ENJEUX ET STRATÉGIES DE CROISSANCE DU TEXTILE · DU TEXTILE HABILLEMENT ACTES du COLLOQUE ......

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ENJEUX

ET

STRATÉGIES

DE CROISSANCE

DU TEXTILE

HABILLEMENT

ISBN : 2-84541-038-7

ENJEUX ET STRATÉGIES DE CROISSANCE

DU TEXTILE HABILLEMENT

ACTES du COLLOQUE (Décembre 2000)

organisé et présidé par

Jean-Pierre BALDUYCK Député du Nord, maire de Tourcoing,

président du Groupe d’études de l’Assemblée nationale sur l’Industrie textile habillement

sous le haut patronage de

Lionel JOSPIN

Premier ministre

Raymond FORNI Président de l’Assemblée nationale

Laurent FABIUS

Ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie

Elisabeth GUIGOU Ministre de l’Emploi et de la Solidarité

François HUWART

Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, chargé du Commerce extérieur

François PATRIAT

Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, chargé des PME, du Commerce, de l’Artisanat et

de la Consommation

Christian PIERRET Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, des Finances

et de l’Industrie, chargé de l’Industrie

Pascal LAMY Membre de la Commission européenne,

responsable du Commerce

Erkki LIIKANNEN Membre de la Commission européenne, responsable

des Entreprises et de la Société de l’information

Remerciements

Jean-Pierre BALDUYCK et le Groupe d’études de l’Assemblée nationale sur l’Industrie textile habillement remercient Lionel JOSPIN, Premier ministre, Raymond FORNI, président de l'Assemblée nationale, Laurent FABIUS, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, Élisabeth GUIGOU, ministre de l’Emploi et de la Solidarité, François HUWART, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, chargé des PME, du Commerce, de l’Artisanat et de la Consommation, Pascal LAMY, membre de la Commission européenne, responsable du Commerce et Erkki LIIKANEN, membre de la Commission européenne, responsable des Entreprises et de la Société de l’information, qui ont bien voulu accorder leur haut patronage à cette manifestation, Christian PIERRET, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, chargé de l’Industrie, de l’avoir honoré de sa présence, leurs collègues Jean-Pierre BEL, sénateur de l’Ariège, rapporteur du Groupe d’études du Sénat sur le Textile et l’habillement, président du Club des districts industriels, Brigitte DOUAY, députée du Nord, présidente du Comité national anti-contrefaçon, Yves NICOLIN, député de la Loire, vice-président du Groupe d’études de l’Assemblée nationale sur l’Industrie textile habillement, et leurs excellences Hassan ABOUYOUB, ambassadeur du royaume du Maroc en France, Sönmez KÖKSAL, ambassadeur de Turquie en France et Stanislas PATEK, ambassadeur au ministère des Affaires étrangères de Suède, qui ont participé à ce colloque, ainsi que les hauts responsables administratifs, les experts et les professionnels qui ont bien voulu intervenir durant cette journée et dont les communications, les réflexions et les échanges ont concouru au succès et à l'intérêt de ce colloque. Leur gratitude va également aux partenaires dont le concours en a permis l'organisation :

L’Union française des industries de l’habillement

La Fédération française de la couture du prêt à porter

des couturiers et des créateurs de mode

L’Union des industries textiles

Présidence du colloque Jean-Pierre BALDUYCK

Député du Nord de 1998 à 1993, réélu en 1997, et maire de Tourcoing depuis 1989, Jean-Pierre BALDUYCK est président du Groupe d’études de l’Assemblée nationale sur l’Industrie textile habillement et membre de la Commission de la production et des échanges depuis 1997. Il a également été conseiller régional du Nord-Pas-de-Calais de 1986 à 1989, conseiller municipal de Tourcoing de 1983 à 1989 et conseiller général du Nord de 1979 à 1985.

SOMMAIRE

OUVERTURE DU COLLOQUE 1 L’avenir du textile habillement Jean-Pierre BALDUYCK Député du Nord, maire de Tourcoing, président du Groupe d’études de l’Assemblée nationale sur l’Industrie textile habillement

Le message de la profession 7 Jean-Pierre BEL Sénateur de l’Ariège, rapporteur du Groupe d’études du Sénat sur le textile et l’habillement, président national du Club des Districts industriels français (C.D.I.F)

LES STRATÉGIES DE CROISSANCE ET DE 12 COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES

Les stratégies de croissance et de compétitivité 13 des entreprises Philippe ADEC Président de l'Union française des industries de l’habillement

Le retour de la mode 19 DIDIER GRUMBACH Président de la Fédération française de la couture du prêt à porter des couturiers et des créateurs de mode

La compétitivité de la filière textile 22 Guillaume SARKOZY Président de l’Union des industries textiles

TÉMOIGNAGES DE TROIS CHEFS D’ENTREPRISE 30

Les trois métiers 31 Lucien DEVEAUX

Président-directeur général de DEVEAUX s.a

Réussite d’une entreprise familiale 35 Anne PASQUIER Présidente de la société AUBADE

Le repositionnement réussi d’une grande marque 40 Sidney TOLEDANO Président-directeur général de Christian Dior couture

TABLE RONDE 47 Animée par Gérard BONOS Rédacteur en chef de Radio classique

Introduction 49 Gérard BONOS

Les initiatives au niveau régional 50 Yves NICOLIN Député de la Loire, vice-président du Groupe d’études de l’Assemblée nationale sur l’Industrie textile habillement

Le problème de la contrefaçon 53 Brigitte DOUAY Députée du Nord, présidente du Comité national anti-contrefaçon

Le point de vue de la CFE-CGC 56 Martine CANDELIER Présidente de la Fédération textile habillement de la CFE-CGC

Le point de vue de la CGT 59 Christian LAROSE Secrétaire général de la Fédération textile habillement cuir de la CGT

Le point de vue de la CFTC 61

Serge REUTENAUER Secrétaire général de la Fédération textile cuir habillement de la CFTC

Le point de vue de la CFDT 62 Martial VIDET Secrétaire général de la Fédération Hacuitex - CFDT

Le point de vue de FO 64 Francis VAN DE ROSIEREN Secrétaire général de la Fédération cuir textile habillement - FO

L’action des pouvoirs publics 66 Maurice COTTE Chef du service des industries manufacturières au ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie

DÉBAT 69

STRATÉGIE EUROPÉENNE ET 81 INTERNATIONALE DE COMPÉTITIVITÉ

Introduction 83 Gérard BONOS Rédacteur en chef de Radio classique

PRÉSENTATION DE L'ÉTUDE SUR LES 84 CONSÉQUENCES DE LA LIBÉRALISATION DES ÉCHANGES TEXTILE HABILLEMENT EN 2005 ET L'AMÉLIORATION DE L'ESPACE EUROMÉDITERRANÉEN

Textile et habillement entre mondialisation et 85 régionalisation Michel FOUQUIN Directeur adjoint du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII)

Quel avenir pour EUROMED ? 96 Pascal MORAND Directeur général de l’Institut français de la mode (IFM)

TABLE RONDE 105 Animée par Gérard BONOS

Les chaînes logistiques et marketing du secteur 107 textile habillement Hassan ABOUYOUB Ambassadeur du royaume du Maroc en France

Promouvoir les droits de la propriété intellectuelle 110 et lutter contre la contrefaçon Françoise BENHAMOU Chargée de mission affaires juridiques propriété intellectuelle à la Fédération française de la couture du prêt à porter des couturiers et des créateurs de mode

Le modèle italien de la mode 113 Vittorio GIULINI Président de Sistema moda italia

Le textile, une industrie d’avenir 116 Pascal LAMY Membre de la Commission européenne, responsable du Commerce

Pour une réciprocité dans l’ouverture des marchés 122 mondiaux de textile habillement CLaude MISEREY Vice-président de l’Union française des industries de l’habillement, président de la Fédération française des industries du vêtement masculin

Le secteur textile suédois et la future présidence 125 suédoise de l’Union européenne Stanislas PATEK

Ambassadeur au ministère des Affaires étrangères de Suède

La modernisation du secteur européen du textile 127 habillement Anne-CLaire LÉON Administratrice de l’Unité textiles cuir jouets de la DG Entreprises à la Commission européenne

Penser global, agir local : l’Union européenne 131 des territoires de textile habillement Arnaud MANDEMENT Maire de Castres, président du réseau Acte France

Le rôle de la Commission européenne au sein de 134 l’OMC et de l’Euromed Fernando PERREAU de PINNINCK Chef de l’Unité négociations et gestion des accords sur les textiles chaussures et divers de la DG Commerce à la Commission européenne

Ouverture des marchés mondiaux et organisation 136 de l’espace euroméditerranéen Camille AMALRIC Président du Comité central de la laine et des fibres associées

Pour une dimension sociale de l’Euromed et une 140 répartition équitable de la valeur ajoutée Patrick ITSCHERT Secrétaire général de la Fédération syndicale européenne textile habillement et cuir (FSETHC)

Allocution de l’Ambassadeur de Turquie en France 145 Sönmez KÖKSAL Ambassadeur de Turquie en France

DEBAT 147

Synthèse du colloque 156 Jean-Pierre BALDUYCK Député du Nord, maire de Tourcoing, président du Groupe d’études de l’Assemblée nationale sur l’Industrie textile habillement

Débat de clôture 159

La stratégie du gouvernement pour 166 le secteur textile habillement Christian PIERRET Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, chargé de l’Industrie

Annexe 175 Question Orale au Gouvernement

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Ouverture du colloque L’avenir du textile habillement

JEAN-PIERRE BALDUYCK

Député du Nord, maire de Tourcoing, président du Groupe d’études de l’Assemblée nationale

sur l’Industrie textile habillement

Mesdames, messieurs, avant de céder la parole à monsieur le sénateur Jean-Pierre Bel, je voudrais, en guise d’introduction, remercier chacun des participants, élus, responsables d’entreprises, syndicalistes, ainsi que les intervenants, les organisateurs, M&M Conseil, les journalistes qui nous feront l’honneur d’assister à nos travaux et nous aiderons à atteindre nos objectifs de communication et monsieur Gérard Bonos, à qui je céderai la parole dans un instant et qui va animer l’ensemble de la journée de façon à la rendre plus vivante.

Ce colloque s’inscrit dans une démarche cohérente. Nous avons voulu, en le préparant avec les organisations syndicales et professionnelles donner une impulsion complémentaire aux travaux du Conseil Économique et Social en septembre, à d’autres manifestations régionales, je pense aux biennales de Roanne. Nous préparons des manifestations complémentaires pour le printemps de façon à maintenir cette capacité de travail, d’interpellation et d’analyse mise en place à l’initiative des groupes d’études du Sénat et de l’Assemblée.

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Nous avons des objectifs à partager, des débats pouvant déboucher sur des décisions d’actions et vous aurez ce soir une interpellation qui, à ce stade, a l’accord des groupes d’études textile habillement du Sénat et de l’Assemblée nationale et des organisations professionnelles. Les syndicats en ont pris connaissance, y travaillent et se prononceront sur ce texte dans quelque temps, bien entendu avec des modifications possibles. En effet, l’événement de la rentrée du Conseil Économique et Social a été la capacité des organisations professionnelles et syndicales de s’exprimer ensemble. Cela n’enlève rien à leur indépendance, à leurs responsabilités, à leur capacité de proposition et de contestation, mais je pense que l’industrie textile se montrerait exemplaire si pour la première fois dans ce pays, elle arrivait à une stratégie commune, une analyse cohérente, entre ses différentes composantes démocratiques que sont les responsables d’entreprises, les organisations syndicales dans leur unité d’action et les élus des bassins d’emploi textile.

Notre ambition aujourd’hui c’est d’abord l’image du textile. Quand Guillaume Sarkozy a été élu président de l’Union des industries textiles, il a déclaré que le principal ennemi du textile était son image et qu’étaient en partie responsables de ces difficultés tous ceux qui en parlaient en non-objectivité. Il faut expliquer, et c’est plus que nécessaire, au monde des décideurs, que le textile n’est pas une industrie vieillotte mais qu’elle se bat, a ses enjeux, vit la mondialisation, est en concurrence directe, a des réussites basées sur la créativité, la qualité des produits et la capacité à sensibiliser les consommateurs. Il est donc capital de montrer ce qu’est le textile aujourd’hui.

Au plan national, nous devons maintenir le débat et rappeler notre vigilance sur les charges. J’évoquerai franchement le contexte actuel. La France et l’Europe sont des pays de bonne protection sociale, ce que personne ici ne remet en cause. Mais nous avons bien conscience, et le textile a peut-être été la première industrie touchée, qu’aujourd’hui la plupart des fabrications industrielles européennes et françaises sont

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concernées par la concurrence internationale et les risques de délocalisation. Le cri d’alerte que nous portons doit être entendu pour le textile mais rend service à l’ensemble des autres industries, qui ne sont probablement qu’au début de ce phénomène, mais qui devraient y réfléchir avec nous. Nous devons donc dialoguer avec l’ensemble des décideurs sur le niveau des charges et le coût du travail industriel dans nos pays développés. Nous sommes confrontés à la concurrence de pays où les salaires n’atteignent pas 300 francs par mois et où l’exploitation des enfants et le manque de libertés syndicales créent une concurrence déloyale.

Si certaines mesures peuvent aller dans le bon sens, je pense à la réduction de la CSG sur les bas salaires qui permet une amélioration du pouvoir d’achat sur les bas salaires sans compromettre la compétitivité des entreprises, il est évident que l’éco-taxe, actuellement en navette entre le Sénat et l’Assemblée, est une mesure qui pourrait, si elle était maintenue en l’état, provoquer du chômage. Il faut combattre intelligemment cette mesure, par des contre-propositions, ce que vous faites. Il s’agit d’être réaliste. Au stade où en est le premier texte, les amendements que nous défendons vont atténuer les effets, mais il nous reste une année avant la prochaine loi des finances pour annuler totalement les effets pervers sur l’emploi que cette taxe nouvelle sur le coût du travail comporte. Il me semble que la proposition de la profession d’acquiescer à l’affichage d’une éco-taxe – à condition qu’elle soit compensée par la réduction d’autres prélèvements – est bonne. Les députés ont entamé une bataille sévère sur ce thème, les sénateurs également. Ne nous faisons pas trop d’illusions. D’ici quelques jours, il restera une sorte d’éco-taxe améliorée mais le combat ne sera pas terminé. Je considère qu’il faut sans cesse rappeler que le financement du budget de l’État ne doit pas se faire au détriment du travail. Toute charge pesant sur les entreprises peut compromettre le développement et le maintien de l’emploi.

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Il n’y a pas de solution durable sans l’Europe. Ainsi, durant tout l’après-midi, nous allons travailler à développer les perspectives européennes. Dans cinq ans, il n’existera pas une industrie textile italienne à côté d’une française, mais une industrie textile européenne ou rien. Les décideurs européens doivent donc prendre conscience de quelques objectifs réalistes.

La réciprocité des échanges

Il faut que d’ici 2005 nous puissions vendre là où les autres peuvent commercer chez nous. Un certain nombre de pays en voie de développement ont un pouvoir d’achat en augmentation et sont sensibles à la qualité des produits européens. Depuis le début de l’année, les statistiques montrent que les importations ont progressé, en France, de 8 % et nos exportations de 7 %. Ce qui montre que sur une balance commerciale en déficit, nous sommes désormais dans une situation maîtrisée. Nous pouvons même envisager de réduire ce déficit.

Un commerce plus éthique

Il n’est pas pensable que l’Europe n’arrive pas à peser sur le monde de façon à ce que la mondialisation du commerce, qui est irréversible et incontestée, ne se fasse pas par le maintien de l’exploitation des enfants, l’agression contre les syndicalistes et le manque de libertés. Le commerce européen doit avoir comme exigence le développement des libertés et des niveaux de vie des pays avec lesquels nous commerçons. C’est le meilleur moyen d’équilibrer les échanges internationaux.

L’Euroméditerranée

Il s’agit d’un réel problème. En effet, un certain nombre d’industriels préconise le développement d’une zone d’échanges avec les pays de l’Euroméditerranée. Dans certains cas, cela s’est fait au détriment de l’emploi dans

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l’hexagone, mais pas toujours. Nous devons aborder ce problème très franchement avec les organisations syndicales, les élus, pour faire en sorte que cette réalité économique, qui est un défi et une chance de développement, comme le montrent certaines entreprises, doit être prise en compte. Si des décisions devaient être prises en totale confiance et responsabilité et peut-être avec des droits nouveaux d’information et de contrôle pour les comités d’entreprises.

Protéger la création

Certains industriels le répètent inlassablement, il est indispensable que l’Europe protège fermement la création. Brigitte Douay préside un groupe de travail sur ce thème et interviendra dans un instant. Il est capital que les entreprises françaises et européennes, qui consacrent des moyens financiers à la recherche, à la mise sur le marché de nouveaux produits, ne soient pas pillées. Sinon, la concurrence est faussée. Si l’Europe était capable d’améliorer sa capacité à protéger notre création, une bonne partie de nos défis seraient plus faciles à assumer.

Cette journée a pour objectif de montrer une industrie textile dans ses coresponsabilités : les élus, les syndicalistes et les chefs d’entreprises. Une industrie textile offensive et inquiète, qui sait que les combats ne sont pas gagnés d’avance, mais qui n’est pas démobilisée. Elle affirme clairement ses réussites, ses atouts et sa volonté extension. Elle assume la part d’avenir qui lui revient. Mais elle rappelle néanmoins aux décideurs, au pouvoir politique, que l’environnement économique et la fiscalité ont des répercussions directes sur l’emploi dans des bassins plus fragiles que d’autres. Ce n’est pas un hasard si les sénateurs et les députés du groupe habillement textile viennent des bassins d’emploi où l’industrie textile a un rôle important, où elle se modernise, se bat et où elle est pratiquement la première industrie. Il s’agit là d’une vigilance de l’aménagement du territoire.

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Je vous remercie. Je laisse la parole à monsieur Bel qui va s’exprimer au nom du Sénat.

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Le message de la profession

JEAN-PIERRE BEL

Sénateur de l’Ariège, rapporteur du Groupe d’études du Sénat sur le textile et l’habillement,

président national du Club des Districts industriels français (C.D.I.F)

Mesdames, messieurs, après mon ami Jean-Pierre Balduyck qui a clairement et précisément planté le décor, je voudrais vous dire quelques mots en ouverture de ce colloque sur “ les enjeux et stratégies de croissance du textile habillement ”. Avec vous, professionnels, chefs d’entreprises, organisations syndicales, élus, nous sommes venus dire que le textile est vivant. Il contient de grandes marges de potentialités, de redéploiement, de développement. Mais surtout, il permet à des régions entières, à des centaines de milliers de femmes et d’hommes de vivre de leur travail avec fierté. Ils savent qu’ils disposent d’une culture et d’un savoir-faire. Après les forums organisés sur le sujet, notamment par Christian Larose et ses amis, après le colloque du Comité Économique et Social, auquel nous ont convié Guillaume Sarkozy et Christian Larose, cette journée à l’Assemblée nationale est la preuve qu’il se passe quelque chose dans l’industrie du textile. C’est peut-être la prise de conscience, par tous les acteurs du textile habillement, au-delà de leurs différences et des fonctions qu’ils occupent dans l’entreprise, que leurs points de vue ne sont pas forcément opposés et qu’ils avaient des messages à porter en commun. Ces messages s’adressent à notre Gouvernement, à l’Union Européenne, au négociateur de

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l’OMC. N’est-il pas significatif et exemplaire, Jean-Pierre Balduyck le rappelait à l’instant, que l’ensemble des organisations patronales et syndicales puisse adopter un texte commun qui interpelle les décideurs d’une seule voix.

Pour ce qui nous concerne, élus des régions textiles, nous aussi unis quelles que soient nos sensibilités politiques, parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat, nous nous associons sans réserve à cette motion pour défendre notre industrie moderne, créatrice et exportatrice, ses 5 000 entreprises et 300 000 salariés.

La responsabilité des politiques

Nous voulons aussi dire que nous n’attendons pas tout des autres. La responsabilité des politiques est de réfléchir comment à l’échelon territorial, local, régional, national, européen, accompagner les évolutions par des actions énergiques, sachant qu’en fin de compte, c’est l’entreprise et ceux qui la composent qui créent les richesses. Nous savons que le moteur du développement du textile, comme de la plupart des industries, réside essentiellement dans le développement de l’offre. Le développement de nos entreprises passe par leur insertion internationale et pour cela par des politiques efficaces au plan stratégique et commercial.

L’importance de la formation

Nous connaissons aussi l’importance de la formation pour le transfert des savoir-faire, l’importance de la recherche, du transfert de technologie, de l’innovation, afin de créer un environnement concurrentiel. Nous avons compris que l’investissement, notamment en matière de nouveaux matériaux et de nouvelles techniques de production, est capital. Si nous voyons le rôle des régions en matière de formation professionnelle, du renforcement de la matière grise des entreprises, le rôle de l’État n’en est pas moins déterminant. Accompagner la recherche et le développement,

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nous pensons à l’IFTH mais aussi à l’Institut français de la mode pour faciliter la recherche et l’étude de nouveaux marchés et exercer une véritable veille économique. Amplifier les relations entre les universités et les entreprises, restaurer une véritable culture d’entreprise pour la mise en place d’un crédit d’impôt sur la recherche et la création qui soit véritablement conséquent.

Les principaux sujets de préoccupation

Comment ne pas rappeler les principaux sujets de préoccupation ? D’abord, la nécessité de continuer de baisser les charges sur les salaires des employés les moins qualifiés. Ensuite, l’importance de prendre en compte la spécificité des petites entreprises pour qu’elles puissent faire face aux coûts du marché et aux fluctuations. Enfin, nous espérons, et je m’associe à Jean-Pierre Balduyck et au travail réalisé par mon ami et collègue Augustin Bonrepos, que sera confirmée l’évolution de la TGAP, la taxe sur les activités polluantes qui, sans remettre en cause le principe du pollueur/payeur permettra de ne pas pénaliser, une fois encore, les activités créatrices d’emplois. L’État peut également être un soutien précieux dans l’amélioration de l’image industrielle du textile indispensable si ce secteur veut redevenir attractif, notamment auprès de futurs diplômés.

Des associations territoriales

Aujourd’hui, les territoires industriels et les différents acteurs privés et publics ont choisi de prendre leur destinée en main. Ils le font en se structurant sous forme de districts industriels, véritables lieux d’échanges, de mise en œuvre d’actions collectives, afin d’optimiser leur potentiel d’innovation et de transférer les expériences réussies. Grâce à cette dynamique, entre le territoire et l’entreprise, grâce au fameux système productif localisé, SPL, cher à la DATAR, les bassins industriels passent d’une posture de quémandeurs à celle de régions à projets qui savent ce qu’elles veulent. Les pouvoirs publics doivent soutenir fortement ces expériences sur des

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procédures spécifiques ou dans la mise en place des contrats de plan État-région.

Jean-Pierre Balduyck a évoqué les actions nécessaires au plan international et sur la création des grands espaces de développement tels que l’espace euroméditerranéen. Le textile a su démontrer ses capacités d’exportation en produits et en savoir-faire ; l’objectif n’est pas de diminuer frileusement les importations mais bien de développer les exportations.

L’impact de l’industrie du textile

Je voudrais insister sur deux points. Le textile est puissamment présent sur les branches d’activités les plus innovantes. Il suffit de visiter une entreprise pour constater l’omniprésence de toutes les nouvelles technologies comme le laser, les microprocesseurs ou la communication. Nous pouvons nous demander si l’application de ces nouvelles technologies existerait sans une industrie de production encore puissante. L’emploi industriel c’est, au minimum, un effet de un à cinq sur l’emploi global.

Le textile est un des moyens les plus efficaces de l’aménagement du territoire dans le cadre d’une politique de développement territorial équilibré. Les entreprises textiles ont pour la plupart leurs origines en dehors des zones urbaines ou rurbaines, en dehors des zones à fortes concentrations. Elle ne nécessite pas, en amont de la filière, de réelle proximité du consommateur, ce qui permet cet équilibre dans l’aménagement, mais ce qui donne aux pouvoirs publics l’impérieuse obligation de favoriser l’environnement, notamment par l’enseignement, la formation, la mise en réseau. Nous le savons, il n’y a pas d’entreprises de qualité dans un territoire en difficulté ou non qualifié. Voilà pourquoi, mesdames et messieurs, notre sort est lié : celui de l’entreprise, celui du territoire, celui de plusieurs centaines de milliers de femmes et d’hommes de ce pays. Voilà pourquoi nous sommes à vos côtés pour attester que non seulement le

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textile n’est pas condamné, mais qu’il a un grand avenir à condition que l’on y prête attention.

Je vous remercie.

Gérard BONOS

Merci. Malgré les affres de la conjoncture et la douleur de l’adaptation à un monde de plus en plus changeant, il n’y a pas de fatalité. Le thème principal de cette journée porte sur les enjeux et les stratégies de croissance du textile habillement. Nous tenterons, à travers une série de témoignages et deux tables rondes, de discerner des pistes possibles pour l’avenir.

Toute l’équipe qui a travaillé autour de Jean-Pierre Balduyck et Jean-Pierre Bel vous remercie de votre présence. Cette journée a été bâtie comme un outil de travail pour alimenter votre propre réflexion. Je vous propose d’entrer dans le vif du sujet. La première série de trois témoignages avec ceux qui se battent aussi bien au niveau national et institutionnel qu’à l’étranger pour faire entendre la voix de la profession.

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LES STRATÉGIES DE CROISSANCE

ET DE COMPÉTITIVITÉ

DES ENTREPRISES

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Les stratégies de croissance et de compétitivité des entreprises

PHILIPPE ADEC

Président de l’Union française des industries de l’habillement

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, messieurs les présidents, mesdames, messieurs, chers amis, je dirige une entreprise parisienne de prêt à porter féminin, Philippe Adec. Je suis également Président de l’Union Française des Industries de l’Habillement, et c’est au double titre de chef d’entreprise et de représentant des industries de l’habillement que je m’exprimerai devant vous.

Les évolutions passées de l’industrie textile

Aval de la filière, l’industrie française de l’habillement, confrontée à l’incapacité des Pouvoirs Publics d’anticiper les mutations liées à la mondialisation, ou tout du moins de l’en informer, a été la première parmi les industries de main-d’œuvre à faire sa révolution culturelle, c’est-à-dire à diversifier ses lieux de production.

Ceci nous a d’ailleurs valu d’être mis au banc des accusés pendant de nombreuses années. Je ne peux donc que me féliciter du propos de monsieur Christian Pierret qui, faisant preuve de réalisme, répondait à monsieur le Député Vannsson – je cite – : “ la spécialisation des différents acteurs de la filière devrait s’accentuer sous l’effet de la concurrence internationale. Ceci signifie que les entreprises doivent

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s’efforcer de développer leurs exportations et leurs implantations commerciales et industrielles à l’étranger ”.

Enfin, n’oublions pas que la valeur ajoutée de notre industrie se concentre de plus en plus dans du matériel : la création, l’innovation et les marques. Ce propos liminaire étant fait, je voudrais rappeler que les entreprises de l’habillement ont trois caractéristiques principales. Ce sont de petites entreprises faiblement capitalisées car le ticket d’entrée dans nos industries, au contraire du textile, est très faible. Nos industries sont des industries de main-d’œuvre et l’essentiel de notre personnel est composé de personnes faiblement qualifiées à bas salaires. Nos industries, qui réalisent un produit fini, sont très proches du marché final et donc très sensibles à ses fluctuations.

De ces 3 caractéristiques découlent trois défis majeurs à relever. Le premier défi est celui de la concurrence internationale. Aujourd’hui, un vêtement sur deux vendu en France est importé et le taux de pénétration du marché en valeur est de l’ordre d’un tiers. Nos entreprises doivent affronter la concurrence maghrébine, est-européenne et asiatique, voire au sein même de l’Union Européenne avec le Portugal ou le coût du travail est de l’ordre de 50 % du coût du travail en France.

Le deuxième défi est celui de la concentration de la distribution. La distribution française, à l’instar de ce qui se passe dans tous les pays développés, ne cesse de se concentrer. La grande distribution a gagné dix points de parts de marché en quinze ans au détriment du commerce de détail indépendant, déséquilibrant complètement les rapports industrie/distribution.

Le troisième défi est celui des mutations du marché final. Celui-ci, de plus en plus volatil et en recul ou en stagnation dans la plupart des pays industrialisés, demande des séries de plus en plus courtes à fournir dans des délais très brefs avec des exigences de qualité et de créativité accrues.

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Le chemin parcouru

Ces dix dernières années, un grand nombre de rapports ont décrit et analysé cette situation avec finesse. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Je crois que nous pouvons être fiers du chemin parcouru car notre processus de restructuration, largement entamé, est pour l’instant réussi. Les industries de l’habillement tiennent parfaitement la comparaison avec d’autres secteurs qui ont réussi leur restructuration, comme l’automobile et la sidérurgie. L’automobile a réussi, par l’automatisation et la recherche constante de perfection, à redevenir un secteur rentable, porteur de progrès et de bénéfices. La sidérurgie, qui était donnée pour morte au début des années 80, a su se spécialiser dans des produits à forte valeur ajoutée et est redevenue un des plus beaux fleurons de l’industrie française.

Je crois qu’il faut que nous ayons conscience que les industries de l’habillement ont fait aussi bien que ces deux secteurs, pourtant particulièrement choyés par les Pouvoirs publics. Les trois secteurs ont connu les mêmes évolutions en termes d’effectifs sur les quinze dernières années : -51 % pour la sidérurgie, -53 % pour l’automobile et -58 % pour l’habillement.

Elles ont investi massivement, avec un investissement par tête qui augmente en quinze ans en francs constants de 160 % pour l’automobile, 16 % pour la sidérurgie et 83 % pour l’habillement. Chacune par ses méthodes, automatisation et qualité pour l’automobile, spécialisation et montée en gamme pour la sidérurgie, la création, la qualité, l’externalisation et les services pour l’habillement, a su peu ou prou, maintenir le même chiffre d’affaires en francs constants, avec des effectifs réduits de moitié ! L’indice de chiffre d’affaires étant en 1999, pour une base 100 en 1985, de 130 pour l’automobile, de 81 pour la sidérurgie et de 100 pour l’habillement.

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Soyez-en persuadés, mesdames, messieurs, nos entreprises ont su faire face et n’ont jamais été aussi compétitives sur les marchés planétaires qu’aujourd’hui. Mais tournons-nous vers l’avenir. Quelle est la stratégie de nos entreprises pour les années à venir et comment les Pouvoirs publics peuvent-ils les accompagner ?

Les évolutions à venir

Le premier axe de la stratégie de nos entreprises est l’optimisation des coûts. Elles réalisent des efforts permanents, notamment en matière de modernisation des équipements productifs, de recherche de nouveaux modes d’organisation et de logistique, pour réduire leurs coûts. Elles recherchent également en permanence le meilleur prix de la main d’œuvre et doivent êtres capables de se déplacer très rapidement afin de saisir toutes les occasions offertes par une économie internationale en perpétuelle évolution. Cette nécessité entraîne non seulement un surcroît d’externalisation mais encore pour les propriétaires de marques ou même les façonniers, un recours accru à la sous-traitance, afin de réduire le risque industriel et d’être en mesure, à tout moment, de saisir les meilleures opportunités.

Mais si le coût est aujourd’hui un élément crucial, il ne suffit plus. Le second axe stratégique est la différenciation. La différenciation des produits, par la créativité, la qualité et les politiques de marques, est, sans qu’il soit besoin de s’étendre, déterminante. La différenciation par les services offre également un avantage comparatif décisif : l’entreprise performante est, de plus en plus, celle qui est capable non seulement de livrer le bon produit (conforme aux souhaits du client), mais encore de le faire dans les bons délais (les plus courts possibles) et pour de petites quantités. L’entreprise capable de livrer de très petites quantités (quelques milliers, voire quelques centaines de pièce), je pense bien sûr aux sous-traitants de notre industrie, dans des délais très courts permettra en effet à son client de réduire ses stocks et son

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risque commercial tout en s’adaptant très rapidement à la demande.

Le troisième axe stratégique est la recherche d’une plus forte présence commerciale. Nos entreprises sont, plus que jamais, à l’écoute de leurs clients, voire cherchent à se rapprocher directement du consommateur final. Cette recherche d’une plus forte présence commerciale passe de plus en plus par la constitution d’un réseau de points de vente et la recherche de partenariats à l’étranger. Optimisation des coûts, différenciation des produits et des services, plus forte présence commerciale, voilà le chemin qu’il nous reste à parcourir.

Le rôle des Pouvoirs publics

Les Pouvoirs publics doivent nous accompagner en créant les conditions favorables à la poursuite de ces stratégies : aider à l’optimisation des coûts par l’exonération complète des charges sociales sur les bas salaires, par la réforme fiscale qui doit avantager et non décourager le secteur productif, par une simplification administrative de l’accès aux différentes procédures d’aides ; mais aussi, en liaison avec les partenaires sociaux, apporter des solutions innovantes adaptées aux moyens des PME de main d’œuvre, qui n’ont rien à voir avec ceux des grands groupes automobiles, pour mettre en place les moyens de financer la Cessation Anticipée d’Activité afin que nos ouvrières et nos ouvriers ayant commencé à travailler très tôt puissent obtenir une légitime compensation financière à leur départ anticipé ; aider à la différenciation par le soutien aux démarches des entreprises, que ce soit en matière de création, de marques, de qualité ou d’intégration des nouvelles technologies, je pense en particulier aux façonniers qui peuvent nous donner de nouvelles armes de compétitivité ; aider à une plus forte présence commerciale les entreprises par l’encouragement à l’intégration de la distribution, par exemple en permettant l’amortissement des fonds de commerce par une politique plus active de soutien au commerce de détail de centre-ville et

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par l’accompagnement des entreprises dans leur développement à l’international.

Voilà, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, mesdames, messieurs, les attentes de l’Union française des industries de l’habillement.

Je partage avec Jean-Pierre Balduyck le privilège d’avoir commencé à travailler à quatorze ans dans cette industrie. Quelques années plus tard, je créais ma propre société. Je mesure le chemin que nous avons parcouru, souvent seuls, avec une aide parcimonieuse des Pouvoirs publics.

Je crois qu’il est maintenant temps que nous avancions, entreprises, partenaires sociaux et pouvoirs publics, véritablement ensemble.

Je vous remercie.

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Le retour de la mode

DIDIER GRUMBACH

Président de la Fédération française de la couture du prêt à porter des couturiers et des créateurs de mode

Bonjour, monsieur le président, mesdames, messieurs. Nous sommes très optimistes. Nous observons que nous sommes dans une situation de forte reprise. C’est essentiellement le résultat d’un certain nombre de mesures qui ont été prises par nos entreprises dans la gestion de leurs marques. Il sera très intéressant à cet égard d’écouter tout à l’heure Sidney Toledano, président de Dior, nous conter son expérience.

Un constat favorable

Ce n’est pas un hasard, car Dior a inventé en 1952 la direction des licences et la délocalisation des marques, qui a précédé de vingt ans la délocalisation des industries et qui a été infiniment plus dommageable aux industries de l’habillement et au textile que la délocalisation des usines. La reprise en main de la production et de la distribution par les entreprises telles que Dior et bien d’autres, est un mouvement général qui a des effets extrêmement positifs. C’est un changement également favorable qui s’affirme par l’intégration par des marques de luxe, qui jusqu’ici se trouvaient très éloignées de l’habillement, d’un secteur mode. Les gros groupes de luxe sont aujourd’hui des acteurs essentiels à l’exportation de production française. Un troisième élément très positif est le retour sur Paris de l’intérêt des acheteurs et de la presse. C’est normal : à chaque phase de

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croissance, Paris reprend son rôle de leader et la création de nouvelles marques est un élément très important puisque chaque génération identifie ses propres marques, que les marques de mode vieillissent et doivent se régénérer. Cet aspect est essentiel pour notre futur.

Les mesures d’accompagnement

Quelles sont les mesures d’accompagnement qui ont été prises pour hâter ce mouvement incontestable ?

Un projet européen, “ Mode et finance ” associe des groupes italiens, français et bientôt allemands ; il doit conduire à la prise de participations minoritaires dans des marques émergentes. GFT fait partie de ce fonds d’investissement, comme LVMH ou Lucien Deveaux.

Un second projet, fondamental, est “ Mode et sous-traitance ”, parce qu’il faut que nous informatisions la sous-traitance si nous ne voulons pas créer des marques pour le seul bénéfice de l’industrie chinoise. Il est financé en partie par le ministère de l’Industrie et en partie par le DEFI. Il faudra développer ce projet essentiel pour le futur de nos sous-traitants. Les nouvelles technologies sont un facteur très positif de développement en accompagnement avec l’artisanat. Toutes nos maisons de couture, exportatrices de prêt à porter, sont familiarisées avec Internet et clientes de Lectra.

Un troisième projet, très important lui aussi, concerne la Cité de la mode qui se bâtit autour de l’Institut français de la mode, qui a fusionné avec le CTCOE, Pascal Morand, que vous entendrez cet après-midi doit être félicité de la réussite de son entreprise. Ce projet a été annoncé en juillet 1998 par monsieur Pierret et par madame Lebranchu au ministère des Finances. Il ne reste plus qu’à lui trouver un lieu. Il s’agit là encore d’accompagner et de compléter le processus de relance. C’est un projet essentiel qui associe formation et information.

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Un autre aspect important est l’accueil des professionnels. Dans un monde de plus en plus ouvert, les acheteurs et les journalistes viennent de plus en plus à Paris et bien les accueillir est plus efficace que d’aller les chercher dans leurs pays très dispersés. Le DEFI nous a beaucoup aidé dans ce domaine. Néanmoins, je pense qu’il y a encore énormément à faire.

La protection des marques

Finalement, nous n’avons pas vraiment besoin d’aides. Nous avons besoin d’équité et ce qu’a dit monsieur Balduyck est tout à fait juste, nous voulons la réciprocité et que nos modèles et marques soient protégés. Madame Benhamou nous dira cet après-midi les spécificités de la législation française. L’accord que nous avons signé avec nos homologues italiens au ministère des Finances il y a trois mois prévoit que l’objectif commun est d’appliquer une législation calquée sur la loi et les règlements français en matière de protection des marques, des modèles et de la lutte contre la contrefaçon.

Pour le reste, nous resterons optimistes si nous sommes entendus. En gros, tout est en place pour que le textile et l’habillement restent prédominants en Europe et continuent d’être exportateurs. Ceci à la condition que nous ne soyons pas sacrifiés à d’autres secteurs dans les négociations internationales.

Merci beaucoup.

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La compétitivité de la filière textile

GUILLAUME SARKOZY

Président de l’Union des industries textiles

Nous attachons énormément d’importance à l’initiative que prend aujourd’hui Jean-Pierre Balduyck, président du groupe d’études textiles à l’Assemblée Nationale et je tiens à le remercier chaleureusement pour son excellente initiative.

Une filière réunie

Voici une filière réunie pour parler d’une même voix au monde politique, rechercher ensemble avec les syndicats de salariés les appuis qui lui permettront de développer les conditions nécessaires à sa réussite. Voici une filière réunie pour tenir un même discours de croissance et de conquête, et pour s’adresser, avec des partenaires étrangers, de façon cohérente, aux représentants de l’Union Européenne. Le moment est important, vous l’avez tous senti. Nos propos d’aujourd’hui seront innovants sur le fond et par le ton.

L’avenir de l’industrie textile

L’avenir de nos 3 000 entreprises et de leurs 300 000 salariés se joue. À nous de proposer aujourd’hui une vision du futur pour la 2ème industrie française en termes d’effectifs. Bien sûr, je crois en l’avenir du textile en France et en Europe. J’y suis entrepreneur depuis plus de 20 ans ! Mon expérience me conforte dans l’idée que la nouvelle économie du textile sera porteuse.

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Mais bien sûr, nous attendons de la communauté de nos dirigeants politiques qu’elle aussi regarde en face les réalités du monde dans lequel nous vivons. Jean-Pierre Balduyck nous donne aujourd’hui l’opportunité de nous expliquer. Nous demandons à la communauté de nos dirigeants, politiques et fonctionnaires, de faire pour une large part table rase du passé, et d’envisager l’avenir, avec nous, sous l’angle de la croissance, de la compétitivité et de la modernité.

La croissance des marchés

Car la croissance est là, tangible. Nous savons qu’avec un taux de croissance de l’économie d’au moins 3 %, les dépenses de textile/habillement des consommateurs augmentent dans notre pays, et dans la plupart des pays développés. Aujourd’hui, notre marché est en croissance. Notre industrie exporte plus de la moitié de sa production : 65 milliards de francs cette année.

Le marché textile mondial, contrairement aux idées reçues, progresse au rythme de 2,5 à 3 % par an. L’avenir du textile, son développement, sa croissance se trouvent sur nos marchés extérieurs, ceux d’Europe et du monde entier. À nous de saisir ces opportunités.

Vous entendez, Mesdames et Messieurs les parlementaires, que nous vous tenons aujourd’hui un discours différent de celui du passé. Nous comptons sur votre appui pour ne pas laisser passer des opportunités qui sont à la portée du textile français. Nous voulons aujourd’hui vous démontrer que ces opportunités existent ! Nous voulons vous rappeler qu’il existe un autre textile que celui de Cellatex et de la Lainière de Roubaix. Le textile français, c’est aussi une multitude de produits “ pointus ”, une inventivité hors pair, un succès international indéniable, une image de qualité indiscutée.

Notre industrie n’est pas en déclin, au contraire, elle sera en expansion, pour peu que l’équité règne dans les règles du jeu international et que votre soutien politique crée des

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conditions favorables à l’amélioration de notre compétitivité, au lieu de l’handicaper sans cesse. Là est, à nos yeux, le point clé de nos relations avec le monde de nos gouvernants.

Au chef d’entreprise, avec ses collaborateurs, le travail d’améliorer sans cesse la compétitivité de son entreprise et de tout faire pour développer ses parts de marché. Au Gouvernement, aux Parlementaires de créer les conditions nous facilitant la tâche ou, au contraire (et c’est parfois le cas) de la rendre plus complexe et plus difficile et contraignante, alors que nos concurrents - notamment européens - ne seront pas concernés par la nouvelle législation / réglementation d’application purement française.

Quatre facteurs critiques de succès

Quatre facteurs critiques de succès, qui sont autant de gages pour l’avenir, s’imposent à nous afin d’améliorer notre propre compétitivité : création, marketing, compétences et nouvelles technologies.

La création et l’innovation constituent, à l’évidence, ce premier facteur critique. L’industrie française et européenne sont leaders mondiaux en termes de création et d’innovation.

Dans le domaine du marketing, nos organisations professionnelles peuvent apporter une aide précieuse aux entreprises, notamment dans trois directions.

1) En attirant dans des salons d’audience mondiale des dizaines de milliers de clients venant du monde entier.

2) En mettant à la disposition des entreprises, et surtout des PME, les compétences que notre profession a su réunir au sein de nos instituts spécialisés.

3) En diffusant en région des séminaires permettant aux PME d’être sensibilisées aux nécessités du marketing et de la création, et donnant envie aux chefs d’entreprise de découvrir l’offre de conseil disponible.

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Une étude récente a montré clairement notre faiblesse en matière de marketing. Nous avons la possibilité de desserrer l’étreinte de la concurrence en mettant plus de valeur ajoutée dans nos produits.

Le développement de nos entreprises requiert que nous puissions recruter les meilleurs parmi les jeunes arrivant sur le marché du travail, nécessite que les cadres de haut niveau nous rejoignent afin de nous aider à définir et mettre en œuvre des stratégies offensives. Nous réussirons grâce au talent et à l’engagement des femmes et des hommes qui travaillent dans nos entreprises. L’amélioration des qualifications, des compétences de tous les salariés, des ouvriers aux cadres supérieurs, est déterminante. Voilà pourquoi les compétences constituent un des axes majeurs du programme de notre secteur pour les années à venir.

Nous aussi, chefs d’entreprise, avons besoin d’apprendre de nouveaux concepts et de nouvelles techniques. Notre capacité à nous adapter et à apprendre est la clé du développement de nos entreprises.

L’avenir de nos métiers passe aussi par la technologie. Je ne crois pas qu’il y ait d’alternative à des investissements réguliers et importants dans le domaine des technologies textiles avancées et dans celui des technologies de l’information et de la communication où, pour nos PME, les décisions sont difficiles tant l’offre de conseil disponible est insuffisante. Je suis persuadé que, dès cette année, un franc investi dans les nouvelles technologies aura un retour beaucoup plus important que le même franc investi dans du seul matériel de production.

Création, marketing, compétences et nouvelles technologies, voilà notre programme. Nous ne manquons pas de travail pour nous adapter à la nouvelle économie.

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Les coûts salariaux

Mais notre compétitivité dépend aussi de facteurs que nous ne maîtrisons pas. La compétitivité du site industriel français est déterminante. Il nous paraît invraisemblable qu’à la veille de l’arrivée de l’euro dans notre vie quotidienne, nous ayons à faire face, aussi brutalement que vous nous le demandez, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, à de lourdes contraintes que nos concurrents du Marché Unique ne connaissent pas.

Je veux parler, vous l’avez compris, de l’augmentation des coûts horaires du travail liés à l’arrêt du plan Borotra, l’augmentation des coûts du travail et la réduction de nos capacités productives liées à la loi des 35 heures, et la perte de compétitivité supplémentaire que créera la nouvelle TGAP, arrivant au lendemain du quasi doublement des coûts de l’énergie. Chefs d’entreprise, et citoyens, nous appliquons les lois, même celles que nous trouvons mauvaises ou inappropriées.

Par contre, notre devoir est de vous informer, de dénoncer celles qui vont à l’encontre de leurs objectifs mêmes pour des motifs qui échappent à notre compétence. Sur le sujet des 35 heures, nous avons besoin de votre aide, mesdames et messieurs les Parlementaires, afin d’assouplir les règles qui nous sont imposées. L’immense majorité de nos entreprises ne sait pas comment gérer la transition brutale que représente une perte de l’ordre de 10 % de leur capacité productive. Nous ne savons pas comment gérer dans nos usines l’incidence du double SMIC qui nous conduira, bien au-delà de la rémunération des personnels les moins qualifiés, à une redoutable inflation salariale.

La TGAP

Sur le sujet de la TGAP, je désire remercier les nombreux élus qui nous ont défendus avec réalisme et pragmatisme, au premier rang desquels je salue monsieur Augustin

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Bonrepaux. La Taxe Générale sur les Activités Polluantes, si elle est votée en l’état, sera la taxe la plus Complexe avec un grand C, la plus Contraire à ses objectifs avec un grand C, la plus Injuste avec un grand I et la plus Inappropriée avec un grand I, la Taxe 2C-2I, que je connaisse.

Complexe, ce n’est rien de le dire ! Après avoir lu les projets de texte, nous avons réalisé des simulations dans 400 entreprises du textile, et savons de quoi nous parlons. Contraire à ses objectifs, puisque plus la consommation d’énergie est importante, plus la valeur relative de la taxe est faible, et ceci, excusez du peu, dans un rapport de 1 à 20…

Injuste, puisque seule l’industrie est taxée alors qu’elle représente environ le quart de la consommation d’énergie, et qu’elle a réduit de 15 % l’émission de ses gaz à effet de serre. Injuste encore au travers de nombreux exemples découverts lors de notre enquête, dont celui-ci que vous apprécierez à sa juste valeur : deux filatures dont la consommation d’énergie est dans un rapport de 1 à 100 vont payer le même montant de taxe…

Inappropriée, puisque cette taxe établie pour financer en partie les 35 heures est d’autant plus élevée que la masse salariale de l’entreprise est importante. Dans le textile, en moyenne, les salaires représentent 70 % de la valeur ajoutée. Voilà un effet pervers de la TGAP, contraire aux objectifs de la loi sur les 35 heures et contraire à la réforme de la taxe professionnelle que vous avez votée voici deux ans.

Tous ces coûts nouveaux nous entraînent dans une fuite en avant, dans une course perdue d’avance. Je le constate au niveau de mon entreprise : l’augmentation incessante du point mort, du point d’équilibre financier, est plus rapide que nos possibilités de croissance. Cela ne durera pas très longtemps…

Avant de conclure, permettez-moi quelques mots sur l’aspect international de notre métier.

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Une industrie internationale

Nous sommes le septième exportateur mondial, le deuxième producteur européen. Cette position subit chaque année l’assaut ultra compétitif des productions textiles asiatiques.

Nous sommes prêts à cette compétition. Mais nous sommes en droit d’exiger qu’elle se situe dans le cadre d’un marché mondial ouvert et loyal. Ouvert, cela veut dire que les pays producteurs de textiles d’Asie ou d’Amérique du Sud, si protectionnistes, doivent abaisser leur garde douanière au niveau de la nôtre. Un objectif : aucun droit de douane textile, dans le monde, supérieur à 15 % d’ici à 2005. Loyal, cela veut dire que cessent la contrefaçon et la piraterie.

Dans un cadre mondial, fondé sur l’ouverture et la réciprocité, nos entreprises gagneront des parts de marché. Pour ce faire, il est indispensable que l’Union Européenne mette en place une véritable politique internationale textile, appuyée sur l’ouverture des marchés, la réciprocité dans les échanges, le respect des règles de l’OMC, et la création d’une zone Pan-Euro-Méditerranéenne, à l’image de la zone Nord Américaine.

Voilà, mesdames et messieurs les Parlementaires, quelques idées simples que je souhaitais vous faire partager, en introduction à cette journée d’étude, pendant laquelle nous aurons l’opportunité d’échanger longuement. Il nous appartiendra, dès ce soir, de mettre en place, ensemble, les outils qui feront le succès de notre industrie et qui feront que cette journée aura vraiment été un début historique.

Je vous remercie.

Gérard BONOS

Merci messieurs. Après le plan large, voici le plan rapproché : les entreprises avec plusieurs témoignages et, pour commencer, écoutons monsieur Lucien Deveaux.

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TÉMOIGNAGES DE TROIS

CHEFS D’ENTREPRISE

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Les trois métiers LUCIEN DEVEAUX

Président-directeur général de DEVEAUX s.a

Bonjour. Je voudrais vous parler de trois métiers car nous avons une seule coquille aujourd’hui alors qu’en réalité nous avons trois métiers.

L’exportation

Le métier du textile est aujourd’hui très compétitif. Nous exportons dans l’affaire Deveaux plus de 80 % de notre production. Pourquoi un tel chiffre ? C’est un peu faute de combattants par suite malheureusement à la disparition d’une partie de la confection. Le textile est une branche où l’investissement est important, où les conditions de travail se sont grandement améliorées et où les salaires sont meilleurs que ce qu’ils étaient hier. Je parle du textile notamment dans le tissage.

Mais le textile a besoin d’appuis. En effet, pour exporter aujourd’hui 80 % de notre production, il faut aller à l’extérieur, il faut avoir des salons dans d’autres pays que ceux d’Europe. Hier, nous avons réussi à dominer le salon européen du textile à partir d’expositions faites en France, à Paris, Lille ou Lyon. Demain, nous devons aller plus loin, aux États-Unis, en Amérique Latine et en Asie. Il est nécessaire pour cela de ne pas se laisser distancer notamment par les Italiens. Chaque fois que nous allons dans un nouveau pays, les Italiens y sont avant nous. Il faut que cela change à l’avenir si nous voulons garder un textile français fort. Il faut

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que nous accompagnions l’ensemble de nos entreprises pour exporter.

Le textile

Le prix d’un mètre de tissu réalisé en France est tout à fait concurrentiel, contrairement à ce que l’on pense. Le seul problème est que nous sommes obligés d’avoir une création et une commercialisation excessivement chère. Cette création est pillée dès qu’elle passe les frontières. Aujourd’hui, quand je vends un tissu 30 francs, ce tissu revient réellement à 20 francs et il y 10 francs de création dessus. Mes concurrents de pays lointains vendent leurs tissus 20 francs, tout contents, en me copiant. Ce problème est absolument affolant pour l’Europe. Nous sommes tous les jours pillés et contestés dans notre création. Elle doit être protégée au niveau de l’Europe entière.

Aujourd’hui, la protection s’est développée en France, mais, au niveau de l’Europe, il nous est impossible d’aller contre. Des pays comme la Turquie ont encore sept ou huit ans devant eux avant de subir une interdiction de copier.

Nous devons exporter et être aidés dans nos salons et avoir un dynamisme extraordinaire pour ne pas nous laisser dépasser par les autres. Parce que le textile est composé d’une multitude d’affaires qui n’ont pas au départ les moyens d’aller prospecter ces pays sur des salons.

L’habillement

L’habillement est un problème différent. La part des salaires est beaucoup plus importante et c’est ce qui a engendré le plus grand nombre de disparition d’entreprises. Mais aujourd’hui, il y a un espoir en France significatif grâce aussi à la haute couture qui nous a montré le chemin, au développement de ces griffes et de ces marques. Une autre solution vient de la réactivité. Désormais, la mode est rapide, en perpétuelle réactualisation. D’autre part, les articles,

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réalisables à faible coût de temps, donc à faible coût de personnel relatif, permettent à l’industrie de l’habillement de se défendre.

Il existe donc ces trois pistes de développement. L’industrie de l’habillement est beaucoup aidée par le développement de la haute couture et des grandes griffes.

La distribution

Enfin, je voudrais aussi évoquer le secteur de la distribution. Nous devons distinguer la distribution dans les hypermarchés des chaînes spécialisées et des magasins multimarques. Aujourd’hui, nous devons faire un effort énorme pour aider la distribution spécialisée et multimarques. Nous tous, élus de communes, de Chambres de commerce, nous devons défendre les centres-villes sinon le paysage français évoluera très mal et notre industrie sera pénalisée.

Les chaînes françaises de grande distribution spécialisée ont une certaine avance. Nous devons veiller à leur développement, à ce que leurs centres ne partent pas à l’étranger. Mais je vous signale un danger à venir : des capitaux importants pourraient prendre le contrôle de nos chaînes de distribution et les centres de décision partir à l’étranger. Il m’est plus facile de vendre à une chaîne installée en France que d’aller vendre à l’autre bout de l’Europe.

Voici les trois directions dans lesquelles nous devons nous battre si nous voulons que demain notre industrie prospère et redéveloppe l’emploi.

Merci.

Gérard BONOS

S’il existe un domaine qui a connu ces dernières décennies une montée en puissance économique et médiatique, c’est celui de la lingerie. Ici plus qu’ailleurs, aucun pays n’a de

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monopole historique et la compétition n’en est que plus farouche. Je cède la parole à madame Anne Pasquier, présidente de la société Aubade.

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Réussite d’une entreprise familiale

ANNE PASQUIER

Présidente de la société AUBADE

Merci. Je vais apporter le témoignage d’une entreprise familiale, ce qui est particulier dans le contexte actuel.

Créée vers 1856, l’entreprise est issue, comme la plupart des entreprises de lingerie, d’un métier moins valorisant, l’orthopédie et la corséterie. Nous avons d’ailleurs abandonné récemment l’appellation d’industrie de la corséterie. L’entreprise a évolué et est devenue une entreprise qui fait de la lingerie et de la corséterie. La marque Aubade a été créée en 1958.

Nous réalisons 260 millions de francs de chiffre d’affaires, nous commercialisons nos produits chez les détaillants et les grands magasins uniquement. Nous faisons 50 % de notre fabrication en France dans deux unités de production qui nous appartiennent. Nous employons 400 personnes et aujourd’hui la moitié de la production est vendue à l’étranger. Sur les dix dernières années, le taux de croissance a été d’environ 10 % et sera de 15 % pour cette année et, nous l’espérons, de 17 % l’an prochain.

La force d’une entreprise familiale

Dans un contexte économique un petit peu difficile, qu’est-ce qui fait que l’entreprise avance ?

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Aussi curieux que ce soit, une des raisons tient au fait que nous soyons une entreprise familiale et surtout au fait que nous avons joué tous les atouts d’une telle structure. Il y a quelques années, un éminent juriste m’expliquait que les entreprises familiales étaient antiéconomiques. Selon lui, l’idée de pérennité donnait un sentiment de sécurité qui tendait à la frilosité, ce type de sociétés était plus tourné vers elles-mêmes que vers l’extérieur et la disparition du chef d’entreprise mettait la société en péril. D’une certaine façon, nous avons fait la preuve du contraire. En effet, lors de la passation de l’entreprise à la troisième génération, nous avons décidé de doter l’entreprise d’une direction collégiale. Nous avons additionné nos forces et utilisé nos complémentarités.

Si nous sommes plusieurs à la direction de l’entreprise, à avoir une idée commune, cela a l’avantage de voir les situations sous différents angles et de développer en synergie la même idée.

Ceci s’applique à notre façon de gérer les gens. Dans les entreprises familiales, la première force, ce sont les hommes. Nous devons avoir des gens compétitifs et formés qui avancent à l’intérieur de l’entreprise. La prise en compte de la dimension humaine est fondamentale. Il nous arrive de considérer que le potentiel des gens est plus important que l’organisation elle-même et donc que c’est à l’organisation de se rapprocher des qualités des gens.

L’entreprise est toujours là quand les gens veulent avancer et c’est son rôle de former, de faire évoluer. Notre dernier directeur de production a commencé à travailler à la machine. Dans l’entreprise, chacun a l’idée que rien n’est impossible.

Une marque de valeur

Notre deuxième force est notre marque et les valeurs auxquelles nous allons nous identifier ainsi que les consommateurs, c’est-à-dire une certaine idée de la séduction,

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de l’humour et de la créativité. Ceux qui connaissent l’image de notre entreprise comprennent que ceci se retrouve dans notre concept de leçons. Dans ce concept, la lingerie est mise en valeur en suivant l’idée qu’elle doit être une lingerie de séduction mais qui autorise une certaine dose d’humour. L’arrivée de femmes à des postes de responsabilité a certainement modifié notre vue de la séduction, désormais moins traditionnelle et stéréotypée.

Pour développer la marque, il faut développer la créativité et donc prendre des risques. Nous proposons cinq collections par an, nous sommes capables d’utiliser des matières a priori antinomiques avec la séduction, comme le coton, ceci parfois contre l’avis de nos revendeurs détaillants. Cette ligne que nous avions créée comme une tendance est devenue notre ligne permanente et représente 20 % de notre chiffre d’affaires.

Bien calculée et gérée, la prise de risques est bénéfique. Elle peut porter sur les produits mais aussi sur la stratégie. Dans les années 90, la politique des entreprises était plutôt de pratiquer les prix les plus bas possibles, avec la montée en puissance de la grande distribution. Notre choix consistait donc à accepter d’aller dans ce sens, et donc de diminuer la qualité des produits, ou de monter en gamme, même à contre-courant, de travailler davantage la créativité et de faire des produits plus sophistiqués et originaux. Il fallait pour cela travailler autour de l’image, de la marque, de la fabrication française, de la qualité et d’un excellent rapport qualité-prix. C’était une grande prise de risque qui s’est avérée payante. Elle nous a permis de nous développer. D’autres ont fait des choix différents qui ont pu réussir aussi.

Ceci est possible car nous bénéficions, dans le cadre d’une entreprise familiale d’une certaine pérennité, si on oublie les droits de succession qui entraînent parfois la disparition pure et simple d’entreprises. Notre secteur a fait l’objet de beaucoup de concentrations dans les dernières années. De grands groupes américains ont racheté beaucoup

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d’entreprises familiales comme Lou ou Boléro, les ont regroupées et ont mis en place des synergies, notamment en amont dans la créativité. Cela a perturbé leurs images et ces entreprises jadis fortes, aujourd’hui adossées à de grands groupes, sont quasiment exclues du marché. Donc ce n’est ni toujours, ni nécessairement la finance qui fait le succès des entreprises textiles. Ce n’est pas en tout cas le point de départ. Les entreprises qui n’ont pour préoccupation que le profit à court terme ont peu de possibilités de se développer à long terme dans nos métiers.

L’exportation

Le dernier point, et je rejoins les précédents intervenants, est le développement vers l’extérieur. Les entreprises doivent êtres ouvertes. Lorsque les Américains viennent chez nous, comme Donna Karan ou Calvin Klein, je me réjouis parce qu’ils comprennent ce que nous sommes, évoluent en termes de création, modifient les comportements chez eux, ce qui nous ouvre de nouveaux marchés. À cet égard, le DEFI nous aide infiniment puisque nous nous sommes regroupés autour de Promaccord et nous avons bénéficié d’actions communes. La force des italiens c’est d’être toujours ensemble, entreprises, fournisseurs et ceux qui sont en aval.

Nous regrouper autour de la lingerie française nous a permis de nous développer sur des marchés d’où nous étions absents, comme les États-Unis où nous avons créé une filiale cette année.

Gérard BONOS

Merci. Dans les années 70, certains disaient que le monde de la mode était sans issue et qu’il n’y avait plus de place. Puis, est venue une multitude de jeunes créateurs ou entrepreneurs qui ont offert la démonstration que rien n’est jamais écrit. Le secteur de la haute couture brille, je donne la parole à Sidney Toledano.

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Le repositionnement réussi d’une grande marque

SIDNEY TOLEDANO

Président-directeur général de Christian Dior couture

Mesdames, messieurs, bonjour. Monsieur le président, je vous remercie de m’avoir invité à votre colloque. Nos voyages ne nous permettent pas toujours d’y assister mais j’ai été passionné par les interventions que je viens d’entendre. J’ai entendu des mots familiers : créativité, image, qualité, différenciation, réactivité, rapidité, force commerciale, points de vente, marques, protection, marketing, jeunes, compétences. Ce sont les clés de notre stratégie.

Historique de la marque

Je rappelle que Christian Dior Couture est une filiale du groupe Christian Dior qui contrôle le groupe LVMH. Christian Dior a été créé par Marcel Boussac, un homme du textile qui s’est dit un jour que pour vendre plus de tissus, il fallait faire appel à un créatif, monsieur Dior, c’était en 1947. Le modèle Dior a dû être changé. Sans revenir sur l’historique, dès les années 50, monsieur Dior avait compris la puissance et la notoriété d’une marque et avait créé le concept de licence. Cela a permis de créer ce que l’on appelle aujourd’hui des concepts globaux, puisqu’ils étaient mondiaux. Dior est arrivé à New York dès février 1947 et a traité avec les grands magasins dès cette époque. Puis,

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l’Amérique de Sud et l’Asie ont rapidement suivi et Dior est devenue une marque mondiale, globale, tous produits.

En 1997, nous avions plus de 300 licences dans le monde. Dior était sublime en France, les défilés de haute couture, un magasin vitrine avenue Montaigne. Mais cette marque parmi les dix plus connues du monde, tous secteurs confondus, vendait sous son nom des produits indignes d’elle. Lorsque je suis arrivé chez Dior en 1994, j’ai découvert des chemises en polyester, distribuées par des canaux impossibles, des cravates en polyester, des sacs à mains fabriqués en Corée. Ce n’est pas la délocalisation qui nous gênait mais la pauvreté du produit, aux prises avec des exigences de rapport qualité-prix impossibles.

Le changement de stratégie

Pour changer cela, il a fallu d’abord trouver un nouveau créatif. Il fallait du courage pour trouver quelqu’un d’hyper créatif dont la notoriété pouvait aller au-delà de l’hexagone puisqu’il s’agit pour Dior de vendre dans le monde entier. Nous avons nommé John Galliano, Anglais, de mère espagnole, qui parle français et qui vit à Paris. Nous avons été critiqués à l’époque. L’homme va très loin, est un artiste, porteur d’image. Les résultats vont, je l’espère, vous convaincre.

Les raisons du changement de stratégie

Nous avions autant de produits que de licenciés, plus de 300. Une qualité impossible, inégale, un produit dont le style n’était même pas respecté, puisque le licencié coréen faisait des adaptations. La production n’était ni française ni européenne. Nous nous contentions de signer des contrats et de faire rentrer des royalties. Le danger, c’était l’incohérence. L’environnement concurrentiel avait changé. Deux entreprises françaises avaient déjà opté pour une politique complètement intégrée de la conception du produit à la production, à l’intégration de la distribution. Je donne

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l’exemple de Louis Vuitton, qui de maroquinier est devenue la plus grande entreprise de luxe au monde, qui fabrique en France dans ses usines et qui n’a pas assez de capacité de production. Chanel avait aussi cette même approche : intégration, fabrication de produits de très haut de gamme en France.

Une image cohérente

Désormais, l’image produit est cohérente car ils sont développés dans nos studios, fabriqués en France ou en Italie, pays qui ne représente pas pour nous un marché à faible prix, mais, pour certains produits, une rapidité, une flexibilité et une qualité uniques.

Nous menons une politique de prix mondiale. Nous vérifions toutes les semaines les différentiels de prix entre les pays. Nous avons un système de tracking de prix car le réseau de distribution est intégré.

Nous avons énormément investi dans les défilés de haute couture. Je rappelle qu’y viennent près de 500 à 600 journalistes, plus de 100 chaînes de télévision couvrent l’événement. Cela donne une couverture médiatique extraordinaire. Or ce n’est pas avec de petits défilés, qui ressemblent à des défilés de showrooms voire de salon, que l’on attire la presse mondiale. Quand je vois la presse frileuse, parfois en France, s’interroger sur les sommes investies dans ce qu’ils appellent des “ extravagances ”, je réponds que nous sommes des chefs d’entreprises responsables. Si nous faisons ces investissements, c’est qu’ils sont utiles, comme la formule 1 l’est à la voiture.

La cohérence de l’image passe par la publicité. Il s’agit d’investissements importants et de paris créatifs. De nombreuses campagnes de publicité s’inspirent maintenant de campagnes osées que Dior avait faites il y a quelques années.

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Nous avons aussi un réseau mondial de boutiques avec des vitrines cohérentes dans l’ensemble du monde pour consolider l’image.

Les campagnes printemps-été 2000 et automne-hiver 2000 ont été mondiales et ont eu un très grand retentissement.

Le contrôle de la distribution.

Dans les produits de haut de gamme, la bataille est féroce. Les réseaux multimarques se sont réduits. Ceci dit, j’ai espoir que certains d’entre eux, qui ont su travailler des concepts, vont certainement survivre voire se développer. Les Italiens sont à ce titre exemplaires. Ils ont un réseau multimarque performant.

Il a fallu maîtriser la distribution, donner une visibilité de la marque. Nous étions auparavant dans les rayons généraux des grands magasins. Il faut un espace pour représenter sa marque. Ainsi, dans les grands magasins américains et japonais où nous sommes présents, nous avons convaincu nos partenaires d’avoir de véritables boutiques à l’intérieur de ces grands magasins. Nous gérons l’espace, la présentation des produits, la force de vente et nous contrôlons nos prix.

Nous effectuons un meilleur suivi de la clientèle dont les comportements d’achat changent. Il serait trop long de vous parler des banques de données mondiales que nous constituons, internet nous y aide, puisque la raison d’être de notre site n’est pas de vendre des produits mais de constituer des bases de données clients et donner des conseils et des informations sur la proximité de nos points de vente.

Nous arrivons maintenant à contrôler, à partir de la marge de production, la marge de gros et la marge de détail. Ce sont des marges qui permettent de réinvestir en marketing, production et distribution.

Je vous donnerai juste un exemple de l’évolution du réseau. En 1994, la marque Christian Dior ne contrôlait que six

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points de ventes dans le monde. À ce jour, nous en sommes à 96 magasins propres dans le monde, je ne compte pas les multimarques. Nous couvrons tous les continents et prévoyons d’ouvrir une vingtaine de boutiques dans le monde par an dans les trois ans qui viennent.

La boutique Dior de New York fait 1 000 m2 en rez-de-chaussée et vient d’être complétée par une joaillerie de près de 150 m2. Elle fait partie d’un immeuble qui nous appartient et a été dessinée par un architecte français, Christian de Portzamparc. Cet immeuble a créé l’événement. Si nous conservons notre originalité, nous aurons du succès. Nous avons prévu de nombreuses ouvertures en Corée, pays qui est pour nous un marché d’avenir.

Je voudrais vous montrer un graphique. Nos redevances de licences étaient de plus de 300 millions de francs en 1993. Il nous a fallu renoncer stratégiquement à ce revenu de royalties, qui comme vous le savez va directement en bas de ligne. Nous avons dès lors commencé des investissements d’ouverture de magasins, d’intégration de personnel, créer une culture de développeur, de producteur… Cependant, dès l’année 1998, la courbe du chiffre d’affaires a grimpé. En 2000, c’est l’explosion.

Des perspectives

Pour conclure, depuis 1999, Christian Dior couture a finalisé son repositionnement stratégique et recouvré la voie des bénéfices. En 1998, nous avons atteint le point mort. La croissance a redémarré dès 1999 et à la fin juin 2000, la croissance du chiffre d’affaires était supérieure à 41 %. La rentabilité s’améliore également.

Nous contrôlons complètement la conception des produits, l’image. En termes de production, nous travaillons en particulier à améliorer la partie prêt à porter en France. Nous fabriquons la maille en Italie et la maroquinerie en France et en Italie. Nous n’avons aucune autre délocalisation. Nous

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n’y sommes pas opposés, à condition que les pays, et je pense au Maroc, aient une main d’œuvre de très haut de gamme ; dans ce cas, nous pourrions être ouverts. Dans tous les cas, nous avons besoin d’une importante valeur ajoutée.

Christian Dior couture reçoit des candidatures, et c’est relativement nouveau, en fait depuis trois ou quatre ans, de toutes les grandes écoles françaises : HEC, l’ESSEC, Polytechnique… Nous avons des accords avec elles et nous prenons les meilleurs. Nous avons des candidats des universités américaines, italiennes. Concernant la main d’œuvre, nous avons nos ateliers de haute couture qui est le plus grand au monde ; la main d’œuvre est extrêmement qualifiée. Ce sont des métiers à faible technologie mais il s’agit d’artisanat de luxe qui exige beaucoup de savoir-faire au niveau de la créativité et de la force commerciale. Les jeunes viennent vers nous, nous avons des cadres de très haut niveau. Je pense que nous participons à une activité textile qui est très valorisante pour des jeunes et des dirigeants et je crois que mon enthousiasme en est la preuve.

Je vous remercie.

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TABLE RONDE Animée par Gérard BONOS,

Rédacteur en chef de Radio classique

INTERVENANTS

Martine CANDELIER

Présidente de la Fédération textile habillement de la CFE-CGC

Maurice COTTE

Chef du service des industries manufacturières au ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie

Brigitte DOUAY

Députée du Nord, présidente du Comité national anti-contrefaçon

Christian LAROSE

Secrétaire général de la Fédération textile habillement cuir de la CGT

Yves NICOLIN

Député de la Loire, vice-président du Groupe d’études de l’Assemblée nationale sur l’Industrie textile habillement

Serge REUTENAUER

Secrétaire général de la Fédération textile cuir habillement de la CFTC

Francis VAN DE ROSIEREN

Secrétaire général de la Fédération cuir textile habillement - FO

Martial VIDET

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Secrétaire général de la Fédération Hacuitex - CFDT

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Introduction à la table ronde

GÉRARD BONOS

Rédacteur en chef de Radio classique

Voici venu l’heure de la première table ronde. Tous les acteurs de la profession sont ici pour tenter de cerner où sont les points de blocage et les issues possibles. Du dialogue qui va suivre jailliront peut-être des pistes. Dans un premier temps, chaque personne va nous faire part de sa vision. Je cède donc la parole à Yves Nicolin.

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Les initiatives au niveau régional

YVES NICOLIN

Député de la Loire, vice-président du Groupe d’études de l’Assemblée nationale sur l’Industrie textile habillement

Je voudrais rappeler quelques chiffres qui illustrent l’importance de la filière. Elle est une force industrielle qui réalise 170 milliards de chiffre d’affaires en France et plus de 1 200 milliards en Europe. Elle représente le deuxième employeur industriel français, derrière l’automobile, et le premier employeur industriel en Europe. Nous sommes donc en droit d’attendre un certain nombre d’engagements de la part de ceux qui font vivre la filière mais aussi des pouvoirs publics qui créent les conditions d’un développement durable. Une autre force de la filière est sa territorialité. Elle est implantée autour de pôles d’excellence, comme le Nord, Rhône-Alpes, Midi-Pyrénées ou la région de Troyes.

Que faire pour aider cette industrie ? Au plan national, nous enregistrons des résultats. Le plan Borotra a donné des fruits extrêmement positifs. Certains aspects sont plus négatifs, comme la TGAP ou les 35 heures. Au plan européen, des actions sont à mener. À cet échelon, la marche à suivre semble moins claire. Or là se trouve le point clé des décisions qui doivent se prendre en matière de textile habillement, pour les industries de main d’œuvre.

Il est également possible d’aider cette industrie en agissant au plan régional. À Roanne, nous avons fait le choix de l’action

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et des compétences. Depuis 18 ans, la biennale du textile permet de soutenir la notoriété de la ville. Je voudrais vous parler de Mutex, pari de la formation. En 1997, nous avons décidé de mettre autour de la table les partenaires de la filière et les pouvoirs publics. En novembre, nous signions le plus vaste plan de formation dans le secteur sous le nom de Mutex. Ses objectifs sont de sensibiliser les dirigeants sur l’avenir de leur entreprise. Confrontés au quotidien, ils ont du mal à mettre leur entreprise en perspective. Il s’agit également d’inciter les entreprises à travailler différemment, à penser en termes de réseau et de sensibiliser les dirigeants à former leurs salariés et à se former eux-mêmes.

Pour affronter l’avenir, il faut que l’ensemble des salariés soit formé aux nouvelles techniques. Pour cela, il fallait d’abord que le chef d’entreprise accepte de se former afin de s’impliquer dans des groupes de dirigeants. 190 000 heures de formation, 31 millions de francs investis dont 6,6 directement par les entreprises, voilà le bilan de Mutex. Il a concerné 49 entreprises d’une grande variété. Près de 2 000 personnes ont ainsi pu être formées. La formation est donc un paramètre incontournable de la stratégie de l’entreprise. Mutex a fait des émules. La formation des dirigeants leur a permis de déterminer une nouvelle stratégie d’attaque du marché.

Les fabricants et les façonniers roannais se sont parlé et ont mis en place des initiatives collectives comme la création d’un groupement d’employeur afin de pallier le manque de personnel qualifié de production qui compte 25 entreprises et emploie 40 personnes ou la mise en place d’un centre de formation spécialisé dans le textile, c’est le groupement Garance. L’exemple roannais se développe aujourd’hui en Midi-Pyrénées ou à Troyes avec Stratex ou Evolutex. Aujourd’hui Mutext2 regroupe 31 entreprises et permet aux entreprises de se parler et d’être plus forts pour aborder de nouveaux marchés.

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Gérard BONOS

Merci. Nous allons nous pencher sur le problème de la contrefaçon avec madame Douay.

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Le problème de la contrefaçon

BRIGITTE DOUAY

Députée du Nord, présidente du Comité national anti-contrefaçon

Mesdames, messieurs, je suis élue depuis trois ans dans le cambrésis où le textile, la dentelle et la broderie représentent encore 30 % de l’emploi industriel. Les PME locales m’ont immédiatement sensibilisée au problème de la contrefaçon.

Vous en connaissez tous les lourdes conséquences économiques, estimées à 7 % du commerce mondial, entre 500 et 600 milliards de francs par an dont 100 milliards pour la France. On estime à plus de 100 000 en Europe et à plus de 30 000 en France le nombre d’emplois perdus, sans compter la fraude fiscale, douanière, le travail clandestin, le blanchiment d’argent sale et surtout les risques pour la santé des consommateurs. Le luxe et la filière textile sont bien évidemment touchés, mais tous les secteurs sont atteints : tout ce qui peut être copié en grand nombre et à moindre coût est une cible. La contrefaçon peut aussi être d’origine franco-française, puisqu’une partie non négligeable émanerait de la grande distribution.

Les victimes sont de plus en plus nombreuses et variées, puisque les PME PMI sont de plus en plus touchées. Les modes d’action des contrefacteurs ont changé, passant d’une sorte d’artisanat à une organisation internationale. Les criminels savent s’adapter aux nouvelles technologies.

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L’OMC a identifié une soixantaine de pays qui participent peu ou prou à ce commerce illicite. Sept marques sur dix copiées dans le monde sont françaises, ce qui n’est pas étonnant car 47 % de l’industrie du luxe est française. Malgré la prise de conscience précoce, de la part de l’industrie du luxe, de ce fléau, la vigilance ne doit pas retomber pour ce secteur. La situation est identique dans le textile habillement : les copies de marques et modèles représentent aujourd’hui 10 % à 16 % du marché intérieur après l’informatique et l’audiovisuel.

Comment lutter contre ce vol de notre patrimoine ? La France dispose probablement du meilleur arsenal répressif. La loi Longuet fait de la contrefaçon un délit pénal puni de deux ans de prison et 1 million de francs d’amende. Pour que la lutte soit efficace, il faut que les entreprises soient informées, qu’elles intentent des actions en justice mais aussi que les magistrats soient formés pour apprécier le préjudice. C’est la chaîne de l’information, de la répression, de la formation. Pour contribuer à cette information, le Comité national anticontrefaçon, créé en avril 1995, réunit les administrations et les professionnels pour confronter leurs analyses et leurs expériences. Il dresse un bilan régulier des actions menées et propose des améliorations du dispositif national. Il effectue aussi des missions de sensibilisation vers les pays “ sensibles ”. Un rapport sera remis prochainement au secrétaire d’État à l’Industrie avec des propositions concrètes.

Si en France la mobilisation des partenaires privés et publics semble porter ses fruits, tous demandent une intensification des actions au plan international et d’abord européen. On ne peut donc que se réjouir des propos tenus il y a trois semaines par l’ensemble des participants au Forum européen contre la contrefaçon et la piraterie organisé à Bercy par la Commission européenne et la Douane française. Forte des conclusions du Livre vert, la Commission devrait adopter bientôt un plan ambitieux. Une directive visera à rapprocher les législations des États membres sur le sujet. Elle comportera un volet de formation pour les agents de contrôle, y compris les

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fonctionnaires des pays candidats. Se concerter, c’est renforcer la répression et la dissuasion sur ce qui menace notre santé économique et nos emplois. Avancer vers l’avenir, c’est protéger nos innovations.

Gérard BONOS

Merci madame. Je vais passer la parole aux représentants syndicaux.

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Le point de vue de la CFE-CGC

MARTINE CANDELIER

Présidente de la Fédération textile habillement de la CFE-CGC

Mesdames et messieurs, je voudrais vous exprimer nos préoccupations au niveau de la branche et notre souhait de trouver des solutions. Je voudrais relater un courrier de mars 96 qui m’a laissée consternée et perplexe car il est lourd de significations. Ce courrier de la CFE-CGC adressé à un député fait mention de 12 interventions officielles auprès des pouvoirs publics entre 1977 et 1995. Le constat aujourd’hui est que seules des mesures palliatives ne portant effet que sur le court terme ont été mises en place.

Nous sommes tous d’accord sur des constats inutiles à rappeler, sur une réflexion en terme d’innovation, d’image positive offensive, sur notre souhait de voir notre branche se dynamiser. Mais en étant très lucide et pragmatique, on s’aperçoit que la situation est de plus en plus préoccupante.

La mondialisation est un phénomène inéluctable, nous allons vers un élargissement des échanges commerciaux et la constitution d’une zone paneuropéenne initialisée au congrès de Barcelone qui aura un impact fort au niveau de nos emplois. On assistera à un transfert d’emplois, à une perte considérable de nos emplois. Bien sûr nous nous inscrivons dans une démarche européenne, l’ouverture de nos marchés est un défi positif et stimulant mais au niveau de notre

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branche textile, nos intérêts sont en partie antagonistes. La réalité des délocalisations est brutale et certaines publicités sont une injure pour nos salariés.

En parallèle à cette logique économique, nous faisons deux natures de constats :

• Sur le plan commercial, les différents pays n’offrent pas le même niveau de concurrence. Il est urgent de s’inscrire dans une démarche de loyauté, d’éthique, de réciprocité et que les vides réglementaires soient comblés.

• Sur le plan social, nous sommes confrontés à deux problématiques.

- Au niveau de la France, la situation est grave à cause du retard observé par rapport aux exigences du marché. Notre souhait de dynamiser notre branche en terme d’image, de technologie, de marketing est fort, mais nous ne sommes pas encore prêts à affronter la situation ; exemple : la formation a pris du retard…. Il est urgent de prendre en compte la dimension humaine et d’accompagner les mutations. Des mesures sociales, du type préretraites, doivent être prises. Il faudra aussi prévoir un plan textile national ambitieux.

- Au niveau de l’Europe, l’ouverture des marchés avec beaucoup de libéralisme nous laisse interrogatifs sur le plan social à cause de l’hétérogénéité ou même l’absence de politiques sociales dans certains pays. Il faut converger progressivement vers une politique sociale européenne en définissant un cadre social minimal, autrement dit une dimension sociale avec des normes et le respect de droits sociaux fondamentaux. Nous sommes confrontés à un commerce mondial mais nous devons exiger un commerce loyal et socialement responsable.

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Le textile français doit trouver sa vraie place et ne doit pas être sacrifié dans le cadre de la mondialisation. Nous exprimons le souhait d’une politique claire et offensive entraînant une industrie textile forte, ambitieuse, sociale, porteuse d’emplois et d’espoirs.

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Le point de vue de la CGT

CHRISTIAN LAROSE

Secrétaire général de la Fédération textile habillement cuir de la CGT

Si je partage l’idée qu’une prise de conscience est en cours sur le dossier du textile et de l’habillement, je ne suis pas d’accord sur tout ce qui est évoqué. Je ne crois pas que l’abaissement des charges sociales va régler les problèmes de l’industrie textile. Certes, nous sommes dans une phase de forte mutation, mais cela signifie des drames comme en 1999, où nous avons perdu près de 20 000 emplois. Nous devons aborder ces questions pour ne pas laisser des gens au bord de la route. Même dans des entreprises qui vont bien, comme Lacoste, il existe de gros problèmes d’emploi.

Certes s’il existe une prise de conscience que l’on ressent au niveau européen, avec les prises de position de Pascal Lamy à Seattle et depuis à diverses reprises, j’attends d’un gouvernement de gauche des prises de positions claires et offensives au plan économique et social. Je n’ai pas envie de passer ma vie dans des colloques à discuter sans voir de décisions tomber. La croissance est inégale, des bassins d’emploi sont en plein marasme. Cessons de ressasser sur les 35 heures. La loi est la loi. Soyons optimistes. On ne peut pas recevoir et ne pas donner. Nous pensons qu’il faut aider les PME de manière intelligente. Mais il faut des contreparties.

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On parle beaucoup d’image. Quelle est l’image sociale de l’industrie du textile ? Nous avons posé des questions, nous voudrions des réponses. Il est normal que les droits des comités d’entreprises évoluent. Sur les aides publiques, le principe du guichet unique est impossible. Il va aussi falloir trouver des solutions pour essayer d’encadrer les délocalisations. Il faudrait aussi moraliser la politique de l’État en matière de marchés public et de sous-traitance, où règne la loi de la jungle. Il faut aborder toutes ces questions sans retenue au plan social. Si l’on ne peut pas tout régler tout de suite, commençons à avancer et montrons que ça bouge. Nous sommes prêts à engager ce débat sur le plan social comme sur le plan économique.

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Le point de vue de la CFTC

SERGE REUTENAUER

Secrétaire général de la Fédération textile cuir habillement de la CFTC

Je voudrais évoquer la question des aides publiques. Nous voulons faire remarquer que trop longtemps, les entreprises ont vécu sans investir : aujourd’hui, l’outil est inadapté. Les entreprises ne sont plus rentables et ferment. Nous ne pouvons accepter que ces fonds ne servent qu’à financer des plans sociaux qui sont devenus monnaie courante comme à la filature DMC à Mulhouse. Nous demandons plus de clarté et des contrôles plus stricts.

Les délocalisations n’ont pas des conséquences seulement sur les emplois mais aussi sur les compétences. Le besoin de formation augmente. Cibler les aides pour une vraie politique de l’emploi est indispensable : nous ne voulons pas d’aide sans un engagement durable sur l’emploi. La précarité se développe. Les 35 heures signifient la flexibilité à outrance. Nous nous félicitons de l’engagement d’aboutir sur les mesures d’âge mais il faudrait aller plus loin car la déroute du textile ne pourra être enrayée sans un énorme effort de formation.

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Le point de vue de la CFDT

MARTIAL VIDET

Secrétaire général de la Fédération Hacuitex - CFDT

La question posée sur les stratégies de croissance et les enjeux doit intégrer la dimension économique autant que sociale. Je voudrais soulever trois points, l’emploi, la transparence et le social.

Nous sommes conscients des contraintes du secteur mais nous voulons intégrer de manière positive la dimension sociale. Le retour de la croissance en France et les 35 heures ont eu des effets positifs sur l’emploi. Mais ce bilan n’est pas pour l’instant positif dans la filière textile. Les faiblesses du secteur en matière de formation ont exprimé en l’occurrence leurs effets. Les entreprises ont des problèmes de recrutement et je crains qu’ils aient des répercussions négatives pour la filière. La montée en compétence nous apparaît être une urgence.

La transparence doit être une priorité, notamment sur la façon dont les produits sont fabriqués. Je pense à la sous-traitance internationale, au travail des enfants, aux difficultés de se syndiquer. Un nombre de règles minimum doivent être respectées. Il est donc nécessaire d’informer le consommateur sur ces thèmes.

L’accompagnement social est indispensable. Il est inadmissible de laisser sans possibilité de reclassement et dans de grandes difficultés financières les salariés qui

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subissent et vont subir les mutations du secteur. Nous sommes prêts à faire aboutir rapidement les négociations en ce sens.

Gérard BONOS

Merci. Nous aurons l’occasion de revenir sur tous ces propos.

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Le point de vue de FO

FRANCIS VAN DE ROSIEREN

Secrétaire général de la Fédération cuir textile habillement - FO

Monsieur le président, mesdames, messieurs, nous espérons que ce colloque sera suivi de manifestations concrètes. Son thème nous paraît ambitieux en ce sens qu’il évoque une croissance des industries du textile et de l’habillement. Cette croissance, que nous souhaitons, nous paraît lointaine. Depuis longtemps, nos professions et l’emploi souffrent des délocalisations. On ne pourra évoquer la croissance sans avoir éradiqué ce fléau.

Pour compenser les prétendus coûts salariaux exorbitants, les salariés ont accepté ces dernières années des mesures régressives, des contrats à durée indéterminée à une flexibilité accrue en passant par le gel des augmentations de salaires. Rien n’y fait, les délocalisations continuent et je me demande si la croissance évoquée n’est pas celle des patrimoines personnels des chefs d’entreprise. Il est indispensable de renforcer le dispositif de reclassement des salariés les plus âgés qui souvent ont commencé très jeunes. Les pouvoirs publics doivent donc s’impliquer plus directement afin de doter nos industries d’un outil fiable, comme cela a été fait dans l’automobile. Ainsi, nous proposons la mise sur pied d’un fonds national paritaire de branche, co-financé par le patronat et l’État et qui servirait à accompagner dignement les départs de ces salariés âgés de plus de 50 ans. Depuis 1992,

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les entreprises de plus de 50 salariés qui licencient des salariés de plus de 50 ans, doivent verser à l’Unedic une “ contribution Delalande ”. Ne pourrait-elle pas alimenter ce fonds, tout comme une pénalité sur les délocalisation ? Une autre source de financement pourrait venir des pouvoirs publics : les remboursements, exigés par Bruxelles, des avantages accordés dans le cadre du plan Borotra. En aidant à la mise en place de ce Fonds, les pouvoirs publics œuvreraient à la sauvegarde de l’emploi dans nos professions.

Gérard BONOS

Merci. Dernier préambule avant que je ne demande à messieurs Adec, Grumbach et Sarkozy de réagir, je passe la parole à Maurice Cotte.

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L’action des pouvoirs publics

MAURICE COTTE

Chef du service des industries manufacturières au ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie

Monsieur le président, mesdames et messieurs, je voudrais évoquer trois points. Le premier concerne le dispositif de soutien aux entreprises. Il existe depuis 15 ans mais il est probablement insuffisamment connu. Il est articulé autour de quatre volets :

• l’investissement immatériel avec le fonds régional d’aide au conseil (FRAC) et les procédures d’aides au recrutement des cadres (ARC) ;

• l’investissement matériel de modernisation de l’outil et de process (FOPMI) ;

• la diffusion des technologies à travers la procédure “ atout ” ;

• les actions collectives.

Ce dispositif est valable pour toutes les industries manufacturières et donc pour le textile habillement. Sur la filière, il peut être centré sur deux axes. Le premier axe porte sur la performance de la filière, qui s’appuie sur une organisation différente fondée sur la mise en réseau des entreprises. Le deuxième axe consiste dans l’innovation en matière de produits et de process. Elle concerne principalement les nouvelles technologies de l’information et de communication. Les actions ont pour objectif de

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développer l’utilisation d’internet dans le cadre de réseaux d’entreprises. On peut y ajouter ce qui est fait dans certaines régions sur les textiles techniques et fonctionnels notamment en Nord-Pas-de-Calais et en Rhône-Alpes. Chaque année, environ 300 à 350 projets sont accompagnés ce qui représente un montant de l’ordre de 150 millions de francs en y ajoutant le soutien de l’ANVAR.

Ces axes de travail doivent assurer une meilleure compétitivité. Pour assurer une meilleure connaissance de l’action de l’État et des besoins des entreprises, les DRIRE visiteront individuellement toutes les industries du textile et de l’habillement, c’est-à-dire autour de 4 000 entreprises. Aujourd’hui le tiers de ces entreprises a été visité. De ces entretiens individuels se dégagent différentes réflexions :

• une appréhension limitée par les PME de leurs marchés et de leurs stratégies : la réponse, c’est l’opération de type Mutex ;

• le déficit de qualification, au niveau non des cadres, mais des opérateurs et des techniciens ; nous travaillons sur les métiers-clé pour attirer des jeunes ;

• le sens des actions collectives : le travail en réseau exige des partenariats entre les entreprises ; il s’agit de démarches de type Clubtex.

En définitive, je retiens quatre pistes de travail.

• Une meilleure connaissance du dispositif d’accompagnement passe par une meilleure coordination entre les pouvoirs publics et les entreprises.

• Il faut assurer une meilleure connaissance de la partie transfert de technologie, innovation, recherche industrielle centrées autour de l’Institut français du textile et de l’habillement. Faudrait-il créer un réseau d’innovation ?

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• Il faut également assurer un meilleur développement des compétences nécessitées par l’évolution des entreprises.

• Le développement de partenariats d’entreprises est une autre piste capitale. À titre d’exemple, le 7 décembre dernier, lors du colloque “ Nouveau consommateur, nouvelles stratégies industrielles ”, le ministre Christian Pierret a annoncé le lancement en 2001 d’un appel à projet de partenariat associant entreprises et distribution.

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DÉBAT

Philippe ADEC

Je désirerais réagir à différentes interventions que nous venons d’entendre.

Monsieur Nicolin rappelait à juste titre que nous sommes le deuxième employeur derrière l’automobile, mais nous sommes moins choyés.

Madame Douay, nous sommes très attachés aux “ made in ”. Aujourd’hui, certaines entreprises l’appliquent même en cas de production délocalisée. Il faudrait que Bruxelles règle la question.

Madame Candelier, Fatex fait injure à nos salariés. Il est mondial aujourd’hui et nos façonniers doivent s’en réjouir. L’échange est profitable. Il faut former et encadrer les employés des entreprises délocalisées.

Monsieur Larose, je suis d’accord pour reparler des dispositions sur les 35 heures.

Monsieur Reutenauer, nous sommes un métier saisonnier et la précarité est normale.

Monsieur Videt, la reprise n’est pas due aux 35 heures.

Monsieur Van De Rosieren, pourquoi ne pas considérer que nos métiers ont été sacrifiés et créer une taxe pour assurer les départs en retraite ?

Gérard BONOS

Didier Grumbach, une réaction rapide.

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Didier GRUMBACH

Il est vrai que parler de stratégie de croissance sans parler de l’emploi n’est pas “ possible”. L’exposé de monsieur Toledano démontre qu’il y a des possibilités de croissance pour les sous-traitants français sur le modèle pratiqué par l’Italie. Nous pouvons conserver nos emplois de production dans des niches de qualité, ce qui n’exclut pas une délocalisation maîtrisée.

Nous sommes d’accord sur le problème de la formation ; nous manquons d’emplois qualifiés. La cité de la mode doit être un observatoire sur la formation. Nos professions sont enfin unies dans une seule filière, à travers le DEFI, qui permet de financer des projets transversaux. Nos professions n’en sont qu’une.

Guillaume SARKOZY

Je ferais une réponse collective. Je crois au dialogue de branche. En huit ans, de nombreux accords ont été signés et notamment un accord unanime en 1998, sur le temps de travail.

Le problème de fond est celui de la place de l’État dans le dialogue social. Il est habilité à demander des avancées sociales, mais quelle marge de manœuvre reste-t-il pour négocier ? On vient d’augmenter nos coûts horaires de 10 % et le SMIC va augmenter de 20 % dans les quatre ans qui viennent et on nous dit qu’il faut relancer le pouvoir d’achat.

Je voudrais finir par une remarque sur la baisse des charges. Nous avons été très mauvais pour expliquer la nécessité d’une baisse des charges. Nous avons trop parlé du coût du travail comparé. Le problème est celui du point d’équilibre de l’entreprise. Si les charges augmentent, le point mort augmente. Nous pouvons le maintenir en développant l’entreprise mais dans un marché aussi concurrentiel que le nôtre, c’est très difficile. Le problème revient à l’inflation des

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demandes globales : État, syndicats par rapport aux possibilités d’expansion de l’entreprise. En ce sens, le plan Borotra jouait un rôle très important car il conciliait SMIC, protection sociale et point d’équilibre des entreprises. Nous avons mal su l’expliquer.

Gérard BONOS

Merci. Je vais passer la parole à Vittorio Giulini, président de Sistema Moda Italia.

Vittorio GIULINI, Président de Sistema Moda Italia

Merci de m’avoir invité aujourd’hui. L’Italie a été souvent évoquée ce matin, mais je pense que nous avons oublié un acteur fondamental : la distribution. C’est à ce niveau que le système mode change. En Italie, nous discutons toujours sur ce thème. Le système mode y joue un rôle fondamental avec 15 milliards d’euros d’actifs dans la balance des paiements sans compter les achats des touristes. L’emploi est très important, 700 000 emplois directs et 1,2 million en comptant la distribution. Nous avons un dialogue très ouvert avec les syndicats pour transformer les magasins en chaînes.

La mode joue aussi un rôle social. Nous vivons en Europe dans des villes historiques et pendant des siècles, les gens se sont rencontrés dans les centres-villes autour des magasins. La catastrophe que nous vivons en Europe ne concerne pour l’instant que partiellement l’Italie : les centres-villes se désertifient. La ou les magasins de mode disparaissent, la criminalité augmente. Il faut recréer, avec les maires des villes, le tissu de détail urbain partout dans la ville. Le secret italien, c’est d’avoir de beaux magasins dans les petites villes. Il faut favoriser au maximum l’accès aux commerces. Si nous perdons la richesse du détail urbain de la mode, la ville meurt. Et si la ville meurt, on perd des votes.

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Sidney TOLEDANO

Je m’associe à cette approche qui est une des clés du succès sur le marché italien. Je voudrais souligner les difficultés que nous avons eu à ouvrir une boutique à Saint Germain-des-Prés.

Gérard BONOS

Didier Grumbach, vos membres se battent-ils pour aller dans les centres-villes ?

Didier GRUMBACH

Pour qu’il y ait des multimarques en centre-ville, il faut qu’il y ait de nouvelles marques. C’est par défaut de marques nouvelles que les détaillants ferment leurs portes.

Yves NICOLIN

Je partage l’analyse qui consiste à dire que la distribution est un élément clé. Mais notre pays a pris une orientation favorisant les grandes surfaces garantes de bas prix depuis très longtemps.

Gérard BONOS

Madame Candelier, vous vouliez réagir.

Martine CANDELIER

Nous nous inscrivons bien sûr dans une démarche européenne et mondiale. Il est clair que l’ouverture du marché est un défi positif et stimulant mais la zone euroméditerranéenne comporte des risques sociaux avec une nouvelle hémorragie de nos emplois. La question est : que prévoit-on, quelle reconversion ?

Gérard BONOS

De nombreuses questions émanent de la salle.

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De la salle

Le problème du textile en France vient de la distribution : certaines chaînes de magasins vendent quatre chemises pour 95 francs ! Quand le monde agricole est en difficulté, l’Europe vient à son secours. Le textile l’est depuis plus de 10 ans, que fait l’Europe ? La grande distribution est responsable de la fermeture de 50 % de nos usines, il faut les forcer à s’approvisionner en partie chez nous.

Gérard BONOS

Peut-on contraindre la grande distribution ?

Christian LAROSE

Je sais que c’est difficile. Mais l’État ne peut pas tout payer. Le problème des gens en difficulté est urgent ; quant à la grande distribution, j’entends le même discours depuis 20 ans. Nous ne sommes pas hostiles à une action équilibrée sur les grands magasins car derrière le magasin se trouve l’usine. Les producteurs et les distributeurs doivent discuter. En France, nous pouvons aussi produire et vendre de la qualité, de la bonne maroquinerie et de la bonne chaussure. Il n’y a pas que les Italiens !

Gérard BONOS

Jean-Pierre Balduyck, vous vouliez réagir.

Jean-Pierre BALDUYCK

Je voudrais savoir où en est la signature de la charte entre la distribution et l’industrie textile et de l’habillement, point sur lequel nous avons fait notre travail.

Brigitte DOUAY

Ce problème a été abordé dans le débat du projet de loi sur les nouvelles régulations économiques. Il y a eu des avancées, mais nous nous en saisirons de nouveau.

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Guy PERRIN, Directeur de Le Cardé

J’entends parler de charges élevées, de concurrence déloyale, de grandes surfaces ; il me semble que le textile connaît la mondialisation et c’est pourquoi il faut de la recherche et de l’innovation. Or l’Éducation nationale n’aide absolument pas le textile. Nous avons besoin de chimistes et d’automaticien de haut niveau.

Jean-Pierre GRILLON, Vice-président de l’Union des industries textiles

L’industrie textile a entamé une collaboration avec l’Éducation nationale et nous venons de signer un accord pour mettre en place les parcours modulaires qualifiants qui sont une avancée intéressante. Un pas après l’autre, nous avancerons. Les entreprises s’engagent. Sur certaines actions, nous sommes quelquefois à court d’entreprises candidates.

De la salle

Je voudrais interpeller monsieur Sarkozy sur ses propos concernant le déficit de qualification. Le problème est que les salariés sont mal payés dans la branche. Il est évident que les plus qualifiés s’en vont.

De la salle

À Cellatex, seulement sept personnes ont été reclassées. Derrière les discours, il y a la réalité du terrain, des dépressions, des drames, de la casse. Il faut que l’on ré-industrialise les régions sinistrées. Dans la pointe des Ardennes, le taux de chômage est de 25 %. Comment peut-on y reclasser du personnel ?

Guillaume SARKOZY

Je comprends les difficultés des ouvriers de Cellatex. Mais à mes yeux il s’agissait plus d’un problème géographique, celui

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des usines isolées, que textile. Sur ce dossier, je veux dire que j’ai été choqué par les méthodes utilisées.

Yves NICOLIN

Nous sommes tous, les élus, confrontés un jour ou l’autre, à des fermetures d’entreprises. Elles vivent et meurent. Comment peut-on réagir ? Bien sûr, quand une entreprise ferme à Lyon, cela ne fait aucune vague car le tissu local peut absorber des reclassés. Ailleurs, c’est peut-être différent. La vraie solution est de voir naître des entreprises pour compenser le traumatisme de celles qui disparaissent. Par ailleurs, certes l’Éducation nationale a ses torts mais les entreprises doivent accepter de prendre des jeunes en formation pour que l’expérience puisse se faire.

Brigitte DOUAY

J’ai vécu aussi des pertes d’emplois dans le textile et le Cambrésis est pauvre en créations d’emplois. Nous nous sommes battus, les élus ont travaillé ensemble et nous avons obtenu du Premier ministre que des mesures soient prises prochainement par un Comité interministériel d’aménagement du territoire. Nous devons nous mobiliser pour trouver des substituts.

De la salle

Nous sommes dans une situation sociale difficile car des pénuries d’emplois qualifiés dans des secteurs en pleine expansion cohabitent avec le chômage. Nous devons dépasser les clivages. Le problème du chômage devient celui des banlieues, des femmes. Je crains qu’il y ait une fuite en avant, puisque le plan Borotra a été rejeté par Bruxelles et qu’on ne l’a pas assez défendu. Il avait le mérite de montrer que ça pouvait fonctionner. Evidemment, la hausse des coûts due aux 35 heures et le remboursement des avances vont entraîner du chômage structurel de personnes non qualifiées.

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Martine CANDELIER

Avant qu’une entreprise ne meurt, il faut agir. Il est crucial d’anticiper de façon à pouvoir répondre rapidement aux nécessités de reclassement.

Guy SORLUT, Président-directeur général de la société Guy Sorlut M-C

Je suis industriel dans l’habillement et vice-président de la Fédération du prêt à porter. Je m’occupe de formation depuis trente ans et je collabore avec l’Éducation nationale. Aujourd’hui, notre profession est en danger, il n’y a plus d’enseignants, les chefs de travaux partent à la retraite sans être remplacés. Il y a quinze ans, notre métier était le dépotoir de l’Éducation nationale. Il faut connaître la base du métier même pour travailler derrière un ordinateur. Or cette base ne se transmet plus. Il est urgent d’agir. J’ai fait des propositions depuis longtemps et notamment de créer des usines écoles. Il existe des possibilités, mais il faut agir avec l’Éducation nationale.

Didier GRUMBACH

Monsieur Sorlut a raison. Aujourd’hui l’Éducation nationale est très intéressée par les métiers de la mode et elle agit dans ce sens.

Guy SORLUT

J’ai rencontré monsieur Mélanchon récemment, il me disait que le ministère maintient le principe du monopole. Cela m’effraie. Si on ne connaît pas la base, rien n’est possible. La haute couture rencontre des problèmes de main d’œuvre technique.

Gérard BONOS

Merci monsieur pour votre amour du métier.

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Didier GRUMBACH

La haute couture c’est essentiellement du prêt à porter. La chambre syndicale de la couture forme surtout des modélistes et nous avons dit aux candidats stylistes qu’il fallait qu’ils soient aussi modélistes et qu’ils s’intéressent aux métiers de production et de communication.

Martial VIDET

Nous évoquons souvent le manque de moyens en matière de formation. Nous avons, au niveau de la branche, un outil (le FORTHAC) dont tous les fonds ne sont pas utilisés. Donc les entreprises ne jouent pas complètement le jeu de la formation. Sont-elles prêtes à reconnaître la formation de leurs salariés et à la payer ? Soit certaines feront le choix de se délocaliser pour profiter de bas coûts salariaux, soit nous construirons une vraie filière française avec un label de qualité. Monsieur Adec parlait de la revendication du marquage d’origine : c’est une bonne idée, créons un label de qualité. Nous devons aussi reconnaître les compétences de nos salariés.

Quant au traitement social, il est impossible de considérer qu’il faut des aides uniquement pour traiter des aspects économiques, il faut aussi des aides pour le traitement du social. Si nous demandons des aides à l’État, la profession doit apporter des moyens complémentaires.

Maurice COTTE

Si nous voulons attirer des jeunes dans nos secteurs, il faut les informer, qu’ils les connaissent. Cela rejoint les problèmes d’image. En outre, nous devons être capables d’identifier les métiers de demain. Si nous faisons cela, nous avons un espoir d’attirer de bons élèves vers les métiers d’opérateur et de technicien, ceux qui posent problème aujourd’hui.

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Philippe ADEC

L’union française des industries d’habillement est consciente de ce besoin et organise à ce propos “ l’année des compétences ”. Je voudrais également attirer votre attention sur un problème que rencontre l’Éducation nationale dans ses lycées. Le temps manque pour former de bons professeurs, or ils nous demandent d’en accepter en stage. Ainsi, les élèves seraient mieux formés. Mais nous pourrions donner la parole à un professeur dans la salle sur ce point…

De la salle

Il faut noter qu’au cours de ces dix dernières années, de nombreux emplois ont migré de nos métiers vers la distribution. Or il existe des ouvertures importantes pour les techniciens dans la distribution. Il y a une fuite des techniciens et agents de maîtrise de haut niveau, qui contribue à la pénurie dans le secteur. Mais elle n’a pas les mêmes causes que celles que décrivait monsieur Sorlut pour la main d’œuvre d’exécution.

De la salle

Je suis professeur à l’Esa à Roubaix. Je voudrais vous rassurer sur le sens des responsabilités de l’Éducation nationale. Nous nous investissons dans la formation des jeunes et le potentiel pédagogique des établissements. J’attire votre attention aussi sur les problèmes de recrutement. L’industrie textile est contrastée. La mode et le stylisme attirent mais nous avons énormément de mal à recruter en productique textile, filature, tissage ou bonneterie. Le recrutement dépend de l’orientation. Il s’agit donc d’un combat collectif. Les jeunes ont besoin d’une vision claire des métiers. Or la carte du textile est brouillée. L’image n’est pas valorisante, les métiers sont considérés comme mal payés. Nous devons travailler ensembles à rénover l’image du textile.

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De la salle

Je suis conseiller du commerce extérieur et je voudrais reparler de l’Italie. Ce pays a creusé l’écart avec la France. De nombreuses raisons peuvent être évoquées. Pour ma part, j’en vois la cause essentielle dans le mode d’organisation des entreprises : je veux parler des districts industriels italiens, qui sont des lieux d’innovation et de concertation. En France, nous avons un club des districts industriels, présidé par Jean-Pierre Bel : qu’attend-on pour pousser ces initiatives ?

Gérard BONOS

Brigitte Douay va vous répondre.

Brigitte DOUAY

J’ai vécu une expérience assez cuisante de tentative de création d’un Pays de la broderie dans le Cambrésis. De gros moyens auraient pu être mobilisés, mais le projet n’a pu aboutir jusqu’à présent.

Vittorio GIULINI

Le district italien représente aujourd’hui un tiers de la production. Or il n’y a eu aucune politique de soutien à leur développement. Au contraire, ils se sont peut-être développés parce qu’il n’y avait pas de politique !

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STRATÉGIE EUROPÉENNE

ET INTERNATIONALE

DE COMPÉTITIVITÉ

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Introduction aux travaux de l’après-midi

GÉRARD BONOS

Rédacteur en chef de Radio classique

Mesdames, messieurs, cette deuxième partie de notre journée consacrée au textile habillement et à son avenir porte plus précisément sur la dimension internationale des évolutions en cours dans le secteur. Elle s’intitule “ Stratégie européenne et internationale de compétitivité ”.

Avant d’entamer la seconde table ronde, je vous propose d’entendre, en avant-première, quelques éléments d’une étude qui n’a pas encore été rendue publique. Réalisée à l’initiative des industriels, cette étude a pour thème les conséquences de la libéralisation des échanges textiles habillement en 2005 et l’amélioration de l’espace euroméditerranéen.

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PRÉSENTATION DE L’ÉTUDE SUR LES

CONSÉQUENSES DE LA

LIBÉRALISATION DES ÉCHANGES

TEXTILE HABILLEMENT EN 2005

ET L’AMÉLIORATION DE L’ESPACE

EUROMÉDITERRANÉEN

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Textile et habillement entre mondialisation et régionalisation

MICHEL FOUQUIN

Directeur adjoint du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII)

Je suis très honoré d’être aujourd’hui parmi vous. Pour un macroéconomiste, présenter ses analyses à un public plutôt sensible à des questions microéconomiques constitue une gageure. Il peut craindre en effet de se voir reprocher un discours trop général par rapport aux réalités quotidiennes de l’industrie.

Pour le CEPII, le secteur textile et habillement présente un intérêt particulier car bientôt s’annonce un nouveau cycle de négociations multilatérales. Sous l’égide de l’OMC, ce nouveau cycle devrait débuter d’ici l’été 2001. Afin de préparer cet événement avec la direction des relations économiques extérieures, le CEPII étudie, depuis un an, les politiques commerciales et l’impact de la libéralisation des échanges sur l’économie mondiale. Dans cette perspective, un partenariat a été établi avec l’Institut français de la mode et Pascal Morand pour mener une analyse particulière du secteur textile habillement.

J’ai eu le plaisir d’entendre monsieur Deveaux dire que le textile est le secteur précurseur de la mondialisation. Considérer l’industrie textile habillement du point du vue de la mondialisation conduit à souligner son avance par rapport

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aux autres secteurs industriels, cette industrie a ainsi été une des premières à être confrontée au développement industriel de l’Asie.

Mon intervention établira un pont entre mondialisation et régionalisation. En effet, au-delà de la mondialisation caractérisée par la révolution technologique et la nouvelle économie qui transforment les liens entre producteurs et distributeurs, nous avons constaté la persistance ou même l’accentuation de la régionalisation des échanges, phénomène qui nous a étonnés en tant qu’économistes généralistes. Je laisserai de côté la révolution technologique dont Pascal Morand vous dira quelques mots, pour revenir à notre sujet : la libéralisation des échanges dans le secteur textile habillement.

Le textile habillement, secteur symbolique des débats sur le protectionnisme

La protection dans le secteur du textile habillement est symbolique des problèmes posés par le protectionnisme. En effet, bien que distincts dans leurs problématiques, les secteurs du textile et de l’agriculture constituent systématiquement des enjeux majeurs pour les grands conflits commerciaux et l’agenda des négociations.

La longue histoire des conflits commerciaux débute après-guerre et fait suite à une période de libéralisation du secteur textile. Les conflits commerciaux opposent d’abord les États-Unis et le Japon en 1955. Ils se renforcent ensuite à mesure que se développent les pays asiatiques. En 1974, les accords multifibres mettent le textile hors la loi commune de la concurrence internationale en prévoyant un système de quotas et de protection de l’industrie textile habillement. Puis, en 1994, les accords de Marrakech décident que le textile habillement va revenir dans le droit commun du commerce international. L’accord ATC signé conduit à supprimer les quotas, à tout le moins du côté des pays développés, et à réduire les tarifs douaniers.

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Définir et mesurer les obstacles aux échanges

Une problématique difficile

De prime abord, mesurer les obstacles aux échanges peut sembler simple. Il n’en est rien. En 18 mois de travail au CEPII sur les politiques commerciales, la question de la définition et de la mesure de la protection s’est posée de manière récurrente. Mis à part les tarifs douaniers, en principe connus même s’ils soulèvent des problèmes dans leur application, les autres mesures forment un maquis complexe. Cette complexité se retrouve dans tous les secteurs mais elle est particulièrement forte dans le cas du textile habillement. Malgré ces difficultés, nous avons commencé à fournir une première mesure des obstacles protectionnistes.

Les obstacles tarifaires avant et après les accords de l’Uruguay Round

L’analyse concerne tout d’abord les obstacles tarifaires avant et après les accords de l’Uruguay Round. Ce schéma classique permet de comparer différents secteurs industriels : industries de base, biens d’investissement, biens de consommation, textile, habillement. Pour chaque secteur, le schéma indique la protection tarifaire moyenne avant et après l’Uruguay Round. Ainsi, les accords de l’Uruguay Round ont prévu de réduire d'environ un tiers les tarifs douaniers sur le textile et l’habillement. Cependant, aujourd’hui encore, le secteur a des tarifs douaniers parmi les plus élevés, avec 7,3 % pour le textile et 10,6 % pour l’habillement.

L’évaluation de l’équivalent tarifaire des quotas

Ensuite, l’étude du CEPII porte sur l’équivalent tarifaire des quotas. Les estimations provisoires permettent de conclure que les quotas doublent environ la protection tarifaire. Ainsi, pour une protection tarifaire sur l’habillement d’environ 10 %, l’effet des quotas mène à une protection globale de 20 %. Ces conclusions mériteraient d’être affinées.

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Les premiers constats sur l’évolution du secteur textile habillement

Un secteur protégé en plein bouleversement

Le paradoxe du secteur textile habillement réside dans le fait que, d’un côté, la protection est restée forte mais de l’autre, les bouleversements dans la concurrence internationale ont été parmi les plus spectaculaires. En d’autres termes, malgré la protection, il y a eu une progression extraordinairement vive des échanges internationaux du secteur textile habillement.

Des évolutions contrastées entre textile et habillement

Le textile est nettement moins protégé que l’habillement et pourtant, en termes de concurrence internationale, les échanges d’habillement sont extrêmement dynamiques. Ainsi la part de l’habillement dans le commerce international a doublé sur 30 ans, tandis que celle du textile a, dans le même temps, diminué. La dynamique des échanges est donc sensiblement différente entre le textile et l’habillement.

L’habillement, enjeu majeur des conflits commerciaux

L’habillement est un des secteurs qui échange le plus et ce mouvement va en s’accélérant, à tel point que par exemple, la part du marché intérieur américain détenu par les importations d’habillement est de 40 % contre 10 % pour le textile. Autrement dit, aux États-Unis, la pénétration des importations est quatre fois moindre pour le textile que pour l’habillement. L’habillement est donc l’enjeu essentiel des batailles commerciales.

Des évolutions en termes de centres et périphéries, l’analyse mondiale des avantages comparatifs

Les phénomènes ne sont pas homogènes dans les différentes parties de l’économie mondiale. Des échanges régionaux se développent entre des centres développés et des périphéries

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en développement. J’utilise l’image centre-périphérie car elle me semble commode.

L’évolution des avantages comparatifs en Europe

L’étude porte d’abord sur l’évolution des avantages comparatifs de l’Union européenne (UE), du bassin méditerranéen (BM) et des pays de l’Europe centrale et orientale (PECO). Les évolutions constatées surprennent. Pour les pays de l’Union européenne, l’avantage comparatif du textile est toujours positif et la situation s’améliore un peu depuis les années 90. En revanche, pour l’habillement, l’évolution à long terme est négative : l’Union européenne devient de plus en plus importatrice nette d’habillement.

Nos voisins méditerranéens connaissent, quant à eux, une évolution très différente de celle de l’Union européenne. Une spécialisation forte apparaît depuis le début des années 90 avec, d’un côté, un très fort avantage comparatif de l’habillement et, de l’autre, un désavantage comparatif marqué pour le textile.

Les PECO, République tchèque, Slovaquie, Pologne, Hongrie, connaissent une évolution analogue à celle du bassin méditerranéen avec une progression plus modeste pour l’habillement et un déficit très important pour le textile.

Avec le souci de vérifier si l’Union européenne était la seule à connaître une évolution singulière de textile et de l’habillement, l’analyse a été élargie à d’autres zones géographiques. Des évolutions analogues ont alors été dégagées.

L’évolution des avantages comparatifs en Asie

L’examen des pays asiatiques obéit à un schéma très particulier. Le Japon est en déclin continu sur une longue période pour l’ensemble de la filière textile. Il ne parvient pas à compenser son recul sur l’habillement par un renforcement sur l’amont de la filière textile

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En revanche, les NPI 1, ou Nouveaux Pays Industrialisés de la première génération, à savoir la Corée, Taiwan, Hong Kong et Singapour, sont confrontés à un déclin brutal de leur avantage comparatif sur l’habillement depuis les années 70 alors que ce secteur a longtemps constitué pour eux un pôle majeur de compétitivité. À l’inverse, l’industrie textile connaît un certain essor de son avantage compétitif, notamment en Corée et à Taiwan.

De son côté, la Chine connaît, à partir des réformes économiques des années 80, une montée extrêmement brutale de l’avantage comparatif de l’habillement, d’une part, et d’autre part, un déclin relatif du textile. Autrement dit, la Chine consomme énormément de textile et l’industrie nationale ne suffit plus à ses besoins.

L’évolution des avantages comparatifs en Amérique

L’analyse a enfin également porté sur les avantages comparatifs textile habillement en Amérique : États-Unis, Mexique et Amérique Latine. Les États-Unis présentent une évolution similaire à celle de l’Union européenne et des dragons NPI “ 1 ” en ce qui concerne le déclin de l’avantage comparatif de l’habillement. La situation textile des États-Unis est marquée par une stabilisation de l’avantage comparatif.

Depuis son alliance commerciale avec les États-Unis, le Mexique, connaît pour sa part une divergence des évolutions du textile et de l’habillement : l’essor relatif de l’avantage comparatif de l’habillement s’accompagne d’un déclin de l’avantage comparatif du textile. Même si les tendances nationales sont variées à l’intérieur de la zone Amérique latine, les évolutions globales sont proches de celles du Mexique.

Ainsi, l’étude mondiale de l’évolution des avantages comparatifs du textile et de l’habillement permet de dégager deux types d’évolutions contrastées : d’un côté celle des

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centres développés (Union européenne, NPI 1, États-Unis) et de l’autres celle des périphéries en voie de développement (Bassin méditerranéen, PECO, Chine, Mexique et Amérique Latine).

À côté de la mondialisation, la régionalisation renforcée des échanges internationaux

Cette étude a été complétée par l’analyse de l’intensité relative des échanges pour chaque zone de l’économie mondiale : Asie, Europe et Amérique. L’analyse a été menée d’un côté pour le textile et de l’autre pour l’habillement.

La régionalisation en Asie : l’intensité relative des échanges à l’exportation et à l’importation

L’analyse du Japon montre que l’intensité des échanges à l’exportation est particulièrement forte avec les dragons NPI “ 1 ”, la Chine et les pays de l’Asie du Sud-Est, que l’on rassemble dans le groupe NPI “ 2 ”. Dans ses exportations d’habillement, le Japon présente donc une préférence régionale marquée pour l’Asie.

De son côté, la Chine s’ouvre certes au monde mais d’abord au Japon et aux dragons, avec lesquels l’intensité de ses importations est la plus forte. Les relations à l’exportation de la Chine avec l’Union européenne sont inférieures à la normale, c’est-à-dire à ce qu’elles seraient si elles étaient proportionnelles au poids de la Chine dans le monde. Par conséquent, la distance géographique protège dans une certaine mesure les Européens de la concurrence chinoise.

Enfin, les NPI “ 1 ” ont pour principal fournisseur le Japon et pour principal débouché, la Chine. Ces analyses réalisées à propos des pays asiatiques montrent finalement que les évolutions en termes de spécialisation internationale sont directement reliées à l’évolution des échanges géographiques.

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L’intensité relative des échanges en Europe et en Amérique : des régionalisations comparables à l’Asie

Les mêmes constats peuvent être faits pour l’Europe et pour l’ALENA. Au total, il apparaît que la mondialisation ne doit pas faire oublier l’importance des phénomènes régionaux qui continuent d’être prédominants dans les relations économiques internationales et en particulier dans l’habillement.

Les résultats des simulations sur la libéralisation des échanges : l’impact de l’abolition des quotas

Le CEPII s’est engagé dans la réalisation de telles simulations dans le secteur textile habillement car jusqu’à présent, dans les négociations internationales, les simulations présentées étaient le plus souvent américaines et australiennes, très rarement européennes et encore moins françaises. L’enjeu consiste donc à combler un retard technologique en étudiant et reprenant les modèles utilisés par les Américains et les Australiens. Le CEPII a utilisé une version standard du modèle multinational, multisectoriel, le plus souvent utilisé par les équipes qui travaillent sur ces sujets. Ce modèle est supposé simuler les effets complets, globaux de chocs de politiques commerciales. Cette simulation porte sur les effets de l’abolition des quotas. Les premiers résultats doivent être appréciés davantage sur un plan qualitatif que quantitatif.

Les gains et pertes liés à l’abolition des quotas

Les résultats de la simulation placent l’ALENA en première position. L’ALENA serait donc la zone géographique la plus fortement bénéficiaire de l’abolition des quotas. Paradoxalement, l’Union européenne connaîtrait aussi des gains positifs.

Ces résultats s’expliquent par le fait que la simulation basée sur un modèle d’équilibre général additionne deux effets contradictoires : un effet “ négatif ” sur les producteurs et un

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effet “ positif ” sur les consommateurs. L’abolition des quotas provoque une perte pour le producteur des pays riches qui, n’étant plus protégé, est davantage concurrencé et voit sa part de marché baisser. Néanmoins, simultanément, la disparition des quotas induit un gain pour le consommateur, en raison de la baisse des prix liée à la concurrence accrue. Les gains des États-Unis et de l’Union européenne traduisent donc un gain du consommateur qui l’emporte sur la perte du producteur.

De plus, l’ALENA est une zone hybride entre États-Unis et Mexique. Il peut donc y avoir à la fois des gains de producteur pour le Mexique et des gains de consommateur pour les États-Unis. L’Inde puis la Chine seraient placées en deuxième position parmi les zones bénéficiaires de l’abolition des quotas : elles réuniraient à elles deux les principaux gains de producteur. Ces gains se situeraient entre ceux de l’ALENA et ceux de l’Union européenne. Le gain de l’Union européenne s’expliquerait par une raison analogue à celui des États-Unis : le gain du consommateur prédomine sur la perte du producteur. Le gain final, nettement inférieur à celui des États-Unis et de l’ALENA, serait lié au fait que l’Europe est globalement moins protégée.

Les variations de production dues à la fin des quotas

Les résultats en termes de production montrent que l’Inde, jusque-là en retard sur la Chine en termes d’internationalisation, peut profiter de l’abolition des quotas pour renforcer sa position dans le secteur textile habillement.

L’Inde connaîtrait donc une progression très forte de sa production sur le secteur de l’habillement. Les NPI 2 et la Chine connaîtraient un accroissement comparable de leurs productions textile habillement, cette hausse restant néanmoins inférieure à celle de l’Inde. Au sein du secteur textile habillement mondial, les productions en diminution seraient, par ordre d’importance décroissante, celles de

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l’ALENA et de l’Amérique Latine, de l’Union européenne, des PECO et du bassin méditerranéen.

Les évolutions des exportations induites par la suppression des quotas

Les effets de l’abolition des quotas sur les exportations seraient globalement moins marqués pour le textile que pour l’habillement. Les exportations indiennes progresseraient de manière considérable avec une hausse de 130 % environ. L’Inde prévoit officiellement d’exporter 50 milliards de dollars de textile d’ici 2005. Cette industrie sera donc sans doute l’objet de toutes les attentions du gouvernement indien.

Pour conclure, je soulignerai à nouveau que les modèles de simulation présentent des limites importantes. Néanmoins, ils sont élaborés avec le souci de rendre compte le plus honnêtement possible des évolutions probables. Le CEPII se tient bien sûr à disposition pour expliquer et détailler la démarche suivie et le sens des modèles. J’ajouterai un point important : la modélisation n’intègre pas les effets de l’investissement international, qui est par nature volatile et donc difficile à modéliser. Je vous remercie.

Gérard BONOS

Merci Michel Fouquin. Ce cadre général planté, nous abordons maintenant l’espace euroméditerranéen, qui présente des spécificités intéressantes à analyser car il agit comme un laboratoire.

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Quel avenir pour EUROMED ?

PASCAL MORAND

Directeur général de l’Institut français de la mode (IFM)

Mesdames, messieurs, je voudrais d’abord souligner que les travaux de Michel Fouquin ont permis la modélisation de l’économie internationale du textile habillement et de son évolution.

La modélisation du secteur textile habillement : un enjeu pour la France et l’Europe

Comme l’a déjà souligné Michel Fouquin, le cadre méthodologique a été défini par un modèle d’équilibre général adapté au secteur et a pris la mesure des modèles précédents et de leurs limites. Ainsi, certains modèles, dont les résultats étaient pourtant cités dans la presse, faisaient des hypothèses de non substituabilité entre les pays. Cela revient à considérer qu’il n’y a pas de compétition entre les pays, ce qui, pour le moins, est un peu loin du monde réel.

Le travail a donc consisté à traiter ces limites pour aboutir à un modèle encore en cours de perfectionnement. Je considère ce modèle performant : il va permettre d’effectuer d’autres simulations. La mise en place de l’étude s’est faite à la demande des professions et des pouvoirs publics, ce qui implique notamment que la France et l’Europe disposent désormais d’un modèle et ne sont plus strictement dépendantes des modèles anglo-saxons. Auparavant, il était possible de disposer des analyses et résultats sans vraiment

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connaître et maîtriser les hypothèses. Maintenant, il est possible de faire fonctionner le modèle de façon concrète. Ainsi le décalage observé entre l’Inde et la Chine tient notamment au fait que le développement de l’Inde a été jusqu’à aujourd’hui relativement limité alors que celui de la Chine s’ajoute encore à sa position actuellement dominante sur le marché mondial.

Pour ma part, je voudrais mettre l’accent sur l’espace euroméditerranéen, sur sa compétitivité et sur son avenir. L’espace euroméditerranéen ne comprend pas seulement les pays concernés par le processus de Barcelone mais aussi les pays d’Europe centrale et orientale.

La compétitivité de l’industrie textile habillement en Europe au sens strict

Pour commencer, je dirai quelques mots sur l’Europe au sens strict et sa compétitivité en textile habillement. La compétitivité de l’industrie est un autre volet de l’étude globale sur laquelle l’IFM travaille avec le CEPII. Philippe Dumont ici présent est un grand expert du secteur et travaille avec nous sur le sujet. Le travail se fait sur des cas concrets car vous savez tous que l’on ne peut pas parler dans les mêmes termes de la compétitivité selon que l’on évoque le costume homme, la parka polyester ou tel ou tel produit dans telle ou telle matière.

Nos travaux sont en cours d’achèvement et il se dégage une physionomie générale de la compétitivité que je voudrais commenter. Une question revient de manière récurrente tant de la part des experts que parmi les industriels. Chacun sait que l’habillement n’est pas une industrie capitalistique, mais qu’en est-il du textile ? Les avis divergent et rendent nécessaire une analyse rigoureuse et approfondie. J’en ferai un résumé, tout en soulignant qu’un tel sujet mériterait d’être plus longuement développé.

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La compétitivité prix et hors prix de l’industrie textile

Il transparaît tout d’abord que pour parler de compétitivité, il ne faut pas s’en tenir à la compétitivité prix, terminologie employée par les économistes classiques. Il convient en effet d’analyser également la compétitivité hors prix, autrement dit, la créativité, la qualité et les délais.

La compétitivité prix du textile s’analyse en relevant les prix de la filature, du tissage, le coût minute dans la confection et les prix mondiaux. Il apparaît ainsi que l’industrie textile en Europe présente une compétitivité prix satisfaisante en regard de l’environnement mondial. Cependant, la parité actuelle dollar euro introduit un biais particulier. De façon plus générale, le paramètre monétaire peut entraîner une variation conjoncturelle de la compétitivité prix. Pour sa part, la compétitivité hors prix de l’industrie textile est satisfaisante en Europe, tant en termes de créativité, de qualité que de délais.

La compétitivité prix et hors prix de l’habillement

S’agissant de l’habillement, il est clair que la compétitivité prix liée au coût de la confection en Europe, est inférieure en moyenne à la compétitivité prix mondiale. Certains produits d’habillement ont néanmoins une compétitivité satisfaisante. Il s’agit le plus souvent de produits pour lesquels la créativité, la qualité et les délais ont une importance particulière. L’excellente compétitivité hors prix prédomine alors sur la compétitivité prix. Cependant, il faut convenir qu’en moyenne prévaut l’impact de la faiblesse de la compétitivité prix.

Par conséquent, l’industrie du textile habillement peut continuer à se développer en Europe mais dans l’Europe au sens large. L’espace euroméditerranéen prend ici toute sa signification. La modélisation en a démontré la pertinence avec en particulier les blocs régionaux que Michel Fouquin a présentés et illustrés.

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L’industrie textile habillement au sein de l’espace euroméditerranéen ou Euromed

Le poids du textile habillement pour les pays de l’Euromed

Pour raisonner à l’échelle euroméditerranéenne, il faut tout d’abord comprendre la grande importance que revêt le textile habillement pour les pays méditerranéens et les pays de l’Est, tant au niveau de l’emploi que de la balance commerciale. L’importance considérable de ces secteurs pour les pays de l’espace euroméditerranéen est souvent sous-estimée. L’analyse du poids du textile-habillement dans les exportations totales de marchandises montre que ces deux secteurs représentent environ 5 % des exportations pour l’Union européenne, ce qui est déjà relativement important. Ce chiffre est de l’ordre de 36 % pour le Maroc, 44 % pour la Tunisie, 40 % pour la Turquie, 26 % pour la Roumanie et un peu moins pour la Pologne (11 %) ou d’autres pays de l’Est. Ce poids substantiel démontre que ces secteurs sont de véritables moteurs de développement pour ces pays.

La compétitivité du textile-habillement dans l’Euromed

Pour le textile, la compétitivité prix et hors prix reste sensiblement identique à celle de l’Europe au sens strict, même s’il y a au sein de l’espace euroméditerranéen des industries puissantes telles que l’industrie turque

Pour l’habillement, la compétitivité est meilleure dans l’espace euroméditerranéen que dans l’Europe au sens strict. Cela ne signifie pas que les prix de l’habillement dans l’espace euroméditerranéen soient inférieurs aux prix chinois, vietnamiens ou à ceux d’un certain nombre de pays asiatiques. Il existe toujours un décalage. Cependant, le décalage de compétitivité qui apparaît au niveau de l’Union européenne se réduit sensiblement lorsqu’on considère l’espace euroméditerranéen. Les coûts minutes sont à un niveau tel que, globalement, l’espace euroméditerranéen peut être compétitif.

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L’espace euroméditerranéen existe d’ores et déjà dans les faits. Ainsi, l’essentiel des importations textiles des pays du Maghreb, autrement dit du Maroc et de la Tunisie, provient de l’Union européenne. À l’inverse, l’essentiel des exportations textiles du Maroc et de la Tunisie vont vers l’Union européenne. Il en va de même pour les pays de l’Est. Pour la Turquie, c’est moins vrai car, d’une part, le pays est un grand producteur de textile et, d’autre part, il importe, davantage que les autres pays, des produits en provenance d’Asie. Mais globalement, l’espace euroméditerranéen représente un environnement cohérent, qui est sans nul doute menacé par la suppression des quotas.

Les effets pour l’Euromed de la libéralisation des échanges, liée à l’abolition des quotas

Il ne faut pas ignorer les bienfaits d’une libéralisation des échanges. Elle conduit certes à des prix plus faibles car l‘intensification de la compétition induit une baisse des prix. Je rappellerais à cet égard que, en France, la baisse des prix depuis quinze ans est de l’ordre de 40 % en francs constants. Des prix plus faibles sont synonymes de davantage de bien-être pour le consommateur. Mais il faut raisonner plus globalement.

La suppression des quotas : l’effet direct, l’effet de simplification et l’effet d’entraînement pour l’Euromed

Pour bien apprécier l’impact de la suppression des quotas, il convient de le situer dans un contexte plus global et d’en analyser trois types d'effets.

Le premier effet correspond à l’effet direct calculé par le modèle. Il se traduit par un léger gain de bien-être en Europe, une baisse de la production qui s’ajoute à la baisse en cours, et des difficultés pour les pays de l’Est et du sud, ces difficultés constituant l’un des enjeux de ce colloque.

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Le second effet est un effet de simplification qui ne peut pas être pris en compte par le modèle. Les quotas n’étant pas toujours faciles à gérer, leur suppression va faciliter l’approvisionnement en Asie. L’effet de simplification présente en fait un double visage. En effet, le modèle raisonne en moyenne alors que les quotas recouvrent en réalité des prix très variables. L’abolition des quotas entraîne donc l’élimination de cette variabilité du prix et induit un approvisionnement facilité dans d’autres zones que l’espace euroméditerranéen.

L’effet d’entraînement constitue le troisième effet fondamental qui s’ajoute aux deux autres. La difficulté majeure pour le textile ne réside pas dans une compétitivité insuffisante. Elle provient du fait que quand la confection est délocalisée, le textile doit nécessairement l’accompagner. Et il faut absolument éviter le scénario qui verrait la confection se concentrer en Asie et le textile la suivre. Dans un tel cas, il n’y aurait plus de textile-habillement ni en Europe au sens strict ni en Europe au sens large. Cet effet d’entraînement renvoie à des processus décisionnels simples qui concernent les distributeurs. Si les distributeurs achètent ou font confectionner des produits en Asie, il est difficilement envisageable d’exporter des tissus européens vers un pays asiatique pour en importer ensuite le produit fini. Les distributeurs sont demandeurs de négoce maîtrisé, c’est-à-dire de produits qui, à partir d’un cahier des charges donné, sont confectionnés dans une zone avec des tissus originaires de cette même zone. Le vrai danger est donc lié à cette hypothèse dont le modèle ne peut rendre compte : il s’agit du cas où la confection quitte l’espace euroméditerranéen et le textile la suit.

Comparaison ALENA Euromed : l’effet ALENA ou la régionalisation comme frein des importations d’Asie

L’analyse des effets de l’ALENA dans le modèle montre une accélération des importations en provenance du Mexique depuis 1994 : la part des importations d’habillement des

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États-Unis en provenance du Mexique est passée de 5 % en 1994 à 14 % en 1999. Il en va de même pour l’ensemble de l’Amérique Latine dont la part dans les importations est passée de 19 % en 1994 à 30 % en 1999. Deux pays ont particulièrement bénéficié de cet accroissement : la république dominicaine et le Honduras qui représentent chacun près de 5 % des importations américaines d’habillement, ce qui permet d’illustrer l’intérêt de l’extension du NAFTA aux Caraïbes. Cette évolution des importations américaines en faveur du Mexique et de l’Amérique Latine se fait au détriment de l’Asie, dont la part dans les importations américaines d’habillement est passée de 68 % en 1994 à 56 % en 1999.

Pour l’Union européenne et l’Euromed, l’évolution est beaucoup plus lente que pour l’ALENA et le Mexique. La part de l’Euromed reste la plus importante au sein des importations de vêtements de l’Union européenne. La légère augmentation constatée (43 % en 1994 contre 46 % en 1999) s’explique surtout par les progrès de la Turquie. La part de l’Asie dans les importations de vêtements de l’Union européenne n’est pas affectée par l’accroissement de la part de l’Euromed et reste stable.

Les conditions de succès du textile habillement

Le développement de la compétitivité hors prix : la créativité, les délais et la qualité

Les conditions de succès de l’industrie textile habillement sont d’abord liées à la politique d’approvisionnement des enseignes et des marques.

Le premier objectif des distributeurs consiste à accroître leur créativité pour se différencier. C’est un atout pour le textile-habillement, notamment l’amont, dans la mesure où, de plus en plus, la matière forge la différenciation du produit.

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Le deuxième objectif des distributeurs est la minimisation des délais et l’élimination des invendus, des stocks et des ventes perdues : l’enjeu porte sur l’élimination des stocks. Le textile amont pourra donc tirer profit de sa compétitivité prix et hors prix, en capitalisant sur la compétitivité hors prix de la zone Euromed. Pour donner un chiffre, l’industrie peut préserver auprès des grands distributeurs au moins un tiers en volume et la moitié en valeur des approvisionnements en produits de créativité, de mode et des petites séries.

La qualité de l’habillement européen reste également un atout très fort dans le moyen et haut de gamme. Cela explique que des marques de prêt à porter de créateurs et également les chaînes spécialisées les plus créatives puissent continuer de s’approvisionner à proximité.

L’organisation et la consolidation de l’Euromed

Par ailleurs, il est souhaitable et même impératif du point de vue de l’équilibre économique, social et politique de la région euroméditerranéenne que l’espace se consolide, se développe et soit présent dans l’esprit des décideurs. Pour cela, un certain nombre de conditions sont à réunir, à commencer par une meilleure organisation de l’espace euroméditerranéen. Par exemple, les produits d’investissement effectués au Maroc, en Roumanie, en Lituanie doivent avoir les mêmes débouchés dans l’ensemble de l’Europe. Des progrès restent assurément à faire en ce sens.

Il importe également de mettre en place une préférence euroméditerranéenne de la même manière qu’existe une préférence NAFTA et une certaine organisation de l’Asie qui prend la forme d’accords bilatéraux notamment en raison de l’ambiguïté des relations sino-japonaises . De plus, l’accès au marché et l’élimination des obstacles tarifaires et non tarifaires restent encore d’actualité.

Enfin, certains enjeux monétaires au sein de la zone Euromed attendent encore d’être résolus. Les fortes variations de la

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parité euro dollar perturbent profondément le marché. Parmi les difficultés monétaires, citons : la surévaluation actuelle du dirham et sa dépendance envers le dollar, la dévaluation de la livre turque dont le cours a été divisé par trois en plus de deux ans ou encore les évolutions des monnaies est-européennes comme le zloty ou le leu. Ces difficultés rendent nécessaire une forme d’organisation ou de régulation monétaire au sein de l’Euromed.

Gérard BONOS

Merci messieurs. Voilà brossé le tableau dans ses grandes lignes, évoquées les différentes analyses possibles. L’heure est donc venue de notre deuxième table ronde sur des problématiques internationales de l’industrie textile habillement.

Comme pour la précédente, cette table ronde va commencer par une description des fondamentaux du contexte. Ensuite nous entamerons le débat proprement dit. Christian Pierret devrait nous rejoindre en cours de débat de manière à ce que vous puissiez également lui poser des questions.

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TABLE RONDE Animée par Gérard BONOS,

Rédacteur en chef de Radio classique

INTERVENANTS

Hassan ABOUYOUB

Ambassadeur du royaume du Maroc en France

Camille AMALRIC

Président du Comité central de la laine et des fibres associées

Françoise BENHAMOU

Chargée de mission affaires juridiques propriété intellectuelle à la Fédération française de la couture du prêt à porter des

couturiers et des créateurs de mode

Vittorio GIULINI

Président de Sistema moda italia

Patrick ITSCHERT

Secrétaire général de la Fédération syndicale européenne textile habillement et cuir (FSETHC)

Sönmez KÖKSAL

Ambassadeur de Turquie en France

Anne-Claire LÉON

Administratrice de l’Unité textiles cuir jouets de la DG Entreprises à la Commission européenne

Arnaud MANDEMENT

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Maire de Castres, président du réseau Acte France

Claude MISEREY

Vice-président de l’Union française des industries de l’habillement, président de la Fédération française des

industries du vêtement masculin

Stanislas PATEK

Ambassadeur au ministère des Affaires étrangères de Suède

Fernando PERREAU de PINNINCK

Chef de l’Unité négociations et gestion des accords sur les textiles chaussures et divers de la DG Commerce à la

Commission européenne

Intervention vidéo de Pascal LAMY

Membre de la Commission européenne, responsable du Commerce

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Les chaînes logistiques et marketing du secteur textile habillement

HASSAN ABOUYOUB

Ambassadeur du royaume du Maroc en France

Je tiens à remercier les organisateurs pour le grand plaisir qu’ils me font, d’une part en m’offrant cette opportunité de retrouver des complices de 20 ans sur ce sujet du textile et, d’autre part, en me donnant l’occasion d’aborder un sujet fondamental pour les relations entre les deux rives de la Méditerranée. Je dois aussi féliciter le CEPII et l’IFM pour la qualité de la présentation qui confirme ce que nous constatons depuis des années et que je résumerai en quelques points.

En premier lieu, la compétitivité ne se décide pas par décret. On a beau vouloir théoriser et concevoir des politiques gouvernementales et des politiques industrielles, la compétitivité se joue ailleurs. La raison en est simple : la compétitivité n’est pas une variable d’action mais la résultante d’un très grand nombre de facteurs. En second lieu, l’optimum global ne peut pas être la somme des optimums partiels. Il est parfois utile de rappeler des évidences : avoir les meilleurs prix ne suffit pas nécessairement pour être compétitif. Le Maroc le démontre tous les jours dans ses relations commerciales avec la France et l’Europe en général.

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Des deux postulats précédents découle la conclusion suivante : il semble utile de distinguer deux chaînes au sein du secteur textile habillement.

Une première chaîne, logistique, favorise une production géographiquement dispersée. Mes propres observations m’ont confirmé que le textile suit l’explosion de la confection. Telle est en effet la conséquence de l’objectif d’optimisation de la chaîne logistique et sa tendance à favoriser l’intégration en amont. J’entends par optimisation un facteur double qui intègre délais et prix. Ainsi s’ouvrent des perspectives considérables tant pour l’Europe que pour la région du nord de l’Afrique, qui pour moi s’arrête au Sénégal.

À moyen terme, le Maroc va se trouver dans la situation de la France, avec des salaires réels et des avantages sociaux élevés. Le pays va donc perdre en compétitivité à un horizon de 10, 15 ou 20 ans : le Maroc est en train de connaître la transition démographique que la France a connue. Mais alors que l’évolution démographique de la France s’est faite en deux siècles, celle du Maroc comme celle du Maghreb s’est produite en l’espace de 50 ans seulement. Il en résulte un impact considérable sur la ressource humaine, véritable facteur de production essentiel dans le secteur textile habillement.

La chaîne marketing constitue la deuxième chaîne du secteur textile habillement. Il existe une dialectique entre la créativité et le prix de la créativité, la durabilité ou pérennité de cette créativité et sa traduction industrielle.

Le refus d’aborder le dossier textile habillement sous l’angle des chaînes logistiques et marketing a isolé les acteurs du secteur au lieu de les conduire à travailler en partenariat. Les mêmes discours sont repris depuis très longtemps. En 1977, on exhibait dans cette même assemblée des articles de bonneterie à des prix qui semblaient scandaleux à l’époque mais paraîtraient sûrement moins choquants que les prix actuels.

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Désormais, le secteur textile habillement doit être considéré à l’échelle euroméditerranéenne. Il faut établir une gestion concertée de l’espace textile euroméditerranéen car c’est l’unique façon de répondre à toute une série de défis à venir, économiques, mais aussi sociologiques.

Au Maroc, les gens ne voudront plus travailler dans la confection et préfèreront aller dans les centres d’appel, le tourisme, ou émigrer clandestinement. Toute la complexité sociologique qui relie textile, survie, transmission d’un savoir-faire et modèle de société est en train de disparaître en faveur d’un modèle de société de consommation. C’est pourquoi nous devrions davantage nous soucier d’éduquer le consommateur. En effet, les bonnes réponses résident à mon sens dans un nouveau modèle d’éducation et dans un projet de société euroméditerranéenne.

Merci.

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Promouvoir les droits de la propriété intellectuelle et lutter contre la contrefaçon

FRANÇOISE BENHAMOU

Chargée de mission affaires juridiques propriété intellectuelle à la Fédération française de la couture du prêt à porter des

couturiers et des créateurs de mode

La protection des droits de propriété intellectuelle

Messieurs les ambassadeurs, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, chers amis, plusieurs éléments liés à la protection des droits de propriété intellectuelle se révèlent indispensables à une stratégie européenne et internationale de compétitivité. La protection du droit d’auteur et des dessins et modèles en est un. La création et l’innovation se révèlent essentielles pour assurer la pérennité des entreprises et les placer sur les marchés extérieurs. En outre, véritable certificat d’identité de l’entreprise, les marques permettent la valorisation de l’entreprise et sa reconnaissance par le consommateur.

La protection du textile constitue depuis longtemps une préoccupation majeure. Nous avons en effet lancé depuis plusieurs années avec David Langman un espace copyright pour le salon Première Vision – le plus important salon textile du monde avec plus de 830 exposants. L’objectif était de pouvoir intervenir en temps réel pour tous les cas de contrefaçon qui se présenteraient.

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À ce sujet, je voudrais souligner une situation qui me paraît très grave. Tout ressortissant d’un état membre de l’Union européenne - et même d’un état tiers - peut se prévaloir des dispositions de la législation française pour faire saisir le territoire français de tout modèle présumé contrefaisant. Or il n’existe aujourd’hui aucun dispositif de réciprocité au sein de l’espace européen. Je m’étonne que jamais personne ne soulève cette question alors que la contrefaçon est une forme majeure de distorsion de concurrence.

Le règlement européen des dessins et modèles

On aurait pu espérer, après des années de discussion, que ce règlement soit adopté sous la présidence française de l’Union européenne. Un premier pas a été franchi au sujet des dessins non enregistrés, c’est-à-dire de la création issue des métiers où il est impossible de procéder à un dépôt légal. En effet, au sein de l’espace européen, toutes les créations bénéficieront d’une protection indépendamment de tout dépôt. Aujourd’hui valable pour les 15 États membres, la mesure sera prochainement étendue aux 27 États membres. J’espère que si, sous présidence française, nous n’avons pas gain de cause pour les dessins et modèles, nos amis suédois seront très vigilants à ce sujet, puisqu’ils sont eux-mêmes à l’origine de beaucoup de créations dans le design immobilier et dans la décoration.

L’épuisement communautaire de la marque

Ce problème est moins connu. Il existe à cet égard une division entre Europe du Nord et Europe du Sud qui porte non sur des divergences politiques mais sur des différences traditionnelles et culturelles. Si nous quittons l’épuisement communautaire de la marque pour entrer dans l’épuisement international de celle-ci, comme certains États l’ont demandé, il ne fait aucun doute que les marchés parallèles iront en se développant de façon extrêmement dangereuse. Les marchés parallèles existent déjà : il ne s’agit pas de contrefaçon mais du produit authentique détourné des circuits normaux de

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distribution. Cet essor des marchés parallèles favoriserait en tout cas la contrefaçon.

Le renforcement de la lutte contre la contrefaçon

Vous le savez tous, la contrefaçon est un délit qui doit être réprimé comme tel. De plus, la contrefaçon représente non seulement un trouble à l’ordre public mais aussi un trouble à l’ordre économique comme madame Douay l’a rappelé ce matin. En effet, les droits et taxes sont éludés, les entreprises sont lésées ainsi que les nations de tous les états membres.

La contrefaçon constitue enfin un trouble à l’ordre social parce qu’elle peut être synonyme de pertes d’emplois en France et dans l’Union européenne. Cet effet a été chiffré, il y a quelques années, à 30 000 emplois perdus en France et 100 000 dans l’Union européenne. Comme pour toute activité occulte, il est délicat de mesurer précisément l’impact de la contrefaçon. J’estime que les chiffres réels sont finalement bien plus élevés puisque, il y a quelques années déjà, le chiffre d’affaires de la contrefaçon a été évalué à 600 milliards de francs, tous secteurs confondus. Le 5 février 1994, la loi Longuet a justement été adoptée pour renforcer en France les sanctions à l’égard des contrefacteurs. Deux ans d’emprisonnement et un million de francs d’amende semblent des mesures adéquates mais encore faudrait-il que les magistrats les appliquent effectivement. Plus généralement, il semble nécessaire de former un corps de magistrats européens pour favoriser une entraide judiciaire réelle et des transmissions plus rapides de parquets à parquets. Actuellement, passer par les chancelleries prend parfois plusieurs mois. Ainsi des commissions rogatoires, même internationales, ne sont pas exécutées, ce qui est tout à fait dommageable.

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Le modèle italien de la mode

VITTORIO GIULINI

Président de Sistema moda italia

La révolution industrielle du XIXème siècle a signé la fin des besoins tels que les sociétés les avaient jusqu’alors connus. Fernand Braudel affirme qu’avec la révolution du coton à six sous, des centaines de millions de consommateurs ont pu acheter pour la première fois quelque chose pour eux-mêmes. Depuis lors, la situation a bien évolué : aujourd’hui, nous vendons à des centaines de millions de consommateurs qui n’ont besoin de rien et qui achètent de la mode non pour un besoin mais pour un plaisir de vie. Le XIXème siècle est aussi la révolution du commerce, le moment où le magasin de détail et la grande surface deviennent des lieux essentiels de socialisation.

Depuis les derniers six siècles, la population du monde a été multipliée par 25, de 250 millions à 6 milliards d’habitants, mais le nombre de consommateurs riches a lui été multiplié par 15 000, en passant de 100 000 à environ 1 500 000.

Dans le contexte précédemment décrit, le phénomène italien de la mode constitue une réussite manifeste. Le secteur textile habillement représente aujourd’hui en Italie entre 700 000 et 1 200 000 emplois, c’est à dire 10% des emplois, 45 milliards d’euros d’exportation et 15 milliards d’euros d’actifs dans la balance des paiements, ce qui paie le pétrole et l’électricité du pays.

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Le “ système mode ” est également le seul secteur industriel dans lequel l’Italie est leader mondial. Il représente le second actif du monde après la Chine et le modèle de succès le plus éclatant de l’entreprise familiale.

Le succès est d’abord dû au fait que l’Italie a développé et conservé l’ensemble de la filière technologique, axée sur le système de district à des niveaux parmi les plus hauts du monde. Le succès doit aussi beaucoup aux liens entre mode et culture et l’UNESCO estime que l’Italie abrite 75 % de l’héritage culturel du monde entier… Le succès est également lié à la variété de l’offre qui fait de la mode le principal créateur du paysage urbain, dans la grande comme la petite ville italienne.

Aujourd’hui nous sommes face à une nouvelle révolution. Le consommateur est le véritable roi. Le modèle de l’industrie pure est mort ou mourant et il en va de même pour le modèle de la création pure et le modèle du détail indépendant ou de grande surface. Le seul modèle valable de succès est, à notre avis, la fusion entre industrie, création et distribution. Ce modèle correspond à celui de la haute couture, d’Hermès comme de LVMH, de Gucci et de Prada, de Zegna et de Max Mara. Mais c’est aussi le modèle de Benetton et de Zara. Le modèle se retrouve donc à tous les niveaux. Ainsi, la mode est aujourd’hui indépendante des marques de la grande surface parce que la mode a créé une nouvelle distribution organisée : la chaîne de magasins. Le nouveau système mode est donc totalement différent du XIXème siècle et il est redevenu un secteur stratégique dans le monde.

Aujourd’hui un système totalement “ old economy ” comme la mode vaut en bourse 5 fois le chiffre d’affaires du secteur, qui est largement supérieur à celui de l’automobile et seulement un peu inférieur à celui de la nouvelle économie.

La concurrence va s’intensifier entre les trois filières : la filière américaine, la filière asiatique, la filière européenne.

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Pour l’emporter au niveau mondial, l’Europe doit reprendre à son compte le modèle du succès italien et construire une filière technologique complète, à favoriser au maximum une création européenne et la diversité de la distribution. Les chaînes sont le modèle gagnant de la distribution de la mode. Que les chaînes appartiennent à un fabricant, à un créateur ou à un distributeur n’a pas beaucoup d’importance. Comme chez Confucius, la couleur du chat n’est pas très importante à condition qu’il mange effectivement la souris…

L’Italie seule ne pourra pas gagner le pari dans la lutte entre l’Europe, l’Amérique et l’Asie. Une filière européenne doit s’imposer dans notre continent pour gagner ce pari en n’oubliant jamais que la mode est culture, que la mode est beauté et que c’est la beauté qui va sauver le monde.

Gérard BONOS

Comme le disait René Char “ toute la place est pour la beauté ”…

À ce stade, je vous propose d’entendre l’interview de Pascal Lamy retransmise en vidéo.

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Le textile, une industrie d’avenir

PASCAL LAMY

Membre de la Commission européenne, responsable du Commerce

Je voudrais avant toute chose vous dire combien je regrette de ne pouvoir être avec vous aujourd’hui. Le sort d’un Commissaire européen en charge du commerce est malheureusement de ne maîtriser que très partiellement son agenda. Je vais malgré tout essayer de vous résumer en quelques minutes la manière dont j’ai souhaité orienter notre politique commerciale pour le secteur textile.

Le textile, un secteur majeur, des atouts européens et un souci de favoriser une concurrence à armes égales

Mon constat de départ est simple : le textile est un secteur majeur de l’économie européenne et notre politique commerciale doit viser à conforter nos positions dans la compétition internationale. Je n’ai pas besoin de rappeler que l’Europe est le premier exportateur mondial de produits textiles, le deuxième de produits d’habillement, derrière la Chine. Enfin, un sixième de la production européenne totale est exportée, ce qui est considérable.

L’Europe a, par ailleurs, su valoriser ses avantages comparatifs, son savoir-faire en matière de petites séries, de mode, de haut de gamme, de rapidité de livraison, de capacité d’adaptation aux demandes du marché. L’Europe a également su stabiliser ses positions. Depuis trois ans, les

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exportations européennes progressent au même rythme que les importations.

Dans ce contexte, le rôle de la Commission est d’agir sur tous les leviers à sa portée pour faciliter le développement de l’industrie textile. La Commission refuse catégoriquement toute idée préconçue de secteurs “ gagnants ” et “ perdants ” dans la soi-disant nouvelle économie. Ce n’est pas le rôle de la Commission de déterminer qui gagne et qui perd, mais d’offrir à tous les secteurs de l’économie des chances de concurrencer les autres à armes égales.

L’avenir du secteur textile habillement : accéder aux marchés étrangers

Le secteur textile habillement n’a pas seulement été à la base du développement industriel dans le passé ; il reste et restera un secteur important d’avenir. Ma conviction est que l’avenir du secteur textile réside en bonne part dans la conquête des marchés étrangers. L’industrie textile a déjà gagné la bataille de l’image : le textile est l’une des plus belles marques de fabrique de l’industrie européenne et elle est assurément reconnue dans le reste du monde.

Une protection contrastée : persistance des obstacles en dehors de l’UE, libéralisation du secteur en Europe

Pourtant, des obstacles importants subsistent pour l’accès à d’autres marchés. Je suis très frappé de voir à quel point des pays tiers dits “ exportateurs ” maintiennent des barrières élevées. Des droits de douane entre 30 % et 40 % ne sont aujourd’hui pas exceptionnels. De plus des entraves de nature administrative s’ajoutent souvent à ces droits de douane.

De son côté, l’Union européenne applique des droits de douanes maximum de 12 %. En outre, lorsque les quotas auront totalement disparu en 2005, le marché européen sera

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parmi les plus ouverts au monde. Que pouvons-nous faire dans ce contexte ?

La stratégie de l’ouverture négociée contre l’ouverture subie : les exemples d’accords avec la Chine et l’Ukraine

Notre stratégie s’exprime simplement : c’est l’ouverture contre l’ouverture. Nous sommes conscients de la pression croissante de la concurrence internationale due aussi bien à l’élimination graduelle des contingents convenue à Marrakech en 1994 qu’à l’évolution rapide de la production et des marchés. Plutôt que de nous replier face à ces évolutions, nous avons préféré prendre le taureau par les cornes et envisager la possibilité d’ouvertures supplémentaires si, en contrepartie, les pays tiers ouvrent eux-mêmes leurs marchés.

Prenez par exemple, le “ modèle chinois ”. En vertu de l’accord conclu avec la Chine, la moyenne des droits de douane pour le textile habillement sera ramenée de 27 % environ actuellement à environ 11 % en 2005. Ce résultat est d’autant plus important qu’il fixe la norme vis-à-vis des autres pays asiatiques ayant encore des droits très élevés, notamment l’Inde, l’Indonésie ou le Pakistan.

L’Ukraine est un autre exemple significatif, puisqu’elle va appliquer les mêmes droits de douane que l’Union européenne au début de 2001, en échanges de l’élimination de nos quotas.

La libéralisation des échanges prévue par la troisième phase de l’Accord sur le Textile et les Vêtements (ATV)

Comme le soulignent ces quelques exemples, nous devons donc gérer de manière intelligente la mise en œuvre de l’Accord sur le Textile et les Vêtements (ATV) de l’OMC. En ce qui concerne la “ troisième étape ” de l’ATV, nous respectons soigneusement notre obligation de libéraliser 18 % de plus de nos importations à partir de 2002, pour porter à 51 % la part de nos importations libéralisées à cette date. Mais nous le

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faisons en choisissant des catégories de produits qui peuvent le mieux supporter cette transition. Nous n’avons pas fait de cadeaux inutiles et nous continuerons à avancer dans cette direction avec une démarche “ donnant-donnant ”.

L’abolition des quotas, “ capital de négociation ” pour des accords bilatéraux

Pour ce qui est ensuite des quotas, je considère que nous bénéficions d’un “ capital de négociation ” à utiliser avec discernement pour essayer d’améliorer l’accès aux marchés des autres pays. Le mandat que le Conseil des ministres nous a donné va permettre à la Commission européenne de négocier bilatéralement avec tel ou tel pays tiers pour tenter d’obtenir, en contrepartie des concessions sur les quotas, des baisses des droits de douane, un allégement des formalités douanières, ou la disparition des obstacles non tarifaires aux exportations.

Les négociations seront lancées en étroite concertation avec les États membres, l’industrie et les partenaires sociaux. Leur mise en œuvre sera conditionnée au respect de leurs obligations par nos partenaires. Nous sommes déjà parvenus à un premier accord avec un petit pays : le Sri Lanka. Cet accord va appliquer des droits de douanes semblables à ceux convenus avec la Chine, à partir de 2001. D’autres pays vont suivre dans, je l’espère, un proche avenir.

Les enjeux d’avenir pour le textile européen : le prochain cycle de l’OMC et l’espace euroméditerranéen

J’ajoute enfin que le futur cycle de négociations multilatérales que les Européens appellent de leurs vœux devrait servir de levier pour obtenir de véritables concessions d’autres pays tiers, notamment un abandon des pics tarifaires des États-Unis mais aussi d’autres pays, afin de favoriser une harmonisation vers les taux plus bas appliqués par l’Union européenne. Le secteur textile devrait y gagner.

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Je voudrais vous dire également quelques mots sur l’espace pan-euro-méditerranéen du textile habillement. Le marché euroméditerranéen est déjà très intégré : les importations en provenance de ces pays représentent près de 40 % de nos importations totales et nos exportations sont de l’ordre de 45 %. Cependant, nous pouvons encore renforcer l’espace euroméditerranéen, avec le double objectif d’améliorer notre accès aux marchés de ces pays et de permettre d’intégrer encore plus la production, en utilisant au maximum les avantages compétitifs pour chaque stade de la production au sein de cet espace vaste et diversifié.

Les chantiers en cours au sein de la Commission

Les chantiers sur lesquels nous pouvons encore travailler sont le cumul des règles d’origine et la simplification des procédures douanières. Toutes ces questions, parfois extrêmement complexes d’un point de vue technique et politique, sont en cours d’examen.

Mon souhait est que nous arrivions, dans les prochains mois, à des conclusions sur des mesures concrètes qui permettent d’envisager des progrès rapides dans cette direction.

Trois points de conclusion

Je voudrais conclure en insistant sur trois points. Le premier point concerne la reconnaissance de la spécificité du secteur textile. C’est un secteur où la libéralisation du marché de l’Union doit avoir pour contrepartie des démarches parallèles dans d’autres pays.

Le deuxième point se rapporte à la nécessité de mettre en place une politique commerciale européenne du textile à la fois cohérente et prévisible, notamment à l’horizon 2005, pour permettre aux entreprises de planifier leurs stratégies.

Le troisième et dernier point souligne l’importance du dialogue fructueux commencé avec les parties intéressées : producteurs, syndicats, consommateurs. Ce dialogue doit être

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poursuivi et approfondi. Je veillerai personnellement à ce que cela continue d’être le cas à l’avenir.

Nos contacts réguliers sont, je crois, désormais établis sur des bases saines et stables. Je voudrais saluer le travail remarquable de Jean-Pierre Balduyck et de ses collègues à qui j’adresse mes remerciements tout particuliers pour l’énergie qu’ils consacrent à la défense de l’industrie textile européenne.

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Pour une réciprocité dans l’ouverture des marchés mondiaux de textile habillement

CLAUDE MISEREY

Vice-président de l’Union française des industries de l’habillement, président de la Fédération française des

industries du vêtement masculin

Le Commissaire Pascal Lamy vient pratiquement de répondre aux questions que nous avions l’intention de lui poser sur le problème de l’ouverture des marchés mondiaux. Cela dit, il y a tout de même quelques points sur lesquels il est nécessaire d’insister.

Je rappellerai tout d’abord que les accords qui ont clos le cycle de l’Uruguay ont créé une situation vraiment déséquilibrée entre l’Union européenne d’une part et les pays tiers, d’autre part. En effet, il faut savoir qu’en 2005, les pics tarifaires des États-Unis demeureront de l’ordre de 28 %, les droits de douane au Brésil de 35 %, en Inde entre 35 % et 40 % (même si Pascal Lamy nous a fait miroiter quelque espoir), la Thaïlande de 30 %, l’Argentine de 23 %, etc. Ces pays ont aussi des barrières non tarifaires comme l’a rappelé Pascal Lamy et ignorent à peu près totalement les réglementations dans les domaines du social et de l’environnement.

À l’opposé, le marché de l’Union européenne sera ouvert à tous les vents en 2005 puisque l’accord multifibres aura été complètement démantelé. Les droits de douanes seront compris entre 5 % et 12 % maximum, pour un article sur deux

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en raison des accords préférentiels. Je rappelle que, dans le cas des accords préférentiels, les droits de douane pour l’entrée des produits en France sont totalement inexistants. Le déséquilibre sera donc flagrant entre, d’un côté, des marchés européens où la disparition des quotas et des clauses de sauvegarde sera totale, et de l’autre côté, des pays tiers où se maintiendra une situation défavorable aux échanges mondiaux. Monsieur Fouquin nous a certes montré que les protections étaient variables d’un secteur à l’autre et que celles du textile habillement étaient supérieures à celles d’autres secteurs du marché européen. Il n’en reste pas moins que dans les pays tiers les barrières douanières sont bien plus élevées que cela.

Par conséquent, et nous sommes heureux d’avoir entendu le Commissaire Lamy le dire, l’Union européenne doit se fixer comme objectif majeur des futures négociations commerciales multilatérales de chercher à rééquilibrer cette situation. Mais, à la différence de ce que disait Pascal Lamy tout à l’heure, j’ajouterai “ sans concessions supplémentaires ”. Il nous a bien dit qu’il entendait faire des concessions et qu’au cours des quatre années à venir d’ici 2005, ce sera du donnant-donnant. Nous ne partageons pas ce point de vue : les concessions ont déjà été faites et après les accords de Marrakech, l’Union européenne n’a plus grand-chose à donner.

Sur ce point fondamental de la réciprocité dans l’ouverture des marchés, les objectifs sont au nombre de trois :

• L’obtention d’un taux mondial harmonisé et consolidé de droits de douane pour l’habillement avec un maximum de 15 % pour tous les pays, représente un objectif majeur des négociations qui doivent avoir lieu d’ici 2005.

• Le deuxième objectif consiste à supprimer les obstacles non tarifaires résiduels dans les pays tiers, autrement dit les obstacles techniques du commerce et à mettre en place des dispositifs plus efficaces et contraignants au sein de l’organisation mondiale du commerce (OMC).

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• Enfin, l’Union européenne doit poursuivre avec fermeté son combat pour l’introduction de clauses sociales dans les accords multilatéraux : interdiction du travail forcé, âge minimum du travail, conditions minimales d’hygiène et de sécurité - on en a parlé ce matin - liberté syndicale, salaire minimum.

À partir de 2005, dans ces marchés des pays tiers qui représentent environ 750 à 800 millions de consommateurs potentiels des articles de textile et d’habillement de l’Union européenne, nous demandons avec force que les échanges soient placés sous le signe d’une complète réciprocité.

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Le secteur textile suédois et la future présidence suédoise de l’Union européenne

STANISLAS PATEK

Ambassadeur au ministère des Affaires étrangères de Suède

Monsieur le président, mesdames et messieurs, je préside actuellement la délégation de la Suède au sein du comité 133 textile et deviendrai président de ce comité à partir du 1er janvier.

Quand la Suède est devenue membre de l’Union européenne en 1995, elle était le seul pays, parmi les trois nouveaux membres, à ne pas supporter de restrictions en matière d’échanges sur le textile. Les restrictions qui existaient avaient en effet été abolies en 1991, sans rien demander en contrepartie. La Suède s’est alors rendu compte qu’elle pouvait très bien vivre sans ces restrictions : son industrie textile habillement est toujours active. Selon les chiffres de l’année dernière, elle emploie 14 000 personnes et ses exportations sont de 8 milliards de francs par an. Rapportée au poids de l’économie dans son ensemble, et selon les statistiques de l’Eurostat, la France a exporté, en 1999, dans ce secteur pour 74 euros par habitant, la Suède pour 58 euros.

La situation de l’industrie textile habillement en Europe est plus complexe à analyser, bien sûr, mais monsieur le Commissaire Lamy et monsieur Miserey ont déjà abordé le sujet et j’ai peu d’éléments supplémentaires à apporter. Comme certains autres pays au sein de l’Union européenne,

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la Suède n’a pas été très satisfaite de la troisième phase de l’Accord sur le Textile et les Vêtements (ATV). Maintenant, la phase des accords bilatéraux s’engage. Comme vient de le dire monsieur Lamy, un premier pas a déjà été fait avec le Sri Lanka, pays certes petit mais qui peut servir d’exemple pour la suite. Il faut à présent continuer et continuer vite. Le premier janvier 2005, l’Union européenne n’aura plus rien à offrir, les marchés seront, comme l’a dit monsieur Miserey, ouverts à tous les vents. Il faut agir de toute urgence tant que nous avons encore la possibilité d’offrir quelque chose. Il est déjà tard mais non trop tard. Que peut-on offrir ? On peut éliminer ou plutôt suspendre les quotas, ou bien augmenter les quotas ou avoir plus de flexibilité. Pour avoir plus d’accès aux marchés des pays tiers, il faut leur demander de baisser leurs taux de droits de douane, de consolider ces accords au sein de l’OMC et leur faire promettre de ne pas relever les droits de douane qui n’auront pas été consolidés. Tel est notre but. Je vous demande votre soutien : nous avons remarqué, en négociant avec le Sri Lanka, que certains États membres manifestent une certaine frilosité. Se pourrait-il que derrière cette opposition se cache les différentes industries textile habillement nationales ? Or le soutien de chaque pays membre est indispensable pour obtenir des résultats concrets et le premier janvier 2005, il sera trop tard.

Merci.

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La modernisation du secteur européen du textile habillement

ANNE-CLAIRE LÉON

Administratrice de l’unité textiles cuir jouets de la DG Entreprises à la Commission européenne

Monsieur le président, mesdames messieurs, comme vous le savez probablement, l’industrie européenne du textile et de l’habillement contribue fortement à la richesse et à l’emploi dans l’Union européenne. En 1999, le chiffre d’affaires du secteur s’est élevé à près de 180 milliards d’euros et l’emploi à plus de 2 millions de personnes. Depuis quelques années, le secteur fait face à des défis, notamment et principalement le défi de la mondialisation. Pour y faire face, il doit s’adapter pour accroître sa compétitivité et développer ses avantages comparatifs. Dans ce contexte, comment l’Union européenne peut-elle contribuer à cet effort d’adaptation du secteur ? Le point de vue de la Commission sur les aspects extérieurs vous a déjà été présenté par le Commissaire Lamy et ils seront précisés par monsieur Perreau de Pinninck tout à l’heure.

Les voies de la modernisation

Je vais donc plutôt me focaliser sur un des corollaires de la mondialisation : la modernisation du secteur. Cette modernisation ne se limite pas aux nouvelles technologies, mais comprend également la modernisation des méthodes de travail, d’organisation et de la culture d’entreprise. Au sommet européen de Lisbonne qui s’est tenu en mars de cette

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année, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne ont exprimé un puissant message en faveur d’un dynamisme accru dans les économies européennes grâce au développement de l’esprit d’entreprise. L’Union européenne s’est vu fixer un objectif ambitieux : d’une part, rattraper son retard dans l’économie numérique et d’autre part, devenir l’économie la plus dynamique, entreprenante et compétitive du monde d’ici 2010.

L’industrie européenne du textile habillement est bien placée pour contribuer à la poursuite de cet objectif, si elle exploite les opportunités qui lui sont offertes, en particulier par la recherche et l'innovation. La France est l’un des pays pionniers dans ce domaine mais il reste du travail à faire, tant dans le reste de l’Europe qu’en France. Il est notamment possible d’améliorer le fonctionnement de la filière textile habillement, d’accélérer les interactions entre toutes les étapes de cette filière et de mettre encore mieux en valeur les avantages comparatifs.

En ce qui concerne la politique européenne d’entreprise, notre approche “ horizontale ” cherche à créer un environnement économique et social favorable à la compétitivité de toutes les entreprises. Dans ce cadre, chaque secteur, notamment le textile et l’habillement, a des intérêts à défendre. Pour accélérer la modernisation, la politique d’entreprise européenne met en avant trois priorités.

La construction d’un environnement favorable

La première priorité, qui est un préalable à la modernisation active, consiste à créer un environnement favorable et dynamique qui encourage la prise de risque et l’esprit d’entreprise. Cette approche découle de deux textes récemment adoptés au niveau communautaire : d’une part, une communication sur la politique d’entreprise dans l’économie de la connaissance, et d’autre part une proposition de programme pluriannuel pour les entreprises, portant sur les années 2001 à 2005. La communication

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installe un cadre général et la proposition fournit des outils concrets pour la mettre en œuvre. Il s’agit par exemple de simplifier l’environnement législatif et administratif des entreprises, d’améliorer leur environnement financier, et de soutenir l’échange de bonnes pratiques.

Un soutien nécessaire aux entreprises

Après avoir créé un environnement favorable, le soutien aux entreprises qui décident de se moderniser constitue la deuxième priorité de la politique européenne d’entreprise. L’Union européenne s’efforce de soutenir les efforts des entreprises à la fois en mobilisant les partenaires et en participant financièrement à des projets. À cet égard, trois éléments font l’objet d’une attention particulière.

• En premier lieu, l’information représente un élément primordial. Les relais nationaux et les partenaires sociaux ont un rôle à jouer dans la transmission d’information à la fois sur les programmes d’aide existants et sur les résultats des projets de la recherche. À titre d’exemple, nous sommes présents dans les régions par l’intermédiaire du réseau des euroinfocentres qui donnent des informations concrètes aux entreprises et l’édition 2000 du guide sur les aides et prêts communautaires vient d’être publiée. Elle est disponible sur internet.

• En second lieu, le soutien aux entreprises prend la forme d’aides financières pour la recherche et l’innovation. Les instruments les plus connus sont le programme cadre de recherche et développement, les fonds structurels ou les programmes plus généraux tels que MEDA. La Commission vient d’adopter une communication qui vise à créer un véritable espace européen de la recherche. L’objectif est d’exploiter de manière plus effective toutes les ressources financières et humaines qui sont déjà investies dans la recherche et dans l’innovation tels que le développement du réseau d’excellence.

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• En troisième lieu, les efforts de formation de la main d’œuvre sont accompagnés et encouragés. Je laisserai monsieur Itschert développer cette idée et ne vous citerai que quelques programmes mis en œuvre : Adapt, Emploi, Equal, Leonardo, autant de programmes européens qui cofinancent des projets de formation.

Assurer un accès favorable des produits aux marchés

La troisième priorité de la politique européenne, après avoir créé le contexte favorable et après avoir soutenu financièrement les entreprises pour se moderniser, consiste à assurer un accès efficace et équitable de leurs produits sur les marchés. Pour mettre en valeur la spécificité des produits européens et faciliter leur circulation au sein du marché unique mais aussi à l’extérieur, l’Union européenne participe à l’amélioration de normalisation et de l’étiquetage. À cet égard, je voudrais répondre à ce qui a été proposé à propos du marquage d’origine européenne dit “ made in Europe ”. Ce débat est en cours, il n’y a aucune opposition de principe à ce marquage mais pour l’instant, nous nous heurtons à deux obstacles principaux. Tout d’abord, les obligations de marquage doivent être les mêmes pour tous les produits qui circulent sur le marché unique de sorte qu’en marquant les produits d’origine européenne, on risque d’être taxé d’atteinte à la concurrence par les pays d’origine extra communautaires.

Ensuite, il est difficile de définir un produit européen. Une grande partie de la production est sous-traitée à l’étranger, délocalisée, ce qui nécessiterait de mettre au point des règles techniques assez compliquées et qui sont en discussion pour définir quel produit pourrait avoir le marquage d’origine européenne. La réflexion est en cours mais il faut parvenir à trouver des solutions concrètes.

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Penser global, agir local : l’Union européenne des territoires de textile habillement

ARNAUD MANDEMENT

Maire de Castres, président du réseau Acte France

À mon sens, cette journée est marquée par deux moments distincts. Ce matin, j’ai le sentiment que nous avons surtout cherché à déterminer les responsables de la situation actuelle du secteur textile habillement. Nous ne les avons pas trouvés. D’ailleurs, les responsables sont si nombreux que nous sommes ici tous rassemblés pour assumer cette responsabilité. Cet après-midi, en revanche, il me semble que nous sommes davantage à la recherche de solutions ou en tout cas de pistes pour trouver des réponses les plus efficaces possibles.

Dans l’environnement européen du textile habillement, la filière patronale est organisée au travers d’Euratex et les salariés avec l’Union européenne des syndicats. La Commission européenne est bien sûr un partenaire important et les gouvernements sont représentés au sein du Comité 133. Tels sont les acteurs organisés en présence. De notre côté, depuis plusieurs années, nous avons souhaité organiser une représentation des territoires. L’association des collectivités textiles européennes, ACTE, est une organisation de lobbying des territoires qui participent tous les jours à la vie du textile.

En effet, le textile est d’abord implanté sur des territoires et non pas réparti uniformément, en France ou dans d’autres

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pays. L’ACTE rassemble des groupements de communes en Italie, en Espagne, au Portugal, en Belgique, en Grande-Bretagne et en France bien sûr. Ces groupements vont essayer de comprendre, d’aider et d’accompagner l’industrie textile que ce soit à travers ses organisations patronales ou à travers les revendications des syndicats de salariés.

Compte tenu de sa position, le maire peut faire beaucoup car il est l’un des premiers interlocuteurs des entreprises tant pour des projets de développement qu’en cas de difficultés majeures, quand les salariés sont dans la rue et qu’il faut les recevoir quelque part, organiser des tables rondes et essayer de répondre le moins mal possible à leurs attentes. La France compte de nombreuses régions concernées par de telles problématiques : Nord Pas de Calais, les régions de Troyes et de Roanne, la région lyonnaise, quelques zones dans le sud de la France ou dans d’autres territoires comme le Choletais par exemple.

On peut regretter que les élus locaux et les parlementaires ne soient pas assez impliqués. Ainsi pas plus de quinze parlementaires auront pris part à ce colloque, qui se déroule pourtant à l’Assemblée nationale : quinze parlementaires, sur presque 900 élus, qui, aujourd’hui, se sont intéressés au deuxième secteur industriel de ce pays. Ce fait est révélateur : le combat est d’abord à mener chez nous, en nous-mêmes auprès de l’ensemble de nos interlocuteurs.

ACTE part du principe suivant : pour de multiples raisons déjà évoquées, l’Union européenne n’aime pas soutenir des filières car elle estime qu’une telle politique nuit aux bonnes conditions de concurrence et sont difficiles à faire valoir dans les négociations internationales intra ou extra-européennes. Le temps de l’accompagnement des charbonnages, de la sidérurgie ou des chantiers navals est révolu. En revanche, l’Union européenne soutient remarquablement bien les territoires à travers le FEDER et les fonds structurels européens. Puisqu’une grande partie des territoires textiles ont eu à subir un chômage massif et de grandes difficultés de

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reconversion industrielle, l’Union européenne doit tenir compte de leur reconversion et du nécessaire accompagnement de l’industrie textile sur ces territoires spécifiques.

Un des enjeux posés à cette industrie est la recherche des sources de plus-value. Nous savons aujourd’hui que l’industrie textile ne sera pas massivement créatrice d’emplois. En revanche, elle peut être massivement créatrice de richesses. Produire des richesses constitue aujourd’hui un des enjeux majeurs du secteur industriel dans son ensemble car cela signifie la création d’emplois induits. ACTE a rédigé une motion relative aux négociations sur le commerce international qui recouvre beaucoup d’éléments déjà présentés : la réciprocité des échanges, l’abolition des barrières non tarifaires, la construction d’un espace paneuroméditerranéen, les normes sociales, les normes environnementales et les notions de labels. Voilà les pistes abordées que nous pourrons reprendre ensemble si vous le souhaitez.

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Le rôle de la Commission européenne au sein de l’OMC et de l’Euromed

FERNANDO PERREAU de PINNINCK

Chef de l’unité négociations et gestion des accords sur les textiles chaussures et divers de la DG Commerce

à la Commission européenne

Mesdames et messieurs, je vous remercie de me donner cette occasion de m’exprimer. Je m’en tiendrai à trois points. Pour commencer, la Commission renouvelle son soutien aux différents objectifs mis en avant lors de plusieurs réunions déjà menées : la réciprocité, l’achèvement d’une zone euroméditerranéenne, la promotion des normes sociales et le respect de la propriété intellectuelle. Nous saluons tout particulièrement l’approche offensive des industriels qui s’est manifestée ce matin. Il faut en effet tourner la page et partir à la conquête des marchés étrangers. La Commission est prête à s’engager, dans la limite de ses moyens, pour améliorer la situation de l’Industrie textile habillement dans le contexte international.

La Commission peut d’abord intervenir avec des pays de l’OMC où elle a un mandat pour mener à bien des négociations bilatérales avec des pays tiers. Dans cette optique, l’Union européenne est disposée à faire des ouvertures complémentaires en faveur des pays tiers, à condition que ces derniers se montrent prêt à faire des concessions tarifaires et à éliminer leurs barrières non-tarifaires. Le textile ne constitue désormais plus une monnaie

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d’échange pour obtenir des concessions dans d’autres secteurs. À présent, la règle de négociation est “ le textile contre le textile ”. L’Union européenne devra nécessairement faire des propositions à ses partenaires. En effet, la Commission et les États membres ne peuvent espérer améliorer leur situation vis-à-vis des pays tiers en leur demandant, sans contrepartie nouvelle, de supprimer leurs restrictions et de réduire leurs tarifs douaniers. Dans un tel cas, nos partenaires pourraient se contenter d’attendre 2005. Il faut donc leur offrir une contrepartie, notamment en utilisant les marges de manœuvre liées aux quotas. L’élimination anticipée des quotas, leur suspension ou augmentation peuvent donc permettre d’obtenir des améliorations dans le secteur textile habillement.

Parallèlement à la négociation au sein de l’OMC, la Commission et les États membres peuvent intervenir au sein de l’espace euroméditerranéen. L’échéance de 2010 pour le processus de Barcelone semble bien lointaine. Pour concrétiser un certain nombre d’avancées à brève échéance, une approche de l’industrie, consistant à “ diviser pour avancer ” peut s’avérer pertinente. En effet, une négociation globale et simultanée pour l’ensemble de l’industrie avec toute la zone, le nord de l’Europe, les pays de l’AELE, la Turquie et le sud de la Méditerranée, serait beaucoup trop longue. Pour avancer plus rapidement, la proposition de segmenter les négociations semble offrir une piste intéressante. Une première proposition faite fin octobre 2000 par Euratex pour achever l’espace euroméditerranéen plus rapidement est en cours d’examen. Des suggestions plus détaillées seront faites dans les tout prochains mois. Au sujet de l’espace euroméditerranéen, la Commission souhaiterait voir l’industrie européenne adopter une position unique, afin de faciliter les pourparlers. En effet, lorsque l’industrie parle d’une seule voix au niveau européen, les discussions se déroulent bien mieux, comme dans le cas de la troisième phase de l’accord textile habillement.

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Ouverture des marchés mondiaux et organisation de l’espace euroméditerranéen

CAMILLE AMALRIC

Président du Comité central de la laine et des fibres associées

À l’ouverture du colloque, le président Balduyck nous a indiqué que, à l’avenir, l’industrie textile sera européenne ou ne sera pas. La stratégie européenne de commercialisation vise deux axes : d’un côté, l’ouverture de tous les marchés mondiaux et de l’autre, la création d’un espace préférentiel textile habillement euromé- diterranéen.

L’ouverture de tous les marchés mondiaux

En ce qui concerne l’ouverture des marchés mondiaux, les résultats de l’Uruguay Round apparaissent déséquilibrés. En 2005, l’application des accords ATC, signés à Marrakech entraînera :

• la disparition pour l’Union européenne de toutes les restrictions quantitatives aux importations ;

• l’instauration d’un tarif douanier qui sera probablement le plus bas du monde, compris entre 4 % et 12 % selon les produits.

En 2005, la plupart des pays dans le monde, y compris les États-Unis, auront des droits se situant entre 25 % et 45 % ; dans certains pays comme l’Inde et le Pakistan, des

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interdictions d’accès seront toujours en vigueur pour certains produits. Les États-Unis conserveront toujours des pics tarifaires, c’est-à-dire des droits de l’ordre de 25 % à 28 % pour certains produits spécifiques tels que les produits de laine ou des vêtements avec des ornements.

Notre objectif est donc qu’à cette date, dans tous les pays du monde, les droits de douanes pour les produits du textile et de l’habillement soient au maximum de 15 %. De ce fait, toute négociation textile doit être l’occasion d’améliorer l’ouverture des marchés tiers. L’Union européenne prévoit deux étapes dans cette perspective :

• la négociation de la troisième phase du démantèlement des quotas AMF, promise à l’application en 2002 ;

• le lancement d’un nouveau round de négociations mondiales à l’OMC.

La troisième phase du démantèlement des quotas de l’AMF se traduira par l’adoption, au sein de l’Union, d’une nouvelle liste de produits libres d’accès sur le marché européen à partir du 1er janvier 2002. Nous nous félicitons de la décision des autorités de l’Union européenne de limiter cette liste aux produits les moins sensibles. Nous saluons également l’initiative de la Commission à l’égard des pays tiers exportateurs. En effet, les pays tiers ayant manifesté le désir d’améliorer leur position exportatrice sur le marché européen pour des produits de leur choix sont invités à venir négocier de tels avantages en contrepartie de l’ouverture effective de leur marché textile habillement. Ces négociations bilatérales sont actuellement en cours.

En ce qui concerne l’ouverture éventuelle d’un nouveau round, nous restons vigoureusement en faveur d’un donnant-donnant. Rien ne doit être concédé à des pays tiers qui ne soit pas équilibré par l’ouverture de leurs propres marchés. C’est une question de justice élémentaire à l’égard des entreprises européennes et de leurs salariés.

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Création d’un espace textile euroméditerranéen

L’Union européenne a pris l’initiative, depuis plus de vingt ans, de concéder des accords dits préférentiels à des pays tiers. Sont concernés par notre propos : les 15 pays de l’Union européenne, les pays baltes, les pays de l’Europe de l’Est (PECO), la Turquie et les pays du Maghreb. Elargie à la totalité du bassin méditerranéen, cette zone correspond à un volume d’échanges commerciaux considérable. 56 % des exportations européennes de textile et 44 % des exportations européennes d’habillement se font avec les pays limitrophes de la zone qui de leur côté, exportent vers l’Union européenne 35 % des importations de textile et 45 % des importations d’habillement de l’Europe des 15. Pour l’Union européenne, les volumes financiers sont de l’ordre de 17 milliards d’euros d’exportation et de 22 milliards d’euros d’importation. Rappelons que la zone euroméditerranéenne ainsi définie représente 650 millions d’habitants et 6,5 millions d’emplois dans l’industrie textile habillement.

Nous demandons que l’efficacité commerciale et industrielle de cette zone soit améliorée car le cadre actuel est inadapté. La libre circulation des marchandises se heurte au cloisonnement des sous-ensembles : Union européenne / Maghreb, Union européenne / PECO. Les règles d’origine ne sont pas les mêmes dans ces deux sous-zones. Par ailleurs, le concept même d’accord commercial préférentiel est pollué par toutes autres sortes d’engagements préférentiels que l’Union européenne a la tentation de passer avec toutes les régions du monde : accords ACP, système de préférence généralise, accords préférentiels avec des zones SAARC et ASEAN, dispositions préférentielles particulières en faveur des pays les moins avancés (PMA), accord préférentiel avec l’Afrique du sud et j’en oublie.

Cette énumération à la Prévert m’amène à demander si oui ou non l’Union européenne l’intention de déclarer sa flamme préférentielle à tous les pays qui se présentent ou si véritablement, comme nous le souhaitons, elle a l’intention de

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définir une zone préférentielle avec les pays à proximité de l’Union européenne. Cette stratégie a été adoptée par les États-Unis avec la zone ALENA : dans le secteur du textile habillement, cette stratégie semble fonctionner de façon satisfaisante tant pour le textile américain que pour les textiles environnants. La création d’un tel espace implique la constitution d’une zone de libre-échange, une politique commerciale loyale et des règles unifiées de transformation des produits au sein de la zone.

En conclusion, l’accès de nos produits aux marchés du monde entier et la création d’une zone préférentielle dans l’espace euroméditerranéen devraient permettre à nos entreprises d’aborder avec le maximum de chances le grand vent de la concurrence mondiale après 2005 et de proposer nos produits innovants et créatifs au monde entier.

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Pour une dimension sociale de l’Euromed et une répartition équitable de la valeur ajoutée

PATRICK ITSCHERT

Secrétaire général de la Fédération syndicale européenne textile habillement cuir (FSETHC)

Monsieur le président, messieurs les ambassadeurs, monsieur et madame la député, messieurs, la fédération syndicale européenne du textile habillement cuir que je représente n’est, en principe, pas opposée à la création et à la mise en œuvre d’une zone paneuroméditerranéenne. Nous considérons même que celle-ci pourrait consolider une partie de l’emploi européen tout en créant des opportunités dans les pays candidats ou le bassin méditerranéen. Cependant, ces effets positifs sont soumis à au moins deux conditions.

Pour une dimension sociale de l’Euromed

La première condition à remplir est que la zone pan-Euromed doit contenir une dimension sociale forte (contrairement à ce qui existe, par exemple, dans l’ALENA).

L’ALENA, un anti-modèle social

Dans l’ALENA, une série d’entreprises américaines exploite, on ne peut le nier, de la main-d’œuvre mexicaine à bon marché. Je pense en particulier aux maquiladoras : dans ces zones franches d’exportation – situées à la frontière entre les EU et le Mexique -, le gouvernement lui-même le reconnaît, les

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salaires se situent en dessous du seuil minimum de survie. Les droits syndicaux sont bafoués. Dans l’ALENA, les travailleurs des États-Unis et de la zone Amérique Latine sont perdants.

Du constat de non respect de la législation sociale aux propositions engagées

Dans la zone pan-Euromed telle que nous la souhaitons, les entreprises européennes devront respecter au minimum les législations nationales sociales et les conventions internationales de l’OIT, etc. relatives aux droits de l’Homme. Ce matin, Martial Videt a parlé du Cambodge et des violations des droits des travailleurs (-euses). Cela vous paraît sans doute très loin. Pourtant, de telles atteintes aux droits fondamentaux se passent à la périphérie de l’UE, dans les pays candidats et du Maghreb. J’espère que monsieur l’ambassadeur de Turquie ne m’en voudra pas mais savez-vous par exemple que dans les zones franches d’exportation en Turquie, il y a interdiction du droit de grève pendant dix ans ? En Turquie, le secteur officiel du textile habillement emploie 500 000 travailleurs mais les illégaux et les non déclarés sont 1,5 million. Autre exemple : je reviens de Slovaquie où, il y a quelques mois, le vice-président de notre syndicat a été passé à tabac parce qu’il faisait une grève de la faim. Cela faisait 16 jours qu’il demandait que les employés soient payés. En Bulgarie, des enfants travaillent pour des entreprises européennes. Trois exemples de violations dans la future zone paneuroméditerranéenne.

En tant que Fédération syndicale européenne, nous avons donc fait une série de propositions et mené une série d’actions pour remédier à cette problématique et assurer une dimension sociale dans les accords multi- et bilatéraux THC.

En premier lieu, nous avons suggéré que dans le cadre des accords bilatéraux dont on a déjà parlé ce matin, à savoir ceux qui se situent au-delà de la troisième phase des ATV, on insère une clause des droits de l’Homme incitative et positive,

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dans l’esprit de ce qui existe dans le Système européen de Préférences Généralisées (SPG). Il s’agirait d’une démarche – qui se base sur le donnant-donnant déjà évoqué – et par laquelle l’Europe se dirait prête à ouvrir davantage ses marchés THC à condition que ses partenaires s’engagent à ouvrir les leurs et/ou entreprennent des démarches en vue de faire respecter les législations sociales nationales et les normes minimales des droits de l’Homme (tels que, entre autres, définis dans la Déclaration de l’OIT du 18/6/98). Cette disposition existe par exemple dans l’accord qui a été signé il y a quelques mois entre les États-Unis et le Cambodge. J’ignore pourquoi la Commission européenne et le Conseil ne nous ont pas suivis sur cette proposition.

En second lieu, nous avons signé un code de bonne conduite/un accord cadre avec Euratex – l’Organisation Européenne représentative des employeurs TH - en demandant que nos industriels s’engagent à respecter partout dans le monde les conventions minimales de l’OIT précitées, qu’ils travaillent en production propre ou qu’ils sous-traitent.

Pour une meilleure répartition de la valeur ajoutée

En ce qui concerne la dimension sociale de l’espace pan-Euromed, nous voulons que les entreprises européennes acceptent de laisser une partie de la valeur ajoutée qu’ils créent à la périphérie de l’UE, dans cette périphérie. Il faut en effet éviter que l’on retombe dans les dérives qui ont affecté les pays d’Europe centrale et orientale, où, après la chute du mur de Berlin, dans nos secteurs THC – et parce que les entreprises de l’Union ne faisaient que de la sous-traitance à court terme dans des conditions de dumping social - en dix ans, l’emploi a régressé de 30 % à 50 %, les salaires ont diminué, les conditions de santé et de sécurité des salariés sont indécentes. Dans cette hypothèse-là, on se retrouve à nouveau dans un schéma perdant-perdant (cfr ALENA).

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La poursuite d’une véritable politique industrielle

La deuxième condition pour que la zone pan-euroméditerranéenne se situe dans un schéma gagnant-gagnant implique que, surtout pendant la phase de transition, les industriels THC prennent leurs responsabilités.

Face à la concurrence accrue des pays à bas salaires, les industriels européens du textile habillement doivent en effet non pas privilégier la solution simpliste de la délocalisation, solution de type financier à la recherche d’un profit maximisé; ils doivent, au contraire, réagir en industriels et améliorer la qualité et diversifier leur production, “monter dans la gamme”, investir en recherche et développement, en formation, en créativité, etc. On a évoqué ce matin, de manière un peu enjolivée, la situation dans les districts THC italiens. Une étude récente effectuée sur le secteur de la chaussure italien démontre que, malgré une pénétration croissante du marché entre 1975 et 1996, la branche a maintenu ses emplois et accru ses exportations, notamment grâce aux districts et à une politique entrepreunariale pro-active.

La situation actuelle du textile habillement européen nécessite en résumé : un rééquilibrage des échanges commerciaux/des ouvertures de marché dans le cadre d’un donnant-donnant; la prise en compte d’une véritable dimension sociale dans le commerce THC, une politique industrielle européenne - Madame Léon y a fait allusion – et enfin l’élargissement du dialogue social. Le secteur THC se trouve à nouveau face à des heures difficiles mais cette adaptation à de nouvelles mutations industrielles sera plus facile si elle est menée en partenariat social. Telles sont les conditions à réunir pour que toutes les parties soient gagnantes dans cet espace Euromed.

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Gérard BONOS

Avant d’entamer le débat, je passerai la parole à son Excellence l’ambassadeur de Turquie, Sönmez Köksal, qui nous a fait l’honneur et la courtoisie de venir assister à notre colloque.

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Allocution de l’Ambassadeur de Turquie en France

SÖNMEZ KÖKSAL

Ambassadeur de Turquie en France

Monsieur le président, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer. Pour un ambassadeur, il est difficile d’intervenir sur un dossier aussi complexe que le textile et la confection. Pour commencer, j’aborderai la place de l’industrie et de la confection dans l’économie turque en donnant quelques chiffres : 5,5 % du PNB, 17,5 % de la production industrielle, 19 % des produits manufacturés et 21 % du marché de l’emploi. Le mal que monsieur Itschert a mentionné existe partout dans le monde, y compris en France. De toute façon, nous n’avons pas la prétention d’être parfaits.

La place de la Turquie au niveau commercial est loin d’être négligeable. L’industrie du textile et de la confection représente 38 % des exportations totales : toutes les décisions en matière commerciale se définissent donc en fonction de ce secteur. À cet égard, nos relations avec l’Union européenne sont-elles vraiment privilégiées ? Depuis le 1er janvier 1996, nous avons mis en place une union douanière : il n’y a donc ni droits de douane ni obstacles non-tarifaires de la Turquie avec les 15. En principe, toute marchandise circule librement. En 1999, nous avons exporté vers l’Union européenne pour 6,3 milliards de dollars, ce qui fait de nous le deuxième fournisseur de l’Union européenne pour la confection et le premier pour le textile avec chaque fois un taux de 11 %. De

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notre point de vue, ce taux est insuffisant car très inférieur aux capacités de production de l’industrie turque du secteur du textile et de la confection.

Cependant, nous sommes devenus, après la Suisse, le pays dont le déficit commercial vis-à-vis de l’Union européenne est le plus important. En 1996, ce déficit commercial était de 11,6 milliards de dollars. En 1997, il est monté à 12,6 milliards, en 1998, 10,6 milliards, en 1999, 7 milliards. Pour les seuls neuf premiers mois de cette année, le déficit commercial de la Turquie vis-à-vis des 15 s’élève à 8,5 milliards de dollars. Les exportations de l’Union européenne vers la Turquie ont quant à elles progressé de 68,1 % depuis la première année de l’union douanière.

Avec l’Union européenne, nous rencontrons des problèmes de dialogue et de concertation. Nous avons l’impression que Bruxelles agit un peu librement sans tenir nécessairement compte des intérêts de la Turquie alors que, dans le texte des traités et accords, Bruxelles est tenue d’avoir une concertation avant chaque négociation avec les pays tiers. Nous nous trouvons parfois placés devant des faits accomplis, comme cela a été le cas avec par exemple l’Afrique du Sud et le Mexique. Nous avons eu également des problèmes au sujet de l’adaptation de la politique européenne vis-à-vis de l’Inde. À l’OMC, nous avons dû faire face seuls à l’Inde, alors que les propositions politiques mises en avant nous avaient été suggérées par Bruxelles. Ceci dit, nous sommes décidés à mener une coopération stratégique avec l’Union européenne. Comme cela a été dit, nous devons nous préparer à des échéances très importantes en 2005. Notre secteur serait heureux de pouvoir agir dans des pays tiers avec des entreprises de l’Union européenne. Nous sommes dans l’attente d’une plus grande coopération et concertation avec l’Europe des 15.

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DÉBAT

Gérard BONOS

Madame Benhamou, vous vouliez, je crois, ajouter quelques mots à votre intervention, à propos des ADPIC. Par ailleurs, que pensez-vous de la proposition de monsieur Giulini de fusionner distributeur, fabricant et créateur ?

Françoise BENHAMOU

Je crois totalement à cette idée mais je suis convaincue qu’elle demandera un certain temps pour être mise en pratique.

Les ADPIC sont les accords relatifs aux droits de la propriété intellectuelle et au commerce. Ces accords ont été signés pour la première fois dans un contexte multilatéral, à l’occasion des accords de Marrakech. Nous sommes arrivés à une échéance capitale, celle de 2000, où l’obligation est faite à certains États d’harmoniser leur législation. Or il existe un grand décalage entre d’un côté la mise à niveau des législations et de l’autre les procédures de répression. Former les agents de l’État et les forces répressives prend entre 3 et 5 ans. Pour que ce laps de temps ne provoque pas des dérives incontrôlables, il faudrait trouver des remèdes car certains États pourraient sinon en profiter pour développer la contrefaçon sans être inquiétés outre mesure. L’impact serait grave tant pour les entreprises que pour les économies nationales.

Les accords ADPIC sont donc essentiels pour tout le monde mais les décalages sont trop grands entre mise à niveau des législations et mise en œuvre de celles-ci. Nous souhaitons par conséquent interpeller les membres du gouvernement pour qu’ils soient nos relais à Bruxelles car c’est au niveau de la Commission européenne que des discussions très serrées à cet égard doivent être menées.

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Gérard BONOS

Monsieur Giulini, vous souhaitiez réagir également sur le même point que madame Benhamou.

Vittorio GIULINI

Mon propos n’est pas de faire une prévision pour l’avenir. Je me limite à constater ce qui arrive dans les entreprises franco-italiennes qui sont les plus performantes : l’industriel que nous avons entendu ce matin a affirmé que les licences ont baissé énormément, qu’il contrôle la distribution et qu’il a ouvert des usines en Italie et en France ; il y a deux mois, Armani a racheté les usines de JFT qui travaillait pour lui ; Prada et Gucci annoncent tous les jours des ouvertures d’entreprises. Encore une fois, je ne fais que constater que les entreprises les plus performantes sont en même temps des industries, des créateurs et des détaillants. Cela est valable non seulement pour la haute couture mais à tous les niveaux, pour Benetton et Zara également.

Gérard BONOS

Monsieur Patek, vous avez dit tout à l’heure que la Suède a complètement ouvert son secteur textile habillement et n’en a pas souffert. Ne craignez vous pas d’être taxé d’ultra-libéralisme alors que ce n’est plus “ à la mode ” ?

Stanislas PATEK

Au départ, l’industrie textile en Suède était bien sûr opposée à l’abolition des restrictions. Ensuite, les industriels se sont rendu compte que les restrictions ne servaient vraiment plus à rien. Je crains fort que, malgré l’opposition visible dans certains pays européens, une telle évolution doive être généralisée. Par ailleurs, l’industrie textile suédoise n’attend pas d’aides de l'État.

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Gérard BONOS

Monsieur Abouyoub, ne craignez-vous pas une ouverture qui risque de vous mettre en porte-à-faux ? Je poserai la même question à monsieur Köksal.

Hassan ABOUYOUB

Je ne pense pas qu’une ouverture soit défavorable puisque que nous avons décidé d’ouvrir notre marché à la production européenne. En 2010-2012 il n’y aura plus aucune restriction. À mon sens, le mouvement est irréversible et ne concerne pas seulement le Maroc mais le monde entier.

Il s’agit là de la logique des accords de Marrakech : l’accord conclu a été construit pour permettre une flexibilité bilatérale. En laissant le choix au pays importateur de définir le rythme et la nature de l’ouverture, un pouvoir de négociation lui était donné. Au-delà, nous nous trouvons dans la logique d’un état membre : personne ne pourra obliger le Maroc, pour un produit X, à mettre un droit de douane Y. L’ère des droits de douane est morte : dans les vingt prochaines années, avoir un droit de douane constituera un casus belli.

Le problème va se déplacer, vers la capacité des acteurs à s’organiser au niveau régional en Euromed. Ainsi un débat au sein de l’Union européenne ou de l’Euromed doit pouvoir être relayé par des acteurs organisés et donner lieu à des stratégies de partenariats, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui. L’Europe est organisée mais entre le nord et le sud, il n’y a pas vraiment de relais. Cette absence peut être préjudiciable, y compris dans les futures négociations multilatérales. Les stratégies de partenariat échappent souvent aux intérêts sectoriels et fonctionnent comme des vases communicants car ce qu’on gagne dans un secteur, on le concède dans un autre.

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Gérard BONOS

Monsieur Köksal, ne craignez-vous pas que l’ouverture ne signifie un choc frontal avec l’Europe ?

Sönmez KÖKSAL

Nous sommes en train de vivre ce choc depuis quatre ans. Nous avons déjà conclu plus de 12 accords de libre-échange avec les pays partenaires de l’Europe des 15. L’économie turque est en train de vivre le choc des restructurations de notre industrie. Dans ce domaine, nous sommes certainement en avance par rapport à d’autres pays. Je souhaite bonne chance à mon ami marocain dans cette aventure.

Anne-Claire LÉON

Pour revenir tout d’abord sur le refus, de la part de Bruxelles, du plan Borotra, je voudrais rappeler qu’il existe au plan européen une réglementation de la concurrence dont l’objectif est d’assurer une concurrence équitable entre toutes les entreprises et tous les secteurs. Le plan Borotra a été refusé parce qu’il ne correspondait pas au droit de la concurrence européenne qui interdit les régimes d’aides sectorielles spécifiques. Je voudrais également vous signaler que les plans italien et belge qui concernaient essentiellement la chaussure et le textile habillement ont été refusé pour la même raison.

La deuxième réponse que je voulais apporter concerne la propriété industrielle. J’ai le plaisir de vous annoncer que le plan d’action de la Commission pour lutter contre la contrefaçon et la piraterie a été adopté le 30 novembre 2000. Il annonce une série de mesures opérationnelles à la fois sous forme de directives d’harmonisation et de mécanismes de coopération administrative, d’harmonisation des seuils minimaux des sanctions pénales et d’extension éventuelle des compétences d’Europol.

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J’aborderai très rapidement un troisième point pour vous annoncer que l’unité textile de la DG entreprises a produit en septembre 2000 un document de travail des services de la Commission sur la mise en œuvre du plan d’action pour la compétitivité de l’industrie européenne du textile et de l’habillement de 1997. Ce rapport est dans l’esprit que je vous ai décrit plus tôt mais il est plus détaillé. Il peut être obtenu auprès de l’unité textile J’en tiens une quinzaine d’exemplaires à votre disposition aujourd’hui.

Gérard BONOS

Monsieur Itschert, l’ordre social est très dur à “ faire accoucher ”, si vous me permettez l’expression. Ne craignez-vous pas que dans votre secteur, il soit finalement encore plus difficile d’imposer des mesures cohérentes pour l’ensemble des pays ?

Patrick ITSCHERT

En 1991, on a fait le pari d’un dialogue au niveau européen. Le secteur était confronté à des difficultés telles qu’il était sans doute plus valable de les affronter ensemble. Pendant longtemps, le textile habillement est ainsi resté le seul secteur industriel à avoir établi un dialogue social sectoriel au niveau européen. Les débuts ont été plutôt difficiles mais au bout de dix ans, le bilan est plutôt remarquable.

Pour commencer, une série d’éléments, parfois gelés au sein des États membres, ont pu être débloqués en étant examinés au niveau européen. L’exemple de la promotion et de la reconnaissance de la polyvalence est significatif à cet égard.

Ensuite, le dialogue européen a permis de ramener autour de la table des partenaires qui ne discutaient plus au niveau des États membres. Dans le cas du Royaume-Uni, le dialogue était bloqué depuis 5 ans. Ce dialogue social européen doit maintenant se développer dans trois directions : s’améliorer dans les régions et entreprises de l’UE où il est encore faible;

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s’élargir aux pays candidats, voire à la zone méditerranéenne et, enfin, franchir un nouveau saut qualitatif au sein de l’Union.

Gérard BONOS

Monsieur Amalric, si vous aviez à donner pour la France, une ligne de force commune, quelle serait-elle ?

Camille AMALRIC

L’essentiel est d’abord d’unir, l’habillement, le textile et la haute couture. Un colloque comme celui d’aujourd’hui me semble aller dans le bon sens. Ensuite, l’axe euroméditerranéen est à la fois nécessaire et inévitable. D’un côté, il s’agit de délocaliser intelligemment pour garder à long terme une industrie textile forte en France. De l’autre, l’industrie textile française ne peut pas vivre sans les industries européenne et méditerranéenne.

Gérard BONOS

Madame Benhamou, quelles sont les urgences selon vous ?

Françoise BENHAMOU

L’urgence est à mon sens le renforcement de la coopération entre les diverses administrations des différents États membres mais aussi le rapprochement entre les entreprises et la Commission européenne.

Des avancées sérieuses peuvent en tous cas être constatées, notamment avec l’édition du livre vert anti-piraterie et contrefaçon dans le marché intérieur. Un grand progrès a ainsi été accompli, même si cela a demandé beaucoup de temps. Une véritable coopération s’instaure et je suis heureuse que nous puissions travailler ensemble avec l’union française des industries de l’habillement et l’union des industries textiles (UIT).

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Notre secteur ne comprend pas seulement la haute couture, nous sommes des industriels : prêt à porter des couturiers et des créateurs de mode, accessoires, etc. C’est d’ailleurs surtout dans le domaine des accessoires que nous sommes victimes de contrefaçons, pillage et piraterie des dessins et modèles. Il s’agit finalement d’un vol du patrimoine des entreprises et peut-être d’une partie intégrante de notre patrimoine culturel.

Gérard BONOS

Monsieur Perreau de Pinninck, la Commission européenne se fait souvent interpeller : avez-vous le sentiment que les choses avancent dans le bon sens ?

Fernando PERREAU de PINNINCK

Les contacts entre l’industrie textile et la Commission européenne sont très fluides. Les industriels ont conscience que la libéralisation de 2005 se rapproche rapidement et qu’il faut agir. Le moment est venu d’engager les négociations bilatérales offensives vis-à-vis des pays tiers. Ce dialogue va continuer à être approfondi en donnant lieu à des initiatives concrètes en faveur du développement de l’industrie textile habillement.

Gérard BONOS

Monsieur Giulini, quel serait, selon vous, l’atout italien et quel serait l’atout français ?

Vittorio GIULINI

La France et l’Italie sont des cousins très proches. L’Italie a simplement constaté que le système des districts industriels représente aujourd’hui un tiers du pouvoir économique total du pays, 40 % de ses exportations et du surplus dans la balance commerciale. Nous croyons donc que ce système est la contribution majeure de l’Italie et des pays latins à la révolution industrielle qui, jusqu’à il y a peu, apparaissait

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devoir fonctionner selon un modèle unique d’origine anglo-saxonne. Aujourd’hui, il y a plusieurs modèles : pour être performant, il faut être très proche du passé culturel du pays.

Gérard BONOS

Monsieur Mandement, que retenez-vous de tout cela, en tant que maire ?

Arnaud MANDEMENT

“ Penser global et agir local ” me semble être une expression qui résume bien les problématiques abordées : penser global mais réfléchir où est le marché et l’organiser à l’échelle européenne.

Il n’en reste pas moins que le premier ennemi de l’industrie textile, c’est d’abord elle-même. Il faut savoir respecter l’ensemble des acteurs : ceux qui sont derrière les machines, ceux qui pensent aux produits de demain, ceux qui essaient d’améliorer le dialogue social, ceux qui s’intéressent à cette industrie. À cette condition, peuvent se produire des avancées significatives comme la réunion du CES en septembre ou le colloque d’aujourd’hui. Mais peut-être est-ce le dernier colloque que nous devons faire de cette manière car, à présent, il faut passer aux actes.

Gérard BONOS

Mesdames, messieurs, je vous remercie, au nom de toute l’équipe pour votre présence. Je remercie également les services techniques de l’Assemblée nationale. Maintenant, pour conclure ce colloque je passe la parole à Jean-Pierre Balduyck, notre président de séance.

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Synthèse du colloque

JEAN-PIERRE BALDUYCK

Député du Nord, maire de Tourcoing, président du Groupe d’études de l’Assemblée nationale sur

l’Industrie textile habillement

Monsieur le ministre, merci pour votre présence. Vous êtes élu des Vosges, vous n’êtes donc pas en face de nous mais avec nous pour interpeller les autres membres du gouvernement, l’Union européenne et l’ensemble des responsables sur l’avenir de cette industrie. Christian Pierret m’a souvent dit que je prêchais un convaincu.

Cette synthèse se fera en deux étapes. Je vais essayer de résumer les travaux de cette journée. Ensuite vous aurez l’occasion de poser quelques questions à Christian Pierret. Cette journée est incontestablement placée sous le signe d’une industrie textile habillement mobilisée, fière moderne, qui exporte et qui se vend. Cette industrie ne nie en rien ses difficultés mais pour la première fois depuis longtemps, explique ses atouts, ses espérances et ses projets.

L’industrie textile habillement a vécu et vit la mondialisation et ses enjeux avant d’autres secteurs. Elle veut aborder 2005, “ à armes égales ” pour citer une expression utilisée.

Ce colloque a bien cerné la responsabilité des entreprises, les enjeux de formation et d’image, l’environnement politique national et européen. Monsieur le ministre, les chefs d’entreprise veulent ouvrir des négociations constructives sur

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la poursuite de l’application des 35 heures, le double SMIC et la taxe anti-pollution qui, à ce stade peut devenir une taxe anti-emploi, alors que nous sommes en train d’enlever la part salariée de la Taxe Professionnelle et de la rendre un peu moins nocive pour l’emploi. Il y a là un vrai débat et nous avons quelques semaines devant nous pour faire en sorte que cette taxe ne s’applique pas au détriment des salariés et de l’emploi en alourdissant le coût du travail. Le projet de la Cité de la mode a été mentionné ainsi que le projet sur Roanne.

Les syndicalistes ne veulent pas continuer à errer de colloques en colloques. Ils demandent du concret : les droits des comités d’entreprise sur les délocalisations, les aides de l'État. Ils acceptent la perspective d’un travail sur l’industrie euroméditerranéenne, à condition que cette perspective inclue la vigilance sur la promotion sociale et la défense de l’emploi. Ils souhaitent connaître, monsieur le ministre, l’impulsion que le gouvernement veut donner aux négociations qui s’ouvrent pour permettre aux salariés du textile, après 40 années de cotisations, de prendre une véritable retraite. Enfin, ils s’interrogent sur la question des marchés publics avec là aussi des objectifs en termes de réciprocité européenne et d’accès aux marchés des pays tiers. À cet égard, une table ronde se tiendra le 30 janvier à l’Assemblée nationale sur ce seul aspect des marchés publics et de la préparation des décrets.

Pour terminer, monsieur le ministre, les travaux ont porté sur l’Europe, avec des espérances nouvelles. Nos amis suédois vont désormais assurer la présidence du conseil pendant six mois. Nous allons rapidement nous mettre en contact avec l’industrie textile suédoise. Ainsi espérons-nous les amener à travailler et réfléchir avec nous sur des revendications qui ne sont pas démagogiques mais portent sur la réciprocité de l’accès au marché, l’éthique qui interdit le travail des enfants, le manque de liberté, l’agression contre les syndicalistes, l’Euroméditerrannée et enfin la protection de la création. Vous voyez ainsi, monsieur le ministre, l’ampleur de nos travaux.

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Débat de clôture

Gérard BONOS

Monsieur Pierret, avez-vous des réactions à ce que vient de dire Jean-Pierre Balduyck sur les attentes des acteurs du secteur ?

Christian PIERRET

Je partage les points de vue évoqués par mon ami Jean-Pierre Balduyck. Je me propose de répondre par 5 actions fortes que je souhaite vous annoncer aujourd’hui. Avant cela, je suis prêt à répondre à vos questions.

Christian LAROSE

Je profite de la venue du ministre pour lui exprimer mon souhait de voir le gouvernement prendre des mesures. Bernard Thibaud vient de saisir le Premier ministre à ce sujet : nous ne voulons plus revivre des affaires comme celle de Cellatex ou Myrys. Nous sommes une industrie en mutation, avec des évolutions positives et d’autres négatives. Il faut à la fois savoir accompagner les entreprises qui bougent et qui évoluent, et se préoccuper des gens qui sont en difficulté.

J’approuve ce que vient de dire Jean-Pierre Balduyck. Il convient à présent d’agir et je souhaite que des premières mesures soient enfin prises, dans lesquelles tout le monde se retrouve. Il faut des axes clairs, à la fois pour soutenir économiquement les entreprises et pour prendre en compte le facteur humain. Je commence à désespérer et j’attends que des décisions soient prises.

De la salle

Monsieur le ministre, je voudrais que vous veilliez à ce que tous les acteurs et décideurs, qu’ils soient politiques ou

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industriels, mettent une réelle dimension sociale dans toutes leurs décisions économiques.

Gérard BONOS

Nous allons recueillir encore quatre questions avant que le ministre n’intervienne.

De la salle

Je suis maire dans le Pas-de-Calais et dans ma circonscription, les industries textiles habillement disparaissent depuis quelques années. Le mouvement semble en accélération. Les emplois disparaissent et l’activité industrielle générée par les entreprises se volatilise : les entreprises qui restent ne voient pas revenir chez elles l’activité des entreprises disparues. Même si cela reste à vérifier, il semblerait qu’il s’agisse du résultat de décisions de délocalisations. Je connais ainsi l’exemple d’un chef d’entreprise qui travaille pour Décathlon et qui vient de se voir annoncer qu’au 1er janvier, son client délocalisera en Pologne. Il ne pourra plus fournir le distributeur, à moins qu’il n’installe un atelier en Pologne. Il faut certes penser aux pays qui entreront demain dans l’Europe élargie mais faut-il nous préparer, après la fermeture des puits de mine dans le Pas-de-Calais, à un vaste plan de restructuration et à la formation de poches de chômage ? On peut l’imaginer mais le maire que je suis refuse qu’une telle perspective soit entérinée sans que rien ne soit tenté pour y remédier.

Guy SORLUT

Je suis un industriel et je souhaite aborder le thème de la formation. Dans des secteurs tels que l’agriculture ou l’hôtellerie, il existe des écoles spécialisées qui sont sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale et des ministères concernés. Il n’existe rien de tel pour l’industrie de l’habillement, ce qui engendre un déficit de professeurs et un manque de personnel qualifié. Il serait souhaitable que

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l’industrie, l’Éducation nationale et la profession s’unissent pour monter des centres de formation enseignant les bases du métier. On ne forme plus des jeunes à des techniques de base tels que le piquage, alors même que ces connaissances permettent de monter tous les échelons de la profession. De nombreux grands stylistes ont en effet débuté de cette manière.

Annie FAVRIE, Cité de l’initiative

Monsieur le ministre, nous avons entendu ce matin un exposé de nos collègues italiens à propos des districts industriels. Grâce à cette organisation du territoire, le textile, tout comme d’autres activités, se porte bien en Italie. En dépit de notre retard, nous avons aujourd’hui en France les systèmes productifs localisés (SPL). Je souhaiterais savoir comment le gouvernement compte aider les territoires et les grappes d’entreprises qui s’organisent de cette façon en France, notamment autour du textile. Il existe actuellement une vingtaine de ces grappes d’entreprises qui travaillent dans le secteur : sans être en demande d’assistanat, ces petites structures ont besoin d’aides pour développer des projets collectifs, se tourner vers des marchés étrangers, trouver des marchés de niche, préserver l’emploi et continuer à développer la qualité des produits.

Guillaume SARKOZY

Monsieur Balduyck a fait un excellent résumé de la teneur des débats de ce matin et j’appuie son propos. Je souhaite également relever un paradoxe : un de vos collaborateurs, monsieur Cotte, a indiqué que, sur le budget du ministère de l’Industrie, vous consacriez 150 millions de francs au soutien des entreprises dans des domaines tels que le développement de la formation ou des technologies. Je me permets de faire remarquer que cette somme représente très précisément la somme que les entreprises devront payer en 2001, si la TGAP devait, malheureusement, être votée.

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De la salle

Monsieur le ministre, il a été dit que la Commission européenne condamne vigoureusement les aides apportées au textile. Il apparaît cependant que des soutiens ont été apportés au bâtiment, au secteur automobile, aux filières bois et viandes, et que des aides seront également apportées aux agriculteurs et aux pêcheurs. Le textile ne dispose pas de tels soutiens. Il a une mauvaise image en raison de sa réputation d’“ industrie de main-d’œuvre ” et du fait qu’il n’est pas considéré comme un secteur de haute technologie, seul secteur vraiment noble aux yeux des élites françaises. Nous nous dirigeons maintenant vers Euromed sans que le textile français soit protégé. Quel est l’avenir du textile, au moment où plusieurs États d’Europe du nord se désintéressent de ce secteur et que la concurrence se développe avec les pays asiatiques ?

Christian PIERRET

Avant de répondre précisément à l’ensemble des questions, je souhaiterais donner la parole au représentant de la Commission européenne au sujet de la dernière intervention.

Fernando PERREAU de PINNINCK

Je ne peux me prononcer sur l’ensemble des cas cités mais concernant le plan Borotra, il s’agissait d’un paquet d’aides sectorielles qui risquaient, de par leur nature, de fausser les règles de concurrence au sein du marché intérieur. Ne respectant pas les règles européennes, le plan n’a pu être validé. Il n’y a eu cependant aucun acharnement envers le secteur textile. Dans les différents secteurs, les aides qui répondent précisément à l’ensemble des règlements européens peuvent être autorisées. Concernant précisément le textile, il n’existe aucun règlement interdisant les aides d’État à la filière, à l’exception du secteur du synthétique. Cette interdiction est intervenue à la demande de l’industrie textile,

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afin d’éviter de fausser la concurrence à l’intérieur de l’Union européenne.

Christian PIERRET

Tout d’abord, monsieur Larose, je vous confirme que le gouvernement agit. Sa volonté n’est pas de rester passif mais de faire, dans le cadre des règles européennes, le maximum pour soutenir une industrie à laquelle il croit. Le gouvernement sait que le secteur du textile, de l’habillement, des cuirs et peaux et de la chaussure représente 270 000 emplois, sur un total de 3 200 000 emplois pour l’industrie manufacturière. Ce secteur se situe donc, en termes d’emploi, devant celui de l’énergie ou de l’automobile. Nous devons donc développer une véritable stratégie industrielle. Cependant, et à la différence de ce qu’ont fait les pouvoirs publics il y a 15 ou 20 ans, nous ne croyons plus qu’un plan textile puisse améliorer la situation. En 1982, un plan textile a ainsi été élaboré, en partie à mon instigation, par Pierre Mauroy : il devait restaurer l’investissement, favoriser la modernisation du secteur et encourager la formation. En 1991, sur l’initiative de monsieur Soisson, un nouveau plan a été lancé pour le textile habillement. Par la suite, monsieur Borotra a conçu un nouveau projet. En définitive, de nombreux plans ont été élaborés, tous jugés excellents et dynamisants mais ils n’ont guère apporté de solutions aux problèmes multiples rencontrés par le secteur. Je pense donc qu’il convient d’avoir un langage de sincérité : il ne faut pas fonder les espoirs de la filière textile habillement peaux chaussure sur un nouveau plan mais sur une action d’ensemble, visant la compétitivité industrielle.

Bien entendu, la modernisation d’un secteur, aux yeux du gouvernement de Lionel Jospin, n’est jamais dissociable de la réalité et du progrès social que ce secteur doit porter. Les chefs d’entreprise et syndicalistes présents dans cette salle ne peuvent envisager sérieusement que l’on puisse encourager les industries manufacturières sans une concertation et un dialogue social. Ce dialogue n’a d’ailleurs pas toujours été à

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la hauteur des espérances des uns et des autres dans ce secteur, tout comme les engagements de développement de la formation n’ont pas été à la hauteur des attentes des responsables du secteur et du gouvernement.

Ce langage de sincérité ne signifie pas que le gouvernement ait opté pour l’inaction, et je vais vous le prouver en répondant à vos questions. Nous ferons le point sur les systèmes productifs locaux (SPL) au début de l’année. La réflexion sur ce sujet est en cours. Je me suis moi-même rendu en Italie il y a quelques mois pour voir ces SPL avec le président de la commission de la production des échanges et quelques-uns d’entre vous. Il convient en premier lieu de discerner ce qui provient de spécificités culturelles en matière d’organisation des PMI en Italie, des dimensions plus spécifiquement commerciales, de coopération, d’organisation territoriale ou de concentration régionale. Tout n’est en effet pas transposable mais ce qui l’est sera examiné de manière spécifique au début de l’année prochaine.

J’indique d’autre part à l’élu du Pas-de-Calais qu’un contrat de plan a été signé entre l’État et la région portant sur 500 millions de francs sur trois ans. Ce plan sera financé à hauteur de 100 millions par la région, 150 millions par l’État, 100 millions par l’Union Européenne et 150 millions par les professionnels du secteur. Il est destiné à mettre en place des actions de veille, des stratégies, des formations, des filières, des réseaux, de la création de valeur ajoutée, d’innovation et de recherche : autant de sujet compatibles avec les règlements européens.

Je ne peux répondre au paradoxe soulevé par monsieur Sarkozy à propos des aides et de la TGAP (Taxe générale sur les activités polluantes). Monsieur Cotte a d’ailleurs été réducteur : les aides sont très supérieures à 150 millions de francs pour l’ensemble de la filière manufacturière. Concernant la TGAP, mon travail a été de faire en sorte qu’elle remplisse bien sa mission : lutter contre le gaspillage d’énergie et inciter les entreprises à mettre en œuvre des

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techniques moins dépensières en énergie. Il faut en effet réaliser concrètement les objectifs que nous nous sommes assignés à la conférence de Kyoto et parvenir dans le même temps à faciliter l’aménagement et la réduction du temps de travail dans les entreprises. Monsieur Sarkozy aimerait peut-être qu’on laisse de côté ce dernier point mais j’ai orienté cette TGAP de manière à ce qu’elle soit compatible avec des objectifs de concurrence internationale dans laquelle vous êtes tous immergés et qu’elle n’altère pas la capacité des entreprises françaises à se battre.

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La stratégie du gouvernement pour le secteur textile habillement

CHRISTIAN PIERRET

Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, chargé de l’Industrie

Mesdames et messieurs les députés et sénateurs, messieurs les ambassadeurs, mesdames et messieurs les présidents et élus locaux. Je suis engagé depuis 25 ans dans la promotion de la modernisation d’un secteur auquel je crois sincèrement. Je l’ai dit au conseil économique et social le 14 septembre 2000, lors d’un colloque organisé par les organisations syndicales et par monsieur Larose en particulier, et je viens de vous le confirmer. : il n’y aura pas de nouveau plan textile habillement sous une forme ou sous une autre. Je pense qu’il faut le dire et s’engager à mettre en œuvre pour l’ensemble des entreprises manufacturières une véritable politique offensive. Les règles de l’Union s’imposent à nous et je ne conçois pas d’élaborer une politique industrielle sectorielle qui serait trop réductrice. Elle nous ferait manquer nos objectifs industriels qui sont l’innovation, les marques, les labels, les approches marketing, le développement de partenariats industriels. Mon ambition est donc de soutenir toute l’industrie manufacturière et d’avoir un œil toujours rivé sur le textile habillement. Ce secteur ainsi que les cuirs et peaux, vont bénéficier de plusieurs mesures en 2001 : l’effort public atteindra alors 200 millions de francs pour ces seules filières, dont 60 millions pour les centres techniques récemment

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budgétisés et 100 millions d’aides à l’investissement, avec le fonds de développement des petites et moyennes industries (FDPMI). Cela fera de la filière textile la première industrie à émarger au FDPMI, soit 11 % ou 12 % de la totalité de l’effort de cette ligne budgétaire. Comme je l’ai dit plusieurs fois aux syndicalistes, il y a donc une véritable action de modernisation entreprise dans ce domaine. Dans le cadre de règles générales, le gouvernement a décidé de concentrer l’action des pouvoirs publics sur des enjeux et des domaines ciblés. En fonction des préoccupations des entreprises, nous allons diriger l’effort sur cinq orientations.

Promouvoir l’innovation et l’accompagnement des mutations industrielles

La première priorité est la promotion de l’innovation et l’accompagnement des mutations industrielles, dans un secteur touché par la crise. Ne croyez pas que je ne suis pas au courant de la situation, les présidents de fédération me le rappellent régulièrement (il y a eu ainsi une perte de 18 000 à 20 000 emplois en 1999) et je suis moi-même élu d’une région où la présence du secteur textile est forte.

La création d’un réseau d’innovation du textile habillement

Je vous propose une première mesure forte : la création d’un réseau d’innovation du textile habillement, constitué autour de l’institut français du textile et de l’habillement, il inclura les écoles et centres de recherche, l’ANVAR, les directions régionales de l’industrie et de la recherche, et bien entendu les entreprises innovantes, selon le fonctionnement des réseaux que j’ai créés depuis 1998. C’est le cas par exemple du réseau national de recherche en télécommunication, RNRT, réseau comprenant des écoles, des laboratoires publics et privés de recherche, des petites et grandes entreprises, et qui est orienté par un comité d’orientation dans lequel les entreprises sont majoritaires. Pour le futur réseau textile, la préoccupation entrepreneuriale sera primordiale afin de coller à la réalité du secteur. L’objectif est

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de créer un centre d’expérience, de coordination, de financement de projets pour lesquels un appel permanent à proposition sera lancé. J’en attends la mobilisation de plusieurs dizaines de millions de francs chaque année, et au besoin la création de pôles de développement, comme cela est envisagé dans certaines régions telles que le Nord-Pas-de-Calais précédemment cité. J’ai déjà créé 5 réseaux de ce type (logiciels, télécom, biotechnologies…) et je place le textile habillement au rang de ces industries et de ces technologies de pointe.

La création d’un Centre national dédié aux technologies de l’information

Dans cette approche de l’innovation, je veux également annoncer en présence de mon ami de toujours le Président Jean Auroux - nous étions ensemble dans la commission parlementaire du textile habillement de 1978 - la création à Roanne d’un centre national dédié aux technologies de l’information (NTIC) dans les industries du textile habillement. Déjà une grande quantité de petites entreprises, notamment de l’habillement, font appel à ces NTIC Ces nouvelles technologies sont le capital de demain et il est indispensable que le textile investisse vite dans ses relations avec ses fournisseurs et clients, dans l’adaptation quotidienne des entreprises à leurs marchés.

La mise en œuvre de la cité de la mode à Paris

Toujours dans le “ paquet innovation ” et comme nous en avions convenu il y a deux ans avec mon excellente collègue Marylise Lebranchu, nous allons enfin mener à terme, si la profession le souhaite, le projet de cité de la mode à Paris. Il faut que, grâce à l’initiative de la profession, nous parvenions à avancer dans ce domaine. Nous en avons beaucoup parlé et nous avons maintenant atteint le stade de mise en œuvre du projet. Nous avons un atout décisif, la création, et nous n’avons pas encore su nous organiser pour en tirer tous les fruits. Ce n’est d’ailleurs pas la faute des pouvoirs publics : il

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faut que la profession se mette d’accord avec elle-même, et je suis donc prêt à faire aboutir le projet avec François Patriat, le nouveau secrétaire d’État chargé des PME.

Priorité aux compétences et à la formation

Pour accompagner ces trois mesures concrètes pour l’innovation, je souhaite promouvoir les métiers de l’industrie manufacturière et définir les compétences clefs de demain. Ceci est un vrai sujet pour le textile et l’habillement, très adapté aux questionnements des entreprises.

Lancement d’une étude nationale sur les compétences clefs à l’horizon 2005

Nous allons donc lancer l’année prochaine une étude nationale sur les compétences clefs à l’horizon 2005. Dans ma ville, les lycées d’enseignement professionnels forment selon des méthodes employées depuis toujours, qu’il faut savoir à la fois conserver, renouveler et dépasser. Je vous propose de nous inspirer des expérimentations menées avec un grand succès dans un autre domaine, celui des technologies clefs pour l’ensemble des industries. Nous avons réuni 600 experts, français et internationaux, autour du ministère de l’Industrie et de nos spécialistes des différentes directions du ministère, en particulier de la DIGITIP, et nous avons réfléchi à la question suivante, très difficile mais extrêmement importante pour les entreprises : qu’est-ce qui, en 2005 puis, à un moindre degré, en 2010, constituera la technologie qui sera utilisée dans tel ou tel secteur ? Il s’agit de jouer le rôle que pouvait jouer autrefois le Plan, il y a 20 ou 30 ans, comme défricheur d’avenir. Il faut savoir ce que seront les technologies de demain, quels seront vos futurs besoins de formation. En accord avec les partenaires sociaux, nous mettons au point dès le début de l’année prochaine, dans un comité qui comprendra des experts syndicaux et industriels, une recherche sur les formations dans les 5 ans qui viennent. Il va falloir ensuite s’entendre avec le ministère de l’Éducation nationale, ce qui sera délicat en raison du grand

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nombre de comités et commissions. Nous nous attelons donc à un sujet complexe et passionnant mais nous allons réussir en raison de la mobilisation de Jack Lang sur ce sujet. Les entreprises ont en effet besoin de nouvelles compétences tels que des techniciens spécialisés ou des opérateurs polyvalents. Les organisations professionnelles qui ont organisé, à l’instar de l’habillement (avec Philippe Adec), l’année des compétences pour sensibiliser les entreprises, sont elles aussi très demandeuses de pareilles actions. Plusieurs régions lancent aujourd’hui des initiatives avec le soutien des DRIRE et insistent beaucoup sur cet aspect compétences – formations. Il faut passer à la vitesse supérieure : dans les 4 ou 5 ans qui viennent, je soutiendrai toutes les entreprises qui travailleront dans ce sens.

Mettre en place un dispositif CATS dans la branche

Toujours dans le domaine des compétences et de la formation, je vous suggère une mesure que je trouve capitale et dont vous avez parlé aujourd’hui. Je rappelle que le dispositif CATS (cessation d’activité anticipée pour les travailleurs salariés) s’adresse à tous les secteurs. Il devrait être appliqué, à mon avis, dans le secteur du textile habillement et il est compatible avec les règles européennes. Il est aujourd’hui en place dans l’automobile, où la convention concerne 36 000 salariés, dont 23 000 pris en charge par l’État. D’autres secteurs sont en train d’étudier avec madame Guigou et moi-même la signature de pareils accords : c’est le cas de la chimie, le caoutchouc, le papier, la presse quotidienne, etc. Ce dispositif est beaucoup plus dynamique et intelligent que tous les plans sociaux. Il est en effet d’abord prospectif, négocié et discuté avec les organisations syndicales, et c’est un dispositif de partenariat qui voit à long terme. C’est enfin un dispositif qui n’est pas plus coûteux pour les entreprises, en moyenne, que la contribution Delalande, et qui est très mobilisateur pour faire entrer les jeunes dans un secteur. Dans les métiers pénibles, postés ou de nuit, les travailleurs âgés pourraient donc partir dans de

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bonnes conditions, de façon à les remplacer par des jeunes qui seront aidés par l’État, notamment pour leur formation. J’invite donc le patronat et les syndicats du textile à prendre en considération un tel accord de branche : l’État est prêt à favoriser son éclosion, sa conception et sa signature.

La lutte contre la contrefaçon

Des mesures nationales…

La troisième orientation est le renforcement de la lutte contre la contrefaçon, qui passe notamment par le renforcement des sanctions. Je reprendrai très prochainement contact avec Marylise Lebranchu afin que soit engagées de manière systématique des poursuites contre les récidivistes. Cela touche non seulement le textile habillement de luxe mais aussi des textiles et procédés techniques, et en réalité l’ensemble des secteurs manufacturiers. Aussi, j’ai décidé d’adopter une attitude sans concessions. Je vais lancer en 2001 une nouvelle campagne d’information et de mobilisation en direction notamment des PME – PMI. La diffusion des informations se fera par l’intermédiaire de colloques régionaux, par le biais d’un site Internet dédié hébergé par mon ministère, ainsi que par l’action, qui doit être relancée, du Comité national de lutte anti-contrefaçon, présidé par madame la député Brigitte Douay, que je remercie pour sa volonté, qu’elle m’a encore exprimé très récemment, d’aller encore beaucoup plus loin et plus fort dans la répression de la contrefaçon. Vous, industriels, perdez des pourcentages importants de chiffre d’affaires à cause des copies.

… et internationales

Au niveau international, le gouvernement français a enregistré les avancées contenues dans le Livre vert sur la contrefaçon et sur les projets de plan d’action et de directives de la commission qui sont annoncés par le commissaire européen Bolkestein. Le gouvernement est très entreprenant

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sur ce thème, en témoigne l’attitude que nous avons sur la directive dessins et modèles. Elle est promue par l’action de la France et nous entendons conserver une place de leader des pays européens qui s’intéressent à cette question. Je vous informe, à ce propos, de l’accord que je viens de passer avec mon collègue italien, le secrétaire d’État au commerce extérieur. Cet accord a décidé la création d’un groupe de travail franco-italien sur la contrefaçon, qui se réunira dès les premières semaines de 2001 et qui va mettre en place une coordination volontaire de nos actions en Italie et en France. Les industriels italiens et français décident, ou ont décidé, de coopérer pour harmoniser les pratiques, pour échanger les informations et pour faciliter la répression. Nous attendions cela depuis longtemps, et c’est fait grâce à une démarche de mon collègue italien, à qui je tiens à rendre hommage.

Pour un commerce international équitable

La quatrième orientation est la création des conditions d’un commerce international équitable. Je constate que les pays qui revendiquent avec le plus d’ardeur l’accès à notre marché sont également ceux qui protègent le plus étroitement leur propre marché. La volonté du gouvernement est de parvenir à la réciprocité dans l’ouverture des marchés et dans la gestion de ses relations bilatérales et multilatérales. Il faut se féliciter de l’entrée de la Chine dans l’OMC. C’est une grande avancée et je pense que cela sera accueilli favorablement par nos entreprises. La présidence française a également négocié avec succès la troisième phase d’ouverture de l’Accord textile vêtement (ATV), ouverture qui a été limitée au maximum afin de permettre des négociations ultérieures avec les pays concernés. Notre intention n’est pas de faire des concessions unilatérales, comme je l’ai rappelé récemment au commissaire Lamy, qui partage les orientations que je viens de vous indiquer. J’espère que cette position, qui est celle de la Commission européenne à la demande du commissaire Lamy, sera maintenue jusqu’au bout dans les négociations commerciales internationales.

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Pour l’organisation d’une zone euro-méditerranéenne

Dernière orientation, que nous attendons tous ici, nous voulons parvenir à une organisation d’une zone euroméditerranéenne. J’en profite pour saluer ici la présence d’ambassadeurs de pays amis de la France, le Maroc et la Turquie. Il m’apparaît que cette zone constitue pour la France une opportunité, comme le montre l’analyse de nos échanges. Le processus d’harmonisation des règles d’origine, si important pour nous tous, est quasiment en voie d’être achevé entre l’Union européenne, les PECO, l’AELE et la Turquie. Il est engagé avec les pays méditerranéens. Les gouvernements européens ont tracé la voie en définissant, par le processus de Barcelone, la perspective d’un libre-échange généralisé dans cette zone. La commission est sensible à ces préoccupations et, avec le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur François Huwart, nous sommes ouverts à toute proposition en ce sens. Nous souhaitons qu’il y ait une organisation permettant, par la sensibilisation de nos partenaires, d’aboutir rapidement à un concept de zone euroméditerranéenne. C’est une question vitale pour nos amis du bassin méditerranéen, pour leur développement, qu’il nous faut favoriser, et pour un meilleur équilibre dans les échanges. C’est une vision dynamique qui suppose organisation, échange, dialogue et construction commune. Sur tous ces aspects, je suis ouvert à la discussion. J’ai donc demandé à mes services d’engager avec tous les acteurs des discussions ou des groupes de travail.

Conclusion

J’ai demandé enfin aux directions régionales de l’Industrie et de la recherche d’effectuer un recensement exhaustif de la situation des entreprises textile habillement cuir, région par région. Ce recensement n’a jamais été effectué et est donc très difficile, mais il faut que nous disposions d’un tableau de bord du secteur région par région. Cet outil va nous permettre de rester en liaison permanente avec les réalités des entreprises. La meilleure action administrative d’un ministère

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est d’être à l’écoute permanente de la problématique des organisations professionnelles et syndicales, de leur manière de poser les problèmes. Nous devons de même, monsieur Balduyck, rester en liaison avec les élus au Sénat, à l’assemblée, et avec les élus locaux. Ces derniers ont beaucoup à nous dire. En tant qu’élu, j’ai moi-même longtemps pâti, au cours des 20 dernières années, de cette absence de connaissance du tableau de bord réel des relations inter-entreprises, que ce soit dans une même région ou d’une région à une autre. De nombreux points restent méconnus ou analysés de manière théorique. Il faut que l’on travaille à proximité des entreprises et c’est pourquoi je lance ce recensement exhaustif qui a déjà commencé et qui sera terminé au milieu de l’année 2001. Les résultats de cette étude seront présentés aux fédérations professionnelles et syndicales pour faire le point.

Je souhaite enfin que nous mesurions l’importance du soutien moral et financier qu’accorde à vos préoccupations le gouvernement. Nous avons la volonté de faire de ce secteur un secteur “ mobilisé et moderne ”, pour reprendre les termes de monsieur Balduyck. Je pense également, avec le gouvernement, que le textile habillement a un avenir, et c’est pourquoi nous avons décidé que l’État ne cessera d’être votre partenaire. Je remercie celles et ceux, syndicalistes, hommes et femmes d’entreprise, qui ont compris que, dans ce partenariat, nous avions plus à gagner à être ensemble, à converger, à nous battre pour l’avenir de la deuxième ou troisième industrie française au sein des industries manufacturières, qui font de l’industrie française la troisième ou quatrième au plan mondial. Nous avons à être fiers du textile habillement, de notre industrie manufacturière, et de ce que nous pouvons faire ensemble. Je vous remercie de votre attention.

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ANNEXE

Question orale au gouvernement

Assemblée Nationale - 20/12/2000

Jean-Pierre BALDUYCK

Monsieur le ministre de l’Industrie, les organisations syndicales et professionnelles du textile sont très actives au niveau européen car 3,3 millions d’emplois sont concernés. À l’horizon 2005, l’ouverture des frontières se prépare de manière offensive. Quelles mesures phares le gouvernement entend-il proposer pour renforcer notre filière au plan national ? Etes-vous déterminé à soutenir les cinq objectifs récemment définis lors d’un colloque international :

• l’aide à la création • la réciprocité des échanges • la lutte contre le travail des enfants et pour le respect des

droits des travailleurs • le partenariat euroméditerranéen • la lutte contre la contrefaçon

Christian PIERRET, secrétaire d’État à l’Industrie

Monsieur le président du Groupe textile et habillement de l’Assemblée nationale, le textile fait en effet l’objet d’un attachement très fort de la part du gouvernement car 2,5 millions d’emplois en Europe et 265 000 en France sont concernés. Il convient de poursuivre dans la voie que la présidence française s’est attachée à promouvoir. À ce titre,

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nous voulons mettre en œuvre les orientations fixées dès 1998 dans le rapport de la Commission européenne et qui visent à renforcer la compétitivité du secteur.

Nous avons ainsi souhaité encourager la création, développer l’adéquation entre les qualifications professionnelles et les nouveaux métiers de la filière et favoriser la réciprocité des échanges internationaux.

Au niveau français, nous avons pris plusieurs mesures tendant à créer les conditions d’un commerce international équitable pour lutter contre les pratiques qui bafouent les droits des salariés. De même, nous nous sommes attachés à lever les obstacles aux échanges, à promouvoir l’innovation et les nouvelles technologies de l’information appliquées au textile, à lutter contre la contrefaçon - conformément aux prescriptions du commissaire Bolkestein dans son projet de directive - ainsi qu’à organiser l’espace euroméditerranéen.

Au cours de la présidence française, trois mesures fortes ont été annoncées qui concernent spécifiquement la France :

• la création d’un centre national dédié aux technologies de l’information pour les industries du textile à Roanne,

• l’ouverture dès 2001 d’une cité de la mode à Paris,

• le lancement d’une étude fondamentale sur les compétences nécessaires au développement du textile habillement en liaison avec nos partenaires européens.

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L’organisation de ce colloque a été assurée par

M&M CONSEIL ORGANISATION - ÉDITION - COMMUNICATION

13, rue du Quatre Septembre 75002 PARIS

Tél. : 01 40 20 98 88 Fax. : 01 40 20 98 89

http://www.mmconseil.com

Groupe ALTEDIA

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