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DÉPARTEMENT D’HISTOIRE
Faculté des lettres et sciences humaines
Université de Sherbrooke
Deylamites et Bouyides; ascension
d'un peuple et bilan d'une dynastie.
Par
MICKAËL LESSARD-QUINTAL
Travail présenté à
Geneviève DUMAS
Dans le cadre du cours HST 201
Histoire de l'Islam des origines au XIIIe siècle
Sherbrooke
20 décembre 2012
1
INTRODUCTION
Le début de l'entreprise missionnaire du prophète Muhammad, en 610, constitue
la genèse de l'histoire arabo-musulmane. Prêchant d'abord à La Mecque, où ses
prédications concurrençaient ouvertement la religion traditionnelle, il fut contraint de fuir
avec ses disciples vers Yathrib (Médine) en 622. Médine devint ainsi le centre du premier
État musulman qui, par une série de conquêtes successives, devint maître d’un vaste
territoire qui, à son apogée, devait s’étendre de l’Indus à la Septimanie. Très tôt toutefois,
des querelles intestines apparurent quant à la succession de Muhammad à la tête de la
Oumma et de l’empire, ce dernier étant mort en 632 sans avoir défini de règles claires de
succession. Rapidement, ces querelles prirent l’allure de conflit (fitna), prétextant
plusieurs renversements dynastiques au sein du monde islamique. Celles-ci opposaient
les Alides, partisans d’une succession parmi les descendants du prophète, les sunnites,
partisans d’une succession au sein du clan des Qurayshites, auquel appartenait
Muhammad, et dans une moindre mesure, les kharidjites, d’abord partisans des Alides
puis opposés aux deux premiers groupes. Ainsi, l’opposition des Alides et des sunnites
mena les Omeyyades à la tête du califat en 660, suivant l’assassinat d’Ali, suivis par les
Abbassides en 750. Au Xe siècle, l’empire abbasside moribond paraissait devoir
s’éteindre face aux Deylamites Bouyides ((ه وی d’obédience chiite, toutefois, bien au آل ب
contraire, ces deux dynasties trouvèrent un modus vivendi les faisant cohabiter. Cette
anomalie, bien intrigante avouons-le, suscite plusieurs questions, notamment : comment
une dynastie deylamite d'obédience chiite a-t-elle pu se rendre maître de l'empire
abbasside, et quel bilan politico culturel peut-on faire des 126 ans de règne des Émirs
bouyides? La présente recherche en propose donc l'étude, en traitant successivement de
du processus d'ascension sociale des Deylamites jusqu'aux plus hautes sphères de
l'empire, puis d'un bilan des principaux legs politico-culturels de la dynastie bouyide. Ces
éléments permettront ainsi de mieux comprendre la conjoncture ayant mené à leur prise
du pouvoir, ainsi que l'impact du passage de ladite dynastie au sein de la vie politique et
sociale de l'empire Abbasside.
2
Du Deylam jusqu'à Bagdad
Tout d'abord, afin de bien comprendre l'ascension des Deylamites jusqu'aux plus
hauts échelons de l'empire, il convient au préalable d'expliciter certains aspects de leur
mode de vie ainsi que de leur histoire. En voici les principaux éléments.
Les Deylamites
Tout comme leurs voisins Gilites, avec lesquels ils sont apparentés, les
Deylamites constituent un des peuples vivant entre les rives méridionales de la mer
Caspienne et la chaîne de montagnes de l'Alborz, leur berceau originel se situant dans les
vallées du fleuve Shâh-rûd et ses affluents1. Bien qu'une croyance populaire ait laissé
supposer que les Deylamites et les Gilites soient d'origine arabe, laquelle est basée sur
une filiation légendaire aux frères Deylam et Gil Ben Dabba2, les chercheurs s'accordent
généralement pour dire qu'ils appartiennent plutôt au groupe des mazanderani, issus de la
branche iranienne des Indo-européens3. Ainsi, contrairement aux Arabes, les Deylamites
ne sont pas d'origine sémite, mais persane.
D'après Agathias et Procope, historiens byzantins du VIe siècle, les Deylamites
habitaient une région montagneuse réputée inaccessible, ce qui leur permit de se
soustraire à la sujétion des rois de Perse, ne les servant que comme mercenaires4. Ils
étaient alors recrutés comme spécialistes de la guerre de montagne et servaient
généralement au sein de l'infanterie5. D'un point de vue religieux, il semble que le
christianisme ait été introduit au Daylam au cours du VIe siècle; en 554 on y retrouve
d'ailleurs deux diocèses nestoriens6. Malgré la rapide expansion de l'Islam et la
dislocation de l'empire sassanide, les Deylamites ont su tirer avantage de leur expertise
1 Vladimir Minorsky, «Daylam», Encyclopédie de l'Islam, 1960,Vol.2, p.195
2 Felix Wolfang et Wilferd Madelung, «Deylamites», Encyclopaedia Iranica, [En ligne], New York, 2011
[1995], http://www.iranicaonline.org/articles/deylamites 3 Jacques Leclerc, «Les langues indo-iraniennes», Université Laval, [En ligne], Québec, Mai 2010,
http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/monde/langues_indo-iran.htm 4 Vladimir Minorsky, Op. Cit., p.196
5 Ibid.
6 Felix Wolfang et Wilferd Madelung, Op. Cit.
3
militaire et du relief accidenté, leur permettant ainsi de résister à l'occupation jusqu'à la
conquête musulmane du Daylam en 816-817 par Abdullah Ben Kordâdbeh7.
Le Deylam refuge des alides
Du fait de l'éloignement du Daylam face au centre de l'administration impériale,
ainsi que pour sa difficulté d'accès, la région demeura de facto indépendante et servit de
refuge aux alides8, aux zaydites notamment, qui fuyaient les persécutions perpétrées par
les Omeyyades et les Abbassides9. Le premier alide à y trouver refuge fut donc Yahya
Ben Abdullah, en 791. Ainsi, bien qu'au début du IXe siècle le Daylam comptait encore
quelques chrétiens et mazdéens, la majorité de la population demeurait païenne10. La
présence continue des zaydites devait toutefois contribuer à la diffusion de l'Islam,
principalement sous l'impulsion de l'Imam Qâsem Ben Ibrahim Rassi, au IXe siècle, qui
convertit plusieurs Deylamites au chiisme zaydite de rite qâsemîya11. Conséquemment,
suivant l'appel de l'Imam hasanide Ad-Dâ'î lla al-Haqq Hasan Ben Zayd, en 864, les
Deylamites, menés par la dynastie justânides, se révoltèrent contre l'administration des
Tâhirides, vassaux des Samanides, et contribuèrent à la formation d'un État zaydite au
Tabarestan12 (voir ANNEXE 1). Ainsi, pour Hasan Ben Zayd, «Zaydi Deylamites became
his most effective, if not always reliable, warriors supporters»13, en raison notamment de
l'allégeance que lui prêta le roi deylamite Wahsûdân Ben Djustân14. Le jeune État fut
cependant dissout en 900, suivant la mort de l'Imam Al-Qâ'im bi-l-Haqq Muhammad Ben
7 Ibid.
8 Arefeh Hedjazi, «Le chiisme en Iran avant les Safavides», La revue de Téhéran, Nº72, Novembre 2011,
[N.P] 9 Wilferd Madelung, «Alids», Encyclopaedia Iranica, [En ligne], New York, 2011 [1985], http://www.
iranicaonline.org/articles/alids-of-tabarestan-daylaman-and-gilan; Ismail Marcinkovsky, «The Buyid
Domination as the Historical Backgroung for the Flourishing of Muslim Scholarship During the 4th/10th
Century», Proceedings of Avicenna International Colloquium, [En Ligne], [S.L.], [S.D.], http://www.buali.
ir/buali_content/media/article/86.pdf 10
Felix Wolfang et Wilferd Madelung, Op. Cit. 11
Ibid. 12
Wilferd Madelung, «Alids», Op. Cit.; Vladimir Minorsky, Op. Cit., p.197 13
Felix Wolfang et Wilferd Madelung, Op. Cit. 14
Vladimir Minorsky, Op. Cit., p.197
4
Zayd, frère de son prédécesseur Hasan Ben Zayd, face aux forces Samanide qui tentaient
de reprendre contrôle de leurs anciennes provinces15.
L'État zaydite fut cependant restauré en 914, alors que depuis le village gilanite de
Kaylâkejân, l'Imam husaynide An-Nâsir lla al-Haqq al-Hasan ben Ali al-Utrûch, qui
convertit au zaydisme l'ensemble des Deylamites établis à l'est du Safîdrûd16, battit
l'armée samanide sur les rives du Bûrrûd17. Ce succès fit qu'«Il fut reconnu par Djustân et,
bien que leur première campagne contre les sâmânides eût été un échec, l'année suivante,
après une bataille rangée de quarante jours, les sâmânides furent chassés des provinces de
la Caspienne.»18 Ainsi, l'influence de l'Imam devait s'étendre à l'ensemble du Tabaristan,
étant alors fortement soutenue par les Gilites et les Deylamites, notamment parmi les
Justânides. La conversion de nombreux Deylamites par l'Imam husaynide fit cependant
qu'à cette époque, on constate la pratique de deux doctrines zaydite, «Since his legal
doctrine differed in some points from that of Qāsem b. Ebrāhīm, which had been adopted
by the Zaydīs in Rūyān and eastern Daylamān, his converts came to form a separate
Zaydī community known as the Nāṣerīya»19.
Le règne d'An-Nasîr fut toutefois de courte durée puisque ce dernier mourut trois
ans plus tard, en 917, désignant son gendre comme successeur, le Hasanide Ad-Da'î lla
Allâh al-Hasan Ben al-Qâsim, au détriment de ses fils20. Ce faisant, «Nāṣer’s successor,
Ḥasan b. Qāsem Dāʿī, quickly came into conflict with the Deylamites, partly because of
their loyalty to the house of Nāṣer and partly because he sided with the civil population
of Ṭabarestān against the often unruly and overbearing Deylamite warriors.»21 Ainsi,
suivant une tentative ratée visant à conquérir le Khorasan en 921, l'élite Gilite et
Deylamite conspira en vue de tuer le nouveau Dâ'î, mais fut découverte par ce dernier,
qui répliqua en mettant à mort sept d'entre eux dans la ville de Gorgân. De plus, les
intérêts personnels des émirs deylamites se mirent de plus en plus à occulter les besoins
du pouvoir central, ceux-ci combattant alors davantage pour leur propre suprématie22. Ces
15
Ibid. 16
Ibid.; Felix Wolfang et Wilferd Madelung, Op. Cit. 17
Felix Wolfang et Wilferd Madelung, Op. Cit. 18
Vladimir Minorsky, Op. Cit., p.197 19
Felix Wolfang et Wilferd Madelung, Op. Cit. 20
Vladimir Minorsky, Op. Cit., p.197-198 21
Felix Wolfang et Wilferd Madelung, Op. Cit. 22
Vladimir Minorsky, Op. Cit., p.198
5
éléments eurent donc pour résultat de créer de nombreuses défections au sein de l'armée,
de nombreux rebelles passant ainsi au service des rivaux Samanides23. Cette dislocation
de l'Armée permit notamment au chef de guerre Mardâwidj Ben Ziyâr, alors allié du
samanide Asfâr Ben Shîrôya24, de tuer l'Imam Al-Hasan Ben al-Qâsim au cours d'une
bataille près d'Âmol , en 928, vengeant du même coup son oncle, feu roi des Gilites, qui
trouva la mort à Gorgân sept ans plus tôt25. Conséquemment, bien que des localités
zaydites subsistèrent, la mort de l'Imam hasanide devait marqué la fin de cet État chiite,
alors que trois en plus tard, «Asfār’s excesses in northern Iran enabled Mardāvij to defeat
and kill him. Mardāvij obtained control of an extensive dominion comprising Ray and
Qazvin and extending to Hamadan (q.v.), Dinavar (q.v.), and Isfahan (q.v.), and by 934
his troops even penetrated into Ahvāz (q.v.).»26
Il ressort de la forte présence des alides au Deylam qu'un caractère profondément
chiite et zaydite, dans une moindre mesure, marqua grandement la région. Ainsi, «the
Shi'i ideas introduced into Tabaristân and Dailam at the end of the 8th century by
Hasanid du'ât, [...] had a catalytic effect in releasing Dailami energies outside the Elburz
mountain region.»27 Cet élan se traduisit donc par une forte tendance à s'opposer au
Califat, permettant au Deylamites d'affiner leurs méthodes militaires et de prendre
conscience de leur potentiel militaire28. Alors que plusieurs Deylamites et Gilites
s'engageaient massivement dans les diverses armées avoisinantes, certains passèrent au
service de Mardâwidj Ben Ziyâr, qui tenta de se tailler un État sur les ruines de l'ancien
empire sassanide29. Ce fut notamment le cas des Bouyides.
L'avènement des Bouyides
23
Ibid.; Felix Wolfang et Wilferd Madelung, Op. Cit. 24
Ibid. 25
Ibid.; Felix Wolfang et Wilferd Madelung, Op. Cit. 26
Clifford Edmund Bosworth, «Ziyarids», Encyclopaedia Iranica, [En Ligne], New York, 2010,
http://www. iranicaonline.org/articles/ziyarids 27
Clifford Edmund Bosworth, «Military Organisation under the Bûyids of Persia and Iraq», Oriens,
Vol.XIX, 1966, p.147 28
Vladimir Minorsky, Op. Cit., p.198 29
Claude Cahen, «Buwayhides», Encyclopédie de l'Islam, 1960, Vol.1, p.1390
6
L'origine du nom des Bouyides provient vraisemblablement de Bûya Ben Pannâh
Kosrow, ancêtre éponyme de la dynastie30. Ceux-ci revendiquaient alors une filiation
avec les Sassanides, ce qu'Al-Bîrunî remit en cause au XIe siècle. On sait aujourd'hui que
cette ascendance fut forgée de toutes pièces31
et qu'ils étaient d'origine modeste, Bûya
étant d'abord un humble pêcheur du Deylam32. En 928, «As the Zaydī ʿAlid reign in
Ṭabarestān collapsed, various Deylamite and Gilite leaders, with their personal
followers, sought their fortunes either as mercenaries or by trying to establish
independent principalities wherever conditions were propitious.»33 C'est dans ce contexte
que trois des fils de Bûya, Ali, Hasan et Ahmad, passèrent au service de Mardâwidj Ben
Ziyâr et accompagnèrent ce dernier alors qu'il se constitua une vaste principauté en Iran
central34. «Mardāvij seems to have had grandiose dreams of marching on Baghdad (q.v.),
overthrowing the ʿAbbasids (q.v.) and reconstituting the ancient Persian empire and
faith»35.
Au cours de ses conquêtes, Mardâwidj mit Ali, l'ainé des trois frères, en charge du
district de Kara, ce qui eut pour effet d'y attirer de nombreux Deylamites36. Suspicieux
des intentions d'Ali, Mardâwidj se prépara à marcher contre son vassal, qui devant cette
menace occupa Ispahan, qu'il dut toutefois fuir face à Mardâwidj et ses alliés37.
Conséquemment, il gagna Shiraz, après avoir défait Yâqût, gouverneur califal du Fars, à
Arrajân38
. Il devenait ainsi le maître incontesté du Fars et s'en fit reconnaître la
gouvernance par les Abbassides, en 934, alors trop faible pour tenter de récupérer la
province en question39. Suite à l'assassinat de Mardâwidj par un garde turc, en 943, Hasan
put aisément prendre possession du Djabal, alors qu'Ahmad, le cadet, prit possession du
Kirmân puis du Khûzestan40. Ainsi, la mort de Mardâwidj fit en sorte que «The eastern
part of the ʿAbbasid empire had at that time split into three virtually independent
30
Ibid. 31
Claude Cahen, «Buwayhides», Op. Cit., p.1393 32
Tilman Nagel, «Buyids», Encyclopaedia Iranica, [En Ligne], New York, 1990, http://www.iranica
online.org/articles/buyids 33
Felix Wolfang et Wilferd Madelung, Op. Cit. 34
Claude Cahen, «Buwayhides», Op. Cit., p.1390 35
Clifford Edmund Bosworth, «Ziyarids», Op. Cit. 36
Tilman Nagel, Op. Cit. 37
Ibid. 38
Ibid. 39
Claude Cahen, «Buwayhides», Op. Cit., p.1390 40
Ibid.; Tilman Nagel, Op. Cit.
7
amirates: the Ziyarids, who held the mountains south of the Caspian Sea; the Buyids,
who extended their power from Media to Fārs; and the Samanids, who ruled over eastern
Iran and had not yet been involved in the changing affairs of western Iran but were later
on challenged by the Buyids’ expansionist activities.»41 Deux ans plus tard, en 945,
Ahmad entra sans résistance à Bagdad et reçu du Calife le titre honorifique d'Amir al-
Umara42. Bien qu'étant chiite et que pour les Bouyides, le calife ne représentait aucune
valeur particulière de légitimité, ces derniers conservèrent en conservèrent la fonction
afin de conserver son autorité morale sur les sunnites, alors nettement majoritaires, ainsi
que pour légitimer leur autorité43. Le territoire buyide fut par la suite agrandi par plusieurs
conquêtes successives, alors qu'au cours des 40 années subséquentes, les Bouyides font la
conquête de Bassora, d'Oman, de la Jazira, du Tabaristân puis de Gorgân (voir ANNEXE
2). Le fief des Bouyides ne fut toutefois jamais monolithique, seul Adud Ad-Dawla (936-
983), le plus notable des émirs Bouyides (fils d'Hasan), ayant réussi à fédérer
momentanément l'ensemble des principautés suivant plusieurs guerres intestines44. À sa
mort toutefois, la faiblesse grandissante des Bouyides, imputable à «la dispersion dans
une trop vaste région d'éléments qui n'étaient déjà pas trop nombreux, la division de la
dynastie en plusieurs branches rivales et enfin l'antagonisme turco-daylamite dans
l'armée»45. Conséquemment, les Ghaznévides occupèrent Rayy en 1029 et le Seldjoukide
Torghul Beg déposa l'Émir bouyide de Bagdad en 1055, les derniers Bouyides devenant
vassaux des Seljoukides.46
BILAN D'UNE DYNASTIE VIEILLE DE 126 ANS
Afin de ne pas outrepasser le mandat de la présente recherche, il paraissait
nécessaire de limiter l'étude du legs politico-culturel des Bouyides aux apports les plus
notables de la dynastie. L'analyse portera donc successivement sur l'héritage politique et
culturel de l'ensemble de la dynastie.
41
Tilman Nagel, Op. Cit. 42
John J. Donahue, The Buwayhid dynasty in Iraq 334H./945 to 403H./1012. Shaping institutions for the
future, Boston, Brill, 2003, p.13 43
Claude Cahen, «Buwayhides», Op. Cit., p.1390-1391 44
Tilman Nagel, Op. Cit. 45
Vladimir Minorsky, Op. Cit., p.198 46
Vladimir Minorsky, Op. Cit., p.199
8
Héritage politique
Les 126 ans de règne des Bouyides, au sein de l'empire abbasside, apportèrent
certains changements et développements qui devaient marquer le monde islamique. Tout
d'abord, la prise de Bagdad en 945 par une dynastie chiite relégua au second plan le rôle
califal. Après avoir remplacé le calife Mustakfi par son rival Fadl Ben Muqtadir, qui leur
était davantage favorable47, les Bouyides retirèrent ce qu'il restait de pouvoir temporel
aux califes48
, ne leur laissant qu'une autorité religieuse symbolique, effective uniquement
chez la communauté sunnite, se refusant toutefois à l'élimination dudit califat, celui-ci
constituant un facteur de légitimité d'une grande utilité.
Sans doute [Hasan] savait-il que les Shi'ites n'étaient pas majoritaires et que s'il avait détruit
le califat à Bagdad, l'institution eût réapparu ailleurs : mieux valait donc le conserver sous
sa coupe, à la fois pour légitimer son autorité dans ses États sur les sunnites et pour donner
à sa diplomatie au dehors le poids de l'autorité morale respectée qui continuait en droit à
investir les princes sunnites.49
C'est donc depuis cette dynastie que le calife ne fut plus qu'un pantin dirigé par des
dynasties princières. De plus, les trois frères bouyides contraignirent ensuite le calife à
légitimer leur position en leur conférant les nouveaux titres honorifiques de Emād-al-
Dawla (Ali), Rokn-al-Dawla (Hasan) et Moʿezz-al-Dawla (Ahmad)50, ce dernier, par sa
prise de Bagdad, hérita de facto du titre d'Amir al-Umara, créé en 93651. Toutefois,
Because he was the younger extension of the established Buwayhid power he was not in
any true sense the chief Amir. He never assumed the title. The apparent confusion is due to
the two conflicting political concepts, the Abbasid concept focusing on the caliph and his
capital Baghdad, and the Buwayhid concept of rule by the elder. Only for a brief period
were these two centers brought into line, [under Adud Ad-Dawla,] and the subsequent
failure to keep them aligned explains in part the Buwayhis collapse.52
La plus haute marche du pouvoir était ainsi dévolue selon le droit d'ainesse et se vit
consacrer par rétablissement du titre de Shahansha (roi des rois), hérité des Sassanides.
47
John J. Donahue, Op. Cit., p.14 48
Claude Cahen, «Buwayhides», Op. Cit., p.1391 49
Ibid. 50
Tilman Nagel, Op. Cit. 51
Ibid. 52
John J. Donahue, Op. Cit., p.13
9
On estime généralement qu'Adud Ad-Dawla fut le premier à porter ce titre, bien qu'il
semble que celui-ci fut d'abord porté par Imad Ad-Dawla (Ali Ben Bûya)53.
La suppression de la fonction du vizir au profit de l'Amir al-Umara, eut pour
conséquence d'accroître drastiquement la présence militaire à la tête de l'empire54. Aussi,
comme on l'a vu, les Bouyides pouvaient compter sur une puissante infanterie Deylamite,
toutefois, l'absence de cavalerie obligea ces derniers à recourir aux services de
mercenaires turques55. Ce faisant, «the influence of the Daylamite element within the
Buyid armies was decreasing rapidly in favor of the Turks (Busse, 1969, pp. 36, 329ff.).
In this way at the end of the Buyid reign a situation similar to the disastrous times
immediately before the establishing of the office of amīr al-omarāʾ was prevailing, the
amirs being dependent on the goodwill of their Turkish mercenaries»56. De plus, le
recours aux supplétifs militaires turcs obligea les Émirs bouyide à réorganiser les
finances de l'État pour honorer leurs soldes, ce qu'ils firent par la généralisation de l'iqta
au sein de l'armée57. L'élément particulièrement innovateur de cette mesure réside
cependant dans le fait que les terres distribuées en iqta ne furent plus uniquement issues
des terres de l'État, mais également des terres de Kharadj58.
Contrastant avec leurs prédécesseurs, lesquels ne visaient qu'à tirer profit de l'État
moribond de l'empire, les Bouyides assurèrent généralement une saine gestion des
finances59. Il tâchèrent également de renouveler les infrastructures de l'empire, faisant
ainsi la réfection de nombreuses routes et ponts60, gravement endommagés sous leurs
prédécesseurs. Ils portèrent une attention particulière aux travaux hydrauliques,
construisant plusieurs barrages, afin notamment de mettre en valeur des terres
désertiques61, mais aussi d'approvisionner les nombreux canaux, d'irrigation et destinés à
53
Wilferd Madelung, «The assumption of the title Shâhânshâh by the Bûyids and ''The Reign of the
Daylam (Dawlat Al-Daylam)''», Journal of Near Eastern Studies, Vol.28, Nº2, Avril 1969, p.85-86 54
Tilman Nagel, Op. Cit. 55
Clifford Edmund Bosworth, «Military Organisation under the Bûyids of Persia and Iraq», Op. Cit. p.153 56
Tilman Nagel, Op. Cit. 57
Claude Cahen, Les peuples musulmans dans l'histoire médiévale, Damas, Éditions d'Amérique et
d'Orient, 1977, p.248 58
Ibid., p.241; Claude Cahen, «Iktâ», Encyclopédie de l'Islam, 1960,Vol.3, p.1115 59
Claude Cahen, «Buwayhides», Op. Cit., p.1393 60
Ibid.; Gaston Wiet, «Les travaux d'utilité publique sous le gouvernement des Buyides», Arts asiatique,
Tome 21, 1970, p.4 et 11 61
Gaston Wiet, Op. Cit., p.6
10
la consommation, eux-mêmes réparés ou nouvellement creusés sous leur dynastie62. Ces
Émirs fondèrent aussi de nombreux bazars63 et une bourse pour les courtiers64, contribuant
à l'essor de l'industrie textile65, branche traditionnelle de l'art persan66. Ils supervisèrent
également la construction d'hôpitaux, auxquels ils accordèrent de vastes domaines en
waqf pour combler leurs besoins67.
En somme le passage de la dynastie bouyides apporta une série de nouvelles
titulatures, redéfinissant au passage le rôle califal, un renforcement de la présence turque
au sein de l'armée, ainsi qu'une généralisation de l'iqta, suivant certaines modifications de
celle-ci. Grands bâtisseurs qu'ils étaient, leur passage permit également une large
politique de construction et de réfection des infrastructures d'intérêt public, qui permit un
certain essor sous leur règne.
BILAN CULTUREL
Au plan culturel, les Bouyides firent bon accueil aux hommes de lettres et de
sciences68, permettant une floraison de l'activité intellectuelle sous leur règne69
. Leur
mécénat s'étendit donc à de nombreuses disciplines, où plusieurs personnalités passèrent
à la cour des Bouyides, notamment le géographe Al-Istakhrî, les mathématiciens Al-
Buzdjânî et Al-Nasawi, le médecin Al-Madjûsî et même Avicenne70. Les émirs
constituèrent pour ceux-ci des bibliothèques d'envergures, notamment à Shiraz, Rayy et
Ispahan, ainsi qu'un observatoire à Bagdad71. Ils s'entourèrent également de nombreux
poètes, affectionnant particulièrement la littérature néo-persane72
, jetant ainsi les bases
d'un mouvement de réappropriation de la production intellectuelle en langue persane au
62
Ibid., p. 3-4; Claude Cahen, «Buwayhides», Op. Cit., p.1393 63
Gaston Wiet, Op. Cit., p.7-8 64
Ibid., p.7 65
Jean Calmard, «Bouyides ou Buyides Les - (935 1055)», Encyclopaedia Universalis, [En Ligne], [S.L.],
[S.D.], http://www.universalis-edu.com.ezproxy.usherbrooke.ca/encyclopedie/bouyides-buyides/ 66
Claude Cahen, «Buwayhides», Op. Cit., p.1393 67
Gaston Wiet, Op. Cit., p.4-5; Claude Cahen, «Buwayhides», Op. Cit., p.1393 68
Claude Cahen, «Buwayhides», Op. Cit., p.1393 69 Ismail Marcinkovsky, Op. Cit. 70
Ibid. 71
Ibid. 72
Ibid.
11
XIe siècle73. C'est d'ailleurs sous leur règne, que le haut fonctionnaire bouyide Ibn al-
Bawwâb mit au point la calligraphie naskî74.
L'avènement des princes bouyides eut aussi, bien évidemment, des répercussions
sur le plan religieux. Faisant figure de dynastie nationale, il semble que leur prise du
pouvoir accéléra le déclin du zoroastrisme75, alors que la même période correspond à un
âge d'or du chiisme. Ainsi, «La prédication chiite connut un net développement durant les
126 ans du règne bouyide et de très grands noms du chiisme tels que Sheykh Kolayni,
Sheykh Sadough, Sheykh Mofid et autres, piliers de la pensée chiite, vécurent et purent
rédiger leurs œuvres de référence durant cette période.»76 De plus, Adud Ad-Dawla fit
également construire, en 977, un mausolée pour Ali à Najaf, ainsi qu'agrandir et restaurer
le tombeau de l'Imam Hussein à Karbala en 97977
. Par ailleurs, les Bouyides
encouragèrent les pèlerinages vers ces mausolées, conformément à la pratique deylamite,
déjà en vigueur pour l'Imam An-Nasir78. Il donnèrent également un caractère plus
complet et solennel au Ta'zieh79 (commémoration théâtrale du martyr de l'Imam Hussein),
obligeant un parallèle avec l''extravagance des lamentations deylamites (niyâha)80. Cet
essor du chiisme permit notamment l'implantation progressive de l'ismaélisme au
Deylam, ce qui devait contribuer à l'établissement d'Hasan As-Sabbâh à Alamut en
109081.
En bref, le passage de la dynastie bouyide permit un patronage des sciences et des
lettres, ainsi que la construction doctrinale du chiisme, dont la réfection des lieux saints
chiites et l'élaboration d'éléments rituels encore présents aujourd'hui.
73
Ahmed Djebbar, Une histoire de la science arabe, Paris, Éditions du Seuil, 2001, p.44 74
Claude Cahen, «Buwayhides», Op. Cit., p.1393 75
Ibid. 76
Arefeh Hedjazi, Op. Cit. 77
Gaston Wiet, Op. Cit., p.9 78
Wilferd Madelung, «Alids», Op. Cit. 79
Barak Ershadi, «Le Ta'zieh, théâtre religieux iranien», La revue de Téhéran, Nº27, Février 2008, [N.P.] 80
Vladimir Minorsky, Op. Cit., p.199 81
Ibid. p.200
12
CONCLUSION
En somme, comme on a pu l'observer, l'accession des Bouyides deylamites aux
plus hautes sphères du pouvoir impérial est explicable par le fait que très tôt, le Deylam
joua un rôle de refuge pour les Imams alides, qui y créèrent un État zaydite, évoluant en
marge de l'empire Abbasside auquel il est opposé. Ce faisant, les Deylamites entretinrent
une relation d'opposition avec ses voisins, permettant de prendre conscience de leur
puissance militaire, laquelle était déjà considérable en raison d'une longue tradition de
mercenariat. Ainsi, alors que plusieurs Deylamites, dont les Bouyides, combattirent aux
côtés des ziyarides les Abbassides alors en plein déclin, la perte de territoire de ce dernier
permit l'établissement de fiefs. À la mort du chef de guerre Mardâwidj Ben Ziyâr, l'armée
bouyides, alors seule puissance militaire d'Iran, se rendirent maître de plusieurs
territoires, dont Bagdad en 945, alors siège de l'empire. La préservation du califat, malgré
son obédience sunnite, dans un rôle purement symbolique, permit ainsi à la nouvelle
dynastie de contrôler l'empire pendant 109 ans. On a également pu voir que le passage de
ladite dynastie permit un certain legs d'éléments politiques, notamment au point de vue
de la titulature, des réformes militaires (iqta, mercenaires turcs) et des infrastructures,
puis culturels, notamment le patronage des sciences et des lettres, la constitution
doctrinale et rituéliques de l'Islam chiite. On peut ainsi affirmer que l'ascension de cette
dynastie deylamite d'obédience chiite, est le résultat d'un essor militaire concomitant au
déclin abbasside, et que le bilan politico-culturel des Bouyides, repose sur des réformes
des titres, de l'armée, des infrastructures ainsi que sur un mécénat des activités
intellectuelles et la consolidation du chiisme. Cette dynastie, encore largement méconnue,
en raison d'un important manque de sources, n'a toutefois pas fini de nous dévoiler ses
secrets, l'analyse de sources indirectes pouvant nous en dire davantage sur leur règne,
comme en témoigne l'analyse de la conjoncture économique bouyide de l'éminent
orientaliste Claude Cahen par l'intermédiaire d'exemples économiques tirés de traités
13
mathématiques82
. Il serait donc pertinent d'investiguer davantage ladite dynastie, au vu de
l'émergence de telles sources.
82
«Quelques problèmes économiques et fiscaux de l'Iraq Bûyide d'après un traité de mathématiques.» dans
: CAHEN, Claude. Les peuples musulmans dans l'histoire médiévale. Damas, Éditions d'Amérique et
d'Orient, 1977, 496p.
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