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IUFM DE BOURGOGNE
CONCOURS DE RECRUTEMENT:
-professeur des écoles
LES MONSTRES DANS LA LITTERATURE
ou comment et pourquoi exploiter ce thème à l'école
COURTILLON Sophie Directeur de mémoire :
Mme Claustre
Année 2005/2006 05STA00752
SOMMAIRE
Introduction............................................................................................3
I Qu'est-ce qu'un texte littéraire?
1)Le texte littéraire..................................................................4
2)La nouveauté des programmes de 2002..........................6
3)L'archétype dans la littérature...........................................8
a)le monstre, porteur de symboles..................................8
b)Etudier le stéréotype à l'école.......................................8
c)Les mythes et la littérature............................................9
4)La littérature et les arts visuels.........................................16
a)Les images.....................................................................16
b)Images et mythes..........................................................18
3)Qu'est-ce que lire la littérature?........................................19
a)Une lecture personnelle................................................20
b)Les pistes de lecture......................................................20
II Vers l'écriture littéraire
1)Les raisons de mon choix....................................................22
2)La peur du monstre ou l'amour de la peur.......................23
3)Une proposition de lecture de l'île du monstril................24
4)Un album, trois rôles.............................................................26
a)Tableau récapitulatif de la séquence « l'île du monstril » 27
b)Présentation de la classe................................................28
c)Les échanges oraux.........................................................29
d)L'enfant lecteur.................................................................29
e)L'élève « métalecteur »...................................................... 30
f)L'élève auteur......................................................................32
1
Conclusion.......................................................................................................42
Bibliographie..................................................................................................44
Annexes
2
INTRODUCTIONINTRODUCTION
Dracula, le loup-garou, le dragon, la gorgone...qu'est-ce que ces personnages ont en
commun ? Ce sont d'abord des êtres sortis de l'imaginaire, et ensuite des êtres
fantastiques ; des monstres. Que sont les monstres ? De malheureuses victimes de
malformations physiques et dont le commerce a donné naissance à d'odieuses
pratiques ou des êtres malveillants dont les anomalies physiques exhibent la
perversité ? C'est justement cette ambiguïté fondamentale qui m'a paru intéressante à
exploiter à l'école, mais pas seulement. En effet le monstre suscite aussi des
sentiments très forts et qui sont ambivalents : à la fois horrifiés et terrorisés par eux,
nous en sommes également pris de pitié et fascinés... Moi même, férue de littérature
fantastique et fascinée par les monstres , je me suis alors demandée : comment
exploiter la figure emblématique qu'est le monstre à l'école ? Cette fascination, cette
curiosité morbide surgit en nous depuis notre tendre enfance, et quoi de mieux que
de travailler avec des enfants pour prendre véritablement conscience du rapport
qu'ils entretiennent avec le monstre ? Mon idée était donc de mener une réflexion sur
une figure prototypique pour en évaluer d'abord les premières représentations puis
pour les enrichir, les diversifier. Même si je n'ignore pas que le monstre est largement
exploité dans les livres que rencontrent les enfants à l'école à travers les contes, les
albums ou encore les récits fantastiques, j'avais très envie d'expérimenter, de tester de
quelle façon le faire rentrer dans une salle de classe. Pour cette réflexion, il m'a donc
paru intéressant d' aborder ce symbole à travers une littérature qui ne l'est pas moins
; la mythologie grecque tout en étayant mes propos de quelques repères culturels et
historiques à propos du monstre. Dans un deuxième temps de la réflexion, le
monstre ne s'est plus contenté d'entrer dans la lecture littéraire mais il s'est glissé
dans l'écriture littéraire par le biais d'un album que je présente avant d'énoncer les
dispositifs pédagogiques qui ont été réalisés autour.
3
I Qu’est-ce qu’un texte littéraire ?
J'ai préféré ici définir le texte littéraire plutôt que la littérature elle-même car j'ai
craint que cette dernière ne nous amène sur d'autres pistes que celles que je me suis
donnée dès le départ, et surtout qu'elle occupe toute la réflexion.
1) Le texte littéraire
La définition qu’en donne le dictionnaire peut apparaître comme réductrice
quand on connaît les chemins sur lesquels la littérature peut nous emmener ; en
effet le Robert propose cette définition : « Les œuvres écrites, dans la mesure où
elles portent la marque de préoccupations esthétiques ; connaissances, activités
qui s’y rapportent. », ou encore « ce qu’on trouve dans les œuvres littéraires et qui
ne correspond pas au réel. »Mais la littérature, c’est à la fois cette définition et tout
autre chose encore, car elle est un objet fort complexe et en cela elle peut effrayer
bon nombre de débutants. La définition que propose C. Tauveron à propos du
texte littéraire fait entrevoir de nombreuses portes et ferme notamment celle selon
laquelle on pourrait croire que la littérature n’est réservée qu’à une élite. Le texte
littéraire peut à la fois être perçu par son universalité, (ne parle-t-on pas d’
œuvres classiques ?) mais aussi et surtout par sa subjectivité, par le fait que l’on
puisse à tout moment se l’approprier, en faire « son » texte littéraire.
Ses caractéristiques sont nombreuses : il peut être lacunaire, dans le sens où
toutes les informations ne sont pas données dans le texte. Le meilleur exemple
pour cette caractéristique est sans aucun doute le roman policier où les indices
sont volontairement tus par l'auteur et c'est au lecteur lui-même de faire des
inférences. Ces informations manquantes font qu' inconsciemment ou non, c'est
un fourmillement de détails que le lecteur va forger autour de l'univers du livre,
des personnages, des passages lacunaires du récit. « Le sens du texte ne préexiste pas
à sa lecture. Le lecteur participe à sa finition (et à son ouverture) »1
1 Tauveron, Catherine. Lire la littérature à l'école. Pourquoi et comment conduire cet apprentissage spécifique ? De la GS au CM. Hatier Pédagogie
4
Le texte littéraire peut également être ambigu; cela veut dire que le lecteur, au
lieu d'être guidé se trouve face à des moments d'incompréhension, que ce soit à
propos de personnages, de leur parcours, du monde dans lequel ils évoluent ou
même à propos de mots qui ont un caractère volontairement polysémique. Ces
différentes ambiguïtés font que ces textes littéraires sont « résistants », pour
reprendre C. Tauveron, et que ces silences, ces contradictions, ces allusions à
d'autres textes appellent à une lecture active, interprétative. « Le texte n'existe que
par l'acte d'une constitution qui le reçoit. » (Iser)
En ayant cette vision du texte littéraire, il est aisé pour l'enseignant de choisir
ensuite les textes qu'il voudra travailler avec sa classe: les textes lacunaires sont
intéressants car ils permettront de nombreuses activités autour des « manques »
du texte et les textes plus ambigus pourront donner lieu à des moments
d'interprétation.
C'est ce dernier versant qui m'a semblé le plus apparaître dans les textes
mythiques. En effet, ils entretiennent déjà entre eux des liens très forts , ne serait-
ce que par les personnages: par exemple dans le mythe l'ourse et la nymphe on
voit un petit garçon qui est recueilli et qui deviendra plus tard l' un des héros de
la guerre de Troie... Il m'a semblé important à ce titre de donner une vision
d'ensemble de ces différents personnages en les catégorisant d'abord : les dieux,
les humains et les créatures fantastiques ; puis en réalisant une généalogie des
dieux, généalogie qui ne visait pas l' exhaustivité pour autant !
Mais cette subjectivité qui est inhérente au texte littéraire n’est pas facilement
accessible, et cela encore moins pour le jeune lecteur et « encore encore » moins pour
lcelui qui a peu d’occasions de rencontrer ces fameux textes littéraires. Car si l’on
n’accompagne pas l’apprenti lecteur sur cette voie, il paraît peu probable qu’il fasse
le chemin à lui seul à moins de vivre dans un contexte qui s’y prête fort . Les
nouveaux programmes pour l'école conduisent à une recomposition de la discipline
du français et intègrent pleinement la littérature, ce qui apparaît comme une
nouveauté par rapport aux programmes antérieurs.
5
2)La nouveauté des programmes de 2002
Les programmes font la part belle à la maîtrise de la langue et redonnent à la
littérature ses lettres de noblesse. Mais l’expression est-elle correcte ?Peut on dire
que le blason de la littérature a été redoré par ces programmes ?
Si l’on s’intéresse aux Instructions Officielles, on se rend très vite compte que les
axes pédagogiques promulgués ne sont pas les mêmes que ceux où les élèves
étudiaient la littérature classique ; bien au contraire, les programmes ne
proposent pas des exercices stylistiques complexes, ou encore des analyses de
textes alambiquées où le sens est disséqué, ces fameuses explications de texte
trop difficiles pour l'école élémentaire mais ils composent avec des axes de travail
autres. Ces axes s’articulent autour de la rencontre d’une dizaine d’ œuvres par
an promulguée au cycle 3, de la liaison entre la lecture et l’écriture, de la
compréhension non plus seulement littérale mais aussi fine, de la mémorisation
de textes, et enfin de l’interprétation.
Ce dernier point est longuement traité par les Instructions, qui récusent par la
même voie les exercices de compréhension, les batteries de questionnaires
enfermant les textes dans un sens trop littéral, faisant que les élèves ont tendance
à lire les questions avant le texte !
« Adopter une posture interprétative, [qui] se traduit par : - la participation à un débat
sur l'interprétation d'un texte littéraire, la pertinence des propositions et des arguments
dans l'échange;
- la capacité à vérifier dans le texte ( et/ou à rechercher dans les images ) ce
qui interdit ou permet l'interprétation proposée. »1
A l’inverse, l’interprétation permet de se mesurer au texte et aux autres, car le
travail d'interprétation se fait souvent sous la forme d'un débat et permet aussi
de donner corps au texte, de lui faire prendre vie. Ce travail autour de
l’interprétation pose la question des supports, car comme le fait remarquer C.
Tauveron, pour qu’un texte soit un lieu d’interprétation il faut qu’il « résiste »,
dans le sens où il ne donne pas toutes les clés pour le comprendre dès sa
première lecture…
1 Document d'accompagnement des programmes. Lire et écrire au cycle 3. CNDP
6
Un enseignant débutant peut paraître effaré devant l’ampleur de la tâche à
accomplir dans ce domaine, mais le terrain a été largement défriché pour les
enseignants et j’ai été plus que satisfaite en lisant le document
d’accompagnement : des pistes de travail y sont proposées, ainsi qu’une liste d’
œuvres de références détaillées, avec des propositions d’exploitation mais aussi
des mises en réseau possibles. Car la nouveauté des programmes tient aussi dans
le choix des textes : on y retrouve des œuvres classiques destinées aux enfants
mais aussi de nombreux textes de la littérature de jeunesse plus contemporaines.
Non pas que la littérature de jeunesse n'existait pas auparavant, (on retrouve par
exemple dans la liste Robinson Creusoë de Defoe, Alice au pays des Merveilles de
Caroll) mais le fait que des maisons d'édition se spécialisent dans cette veine a
fait que de nombreux auteurs jusqu'alors inconnus ont fait leur apparition dans
la littérature de jeunesse.
Les programmes évoquent de nombreuses mises en réseau possibles ; elles
peuvent se faire autour d’un auteur, d’un conte (avec quel plaisir peut-on avec
les élèves faire ce genre de travail, comme par exemple en comparant l’histoire
du petit chaperon rouge et celle du petit chaperon bleu marine allant faire ses
courses aux Galeries Lafayettes !)d’un thème ou encore d’un personnage, d’un
symbole. Le personnage du monstre dans la littérature m’a paru intéressant à
exploiter car il représente un stéréotype.
« [La lecture en réseau] aide les élèves à se construire une culture littéraire par les
relations qu'ils découvrent entre les textes (genres, auteurs, motifs symboliques, thèmes,
etc.), leur inscription dans le temps (patrimoine, réécritures) et l'espace (cultures du
monde). »1
Le monstre est justement un de ces motifs symboliques et il me paraît important
ici de développer pourquoi étudier un tel symbole.
1 Document d'accompagnement des programmes. Lire et écrire au cycle 3. CNDP
7
3)L’archétype dans la littérature
a)Le monstre,porteur de symboles
Le monstre est porteur de symboles et de stéréotypes nombreux. Tantôt là
pour conduire à la domination de la peur, à l’héroïsme dans le sens où il faut
vaincre un dragon, un serpent pour posséder des trésors où sauver une belle ; et
tantôt là pour évoquer des rites de passage.
Ainsi, il dévore le vieil homme pour qu’apparaisse l’homme nouveau ,et le
monde que défend alors le monstre n’est plus un monde plein de richesses mais
un monde nouveau, régénérateur. Beaucoup de civilisations ont utilisé cette
image du monstre androphage qui signifie le besoin d’ une régénérescence et
d’un renouveau.
Mais parfois aussi, la dévoration par le monstre est définitive : c’est l’entrée aux
enfers. (dictionnaire des symboles)
Dans la tradition biblique, il symbolise les forces irrationnelles car il possède
les caractéristiques du chaos, du trouble. Preuve en est, les sculptures difformes
et effrayantes sur les portails des abbayes…
b)Etudier le stéréotype à l'école
Les résistances que peut comporter un texte, comme je l'ai mentionné plus
haut, peuvent provenir soit d'ambiguïtés, soit d'une opacité dans les
informations données ect. Mais un texte littéraire peut aussi ne pas être
compris car il contient une figure, un symbole que le lecteur ignore ; ainsi un
lecteur peut passer complètement à côté d'un récit s'il méconnait le
stréréotype évoqué par celui-ci, car le stéréotype est un des fondements de
notre connivence culturelle.
Le stéréotype est un « schème collectif figé constitué d'un thème et de ses
attributs obligés. ». Ainsi, le stéréotype du monstre tel que nous le partageons
dans notre culture est celui d'un personnage laid, difforme voir même
repoussant et qui a des attributs caractériels non moins flatteurs : méchant,
8
sournois, sans pitié... Bien sûr, ce stéréotype évolue avec le temps, et je
préciserai de quelle manière dans la seconde partie.
Ruth Amossy (1997) a montré à quel point le stéréotype joue un rôle décisif
dans le traitement (sélection, encodage, mémorisation) de l'information. Face
à un stéréotype littéraire, le lecteur a une part importante de travail. Il doit
« rassembler des notations dispersées, inférer des traits de caractère à partir de
situations concrètes », en d'autres termes, il « active le stéréotype en rassemblant
autour d'un thème un ensemble de prédicats qui lui sont traditionnellement
attribués. Bien entendu, de telles opérations ne sont possibles au lecteur que si la
représentation littéraire renvoie à une image d'ores et déjà familière pour qu'il
puisse la retrouver. »1 On voit bien ici à quel point le travail sur un stéréotype
peut être bénéfique pour le lecteur, et selon moi on peut encore aller plus loin
lorsque la figure prototypique est construite en la diversifiant, en
l'enrichissant. C'est le projet que je me suis donné lors de mes deux stages, en
m'aidant des représentations personnelles des enfants dans un premier
temps, puis en utilisant des textes littéraires.
c)Les mythes et la littérature
Certes, le conte était une bonne entrée pour aborder le monstre dans la
littérature puisqu'il regorge de ces créatures : l'ogre,le dragon...
Or le niveau qui m'a été affecté lors de mon premier stage étant un CM2, j'ai
trouvé plus intéressant d'étudier le Monstre par le biais de la mythologie. D'une
part parce que les élèves de fin de cycle 3 sont davantage coutumiers du conte et
qu'ils sont plongés en quelque sorte dans cet univers depuis la maternelle ; et
d'autre part parce que le cycle 3 et en particulier le CM2 doit tenir compte des
programmes de sixième.
En effet, ne parle-t-on pas dans les Programmes de 2002 d'une continuité entre
l'école primaire et le collège ? Il m'a donc semblé important d'en tenir compte .
En sixième, les textes de l'héritage antique sont au programme de français :
textes issus de la Bible, L'Odyssée de Homère, L'Enéide de Virgile, Les
1 Tauveron, Catherine. Lire la littérature à l'école. Pourquoi et comment conduire cet apprentissage spécifique ? De la GS au CM. Hatier Pédagogie
9
Métamorphoses d' Ovide. Non seulement ces textes constituaient des références
culturelles indispensables, mais en plus ils comportaient un bestiaire de
monstres des plus intéressants : le sphinx,le minotaure, le cerbère, les harpies...
*L’importance des référents culturels
L’objectif principal de cette séquence était un accès à la culture littéraire, car
les mythes sont connus de toute une communauté culturelle, et ils permettent
de partager des valeurs importantes dans notre monde actuel. Ne serait- ce que
si l’on s’intéresse aux mots qui sont restés dans notre langage courant : une voix
de stentor, un dédale de rues, la boîte de pandore…Sans aller aussi loin avec les
élèves (bien que cet aspect mériterait que l’on s’y attarde !), il m’a semblé
vraiment important qu’ils soient initiés à ces mythes. D’après C. Tauveron, le
mythe même s’il est connu sous sa version classique peut apparaître sous
beaucoup de formes de réécriture ; parodies, variantes…
Ces références me paraissent réellement très importantes car elles donnent les
clés aux élèves pour mieux aborder le monde environnant. Ce fameux socle
commun est difficilement définissable dans le sens où l'on peut se demander
que retenir pour les programmes de l'école ? Ou à l'inverse que rejeter ? La
littérature est en fait partie intégrante de cette culture commune.
La lecture littéraire est difficile car elle implique une intertextualité
permanente avec d'autres oeuvres, elle contient des référents implicites pas
toujours aisés à décoder... J'ai donc élaboré cette séquence en vue de mettre une
pierre supplémentaire à l'édifice de la culture de ces jeunes lecteurs et de réaliser
un travail préparatoire à leur entrée en sixième.
* Les clés pour comprendre la mythologie
Effectivement, le récit mythique appartiendrait à une structure de pensée
préscientifique dans laquelle l’émotion prévaudrait sur la raison. Par exemple,
si les dangers comme les tremblements de terre, les orages étaient représentés
par des symboles, il deviendrait alors possible de créer d’autres symboles
destinés à en neutraliser les effets (le héros qui vainc le dragon…) Bien d’autres
10
interprétations du mythe sont possibles : explication des origines,
représentation de la vie passée des peuples, leur histoire, traduction selon
Platon de l’opinion et non de la certitude scientifique (dictionnaire des
symboles). La mythologie raconte également la vie des dieux, leurs amours,
leurs passions et leurs vengeances...
Selon P. Diel, les figures les plus significatives de la mythologie
représenteraient une fonction de la psyché ; il assigne ainsi le combat contre les
monstres du pervertissement à la situation conflictuelle de la psyché.
● L' intérêt qu'elle suscite chez les enfants
Mais toutes ces interprétations n’enlèvent rien au fait que le mythe s’appuie
sur l’imaginaire et le symbole, et que l’univers de l’enfant est davantage habité
par le mythe que celui de l’adulte.
J’ai pu m’apercevoir (non sans plaisir) lors du stage que les enfants ont eu un
véritable attrait pour elle, et d’ailleurs plusieurs d’entre eux m’ont amené le
travail que leur grand frère ou grande sœur avaient réalisé au collège sur ce
thème. Le collège a d’ailleurs été mentionné dans cette séquence, car je leur ai
expliqué que ce travail leur serait utile pour l’année prochaine, ce qui a crée une
motivation de plus.
*Déroulement de la séquence
● partir d'un projet
La préparation du concours m’avait déjà fait entrevoir l’importance de la
pédagogie de projet mais avoir l’occasion de l’appliquer concrètement a sans
aucun doute été une première expérience professionnelle très enrichissante pour
moi.
En effet ,j’ai pu m’apercevoir qu’un projet est fédérateur, dans le sens où il
permet à toutes sortes d’apprentissages de venir s’y greffer pour mieux
l’alimenter mais il ne doit pas être non plus un prétexte pour « plaquer » ces
fameux apprentissages. Car quoi de plus décevant pour un élève de se rendre
compte que le projet est faux, artificiel ? Pour éviter ces dérives , le projet doit
comporter un but clair, destiné à remplir une fonction.
11
Dans le cadre de mon projet sur la mythologie grecque(projet qui est ensuite
devenu celui de la classe), il s’articulait autour de la réalisation d’un catalogue
ressource crée par les élèves destiné à la bcd et ayant pour objectif de donner
envie de lire la mythologie grecque aux autres élèves de l’école. Dès la
présentation du projet, j’ai vu que la classe était enthousiasmée, et cela d’autant
plus que ce catalogue allait être vu par les autres enfants de l’école…Cette
première expérience m’a montré d’une part, que si l’enseignant prend la peine de
créer des supports motivants, les apprentissages s’en trouvent non pas facilités,
car le terme est peut-être un peu trop fort mais en tous les cas les élèves
s’immergent plus facilement dedans. D’autre part, que cette approche
pédagogique n’est pas la plus facile car elle demande du travail et une grande
implication qui est largement récompensée une fois que le projet est réalisé.
● Entrée dans la mythologie par la lecture
Avant de se lancer dans la réalisation matérielle du projet il m'a paru
nécessaire de rentrer dans la mythologie par le biais de la lecture. Le premier
mythe que j'ai donc lu à haute voix aux élèves était un extrait de l' Odyssée, le
passage où Ulysse et ses compagnons arrivent sur l'île des cyclopes. Je dois
avouer que j'attendais avec beaucoup d'impatience leurs réactions après la
lecture ; elles ont été immédiates car en lisant je voyais leurs grimaces en
décrivant la scène sur l' oeil du Cyclope qu' Ulysse détruit à l'aide d'un pieu ou
encore sur les scènes de dévoration...
Dès la première lecture, il est vrai que les élèves ont été enthousiastes. La
preuve, je ne retrouvais plus deux de mes livres qui avaient été « empruntés »
par Thibaud et Aymeric.
● Une séance à la manière antique
J'ai restitué le contexte dans lequel chaque mythe était raconté et nous avons
institué une séance où les élèves se faisaient tantôt aède, c'est à dire celui qui
raconte les mythes (à la différence près qu'ils les lisaient) et tantôt public. Les
textes avaient été distribués de façon aléatoire et préparés à la maison, de sorte
12
qu'ils ont tous découvert des mythes. Hugo, le grand timide de la classe nous a
lu avec une belle interprétation un extrait des Douze travaux d'Héraclès, et un
débat s'est ensuite instauré entre eux à propos du don du roi Midas ; valait-il
mieux être riche et avoir tout ce que l'on désire ou pouvoir profiter des petits
moments de la vie ? Cette séance m'a paru motivante pour eux dans le sens où
ils ont tous participé en donnant leur avis et que ce n'était plus seulement moi
l'initiatrice aux mythes.
● Les supports
J'ai volontairement choisi des mythes adaptés aux jeunes lecteurs(voir annexe
A ), laissant ainsi à la classe de sixième l'explication des textes originaux. En ce
qui concerne le choix même des mythes, ils étaient bien sûr orientés en
fonction des créatures apparaissant dans chaque extrait. Effectivement, je ne
pouvais pas passer à côté de l'énigme du Sphinx, ou encore du Minotaure et
de son labyrinthe ! Heureusement que le critère de la créature fantastique me
restreignait, car j'en aurai choisi bien d'autres encore...
D'ailleurs, j'avais décidé malgré l'absence d'un monstre de lire Dédale et
Icare , et ce mythe a tellement plu à Léa et à Marylène qu'elles l'ont choisi pour
le projet. Les élèves, au bout d'un certain nombre de lectures ont défini les
personnages principaux qu'ils ont ensuite consignés dans un tableau. Nous
avons en fait distingué quatre types de personnages : les dieux, les héros, les
mortels et enfin les monstres.
Après chaque lecture, nous repérions en commun ces personnages, leurs
caractères principaux et ils venaient s'ajouter au tableau, ce qui permettait une
trace écrite évolutive. Je regrette de ne pas avoir traité avec plus de précision
les dieux, par un arbre généalogique notamment car je me suis aperçue lors de
la phase d'écriture qu'ils avaient tendance à les mélanger, ignorant entres
autres leurs liens de parenté.
13
● Après le lire ,l' écrire
Dans notre catalogue, chaque double page devait comporter le résumé du
mythe choisi par le groupe, et en face le dessin représentant son monstre, sa
créature fantastique (voir annexe B). Pour cette étape, les élèves ont donc
travaillé par groupes de deux, un travail individuel me paraissant trop
difficile. Je leur ai donc mis à disposition un grand nombre de mythes, et ils
l'ont choisi eux-mêmes. J'ai par la suite regretté cette méthode car les extraits
étaient inégalement longs, ce qui a fait que certains groupes ont connu plus de
difficultés que d'autres. Un premier jet a donc été réalisé par les groupes ; j'ai
pu constater que la notion de résumé était encore floue pour certains, ce qui a
entraîné d'autres séances.
● Des activités décrochées
Les élèves ont d'abord observé un corpus de textes courts ainsi que pour
chaque texte, son résumé qui avait été réalisé par moi-même ; d'après ces
observations nous avons en commun défini les principaux critères du résumé.
Ces critères étaient les suivants: le résumé est plus court que le texte principal, il
comporte des informations essentielles; il n'a pas de dialogue. J'ai volontairement
choisi le présent pour l'écriture du résumé car à mon avis ce temps s'accordait
mieux avec ce type de texte ; en effet je pense qu'il confère une valeur a-
temporelle, ce qui dans cette situation me paraissait tout à fait justifié : si les
mythes sont le témoignage du passé, ils ont aussi une valeur universelle qui à
mon sens s'accorde mieux avec le présent qu'avec le passé.
J'ai d'ailleurs remarqué que plusieurs groupes avaient commencé leur texte
par le présent puis passaient ensuite au passé, ce qui témoigne des habitudes
d'écriture que peuvent avoir les élèves. Pour ceux les plus en difficulté, nous
avons réalisé ensemble lors d'un atelier d'écriture le résumé du mythe d'Ulysse
avec les sirènes. Cette opération nécessite en fait deux mécanismes de lecture
qui sont loin d'être évidents pour des élèves de cet âge ; d'abord une lecture
synthétique, ensuite une lecture sélective.
14
Pour cette deuxième lecture, il m'a semblé plus évident de manipuler le texte
en surlignant les passages importants par exemple. J'ai pu constater que les
élèves répugnaient à cela, comme si le fait de le souligner le dénaturait. En
Observation Réfléchie de la langue, j'ai donc volontairement donné des textes
à découper, à souligner, à destructurer, obligeant de cette manière les élèves à
manipuler ces textes.
● Quand les conditions matérielles font obstacle...
J'ai décidé de relier cette séquence avec les TICE, en proposant aux élèves de
transposer leur texte sur l'ordinateur. Les premiers groupes qui ont terminé
ont pu faire ainsi, la mise en page et que la police de caractère étant laissée à
leur libre choix ; Thibaud, Thomas et Tristan ont choisi l'écriture gothique car
ils trouvaient que c'était de loin la plus « chouette » et Mélanie (sa
« coéquipière » Chloé étant absente) a choisi pour le mythe d'Oedipe une mise
en page originale... Malheureusement, la classe ne disposait que d'un
ordinateur pour les élèves et seulement quelques uns d'entre eux ont pu
opérer ce traitement de texte. J'ai trouvé dommage de finir moi-même ce
travail qui avait été commencé ensemble, d'autant plus que la finalité du
projet, ce fameux catalogue n'a pas pu être terminé lors de mon stage.
N'ayant pas eu le temps de me déplacer pour leur présenter, je l'ai donc
envoyé, regrettant de ne pas avoir profité de leurs réactions.
Si l'occasion m'était donnée de refaire un projet du même type en un si court
laps de temps, je crois que j'insérerais directement les textes manuscrits des
élèves dans le catalogue. De la même façon, je prévoierais dans ma séquence
un temps de présentation du travail de chaque groupe, chacun montrant aux
autres ce qu'il a réalisé car là aussi le temps m'a fait défaut.
Pour ouvrir encore d'avantage le champ des possibles lors de cette séquence,
les arts visuels m'ont paru un bon moyen.
15
4)La littérature et les arts visuels
La littérature, les arts visuels, la musique et le cinéma entretiennent entre
eux de nombreux liens et il m'a paru intéressant de montrer lors de cette
séquence de quelle manière les arts picturaux et la littérature se sont rencontrés
par le biais de la mythologie. Pour montrer aux élèves cette complémentarité,
cette mise en résonance qui donne une dimension autre à l'oeuvre, je pense qu'il
faut les sensibiliser dès la maternelle à cette culture artistique, sensible. De quelle
manière ?
a)Les images
Les enfants (et les adultes aussi d'ailleurs) baignent dans un flot d'images
continues, que ce soit par le biais de la télévision, internet et bien d'autres
moyens encore. Il n'est pas facile d'aborder ces images car d'une part, cela
nécessite un décodage de la part de celui qui regarde et d'autre part, cela
implique une vision assez critique.
En effet, on ne peut se contenter de voir simplement, car on en reçoit un tel
nombre, et dans le désordre en plus, que ce flot d'images risque une influence
trop grande sur nous. « De même que la maîtrise de la langue permet un pouvoir sur le
monde, la réception avertie des messages visuels, l'esprit critique face à ce flot
d'informations permet d'agir en citoyen. » (F.Lauley,C.Poret)
*Le texte et les images
Avec la littérature de jeunesse, de nombreux illustrateurs montrent leur
talent dans des récits illustrés, des albums... Certains diront que proposer
l'image avec le texte aux enfants peut brider leur imagination, en ce sens que
les images sont déjà une interprétation par l'illustrateur du texte. Je pense par
exemple au conte de Cendrillon illustré par Innocenti et qui place ce conte
merveilleux au début du XIX° siècle, entraînant ainsi un cadre temporel précis,
net alors que justement le conte merveilleux a une valeur a-temporelle qui fait
qu'il peut exister partout, en tous temps.
A cette remarque, on peut s'opposer en disant qu'il est tout à fait possible de
présenter différentes représentations d'un même texte. Par la variété des
16
images, on permet ainsi à l'enfant de se faire sa propre idée des personnages,
des évènements.
*Des pistes de travail possibles
Il peut être intéressant par exemple de choisir des albums faisant référence
explicitement ou implicitement à de grands artistes. Ce foisonnement
illustratif permet à l'enfant de le doter de repères, d'indices qu'il retrouvera
dans des reproductions de tableaux puis dans des originaux de musées. Car si
la littérature apporte des références culturelles importantes pour pouvoir
appréhender le monde, la musique, l'art en font tout autant partie.
Exposer, donner à voir des reproductions de peinture (cartes postales,
livres...), consulter des encyclopédies informatiques aident ainsi à la
reconstitution d'une histoire, à entrer dans la vie d'un artiste. Car de la même
manière que l'élève peut se construire sa propre anthologie de lectures, il est
tout à fait possible aussi qu'il se constitue une anthologie d'images ;
l'enseignant peut par exemple présenter de manière rituelle un artiste et les
élèves doivent effectuer des recherches, trouver des images sur Internet. Il
existe de multiples possibilités pour ce faire ; on peut aussi penser à ce que
l'élève entre dans l'univers de l'artiste par son action en dessinant à sa manière
par exemple, ou encore en utilisant un procédé technique qu'il aura découvert
en arts visuels.
Une autre possibilité peut encore consister à travailler sur le rapport
texte/image. Ces deux éléments sont-ils complémentaires, l'un apportant des
informations pour mieux comprendre l'autre ? Ou encore l'image n'a-t-elle
qu'un rôle de redondance par rapport au texte ? Il peut être aussi très
enrichissant d'aborder des oeuvres où les images disent le contraire du texte ;
je pense pour cela à l'incontournable Zigomar en Afrique de Corentin où les
illustrations montrent des images du Pôle Nord alors que Zigomar affirme que
c'est l'Afrique !
Les mythes ne m'offraient pas cette possibilité car les livres que j'ai trouvé
étaient peu illustrés, ou alors les images n'étant pas exploitables car trop
simplistes. J'ai donc décidé d'emprunter une autre voie.
17
b)Images et mythes
Les mythes ont été abondamment représentés par les peintres à partir de la
Renaissance, « le sujet mythologique étant souvent le passage obligé pour l'artiste qui
voulait acquérir de la notoriété. » (F.Lauley,C.Poret)
La symbolique du taureau, en particulier le minotaure, est un thème
récurrent traité par Picasso. Je me suis en fait servie de l'album de Marie
Bertherat, qui en plus de présenter des oeuvres picturales riches et variées, avait
l'avantage d'illustrer le projet du catalogue par une double page sur laquelle
apparaissait un extrait du mythe et un tableau lui faisant face.
Dans ce très bel album, on y voit notamment Hercule terrassant L'hydre de
Lerne de Zurbaran, le cheval de Troie de Tiepolo(voir annexe C). J' ai également
proposé un album : Créatures fantastiques, qui présentait un bestiaire de créatures
fantastiques illustrées par de grands artistes. Avant de passer à la réalisation
picturale donc, j'avais laissé ces albums à libre disposition des élèves ; je dois dire
qu'ils ont été particulièrement friands de certains tableaux (les garçons surtout),
dont celui où l'on voit un dieu dévorer des mortels.
Ensuite j'ai repris les livres ,ne voulant pas qu'ils soient trop influencés ou
encore tentés de copier. Cela a posé un problème à Laura qui pourtant est une
élève inventive et pleine d'imagination car selon elle, elle était « nulle »en dessin,
et ne pouvait pas dessiner sans copier. Après avoir réalisé un fond d'une seule
couleur avec la technique du dégradé, ils ont ensuite avec un stylo noir dessiné la
créature fantastique de leur mythe. Ce travail, qui demandait peu de matériel (de
la gouache,des éponges et des stylos noirs) a donné des images qui font leur
effet(voir annexe D) et qui en plus, sont vraiment une représentation personnelle
pour chacun de son mythe, car chacun s'est approprié son monstre avant de
pouvoir le représenter...
Cette appropriation a permis aux élèves de se rendre réellement compte de la
morphologie de leur créature ; ainsi Mélanie s'est aperçue qu'il y avait plusieurs
éléments dans le Sphinx : un lion, un oiseau et une femme.
18
La seconde partie de la réflexion s'articulant autour d'une seule lecture et non
plus de plusieurs textes, il m'a semblé important de donner des précisions sur la
manière de lire la littérature.
5)Qu'est-ce que lire la littérature?
La lecture de texte implique d'après les Instructions Officielles divers travaux
qui aident à la compréhension du texte ; on distingue trois types de
compréhension :
• la compréhension littérale, visant des unités isolées et dégageant des
informations simples et explicites du texte
• la compréhension globale, qui met ensemble les informations du texte
et donne une vue générale
• la compréhension fine, qui vise à dégager l'implicite du texte, à mettre
en oeuvre des réseaux d' intellibigilité du texte.
On peut rapprocher cette dernière définition de la lecture littéraire, car cette
dernière contient des textes à lire comme des textes uniques et singuliers, qui ont
des spécificités qui lui sont propres. Cette définition implique selon Laurence et
Francis Dupuit (auteurs de l'ouvrage Entrer en littérature) que le lecteur se livre à
une lecture personnelle, qu'il questionne le texte en permanence, qu'il
l'interprète. Car si la lecture littéraire implique la compréhension du texte, elle
engage également d'autres procédés complexes : saisir les valeurs exprimées, les
mettre en relation, les organiser en un ensemble cohérent. Dans ce sens les
rappels de récit de la lecture en cours sont très importants car ils permettent de
restituer l'oeuvre, et comme le font remarquer les Instructions, si un élément du
texte n'est pas rappelé, c'est que bien souvent il n'a pas été compris par les
élèves. L'intérêt de la lecture littéraire tient aussi dans le fait qu'elle engage une
lecture personnelle.
19
a)Une lecture personnelle
Elle induit une représentation personnelle du texte, qui prend des éclairages
différents selon ses propres valeurs, ses acquis culturels, son parcours
personnel. Ainsi la lecture du livre Le jour où j'ai raté le bus de J.L. Luciani ne
prendra pas la même ampleur pour un jeune lecteur selon qu'il ait dans son
entourage une personne malade ou handicapée... D'où l'importance pour moi
d'une part, de bien connaître les oeuvres de la liste de référence, mais aussi
d'autre part de bien connaître mes élèves pour savoir quels textes leur
proposer.
Car le sens du texte n'est plus seulement chez le lecteur ou dans le texte,
mais il est à la croisée des deux, au point de rencontre des propositions du
texte, des représentations du lecteur et des influences du contexte. Par
exemple, la relecture d'une oeuvre d'un auteur sera différente de la première
lecture si les élèves exploitent et découvrent ensuite l'univers de référence de
cet auteur...Je pense par exemple au loup sensible de G. de Pennart que l'on
retrouve dans d'autres de ces albums, ou encore à ses sept chevreaux qui se
font un malin plaisir à se glisser dans l'album Sophie la vache musicienne...
Pour aider les élèves à se construire cette lecture littéraire, l'enseignant doit
proposer diverses modalités de lecture.
b)Les pistes de lecture
L'exploitation d'un texte littéraire peut d'après les Instructions se faire selon
quatre modalités:
-la lecture à haute voix par le maître
-la lecture silencieuse des élèves
-la lecture à voix haute des élèves
-le résumé partiel élaboré par l'enseignant qu'il lit lui-même ou donne à lire
silencieusement à ses élèves
Bien sûr ces modalités ne s'excluent pas l'une et l'autre lors de la lecture d'un
texte ; elles sont plutôt complémentaires et interviennent à différents moments
selon le choix de l'enseignant. Par exemple le maître peut lire à haute voix un
20
passage difficile ou encore laisser un passage en lecture silencieuse car il a été
préparé , anticipé par les élèves.
Ces différentes pistes font que le texte choisi par l'enseignant doit être
soigneusement lu, préparé pour pouvoir se rendre compte des passages clés, des
moments difficiles ect. Pour mon deuxième stage en responsabilité, j'ai choisi un
album de Yvan Pommaux ; L'île du monstril. Sa particularité tient au fait que sont
imbriquées dedans deux types de narration, et que l'auteur illustrateur joue avec
les images, un premier récit très épuré étant tenu par deux ragondins et l'autre
récit étant rapporté à la manière d'une bande dessinée. Le travail de préparation
m'a fait entrevoir une possibilité intéressante : lire à voix haute une première
partie sans que les élèves voient les images, l'entrelacement des deux récits
devenant vite confus sans la complémentarité texte/image. Cet exemple
personnel montre que si plusieurs choix de travail sont toujours possibles lors de
la lecture d'un texte littéraire, le premier « intéressé » est le texte lui-même, les
singularités qu'il porte et que l'enseignant se doit de mettre en valeur.
A l'inverse, les textes que j'ai choisis lors de mon premier stage en
responsabilité reflétaient parfaitement le thème du monstre ; ce qui montre que
l'on peut pratiquer l'autre chemin : à partir d'un thème que l'on souhaite
travailler avec ses élèves, il suffit de trouver les textes les plus représentatifs.
L'album L'île du monstril m'a permis à ce titre d'aborder le monstre non
seulement au travers d'une lecture littéraire mais aussi de l'écriture.
21
II Vers l'écriture littéraire
J'ai choisi pour mon deuxième stage en responsabilité qui s'est également
situé au cycle 3 avec une classe de CE2-CM1 de travailler cette fois sur une seule
oeuvre ; L'île du monstril de Yvan Pommaux.
1)Les raisons de mon choix
Le titre est déjà bien évocateur quant à la raison du choix de ce livre, mais pas
seulement. En effet j'affectionne tout particulièrement cet auteur-illustrateur (voir
sa biographie et sa bibliographie en annexe E), et je désirais également que les
élèves connaissent son univers. Ce livre présente plusieurs points très
intéressants à travailler avec les élèves ; en premier lieu il m'a permis d'aborder
l'image du monstre dans une symbolique telle qu' on la rencontre dans les contes
traditionnels : isolé sur son île et avide de chair fraîche, affligé de difformités
physiques qui apparaissent avec brio sous le crayon de Pommaux, ce monstril
me paraissait tout indiqué pour étudier ce thème. Il est d'ailleurs intéressant que
ce monstril soit seul sur son île : on reconnaît ici la répulsion, l'interrogation que
peuvent soulever les traits hideux du monstre et donc, par conséquent, la
différence, l'exclusion. Celle-ci se retrouve ici dans le fait que le monstril soit
isolé, tout seul sur son île. En ne connaissant pas le livre on peut s'attendre à ce
que ce monstre soit victime de sa différence, et que les thèmes exploitables vont
être ceux de la tolérance, de l'oubli de l'aspect extérieur mais Pommaux a décidé
de faire jouer dans cet album un véritable stéréotype du monstre : laid, méchant
et avide de nourriture à la manière des ogres et surtout effrayant.
22
2)La peur du monstre ou l'amour de la peur
Le monstre inspire et inspira des sentiments divers qu'il est utile pour mon
étude d'analyser. La partie sur l'Antiquité ayant déjà été suffisamment traitée, je
n'en parlerai donc pas ici.
Au Moyen Age, fertile en croyances et superstitions, les loups-garous, les
vampires et les sorciers alimentent la peur au quotidien. L'Inquisition persécute
et la période va connaître le début de la chasse aux sorcières qui se poursuivra
ensuite jusqu'en 1670. Publié en 1487, Le marteau des sorcières des dominicains H.
Kramer et J. Sprenger décrit le prestige de ceux qui ont pactisé avec le diable :
métamorphoses, procréation de monstres... Cependant, la littérature ignore en
général l'univers des monstres, l'art tenant en quelque sorte à distance la terreur
qu'il suscite.
Au XVII° siècle, les bûchers des sorcières se multiplient et les monstres
disparaissent de la littérature, et si ce n'est pas le cas ils sont domestiqués par la
tradition culturelle. Racine fait apparaître le dragon dans le récit de Théramène,
et Phèdre se décrit comme un monstre moral aussi odieux que le Minotaure, son
frère. On voit que ces monstres n'inspirent pas la terreur, mais les histoires bien
réelles comme Gilles de Rais ou la Brinvilliers suscitent au contraire des peurs
confuses et engendrent trop de drames réels pour avoir accès au mythe.
Au XVIII°, c'est la résurrection romanesque du monstre. La peur du monstre,
qui matérialise les angoisses de l'au-delà, est chassée par les Lumières, mais
l'attrait profond pour le surnaturel résiste. On le voit aussi apparaître dans
l'univers artistique. La littérature romantique en Allemagne et en France créée les
grandes familles de monstres, ainsi que la littérature frénétique née en
Angleterre. Ces monstres sont héritiers des mythes de l'Antiquité, des
superstitions populaires du Moyen Age et des figures célèbres des médecins et
alchimistes de la Renaissance.
Ainsi Frankenstein, créateur d'un monstre né de la science apparaît, le thème
du double est aussi largement traité dans la littérature fantastique : loup-garou,
incubes, succubes... Le Horla de Guy de Maupassant est d'autant plus effrayant
qu'il relève de l'invisible, de l'insaisissable, de l'omniprésent. Les vampires sont
23
les monstres les plus prolifiques de la légende. Mais ils ne naissent dans la
littérature qu'à l'époque romantique. Ce sont des femmes, séduisantes et
redoutables par la fascination qu'elles exercent sur leurs victimes. Dracula, le
héros du roman de Bram Stocker(1897), est entré tardivement dans la littérature
après une longue carrière dans la légende qui entoure un personnage bien réel. Il
a donné naissance à un mythe car il est sans doute le vampire le plus redoutable
de tous les héros de fiction : il est à la fois un personnage historique et un héros
maléfique et tout puissant...
Au XIX° siècle, les romanciers se réfugient dans la contemplation de leur
tourment et dans les rêves d'un autre univers. Les monstres issus de leur
imagination sont nombreux, et pour ne citer que ceux-là Victor Hugo fait vivre
dans Notre Dame de Paris deux monstres ; Claude Frollo, l'archidiacre à « l'âme
obscure », et Quasimodo, être hideux et difforme.
Aujourd'hui, la science et la culture ont eu raison des apparitions terrifiantes
et des prodiges qui étaient dans la littérature. Les monstres sont loin d'avoir fini
leur carrière pour autant mais ils ont rejoint la réalité : les faits divers ont donné
naissance à de nouvelles légendes : Jack l'Eventreur, Landru... Les monstres sont
maintenant dans la littérature de science-fiction, dans le cinéma.
Mais nous avons toujours cette fascination qu'il nous inspire en même temps
que la peur car il affirme l'impossible, crée une rupture dans notre quotidien. Car
la peur est un sentiment essentiel pour la vie au même titre que l'amour, et ce que
recherche l'enfant mais aussi l'adulte dans les livres qui hantent les monstres,
c'est le plaisir que peut procurer ce sentiment très puissant qu'est la peur.
3)Une proposition de lecture de l'île du monstril
Pour restituer l'histoire, Poil-Roux et Poil-Gris sont deux ragondins qui ont
une discussion à propos des enfants d'aujourd'hui, Poil-Gris trouvant que ces
derniers sont des « empotés ». L'action se précipite lorsque Poil-Gris coupe
délibérémment la corde qui retient une barque et dans laquelle jouent deux
enfants, Léon et Elvire. Les enfants sont ensuite attirés dans les remous du
24
fleuve et finissent par s'échouer sur une île. Les deux ragondins leur viennent
alors en aide en leur faisant passer par l'intermédiaire de Douce, la peluche d'
Elvire divers objets qui arrivent à point nommé à chaque fois. Les enfants
finissent par s'enfuir de l'île en échappant de justesse au maître de l'île qui n'est
autre qu'un monstre...
En lisant l'album, j'ai pu constater que deux formes de récits sont menés en
parallèle : celui des ragondins et celui des deux enfants. Mais en plus ces deux
formes de récits sont soutenus par deux types d'images : les deux ragondins
apparaissent dans des vignettes sur fond blanc, les dessins étant très peu
détaillés, voir épurés et le récit avec les enfants est à l'inverse richement illustré
dans des vignettes horizontales, verticales et qui occupent à plusieurs reprises la
double page de l'album. Pour un lecteur expert, ces deux récits menés en
parallèle peuvent paraître facilement identifiables mais pour de jeunes lecteurs,
j'ai vu là l'occasion de travailler non seulement sur l'histoire, le récit mais aussi
sur le livre en tant que support, sur les choix de l'auteur lui-même.
Le dispositif énonciatif choisi par l'auteur fait que le lecteur peut suivre les
coulisses de l'histoire par le biais des ragondins, coulisses que les deux enfants
ne peuvent pas voir, car si il arrive que les ragondins s'immiscent parfois dans
les vignettes des enfants, ces derniers ne font pas à leur tour intrusion dans
celles des ragondins puisqu'ils ignorent qui tire les ficelles ...
Enfin le rôle de la peluche Douce est très important puisqu'elle est
l'intermédiaire entre les deux récits, et elle ne prend vie qu'en présence de Poil-
Roux ou Poil-Gris et dans les rêves d' Elvire.
Quant au monstre, s'il n' apparait pratiquement qu'à la fin de l'album, je pense
qu'il est tout de même omniprésent dans le livre, et ce dès le début.
Effectivement, dès la première de couverture on ressent une impression sourde
d'angoisse, de mystère accentué par le regard que donne Pommaux dans son
dessin mais aussi par la sensation d'étouffement des arbres et des lianes, serrés
entre eux dans un entrelac de branches et de feuilles. De plus les couleurs
qu'utilise l'auteur tout au long de l'album qui sont des couleurs froides: bleu,
vert, gris... accentuent davantage cette impression. Les élèves ont
25
immédiatement saisi ces impressions avec la première de couverture, et les
écrits qu'ils ont produit à propos de cela en attesteront dans la suite de ma
réflexion.
Par la suite, Pommaux crée insidieusement une attente quant à ce monstre qui
fait que j'ai moi aussi préparé sa venue avec les élèves et qu'ils étaient plus qu'
impatients de découvrir qui était ce mystérieux monstril... On voit là aussi la
supériorité des ragondins mais aussi du lecteur car ils découvrent bien avant les
enfants ce qu'est le monstril.
Enfin, j'ai constaté que l'auteur a rendu le récit des deux enfants à la manière
d'une bande-dessinée, car leurs propos sont en fait dans des phylactères, ce qui
m'a paru une bonne occasion d'une part, pour comparer L'île du monstril avec
d'autres oeuvres du même auteur, et d'autre part, de travailler sur la bande-
dessinée dans des ateliers de lecture.
4)Un album, trois rôles
Après la lecture experte de l'album, j'ai alors imaginé trois rôles possibles que
les enfants allaient pouvoir endosser tour à tour: d'abord celui de lecteur, dans
le sens où un travail de compréhension serait effectué, ensuite celui de
« métalecteur » qui se rend peu à peu compte du travail de l'auteur, de ses choix
d'écriture, et enfin celui d'auteur , en dépassant le carcan de l'élève qui écrit.
26
a)Tableau récapitulatif de la séquence l'île du monstril
CE2 CM1Séance 1: découverte de l'album
Le titre est caché, les élèves émettent des hypothèses à partir de la première de couverture.
Le maître recueille les hypothèses en dictée à l'adulte sur une affiche.
Oral collectif
Découverte du titre, on revient sur leurs hypothèses et on compare.
Oral collectif
Ils dessinent ensuite ce qu'ils pensent être un monstril.
Ecrit individuel
A partir de la première de couverture(le titre est dévoilé), les élèves écrivent un texte.
Ecrit individuel
Hypothèses quant au genre évoqué par la couverture. Oral collectif
Séance 2:
lecture partielle de l'album
Première lecture partielle par lecture à voix haute du maître sans les images. Temps de discussion laissé aux élèves à propos de ce qu'ils ont compris. Oral collectif
Relecture, mais avec les images. Retour sur la compréhension, et sur les points d'incompréhension. Lecture individuelle
En groupes, les élèves observent une double page tout en répondant à un questionnaire. Les CM1 sont en autonomie alors que les CE2 sont avec le maître. Ecrit groupe
Mise en commun, on pointe avec les remarques des élèves les particularités de l'album. Remarques notées sur une affiche.
Séance 3:
des monstres dans la littérature
Présentation à la classe des travaux menés en séance 1: les CE2 montrent leur dessin de monstrils, expliquent leurs choix et les CM1 viennent lire à haute voix leur production. Oral individuel+collectif
Lecture à haute voix par le maître d'extraits d'oeuvres littéraires où apparaissent des monstres.
Débat à propos du personnage du monstre et après un rappel du portrait, écrit sur leur monstre. Ecrit individuel
27
CE2 CM1Séance 4: métalecture au service de l'écriture
Séance 5:
l'univers de référence de Yvan Pommeaux
Lecture à voix haute par le maître jusqu'à la fin de l'album par dévoilement progressif. Recueil des impressions. Oral collectif
Constitution d'une affiche autour des personnages des ragondins.Travail en groupes, les élèves doivent restituer chronologiquement les images des ragondins et les légender.
Oral+ Ecrit groupe
A partir d'un objet incitateur, création d'une double page à la manière de Y. Pommeaux.
Oral+ Ecrit groupe
Présentation des travaux des CE2 aux CM1, échanges oraux autour de leurs affiches.
Les élèves par groupes de deux découvrent un livre de Yvan Pommeaux, le feuillettent pour ensuite venir le présenter aux autres. Une bibliographie est constituée ainsi qu'une trace écrite avec la
b)Présentation de la classe
Les élèves étaient au nombre de vingt-trois, dont sept CE2 et seize CM1.
J'avais donc prévu dans ma séquence des moments de différenciation,
notamment autour de l'écrit car si les documents d'accompagnement
promulguent pour la fin du cycle 3 d'élaborer et d'écrire un récit d'au
moins une vingtaine de lignes, ils conseillent pour le début du même cycle
l'écriture de manière autonome d'un texte d'au moins cinq lignes.
C'est une classe que je qualifierai comme difficile, cela étant en partie due
à un élève en difficulté et qui présentait des troubles comportementaux. Je
me suis vite aperçue qu'ils étaient coutumiers de la littérature, car dès la
première séance de la séquence, les hypothèses des CE2 ont fusé et les
productions des CM1 m'ont parues riches. J'ai compris ce fait en discutant
ensuite avec leur ancien enseignant qui est fervent de la littérature et qui a
étudié avec eux dix oeuvres... J'ai donc profité de ce facteur pour aller
vraiment dans le sens des objectifs que je m'étais assignés.
28
c)Les échanges oraux
A plusieurs reprises les élèves sont venus présenter leurs travaux aux
autres et lire leur production. Dans ces moments, la classe qui d'ordinaire
était assez agitée redevenait silencieuse pour l'écoute de leurs camarades.
J'ai particulièrement apprécié ces instants d'échange où les élèves ne
s'adressent plus à leur maîtresse mais aux autres, et j'ai vraiment ressenti
la curiosité des autres devant le travail qu'avait pu faire tel enfant... En
exemple, je me rappelle lorsque Hugo a lu sa production à propos des
hypothèses sur la première de couverture avec quel enthousiasme celle-ci
a été accueillie, Hugo nous embarquant au fil de l'aventure dans une
histoire de piraterie, de trésor enfoui et d'une bête monstrueuse cachée au
fond de la jungle (voir annexe F). D'ailleurs Jeanne, une élève de CE2, m'a
alors fait remarqué qu'elle aurait préféré que l'histoire soit comme celle de
Hugo et non pas comme celle du livre!
De plus j'ai aussi ménagé de nombreux moments d'échanges après la
lecture d'un passage par exemple, où je me contentais d'être à l'écoute tout
en étant garante du texte et de ses valeurs. Je pense qu'il est alors
important dans ces instants de donner une consigne qui se veut la plus
neutre possible du genre « Qu'avez vous à dire ? » plutôt que de poser
trop de questions qui ont trop vite fait d'enfermer le sens, de donner des
pistes d'interprétation. « Ces échanges ont une importance capitale pour parler
des textes, faire parler les textes, se parler sur les textes. »1
d)L'enfant lecteur
Lors du déroulement de la séquence, les passages étaient d'abord lus par
moi à voix haute, et ensuite les élèves les lisaient silencieusement sur leurs
exemplaires ( un album pour deux).Un autre type de lecture a été développé,
celui consistant à lire à voix haute son travail écrit. Avec du recul, je me suis
1 Tauveron, Catherine. Lire la littérature à l'école. Pourquoi et comment conduire cet apprentissage spécifique ? De la GS au CM. Hatier Pédagogie
29
aperçue que les enfants n'avaient peut-être pas assez lu, et qu'à chaque
moment de découverte d'un nouveau passage c'était moi qui le lisait et non
pas eux. Je pense que cette déviance peut être évitée avec un livre plus
important qui permet justement de varier davantage les types de lecture :
lecture silencieuse, lecture individuelle puis lecture à haute voix etc.
L'album que j'ai choisi ne se livrait pas facilement à ce type de lecture, les
deux récits étant menés en parallèle. J'ai donc volontairement joué sur ce
facteur en lisant à haute voix la première partie de l'album alors que les
élèves ne disposaient pas de l'album. Après lecture et question « Qu'avez
vous compris ? », les réactions ont été immédiates :
-Maîtresse, il est trop dur ton livre! ( Lucas)
-Il y a des ragondins qui sont dans une barque, et y a aussi des
enfants (Carla)
-Moi je crois que les rats vont aider les enfants, mais je sais pas
si c'est vrai (Pierre-Yves)
En pointant justement cette incompréhension, les élèves ont été par la suite
beaucoup plus attentifs aux procédés d'écriture de l'auteur, alors que si
j'avais fait le choix de montrer les images en même temps que la lecture, je
suis convaincue que le travail sur le métalangage n'aurait pas été le même.
e) L'élève « métalecteur »
C. Tauveron évoque dans son ouvrage une lecture « polymorphe », c'est-à-
dire une lecture littéraire qui non seulement est attentive à l'histoire, au récit
en présence mais aussi qui découvre le mode de fonctionnement du texte
littéraire.
« La jouissance que tire le lecteur de son identification aux personnages, ou la
projection de sa fantasmatique personnelle sur leur univers, n'empêche pas
nécessairement la jouissance qu'il peut tirer de la découverte d'un mode de
fabrication inédit et particulièrement ingénieux, pour peu que le maître sache
30
accorder à l'une et à l'autre droit de cité, voire sache les faire jouer l'une contre
l'autre, l'une avec l'autre. »1
Pour cet album, la référence était à chaque fois la double page de l'album,
élément qui a été décortiqué avec les élèves à l'aide d'un questionnaire qui
mettait en relief les choix d'écriture de l'auteur. Mais avant cela, j'ai d'abord
recueilli les premières réactions lorsque j'ai dévoilé les images :
-ça fait comme une BD, il y a des bulles
quand les enfants ils parlent (Marina)
-quand c'est les ragondins c'est comme en
noir et blanc (Joran)
-les ragondins ils font pas partie de l'histoire
(Lisa)
-mais si, ils font partie de l'histoire mais pas
avec les enfants (Quentin)
Après ces remarques, le questionnaire que j'avais préparé était plus pour
formaliser les différentes idées que pour les faire émerger, car comme je l'ai
déjà mentionné, j'ai été surprise de constater à quel point ces élèves étaient
coutumiers de ce type d'exercice et de réflexion.
Les diverses réponses ont ensuite été notées sur une affiche que j'ai laissée à
la vue des élèves pendant toute la séquence.
Une autre attitude de « métalecture » a ensuite été développée lors de la
séance finale quand les enfants ont découvert par groupes de deux une
oeuvre de Yvan Pommaux. Je leur ai d'abord présenté tous les livres en leur
demandant quel était, selon eux le point commun de tous ces livres. Ils m'ont
d'abord répondu les monstres (en continuité avec les séances précédentes !)
et ont fini par trouver la réponse : l'auteur. Je leur ai ensuite demandé de
parcourir, de feuilleter le livre sans forcément le lire pour venir ensuite le
présenter aux autres, ma dernière consigne étant de dire si il y avait ou non
un point commun avec L'île du monstril .
1 Tauveron, Catherine. Lire la littérature à l'école. Pourquoi et comment conduire cet apprentissage spécifique ? De la GS au CM. Hatier Pédagogie
31
J'ai particulièrement apprécié cette séance ; d'abord parce que leurs
remarques étaient fines et relevaient vraiment d'un langage sur la littérature
et aussi parce que le plaisir de lire a été le plus fort et que la plupart des
groupes ont lu l'histoire... Pas facile ensuite de venir présenter le livre sans
raconter l'histoire, mais je pense qu'une présentation générale de l'oeuvre
n'excluait pas pour autant de raconter le début du récit.
Ainsi les élèves se sont aperçus que Yvan Pommaux utilisait beaucoup les
« animaux parlants », la bande dessinée, les enquêtes policières. Après la
présentation de l'album Lilas, Lisa, une élève de CE2 a fait remarquer aux
autres que « c'était comme dans Blanche Neige » et ainsi, le groupe qui avait
l'album Le grand sommeil s'est récrié que eux aussi c'était comme dans un
conte sauf que c'était La belle au bois dormant. Mehdy, un élève
particulièrement difficile et qui préférait travailler seul nous a présenté
l'album Tout est calme ! en faisant des comparaisons très intéressantes avec
l'île du monstril. Les élèves se sont ainsi constitués une bibliographie qu'il
aurait été intéressant d'insérer dans un carnet de lecteur s'ils en avaient eu un
en leur possession.
Si cette classe s'est montrée particulièrement réceptive pour ce type de
travail, je pense que ce genre de métaréflexion peut être mené dès la
maternelle et qu'elle peut se révéler vraiment très utile pour tous les
apprentissages, pas seulement pour la littérature car elle inclut en fait une
attitude réflexive, critique et donne les mots pour mieux penser. Sans pour
autant tomber dans la dérive d'une décortication excessive du texte littéraire,
ces pratiques sont à mon avis vraiment porteuses de sens, et je pense que si
les jeunes lecteurs sont habitués à penser de cette manière un texte littéraire
et ce dès le plus jeune âge, ils sont détenteurs de clés supplémentaires pour
mieux comprendre leur monde environnant.
f)L'élève auteur
A mon sens, tout le travail qui a été réalisé sur l'attitude réflexive quant au
mode de fabrication de l'album est nécessaire pour que l'élève devienne
32
auteur. En effet, le postulat selon lequel le transfert entre la lecture littéraire
et l'écriture littéraire se ferait tout naturellement est erroné ; d'après C.
Tauveron et P. Seve dans l'ouvrage Vers une écriture littéraire ou comment
construire une posture d'auteur à l'école de la GS au CM , « un saut qualitatif est à
franchir parce que lecture et écriture ne sont pas des activités symétriques et parce
que construire avec des enfants une posture d'auteur est une opération plus
complexe que construire une posture de lecteur. »1
Cela induit donc que si les élèves sont coutumiers de textes littéraires, cela
ne veut pas dire pour autant qu'ils seront prêts à endosser le rôle d'auteur
pour autant. Je n'ai pas prétendu lors de ce stage en un si court laps de temps
dans une année scolaire transformer radicalement cette posture d'élève
scripteur en élève auteur, mais du moins le travail que l'on a effectué
ensemble s'en rapprochait.
*Le syndrome de la page blanche
Comme je l'ai mentionné dans le tableau, le premier travail écrit des CM1
a consisté en l'écriture de leurs hypothèses à propos de la première de
couverture, titre dévoilé avec la consigne suivante : « A ton avis, de quoi
parle cette histoire? ». Après avoir terminé le travail des CE2 sur leurs
hypothèses, je suis retournée vers les CM1. Plusieurs d'entre eux, dont
Carla qui était une élève qui n'avait aucune difficulté m'ont dit qu'ils ne
savaient pas quoi écrire, qu'ils n'avaient pas d'idées. Je pense que cette
attitude vient d'idées préconçues plus ou moins relayées par les pratiques
existantes dans les classes qui consistent à mystifier l'écriture, à la rendre
naturelle pour certains parce qu'ils sont doués d'une imagination prolifère
et à la rendre impossible pour d'autres.
J'ai essayé au contraire de montrer aux élèves que l'écriture n'était pas si
naturelle que ça et que chaque auteur recommence, fait plusieurs essais
avant de produire un écrit qui lui satisfait. A propos d'une poésie que l'on
avait travaillé, je leur ai demandé comment ils pensaient que le poète
1 Tauveron Catherine & Seve Pierre. Vers une écriture littéraire ou comment construire une posture d'auteur à l'école de la GS au CM. Hatier Pédagogie
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avait écrit ce texte ; beaucoup ont imaginé le poète écrivant tout d'un trait
car réellement inspiré... Ceci montre à quel point des représentations
comme celles-là peuvent venir parasiter des travaux, et ceci tout au long
de la scolarité si on les entretient. Je pense donc qu'il est important de
montrer dans sa classe qu' écrire c'est aussi un travail de retour, de
réécritures constantes et le fait d'inviter un auteur peut être par exemple
très intéressant, ou encore si cela n'est pas possible peut-être se procurer
des essais (avec ratures, biffages d'auteurs qu'ils connaissent).
« Choisir d'aider les élèves à adopter une posture d'auteur, c'est [...] modifier
leur représentation de l'écriture comme simple transcription linéaire d'une
pensée préalable ». 1
*Intégrer dans les écrits sa propre culture, ses propres
savoirs
Pour revenir sur l'exemple de Carla qui « bloquait » devant sa feuille, je lui
ai alors demandé lors d'un autre travail écrit (à propos d'un article de
journal) ce qui l'intéressait, ce qu'elle aimait. Elle fait de la gymnastique de
haut niveau, et passe de nombreuses heures pendant la semaine à son
entraînement ; je lui ai donc conseillé d'en parler.
Je dois avouer que sa production a représenté pour moi une victoire ; en
effet non seulement son texte comportait bien plus de lignes que par rapport
au premier, mais en plus elle a dépassé dedans la simple description pour
donner des sentiments aux personnages, leur faire prendre vie. Ainsi l'élève
auteur peut et doit se servir de ses propres expériences, de ses propres
représentations pour alimenter son texte, l'enrichir. De même que dans la
lecture littéraire l'enfant y met ses propres représentations en fonction de son
vécu, des textes qu'il a rencontrés lors de son passé de lecteur, l'écriture
1 Tauveron Catherine & Seve Pierre. Vers une écriture littéraire ou comment construire une posture d'auteur à l'école de la GS au CM. Hatier Pédagogie
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littéraire est également le reflet de toutes ces expériences qu'a connues
l'écrivain.
J'ai donc choisi d' alimenter davantage la culture des enfants à propos du
stéréotype du monstre, d' autant plus que la plupart de leurs représentations
dans leurs dessins (voir annexes G, H, I ) ou encore dans leurs textes à
propos de la première de couverture étaient assez prototypiques du monstre.
Effectivement, le dessin de Léa par exemple, qui a ensuite expliqué à la classe
que quand son monstril se baissait, ses marteaux venaient frapper les gens et
qu' il avait une ceinture pour retenir ses deux queues montre bien que Léa a
une image du monstre comme un être difforme et malfaisant. Celui de Lucas
tient plus du monstre moderne, à la manière des « comic », son monstril
étant affublé de plusieurs paires d' yeux et de deux bouches... Lisa a semble-
t-il une vision plus « traditionnelle » du monstre car il ressemble fort à un
dragon. Etant assurée de leur connaissance du stéréotype du monstre -car si
l'on souhaite transformer, faire évoluer un stéréotype il est important que les
élèves le détiennent- j'ai donc lu à voix haute quatre extraits issus de la
littérature ( issus de deux albums, d'un conte de Grimm nommé Les sept
frères et d'un conte des Mille et une nuit ) dans lesquels les monstres en
présence étaient un dragon, un génie, un petit monstre peureux et un
monstre ami avec une petite fille... Les èlèves n' ont pas connu de difficultés
pour répondre à ma consigne : « A votre avis, qu' est-ce que ces textes ont en
commun ? », le monstre venant très rapidement comme réponse. Les deux
dernières créatures citées ont à mon sens permis de donner une autre image
aux élèves d'un monstre, image dont ils se sont ensuite servis dans la
description de leur monstre. Nous avons ensuite entamé une discussion à
propos des monstres dont je rapporte ici quelques remarques intéressantes :
– c'est comme le monstril, c'est un petit monstre qui mange tout, il est
petit car dans monstril il y a « i » dedans ( Baptiste)
– les dinosaures alors on peut aussi dire que c' est des monstres ? (
Mehdy)
35
- moi mon monstre il est gentil, on peut le caresser ( Jordan)
J' ai ensuite distribué une petite feuille sur laquelle était notée la consigne
suivante : Pour moi, un monstre c'est..., rapellant en même temps qu' ils
devaient me décrire le portrait de leur monstre, à la fois par des
caractéristiques physiques et morales. Les descriptions ont été très
différentes d'un élève à l' autre, mais j' ai pu remarquer que même si certains
de leur monstre était gentil ( Baptiste, Marina, Jordan, Thomas...), blagueur
(Jeanne), rapporteur (Laury) ou encore méchant, peureux, tous sans
exception étaient laids, affreux et affublés de traits effrayants ! (voir annexe J)
Ces lectures ont semble-t-il alimenté à travers leur écoute les écrits des
élèves.
C. Tauveron et P. Seve ajoutent encore une composante à ceci en intégrant
les diverses disciplines dans les écrits. Je dois dire que je n'y avais pas pensé,
et pourtant cela s'inscrit bien avec la maîtrise de la langue dans les autres
disciplines, d'autant plus que le résultat peut vraiment être très riche.
J'imagine par exemple à propos d'un récit de piraterie une carte d'une île
pour trouver un trésor et le texte pour décrire cette carte...
« Aider les élèves à adopter une posture d'auteur, ce n'est pas seulement travailler
avec eux les aspects formels du texte narratif [...], c'est aborder avec eux une
réflexion sur la fiction, les conduire à percevoir que tout auteur nourrit son univers
fictif,[...] c'est leur donner les moyens d'articuler des savoirs et savoir-faire
discursifs et linguistiques à des savoirs venus d'autres disciplines scolaires[...] ou
des savoirs relevant de l'expérience sociale, de l'expérience sensorielle aussi. »1
Si le rôle de l'enfant auteur se précise de plus en plus nettement, peut-être
est-il intéressant d' expliquer celui de l'enseignant.
1 Tauveron Catherine & Seve Pierre. Vers une écriture littéraire ou comment construire une posture d'auteur à l'école de la GS au CM. Hatier Pédagogie
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* Le regard de l'enseignant sur les textes littéraires
Il convient déjà de préciser que pour considérer les textes de ses élèves
comme littéraires, il faut leur accorder un statut d'auteur. Qu'est ce que cela
implique? Il faut mobiliser des critères d'évaluation qui ne soient pas
seulement normatifs, standards( par exemple, la cohésion) mais qui essaient
de rendre compte d'une tentative littéraire particulière. Par exemple, si un
passage est tu dans un texte, se demander si c'est un oubli ou s'il s'agit d'un
passage volontairement manquant afin de produire un effet sur le lecteur.
Selon moi, le simple signe de ponctuation « ... » relève déjà d'un effet
littéraire car il implique du non-dit, donne lieu à une interprétation possible.
Cela implique donc chez l'enseignant de considérer l'élève comme un auteur
et de se mettre dans la peau d'un lecteur, et plus seulement d'un évaluateur.
L'élève-auteur est donc lu avec de nouveaux critères : le récit comporte-t-il
des blancs, des lacunes et si c'est le cas sont-ils là pour amener à une lecture
rétroactive ? Ou encore, le récit joue-t-il avec une complicité
culturelle ? On peut aussi se demander si les choix de l'écrivain en matière
de narration provoquent ou non un effet spécifique sur la lecture... Tous ces
critères sont loin d'être exhaustifs et sont fonction de ce que l'élève a
rencontré lors de ses lectures et du travail qui a été réalisé en classe. Il est
surtout question ici d'une instance qui a toute sa place dans l'écriture
littéraire et qui est celle du lecteur.
Car l'auteur vise bien entendu ses lecteurs, et les choix qu'il fait sont là pour
avoir une incidence sur eux. Cela implique que faire développer une posture
d'auteur à l'école nécessite aussi un travail sur le lecteur, ses attentes, ses
réactions. Je n'ai pas lors de la séquence axé notre cheminement sur cette
voie, mais il est sans aucun doute aussi intéressant de mener une réflexion à
ce propos. Effectivement, à mon sens les élèves ont tendance à considérer
leurs écrits entre eux comme des textes manquants, inaboutis et donc à
corriger.
En instaurant des pratiques de lecture autres, il est possible de changer
cela. On peut en effet proposer aux élèves de lire les textes des autres en
37
demandant si le texte en question se laisse lire comme un texte d'auteur,
c'est-à-dire s'il laisse au lecteur une part de travail, s'il provoque un effet de
surprise, de suspense ou de curiosité. L'important ici n'est pas la manière
précise dont on va amener ces pratiques mais plutôt la compréhension des
instances en jeu lors de l'écriture littéraire : je suis un auteur qui écrit des
textes littéraires pour des lecteurs.
Ainsi dans la production de Christie, (voir annexe K ), l'effet
d'interprétation des sentiments des enfants est remarquable car simplement à
partir des images, Christie arrive à recréer un sentiment très fort de peur
entre les enfants mais aussi un sentiment d'entraide : « la fille a *très *très
peur elle tient son doudou *très *très fort » ; « le garçon donne la main à la
fille » ; « la fille a froid »... A l'inverse des autres élèves, Christie a vraiment
insisté sur le caractère dramatique de cette scène alors que d'autres ont
davantage décrit les péripéties des deux enfants.
Dans la production de Pierre-Yves (voir annexe L ), on voit vraiment la
volonté de l'écrivain de relier les différents éléments de l'image à son récit :
ainsi le garçon « trouve un gros bâton de bois par terre et va [...] combattre ce
monstril »,ou encore « attrape les deux *têtes du tigre d'un coup et *essaye de
*l' emmener dans l'eau *qu' il y avait juste derrière. ». Pierre-Yves reprend
donc le thème de l'eau, d'une branche mais aussi de la chaussure manquante
d'Elvire, d'une liane et du monstril... Cela ne relevait pas d'un effet de la
consigne, mais il a parfaitement réussi dans son texte à intégrer les divers
éléments de l'image -ceux-ci représentant en quelque sorte les objets
incitateurs de son écrit- à son récit, procédé d'écriture qui est difficile si on ne
veut pas que les éléments présentés ne soient pas plaqués artificiellement.
La production de Jordan m'a paru intéressante à apporter à l'analyse pour
montrer comment l'image du monstre, et particulièrement chez les enfants en
difficulté, peut se révéler incitatrice. Sa production (voir annexe M ) a été
réalisée en dictée à l'adulte, car pendant la première semaine de mon stage,
Jordan refusait d'entrer dans toute activité sans moi. On voit qu'au départ, il
reste très proche des images de la première de couverture mais quand il
38
s'agit d'évoquer le monstre, contrairement à l'ensemble des élèves qui ont
perçu le monstril comme un être redoutable, méchant et laid, donc comme le
stéréotype même du monstre, Jordan au contraire décide de lui donner un
nom, donc de lui conférer une identité et par la même voie, de lui refuser son
statut de monstre anonyme et en plus il lui donne une personnalité, une vie
différente de celle du Monstre: « le monstre est gentil, il habite dans l'eau; il
s'appelle Dylan ».
D'après Serge Boimare qui travaille depuis 1967 avec des enfants qui
refusent les apprentissages, figurer les craintes et les sentiments qui
parasitent la situation d'apprentissage est une étape souvent indispensable
avec les élèves en échec scolaire; autrement dit matérialiser ces peurs par le
biais de la lecture de contes par exemple exorciserait en quelque sorte ces
craintes, ces appréhensions face à l'école. « Les médiations culturelles qui
permettent d'aborder la question identitaire en donnant le fil pour s' en éloigner, qu'
elles soient littéraires, scientifiques ou artistiques, sont un excellent moyen pour
faire ce type de travail », c'est-à dire matérialiser, figurer les craintes de l'enfant.
J'ignore si le travail que nous avons mené sur les monstres a eu un tel effet
sur Jordan, je ne suis sans doute pas assez spécialisée pour y répondre, mais
ce dont je suis sûre c'est qu'il a pris un réel plaisir à travailler sur ce thème
pendant la durée de mon stage.
*Ecrire à la manière de...
Alors que tout le travail de métalecture a été effectué sur l'album, l'intérêt
était pour moi de voir si les élèves étaient capables d' écrire à la manière de
Y. Pommaux, et ce sur une double page. Je me voyais difficilement leur
demander de produire cet écrit sur une feuille à carreaux alors que notre
travail précédent avait porté sur la manière dont Pommaux menait les deux
récits en parallèle à l'aide des images.
Les élèves étaient donc par deux, ils ont tiré au hasard un petit papier sur
lequel était inscrit un objet : une bouteille en verre/un chapeau/une carte de
l'île/un miroir, la consigne écrite étant : « Vous allez devoir écrire vous-
39
même comme des écrivains à la manière de Pommaux. Pour cela, sur une
double page vous devrez écrire les dialogues des deux ragondins, la venue
de Douce et le moment où les deux enfants trouvent l'objet. » Une fois leur
premier jet terminé, je regardais en demandant tel ou tel ajout et les élèves
devaient recopier cela sur un format A4 en respectant la présentation de
l'auteur et en dessinant Elvire et Léon.(voir annexes N, O )
Là aussi, cette séance s'est révélée très intéressante car je me suis rendue
compte qu'avec le travail préalable qui avait été effectué en amont, les élèves
n'ont eu aucun mal à se « mettre dans la peau » de l'auteur, à s'imaginer
comme des écrivains. Si j'avais disposé de plus de temps, les diverses
productions auraient pu être reliées entre elles pour former un recueil, un
document commun à la classe de CM1.
« Choisir d'aider les élèves à adopter une posture d'auteur, c'est [...] les mettre en
condition de percevoir que la copie ou l'emprunt ne sont pas des actes répréhensibles
mais qu' au contraire le produit narratif d'un auteur est toujours une forme de
« compost »[...] Il s' agit donc d' encourager les élèves à intégrer leurs expériences et
leur mémoire de lecture à la pâte de leurs textes. »1
Cela induit donc que l'enfant est libre de réemployer une formule qui lui a
plu, ou encore d' utiliser un procédé d' écriture particulier. Cette démarche
consistant à intégrer ce qu' on lit pour pouvoir mieux écrire ensuite
s' accorde selon moi très bien avec le carnet d' auteur.
* Pour aller plus loin dans l' écriture littéraire, le carnet
d'auteur
Instituer un tel outil pédagogique alors que j' étais dans la classe trois
semaines seulement m' a paru impossible, ce carnet s' utilisant pour toute l'
année. Le document d' accompagnement des programmes intitulé Lire et
écrire au cycle 3 évoque la mise en place pour le cycle 3 d' un carnet de lecteur
où l' enfant est libre de noter ses remarques à propos d' une lecture, ses
1 Tauveron Catherine & Seve Pierre. Vers une écriture littéraire ou comment construire une posture d'auteur à l'école de la GS au CM. Hatier Pédagogie
40
lectures, des formules qu'il a rencontrées et qui lui plaisent, de se constituer
une anthologie personnelle .
Dans une telle optique, la création d'un carnet d'auteur est tout à fait
réalisable dans une classe. D'un point de vue matériel, il demande en effet
peu d'efforts et d'un point de vue pédagogique, il peut se révéler très riche.
L'élève peut ainsi à la manière d'un écrivain y collecter les informations
nécessaires pour un projet d'écriture, peut y inscrire quelques essais,
quelques tentatives d'écriture ou encore une phrase d'un auteur qui lui a plu.
L'intérêt ici est que l'élève personnalise son carnet, le voit comme un outil
personnel évoluant au fil de l'année et non comme un simple cahier de plus.
J'ai pu tester cette pratique dans un atelier pédagogique dans une classe de
CM2 où les enfants avaient ce carnet depuis le début de l'année. Lors des
séances dans lesquelles nous sommes intervenus, les élèves après la
production d'un texte à partir d'un titre incitateur devaient choisir une
phrase qui leur plaisait parmi les textes de leurs camarades et expliciter ce
choix. En cette occasion, les élèves se sont réunis dans des comités de lecture,
simulant par là une vraie maison d'édition et ont donc décidé ensemble
quelles phrases retenir, puis l'ordre dans lequel les présenter aux autres
comités.
Les phrases retenues par le comité ont ensuite été inscrites dans leur carnet.
Cette approche révèle bien l'idée que l'élève n'est plus seulement scripteur
mais également auteur, car les phrases de sa propre production peuvent
cotoyer en toute légitimité celles d'écrivains.
Je suis convaincue par ce genre de pratique et pense mettre en place ce type
d'outil avec des enfants du cycle 3 si l'occasion m'en est donnée.
41
Tout au long du travail mené sur les monstres avec les élèves, j'ai fait
développer chez eux plusieurs compétences:
• accéder à la culture, prendre connaissances de certains référents culturels
• réaliser des écrits de travail en littérature
• mener une réflexion, une interprétation à propos d'un texte littéraire
• s'engager dans un écrit littéraire, adopter une posture d'auteur
Sans compter les compétences purement disciplinaires, je peux aussi y
ajouter des compétences transversales telles que:
• s'engager dans un projet long
• présenter son travail à l'oral
• maîtriser le traitement de textes en TICE
Cet ensemble de compétences n'est sans doute pas exhaustif, et l'étude qui
peut être réalisée autour d'un stéréotype comme le monstre peut sans aucun
doute en contenir d'autres que je n'ai pas traités ici. Effectivement, il peut être
très intéressant par exemple de travailler en réseau autour du personnage du
monstre, ce projet s'accordant bien à mon sens avec le cycle 1 avec des
albums (Max et les maximonstres, ...) .
J'ai trouvé que mener une telle étude permettait d'abord de bien se rendre
compte des premières représentations des enfants, de leurs idées
profondément enracinées à propos d'un symbole. Leur analyse est
intéressante car elles sont révélatrices du fonctionnement de la pensée de
l'enfant, de ses expériences, de son vécu social. Ainsi un enfant qui est
familier de l'univers imaginaire des contes n'aura pas de difficultés à se
représenter une créature fantastique car elle sera nourrie de ses expériences
de lecture, lues ou entendues. Mais un enfant qui n'est pas coutumier de ce
42
CONCLUSION
genre de pratique aura sans doute beaucoup plus de difficultés à en donner
une représentation claire.
Les deux classes dans lesquelles j'ai mené ces dispositifs pédagogiques n'ont
pas rencontré ce problème; mais peut-être que si j' avais eu une classe de
maternelle, les observations n'auraient pas été les mêmes et la réalisation du
projet aurait été différente car portant essentiellement sur l'élaboration, la
constitution d'un stéréotype.
Outre les premières représentations à partir d'une figure prototypique,
l'intérêt de mon projet a consisté également en l'enrichissement des images
possibles du monstre soit par les arts visuels, soit par l'écriture et la lecture.
Car détenir, comprendre un symbole ne suffit pas; il est nécessaire de se
l'approprier véritablement, et pour des enfants la meilleure manière est selon
moi de laisser son emprunte, de marquer le réel par sa propre action.
43
BIBLIOGRAPHIE
Programmes, documents d'application et d'accompagnement
● Qu'apprend-on à l'école élémentaire ? ( février 2002 )
● Littérature CNDP, août 2002
● Littérature (2) CNDP, 2004
● Lire et écrire au cycle 3 CNDP, octobre 2003
Ouvrages théoriques lus ou consultés
● Dupuit Laurence & Francis. Entrer en littérature Cycle 3 . CNDP
● Tauveron Catherine. Lire la littérature à l'école Pourquoi et comment
conduire cet apprentissage spécifique ? de la GS au CM. Hatier, 2002
● Tauveron Catherine & Seve Pierre & col.. Vers une écriture littéraire ou
comment construire une posture d'auteur à l'école de la GS au CM. Hatier,
2005
● « Textes et documents pour la classe » n°705, « Monstres et
littérature », 1995
● « Atelier des images » n°41, « Les animaux fantastiques », 2004
● Ballinger Erich. ABC des monstres. Hachette
● Le livre de la mythologie grecque et romaine. Gallimard jeunesse, 2005
● Bertherat Marie. Les mythes racontés par les peintres. Bayard Jeunesse,
2000
44
ANNEXE A
Bibliographie mythologie grecque
● Riordan James. Les 12 travaux d'Hercule. Paris, Flamarion 1997
● Gontier Josette ( adaptation française ). Mythes et légendes du monde entier.
Gautier-Langereau
● Beck Martine, dubois Yvonne & Fert Valérie. Petit dictionnaire de la
mythologie. Paris, Pocket Jeunesse 1999
● Gontier Josette. Créatures fantastiques. Paris, Hachette jeunesse 2002
● Maurer Bruno, Le dernier voyage d'Ulysse. Paris, Gallimard jeunesse 2001
I
ANNEXE E
Biographie de Yvan Pommaux :
Yvan Pommaux est originaire de Vichy. Après avoir exercé de nombreux petits métiers, il entre comme maquettiste à L'école des Loisirs. C'est seulement depuis 1972 qu'il écrit et illustre des albums pour enfants.
Son style a évolué : il mêle aujourd'hui la bande dessinée et l'album, les enquêtes et les histoires d'amour et revisite les contes traditionnels.
Bibliographie constituée avec les élèves :● Tout est calme !
● Le voyage de Corbelle et Corbillo
● La pie voleuse
● Libérez Lili
● Une nuit, un chat ...
● La fugue
● Le grand sommeil
● Lilas
● Le monde est comme une orange, lola !
● Mon oncle Alberto Campagnollo
● Où vont les trucs du pissenlit quand le vent les emporte ?
● A la rivière
● La destinée de la famille Campagnol, depuis la naissance du châtaignier jusqu'à nos
jours
V
LES MONSTRES DANS LA LITTERATURE
Le monstre est une figure emblématique de notre culture et les différents symboles
qui s'y rattachent sont nombreux. L'objectif de ce mémoire est d'abord de montrer
l'intérêt de travailler à l'école sur le stéréotype du monstre, et ensuite de présenter les
dispositifs pédagogiques possibles autour de ce thème dans la littérature et d'autres
domaines disciplinaires.
Mots clés : être imaginaire / littérature de jeunesse / stéréotype / mythologie
expression écrite
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