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UNIVERSITE PAUL CEZANNE - AIX-MARSEILLE III ECOLE DOCTORALE SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES
FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE DAIX-MARSEILLE
Etat, entreprises, intelligence conomique, quel rle pour la puissance publique ?
THESE
Pour le doctorat en droit
Prsente et soutenue publiquement le 7 novembre 2008
par
Xavier LEONETTI
JURY
Directeurs de recherche M. Gilles MATHIEU Matre de confrences lUniversit Paul
Czanne dAix-Marseille III M. Stphane BOUDRANDI Directeur dlgu du centre dIntelligence
conomique de lInstitut dEtudes Politiques dAix en Provence
Membres du Jury
M. Frdric DEBOVE Professeur lUniversit Paris II ASSAS M. Gatan DI MARINO Professeur lUniversit Paul Czanne Aix-Marseille III M. Henri DOU Professeur lUniversit Paul-Czanne Aix-Marseille III M. Alain JUILLET Haut responsable lintelligence conomique
au Secrtariat gnral de la dfense nationale M. Jean-Franois RENUCCI Professeur lUniversit de Nice-Sophia
Antipolis M. le gnral Marc WATIN-AUGOUARD Inspecteur gnral des armes Gendarmerie
3
Rsum en franais : ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL RLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE? Aujourd'hui, comme hier, les entreprises se positionnent au cur de linformation : elles se situent au centre dun cercle o se croisent et interfrent les vecteurs et les objectifs du renseignement. Hritire du renseignement, lintelligence conomique se distingue de celui-ci parce quelle remplace le pouvoir politique par le pouvoir conomique. Pourtant, elle se situe mi-chemin entre les intrts privs du chef dentreprise, et lintrt gnral dfendu par lEtat. Etat, entreprises, intelligence conomique, il y a bien un objectif commun : la prosprit dun pays et de ses habitants. En France, lEtat sest engag tardivement dans un processus de dfinition des objectifs stratgiques, et de mutualisation des services. En dpit dune tradition dexcellence technique ajoute une grande imagination intuitive, la France prsente dinquitantes zones de faiblesse (culturelle, juridique). Ds lors, la mise en oeuvre d'une politique d'intelligence conomique doit permettre de renforcer la lgitimit de l'action publique dans son ensemble, exprimant le passage de lEtat modeste lEtat moderne . Les concepts d'Etat stratge et d'Etat partenaire constituent cet gard une des rponses adaptes aux impasses du libralisme social et aux difficults des pouvoirs publics renouer avec le plein emploi. Entre veille juridique et protection du patrimoine, il appartiendra donc lEtat daccompagner les entreprises dans leur dveloppement local, national et international. Rsum en anglais : STATE, COMPAGNIES, COMPETITIVE STRATEGY, WHAT IS THE ROLE FOR THE PUBLIC ACTION ? Today as before companies place themselves at the heart of information, at the very centre-point where all the vectors and objectives of information come together. The heir of information, competitive stratgy is different as it replaces political power by economic power. Indeed it is half way between the private interests of the managing director and the general interests supported by the state. The state, companies, economic strategy all have one common objective: the prosperity of a country and its inhabitants. In France, the government became belatedly involved in a process of defining strategic objectives and the mutualisation of services. Despite a tradition of technical excellence as well as intuitive imagination, France has a certain number of preoccupyiny weak points (cultural, legal) Consequently the implantation of a policy of economic strategy should enable the State to progress from being a modest State to a modern State by reinforeing the legitimacy of its overall public action. Therefore the concepts of a strategic State and a Partner State constitute one of the solutions to the dead-end of social liberalism and to the difficulties of the government to renew with full employment. With legal vigilance and protection of the patrimony the State should accompany business in their local, national and international development. Mots cls : Economie, emploi, Etat, dveloppement, France, information, intelligence conomique, puissance publique, stratgie.
Remerciements
Je tiens remercier messieurs les professeurs Frdric Debove et Jean-Franois Renucci pour avoir accept dtre rapporteurs de cette thse. Merci messieurs les professeurs Gatan Di Marino et Henri Dou, monsieur Alain Juillet et monsieur le gnral Watin-Augouard, davoir bien voulu honorer le jury de leur prsence. Merci matre Gilles Mathieu et monsieur Stphane Boudrandi, davoir accept de diriger mes travaux de recherche et de mavoir guid et conseill tout au long de ces quatre annes. Merci au gnral Chariglione, au colonel Brunaud, au chef descadron Delapierre et au capitaine Segui, de mavoir soutenu dans la ralisation de ce projet. Il me reste enfin remercier ma famille et mes amis pour leur coute et leur patience. La facult de droit nentend donner aucune approbation ou improbation aux opinions mises
dans cette thse. Ces opinions doivent tre considres comme propres leur auteur.
Ce document a fait lobjet dun contrle informatis anti-plagiat.
ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE
8
PLAN
Plan gnral
Partie 1 : L'intelligence conomique est un levier de renouveau de la politique publique 1. La place de l'Etat dans une conomie de la connectivit
gnralise
1.1. L'intelligence conomique participe la performance et la modernisation conomique des entreprises
1.1.1.Linformation est la matire premire de l'conomie
1.1.1.1.1. La socit de l'info-dominance 1.1.1.1.2. De la guerre conomique la guerre de
l'information
1.1.2.L'information est au coeur des processus stratgiques 1.1.2.1.1. Le passage de l'information la connaissance 1.1.2.1.2. Intelligence, connaissance et information
1.2. L'intelligence conomique participe la rforme de l'Etat
1.2.1.L'Etat doit tre un rducteur d'incertitudes
1.2.1.1.1. Le management de l'information et des connaissances, doit permettre d'clairer l'avenir
1.2.1.1.2. Le management des risques doit favoriser le dveloppement d'une intelligence de crise
1.2.2.L'Etat doit jouer un rle d'anticipateur
1.2.2.1.1. Vers de nouvelles formes de conflits: la guerre en rseau
1.2.2.1.2. Vers une Communaut de l'information scurise
ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE
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2. La politique publique d'intelligence conomique s'appuie sur les pouvoirs rgaliens de l'Etat
2.1. De la dfense nationale la scurit nationale: le
concept de scurit conomique active
2.1.1.Entre pouvoirs, puissance et souverainet, l'Etat participe la prservation des intrts conomiques stratgiques
2.1.1.1.1. L'entreprise est au coeur des stratgies de puissance
2.1.1.1.2. L'Etat et le patriotisme conomique
2.1.2.La gouvernance comptitive europenne 2.1.2.1.1. La France est un acteur majeur de la
construction europenne 2.1.2.1.2. L'Europe doit oeuvrer pour une vritable
politique publique d'intelligence conomique
2.2. Entre actions dfensives et offensives, la reconnaissance dune lgitime dfense conomique
2.2.1.Les moyens de dfense juridique au service des entreprises
2.2.1.1.1. La protection de linformation 2.2.1.1.2. Les stratgies de brevetabilit et la lutte contre
la contrefaon
2.2.2.Les moyens publics de riposte conomique 2.2.2.1.1. La protection du patrimoine conomique 2.2.2.1.2. La dfense des intrts conomiques armes
gales
PLAN
11
Partie 2 : Le partenariat public-priv, est un levier de dveloppement conomique des territoires 1. La pertinence d'une politique publique d'intelligence
territoriale
1.1. Le dveloppement d'une vision stratgique partage en vue d'amliorer l'attractivit des territoires
1.1.1.Lintelligence territoriale garantit un exercice partag des
comptences publiques locales 1.1.1.1.1. Les rformes de modernisation de lEtat
facilitent les interventions conomiques des collectivits territoriales
1.1.1.1.2. Laction dconcentre de lEtat sexerce au travers dun partenariat local de comptitivit
1.1.2.L'intelligence territoriale garantit la coordination de
plusieurs espaces : gographique, conomique et politique. 1.1.2.1.1. Une nouvelle voie d'amnagement des
territoires 1.1.2.1.2. L'exprience des ples de comptitivit
1.2. L'accompagnement des entreprises dans leurs dmarches de scurit conomique
1.2.1.La gestion dune nouvelle menace : la cybercriminalit
1.2.1.1.1. La cybercriminalit constitue une menace multiforme
1.2.1.1.2. Les services de scurit sengagent dans la lutte contre la cybercriminalit
1.2.2.L'action de la gendarmerie: force rpublicaine de scurit. 1.2.2.1.1. La Gendarmerie Nationale est une force
territoriale de scurit conomique
ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE
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1.2.2.1.2. La Gendarmerie Nationale dispose dune diversit de comptences et dexpertises dans la prise en compte des nouvelles menaces
2. La valorisation des intrts territoriaux: une mthodologie fonde sur les rseaux humains
2.1. La diffusion d'une culture de l'intelligence
conomique participe la cration dune intelligence collective
2.1.1.La sensibilisation des acteurs une culture de l'intelligence conomique
2.1.1.1.1. La sensibilisation des acteurs 2.1.1.1.2. La formation des acteurs
2.1.2.La mise en rseau des acteurs territoriaux 2.1.2.1.1. La mise en uvre dune culture collaborative de
lintelligence conomique 2.1.2.1.2. La cration dun observatoire local de la
comptitivit conomique
2.2. L'influence comme volet offensif de l'intelligence conomique
2.2.1.L'influence et le lobbying sont au coeur des ralits
conomiques 2.2.1.1.1. Les enjeux stratgiques des oprations
dinformation conomique 2.2.1.1.2. Lemploi de techniques dinfluence et de
lobbying
2.2.2.La place de la France au coeur de la mondialisation des cultures
2.2.2.1.1. La promotion de valeurs conomiques universelles
2.2.2.1.2. Le partage de valeurs avec nos partenaires conomiques
GLOSSAIRE
13
Glossaire des sigles et acronymes ACFCI Assemble des chambres franaises de commerce et dindustrie ADIT Agence de diffusion de linformation technologique ADITECH Association pour la diffusion de linformation technologique AFDIE Association franaise de dfense de lintelligence conomique AFII Agence franaise pour les investissements internationaux AFIC Association franaise des investisseurs en capital AFNOR Agence franaise de normalisation AFP Agence France presse AFR Aide finalit rgionale AGCS Accord gnral sur le commerce et les services AMP Accord sur les marchs publics ANVAR Agence nationale de valorisation de la recherche ARIST Agence rgionale pour linformation scientifique et technique BDPME Banque de dveloppement pour les petites et moyennes entreprises BEFTI Brigade denqute sur les fraudes aux technologies de linformation CAP Centre danalyse et de prvision CAS Centre danalyse stratgique Cass. Crim Cour de cassation, chambre criminelle CCI Chambre de commerce et dindustrie CCSE Comit pour la comptitivit et la scurit conomique CD Confidentiel dfense CDC Caisse des dpts et consignations CE Conseil dEtat CE Communaut europenne CEDH Cour europenne des droits de lHomme CEE Communaut conomique europenne CELAR Centre lectronique de larmement CERCS Centre de lemploi, des revenus et de la cohsion sociale CESD Centre dtude scientifiques de dfense CFCE Centre franais de commerce extrieur CFIUS Comitee on foreign investment on United states CIA Central intelligence agency CIAT Comit interministriel pour les problmes daction rgionale et damnagement du
territoire CIEEMG Commission interministrielle des tudes et exportations des matriels de guerre CIGREF Club informatique des entreprises franaises CIR Comit interministriel de renseignement CJCE Cour de justice des communauts europenne CLUSIF Club de la scurit de linformation franais CNCE Centre national du commerce extrieur CNFPJ Centre national de formation de police judiciaire de la gendarmerie CPE Centre de prospective et dvaluation CRCI Chambre rgionale de commerce et dindustrie CRDE Commission rgionale de dfense conomique CSCE Comit pour la scurit et la comptitivit conomique DAS Dlgation des affaires stratgiques DATAR Dlgation de lamnagement du territoire DCI Directeur central de linformation DCPJ Direction centrale de la police judiciaire
ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE
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DCSSI Direction centrale de la scurit des systmes dinformation DCRG Direction centrale des renseignements gnraux DCRI Direction centrale du renseignement intrieur DEFI Enquteurs spcialiss en dlinquance conomique et financire DG Direction gnrale DGME Direction gnrale de modernisation de lEtat DGRST Dlgation la recherche scientifique et technique DGSE Direction gnrale de la scurit extrieure DNI Direction of national intelligence DoD Department of defense DPSD Direction de la protection de la scurit de la dfense DRCE Direction rgionale du commerce extrieur DREE Direction des relations conomiques extrieures DRIRE Direction rgionale de lindustrie, de la recherche et de lenvironnement DRM Direction du renseignement militaire DRRT Direction rgionale la recherche et la technologie DST Direction de la surveillance du territoire EOGN Ecole des officiers de la gendarmerie nationale ESCI Enquteurs spcialiss en criminalit informatique FED Fondation des tudes de dfense FEDER Fonds europen de dveloppement rgional GATT General agreement on tariffs and trade HFD Haut fonctionnaire de dfense HRIE Haut responsable charg de lintelligence conomique IE Intelligence conomique IEC Intelligence conomique comptitive IEP Institut dtudes politiques IES Intelligence conomique et stratgique IHEDN Institut des hautes tudes de la dfense nationale IMD Institute for management development INHES Institut national des hautes tudes de scurit INPI Institut national de la proprit intellectuelle INSEE Institut national de la statistique et des tudes conomiques INTELCO Institut dtude et de la stratgie de lintelligence conomique IRCGN Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale ITIC Intelligence technology innovation center JETRO Japan trade organization JO Journal officiel JOUE Journal officiel de lUnion europenne LABCIS Laboratoire de recherche sur la communication et linformation scientifique et
technique LOPSI Loi d'orientation et de programmation pour la scurit intrieure LPF Level Playing Field MAE Ministre des Affaires trangres MEFI Ministre de lEconomie, des Finances et de lIndustrie MIOMCT Ministre de lIntrieur, de loutre-mer et des collectivits territoriales MIDIST Mission interministrielle de linformation scientifique et technique MIT Massassuchets institue of technology MITI Ministry of international trade and industry MTR Military technological revolution NCW Network centric warfare NEC National economic council NSA National security agency NSC National security council N-TECH Enquteurs spcialiss dans lutilisation des nouvelles technologies
GLOSSAIRE
15
OCDE Organisation de coopration et de dveloppement conomique OCLCTIC Office central de lutte contre la criminalit lie aux technologies de linformation et de
la communication OEB Office europen des brevets OMC Organisation mondiale du commerce OMPI Organisation mondiale de la proprit intellectuelle OMS Organisation mondiale de la sant OND Observatoire national de la dlinquance ONG Organisation non gouvernementale OPECST Office parlementaire dvaluation des choix scientifiques et technologiques OSS American office of strategic services OTAN Organisation du trait de lAtlantique nord OTS Observatoire des technologies stratgiques PAGSI Programme gouvernemental en faveur de lentre de la France dans la socit de
linformation PESC Politique trangre de scurit commune PIB Produit intrieur brut PME /PMI Petite et moyenne entreprise/petite et moyenne industrie PNB Produit national brut RENATER Rseau national de tlcommunication pour la technologie, lenseignement et la
recherche RESIS Rseau dinformation stratgique pour les entreprises R&D Recherche et dveloppement RMA Revolution of military affairs SBA Small business act SD Secret dfense SDECE Service de documentation extrieur et de contre-espionnage SEC Security and exchange commission SGDN Secrtariat gnral de la dfense nationale SRDE Schma rgional de dveloppement conomique STRJD Service technique de recherche judiciaire et documentaire TGI Tribunal de grande instance TIC Technologies de linformation et des communications TPCC Trade promotion coordinating commitee TSD Trs secret dfense UCCIFE Union des chambres de commerce et dindustrie franaise ltranger UE Union europenne USA United States of Amrica USIA United States information agency USTR United States trade representative
INTRODUCTION
17
INTRODUCTION
[1.] Les disciples classiques 1 du libralisme promettaient que les avances de
lconomie aboutiraient une fin des ingalits, au partage des valeurs et la paix entre les
peuples. Dans cette logique, lEtat devenu une forme obsolte du pouvoir devait peu peu
disparatre. Aujourdhui, ces espoirs utopiques sont dus. Les crises conomiques, financires,
sanitaires, sociales et politiques se succdent. Le march est gouvern par le dictat de
linformation globalise, qui acclre les changes et agrave les tensions. Le monde prsente des
risques, que la mondialisation complexifie. Dans le domaine conomique, la diversification des
menaces rend chaque jour limpratif de scurit publique plus essentiel. Les auteurs du Livre
blanc sur la Dfense et la scurit nationale (juin 2008), estiment ainsi que : la mondialisation
transforme en profondeur les fondements mmes du systme international. La distribution de la
puissance mondiale se modifie au bnfice de lAsie. Les tats sont concurrencs, dans leurs
stratgies, par de nouveaux acteurs puissants. La typologie des menaces et des risques oblige
redfinir les conditions de la scurit nationale et internationale 2et la politique de
dfense et de scurit de la France est, nouveau, la croise des chemins 3. Ds lors, toujours
selon les auteurs, nous sommes entrs dans un monde qui nest pas ncessairement devenu plus
dangereux, mais certainement plus imprvisible, plus instable, plus contradictoire que celui qui
se dessinait en 1994, lors de llaboration du prcdent Livre blanc. Dans un tel environnement,
des vulnrabilits nouvelles affectent le territoire national et la population franaise 4.
[2.] La France parat donc tre en guerre, travers lensemble des conflits et des actes
prparatoires qui caractrisent cet tat. Sauf quaujourdhui, les modalits de la guerre5 ont
volu. Depuis vingt ans, la guerre totale nous semble lointaine, comme si elle tait en dehors
de nos vies, en quelque sorte efface dune ralit potentielle. Pourtant, en ce dbut de XXIe
sicle, les principaux conflits go-stratgiques existent toujours. Ils se traduisent simplement par
dautres formes de reprsentation. Les affrontements se jouent dsormais sur la scne
1 Issus de lcole de la main invisible , inspire des thories de Adam Smith. 2 Livre blanc, Dfense et scurit nationale , Odile Jacob, juin 2008, p13. 3 Prface du, Prsident de la Rpublique, Nicolas Sarkozy, Livre Blanc, Dfense et scurit nationale , Odile
Jacob, juin 2008, p13. 4 Livre blanc, Dfense et scurit nationale , op.cit p14. 5 La notion de guerre renvoie juridiquement au temps de guerre , qui comprend tout conflits opposant deux
Etats, de mme que leurs actes prparatoires. Selon le professeur Jean-Paul Doucet, le droit criminel nattend pas une dclaration officielle de guerre pour renforcer la protection de la nation .
ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE
18
conomique et commerciale. La guerre conomique6 se substitue la guerre froide , tout en
lui empruntant son intensit et ses secrets. Quil sagisse de conflits ouverts et arms7, ou
doppositions froides et discrtes, la guerre est en perptuelle mutation. Cependant, quelles
que soient les poques, les conflits guerriers ont toujours eu une mme finalit : la prservation
du systme politique8 qui les commande. Si bien que la pense de Carl Von Clausewitz, se trouve
tre dune surprenante vrit: la guerre est la continuation de la politique et du commerce par
dautres moyens 9. La chute du mur de Berlin na donc pas conduit une fin de lhistoire
comme le prdisait Fukuyama. Au contraire, lHistoire continue, et revoit ses classiques. Selon
Ralph Peters, nous sommes entrs dans un ge de conflits constants 10.
[3.] Dans un contexte de globalisation 11 des conomies et des modes de vie, les
ennemis dhier sont devenus les allis daujourdhui. Dans le mme temps, nos allis politiques
sont prsent nos concurrents conomiques. La mondialisation se caractrise en effet par le
dveloppement et la gnralisation lchelle plantaire de liens dinterdpendance entre les
individus, les systmes politiques ou conomiques. Lobjectif tant duniciser modes de
production, de consommation, modes de pense, bref modes de vie, dans un objectif
doptimisation du profit. Parler de mondialisation, cest voquer lemprise dun systme
conomique, le capitalisme, sur lespace mondial , note lconomiste Jacques Adda12. Il sagit
donc dune nouvelle sorte de guerre dans laquelle, au bnfice de structures de moins en moins
nombreuses, et toujours plus puissantes, lessence mme de ce qui fait les nations risque de
disparatre. Cette forme de guerre constante , troque aujourdhui les costumes traditionnels de
soldat, pour ceux plus inhabituels dhomme daffaires et dactionnaire. Dans le mme temps, la
croissance conomique et sa prservation, tiennent lieu de vritable religion pour les
gouvernements de la plante. Une guerre sainte est donc dclare, au travers de laquelle, les
idologies de nos civilisations seffacent peu peu sous les coups de boutoir des intrts
conomiques. 6 Selon Fanny Coulomb : nous proposons dappeler conflits conomiques toutes les stratgies qui
conduisent un pays ou une firme sassurer davantages conomiques particuliers, mme au dtriment dautres Etats et firmes, et de rserver le concept de guerre conomique aux oprations qui nont pas de simple objectif conomique et qui ont pour vocation dagresser ou daffaiblir un pays ennemi .
7 Le droit international humanitaire propose une division entre les conflits internationaux et ceux qui ne le sont pas. En pratique, la dfinition internationale dun conflit est quasi irralisable.
8 Selon linterprtation noble qui tait dj celle dAristote, la politique est lart du commandement social, lactivit pacificatrice permettant une socit divise de sordonner une fin suprieure. Lorganisation du pouvoir politique, sous la forme tatique est, lchelle de lhistoire de lhumanit, un phnomne rcent puisque lon situe gnralement lapparition de lEtat au XVe sicle.
9 CLAUSEWITZ Carl, De la guerre, Paris, Editions de minuit, 1834, p210. 10 PETERS Ralph, Conflits constants , Paris, Parameters, 1997, p4 11 La globalisation est un nologisme anglais qui se traduit par lchange et la diffusion internationaux de biens,
de services, dHommes et de femmes, de capitaux, de technologies. 12 ADDA Jacques, La mondialisation de lconomie , Tome 1&2, Paris, La Dcouverte, 2004.
INTRODUCTION
19
[4.] Lconomie de march devient le thtre moderne des affrontements go-
stratgiques. Pour Alain Bienaym, lconomie de march runit en troite symbiose deux
modes distincts de coordination des activits : lentreprise et le march 13. Lconomie
politique cherche alors savoir comment les ressources productives sont affectes la
production de biens et de services qui satisfont au mieux les besoins prsents et futurs,
individuels et collectifs 14. Dans ce contexte, la violence de tous contre tous est la consquence
directe de la comptition des individus, affirme Thomas Hobbes. Et pour lauteur, seule la
dlgation de lautorit un souverain permet de pacifier une telle socit. En rponse, Adam
Smith invoque la propension naturelle de lhomme changer et troquer. Selon lui, le march a
pour proprit de permettre lenrichissement dune nation alors mme que chacun ne cesse de
poursuivre son propre intrt. Ces approches mettent en concurrence deux interprtations
opposes : il revient soit lEtat, soit au march dassurer la coordination de la concurrence que
se livrent les individus. La controverse sur le degr dinterventionnisme conomique de lEtat
oppose une vision de lEtat providence, celle dun Etat modeste.
[5.] Sagissant du rle de lEtat, et selon Carr de Malberg, il convient au pralable de
ne pas oprer une confusion entre les lments didentification de lEtat et lEtat15 : en effet, le
territoire, lagglomration des habitants vivant en commun, lorganisation elle-mme de la
collectivit et de la puissance qui en drive, ne sont que des conditions de la formation de lEtat :
ces divers facteurs combins vont bien avoir lEtat pour rsultante, mais lEtat ne se confond pas
avec eux . Les rgles internationales exigent que certaines conditions objectives soient remplies
pour accorder une collectivit naturelle le statut lgal dEtat. Ces conditions ont t rappeles
par un avis de la Commission darbitrage pour la Yougoslavie en date du 29 novembre 1991 :
lEtat est communment dfini comme une collectivit qui se compose dun territoire et dune
population soumise un pouvoir politique organis 16. Ds lors, selon Musgrave, le rle de
lEtat se prsente selon trois fonctions : tout dabord la fonction daffectation des ressources
(lEtat effectue des dpenses pour entretenir son administration et pour financer les biens
collectifs) ; ensuite la fonction de redistribution (lEtat aspire lgalit daccs des citoyens
certaines richesses matrielles) ; enfin la fonction de rgulation (lEtat a pour mission de rguler
lactivit conomique).
13 BIENAYME Alain, Les grandes questions dconomie contemporaine , Paris Odile Jacob, 2006, p 119. 14 BURGENMEIER Beat, Analyse et politiques conomiques , Paris, Econonmica, 2006, p3. 15 CARRE De MALBERG, Contribution la thorie gnrale de lEtat , t.1, Librairie du Recueil Sirey,
1920, red, CNRS 1985, p8. 16RGDI publ. 1992, p264.
ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE
20
[6.] En matire de politique conomique, lEtat poursuit des objectifs qui peuvent tre
schmatiss dans un carr magique tel que la dfini N. Nador. Selon lauteur, la politique
conomique de lEtat doit sexercer en priorit : sur le taux dinflation, sur le taux de chmage,
sur le taux de croissance, et sur lquilibre extrieur. Cest dire que dans le domaine conomique,
lEtat doit avoir principalement une fonction de rgulateur. Cependant, depuis plus dune dizaine
dannes, sous leffet de la globalisation des marchs et des menaces socio-conomiques
induites, le rle de la puissance publique connat de vastes rformes. A lorigine, la puissance
publique se dfinissait comme lexpression dune autorit publique qui exerce un pouvoir
souverain sur un territoire et lgard dune population17. Aujourdhui, le rle de cette puissance
tend devenir plus doux ( soft-power ) se traduisant par de nouvelles formes de
reprsentation et dinfluence lgard des entits conomiques telles que les entreprises.
[7.] En droit priv, une entreprise dsigne lorganisation publique ou prive sous
laquelle une personne physique ou un organisme exerce une activit conomique (en utilisant un
personnel, des locaux et des quipements appropris). En conomie, il sagit d une unit de
production qui acquiert sur les marchs des facteurs de production quelle combine en vue de
produire un bien ou doffrir un service, destins satisfaire une demande solvable exprims sur
le march 18. Cela signifie que sur un march, o la concurrence est libre et parfaite, lentreprise
la plus performante est alors celle dont les modes de production sont les plus comptitifs. Or
paradoxalement, sous leffet de la mondialisation des conomies, le march semble avoir perdu
de son autonomie. Bernard Carayon note, que la comptition sest exacerbe entre tats, et
entreprises. Prix et spcificits des produits ou services ne constituent plus exclusivement les
facteurs dterminants de conqute des marchs 19. Une trange contradiction semble donc se
dvelopper : dun ct lpoque o lEtat pouvait dcider de tout est rvolue. De lautre, les
administrations nationales et internationales tendent rglementer en dtail la vie des entreprises
et des particuliers. Entre ces deux extrmes, Bruno Amable identifie cinq modles
capitalistiques20 :
- le capitalisme libral de march (Australie, Canada, Royaume-Uni, Etats-Unis),
dans lequel une grande importance est donne la concurrence par les prix et la
neutralit de lEtat sur les marchs des produits ;
17 Cette autorit prend toutes les dcisions relatives la gestion des affaires communes. Elle dispose du pouvoir
de coercition afin dassurer le respect des dcisions prises. 18TEULON F. Dictionnaire dhistoire, conomie, finance, gographie , Paris, PUF, 1995. 19CARAYON Bernard, rapport au Premier ministre, A armes gales , septembre 2006, Paris, La
documentation franaise, 2006, p6. 20AMABLE Bruno, Les cinq capitalismes. Diversit de systmes conomiques et sociaux dans la
mondialisation Paris, Seuil, 2005, 373 pages.
INTRODUCTION
21
- le capitalisme asiatique (Japon, Core), dans lequel lintervention de lEtat est
forte ;
- le capitalisme europen continental (Suisse, Allemagne, France, Norvge), qui
donne une importance modre lintervention de lEtat notamment en matire
de protection contre les firmes et les investissements trangers ;
- le capitalisme social-dmocrate (Danemark, Finlande, Sude), qui conjugue une
intervention de lEtat forte et une ouverture importante aux investissements
trangers ;
- le capitalisme mditerranen (Grce, Italie, Espagne), qui propose une
concurrence par les prix plutt que par la qualit et une protection modre contre
les investissements trangers.
[8.] Cette classification a le mrite de prsenter les diffrents modes de gouvernance
conomique connus. Nanmoins, une nouvelle dimension de lEtat dans ses rapports
lconomie, simpose aujourdhui. Pour Tony Blair21, lEtat nest pas le substitut naturel du
march. En rupture avec les thories Keynsiennes, cette conception se traduit par lide que
lEtat doit jouer le rle darbitre et de partenaire des oprations prives. Il sagit de dfinir un
libralisme nouveau, qui se traduit par le concept d conomie intelligente . Lintelligence se
concevant alors comme la dmarche qui sauvegarde la dimension humaine face aux impratifs
capitalistiques du march.
[9.] Etymologiquement, l' intelligence est la facult de s'informer et de comprendre
son environnement 22 (du latin intelegere qui signifie comprendre). Selon le rapport Martre,
publi en 1994, l'intelligence conomique se dfinit comme lensemble des actions de
recherche, de traitement et de diffusion en vue de son exploitation, de linformation utile aux
acteurs conomiques. Ces diverses actions sont menes lgalement avec toutes les garanties de
protection ncessaire la prservation du patrimoine de lentreprise dans les meilleures
conditions de qualit, de dlais et de cots 23. Au travers de lintelligence conomique,
linformation et la connaissance deviennent des valeurs stratgiques fondamentales. En ce sens,
le Livre blanc de 2008 rappelle que, les systmes dinformation, qui innervent la vie
conomique et sociale comme laction des pouvoirs publics, celle des grands oprateurs
21 Premier ministre travailliste du Raoyaume-Uni, de mai 1997 juin 2007. 22MARTINET Bernard et MARTI Y.M, L'intelligence conomique, les yeux et les oreilles de l'entreprise ,
Les ditions d'organisation, 1995, p5. 23MARTRE Henri, (groupe prside par), rapport du Commissariat au Plan consacr l'intelligence conomique
et la comptitivit des entreprises , La documentation franaise, 1994, p 16-17.
ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE
22
dnergie, de transports ou dalimentation, ou encore lorganisation de notre dfense, rendent
nos socits et leur dfense vulnrables des ruptures accidentelles ou des attaques
intentionnelles contre les rseaux informatiques 24. Or, les incertitudes qui psent sur
lvolution de notre environnement international et son haut degr dimprvisibilit obligent
prendre en compte le risque de surprises ou de ruptures stratgiques 25.
[10.] Confrontes la mondialisation conomique26, lobjectif de nos socits est alors de
dfinir le rle dvolu la puissance publique. Dans le respect des engagements internationaux,
celle-ci doit mettre en perspective la dfense et laccompagnement de lessor conomique
national, au bnfice final des citoyens. A cet gard, il sagit de savoir en quoi lintelligence
conomique constitue une troisime voie , entre libralisme et protectionnisme, dans
lorganisation des rapports entre lEtat, sa puissance et les entreprises qui en dpendent.
[11.] Depuis Sun Tzu, Platon, Machiavel et Hobbes jusqu' Locke et Rousseau, cest la
relation entre protection et obissance qui reste la seule rponse lnigmatique question du
pouvoir politique souverain27. La Constitution de 1790 formule que : la souverainet est une,
indivisible, inalinable et imprescriptible. Elle appartient la Nation : aucune section du peuple,
ni aucun individu ne peut sen attribuer lexercice . La caractristique dune collectivit
souveraine est qu elle ne tient son pouvoir que delle-mme et nest soumise aucune autorit
qui lui soit extrieure 28. Le contrat fondateur de souverainet est alors un contrat de protection.
Selon cette conception, le contrat est un pacte ( pactum sublectionis ) qui unit les gouverns
aux gouvernants et par lequel les gouverns reconnaissent le pouvoir des gouvernants29. Il revient
24 Livre blanc, Dfense et scurit nationale , Odile Jacob, juin 2008, p51. 25 Livre blanc, Dfense et scurit nationale , Odile Jacob, juin 2008, p63. 26 Eric J Arnould, observe que la spcificit de la prsente mondialisation est sa capacit dpasser la simple
activit conomique pour embrasser la quasi-totalit des domaines de lactivit humaine. Contrairement aux empires passs, aucune rgion, mme les plus recules, nchappe la globalisation , La mondialisation a-t-elle une vraie dfinition ? , Universit dt du MEDEF, aot 2007.
27 La naissance officielle de cette souverainet tatique date des traits de Westphalie des 14-24 octobre 1648. Ces traits mettent fin la guerre des trente ans opposant alors le Saint Empire romain germanique aux monarchies europennes, et accordent la souverainet ces dernires. Cette reconnaissance marque le passage du Moyen Age (socit sans Etat) aux temps modernes.
28 JACQUE Jean-Paul, Droit constitutionnel et institutions politiques , Paris, Dalloz, 1996, p8. Les caractristiques de la souverainet prsentent une face interne et externe : sur le plan interne, lEtat possde un pouvoir absolu de dcider en dernier ressort. Sur le plan externe, la souverainet de lEtat rside dans son indpendance, lgard de tout autre autorit.
29 La thorie du contrat social, veut que laccord qui intervient entre les individus, fonde le pouvoir politique. Cependant, si le contrat social, dans une socit moderne peut servir dexplication mythique de lorigine de la Constitution, la technique contractuelle nest gure applicable la Constitution. Il faudrait expliquer ce quoi sattachera Rousseau, comment lalination de la libert contractuelle peut tre totale, une fois le contrat conclu, au point que les gnrations futures soient engages.
INTRODUCTION
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la Constitution30 de dterminer le pouvoir du rgime politique, elle fonde sa lgitimit. En effet,
le pouvoir, pour se maintenir, doit reposer sur le consentement des gouverns, faute de quoi,
fond exclusivement sur la force, il ne peut esprer bnficier de la dure. Or le phnomne de
mondialisation, pose en termes stratgiques, la question de savoir si la violence et la rupture du
contrat social, vont dominer lensemble du globe, ou bien au contraire si la paix et la dmocratie
se maintiendront. Plus concrtement, l imperium conomique, au travers de ses
reprsentations montaire, financire et commerciale, nous vite-il les conflits ?
[12.] Au dpart, la puissance publique garantit la survie dune socit, en ce quelle limite
laction de ses forces destructrices (au travers de la mort des individus, des organisations, ou
encore des rapports hirarchiques). La politique est alors lactivit stratgique dominante31. Elle
peut se considrer comme le point mdian, o se rencontrent lconomie et la violence. Selon ce
modle, la production gnre par lessor conomique, doit alors prendre le pas sur la destruction
engendre par la violence (de la guerre notamment). Faute de quoi, les tres humains, dans
chaque pays, qui ne peuvent comprendre le nouveau monde ou qui ne peuvent tirer profit de
leurs incertitudes ou qui ne peuvent pas se rconcilier eux-mmes avec sa dynamique,
deviendront des ennemis violents de leurs gouvernements inadapts, de leurs voisins plus
fortuns et en dernier recours, des Etats-Unis 32, prvient Ralph Peters.
[13.] En consquence, lEtat doit participer la vie conomique de sa cit. A elles seules,
les lois du march et des entreprises ne peuvent gouverner la socit civile. En ce sens, le pouvoir
conomique des entreprises nest pas lobjet dune lgitimit dmocratique. Les temps sont
durs pour les aptres du libralisme, note fin 2007, le journaliste Frdric Le matre. En
quelques mois, Londres, Wall Street, Zurich, les trois places fortes de la mondialisation
financire, viennent de lancer d'humiliants S.O.S destination d'un adversaire jug jadis
moribond : la bonne vieille puissance publique 33. Comme l'observe, le Wall Street Journal,
le capitalisme n'est pas parfait 34. LHistoire emprunte des raccourcis jusquici mconnus,
faisant rimer mondialisation avec nationalisation.
[14.] Que ce soit donc, au moyen des fonds souverains (qui sont des structures cres par
les Etats, notamment ceux du moyen et du proche Orient, afin de grer leurs recettes
30 Toute socit politique comporte un corps de rgles, crites ou non destines fixer les modalits
dacquisition et dexercice du pouvoir politique. Ces rgles constitutent la Constitution , selon Jean-Paul JACQUE.
31 Les partis et les groupements politiques concourent lexpression du suffrage. Ils se forment et excercent leur activit librement. Ils doivent respecter les principes de souverainet nationale et de dmocratie , article 4 de la Constitution de 1958.
32 PETERS Ralph, Conflits constants , op.cit.p4 33 LEMAITRE Frdric, 2007, lanne du grand retour des Etats , Le Monde, 22 dcembre 2007. 34 Wall Street Journal, dition du 14 novembre 2007.
ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE
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ptrolires35), ou dactions diplomatiques36, les Etats tentent de reprendre la main. En France,
tout particulirement, jamais la politique et le commerce nont entretenu des liens aussi troits :
aronautique (EADS), transports (Alstom), environnement (Suez, Veolia), nergie (Areva,
EDF)... Il est dailleurs intressant de constater, que dans le mme temps, les ngociations pour
la libration des changes, menes par lOrganisation mondiale du commerce (OMC), sont dans
limpasse. Les privatisations connaissent galement un ralentissement majeur. Ainsi, aux Pays-
Bas, le 10 dcembre 2007, le gouvernement dcidait de geler la privatisation des trente dernires
entreprises nationales. L'ancien commissaire europen, Frits Bolkestein, vilipend en France
pour son libralisme, reconnaissait lui-mme, ds 2006 qu il serait naf d'affaiblir les
compagnies nerlandaises, alors qu'ailleurs dans le monde, en Chine et en Russie notamment,
les entreprises d'Etat tiennent solidement les rnes 37.
[15.] Ces exemples sont autant de rponses aux demandes exprimes par les opinions
publiques. Quelles que soient leur nationalit, ces dernires attendent des Etats, quils les
protgent. Au-del de lmergence de nouveaux pays aux doctrines peu librales, la
mondialisation fait peur, car elle est synonyme pour tout un chacun dun surcrot dingalits. La
stratgie dveloppe par les politiques publiques se construit dsormais sur cette question. Ce
thme fut dailleurs au cur de la campagne prsidentielle franaise de 2007. De mme, aux
Etats-Unis, les candidats la Maison Blanche, ont adopt une posture librale plus modre
(selon un sondage paru dans The Economist du 8 dcembre 2008, une majorit (relative)
d'Amricains pense que le gouvernement devrait garantir un systme d'assurance-sant mme s'il
faut pour cel augmenter les impts). Finalement, les thoriciens du libralisme en viennent
reconnatre, que la comptitivit d'un pays nest pas seulement fonction de la rduction des
dpenses publiques. En tmoigne le classement tabli par le World Economic Forum . Selon
cette organisation non gouvernementale (ONG) qui organise le Forum de Davos, les 8 pays les
plus comptitifs sont, dans l'ordre : les Etats-Unis, la Suisse, le Danemark, la Sude, l'Allemagne,
la Finlande, Singapour et le Japon. Dans la plupart d'entre eux, le poids des impts est lev. Le
retour en grce de la puissance publique dpasse donc largement le cadre de l'conomie. Cette
tendance est globale. On la retrouve dans tous les domaines. L'environnement, mais aussi l'eau
35 En mars 2008, lAngleterre a manifest son dsir dannoncer prochainement une loi sur la finance islamique.
Cette lgislation doit permettre le lancement dobligations dEtat certifies islamiques ou sukuk . Si cette initiative voit le jour, le Royaume-Uni deviendrait le premier pays du G7, mettre un sukuk destin en priorit aux investisseurs moyen-orientaux et aux musulmans britanniques. En France, lAgence France Trsor (AFT), qui gre la dette de lEtat, ne se dclare pas prte lancer de tels fonds.
36 Les gouvernants occidentaux sengagent dans une vritable politique de VRP, afin de garantir la vente de leurs technologies nationales.
37 JUNGHANS Pascal, Le retour du patriotisme conomique, modle Sarkozy , La Tribune, le 8 janvier 2008.
INTRODUCTION
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ou la sant deviennent des biens publics mondiaux qui ne peuvent pas tre laisss aux seules
forces du march.
[16.] La stratgie de la puissance publique oscille donc entre lobligation de garantir un
accs libre et relativement quitable aux marchs, et la ncessit de participer activement la
prservation des intrts conomiques nationaux. Enferme dans cette contradiction, o le
patriotisme conomique ne doit pas faire chec la construction europenne, la France
sengage dans la rnovation de ses modles de pense et dorganisation. Ds lors, quil sagisse
dintelligence conomique ou de comptitivit stratgique, plusieurs mthodologies daction sont
apparues depuis quelques annes. Toutes poursuivent un objectif commun : garantir lessor
conomique dune nation, tout en prservant son modle politique, conomique et social. A cette
fin, la pense stratgique classique vient alimenter les ambitions conomiques modernes. Cest
dans cette perspective, que les Etats-Unis ont su, trs tt, poser les questions en termes de
stratgies globales. Parlant d oprations autres que la guerre , ou de guerre asymtrique ,
lAmrique de Bill Clinton a inaugur une politique publique empirique et fonctionnaliste. En
France, Alain Joxe rappelle, qu il faut avant tout dchiffrer vers quelles guerres permanentes
nous entranent certains des traits nouveaux de la conflictualit globaliss, et valuer du point
du vue europen quelles formes de paix valent dtre dfendues 38 .
[17.] Nous vivons une priode complexe, o les frontires entre la guerre et la paix
tendent peu peu seffacer. Ces incertitudes sont nes dun monde en perptuel changement, et
aboutissent aujourdhui ladoption de stratgies de fortifications et de protectionnisme, tenant
lieu dides politiques. Il faut alors revoir nos paradigmes, au travers de lacceptation dun
monde global et changeant, dans lequel nos socits seraient parfaitement intgres, parce que
ouvertes et valorises. La rvolution informationnelle est le moteur de ce changement. La
globalisation informationnelle acclre la rnovation des modes de gouvernance politique.
[18.] Le modle est alors fractal , c'est--dire quun seul et mme objectif (mondial ou
europen par exemple) laisse apparatre des chelles dobservation de plus en plus fines
(nationale ou locale), des motifs similaires. La dfense des intrts locaux et nationaux doit au
final sintgrer dans une ouverture conomique globale. Cette ncessit de rforme se traduit
aujourdhui dans les enjeux dfinis autour de la politique publique dintelligence conomique.
Lintelligence conomique se prsente alors comme tant un instrument de rforme de la
politique publique, engag au service des entreprises stratgiques. A travers un partage de
38 JOXE Alain, La globalisation stratgique , cole des hautes tudes en sciences sociales, CIRPES, 2007,
p217
ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE
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linformation et une mise en rseau des acteurs, lEtat se veut dsormais la fois stratge et
partenaire.
[19.] Cette tude aura prcisment pour objet de dfinir le rle de la puissance tatique
lgard du monde des entreprises en tant quacteur de lintelligence conomique. Ce rle peut
sapprhender sous deux aspects :
Le premier comme levier de renouveau de la politique publique ; dans ce cadre lEtat devant
dune part trouver sa place dans une conomie de la connectivit gnralise, dautre part user de
son pouvoir rgalien afin de soutenir son dveloppement.
Le second aspect tant celui de moteur dun dispositif de partenariat public-priv, pris comme
levier de dveloppement conomique des territoires. Celui-ci ne pouvant aboutir que grce la
pertinence dune politique publique de territorialit et la valorisation des intrts territoriaux
par une mthode fonde sur les rseaux humains.
LA PLACE DE L'ETAT DANS UNE ECONOMIE DE LA CONNECTIVITE GENERALISEE
Partie 1
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L'intelligence conomique est un levier de renouveau de la politique publique.
1. La place de l'Etat dans une conomie de la connectivit gnralise. 2. La politique publique d'intelligence conomique s'appuie sur les
pouvoirs rgaliens de l'Etat.
LA PLACE DE L'ETAT DANS UNE ECONOMIE DE LA CONNECTIVITE GENERALISEE
Partie 1
L'intelligence conomique est un levier de renouveau de la politique publique.
[20.] Fondamentalement, lentre dans lre de la mondialisation ne doit pas tre perue
comme un choc externe, soudain et alatoire. Loin de se prsenter comme un phnomne
conjoncturel et extrieur aux Etats, la mondialisation impacte durablement les territoires39, les
populations40 et leurs modes dorganisation politique41. En partant dune analyse synthtique de
ce phnomne, ce ne sont pas seulement les rapports entre les Etats-nations qui ont t modifis
par une intgration conomique plus forte. En ralit, ce sont les Etats-nations42, eux-mmes, qui
ont chang. Il sagit l dune rupture grande chelle. Au sortir du cadre formel dfini par la
guerre froide, la mondialisation fait des allis d'hier, les concurrents d'aujourd'hui. Le prsident
de la Rpublique, Nicolas Sarkozy, rappelle que le monde a connu, depuis prs de vingt ans,
des bouleversements majeurs 43 dont il reste tirer les consquences. La globalisation favorise
le dplacement des oppositions politiques, du champ militaire vers la sphre plus discrte mais
tout aussi redoutable de l'conomie. En effet, pour lheure, les caractristiques dune conomie
39 LEtat possde un territoire. Sans territoire, mme de petite superficie, lexistence lgale de lEtat nest pas
possible. Le territoire se dfinit comme lespace comprenant des lments terrestres et non terrestres (espace arien, ventuellement espace maritime) dans le cadre duquel lEtat exerce sa souverainet.
40 Dans un sens usuel, la population dsigne un regroupement de personnes physiques vivant sur un territoire. En droit international, lexpression revt toutefois une signification sensiblement diffrente. Par population, il convient dentendre lensemble des nationaux de lEtat. Par consquent, toutes les personnes physiques se trouvant sur le territoire tatique ne font pas forcment parties de la population de cet Etat. Il ne faut donc pas confondre les habitants ou rsidants de lEtat avec les nationaux.
41 Lidentification du pouvoir politique de lEtat suppose lexistence dune organisation des pouvoirs. LEtat personne morale possde une volont par lintermdiaire des personnes physiques qui agissent en son nom : les lus, les fonctionnaires, les militaires, expriment au quotidien, la volont de lEtat. On appelle traditionnellement ces personnes des organes de lEtat. Ils exercent, en son nom, la puissance publique.
42 Deux conceptions de lEtat-nation sopposent. En France, une premire conception repose sur la correspondance obligatoire entre lEtat et la nation mme si cette concidence ne reflte pas toujours la ralit sociale. La jurisprudence du Conseil constitutionnel rappelle propose de la Corse que la reconnaissance de lexistence dun peuple corse, composante du peuple franais, est contraire la constitution (Dcision 280 DC du 9 mai 1991, J.O du 14 mai 1991, p6350). La seconde conception veut quun Etat accepte lexistence sur son sol de communauts distinctes et leur reconnaissent des droits spcifiques.
43 VEDRINE Hubert, qui depuis 2003 prside l'Institut Franois Mitterrand s'est vu confier en juillet 2007, par le prsident Nicolas Sarkozy, un rapport sur la mondialisation
ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE
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de march44, lchelle mondiale, ne sont pas encore runies. Dun territoire national lautre, il
ny a pas dunicit pour les prix des produits et des services, pour les taux de salaires, dintrts
ou de productivit. Il ny a pas non plus, dEtat mondial capable dmettre les normes ncessaires
lencadrement des activits de march.
Ds lors, confront lmergence de nouvelles puissances conomiques, qui engendrent une
vritable mondialisation l'envers , le monde politique occidental tente de se mobiliser. Les
Occidentaux sont certes encore dominants mais ils ne reprsentent qu'environ un milliard d'tres
humains sur les six milliards et demi d'habitants de la plante, proportion appele baisser
encore avec le choc dmographique en cours. Au moment mme o l'on prdisait sa fin,
l'histoire, des autres, s'est remise en marche. Les pays mergents, mergent pour de bon 45,
prcise Hubert Vdrine. Dsormais, les nations vont dvelopper des stratgies d'interaction
fondes sur l'affirmation de leurs propres puissances, rnovant de ce fait les principes classiques
des avantages concurrentiels. Alors, quelle est la place de l'Etat au sein de ces nouveaux rapports
de force? Quel rle doit-il y jouer, notamment vis vis de l'Europe et pour sa part, l'institution
europenne, est-elle prpare pour rpondre aux dfis de la socit postindustrielle ?
[21.] Mme si l'Etat n'est plus l'acteur principal de lconomie, la sphre publique garde
toutefois un pouvoir d'influence, lorsqu'elle dcide de s'immiscer dans les luttes conomiques qui
font rage. Arguant de la dfense de leurs entreprises, les pouvoirs publics s'engagent sur la voie
d'un protectionnisme-libral , qui se construit sur l'acceptation d'un march global au sein
duquel la prservation des intrts nationaux aurait cours. Alors, fonde sur l'conomie de la
connaissance, l'intelligence conomique devient un instrument stratgique, ncessairement
adoss aux politiques publiques nationales.
44 Lconomie de march est dabord une conomie de marchs. Chacun des marchs met en relation des
agents conomiques qui poursuivent des fins intresses et procdent pour les atteindre un calcul conomique , Robert Guesnerie, LEconomie de march , Flammarion 1996.
45 VEDRINE Hubert, dans les conclusions du rapport sur la mondialisation remis, le 5 septembre 2007, au prsident de la Rpublique
LA PLACE DE L'ETAT DANS UNE ECONOMIE DE LA CONNECTIVITE GENERALISEE
31
1. La place de l'Etat dans une conomie de la connectivit gnralise.
[22.] LEtat-nation na pas disparu de la scne internationale, passant de 85 Etats en
1950, 227 Etats en 200446. Pour autant, lEtat a perdu les attraits que lui confrait la dfense
des intrts gnraux quil tait prsum assumer. Dsormais, deux logiques saffrontent : celle
de lEtat, et celle de la mondialisation. La rupture de la mondialisation sur les politiques
conomiques nationales a port un niveau paroxystique la contradiction entre les deux logiques.
Le sort futur de lune ou de lautre est en jeu. Le rsultat de la confrontation est donc dune
importance majeure. LEtat-nation nest plus quun territoire de la mondialisation47. Cette
dernire a pour finalit ltablissement dun level playing field (LPF), lequel consiste en la
mise en place d'un terrain doprations global, destination des acteurs conomiques que sont les
firmes qui commercent, qui produisent ou qui financent. Lobjectif du LPF est alors de
favoriser la circulation sans entraves des biens et services, des capitaux financiers, des
investissements productifs et des hommes. En ce sens, lconomie franaise est parfois dsigne
comme une conomie carrefour pour signifier quelle est, non pas un lieu de passage comme
pourrait le laisser penser limage du carrefour, mais un simple territoire, une composante de
lconomie mondiale en train de se faire. Face cette unicisation des marchs, les Etats
concourent tous, chacun selon leurs moyens, au dveloppement conomique de leurs entreprises
et de leurs territoires. Cela est particulirement vrai, sagissant des pays en dveloppement, pour
lesquels la mondialisation constitue un espoir de croissance rapide. Je suis certain que la
mondialisation est potentiellement porteuse d'immenses bienfaits, tant pour les populations du
monde en dveloppement que pour celles du monde dvelopp 48 , crit Joseph Stiglitz49. Cet
ancien conseiller de Bill Clinton, prix Nobel dconomie en 2001, ajoute, que la mondialisation
46 Source : statistiques de lOrganisation des nations-unies. 47 Pour l'conomiste Charles-Albert Michalet, la ralit se structure selon quatre niveaux : le pouvoir (qui peut
revtir diffrentes formes plus ou moins dmocratiques), une administration (pour assurer la gestion de lensemble national), un peuple (dont les activits conomiques sont diversifies, rgies par des transactions sur des marchs horizontaux qui interfrent avec le pouvoir central), et des frontires qui dterminent lespace dautorit de la loi, de lappareil tatique.
48 STIGLITZ Joseph, Un autre monde contre le fanatisme du march , Paris, Fayard, p133. 49 STIGLITZ Joseph, Ancien conseiller de Bill Clinton, ancien conomiste en chef de la Banque mondiale,
Joseph Stiglitz est devenu un hros des mouvements anti-mondialistes aprs un livre dans lequel il dnonait le libralisme des organisations internationales (La Grande Dsillusion, Fayard, 2002). Fort de ses apports thoriques sur l'imperfection et l'asymtrie des marchs qui lui valurent le prix Nobel (en 2001) et avec toute l'autorit de son exprience vcue, il accusait la mondialisation d'avoir accru la pauvret parce qu'elle est guide par des fanatiques des thses dites du consensus de Washington (libralisation, stabilisation et privatisation).
ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE
32
est dsormais trop avance , et selon lui, un retour en arrire est dsormais impossible, le
phnomne ayant apport beaucoup, beaucoup de gens.
[23.] Au demeurant, cette promesse d'avenir doit tre analyse avec pragmatisme et
objectivit. La globalisation des marchs ne constitue nullement une rponse universelle aux
crises que connaissent respectivement, les pays dvelopps ou en dveloppement. Cette prise de
conscience demeure historiquement rcente. Il fallut attendre la fin du XXe sicle, pour que les
pouvoirs publics s'intressent enfin aux rpercussions de la globalisation. D'abord analyse d'un
point de vue strictement idologique, la mondialisation des changes connut finalement dans les
annes 1990, une tude plus raliste visant prendre en compte l'ensemble de ses dimensions et
de ses rpercussions. Aujourdhui, la mondialisation veut quune une seule orientation soit
possible : il faut vivre avec et la rorganiser 50, afin que ce phnomne apporte beaucoup plus
et, surtout, d'une manire universelle. Sur la scne conomique internationale, l'action des
pouvoirs publics permet dviter la constitution dententes et de monopoles (article 2 de
lOrdonnance du 1er dcembre 1996 complte par le dcret du 29 dcembre 198651), et de
restaurer la concurrence52. Il appartient donc l'Etat, dune part, de protger les agents
conomiques contre les externalits ngatives (dlocalisations par exemple), et dautre part, de
favoriser la constitution dexternalits positives (promotion de valeurs par exemple) favorables
au dveloppement conomique.
[24.] Aujourdhui, adoptant une dmarche publique dintelligence conomique, lEtat
soutient la comptitivit des entreprises en dveloppant une politique volontariste dattractivit,
en vue dattirer les investissements directs trangers et les firmes multinationales. Pour ce faire,
l'intelligence conomique, constitue un nouveau levier d'action des politiques publiques.
Concourant maintenir le primat de la politique, lEtat a pour vocation de grer la diversit,
dinvoquer la tolrance, dinvestir lconomique et le social et de proposer une humanit
solidaire, dans le refus dun universalisme artificiel. Il sagit bien dun nouveau contrat social.
Dun cot la puissance publique entend faciliter la libre expression des rgles du march, de
lautre le rle de lEtat doit tre incontestablement, le garant de la scurit et de lunit nationale.
50 STIGLITZ Joseph, Un autre monde contre le fanatisme du march , op.cit, p85. 51 Le droit conomique franais est fond sur le principe de libre concurrence. Lapplication et le respect de ce
principe est garanti par le Conseil de la concurrence. 52 En droit priv, la concurrence est la situation dans laquelle se trouve une personne ou une entreprise par
rapport une ou plusieurs autres lorsque, tout en faisant des profits, elle peut rivaliser avec elles en offrant un service ou un produit au moins quivalent pour un prix au moins gal , Dictionnaire du vocabulaire juridique , par Remy Cabrillac, 2004.
LA PLACE DE L'ETAT DANS UNE ECONOMIE DE LA CONNECTIVITE GENERALISEE
33
1.1. L'intelligence conomique participe la performance et la
modernisation conomique des entreprises.
[25.] On peut estimer que lide dintelligence conomique a exist avant la lettre et
quelle est au moins concomitante aux changes et la naissance de lconomie de march. Elle
a dailleurs t mise en vidence par Fernand Braudel53 lo
rs de ses nombreuses tudes, menes sur la monte en puissance des grandes villes marchandes
entre le XVe et le XVIIIe sicle. Il est dailleurs toujours dactualit, d'affirmer que faire la paix
pour nous procurer tous les avantages d'un grand commerce, c'est faire la guerre ses
ennemis 54.
[26.] De nos jours, cependant, les conflits se concentrent principalement autour de
l'acquisition de l'information en tant que matire stratgique. L'intelligence est alors perue
comme la capacit dcisionnelle induite par une bonne information. Selon Bernard Besson et
Jean-Claude Paussin, lintelligence, est un outil capable de dtecter des menaces et des
opportunits de toute nature dans un contexte de concurrence exacerbe 55. Partant de cette
ide, l'intelligence conomique se conoit, comme un systme d'aide la navigation de
l'entreprise. Permettant au dcideur de tracer son chemin au sein d'un brouillard d'incertitudes,
cette matire offre un avantage concurrentiel li une vision prospective. Sinspirant des thories
classiques de la stratgie militaire, le concept traduit l'ide selon laquelle, toute action passe
ncessairement par une information efficace. La dcision politique nchappe pas cette rgle.
Lintelligence conomique participe donc dune dmarche visant r-assurer la primaut du
politique sur lconomique. Elle renvoie donc une nouvelle vision des relations entre acteurs
politiques, administratifs et privs au sein de la sphre nationale destine donner ltat les
moyens dtre influent sur la scne internationale 56. Concevoir laction publique en matire
dintelligence conomique, conduit alors redfinir la place et le rle de lEtat au sein de la vie
conomique. On constate dailleurs, que ce nest que trs rcemment, que le dbat public s'est
empar de cette question. Il ressort dsormais que la comptitivit de la France n'est pas que
53 Lauteur nous y prsente lexemple de la situation de concurrence qui lpoque est en vigueur sur le march
textile en Europe. Selon ltude, il ressort au final, que cest en copiant le sceau des tisserands italiens que les flamands ont dtourn une partie du march du textile leur profit.
54 PASTRE Olivier, La mthode Colbert : ou le patriotisme conomique efficace , Paris, Perrin, 2006, p176. 55 BESSON Bernard et POSSIN Jean Claude, Du renseignement l'intelligence conomique; dtecter les
menaces et les opportunits pour l'entreprise , Paris, Dunod, 1996, p1. 56 MASSON Hlne, Les fondements politiques de l'intelligence conomique , thse, Universit Paris Sud XI,
Facult Jean Monnet Sceaux, 12 dcembre 2001, p45.
ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE
34
l'affaire des entreprises. C'est aussi l'affaire des pouvoirs publics 57, affirme Nicolas Sarkozy.
Aussi, assumant une mutation ncessaire et indispensable, les Etats-nations doivent, aujourdhui,
se rformer afin de faciliter la libre conomie et de garantir le respect des rgles qui leurs sont
inhrentes. Ds lors, revenant sur les thories du libralisme classique, lEtat doit affirmer sa
place au sein dune conomie de la connectivit gnralise, au moyen notamment de la
restructuration de ses pouvoirs rgaliens58.
57 SARKOZY Nicolas, Ministre de la scurit intrieure et des liberts locales, discours prononc au sige du
MEDEF, Paris, dcembre 2003. 58 Le pouvoir de lEtat se traduit tout particulirment dans ses fonctions de police et de justice. Il sagit du
juridictio qui est le pouvoir de rendre justice, et de l imperium qui est le pouvoir de donner des ordres et de disposer de la force publique (police, arme).
LA PLACE DE L'ETAT DANS UNE ECONOMIE DE LA CONNECTIVITE GENERALISEE
35
1.1.1. Linformation est la matire premire de l'conomie.
[27.] De l'Antiquit la Renaissance, la globalisation des changes a connu une volution
croissante (au travers des conqutes maritimes notamment). Pour autant, le phnomne de
mondialisation ne fut analys en tant que tel, qu' partir de la deuxime moiti du XIXe sicle. A
cette poque, les changes financiers et marchands demeurent faibles et principalement
concentrs sur le secteur transatlantique. La comptition conomique est relativement encadre.
La matrise d'un savoir-faire et la capacit de fabriquer vite et bien commencent peu peu
devenir les moteurs du succs. Ce n'est qu' partir de la seconde guerre mondiale, et sous l'effet
amplificateur de la reconstruction de l'Europe, que les changes internationaux vont se
dvelopper massivement. Plus tard, la premire phase d'intensification de la comptition natra
du choc ptrolier vcu en 1973. Cette crise internationale conduira, en effet, rduire les
investissements internationaux, de mme que la consommation des mnages. De sorte que, les
entreprises se trouvrent confrontes de nouveaux dfis, au travers desquels leur organisation
allait durablement tre impacte. Dsormais les entreprises vont s'affronter non pour
conqurir des marchs, mais pour prserver des positions sur les marchs existants 59. Ce n'est
qu' partir de 1995 que le terme de mondialisation est employ couramment dans le sens que
nous lui connaissons aujourd'hui. Traduit de l'anglais globalisation , le concept de
mondialisation dcrit une volution historique qui annonce une fin de l'histoire comprise
comme l'aboutissement d'une histoire longue et fonde sur la gnralisation des marchs,
l'extinction des nations et la mise en place d'instances mondiales de rgulation 60. Presque
au mme moment, en 1991, l'auteur tasunien, Francis Fukuyama, publiait son article majeur,
The end of history 61, qui annonait un bouleversement plantaire issu de la fin du monde bi-
polaire. L'universitaire arguait du fait, que le principe de dmocratie librale et d'conomie de
march, tel qu'incarn en Europe de l'Ouest par exemple, constituait le modle vers lequel ne
manquerait pas de tendre l'ensemble des Etats-nations composant la communaut internationale.
Aujourd'hui, cette vision doctrinale semble dpasse. D'une concurrence de modles, le monde
semble avoir volu vers une concurrence de stratgies. La mondialisation n'est plus analyse
comme tant un phnomne nouveau, mais comme un aboutissement du monde moderne tel
59 Institut national des hautes tudes de scurit, Intelligence conomique et gouvernance comptitive , sous la
direction de Serge PERRINE, La documentation franaise, 2006, p223. 60 FREMY D et M, Dfinition du Quid 2006, p1763C 61 FUKUYAMA Francis, The End of History , The National Interest, t 1989. Cet article considrablement
enrichi a t traduit en France en 1992 sous le titre La fin de l'histoire et le dernier homme , Paris, Flammarion.
ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE
36
qu'il s'est cre lui-mme 62, explique Edouard Balladur. Pour Alexandre Adler, il s'agit d'une
mgatendance fondamentale 63. Si bien que, la mondialisation se dfinit aujourdhui, comme
une tendance des entreprises multinationales concevoir des stratgies l'chelle plantaire,
conduisant la mise en place d'un march mondial unifi 64, et plus particulirement au sens
conomique, comme l'mergence d'un vaste march mondial de biens, de services, de capitaux
et de la force de travail, s'affranchissant souvent des frontires politiques et de ce fait limitant la
capacit des Etats influer sur leurs activits intrieures 65 . Phnomne irrversible, la
mondialisation est aujourd'hui un fait 66, comme nous le rappelle Lionel Jospin, qui fonde son
analyse sur la diffusion, universelle et en temps rel, des savoirs. Ainsi, aujourd'hui plus qu'hier,
le pouvoir est indissociable du savoir. Au moyen des technologies de l'information et de la
communication, l'information et la connaissance sont les armes stratgiques utiles aux acteurs
conomiques, qu'ils soient chefs d'entreprises ou chefs d'Etats.
62 BALLADUR Edouard, La fin de l'illusion Jacobine, Paris, Fayard, 2005, p 104 63 ADLER Alexandre, Le rapport de la CIA, comment sera le monde en 2020, Paris, ditions Robert Laffont,
2005, 268p. 64 Dfinition du Larousse. 65 Entretien avec Roland Rizoulires (matre de confrences l'institut d'tudes politiques d'Aix en Provence),
lors dun entretien ralis Aix en Provence, le 5 novembre 2007. 66 JOSPIN Lionel, Premier ministre de 1997 2002, Le monde comme je le vois , Paris, Gallimard, 2005, p
57.
LA PLACE DE L'ETAT DANS UNE ECONOMIE DE LA CONNECTIVITE GENERALISEE
37
1.1.1.1.1. La socit de l'info-dominance.
[28.] A la suite de ruptures majeures67, la socit post-industrielle est entre dans lre de
la mondialisation. Cette dernire, offre de nouvelles opportunits dans le monde entier, mais
accrot dans le mme temps les risques et les diversifie. Paralllement, depuis soixante ans, les
services sont devenus prdominants et, dsormais, nous sommes entrs dans le monde du savoir
et de la connaissance. On constate, par exemple, que les prix ne sont plus le seul critre pour
emporter un march : lavance technologique et la course linnovation deviennent des facteurs
cls de diffrenciation. Cette concurrence exacerbe donne, la matrise de linformation
pertinente, la rapidit de raction et au dcryptage des menaces adverses, une importance
redoutable. Dans l'conomie moderne, tout sacclre. La courbe des savoirs disponibles, qui
slevait lentement jusquaux deux derniers sicles, sest redresse fortement depuis et explose
pour devenir rcemment exponentielle. Dsormais, la connaissance est la ressource stratgique
par excellence, et la mondialisation est celle de l'information. Cette dernire garantit la victoire
conomique. L'entreprise qui est en train de natre sous nos yeux, remarque Peter Drucker,
possde un squelette, c'est l'information, la fois systme d'intgration et articulation de
l'entreprise 68. Il y a prs de quatre cents ans, Francis Bacon l'avait compris le premier : la
connaissance est bien le vrai pouvoir. Le traitement de l'information devient alors crucial. En
2001, trois conomistes amricains ont reu le prix Nobel pour leurs travaux sur l'asymtrie de
l'information 69. Leurs conclusions ne surprendront pas : les plus informs sortent toujours
vainqueurs des comptitions conomiques. De ces rapports entre information, connaissance et
pouvoir, se dgagent des enjeux de conqute et de puissance. Ceci conduit Bertrand Badie,
spcialiste des relations internationales, dire que, la fin du XXe sicle n'a pas mis un terme
l'histoire des Etats, dont la puissance s'est mme trouve renforce bien des gards: elle a en
revanche teint le quasi-monopole dont ils jouissaient en leur qualit d'acteurs
internationaux 70.
67 Daniel Cohen, professeur de sciences conomiques l'Ecole normale suprieure et Paris-I cite cinq ruptures :
Tout d'abord, l'mergence d'une troisime rvolution industrielle, aprs celles des XVIIIe et XIXe sicles ; ensuite une rvolution dans l'organisation du travail, avec la fin du fordisme ; s'en est suivie une rvolution culturelle, dans la foule de 1968 ; laquelle a succde une rvolution financire, qui voit la prise de contrle des entreprises par la Bourse dans les annes 1990, faisant de l'actionnaire un acteur mieux protg que le salari. Enfin, la cinquime rupture est celle de la mondialisation.
68 DRUCKER Peter, Devenez Manager , Paris, Village Mondial, 2002, p111. 69 George Akerlof, Michael Spence et Joseph Stiglitz ont ainsi t rcompenss pour leurs tudes sur les rapports
qu'entretiennent les acteurs conomiques en fonction des informations que possde chacun. 70 STIGLITZ Joseph, Un autre monde contre le fanatisme du march , op.cit, p125
ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE
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a) L'information est un instrument traditionnel de la stratgie conomique.
[29.] L'histoire nous enseigne que la bonne information commande l'action. Selon l'amiral
Lacoste, on peut affirmer que la stratgie de l'information a de tout temps reprsent un
lment essentiel de la stratgie gnrale 71. A l'image des stratges antiques, savoir avant
l'autre, offre un avantage dcisif sur le champ de bataille. L'une des meilleures politiques, est
alors de sattaquer aux plans de lennemi, dfaut, de disloquer ses alliances, car soumettre
larme ennemie sans combat, cest le fin du fin affirme Sun Tzu72. Cette stratgie fut tout
particulirement dploye lors des campagnes napoloniennes. Au cours de son engagement
militaire l'Est, l'Empereur exigeait de ses jeunes lieutenants, qu'ils lisent et analysent les
gazettes des pays en voie de conqute. Ces dernires, relatant la vie et les dplacements de leurs
troupes, se trouvaient tre, bien involontairement, une source prcieuse de renseignement sur le
positionnement et le moral de leurs armes. De mme, au cours du premier conflit mondial,
Herzog73 nous rappelle que l'Allemagne dveloppa des structures de renseignement spcifiques
afin de dtecter les contemporains belliqueux. Ces organismes perdureront en temps de paix, en
vue, cette fois-ci, de renseigner le pouvoir allemand sur les capacits d'ventuels concurrents qui
pourraient affecter l'essor conomique du pays. Ainsi, l'arme d'exportation allemande sera
organise de manire s'assurer une capture exhaustive des inventions trangres74. En
Angleterre, ds la fin du XVIIIe sicle, la politique extrieure fut dtermine en fonction des
impratifs conomiques. En l'occurrence, la domination maritime offrait une ouverture
commerciale mondiale, pour la diffusion des produits anglais, et l'acquisition de connaissances
innovantes. Dans cette logique, on peut analyser la guerre des Sept ans (1756-1763), puis les
guerres de la priode rvolutionnaire et impriale comme les instruments de domination et
d'limination conomiques, du concurrent franais. De la mme manire, la prise des colonies
71 Propos recueillis lors d'un colloque qui se droulait l'Ecole Polytechnique, le 29 juin 1999, Paris. 72 SUN TZU, Lart de la guerre , Paris, Poche, 1999, p37. 73 HERZOG, Plan de guerre commerciale de l'Allemagne , Paris, Payot, 1919, 258 pages. 74 HERZOG, Plan de guerre commerciale de l'Allemagne , Paris, Payot, 1919. De mme que tout individu
capable de porter les armes tait dtach aux armes, de mme que toutes les organisations de l'Empire doivent tre enrles dans l'Arme industrielle pour la guerre d'exportation. Chaque industrie de combat constituera un Corps d'arme, comportant des divisions: scientifique, industrielle, commerciale, commercio-industrielle et financire. Ces gnralissimes, de concert avec des contrleurs, fonctionnaires de l'Etat, constitueront les 5 grands Conseils de stratgie rgis leur tour par le grand Etat-Major Gnral, chef et dictateur suprme des oprations... , HERZOG, Plan de guerre commerciale de l'Allemagne ,op.cit, p168.
LA PLACE DE L'ETAT DANS UNE ECONOMIE DE LA CONNECTIVITE GENERALISEE
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franaises et nerlandaises, l'ouverture force de l'Amrique latine au commerce anglais,
accentuent le caractre conomique de la politique extrieure anglaise.
[30.] Au del mme des Etats, des hommes furent galement guids par cet esprit de
veille et de conqute informationnelle. En 1764, Casanova75, se rendit en Russie (plus
prcisment Saint Petersbourg) afin d'y dvelopper le commerce de la soie. Dsireux de
comprendre ce pays et ses murs, il sintressa au mode de vie de ses habitants et sen inspira de
retour chez lui76. A travers ses rcits, il marque l'emploi du terme intelligence , lequel renvoie
un savoir-faire, une connaissance technique dtenue par un seul. Il est alors possible de dresser
un parallle avec les rapports d'tonnement 77 japonais, lesquels, aujourd'hui encore,
permettent aux firmes japonaises, de rcolter les connaissances apprises et dceles l'tranger,
par leurs expatris. LHistoire enseigne donc, que chaque pays, en fonction de sa culture, de son
histoire, de sa gographie et de ses ambitions, a conduit une dmarche guerrire ou pacifique
d'intelligence conomique. Non encore dnomme comme telle, la dmarche d' intelligence
conomique consistait, auparavant, dans l'acquisition et la diffusion d'informations. Ces
dernires constituant au final un avantage concurrentiel . Aujourd'hui encore, pour une
entreprise, l'acquisition d'un savoir-faire est synonyme d'acquisition d'un avantage concurrentiel.
Ainsi, le vignoble californien ne connut de rel essor, qu'a partir du moment o les vignerons
franais exportrent leur savoir-faire. Dans cet esprit, la qualit de la maroquinerie de luxe
franaise, provient pour partie de la matire premire quelle utilise (le cuir par exemple), mais
aussi et surtout de l'exprience et de lhabilet des petites mains franaises, qui donneront aux
articles manufacturs toute la valeur qui fait aujourd'hui leur rputation et leur prix. En dfinitive,
75 CASANOVA J-J, Mmoires , Paris, Economica, 2000, 300 pages. 76 CASANOVA J-J, Mmoires , op.cit, On me donna bon march, deux belles chambres, absolument
vides, mais que l'on meubla de deux lits, de quatre chaises et de deux petites tables. Voyant deux poles d'une norme grandeur, je crus qu'il fallait une quantit de bois pour les chauffer. Mais j'tais dans l'erreur. Ce n'est qu'en Russie que l'on possde l'art de construire les poles, comme ce n'est qu' Venise que l'on connat celui de construire des citernes. J'ai visit en t et avec autant de soin que si j'avais eu l'intention de drober la Russie ce genre d'intelligence, j'ai visit, dis-je, l'intrieur de ces poles: il avait douze pieds de haut sur six de base, meuble norme, qui chauffait une salle immense, et j'ai admir l'entente raisonnable des conduits de la chaleur. On ne chauffe ces poles qu'une fois en vingt-quatre heures, parce qu'on a besoin de fermer une soupape suprieure aussitt que tout le bois est rduit en braise . p145.
77 De la mme manire, des biens de consommation courants ont fait l'objet de dmarches stratgiques longues et ambitieuses. Ainsi, le caf qui fut dcouvert sur les hauts plateaux d'Abyssinie, s'implanta trs rapidement dans la plupart des pays d'Arabie (entre les VIIIe et XIVe sicles). Trs vite le commerce mditerranen permit de l'introduire Venise. Mais il fallu attendre 1723, pour que Gabriel de Clieu (officier franais), allant aux Antilles, sauve le seul pied de cafier restant dans sa cargaison et l'change contre de l'eau. Ce troc donna naissance au caf des Antilles franaises. Par la suite, vol et introduit clandestinement au Brsil en 1727, il devint en ces lieux, l'une des qualits de production de caf les plus apprcies dans le monde.
ETAT, ENTREPRISES, INTELLIGENCE ECONOMIQUE, QUEL ROLE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE
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cest la politique de recherche et de dveloppement poursuivie par une entreprise, qui lui permet
de conserver une longueur d'avance sur ses concurrents78.
b) L'information devient une marchandise.
[31.] Les thories du commerce international ont pour objet principal d'expliquer
comment est dtermine la division internationale du travail79, c'est dire de rendre compte des
spcialisations internationales. Les thories traditionnelles postulent que les Etats gagnent tous,
ce que l'change international soit sans entraves. Elles sont aujourd'hui remises en cause, du
moins partiellement, par de nouvelles analyses, plus adaptes au monde moderne. La priode
rcente, est en effet marque par la mondialisation et le retour des conflits commerciaux qui se
dveloppent dans de nombreux secteurs et opposent diverses nations, par le biais de leurs
entreprises. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les nations se sont engages dans un
mouvement de libralisation des changes internationaux. Ceci s'est matrialis en 1947 par la
cration du GATT80 (General Agreement on Tariffs and Trade, en franais Accord gnral sur
les tarifs douaniers et le commerce ) entr en vigueur de 1948. Deux principes majeurs
rgissent cet accord : d'une part la clause de non discrimination (ou principe dit : de la nation la
plus favorise), qui veut qu'un avantage accord un pays soit immdiatement accord tous les
autres81; d'autre part le principe du traitement national, qui prescrit que tout produit import de
l'tranger soit trait de la mme manire que les produits nationaux. Le GATT en tant
qu'institution internationale, avait donc deux buts essentiels : instaurer des rgles assurant une
concurrence internationale loyale et conduire un abaissement des barrires aux changes
internationaux. Selon les enseignements des thories traditionnelles du commerce international,
la diminution des barrires aux importations et aux exportations doit assurer une croissance
gnrale de l'conomie mondiale. En dpit de ces volutions, la priode rcente marque un retour
78 Les approches conomiques classiques ont donc formul le principe selon lequel, la firme devait pouser les
exigences de son environnement et que la cration, puis la dfense de son avantage concurrentiel devaient tre sa finalit ultime. Afin de formaliser la dcision stratgique de l'entrepreneur, l'cole de Harvard modlisa les menaces et les opportunits qui s'offraient l'entrepreneur selon un modle: SWOT, Strenght, weakness, opportunities, threats (matrice des forces, faiblesses, opportunits et menaces).
79 La division internationale du travail rsulte de la spcialisation des nations dans la production de certains biens et services en fonction des avantages comparatifs dont ils disposent face la concurrence des autres nations. Cette division internationale du travail se traduit par le dveloppement dchanges interbranches selon Adam Smith , Jean-Yves Capul et Olivier Garnier, Dictionnaire dconomie et des sciences sociales , 2006.
80 General agreement on tariffs and trade, article I- XVII. 81 Directive 2004/18/CE du Parlement europen et du conseil, du 31 mars 2004, relative la coordination des
procdures de passation des marchs publics de travaux, de fournitures et de services.
LA PLACE DE L'ETAT DANS UNE ECONOMIE DE LA CONNECTIVITE GENERALISEE
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vers des rflexes protectionnistes, au moyen d'instruments et de barrires non tarifaires ou de
subventions82. Selon les pays et les produits, les barrires non tarifaires83 sont d'un usage
frquent. Il s'agira le plus souvent de restrictions quantitatives aux changes (tels les quotas
appliqus aux firmes automobiles japonaises en 1981, pour limiter leurs importations sur le sol
amricain), ou de mesures administratives (comme les normes nationales de qualit destines
protger les consommateurs), ou de subventions (qui agissent directement sur les cots de
production des firmes). Sur ce dernier point, plusieurs pays, les Etats-Unis en tte, ont
volontairement contourn la porte de l'accord du GATT. Ainsi la loi amricaine, dite du Small
Business Act , prvoit que 23% des capitaux publics soient affects aux PME amricaines (on
constate dailleurs quen ralit ce chiffre est proche des 50%). Les socits modernes
dveloppent donc une nouvelle forme de protectionnisme. Partant de la thorie de Friedrich
List84, qui veut quun protectionnisme ducateur destin aux pays en dveloppement soit
ncessaire, les nations dveloppes s'accordent aujourd'hui envisager des mesures visant
protger leurs propres industries. C'est trs exactement ce que propose Adam Smith85, dans La
richesse des nations 86. A partir de ce modle dtude, on constate que les oppositions
commerciales qui se jouent entre les firmes, peuvent tre le thtre d'interventions de la
puissance publique. En 1988, Alfred D. Chandler publiait en France : La main invisible des
managers 87, un ouvrage fondateur dans l'essor de l'conomie de march. Mais contrairement
cette approche, l'conomie n'est pas la chasse garde des entreprises. Il existe, selon Christian
Harbulot, une autre dimension conflictuelle que la concurrence dans la manire dont les
peuples se sont disputs les richesses naturelles et matrielles du monde 88.
82 L'volution gnrale des droits de douane depuis 60 ans, marque une diminution significative. Ces derniers
sont en effet passs d'une moyenne au niveau mondial de 47% au chiffre drisoire de 4%. 83 Ensemble des mesures autres que tarifaires ayant pour but de limiter les importations de biens et services
sur le march domestique. La suppression progressive des barrires tarifaires sest traduit par un accroissement et une diversification des barrires non tarifaires dans les pays participant aux changes internationaux , Jean-Yves Capul et Olivier Garnier, Dictionnaire dconomie et des sciences sociales , 2006.
84 LIST Frdric, Economiste Allemand, c'est sous son inspiration que se cra l'association gnrale des industriels et des commerants (Francfort, 1819) qui aboutit en 1834 l'union douanire allemande. Dans son Systme national d'conomie politique, il prconisa un protectionnisme temporaire; ncessaire la priode d'industrialisation d'une nation.
85 SMITH Adam, philosophe et conomiste cossais. Il publia ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), premier grand trait du capitalisme libral. Voyant dans le travail la source de toute richesse, et la mesure relle de la valeur changeable de biens, il affirme que sa division et le dveloppement de l'industrie favorise l'accroissement de l
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