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7/30/2019 Desroches Dominique - Est-il possible de dire lthique de la proximit
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PhaenEx 4, no. 1 (spring/summer 2009) : 112-145 2009 Dominic Desroches
Est-il possible de dire lthique de la proximit?Contribution au dossier Kierkegaard Levinas
DOMINIC DESROCHES
On sait que Levinas a t influenc par la pense de Kierkegaard1. On le sait parce que
Levinas, en plus de se rapporter Kierkegaard dans Totalit et infini, lui a consacr deux textes
dansNoms propres. On sait galement que les deux auteurs, partant de mthodes diffrentes (la
phnomnologie nest pas la pense de lexistence), partagent des thmes philosophiques
communs : lindividu, la distance, linfini et le tmoignage, par exemple. Ce que lon sait moins,
par contre, cest quune lecture attentive des crits dans lesquels Levinas pense avec Kierkegaard
peut nous en apprendre beaucoup sur les limites du langage et le problme de la distance pour
lthique, cest--dire lthique de la proximit.
Dans cet article, nous proposons une discussion sur la manire dont lthique requiert uneattention particulire au langage, au Dit et au Dire, ce qui est dit et ce quil est impossible de
dire sans rduire le Dire au Dit, pour reprendre ici les termes de Levinas. Ainsi voulons-nous
mieux saisir les liens entre le langage et lthique, qui est un problme de distance, afin de
montrer que Levinas, souvent trs proche dun Kierkegaard quil critique, saccorde pourtant
avec lui pour rflchir sur les conditions dune thique de la proximit. Dans un premier temps,
nous situons la pense thique de Levinas en exposant sa critique de lontologie, qui constitue
lobjectif central de sa philosophie. Dans un second temps, nous prcisons les points de contact
entre les deux penses au sujet de lthique. Dans un troisime temps enfin, nous tirons les
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laisser conqurir, un Autre qui mrite son titre daltrit. Or cette rsistance de lAutre au Mme,
explique Levinas, prend sa vritable signification lorsquelle se voit comprise comme une
rsistance une forme de violence (Totalit et infini 173). Cette thse forte sinscrit dans le cadre
dune thique qui implique la sparation et la responsabilit prise lgard de la diffrence. Elle
se comprend ds lors comme une philosophie premire , cest--dire sous la forme dune
pense thique qui refuse dtre subordonne lontologie (281). Il sagit donc de reconnatre
lantriorit de lthique ainsi que la prminence de lAutre sur Moi et, par consquent, de
laltrit sur le mouvement langagier courant de lessence, donc de ltre.
Ce faisant, une telle thique requiert un nouveau langage capable de se distinguer de
lontologie. Cette nouvelle pense, sensible la puissance de la rhtorique, jouera de lhyperbole
et aura pour objectif de montrer la drivation du discours ontologique partir du discours de
lthique. cet effet, Levinas devra recourir aux multiples possibilits du tmoignage de la
vrit. Or pareille thique appelle ainsi une question prcise, comme le remarque le
commentateur danois P. Kemp : Comment ce tmoignage de lthique peut-il sexprimer dans
notre langage, un langage qui vise possder et dominer les choses? ( thique et langage
189). Cette rponse, comme le suggre Kemp, est chercher dans lautre grand ouvrage de
Levinas, Autrement qutre ou au-del de lessence, paru treize annes aprs Totalit et infini.
Ce changement de cadre nous permettra dentrer pas pas dans la problmatique de la distance
que pose le langage chez Levinas.
DansAutrement qutre, le problme central semble tre celui de la substitution. En effet,
si la subjectivit nest pas reconnue comme la conscience de soi qui se pose elle-mme, Levinas
fait voir quelle est un rapport lAutre dans la proximit, selon lequel lAutre est toujours
proche de moi de telle manire quil me rend responsable de lui. Cest ce qui amne Levinas,
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allergique la domination, dire que lindividu que je suis est littralement un otage de
lAutre. Pareille expression a toutefois de quoi laisser perplexe, surtout dans le cadre dune
philosophie qui vise nous librer des abus de pouvoir du discours ontologique. Sans surprise,
Ricoeur y verra un danger, savoir celui de lextrme passivit, condition sous laquelle lthique
parat ngative et incapable de reconnatre le sujet la racine de laction. Il sagit de passer du
pour soi de la conscience un pour lautre (un tout pour tous pour parler avec
Dostoevski dansLes frres Karamazov, que Levinas aime citer) que le visage doit rvler. Or
pour Levinas, personne ne peut se substituer moi (Autrement qutre; voir Ricoeur, Autrement.
Lecture dAutrement qutre). Ds lors est-il conduit dfendre, contre la mtaphysique
classique, lide (pas neuve, nous le savons en lisant Kierkegaard) que je suis unique,
lirrductible et le non-interchangeable par excellence, tandis que je dois me substituer
tous.
Mais Levinas nen reste pas l et poursuit dans la terminologie de la violence. Pour lui,
lindividu unique que je suis est en vrit unperscut, cest--dire celui qui est expuls de son
lieu et qui na que soi soi (Autrement qutre 155). Cette phrase cache-t-elle plus quune
mtaphore? Lhomme est le non-lieu, poursuit Levinas, le non-concept par excellence.
Lhumanisme vis ici est dvidence un humanisme marqu par la Seconde Guerre mondiale.
Nanmoins, enregistrons la question suivante : comment le langage parvient-il exprimer ce
moi? Comment le langage, qui vise luniversalit, arrive-t-il rejoindre un moi qui se manifeste
comme otage de lAutre? Ou comme irremplaable et irrductible toute ontologie?
Analysons le langage pour tenter de rpondre cette question.
Le langage, indique Levinas, est ce qui exprime lessence des choses, ce qui persiste et
rsiste. Il est une thmatisation de la ralit. Cette thmatisation, comme savoir, par exemple,
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alors impossible. Levinas ne semble pas en mesure de rpondre cette question sans tomber dans
certaines contorsions langagires , cest--dire sans avoir ddire :
Lautrement qutre snonce dans un dire qui doit aussi se ddire pour arracher ainsilautrement qutre au dit o lautrement qutre se met dj ne signifier quun treautrement. Lau-del de ltre que la philosophie nonce et quelle nonce en raisonde la transcendance mme de lau-del tombe-t-il sans pouvoir sen dptrer dans lesformes de lnonc ancillaire? (Autrement qutre 19-20)
Ce que nous enseigne ce passage dlirant, cest que le ddire de lthique correspond,
pour reprendre lexpression de Ricoeur, une trahison de la trahison , la trahison du Dire dans
le Dit, que souligne la grande difficult pour cette thique de se thmatiser sans tomber dans un
autre Dit! (Autrement9). Par ce dtour dans les contorsions langagires visant arracher le Dire
aux rets du Dit, Ricoeur voit lenjeu du livre. Pour notre part, nous sommes davis que cette
remarque de Ricoeur illustre bien tout lembarras de penser hors de la mtaphysique sans
emprunter aucun concept mtaphysique. Selon Levinas, le sujet rsiste la condition de se
concevoir comme Dire, car derrire lnonc de ltre, le Dire dborde ltre quil thmatise pour
noncer autrui. Ainsi, lthique lvinassienne est conduite devant un paradoxe, devant un hic, ou
du moins un problme de cercle : peu importe ce quelle cherche dire dans la primaut du Dire,
ne fait-elle pas ce quelle dnonce en se prsentant par le Dit, par la mdiation de lcriture?
Lthique de Levinas ne thmatise-t-elle pas dj le Dire? Comment sortir de cet vident
problme mthodologique?
Face ce cercle embarrassant, lauteur dAutrement qutre soutient que lon peut
retrouver le Dire grce aux traces quil a imprimes dans le Dit. Ce qui signifie quil
nest pas paradoxal selon lui deffectuer une phnomnologie du Dire partir du dit. La
remonte vers le Dire seffectue au moyen dune rduction phnomnologique o
lindescriptible se dcrit (Autrement qutre 60-67). Ainsi, la signification du Dire va au-del du
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Dit parce que le dit le mot est plus quun signe, la fois il proclame et consacre une
identification de ceci cela dans le dj dit. On voit que la phnomnologie veut accder ce
quelque chose fix au prsent pour larracher la labilit du temps. La notion de trace a pour
fonction de donner penser une temporalit soustraite lemprise du prsent. Il sagira
datteindre le Dire avant le Dit pour y soustraire ce Dit lui-mme. Si lon maintient lantriorit
de lthique sur lontologie, cest parce quil faudra trouver la signification du Dire (de la
responsabilit) avant quil soit thmatis. Cest donc dans une diachronie accompagnant la
rduction que se trouve la possibilit de dire lautrement qutre (75-83). Cela prcis, passons
sans plus tarder aux rapports avec lthique de Kierkegaard. Nous nous bornerons ici quelques
points de comparaison au centre desquels le langage joue un rle dcisif afin de mettre laccent
sur la distance et la proximit.
II. Les rapports lthique de Kierkegaard
(a) Subjectivit et systme
Dans Totalit et infini, Levinas nous met en garde contre une filiation errone entre sa
pense et celle de Kierkegaard concernant la subjectivit. Contrairement celle-ci, il insiste (en
termes souvent proches de Kierkegaard, cependant) sur lextriorit :
Labsolument Autre dont la philosophie de limmanence surmonte sur le planprtendu commun de lhistoire conserve sa transcendance au sein de lhistoire. LeMme est essentiellement identification dans le divers, ou histoire, ou systme. Ce nest
pas moi qui se refuse au systme, comme le pensait Kierkegaard, cest lAutre. (10)
En pigone de J. Wahl (tudes kierkegaardiennes)3, Levinas reproche Kierkegaard de
tout ramener au sujet dans lopposition au Systme et de faire de ce sujet une existence tendue
sur elle-mme, ouverte sur lextriorit dans une attitude dimpatience et dattente, impatience
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que lextriorit ne peut pas satisfaire , cest--dire, crira-t-il dansNoms propres, qu elle [la
subjectivit] est une identification du mme dans son souci pour le mme. Elle est gosme
(Totalit et infini 79; Noms propres 101). Lgosme est un processus de dpendance qui
transforme laltrit en mme. Or Levinas ne rgle-t-il pas le cas de Kierkegaard un peu
rapidement, ce dernier ayant surmont lgosme dans les uvres de lamour? Nest-il pas lui-
mme impatient? Ne distinguant pas Kierkegaard de ses pseudonymes (surtout le Johannes de
Silentio de Crainte et tremblementdu Johannes Climacus desMiettes), Levinas ne va-t-il pas un
peu trop vite? Ne fait-il pas violence Kierkegaard et la complexit de ses pseudonymes en
affirmant, sans avoir consult les Samlede Vrkeret les Papirer, que la pense de la subjectivit
kierkegaardienne est violente4? Nest-ce pas la pense non mtaphysique lvinassienne qui
dpend de lnonciation existentielle et lassocie trop rapidement, en partie grce la lecture de
Wahl, une pense mtaphysique que Kierkegaard croit avoir dlie avec la rptition
(Gjentagelsen)? Voir dans la subjectivit thique propose par les auteurs pseudonymes
kierkegaardiens une tension sur soi, qui existe, reconnaissons-le, ne conduit pas faire du sujet
existentiel un banal gosme5. Toutefois, la fin de Totalit et infini nous indiquera que Levinas ne
russit pas voir Kierkegaard en dehors de son opposition au systme de Hegel. Nest-ce pas
alors que la rponse la question ontologique snonce en essence, quiddit , ou en concept,
lequel ne peut exister autrement que dans un systme de pense? Ces questions devant tre
poses, tentons prsent de mieux comprendre le dialogue entre Kierkegaard et Levinas en
donnant la parole au premier.
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(b) Silence, thmatisation et tmoignage
On se souviendra que lthique est comprise comme gnrale (comme ce qui se produit
dans lensemble des cas) dans les textes pseudonymes de 1843-1844, et quelle ne peut garder sa
validit lorsque Dieu exige le sacrifice du fils. Tel est bien le paradoxe devant lequel est plac
Abraham, dans Crainte et tremblement, et quil est incapable de dire. Ici, cest non seulement la
pertinence, mais la valeur elle-mme du silence pour la pense et lintriorit qui est souligne.
Cependant, lorsque Levinas dcrit la subjectivit comme unique, comme irremplaable et
irrductible toute thmatisation afin dclairer la force du Dire, ne le fait-il pas dans le sillage
de Johannes de Silentio, lauteur de Crainteet tremblement? En effet, lorsque Levinas doute de
la possibilit du Dire, du langage vivant, face la ralit, il emprunte non seulement le
vocabulaire du pseudonyme de Kierkegaard, mais il reprend au sicle suivant le mme
problme : comment mettre au langage lexception, le singulier, cest--dire ce qui chappe par
dfinition au langage? Car si, chez Levinas, le Dire est irrductible au Dit, cela signifie que tout
langage, qui procde par gnralisation, ne peut que ruiner sa propre valeur. Le gnral (ou le
langage) ne peut jamais rendre compte du particulier, comme lavait relev Kierkegaard contre
Hegel. Kierkegaard, et Levinas le sait sans doute, opposait la parole vivante (livende Ord) et le
silence toutes les philosophies de la totalisation.
Or Kierkegaard avait bien vu le problme de mettre au langage ce que le langage ne peut
pas par lui-mme supporter. Comme la relev M. Weston dans son article sur Levinas et
Kierkegaard, la thmatisation manque ce quelle thmatise elle-mme6. La formulation du Dire
dans le Dit manque sa vise philosophique, Philosophy always comes too late (elle arrive
toujours trop tard), pour reprendre le titre de larticle de Weston7. Dans le cas dAbraham, la
vrit quil aurait dire dborde le dicible ne pouvant parler, contrairement au hros tragique,
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sa responsabilit se trouve dans le fait quil respecte la Parole, devant Dieu (for Gud), bien quil
soit confin au silence absolu. Contre le langage totalisant (notamment de Hegel et ses disciples
danois), Kierkegaard opposait le silence ds 1843, parce que la spculation cherchait, sans se
rendre compte de ses limites, thmatiser le paradoxe. Elle prtendait dire ce que le langage, lui,
refusait. La pense idaliste commettait une grave erreur : elle voulait dire ce qui chappe au dit.
Pour lauteur Johannes de Silentio, le silence exprimait la limite du dire et donnait le ton
fondamental partir duquel toute parole pouvait tre entendue.
Cette manire kierkegaardienne de poser le problme nous conduit la question du
tmoignage, car pour Levinas, le tmoignage est la modalit par laquelle lInfini, qui chappe au
langage, passe dans le fini. Lide de linfini en nous dpasse toujours son ide : elle permet
de penser plus que ce quelle pense . Il y a ici exprience de lAutre sans quil puisse tre
intgr au mme. Le tmoignage, dans ce contexte, doit rendre accessible lide dinfini en
tenant lextriorit de lAutre distance du mme. Mais linverse de Kierkegaard cependant,
Levinas conoit le silence comme l envers de la parole , cest--dire comme un vide qui,
provenant de lintriorit, menace cette dernire8. Pour Kierkegaard, lactualit du tmoignage se
pose autrement. Si la communication thico-religieuse doit stablir au plan de lexistence, dans
le mdium de ltre, elle doit alors sachever dans lacte mme de tmoigner. Le tmoignage
apparat comme une forme de communication qui se retrouve exactement au milieu, entre la
communication indirecte et directe (Papirer X I A 235 [1849]). Ayant la forme dun
engagement par rapport la foi, il ne peut apparatre quindirectement. Le tmoignage est
indirect dans un sens plus chrtien encore, puisque ni le secret de lintriorit, qui est un rapport
unique Dieu, ni le mystre de Dieu ne sauraient se communiquer directement. Voil en quel
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sens, pour Kierkegaard, il est entre-deux . Examinons ici les diffrences entre les penses de
Kierkegaard et de Levinas au sujet de lthique et du langage quelle requiert.
III. Lthique appelle un autre langage
Que signifie le mot thique chez nos deux auteurs? Dans sa premire thique,
Kierkegaard voit lthique comme gnrale (det Almene), cest--dire ce qui arrive le plus
souvent. Cette manire de comprendre lthique, aprs la Sittlichkeithglienne, certes, ne laisse
pas de place pour une exception par rapport la loi morale. Si exception il y a, celle-ci ne
peut que sopposer et ainsi renforcer la loi gnrale. Cest que le gnral implique, par
opposition, le rapport un individu, un cas particulier. Aussi, seule la crise que traverse une
figure dexception peut tre interprte comme une transgression de la rgle, et ce, dans le but de
renforcer la norme morale elle-mme9.
Or selon Levinas, lthique nest pas de lordre du gnral, quoiquelle soit valable pour
tous. Lthique quil propose est bien plutt une tentative pour chapper toute thique idaliste.
Contre Kant et Hegel, Levinas trouve dans lAutre la possibilit de reprise de lthique : lautre,
comme Autre , est laffaire de toute rflexion thique, mais une thique qui refuse le Dit. La
remise en question de ma spontanit naturelle par la prsence de lAutre constitue la
dlimitation de cette thique anti-ontologique. Cet Autre , qui questionne mon tre, appelle un
nouveau langage. Il appert que ce langage de lAutre partir du visage me somme en ma libert.
Partant du visage nu et vulnrable, on pourra dire que ce langage de lAutre minterpelle et me
commande imprativement avant mme de mobliger porter secours autrui. Cette manire
neuve denvisager la pense thique, le langage et le rapport thique dans la proximit repose
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bien entendu sur un dpassement de lintriorit partir du visage dautrui. Levinas
crit justement :
Lthique signifie pour Kierkegaard le gnral. La singularit du Moi se perdrait sous largle valable pour tous. La gnralit ne peut ni contenir ni exprimer le secret du moiinfiniment indigent et angoiss pour soi.
Le rapport avec Autrui est-il cette entre et cette disparition dans la gnralit? Voil ceque lon doit se demander contre Kierkegaard, comme contre Hegel. Si le rapport avec lagnralit ne peut pas former une totalit dont les parties se comparent et se gnralisent,ce nest pas parce que le Moi garde son secret dans le systme, mais parce quelextriorit o les hommes nous montrent leur visage fait clater la totalit. Cetclatement du systme partir dAutrui, nest pas une image apocalyptique, maislimpossibilit o est la pense qui rduit tout autre au mme de rduire Autrui.
Impossibilit qui nen reste pas sa signification ngative, mais qui aussitt met enquestion le Moi. Cette mise en question signifie la responsabilit du Moi pour lAutre. Lasubjectivit est dans cette subjectivit seule la subjectivit irrductible qui peut assumerune responsabilit. Lthique, cest cela. (Noms propres 107)
Nous retiendrons trois points de cette interprtation de Kierkegaard. (1) En marge du
Moi, Levinas voit lclatement du systme dans le seul visage de lAutre : la vrit thique se
trouve dans la mise en question opre par le visage dautrui. Lthique, cest ici la refondation
par le visage qui entend (Kemp, Lirremplaable 94-95; Plourde, Avoir-lautre-dans-sa-peau
46). Le visage est nu : il nest pas sujet la thmatisation, car il demeure insaisissable et rsiste
ds lors toutes mes tentatives. (2) Cette remise en question de la subjectivit par lAutre
implique, sans plus dexplication, la responsabilit. Contrairement Kierkegaard qui fonde la
responsabilit dans leffort du choix de lautre en moi, Levinas ltablit dans la seule
reconnaissance de la diffrence entre le visage dAutrui et mon irrductibilit. Et (3) en raison de
sa mthode, Levinas ne peut dfinir la subjectivit que comme une tension sur elle-mme . De
l, il peut conclure que cette tension est gosme et quelle donne prise lirresponsabilit10. La
critique quil fait de la pense de Kierkegaard est simple et commode : le soi existentiel
kierkegaardien, victime de son secret et de sa passion dans lintriorit, serait impuissant
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revenir sur lui-mme. Cette subjectivit tendue sur elle-mme, incapable de sortir de son
gocentrisme, narriverait jamais rompre avec le souci de soi. Si elle ne russit pas sortir pour
rejoindre autrui dans lextriorit, elle peut encore moins revenir sur elle-mme et accomplir une
thique comme celle de Levinas.
Or, contrairement aux allgations de Levinas, luvre de Kierkegaard montre que cette
expression thique de lintriorit ne drape pas dans un idalisme (qui vise la connaissance) de
lipsit ni une pense du Moi sans lAutre. Au contraire, il appert que lthique rside dans cette
tension entre lindividu et le social, entre lhomme singulier devant aller au bout de lui-mme
et la communaut laquelle il appartient. Comme la soutenu A. Clair, cest dailleurs ce cadre
social qui assure une normativit lthique. Ce quoublie Levinas, cest de rendre la
subjectivit sa valeur hors du systme, partir dun rapport entre elle et une instance suprieure
capable de justifier le rapport la norme. Cette drive nest pas le fruit du hasard, puisque
Levinas pense Kierkegaard dans son rapport Hegel. Pourtant, et ltude de limmense corpus
est claire, Kierkegaard, bien quil mette laccent sur le choix de la subjectivit, ne pense jamais
la subjectivit sans la norme sociale qui la dfinit. Comme le montre J. Janiaud, cette thique
gnrale est au fond une thique du commensurable, une thique du sujet sidentifiant lui-
mme, tenant debout par lui-mme aux cts de son prochain ( Me voici! 96). D. Brezis
ajoutera non sans raison que lcriture biographique traduit les limites de la critique de
Levinas ( Lintriorit en question 17-19). En fait, tous les mcanismes de lcriture
kierkegaardienne (on pense la stratgie de production, mais aussi la duplicit de luvre et au
travail de la pseudonymie) illustrent que luvre de Kierkegaard est beaucoup plus quune
rplique au systme de Hegel
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Sil est vrai de dire que Kierkegaard et Levinas sopposent, cest peut-tre dans la mesure
o lthique est lenjeu fondamental chez Levinas, alors que Kierkegaard fait appel un
dpassement de lthique dans la vrit chrtienne. ce sujet, cependant, les nuances
simposent. Car il nest pas inopportun de rappeler que Kierkegaard distingue, par Haufniensis,
une thique seconde qui, dans le dpassement des lacunes dune thique base sur la
mtaphysique, se rapproche dune thique chrtienne. Mais Kierkegaard dissocie la vrit
thique , thico-religieuse , de la vrit chrtienne . Levinas consacre la suprmatie
lthique qui ne doit plus tomber dans un langage qui rduirait la richesse de laltrit au mme.
Les deux penseurs reconnatront, avec Wittgenstein notamment, le caractre absolu de lthique.
IV. Distance, proximit et pouvoir
Si Kierkegaard adopte les schmes de loue, de lintriorit cache et de la
communication indirecte, Levinas opte pour la puissance de persuasion du visage dautrui. Il
croit que le visage dpasse lide de lAutre en moi, cest--dire de lAutre dans le mme. Le
visage, note Levinas contre lontologie, apporte une notion de vrit qui nest pas dvoilement
dun Neutre impersonnel, mais une expression (Totalit et infini 21-22). Le visage demeure
lexpression originelle du commandement Tu ne tueras point! (Kemp, Lirremplaable 98).
Cest que lexpression du visage supprime toute distance qui voudrait dominer entre lautre et
moi. Elle moblige. Elle est un ordre avant la loi des hommes.
Cette expression implique une comprhension du pouvoir, ce qui la rapproche beaucoup
de la conception quesquisse Kierkegaard dans ses leons sur La dialectique de la
communication. Car ce que le visage prsente, cest une expression qui ne dfie pas la faiblesse
de mes pouvoirs, mais mon pouvoir de pouvoir (Levinas, Totalit et infini 172).Elle modifie
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alors la nature mme du pouvoir qui ne peut plus ds lors prendre mais tuer , car Autrui est un
tre que je peux tuer, pas seulement une chose que je peux dtruire sans consquence. Do
limportance du langage de lAutre : il me rappelle une obligation et mejuge, et il moblige lui
prter secours dans la dtresse (Totalit et infini 170). Chez Kierkegaard, ctait le langage
qui jouait le rle du visage comme don et juge. Levinas a vu dans le visage un langage unique,
particulier et irrductible, et telle est ici une grande partie de son originalit en regard de la
pense de lexistence de Kierkegaard.
(a) La dialectique de la distance
Or cest encore et toujours sur le thme de la distance que Kierkegaard et Levinas se
rapprochent et se distinguent le plus, tout se passant comme si lenjeu de lthique tait de
donner une comprhension de la distance qui me spare dautrui. Dans les uvres de lamour, le
livre qui accomplit la seconde thique annonce dans le Concept dangoisse, Kierkegaard
associait la promesse, qui consiste tenir parole, lexigence thico-religieuse du rendre
attentif dans la problmatique de la distance. Il crivait :
Quand un homme me tourne le dos et sen va, je vois sans peine quil sloigne; mais silsavise de tourner le visage vers ce dont il scarte reculons et quil me salue du geste,du regard et de ses exclamations o il ne cesse de massurer quil arrive tout de suite etmme de rpter sans arrt me voici alors quil sloigne toujours plus, reculons,jai plus de mal men apercevoir. De mme pour lhomme qui, plein de bonnesintentions et prompt aux promesses, sloigne continuellement du bien reculons.Bonnes intentions et promesses lui font envisager le bien vers lequel il est tourn, alors
quil sen carte de plus en plus, reculons. (uvres compltes XIV 86-87 [IX 112-113])
La premire chose qui nous frappe, cest que les thmes importants de ce passage seront
tous repris par Levinas : la distance, le fameux me voici! et la promesse, mais dans des sens
lgrement diffrents. Levinas a-t-il mdit ce passage, lui qui a connu les uvres par dautres?
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Ici, Kierkegaard souligne dabord toute la difficult de tenir parole, de rpondre la parole qui
oblige, parole daction qui constitue, dans lamour, laccomplissement de la loi. Un oui htif
une exigence peut nous tenir distance de cette exigence thique. Mais il y a plus : dire oui
la promesse daccomplir la loi nest pas encore action, car la parole, contrairement laction,
est abstraite lenfer est pav de bonnes intentions. Notre passage montre en outre que le me
voici! , qui est la rponse positive la promesse, peut aussi nous faire reculer, nous loigner des
autres et nous faire perdre de vue la parole de Dieu. Dire me voici! peut tre un dtour sur le
chemin de lthique lorsque lamour nest pas le seul guide de laction. Dire me voici! et
sloignerlentement (cest--dire aller dans le mauvais sens) du prochain signifie le contraire de
lthique (Janiaud, Me voici! 97-108). Une analyse de ce passage aussi sommaire que la
ntre tablit assez clairement que Kierkegaard parat mettre en garde Levinas par anticipation
contre le danger domettre les consquences de la dialectique de la distance thique11. Car
approcher la ralit thique dans son exigence et chercher construire une thique de la
proximit impliquent quune attention particulire soit porte la question de la distance et sa
dialectique existentielle.
Cest encore sur lide de proximit que Kierkegaard et Levinas se touchent et
deviennent des complices. Certaines pages dAutrement qutre semblent sorties dun livre de
Kierkegaard. Quand Levinas avoue candidement : nous avons essay de dcrire la subjectivit
comme irrductible la conscience et la thmatisation ou quen soi, le soi-mme est lun ou
lunique spar de ltre (126-135), ce pourrait bien tre des lignes extraites du Post-scriptum
de Kierkegaard. Nous obtenons un tel rsultat entre autres parce que Levinas veut dpasser la
pense de lexistence en appliquant la mthode phnomnologique sur les mmes thmes
thiques. DansAutrement qutre, il cherche en effet penser, aux limites de la phnomnologie
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de Husserl, le sujet de chair et de sang cher Kierkegaard12. Pour y arriver, il montre que la
proximit ne se laisse pas penser avec le vocabulaire de la spatialisation et quelle se donne
plutt sur le mode de linquitude. La proximit nest pas espace, mais dabord souci.
Or cest lorsque Levinas fait de la proximit la situation de la subjectivit quil se
retrouve au plus prs du Kierkegaard des uvres de lamour, lopus magnum dans lequel il se
prsente comme le premier auteur poser le problme de la comprhension distance (forstaa
paa Afstand)13 de lautre. Ayant en tte la proximit du prochain, celui qui chappe mon ordre
et ma connaissance intresse, Levinas glisse de lthique vers une sphre plus large.
Linquitude est pour lui ce non lieu, ce hors lieu, ou cette utopie, qui demeure confronte
lexigence de la loi dans la proximit :
La proximit nest pas un tat, un repos, mais, prcisment, inquitude, non lieu, hors lelieu du repos, bouleversant le calme de la non-ubiquit de ltre qui se fait repos en unlieu, toujours par consquent insuffisamment proximit, comme treinte. Jamais assezproche , la proximit ne se fige pas en structure sinon, quand reprsente danslexigence de la justice, rversible, elle retombe en simple relation. La proximit, commele de plus en plus proche , se fait sujet. (Autrement qutre 131)
Dans la proximit se tiennent tout engagement, toute fraternit. Mieux : le sens de
louverture et de la relation autrui est trouver dans la proximit. Ainsi joue-t-elle un rle clef
chez Levinas : elle est suppression de la distance (aussi dans la conscience) qui saccomplit
dans limpossibilit de mloigner dautrui. Or, dans cette exigeante proximit, mi-treinte mi-
distance, Levinas craint une obsession violente pour lAutre, pour le prochain, cest--dire une
obsession qui briserait les possibilits thiques de la proximit elle-mme. Si la distance
inquite de la proximit construit la subjectivit, lui donne corps, lobsession par le prochain
est non-rciprocit, car elle ne reconnat pas dans lAutre, pour reprendre Kemp, un
irremplaable . Lobsession est pathologique en ce quelle vise dtruire la proximit, et la
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- 129 -Dominic Desroches
sparation qui la caractrise simpose comme un mpris de lthique. Si la proximit construit la
relation, le sujet peut, par son obsession de rapprochement, la briser.
(b) Danger dans la proximit et lide dinfini
Or faisons un pas de plus. Dans sa rflexion, Levinas est si prs de la pense de
Kierkegaard quil va jusqu utiliser ses mots les plus personnels, cest--dire ceux du fameux
pisode de lcharde de la chair . Si Levinas nutilise pas la mthode dialectique et quil na
pas une connaissance de premire main des Papirer, il nen cherche pas moins dcouvrir
lAutre dans les mmes sillons que lauteur danois. Non pas de confession luthrienne
protestante, mais juive14, Levinas parvient crire des lignes kierkegaardiennes , tout en y
ajoutant son grano salis anti-ontologie :
Le discours conscient sait encore dire cette impuissance sans gurir laffection quidchire la conscience, sans arracher par laveu le grain de folie charde dans la chairde la raison qui est le frmissement de la subjectivit; mme chez le philosophe qui enparle et qui, par-del luniversalit o apparat luniversalit dite, reste subjectivit
obsde par le prochain. Le Dire o le sujet parlant sexpose autrui, ne se rduit pas lobjectivation du mme expos : quest-ce qui est donc venu blesser le sujet pour quilexpose ses penses ou sexpose dans son Dire?! (Autrement qutre, 133)
On ne peut que souligner la parent dans leurs tentatives de penser lthique de la
proximit mme la blessure de lexistence. Or la question de lthique de la proximit peut
encore sinterprter si on la pense avec lide dinfini dj aborde dans Totalit et infini. On
comprendra la distance comme proccupation lvinassienne en analysant cette ide dinfini quil
reprend Descartes. Pour lui, lide dinfini est lide morale de labsolument Autre, cest
lideatum qui dpasse son ide : elle est la sparation du mme par rapport lautre. On la dit
plus haut : lide dinfini me permet de penser plus quelle-mme. Ce nest donc pas un hasard si
Levinas crit dans Autrement qutre : La proximit est ainsi une relation avec une singularit
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Comme le disciple danois de Luther lavait vu, cest en se sparant des autres que
lhomme retrouve sa subjectivit thique et gagne en intriorit. La sparation souligne par
Levinas ne correspond toutefois pas celle de Kierkegaard conue comme rsignation
(Resignation), comme mouvement vers lintriorit15. Au contraire, elle est vie corporelle,
puissance et joie. Levinas critique avec raison une certaine absence de corporit chez
Kierkegaard Kierkegaard ayant lui-mme avou ce dfaut plusieurs fois, car la rencontre
dautrui prsuppose la sortie hors de soi : lautre nest pas physiquement en moi, mais hors de
moi. La pense kierkegaardienne de labsolu, selon lui, viterait toute extriorit, comme le note
J. Nizet qui dcouvre Kierkegaard avec Levinas ( La temporalit chez Soeren Kierkegaard
244-245)16. Ainsi, la sparation chez Levinas veut viter toute abstraction vers le plus petit,
qui dailleurs est la principale critique dAdorno lendroit de Kierkegaard17. Sil y a un
mouvement en direction de lintriorit chez Levinas, il se dirige aussi en direction de la
communaut (Totalit et infini 88). En ce sens, Levinas revient Kierkegaard, car il se voit
oblig duser du processus de la double rflexion18
. Nous reviendrons plus loin sur ce processus
de pense dcisif pour Kierkegaard.
Si lontologie doit tre dbusque, dit Levinas, cest dabord en raison du refus de la
distance thique quexige lAutre. Lontologie traditionnelle est le discours du pouvoir qui pose
une distance neutralisante, celle qui exclut et qui masque la singularit dans linquitude.
Autrement dit, lontologie vise par la critique radicale de Levinas est celle qui, vloce et
impatiente, dominatrice, ne cesse de rduire lAutre au Mme dans une forme de violence. La
vrit, qui devrait rapprocher authentiquement dans la distance, est celle du souci et de
lattention; mais cette vrit nexistera cependant pas uniquement dans lanonymat, la distance
lgard du nom et de la personne. Cest pourquoi une universalit de lthique ne pourra tre
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quimpersonnelle chez Levinas, alors quelle implique une tche plus personnelle chez
Kierkegaard. Ce dernier usera de plusieurs pseudonymes pour dvelopper une premire
thique (dans les textes de jeunesse) et, en mme temps, il signera de son nom des discours
religieux et approfondira sa seconde thique dans Les uvres de lamour (des textes
autonymes).
V. Dire de lthique, vrit perscute et transcendance
Sur la question du Dire de lthique, les deux auteurs sentendent pour voir dans la
communication une mdiation produite par le langage. Utilisant des signes et des mots, le
langage pose une distance qui aline lthique dans la mtaphysique et masque la vrit du
rapport lAutre. Or si, dans la communication directe, les mdiations du discours peuvent tre
complexes, il y aura cependant toujours un lien entre le signifiant et le signifi, cest--dire entre
le Dire et le Dit. Kierkegaard, et il est ais de le comprendre, se serait montr intress par une
rflexion comme celle quexerce Levinas dans Autrement qutre, car la seule communication
thique possible est indirecte, hors de la symtrie entre le Comment et le Quoi afin de respecter
la distance du Dire et du Dit. Kierkegaard, et Levinas aura la mme proccupation, sintressait
beaucoup la manire dapprocher et de communiquer la vrit thico-religieuse. Comme en
tmoignent ces Leons sur La dialectique de la communication (1847) culminant dans la
distinction dcisive entre la communication de savoir et la communication de pouvoir, le Danois
rflchissait aux rapports compliqus entre le Je , la vrit, le mdium et le message. Il tait
persuad que son poque avait besoin dun nouveau Je afin que lon puisse faire entendre une
autre vrit, une vrit daction irrductible au savoir et la communication directe19.
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(a) Une nouvelle manire dapprocher la vrit et le paradoxe
Au sujet de la vrit, larticle sur Kierkegaard dans Noms propres nous indique
clairement lenjeu. Levinas veut voir dans la position de Kierkegaard un refus de la vrit
triomphante , celle qui sinspire de la raison pour atteindre luniversalit, au profit de la vrit
perscute . La thse de Levinas est simple : se fondant dans la foi, lthique de Kierkegaard
se contracte dans une tension sur soi qui nassume pas le passage lextriorit et qui
culmine dans lgosme. Ainsi subjectivit doit rimer avec souffrance.
Pour comprendre cette critique de Levinas, prenons un sentier peu habituel dans les
tudes entre nos auteurs. Partons de lInstant afin de montrer la diffrence qualitative entre le fini
et linfini qui cre le paradoxe et la souffrance. Chez Kierkegaard, lInstant est paradoxe.
Comme lexposent les ouvrages pseudonymes, lInstant est la dcouverte du passage de lternit
dans le temps. Ce passage, dans les Miettes et le Post-scriptum, est aussi une condition qui
produit la conscience de soi devant son autre . Ici, lternel de la foi est transcendant car il est
un rapport une vrit paradoxale : le croyant doit croire au paradoxe du Dieu-homme. La
subjectivit croyante doit savancer dans lincertitude vers son Autre. Or, le sujet entrera en
rapport avec Dieu sil admet au fond de lui la contradiction, cest--dire labsurde. Dans lInstant
du don, qui est la fois amour et paradoxe, la foi requiert la volont de croire un paradoxe
indicible qui heurte de front la raison. Il est, dit un Kierkegaard lecteur de Luther, scandale pour
lintelligence. Ainsi, la vrit se trouve cache dans le paradoxe et ne se laisse pas cerner par
lentendement. Climacus explique cela dans lappendice desMiettes :
Si la collision [entre le paradoxe et la raison] se produit sans cette intelligence, lasituation qui en rsulte est malheureuse [...]. Le scandale peut tre considr comme unepreuve indirecte du bien fond du paradoxe; car le scandale est calcul erron, il rsulte deltat de non-vrit grce auquel le paradoxe rebute. [...] Plus lexpression que prend lesandale est profondment ancre dans la passion, plus aussi se rvle tout ce que le
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scandale doit au paradoxe. Le scandale nest donc pas la dcouverte de la raison, loin del [...] le scandale devient de fait avec le paradoxe; il prend force de ralit : ici nousavons lInstant autour duquel tout gravite. (uvres compltes VII 49-50 [IV 244-245])
Parce quelle surgit du scandale et que tout scandale est un ptir , la vrit se rvlant
est souffrante : elle est attente, non reconnaissance, voire un amour malheureux. Kierkegaard est
sans aucun doute le premier parler de la vrit comme non-possession, cest--dire comme un
vnement qui vient moi et qui dfie mon pouvoir de conqute. Contrairement la vrit en
rgime paen, comme chez Socrate qui trouve la vrit au fond de lui par le dialogue, le scandale
chrtien repose sur une vrit tout autre qui se donne dans une promesse impossible pour la
raison. Lhomme (chrtien) de Kierkegaard est donc inquiet, souffrant, limage de la vrit de
lInstant. Or, comme le dit Levinas, seule la foi est capable dapprhender une telle vrit. Le
croyant ne peut pas se rapporter une vrit triomphante , mais seulement une vrit
perscute en accord avec la condition du pcheur, car cest ici lincertitude dans la foi qui
est latmosphre. Relisons nouveau les propos du Climacus de Kierkegaard :
La foi est lincertitude objective produite par le choc et le refoulement de labsurde,incertitude garde dans la passion de lintriorit, passion qui est justement le rapport delintriorit [Inderlighed] port son plus haut degr dintensit. [...] [L]incertitude est lamarque, et la certitude absolue le signe quon ne se rapporte pas Dieu. (uvrescompltes XI 288-289 [VII 602-603])
Dans lincertitude, qui est garde en lintriorit (Inderlighed), la foi requiert laction afin
de faire apparatre la certitude. Cette certitude nest pas science, nest pas absolue, mais cest
celle du croyant qui croit en vertu de labsurde (i kraft det Absurde). Parti dans lincertitude
totale, si on se rappelle du Crainte et tremblement de lautre Johannes, cest--dire en son
intriorit confronte au plus Haut, Abraham retrouva par la foi son fils Isaac.
Ainsi est-il difficile de ne pas voir quil y a bien, pour Johannes Climacus, une opposition
et une distance entre lincertitude, qui est la marque de labsurdit de la foi, et la certitude, qui ne
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peut tre absolue. La certitude se trouve dans le saut, lacte de foi. Ce qui est manifeste ds lors,
ce nest pas tant le triomphe de la certitude, mais bien la lutte infinie contre lincertitude, ou
plutt dans lincertitude. Levinas lavait compris lorsquil crivait dansNoms propres : dans la
croyance, lexistence cherche la reconnaissance [...]. Cette reconnaissance lui est accorde par
une vrit elle-mme bafoue et non reconnue et toujours reconnatre (104). Quand il pense
la proximit et la vrit comme non-reconnaissance face lAutre, Levinas reprend les
proccupations thico-religieuses de Kierkegaard, et quand il le critique dans Noms propres, il
demeure en filiation avec le pseudonyme desMiettes et du Post-scriptum. Si on comprend mieux
la vrit souffrante critique par Levinas, il convient daborder sa principale critique, celle de
lgosme du Moi kierkegaardien.
(b) La tension sur soi et la critique du Moi goste
Dans la foi, la subjectivit a un rapport avec la vrit dun genre unique, puisque la vrit
se dvoile tout en se dissimulant aussitt. Sa manifestation ne correspond pas un dvoilement,
mais un voilement. Ce paradoxe, qui rappelle la concidence des opposs de Nicolas de Cues
utilise par J. Hamann, rappelle que la vrit nest pas saisissable par la pense car elle garde,
dans son oscillation, son caractre indicible. Et cest dans la dissimulation que se trouve la vrit
paradoxale. Le sujet est celui-l qui, ne trouvant aucune extriorit satisfaisante qui puisse le
contenir, selon Levinas, demeure dans une tension sur soi. Mais si cette tension est comprise
comme intrt infini pour soi, Levinas ne se montre-t-il pas impatient envers Kierkegaard
puisque tout inter-esse, bien quil soit contraction, se fonde sur un rapport extrieur? Lintrt est
aussi, cest capital pour toute la pense de Kierkegaard, la possibilit de la libert, lespace pour
rencontrer lautre, cest--dire lespace propice au retour sur soi dans le redoublement thique ou
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religieux. La subjectivit reste-t-elle vraiment dans un gosme sans fin, comme le croit Levinas?
Une lecture attentive nous oblige la nuance.
Dans la foi dpeinte par Kierkegaard, le sujet nest jamais assur de la prsence divine.
Car dans la foi, la subjectivit se trouve confronte un dieu qui se manifeste tout en se voilant
et qui renvoie la subjectivit elle-mme, cest--dire lincertitude de sa condition comme non
vrit. La distance se trouve donc trop grande entre lintriorit et lextriorit, do la
souffrance. La subjectivit spare, intensit dans lintriorit selon Climacus, souffrirait de
limpossibilit de sortir delle-mme.
Mais Levinas poursuit et oublie dans sa critique le travail de la double rflexion
quaccomplit la pense kierkegaardienne. Il crit : La vrit qui souffre nouvre pas lhomme
les autres hommes, mais Dieu dans la solitude , que Levinas nomme, on le sait, un drame
intrieur . Dsormais proccup par son mouvement rflexif, Levinas conclut lide [que] la
vrit qui souffre transforme toute recherche de la vrit... en un drame intrieur , et que son
discours [Kierkegaard] tourn vers lextrieur est colre et invective (Totalit et infini 82;
voir aussi Noms propres 104). Or, que dit la double rflexion? Ce mouvement consiste en un
effort de pense o la rflexion seconde apparat contraire la premire (celle qui part de
lintrieur vers lextrieur) dans la mesure o, rentrant vers lintriorit, elle vise laffirmation
de lacte dexister. Elle consiste dans le fait de montrer les deux possibilits opposes dans le
choix. Si la double rflexion trouve une grande utilit dans une dialectique de la communication,
si elle est accueil, cest parce quelle noublie jamais lextriorit (uvres compltes X 70 et
XVII 122).
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(c) Vrit et transcendance
laune de la double rflexion, on peut trouver que cette dernire critique de Levinas est
dcevante. Or dans une confrence de 1968 parue dans son livre Entre nous et intitule Un
Dieu homme? , Levinas revient saluer la tentative de Kierkegaard pour penser la vrit du
prochain sans renoncer la transcendance. On sent que Levinas est oblig de nuancer sa critique,
cest--dire de la prciser. Sil est trop lger de dire que le Moi goste de Kierkegaard est
responsable du fondamentalisme religieux et des guerres en Europe, il reconnat cette fois que
cest Kierkegaard qui a le mieux compris la transcendance de Dieu dans le thme biblique de
lhumilit (Entre nous 67). Le mode de la vrit comme humilit ne peut plus tre associ au pire
de lhomme. Revenant sur la distance au sujet du Dieu-homme, il prcise sa pense en ces
termes :
Pour que laltrit drangeant lordre ne se fasse pas aussi participation lordre, pourque demeure ouvert lhorizon de lau-del, il faut que lhumilit de la manifestation soitdj loignement. [] La figure conceptuelle que dessine lambigut ou lnigme de cet anachronisme o se fait une entre postrieure au retrait et qui, par consquent, na
jamais t contenue dans mon temps et est ainsi immmoriale, nous lappelons trace.Mais la trace nest pas un mot de plus : elle est la proximit de Dieu dans le visage demon prochain. (Entre nous 68)
Ce passage est riche parce quil reconnat lapport de Kierkegaard, celui qui a sans cesse
insist sur la proximit de Dieu dans le prochain. Un parallle au sujet de la conception de la
vrit pourra savrer instructif puisque Levinas parat accepter la thse kierkegaardienne de la
subjectivit comme spare, comme non vrit, quil critiquait en 1961. Sept ans plus tard, la
question du dieu-homme ne semble pas pouvoir se poser autrement. Dans ce texte, lide de
transcendance dans la non certitude est assume par Levinas. Cela est dautant plus pertinent
si on se rappelle que chez Kierkegaard, qui est pris des critures (Levinas ne le sera pas moins),
la vrit perscute et humilie est une autre manire de penser la vrit en dehors de la
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philosophie. La vrit nest plus une affaire dobjectivit, mais une preuve de la transcendance,
de la sparation. Levinas relve un point des plus importants pour nous : chez Kierkegaard, la
perscution apparat comme une modalit du vrai et nous dirons que cest peut-tre sa plus
haute expression. Cette modalit implique une conception prcise de la transcendance.
Si Kierkegaard dfendait une subjectivit comme non vrit, insistant sur le refus dun
absolu immanent soi-mme, il soulignait que lhomme est par nature non-libert. Si lhomme,
dans le cadre de la double rflexion prsente plus haut, peut rencontrer labsolu comme
absolument autre que lui-mme et transcendant lui, cest parce que labsolu vient lui en
empruntant sa condition dhomme, se rvlant par sa parole, lui indiquant par l sa diffrence
incommensurable. Ainsi compris, le paradoxe absolu est bien le moteur de la pense de la
double rflexion de Kierkegaard. Levinas, qui ne semblait pas refuser le scandale au sujet du
paradoxe, ne parvient pas reconnatre le travail de la double rflexion kierkegaardienne qui
passe de lintriorit lextriorit et qui, dans un second mouvement, revient de lextriorit
vers lintriorit afin daffirmer et de valider une action du sujet face Dieu. Lindividu
kierkegaardien naccomplit pas simplement un mouvement dascension vers un tre
transcendant, ni davantage ce mouvement en approfondissant en lui-mme (dans lintriorit
pure ou le secret que dnonce Levinas) une vrit le dpassant, cest dire quil nextrait pas de
lui-mme la vrit, mais quil la rencontre en la recevant dun tre transcendant tout autre que
lui.
VI. Lthique de la proximit aux limites du religieux
Malgr des mthodes philosophiques et des croyances religieuses diffrentes, Levinas et
Kierkegaard sentendent sur plusieurs points. Nous en retiendrons ici au moins deux, lesquels
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pourront servir penser une thique de la proximit partir de ces deux philosophies. (1) La
proximit que lon cherche gagner avec lAutre, le prochain, se trouve dans une tension, un
rapport, un cart, une distance constituante de la subjectivit elle-mme dans lexistence. Cette
proximit chez les deux auteurs ne se pense pas en dehors dun rapport une transcendance. (2)
Le prochain, qui est absolument Autre que moi, se trouve en mme temps en moi. Sil est bien
sr lextrieur de moi, je pourrai le rejoindre en vertu de mon intriorit et de mon visage. Ce
prochain nentre pas dans le discours de la conscience en qute de thmatisation et de
dtermination; il est bien plutt dans le visage insaisissable de lAutre.
(a) Lthique de la proximit confronte lindicible
Lthique, on la vu, appelle un autre langage, un langage sensible aux limites du Dire.
Le discours du savoir, qui vise nommer lautre, nous en dtourne. Et cest ici que lobjection au
systme par Kierkegaard rejoint le geste philosophique fondamental de Levinas, ce qui aboutit
dans une critique de lontologie qui transforme le Dire en Dit. Dans ce contexte o la rflexion
porte sur lAutre comme diffrence, comme distance et corps, le visage (son piphanie20)
apparat dune certaine manire Levinas comme lexpression de lintriorit et lintriorit de
lexpression. On pourra dire aussi quil sagit dune reprise de la dialectique de la distance
thique kierkegaardienne : le prochain est en moi et moblige une comprhension juste de la
distance qui me spare de lui. Trop prs, je ne le vois pas, et trop loin, il ne semble plus tre mon
prochain. Par le langage, je peux mapprocher ou mloigner dautrui. Kierkegaard, qui avait
utilis lide du visage avant Levinas, ne serait pas du de son interprte, car il rend justice la
dialectique de la distance qui affirme que dire me voici peut tre un loignement de lthique.
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On retiendra finalement que lthique, au sortir dune confrontation entre deux des plus
grands penseurs de la singularit, ne pourra plus faire lconomie du concept de distance, encore
moins de celui de proximit, puisque la vrit de la subjectivit, quelle soit souffrance dans la
distance avec Dieu ou lexpression de linterdiction dans le visage de lAutre, repose sur la
capacit de se poser dans lexistence. Dans lexistence toujours singulire, lindividu naccomplit
pas un mouvement direct vers les autres, encore moins un mouvement dascension total vers
ltre transcendant. Au contraire, li aux autres, il approfondit en lui-mme une vrit
transhistorique le dpassant, une ide comme linfini de Levinas. Ainsi est-il mme de
rencontrer cette vrit en la recevant dun tre Tout Autre que lui, pour parler cette fois avec
Kierkegaard. Cherchant dpasser Kierkegaard, devons-nous conclure, Levinas simpose
comme lun de ses meilleurs commentateurs.
Notes
1 Nous remercions les membres du comit de lecture de PhaenEx pour leurs excellentessuggestions.
2 Dans le cadre de cet article, nous ferons rfrence, outre les textes cits, des passages deluvre de Levinas o il est fait explicitement allusion Kierkegaard, cest--dire Levinas, Kierkegaard Existence et thique et propos de Kierkegaard vivant, dans Nomspropres 99-109. Les autres rapprochements entre les auteurs reposeront strictement sur lacommunaut des thmes et des manires communes de les traiter. Notons en passant que dans Violence et mtaphysique (Lcriture et la diffrence, 1979), Derrida avait dj attir
lattention sur la polmique entre Kierkegaard et Levinas au sujet de la responsabilit et dufameux me voici! .
3 Il importe de souligner que Levinas ignore luvre de Kierkegaard. J. Colette prcise ce faitimportant en ces termes : Sauf dans larticle de 1977, Levinas ne se rfre pas aux textesmmes de Kierkegaard, il reprend les thmes et les formulations de Wahl ( Levinas etKierkegaard 6, note). Colette insiste non sans raison : Par cette rfutation simultane deHegel, de Heidegger et dun Kierkegaard rduit au subjectivisme pur du moi (TI, XIV),
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Levinas ne se rfre quau Kierkegaard lu par J. Wahl, au chrtien rduit la figure de laconscience malheureuse, lamant malheureux de la religion (11).
4 D. Brezis soulve aussi notre objection aux accusations de Levinas. Il crit : Or il est
remarquable qu travers ces deux points il accuse justement Kierkegaard de ce quil entendrcuser. [] Il serait complice de la violence que le Mme exerce sur lAutre ( Lintrioriten question 17). Travaillant le regard crois entre les auteurs partir de sa mthode catgorico-biographique, Brezis, pour de nombreuses raisons quil expose en page 18, trouve peuconvaincantes les critiques de Levinas, que ce soit celles prsentes dans Totalit et infini oucelles deNoms propres.
5 Nous appellerons en renfort larticle de P. Sltoft dans lequel lauteure dnonce la rductionopre par Levinas ( Love and Continuity 215). Sltoft rappelle que la critique de Levinas estune erreur ou une mprise philosophique, car elle sinterprte uniquement dans la direction dunindividu qui, laissant de ct la construction progressive du moi par lamour et la continuit, est
incapable de rejoindre autrui. La vrit est ailleurs. Levinas, selon Sltoft, a oubli le caractreintersubjectif du concept de continuit thique fonde dans une doctrine de lamour. Lide de tension sur soi , qui nest pas mauvaise en soi, cache une distance fondamentale, non pasuniquement celle entre le moi et les autres, mais aussi et davantage celle entre lhomme et lui-mme, celle qui fonde lthique (224-227).
6 Il crit : In this way, the thematisation of the I and the Other in their relation must alwaysmiss the mark : it must always be undone, unsaid, for any such thematisation must always misswhat lies behind thematisation itself ( Philosophy Always Comes too Late 161). Or sur lathse de M. Weston et le rle de la temporalit dans la thmatisation, il crit : For in beingspoken of, the attempt is made to make it present, to disclose the matter in what is said. But the
primal relation is what lies beyond and behind all thematisation in a time which is other than thetime within which what lies in the future can appear in the present and be recollected as havingbeen in the past : it is always having occurred in a past more ancient than any present, a pastwhich was never present. [...] But the thematisation, the formulation of the saying in the said,here fails irredeemably (165).
7 Le titre de larticle de M. Weston vient directement dun passage dAutrement qutre. Levinascrit en effet dans la section consacre au problme de la proximit : Le connatre est toujoursconvertible en cration et en anantissement, lobjet se prtant au concept, en rsultat. Par lasuppression du singulier, par la gnralisation, le connatre est idalisme. Dans lapproche je suisdemble le serviteur de prochain, dj en retard et coupable de retard (Autrement qutre 139).
Levinas, pour prendre un autre thme dAutrement qutre, dit souvent que lobsession et laperscution qualifient lin-condition dune conscience de soi en retard par rapport autrui (174-176).
8 Sur le thme commun du tmoignage, lire Janiaud, Me voici! 100-105, et Brezis, Lintriorit en question 24.
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9 Sur ce point dcisif, voir Crainte et tremblement, mais aussi laReprise de Kierkegaard (uvrescompltes V). Pour le commentaire, voir notre article The Exception as Reinforcement of theEthical Norm . Pour une lecture originale de lexception, consulter lexcellent article de S. deKeyser, Kierkegaard et lexception .
10 Un article rcent sest employ montrer que cette association rapide entre le repli sur soi,lgosme, la violence et lirresponsabilit ntait pas fonde (Janiaud, Me voici! 90-92).
11 Au sujet des limites des attaques de Levinas et de la question de la distance thique, voir nosExpressions thiques de lintriorit, sections III et IV.
12Sur ce thme prcieux pour Kierkegaard, voir lentre XIII A 128 intitule Chair et sang
le langage , dans les Papirer. Ici, nous ne prtendons pas que Levinas ait tudi les Papirer,mais que les termes sont exactement les mmes. Pour expliquer ces liens troits ou cetteconcidence, on invoquera que la rception kierkegaardienne, notamment chez Rosenzweig, apeut-tre donn des indications assez prcises Levinas. Pour une interprtation de cette entre,lire nos Expressions thiques de lintriorit228.
13 Pour le bien de la dmonstration, nous rappellerons un passage de la dialectique de lacomprhension distance des Kjerlighedens Gjerninger. Kierkegaard crivait : distance,tous connaissent le prochain [kjender Enhver Naesten]; mais Dieu seul sait combien leconnaissent en ralit, de prs. Et pourtant, distance [paa Afstand], le prochain, lui qui est pardfinition le proche, le premier venu, absolument tout homme est une illusion (uvrescompltes XIV 70 [IX 92]).
14 Levinas sest toujours beaucoup intress la question juive. Pour mieux comprendre saposition, lireDifficile libert.
15 Afin dobtenir une autre interprtation de ce passage, voir Brzis, Lintriorit en question .
16 Cette lecture de Nizet, on le regrette, oppose radicalement intriorit et extriorit.
17 Concernant la critique adornienne de Kierkegaard, on lira la thse dhabilitation de 1933traduite en franais : Adorno, Kierkegaard. Pour un commentaire de la rception, voirDesroches, Esthtique, musique et langage .
18 Levinas, qui ne parvient pas reconnatre le travail de la double rflexion, accomplit
cependant un renversement en sa pense, bien que diffrent de celui de Kierkegaard. En effet, onreconnatra par exemple que dans la substitution, il y a bien un renversement, un passage duparlautre au pour lautre. Nous irons mme plus loin : il y a un retournement dans ltre, cest--dire dans lautrement qutre soi-mme. Dans luvre en gnral, on assiste aussi unretournement lorsque, de Totalit et infini Autrement qutre, lAutre dans le Mme semblemettre laccent sur lextriorit radicale.
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19 Pour donner une ide de La dialectique de la communication de 1847 et du reproche queKierkegaard adresse ses contemporains, citons un passage clair : La confusion fondamentaledu monde moderne consiste non seulement avoir oubli la ralit de ce que lon nomme lacommunication de pouvoir, mais avoir absurdement transform la communication de pouvoiret de devoir-pouvoir en communication de savoir. Le facteur existentiel a t limin (uvrescompltes XIV, 389).
20 Lpiphanie du visage vient dune certaine manire briser la rclusion du moi. Car le visageest dabord une expression du mode thique. Sur lpiphanie du visage, relire Totalit et infini,notamment la section III consacre au visage et lextriorit. Pour un commentaire introductif la question de lpiphanie du visage, voir Plourde,Avoir-lautre-dans-sa-peau 43-59.
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