenaientàquelquesmètresduporche,enpleineconversation.Macsetournaverselle.—Emma!Votrepèreetvous,çava?—Oui, ça va, répondit-elle avant de s’adresser àWilkes. J’ai ici un mot que nous avons reçu
aujourd’hui.C’estmonpèrequil’aouvert.Leshérifpritlesacetlelevaàlalumièrepourenexaminerlecontenu.—C’estleseconddelajournée.BradNelson,deCramerStables,enareçuuncematin.—Ilcompteengagerunchevalpourlederby?s’enquitMac.—Oui.Ilal’intentiond’alignerWhiskeyFever,sonmeilleurélément.—A-t-il luiaussiessuyédescoupsdefeu?continuaMac,quisavaitqu’ils’enétaitfalludepeu
qu’Emmaouluinesoienttouchés.—Non.Maisavecunpeudechance,vousavezeffrayéletireuretiln’oserapasallers’enprendre
àNelson.Avez-vousunsignalementàmedonner?—Non.Letireuradétalédèsquej’aipuriposterdemanièreplusprécise.MaisBradNelsonserait
néanmoinsbieninspirédeprendredesmesurespourprotégersoncheval.Celuiquiestàl’originedecesattaquesneplaisantepas.Tôtoutard,ilvayavoirunblesséoupireencore.—Jepartagevotrepointdevue,répliqualeshérif.Enplus,c’estl’escalade.Plusieurspropriétaires
de la région se sont groupés pour proposer une récompense à qui permettra la capture de celui quimenaceleurschevaux.—Vraiment?—Oui.Laprimes’élèvedéjààvingt-cinqmilledollars,etcen’estpasfini.Jevaisallerrédiger
monrapportetdonnercette lettreauxspécialistesde labalistiquequisonten trainderécupérer lesdouilles. Ils emmèneront le tout au labo. Je passerai demain matin pour vous tenir au courant desrésultats.—Merci,shérif.Ilfautquej’aillevoirnotrepur-sang.Macpartitendirectiondel’écuriepours’assurerqueNavigatorallaitbien.Lesévénementsdela
soiréeavaientpermisd’établirqu’iln’étaitpasleseulchevalvisé.Maisquellienpouvait-ilyavoirentrecesattaquesetlesagissementsdesdeuxintrusdelaveille?Ilentenditdespasderrièreluietralentit.Emmalerejoignit.—Hé!Oùallez-vous?Cenesontpascestirsquivontnousempêcherdeterminerl’installationdes
guirlandes,toutdemême!—Certainementpas!dit-ilens’arrêtantpourlaregarder.Jeveuxjustem’assurerqueNavigatorva
bienetpasseraunenuitcalme.Ensuite,jereviendraivousaider.—D’accord.
Mac reprit sa marche, Emma à côté de lui. Devant la porte de l’écurie secondaire, il distinguaplusieurshommesrassemblés,entraindediscuter.—Arrive-t-ilàDagoetàseshommesdefairetravaillerleurschevaux?—Oui.Unjoursurdeux,ilsoccupentlapisted’entraînementlematin,etmoil’après-midi.Ilpritnotedecetteinformation.Ilsentrèrentdansl’écuriequi,immédiatement,s’illumina.MacapprochadelastalleetNavigator,commeàsonhabitude,passalatêtepoursefairecaresser.—Ilvousaimebien,voussavez.Mactapotaaffectueusementlatêteduchevaletjetauncoupd’œilàEmma,quil’observait.—C’estuncheval,Emma.Ilapprécietousceuxquis’occupentdeluietluidonnentàmanger.C’est
unerelationsommetouteassezbasique.Navigatorsecoualatêteetrenifla,commepourcontestersespropos.Emmaéclataderire.—Navigatoradoreleschallenges.Mêmeceluiquiconsisteàvousprouverqu’iladessentimentset
quevousnedevezpasleconsidérercommepurementintéresséàvotreégard!Ilyeutunsilencedurantlequelelleleregardaattentivement.—Cesoir,reprit-elleenfin,j’aicompriscommentvousavezécopédevotrecicatrice.Macluiretournasonregardsansrépondre.Elleavaitreprissonsérieux,etilredoutaitladirection
queprenaitlaconversation.Emmas’approchadeluietcontemplalalonguebalafrequis’étendaitdesamâchoireàsonoreille
gauche.Ilnereculapas,n’esquissapasungeste,secontentantdesoutenirsonregard.—Vousavezsauvélavieàquelqu’unetfailliperdrelavôtredumêmecoup,n’est-cepas?—Oui.Elletenditlebrasetposalamainsursonmenton,lecœurbattant,puislaretiratrèsvite.—Quandest-cearrivé?—Ilyasixmois.—Voustravailliezencorepourlesservicessecrets?—Oui.—Pouvez-vousmeracontercequis’estpassé?—Non.—Ah!D’accord…Elleavaituntasdequestionsentête.Quiluiavaittirédessus?Pourquoi?Quiprotégeait-il?Mais
le tondéfinitifavec lequel ilavait répondudisaitclairementqu’ilétait inutiled’insister.C’étaitsonsecret;ellen’yavaitpasaccès.Elledevait se contenterde savoir qu’il ferait tout pour lesprotéger, son cheval et elle,mêmeau
périldesavie.
5
—MacTitus estunex-agent secret. Il aquitté le servicepour raisonsmédicales après avoir étégrièvement blessé par balle il y a six mois lors d’une mission à Louisville, où il protégeait undignitaireétranger.L’agentRennDonahuese laissa retomberau fonddeson fauteuil, songeantàcequevenaitde lui
apprendrel’agentConner.—Maisalors,quefait-ilàFirehillFarm?—Disonsqu’ilchercheàseremettredanslecircuit.IlaétérecommandéparSolberg,uneagence
desécuritéprivéedeLouisville.Leur spécialité, c’estde recruter temporairementdesmembresdesservicessecretsconvalescentssuiteàunaccidentprofessionnel.Ilsleurconfientquelquesmissions,letempsquecesagentsrécupèrentetpuissentréintégrerlesservicessecrets.Selontouteprobabilité,ilaétéenvoyéàFirehillpourprotégerunchevaldecompétition.—Dites-m’enplussursonétatmédical.—Enfait,ilaeuuntympanendommagéetestpresquesourddel’oreillegauche.Laballel’aatteint
justeendessousdel’oreille,luiatraversélamâchoireetestressortieauniveaudumenton.Ilasauvélavieàl’hommedontilavaitlachargeenleprotégeantdesoncorpsdèsquelafusilladeaéclaté.Ilaététouchéàboutportant.DonahuenotacesinformationssouslaphotodeMacqu’ilavaitobtenueparlebiaisdelabasede
données des services secrets. Sur ce cliché, les cheveux courts et rasé de près, il était très loin del’hommeàlabarbedetroisjoursetauxcheveuxlongsquefilmaitlacaméradesurveillanceinstalléedans l’écurie de Firehill. Apparemment, il était en pleine crise d’identité, ce qui arrivait assezfréquemmentlorsqu’onétaitpassésiprèsdelamort.—Ya-t-ilunechancequ’ilretrouvesonposteauseindesservicessecrets?—Jenesaispas,jenesuispasmédecin.Maisunagentdoitêtreenpossessiondecentpourcentde
sescapacitéssensorielles.Or,luinerecouvrerajamaistotalementsonaudition.—Lesstatistiquessemblentdoncjouercontrelui.Autrechose,agentConner?—Non, je n’ai pas eu accès à plus d’informations.Les détails de l’agression à l’origine de ses
problèmessontcryptés.Etrange.Donahueeutlacertitudequecen’étaitpasunhasard.—Cesoir,jeprendrailederniertourdegardedanslecamion.Profitez-enpourpasserunpeude
tempsavecvotreépouse.—Merci,monsieur,réponditConnerquiluiadressaunpetitsourireavantdequitterlebureau.Donahuereportasonattentionsurlesdocumentsdevantlui,àlarecherchedunomdel’hommeque
Macavaitprotégé.L’émirAhmedAbadar…Il tiqua.LaNSAenquêtaitdepuisdesmoissursoncompte,etc’était indirectementàcausede lui
qu’ilssurveillaientFirehillFarm.
La présence de Mac Titus au ranch était-elle une coïncidence ? un simple concours decirconstances?Ouautrechose?
***
Macs’appuyaà labarrièreetobserva lesabordsde lapisted’entraînement,prêtantuneattentionparticulièreauxbois justederrière levirage,avantdeposer leregardsurEmma,quifaisaitgaloperNavigator.Cela ne lui plaisait pas de la voir lemonter elle-même. Plus tôt ils trouveraient un jockey pour
remplacerJosh,mieuxceserait.Enattendant,Emmaétaitdéterminéeàentraînersonchevalmalgréledanger.Ilinspiraunegrandegouléed’airfroidpoursedétendre.Iltenaitvraimentauchevalquigalopaitsur
lapiste…etplusencoreàsacavalière.Navigatorévoluaitavecaisance,sessabotsmartelantlesolavecrégularité.Macseconcentrasurl’assietted’Emmaetneputretenirunpetitsifflementd’admiration.C’étaitune
sacréecavalière!En voyantVictorDago venir vers lui, il lui adressa un petit signe de tête en guise de salut puis
reportasonattentionsurEmma.—Ilestrapide!remarquaDago.Jesuissûrqu’ilvagagnerlaclassique.—Ouais.Sitoutefois,d’icilà,nousréussissonsàlemaintenirenétatdes’aligneraudépart.MacavaitobservéDagoafindejaugersaréaction;iln’avaitpascillé.—Ques’est-ilpassé,hiersoir?Meschevauxétaienttrèsagités.—Onnousatirédessus.SurMlleClarebornetmoi.Cettefois,Dagomanifestasasurprise.—J’aientendudesrumeursquifontétatdechevauxquiseraienttombésmaladesetd’éleveursqui
auraientreçudeslettresdemenace.—D’oùtenez-vouscela?—Une fois par semaine, je passe acheter le petit déjeuner demon personnel au coffee shop de
KeenelandPark.Lesemployésdesranchesquis’yretrouventdiscutententreeux.Etmoi,j’écoute.—Ont-ilscitédesnoms?—Non.MacregardaEmmaetNavigatorpasseràsahauteurpuissetournapourfairefaceàVictorDago.— Si jamais vous entendez un nom, j’aimerais bien que vous m’en fassiez part. Il se passe
d’étrangesévénementsdans les ranchesquientraînentdeschevauxsusceptiblesde s’alignerpour lederby.Detouteévidence,quelqu’unchercheàfairelevideparmisesconcurrentsafind’augmenterseschancesdevictoire.Vous-même,avez-vousdesambitionspourlederby?Dagofronçauninstantlessourcils.
—J’aiunchevalcompétitif,Dragon’sSoul,maisjenesuispasencorecertainqu’ilseraprêtcetteannée.—Faitesattentionàvotrecheval.Etparlezàvoshommesdecequisepasse.LeshérifWilkesmène
l’enquête;undecesjours,ilpourraitavoirbesoindelesinterroger.—Pasdeproblème,réponditDagoenseredressant.DitesàMlleClarebornque,siellesouhaite
avoirrecoursauxservicesdeRodriguez,monjockeyd’entraînement,lorsdesesjoursderepos,ellen’aqu’àmeledemander.—Merci,jen’ymanqueraipas.Mac le regarda s’éloigner, sans trop savoir que penser de lui. S’il était derrière ces attaques, il
n’avaitlaisséparaîtreaucuntroubleàl’évocationd’uneenquête.Pendantqu’EmmafaisaitralentirNavigatorpourundernier tourdepisteaupetit trot, ilsortitson
portableetcomposalenumérodesoncontactaubureauduFBIàLexington.Tous les entraîneurs duKentucky devaient disposer d’une licence délivrée par la commission de
supervisiondescourseshippiques.Pour l’obtenir, il fallaitsesoumettreàuneenquêtederoutineduFBI,etilétaitcurieuxdesavoircequecontenaitledossierdeVictorDago.IlrangeaitsontéléphonelorsqueEmmaarrivaenvueduderniervirage.Malgré la séance poussée qu’il venait de subir,Navigator transpirait à peine et était encore très
alerte.Ilétaitdansuneconditionphysiqueexceptionnelle.Prêtàcourir,prêtàgagner.La Holiday Classic devait avoir lieu dans deux semaines et demie, ce qui, compte tenu des
circonstances,semblaittrèsloin.Emmaramenaitsonchevalverslaligned’arrivéelorsqu’ellevituneformebougerdanslesbuissons
àsadroite.Navigatorperçutégalementdumouvementetfitunécart.Soudain,plusieurscolombess’envolèrentdesbuissonsetpassèrentjusteau-dessusdesatête.Navigatorencensaetpartitaugalop.Elleserralesjambesautourdesamontureettintfermementlesrênes.—Doucement,doucement…Cenesontquedesoiseaux.Quandilralentitlerythme,elletenditlebrasetluitapotaaffectueusementl’encolurepourl’apaiser
puisleramenaverslabarrièred’accèsàlapiste.Maclesrejoignit,inquiet.—Ques’est-ilpassé?—Descolombessesontenvoléesetluiontfaitpeur.—Vousavezjolimentrétablilasituation,maisilauraitpuvousfairetomber.Vousauriezpuvous
blesser!—Jesais.Macpritlesguidesetlesemmenajusqu’àl’enclos,oùEmmamitpiedàterre.—Ilal’airenpleineforme,remarqua-t-il.—Ilestprêtàcourir.J’auraisfacilementpuluifairefairequelquestoursdeplusàpleingalop.—C’étaitdéjàbien.C’estenpréservantlaconditionphysiqued’unchevalqu’onlefaitgagnerle
jourvenu.
Toutendiscutant,MacpassalelicouauchevaletlefixaaupiquetcentralpourqueNavigatorpuissetournertranquillementpoursedétendreaprèscetteséance.Emmas’occupadedessellerlepur-sanget,satisfaitedutravailaccompli,sedirigeaversl’écurie
avecl’équipement.Quelquesinstantsplustard,Maclarejoignitdanslasellerieetsemitàastiquerlaselleetlesrênes
avecunchiffonimprégnédecire.—Oùavez-vousapprisàmonter?luidemanda-t-il.—Jemontedepuisma toutepetite enfance.Dèsque j’ai eu l’âge,monpèrem’a installée surun
cheval.— Victor Dago vous propose d’utiliser les services de son jockey d’entraînement, si vous le
souhaitez.Emmaluijetauncoupd’œilensongeantqu’ellesesentaitbienquandelleétaitaveclui,àtravailler
etàdiscuter.—Jen’ytienspas.Rodriguezsesertbeaucoupdesacravachepourmenersamonture,etNavigator
n’aime pas ça du tout. J’ai appelé SamMcCall, l’entraîneur du ranch de Rambling Farm, pour luidemanders’ilsauraientunhommedisponible,étantdonnéqu’encemomentOpheliaMine,leurchevalfavori,estaureposforcé.Ilm’aréponduqu’ilenverraitGradyStevens,undeleursjockeys,jeudi.J’aientendubeaucoupdebiende lui. Jesonged’ailleursà luidemanderdemonterNavigator lorsde laHolidayClassic.Macfinitdenettoyerlaselleetlareposasursonsupport.—Voilàunebonnenouvelle,car,aprèscequis’estpassécesderniers jours, jecrainspourvotre
sécurité.Ellerencontrasonregardd’unbleuprofondetsesentitrougir.Poursedonnerunecontenance,elle
ramassaleseauànourriture.— J’ai confiance en Navigator, dit-elle en remplissant le seau. C’est un bon cheval, avec un
caractèreexceptionnel.Iln’apasuneoncedeméchanceté.Jamaisilnemeferaitdemal.— Ce n’est pas lui qui m’inquiète, mais plutôt ceux qui semblent déterminés à l’empêcher de
prendreledépartdesprochainescourses.Faires’envolerdesoiseauxpourl’effrayer,c’estfacile.Sivousn’aviezpasréagiavecautantd’autorité,celaauraitpumalfinir.Ilvoyaitjuste,Emmaenavaitconscience.Boncaractèreoupas,Navigatorrestaitunanimalpuissant
qui,sanslevouloir,pouvaitfairebeaucoupdemalàsoncavaliers’ilétaitprisdepanique.—Vousavez raison. J’ai tendanceà lui attribuerdesqualitéshumaines, alorsquecen’estqu’un
cheval.EllepritleseauquicontenaitlarationmatinaledeNavigator.—Attendez!dittoutàcoupMac.Laissez-moiexaminerça…Iltenditlebraspourluiprendreleseaudesmains.Ellelelaissafaire,sanscomprendre.Macpassalesdoigtsdanslesalimentsetserralesdentsdecolère.Ilpritunepoignéedumélangeet
levalamain,paumeouverte,devantlesyeuxd’Emma.— Vous voyez ces petits cristaux transparents ? lui demanda-t-il en en plaçant quelques-uns en
évidenceauboutdesonindex.
—Oui.—C’estdelabutazolidine.Leregardd’Emma,fixésursamain,s’agranditd’effroi.—Delabutazolidine?—Oui.Depuisquandnourrissez-vousvotrechevalaveccemélange?—Onmel’alivrélaveilledevotrearrivée.Celafaitdoncprèsd’unesemainequejeluiendonne.
Savez-vouscequeçasignifie?Macsentitsoncœurseserrer.Impuissant,ilvitlesyeuxd’Emmaseremplirdelarmes.Sonrêvede
qualifierNavigatorpourlederbys’évanouissait,etilnepouvaitrienyfaire.Illaissatombercequ’ilavaitdanslamainetouvritlesbras.Elleavançad’unpasetsepelotonnacontrelui.Illaserraforttandisqu’elleéclataitensanglots.Mac ferma lesyeuxet retourna leproblèmedans sa tête, luttantpar lamêmeoccasioncontre les
sensations que lui procurait le contact d’Emma. La butazolidine était un produit considéré commedopantetdoncinterditdanslemilieudescourseshippiques.Toutchevaldontuncontrôlerévélaitlaprésencedecettesubstancedanssonorganismeunjourdecourseétaitautomatiquementdisqualifié,etpouvaitmêmeêtreinterditdecompétitionsurleterritoire.Lorsquesessanglotss’apaisèrent,illarepoussadoucement.—Appelez le vétérinaire pourqu’il vienneprocéder à des analyses.Nousne savonspasdepuis
quandcettesaletéaétémélangéeauxaliments.Ilresteunechancequenousl’ayonsdécouvertàtempsetque,d’icilejourdelaclassique,Navigatorpuisseéliminercedopantdesonorganisme.Emma se frotta les yeux et sécha ses larmes. Mac avait raison : elle ne devait pas céder au
découragement.—D’accord. J’y vais tout de suite. Nous devrions aussi prévenir le shérifWilkes, car d’autres
ranchespourraientêtrevisésparcettenouvelletentative.—Jel’appelle,ditMacensortantsonportabledesapoche.Emmatournalestalonsetcourutverslamaison.
***
MacetEmmaregardaientleDrRemingtonextrairedepetitscristauxduseauetlesmélangeràunliquideclairdansuntubeàessais.Illebouchadupouce,l’agitapuislelevaàlalumière.Auboutdequelquessecondes,leliquidedevintjaune.—Pasdedoute,c’estbiendelabutazolidine.Voulez-vousquejeprocèdeàuntestsurvotrecheval,
Emma?—Est-ilpossiblededéterminerlaquantitédeproduitingéréegrâceàunéchantillonsanguin?—Oui,toutcommeilserapossiblededéterminercombiendetempsilluifaudrapourl’éliminer.—Silerésultatdesanalysesestpositif,pourrions-nousaccélérerleprocessusd’éliminationenlui
donnant des purées diurétiques, du thé vert et de l’herbe sauvage ? demandaMac, qui espérait seremémorertouslesingrédientsdelamixturequ’ilavaitautrefoisvuconcocter.—Que comptez-vousmettre dans les purées ? s’enquit leDrRemington qui observaitMac par-
dessusseslunettes.—De l’avoine, du chou, des carottes, de la laitue, des asperges et un peu demélasse. Et nous
pourrionsajouterduthévertàsesrationsd’eau.—Ehbien,encoreunefois,iln’yaaucuneraisonqueçanemarchepas.Cemélangeluiactiverales
reinset,eneffet,ilélimineraplusvite.Enoutre,faites-luifairebeaucoupd’exercice.Maisd’oùdiabletenez-vouscetterecette?Mac se crispa. La discussion basculait vers un terrain mouvant où il n’avait guère envie de
s’aventurer.—Oh!jemerappelleenavoirentenduparlerquandj’étaisgamin!LeDrRemingtonhochalatêteetramassasamallette.—Amenezlechevaljusqu’àmonvéhicule,jevaisluifaireuneprisedesang.Ilsedirigeaverssacamionnette,etMacluiemboîtalepas.—Enfait,reprit levétérinaire, jen’aijamaisconnuqu’unseulhommequimettaitenpratiqueles
techniquesquevousavezmentionnées.C’étaitPaulCalliway,unentraîneurdechevaux, si jenemetrompepas.C’étaitundesmeilleursprofessionnelsde la région.Jenesaispascequ’ilestdevenu,mais toujours est-il qu’il avait recours à des remèdes de bonne femme. Et le mieux, c’est que çamarchait.Deplusenplusmalàl’aise,Macsecontentad’opinerduchef,etvérifiasiEmmaavaitpuentendre
lesproposduvétérinaire.Heureusement,elleétaittroploinpourcela.Celafaisaitdesannéesqu’iln’avaitplusentenduprononcerlenomdesonpère.Unnomqu’ilavait
abandonnésansregretpourprendreceluidesonbeau-pèrelorsquesamères’étaitremariée.—Nousvoustiendronsaucourantdel’évolutiondesonétat.Emmaespèrelevoirprendreledépart
delaHolidayClassic.Quelleschancesa-t-ild’êtreprêtàtemps?—Difficileàdire…Maisjepenseque,d’icilà,ilpeutêtrepropre.Pendant qu’ils attendaient Emma, la voiture du shérifWilkes vint se garer à côté du pick-up du
vétérinaire.—Bonjour,messieurs,lessaluaWilkes.J’aivraimenthâtequenouscoincionsceuxquisèmentla
paniquedanslesecteur.Vossoupçonsont-ilétéconfirmés?Macserralamaindushérif.— Oui. Quelqu’un a bien mis de la butazolidine dans la nourriture de Navigator. Nous allons
essayerdelaluifaireélimineravantlejourdelaclassique.— Je souhaite sincèrement que vous réussissiez, ne serait-ce que pourEmma.Demon côté, j’ai
envoyémes hommes faire le tour de tous les ranches pour avertir les propriétaires qu’ils ont toutintérêtàexaminerleursréservesdefourrage.—Avez-vousavancésurlafusilladed’hiersoir?—Lesdouillesretrouvéesnousontapprisqueletireurautiliséducalibre.22,detypetoutàfait
standard, sans caractéristiques particulières.Quant à la lettre demenace, en dehors des empreintes
d’Emma,desonpèreetdesoninfirmière,quiaapportélecourrier,nousn’avonsriendécelé.MêmeconstatpourlalettrereçueparBradNelson.Emmasortitdel’écurieavecNavigatoretlemenaàl’arrièredupick-upduvétérinaire.—Aunmomentouàunautre,quelqu’uncommettrauneerreur,etnouslecoincerons,ditMac.— Je le souhaite de tout cœur.AFayetteCounty, les chevaux sont sacrés, dans tous les sens du
terme,réponditleshérifavantderejoindresavoiture.Macétaitbiend’accord,maissonvéritablesouci,c’étaitNavigatoretsapropriétaire.Ilcontourna
lepick-uppourapprocherd’Emma,alorsqueleDrRemingtonrangeaitsaseringue.—Jefileexaminerl’échantillonetjevousrappelledansuneheureoudeuxpourvouscommuniquer
lesrésultats,Emma.—Merci,docteur.Elle se tourna vers Mac et lui adressa un sourire plein d’espoir. Puis elle reprit les guides de
Navigatorpourleramenerdansl’enclosdedétente.Après le départ du vétérinaire, Mac retourna vers l’écurie, l’esprit en ébullition. Ainsi, le
DrRemingtonavaitconnusonpèreet,mêmeaprèstoutescesannées,sesouvenaitencoredelui.Ilétaittroublé par le fait que le vétérinaire ait gardé une image aussi positive de son père, alors que lui,c’étaittoutlecontraire.Acemoment-là,sontéléphonesonna.Illesortitetconsultal’écran;c’étaitleFBI.—Salut,Doug.Tuasfaitvite,disdonc.Alors,tuasdesinfospourmoi?—Enfait,jen’airetrouvéaucunetracedetonhommedansnotrebasededonnées.Cequisignifie
que,s’ilaunelicenced’entraîneur,cepourraitêtreunfaux.Macs’arrêtanet.—Querisque-t-onenutilisantunefausselicence?—Uneamende,de laprison ferme, et éventuellementune interdictionàviede travaillerdans le
mondehippique.—D’accord,merci.—Derien.Abientôt,réponditDougavantderaccrocher.Unnouveauproblèmevenaitd’apparaître.Unproblèmequi risquaitdecauserdu tort àEmma,et
qu’iln’étaitpassûrdepouvoirrégler.
6
Macrangeasontéléphoneetfitlepointsurcequ’ilvenaitd’apprendre.VictorDagoavait-ilbeletbienutiliséunefausselicencepourlouerl’écuried’Emma?Etait-cepour
celaqueseshommessemblaientlesuivrepartout?Etaient-ilslàavanttoutpours’assurerquelesecretdeleurpatronneseraitpasdécouvert?Avraidire,ilavaitdumalàseconvaincrequel’onpouvaitalleraussiloindansl’illégalitépour
unecoursehippique.Cependant,ilexistaitdeshommesprêtsàtout,ilpouvaitenattester.AlorsVictorDagoétait-ilderrièrelesattaquescontreNavigatoretlesautreschevauxenlicepourlederby?—Mac?L’appeld’Emmaletiradesespensées.Illavitluifairesignedepuisl’enclos.Inquiet,ilsedirigeaverselle,sonregardallantd’Emmaaucheval.—Qu’est-cequinevapas?— Rien, rien, détendez-vous. Je vous ai simplement vu vous immobiliser devant l’écurie et je
voulaisvoussortirdevospréoccupations.Jecroisquenousallonsréussir,jesensqueNavigatorseraprêtàtemps.—Commentvontsesjambes?demanda-t-ilenobservantladémarchedupur-sang.—Ellessontfraîchesautoucher.— Tant mieux. Il va falloir le surveiller de près jusqu’à ce qu’il se soit débarrassé de la
butazolidine.Aucoursdecettepériode,ilvaêtreplusfragile.Touteblessureoudouleurpeutprendredesproportionsplusimportantesqu’entempsnormal.—Quoiqu’ilensoit,jevoussuistrèsreconnaissanted’avoirrepérécettecochonnerie.Sansvous,
je l’aurais inscrità laHolidayClassicet ilauraitétépiégéaucontrôleantidopage.Quiplusest,ceseraitarrivéaprèslacourse.S’ill’avaitremportée,ilauraitfallurembourserlesdroitsd’inscriptionet laprimedevictoire.Par-dessus lemarché,monchevalauraitétébannide toutecompétitionet laréputationduranchternieàjamais.Commeelle l’observait aveccuriosité, il envisageaun instantde luiparlerducoupde téléphone
qu’il venait de recevoir. Or, il n’avait pour le moment aucune certitude. Il devait d’abord menerl’enquêteavantdeseprononcer,carcequerapportaitlalocationdel’écuriesecondaireétaitvitalàlasantéfinancièreduranch.SiparmalheurDagovenaitàapprendrequesonsecretrisquaitdevolerenéclats, ilpourraitdéciderdeplierbagagesans tarder,etEmmaseretrouverait faceàdesdifficultéssupplémentaires.—Vousêtesdenouveauperdudansvospensées…Macrevintàlaréalité,laregarda,etdutseretenirpournepaslaprendredanssesbras.Elledevait
lutter au jour le jour pourmaintenir son ranch à flot, un ranch en butte à des attaques incessantes.Pourtant,elleétaittoujourssouriante.—Quediriez-vousdesellerdeuxchevauxetd’emmenerNavigatorbrouterprèsduruisseaupendant
unepetiteheure?
—C’estunetrèsbonneidée!s’exclamaEmma.Enoutre,j’avaisl’intentiond’allercouperunsapindeNoëlpourlamaison,mais,avectoutcequis’estpassé,jen’enaipaseuletemps.Mac serra les dents mais ne protesta pas. Si elle voulait couper un sapin pour le décorer, il
l’aiderait.Auminimum, il resterait àproximitépour s’assurerqu’unnouvel incidentne surviendraitpas.—JevaissellerOliver,dit-il.—Ramenezégalementlehongre,jevaislemonter.Ils’appelleDandy.Mac tourna les talons et aperçut alors de l’agitation devant l’écurie de Dago. Cinq hommes se
débattaientavecunchevalnoirauquelilsessayaientdepasserlabride.—Bonsang!marmonna-t-ilenregardantundeshommesessayerdeneutraliserl’animalavecune
corde.Lechevalsecabraetbattitl’airdesessabotsavantderetomberlourdementausol.EmmaregardaMacsedirigerverslegroupeetseretintdeluidiredefaireattention.Ils’avançait
d’unpasrésolu,commes’ilétaitenmission.Ellelesuivitetretintsonsoufflelorsqu’ils’approchaducheval.Unparun,leshommesdeDagoreculèrent.LechevalfitfaceàMac,lesoreillesenavant,lesflancsluisantsdesueur.InquiètepourMac,Emmas’immobilisa. Iln’étaitpasde tailleàaffronter l’étalon.Dragon’sSoul
étaitconnupoursoncaractèreimpétueuxet,lorsqu’ilétaitencolère,ilfrappaitavecsessabotsavant.DepuisqueDagoetseshommesl’avaientamenéauranch,elle lesavaitvusmaintesfoisauxprisesavecl’animal.SiparmalheurilarrivaitquelquechoseàMac…—Doucement.Toutdoux.Mactendit lebrasendirectiondel’animalapeuré,seremémorant lesmouvementsquefaisaitson
pèrepourgagnerlaconfianced’uncheval.Il joignit les mains et plia les coudes pour les ramener vers lui. C’était ce que son père avait
coutumed’appelerlelangagedeschevaux.«Situveuxétablirlecontactavecuncheval,tudoist’adresseràluiavectonlangagecorporel.»Lentement,Dragon’sSoulfitunpasenavant,puisunautre.Enfin,ilfutjustedevantMac.Mac tendit lamain et caressa le chanfrein du cheval, jusqu’à ce que ce dernier soit de nouveau
calme.—Secomporte-t-ilainsichaquefoisquevousvoulezluimettrelemors?demanda-t-ilàDago.—Oui,chaquefois.Ilglissal’indexdesamainlibrelelongdelamâchoiresupérieurepuisinférieureduchevaletsentit
au passage qu’il avait plusieurs dents coupantes comme des lames de rasoir. La morphologie del’étalon,quiavaitvisiblementperdudupoids, finitde lui fairecomprendrequ’ilétaitsous-alimentéparcequ’iln’arrivaitpasàmâchercorrectementsanourriture.—Faitesvenir levétérinaireetdemandez-luid’examiner lesdentsdevotrecheval,Victor.Elles
sonttellementaiguiséesquelemorslefaitsouffrir.Mâcherdoitluiêtretoutaussipénible.D’ailleurs,
ilcommenceàmaigrir.—Rahul,vaappelerlacliniquevétérinairedeLexingtonetdemande-leurd’envoyerquelqu’undès
quepossible.Lepalefrenierlâchalacordequ’iltenaitets’éloigna.—Merci,ditDagoàMacavantderamenerDragon’sSoulversl’écurie.MacregardaleshommesunparunetmémorisaleurstraitspuisvitEmma,quiavaitsuivilascèneà
distance.Ilsrepartirentensemble.—Ça, c’est ce que j’appellerais la patte Titus.Où avez-vous appris àmurmurer à l’oreille des
chevaux?—Est-ceainsiquel’ondit?demandaMac— Oui, c’est devenu la formule consacrée. Entraîner les chevaux en utilisant leur langage, en
cherchantàcomprendreleurpsychologie,c’esttrèspopulairedanslemilieu.Danslasellerie,ilpritdeuxharnais.—Nousenreparleronsplustard,sivouslevoulezbien.—Biensûr,réponditEmmaenprenantlelicouqu’illuitendait.Elleleregardaitavecuneintensitéquilemettaitunpeumalàl’aise.Ilavaitl’impressionqu’elle
lisaitsespenséeset,pourlemoment,iln’étaitpasprêtàparlerdelui.—Netrouvez-vouspasétrangequeDagon’aitpascomprisquelétaitleproblèmeavecsoncheval?
Toutepersonnequipasseunpeudetempsavecdeschevauxsaitqu’ilfautfairesurveillerleurdenturerégulièrement,déclara-t-il,avanttoutpourchangerdesujetdeconversation.—Avraidire,beaucoupd’aspectsdesoncomportementnecadrentpasavecceluid’unentraîneur
professionnel.Maisaprèstout,chacunasaméthode.Ilsressortirentdel’écurieetsedirigèrentversl’enclos.Etantdonnécequ’ilavaitapprissurVictorDago,mieuxvalaitéviterdefairetropsouventallusionà
cethommes’ilnevoulaitpaséveiller lessoupçonsd’Emma.Tantqu’iln’auraitpaslacertitudequeDagorisquaitdemettreenpérilFirehillFarm,ildevaitêtrediscret.Il devait aussi rester en permanence en alerte et trouver le moyen d’obtenir des réponses à ses
interrogations,etcerapidement.
***
Emma chevaucha jusqu’à l’orée d’un bosquet et fit s’arrêterDandydans de hautes herbes que labrisefaisaitonduler.ElledescenditdechevaletpritlesguidesdeNavigatordesmainsdeMac,quil’avaittiréderrière
lui.—Lesentravessontdansmasacochedeselle,dit-elle.Macmitpiedàterreetsortitlesentravesqu’Emmaavaitconfectionnéeselle-même.Ilsuffisaitde
lespasserauxbouletsavantdeschevauxpourleurpermettredebroutertranquillementtoutenévitantqu’ilss’éloignent.—C’estdujolitravail,cesentravessontparfaites,remarqua-t-ilenlevantlatêteverselle.Elleluisourit,touchéeparleregardpleind’admirationqu’illuiadressait.Lesrefletsdusoleildel’après-midiéclairaientlamoitiédesonvisage,l’autreétantdansl’ombre.
Celarésumaitbienlafaçondontilsecomportaitavecelle,songea-t-elle.Soucieusedenepass’attardersurcequ’elleéprouvait,Emmaobservalebosquetdeconifèresque
sonpèreavaitfaitplantervingt-cinqansplustôt.Sespensées revinrent cependant surMacTitus. Il l’intriguait et lui faisait unpeupeur, et elle se
demandaitsi,unjour,elleréussiraitàl’inciteràs’ouvrirtotalementàelle.—Nousallonsavoirbesoindececi,déclara-t-ilensortantunepetitesciedesasacochedeselle.
Avez-vousdéjàrepéréunarbrequivousplairait?—Patience.J’aimeprendremontemps,etlesplusbeauxsontaumilieudubosquet.Illuisouritettousdeuxterminèrentd’entraverleschevauxetleurôtèrentlesbrides,afinqu’ilsne
soientpasgênéspourbrouter.—Cetendroitestvraimentsuperbe,Emma.Elle désigna du doigt un petit sentier et tous deux le suivirent, s’enfonçant parmi les pins et les
sapins.—C’estvraiquej’aimebeaucoupcecoinduranch.Jevenaissouventmepromenericiàcheval.—Vousnelefaitesplus?—Moinsfréquemmentdepuisquemonpèreaeusonattaque.Jen’aiplusautantdetempslibre…
C’estunechancequ’ilyaituneinfirmièrequivienttouslesjourss’occuperdelui,masjesuistoujoursinquièteetjen’aimepasrestertroplongtempsloindelamaison.Macsepenchapourpassersousunebranchetombanteet la tintenl’airpourdégagerlecheminà
Emma.—Voyez-vousunsapinquivousplairait?—Encoreunpeudepatience,Mac.Noussommespresquearrivés.Excitée,ellehâta inconsciemment lepas.Jamaisellen’étaitvenue iciencompagnied’unhomme.
C’étaitsonjardinsecret,maiselleavaitenviedepartagerlamagiedeslieuxaveclui.Macétaittenduetregardaitsanscesseàdroiteetàgauche.Iln’aimaitpassesentiraussiexposé.Ceneseraitpasdifficilepouruntireurdelesprendrepour
cible,etilauraitbiendumalàleurtrouverunabri.Le terrain s’élevait régulièrement, et il se détendit un peu en s’apercevant qu’ils allaient bientôt
déboucherdansuneclairière.Lorsqu’ilsyarrivèrent,ilregardad’instinctautourd’eux,àl’affûtd’undangerpotentiel.—Alors,qu’endites-vous? luidemandaEmmaenallantseposteraumilieudel’espacedégagé.
N’est-cepassuperbe?Macfituntourcompletsurlui-mêmepuislarejoignit.—C’estvotrepèreetvousquiavezplantétouscesarbres?
—Oui.Nousavonscommencéaucoursduprintempsdemescinqans,soitunanaprèslamortdemamère.Ensuite,chaqueprintempsjusqu’àl’accidentdemonpère,nousenavonsplantéunenouvellerangée.Mac fitunnouveau tour sur lui-même, ébahi, et contemplaces arbresmajestueuxdont la cime se
balançaitdoucementdansleventetquifaisaientressemblerlapetiteclairièreàunearène.—C’estàcouperlesouffle,Em’.—Commentm’avez-vousappelée?Ilsetournaverselleetpritconscienceque,danssonémerveillement,illuiavaitdonnéundiminutif
affectueux.—Em’,jevousaiappeléeEm’.Excusez-moi.—Non,non,nevousexcusezpas,dit-elleens’approchantdelui.Seulmonpèrem’appelleainsi,
mais,dansvotrebouche,çameplaîtbeaucoup.Emu,Macposaleregardsurseslèvres,puisplongeadanssesbeauxyeuxnoisette.Letempsparut
sesuspendre.Lentement,ilavançalamainet,desesdoigts,relevalatêtedelajeunefemmeavantdevenirrencontrerseslèvres.Il faisait frais,mais saboucheétait chaudeetdouce. Il ferma lesyeux, intensifia sonbaiseret la
serracontrelui,brûlantdedésir.UndésirquiexplosalorsqueEmmaluipassalesbrasautourducouetsepressadavantagecontre
lui.Macinterrompitleurbaiseretrouladansl’herbeavecelle.Emmaledévisagea,lesoufflecourt.—Jesavaisquecetendroitétaitspécial,maisça,c’était…Ill’interrompitd’unnouveaubaiser.Elleréponditàsonardeur,selaissantguiderparsesémotions,malgrésoninexpérience.Ilmitfinàleurbaiser,ets’écartalégèrement.—Jen’auraispasdûvousembrassersansvousdemandersivousenaviezenvie.Emmaseredressasuruncoudeettenditlamainpourluicaresserlevisage.—Jenemeplainspas.Jeconnaismeslimites,etsivouslesaviezfranchies,jevousl’auraisfait
savoir.Elledéglutit,émueparl’intensitédessentimentsqu’ellesentaitsenouerentreeux.Elle avait envie de l’embrasser de nouveau, encore et encore, d’explorer toutes les sensations
qu’elleéprouvait,etquejamaisencoreellen’avaitexploréesavecunhomme.Soudain,auloin,levrombissementd’unmoteurattirasonattention.—Vousentendez?EllevitMactournerlatêteàdroitecommesi,ainsi,ilpouvaitmieuxentendre.—Non.Qu’est-cequec’est?—Ondiraitunmoteur.Lesonsemblevenirdel’est.Macselevaetl’aidaàfairedemême.
Subrepticement,Emmafitclaquersesdoigtstoutprèsdesonoreillegauche.Iln’eutaucuneréaction.—Pourquoinem’avez-vous riendit,Mac?Pourquoinem’avez-vouspasditquevotreblessure
avaitendommagévotreaudition?—Çareviendra,assura-t-ilavecconvictionenlaregardantintensément.Emmacomprenaitmieuxmaintenantpourquoiilnefaisaitpluspartiedesservicessecrets.Lebruitdemoteurserapprochaetcouvraitmaintenantceluiduventdanslesarbres.—Venez,dit-elleenprenantMacparlamain.Aprésent,ilentendaitluiaussinettementcebruit.—Quelqu’unest-ilcensésetrouverdanscettezoneduranch?—Non.Ils traversèrent les rangées de sapins. A chaque pas, Mac redoublait de prudence. Soudain, il
s’arrêta et prit Emma par les épaules pour l’attirer contre lui. Devant eux, au-delà de la ligne desarbres,unpick-uppassasurlechemindeterrequilongeaitunpetitruisseau.—Oùmènecechemin?—Ilsetermineencul-de-sacàlabarrièrequidonnesurlespâturages.Monpèrelesafaitclôturer
de barbelés il y a des années parce que, le long du ruisseau, le sol est très calcaire et de petitescavernesnaturelles se sont creusées. Il voulait éviter qu’un cheval seblesse endérapant sur ce solfriable.Ilafaitfermeràladynamitel’entréedelaplusgrandedescavernes.—Reconnaissez-vouscevéhicule?—Oui.IlestàVictorDago.MacpritEmmaparlamainetlatiradavantageàl’abridesarbres.—QuelleraisonDagopourrait-ilavoirdevenirparici?—Aucune.Soncontratdelocationnestipuleaucunaccèsauxterresduranch.Iln’adroitqu’àsix
stalles,àunaccèsàl’enclosetàlapisted’entraînement.Ilsmontèrent surunpetitmonticulequioffraitunpointdevuedégagé sur l’endroitoù lepick-up
s’étaitarrêté,prèsdelabarrièredespâturages.MacetEmmasemirentàplatventreetvirentunhommedescendredupick-up,regarderautourde
luipuisallerjusqu’àlabarrière.—C’estundespalefreniersdeVictor,ditEmma.—Oui,ledénomméRahul.C’estluiqueVictoraenvoyéappelerlevétérinaire,cematin.—EtendehorsdeVictor,c’estleseulquiparleanglais.Macfutinquietdevoirl’hommes’arrêter,seretournerbrusquementetregarderdansleurdirection,
commes’ilsesentaitobservé.—Nebougezsurtoutpas,Emma,l’avertit-il.Rahul remonta en voiture, redémarra et fit demi-tour. Mais au lieu de repartir, il s’arrêta
brusquementdansunnuagedepoussièreauboutdequelquesmètres.—Quefait-il?chuchotaEmma.—Ilsepourraitqu’ilnousaitrepérés.
Macobservalesarbresautourd’eux,envisageantlesdiversscénariospossibles.SiRahulpénétraitàpieddanslebosquet,iln’auraitpasdemalàleprendreparsurpriseetàleneutraliser.Enrevanche,s’iltrouvaitunmoyend’yentreraveclepick-up,ilsétaientendanger.Levéhiculeredémarraetmontalechemindansleurdirection.Macleregardaavecappréhensionserapprocherpuisralentir.Ilfouillaàtâtonssoussavesteetsortitsonarme.Ilcherchaunbonangledevuesurlepick-up,qui
passadevanteuxetcontinuasoncheminsanss’arrêter.Emmapoussaunsoupirdesoulagementetroulasurledos.—Ques’est-ilpassé?Macjetaunregardenarrière,tandisquelebruitdumoteurs’éloignait.Ilrengainasonarme.—Jenesaispas.—C’estàsedemandersiRahuln’apprendpasàconduire.Avez-vousentenduavecquelledifficulté
ilpasselesvitesses?—Oui,c’estpossible.Macréfléchitàcettehypothèse.Rahuls’entraînait-ilseulementàlaconduite?Avued’œil,ilavait
àpeineplusd’unevingtained’années.Aprèstout,puisqueVictorutilisaitpeut-êtreunefausselicenced’entraîneur,ilétaitpossiblequesonpalefrenieraitunfauxpermisdeconduire.—Allez,venez,nousferionsmieuxdenepastraînerpourchoisirunsapindeNoëlet leramener
chezvous.Emmaseleva.—Çaneprendrapaslongtemps,jesaislequeljeveux.Maclasuivitdanslaclairièreetramassalasciequ’ilavaitlaisséeparterre,àl’endroitprécisoùil
avaitembrasséEmma.Acettepensée,soncœurbattitplusfort.Emmadésignaunsapin.—C’estcelui-ci,déclara-t-elle.—Vousêtessûre?—Absolumentsûre.Illaregardasourireetsefrotterlesmainsdesatisfaction.Sonenthousiasmeenfantinlebouleversa;
elleétaitirrésistible.Ilneluifallutquequelquesminutespourscierletroncdel’arbreetletirerjusqu’àlapâtureoùles
chevauxbroutaienttranquillement.Dès qu’il le pourrait, il reviendrait dans le secteur et irait voir ce qu’il y avait derrière cette
barrièrefermée.IltenaitàsefaireuneidéedecequeRahulétaitvenufaireparici.Etait-ilvenulàpours’entraîneràconduireoupourcacherquelquechose?
7
Leportabled’EmmasonnaaumomentoùMacmettaitpiedàterre,àl’entréedel’enclosprincipalduranch.Ellesortitl’appareildesapoche,consultal’identitédel’appelantetsentitl’appréhensionlagagner.—Allô!—Emma?—Oui,docteur,répondit-elle,lesyeuxtournésversMacquilaregardaitluiaussiavecanxiété.—J’ailesrésultatsdestestssanguinsdeNavigator.—Est-cegrave?Le vétérinaire mit un moment à répondre, ce qui ne présageait rien de bon. Emma attendit son
diagnostic avec l’impression que lesmots allaient tomber commeun couperet quimettrait fin à sesrêves.—Jenevaispasvousmentir,Emma,letauxdebutazolidinedanslesangdevotrechevalestélevé.
Ilenaingéréenvironhuitcentsmicrogrammesparjourdepuisunesemaine.Cequisignifieque,mêmeaprèstraitement,ilrisqued’enresterencoredestracesdurablesdanssonorganisme.Emmapassa lesdoigtsdans lacrinièredeDandypoursecalmer,maiscegesten’atténuapasson
chagrin.—Quesepassera-t-ils’ilsubituncontrôleantidopageàKeeneland?Serons-nousdisqualifiés?—Lejourdelacourse,letestserévéleraitnégatif,maisl’examendusecondéchantillonluiserait
fatal.Leseulespoir,c’estdeluifaireuneinjectiond’hormonespourstimulersathyroïdeetdetenterletraitementdiurétiquedeMac.Maissansgarantiedesuccès.Emmasepassalamainsurlefrontetfitdesonmieuxpourdigérerlanouvelleavecaplomb.—Quandfaut-illuifairecetteinjectiond’hormones?—Leplustôtpossible,sansquoisaconditionphysiquerisquedesedégrader,sicen’estpasdéjàle
cas.Alafindutraitement,ilseraitsagedeluifaireunesecondeinjection.—Bien.Aumoins,noussavonscommentprocéder.Pourriez-vousvenirdemainaprès-midi?—Jepeuxpasserà15heures.—Trèsbien.Ademain,alors.Ilssesaluèrent,puisEmmaraccrochaetrangeasontéléphone.—Çavamal,Mac.Enquelquespas,ilfutprèsd’elle,l’aidaàdescendredechevaletlaserradanssesbras.Elleselaissaallercontreluietfermalesyeuxpourretenirseslarmes.IlsétaientsiprèsderéussiràalignerNavigatorpourlederby!Commentaurait-ellepuimaginerque
quelqu’unchercheraitàréduireànéanttoutletravailaccompli?—N’abandonnezpas,Em’,chuchotaMactoutcontresonoreille.Toutespoirn’estpasperdu.Ilfaut
continueràvousaccrocher.Elleavaitplusquetoutenviedelecroire.Ellepoussaunlongsoupiretreculalégèrementpourle
regarder.Lacicatricequimarquaitsonbeauvisageluirappelaitqueluiaussiavaitsouffertetauraitpucéderaudécouragement,serésigneràl’idéed’êtredéfinitivementdiminué.Pourtant,iln’enétaitrien.—Vousavezraison.Vousvoulezcroireàtoutprixquevousrécupérerezvotreoreillegauche,alors
moi,jedoiscroirequ’ilestencorepossiblequeNavigatorremportelederby.Ellelevalamainetluicaressalajoue.Ilfermauninstantlesyeuxpuislesrouvrit.—Nousallonsleremettreenconditionàtemps,grâceauxpuréesetauthévert.Çavamarcher,j’en
suissûr.Emma acquiesça, distraite.Elle était tout contre lui et avait envie de l’embrasser, de revivre les
sensationsqu’elleavaitéprouvéesdanslaclairière.—Emma,articula-t-ild’unevoixincertaine,commes’ilavaitdumalàcontenirsonémotion.Elleétaitlààlecontempleret,danssonregard,Maclisaituneinvitationàlaquelleilneputrésister.Ill’embrassaet,immédiatement,uneondededésirmontaenlui.Derrièrelui,Oliverreniflaetlepoussadoucement,leramenantàlaréalité.Ilmitfinàleurbaiseret
regardaEmmabattredespaupièresetrespirerboucheouverte,lesoufflecourt,toutcommelui.—Venez,nousavonsdutravail,dit-ilencontournantOliver.Ildénoualacordequ’ilavaitfixéeàl’arrièredesasellepourtirerlesapin.Ildépassaitvraimentlesbornes,songea-t-il.EmbrasserEmmaClarebornnefaisaitpaspartiedeson
contrat.Même s’il avait dumal à s’en empêcher et y prenait un plaisir plus que certain, il devaitcesser.Déterminé,ilseconcentrasursatâchedansl’espoird’oublierunpeucequ’iléprouvait.Ilpritles
guidesd’Oliveretl’emmenadevantl’écurie,oùill’attachaàunpiquetletempsdeledesseller.EmmaattachaDandyàcôtédeluietfitentrerNavigatordansl’écurie.Mac ôta la selle et la couverture d’Oliver et allait s’occuper de Dandy lorsqu’il aperçut une
silhouetteàl’autreboutdel’enclos.Rahul se tenait justederrière labarrière et l’observait.Lorsque leurs regards se rencontrèrent, il
tournaprestementlestalonsetpartitendirectiondel’écuriesecondaire.Macl’observajusqu’àcequ’ilentredanslebâtimentetdisparaisse.—Hé!Çava?Queregardez-vous?Lavoixd’Emmalepritparsurprise.Ilseremitàsatâchetandisqu’ellebouchonnaitOliver.—Rahulétaitdel’autrecôtédel’enclos.Jecroisqu’ilattendaitdevoirquiallaitsortirdubosquet.Maclavittressailliravantdereprendresontravail.—C’estplutôtinquiétant.—Oui,maisçaconfirmenosdoutes.Ilsaitquequelqu’unl’avutoutàl’heure.—Et,d’aprèsvous,ilsaitquec’étaitnous?—J’enaipeur.C’étaitunsoucideplus.Si,commeilsl’avaientenvisagéunpeuplustôt,Rahulétaitallédanscette
zonepours’entraîneràconduire,iln’auraiteuaucuneraisondechercheràsavoirquil’avaitrepéré.—Lorsquenousauronsterminéavecleschevaux,m’aiderez-vousàtirerlesapinàl’arrièredela
maisonetàlemettreenpot?—Oui,biensûr.Illaregardapasserdélicatementlabrossesurledosdesonchevaletrepensaàleurbaiser.C’était
vraimentlaplusjoliefemmequ’ilaitjamaisembrassée.Pourtant,plusencore,c’étaitlecrandontellefaisaitpreuvequil’attirait.Ilallaitavoirbiendumalàgardersesdistances.Ceseraitmêmeuneterribleépreuve.
***
SurleplandetravailimproviséqueMacavaitinstalléprèsdelastalledeNavigator,Emmacoupaitdes carottes en rondelles. Lorsqu’elle eut terminé, elle les mit dans le seau qu’ils utilisaient pourmélangerlesaliments.Macplongealamaindansleseaupourremuerletout.—JesuiscontentequecesoitNavigatorquimangecettemixture,ditEmmaentordantlenez.—C’estàcausedelamélasse,réponditMacensouriant.Maislui,çavaluiplaire.Ellen’endoutaitpas.Leschevauxadoraientcettesubstancesucréericheenfer.—J’espèrequeçavamarcher.C’estunautredesremèdesdunomméCalliway?Macsursauta.—VousavezentenduleDrRemingtonlementionner?—Oui,etvotreréactionlorsqu’ill’afaitnem’apaséchappénonplus.Vousleconnaissiezbien?—J’enaientenduparler,commetoutlemonde.Jevaisallerfaireunpeudeménagedansl’annexe
et,ensuite,nousluiredonneronsàmanger.—D’accord.Il la regarda ouvrir une botte d’asperges, les poser sur la planche et se mettre à les couper en
morceaux.Puisiltournalestalonsetquittal’écurie.Entendreprononcerdeuxfoislenomdesonpèreensipeudetemps,c’étaitunpeutroppourlui.Jusqu’à samort, le nomdePaulCalliwayavait été associé aumalheur.Aumoins, lorsqu’il était
décédé,samèreetluiavaientétélibérésdecefardeau.Ilpoussalaportedel’annexe,entraets’arrêtanet.La pièce avait été retournée. Tous les tiroirs étaient ouverts, ses vêtements éparpillés au sol. Le
matelasavaitétédéplacé,lecoincuisinemisàsac.Consterné,ilapprochadel’évierenprenantsoindeneriendéplacer.LeshérifWilkesnetrouverait
certainement aucun élément qui lui permettrait d’identifier le responsable de ce désordre, mais luiavaitsonidéesurlaquestion.Ilouvritlerobinetetlavasesmainspoisseusesdemélasse.Ilrefermal’eau,prituneserviettepour
s’essuyerpuisseretournaetdécouvritEmmaquisetenaitdansl’encadrementdelaporte,bouchebée.
—MonDieu!—Ças’estpassépendantquenousétionspartis.NousallonsappelerWilkes,maisjeparieraisque
leresponsabledecebazarportaitdesgants.Emmaavançaetfermalaportederrièreelle.—Manque-t-ilquelquechose?Macregardaautourdeluipuisreportasonattentionsurelle.—Jeprésumequeceluiquiafaitçacherchaitdesinformationsàmonsujet.Fortheureusement,je
nesuispas icidepuis longtempset jegarde toujoursmespapiersd’identité surmoi.NousdevrionssongeràinterrogerDagoetlesmembresdesonéquipe.—VouspensezàRahul?—Lefaitestqu’iladûarrivericiaumoinsunedemi-heureavantnous,cequiluilaissaitletemps
devenirfouiller.—Eneffet.Jevousaideraiàtoutremettreenordre.—Merci,maisceserapourplustard.Lapriorité,c’estNavigator.Emmasetournaverslaporte,posalamainsurlapoignéepuisinterrompitsongeste.—SivousallezinterrogerDagoetseshommes,faitestrèsattentionàvous,Mac.—Promis.Illasuivitettousdeuxrepartirentversl’écurie.—Enfait,cematin,j’aireçudesinformationsd’unamideLexington.—Alafaçondontvousditescela,jecrainslepire.Macluiposalamainsurlebraspourl’inciteràs’arrêterpuislapritparlesépaules.Illasentait
tremblerdenervositéetsedemandas’ilprenaitlabonnedécisionenluifaisantpartdecequ’ilavaitappris.Finalement,ildécidaquemieuxvalaitparler.Elleavaitledroitdeconnaîtrelavéritéet,vulatournurequeprenaientlesévénements,attendredavantagepourlaluidireneseraitpassage.—MonamitravailleauFBI.JeluiavaisdemandédeserenseignersurDago.—Etqu’avez-vousappris?Quec’estunescroc?Dès ledépart,quand j’aiacceptéde lui louer
l’écurie,j’aisentiqu’iln’étaitpasclair.— J’aimerais que ce soit aussi simple… Si ça l’était, nous n’aurions qu’à appelerWilkes, qui
viendraitl’arrêter,ettoutseraitterminé.Cequej’aiappris,c’estqu’ilesttrèsprobablequ’ilutiliseunefausselicenced’entraîneur.—Quoi?Lalicencequ’ilm’aprésentéepourlouermonécurieseraitunfaux?—C’estfortpossible,oui.—Maisçanetientpasdebout!Quelintérêtya-t-ilàsefabriquerunefausseidentitéafindelouer
uneécuriedesecondemainpourlecompted’unémirquivitàl’autreboutdumonde?Saremarqueétaittoutàfaitpertinente,songeaMac.—Venez,dit-il.Retournonsàl’écurie,nouscontinueronsdediscuterlà-bas.L’esprit en ébullition, il regarda autour de lui pour s’assurer que personne n’avait surpris leur
conversation. Emma avait soulevé un point crucial : quel intérêt Victor Dago avait-il à agir de lasorte?
***
Macajustasonoreillerdefaçonàavoirunevueplongeantesur lastalledeNavigatordepuissonposted’observationdanslefeniloùilavaitinstallésoncouchage.C’étaitl’endroitparfait.Personnenepourraitpénétrerdansl’écurieoutenterdeleneutralisersansqu’ils’enaperçoive.Quiplusest,leserrurierétaitpasséendébutdesoiréeetavaitposéunverrouélectroniquesurlastalledupur-sang.Il ferma les yeux et écouta les bruits de la nuit. Il percevait les stridulations des criquets, le
crissementdelapailledéplacéeparNavigatordanssonbox.Ilyavaitaussiunlégerbourdonnementrégulier,dontilnecompritpasl’origine.Ilouvritlesyeux,sedressasursonséant,inclinalatêtesurladroiteetprêtadenouveaul’oreille.
Celasemblaitvenirdufenil.Enalerte,ilsortitdesonsacdecouchage,approchasonoreilledroitedusoletretintsarespiration.
Ilpercevaitlebruitplusnettement,àprésent.Desesmains,ilbalayalapoussièreetlesrésidusdepaillequijonchaientleplancheretsentitun
intersticeentredeuxplanches.Ilsortitdesapocheuneminilampetorcheetl’alluma.—Bonsang!s’exclama-t-ilendécouvrantunboîtierminiatureglissédansl’intervalle,reliéàun
câblequicouraitentredeuxplancheslégèrementdisjointes.Alalueurdesalampe,ilsuivitlecâblejusqu’aufonddufeniletàunnouvelintersticetaillédansle
bois.C’étaituntravaildeprofessionnel.Ils’approcha,maisseulementpourconfirmercequ’ilavaitdéjàcompris:quelqu’unavaitinstallé
unecaméraminiaturedansl’écuriedeFirehillFarm.PourespionnerNavigator?Entoutcas,voilàquiexpliquaitcettesensationd’êtreperpétuellement
observéqu’ilavaitdepuislepremiersoir.Maisquidiablesurveillaitl’écurie?Etpourquoi?Ilpritsonsacdecouchage,leroulaetlecoinçaentredeuxpoutres,obstruantlechampdelacaméra.—Finduspectacle.Lesdeuxhommesennoirquil’avaientneutraliséauTaserétaientcertainementvenuspourmettrela
caméraenservice.Sonregardseposasurlefenilàl’extrémitéopposéedel’écurie.Yenavait-iluneautrelà-bas?Celapourraitexpliquerlaprésencedesciuresurlesbarreauxdel’échelle…Encemomentmême,ilétaitprobablementobservé.Il éteignit sa lampe et la remit dans sa poche.A tâtons, il se dirigea vers l’échelle et descendit.
Grâce à cette caméra, les espions n’ignoraient rien de la routine quotidienne de Navigator : seshorairesd’entraînement,sesheuresderepas.Ilspouvaientaussisavoirquandilyavaitquelqu’undansl’écurieoupas.Dans l’obscurité, il longea les stalles jusqu’au fond de l’écurie et cala l’échelle pourmonter au
secondfenil.Unefoisenhaut,ilressortitsalampeetl’alluma.Sursadroite,derrièrelesballesdeluzerne,ily
avaitunefentedansunepoutre.Agauche,lesréservesdefourrageoccupaienttoutl’espace.
Il seglissadans le fonddu fenil àdroite et, àgenoux, semit àbalayer lapaille et lapoussière,révélantunpetitsillondanslebois.—Bingo!murmura-t-il.Il suivit lecâbleavecsa lampeetcompritcequis’étaitpassé l’autresoir.Dessourisavaientdû
endommager lecâblequi,àunendroit,avaitété réparé.Lesdeux typesqui l’avaientattaquéétaientdoncsûrementvenuspourcela.Désormais,ilcomptaitbienleurdonnerdavantagedefilàretordre.Iléteignitsalampeetsortitsoncanif.Ilenglissalalamesouslecâblepourledégagerdusillon,puiscreusaunpeulaballedeluzernelaplusproche.A tâtons il suivit le fil jusqu’à la caméra. Il la délogea et la fourra dans la balle de luzerne. La
prochainefoisquecestypesviendraientremettreleurmatérielenplace,ilseraitprêtàlesrecevoir.
***
Emma ferma la porte arrière de la maison et sortit aux premières lueurs de l’aube. Elle étaitimpatientedeconstaterleseffetsdutraitementdeMacsurNavigatoret,plusencore,devoirMaclui-même.Après avoir dégagé sa natte de son col, elle remonta la fermetureEclair de sonblousonpour se
protégerdufroidmatinal.Lesherbesauborddel’alléeétaientblanchesdegivre.Cematin,elleallaitdevoirpasserletracteursurlapisted’entraînementpourretournerlaterreetéviterquelegelnecauseunaccidentquandNavigatorferaitsestoursd’entraînementavecGradyStevens,sonnouveaujockey.Elle leva les yeux et, en voyantMac appuyé au montant de la porte de l’écurie, songea que sa
présencelàparaissaittoutàfaitnaturelle.Enfait,dansleranch,ilsemblaittoujoursparfaitementàsaplace.Riendanssonattitudenepermettaitdepenserqu’iln’étaitpaslàpourentraînerNavigatormaispourassurersaprotection.Ilétaitàl’aise,compétent.Cesréflexionscontribuèrentàl’apaiser.—Bonjour,luidit-elle.Lanuitaétédure?ajouta-t-elleens’apercevantqu’ilavaitlesyeuxcernés
etl’airfatigué.—Vousn’imaginezpasàquelpoint,répondit-ilenseredressant.Cettenuit,j’aifaitunedécouverte
quipourraitbienexpliquercommentetpourquoiquelqu’uns’estintroduitdansl’écurie.—Vraiment?demanda-t-elleenlesuivantàl’intérieur.—Oui. J’ai trouvé deux caméras dissimulées entre les poutres des fenils.Mais je ne sais pas à
quandremonteleurinstallation.Emmaleregardaavecdesyeuxébahis.Ellefrottanerveusementsesmainsl’unecontrel’autrepour
dissiperlasensationqueluiprocuraitcettenouvelle.—J’espèrequevouslesavezdétruites.—Non,surtoutpas.J’enaiobstruéuneetj’aiplacél’autredansuneballedeluzerne.J’imagineque
ceuxquilesontinstalléesvontrevenirpourvoircequisepasseet…—Vousespérezlessurprendre?—Oui,sitoutsedéroulecommeprévu.Elle le contempla avec inquiétude à la perspective de le voir affronter celui ou ceux qui leur
voulaientdumal.Pourtant,siellel’avaitengagé,c’étaitjustementpourprotégersonpur-sang.— Je pense que nous devrions prévenir le shérif. Il pourrait réussir à remonter jusqu’aux
responsables.—Possible.Maisjepréféreraislesprendresurlefait.—C’estbiencequim’inquiète,Mac.Avez-vousoubliéqu’onnousatirédessus?Ets’ilsessaient
encore,commeilsmenaçaientdelefairedanslalettreanonymequemonpèreareçue?—Détendez-vous,Emma,dit-ild’untoncalmeenluiposantunemainsurlebras.Jeseraiprudent.—Bien.JevaisfairesortirNavigatoretlelaissers’échaufferdansl’enclospendantquejepassele
tracteursurlapistepourlaretourner.Sonnouveaujockeyseralàà8heures.—Jem’occupedeNavigator,sivousvoulez.—D’accord.Merci,réponditEmmaavantdetournerlestalons.Mac ne semblait pas particulièrement inquiet à l’idée d’affronter des hommes armés, et cela la
perturbait.Arrivéeàl’angledel’écurie,elleregardapar-dessussonépaule.Il n’avait pas bougé et la contemplait, souriant, les mains sur les hanches. Elle secoua la tête.
Décidément,ellenecomprendraitjamaiscequirendaitleshommesaussisûrsd’eux.Maisc’étaitpeut-êtreaussicequirendaitMacsisexyetsiattirant.
***
Macpritlematérieldontilavaitbesoinetcomposalecodesurleboîtierélectroniquedelastalle.Leverrousedébloqua.Iltiralagrilleetentradanslebox.—Alors,prêtàcourir,monbeau?demanda-t-ilencaressant lechanfreinet l’encolureducheval
avantdelefairesortir.Dehors, le froid était vif, la température très basse.Avec ce type de temps, les blessures étaient
courantes.IldevaitveilleràcequeNavigatorsoitparfaitementéchaufféavantdecommenceràtournersurlapiste.Il l’emmena dans l’enclos et fixa les guides au tourniquet d’échauffement.Au loin, il entendit le
tracteurdémarrer. Il alla seposter derrière la barrièrepour regarderEmma faire ses toursdepisteavec la herse derrière son engin. Il fallait absolument retourner la terre en profondeur pour queNavigatornecourepassurunsolgelédangereux.Enlavoyantarriver,ilsongeaqu’elleallaitbeaucouptropvite.—Ralentissez,Emma,dit-ilàvoixhautepourlui-même.Vousalleztropvite.Pourtant, elle ne ralentit pas, bien au contraire, et négocia le premier virage en faisant une large
embardéeàgauche.Macfutimmédiatementenalerte.Cen’étaitpasnormal.Ilsautapar-dessuslabarrièreets’élançasurlapiste.—Emma!
Auboutduvirage,letracteurallaheurterlarampeextérieure.Ilyeutungrincementmétalliqueetlarampecéda.Maccourutàperdrehaleineetvitavechorreurletracteurfoudisparaîtredesonchampdevision
tandisquelescrisd’Emmadéchiraientl’airglacé.
8
Danslevirage,Emmasentitlapaniquelagagnertandisquelevolantentresesmainsnerépondaitplus.Alorsqueletracteurdéfonçaitlabarrière,ellegardalesyeuxrivéssurl’imposantpeuplierquise
dressaitunpeuplusloinencontrebassurlatrajectoiredesonenginfoulancéàtouteallure.Ilfallaitqu’ellesaute!Mais,avantqu’ellepuissesedégagerdesonsiège,letracteuravaitcommencéàdévalerlapenteet
fonçaitdroitsurl’arbre.Ellesepréparaàl’impact.Lorsqueletracteurheurtalepeuplier,ellefutprojetéeenavantcommeunvulgairesacdesableet
atterritlourdementàplatventre.L’instantd’après,ilyeutungrandcraquementsuivid’unfracasquandl’arbres’abattitsurlesol.Lesoufflecoupé,désorientée,ellevoulutsavoiroùellesetrouvaitparrapportàl’engindontelle
entendaittoujoursgronderlemoteur.Enredressantlatête,elleserenditcomptequel’extrémitédesatresseétaitprisesousunegrosse
pierrequi avait roulé.Elle tira sèchementdessuspour ladégager, arrachant le rubanqui la retenaitainsiqu’unemèchedecheveux,puiss’aperçutquesonpieddroitétaitcoincéentredeuxbranches.Asagauche,letracteur,freinéparlahersedontlespointess’étaientprisesdansdesrochesetdes
racines,glissaitlentementverselle,menaçantdel’écraser.Affolée,elleessayadedégagersajambe.Mac?OùétaitMac?Justeavantdepercuterlarampe,ellel’avaitvucourirsurlapiste.
***
Foud’inquiétude,Macdévalalapenteaussivitequepossible.OùétaitEmma?Enfinillavit,entraindesedébattreentreletracteurquirugissaitetlepeuplierdéraciné.Ilbonditsurlemarchepiedetpoussa le bouton de démarrage pour arrêter lemoteur, sans résultat. La scène était digne d’un filmd’horreur:lespneusarrièrecontinuaientdetourneretl’enginserapprochaitdelatêted’Emma.Sautantàbasdutracteur,ilseprécipitaversEmma.Ilsaisitlabranchequilaretenaitetlasouleva
tandisqu’elle tiraitde toutesses forcessursa jambe.Enfin,elleparvintà se libéreret roulasur lecôté.Macl’attrapaparlesbrasetlatiraàl’écart.Puis, s’agenouillant près d’elle il la serra contre lui et lui caressa les cheveux en un geste
d’apaisement.—Çava?Aprèsquelquesinstants,ellecessadetrembleretseremitàrespirernormalement.—Oui,jecrois.
Elleavaitdelaterresurlevisage,lesyeuxpleinsdelarmesetuneégratignuresurlefront.Pourtant,jamaiselleneluiavaitparuaussibelle.—Expliquez-moicequis’estpassé.—Ilestdevenufou,iln’yapasd’autrefaçondedire.J’aiessayédecouperlecontact,depresserle
boutond’arrêtd’urgence,mais ilnes’est rienpassé.Quand j’aiabordé levirage, levolantn’apasréponduetletracteuracontinuéd’allertoutdroitetd’accélérer.Elleinspiraetessuyaseslarmesdureversdelamain.Macétaitsubmergéparl’émotion,àlafoisbouleversé,encolèreetinquiet.SamissionàFirehillFarmnepouvaitdéfinitivementplusserésumeràlaprotectiond’unpur-sang.
Les tracteurs ne devenaient pas incontrôlables tout seuls.Ce qui s’était passé ne pouvait qu’être laconséquence d’un sabotage.Un sabotage commis par quelqu’un qui savait que, tous les deux jours,Emma,etpersonned’autre,utilisaitletracteurpourpasserlahersesurlapiste.—Nebougezpas,jevaisallercouperl’arrivéed’essencepourstopperlemoteur.Il se dirigea vers le tracteur qui s’était immobilisé, mais dont les roues arrière continuaient de
tourneretdecreuserdessillonsdeplusenplusprofonds.Qui pouvait bien connaître la mécanique au point de savoir comment faire tourner un tracteur à
pleinepuissancesansqu’onnepuisseplusl’arrêter?Ilsoulevalecapot,sortitletuyaud’alimentationdesonlogementetletorditpourbloquerl’arrivée
d’essence.Lemoteurtoussaquelquesinstants,puiss’arrêta.Ilrelâchaletuyaudecaoutchoucetétudialemoteur.C’étaitunvieuxtracteur,semblableàceluique
possédaitsonpère.Untracteurqu’ilavaitapprisàtrafiquerpourpouvoirlefairedémarrersansclédecontact.Ilexaminalescâblesreliésaustarteretpoussaunjuron.Rienn’avaitétélaisséauhasard.Du coin de l’œil, il vit Emma se relever et s’épousseter avant de s’approcher de lui, le regard
inquiet.—Avez-vousrepéréuneanomalie?luidemanda-t-elle.—Lescâblesdustarterontétésectionnés,répondit-il.Jepensequ’onaaussitouchéaucarburateur
etdévissélacolonnededirectionafind’augmenterleschancesdeprovoquerunaccident.—Çadevientdeplusenplusinquiétant,Mac.—Jedécouvriraileresponsable,assura-t-ilavecgravité.Personnenevousferademal,Emma.Espérantdetoutessesforcespouvoirtenirlapromessequ’ilvenaitdeluifaire,illapritdansses
bras.—Venez, allons nous occuper de Navigator. Ensuite, nous appellerons le shérifWilkes et nous
porteronsplainte.—D’accord.—Jevoisquevoscheveuxontsouffertdansvotrechute,repritMacenremarquantsatressequise
défaisaitetdontl’extrémitésemblaitavoirétéarrachée.Vousm’envoyezdésolé.—Ilsétaientcoincéssousunepierre.Cen’estpasgrave…Detoutefaçon,jesongeaisàlesfaire
couper.
—Sivousm’yautorisez,jeseraisheureuxdem’encharger.—Vraiment?Vousleferiez?—Oui.D’ailleursmoi aussi j’auraisbesoind’unebonnecoupe, ajouta-t-il en sepassant lamain
danslescheveux.Iln’étaitplusalléchezlecoiffeurdepuislejouroùils’étaitfait tirerdessus.Ilavaitnégligéson
apparenceparcequ’ilavaitprisuncoupaumoral,mais,depuissarencontreavecEmma,ilsesentaitaniméd’uneforcenouvelle.Ilétaitdonctempsqu’ilsereprenneenmain.—Danscecas,jerectifievotrecoupe,etvousvouschargezdelamienne.—Marchéconclu,répliqua-t-ilavecbonnehumeur.Unmouvementattirasonattention,etilvitDago,Rahuletunautredeseshommesquivenaientvers
euxaupasdecourse.—MademoiselleClareborn,nousavonsentendulebruitdel’accident.Toutvabien?—Moiçava,maisletracteurestenpiteuxétat,réponditEmmaenfaisantdesonmieuxpournepas
laisserparaître lemalaisequ’elle éprouvait chaque fois enprésencedeVictorDago.Pourriez-vousvouschargerderetournerlapistecematinavecvotreengin?—Oui, bien sûr, répondit-il en se tournant versRahul qui, à son tour, donna des instructions en
arabeautroisièmehomme.Cedernierremontalabutte.—Merci, reprit Emma. Il faudra sans doute quelques jours avant que mon tracteur puisse être
ramenéauhangaretréparé.—Jecomprends,ditDagoenjetantuncoupd’œilversletracteur.—Peut-êtreRahul pourrait-il se charger de passer la herse ces prochains jours ? intervintMac,
voyant làuneopportunitéd’ensavoirplussur lesaptitudesauvolantde l’hommedeDago.Nous lepaierons,biensûr.— En fait, Rahul vient tout juste d’avoir son permis. C’est encore trop tôt pour lui confier un
tracteur.Maissoyeztranquille,jedemanderaiàKarifdepasserlahersetouslesdeuxjoursjusqu’àcequevotreenginsoitréparé.—Mercibeaucoup,réponditEmma.Vousmerendezungrandservice.—Jecroisquenousdevrionsremonter,Emma,ditMacen l’incitantàsemettreenmarched’une
légèrepousséedansledos.Votrechevaldoitêtreprêt,maintenant,etvousavezbesoind’allerprendreunedoucheavantl’arrivéedesonjockey.
***
Ilsentrèrentdansl’enclosetMacdétachalesguidesdeNavigatordutourniquetcentral.—Cettepetiteconversationvousa-t-elleapprisquelquechose?luidemandaEmma.—Oui.Rahulestunconducteurdébutant.—Donc,vouspensezqu’hierilnefaisaitbeletbienques’entraîneràmaîtriserunvéhicule?
—Jen’aipasditcela,précisa-t-ilens’interrogeantsurlamanièredontilpourraits’yprendrepourendécouvrirplussurlesconnaissancesdeRahulenmécaniquesanséveillerlessoupçons.
***
Il étaitunpeuplusde8h30 lorsqueMacpressa leboutonduchronomètre, alorsqueNavigatorbouclaitsonpremiertourdepistelancé.Emmaluiposalamainsurl’avant-braspourconnaîtreletemps.—Ilestrapidecematin,Emma.—Moi je dirais plutôt qu’il est rapide tous les matins, répliqua-t-elle en lui adressant un petit
regardsignificatifavantdereportersonattentionsurlechevalquiétaitdéjàauboutdelalignedroite.Macfermalesyeuxetinclinalatêteàdroitepourécouterlesondessabotssurlapisteetdéterminer
sacadence.Ilrouvritlesyeux,excitéparcequ’ilvenaitd’entendre.LorsqueNavigator négocia le dernier virage avant de débouler sur la ligne d’arrivée, il posa le
pouce sur le chronomètre, prêt à presser le bouton. Le pur-sang passa devant eux à la vitesse del’éclair.Mac brandit le chronomètre pour consulter le temps affiché : une minute cinquante-quatresecondes.—Incroyable!Ilvientdepulvérisersonrecorddedeuxsecondes!Emmaluiadressaunlargesourire.Ilsecomportaitcommeungaminémerveillé,souriantjusqu’aux
oreilles.Jamaisellenel’avaitvuainsi.—Lasemaineavantvotrearrivée,ilacouruenunecinquante-trois,Mac.Elle l’observa pour jauger sa réaction à cette annonce, sans parvenir vraiment à savoir ce qu’il
éprouvait.MacTitusn’étaitdécidémentpasunhommefacileàcerner.—J’avouequ’audépartj’étaissceptiquesurleséellescapacitésdevotrecheval,admit-il.Maisje
doisreconnaîtrequevousn’avezenrienexagéré.Iladucœur.Emmadétourna lesyeuxetobservaGradyqui faisait ralentirNavigatorpour le laisser récupérer.
Elleconnaissaitquelqu’und’autrequiavaitducœur,mêmes’iln’enavaitpaspleinementconscience.—Si vous vous occupez de le desseller et de l’emmener à l’enclos de relaxation, je vais aller
préparersapurée.—D’accord,réponditMacquilaregardasedirigerversl’écurie,unsourireauxlèvres.Lorsqu’elleeutdisparuàl’intérieur,ilseretournaverslapistepuisbaissaencoreunefoislesyeux
surletempsaffichéparlechronomètre.Pour la première fois de sa vie, il comprenait réellement la passion qui avait animé son père,
jusqu’àledévorer.Etcettepassionétaitcontagieuse.
***
EmmapassalepeignedanslescheveuxdeMacetrectifialalongueurdedeuxmèchesquiavaientéchappéàsavigilance.—Voilà!Jecroisquecen’estpastropmal.Ellereculapourlelaisserseleveretôterlaserviettequ’ilavaitsurlesépaules.Sontorsenus’offritàsavue,letempsqu’ilrécupèresachemiseposéesurundossierdechaise,et
ellesentitimmédiatementsonpoulss’emballer.Ellesemitàjoueraveclesciseauxqu’elleavaitencoreàlamainpoursedonnerunecontenance
tandis qu’il finissait de boutonner sa chemise. Elle avait les joues en feu et était persuadée que saréactionneluiavaitpaséchappé.Macluiadressaunsourireespièglequinefitrienpourarrangerleschoses.—Avous,maintenant,dit-elle.Vousavezpromisdelescouperdroitdansledos,mêmesiçavous
obligeàraccourcirnettementlalongueur,luirappela-t-elle.Elles’installasurletabourettandisqu’ilsepostaitderrièreelle.Illuipassalepeignedanslescheveuxd’ungested’abordhésitantpuiscommençaàlesdémêler.Emma ferma les yeux et s’abandonna à la sensationde ses doigts qui devenaient de plus enplus
assurés. Lorsqu’il eut fini de les peigner, il prit les ciseaux, et elle l’entendit inspirer puis expirerprofondément.—Nevousinquiétezpas,Mac,jen’attendspasdevousuntravaildeprofessionnel.Justeunecoupe
décentequimepermettedepatienterjusqu’aujouroùj’aurail’opportunitéd’allerdansunsalon.Maccontemplasesbeauxcheveuxsoyeuxauxrefletscuivréssouslalumièreélectrique.—C’esttoutdemêmeplusdifficilequepourlacrinièreoulaqueued’uncheval.—Nevousposezpasdequestions.Faites-le,c’esttout.Macobservalalignedesescheveuxetrepéralesirrégularités.—Lescôtéssontdéjàdroits.Avec précaution, il commença à prendre des mèches entre ses doigts et les coupa. Au bout de
quelquesminutes,ilreculad’unpasetobservalerésultat.—Terminé.Elleseretournaetluisourit.—Merci.Bien,jevaisallerattendreleDrRemingtonetdonneràmangeràNavigator.Pendantce
temps,allezdonccontemplervotrecoupedecheveuxdansunmiroir.—J’yvaisdecepas,réponditMacavantdepartirpourl’annexe.Ilavaitlasensationd’êtreunhommeneuf,etcomptaitbienterminersatransformation.
***
—Ilal’airenforme,Emma.Continuezàluidonnercespuréesetàluifairefairedel’exercice.Jevaisanalysercenouveléchantillonsanguinetvoustransmettrailesrésultatslundi.
—Trèsbien.Merci,docteur.ElleaperçutMacquientraitdansl’écurie.Ouplutôtc’étaitunhommequiressemblaitàMac,mais
totalementdifférentdeceluiquiavaitquittélasellerieunedemi-heureplustôt.Ilétaitrasédeprèsetplussexyquejamais.—Bonjour,docteur,dit-ilens’approchant.Commentvavotrepatient?Levétérinaireseretournaetneputdissimulersasurprise.—Mac!Sansvoscheveuxlongsetvotrebarbedetroisjours,jenevousavaispasreconnu.Macluisourit,révélantdesdentsd’uneblancheuréclatante.Emmasentitdesfourmillementsluiparcourirtoutlecorps.—C’estvraiqu’ils’estsurpassé.EllecroisaleregardbleuprofonddeMacetsentitl’émotionl’étreindre,tantl’attiranceentreeuxlui
parutforte.—Comment se comporteNavigator sur la piste ?demanda leDrRemington en fouillant dans sa
mallette.— Ce matin, il a encore amélioré son temps, répondit Mac qui s’approcha pour observer le
vétérinaire.—Çanevousdérangepassijedonnelarecettedevospuréesàd’autresranchesdusecteur,n’est-
cepas?—Desranchesquientraînentdeschevauxpourlederby?—Oui, il y a Sundance Farm qui a des ambitions, ainsi que Calumet. Dans ces deux endroits,
quelqu’unamélangédelabutazolidineàlanourrituredeleursbêtes.—Allez-y,donnez-leurletuyau.Detoutefaçon,aucuncheval,dopéoupas,nepourrarivaliseravec
notreNavigator,ditMacenregardantEmma,quiluisourit.—CebonvieuxCalliwayseraitfier,répliqualevétérinairequiadministraunedosed’hormonesà
Navigatoravantdenettoyersaseringueetdelaranger.Macdissimulaletroublequeluicausal’allusionduvétérinaireàsonpère.— Il aurabesoind’unedose supplémentaire lorsqu’il aura complètement éliminé labutazolidine.
Mais,d’abord,ilfautquejesacheoùilenestduprocessusenanalysantceprélèvementsanguin.—Merci,docteur,ditEmmaquifitmarcherNavigatorquelquesinstantsavantdelereconduireàsa
stalle.Elle referma la grille et regarda la température sur le thermomètre mural, avant de sortir en
compagnie de Mac et du vétérinaire dans la douceur de l’après-midi ; le temps s’étaitconsidérablementréchauffé,etelleespéraitqu’ilresteraitainsijusqu’àlaHolidayClassic.IlssaluèrentleDrRemingtonetleregardèrentmonterenvoitureets’éloigner.—C’estgentildevotrepartd’avoiracceptéqu’iltransmettevotreremèdeauxautresranches.— Pour l’instant, il faut rester prudent. Nous n’avons pas encore la certitude que ce régime va
réussir,répliquaMacenluiadressantunsourireravageur.Emmadutfaireappelàtoutessesforcespourrésisteràl’enviedepasserlamainsursonvisagerasé
deprès.
Le ronronnement d’un véhicule en approche attira leur attention. Peu après, la voiture du shérifWilkes remonta l’allée. Le gravier crissa sous ses pneus lorsqu’il s’arrêta. Il coupa le contact etdescenditdevoiture.—Bonjour,Emma,bonjour,Mac,lessalua-t-ilenportantlamainàsonchapeau.Lestandardm’a
transmisvotreappelausujetdel’accidentdecematin.Oùestletracteur?J’aimeraisbienyjeterunœil.— Il est toujours en bas de la pente derrière le premier virage de la piste d’entraînement. Cet
accidentafaillicoûterlavieàEmma.SespropresparolesrappelèrentàMacàquelpointEmmaétaitvulnérable,àquelpointilsétaient
tousexposésaudangertantqueleresponsabledecesforfaitsn’auraitpasétéarrêté.—Venez,jevousemmène,proposa-t-ilaushérif.—Jeresteicipourm’occuperdeNavigator,intervintEmma.Jevaislebouchonneretluipanserles
jambes.Ellen’avaitaucuneenviede revoir lascènede l’accidentpour lemoment.Ellen’étaitmêmepas
sûrequ’elleoseraitunjourremontersanscraintesurletracteur.
***
—Vousavezraison,lescâblesdustarterontétévolontairementsectionnés.Jevaisenvoyerundemes hommesprendre quelques photos et je rédigerai un rapport.Mais évidemment, si personne n’aassistéausabotagedutracteur,l’enquêtevaencorepiétiner.—Etdanslesautresranches,çasecalmeunpeu?— Non. Nous avons demandé aux propriétaires de surveiller la nourriture de leurs chevaux, et
plusieursontrappelépournousinformerqu’ilsavaientlemêmeproblèmequevous.Meshommesfontletourdesranchesdelarégionpourinterrogertoutlemonde,mais,jusqu’àmaintenant,personnen’aconstatéd’agissementssuspects.Silesincidentscontinuent,tenez-moiaucourant.Tousdeuxremontèrentlabutte.—Etqu’enest-ildelasécurité?demandaMac.D’autresranchesont-ilengagédesvigiles?—Pourlemoment,deuxl’ontfaitetn’ontpluseud’incidentsàdéplorer.—Bien.Çanousapprendaumoinsquelesresponsablesdetoutcelasetiennentinformésdecequi
sepassedanslarégionetsaventoùlesmesuresdesécuritéontétérenforcées.Peut-êtredevrais-jemepromener sur le ranch en laissant mon arme visible en permanence. Il se pourrait que ces typescomprennentlemessageetdécidentdenouslaissertranquilles.—Vouspouveztoujoursessayer,Mac.Ilsatteignirentlavoituredushérif.—Entoutcas,cematin,larécompensepourleurcaptureestpasséeàcinquantemilledollars.Macémitunsifflementtandisqueleshérifmontaitenvoiture.—Voilàquimodifieunpeuladonne.
— Les propriétaires de chevaux sont inquiets. Certains commencent même à paniquer. Leursanimauxsontextrêmementprécieuxàleursyeuxetilsveulentqueleresponsabledecesattaquessoitstoppéauplusvite.Pourcela,ilsnerechignentpasàmettrelamainauportefeuille.Macacquiesça.LeshérifWilkesfermasaportière,démarraets’enalla.Pourlemoment,parchance,personnen’avaitététué,mêmesi,cematin,Emmaavaitfrôlélepire.Iltournalestalonset,ducoindel’œil,vitRahuls’empresserderentrerdanslasecondeécurie,de
l’autrecôtédelapiste.Simplecoïncidenceoulesavait-ilespionnés?
***
Macseréveillaensursaut,seredressaetrepoussalesacdecouchage.Iltournalatêteàdroiteetcherchaàdéterminerl’originedubruitquil’avaittirédusommeil.En-dessousdelui,Navigatorétaitagitéettournaitenronddanssonbox.Macenfilasesbottes,descenditdufenilparl’échelleet,arrivéenbas,s’immobilisapourprêterde
nouveaul’oreille.Ilfermalesyeux,seconcentraetperçutungrincementenprovenancedufonddel’écurie.Etait-ceunanimal?Unratonlaveuràlarecherchedenourriture?Unputoisquiavaitréussiàse
glissersouslaporte?NavigatorpassalatêteàtraverslagrilleetMaclecaressaaffectueusement.Leschevauxétaienttrès
sensiblesaudanger,plusencorequeleshumains.—Quesepasse-t-il,mongrand?Pourquoies-tusiagité?Il se rendit dans la sellerie et neutralisa les détecteurs de mouvement. Si quelqu’un cherchait à
s’introduiredansl’écuriecesoir,l’effetdesurpriseseraitpourlui.Il approcha lentement de la porte d’entrée, l’ouvrit, se glissa à l’extérieur et se plaqua dos à la
paroi.L’airétaitfroidetpiquant.Soudain,dansl’enclosattenantàl’écurie,ilvituneformesedéplacer.S’ilvoulaitsurprendrel’intrus,ildevaittraverserl’écurieetressortirparlaportedederrière.Ilretournaàl’intérieur,sortitsonportableetcomposale911.Lorsquelastandardisterépondit, il
expliquaàvoixbasselasituationetraccrocha.Ilallajusqu’àlaportedederrièreetl’entrouvritlentement,prêtàsejetersurl’individuavantqu’il
puisses’enfuir.Soudain,ils’immobilisaethumal’air.Ilinspiraàfond,afind’êtrecertaindenepassetromper.Delafumée?Oui,c’étaitbiencequ’ilsentait.Uneodeurdefumée.
9
Macsentitsoncœurs’emballer.Lefeu.PasétonnantqueNavigatorsoitagité!Ilpassalatêteparl’entrebâillementdelaporteetaperçutdumouvementainsiquelerougeoiement
d’uneflammeaucoindel’écurie.Il sortit silencieusement et se dirigea à pas de loup vers un homme au visage dissimulé par un
bandana,unbrûleuraupropaneàlamain.Sentantsoudainuneprésencederrièrelui,l’hommefitvolte-face,surpris.Macluienvoyaundirectauvisage.L’hommevacillaetbranditsonbrûleurdontlaflammeeffleuralavestedeMac.IlyeutuneodeurdetissubrûléetMactapotavivementsavestepouréviteraufeudeprendreavant
desejeterdenouveausursonadversaire,sesforcesdécupléesparlacolère.Lepyromanebascula en arrière et laissa tomber sonbrûleur.Macydonnaun coupdepiedpour
l’éloignerdel’écurieetfrappaencoreunefoisl’intrus.Cederniern’étaitplusenmesuredesedéfendre.Uncrépitementattiratoutàcoupl’attentiondeMac,quiseretourna.Impuissant,ilconstataquelefeuavaitprisauxparoisdel’écurieàdeuxendroitsdifférents.Ildevait
agirsanstarder.Ilsaisitl’incendiaireparlecoletleforçaàserelever.—Allez,enavant!ordonna-t-ilenletirantverslaporte.—Non,jenerentrepaslà-dedans,ilyalefeu!s’écriasonadversaireensedébattant.LaprioritéétaitdefairesortirNavigatoravantquelefeulemetteendanger,maisMacn’avaitpas
pourautantl’intentiondelaisserfilersonprisonnier.— Tant pis, tu l’auras cherché, rétorqua-t-il avant de saisir l’inconnu derrière la tête et de
l’assommercontrelemontantdelaporte.L’hommes’effondra.Maclesoulevaetlejetasursonépaulecommeunsacdegrain.Ilentradansl’écurieetallumatoutesleslumières.Lafuméecommençaitàs’immisceràl’intérieur.
Ildevaitfairevite,trèsvite.S’approchantde la stalle deNavigator, il sedébarrassade son fardeau et composa le codepour
déverrouillerlagrille.Ilnesepassarien.Illecomposadenouveau,nerveusement.Cettefois,leverrourépondit,etMacs’empressad’ouvrir
la grille et de pénétrer dans le box. Ses yeux commençaient à le piquer à mesure que la fuméeenvahissaitl’écurie.Les lampes vacillèrent puis s’éteignirent complètement, plongeant de nouveau les lieux dans
l’obscurité.SeulelaguirlandelumineuseextérieureinstalléeparEmmaprocuraitunpeudelumière.—Toutdoux,ditMacàNavigatorenluipassantsonharnaisàtâtons.
Al’entréedubox,ilperçutunmouvementmaisn’eutpasletempsderéagir.Ilreçutuncoupviolentaufront,sansdouteportéavecunepelle,etsentitunliquidechaudcoulersur
sonvisage.Etourdi,ilfaillitlâcherlesguidesdeNavigatorpuis,dansunéclairdelucidité,serralamainets’y
accrocha.Navigatorbondit.Desessabotsavant,ilfrappal’agresseurdeMac.L’hommetombaets’éloignaun
peuàquatrepattesavantdesereleveretdes’enfuirencourant.—Toutdoux,toutdoux…,ditMacàNavigatorpourtenterdelecalmer.IlsecoualatêteetselançaàlapoursuitedufuyardentirantNavigatorderrièrelui.Quelquesinstantsplustard,ilentenditlaported’entrées’ouvrirpuisserefermer.Ilatteignitlaporte,poussalebattantetsortitdanslanuit,inspirantunebonnegouléed’air.—Mac!IltournalatêteetvitalorsEmmaqui,àl’aided’unefourche,tenaitlepyromaneenrespectcontrela
paroi.—J’aiappelélespompiersdèsquej’aisentilafumée.Ilsserontlàd’uneminuteàl’autre.Macsesentitsoulagé.Ilsétaientsainsetsaufsetavaientstoppél’hommequisouhaitaitleurperte.—Jevouséchangeunchevald’exceptioncontrecetype,dit-ilàEmma.L’unvaremporterlederby
etsecouvrirdegloire,l’autrevaallermoisirenprisonetauratoutletempsderéfléchiràsesactes.—Marchéconclu,réponditEmmaquilâchasafourcheetpritlesguidesdeNavigatoravantdele
tireràl’écart.Mac saisit l’incendiaire par le col et lui ôta le bandana qui couvrait la partie inférieure de son
visage.Ilseretrouvafaceàungaminquidevaitavoiràpeineplusdedix-huitans.—Leshérifvaarriverd’uneminuteàl’autre.Tuesbonpouruneinculpationpourtripletentativede
meurtreetincendievolontaire.—Jenesaispasdequoivousparlez,répliqualegarçon.Jen’aitentédetuerpersonne!Lebruitdesirènesquiserapprochaientperçalesilence.— Et mettre le feu à une écurie alors que j’étais à l’intérieur, tu appelles ça comment ? Un
barbecue?Tunousastirédessusàlacarabine,tuassabotéletracteurpourprovoquersciemmentunaccident.Donc,çafaitbientroistentativesdemeurtre.—Jen’aipastouchéàvotretracteur!Macletiraaucoindelamaisonetlefitasseoir.Pensait-ilquecegaminavoueraitspontanémentsesforfaits?Cependant,iln’avaitpasniéleuravoir
tirédessusniavoirmislefeu.Ilavaitseulementditn’êtrepourriendanslesabotagedutracteur.Macs’accroupitàcôtédelui.—Commentt’yes-tupris?Est-cetoiquiasinstallélescamérasdanslesfenilspoursavoircequi
sepassaitdansl’écurie,déterminerquandtupourraist’yintroduire,etmélangerdelabutazolidineàlanourrituredenotrepur-sang?—Tuperdslatête,mec!Jenecomprendsrienàcettehistoiredecaméras.Macserelevaetregardalegamincroiserlesbrasetprendreunairblasé,commesicequirisquait
deluiarriverluiétaitindifférent.Disait-illavéritéausujetdutracteuretdescaméras?sedemandaMac,songeur.Apremièrevue,
mentirnesemblaitpasêtresonfort,maisilfallaitqu’ilenaitlecœurnet.—Quelâgeas-tu?—L’âgequej’ai.—L’âged’un adulte ?En tout cas, c’est commeun adulte responsable que tu seras jugé.Tu vas
passerdesmomentsdifficiles.Encoreplussiturefusesdemedirepourquitutravailles.Lejeunehommelevalatêteverslui,malàl’aise.—BradNelson.—BradNelsondeCramerStables?—Ouais.Macsetutetcontemplalejeunehommequi,secondeaprèsseconde,semblaitprendreconsciencede
lagravitédelasituationetperdretoutearrogance.IlvitEmmaquirevenaitverslui,tandisqu’uncamiondepompierss’engageaitdansl’allée.—Navigators’est-ilcalmé?— Oui. Je l’ai mis dans l’enclos du fond, près de l’écurie de Victor. Ses hommes sont tous
rassembléslà-bas,àregardercequisepasse.Illuientouralesépaulesdesonbras.—Etvous,çava?Voustenezlecoup?—Maintenant que je sais que nous sommes tous sains et saufs, ça vamieux. Une écurie, ça se
remplace,maispas…Elles’interrompitetleregardaavecuneexpressioninquiète.—Votrenezestpeut-êtrecassé.Ques’est-ilpassé?—Legaminm’afrappéavecunepelle.—Aïe!Ellebaissalesyeuxetregardalejeunehomme.Elleétaitsûredel’avoirdéjàvu.—Ehbien,désormais,ilal’airmoinsfier.Vousa-t-ilditpourquiiltravaillait?—BradNelson.—Maisn’est-cepasluiquiétaitcenséavoirreçuunelettredemenacesemblableàlanôtre?—Si.Cequisignifieque,si legaminditvrai, ilautilisécette lettrepourapparaîtrecommeune
victimeetéloignerlessoupçons.Derrièreeux,lespompiersdéroulaientlalanceàincendieets’attaquaientaufeu.Macobservale jeunehomme,quise tenait levisageentre lesmains.Ilespéraitsincèrementqu’il
sauraittirerlaleçondesesactes.Le shérifWilkesdéboulaà son tourdans l’allée, suiviparun secondcamiondepompiers etune
ambulance.Ilbonditdesavoiture,lesrepéraetcourutverseux.—Onm’atransmisvotreappel,Mac.C’estluilecoupable?—C’estbienlui,oui.IlprétendagirpourlecomptedeBradNelson.
Lejeunehommerelevalatête.Ilavaitunœilquicommençaitàenfler.—Debout, lui ordonna le shérif en portant lamain auxmenottes fixées à sa ceinture. Comment
t’appelles-tu,mongarçon?—CraigMcFarlane.—BradNelsont’a-t-ilengagépourmettrelefeuàl’écuriedeMlleClareborn?—Oui,monsieur.Emmaéprouvadusoulagementmêlédetristesseàlavuedushérifquipoussaitlejeunehommevers
savoiturepourl’emmenerlàoùilnepourraitplusleurcauserd’ennuis.Elles’appuyacontreMacquipassadenouveaulebrasautourdesesépaules.—Queva-t-ilarriveràcegamin?demanda-t-elle.—S’ilaplusdedix-huitans,ilvapasserunbailderrièrelesbarreaux.Mettrevolontairementlefeu
estungravedélit.Pourcequiestdestirsquenousavonsessuyés,leshérifdevratrouverdesélémentssolides pour prouver que c’est bien lui qui en est à l’origine.Mais si par malheur on retrouve lacarabine lors de la perquisitionde sondomicile, il risque carrément l’inculpationpour tentativedemeurtre.—Etletracteur?A-t-ilavouél’avoirsaboté?—Non.Etilaégalementprétendunepasêtreaucourantpourlescamérasdesurveillance.IlsentitEmmafrissonneretserenditcomptequ’ellen’étaitvêtuequed’unesimplerobedechambre.—Rentrezvousréchaufferchezvous.Jepeuxm’occuperdesformalitéset,sinécessaire,nousirons
aupostedepolicedemainmatin.— Je vais aller passer des vêtements chauds, mais je reviens. Nous ne pouvons pas laisser
Navigatordehorstoutelanuit;ilfaittropfroid.Ilfauttrouverunesolution.Mac la regarda partir vers lamaison. Elle avait raison. Ils ne pouvaient pas laisser le pur-sang
dormiràlabelleétoile.Latempératureavaitdenouveaubrutalementchuté,et ilrisquaitdeprendrefroid.Ilsongeaauxoptionspossiblesetcompritvitequelechoixétaitlimité.Il repéra le capitaine des pompiers et se dirigea vers lui pour s’enquérir de l’étendue des
dommages.S’ilsétaienttropimportants,ilneleurresteraitplusqu’unesolution,etelleneluiplaisaitguère:ilsdevraientprovisoirementinstallerNavigatordansl’écuriedeVictorDago.
***
—Non,ditEmmad’untonrésoluensecouantlatête.Ildoitbienyavoirunautreendroitoùnouspouvonsl’installerquelquetemps.Ellerelevasamanchedemanteaupourregarderl’heureàsamontre.Ilétait3h22.L’incendieavait
étémaîtrisédepuislongtempsetlespompiersavaientdéblayédumieuxpossible.LeshérifWilkesétaitsans doute déjà à la porte de Brad Nelson, et Craig McFarlane avait entamé sa première nuit endétention.
—Bonsang,Mac,voussavezquejen’aiaucuneconfianceenVictor!Laseuleperspectivedemeretrouverprèsdeluimehérisse.—Ilfautprendreunedécision,Em’.Navigatornesupporterapasdepasserlanuitdehorsavecune
couverturesurledos.Latempératureavoisinezérodegré.Epuisée,incapabledetrouveruneautresolution,Emmafinitparcéder.—D’accord,maisseulementpourcettenuit.Demain,nousnousdébrouilleronsautrement.—Siçapeutvousrassurer,jedormiraiàcôtédesonbox.Ellelevalesyeuxverslui.— Nous formons une sacrée paire, dites-moi. Moi avec mon front écorché et vous avec votre
entaillesurlenez.—Oui,mais le jeu en valait la chandelle.Wilkes a l’intention de presserMcFarlane comme un
citronpourenapprendrelepluspossible.Nousfinironspeut-êtreparsavoircequ’ilafaitexactementàFirehilletdanslesautresranchesdelarégion.—Ets’ils’obstineànieravoirsabotéletracteuretinstallélescaméras?— Eh bien ça signifiera que nos ennuis ne sont pas terminés. Allez, venez, occupons-nous
d’emmenerNavigatordansl’écuriedeVictor.Nousferonslepointsurlasituationdemainmatin.—C’estdéjàlematin,Mac…
***
Maclevalamainetfrappadoucementàlaportedel’annexe.Al’intérieur,ilyeutunbruitsourd,puislaportes’ouvrit.UndeshommesdeVictorapparutensefrottantlesyeuxetledévisageacommes’ilvoyaitlediable.—IlfautquejeparleàVictor.L’hommesecoua la têteets’adressaenarabeàsescomparses. Ilyeutunnouveaubruitsourd,et
Rahulfitàsontoursonapparition.—Puis-jevousaider?—Désolédevousdérangeràcetteheure,Rahul,maisjedoisabsolumentparleràVictor.Acause
de l’incendie,Navigator n’a plus d’abri pour la nuit, et nous aurions besoin de l’installer quelquesjoursdansvotreécurie,letempsquel’autresoitremiseenétat.Rahulditquelquesmotsàsescompagnons,obtintuneréponsepuissetournadenouveauverslui.—Victorn’estpas là,sacouchetteestvide.Jesaisque, toutà l’heure, ilestalléà l’écuriepour
calmerDragon’sSoulquelebruitdessirènesaexcité.Ildoittoujoursêtrelà-bas.—Bien,merci.Jevaisvoirsijeletrouve,ditMacquientenditlaporteserefermerderrièreluidès
qu’ileuttournélestalons.IlrejoignitEmmaquil’attendaitauboutdel’alléeencompagniedeNavigator.Ilétaitpersuadéque,
derrièrelesrideauxdelapetitefenêtredel’annexe,quelqu’unl’observait.—Qu’a-t-ildit?
—Victorn’étaitpaslà.Rahulm’aapprisqu’ilestalléàl’écuriepours’occuperdeDragon’sSoulquelebruitdessirènesaénervé.—Ilenfauttrèspeupourénervercecheval,detoutefaçon.Tous deux se dirigèrent vers l’écurie secondaire. Mac n’aurait pas su expliquer pourquoi il se
sentaitsoudainnerveux.L’écurie,devanteux,étaitéclairée.—Nousdevrionsveiller à installerNavigator aussi loinquepossibledeDragon’sSoul,déclara
Emma.Macétaitbiend’accord.Silesdeuxchevauxvenaientàseretrouverfaceàface,ilsrisquaientdese
battreetpourraientseblesser.—Nouslaisseronssagrilledestallebienferméeetnousleferonssortirparl’enclos,pourqu’ilsne
secroisentjamais.—Oui,bonneidée.Ilsentrèrentdansl’écurie.Emmaouvritlagrilledelapremièrestallesurlagauche,l’inspectapuis
ouvritlerobinetd’eaupourremplirleseaudenettoyage.Mac leva les yeux et cherchaVictor du regard.Où était-il ? Il entendit un petit hennissement en
provenancedelastalledufond.Etait-ceDragon’sSoul?—Victordoitêtreaufond.Jevaisallerluiexpliquercequisepasse.—D’accord,merci,réponditEmmaavecunregardindiquantqu’elleluiétaitreconnaissantedes’en
charger.Alavued’Emma,Macsentitsoncœurseserrer.SamissionàFirehillprendraitpeut-êtrefintrès
prochainement.Sil’enquêtedéterminaitquelesresponsablesdesattaquescontreleranchavaienttousétémishorsd’étatdenuire, saprésencen’auraitplusde justification.Danssonboulot, çamarchaitcommeça.Ilallaitoùonluidisaitd’alleretpliaitbagageaussivite.L’attachementauxlieuxouauxpersonnesn’étaitpascompatibleavecsontravail…Ilseretournaetsemitàremonterlatravéecentrale.Au fur et àmesurequ’il approchait,Dragon’sSoul s’agitait de plus enplus. Il poussait depetits
hennissementsquiressemblaientàdesappelsdedétresse.Machâtalepas.Ilpassadevanttroisautresboxesetsefitlaréflexionqueleursoccupantsn’avaientenrienl’alluredechevauxdecourse,cequiétaitpourlemoinsétrange.Quediablesepassait-ilici?Entre-temps,EmmaavaitdéfaitlelicoudeNavigator.Ellesortitdubox,fermalagrilleets’assura
dubonétatduverrou.—Emma!L’appeldeMac,lanoted’urgencedanssavoixlamirentimmédiatementenalerte.Ellejetauncoup
d’œildanslatravéecentralemaisnelevitpas.Ildevaitêtredansl’undesboxes.—Mac?—JesuisdanslastalledeDragon’sSoul.Elletraversal’écurieaupasdecourseets’arrêtanetàl’entréeduboxdel’étalon,aussitôtprisede
tremblementsnerveux.—Appelezuneambulance,ilrespireencore.
Ellecherchadanssapochedemanteaud’unemainmalassuréeetsortitsonportable.Ellecomposale911,leregardrivésurlecorpsensanglantédeVictorDago.Ilétaitaffalédanslefonddelastalle,lecrâneàmoitiédéfoncé.
10
MacsepenchasurVictoretluiposalamainsurl’épaule.Saplaieaufrontavaitplusoumoinslecontourd’unsabotdecheval.Dragon’sSoulavaitprobablementpaniquéetfrappéVictord’uneruadelorsqu’ilétaitentrédanssa
stallepourlecalmer.Etantdonnélapuissancedel’animal,iln’étaitpassurprenantqueVictoraitperduconnaissance.Ilémitunfaiblegémissement.Macsepenchadavantage.—Victor,c’estMacTitus.VousavezétéblesséparDragon’sSoul.Emmaaappeléuneambulance,
lessecoursserontbientôtlà,tenezbon.Victorgémitdenouveau,plusfort,ettentadeparler.DerrièreMac,Dragon’sSoultournaitnerveusementenrond.Macseméfiait,mêmes’ilnes’estimait
pasendanger.Ilsentaitquelegrandétalonexprimaitdel’inquiétude,pasdel’agressivité.—Lessecoursarrivent,Mac.Quepuis-jefaire?demandaEmma,revenueàl’entréedubox.—Attrapezlechevaletinstallez-ledansuneautrestalle.Lesmédecinsnepourrontpastravailler,
s’ilrestelà.—Vousplaisantez?IlvientdefrapperVictor.JevaisallerchercherRahul.Ildoitsavoircomment
s’yprendreaveclui.—D’accord,acquiesça-t-il,comprenanttrèsbienqu’Emmaneveuillepass’approcherdel’étalon.Soudain,Victorluisaisitlepoignetetleserraavectoutelaforcedontilétaitencorecapable.Surpris,Mactournalatêteetsepenchapourêtretoutprèsdelui.—Accrochez-vous,Dago.Lessecoursarrivent.Dagoentrouvritlesyeuxetbattitdespaupières.Sonregardétaitvague,maisilparutlereconnaître
etessayerdeseconcentrersurlui.—Uneval…,chercha-t-ilàarticuler,lesoufflecourt.Perplexe,Macinclinalatêteàdroite,l’oreilleàquelquescentimètresdelabouchedeDago.—Quevoulez-vousmedire,Dago?—V…ise,reprit-ild’unevoixàpeineaudible.—Valise,c’estça?—Dansuneval…Derrièrelui,Macentenditdesbruitsdepas.—Dansunevalise,est-cecequevousessayezdemedire,Victor?Qu’ya-t-ildansunevalise?
Desinformationssurvotrepatron?L’étreintesursonpoignetserelâcha,etVictorexhalaunfaiblesoupir.
MactournalatêteetvitRahuletEmma,essoufflésd’avoircourupourrevenirleplusvitepossible.IlposalamainsurlecoudeVictor,àlarecherched’unpouls,sanssuccès.—Mac,faitesquelquechose!l’imploraEmma.Hélas ! iln’yavait sansdouteplusgrand-choseà fairepourVictorDago.Saplaieaucrâneétait
profondeetilsaignaitabondamment.Maiss’ilrestaitunepetitechance…—Jevaistenterunmassagecardiaque.
***
Emmasetenaitàl’extérieurdelastalleetregardaitMactournerautourdeDragon’sSoul,inquiète.—Faitesattention,Mac.—Ilnevapasmefairedemal,Emma.—C’estaussicequeVictorcroyait.L’imagedeVictor, levisageensanglanté, lahantait.Quelquesminutesplus tôt, ilavaitété installé
dansl’ambulance,quifonçaitmaintenantversl’hôpital.Rahulétaitavecluietlesmédecinsfaisaientleurpossiblepourlesauver,mêmesiseschancesdesurvieétaientminces.—Regardezcetteentaille,ditMac,quipassa lamainsur lepoitrailduchevalavantde lever les
yeuxverselle.Commenta-t-ilpuselafaire?Certes,elleestsuperficielle,maisjen’airienremarquédecoupantdanslastalle.—Jenesaispas.C’estpeut-êtreVictorquilaluiafaiteenessayantdesedéfendre.—Peut-être.EmmacontinuaàregarderMacquis’étaitmisàsouleverl’uneaprèsl’autrelesjambesdel’étalon
pourexaminersessabots.Ilgrattalaterresurlesfersetlesobservadeprès.Emmasoupira.Cequis’étaitpassécesoirétaitdramatique.Lefaitquecetaccidentaiteulieudans
uneécuriedeFirehillFarmluifaisaitencoreplusmal.Elle contempla pendant quelques secondes le magnifique étalon noir, qui semblait parfaitement
inoffensif,etfrissonna.—Jevaisallerdormirunpeuavantdem’effondrer.— Patientez une minute, je vais vous raccompagner jusqu’à la maison. Ensuite, je reviendrai
m’occuperdelacoupuredecetanimal.Iltapotaaffectueusementl’encolureducheval,ouvritlagrilledelastalleetlarefermaderrièrelui
avecprécaution.Ils traversèrent l’écuriecôteàcôtesansunmot, jetantaupassageuncoupd’œilàNavigator,qui
dormaitpaisiblement.Macsentaitqu’illuifaudraitplusieursheuresavantquesontauxd’adrénalinecommenceàbaisser.
Acemoment-là,leshérifWilkespasseraitexaminerlelieudelatragédieetconcluraitsansdouteàunregrettableaccident.Unanimalterrifiéavaitmortellementblessésonmaître.Dieusaitquel’incendieavait fait paniquer tout lemonde et que les circonstances étaient donc réunies pour qu’un accident
survienne.Pourtant,Macavaitdesdoutes.— Demain, je veux que vous preniez votre journée pour vous reposer, Mac, dit Emma. C’est
dimanche, et comme Craig McFarlane a été arrêté, Navigator n’est plus autant en danger. Jem’occuperaideluipréparersespuréesdemainmatin.Macposaunemainsursonavant-bras.—Emma,c’estdéjàdemainmatin…Saplaisanterieenretouràcellequ’elleavaitfaiteunpeuplustôtluiarrachaunpâlesourire.Macla
pritdanssesbrasetlaserracontrelui.—Çavaaller,Emma,luimurmura-t-ilensentantsoncorpssoudainsecouédesanglots.Personnene
s’attendàunetelletragédie.Tousceuxquiviventavecleschevauxlesaimentetontdumalàadmettrequ’ilspuissentcauserunaccidentaussiviolent.Maiscen’ensontpasmoinsdesanimauxattachants,Emma,etDragon’sSoulestunboncheval.Ellereculad’unpaspourledévisager.—Commentpouvez-vousdirecelaalorsqu’ilvientdefracasserlecrânedeVictor?—Jen’aipasvudesangsursessabots,nisursesfers.—Etes-vousentraindedirequecen’étaitpasunaccident?—Jedissimplementque,quandleshérifseralà,jeluidemanderaidefairedesprélèvementssur
lessabotsdeDragon’sSoulpourquenousenayonslecœurnet.Illuipassadoucementlamainsurlajoueetelleinclinalatêtepours’abandonneràsacaresse.Il
sentitledésirmonterenluimaissecontentadeluidéposerunbaisersurlefront,avantdelaprendreparlamain.Tousdeuxrepartirentverslamaisonalorsquelejourcommençaitàselever.
***
EmmaremplitdepuréeleseaudeNavigatoretleregardaplongerlatêtededansavecentrain.—Tuadoresça,toi,hein?luidit-elleenlecaressant.Pofites-en,car,lasemaineprochaine,tuseras
officiellementcomplètementremis.—Vousparlezàvotrecheval?Etquevousraconte-t-il?EllelevalesyeuxetvitMacquil’observaitpar-dessuslagrilledelastalle,lesourireauxlèvres.—Ilmedemandes’ilpeutenavoirencore.—C’estbiencequejepensais.Illuiouvritlagrillepourlalaissersortir.—LeshérifWilkesvientd’arriver.Ils’estrenduàl’annexeavecRahulpourapprendreaurestede
l’équipequeVictorasuccombéàsesblessures.—Oh!non…
Emmasentitsoncœurseserrer.—A-t-onprévenusafamille?—Jenesaispas.Vousenavait-ilparlé?—Non.Maisjen’aijamaisprisletempsnonplusdeluiposerdesquestionsàcesujet.Elleressentaitdelaculpabilitéetétaitauborddeslarmes.—J’auraisdûlefaire,etjemesensdésoléepoursesproches.Lafamilleestunedeschoseslesplus
importantesquisoient.Perdreunproche,c’estcequ’ilyadepire.LevisagedeMacsecrispa.Emmaeutlacertitudequ’ilavaitétésurlepointdedirequelquechose
àcesujet,maiss’étaitravisé.Ilsecontentadepincerleslèvres.—Wilkesvaveniricipourexaminerlascènedudrame.Souhaitez-vousresterdanslesparages?—Non,j’aid’autresprojets.Detoutefaçon,jecroisquejenesupporteraispasd’entendrerelater
avectouslesdétailscequis’estpassécettenuit.—Jecomprends.Elleluiadressaunfaiblesourireavantdequitterl’écurieetsentitsonregardposésurellejusqu’à
cequ’ellesoitsortie.Mac reporta son attention sur la stalle de Dragon’s Soul. L’étalon noir l’accueillit avec un petit
hennissementets’approchadelagrillepourpasserlatêteetsefairecaresser.Peuaprès,leshérifentradanslebâtiment.—C’estvraimentterrible,cequis’estpassé,dit-ilenrejoignantMac.Jesuisvraimentdésoléque
cesoitarrivéàFirehill.LeshommesdeDagoprétendentqueDragon’sSoulesttrèsagressifetapourhabitudedechercheràfrapperdesessabotsceuxquis’approchentdelui,depréférenceparsurprise.Jesupposequec’estcequiestarrivéàDago.Macsegardad’exprimersonopinion.Ilavaitobservélechevaldeprèsetnecroiraitqueleschoses
s’étaientdérouléesainsiquelorsqu’ilenauraitlapreuveirréfutable.—Venez,jevaisvousmontreroùaeulieul’accident,dit-ilavantdeprécéderleshérifjusqu’àla
stalle. J’ai trouvéVictor ici, expliqua-t-ilendésignantprécisément l’endroitoù ilgisait.Lorsque jesuisarrivé,ilétaitdéjààmoitiéinconscientettrèsfaible.—Qu’avez-vousfaitaprèsl’avoirdécouvert?—J’ai tentéde le réconforterpendantqu’Emmaappelaituneambulance. Ilamarmonnéquelques
parolesincohérentes,et,ensuite,ilacesséderespirer.J’aicherchésonpoulsetjen’enaipastrouvé.Emmam’aimplorédelesauver,alorsj’aitentéunmassagecardiaque,mêmesijesavaisque,danssonétat,c’étaitsansdouteperdud’avance.—Quevousa-t-ilditexactement?— Il a parlé de valise. Il a dit : «Dans une valise. » J’ai pensé qu’ilm’expliquait peut-être où
trouverlescoordonnéesdesonpatronoudesafamille.Jenesaispas.—J’aidemandéàseshommesderassemblersesaffairespersonnellesetdemelesapporter.Ily
avait bien une valise, dont j’ai inspecté le contenu, mais je n’ai trouvé aucune information sur safamille ou autre. Selon ses hommes, ses proches vivent enCalifornie. Par ailleurs, le personnel del’hôpitalm’aremissonportefeuille,quicontenaitsonpermisdeconduireetsalicenced’entraîneur.MacsedemandaquelsenspouvaientavoirlesdernièresparolesdeVictor.
—Au fait, il y a un détail que vous ignorez peut-être au sujet de Victor Dago. J’ai un ami quitravailleaubureaulocalduFBIàLexington,etquiadoncaccèsà labasededonnéesrelativesauxpersonnes détentrices d’une licence d’entraîneur de chevaux au Kentucky. Comme je craignais queVictor et ses hommes soient à l’origine des attaques contre Navigator, je lui avais demandé de serenseigner sur lui. C’est ainsi que j’ai appris qu’il n’y avait aucun Victor Dago enregistré commeentraîneurdansleKentucky.—Salicenceétaitdoncunfaux?—Çam’en a tout l’air, réponditMac qui observa la mine perplexe du shérif. Et en parlant de
falsification,cettenuit,aprèsl’accident,j’aiinspectélessabotsdeDragon’sSoul.Jen’yairemarquéaucune trace de sang. Pourtant, la plaie au front de Victor était profonde. Et vous remarquerezégalementqu’iln’yaaucuneéclaboussuresanglantesurlesparois.Wilkess’approchapourobserver lascènedeplusprès,puissortitunpetitappareilnumériquede
l’unedesespochesetpritunesériedeclichés.—J’aiunkitdeprélèvementsdansmavoiture.Jevaisallerlechercher.Leshérifquittalebox.Désireuxderespirerunpeud’airfrais,Maclesuivit.Lemanquedesommeil
commençaitàsefairesentiretilavaitdeplusenplusenviedeprofiterdel’offred’Emmadeprendresajournée.IlvitRahulsortirdel’annexe,suivid’unautrehomme,etsedirigerdroitverslui.—MonsieurTitus, l’appela-t-il alors qu’il était encore à plusieursmètres. Je viens de parler au
téléphone avec mon employeur au sujet de la mort tragique de Victor. Il m’a demandé de dirigerl’équipejusqu’àlanominationd’unnouvelentraîneur.Nousallonsavoirbesoindeplusdeplacedansl’écurieet,àceteffet, ilm’aautoriséàproposerunloyerplusélevéàMlleClareborn.Mais il fautqu’elledéplacesanstardersonpur-sangdel’écuriequenousutilisons.Macsentitsespoilssehérisser.— Pour le moment, votre contrat de location vous autorise à occuper six stalles. Votre patron
souhaite-t-ildoublercettecapacité?—Oui.Deux chevaux supplémentairesvont terminer leur quarantaine àFrontRoyal, enVirginie,
demainmatin.D’ailleurs,jedoispartirdansquelquesheurespourallerleschercher.Jedevraisêtrederetour aveceuxdans lanuit de lundi àmardi.Si vouspouviezparler àMlleClareborn etme fairesavoirsic’estd’accordàcemoment-là,jevousenseraisreconnaissant.—Trèsbien,jem’encharge,réponditMac,quiregardaRahulrepartirendirectiondel’annexeet
passerdevantleshérifWilkessansmêmeluiadresserunregard.Dagon’étaitmêmepasencoreenterré, etvoilàquece typeprenait les chosesenmain.Certes, il
fallaitbienquel’écuriecontinuedetourner,maisl’attitudedeRahuln’enétaitpasmoinsdérangeante.—SinousneretrouvonspasdetracesdesangsurlessabotsdeDragon’sSoul,vousêtesconscient
decequecelaimpliquera,jesuppose,ditleshérifWilkesquirevenaitavecsonmatériel.—Oui,biensûr.IlsepourraitqueDagoaitétéassassinéetlemeurtremaquilléenaccident.—Oui,maisencorefaudra-t-illeprouver.—Jevousl’accorde.Ceserad’autantplusdifficilequeDragon’sSouln’apaslaréputationd’être
unanimaldocile.Enoutre,hiersoir,aveclefeuetlafumée,toutlemonde,hommesetbêtes,étaitsurles nerfs.MêmeEmma avait peur de s’approcher de lui. Pourtant, ce n’est pas unmauvais cheval,
shérif.Jediraisquec’estleboucémissaireidéal.Deretourdevantlastalle,Macouvritlagrilleetypénétra.Dragon’sSouls’approchadoucementdelui.Illuipassalelicousansdifficulté.—Jevais le tenir pendantquevous ferez lesprélèvements.Vous savez commentvousyprendre
pourluifaireleverlesjambes,n’est-cepas?—Oui,oui.Wilkesouvritsamalletteetensortitlenécessaire.—Quefaites-vous?MactournalatêteetdécouvritRahulàl’entréedelastalle.—LeshérifabesoindefairedesprélèvementssurlessabotsdeDragon’sSoulafindedéterminer
s’ilsportentdestracesdesang.Wilkesseredressaetseretournapourfairefaceaunouveauvenu.—C’estlaprocédure.Etantdonnéqu’iln’yapasdetémoins,jedoisrechercherdespreuvesavant
detirerdesconclusionsdéfinitives.— Je connais la loi. Avant de rechercher des preuves, vous devez obtenir unmandat. Faute de
mandat, vous devez avoir au minimum l’autorisation du propriétaire du cheval pour effectuer desprélèvementssurlui.Jemetrompe?rétorquaRahulendévisageantleshérifavecunregardnoir.Macsesentitmalàl’aise.— Non, vous ne vous trompez pas, répliquaWilkes. Dragon’s Soul n’ayant pas la capacité de
donner lui-même son consentement, je dois en effet obtenir celui de son propriétaire. Faute de cetaccord,jedevraiattendrequelebureauduprocureurmedélivreunmandat.Macserralesdentsenvoyantl’expressiondesatisfactionquisepeignitsurlevisagedeRahul.—Eh bien, en tant que fondé de pouvoir du propriétaire deDragon’s Soul, je vous donnemon
accord,shérif.Maisjedoisvousavertirque,cematin,j’aidemandéàKarifdenettoyerlessabotsdel’étalonavecune solution antiseptiquepour éviter la formationdemycoses. Je crainsdoncquedespreuveséventuellessesoientévaporées,ditRahul,quitournalestalonssansattendrederéponse.—Jesuisdésolé,shérif,déclaraMac,dépité.— Ce n’est pas votre faute. Mais il dit vrai ; il n’y a aucune chance de découvrir des traces
éventuelles,réponditleshérifquis’agenouillapourrangersonmatériel.Tiens,qu’est-cequec’estqueça?ajouta-t-ilenapercevantlablessuresurlepoitraildeDragon’sSoul.— J’ai remarqué cette coupure cette nuit. Je ne sais pas comment il s’est blessé, mais c’est
superficiel.—C’estbizarre,ondiraitqu’elle a été faite avecuncouteau, remarqua le shérif.Lesbords sont
nets,iln’yapasdepeauarrachée.Avez-vouspassésonboxenrevue?—Pasdansledétail,maisj’airegardés’ilavaitpuseblessertoutseul,sansrienvoir.J’aipensé
quec’étaitpeut-êtreVictorquil’avaitcoupéenessayantdesedéfendre.— Mais alors, pourquoi ne serait-il pas tout simplement sorti de la stalle ? Quand un cheval
s’énerve,lapremièrechoseàfaire,c’estdedétaler,réponditWilkes.ParmilesaffairesdeVictor,iln’yavaitpasdecouteau.Peut-êtreest-iltoujoursdanslebox.
—Avons-nous besoin d’unmandat pour vérifier ? demandaMac, peu désireux de formuler unenouvellerequêteauprèsdeRahul.—L’écurieestlapropriétéd’Emma.Unsimpleaccordverbaldesapartsuffira.—Bien.Jevaislachercher,ditMacenpartantverslamaison.
***
EmmaregardaitMacfouillerméticuleusementdans lapailleduboxà l’aided’unefourche, tandisqueleshérifWilkesprenaitdesphotosdetouslesrecoins.Ils avaient déjà sorti la paillemaculée du sang deVictor,mais un simple regard du côté où ils
l’avaienttrouvésuffisaitàluiretournerl’estomac.Soudain, ily eutunpetitbruitmétallique, etMac s’immobilisapourvoir cequ’il avait accroché
avecsafourche.Emmas’approchapourvoirégalement.—Tiensdonc!s’exclamaleshérifquis’étaitagenouilléàcôtédeMac.C’étaitunpetitcanifdontlalameétaitouverte.Etelleétaitcouvertedesang.Wilkespritunephotopuisrangeasonappareildanssapoche.—Jesuiscurieuxdesavoircequelelabopourranousapprendresurcecanif,déclara-t-il.Ilya
beaucoupdesangsurlalame,alorsquelablessuredeDragon’sSoulestbénigne.C’estassezétrange.Macsefaisaitlamêmeréflexion,maissetut.Cequi,quelquesheuresplustôt,avaittouslesaspects
d’un dramatique accident se transformait peu à peu en crime,mais il n’avait pas envie d’inquiéterdavantageEmmapour lemoment.Même s’il était certainqu’elle enviendrait aux conclusions touteseule.Wilkessortitungantencaoutchoucainsiqu’unsachetplastique.Ilpassalegantetramassalecanif
qu’ilplaçadanslesachetavantdelerefermer.—JevaisdemanderuneautopsieducorpsdeVictor.Plusieurspointsontbesoind’êtreéclaircis,
l’enquêtenefaitdoncquedébuter.Macpoussaunsoupir,sortitdelastalleetposasafourchecontrelaparoi.Ilétaitinquiet.—Quepouvons-nousfairepourvousaider?—Faitesattentionàvous,c’esttoutcequejevousdemande,réponditleshérif.Appelez-moisivous
repérezlemoindreagissementsuspectousivousvoussentezendanger.Jedevraisavoirlesrésultatsd’analysesd’iciàlafindelasemaineprochaine.Emmaavaitlevisagefermé.Sonfrontplissérévélaitsoninquiétudeàelleaussi.Macs’approchad’elleetluipassadoucementlamaindansledospourlaréconforter.L’idéequ’un
assassinrôdaitpeut-êtresurlesterresdeFirehilln’avaitrienderassurant.—J’ai été engagépourveiller surNavigator et,maintenantqueMcFarlanea été arrêté, jepense
qu’ilnecraintplusrien.Quoiqu’ilensoit,jeresteraiaussilongtempsqu’Emmaaurabesoindemoi.—Jesuisheureuxdel’entendre.Demoncôté,jedemanderaiqu’unepatrouillecontinuedepasser
chaquenuitsurledomaineduranch.
—Merci, shérif,ditEmma.Au fait…j’ai finiparme rappeleràquelleoccasion j’avaisdéjàvuCraigMcFarlane.C’estluiquiconduisaitletracteurquiestvenulivrerlesréservesdefourragepourNavigator.— Voilà qui expliquerait comment la butazolidine s’est retrouvée mélangée à la nourriture de
plusieurs ranches du secteur. Je vaisme renseigner demanière plus approfondie sur lui.Oh !maisj’oubliaisdevousannoncerquevousallezrecevoirchacunlamoitiédelarécompensepromisepourlacapture du saboteur ! Suite à l’arrestation de McFarlane, à ses aveux et à ceux de Brad Nelson,l’affaireestofficiellementclose,déclaraleshérif.—Vingt-cinqmilledollarschacun?demandaMacenprenantEmmaparlamain.—Mince,nemeditespasque j’aioubliédevousavertirque lemontantde la récompenseavait
encoreétédoublé?—Maissi,nousl’ignorions,réponditMacavecungrandsourire.—Ehbien jem’enexcuse.Donc,vousvousverrezchacunremettreunchèquedecinquantemille
dollars.Passezleprendreàmonbureauquandvousvoudrez,àpartirdemardi.Al’annoncedelasomme,Emmasesentitdéfaillir.Maclarattrapa.Leshérifleursouritpuispartitverssavoiture.
11
Le lendemain, dès le lever du jour, Emma se rendit à l’écurie afin d’avoir une idée précise desdégâtscausésaubâtiment,etécoutaMacluifaireuncompterendu.—D’aprèslecapitainedespompiers,lastructureestintacte,etlatoituren’apasétéendommagée.
Seulelaparoiextérieurelatéraledevraêtreremplacéeet,biensûr,ilfaudranettoyerl’intérieuràfondpour chasser l’odeur de fumée. Je vais donc appeler sans tarder une entreprise de nettoyage.Nousavonsdelachancequelefeun’aitpasprisdanslesfenils,sansquoil’ensembledubâtimentauraitététouché.—J’aisurtouteudelachancequevousayezétélàpourarrêterMcFarlaneetfairesortirNavigator
à temps.Etiez-voussérieux,hier, lorsquevousparliezderester? luidemanda-t-elleavecunregardgrave.—Absolument. Tout danger est loin d’être écarté. Nous ne savons toujours pas qui a saboté le
tracteurniqui a installédes camérasdans l’écurie.Et si le shérifWilkesdétermineque lamortdeVictorn’étaitpasunaccident…Ils’avançaverselleetlapritparlesépaules.—Jen’aiaucuneintentiondepartirtantquejeneseraipascertainquevousnerisquezplusrien.LecontactdesmainsdeMacsursesépaulesluifitdubien.— Je ne veux pas que vous partiez,Mac, dit-elle en le regardant droit dans les yeux. Firehill a
besoindevous…J’aibesoindevous.Elle posa brièvement le regard sur ses lèvres, semit sur la pointe des pieds, ferma les yeux et
l’embrassa.Mac sentit le désir s’emparer de lui avec une force dévastatrice. D’instinct, il referma les bras
autour d’elle et la serra contre lui. Il rendit leur baiser plus intense et laissa sa langue explorer sabouche,luiarrachantungémissementdeplaisir.Ilavaitterriblementenvied’elle.Chaquefoisqu’ilétaitavecelle,ilsesentaitapaisé,saprésence
étaitpareilleàunbaumesursonâme.Pourtant,ils’efforçademettrefinàleurbaisersanspourautantdesserrersonétreinte.Illuicaressalescheveux,inhalantsondouxparfum.—Jen’aipasledroitdevousdésireràcepoint.Emmalevalatêteetlefixadesesyeuxnoisette.—Pasledroit?Aucontraire,vousaveztouslesdroits,Mac.Elletenditlamainetlapassasurlacicatricelelongdesajoue.—Jememoquequevousayezétéblesséouquevousayezperduunepartiedevotreaudition.Macserralesdentsetluttacontrel’enviedes’enfuirencourant.L’entendreparlerdesonaccident
luidonnaitlesentimentd’êtremisànu.—Ça ne change rien, poursuivit-elle.Quoi qu’il vous soit arrivé, vous êtes toujours lemême à
l’intérieur,n’est-cepas?Vousêtesquelqu’undebien,vousêteshonnête.Vousprotégezlesgens,vousleursauvezlavie.Peud’hommessontcapablesdetelssacrifices,etvousméritezbiend’êtreheureux.Ellemettaitàmaltouslesprincipesdeviequ’ils’était imposés:accepterunemission, toutfaire
pourlameneràbien,puisrepartir,sansjamaiss’attacher.Ilouvritlesyeux,pritsamaindanslasienneetlaserra.Lentement,ilramenasamainlelongdeson
corps,sanslaquitterduregard.Illalâcha,maiscegestenesemblapasl’avoirdécouragée.Unsourireterriblementsexyauxlèvres,elledéclara:— Ce soir, je compte organiser un petit dîner à la maison pour fêter la fin des attaques contre
Navigator.J’aimeraisquevousypreniezpart.C’estgrâceàvousqu’ilestsainetsauf.Reposez-vous.Jevousattendsà19heures.Incapable de formuler unequelconqueprotestation,Mac la regarda s’éloigner.Comment pouvait-
ellel’avoirenvoûtéàcepoint?Ilpritalorsconsciencequ’ilportaitunfardeau trop lourdpour luidepuisbien longtemps.Depuis
sonenfance,peut-être.C’estpourquoiildevaitàEmmadetoutluiavoueràsonsujet.IldevaitluidirequePaulCalliway,unhommequidétestaitThadeousClareborn,quiavaitjurédesevengerdeFirehillFarm,étaitsonpère.Il sortit de l’écurie et se dirigea vers l’annexe en se demandant commentEmma réagirait à cette
révélation. Il se sentait mal. Emma était d’une franchise totale, alors que lui n’avait pas étécomplètementhonnêteavecelle.Enarrivantà laportede l’annexe, ilse rappelaqu’iln’avaitpasencoreeu le tempsd’yremettre
vraimentdel’ordredepuisqu’ilavaitdécouvertqu’onl’avaitfouillée.Ilpoussaunsoupird’exaspérationetouvrit.Il futaccueillipar leparfumd’Emmaqui flottaitdans lapièce impeccablement rangée.Elleavait
trouvéletempsdevenirtoutnettoyersansqu’ilaitàs’enoccuper.Ilposaleregardsurlacouetteenpatchworkquirecouvraitlelitetsesentitextrêmementredevable.Commentdiablefaisait-ellepourtoujoursdevinercedontilavaitenvie,mêmequandiln’endisait
rien?
***
Emma plaça la dernière assiette dans le lave-vaisselle, mit l’appareil en marche et éteignit lalumièredelacuisineavantd’allerrejoindreMacetsonpèrequidiscutaientdecequidistinguaitunbonchevald’ungrandcheval.—Amon avis, ce qui fait la réussite d’un cheval, c’est le tempérament, Thadeous. Prenez deux
chevaux aux capacités physiques identiques, entraînez-les de la même façon, et vous verrez ladifférence.Celuiquialeplusdetempéramentdonneratoutlorsd’unecourse,etlaremporteramêmesi,apriori,iln’estpasleplusfort.PensezparexempleàSeabiscuitouàCanoneroIIquiaremportélederbyen1971,alorsqu’auxdeuxtiersdelacourseilétaittrèsenretard.Questiondetempérament.Emma s’installa sur le canapé, face àMac, et observa ses yeuxbleus qui pétillaient d’excitation
tandisqu’ilconfrontaitsonpointdevueàceluidesonpère.
—Moijecroisquerien…neremplacel’élevage.Jen’aijamaisachetéunchevalàcausedeson…tempérament. On peut toujours… leur apprendre à courir, mais mieux vaut avoir… un cheval quidescend…d’unegrandelignée.Maclaregardaetluiadressaunpetitsourireavantdereportersonattentionsursonpère.Ilsemblait
sincèrement prendreplaisir à la conversation, et elle se demanda comment il avait appris à si bienconnaîtreleschevaux.Ilétaitbienplusqu’unamateuréclairé.—Jevousl’accorde.Siunchevaladebonsascendants,c’estunplus.Maisc’estsontempérament
quiferadeluiunchampionoupas.—Quelqu’unreprenddudessert?intervintEmma.Sonpèreeutunpetitrireetsecoualatêteensignederefus.—Non,merci…machérie.Jevaisallerregarder…unpeulatélévision…dansmachambreavant
dedormir.Macselevaets’avançaverslevieilhomme.Tousdeuxseserrèrentchaleureusementlamain.—Revenezunde…cessoirs,Mac.Çafait longtempsqueje…n’avaispaspassé…unaussibon
moment.—Avecplaisir,réponditMac,quileregardaactionnersonfauteuilpours’engagerdanslecouloir.ThadeousClareborn était quelqu’un d’attachant. Il avait toujours l’esprit vif, et en connaissait un
rayon sur les chevaux. Il avait même contribué à écrire quelques-unes des plus belles pages descourseshippiquesduKentucky.—Ilrestedel’applepieetdelaglaceàlavanille,ditEmma.Envoulez-vous?—Vousmegâtez,Em’,maisnonmerci.Jesuisrepu.—Peut-êtreplustard,alors,aprèsquevousm’aurezaidéeàdécorerlesapindeNoël.Iljetauncoupd’œilverslescartonsempilésdansuncoindusalonetsurlesquels«DécoNoël»
était inscritaufeutre. Il fallaitqu’il laissesesréticencesconcernantNoëldecôté,aumoinscesoir.Etantdonnéqu’ill’avaitdéjàaidéeàcouperetàtransporterlesapin,ilétaitnormalqu’ill’aideàledécorer.—Dites-moicequejedoisfaire.—Jevaissortir lesdécorationsaufuretàmesureetfaire le tri.Unefoisquetoutseraenplace,
nousinstalleronslesapindevantlafenêtre.Unedemi-heureplustard,MacregardaitEmmafinirdedisposeruneguirlandelumineuseautourde
l’arbre.Elledescenditdutabouretsur lequelelleétait juchéeetfouilladansuncartondontellesortitune
étoilequ’elleluitendit.—Aimeriez-vousposerladernièretoucheausommetdusapin?Il la prit et ne put refouler l’émotion qu’il avait tenue à distance toute la soirée. Les Clareborn
étaientdesgensextrêmementchaleureuxet,chezeux,onsesentaitchezsoi.—Jelametstoutenhaut?demanda-t-il,sesentantmaladroit.—Oui,réponditEmmaquil’observait.
Ilavaitlesyeuxposéssurl’étoileetlaregardaitcommesic’étaitlapremièrefoisqu’ilenvoyaitune.—Sivousnetenezpasàlefaire,nevousforcezpas,ajouta-t-elleenluiposantlamainsurl’avant-
bras.Leursregardssecroisèrentetellesedemandacequilefaisaithésiteràcepoint.—Si,jeveuxlefaire,répondit-ilenmontantàsontoursurletabouret.Commeça,çava?—Unpeuplussurlagauche,dit-elleensemettantdansl’axedusapin.Voilà,parfait!Mac descendit du tabouret et chercha à se détendre et à profiter de ce moment qu’il passait en
compagnied’Emma.Lefaitque,danssajeunesse,Noëlaittoujoursétéunepériodeéprouvanten’avaitplusd’importance.Ilétaittempsdetireruntraitsurlepasséetdeprendreunnouveaudépart.—Qu’ya-t-ild’autreàfaire?Jesuisprêt.Ilsrectifièrentensembleladispositiondequelquesguirlandesjusqu’àceque,enfin,lesapinbrille
demillefeux.Emmasouriaitcommeunegamine.Macsesentitsoudainlecœurserré.Pourelle,Noëlétaitimportant,c’étaitunepériodejoyeuse.—IlfautquejepassevoirNavigator,annonça-t-iltoutàcoup.—Non.Pasavantd’avoirsacrifiéàunetraditiondelafamilleClareborn.—C’est-à-dire?—Boireunetassedechocolatchaudàlamenthedanslabalancelledevantlafenêtre,àlalumière
desguirlandesdusapin.—Ehbien,jem’yprêteraiavecplaisir.Ellepartitverslacuisineetenrevintdixminutesplustardavecdeuxmugsfumants.—Vousvoulezbienbrancherlaguirlande?Ilsefaufiladerrièrelesapin,pritlecordonélectriqueetlebrancha.Puisilseredressaetcontempla
lespectacle.—C’estmagnifique,Mac!s’exclamaEmma,ravie.Merci.—C’estplutôtmoiquidevraisvousremercierpouravoirremisl’annexeenordre.—Derien.Jesavaisquevousétiezépuisé,alorsc’étaitlamoindredeschoses.Ilsmirentleursmanteaux,aprèsquoiMacpritlestassesetilssortirent.Emmas’installasurlabalancelle.Illuitenditunmugavantdes’asseoiràsontour.—Jedoisvousparler,Emma.—Meparler?Ehbien,jevousécoute.—Cematin,Rahulm’aannoncéquec’étaitluiquiprenaitprovisoirementlasuccessiondeVictor.—Ahoui?Personnellement,jen’yvoispasd’inconvénient.—Ilm’aaussidemandédevousdirequesonpatronsouhaiterait augmenter lenombredestalles
qu’il vous loue. Mais le problème, c’est que ça signifie qu’il faut trouver une autre place pourNavigator.—Mais c’est absurde !Rahul sait pertinemment que, tant que l’écurie principale n’aura pas été
remiseenétat,jen’aipasd’autreendroitoùlelaisser.JenepeuxpaslemettreavecDandyetOliver,
danslepetitbâtimentprèsduhangar.C’estdéjàjustepoureuxdeux…Detoutefaçon,jenelesavaismis là que pour que Navigator soit seul pendant sa dernière phase d’entraînement. Normalement,j’auraisdûlesinstallerdansl’écuriesecondaire.—Apartirdelundisoir,ilsaurontbesoindedeuxstallessupplémentaires,carRahulvachercher
deschevauxàFrontRoyal.Ilvousalaisséjusqu’àsonretourpourluidonneruneréponse.—Bien.Mardi,jevaisrecevoirunchèquedecinquantemilledollars.Danscesconditions,jeferais
peut-êtremieuxde répondreàRahul et à l’émirque jene souhaitepas renouveler leurbail.Si j’aiaccepté de leur louer une partie de l’écurie, c’est parce que j’étais aux abois.Mais la situation achangé.—Jesais,ditMac,quin’enétaitpasmoinspréoccupé.SiRahulsevoyaitsignifiersoncongé,chercherait-ilàsevengerd’Emmaouquitterait-il le ranch
sansfaired’histoires?—LeDrRemingtonvousa-t-ilrappeléepourvousdonnerlesrésultatsdesdernièresanalysesde
Navigator?—Non,ildoitlefairedemainmatin.—Nousdevronscontinuerlerégimejusqu’aumilieudelasemaineprochaine.Acemoment-là, il
aurasansdoutetotalementéliminélabutazolïdine.—Jel’espère.Aufait,mercid’avoirdiscutéavecmonpèrecesoir.Celafaisaitlongtempsquejene
l’avaispasvuaussienthousiaste.—J’aibeaucoupappréciémaconversationaveclui.Mac but une dernière gorgée de son chocolat, puis inhala une bouffée d’air frais. Il était bien.
Rarementils’étaitsentiaussibien.—Jevaispasservoirnotrechevalavantd’alleraulit,déclara-t-ilensepenchantversEmmapour
observerlerefletdelaguirlandedanssonregard.J’aibeaucouprepenséàcequevousm’avezditcematin,etçam’arappeléautrechosequevousm’avezditilyaquelquesjours,ajouta-t-il.—Çaal’airsérieux,sij’enjugeàvotreton.—Oui,entoutcasçal’était.Ilyaquelquesjours,vousavezfaitunecomparaisonentremavolonté
derecouvrermonauditionetvotreespoirdevoirNavigatordevenirungrandchampion.Depuis,j’aiévolué.Jenerécupéreraijamaistotalementmonoreillegauche,etj’enprendsmonparti.Enrevanche,votrechevalpeutremporterlederby,etc’estçaleplusimportant.Illuidéposaunpetitbaisersurleslèvres,puisselevaetluitenditsonmugvide.—Bonnenuit,Emma.—Bonnenuit,Mac.Elleécoutalebruitdesesbottessurlesmarchesduperronpuisleregardas’éloigner,jusqu’àceque
lanuitledissimulecomplètementàsavue.Jouraprèsjour,elleétaitdeplusenpluséprisedelui.Elleselevaetallarincerlesmugsdanslacuisine.
***
Macfourralesmainsdanslespochesdesonmanteauetsedirigeaversl’écurie,leregardfixésurlafaiblelueuràl’intérieur,maislespenséestoujourstournéesversEmma.Lorsque des éclats de voix étouffés lui parvinrent, il s’arrêta pour écouter et déterminer d’où ils
venaient.Danslatravéecentrale,deuxdespalefreniersdeDagodiscutaientenarabeavecanimation.D’instinct,Macseméfia.Retournantquelquespasenarrière,ilsemitàl’abridelahaieetattendit.
Dèsquelesdeuxhommesseraientpartis,iliraitvoircommentallaitlepur-sangpuisiraitsecoucher.Ilperçutalorsdumouvementsurlagauchedel’écurie.Qu’était-ce ? Une ombre ? Quelqu’un qui se déplaçait ? Il n’en était pas sûr. Enfin, il discerna
clairementlasilhouetted’unhommehabilléennoirquis’approchalentementdel’entréeavantdeseplaquercontrelaparoi.Ecoutait-illuiaussilesdeuxpalefreniersquidiscutaientàl’intérieur?L’esprit en ébullition, Mac resta immobile. Jamais il n’avait envisagé que quelqu’un pouvait
espionner également l’écurie de Dago. Cela signifiait-il que, là aussi, il y avait des caméras desurveillance?Lesdeuxpalefreniersfinirentparquitterl’écurieetsedirigèrentversl’annexetoutencontinuantà
parlervivement.Macrestaconcentrésurl’hommeennoir.Sur sa droite, il entendit la porte de l’annexe se refermer, mais n’y prêta pas attention. Il était
déterminéàsavoircequefaisaitcetype.Cedernierpritladirectiondel’annexe.Mac se recroquevilla le plus possible derrière la haie. L’homme passa tout près de lui avant de
bifurqueretderemonterl’alléemenanthorsduranch.Lentement,Macseredressaetsortitdesacachette.Arrivéàsontourdansl’allée,ilsemitàplat
ventredansl’herbeetvitl’hommeatteindrelaroute.Ilentenditalorsunbruitdemoteuretaperçut lecontourd’unecamionnettedecouleursombrequi
arrivait,tousphareséteints.Elles’arrêtaàlahauteurdel’allée.Ilperçutlecoulissementd’uneportelatéralequ’onouvraitpuisrefermait.Lacamionnetterepartitet,
quelquesinstantsplustard,lesilenceretomba.Macserelevaetfitdemi-tourversl’écurie.S’ilavaitvujuste,ilneluifaudraitpaslongtempspour
trouvercequ’ilcherchait.Ilentradansl’écurie,s’assuraqu’ilétaitseul,puisrefermalaportederrièrelui.Cetteécurieétaitnettementpluspetitequel’autreetnedisposaitqued’unfenil.IlapprochadelastalledeNavigatoretobserval’animal.Ildormaittranquillement.Rassuré,Macgrimpaàl’échelledufenilquiétaitremplidepaille.Ilnerestaitqu’unpetitespace
surladroiteoùilétaitpossibledeseglisser,cequ’ilfit.Delàoùilétait,ilavaitunevued’ensemblesurlesstalles.Aquatrepattes,ilcommençaàbalayerlapaille.Trèsvite,iltombasurcequ’ilcherchait:unpetit
boîtiernoirglisséentredeuxplanches,reliéàuncâble.L’écuriedeDago,devenuel’écuriedeRahul,étaitelleaussisoussurveillance.Ilsentitl’appréhensionrevenir.Ceuxquiétaientàl’autreboutdelacaméraavaientcertainementété
témoins du meurtre de Victor. Que diable se passait-il ici ? Et pourquoi espionnaient-ils FirehillFarm?—Hé!Macrelevabrusquementlatêteets’aperçutqu’undesdeuxpalefreniersqu’ilavaitsurprisunpeu
plustôtentraindediscutersetenaitaupieddel’échelleetledévisageaitd’unregardnoir.—Descendez!ordonnal’hommeàgrandrenfortdegestes.Maclevalesmainsensigned’apaisementpuisdésignaunebottedepaille.—Ducalme,ducalme…J’aiseulementbesoindedescendreunebotte,dit-ilenmontrantdudoigtla
stalledeNavigator.Lepalefreniersemblaalorscomprendreàquiilavaitaffaire.Ilacquiesçadelatêteetrecula.Macpoussaunebottedefoindupiedpourlafairetomberetrecouvritdiscrètementlecâbledela
caméra.L’hommeenbasdel’échellesaisitlabotteparlesficellesetlatirajusqu’àlastalledeNavigator.Toujourssursesgardes,Macdescenditdufenil.Postéfaceaubox,brascroisés,l’hommel’observaitcommes’ilcherchaitàlireenlui.Avecleplus
denaturelpossible,Macsortitsoncanifetcoupalesficellesdelabotte.IlouvritlagrilledelastalledeNavigatoretcommençaàydéposerdelapaille.Lepalefrenierleregardafaire,impassible.Macrefermaensuitelagrilleetsetournaversl’homme.—Merci,dit-ilendésignantlabottedepaille.L’hommeacquiesçamaisnebougeapas,commes’ilrestaitenfactionpourprotégerunquelconque
secret.Tandisqu’ils’enallait,Macsentitleregarddel’hommesurluijusqu’àcequ’ilsoitsorti.Cen’étaitpasnormal.Ilsepassaitquelquechose,etc’étaitsérieux.
***
Emmadébranchalaguirlandelumineuseetsedirigeaverslachambredesonpère,l’esprittoujourstournéversMac.Elleentendit le sonde la télévisionet songeaqu’elleallait sansdoute trouver sonpèredans son
fauteuil,endormidevantleposte.C’étaitdevenuunesortederoutinepourelled’éteindrelatélévisionetd’aidersonpèreàsemettreaulit.—Papa,ilestprèsde23heures,dit-elleenentrantdanslapiècepourallerfermerlesrideaux.—Emma.Viensici.Jevoudraiste…montrerquelquechose.
Ellemit lesplisdu rideauenplacepuis s’approchade lui. Il avaitunephotoencadréeentre sesmains.—Jen’étaispassûr…maiscesoir…messoupçonssesont…confirmés.Inquiète,Emmas’agenouillaàcôtédesonpère.—Dessoupçons?Aproposdequoi?—Displutôt…àproposdequi.Illevalaphotoqu’iltenaitetellelaluipritpourlaregarder.Ellereprésentaitunchevalquivenaitderecevoirsacouronnedevainqueurd’unecoursehippique.—C’estSmoothSailingaprèssavictoireauClarkHandicapdeLouisville,non?Sonpèreacquiesçapuistapotalecadreavecvigueur.—Lui…Regarde-le.Emmaapprochaleclichédelalampeetobserval’hommedésignéparsonpère.—Quiest-ce?—Paul…Calliway.—Incroyable!PaulCalliwayaentraînéSmoothSailing?—C’étaitsonpropriétaire…Ilagagnélacourse…et,ensuite,jeluiai…achetésoncheval…aux
enchères.Lui,ilajuré…qu’unjouril…détruiraitFirehill.Emmaexaminal’hommesurlaphoto.IltenaitlesrênesdeSmoothSailinget,àcôtédelui,unpetit
garçonsouriaitfièrement.Ilavaitunairfamilier…Elleseconcentrasurluietcompritenfinpourquoisonpèreavaitinsistépourqu’elleregardelaphoto.Lepetitgarçonn’étaitautrequeMac.Ellelevalesyeuxverssonpère,lagorgeserrée,auborddeslarmes.—MacTitusestlefilsdePaulCalliway?—Etl’ennemide…Firehill.
12
Emmaseretournadanssonlitpourlaénièmefoisetfinitparseredresser.Elletenditlebraspourallumersalampedechevetetpritlaphotoencadréeposéesurlatabledenuit.Commentavait-ilosé?CommentMacavait-ilpuluimentir?SonpèreluiavaitracontéquePaul
Calliway,ayanteulesentimentd’êtretrahi,avaitjurédesevenger.Depuis,ellenecessaitderetournercettehistoiredanssatête.Macétait-ilvenuàFirehilldanslebutd’accomplirlapromessedesonpère?Etpourquoiportait-il
unnomdefamilledifférent?Pouréviterd’éveillerlessoupçons?Ellepassaledoigtsurlaphotoetcontemplalesouriredupetitgarçon.Uneseulepersonnepouvait
larenseignersurlesintentionsquil’animaient,etellen’allaitpasattendrepluslongtempspourtirerleschosesauclair.Repoussantlescouverturesd’ungestedécidé,elleselevaetmitsarobedechambre.Il était 2 heures dumatin, mais elle s’enmoquait. Il avait trahi sa confiance, et maintenant elle
voulaitlavérité.Ellepritlaphotoetpartitpourl’annexe.
***
TroiscoupssecsfrappésàlaportetirèrentMacdesonsommeil.Ilseredressabrusquementetconsultal’heureàsonréveildigital:2h11.Ilalluma,inquiet.Yavait-ilunproblèmeàl’écurie?Ilselevaets’enroulaunecouvertureautourde
lataille.—J’arrive,dit-ilennouantlacouvertureavantd’allerouvrirlaporte.IlseretrouvafaceàEmma,enrobedechambre,quiluiadressaunlongregardsévère.Troplong,et
tropsévère.—Emma?Quefaites-vouslà?Navigatorvabien?Elleentradanslapiècesansattendrequ’ill’yinvite.—Lechevalvabien.Maisnousavonsdeschosesànousdire,Mac.Ilrefermalaporteetlaregardaposerunephotoencadréesurlatablepuissefrotterlesmainspour
seréchauffer.—Ilfaitfroid,cettenuit,dit-elled’unevoixfaible.Macneputs’empêcherdeposerlesyeuxsursesseinsqu’ilvoyaitpointersouslafineétoffedesa
robedechambre.Ils’efforçadedétournerleregardetsemitenquêtedesonjean,posésurundossierdechaise.—Laissez-moiuneminutepourm’habilleretvouspourrezm’expliquercequivoustracasse,Em’.
—Nem’appelezpasainsi,s’ilvousplaît,répliqua-t-elle,lesyeuxhumides.—Vousai-jecausédutort?demanda-t-ilens’approchantd’elle.Sonregardseposaalorssurlaphotoqu’elleavaitapportée.IlsentitsoncœurmanquerunbattementLamalédictionétaitderetour.Ilpritsonjeanetsedirigea
verslasalledebains.Emma le regarda s’éloigner et se délecta malgré elle du spectacle de son torse musclé. S’il ne
mettaitpaségalementunechemise,jamaiselleneparviendraitàseconcentreretàluidiresesquatrevérités,commeellecomptaitlefaire.Elleinspiralonguementpours’armerdecourageetpritlaphotoqu’elleserracontreellecommeun
bouclier.Macsortitdelasalledebainsetpassadansl’espacecuisine.—Voulez-vousboirequelquechose?—Non,merci.Detoutefaçon,nousn’enavonspaspourlongtemps.Ilhochalatêteetluifitface.Emma déglutit et tenta de ne pas s’attarder sur ses abdominaux bien dessinés et terriblement
attirants.—Cesoir,aprèsvotredépart,monpèrem’amontréceci,commença-t-elled’unevoixmalassurée
enregardantlaphoto.Pourquoi,Mac?Jevousfaisaisconfiance.Pourquoinepasm’avoirditquevousétiezlefilsdePaulCalliway?— Parce que je savais que cela occasionnerait une scène comme celle-ci, répondit-il d’un ton
fataliste.Lenomdemonpèreatoujoursétésynonymedeproblèmes.—Voussavezqu’ilavaitjurédesevengerdeFirehill?—Oh ! que oui ! Je ne sais combien de fois j’ai dû l’écouter ruminer ses projets de vengeance
contrevotrepèreparcequ’il luiavaitvoléSmoothSailing.C’estdumoinsainsiqu’ilprésentait leschoses.Ildésignalaphotoets’approchad’Emmapour la luiprendredesmainset lacontemplerd’unair
mélancolique.—Cecheval,c’étaittoutelafiertédemonpère,Emma.Aprèsl’avoirperdu,iln’aplusjamaisété
lemême.LaveilledeNoël,cetteannée-là,ilabujusqu’ànepluspouvoirtenirdebout.Jenesavaispluscommentfairepourleconvaincredequitterlebar.Ilestmortquelquesmoisplustard,rongéparl’alcooletlarancœur.IlposalaphotosurlatableetregardaEmmadroitdanslesyeux.Ellecherchaitsanssuccèsàretenir
seslarmes.—J’aitraînécefardeautrèslongtempsavantdecomprendrequemonpèreétaitunhommeamer,et
que je ne devais en aucun cas suivre ses traces. Sa rancœur était la sienne, Emma, pas lamienne,continua-t-ild’unevoixétrangléeparl’émotion.Jamaisjenevousferaisdemal,niàvousniàvotreranch.Pourtoutvousdire,jamaisjenemesuissentiautantchezmoiqu’ici.Unelarmeroulasurlajoued’Emma.Déterminéàen finiraveccemalentenduetàexprimer toutcequ’il avait sur lecœur, il tendit la
mainpourluiessuyerlajoue.
—Dites quelque chose, Emma, je vous en supplie ! Demandez-moi de partir, demandez-moi derester,peuimporte,maisnerestezpassilencieuse.—Vousavezchangédenom…—Mamères’estremariéecinqansaprèslamortdemonpère.J’aiprislenomdemonbeau-père
pour me débarrasser de tout ce qui était associé à celui de mon père.Mais on ne peut jamais sedébarrassertotalementdesonpassé…—Avecmoi,vousn’avezrienàcraindre,votresecretserabiengardé,ditEmmaens’approchantde
lui,émuelorsqu’illapritdanssesbrasetlaserracontrelui.Toussesdoutessedissipèrentetelleselaissaalleràinhalerleparfumdesapeau,àabsorbersa
chaleuràmesurequ’ellesentait ledésirnaîtreenelle.Elleseserradavantagecontre luiet lesentitrespirerplusvite.—Vousdevriezpartir,maintenant,chuchota-t-ilcontresonoreille.Ellefermalesyeuxetcaressasondos,savouralasensationdesesmusclessoussesdoigts.Plusd’unhommeavaittentédelaséduireet,chaquefois,ellel’avaitrepousséenluisuggérantde
s’enaller.Or,cesoir,c’estellequin’avaitpasenviedepartir.Ellevoulaitrester;ellelevoulait,lui.Ellerouvritlesyeuxetleregarda.Detouteévidence,ilavaitdumalàcontenirsesémotions.Ellese
mitsur lapointedespiedset l’embrassadoucement.Asagrandesatisfaction,Macglissa lesdoigtsdanssescheveuxetattirasonvisageverslesien.Illuirenditsonbaiseravecfouguepuis,toutàcoup,détachaseslèvresdessiennesetlascruta.Ce
qu’illutdanssesyeuxfinitdeleconvaincrequ’ilsavaientatteintlepointdenon-retour.Que,cesoir,ceseraittrèsdifficiled’enresterlà.Elleavaitlesjouesenfeu,etilsentaitsesseins,durcisparledésir,presséscontresontorse.Lui-
même n’était plus capable demettre de l’ordre dans ses pensées. Il avait envie de la raisonner et,l’instantd’après,souhaitaitl’entendrehurlerdeplaisir.—Nevousarrêtezpas,Mac,dit-elled’untonpresquesuppliantenpassantlamainsursontorse.— Emma, vous ne comprenez pas… Si nous n’arrêtons pas maintenant, nous ne pourrons plus
revenirenarrière.—Mais je n’ai pas envie de revenir en arrière ! Je veux que vous me fassiez l’amour, ici et
maintenant.EllelaissadescendresamainsurleventredeMacjusqu’àatteindrel’expressiondesavirilitéetfut
subjuguéeparledésirqu’elleavaitsuscitéenlui.Elleeutunsourireabsolumentirrésistible.Commesi sesdoigtsne luiobéissaientplus,Maccommençaàdéfaire lenœuddeceinturede sa
robedechambre.—Vousêtesvraimentcertainequec’estcequevousvoulez,Em’?Unseulmotdevotrepartetje
m’arrête.—N’ysongezmêmepas.Inclinantlatête,elleluitenditsoncouàlapeaulaiteuseetdouce.Lentement,ilécartalespansdesa
robedechambre,dénudasesépaulespuislaissalevêtementglisserausol.Ilattrapaensuitelebasdesacourtenuisetteetlasoulevapourlaluiôterégalement.Complètementnuesoussonregard,Emmafrissonna,intimidée.
—Vousêtesbelle,Em’,murmura-t-ilenluicaressantlajoue.Ellepritsamainetdéposaunbaiserdanssapaume.—Vousêtesvraimentcertaine?Elleacquiesçaetleregardasedébarrasserdesonjeanavantqu’illaprenneparlamainetlatire
doucementverslelitpourl’inviteràs’allongersurlesdrapsfrais.Emmafermalesyeuxetseconcentrasursescaresses.Il semitàeffleurersesseinspuisà lesprendredanssabouche, tandisqu’ellecrispait lesdoigts
danssescheveuxengémissant.Lorsqu’ilglissasamainlelongdesonventreetatteignitsonintimité,elleneputretenirunhalètementetsutalorsqu’elleétaitprêteàlerecevoir.Ilvintsurelleetluiécartadélicatement les jambes. Pendant un instant, Emma eut peur, mais se reprit très vite et sourit denouveau.—Qu’ya-t-il?luidemandaMacquiavaitnotélefugacechangementd’expressiondesonvisage.—C’estlapremièrefoispourmoi,Mac.Jeveuxquevoussoyezlepremier.Bouleversé,illaregardaavectendresse,puisluidéposadepetitsbaiserssurl’épaule.—Jevaisallertoutdoucement,alors,dit-ildansunsouffle.Emma ferma de nouveau les yeux et s’abandonna totalement à l’homme dont elle était tombée
amoureuseetauquelelleavaitdécidédes’offrir.
***
—Que se passe-t-il ? demanda l’agent Conner, le regard fixé sur le seul moniteur qui, dans lacamionnette,recevaitencoredesimagesendirect.L’agentDonahuefitpivotersonsiègeetseleva.Ils’approchadel’écranetfronçalessourcils.—Çan’annonceriendebon.Al’image,troishommesétaientrassemblésdansl’écurieetsemblaientavoirentamédesrecherches.—L’agentRyana-t-ilsurprisuneconversation,cesoir?—Oui.IlaentenduunequerelleentreKarifetJavas.Latraductiondeleursproposaététranscrite
surlebloc-notesquiestsurlesiège.L’agentDonahueallaprendrelebloc-notesetlutlecontenudelaconversation,àlarecherched’un
indicequileurendiraitplussurlesprojetsdecestrafiquants.«L’émirAbadardoitarriveràl’hippodromedeKeenelandle24,peuavantledépartdelacourse,à
laquelleDragon’sSoulprendrapart.S’ensuitunéchangedejurons.Illeurmanqueuncheval.Sanslesneufchevaux,ilsnepeuventpas
menerl’opérationàterme.Karif est en colère car Victor n’a pas rempli correctement les papiers pour que le cheval soit
acheminédeDubaiàFrontRoyal.IlrisquederesterentransitauportdeLaNouvelle-Orléans.Karif demande à Javas de garder unœil surMlle Clareborn et son employé. Il ne leur fait pas
confianceetleséliminerasinécessaire.»
Quediablecomptaient-ilsentreprendreexactement?sedemandaRenn.Depuislasemainedernière,ilsn’utilisaientplusletéléphonesatelliteniinternetpourcommuniquer.Lesujetdecettediscussionn’étaitsansdoutepasunesimplecoursehippiquecenséesedéroulerla
veilledeNoël.Oualorscettecourseseraitlethéâtred’autrechose.Etqu’enétait-ildeMacTitusetEmmaClareborn?Audépart,ilavaitnourridessoupçonsausujetdeMac,aprèsavoirdécouvertqu’ilavaittravailléauseindesservicessecretsetprotégél’émirAbadar.MaislemeurtredeVictoravaitdissipé ses soupçons.Macn’yétaitpasmêlé.Aucontraire,désormais, il représentaitpeut-être leurmeilleurechanced’aboutir.Rennsoupira.—Tudevraisjeterunœil,Renn,ditl’agentConnerquiajustaitl’objectifdelacaméra.Jecroisque
noussommesrepérés.—Bonsang!Ilvitengrosplansurl’écranlevisagedeKarifdéforméparlacolère,puisplusrien.— Il est hors de question d’aller réinstaller une caméra, c’est trop dangereux,maintenant. Il faut
passerauplanB.
***
MacpressaleboutonduchronomètreaumomentoùNavigatorpassadevantluiàpleinevitesse.—Bonnenouvelle!s’exclamaEmmaenlerejoignant.LeDrRemingtonvientd’appeler.Letauxde
butazolidinedanslesangdeNavigatoresttombéendessousdes23%.PourlaHolidayClassic,ilserapropre.Macpassaunbrasautourdesesépaulesetlaserracontrelui.—C’estgénial!répondit-il,leregardtoujoursposésurlepur-sangquidisparaissaitdanslevirage.
Moiaussij’aiunebonnenouvelle.—Vraiment?Dis-moicequec’est.—Legaragisteseralààmidipours’occuperdutracteur.Et lasociétédenettoyagecommencela
réhabilitationde l’écuriedès cematin.Lenettoyagedevraitprendrequatre jours, etmêmemoins sinousnousoccuponsnous-mêmesdelasellerie.—Ça,c’estlameilleurenouvelle.Dansquatrejours,nousn’auronsplusànousrendreàl’écuriede
Rahul.Mactournalatêteverselle.—Toinonplustun’espasàl’aiseaveccestypes,n’est-cepas?—Non,c’estlemoinsqu’onpuissedire.—Cematin,quandjesuisallépréparerNavigatorpoursaséanced’entraînement,ilsontsurveillé
mesmoindresfaitsetgestes.Enoutre,hiersoir,j’aidécouvertunecaméradanslefenil.—Dumêmetypequecellesquetuavaisrepéréesdansnotreécurie?—Exactement.
Navigatorsortitduderniervirageetattaqualalignedroite.Lorsqu’ilpassaàsahauteur,MacarrêtalechronomètrepuissetournadenouveauversEmma.—J’aimeraisqueturestesàl’écartdel’écuriedeRahul.Situasbesoind’yaller,viensd’abordme
chercher.—Jenesuispasunepauvrefemmesansdéfense,Mac.Jesaismanierunefourche.Illuiretournaunregardgrave.—Cequisepasselà-basn’estpasnormal,Emma,etjecrainspourtasécurité.C’estpeut-êtreunde
cestypesquiasabotétontracteur.Sic’estlecas,ilsrisquentdetenterautrechose.Alorspromets-moidefairecequejetedemande.—D’accord.Situlesredoutesàcepoint,jen’iraiplussanstoi.Macsesentitunpeusoulagé.Ilsepenchaverselleetl’embrassa.Touslesdétailsdelanuitprécédenteluirevinrent.Lesouvenirdélicieuxdeluiavoirfaitl’amour
étaitgravéàjamaisdanssamémoire.—As-tuparléàtonpère?—Oui,pasplustardquecematin.Ilm’afalluunpeudetemps,maisj’aifiniparleconvaincreque
tun’étaispaslàpourruinerFirehillàlamémoiredePaulCalliway.Ileutunpetitriremais,aufonddelui,illuiétaitextrêmementreconnaissant.—NousallonsfairerécupérerNavigatoretpréparersespurées.Apartirdevendredi,jepensequ’il
pourrareprendresonrégimealimentaireclassique.—Ouf ! Jecommenceàenavoirassezdesentir lechouenpermanence, répliquaEmmaavecun
sourire,avantd’enjamberlarampepourentrersurlapisteetsedirigerversGradyStevens.MacremarquaquedeuxhommesdeRahullesobservaientdeloin.Ilsesentitgagnéparlanervosité.Ilnefaisaitpasconfianceàcestypes,etn’aimaitpaslessavoir
prèsd’Emma.Ilfallaitqu’ilensacheplussurleursmanigancesauplusvite.Il reportasonattentionsurEmmaet la regardacaresser lechanfreindeNavigator,unsourireaux
lèvres,tandisqueGradyStevensluifaisaitpartdesprogrèsducheval.Uneétrangeémotions’emparadelui.Pourlapremièrefois,ilavaitlesentimentderéellementtenir
àunefemme.
***
Emmas’activaitsurleplandetravailqueMacavaitinstallédevantl’annexe.Leseauétaitàmoitiéplein,lorsqu’elleposasoncouteauetsefrottalesmains.Macfitdemême.—Jevaisallernouspréparerducafé.Viensteréchaufferàl’intérieur.—Bonneidée,j’ailesdoigtsgelés,réponditEmmaensedemandants’illisaitdanssespensées.Elle leva la têteetobserva lesnuagesbasquis’étaientaccumulés.Achaqueexpiration,depetits
nuagesdebuée se formaient devant sonvisage.Elle espérait qu’il neneigerait pas, en tout caspas
avantlaHolidayClassic.EllesuivitMac,entradansl’annexeetrefermalaporte,laissantlefroiddehors.Ilssedébarrassèrentdeleursmanteauxetellelerejoignitdanslecoincuisineoùils’occupaitdéjà
demettredel’eaudanslacafetièreetd’installerunfiltre.Elle se campa juste derrière lui, passa les bras autour de sa taille et se pressa contre son dos,
appréciantsachaleur.—Oh!c’estbond’êtrecontretoi!Macseretournapourluifaireface,lasoulevadusolsanseffortetlaportajusqu’àsonlit.—As-tupluschaud,maintenant?—Jesuisenfeu,chuchota-t-elletoutprèsdesonoreille.Ellelelaissafairecourirseslèvreslelongdesoncou,tandisquesesmainss’activaientdéjàsurla
fermeturedesonjean.Unnouveaumomentd’extasel’attendait.
***
Une heure plus tard, Emma n’était pas encore complètement redescendue sur terre. Elle finit decoupersescarottesetlesversadansleseauoùMacmélangeaitletout.Le crépitement du gravier sous les pneus d’une voiture leur fit lever les yeux. C’était le shérif
Wilkes.—J’espèrequ’ilnousapportedesnouvellesausujetdeVictor,ditMacquicontinuaàmélangerles
légumes.Plustôtnoussauronscequis’estvraimentpassél’autresoir,mieuxceserapournous.Les paroles deMac donnèrent des frissons à Emma. Si les conclusions du shérif prouvaient que
Victoravaitbienétéassassiné,alorslemeurtrierétaittoujoursenliberté.—Bonjour,shérif.DunouveausurlamortdeVictor?demandaMacdèsqueWilkeslesrejoignit.—Avraidire,c’estunehistoiredefous.J’avaisdemandéuneautopsie,etonm’aréponduqu’on
étaitvenuchercherlecorpstrèspeudetempsaprèssonarrivéeàlamorgue.—Quelqu’undesafamille?s’enquitMac,méfiant.—Aucuneidée.Entoutcas,cen’étaitpasquelqu’unquiportaitlemêmenomquelui.L’employéde
lamorguem’amontréleregistre.C’estunnomméR.Donahuequiasigné.J’aidemandéuneenquêtepourqu’onl’identifie.Sinousneleretrouvonspas,toutepreuvematérielleauradisparu.—Etavez-vouspulocaliserlesprochesdeDago?—Làencore,c’est l’impasse totale. Impossiblededéterminercomment ils’estprocurésafausse
licenced’entraîneur.Parailleurs,sonpermisdeconduireétaitégalementunfaux.Enfait,jesuisvenupourposerquelquesquestionssupplémentairesàsonéquipe.—Amoinsquevousneparliezarabe,jecrainsqu’ilvousfailleattendreleretourdeRahulcesoir.
IlestpartiàFortRoyal,etilestleseulàmanierl’anglaiscorrectement.—Jevois…Mercidem’avoirprévenu.Jerepasseraidemain.Jevoustiensaucourant,conclutle
shérifenlessaluantd’ungeste.—C’estvraimentétrange,ditEmmaquiregardaitleshérifWilkesrepartir.Onnevientpaschercher
uncorpsaussirapidement,àmoinsdevouloirlesoustraireàlajustice…J’avaisoubliéquec’étaitcesoirqueRahulrevenaitetquejedevaisluidonneruneréponseausujetdel’extensiondubail,ajouta-t-elle.Etilvaamenerdeschevauxsupplémentaires…—Oui,deux,confirmaMac.—Jepenseluidirequejerésilielebailetluilaisserdeuxsemainespourviderl’écurie.Ainsi,ils
pourront alignerDragon’s Soul à laHolidayClassic et devront quitter les lieux seulement après lacourse.Macsemblaitperdudanssespensées.—Mac,tum’asentendue?— Oui, je t’ai entendue, et je pense que c’est une bonne décision. Mais ces types ne sont pas
commodes.Tuveuxbienmelaissermechargerd’annoncerlanouvelleàRahul?— Avec grand plaisir. Bien, je vais aller me laver les mains et préparer à manger. Tu
m’accompagnes?—Je te rejoins dans une demi-heure. Je vais d’abord débarrasser ici et aller donner sa ration à
Navigator.Emmasedirigeaverslamaison.Aujourd’hui,ellenesentaitpaslechou,maislacarotte.
***
Macselavalesmainspuissortitsonportabledesapoche.Emmaavaitraison,cen’étaitpasnormalqu’onsoitvenuchercher lecorpsdeVictoraussirapidement.Peut-êtreque,d’unemanièreoud’uneautre,l’activitéclandestinedansl’écurieétaitliéeàVictor.IlcomposalenumérodeDougCahillauFBIettombasurlamessagerie.—SalutDoug,c’estMacTitus.Pourrais-tumerendreunserviceetfairedenouvellesrecherchesau
sujetdeVictorDagosurlabasededonnéesdelacommissiondescoursesdeCalifornie?Iladelafamillelà-bas,alorspeut-êtrequ’ilsontdesrenseignementssurlui.Mercid’avance.Abientôt.Ilrefermasontéléphoneetlerangea,leregardtournéversl’écuriedel’autrecôtédel’enclos.PlustôtRahuletseshommesseraientpartis,mieuxceserait.Lasociétédenettoyageavançaitvite
et,d’iciàlafindelasemaine,ilspourraientréinstallerNavigatordanssonanciennestalle.Leschosesreprendraientalorsuncoursnormal.Ilramassaleseauetpartitversl’écurie.Deuxhommessemblaientmonterlagardedevantlaported’entrée.Macdécidadefairecommeside
rienn’était.Asonarrivée,lesdeuxhommesfirentunpasenavantetluibloquèrentlepassageenluiadressantun regardnoir.LavoixdeKarif retentit à l’intérieur et, immédiatement, lesdeuxhommess’écartèrent.Macentradansl’écurie.C’étaitdel’intimidationpureetsimple.Raisondepluspournepaslaisser
Emmaapprocherdecestypes.
Aufonddelatravéecentrale,ilrepéraKarif,uncarnetetunstyloenmain.Illevabrièvementlesyeuxpuislesreportasurcequ’ilfaisait.Macserenditàlastalledupur-sang,etl’ouvrit.Ilcaressalechevalpuisdéversalecontenuduseau
danssamangeoire.D’uneautrestalleluiprovenaitunbruitdevoix.—Thah-la-ta…Sit-ah…Quelqu’unquicomptait?Il ne connaissait pas un traître mot d’arabe, mais savait reconnaître le rythme particulier qu’on
emploiequandonénumèredeschiffres.Iltapotal’encoluredeNavigator,sortitsansbruitduboxetremontalentementl’allée.KarifnotaitdanssoncarnetdeschiffresqueluidictaitJavas.Deschiffresqu’illisaitsurl’intérieur
delalèvredeschevaux.Iln’yavaitriend’étrangeàcequedeschevauxdecourseaientunnumérod’identificationtatouéà
l’intérieurdelalèvre.C’étaitmêmecourant.Cependant, cesbêtesn’étaientpas toutesdeschevauxdecourse, loinde là.Alorsàquoipouvait
bienserviruntatouage?
13
Parlafenêtredelamaison,Emmavitlespharesducamionquis’engageaitdansl’alléeduranch.—IlsembleraitqueRahulsoitderetouravecseschevaux.Assissurlecanapé,Macfittournernerveusementsonverreentresesdoigts.—Jevaisyaller.—Tupourraisattendredemainmatin.—Etraterl’occasiondevoiràquoiressemblentlesnouveauxchevaux?Netrouves-tupasétrange
quetroisdeleursbêtesnesoientpasdeschevauxdecourse?—Si,maisj’enavaisconcluqu’ilsdevaientêtrelàpourtenircompagnieauxautresetcontribuerà
leuréquilibre.—J’aivuKarifnoterdansuncarnetdesnumérosdetatouagequeJavasluidictait.—Ça,c’esteffectivementplusqu’étrange,ditEmma.Peut-êtredevrais-jeleurdemanderdepartir
sansdélai…—Ouimaisdeuxsemaines,c’estraisonnable,ditMacenselevant.—Pourrai-jetevoirplustard?demanda-t-elleenselevantàsontour.—Leplustôtpossible,j’espère,répondit-ilavecunsourirecomplice.Illuitenditsonverrevideets’enalla.
***
Macpritsonmanteauetsortitdansl’airfroiddelanuit.Dansl’écurie,toutesleslumièresétaientallumées et il entendait le bruit des sabots sur le gravier.Le bâtiment était le théâtre d’une étrangeactivité,etilauraitbienaiméenconnaîtrelanature.L’hommevêtudenoirqu’ilavaitaperçuentraind’espionner les hommes deRahul aurait très bien pu appartenir au FBI ou à toute autre agence desécuritéintérieure…Pour le moment, sa principale préoccupation était que les agissements de tous ces individus
pouvaientcauserdutortàEmma.Ilétaitd’autantplusdéterminéàs’opposeràtoutcequipourraitluifairedumalqu’ilsesentaitdeplusenplusattachéàelle.Ilcontournalahaiedevantl’écurieetalladroitversl’entrée.Danssapoche,ilsentitsonportablevibrer.Ils’arrêtapourrépondre,àquelquesmètresdelaporte.—Allô!— Salut, Mac, c’est Doug. Désolé de ne pas t’avoir rappelé plus tôt, mais j’ai eu toutes les
difficultésdumondeàobtenirlesrenseignementsdonttuavaisbesoin.—Etqu’as-tudécouvert?
—IlyabienunVictorDagodanslabasededonnéesdelaCalifornie.Mactapotasespoches,àlarecherched’unpapieretd’unstylo.—Uninstant,jecherchedequoinoter.—Cen’estpaslapeinedetetracasseràcesujet.VictorDagoestmort.—Jesais.Ças’estpasséavant-hier.Ilyeutunlongsilencesurlaligne.—Doug?—Selonlabasededonnées,VictorDagoestmortilyadeuxans,Mac.Macfronçalessourcils.—Tuasditavoireudesdifficultésàobtenircesrenseignements?—Oui.Jevenaisàpeined’ouvrirlabasededonnéesquequelqu’uns’estmisàeffacerledossierde
Victor Dago. Fais très attention à toi, Mac, tout ça semble porter la marque d’une agencegouvernementale.—Mercidetonavertissement,Doug,j’entiendraicompte.Abientôt.Ilrangeasontéléphoneetlevalatête.Aufonddel’écurie,ilvitRahulquirefermaitlagrilledela
stalleattenanteàcelledeNavigator.Cestypesétaientdécidémentmystérieux.S’ils’agissaitdecontrebandiers,ilétaitpossiblequeleur
marchandisesoitcachéequelquepartsur ledomaineduranch, làoù ilavaitsurprisRahulquelquesjoursplustôt,parexemple.Peut-êtrel’élevagedechevauxdecourseétait-ilunecouverturepourleursvéritablesaffaires.MaissilevraietlefauxVictorDagoétaientmorts,lequeldesdeuxétaitl’hommequ’ilavaittentédesecourir?Aumomentoùilentraitdansl’écurie,Rahullerepéraets’avançaverslui.—MonsieurTitus, je constatequevotrepur-sangest toujours là. J’espèrequevousavezparlé à
MlleClareborn.—Eneffet.Lestravauxderéparationdel’écurieprincipaleavancentbien.D’icijeudiouvendredi
auplustard,nouspourronsyréinstallerNavigator.Rahulacquiesça.—Bien.Donc,elleaaccédéànotrerequête?—Pas exactement.Ellevous laissedeux semaines, c’est-à-dire jusqu’à laHolidayClassic, pour
continueràoccuperl’écurie.Ensuite,voshommesetvous,vousdevrezquitterleslieux.IlétudialaréactiondeRahul,s’attendantàdelacolèreouauminimumàdelacontrariété.Aulieu
decela,ileutunsouriresuffisant.—Jecomprends.DitesàMlleClarebornquenousnousplieronsàsesexigences.Maisjenesais
passi,dansdeuxsemaines,ilyauradesécurieslibresdanslarégion.— Ça, c’est un problème que votre employeur et vous devez résoudre. Peut-être devriez-vous
acquérirvotrepropreranch.Bonsoir.Iltournalestalonsetquittal’écurieenjetantaupassageunregardàNavigator.Comptetenudeleur
réputation,Rahuletseshommesauraientpeut-êtredumalà trouverunnouvelhébergeur.Mais,dansdeuxsemaines,ilsauraientquittéFirehill,etceneseraitplusleproblèmed’Emma.
Il inspira longuement puis repensa aux dernières paroles de Rahul. Que sous-entendait-ilexactement?
***
Emmasouleva lescouvertures, seglissadans le lit,puis seblottit toutcontre ledosdeMac.Aucontactdesapeaunuecontrelasienne,ellesentitimmédiatementunevaguedechaleurl’envahir.—Oh!tuestoutefraîche!—Jeneleresteraipaslongtemps.Elle l’embrassa à labaseducouet commençaà le caresserdoucement, sentant sondésirmonter
rapidementdanssamain.Ilpoussaungémissementdeplaisir,seretournaetlafitvenirsurlui.—Vousêtesunemauvaisefille,mademoiselleClareborn.Vousvousglissezhorsdelamaisonàla
nuittombéepourvousrendreàunrendez-voussecret.—Sortir la nuit, ce n’est pas difficile. Je le faisais souvent, quand j’étais ado et quemon père
m’interdisait d’aller chevaucher pendant la journée.Moi je prenais ça comme un challenge. Alorsj’allaissellerunchevaletgalopersurlapisteenpleinenuit.—Mais là, il s’agit d’un tout autre typede chevauchée,Em’, dit-il en lui caressant les cheveux.
C’estbeaucouppluscompliqué.—Oh!jenetrouvepas!répliqua-t-elled’untonmalicieuxensemettantàbougerleshanches.Macsentitmonterenluidesvaguesdeplaisirdeplusenplusintensestandisqu’Emmasemettaità
alleretàveniràunrythmeplusrapide,totalementconcentréesurleplaisirqu’elleluidonnait.Enfin,aprèsunlongmomentd’extase,elleseserracontreluiettousdeuxatteignirentlajouissanceenmêmetemps.EllerestadelonguesminuteslajoueposéesurlapoitrinedeMac,àécouterlesbattementsdeson
cœur.Elleétaitamoureusedelui;ellelesentaitdanssachairetdanssonesprit.Cependant,elleseretint
del’exprimeràhautevoix.
***
MacgardaEmmadanssesbraslongtempsaprèsqu’ellesefutendormie.Ilcaressaitdoucementsescheveuxdansl’obscurité,songeantàcequ’ilressentaitpourelle.Etre près d’elle en permanence, lui faire l’amour, tout cela remettait profondément en cause les
principesauxquelsils’étaittenujusque-là,etauxquelsiln’étaitpascertaind’êtrecapablederevenir.Pourtant,elleméritaitbeaucoupmieuxqu’ungardeducorpsbalafréquin’avaitrienàluioffrir.Ilfermalesyeuxetfinitpars’endormitàsontour,lecœurgros.
***
Macmit son clignotant et tourna àgauchepourprendre la routedeLexington. Il jeta un regard àEmma,quicontemplaitlepaysageparlavitre.Depuisqu’ilsavaientquittéleranch,ellen’avaitpasdittroismots.Alorsqu’elleauraitdûêtreheureused’allerchercher lechèquequi luipermettraitdecontinuerà
fairevivreFirehill,elleétaitd’humeurmaussade,etilcommençaitàs’enressentirégalement.—Qu’est-cequinevapas,Em’?Grâceàcetterécompense, lessoucisfinanciersdeFirehillsont
terminés,dumoinsjusqu’auderby,aumoisdemai.Au-delà,sic’estnécessaire,jetedonneraimapartdelarécompense.—Non,c’esthorsdequestion.Tul’asméritée.Ettuasraison,toutvapourlemieux.Jen’aiplusà
medébattreaveclessoucisd’argentet,lorsqueNavigatorauraremportélaTripleCouronne,jen’auraiplusqu’àproposerdesdroitsdesailliepourêtredéfinitivementtranquille.Elleseredressadanssonsiègeetprituneprofondeinspiration.Elleavaitétécapabledevivresans
Macavantsonarrivée,ellesurvivraitàsondépart.Mêmesielleavaitlecœurenlambeaux.—LepostedepoliceestsurEastMainStreet,dit-elled’unevoixatone.Sais-tucommentyaller?
ajouta-t-elleens’efforçantdeprendreuntonplusassuré.—Oui,jesais,pasdeproblème.
***
MacdévisagealeshérifWilkes.—Qu’essayez-vousdemedire?—J’essaiedevous fairecomprendrequevousdevriez laisser tomber l’affaireDago, répondit le
shérifen parcourant les papiers devant lui.Disons qu’onm’a conseillé de conclure que lamort deVictor Dago était la conséquence d’un accident et de boucler le dossier. Plus de questions, plusd’enquête,marmonna-t-ilenseréinstallantaufonddesonfauteuil.—Donc,lefaitquej’aieapprisquelevéritableVictorDagoestmortenCalifornieilyadeuxans
n’aaucuneimportance,c’estbiencela?Emmatenditlamainetluiserralebras.—Quandas-tuappriscela?—Hiersoir.MonamiquitravailleauFBIm’aappeléjusteavantquejeparleàRahul.—Laisseztomber,Mac,repritleshérifensecouantlatête.Continueràenquêterneferaquecauser
desremouset,tôtoutard,ilyauradesdégâts.Mac fit de sonmieux pour garder son calme. Il était plus que jamais convaincu que l’équipe de
Rahul était impliquéedansune sombrehistoire et que c’était unde ses hommesqui avait assassinéVictorDagoenfaisantcroireàunaccident.—Bien,voilàvoschèques,continuaWilkesenouvrantuntiroirdesonbureau.Tâchezdenepas
toutdépenserenunefois.
Emmaregardalonguementleschiffresinscritssursonchèque,commepours’assurerqu’iln’yavaitpasd’erreur,puistournalatêteversMac,quipliaitdéjàlesienpourlerangerdanssonportefeuille.—Merci, shérif. En fait,ma plus grande satisfaction, c’est de savoir que plus personne ne s’en
prendraauxchevaux.—Oui,mercibeaucoup,ditEmmaenselevant.Macserralamainaushérif,puisilsquittèrentlebureau.Emmaattenditqu’ilssoientremontésenvoiturepourparler.—Peux-tumedéposeràl’agencedelaCentralBank?—Biensûr,réponditMacendémarrant.—Tuauraisdûmedire,pourVictor.—Jenevoulaispast’inquiéter.Enoutre,hiersoir,nousavonsététropoccupéspourparlerdeça.Ellesesentitrougiràl’évocationdelanuitprécédenteetfitdesonmieuxpourchasserlesimages
érotiquesquiluivenaiententête.—Promets-moidesuivrelesconseilsdeWilkes,decesserdesurveillerRahuletseshommesetde
poserdesquestions.Ilneréponditpas,cequieutledondel’inquiéter.—Mac!—Jenepeuxpas,Em’.Jesensquecestypessontengagésdansuneaffaireillégaleetqu’ilsonttué
pourqu’onnelesarrêtepas.L’impactsurleranchetsurtoipourraitêtreterrible,alorsjenepeuxpasleslaisserfaireetresterlesbrascroisés.Jedoisaumoinstirertoutçaauclairavantdepartir.Emma n’aimait pas savoir qu’il risquait de courir de graves dangers, mais il avait néanmoins
marquéunpoint.Onnepouvaitpassoupçonnerqu’unhommeavaitétéassassinéetdéciderdujouraulendemaindeneplusrechercherlemeurtrier.Macmitsonclignotant,tournapuissegaradevantlabanque.—Cequejeveuxsavoir,c’estcequeRahulfaisaitl’autrejoursurledomaineduranch.—Iln’yariendanscecoin,àpartdesgrottesquirisquentdes’effondreràtoutmoment.—Justement.C’estl’endroitidéalpourcacherunemarchandisequelconque.Personnenevajamais
par là. Si je parviens à découvrir ce qu’ils manigancent, je préviendrai mon ami du FBI, et sescollèguesetluipourrontintervenir.Pendantqu’il parlait,Emmaavait rempli sonbordereaude remisede chèqueet endossécelui-ci.
Aprèsavoirmisletoutdansuneenveloppe,elledescenditdevoiture,etallaglisserl’enveloppedanslafentededépôtsurlafaçadedel’agence.—Quecrois-tuqu’ilsfassent?Delacontrebande?demanda-t-elleenseréinstallantsur lesiège
passager.—Jenesaispas…Ilest17heuresetjemeursdefaim,remarquaMacenredémarrant.Çatedirait
d’allermangerunmorceau?—Oui,allons-y,d’autantque,maintenant,noussommesriches!—Bienvu.—Etpuisquenoussommesenville,jevaisenprofiterpourfairequelquescoursesdeNoël.
***
Appuyécontrelabarrièredelapiste,MacregardaitNavigatordéboucherduvirage.Toutsourires,il jetauncoupd’œilauchronomètre.S’il continuait surce rythme, lepur-sangallaitpulvériser sonmeilleurtemps.Il releva les yeux et pressa le bouton aumoment où le cheval passait devant lui puis consulta le
temps:uneminuteetcinquante-deuxsecondes.—Incroyable!—Bonjour,ditEmma,quiétaitvenueseposteràcôtédelui.Unpeugêné,illuiadressaunregardenbiais.—Tuasbiendormi?—Commeunbébé.J’aiemballétouslescadeauxachetéshieretjelesaimissouslesapin.Ensuite
seulementjesuisalléemecoucher.—Heureusementquej’aiunpick-up,sinonnousn’aurionspaseuassezdeplacepourtoutramener.Elle tendit la main pour lui prendre le poignet et le retourner afin de voir le temps sur le
chronomètre.—MonDieu,cequ’ilestrapidecematin!s’exclama-t-elleavecunlargesourire.Macposaleregardsurseslèvresetvitsonsourires’estomperimmédiatement.Ilétaitdéçuetavaitlecœurserré.Lanuitdernière,Emman’étaitpasvenueleretrouver.Ellen’était
pasvenueseblottircontreluisouslescouvertures.D’une certainemanière, il lui en était reconnaissant. Il lui avait déjà pris sa virginité alors qu’il
n’avaitrienàluioffrirenretour.Malgrétout,sonattitudeluifaisaitmal.Des éclats de voix le tirèrent de ses réflexions. Devant l’écurie secondaire, Karif et Rahul
discutaientavecanimation ;Rahulavait lesmainssur leshanches tandisqueKarif faisaitdegrandsgestes,commepourexprimersonimpuissance.— J’aimerais bien savoir ce que ces deux-là se racontent, bougonna-t-il. Peut-être que je
comprendraismieuxcequ’ilsontl’intentiondefaire.—De toute façon, dansunpeuplus d’une semaine, ça n’auraplus d’importance,Mac. Ils seront
partis,ettoiaussi.Iltournalatêteverselleetluicaressaaffectueusementlajoue.Ellefermalesyeuxuninstantpuisrepoussasamain.—Emma…,dit-ild’unevoixétranglée.—Economisetasalive,Mac.Jesuisunegrandefille,j’aidéjàcompriscommentçadevaitfinir.Sansattendrederéponse,elleenjambalabarrièreetsedirigeaversNavigatoretsoncavalier.Mac soupira puis ramassa les couvertures destinées à réchauffer le pur-sang. Tant mieux si elle
savaitcommentceladevaitfinir,carluin’enavaitplusaucuneidée.
***
EmmasuivitMacetNavigatordans l’écurie et remarqua aupassagequeDragon’sSoul avait étéréinstallédanslastalleoùilsavaientdécouvertVictor.Enoutre,deuxnouveauxchevauxoccupaientlesboxesdechaquecôtédeceluideNavigator.Elleeutlachairdepoule.Commentavait-ellepulaisserunteldramearriver?Pourquoiavait-elle
autoriséunhommecommeVictor—ouquelquesoitsonvéritablenom—àlouersonécurie?Ellesefitlapromessequeplusjamaisellenelaisseraitsafaiblesseetlebesoinguidersesactions.—MademoiselleClareborn?Rahulvenaitverselle.—J’aimeraissavoiravecprécisionquandvouscomptezretirervotrechevaldel’écurie.Rahuls’arrêtatoutprèsd’elleet,denouveau,elleeneutlachairdepoule.—Mac?appela-t-elle,soulagéedelevoirressortirdelastalleets’approcheràsontour.— Le nettoyage de l’écurie principale est presque terminé, dit-il. Nous le réinstallerons là-bas
vendredimatin,aprèssongalopd’entraînement.—Parfait.Maisjedoisvousavertirque,maintenantquej’aiinstallédeuxchevauxsupplémentaires
etquejedoisallerenchercherunautreàLaNouvelle-Orléansprochainement,vousdevrezattendrel’arrivéedemonemployeurlasemaineprochainepourrecevoirvotrechèquedeloyer.—Cen’estpasunproblème,assuraEmma.L’émirvientpourassisteràlaHolidayClassic?—Oui.Ilarriverale24.—Alorsjeseraiheureusedefairesaconnaissance.Rahulacquiesça.—Bien,jevouspriedem’excuser,maisjedoisallerfixerlaremorqueàmacamionnetteavantde
partir.—Soyezprudentsurlaroute,réponditEmmaavantdequitterl’écurieencompagniedeMac.L’inquiétuded’Emmaétaitrevenue,etilfallaitqu’ellel’exprimesansattendre.—Tuvasprofiterdesonabsencepouralleràlalimitedudomaine,n’est-cepas?demanda-t-elle,
leregardfixésurMacpourchercheruneconfirmationsursonvisage.—Oui,c’estlemomentoujamais.Çat’ennuiesijeprendsOliver?—Tunepeuxpasyallerseul,Mac.—Jesuisungrandgarçon,etjesuisarmé,Emma.—Jem’enfiche.SelleégalementDandy.Jeviensavectoi.
14
Macfixasonharnaisetregardad’unœilinquietEmmasemettreenselle.—Jepeuxm’enchargerseul,Em’.Tun’aspasbesoindevenir.—Jenedoutepasquetuensoiscapable,maisjen’aitoutsimplementpasenviedetelaissertout
seul.Nousnesavonspascequenousrisquonsdedécouvrir.Non seulement elle avait raison, mais elle avait aussi du courage et du bon sens. Sans compter
qu’ellel’attiraitdeplusenplusetmettaitàmalsescertitudesconcernantlavieàdeux.Iltirasamonturepourlafairesortirdel’enclos.Danscettehistoire,Emmaavaitcependantplusàredouterquelui.Commeilétaittoujoursencharge
desasécurité,iln’avaitpasmanquédeprendredesmunitionssupplémentairesaucasoùilsferaientunemauvaiserencontre.Emmasortitàsontourdel’enclos.Macrefermalabarrièrederrièreellepuismontaàcheval.Emma
jetauncoupd’œilunpeuinquietversl’écuriesecondaire,maisnevitpersonne.—Ilssonttouspartisdéjeuner,ditMacquiavaitsuivisonregard.C’estlebonmomentpouraller
fouinerunpeu.Tousdeuxpartirentautrot,côteàcôte.Lorsqu’ilsfurentloindel’écurie,Emmasedétenditunpeuet
tenta de profiter de la sensation de l’air vif sur ses joues, du soleil qui lui chauffait le dos tandisqu’ellechevauchaitàcôtéd’unhommequicomptaitbeaucouppourelle.—TuveuxsavoircommentlechapeauquetuportesestarrivéàFirehill?demanda-t-elle.—Oui,dis-moi.—Ehbien,selonmonpère,lesoiroùtonpèreàtoiestvenuluilivrerSmoothSailing,ilsonteuune
violentequerelle.Enfait,ilsétaienttousdeuxpropriétairesduchevalàpartségales.—Oui,jesais,ditMacsanstournerlatête.—MonpèreavaitdemandéautiendenepasinscrireSmoothSailingàlaventeauxenchères,mais
ilnel’apasécouté,carilétaitcertainderéussirunebelleplus-value.Mais,finalement,c’estmonpèrequiestdevenupropriétaireàpartentièredel’étalon.—Etquelestlerapportaveccevieuxchapeaupoussiéreux?—Ehbien,tonpèreestretournéàsonpick-up,adémarré,puisilaôtésonchapeauetl’ajetédans
l’allée.—End’autrestermes,ilafaitcommedansl’ancientemps,lorsqu’onjetaitsongantpoursignifierà
unadversairequ’onluilançaitundéfi.Enmêmetempsqu’ilparlait,lesouvenirdugestedesonpèreluirevint.Mais,àl’époque,ilétait
enfantetn’enavaitcomprisnilaportéenilasignification.—Allez,augalop!s’exclama-t-ilenfaisantaccélérersamontureaumomentoùilsapprochaientdu
bosquetdepins.Plusviteilsseraientsouslesarbres,plusviteilsseraientcertainsquepersonnenelesverrait.
Ilsgalopèrentjusqu’àlacrête,oùilss’arrêtèrent.—Crois-tuqueleshommesdeRahulsaventquenoussommeslà?—Non, je ne pense pas, réponditMac quimit pied à terre.Mais nous ferionsmieux de rester
vigilants.—Laissons les chevaux ici. Ils pourront tranquillement brouter l’herbe pendant que nous serons
partiset,depuislaroute,personnenepourralesvoir.—As-tuapportélesentraves?—Oui,jelesai.Emmadescenditàsontourdechevaletmenasamontureparlabride.Pourelle,cetendroitavaittoujoursétéunsanctuaire.Etcestypesyauraientdissimuléleproduitde
leursmalversations ?Ce qui la consolait, c’était d’être là avecMac et de ne pas avoir à protégerFirehilltouteseule.Unefoisarrivéeaucentredubosquet,elleouvritsasacochedeselleetensortitdeuxentraves.Elle
entendituneàMacetinstallal’autreautourdesbouletsdesonchevalavantdeluiôterlemorsafinqu’ilpuissebroutersansgêne.—Essayonsderesterlepluspossibleàl’abridesarbres.Sinoustombonssurundecestypes,soit
nousnouscachons,soitnousdétalons.Incapablederéprimerunfrissond’excitation,elleluiemboîtalepas.Ilsslalomèrententrelessapins
jusqu’àl’endroitdepuislequel,quelquesjoursplustôt,ilsavaientaperçuRahul.Macs’agenouillaetouvritsonsacàdospouryprendredepetitesjumelles.Illesportaàsesyeuxet
zoomaaumaximum,balayantlesecteur,sansrienremarquerdesuspect.Pourtant,soninstinctluidisaitqu’ildevaitpersévérer.—Tudevraisretournerauprèsdeschevauxetmelaissermenerl’inspectiontoutseulEmma,dit-il
aprèsavoirabaissésesjumelles.—Horsdequestion.Detoutefaçon,jesuisplusensécuritéenrestantavectoi.Enimaginantqueles
hommesdeRahularrivent,quecesoitàpiedouenvoiture,nouslesverrionsapprocheretnousaurionsletempsdenouséloigner.Décidément,iladoraitsonbonsensetsontempérament.—D’accord.Alorssuis-moi,maisveilleàresterbaissée.Ilremitsonsacsurl’épauleetavançajusqu’àlaclôture.Le soleil était haut dans le ciel, mais l’air était piquant et froid. Soudain, de l’autre côté de la
clôture,entrelesarbres,ilperçutunmouvement.Ils’immobilisaetposaundoigtsurseslèvrespourintimerlesilenceàEmma.Elle sentit son cœur s’affoler en entendant tout à coup des brindilles craquer sous les pas de
quelqu’unquidevaitavancerverseux.Macportalesjumellesàsesyeuxet,aprèsquelquesinstants,souritlargement.Illuitenditlesjumelles.Ellelesajustaetvitalorsundaimquidescendaitdoucementverslepetit
coursd’eauencontrebas.—Ilestmignon,dit-elleàvoixbasse,soulagée.
Jouerlesespionnesn’étaitvraimentpassontruc,songeaEmma.Ellepréféraitdeloinl’adrénalinequeluiprocuraientlescourseshippiquesoulacompagniedel’hommequ’elleaimait.—Viens.Nousallonstraverserlaclôturepuisrejoindrelesentier.S’ilsontpourhabitudedevenir
icienvoiture,nousrepéreronsleurstracesetellesnousmènerontdroitaulieudeleursopérations.Macécartalesbarbeléspourqu’ellepuissesefaufiler.Unefoisdel’autrecôté,Emmaluirenditla
pareille.Il se redressa, prit samain et tous deux descendirent vers la barrière.Mac regardait sans cesse
autourdelui,àl’affûtd’unemenacequelconque.—Tum’asbienditquec’esttonpèrequil’afaitposer?demanda-t-illorsqu’ilsfurentàlabarrière.—Oui.Ilvoulaitêtresûrquepersonnen’iraits’aventurerau-delà.Lesecteurestdangereux.Lesyeuxfixéssur lesol,Maccherchades tracesetrepéradesempreintesdebottes.Il lessuivit.
Elles menaient vers un sentier envahi par de hautes herbes qui disparaissait parmi les arbres unecinquantainedemètresplusloin.Nerveux,ilserraplusfortlamaind’Emma.Ilsétaientàdécouvert,etsiunhommelesavaitrepérés
etdécidaitdeleurtirerdessus,ilsnepourraientrienfaire.Ilaccéléralepas,semettantpresqueàcourirjusqu’àcequ’ilssoientàl’abridelavégétation.—Regarde,ditEmma.C’estl’entréedelagrottequemonpèreafaitfermeràladynamiteilyades
années.Macregardal’ouverturesombreàlabasedelacollinequiplongeaitversleruisseau.—Ilsembleraitqu’ellenesoitplusfermée…Il repéra d’autres traces de pas. Près de la grotte, les herbes étaient couchées, indiquant que
quelqu’unyétaitpasséplusieursfoisrécemment.—Tesouviens-tudedétailsparticuliersausujetdecettegrotte?—Enfait,c’estàcausedemoiquemonpèrel’afaitfermer.Mesamisetmoi,nousvenionsàcheval
jusqu’ici. Il craignait que quelqu’un soit blessé si la grotte venait à s’effondrer.Alors il a pris lesdevants.Elleesttrèsprofonde,aupointquenousn’enavonsjamaisvulefond.Ellerepensaàlapremièrefoisqu’elleavaitpénétrédanslagrotteetdérangédeschauves-souris.—L’entrée est étroite,mais ensuite la grotte s’élargit. Au bout d’une cinquantaine demètres, le
conduitserétrécitdenouveau.Situveuxallerplusloin,ilfautavanceràquatrepattes.Evidemment,nousnel’avonsjamaisfait.C’étaittropeffrayant.—SiRahuletseshommessontvenusdéposerunemarchandisequelconqueici,ilsn’ontpasdûaller
trèsloinnonplus.EmmaregardaavecappréhensionMacouvrirsonsacàdos,ensortirunelampetorcheetprendre
sonarmedanssamainlibre.—Resteprèsdemoi.Sonavertissementétaitinutile.Ellecomptaitbiennepass’éloignerdelui.Prêtàuneéventuelleattaque,Macallumasalampetorcheetavançaverslagrotte.—Mince !dit-ilune foisà l’intérieur, tandisqu’ilbalayait les lieuxdu faisceaude sa lampe. Je
crainsqu’ilsn’aientfaitplacenette.
Ausol,ilyavaitdenombreusestracesdepasquimenaientplusloin,làoùleconduitserétrécissait,commeleluiavaitapprisEmma.Ilavança,toujoursprudent,maisiln’yavaitrien.—Regarde!s’exclamaEmmaenpassantdevantlui.Ilyaquelquechose,là-bas.Macvoulut l’attraperpar lamanchepour lareteniret luiexpliquerqu’ildevaitd’abords’assurer
qu’iln’yavaitpasdedangeravantd’allerplusloin.Alorsqu’iltendaitlebras,lefaisceaudesalampeseposasurunfildecuivretenduàrasdusol.Troptard!Emmas’étaitprislepieddanslefilettombaitenavant.Derrièrelui,Macentenditledéclicd’undétonateur.IlplongeapourprotégerEmmadesoncorps.Ilyeutuneexplosionet,enl’espacedequelquessecondes,unéboulisderochesrefermal’entréede
lagrotte.Aplatventreparterre,Emmaavaladelapoussière.Autourd’elle,l’obscuritéétaitcomplète.Elleseretournapourseredresser.OùétaitMac?Oùétaitlalumière?Oùétaitl’air?Ellesemitàtousseretàcracherpourchasserlapoussièrequiluicollaitlabouche.Puis elle tendit la main et effleura une paroi rocheuse. Elle s’y accrocha et se redressa sur les
genoux.—Mac!cria-t-elle,toussanttoujours,lagorgeirritée.Ques’était-ilpassé?C’étaituneexplosion?Ilsétaientprisaupiègedanslagrotteàcaused’uneexplosion.La panique monta en elle, mais elle s’efforça de la contenir. Elle devait garder son calme et
retrouverMac.Ils’étaitjetésurellepourlaprotégerdel’éboulis.Ilnepouvaitpasêtreloin.Ellesemitàavancer
àquatrepattes.—Mac,oùes-tu?Tum’entends?Jet’ensupplie!Soudain, elle entendit un gémissement puis une quinte de toux, et tourna la tête de tous côtés,
désorientéeparl’obscuritétotale.—Emma,jesuislà!Elle se tourna du côté d’où venait la voix. Au même moment, un faisceau de lumière troua
l’obscurité,l’éblouissantl’espacedequelquessecondes.Macavaitétéprojetélelongdelaparoiàplusieursmètresd’elleparlesouffledel’explosion.—Çava?luidemanda-t-elleencrapahutantjusqu’àlui.—Riendecassé,maisj’aiunejambecoincéesousl’éboulis.Elleneputs’empêcherdesedemandersielleallaitmourir là,priseaupiège,àcôtédel’homme
qu’elleaimait.—Donne-moilalampe,luiordonna-t-elleunefoisprèsdelui.Ellebraqualefaisceausursesjambesetcompritcequis’étaitpassé.Desrocherss’étaientdétachés
etl’und’euxavaitatterrisurlebasdujeandeMac.Aquelquescentimètresprès,illuiauraitécrasélajambe.—Jen’aipasassezd’espacepourbougerlerocher,ilvafalloirtirerpourdégagertonpantalon.A
trois,ontireensemble,continua-t-elleensaisissantsajambeau-dessusdugenou.Un,deux,trois!Ilseurentbeautirerdetoutesleursforces,ilnesepassarien.—Mince,ilvafalloirqueturetirestonjeanpourtelibérer.—Pourtoijeferaisn’importequoi,maisçanevapasêtrefacile.Peux-tum’enlevermabotte?Emmaavançaàquatrepattesjusqu’àsespieds,pritsabotteettira.Elleladégageasansproblème.MacdéfitlaceinturedesonjeanetdescenditaumaximumlafermetureEclair.Ilfitunepausepour
reprendresonsouffle.—Ilvafalloirquetum’enlèvesmonautrebotteetquetutienneslebasdemonjeanpendantqueje
m’enextirpe.—D’accord,réponditEmmaens’exécutant.Macsetortillaquelquessecondesetréussitàselibérer.Ilseleva.Emmaramassalalampetorcheetlabraquasursescuissesnues.—Hé!Regardezunpeucequej’aidécouvert:unhommedescavernesàmoitiénu.Mac secoua la tête, plus pour chasser la poussière qu’en réaction à sa plaisanterie. Il ne put
cependant s’empêcherd’admirerune foisdeplus lecaractèred’Emma.Etantdonné lagravitéde lasituation,l’humourn’étaitpasloind’êtretoutcequileurrestait.Iltenditlamainpourreprendrelalampe.Ilsavaientdesérieuxennuis.Personnenesavaitqu’ilsétaientlàetildevaityavoirplusieursmètres
degravatsentrel’entréedelagrotteeteux.—MonDieu,jesuisdésolé,Em’.Jamaisjen’auraisdût’autoriseràm’accompagnerici.—Ne dis pas de bêtises ! Tu voulais savoir ce qui se tramait ici pour protéger Firehill et me
protégermoi.Etjeterappellequej’aiinsistépourvenir.—Sinoussurvivons,nouspourronstoujoursdiscuterdeça.Pourlemoment,nousdevonstrouverun
moyendesortir.Ilregardaavecdépitautourd’eux,àlarecherchedequelquechosequiauraitpuleurpermettrede
creuseroudedéplacerlesrochers.—Quecrois-tuavoirvujusteavantl’explosion?demanda-t-ilenbraquantlalampesurlefondde
lacaverne.—Jenesaispas:descaisses,dumatériel…Jen’aipaseuletempsdebienvoir.—Cettefois,laisse-moipasserdevant.—D’accord,maistunepeuxpasyallercommeça.Joignantlegesteàlaparole,ellesesaisitdesonjeanetsemitàtirerpouressayerdeledégager.
Macvintlarejoindreettousdeuxtirèrentdetoutesleursforces.Enfin,letissucéda.—Auncentimètreprès,c’esttajambequiauraitétésouscerocher.Ellelaissaéchapperunsoupirnerveuxetramassasesbottespendantqu’ilremettaitsonjean.
—Merci, ditMac lorsqu’il fut rhabillé. J’ai de l’eau dansmon sac à dos. Nous pourrons nousnettoyerunpeu.Ilouvritlesbrasetlaserracontrelui.—Nousallonssortird’ici,jetelepromets,ajouta-t-il.Viens,allonsvoircequ’ilyaaufonddela
grotte.Ilpointalefaisceaudesalampedevanteux,laprécédaaprèsavoirrécupéréaupassagesonsacà
dosetsonarmequiparbonheurn’avaientpasétéensevelis.Enfin,ilrepéracequ’Emmaavaitaperçu.—C’estuntéléphonesatellite,dit-ilens’agenouillantprèsdelaboîtemétalliquedontilsoulevale
couvercle.Tiens,reprit-ilendonnantlalampeàEmma.Eclaire-moi.Ilsortitlecombinéetappuyasurleboutondemiseenmarche.Ilnesepassarien.Ilessayaencore,
sanssuccès.—Ainsi,ceseraitcequeRahulvenaitfaireici.Utilisercetéléphonesatellite.—C’estabsurde.Pourquoiprendretantderisquesetnepasutiliseruntéléphoneclassique?—Cequejesais,c’estque,surcetyped’appareil,lessignauxd’émissionetderéceptionpeuvent
êtrebrouillés.Sionneveutpasrisquerqu’uneconversationsoitinterceptée,c’estl’outilidéal.—Untéléphonedecegenrepourparlerdestratégiedecourseavecl’émir?—Jedoutequelesujetdeleursdiscussionsaitétéaussianodin.Macavaitbeaucoupd’interrogationsentête,mais,pourlemoment,laprioritéétaitdesortirdelà.—J’aimonportablesurmoi,ditEmma.Crois-tuqu’ilfonctionnera?demanda-t-elleenletirantde
sapoche.Non,jen’aipasderéseau,marmonna-t-elleuninstantplustard,dépitée.Macouvritsonsacàdos,ensortitlagourded’eauetlaluitendit.—Tiens,boisunpeu,maispastrop.Nousdevonsessayerdefairedurernotremaigreréserveaussi
longtempsquepossible.Ellebutunegorgéetandisqu’ilouvraitsoncanif.Ilretournalaboîtedutéléphoneetendévissale
fond.—Pasétonnantqu’ilnefonctionnepas.Labatterieaétéenlevée.Ilserelevaetgardaenmainlaplaquemétalliquequ’ilvenaitd’enlever.—Çapourranousservirdepelle.Il retourna sur ses pas et, sans attendre, s’attaqua avec son outil de fortune à l’éboulis qui les
emprisonnait.
***
Emmaregardal’heureàsamontre:20h30.—Repose-toiunpeu,Mac,c’estmontourdecreuser.Celafaisaitprèsdeseptheuresqu’ilsserelayaientpourdégagerlaterreavecleurpelleimprovisée
ettenterderetrouverlalumière.Macseredressaetdéversaderrièreluiunenouvellepelletéedeterre.—Nousprogressons.Ilpritlagourdeetbutunegorgée.—D’iciàdemain,nousauronspeut-êtreréussiàcréerunebrèchesuffisantepourpouvoirpasserun
appel.—Jel’espère,maisilnenousrestepresqueplusd’eaunidebarresdecéréales.Sinousn’avons
plusrienàmangerniàboire,ceseraplusdurdetravailler.Elle posa le regard sur son torse nu et luisant, sur ses muscles parfaitement dessinés et ne put
s’empêcherd’espérerqu’ilgarderaitassezdeforcespourluifaireunedernièrefoisl’amour.Elle détourna la tête, luttant contre les larmes qui lui piquaient les yeux. Il fallait qu’elle se
reprenne;ellen’étaitplusunegamine,etn’avaitjamaiscédéàlapanique.Pasquestiondepasserpourunefaiblefemmeendétresse.Pourtant,jamaisellen’avaiteuaussipeurdesavie.—Em’,çava?demandaMacenlaserrantcontrelui.Nousallonsréussir.Mêmesijedoisylaisser
mesdernièresforces,jeréussiraiàcreuseruneouvertureetàtefairesortir.—Jesais,Mac,etc’estpourçaquejet’aime.Tuesunhommedévoué,unhommedeparole.Elleprit consciencequec’était lapremière foisqu’elle luidisait cequ’elle ressentait réellement
pourlui.C’étaitlapremièrefoisqu’elleluiparlaitd’amour.—Peum’importe si tu ne ressens pas lamême chose, reprit-elle,mais je voulais que tu saches
que…Incapable de finir sa phrase, elle lui prit la pelle desmains et semit à creuser. Elle se sentait
libérée.Sielledevaitmourir,elleauraitaumoinsavouésessentimentsàl’hommequ’elleaimait.Immobile,Maclaregardalonguement.Lesmotsqu’elleavaitprononcésrésonnaientdanssatête.—Emma,attends…Arrête-toi.Soudain,ilcrutentendredubruitettenditl’oreille.Despellesquiretournaientlaterre?Emmas’immobilisa,interdite.—Tuentends?luidemanda-t-il,désireuxdes’assurerqu’ilnes’étaitpastrompé.—Oui.Ondiraitquequelqu’uncreusedansnotredirection.Aufuretàmesure,lebruitserapprochait.D’instinct,MacsortitsonarmeetordonnaàEmmadeseposterderrièrelui.Puisilbraqualalampe
endirectiondel’endroit,où,quelquesminutesplustard,unpointlumineuxapparut.
15
Emmaregardal’ouvertures’agrandirprogressivementenretenantsonsouffle.Quiétaitlà,dehors?Laréponselaplusplausiblen’étaitguèrerassurante.—Netirezpas!criasoudainquelqu’un.Jeviensàvotrerencontre.Lapersonnequis’étaitexpriméen’avaitaucunaccent.Cen’étaitdoncpasundessbiresdeRahul.Ellevitunhommevêtudenoirsefaufilerparl’ouverturepuisseredresser,lesmainslevées.—Nousaurionsaimévenirvoussecourirplusvite,maisnousdevionsattendrelatombéedelanuit
aucasoùlagrotteauraitétéplacéesoussurveillance.L’armebraquéesurlenouveauvenu,Macreculad’unpas,protégeanttoujoursEmmadesoncorps.—Ôtezvotrecagoule,ordonna-t-il.L’hommes’exécuta,dévoilantsonvisage.Ilétaitrasédeprèsetavaitunecoupedecheveuxmilitaire.—Quiêtes-vous?demandaMacsansbaissersonarme.—AgentRennDonahue,delaNSA.Ilfautquenousparlions,monsieurTitus.—Jevousécoute.Macrengainasonpistolettandisqu’unsecondhommesefaufilaitparlabrèche.L’hommeserelevaetsortitdeuxbouteillesd’eaudesonsac.Illesleurtendit.—Merci,ditMacsanslesquitterduregard.—Nous avons surveillé ce site jusqu’à il y a une semaine, lorsqu’ils ont cessé d’y venir pour
appelerleurscomplices.—VictorDagoetseshommes?—Seulementsonéquipe,Mac,pasVictor.VictorDagoétaitenvéritél’agentVictorCoronado.—IlfaisaitpartiedelaNSA?demandaMac,ébahi.—Eneffet.Lentement, les pièces du puzzle se mettaient en place. Mac but une longue gorgée d’eau puis
dévisageaDonahue.—C’estvousquiêtesallérécupérersoncorpsàlamorgue?—Oui.Victorétaitmonami.Ilavaituneépouseettroisenfants.—Jesuisdésolé.Mais j’aidécouvertunecaméradesurveillancedans l’écuriesecondaire.Vous
devezdoncsavoirquil’atué.—Karif.KarifetJavas,pourêtreprécis.Ilsl’ontfrappéàlatêteavecuncricetl’ontjetédansla
stalledeDragon’sSoulpourfairecroireàunaccident.—Pourquoinelesavez-vouspasappréhendéspourmeurtre?
—Parcequenousneconnaissonspasencoreavecprécisionlesintentionsducartel.—Ducartel?répétaMac,quisoupesaitlaportéedecemot.Destrafiquants?—Cela fait deuxmois que nous les surveillons, mais tout ce dont ils parlent, c’est la Holiday
Classicle24décembreetdevictoirequ’ilsvontremporter.—Etquecomptez-vousfaire?L’agentDonahuejetaunregardàsoncollègueavantdereportersonattentionsurMac.—Sinousnenous sommespas trompés, laHolidayClassic sera l’occasionpour le cartelde se
faireremettreunefortesommed’argentdelapartdeleursrevendeurspourscellerlanouvellefilièrequ’ilscherchentàmettreenplace.Etcequenoussouhaiterions,c’estquevousrepreniezleschoseslàoùVictorCoronadolesalaissées.Inquiète,Emmas’agrippaaubrasdeMac.—Dis-luinon,Mac.Refuse!s’exclama-t-elleavantdesecamperentreluietlesdeuxagents.Vous
n’avezpasledroitdeluidemanderça.Vousnepouvezpasluipromettrequ’ilneseferapastuerluiaussi.L’agentDonahueeutunregardcompréhensif.—Vousavezraison,mademoiselleClareborn.Jenepeuxpasluipromettrequec’estsansdanger.
Malheureusement,nousn’avonspas le tempsdemettreunautredenosagentssur lecoup.Le tempspresseetl’opérationrisquedetourneraufiasco.Macal’avantaged’êtredéjàconnudeceshommes.Toutcequenousluidemandons,c’estdegarderlesyeuxouvertsetdenousteniraucourantdecequ’ilpourraitapprendre.—Bien.Danscecas,c’està luideprendresadécision,ditEmma,quin’endemeuraitpasmoins
inquiète.Elletournalestalonsets’éloignaverslefonddelagrotte.Macsoupira.Avait-illechoix?—Ilyadeuxjours,quandj’aiannoncéàRahulqu’Emmanevoulaitpasrenouveler leurbailau-
delàdesdeuxprochainessemaines,ilm’afaituneréponseétrange.—Qu’a-t-ildit?— Que, dans deux semaines, il n’y aurait peut-être pas d’écuries libres dans le secteur. Sur le
moment, j’ai pensé qu’il voulait dire qu’il serait difficile pour eux de trouver un endroit où aller.Maintenant, je me demande si ce n’était pas une manière de me faire savoir qu’après la HolidayClassicilsavaientd’autresprojets.Donahueregardasoncollègueavecanxiété.Macs’approchad’Emmaetluipassaunbrasautourdesépaules.Elleluiretournaunpetitsourire
triste.—Donahuearaison, luidit-il.Jamaisundeleursagentsneréussiraàs’infiltrerrapidementpour
approcherRahuletsessbires.Ilslerepéreraientvite.Moi,jeneferaiquecequejefaisd’habitude,jeseraijusteplusvigilant.Elleacquiesçadoucement.Macjetauncoupd’œilàDonahueetsentitquecedernierneluiavaitpastoutdit.—Enfait,audépart,jenesavaispastropdequelcôtévousétiez,Mac.Quandjevousaivutenter
desauverlavieàVictor,j’aisuquevousétiezdignedeconfiance.Cependant,jedoisvousapprendrequelecontactdeRahulauMoyen-Orientn’estautrequel’émirAbadar.Maceutl’impressionderecevoiruncoupàl’estomac.L’émirAbadar,l’hommeàquiilavaitsauvé
lavieauprixd’uneblessureparballeetdelaperted’unepartiedesonaudition…Avait-ilsauvélavieàuntrafiquantdedrogue?—Vouspouvezcomptersurmonentièrecoopération,dit-ilàDonahue.—Parfait.Maintenant,sortonsd’ici.
***
MacétaitappuyéàlabarrièreetregardaitNavigatorquigalopaitàunrythmesoutenu.Iln’arrivaitpasàsedébarrasserdupointdetensionquiluinouaitlesépaules.Laprocédured’inscriptionpourlaHolidayClassicdevaitcommencerlelendemainàLexington.Il
avaitl’intentiond’yaccompagnerEmma.Quatrejoursplustard,Navigatorprendraitpartàlacourse.LeDrRemington,quiavaiteffectuéunultimetestsanguin,l’avaitdéclaréapte.Lechevalavaitété réinstallédans l’écurieprincipale,pour laplusgrande joied’Emmaquiavait
retrouvélesourire.Etça,c’étaitplusimportantquetout.Depuisleurmésaventuredanslagrotte,elleétaitdenouveauvenueleretrouverchaquenuit,cequi
luifaisaitàlafoisénormémentplaisiretletracassait.Ilsesentaitunpeucoupable.Biensûr,ilnel’avaitpasrepoussée,ilenauraitétéincapable,maisil
sesentaitaussiincapabledeluipromettrequ’ilsavaientunavenirensemble.Derrièrelui,ilentenditunbruitdepasetseretourna.Emmavenaitversluiavecdeuxtassesdecafé
fumant.Ilpritlatassequ’elleluitendait.Tousdeuxs’appuyèrentàlarampepourregarderNavigatorévoluersurlapiste.—Commentsecomporte-t-il,cematin?demanda-t-elleenseserrantcontrelui.—Gradysemblen’avoiraucunmalàluifairetenirunecadenceélevée.—Tantmieux.Ceseraitterribles’ilavaituncoupdefatiguejusteavantlacourse.—Tu as fait un boulot fantastique, Em’. Tu as tout fait pour qu’il s’épanouisse et lui, en retour,
donnelemeilleurdelui-même.Etillefaitpourtoi.—N’est-cepastoiqui,ilyamoinsd’unmois,disaitquecen’étaitqu’uncheval?—Si.Jereconnaisavoireutort.Cen’estpasn’importequelcheval.C’estletien.—Rahulestcensérevenirenmilieudematinéeavecunnouveaucheval.Leneuvième…—Jevaissurveillerettenterdevoircequ’ilsfontlorsqu’ilserarevenu.Emmacalasatassesurlehautdelabarrièreetluiposalamainsurl’avant-bras.—Fais attention.Promets-moidenepas rester àproximité si tu sensqu’ilsontdesdoutes à ton
sujet.
—Jetelepromets.MaistusaisqueDonahuesurveillel’écuriecommeunaigle.—Oui,mais ça neme rassure pas pour autant. Il a vuVictor se faire assassiner sans intervenir.
Crois-tuqu’ilagiraitautrementpourtoi?—Détends-toi,Emma.Jeconnaislesrisquesetj’aiprisdesprécautions.Ilavaitbeautoutfairepourlacalmer,celaneréduisaitenriensoninquiétude.—Passeras-tuNoëlavecnous,aprèslaHolidayClassic?luidemanda-t-ellepourchangerdesujet
etoublierlessombresdesseinsdecestrafiquants.Ellesouhaitaitdetoutcœurqu’illaissedecôtésespréjugéscontreNoëletaccepte.—Ehbien, jesupposequ’ilfaudraquejeprofitedenotrepassageàLexingtondemainpourfaire
quelquesemplettes…Emue,Emmalevalesyeuxversluietluisourit.—Monpèrem’aditqu’ilavaitunegrossesurprisepourmoi,etqu’ilnepouvaitpas l’emballer.
D’habitude,nousouvronsnoscadeauxlaveilledeNoël.Avais-tutoiaussidesrituels,àNoël?—Oui.Avecmamère,nousfaisionstoujoursdupop-corn.Jemesouviensencoredel’odeurdansla
cuisine.—Situveux,nouspourronsenfaireensemble.Illacontemplalonguement.—Oui,çameplairaitbeaucoup.IlluitenditsatassevidepuisenjambalabarrièrepourserendreauprèsdeGrady.IlpritlemorsdeNavigatoretluicaressalechanfrein.TandisqueGradymettaitpiedàterre.Macseretournaverselleetluisouritd’unairentenduquilui
échauffalessens.Cethommeavaittransformésesnuitsenunrefugecontrelemondeextérieuret,dèslesoirvenu,elle
avaitenviedelui.Et,àl’instantmêmeaussi,elleavaitenviedelui.Emmasentitsagorgeseserrer,etsongeaqu’ellenepourraitpascontenirsonémotions’ilcontinuait
àlaregarderainsi.Ellesecoualatête,tournalestalonsetsedirigeaversl’écurie.Ilyavaitdumatérielànettoyer,etil
fallaitaussisongeràlatenuequeGradyporteraitlejourdelacourse.Pourtant,malgrétoutcequ’elleavaitàfaire,ellen’arrivaitpasàoublierqu’àtoutmomentundramepouvaitsurvenir.
***
MacpassalamainlelongdelajambegauchedeNavigator,àlarecherched’uneéventuelleraideurouzonedouloureuse.Lechevalnebronchapas.—Ilestenpleineforme.Iln’apasdeligamentsdouloureuxnid’articulationssensibles.—Posons-luisesbandagesetallonsdéjeuner.—D’accord.
Macsesaisitdesbandelettesdecoton,lesdéroulapuisenveloppalesjambesdeNavigator.—Voilà,commeçailserabienetneprendrapasfroid.Ilse relevaaumomentoùRahulbifurquaitdans l’alléeduranchetallait segarerdevant l’écurie
secondaire.—Tiens,levoilà.Emmasentitimmédiatementl’appréhensionlagagner.—Vas-y.Jem’occupederamenerNavigatoretensuitejetecouvrirai.—Tuferaiscela?luidemanda-t-ilensouriant,l’œilbrillant.Ellenesavaitpastropcommentinterprétersaréaction.—Tusais,sic’étaitnécessaire,jeseraisprêteàbotterletrainàcestrafiquants.—C’estbiencequim’inquiète,répliqua-t-ilavantdepartirversl’écuriesecondaire.Elle le regarda s’éloigner, puis ramenaNavigator à sa stalle et la referma.Dans la sellerie, elle
récupéradesbridesànettoyerpuisressortitetallas’installerprèsdel’enclosdedétente.Delà,elleavaitunevuedégagéesurl’écuriedeRahul.Depuis que Mac et elle avaient retiré Navigator de l’écurie secondaire, il n’y avait plus en
permanence deux sbires postés à l’entrée, ce qui semblait confirmer qu’ils avaient été là seulementpoursurveillerleursfaitsetgestes.Tandisqu’ilapprochaitdel’écurie,Macralentitetinclinalatêteàdroite,cherchantàdiscernerles
proposquiluiparvenaient,maisleshommesparlaientenarabe.Prudemment,ilentradansl’écurieetrepéraRahulquisetenaitdevantlastalledeDragon’sSoulet
parlaitàquelqu’unàl’intérieur.Rahultournalatêteetledévisagea.Macluiadressaunsalutdelamainetluisourit.—Bonjour,Rahul.Vousavezfaitbonneroute?—Oui,touts’estbienpassé.Danslastalle,JavasetKarifs’échinaientàpasserlemorsàDragon’sSoul,quisedébattait.Chaque
foisquel’und’euxs’approchaitdelui,ilsecabraitdemanièremenaçante.—Cechevalnouscausetropdesoucis.Jecompteincitermonemployeuràlevendreouàl’envoyer
àl’abattoir.—AprèslaHolidayClassic?—Oui,biensûr.—Voulez-vousquej’essaiedeluipasserlemors?Rahulfitungestedelamainetlançaquelquesmotsenarabeauxdeuxhommes.Macentradanslastalle,soudainassailliparunmauvaispressentiment.Etait-ceainsiqu’ilsavaientattiréVictordansleboxpourl’éliminer?JavasetKarifleregardèrentcommes’ilavaitperdulatête.Karifluitenditlabridepuissortitavec
soncomparse.Derrière lui, Mac entendit la grille se refermer, mais garda son calme. Espéraient-ils que le
fougueuxétalonallaitfaireleboulotàleurplace?Illevalamain,commeilavaitvusonpèrelefaire.Avecdesgestestranquilles,ilrassuralecheval
effrayédontlesnaseauxfrémissaient.Aprèsquelquesinstants,Dragon’sSoulbaissalatêteets’avançalentementversluid’unairdocile.Macluicaressal’encolure.Soudain,ilentenditlavoixd’Emmaquil’appelait.—Mac!Mac!Ellearrivaitencourant,paniquée.—Quesepasse-t-il?luidemanda-t-il,soudaininquiet.—C’estNavigator.Ils’esteffondrédanssonbox!Il tapota une dernière fois l’encolure de Dragon’s Soul et emboîta le pas à Emma, donnant au
passagelabrideàRahul,dontl’expressionétaitindéchiffrable.Emmarepartitaupasdecourse,etillasuivit.Il remarqua deux palefreniers qui installaient le cheval queRahul venait de ramener. L’un d’eux
tenaituncarnetàlamain.Encoredesnuméros…Ilstraversèrentl’enclosetseprécipitèrentdansl’écurieprincipale.Une fois à l’intérieur,Emmas’arrêtamaisMaccontinua,déterminéà savoir cequi était arrivé à
Navigator.Ilatteignitlastalledanslaquellelepur-sangmangeaitpaisiblementdanssoncoin.—Emma,qu’est-ceque…—Chut!Ellejetaunregardderrièreellepuisentradanslastalle.—Parleàvoixbasse,ilspourraientnousespionner.Asonattitude,ilcompritqu’elleétaitterrorisée.—Dis-moicequ’ilya,dit-ilenpassantunbrasautourdesesépaules.—J’aivuKarifetJavassortirdel’écurieetallerchercheruncricdanslecoffredelacamionnette.
Quandjelesaivusretourneràl’intérieuravec,jemesuisprécipitéeetjet’aiappelé…Elletremblaitdetoussesmembres.Illaserracontrelui.—Ilsvoulaienttetueraveccecric,Mac!ExactementcommeilsonttuéVictor.Etlui,ilétaittombédanslepanneau.S’iln’avaitpascalmél’étalon,etsiEmman’avaitpasmonté
lagarde,c’enauraitétéfinidelui.Illaserraplusfortpourqu’ellecessedetrembler.
16
Le cœur battant, les documents légaux pourNavigator enmain, Emma faisait la queue devant leguichetd’inscription.Autourd’elle,l’atmosphèrebruissaitdeconversations.Elle sourit timidement à d’autres propriétaires qu’elle connaissait. Deux guichets plus loin, elle
repéraRahul,quiinscrivaitDragon’sSoulàlaHolidayClassic.Avecunfrisson,elletournalatêtepournepasavoiràcroisersonregard.Depuisqu’elleétaitparvenueàempêcherqueseshommess’enprennentàMac,elleavaittoutfait
pouréviterRahuletsonéquipe,carellecraignaitd’êtreincapablededissimulersahaineàleurégard.—MademoiselleClareborn,ditsoudainRahulquis’étaitfrayéuncheminparmilesfilesd’attente
pour venir se poster près d’elle, je vous souhaite bonne chance. Je suis sûr que Navigator peutremporterlacourse.—Merci,Rahul,etbonnechanceàDragon’sSoul.Rahul acquiesça et lui adressaunpetit sourire,mais son regard sombre était froid.Dèsqu’il eut
tournélestalons,ellepoussaunsoupirpourreprendrelecontrôledesesémotions.Elleseraitheureuselorsquetoutecettehistoireseraitterminéeetquecetypeseraitenprison.Enfin,l’hommedevantelleterminasaprocédured’inscriptionetluilaissalaplace.Elles’avançaettenditsespapiersàl’employéeauguichet.—FirehillFarm,OldLemonRoadàLexington.L’employée consulta les documents : le certificat médical du Dr Remington, sa licence de
propriétaire-entraîneur,soncertificatd’assurance.—Puis-jeavoirvotrerèglement,mademoiselleClareborn?Emmacherchadanssapocheetensortitunchèque.—Merci. Je crois que tout est en ordre. Je fais procéder à l’enregistrement des documents. Le
secrétariatvavousdonnerlenumérodel’emplacementréservéàvotrechevaldansl’écurieainsiquelesaccréditations.Votrechevaldevraêtredansl’enclosà15heuresauplustard.Ileffectuerauntourdeprésentationavecunjockeydeparadeunefoisquevotrejockeypersonnelseraenregistré.Et,bienentendu, en tant quepropriétaire, vousdisposerezd’un siège réservé en tribune.Votre cheval devraêtredans leboxdedépartà15h20auplus tard, sansquoi il risque ladisqualification,etvousnepourrezalorsplusvousfairerembourservosfraisd’inscription.Emmaenfrissonnaitd’excitation.Enfin,toutceladevenaitréel!Ellequittalafileetsedirigeaverslebureauoùunesecrétaires’activasursonordinateurpourlui
fournirlesdocumentsnécessaires.—Commentçasepasse?demandaMacquivenaitdelarejoindre.Ausondesavoix,ellesesentitimmédiatementapaisée.—TuasvuRahul?
—Oui.—Ilm’asouhaitébonnechanceetaaffirméqueNavigatorpouvaitgagner.—Vraiment?Lasecrétairesetournaverssonimprimanteetcommençaàrassemblerlesfeuillesquiensortaient.D’unemain tremblante,Emmaprit lespapiersqu’elle lui tendit. Jusqu’àprésent, sonpère s’était
occupédesprocéduresd’inscription.Lemomentétaitvenupourelledeprendrelarelève.—Détends-toi,luiconseillaMac.Jet’apprendraiàtefamiliariseraveclapaperasse.Tuasdéjàfait
quelquechosedebeaucoupplusdifficile,àsavoirentraînerunchampion.Alorsça,c’estdugâteau.Heureusedel’avoiràsescôtés,elleselaissaallercontrelui.—Voilà, tout y est,mademoiselleClareborn.Passez unebonne journée, et bonne chancepour la
course.Emma glissa les documents dans son sac puis tourna les talons pour partir.MaisMac, lui, avait
encoreunerequête.— Excusez-moi, dit-il à la secrétaire. Savez-vous par hasard dans quelle écurie sera Dragon’s
Soul?—Oui,biensûr,réponditl’employéeentapotantsursonclavier.Ecurie5,stallen°20.—Merci,ditMacavantd’allerrejoindreEmma.Enarrivantdansleparking,illapritparlecoudepourl’inciteràs’arrêteretregardaautourd’eux,
méfiant.Rahullesavaitprécédésdeplusieursminutes,maisilavaitlesentimentqu’ilétaitencorelà,quelquepart,àlesattendre.—Nousl’avonsfait,Mac!Cettefois,c’estvraimentparti.Il lapritpar lamainetsedirigeaverssonpick-up.Cen’estqu’unefoisqu’ilsfurent tousdeuxà
l’intérieurqu’ilcommençaàsedétendre.—Oui,c’estunsoulagementd’enavoir terminéavec lesprocédures.Maintenant, ilnenousreste
plusqu’àgagner.—AvecunchevalcommeNavigator,nousgagnerons,j’ensuissûre.Ildémarraettraversaleparking,unœilsursonrétroviseur.— Ilme faut un chapeau pour le jour de la course,Mac. Peut-on faire un crochet parVictorian
Square?—Biensûr,acquiesça-t-ilen tournantàgauche, tandisqu’ilsurveillaitunevoiturenoirequiétait
sortieduparkingjusteaprèseux.—C’estauboutdeMainStreet,c’estbiença?—Oui.Ilsesouvenaitduvieuxcentrecommercialquiexistaitdéjàavantsanaissance.C’étaitsansdoutelà-
basquesonpèresefournissaitluiaussienchapeaux.Danssonrétroviseur,ilvitlavoiturenoirebifurquerpuisdisparaîtreetsesentitunpeumieux.C’étaitunebonneidéed’alleràVictorianSquare.IlavaitdescoursesdeNoëlàfaire.
***
Mac repéra les phares de la voiture dans son rétroviseur alors qu’il venait de quitterNewZionRoad.Il reconnut immédiatement le coupé noir qui les avait suivis quelques instants lorsqu’ils avaient
quittélechampdecoursesetfutimmédiatementenalerte.Lavoitureroulaitvite.Ellelesrattrapaetlesdépassaàgrandevitesse.—Bonsang!Cetyperoulebeaucouptropvite.Emmaregardalesfeuxarrièreduvéhicules’éloigner.—Cettevoiturenousasuiviscetaprès-midiquandnousavonsquittéleparkingdel’hippodrome,
mais elle a ensuite bifurqué assez rapidement. Jeme suis demandé si c’était une coïncidence ou sic’étaitintentionnel.—Ehbien,tuastaréponse.Maisqu’est-cequ’ilfait?sedemanda-t-elleàhautevoixtandisqu’elle
voyaitlesfeuxstopdelavoitures’allumer.—Tuasbienattachétaceinture?—Oui,commed’habitude,répondit-elle,inquiète.S’attendait-ilàcequ’ilsaientdesennuis?Ellevitlesfeuxarrièredisparaîtredevanteuxetsesentitsoulagée.Quelquesinstantsplustard,des
pharesapparurentfaceàeux.—Ondiraitqu’ilafaitdemi-touretrevientversnous,ditMac.Emmasentitlapeurl’envahir.Mentalement,ellesereprésentalaroutesurlaquelleilscirculaient.—Entreluietnous,ilyalepontquienjambeElkhornCreek.Macregardalecompteur,ralentitetcherchaàvisualiserlazonedontelleparlait.A cet endroit, le cours d’eau était large ; le pont était long de près de cinquante mètres et
surplombaitleseauxd’unequinzainedemètres.Etait-ce un piège ? Il savait pertinemment que son pick-up était beaucoup plus lourd que cette
voiturenoireetque,s’ildevaitfaireunemanœuvrebrutalesurlepont,ilsrisquaientdebasculerdanslevide.Alalumièredesesphares,ilvitlepanneauindiquantlepont,àunevingtainedemètresdevanteux.
Iln’avaitaucuneenviedes’yretrouverenmêmetempsquelecoupé.Ilenfonçalapédaledefrein.Aumêmeinstant,ilyeutunbruitd’explosion,semblableàceluid’un
pétard.Unpneuavaitéclaté.Lepick-upfituneembardéeetdelafuméemontadelaroueavantgauche.Macfitdesonmieuxpourgarderlecontrôleduvéhicule,maisneput l’empêcherdesemettreen
travers.Emmahurla.Comprenantqu’ilnepourraitpaséviterlasortiederoute,Mactentadelimiterl’impact,maisc’était
troptard.
Les roues avant glissèrent sur le gravier. Le pick-up bascula et dévala le talus en faisant destonneaux.Lesairbagssegonflèrent.Aprèsdeuxtours,lepick-ups’immobilisasurletoit.Têteenbas,saceinturetoujoursattachée,Macregardaàtraverslepare-brisecasséoùilsétaient.
Unphare,quiavaitrésistéauchoc,luipermitdeconstaterqu’ilss’étaientarrêtésàquelquesmètresdel’eau.—Emma?appela-t-ilendétachantsaceinture.Ilsetortillapourseremettreàl’endroitetsetournaverslesiègepassager.—Emma,tum’entends?répéta-t-il,maintendue,sentantlecontactdesescheveux.—Emma!Atâtons,ildétachasaceintureetlaretintpourqu’ellenetombepas.Elleétaitinconscientemaisenvie.Ilentenditunbruitdemoteurquisemêlaitàceluidupick-upquitournaittoujours.Soudain,uneodeurcaractéristiqueluiparvintetilcompritquelasituationsecompliquait.Del’essence.Leréservoirdevaitêtreentraindefuir.Ilfallaitqu’ilsorteEmmadelavoiture.Vite!Ilpassaunbrasautourdesatailleetlatintcontrelui.Puisilseplaçafaceàlavitrecôtéconducteur
et,dupied,frappadetoutessesforcespourlabriser.De sa botte, il déblaya les éclats de verre pour qu’ils ne risquent pas de se blesser lorsqu’ils
sortiraient.Ilpassaunejambeparl’ouverture,puisl’autre.Aplatventre,iltiraEmmaàsasuiteenespérantque
l’ouvertureseraitassezlargepourqu’ilpuissepasserlesépaules.Sinon…
***
Ademi-consciente,Emmasentitqu’onlatirait.LasensationdubrasdeMacautourdesataillelaramenalentementàlaréalité.Unaccident.Ilsavaienteuunaccident.Elleserappelalebruitd’uneexplosion,suivid’unfracasde
ferraille.Soudain,elleeutl’impressionqueMaclalâchait.Pourquoi?Lapeurluifitcomplètementreprendreconscience.Elleouvritlesyeuxettentad’inspirerunegouléed’air.Elleserenditcomptequelavoitureétaitsur
letoit.
Dansunmouvementdepanique,ellecherchaàseretourner,maiselleétaitcoincée.—Mac!cria-t-elle.Jenepeuxpasrespirer!—Accroche-toi,Emma.Jevaistefairesortirparlavitre,maistudoisleverlesbrasau-dessusde
tatête.Elles’exécutaetlesentitlasaisirparlespoignetspuislatirer.Ilparvintàl’extirpersanstropde
difficultéduvéhiculeetladéposadoucementsurlesol.—Gardelatêtebaissée.Ilyadeshommesauborddelarouteau-dessusdenous.Mieuxvautleur
laissercroirequenousnenousensommespassortis.Elleacquiesçasilencieusement.Hélas!Ilsavaientsansdoutedéjàfaittropdebruit,etleshommesavaientcomprisqu’ilsétaienten
vie.Untirretentitdepuislarouteetuneballevintselogeràl’arrièredupick-up.MacdégainasonarmeetpritEmmaparlamain.—Leréservoirfuit.S’ilsletouchent,çavaexploser.Ilfautabsolumentquenousnouséloignions.Elleserrafortsamain,commepourluisignifierqu’ilétaitsonseulespoir.Macregardaautourd’eux.Ilyavaitdesarbresàunevingtainedemètresdel’endroitoùilsétaient
venuss’échouer.S’ilsparvenaientà lesatteindreetà s’ydissimuler, ilsavaientunechancedes’entirer.Unenouvelleballesifflaprèsd’eux.—Tupeuxcourir?—Oui.Jemesensunpeufaible,maisj’aiencoreassezdeforce.—Tuvoiscesarbres,là-bas?reprit-ilendésignantlebosquetdudoigt.Jevaisriposteràleurstirs
etensuitenousfonceronsdroitdessus.Ilsnesontqu’àvingtmètres,machérie,pasplus.Denouveau,elleacquiesçasansprotester.Maclevasonarmeettira.L’hommesurlarouteripostaaussitôt.—Vas-y,Emma,cours!Elledétalasansdemandersonreste.Maclasuivitenseplaçantjustederrièreellepourluiservirdebouclier.Ilsatteignirentlesarbresetplongèrentausol,àl’abri.Macseretourna,visalavoiturenoireetfitfeu.Depuislaroute,l’hommeripostaentirantsurlepick-up.Ilyeutunbruitsourdetunebouledefeumontaversleciel,embrasantlanuit.Cettesoudainesourcede lumièrepermitàMacde repérerunhommedeboutàcôtéd’unevoiture
noire,maisilnelereconnutpas.L’inconnus’empressaderemonterdanslavoiturequidémarraentrombe.—Mac,tacamionnette!s’exclamaEmma.Illapritdanssesbras,laserracontreluietluidéposaunbaisersurlefront.
—Unevoiture,çaseremplace.Netetracassepaspourça.Ilcherchadanssapoche,sortitsonportableetcomposale911.IldemandaleshérifWilkesetqu’on
envoieuneambulanceetlespompiers.Aprèsavoirmisfinàlacommunication,ilserradenouveauEmmacontreluietregardalesflammes
finir de transformer sonpick-upenune carcassedemétal rougeoyant. Il frissonnaen songeantqu’ilavaitétéàdeuxdoigtsdeperdreEmma.Cettepenséeluiétaitinsupportable,carlafemmequ’ilserraitdanssesbrasétaitirremplaçable.Ilfermalesyeuxets’autorisaàsedireunevéritéqu’ilrefoulaitdepuisdesjours:ill’aimaitplus
quetout.
***
Assiseàl’arrièredel’ambulance,EmmaregardaitMacetleshérifquidiscutaientsurleborddelaroute.Elleavaitsubiunchocàlatêteetsesoreillessifflaientatrocement.—Fixezlalumière,mademoiselle,luiditunambulancierenbraquantunepetitelampesursonœil
droit,puissurlegauche.Ladilatationdevospupillesestnormale,iln’yapasdetraumatisme.—J’aimeraisrentrerchezmoi.Monranchn’estqu’àquelqueskilomètres.—Nousvous laisserons repartirdèsquepossible,maisvoussouffrez toutdemêmed’une légère
commotion.—Jesaiscequec’est.Jevousprometsd’êtreprudenteetd’appelerunmédecinsijemesensmal.L’ambulancierpritunformulaireetleluitendit.— Dans ce cas, vous devez signer cette décharge qui certifie que vous ne souhaitez pas être
transportéeàl’hôpital.Elle prit le stylo que lui présentait l’ambulancier et signa sans hésiter, puis elle descendit du
véhicule.—Merci.EllesedirigeaversMacetleshérif,quidiscutaienttoujours.—Cen’était pasun accident.Quelqu’unadéposéuneminicharge explosive surmavoiturepour
faireéclatermonpneuavantgauche.Onvoulaitnousfairetomberàl’eau.—Avez-vouspureleverlaplaqued’immatriculationdevotreagresseur?—Non,maisjesuiscertainquec’étaituneLexusnoire.EmmaseserracontreMacpourseréchauffer.—Jevaisfaireprocéderàunerecherchesurcettevoiture,mêmesic’estunmodèlecourant,ditle
shérif.— Je l’ai touchée aumoins une fois au niveau de l’aile arrière gauche.Une Lexus qui porte un
impactdeballe,celaconstitueunsignedistinctif.Wilkesacquiesça.
—Pouvez-vousnousrameneràlamaison,shérif?—Oui,biensûr,allez-y,montezenvoiture.«Alamaison.»CesmotsétaientdouxauxoreillesdeMacquiétaitheureuxdesentirEmmatout
contrelui.Cequ’ilaimaitmoins,c’étaitl’idéequeRahulavaitpeut-êtreengagéunnouvelhommequin’auraitaucunscrupuleàlesabattre.
17
Mac ferma la porte du van et alla s’appuyer contre la portière conducteur de la camionnette deFirehillpourattendrel’arrivéed’Emmaafinqu’ilspuissentpartirpourKeeneland.Ilétaittendu;l’atmosphèreétaitélectrique.Devantl’écuriesecondaire,KarifetRahulluttaientpour
fairemonterDragon’sSouldansleurremorque.Troisjourss’étaientécoulésdepuisl’accidentsurLemonsMillsPike,etuneLexusnoireportantun
impactdeballe avait été retrouvéedans le fossé àquelques centainesdemètresde l’endroit où ilsavaientquitté la route.UncoupledeLexingtonavaitportéplaintepourvoldevéhicule—laLexusnoire enquestion— le jourde l’inscriptionpour laHolidayClassic.L’enquêteétaitdoncdansuneimpasse.Ce soir, heureusement, tout serait terminé.Dumoins selonDonahue, qui avait fixé rendez-vous à
Macavant le leverdusoleilpour luiposerunmicroespion.L’intentionde laNSAétaitdeprendreRahulettoutesabandesurlefaitetderéussirainsiunmagistralcoupdefilet.LebruitdelaportedederrièredelamaisonquiserefermaittiraMacdesespensées.IlvitEmmas’avancerverslui,vêtued’unpantalonnoiretdebottesdecow-boy.—Hé!Tuessuperbe!Elleluiadressaunpetitsourirecrispé.Sansdouten’avait-ellepasdormibeaucoupplusquelui.—Voilà,lejourdelacourseestenfinarrivé,dit-elle,nerveuse.Ducoindel’œil,elleaperçutRahulmaiselles’efforçadenepasregarderdanssadirection.Ilétait
bienledernierqu’elleavaitenviedevoircematin.—Onyva?—C’estparti.Maccontournalacamionnettepourluiouvrirlaportière.Lorsqu’ellefutinstallée,ilallas’asseoir
auvolantetmitlecontact.—Oùesttonpère?—Ilm’aditqu’ilregarderaitlacourseàlatélé.Ildémarra.Emmaboucla sa ceinture et serra contre sapoitrine l’enveloppecontenant lesdocumentsdont ils
avaientbesoin.Dansmoinsd’unedemi-heure,ilsseraientàdestination.
***
Al’entréeduchampdecourses,Mactenditlesaccréditationsaugardeenuniforme.Cedernier lespassaen revue, les lui renditpuis lui fit signed’avancer tandisque labarrière se
levait. Ilpénétra sur leparkinget roulavers l’écurie. Il segara leplusprèspossiblede l’entréeet
coupalecontact.—Voilà,nousysommes.—Désormais,lesdéssontjetés,répliquaEmmaenluiprenantlamainpourlaserrer.—LeshommesdeDonahueontencerclél’hippodrome.Toutsepasserabien,luiassura-t-il.—Commentlesais-tu?—Ilm’aexpliquéleurpland’actioncematin.Emmas’efforçadenepasselaissersubmergerparlestress.—Sait-ilcequ’ilscomptentfaireexactement?—Disonsqu’il ade forts soupçons sur leurs intentions,maisqu’ilne saitpascommentçava se
passer.Resteenpermanencesurtesgardes,Emma,etsituvoisquoiquecesoitquitesemblesuspect,préviens-moiimmédiatement.—Jeferaimonpossible,répondit-elleavantd’ouvrirsaportière.Macdescenditégalementdevoiture.IlentenditNavigatorhennirdanslevan.—Allonsd’abordvérifierl’étatdelastalle.Ensuite,jeleferaisortir.Normalement,c’esttoutau
boutdel’écurie.Ilss’yrendirenttousdeux.Leboxétaitimpeccableettapissédepaillefraîche.—Bien,toutestenordre.Jevaischerchernotrechampion.Emmarestaàl’entréedelastalleetregardaMacfairedescendreNavigatorduvan.Le pur-sang était excité. Il encensa et poussa un long hennissement, auquel répondirent ses
congénères.Ellesesentaitàpeuprèsdanslemêmeétatquesoncheval.LalumièrerasantefaisaitluirelarobedeNavigatoretflattaitsaligneparfaiteetathlétique.Emma
sentitsonpoulss’accélérer.Aujourd’hui,Navigatorallaitgagner.Sonexcitationcédacependantvitelaplaceàl’anxiétélorsqu’ellevitRahuletKarifgarerleurcamionnonloinduleur.Ils descendirent et ouvrirent immédiatement la remorque. Dragon’s Soul en bondit et, comme
d’habitude,lesdeuxhommesdurentlutterpourlemaîtriser.Emmas’efforçaderegarderailleursetdepenseràcequ’elleavaitàfaire.Illeurrestaitdeuxheures
avantqueNavigatorn’entredanssonboxdedépart.
***
A l’affût du moindre comportement suspect, Mac observait les entraîneurs qui amenaient leurschevaux.Del’autrecôtéde l’enclos,RahuletKarifbataillaient toujourspourattacherDragon’sSoulàson
piquetd’échauffement.Macsefitlaréflexionquel’étalonrendaitbienàcesdeuxtypestoutleméprisqu’ilsluiportaient.
Aumoins,l’animalavaituninstinctsûr.
—Gradydevraitarriverd’uneminuteà l’autre,ditEmmaenconsultantsamontrepourlaénièmefois.Navigatorestprêt.—Ducalme,Emma,luiréponditMacd’untonapaisant.Elleseserracontrelui,cherchantàabsorberunpeudesasérénité.Sonregardseportadel’autre
côtédel’enclos.—Regarde,Mac,jecroisquel’émirAbadarvientd’arriver.Macsentitsescheveuxsedressersursanuque.Abadarallait-illereconnaître?Ilsortitseslunettes
desoleildelapochedesavesteetlesmit.Donahueleuravaitexpliqué,àEmmaetàlui,commentsecomporters’ils le rencontraient.Si l’émir reconnaissaitMac, ilpourraitavoirdessoupçonset toutel’opérationrisquaitdetomberàl’eau.Iljetaunregarddiscretversl’endroitoùsetenaitl’émir.Rahulluiparlaitenlesdésignantdudoigt.
L’émir,vêtud’uncostumetraditionnel,seretournaets’avançaverseux.—Dis-luipolimentbonjour,Emma.Tun’asrienàfairedeplus.Il s’affairaautourdeNavigator, ledos tourné, faisantminede l’inspectersous toutes lescoutures
pourparfairesonéchauffement.—MademoiselleClareborn?Emmarassemblasesforcesetfitfacesanscilleràl’émirquil’observaitd’unairsuffisant,lesyeux
plissés.EllesedemandapourquoiMacavaitrisquésaviepoursauvercelled’unhommeàl’airaussiméprisant.—Vousdevezêtrel’émirAbadar.Heureusedefaireenfinvotreconnaissance.—Rahulm’aapprisquevousluiaviezdemandédequittervotreécurie.J’espèrequenousnevous
avonspascausédetort.ElleserappelalesinstructionsdeDonahue,quiluiavaitdemandédeprendregardeànepasfaire
d’éclat.—Non,pasdutout.D’ailleurs,jevousfaiscadeaudelasommequ’ilvousrestaitàréglerpourla
locationdesstallesjusqu’àaprès-demain,dateàlaquellevousdevrezquittermonécurie.—C’estentendu.Après-demain,nousauronslibéréleslieux.Mac contourna le pur-sang et lui passa lesmains sur les articulations des jambes. Troublé, il se
concentrasurlavoixd’Abadar.—Bonnechancepourlacourse,mademoiselleClareborn.Votrechevalestvraimentmagnifique.L’émir s’exprimait avecunevoixplus aiguë, et sans lapointed’accentqueMac lui avait connue
lorsqu’ilavaitétéenchargedesaprotection.—Merci.Bonnechanceàvousaussi.Macse redressapourvoir levisagede l’émir justeavantqu’ilnes’éloigne. Il ressemblait fortà
AhmedAbadar,maiscen’étaitpaslui.Enrevanche,ilavaitdéjàvucethomme.C’étaitluiqui,lesoirdel’accident,setenaitauborddelaroute,àcôtédelaLexusnoire.Macattenditencoreunpeupuiss’approchadelabarrièredel’enclos.Del’autrecôté,l’hommequi
sefaisaitpasserpourl’émiravaitmaintenantunevaliseenmétalargenté.L’imposteurrejoignitKarifaumomentoùlesjockeysdecourseetceuxquidevaienteffectuerletour
deparades’approchaientdeleursmontures.—Cen’estpasAhmedAbadar,ditMacassezfort,enespérantqueDonahue,àl’autreboutdumicro
qu’ilportaitdissimulésoussachemise,l’entendrait.C’estunimposteur.EmmaluijetaunregardperplexepuissetournaversGradyStevens,quis’approchaitd’eux.—Voilà,ilestprêt.Jevousleconfie,Grady,dit-elleaujockeyenluitendantlesrênes.—Allez,enpiste!ajoutaMacenaidantlejockeyàsemettreenselle.GradyfitsortirNavigatordel’enclosencompagniedujockeydeparade,quimarchaitàcôtéd’eux.MacreportasonattentionsurlefauxAbadaretlevitremettresavaliseàKarif.Unevalise?Peuavantdemourir,Victoravaitparléd’unevalise…—Mac,quesepasse-t-il?luidemandaEmmaenluivoyantl’airsoudainsoucieux.—Vaprendreplaceentribune,Emma,etn’enbougeplus.Promets-le-moi.L’expressiondeMacluifitpeur.Ellehochalatête.—Jet’aime,Emma,reprit-il.J’auraisdûteledirebeaucoupplustôtetdansd’autrescirconstances.Sansluilaisserletempsderépondre,ilpritsonvisageentresesmainsetl’embrassa,fort,avantde
lalâcheretdes’éloigneràgrandesenjambées.La gorge nouée par l’émotion, Emma resta interdite quelques secondes. Elle le regarda slalomer
parmilesentraîneursetsuivreKarifquis’éloignaitenportantunevalise.MaisoùdiableétaitDonahue?
***
MacemboîtadiscrètementlepasàKarif.IldevaitserendreàlastalledeDragon’sSoul.Etait-cedeladroguequ’ilavaitdanssavalise?Macn’enavaitpaslacertitude,maisilétaitsûrque
lemomentcrucialétaitarrivé.—J’espèrequevousêtesàl’écoute,Donahue,carçarisquedechaufferbientôt.Ecurien°5,stalle
20.Ilcroisadeuxpalefreniersquileregardèrentcommes’ilavaitperdulatête.Lentement,ilremonta
l’allée.Ildégainasonarmeetlatintlelongdesoncorpspourqu’ellesoitinvisible.Toutàcoup,ilaperçut
lehautdelatêtedeKarifquidépassaitau-dessusdelacloisondelastalleetsebaissa.Aprèsavoirprisunelongueinspiration,ilseremitàavancerenrestantaccroupi.Arrivétoutprèsdelastallen°20,ilseplaquacontrelaparoiettenditl’oreille.—Khamm-sah…sit-ah…Denouveau,Karifcomptait,commedansl’écuriedeFirehill.Macs’approchadavantageetrisquaunregardparunpetitespaceentredeuxboxes.Karifétaitagenouillédevantlavaliseouverteetsemblaitfairel’inventaireducontenu.Dessachets
blancs.—Ilvérifielamarchandise,chuchotaMacdanssonmicro,priantpourqueDonahueetseshommes
interviennentsur-le-champ.Ilbranditsonarmeetseruadanslastalle.Kariffitvolte-faceetleregardaavecuneexpressionébahie.—Ecarte-toi!ordonnaMacenluifaisantsigneavecsonarmedereculerdanslecoindubox.Karifselevaetfitunpasdecôté.—Donahue,ramenez-vous!cria-t-ilsansquitterKarifdesyeux,sonrevolverbraquésurlui.Il entendit du bruit et des éclats de voix en provenance de la travée de l’écurie et s’attendit à
découvrirDonahueetseshommes,armésjusqu’auxdents.CefutEmma,leregardagrandideterreur,souslamenacedeRahulquiluiserraitunbrasautourducou,quientradanslastalle.—Karif,finisdecompter,ordonnaRahul.Macbraquasonpistoletsurlui,prêtàfairefeus’illefallait,maisEmmaétaittropprès.Karifsepenchadenouveausurlavaliseetrecommençaàcompterlessachets.Malgrésapeur,Emmadécidadeserévolter.Elleinspiraàfondetdonnaunviolentcoupdetalon
dansletibiadeRahul.Cedernierlaissaéchapperuncridedouleur.Sansattendre,Emmaenchaînaparuncoupdecoudeaumenton,detoutessesforces.Rahullâchaprise,etiln’enfallutpasplusàEmmapourselibérerdesonétreinteetseruersurla
fourcheposéecontrelaparoidelastalle.Deuxcoupsdefeuretentirentalors.Macavaittiré.Karifs’effondrasurlavalise.Emmasaisitlafourche,seretournaetimmobilisaRahulcontrelaparoiopposée.—Allez !Allez !Allez ! cria alors la voix deDonahue tandis que ses hommes se ruaient dans
l’écurie,armeaupoing.MacrengainasonrevolveretpritEmmadanssesbras.Donahues’occupaitdéjàdemenotterRahul
etunspécialistedesnarcotiquesrepoussaitlecadavredeKarifpourexaminerlecontenudelavalise.IllevalatêteversDonahue.—Ilyabienlongtempsquejen’avaispasvuuneaussibelleprise.IlpritlecarnetoùKarifavaitconsignédeschiffresetajouta:—Si jeme fie à ça, il y en a pour près d’unmillion de dollars en valeurmarchande dans ces
sachets.Emmatremblaitdetoussesmembres,maisMaclaserraitfort.—Etlesrevendeursquidevaientleurremettrel’argent,quesont-ildevenus?—Nouslesavonsinterceptésensuivantl’hommequisefaisaitpasserpourAbadar,c’estpourquoi
nousnesommespasarrivésplusvite ici.Parailleurs, j’aiappris ilyadixminutesquelecorpsduvéritableémirAbadaravaitétéretrouvéàBahreïnilyaunesemaine.Ilsembleraitqu’ilavaitcomprisquelecartelcomptaitusurpersonidentitéetseservirdesonimmunitédiplomatiqueetdeseschevauxde course pour introduire de la drogue sur le sol américain. C’est lui qui a alerté nos services desécuritéintérieure,etill’apayédesavie.
Celaexpliquaitlesvéritablesraisonsdelavisitedel’émirauxEtats-Unisetpourquoionavaitdéjàtentédel’assassineràl’époque,songeaMac.—Donc, ils faisaiententrer ladrogueenmêmetempsque leschevaux,et lesquantités importées
étaienttatouéessurl’intérieurdelalèvredesanimaux.C’estça?—Ilsemblerait,eneffet.—Etquevontdevenirleschevauxdel’émir?—Nous ne sommes pas certains qu’ils lui appartenaient réellement.Alors, si vous le souhaitez,
vous aurez neuf bêtes supplémentaires à Firehill, répondit Donahue avec un sourire.Mac, si vousvoulezintégrerlaNSA,vousêteslebienvenu.Jesuissûrqu’onpourraitvoustrouverunjob.—Merci,maisj’aidéjàunjob.VeillersurFirehillFarm.Sidumoinsonm’autoriseàyrester.Auloin,ilsentendirentunhaut-parleurappelerlesjockeysàrejoindreleurboxdedépart.—Excusez-nous,Donahue,maisnousavonsunchevalquiparticipeàlacourse.Sivousn’yvoyez
pasd’inconvénient,nousferonsnotredépositionaprèsl’arrivée.Donahueacquiesça.—Allez-y,etj’espèrevousrevoirsurlepodium.MacpritEmmaparlamainettousdeuxpartirentencourant.
***
Letopdedépartretentitetlesgrillesdesboxess’ouvrirent.—Etilssontpartis!s’exclamalecommentateurdanssonmicro.Emma etMac étaient appuyés contre la rambarde. Ils regardèrent Navigator partir en milieu de
pelotonpuisprendrel’intérieur.Emmaavaitlecœurquibattaitàtoutrompre,sanssavoirsic’étaitàcausedelacourse,decequi
venaitdesepasserouparcequeMacluiavaitditqu’ill’aimait.Mac lui prit la main et l’invita à se rapprocher de la ligne d’arrivée. Son regard se posa sur
Dragon’sSoul,quiétaitendernièreposition.—Allez,Dragon,murmura-t-ilentresesdents.— Polly’s Day est en tête, Joker’s Rules suit à une longueur, Texas Two Step est en troisième
positionalorsqueseterminelepremiertour,annonçalecommentateur.MacetEmmatrouvèrentuneplaceaupremierrang,faceàlaligned’arrivée,etseconcentrèrentsur
lacourse.Macretintsonsoufflealorsqueleschevauxsortaientduderniervirageavantlalignedroite.— Polly’s Day a rétrogradé à la troisième place, Joker’s Rules prend la tête. Dragon’s Soul à
l’extérieuretNavigatoràlacordefontuneremontéespectaculaire!Emmaluiserralebras.—Allez,Navigator,tupeuxlefaire!Allez!
—Lepelotoncommenceàs’étirer,c’estmaintenantNavigatorquiprendlatêtemaisDragon’sSoulsuitlerythmeetestsecondàmoinsd’unelongueur!Macgardaleregardrivésurlaligned’arrivée.NavigatoretDragon’sSoulétaientquasimentàla
mêmeallure.Auderniermoment,Navigatordonnauncoupdereinsformidable,jetalatêteenavantetcoupalaligned’arrivée.—Etc’estlenuméro5,Navigator,quiremportelacourse!Dragon’sSouléchoued’unsouffleen
secondeposition,etJoker’sRulescomplètelepodium!MacpritEmmadanssesbrasetl’embrassaavecfougue,foudejoie,foud’amour.Puisils’écartaun
peud’elleetlaregardadanslesyeux.—Jet’aime,Em’.Leslarmesauxyeux,lecœurserréparl’émotion,Emmasemitsurlapointedespiedsetl’embrassa
àsontour.—J’élèvedeschevauxdegrandevaleur,tusais,etj’aimeraisbienqu’unhommemerveilleuxveille
sur eux en permanence. Pourrai-je te convaincre de rester à vie ? lui demanda-t-elle, le rouge auxjoues.—Jecommençaisàdésespérerde t’entendreme ledemander, répondit-ilen la tirantpar lamain
verslepodium.
***
Macattenditqu’Emmas’installedanslabalancellepuisluitenditunedesdeuxtassesdechocolatchaudàlamenthequ’iltenaitavantdes’asseoirprèsd’elle.— Tu te rends compte ? Depuis des semaines, Samantha, l’infirmière de mon père, l’a aidé à
réapprendreàmarcherpourqu’ilpuissemefairelasurpriselaveilledeNoël!Etmaintenantilmeditqued’iciaumoisdemai,pourlederby,ilaurareprislejogging.Mactenditlamainpourreplacerunemèchedecheveuxderrièresonoreille.—C’étaittrèsémouvantdelevoirseleverettraverserlesalon,Em’.Ilvaréussir,j’ensuissûr.Macposasatassesurlarampeduperronetfitdemêmeaveccelled’Emma.—Aujourd’hui,nousavonstousaccompliquelquechose.Tonpèreamarché,nousavonssurvécuà
cettejournée,etNavigatoraremportélacourse.C’estunvéritablemiracle.—Moi je suis surtout heureuse que tout soit terminé ; j’ai besoin quema vie reprenne un cours
normal.ElleregardaMacluisourireavecmalice.Jamaiselleneluiavaitvucetteexpression.—J’aiuncadeaupourtoi,annonça-t-il.—Vraiment?Moiaussij’aiuncadeaupourtoi.Ellecherchadanssapochedemanteauetensortitunpapierrouléceintd’unrubanrouge.—Tul’asplusquemérité.JoyeuxNoël,Mac!Mac prit le rouleau et contempla les yeux d’Emmaqui pétillaient d’impatience. Il défit le nœud,
déplialepapier,etenoubliapresquederespirer.—Avecmonpère,nousenavonsparlélasemainedernière.Ilavaittoujourseul’intentionderendre
àPaulCalliwaysapartdeSmoothSailing,maisiln’enajamaiseul’occasion.Alors,commetuessonfils,ilestnormalquetuhéritesdecequiterevientdedroit.Macétaitémucommeilnel’avaitjamaisété.—Jenesaispasquoirépondre.DevenirpourmoitiépropriétairedeNavigator,c’esttrop,Em’.Je
nepeuxpas…Ellel’interrompitd’unbaiser.Ilselaissafaireetlapritdanssesbras.Aprèsquelquesinstants,ils’écartalégèrementettiradesapochelecadeauqu’ilavaitpourelle.—Ehbien,sijedoisaccepter,faisonsensortequ’ilresteentièrementdanslafamille,déclara-t-il
enouvrant l’écrinqu’ilavaitenmain, révélant labaguequ’ilcontenait. Jeveuxvivreavec toipourtoujours,EmmaClareborn.Ettoi,veux-tudemoi?—Jecommençaisàcroirequetunemeledemanderaisjamais,répondit-elle,leslarmesauxyeux.
HARLEQUIN®
estunemarquedéposéeparleGroupeHarlequin
BLACKROSE®
estunemarquedéposéeparHarlequin
Réalisationcouverture:C.ESCARBELT(Harlequin)
HARLEQUINBOOKSS.A.
Uninconnupourgardeducorps
TITREORIGINAL:ASOLDIER’SREDEMPTION
TraductionfrançaisedeESTELLEBELHIS
©2010,SusanCivilBrown.©2011,HarlequinS.A.
Retrouvaillessousprotection
TITREORIGINAL:THEBABY’SBODYGUARD
TraductionfrançaisedePHILIPPEDOUMENG
©2010,AliceSharpe.©2011,HarlequinS.A.
Undangereuxhéritage
TITREORIGINAL:HERPRIVATEBODYGUARD
TraductionfrançaisedeHERVÉPERNETTE
©2010,MonaGayThomas.©2008,HarlequinS.A.
Untroublantprotecteur
TITREORIGINAL:CHRISTMASCOUNTDOWN
TraductionfrançaisedeHERVÉPERNETTE
©2010,M.JanHambright.©2011,HarlequinS.A.
ISBN978-2-2803-6055-5
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