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Remerciements
Lorsque j’ai décidé d’entreprendre cette incursion dans le monde des Lettres, j’ai eu la
chance de rencontrer Véronique Adam qui a su comprendre mes motivations et me
proposer un parcours qui en tienne compte. Depuis, elle a toujours répondu avec
bienveillance (et rapidité !) à mes sollicitations notamment en période de doute profond…
me donnant l’énergie (et des pistes de réflexion) pour continuer. Sans elle, les multiples
contraintes et priorités qui ont jalonné mon parcours auraient eu raison de ma volonté…
Mme Adam, je tiens à vous exprimer l’expression de ma plus profonde reconnaissance.
Je remercie Françoise Lévrier pour avoir accepté de participer à ce jury malgré toutes
les contraintes qui sont survenues. Tristan L’Hermite serait un bon terrain d’étude (aussi !)
pour l’usage des verbes support… Dans les Plaidoyers historiques par exemple, plusieurs
occurrences de « faire + GN » se rencontrent : faire acquisition, besoin, coutume, dessein,
droit, estime, relation, rencontre, satisfaction, vanité.
Ces années sur les « bancs de la fac » ont été l’occasion de découvrir des auteurs certes,
mais aussi des enseignants chercheurs passionnés, capables de transmettre le goût et
l’envie de lire. Combien de fois, au sortir de la fac, ai-je fait un détour par la librairie ou la
bibliothèque ! Olivier Guerrier fait partie de ces personnes.
M. Guerrier, je vous remercie sincèrement d’avoir accepté de changer de siècle le temps
de cette présentation.
Merci à mes collègues de l’IUT, Jean-Marie, Charles et Sylvain qui m’ont donné du
temps…
Et une pensée affectueuse à Frédéric et Marion qui ont suivi (subi ?) au quotidien cet
« été avec Tristan ».
Sommaire
Introduction
I – La question des lieux
1. Préambule méthodologique
2. Typologie des lieux
II – Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
1. Éléments de synthèse
2. Un espace fragmenté et liminaire
3. Fermeture et resserrement de l’espace
4. Les fonctionnalités des espaces
III – Espace tristanien et genres
1. Littérature géographique et genre
2. Les lieux dans trois tragédies de Tristan
Conclusion
5
« Transformer le Temps vécu en Espace vivant »
François Cheng Vide et Plein
Introduction
L’espace et le temps se déploient dans un rapport d’interaction perpétuel. Mikhaïl
Bakhtine nomme chronotope « cette corrélation essentielle des rapports spatio-temporels,
telle qu’elle a été assimilée par la littérature1 ». Cependant, il semble que longtemps
l’examen de l’espace ait été inféodé à celui du temps. Le temps a fait l’objet de
nombreuses réflexions et analyses dans des récits de fiction2. Le lien entre littérature et
histoire est fréquemment invoqué. Si l’on parle de roman historique, a contrario, le roman
géographique n’est pas un genre proprement dit et littérature et géographie n’ont été que
trop rarement mises en relation3. Il faut attendre le milieu du XXe siècle pour que les
données de la perception et de la représentation de l’espace-temps se modifient. En effet,
ce n’est que dans les années 1970 que s’opère un réel spatial turn qui abroge la place
subalterne attribuée à l’espace dans la théorie esthétique. Joseph Frank souligne la façon
dont les œuvres du XXe siècle ont rejeté l’organisation temporelle comme principe
directeur :
1 Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Paris, Collection tel, Gallimard, 1987, p. 237. 2 En particulier Gérard Genette (Figures I, Paris, Éd. du Seuil, 1966) et Paul Ricœur (Temps et récit, Paris, Éd. du Seuil, 1983). 3 Notamment par les récits de voyage ; un des premiers est d’ailleurs cité par Tristan L’Hermite, li divisament dou monde de Marco Polo, écrit en 1298.
Introduction
6
Modern literary, exemplified by such writers as T.S. Eliot, Ezra Pound, Marcel Proust and James Joyce, is moving in the direction of spatial form. This means that the reader is intended to apprehend their work spatially, in a moment of time, rather than as a sequence.4
Ces « formes spatiales 5» et l’imaginaire géographique ont ainsi su mettre en avant la
dimension spatiale du chronotope.
La théorie de l’espace et ses modalités de représentation se sont alors rationalisées ; la
conjonction de travaux de philosophes comme Gilles Deleuze et de comparatistes a
notamment permis de faire émerger la notion de géocritique pour proposer un modèle
conceptuel de lecture des espaces et de leurs représentations artistiques6. La géocritique est
centrée sur un lieu. Elle étudie les différents points de vue et les évolutions se rapportant à
ce lieu dans les œuvres littéraires, mais aussi leurs interactions mutuelles7. Les études,
cependant, se sont focalisées essentiellement sur des œuvres romanesques modernes
comme l’écrit Isabelle Daunais dans « L'étendue : matière et question du roman » : « On
pourrait multiplier, des débuts du roman à l’époque des Temps modernes jusqu’à
aujourd’hui, les exemples de ces surfaces en attente de parcours –villes, pays, continents–
qui s’offrent, au départ d’un roman, comme même de l’aventure des personnages8 ». Cette
focalisation s’explique peut-être parce que l’on s’accorde à penser que c’est avec la
seconde guerre mondiale et la mise en place de frontières non naturelles et de nouveaux
territoires, que la notion d’espace a pris sa réelle signification ; peut-être aussi parce que le
roman a plus fréquemment recours à la description de lieux et à la manière dont ils sont
habités9.
Toutefois, d’autres époques sont aussi propices à l’investigation géographique. Les
traités des cosmographes de la Renaissance tel André Thevet ou les relations de voyages
d’écrivains géographes malgré eux comme Cabeza de Vaca offrent une littérature où
l’espace occupe une dimension à part entière et justifient le questionnement d’une écriture
géographique. Le XXe siècle n’a donc pas la primeur de la découverte de l’espace et
4 Joseph Frank, The Idea of Spatial Form, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1991, p. 10. 5 Joseph Frank, « Spatial Form: An Answer to Critics », Critical Inquiry, Vol. 4, No. 2, 1977, p. 231-252 6 Michel Collot, « Pour une géographie littéraire », Fabula-LhT, n° 8, « Le partage des disciplines », mai 2011, URL : http://www.fabula.org/lht/8/collot.html. 7 Bertrand Westphal, La Géocritique, Paris, Éditions de Minuit, 2007. 8 Isabelle Daunais, « L’étendue : matière et question du roman », Topographies romanesques sous la direction de Audrey Camus et Rachel Bouvet, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, Collection « Interférences », 2011, p.96. 9 Christiane Lahaie, « Entre géographie et littérature : la question du lieu et de la mimèsis », Cahiers de géographie du Québec, vol. 52, n° 147, 2008, p. 440.
Introduction
7
l’imaginaire géographique peut s’appréhender autant par la lecture du démiurge Alain
Gheerbrant que par celle de Jean de Léry.
Les Principes de cosmographie de Tristan L’Hermite, publiés en 1637, participent de
cette écriture géographique. Le traité comprend une description complète qui énumère les
différentes parties du monde, en particulier celles récemment découvertes. Cependant, ce
n’est pas ce que retiendra Napoléon-Maurice Bernardin dans sa biographie de Tristan qui
n’évoque que très brièvement ce traité et lui préfère l’image de poète disgracié :
Mais le poète, qui croyait à l'influence des astres, répétait avec mélancolie qu'il était né sous une mauvaise étoile, et il est certain que jamais la Fortune ne se joua plus impitoyablement d'un homme.10
Ce n’est pas non plus dans cette œuvre que Tristan parvient à « créer un rapport ouvert de
réciprocité entre le sujet et le monde objectif », à « transformer le Temps vécu en Espace
vivant 11». Les éléments géographiques semblent plus « habités », « vécus » dans d’autres
œuvres telles Le Page disgracié et les Plaidoyers historiques. Les chronotopes de la route,
du seuil ou bien encore de la rencontre jalonnent la narration, dévoilant un auteur souvent
géopoéticien12.
Pourquoi étudier l’espace ? Quelles clés de lecture peut nous amener une telle étude ?
Pour Paul Smethurst « the form of space and time in the novel, the chronotope, can tell us
something about how an author has arranged representational space to convey
conceptions and anxieties about space and time in society13 ». Les formes spatiales
permettraient de transmettre la vision et les craintes de l’auteur ; elles seraient une forme
de communication pour découvrir le monde extérieur mais aussi, peut-être, le monde
intérieur14.
Cela rejoint le point de vue de Michel Collot pour qui « la vision du paysage n'est pas
seulement esthétique, mais aussi lyrique, car l'homme investit dans sa relation à l'espace les
grandes directions significatives de son existence15 ». La recherche du lien entre les
10 Napoléon-Maurice Bernardin, Un précurseur de Racine Tristan L’Hermite sieur du Solier (1601-1655), sa famille, sa vie, ses œuvres, Paris, Alphonse Picard et Fils éditeurs, 1895, p. 573. 11 François Cheng, Vide et Plein : le langage pictural chinois, Seuil, 1991, p. 47. 12 La géopéoetique de Kenneth White (http://www.kennethwhite.org/geopoetique/) cherche à souligner l’existence d’une « pensée géographique », d’une écriture investissant l’espace sur la base d’un rapport sensoriel au lieu. 13 Paul Smethurst, The Postmodern Chronotype: Reading Space and Time in Contemporary Fiction, Amsterdam, Rodopi, 2000, p. 62. 14 Bertrand Levy, « Géographie et littérature. Une synthèse historique », Le Globe, 2006, t. 146, p. 25-52. 15 Michel Collot « Points de vue sur la perception des paysages », Espace géographique, tome 15 n° 3, 1986, p. 215.
Introduction
8
espaces produits par le texte et la conception du monde de Tristan permettrait de proposer
une nouvelle lecture dans laquelle action et discours seraient décentrés et qui s’enrichirait
d’un nouveau paramètre, l’espace et sa sémantique.
Nous faisons l’hypothèse qu’il existe, dans l’œuvre de Tristan, une caractérisation
récurrente des lieux qui amène à la construction d’une géographie, certainement
imaginaire, propre à l’auteur. Lieu, espace, paysage sont nécessaires pour se référer au
monde perçu et le sens que les critiques contemporains leur attribuent pourrait nous ouvrir
l’horizon des œuvres de Tristan. Nous nous proposons donc de nous appuyer sur
différentes critiques, héritières du spatial turn, pour éviter de verser dans une distinction
dichotomique entre les deux principaux topoi, locus amoenus, lieu de plaisance, et locus
terribilis, lieu d’effroi, désert de sable et montagne escarpée. Une analyse statistique des
termes relatifs aux lieux s’adosse également à l’étude stylistique. Les données statistiques
ont permis notamment de connaître la fréquence des toponymes, les zones géographiques
ciblées et de construire un réseau de caractérisants. Trois œuvres sont étudiées en
particulier : les Principes de cosmographie16, les Plaidoyers historiques17 et Le Page
disgracié18. Ce sont trois des quatre œuvres en prose de Tristan. Nous n’avons pas retenu
les Lettres mêlées non pas à cause de leur caractère épistolaire mais plutôt parce qu’elles
nous semblaient très disparates et peu empreintes de repères. Elles sont en effet constituées
d’un mélange d’éloges détaillés de personnalités, de lettres de consolation, de lettres
amoureuses et de lettres héroïques. De plus, aucune lettre n’est datée, le lieu d’expédition
est peu souvent indiqué et les destinataires dissimulés. Pour cerner l’appréhension de
l’espace par Tristan, un inventaire des lieux parcourus par le Page et les personnages des
plaidoyers s’impose. Ces lieux ainsi répertoriés conduisent à une typologie : lieu sauvage,
lieu habité, lieu culturel, lieu recentré et clos, …
16 Tristan L’Hermite, Principes de cosmographie, Œuvres complètes, tome II, édition critique de Françoise Graziani sous la direction de Jean-Pierre Chauveau, Paris, H. Champion, 2002, p. 427-527. Dans la suite, l’édition de référence est celle de Françoise Graziani. Nous indiquons d’abord le nom de l’œuvre abrégé cosmo puis le numéro de page. 17 Tristan L’Hermite, Plaidoyers historiques, Œuvres complètes, tome V, édition critique d’Anne Tournon sous la direction de Roger Guichemerre, Paris, H. Champion, 1999, p. 337-490. Dans la suite, l’édition de référence est celle d’Anne Tournon. Nous indiquons d’abord le nom de l’œuvre abrégé Plaid. puis le numéro de page. 18 Tristan L’Hermite, Le Page disgracié, édition Jacques Prévot, Paris, Gallimard, 1994. Dans la suite, l’édition de référence est celle de Jacques Prévot. Nous indiquons d’abord le nom de l’œuvre abrégé Page, la partie, le chapitre et enfin le numéro de page.
Introduction
9
Ces différents types de lieux participent à la construction d’espaces. Nous verrons s’ils
tendent vers une géographie référentielle ou vers une spatialisation imaginaire. L’espace,
en particulier lorsqu’il s’agit d’un espace intime, semble avoir une fonction déterminée.
Enfin, nous nous interrogerons sur la généricité en tentant d’appliquer nos hypothèses
sur plusieurs œuvres théâtrales de l’auteur. L’extension à trois tragédies nous permettra de
vérifier si l’écriture géographique de Tristan peut se généraliser ou si elle reste spécifique à
un genre. Bien qu’inspirée des travaux de Bertrand Westphal, cette étude n’est cependant
pas purement géocritique ; il faudrait pour cela comparer d’autres œuvres de la première
moitié du XVIIe siècle qui se dérouleraient dans les mêmes types de lieux pour mettre en
évidence des façons communes d’occuper l’espace.
10
« Affronter l’espace, c’est donc aller à la rencontre d’une énigme, ailleurs, au-delà des limites du territoire maîtrisable. C’est partir pour soulever le voile qui couvre un mystère. »
Bertrand Westphal Le Monde plausible : Espace, lieu, carte
I – La question des lieux
Pour « affronter l’espace tristanien » et aller à la rencontre de différents types d’espace
possibles, un repérage précis de tous les lieux s’impose, que ces derniers soient parcourus
ou juste imaginés, décrits ou simplement cités. C’est à partir de cet inventaire que nous
tentons ensuite de construire une typologie commune aux trois œuvres étudiées et à trois
niveaux de granularité. Cependant, il convient auparavant de présenter les concepts et
méthodes utilisés.
1. Préambule méthodologique
L’originalité de cette étude pourrait se trouver dans la pluralité de l’approche. En effet,
nous nous basons sur des théories issues du domaine littéraire et nous utilisons également
des outils informatiques et linguistiques afin de travailler sur des données statistiques.
La question des lieux
11
1.1 Terminologie géographique
Lieu, espace, paysage, horizon… autant de termes nécessaires pour se référer au monde
perçu, pour décrire la terre et donc pour la géographie19. Cette dernière est d’abord
cartographique, avec mappemondes et projections de Mercator… Elle est également
textuelle. En quarante ans, de nombreux termes ont été proposés par les philosophes,
littéraires et géographes pour décrire l’espace avec parfois des interprétations différentes
(comme par exemple pour le « third space »). Aussi la terminologie employée dans cette
étude mérite-t-elle d’être précisée.
1.1.1 Lieu, espace, étendue, paysage
Pour qualifier les espaces perceptibles, Bertrand Westphal propose deux approches :
« l’une serait plutôt abstraite, l’autre davantage concrète ; la première embrasserait
l’espace conceptuel, la seconde le lieu factuel20 ».
En nous basant sur cette approche, nous dirons qu’un lieu est pris dans le sens de
« place », c’est-à-dire un endroit terrestre spécifique, délimité topographiquement. Il est
concret et unique. Le géographe Mario Bédard rejoint ce point de vue :
Au contraire d’un espace, le lieu, donné, n’est pas un construit idéel. Il est un support précis et délimité, un instituant matériel spatialisé qui se situe à un croisement d’abscisses et d’ordonnées géodésiques grâce auxquelles on peut lui attribuer des coordonnées longitudinales et latitudinales.21
Nous essaierons de repérer le lieu, comme espace « réalisé » dans le texte, par son
toponyme réel ou fictif mais pas seulement car on pourra aussi le relier à une paraphrase ou
un qualifiant. Le lieu par excellence dans notre corpus d’étude est la ville ; elle représente
l’espace habité. On trouve cependant d’autres lieux comme la forêt ou la rive. La
dimension symbolique d’un lieu peut l’amener à devenir un haut-lieu :
Produit social fait de pierre et de terre, un lieu est dit ou devient haut-lieu en égard à l’imaginaire qu’il suscite et à la symbolique qu’on lui reconnaît. De fait, nous qualifions le haut-lieu de concrétion d’espace-temps et d’artifice de condensation.22
Les lieux de mémoire, les lieux exemplaires et les lieux du cœur sont des hauts-lieux. Un
lieu de mémoire a une valeur symbolique nationale, religieuse ou culturelle. Il est le témoin
de ce qui a été et qui est toujours, tel Pompéi ou la tombe du Soldat inconnu. Un lieu
exemplaire est témoin de ce qui est et qui va être. Mario Bédard donne l’exemple de Brest
19 Étymologiquement la géographie consiste en la description (graphen) de la terre (geox). 20 Bertrand Westphal, op. cit., p. 15. 21 Mario Bédard, . «Une typologie du haut-lieu, ou la quadrature d'un géosymbole», Cahiers de Géographie du Québec, vol. 46, n° 127, 2002, p. 51. 22 Ibid., p. 51-52.
La question des lieux
12
dont le réaménagement témoigne d’une vocation maritime mêlée à une volonté de
modernité. Le lieu du cœur renvoie au sentiment identitaire et très souvent à l’origine.
Si le lieu est un endroit que l’on peut situer et dont on s’approprierait le contenu,
l’espace serait, quant à lui, ouvert, « d’avant le regard ». Ce terme prend alors un sens plus
abstrait, plus général voire générique. Un espace peut se construire par la superposition ou
l’agrégation de lieux : l’espace urbain se construirait à partir des traits récurrents trouvés
dans les villes. Un espace peut alors être utopique et ne faire référence à aucun lieu réel,
tels ces «espaces autres» évoqués par Michel Foucault. Les utopies « sont les
emplacements sans lieu réel. Ce sont les emplacements qui entretiennent avec 1’espace
réel de la société un rapport général d’analogie directe ou inversée. C’est la société elle-
même perfectionnée ou c’est l’envers de la société, mais, de toute façon, ces utopies sont
des espaces qui sont fondamentalement essentiellement irréels23 ». L’espace utopique par
excellence pour le Page serait l’espace offert par la lecture, placé en marge des lieux
socialisés, comme le suggèrent les livres omniprésents du cabinet anglais, de Poitiers et de
Bordeaux24 ainsi que la lecture obsessionnelle (« Je passais les jours et les nuits sur ses
livres, que je ne croyais jamais pouvoir posséder assez longtemps pour en faire des
collections à ma fantaisie25 »). La mémoire du Page constitue un espace lui-même utopique
(« ma mémoire me servait de bibliothèque portative26 »). Elle représente l’espace-refuge,
un espace sans dimension dans lequel tous les voyages sont possibles :
[Je] ne songeai plus qu’à lire dans des livres de géographie et de divers voyages, pour considérer là-dedans la température des climats et la nature et coutume des peuples, que je me proposais d’aller visiter avec mon docte guide, quand il serait venu me reprendre là, selon ses serments.27
Isabelle Daunais parle d’étendue, « plus déterminée que l’espace puisqu’elle relève de la
perception et suppose donc un point de vue, la présence d’un observateur qui en prend la
mesure28 ».
Dans la suite, nous retiendrons le terme « espace » ou « space » plutôt qu’étendue et
retiendrons la notion de point de vue plutôt pour les paysages. En effet, le paysage engage
la question du regard sur une portion d’espace. La notion de paysage sera employée dans
23 Michel Foucault, «Des Espaces Autres», Architecture, Mouvement, Continuité. vol. 5, 1984, p. 46-49. 24 On lui «fit faire une clef pour entrer quand bon [lui] semblerait dans un cabinet plein de beaux livres» (Page, II, XX, p. 190) ; on lui «achet[a] les livres les plus curieux qui traitent de cette matière» (Page, II, XL, p. 233) 25 Tristan L’Hermite, Page, op. cit., II, XXI, p. 192 (nous soulignons) : il est chez Scévole de Sainte-Marthe. 26 Ibid., Page, II, XLVI, p. 242. 27 Ibid., Page, I, XXIII, p. 81-82. 28 Isabelle Daunais, op. cit., p. 96-97.
La question des lieux
13
le sens contemporain29, l’observation d’un lieu selon un point de vue30. Le paysage
implique une part de subjectivité, celle que tout regard porte sur le lieu. Il doit être vu,
écouté, senti pour être restitué. C’est en quelque sorte l’espace vécu proposé dans la
taxinomie d’Henri Lefebvre. Ce dernier distingue trois types d’espaces. L’« espace conçu »
est celui pensé par les aménageurs, les urbanistes. L’espace dans lequel nous évoluons, qui
fait appel à nos sens, est l’« espace perçu ». Enfin, l’« espace vécu » est « constitué par les
espaces de représentation, autrement dit tous les espaces vécus à travers les images et les
symboles qui l’accompagnent31 ». Il implique un travail poétique au sens de Jean Roudaut :
« Le travail poétique fait être en nommant ; il donne naissance32 ». Dans le roman de
Tristan, on peut déjà noter que, s’il y a beaucoup de lieux, les paysages sont en revanche
moins nombreux. Beaucoup d’endroits ne sont que survolés. Lorsqu’il s’attarde, le regard
est sélectif, tel un prisme qui estomperait certains éléments. Tout se passe comme si
Tristan construisait une sorte de décor autour d’un point de détail, voire d’un objet ou
d’une personne. Le regard se focalise sur des paysages parcellaires, sans recherche
d’exhaustivité. Le « tout » n’est pas restitué, il est à reconstruire, à réorganiser à partir de
ces parties. Paradoxalement, l’auteur parvient à donner un sentiment géographique33 à son
œuvre, sans écriture géographique à proprement parler.
Si l’on peut caractériser l’espace selon sa relation avec les lieux, une autre approche
consiste à caractériser l’espace à partir de son degré de territorialité, d’appropriation. Ainsi,
Gilles Deleuze et Félix Guattari opèrent une comparaison entre espace lisse (espace
nomade) dans lequel la ligne est un vecteur, une direction et espace strié (espace
sédentaire) métrique et hiérarchisé qui mène d’un point à un autre. Ils s’intéressent aux
relations et modifications de l’un vers l’autre : la mer est donnée comme exemple d’espace
lisse, qui cependant a subi progressivement un striage. L’espace lisse, de l’immédiateté et
du contact, est associé à une perception haptique :
Ce qui occupe l’espace lisse, ce sont les intensités, les vents et les bruits, les forces et les qualités tactiles et sonores, comme dans le désert, la steppe ou les glaces […] Ce qui
29 Et non dans le sens classique de tableau : « se dit aussi des tableaux où sont représentées quelques vues de maisons, ou de campagnes. Les vues des maisons royales sont peintes en paysages à Fontainebleau et ailleurs » (Furetière). 30 Michel Collot, op. cit. Pour définir le paysage, l’auteur retient l’idée de point de vue, celle de partie, et celle d’unité ou d’ensemble. 31 Henri Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000, p. 49. 32 Bertrand Westphal, op. cit., p. 129. 33 Pour Michel Chaillou, « pressentir un espace, des sites à reconnaître de mémoire, c’est cela le sentiment géographique, sentiment que toute rêverie apporte sa terre », Le Sentiment géographique, Paris, Gallimard, coll. « L’imaginaire », 1989.
La question des lieux
14
couvre au contraire l’espace strié, c’est le ciel comme mesure et les qualités visuelles mesurables qui en découlent. 34
Dans Mille plateaux, la tension entre espace lisse et espace strié est illustrée en politique à
travers le lien de l’État à la guerre et les questions de déterritorialisation. Nous pourrions
essayer de repérer les espaces striés, centralisés et délimités, dans les textes de Tristan et
vérifier s’ils correspondent à des zones d’influence c’est-à-dire à un lieu où s’exercerait un
pouvoir militaire, politique, religieux ou économique.
1.1.2 Le limen : transgressivité et horizon
Le lieu serait espace strié alors que l’espace ouvert, non encore perçu serait espace lisse.
Entre les deux, pourrait s’insérer une troisième sorte d’espace, l’espace de contact ou tiers
espace. Le repérage de ce type d’espace, nous paraît important car c’est l’espace de
l’hétérogénéité, où l’on passe de quelque chose à autre chose. Selon Bertrand Westphal,
« le tiers espace est la formulation spatiale de la transgressivité, qui est elle-même un
passage (une transition, etc) et un défi à la norme établie ». Ces lieux pourraient être ceux
où il n’y a plus à se plier aux servitudes de la cour, car comme l’écrit Marc Fumaroli :
Pour Tristan, la « vie en poésie », vie contemplative et peu lucrative, est le dernier refuge du « vivre noblement » contre l’esclavage et les passions basses de la société de Cour.35
Le tiers espace serait comme une frontière poreuse qui relèverait du seuil (limen) et non
de la frontière étanche (limes). Il permettrait le franchissement libre et la mise en contact
de zones hétérogènes. L’espace liminal à traverser semble se rapprocher du chronotope du
seuil de Bakhtine :
En littérature, le chronotope du seuil est toujours métaphorique et symbolique, parfois sous une forme explicite, mais plus souvent implicite. […] lieux où s’accomplit l’événement de la crise, de la chute, de la résurrection, du renouveau de vie, de la clairvoyance, des décisions qui infléchissent une vie entière. 36
En suivant au plus loin la ligne de fuite de l’espace lisse de Deleuze, on pourrait
atteindre un élément hors de portée de l’observateur : l’horizon, ce qui pour Michel Collot
est imaginaire, impossible à cartographier et qui appelle à réinventer la langue. C’est sur
ces « bords » que la dynamique surgit, que l’espace est mouvement. La représentation de
cet espace est alors impossible à figer et donne lieu à des « espaces vécus » hétérogènes,
selon l’œuvre, l’auteur, l’époque.
34 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980, p. 598. 35 Marc Fumaroli, « Tristan en son temps », Œuvres complètes, tome I, Paris, H. Champion, 1999, p. 38 36 Mikhaïl Bakhtine, op. cit., p. 389.
La question des lieux
15
Quoiqu’il en soit, l’espace produit par le texte est un artefact dans lequel la référence à
un lieu réel peut être différemment marquée. C’est « un monde virtuel qui interagit de
manière modulable avec le monde de référence et le degré d’adéquation de l’un à l’autre
peut varier de zéro à l’infini37 ». Ainsi la retranscription est plus ou moins fidèle à la
réalité ; l’intention de rapporter des espaces littérarisés à des espaces géographiques est
plus ou moins marquée. L’« espace vécu » serait un monde plausible plutôt qu’un monde
cartographié, questionnant ainsi le rapport entre monde réel et monde représenté. Si ce
dernier est d’une autre nature que le réel, peut-il nous donner à connaître la réalité dans
laquelle nous sommes impliqués ? Existe-t-il une correspondance entre les mondes
imaginaires de la fiction et le monde réel ? Certains philosophes et théoriciens de la fiction
ont tenté de formaliser ces questions en recourant à la théorie des mondes possibles telle
qu’elle a été développée dans les sémantiques de la logique modale38.
1.2 Mondes possibles
La théorie des mondes possibles permet de décrire un réseau de mondes et peut
s’appliquer à la littérature : une œuvre n’est plus un monde clos mais un monde de
référence à partir duquel sont accessibles d’autres mondes possibles comme des œuvres
référées par l’œuvre initiale ou qui se réfèrent à elle (telles les réécritures).
Initialement cette théorie a été proposée par Saul Kripke pour la logique modale. En
logique classique, toute proposition, telle que « il pleut » (notée A) a une valeur de vérité :
A est soit « vrai », soit « faux ». La logique modale introduit la notion de nécessaire et de
possible. Par exemple, « il est possible (resp. nécessaire) qu’il pleuve » s’écrira A (resp.
A) et aura la valeur de vérité « vrai » ou « faux ». En logique, un monde est la description
de propositions (assertions) et de règles. Une règle représente une inférence que l’on peut
faire à partir de propositions, par exemple « s’il pleut et s’il est nécessaire que je sorte,
alors je prends un parapluie ». Le modèle de Kripke est constitué d’un ensemble de
mondes M={M1, M2, …, Mn} et d’une relation d’accessibilité R. Cette dernière indique
quels sont les mondes accessibles à partir d’un monde donné. Dans ce modèle, A a la
valeur de vérité « vrai » dans un monde M si A est « vrai » dans tous les mondes accessibles
37 Bertrand Westphal, op. cit., p. 168. 38 Nancy Murzilli, De l’usage des mondes possibles en théorie de la fiction, Klesis – Revue philosophique, 2012.
La question des lieux
16
depuis M. A a la valeur de vérité « vrai » dans un monde M si A est « vrai » dans au moins
un monde Mi accessible depuis M.
La sémantique des mondes possibles a été reprise pour l’analyse littéraire afin
notamment d’examiner dans quelle mesure un texte fictionnel peut être un monde possible
pour le lecteur. Le collectif dirigé par Françoise Lavocat39 réunit des articles qui examinent
les aspects principaux de la théorie des mondes possibles afin de les confronter aux textes.
Dans ce contexte, un monde possible peut se définir comme une alternative concevable au
monde réel : durant la durée de la lecture, le lecteur qui entre dans un univers de fiction est
disposé à le tenir pour vrai.
Françoise Lavocat s’appuie sur les mondes possibles pour proposer une typologie des
genres fictionnels. Afin d’éviter de réduire la relation d’accessibilité à une relation
mimétique, elle dissocie l’univers actuel et l’univers de référence. Le « monde de
référence » M est le point de départ de la référence à d’autres mondes possibles, fictionnel
ou actuel. Il s’agit du monde d’un texte, c’est-à-dire l’état des choses projeté par ce texte.
Mf est un monde fictionnel engendré par un autre texte et qui présente l’état des choses en
partie homologue à celui de M. Ma est un monde actuel qui lui est engendré par un texte
factuel. Selon la relation d’accessibilité R entre mondes (R est une relation de signification
qui doit être constitutive et nécessaire) le texte relève40 :
- d’une fiction alternative lorsqu’il existe des relations Ra entre M et les mondes Ma
(comme pour une allégorie),
- d’une fiction autonome lorsqu’aucune relation entre M, Mf et Ma n’est constitutive ni
nécessaire. Le texte contient tous les éléments nécessaires au déroulement de l’histoire.
- d’une transfiction lorsqu’il il existe des relations Rf entre M et les mondes fictionnels
extérieurs Mf. Les mondes possibles du texte sont donc réalisés par d’autres textes. Ces
autres textes peuvent être une suite, une parodie…
Sans aller jusqu’à évaluer leur degré de fiction41, nous pourrions toutefois nous inspirer
de cette classification pour essayer d’identifier des mondes possibles dans les textes de
39 Françoise Lavocat, « Les genres de la fiction. État des lieux et propositions », La théorie littéraire des mondes possibles, Paris, CNRS éditions, 2010. 40 Ibid., voir la typologie proposée page 29. 41 Pour une étude complète sur les styles de fictionnalité qui émergent au XVIIe siècle, tels le conte et la nouvelle historique voir Christine Noille-Clauzade, « Considérations logiques sur de nouveaux styles de fictionnalité : les mondes de la fiction au XVIIe siècle », La théorie littéraire des mondes possibles, Paris, CNRS éditions, 2010.
La question des lieux
17
Tristan, puis mettre en évidence les éléments spatiaux de ces mondes et voir comment ils
peuvent aider le lecteur à déchiffrer les événements de son époque :
Prendre, ou feindre de prendre un monde fictionnel pour un monde possible : c’est bien pourtant le geste qui, au seuil de tant de romans, de contes, de drames, ouvre au lecteur avec plus ou moins de solennité l’espace de la fiction. En l’engageant à emprunter la voie nouvelle ouverte par le livre comme une alternative aux routes existantes, il lui promet aussi un sens du monde opaque dans lequel il vit. 42
Nous nous servons de deux plaidoyers particuliers qui déclinent des scénarios similaires
pour illustrer ces relations d’accessibilité entre mondes. Nous examinons en particulier
quels espaces y sont représentés et comment ils fonctionnent.
1.3 Méthodologie informatique
Notre approche se base également sur un examen statistique du vocabulaire de Tristan
afin d’essayer de mettre en évidence des motifs récurrents. Pour repérer de façon
exhaustive toutes les occurrences spatiales, nous avons procédé à l’étiquetage morpho-
syntaxique des œuvres du corpus, à l’exception des Éléments de cosmographie.
Cet étiquetage a été réalisé à l’aide de l’analyseur treetagger43. Le logiciel fournit en
sortie un fichier texte où chaque ligne est de la forme : mot ETIQUETTE lemme.
L’étiquetage construit est suffisamment complet pour pouvoir ensuite repérer les items qui
nous intéressent, en particulier les noms propres (NAM), les noms communs (NOM), les
adjectifs (ADJ) et les déterminants (DET). À partir de ce fichier de sortie, il a été aussi
possible de reconstruire automatiquement le voisinage d’un élément, par exemple le
voisinage d’un nom pour la recherche de périphrases. En revanche, le tri à l’intérieur
certaines catégories, comme les noms propres, a été manuel. Pour les déterminants,
treetagger différentie les articles (DET:ART) et les possessifs (DET:POS) mais aucune
distinction n’est possible pour les noms propres et les noms communs. Nous n’avons pas
trouvé d’analyseur – opérationnel et d’apprentissage rapide – qui permette de différencier
les types de noms44. Il aurait été intéressant de distinguer les anthroponymes, les
toponymes, les ergonymes… L’automatisation aurait été possible en couplant l’analyseur
42 Anne Duprat, « Des espaces imaginaires aux mondes possibles. Syllogismes de la fiction baroque », La théorie littéraire des mondes possibles, Paris, CNRS éditions, 201, p. 150. 43 Recommandé par Ludovic Tanguy (équipe CLLE-ERSS – Jean Jaurès), freeware, apprentissage très rapide (http://www.cis.uni-muenchen.de/~schmid/tools/TreeTagger/). 44 Le projet de recherche GEONTO porte sur l’extraction d’informations à connotation géographique (http://geonto.lri.fr/), cependant l’investissement nécessaire était démesuré par rapport au besoin.
La question des lieux
18
avec un dictionnaire géographique comme Geonames, mais il n’aurait traité les ambiguïtés
des noms à l’orthographe ancienne comme « Gravesine » pour Gravesend.
Pour la phrase des Plaidoyers « Il me vint entre les mains il y a quelque temps, un vieux
recueil […] », treetagger fournit le résultat suivant :
il PRO:PER il me PRO:PER me vint VER:simp venir entre PRP entre les DET:ART le mains NOM main il PRO:PER il y PRO:PER y a VER:pres avoir quelque PRO:IND quelque temps NOM temps , PUN , un DET:ART un vieux ADJ vieux recueil NOM recueil
Figure 1 : exemple d’étiquetage morpho-syntaxique
J’ai ensuite écrit un programme informatique qui calcule la fréquence des termes. Par
exemple, pour les occurrences des pronoms (étiquette PRO) de la phrase précédente, on
obtiendrait :
il 2 me 1 y 1 quelque 1
Figure 2 : calcul des fréquences d’occurrences par catégorie
Comme exposé précédemment, la caractérisation de l’espace passe par un repérage des
lieux considérés comme des instituants matériels spatialisés. Ce repérage commence donc
par l’examen des noms géographiques qui ont été classés par catégorie : continent/pays,
région, ville, montagne, fleuve, île. La première intuition a été d’attribuer de l’importance à
un nom selon sa fréquence. Il a fallu nuancer cette pondération : ce n’est pas parce que
Rome est citée 20 fois dans les Plaidoyers qu’elle a plus d’importance que Nice qui est une
précision explicitement ajoutée par Tristan lors de sa réécriture. Nous avons donc plutôt
pris en compte le « périmètre d’influence » d’un nom que sa fréquence. Par exemple, la
fréquence du nom « Rome » est modulé avec le nombre de plaidoyers qui se déroulent à
Rome. Dans cette logique, les lieux intertextuels sont considérés comme importants.
La question des lieux
19
Enfin, le contexte d’énonciation a aussi été pris en compte afin de définir si le lieu avait
une connotation littéraire ou mythologique :
Cette réalité topographique et apparemment mimétique doit cependant être nuancée pour certains lieux porteurs de leur origine romanesque ou épique, tel « cet inexpugnable Château des Pucelles, dont il est tant parlé dans les romans ».45
Ce travail sur les noms propres, bien que révélateur de la géographie de Tristan, ne nous
a pas paru suffisant car il omettait les lieux anonymes ou rendus anonymes comme
certaines villes visitées par le Page. Nous avons donc également sélectionné les noms
communs liés à l’espace ainsi que leur voisinage (déterminants et épithètes s’y rattachant).
La langue du XVIIe siècle, par l’usage qu’elle fait des majuscules, brouille un peu ce
travail sur les noms communs. En effet, si l’on compare notre édition du Page avec des
éditions plus anciennes, on peut constater que les anciennes ajoutent des majuscules et ceci
d’une façon qui semble ne répondre à aucune logique. Ainsi le Page arrive dans une
« grande ville marchande, que visite la Seine allant vers la Mer » et quelques lignes plus
loin, il envisage « de passer la mer pour aller voir cet Albion » (Page, I, XVII). Dans quelle
catégorie alors classer cet élément ? Nous n’avons pas tenu compte de ces différences, bien
que, peut-être, le choix de mettre une majuscule ou non sur des éléments géographiques
pourrait être révélateur de sens.
Le voisinage du nom a permis d’isoler des périphrases éventuellement typifiantes et de
mettre l’accent sur certaines villes qui semblent relever du haut-lieu. La « première ville du
monde » évoquée dans le plaidoyer XXXIII pourrait avoir valeur de lieu exemplaire. Nous
avons aussi opéré une distinction entre les lieux topiques, romanesques ou épiques, qui
sont attendus dans de telles œuvres, de ceux nouveaux, construits par Tristan (la rive
norvégienne) ou revisités (la taverne).
Nous avons donc choisi de conjuguer l’analyse statistique avec certaines théories
comme la géocritique pour travailler sur l’espace tristanien. Le tableau qui suit reprend les
termes des concepts retenus (cf figure 3) :
- la notion d’espace strié et d’espace lisse,
- le lien entre les lieux et l’espace qu’ils construisent et notamment les concepts
d’homotopie, d’hétérotopie et d’utopie,
- la théorie des mondes possibles.
45 Véronique Adam, « Le Nom propre dans Le Page disgracié », V. le Flanchec, Styles, P.U. Sorbonne, 2013, p.106.
La question des lieux
20
Lieu Espace Limite et horizon Principale caractéristique
localisé conçu perçu vécu au seuil du regard
Terminologie haut-lieu (lieu de mémoire, exemplaire, du cœur)
homotopie hétéropie utopie
tiers espace
espace strié / espace lisse
Figure 3 : éléments retenus pour une typologie de l’espace
Nous espérons pouvoir répondre à deux questions principales :
- ces concepts plutôt pensés pour des œuvres post-modernes restent-ils pertinents pour
des œuvres antérieures telles celles du XVIIe siècle. Par exemple, peut-on différencier des
espaces selon leur relation avec les lieux réels et arriver à une classification,
- cette caractérisation de l’espace peut-elle amener un nouvel angle de lecture
complémentaire de la stylistique ou de la narratologie.
2. Typologie des lieux
L’examen approfondi du vocabulaire spatial des trois œuvres en prose a permis dans un
premier temps d’identifier les éléments spécifiques à chaque œuvre en terme d’espace,
ainsi que la tonalité qui se dégage de sa représentation spatiale : une géographie poétique
plus que pédagogique pour la première, une recherche de l’exemplarité pour la deuxième et
une pluralité des lieux et des formes de dépaysement pour la dernière.
2.1 Principes de cosmographie, géographie littéraire ou littérature géographique
Les Principes de cosmographie se répartissent en trois parties : un Traité de la Sphère,
des Éléments de Géographie et enfin des Éléments d’Astronomie. L’avertissement de
l’imprimeur nous indique que ce :
petit Traité de Géographie est traduit du Latin de Viète par un des meilleurs esprits de ce siècle, qui a pris plaisir à mettre ici en ordre les leçons qui en ont été faites à une belle Demoiselle, avec quantité d’autres choses qu’il a recherchées curieusement pour lui plaire46.
46 Tristan L’Hermite, Cosmo, op. cit., p. 445. Cette description du monde est en effet dédiée à Madeleine de Lavardin.
La question des lieux
21
Il aurait été très intéressant de pouvoir comparer les deux versions afin de mettre en
évidence les réécritures opérées par Tristan, ce qui est impossible puisque l’Harmonicon
céleste n’a jamais été publié et le manuscrit perdu. De plus, Françoise Graziani dans son
introduction des Principes, indique qu’il est « tout à fait invraisemblable de prétendre
attribuer au mathématicien humaniste les Éléments de Géographie qui occupent le centre
du recueil ».
Elle indique également le côté anachronique et déroutant des Principes qui feignent
d’ignorer l’héliocentrisme alors qu’ils sont ultérieurs aux travaux de Galilée :
Nous avons montré que la Terre comme la plus pesante des Éléments, était au centre de l’Univers, mais à cause que quelqu’un pourrait douter que ce centre ne soit le centre de quantité, mais de gravité seulement, ainsi que nous avons fait la preuve par la pesanteur de la terre, c’est-à-dire que le centre de gravité de l’Univers ne soit le même que le centre de quantité, nous le prouvons ainsi : quelque part que nous soyons, nous voyons la moitié du ciel47
On peut donc s’interroger sur la finalité de ce travail : « il reconstitue une topique et la
renouvelle, en juxtaposant aux noms anciens le nouvel espace poétique ouvert par
l’extension des connaissances géographiques48 ». La fonction pédagogique de cette œuvre
serait alors un prétexte pour « réactiver la science poétique des humanistes, pour lesquels
la connaissance du ciel et de la terre fondait tout un système de relations analogiques et
métaphorique entre les mots et les choses49 ». Cette œuvre serait en cela une œuvre
géopoétique.
2.1.1 Ordonnancement des éléments
Un inventaire exhaustif des lieux des Éléments de Géographie serait inutile puisque
Tristan parcourt et énumère tous les continents. L’auteur part d’une vue macroscopique du
globe qu’il sépare en trois espaces terrestres et deux espaces maritimes (cf figure 4).
47 Ibid., p. 451. 48 Françoise Graziani, Introduction des Principes de cosmographie, op. cit., p. 429. 49 Ibid., p. 430.
La question des lieux
22
Figure 4 : découpage du globe dans les Éléments de Géographie
Le « vieux Monde » est lui-même composé de trois parties, l’Europe, l’Afrique et
l’Asie. Tristan découpe ensuite l’Europe en huit parties et pour chacune énumère les
« grandes Provinces » qui la composent. La négation de l’héliocentrisme n’est pas la seule
interrogation que suscite ce traité et l’on peut se demander quelle géographie nous est
offerte. En effet, le choix de diviser l’Europe en huit parties entraîne l’effacement de
certains pays. Ainsi, le Portugal est incorporé à l’Espagne, la Suisse à l’Allemagne. Le
regroupement n’est pas original mais l’ordre donné interpelle. Guillaume Sanson fait aussi
ce rattachement. Il divise l’Europe en neuf parties « dont Trois sont situés vers le
Septentrion, Trois vers le Midy, & Trois dans le Milieu des autres » et propose les parties
suivantes50 : les « Isles Britanniques », la Scandinavie, la Moscovie, la France,
l’Allemagne, la Pologne, l’Espagne, l’Italie et la Turquie et précise « nous avons confondu
sous le nom General d’Allemagne comme ayant toujours fait Parties les Pays Bas […], les
Suisses ». On peut noter que l’ordre donné par Guillaume Sanson semble correspondre à
un parcours du nord vers le sud et d’ouest en est. Plus tard, Antoine Baudrand découpe
l’Europe en douze parties et fait une énumération dans l’ordre alphabétique :
Les regions & Royaumes les plus grands de l’Europe sont l’Allemagne, le Dannemarck, l’Espagne, la France, la Hongrie, les isles Britanniques, l’Italie, la Moscovie, la Norvege, la Pologne, la Suede, & la Turquie en Europe.51
50 Guillaume Sanson, Introduction à la géographie – Première partie, Paris, 1681, p. 225. 51 Antoine Baudrand, Dictionnaire géographique et historique, Paris, Denys Mariette, 1705, p. 632.
globe
Terre Mer
vieux Mondenouveau Monde
terre Magellanique
Mer Océane Mer
Méditerranée
Europe Afrique Asie
La question des lieux
23
L’ordre donné par Tristan n’est ni alphabétique, ni fait en fonction des points cardinaux. Il
exclut l’Angleterre de la partie européenne. Elle est décrite dans la suite après le Groenland
et l’Islande (cf figure 5). De plus, il efface totalement le nom des « Pays-Bas » en
rattachant à la France orientale les provinces Hollande, Zélande et Gueldres (Cosmo, p.
470). Enfin, bien que non annoncée dans l’énumération initiale, l’Italie surgit quand même
dans la description, entre la France et l’Allemagne. Tristan dessine donc une carte de
l’Europe selon une sorte de zig-zag qui reboucle vers les pays du Nord : Espagne, France,
Italie, Allemagne, Grèce, Illirie, Hongrie, Pologne, Scandie, Groenland, Island (la figure 5
reprend ces noms dans l’ordre). Le cœur de cette spirale pourrait correspondre aux trois
pays du cœur de Tristan, auxquels il attribue une valeur spirituelle et culturelle.
Figure 5 : inventaire des pays du vieux monde
Deux qualificatifs sont essentiellement utilisés dans toutes les descriptions : les rivières
sont toujours « fameuses » et les provinces « grandes ». Tous les pays reçoivent ces deux
qualificatifs à l’exception de deux qui ne sont pas grands, mais « pauvre » pour l’un et
« très grand » pour le second. En Afrique, Billedulgerid est un « pauvre pays » (Cosmo, p.
498) et en Asie, la Perse est une « très grande Province » composée de provinces
« anciennes » (Cosmo, p. 491). Cette amplification pour la Perse se retrouve dans le traité
de Pierre D’Avity de 1665. Cependant, ce dernier explique en quoi ce pays est grand et
ancien alors qu’aucune annotation n’est donnée par Tristan. Pierre D’Avity explique ainsi
Groenland Island
Angleterre …
Mer Océane Mer Méditerranée
Lampadouse Sicile
Nègrepont Candie
Cefalonie Elbe …
Europe
Espagne France
Allemagne Grèce Illirie
Hongrie Pologne Scandie
Asie
Espagne France
Allemagne Grèce Illirie
Hongrie Pologne Scandie
La question des lieux
24
que « cet espace de terre est fort grand, & comprend environ 38. degrez du Levant au
Couchant […]. La médie fut autrefois le païs le plus puissant de l’Asie52 ».
Sans rompre totalement avec les connaissances et traités de l’époque, il semble toutefois
que Tristan ait pris quelques libertés dans sa description du monde. Il se dispense
notamment d’exposé théologique préalable aux descriptions du monde contemporaines :
La même soumission de la géographie à la vérité transcendante du christianisme est proclamée au début du Monde de Pierre d’Avity dont le succès ne se démentira pas tout au long du XVIIe siècle. La première définition qui est donnée du monde est théologique : « Le Monde est pris quelquefois pour Dieu ; mais c’est en couplant ce mot avec celuy Archétype ou Intelligible, à cause des formes et modelles de toutes choses, qui sont en l’entendement divin ». Est ensuite évoqué le Monde angélique, « pour exprimer les trois Hiérarchies et neuf Ordres des Anges », et enfin celui dont traite en propre la cosmographie, et qui est « l’assemblage du Ciel, des Eléments et des choses qu’ils contiennent, créé par la toute-puissance de Dieu, pour sa gloire et le bien des hommes ». L’ordre de l’exposé et la hiérarchie descendante qu’il présuppose, du ciel vers la terre et de l’unité du Créateur à la complexité de la Création, indiquent une attitude de stricte obédience vis-à-vis de l’Église et l’humilité d’un programme descriptif qui se cantonne aux réalités de ce bas monde53.
Un autre élément singulier se lit pour Constantinople qui, selon Tristan, est la ville
d’une province de Grèce alors qu’elle appartient à l’empire ottoman depuis sa chute en
1453. Pierre D’Avity l’énonce clairement dans son traité :
Pource que la capitale ville de l’Empire du Turc est en Thrace, que l’on nomme aujourd’hui Romeli, ou Romanie, j’ai cru qu’il fallait commencer par cette partie54.
La frontière apparaît en filigrane de toutes ces descriptions. Tristan semble se jouer de
celle-ci, en redessinant les limites de l’Europe ou, en repoussant celle de l’Orient. Les
choix opérés dans cette Cosmographie sont donc probablement plus théologiques ou
politiques que géographiques et les frontières entre l’Orient et l’Occident plus limen que
limes.
2.1.2 Les annotations de l’auteur
Les portions de territoire qui résultent de sa cartographie sont décrites toujours de la
même manière, par l’énumération des villes principales. « La signature cryptée du poète »
peut se deviner dans le dernier nom donné pour la France : Guéret55 (Cosmo, p. 430). Cette
référence à un lieu du cœur est un indice supplémentaire soulignant les libertés
géographiques de l’auteur.
52 Pierre D’Avity, Les estats, empires, royaumes, et principautez du monde, Genève, 1665, p. 1026. 53 Franck Lestringant, « Le déclin d'un savoir. La crise de la cosmographie à la fin de la Renaissance », Économies, Sociétés, Civilisations, 46e année, n° 2, 1991, p. 256. 54 Pierre D’Avity, op. cit., p. 535. 55 Région natale de l’auteur.
La question des lieux
25
Contrairement à un géographe, Tristan donne très peu de détails numériques. Pierre
D’Avity donne par exemple des mesures pour chaque pays :
La Thrace est assise entre le quarante deuxième degré d’elevation du pole, jusques au quarante quatrième, où le plus long jour est de quinze heures, et un quart. Sa longueur contient depuis le quarante septième degré, jusques au trente sixième.56
De telles descriptions ne se rencontrent qu’à deux reprises dans le traité de Tristan :
« Le Détroit de Magellan qui est de 120 lieues de longueur » (Cosmo, p. 466) et « les
Maldives, qui sont situées vis-à-vis du Cap de Comorin à 60 lieues de terre ferme ; ont
d’étendue 140 lieues ; on tient qu’elles sont en nombre 11100, mais cela est incertain »
(Cosmo, p. 504).
Si les villes sont essentielles pour la géographie des lieux, les annotations jointes à
certains éléments topographiques peuvent aussi être des indicateurs. En effet, on peut
remarquer que Tristan s’accorde parfois à ajouter un commentaire sur un élément : un
détail historique ou pittoresque, une référence littéraire… Ces annotations peuvent se
classer en cinq catégories :
- des références à l’Antiquité : romaines, grecques, parfois égyptiennes ; elles sont
historiques (guerres puniques) ou mythologiques (Ulysse).
- des références littéraires (Marco Polo, Roland furieux) ou onomastiques (la Floride),
- des références religieuses (colonie protestante au Brésil)
- des remarques d’ordre économique (souvent liées à la pêche),
- enfin des considérations historiques, ethnographiques ou des précisions
géographiques.
La carte qui suit donne les positions géographiques de ces annotations (cf figure 6)57.
On peut constater qu’elles sont essentiellement rattachées aux pays d’Europe et centrées
sur le monde méditerranéen. L’espace lié au pouvoir est largement représenté, à travers
les lieux guerriers (Angleterre, Sicile), politique (Italie) ou religieux (Égypte, Arabie,
Amérique, mer Méditerranée). C’est un espace strié, aux fortes verticalités : les murailles
se dressent, des forteresses sont bâties, les promontoires investis. L’espace culturel bien
que tout aussi référentiel semble plus ouvert, lisse : c’est un fleuve chanté par les poètes
grecs, une étendue tartare décrite par Marco Polo... À leurs côtés, les lieux pittoresques
semblent là pour divertir, le lecteur, le dépayser : un volcan, un pays désert « rempli de
56 Pierre D’Avity, op. cit., p. 535. 57 Toutes les annotations sont recensées dans le tableau de l’annexe A.1.
La question des lieux
26
Sauvages », une fontaine. Ils sont souvent rattachés à des éléments naturels : îles, vallées
ou fleuves. Inversement, le côté artificiel des lieux de pouvoir et des lieux culturels est
accentué par des noms de villes et de provinces.
Figure 6 : répartition par type des annotations dans les Éléments de Géographie (carte effectuée avec Philcarto58)
2.2 La réécriture des Plaidoyers
En 1643, Tristan L’Hermite publie pour la première fois une œuvre singulière qui ne
ressemble à rien de ce qu’il a produit auparavant : Les Plaidoyers historiques. À quarante-
deux ans, c’est déjà une figure d’auteur reconnue depuis 1637 avec sa tragédie La
Mariane59. Il s’agit de sa dernière œuvre en prose après la Cosmographie, les Lettres
mêlées et Le Page.
Les Plaidoyers sont constitués de trente-sept histoires de délits ou de litiges entre deux
personnages. Chaque histoire est rapidement exposée puis les protagonistes argumentent et
justifient leur acte.
58 Logiciel développé par un Professeur de géographie de l’Université de Bordeaux (http://philcarto.free.fr/). 59 Voir à ce sujet Sandrine Berregard, Tristan L'Hermite, «héritier» et «précurseur», Tübingen, Gunter Narr Verlag, 2006, p. 257-264.
Fait avec Philcarto * 26/07/2014 11:47:03 * http://philcarto.free.fr
Effectif total
7 [MLT]
4 [USA]
3 [BRA]
2 [GBR]
1 [SWE]
Antiquité
Economie
Littéraire
Religieux
Autres
La question des lieux
27
Il ne s’agit pas d’une forme d’écriture nouvelle, puisque l’histoire courte existe déjà
grâce aux nouvelles italiennes de Boccace60. Ni le thème, les histoires tragiques, ni les
éléments relatés ne sont originaux. Avec les adaptations des Novelle de Matteo Bandello,
Pierre Boaistuau est un précurseur et introduit en France l’histoire tragique dès le milieu du
XVIe siècle ; la thématique est reprise par François de Belleforest, puis par Jean-Pierre
Camus61.
En effet les formes brèves de narration issues de l’héritage des fabliaux médiévaux et du Décaméron de Boccace (1349-1351, traduit en France dès le XVe siècle) sont nées au XVIe siècle en même temps que la langue française, et elles font donc partie des formes traditionnelles d’écriture quand arrive le XVIIe siècle. […] Pierre Boaistuau et François de Belleforest sélectionnèrent parmi les nombreux récits les plus épouvantables pour les offrir au public français, et de là le genre des « histoires tragiques », récits de faits divers atroces, qui continua à plaire au XVIIe siècle.62
Les plaidoyers donnent une forme d’histoires tragiques certes plus animée, grâce aux
discours des accusateurs et des accusés, mais ils ne sont pas inédits puisqu’inspirés de
déclamations déjà publiées soixante ans auparavant par le poète flamand Alexandre van
den Buschen, dit Le Sylvain.
Les Plaidoyers ont été longtemps rangés dans la catégorie des œuvres mineures :
Les plaidoyers historiques, malgré les deux, ou peut-être trois éditions qu’ils ont obtenues, méritent encore moins de nous arrêter. Ce n’est pas que, comme le pense l’abbé Goujet, Tristan ait été simplement « l’éditeur » de cet ouvrage. Il a revu, repoli et même remanié en entier tous les plaidoyers […] et bien que la main de Tristan se reconnaisse d’un bout à l’autre de ce volume, qu’il a su habilement ajuster au goût du jour, il n’en est point l’auteur ; il n’en est guère que l’arrangeur.63
Tristan part de cent retranscriptions d'événements réels présents ou antiques. Que fait-il
de cette réalité ? La comparaison des épitomés et des plaidoyers montre que la réécriture
ne se limite pas à un simple « arrangement ». La reconstruction propose un univers non
déterministe qui sous un apparent libre arbitre oriente le lecteur…
Pour mettre en évidence le travail de reconstruction de Tristan et les principaux
changements opérés, nous avons relevés les éléments suivants dans les plaidoyers64 : le
numéro de l’épitomé correspondant, un bref résumé de l’histoire, les principaux
protagonistes, d’éventuels indices d’époque et/ou de lieux, l’ordre des interventions (qui
60 Boccace, Le Décaméron, Classiques Garnier, 1994. 61 Voir l’article de Dietmar Rieger dans Tristan et la prose narrative de son temps : la fiction, Cahiers Tristan l’Hermite, XXXIV, 2012. 62 Nathalie Grande, « Du long au court : réduction de la longueur et invention des formes narratives, l'exemple de Madeleine de Scudéry », Dix-septième siècle, n° 215, 2002, p. 264. 63 Napoléon-Maurice Bernardin, op. cit., p. 565-566. 64 Le tableau complet se trouve dans l’annexe B.1.
La question des lieux
28
fait le premier plaidoyer), le thème traité et enfin d’éventuelles remarques sur la
construction.
Un relevé a été aussi effectué sur les cent épitomés65.
L’analyse morpho-syntaxique permet quelques remarques sur la temporalité et la
localisation des plaidoyers. Les indices qui permettent de situer l'histoire dans son époque
sont rares. Ils concernent trois plaidoyers consécutifs se déroulant dans l'Antiquité : pl.
XXXIII, pl. XXXIV et pl. XXXV. Le déictique « aujourd’hui » employé à sept reprises,
contribuerait plutôt à rendre le récit contemporain du lecteur. Le lexique des plaidoyers est
principalement composé d’éléments relevant soit de la sphère familiale (« père », « mère »,
« fils »), soit de la sphère juridique (« loi », « juge », « justice »). Lieux intimes et lieux de
pouvoir semblent donc se côtoyer dans cette œuvre. Pour les identifier, nous avons
travaillé avec les références spatiales relevées dans les plaidoyers :
Référence Fréquence Angleterre 1 Antioche 1 Artois 1 Asie 2 Berne 1 Constantinople 5 Europe 2 Flandres 5 France 6 Gènes 1 Grèce 2 Italie 5 Milan 1 Nice 1 Orléans 1 Padoue 2 Raguse 2 Rome 20 Sparte 1 Suisse 1 Toscane 4 Tournai 1 Tunis 1 Venise 2
Figure 7 : références géographiques des Plaidoyers
65 Le tableau complet se trouve dans l’annexe B.2.
La question des lieux
29
Les régions françaises et limitrophes sont le plus souvent évoquées. Rome apparaît dans les
plaidoyers de l’époque antique (huit fois dans le plaidoyer XXXIII et huit fois dans le
suivant). Antiquité et monde méditerranéen sont donc bien représentés à l’instar de la
Cosmographie.
75% des plaidoyers ne sont ancrés dans aucun lieu. Ils ne contiennent aucune indication
qui permettrait de les localiser. Dix-huit histoires sont même totalement privées de toutes
indications spatiales, temporelles et sociales. On sait seulement qu’il s’agit, d’un homme et
de sa femme ou d’un père et de ses fils et donc que le délit (adultère, meurtre, naissance
d’un bâtard) s’est passé au sein de la maison familiale. Nous verrons, avec les mondes
possibles, que Tristan donne une fonction particulière à ce type d’espace.
Après avoir relevé tous les noms propres correspondant à des références géographiques
(tableau de la figure 7), nous examiné leur emploi et nous n’avons retenu que ceux qui
localisaient l’histoire, en écartant notamment ceux qui servaient d’argument d’autorité
dans les plaidoiries, comme « ce grand personnage de Sparte » qui est cité en exemple dans
le plaidoyer XXXI. Ainsi, seuls les lieux ou pays de neuf plaidoyers sont identifiables :
Gènes (pl. I / épitomé 79), Nice (pl. III / épitomé 53), Tournai et les Flandres (pl. XIII /
épitomé 2), le Piémont (pl. XVI / épitomé 87), l’Espagne (pl. XIX / épitomé 35), Padoue
(pl. XX, le seul plaidoyer créé par Tristan), Berne et la Suisse (pl. XXIII / épitomé 27),
Padoue et le Sénat de Venise (pl. XXVII / épitomé 81), Constantinople (pl. XXVIII /
épitomé 95).
Quatre d’entre eux restent inchangés par rapport aux épitomés. Il s’agit de :
- l’épitomé 2 : « il feignit mener sondit fils à Tournay, mais passant par la forest le feit
pendre » (p. 6 ; nous soulignons)
- l’épitomé 27 : « Il advint au pays des Suysses, qu’un villageois estant monté sur les
tuilles de sa maison […] le demandeur appellant devant la seigneurie de Berne dit »
(p. 91).
- l’épitomé 81 : « En Padoa y avoit un chirugien excellent sur tous ceux de son age,
[…] il luy vint un grand desir d’ouvrir un homme vif pour bien cognoistre le mouvement
du cœur, parquoy presenta plusieurs requestes au Senat de Venise » (p. 193).
- et pour finir l’épitomé 87 : « Un gentilhomme Piedmontois avoit quelque querelle, ou
au moins tomba en l’indignation d’un grand Sieur dudit païs » (p. 238).
La question des lieux
30
Tristan a précisé le lieu pour deux autres. La fonction sociale (« marchand espagnol ») a
été précisée dans le plaidoyer XIX : « La loy des esclaves est encor’ en Espaigne, […],
qu’un homme […] » (épitomé 35, p. 111). Le plaidoyer XXVIII précise la ville et indique
qu’un juif veut « faire ajourner à Constantinople un marchand chrétien » alors que
l’épitomé ne donnait que le pays (« Un juif veut faire adjourner un marchant, Chrestien, en
Turquie, pour neuf cents escuz » (épitomé 95, p. 238). Comme pour la Cosmographie,
Constantinople devient le lieu où se cristalliserait l’opposition entre monde occidental et
monde oriental.
Enfin, Tristan a changé le lieu pour deux derniers plaidoyers. Le plaidoyer III est
transposé en France. On passe d’une abbesse de Naples qui va en Sicile et qui est vendue
en Barbarie (épitomé 53) à « une religieuse de Nice […] élue pour être Abbesse vers
Monaco […] vendue à terre à une maquerelle de Tunis ». Quant au premier plaidoyer,
l’action se passe entre Raguse, Gènes et Constantinople, alors que le Sylvain n’avait donné
aucune précision, indiquant juste une opposition entre chrétien et turc (épitomé 79, p. 188).
L’espace des Plaidoyers est donc lié au pouvoir et à la famille. Il est plus souvent
incarné qu’explicitement situé. Certains lieux sont des lieux politiques par nature, comme
Rome. D’autres lieux voient leur nature amplifiée ou même définie par les personnages qui
les habitent : des généraux, un comte … On peut noter que toutes les formes de pouvoir
sont incarnées dans le plaidoyer III (guerrier, religieux, social) et réunies dans un lieu
dysphorique : la maison close de Tunis. La ville de Constantinople, utilisée dans deux
plaidoyers amplifie le clivage Occident/Orient, monde chrétien/monde musulman. Enfin,
un tiers espace semblent se construire par juxtaposition de villes portuaires (Gènes, Nice,
Raguse) ; cet espace met en contact plusieurs catégories sociales (paysan, médecin,
marchand).
2.3 De l’orphelin au bâtard, itinéraire d’un Page disgracié
Le repérage des lieux dans Le Page peut s’effectuer en fonction de l’itinéraire parcouru
par le protagoniste. Pour Marthe Robert66, on trouve deux types d’enfant dans le roman,
celui de l’enfant trouvé qui s’imagine issu d’une famille royale et celui du bâtard qui
relègue le père dans un royaume de fantaisie. Tristan paraît, dans son dépaysement social et
spatial, s’approprier les deux figures.
66 Roman des origines et origines du roman, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1977.
2.3.1
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La question des lieux
32
déréaliser le voyage : un écho épique avec la traversée en bateau s’associe à une image
poétisée du pays. Imaginaire, symbolique et réel sont ainsi étroitement imbriqués. À
Rouen, le Page fait la connaissance d’un philosophe alchimiste qui commence à l’initier à
sa science. Bien que ce personnage ne réapparaisse jamais dans le roman, il devient une
figure récurrente : celle de l’autorité, du père que le page-orphelin va tenter de retrouver.
Arrivé à Londres, il est chargé de l’instruction d’une jeune Anglaise dont il tombe
amoureux (flèche 3 de la figure 8). C’est à ce moment qu’il est une seconde fois
« dépaysé » en se faisant passer pour le fils d’un marchand décédé. Il a perdu à la fois ses
parents et son identité… Le Page commence ainsi sa régression sociale en passant du statut
de fils de gentilhomme à celui de fils de bourgeois. Cette invention est comme un signe
annonciateur. Elle prend des accents réalistes lorsque, face à de nouveaux problèmes, le
Page est accusé d’empoisonnement et doit fuir Londres (flèches 4 et 5 de la figure 8). En
effet, en Norvège, il devient marchand de peaux : « Et de seigneur et de prince imaginaire
que j’avais été, je me vis effectivement marchand » (Page, II, V, p. 159). Après avoir vécu
de quelques négoces, il retourne en France (flèche 6 de la figure 8).
Si la figure du père disparaît très tôt dans le récit, elle se retrouve dans le personnage de
l’alchimiste, figure d’autorité qui initie le Page. Toute cette période est donc hantée par
cette figure fantôme, les choix d’Ariston étant régis par l’obsession de revoir ce
personnage. Les pérégrinations du Page, la recherche de l’alchimiste et la mélancolie de sa
perte sont donc indissociables et le mouvement se confond avec la nature même du
philosophe, errant lui aussi :
je voulais à quelque prix que ce fût regagner Londres, pour essayer d’apprendre quelques nouvelles de ce philosophe errant qui ne partait point de mon esprit. Puis j’espérais de trouver bientôt en ce lieu quelque navire de trajet qui me repasserait en France, d’où je gagnerais l’Italie avec le peu de bien que j’avais68.
2.3.2 Errance en France : construction d’une identité culturelle
De retour en France, Ariston prend le « chemin de Paris » : Calais, Dieppe, Rouen
(flèche 1 de la figure 9). La volonté de retrouver l’alchimiste se fait moins insistante. La
figure de l’orphelin qui s’invente un père cède le pas à la figure du pícaro, obsédé par
l’argent et la nourriture. Le Page devient le bâtard de Marthe Robert, partant à la conquête
du réel et jumeau des personnages des Plaidoyers historiques, tel le plaidoyer XXV
68 Ibid., II, IX, p. 166 ; nous soulignons.
La question des lieux
33
mettant en jeu un bâtard contre les deux fils légitimes ou le plaidoyer IX évoquant des
orphelins mutilés, soumis au bon vouloir d’un mendiant.
À rebours, la formation d’une figure galante ou relevant de l’honnête homme se lit dans
les souhaits et l’éducation du goût d’Ariston : désireux de « réussir un jour aux belles-
lettres », il n’exclut pas les arts lors de sa quête (Page, II, XLVII, p. 246). Aussi envisage-t-
il de rejoindre l’Italie (flèche A de la figure 9) : « je m’apprêtais à prendre mon vol vers
l’Italie » (Page, II, XII, p. 174). Une dichotomie semble s’instaurer entre pays nordiques et
pays du Sud, entre moyens de transports possibles (bateau, chevaux) et transport
imaginaire (vol), par conséquent entre voyage réel et voyage spirituel, entre un paysage
naturel et un cadre culturel. À l’opposition des pôles, la conjonction des villes : entre
Rouen et Paris, le Page se fait détrousser au jeu par des imposteurs et, à nouveau sans un
sou, fait demi-tour (flèche 2 de la figure 9). La mélancolie imprègne toujours la dynamique
du voyage et se décline avec un changement de moyen de transport : « je m’en retournai
tout mélancolique vers la ville dont j’étais parti le matin ; et deux jours après j’y vendis
mon cheval pour entreprendre quelque autre voyage à pied » (Page, II, XII, p. 174). La
structure géographique du voyage devient alors plus aléatoire : par hasard, le narrateur
arrive à Orléans (flèche 3 de la figure 9). Il projette alors d’aller à Saint-Jacques de
Compostelle (flèche B de la figure 9).
Le passage suivant pointe le travail de reconstruction fictionnelle et symbolique a
posteriori de l’auteur : éléments prosaïques et éléments poétiques se croisent sur un
chemin réel (« chemin d’Orléans ») et un chemin virtuel (« la voie de lait ») dans une mise
en scène pathétique :
Par hasard, ce fut sur le chemin d’Orléans que me fit aller ce transport ; et comme je tournais les yeux vers le Ciel, lors que la nuit fut venue, pour lui demander raison de tant de disgrâces ou pour le supplier de les adoucir, j’y vis paraître cette vaste blancheur qui procède d’une nombreuse confusion de petites étoiles, et qu’on nomme la voie de lait. Je pris cet objet à bon augure ; je me ressouvins qu’on appelait aussi cela le chemin d’un saint, et je me proposai de me conduire jusqu’en ce petit royaume où son corps glorieux est honoré69.
Même si ce projet est vite abandonné, il révèle l’attirance du narrateur pour les lieux
religieux et les foyers intellectuels. Ce parcours spirituel s’inscrit en filigrane du parcours
réel.
69 Ibid., II, XIX, p. 187 ; nous soulignons.
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La question des lieux
35
douleur se ressent dans l’inventaire dysphorique des pertes : « il s’y perdit beaucoup de
braves gens» (Page, II, XLIX, p. 248), « nous perdîmes beaucoup plus de gens » (Page, II,
LIII, p. 255), « ce fut en ce malheureux siège que mourut un de mes meilleurs amis » (Page,
II, LII, p. 255). L’évocation a posteriori de ces lieux fait ressurgir des sentiments pénibles
pour le narrateur : «Je ne saurais me ressouvenir sans que je renouvelle mes larmes» (Page,
II, LII, p. 255). La mélancolie devient plus générale et se propage au rythme des pas du
Page.
Quête géographique et quête intérieure se clôturent de concert ; le narrateur parvient
enfin à retrouver son identité et à faire valoir ses qualités de poète :
Ce fut ainsi qu’après tant de courses vagabondes, je revins au lieu où j’avais été nourri ; mes parents furent ravis de me voir et d’apprendre qu’avec quelque réputation, je m’étais remis à la Cour71.
La figure de l’auteur se construit donc progressivement et entre en contraste avec
l’espace environnant qui a contrario est parcellaire et fragmenté.
Bien que les trois œuvres soient en prose, elles n’en demeurent pas moins hétérogènes
tant par leur forme (traité, histoire courte et roman) que par leur thème. Les lieux mis en
scène semblent eux aussi variés. Ceux des Principes de cosmographie sont explicitement
nommés ce qui permet de les situer. Chaque pays est décrit selon le même procédé
amenant à des lieux de structure homogène mais aussi à une impression de discontinuité,
de simple juxtaposition. Dans Le Page disgracié, les lieux restent souvent imprécis ou
associés à un point de détail. Ils sont reliés à un parcours géographique donnant une
impression de continuité mais aussi de lieux hétérogènes. Dans les Plaidoyers historiques,
les lieux sont anonymes, ils ont un point commun qui les unie, ils ont été le lieu d’un délit.
On pourrait y voir un seul lieu, résultant d’une superposition de tous les lieux.
.
71 Ibid., II, XLVIII, p. 247 ; nous soulignons.
36
« Écrire n’a rien à voir avec signifier, mais avec arpenter, cartographier, même des contrées à venir »
Gilles Deleuze et Félix Guattari Mille plateaux
II – Fragmentation et esthétisation pour des
espaces fonctionnels
Les œuvres étudiées semblent désigner et utiliser l’espace différemment. Cependant, il
est possible de mettre en évidence des caractérisations spatiales communes : une certaine
liberté par rapport à la géographie réelle qui amène à une construction plus poétique et
imaginaire de l’espace, une impression omniprésente d’espaces striés et fragmentés ainsi
qu’une certaine focalisation sur les espaces fermés, circonscrits.
1. Éléments de synthèse
Deux éléments sur les choix géographiques de Tristan se dégagent de cette étude : les
trois œuvres ont des lieux en commun qu’ils soient géographiquement repérables ou plus
hétérotopiques et la ville y est un lieu important.
Villes et châteaux sont des critères de découpage de l’espace, ils permettent de
distinguer sauvage et habité. Dans la Cosmographie, une région est déserte lorsqu’il n’a ni
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
37
ville, ni château comme l’Hamogitinie en Pologne (Cosmo, p. 480) ou la Tartarie déserte
qui « est ainsi appelée à cause qu’il n’y a ni villes ni châteaux » (Cosmo, p. 493). Les
scènes du Page et des Plaidoyers se passent la plupart du temps dans des villes. Beaucoup
d’entités géographiques nommées correspondent à des villes et la fréquence des substantifs
« ville » et « château » est non négligeable (63 pour « ville » et 36 pour « château »). La
forêt est moins présente par le nombre d’occurrences (10 occurrences de « forêt » et 15
de « bois ») mais aussi par le nombre de fois où elle occupe une place dans l’histoire.
Cependant, elle joue un rôle particulier et identique dans les trois œuvres : c’est le lieu de
la perte, du dénuement. Le Page se cache dans « une grande forêt » et le comte de Flandres
exécute son fils dans la forêt. Dans la Cosmographie, les toponymes énumérés sont
rattachés à des forêts à une seule reprise pour caractériser la Moscovie ; Tristan parle des
forêts de Quéférinie et Mordua plutôt que de provinces et il ajoute, pour la Russie déserte
que « le peuple habite dans les forêts et paie tribut au grand Duc de Moscovie » (Cosmo,
p. 490). Cet aspect tient du topos pour les lieux lyriques ou épique et n’est pas surprenant
dans le cas du Page. Il est plus original pour le plaidoyer puisque le lieu prend une
coloration politique. Tristan déporte le lieu de l’exécution qui est généralement un endroit
urbain et artificiel : une place, une pièce de château… Il le naturalise par l’intermédiaire de
la forêt.
Les lieux rencontrés dans les trois œuvres n’ont pas une intersection vide, bien au
contraire. Tous les pays, régions et villes cités dans les Plaidoyers sont des éléments
référencés dans la Cosmographie. La géographie du Page se retrouve également dans la
Cosmographie. Seules quelques villes françaises sont absentes : Clairac, Coutras, Gaillac,
Grand-Pressigny, Moncontour, Montauban et Pont-de-l’Arche. La Cosmographie pourrait
alors servir d’atlas et aider à déchiffrer les indications brouillées de Tristan.
Deux plaidoyers se déroulent dans le nord de l’Europe : en Suisse pour un villageois qui
tombe d’un toit et en Flandres pour la pendaison du fils du comte. Cette région de l’Europe
est aussi rapidement évoquée par le Page qui envisage « de visiter les Pays-Bas et la
Hollande » (Page, I, XXIV, p. 85). En revanche, comme signalé précédemment, les Pays-
Bas sont absents dans le traité de géographie.
On peut alors remarquer que les Plaidoyers semblent se concentrer autour du bassin
méditerranéen alors que les lieux du Page sont davantage répartis sur le continent. Quand
l’action d’un plaidoyer peut être située, par une référence géographique situant l’origine
d’un protagoniste ou localisant le délit, elle se déroule le plus souvent autour de la
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
38
Méditerranée : le sud de la France, l’Italie, l’Espagne, la Turquie et la Croatie pour les
controverses contemporaines, la Grèce et Rome pour les faits antiques (cf figure 10). Le
monde méditerranéen joue aussi un rôle dans la géographie du page : c’est le lieu des
transports imaginaires, l’espace dédié à la spiritualité et la culture.
L’Angleterre et la Norvège restent des espaces singuliers du Page.
Figure 10 : synthèse des lieux européens rencontrés dans Le Page disgracié et les Plaidoyers historiques (carte effectuée avec Philcarto)
Enfin, Tristan crée de nouveaux espaces en instaurant un brouillage hétérotopique (nous
y reviendrons) et en mêlant références mythologiques et références réelles, à l’image
d’Ovide dans le chant XIV des Métamorphoses. Ovide propose en effet, par des références
à Homère et à Virgile, un cheminement entre géographie italienne réelle et lieux
imaginaires72. De nombreuses annotations dans la Cosmographie font référence à des
mythes et à des œuvres littéraires. L’intertextualité légendaire imprègne ainsi la
72 Voir l’article d’Hélène Casanova-Robin « Éléments pour une analyse du paysage dans le livre XIV des Métamorphoses d’Ovide », Journée d’étude et de recherche sur le Livre XIV des Métamorphoses d’Ovide organisé par A. Videau, tenue à l’Université Paris Ouest-Nanterre le 9 mars 2011 (publié en ligne sur le site http://claro.hypotheses.org/).
Fait avec Philcarto * 11/09/2014 09:42:56 * http://philcarto.free.fr
Effectif total
47 [327 Angleterre]
38 [312 France]
7 [432 Turquie]
5 [309 Espagne]
3 [313 Grèce]2 [308 Danemark]
Plaidoyer
Page
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
39
topographie réelle. La noyade d’Aristote associé au fleuve Euripe le rend dangereux
(Cosmo, p. 462). Le mythe de Dédale est évoqué pour la Crète « ici était le labyrinthe de
Dédale » (Cosmo, p. 485).
Tristan convoque aussi le mythe de Dédale dans Le Page. Il revisite le jardin pour en
faire un dédale dans lequel il s’égare volontairement : « nous nous étions égarés bien avant
dans ce grand jardin […] nous étions assis sur l’herbe auprès d’une fontaine fort solitaire et
qui était au centre d’un petit dédale » (Page, I, XXXVI, p. 115)73. Tristan opère également
une distorsion de la géographie par les livres. En jouant avec la double interprétation de
« au-dessus », il propose une nouvelle géographie : « je mis la Jérusalem beaucoup au-
dessus de Troie et de Carthage » (Page, II, XLVI, p. 243).
2. Un espace fragmenté et liminaire
Les descriptions parcellaires et liminales donnent une impression de lieux épars et
morcelés ; ils semblent également perdre de leur référentialité pour nous orienter vers des
espaces symboliques.
2.1 L’eau, élément délimitateur
L’espace tristanien semble « strié » selon un critère essentiel : l’eau. Mers, fleuves et
rivières sont omniprésents dans les Éléments de Géographie. Les traversées maritimes
cadencent les dépaysements du Page disgracié. De même, la mer Méditerranée sépare le
monde barbare du monde chrétien dans les Plaidoyers.
Dans son traité de géographie, Tristan accorde aussi une grande place aux îles. Il est
d’ailleurs redondant et contradictoire dans sa description lorsqu’il traite des îles de la mer
Méditerranée : il fait une première description de 14 îles (Cosmo, p. 464-465) puis il fait
une nouvelle description différente plus loin (Cosmo, p. 482). Sur les 35 annotations que
nous avons relevées, onze concernent des îles. L’Angleterre est rangée dans la catégorie
des îles de la Mer Océane et non dans celle de l’Europe. Le caractère insulaire de ce pays
est aussi mis en exergue dans Le Page : « [d]es amants de cette île » (Page, I, XXVI, p. 87),
« illustres maisons de cette île » (Page, I, XLVI, p. 144), « dans une île où » (Page, I, XLVI,
73 Deux autres évocations de ce mythe se trouvent plus loin : « Ne vous désespérez point toutefois de sortir de ce dédale » (Page, I, XLV, p.141) et « vous avez été déjà l’Ariane qui m’a retiré d’un fâcheux dédale, et vous serez encore le phare qui me conduira dans le port » (Page, II, III, p.154).
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
40
p. 144), « faire promptement sortir de l’île » (Page, II, IV, p. 156), « en cette île cruelle »
(Page, II, IX, p. 166). L’île, ainsi débarrassée de sa référence toponymique, « devient un
pays mythique, protégée par son insularité même, qui va lui permettre de commencer une
nouvelle vie74 ».
Tristan n’a pas repris l’ordre des épitomés. On peut remarquer que, dans ce nouvel
ordonnancement, les trois premiers plaidoyers ont un élément commun : la présence de la
mer. Dans le premier plaidoyer, un jeune garçon s’embarque pour Constantinople où il est
vendu à un turc. Le deuxième plaidoyer traite le cas d’un fils qui est fait prisonnier lors
d’un voyage :
le fils ménager et chéri de son père fit un voyage sur la mer, et fut enlevé par des Corsaires de Barbarie75.
Enfin, la religieuse française du troisième plaidoyer est enlevée et prostituée par une
« maquerelle de Tunis ». La mer méditerranée devient un espace transgressif, celui du
passage du monde chrétien au monde barbare.
L’eau est aussi présente à travers les villes, éléments importants dans la géographie
tristanienne, puisqu’un certain type de ville est majoritairement représenté : les ports et les
villes côtières. Ainsi, dans la Cosmographie, sur les cinq villes annotées, trois le sont en
tant que ports : Colopasgo et Morga en Suède, « bourgs sur la côte, fameux pour la pêche »
(Cosmo, p. 481) et Ligourne en Italie. Les ports fonctionnent comme un tiers espace ; ils
sont des lieux de mixité sociale et de rencontre d’adjuvants. C’est dans un port que le Page
fait la connaissance du philosophe ou que le jeune garçon du premier plaidoyer part avec
un médecin de Raguse.
2.2 Déréalisation et indétermination des lieux
Tristan semble également chercher à rendre les lieux plus anonymes. Les références
topographiques sont moins explicites et demandent un décryptage du lecteur, rendant ainsi
la géographie plus fictionnelle76.
74 Jean Serroy, « L’amante anglaise : Tristan et l’Angleterre dans Le Page disgracié », Cahiers Tristan L’Hermite n° 10, 1988, p. 23-28. 75 Tristan L’Hermite, Plaid., op. cit., p. 373. 76 Pour Christiane Lahaie, « le lieu référentiel peut se voir « déréalisé » ses attributs de base étant atténués ou magnifiés, jusqu’à le rendre plus ou moins mythique » dans « Entre géographie et littérature : la question su lieu et de la mimèsis » (p. 440).
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
41
Par exemple, dans Le Page, le jeu stéganographique, instauré par les noms des
personnages (Gélase rappelant la gélodacrye, Ariston anagramme de Tristan) se prolonge
avec la géographie. En effet, s’il est possible de retracer les vagabondages du Page, ce
n’est pas grâce à Tristan qui dissimule le plus souvent le nom des villes et des régions. Il
ne cite jamais par exemple la province de la Marche mais écrit plutôt :
J’avais délibéré de me conduire en la province où je suis né, pour ne revenir plus à la Cour jusqu’à je fusse si grand que l’on ne me parlât plus de verges77.
Il y a très peu de noms réels dans les Plaidoyers et Le Page. Généralement les villes
restent indéfinies : « une ville où je me proposais de passer » (Page, II, XXII, p. 195), « une
certaine ville » (Page, II, XXX, p. 209). Quelquefois, Tristan se limite à des périphrases
allusives. Ainsi, Rome est-elle « la première ville du monde » (plaidoyer XXXIII),
Bordeaux se dissimule-t-elle derrière « une superbe ville où l’on ne traitait pas de petites
affaires » (Page, II, XXXVII, p. 225) et plus loin « cette fameuse cité, où le flux et reflux de
la mer et le courant d’un fleuve orgueilleux enrichissent un si beau port qu’il est avoué
d’un des plus beaux astres » (Page, II, XXXVII, p. 225). Rouen est « une grande ville
marchande, que visite la Seine allant vers la mer » (Page, I, XVII, p.62) puis plus loin,
devient « cette fameuse ville, qui fut autrefois la capitale d’un petit royaume, et qui est
aussi florissante pour les lettres et pour les arts, qu’opulente pour la marchandise qu’on y
voit arriver de tant de lieux » (Page, II, XI, p. 168). La forêt de Fontainebleau est « un bois
d’assez grande étendue » (Page, I, XVI, p. 61).
L’écriture de Tristan tend donc à déconnecter son récit de la géographie réelle. Il met en
place un brouillage hétérotopique qui vise à desserrer le lien entre le toponyme et le lieu
fictif. Pour Bertrand Westphal, « lorsqu’un tel brouillage se produit, la connexion entre réel
et fiction se fait précaire. Le référent devient le tremplin à partir duquel la fiction prend son
envol78 ». Ce brouillage aurait une finalité donnée dans Le Page, offrant ainsi une lecture
plurielle. Il en aurait aussi une pour les Plaidoyers, celle de proposer un monde acceptable
pour le lecteur.
Tristan nous suggèrerait deux lectures possibles du Page :
- un récit dans un monde fictionnel où les lieux seraient caractérisés mais non situés. On
perçoit par exemple que le Page est dans une ville animée ou dans un lieu menaçant, mais
on ne peut le localiser précisément.
77 Tristan L’Hermite, Page, op. cit., I, XV, p. 58 : c’est la province de la Marche. 78 Bertrand Westphal, op. cit., p. 173.
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
42
- le second type de lecture nécessite un travail d’investigation dans lequel le lecteur doit
chercher à situer sur la carte les endroits visités, à partir des indices distillés çà et là par
l’auteur. En effet, parfois, on ne sait pourquoi, la narration se fait précise, par exemple pour
« cette superbe ville d’Édimbourg, dont on [lui] avait dit autrefois tant de merveilles, et qui
devait pour lors être [son] asile » (Page, II, II, p. 152). Pourtant les lieux nommés ne
paraissent pas plus chargés d’histoire ou de symbolique que ceux qui restent indéterminés.
Il s’agirait alors d’aiguiller à nouveau, et temporairement, le lecteur… Par exemple, lors du
retour en France, chaque ville est à nouveau nommée : « Enfin je sortis de Plymouth en
assez bonne santé et pris le chemin qui conduit à Londres […]. Je donnai à deux bateliers
tout ce qu’ils me demandèrent pour les faire ramer diligemment jusqu’à Gravesine, et là, je
pris des chevaux pour aller à Douvres » (Page, II, X, p. 167). Ce passage souligne
également, une fois encore, l’étroite relation entre la mélancolie du Page et les
changements de lieux, Ariston est en « assez bonne santé ». Il semble également que le
changement d’espace conditionne le moyen de transport : à l’aller le Page prend un bateau,
au retour il est à cheval. Plus tard, il est à pied pour aller à Poitiers.
Le brouillage hétérotopique voulu dans Le Page a été faussé par le frère de Tristan,
Jean-Baptiste L’Hermite, qui a instauré un troisième type de lecture : une lecture où toutes
les clés de déchiffrement sont données, où le lien avec la géographie réelle est immédiat.
Par exemple, la clé n°7 relie « cette fameuse ville […] qu’opulente pour la marchandise » à
Rouen. Jean-Baptiste L’Hermite a ainsi contribué à faire glisser Le Page disgracié vers un
consensus homotopique « qui suppose que dans la représentation du référent s’agence une
série de réalèmes et que le lien soit manifeste79 ». Apparaît donc une tension entre
hétérotopie et homotopie. Deux types de géographie coexistent dans Le Page disgracié.
Une géographie que l’on peut qualifier de située dans le sens où les lieux du roman
peuvent être placés sans ambiguïté sur une carte. Et une géographie plus fictionnelle, celle
qui a été initiée par l’auteur, qui laisse plus de liberté à l’imagination et instaure une
complicité avec le lecteur. Dans un premier temps, les clés données par Jean-Baptiste
L’Hermite nous ont permis de retracer l’itinéraire du Page (figures 8 et 9). Nous avons
ainsi pu situer un premier voyage en Europe. Celui-ci est circulaire tel le temps de
l’enfance. Le second voyage, dans la moitié ouest de la France, ressemble plus à une
errance, un vagabondage picaresque.
79 Ibid., p 170.
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
43
Le même brouillage se retrouve dans les Plaidoyers. Ainsi, pour parler du « bordeau »,
Tristan reste évasif, comme pour respecter la bienséance : « un lieu public », « un lieu où
des personnes bien pudiques n'auraient fait que verser des pleurs », « celles qui ont
seulement passé en ces lieux ». Dans l’épitomé 2, « bois » et « forêt » sont toujours
précédés de l’article déterminé. Dans le plaidoyer XIII, réécriture de l’épitomé 2, le bois
devient indéterminé (« dans un bois »). Lors des réécritures, Tristan opte ainsi parfois pour
l’indéterminé, peut-être afin « de mettre en meilleur langage que n'avait fait un certain
auteur80 » ces « sujets extraordinaires » ou peut-être également pour séparer le lieu de son
endroit, proposer une abstraction par des périphrases typifiantes. Les lieux ne seraient plus
caractérisés par leur situation topographique mais par leur fonction :
- le lieu dédié au secret, au complot : « En un lieu secret avec du poison »
(plaidoyer XII), « lieu secret pour boire une coupe de poison » (plaidoyer XXXV),
- le lieu refuge : « [u]n lieu d’asile » (plaidoyer XXVII), « de sûrs asiles pour les gens
de bien » (plaidoyer XIII).
Cette réécriture accentue la difficulté d’établir une vérité historique qui pourrait
s’obtenir par l’authenticité des faits relatés81. Aucune attestation d’authenticité historique
n’est donnée par l’auteur dans son avis au lecteur ni dans son adresse à M. de Caumartin.
Les plaidoyers eux-mêmes, nous l’avons vu précédemment, ne contiennent que peu de
références temporelles ou géographiques. Ainsi 73% des plaidoyers ne présente aucune
indication qui rattacherait l'histoire à un lieu précis ou à une époque donnée.
Tristan semble donc avoir effacé les éléments qui amèneraient les Plaidoyers vers une
réalité historique et a contrario aurait conservé voire augmenté la réalité morale82. Il
s’agirait alors d’une recherche de vraisemblance, de bienséance même, sans attestation
d’authenticité historique.
2.3 Poétisation
L’espace se strie, s’affranchit de tout référent et semble également se littérariser par une
écriture poétique dans laquelle le lieu perd sa fonction pragmatique.
80 Tristan L’Hermite, Plaid., op. cit., p. 364. 81 Pour une confrontation entre histoire et roman au XVIIe siècle, voir Frank Greiner, « La confrontation de l’histoire et du roman : Fancan, Sorel, Lenglet-Dufresnoy », Dix-septième siècle, n° 239, 2008, p. 311-338. 82 Nous nous basons sur la typologie de Joël Zufferey : la vérité historique, la vérité anthropologique et la vérité morale, dans Le Discours fictionnel : autour des nouvelles de Jean-Pierre Camus.
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
44
2.3.1 Topoï géographiques, poésie géographique
Tristan convoque plusieurs topoï qui donnent lieu à des espaces codifiés et génériques.
On rencontre ainsi, héritées de l’époque médiévale, des scènes de taverne, lieu de
beuverie et de duperie : « Il me parla d’aller boire pinte avec lui dans un cabaret du bourg
où le vin était excellent » (Page, II, XV, p. 180.), « retourne au cabaret » (plaidoyer XIV).
Cependant, ce topos n’est pas prégnant, l’auberge est plutôt un lieu de convergence ; s’y
rencontrent non seulement bourgeois et barbares, mais aussi des intellectuels tel
l’alchimiste. Le lieu topique emprunté au roman comique est ainsi singularisé.
Le topos de la mer est aussi présent à plusieurs endroits. Lorsque le Page prend le
bateau pour Londres, il subit un grain. La tempête est censée mettre le héros à l’épreuve ;
dans notre cas, celui-ci, malade, reste à l’intérieur du bateau… Le topos épique est lui aussi
estompé. La mer serait plutôt «l’horizon fabuleux» de Michel Collot, c’est-à-dire ce qu’il y
a au-delà du point « moi-ici-maintenant », ce qui ne se donne pas à voir, mais à imaginer83.
Locus terribilis et locus amoenus font bien sûr partie de ces lieux communs84. Le Page
traverse une forêt sombre et aux bruits inquiétants : « le bruit continuel que faisaient
certains animaux qu’on me dit depuis être des bœufs sauvages » (Page, II, I, p. 147). Il doit
y passer deux nuits et en sort avec soulagement. De nombreuses occurrences du lieu
idyllique composé de nature verdoyante et d’eau rafraîchissante se retrouvent au moment
où le roman prend une tonalité pastorale, c’est-à-dire pendant la période anglaise. Chaque
moment est prétexte à promenade dans ces lieux : « un grand verger », « une petite
rivière », « une fontaine fort solitaire85 », une grotte86 pavée de coquillages et tempérée par
une source. Par ailleurs, les lieux topiques et poétiques sont rendus clairement
romanesques grâce à plusieurs métaphores géographiques, telle la métaphore filée du
naufrage, qui dénote dans son emploi sylleptique à la fois l’amour d’Ariston pour la jeune
fille anglaise et sa fuite maritime à venir :
Ainsi, mon amour en voguant avait le vent et la marée, et je voyais déjà le port, lorsqu’il s’éleva des vents contraires, qui me firent perdre ma route et me portèrent sur des écueils où je faillis à faire naufrage.87
83 Michel Collot, L’Horizon fabuleux, XIXe siècle, Paris, Librairie José Corti, 1988. 84 L’expression locus amoenus est employée pour la première fois dans le XIVème livre de l’Encyclopédie d’Isidore de Séville, d’après E.R. Curtius, La littérature européenne et le moyen Âge latin, PUF, 1956, p. 313. 85 Tristan L’Hermite, Page, op. cit., I, XXXVI, p. 114 et p. 115. 86 Ibid., I, XXXVIII, p. 121. 87 Ibid., I, XXXVI, p. 115.
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
45
2.3.2 Les pays : évocations et descriptions
Aux côtés de ces lieux mythiques et poétisés, Tristan fait intervenir de nombreux pays ;
tous les continents sont évoqués. La référence à l’Amérique se fait par une métonymie
pittoresque. Le nain Anselme, acteur de farces dans le château du Grand-Pressigny, est lié
aux indiens d’Amazonie : « sans oublier que le nain en avait usé comme les Topinamboux,
et les Margajats, qui font bonne chère de leurs ennemis quand ils les peuvent avoir morts
ou vifs » (Page, II, XXVIII, p. 206). Cette référence aux indiens d’Amazonie est aussi
présente dans le paragraphe consacré au Brésil de la Cosmographie : « Ici demeurent les
Taupinamboutz et Margaiatz » (Cosmo, p. 509). Ariston opère un voyage médiatisé par le
biais des personnes qu’il rencontre la plupart du temps dans les auberges. Il s’agit
notamment d’un Polonais et d’Allemands, émergence d’espaces incarnés. L’espace vécu,
tel qu’Henri Lefebvre le définit, ne passe donc pas uniquement par la perception :
Là-dedans il y avait quelques étrangers qui faisaient le tour du royaume et qui devaient y séjourner trois ou quatre jours pour considérer à loisir les singularités de la ville. Je me mis avec eux à table d’hôte, et ne trouvai point que ces Allemands fussent joueurs ni qu’ils fissent les extravagants comme le Polacre, qui m’avait gagné mon argent.88
Le Page rencontre dans cette même auberge « un certain petit homme, bossu devant et
derrière » dont le parent a vécu « vingt-trois ans dans le Sein Persique avec des marchands
arabes, faisant ordinairement sa demeure à Ormus, où il s’était rendu plus arabe que les
naturels du pays » (Page, II, XII, p. 175).
Les pays nordiques sont aussi convoqués avec le cavalier Montagne qui :
avait vu toutes les dernières guerres du Nord, et se vantait avec quelque apparence de vérité qu’il avait eu l’honneur de boire à la santé du Roi de Danemark dans le gobelet de ce prince, qui ne commandait jamais cette sorte de hardiesse qu’aux plus hardis de ses soldats, et dont la valeur s’était hautement signalée. Il avait fort bien appris le langage de ces pays froids et n’en avait pas oublié les exercices.89
Ces pays ne sont pas vraiment décrits. Tristan se contente de donner quelques
indications stéréotypées et exotiques. Ainsi, le Danemark fait partie de « ces lieux
sauvages et froids » (Page, II, V, p. 159). L’étrangeté du lieu tient dans un détail
dysphorique et le plus souvent le narrateur se focalise sur un élément exemplaire du
pays90 : par exemple, il s’enfuit d’une « île où les ordres sont si bons et tous les ports si
bien éclairés » (Page, I, XLVI, p. 144). Cet art de l’allusion pittoresque est soutenue par
88 Ibid., II, XII, p. 174. 89 Ibid., II, XLII, p. 236. 90 Notons qu’au début du XVIIème siècle, un paysage désigne un pays, un tableau mais aussi un élément, un accessoire du tableau (d’après le dictionnaire d’Edmond Huguet). C’est ce troisième aspect qu’illustrerait Tristan.
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
46
l’usage répété de prétéritions : « je ne m’amuserai point à vous dire », « il n’est point
nécessaire de vous dire91 ». Les ellipses dans les descriptions estompent les longues
distances et accélèrent la narration. Le lecteur retiendra du voyage du Page en Norvège
qu’il a été dangereux mais il n’aura pas de détails.
Cette censure, à visée romanesque, n’est en aucun cas due à une ignorance puisque
Tristan se montre capable de décrire de façon très précise le monde dans les Principes de
cosmographie. Elle participe davantage d’une géographie dramatique et d’une volonté de
glisser dans l’espace sans s’y attarder mais en gardant un souvenir mémorable de ce
passage. La traversée de la Manche pour revenir en France est tout aussi condensée. Sous
prétexte d’évidence (« vous savez bien »), ce dernier voyage en mer, tout comme les deux
premiers, ne sera pas narré.
Il n’est point nécessaire de vous dire ici la fortune que nous courûmes, en ce petit trajet de Douvres à Calais. Vous savez bien que ce passage est assez périlleux en de certains temps, et combien les vagues s’élèvent sous un grain de vent dans cette marche. Il est question de vous conter des choses plus particulières et plus plaisantes.92
Ce procédé procure au lecteur une impression de description en creux qui le préserve de
l’ennui. Il reconnaît Tristan comme savant géographe et délimite le roman comme un lieu
d’histoire agréable plutôt que des paysages. Le narrateur ne manque d’ailleurs pas de nous
signaler son érudition. Il semble plus enclin à asseoir sa connaissance géographique qu’à
parler de son expérience géographique, l’hyperbole contrastant alors avec l’art de l’ellipse :
Auparavant que de me voir en sa maison, j’avais appris beaucoup de choses de la géographie, et ç’avait été moins pour tirer de l’utilité de cette connaissance que pour faire vanité des grands effets de ma mémoire. Je pouvais dire sans hésiter sept ou huit mille noms de provinces, de royaumes et de principautés, de villes, de fleuves, de côtes et de montagnes. Je fis adroitement avertir le prince mon maître que je savais ces choses-là et que, s’il lui plaisait que j’étudiasse la description des lieux, je serais bientôt capable de l’informer, quand il me le commanderait, de l’assiette de tout un pays, et de tous les gués et de tous les passages. 93
Même dans la Cosmographie, qui se voudrait un ouvrage didactique, la géographie se
fait parfois lyrique. L’espace naturel est valorisé, en insistant sur le caractère cyclique du
temps de ces lieux. Au Groenland, le « Printemps est perpétuel » et en Islande, le mont
Hecla « jette incessamment des flammes » (Cosmo, p. 482 ; nous soulignons) ; l’île sainte
Hélène renferme une fontaine « de laquelle l’eau ne se gâte jamais ». L’écriture poétique se
réalise parfois au détriment de l’exactitude et de la pertinence des descriptions puisque,
91 Tristan L’Hermite, Page, op.cit., II, V, p. 158. 92 Ibid., II, X, p. 167 ; nous soulignons. 93 Ibid., II, XL, p. 232-233.
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
47
selon la note du bas de la page 504, Louis Moreri qui consacre un long article à sainte
Hélène dans son Grand dictionnaire historique indique que « les eaux douces qu’on y
trouve ne sont pas agréables à boire : il y en a qui ont un goût de mine de fer ». La
conversion euphorique pourrait alors souligner la nature non corrompue des lieux naturels.
3. Fermeture et resserrement de l’espace
Tout se passe comme si l’espace était circulaire. L’itinéraire du Page est une boucle qui
part de la cour et revient à son point de départ. Cette impression se retrouve dans la
Cosmographie. La dernière annotation du traité concerne la ville de Philipopolis : « Chica,
ou pays des Géants […] ; c’est ici où le roi d’Espagne à fait bâtir la forteresse de
Philipopolis94 ». Elle fait écho à la ville de Thrace citée dans la première partie des
Éléments de géographie.
3.1 Un espace centripète
L’examen approfondi des éléments géographiques nous permet de proposer trois classes
de lieux et trois niveaux différents : les pays, les villes, les « lieux autres ».
La classe des pays se trouve au niveau macroscopique et se divise en deux groupes :
lieu prosaïque versus lieu spirituel. Dans Le Page disgracié, les pays du Nord sont associés
aux déplacements physiques du protagoniste, à son parcours social. Les pays du Sud,
associés aux déplacements imaginés, correspondent à son parcours mental. Le côté
prosaïque du nord apparaît également dans la Cosmographie. L’accent est mis sur les
aspects économiques des îles du Nord : Terre-Neuve est « fameuse à cause des bancs
proches de là où l’on pêche la morue » (Cosmo, p. 506), de même la Norvège possède des
« bourgs sur la côte, fameux pour la pêche » (Cosmo, p. 481).
Les villes sur lesquelles le narrateur du Page s’attarde semblent avoir des connotations
symboliques : elles représentent un espace politique comme Paris, ville d’exercice du
pouvoir, un espace guerrier comme Saint-Jean d’Angely et Clairac, un espace socio-
économique comme Bordeaux, ville marchande «carrefour» ou un espace spirituel comme
94 Tristan L’Hermite, Cosmo, op. cit., p. 510 : Philipopolis a été bâtie par Philippe II (1527-1598) pour garder détroit de Magellan.
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
48
Lyon et Orléans. Les villes deviennent des points sur la carte, reliés entre eux par les
déplacements du Page, mesurables et mesurés : « en moins de douze ou quatorze heures je
fis vingt-sept ou vingt-huit lieues » (Page, I, XVI, p. 62), « L’armée fit bien quarante
lieues » (Page, II, L, p. 249). En cela, on pourrait reconnaître l’espace strié de Gilles
Deleuze, délimitant des territoires et des frontières difficiles à franchir. Il faut franchir des
canaux de vingt-deux pieds de large, les défenses des remparts, des barricades. Cependant,
les déplacements erratiques du Page, parfois physiques, parfois imaginaires, ont tendance à
atténuer ce striage et à faire apparaître non plus des points mais des directions (vers le
nord, vers Paris, vers le sud).
Les villes des plaidoyers sont aussi des espaces associés au pouvoir. Toutefois, il est
difficile de les étudier selon la théorie de Gilles Deleuze. En effet, l’objectif de cette
dernière est surtout d’examiner les passages entre espace strié et espace lisse ou encore les
déterritorialisations et reterritorialisations et il semble difficile de mettre en évidence de
telles transformations dans les Plaidoyers.
Enfin, à un niveau de granularité plus fine, nous rencontrons des « lieux autres ». Ces
endroits souvent clos sont des lieux dans les lieux (chambre, cave), des lieux marginaux
(rive norvégienne, tour) ou secrets. Ils hébergent l’imaginaire. Ce sont des hétérotopies au
sens de Michel Foucault, puisqu’on peut les considérer comme des localisations physiques
de l’utopie.
Prenons l’exemple du voyage en Norvège. Le bateau marchand n’arrive pas dans un
port mais en « cet endroit de la côte de Norvège » (Page, II, V, p. 158). Le lieu reste réel, à
la différence de l’utopie, cependant sa localisation est brouillée. Il habite une « cabane à la
mode du pays » et devient sur « cette plage » à la fois marchand, seigneur et conteur. Cette
juxtaposition donne une impression d’espace hétérogène, mêlant contraintes réelles
(survenir à ses besoins) et imaginaire. C’est aussi un lieu de crise identitaire qui peut être
considéré comme un tiers espace dans lequel on ne s’attarde pas.
Lorsqu’il est accusé d’empoisonnement, le Page est enfermé « dans une vieille tour qui
était séparée de tout le reste du bâtiment » (Page, I, XLV, p. 140). La tour est un lieu à
l’écart de la société qui opère une sorte de rupture avec le temps réel (« j’expérimentai
combien les heures sont longues »). Espace de liberté et d’emprisonnement semblent
paradoxalement s’y juxtaposer : « J’eus de vastes chambres à me promener et l’escalier
libre jusqu’à la porte d’en bas ».
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
49
Le cabinet anglais ou la chambre à Rouen du Page sont des lieux empreints de
merveilleux. C’est dans une chambre d’auberge, depuis son lit, dressé pour « voir mieux,
par l’ouverture de deux rideaux » (Page, I, XVII, p. 64), que le Page observe l’alchimiste
fabriquer de l’or. Cette première découverte est décisive pour le Page. Elle se passe dans
un lieu clos, dans une ambiance de clair-obscur qui oscille entre merveilleux et étrange. La
découverte de l’amour, se fait aussi dans un lieu intime. Ce dernier est longuement décrit :
J’entrai avec elle, et deux de ses demoiselles dans un cabinet magnifique ; sa lambrissure était faite avec un merveilleux artifice, et parmi l’or et l’azur dont elle éclatait, on voyait de petites peintures agréables et bien finies. Sur une espèce de cordon qui régnait tout à l’entour de ce cabinet, on apercevait de toutes les plus rares et les plus précieuses gentillesses qui se tirent du sein de la mer : d’un côté, vous voyiez de grandes conques de nacre ; de l’autre côté c’étaient des vases de terre sigillée admirablement bien fabriqués, et mêlés avec des porcelaines transparentes, quelques petites figures d’or ou d’argent doré, posées sur leur piédestal d’ébène, et qui étaient autant de chefs-d’œuvre de quelques célèbres sculpteurs. Il y avait encore en ce beau réduit deux grands miroirs où l’on se pouvait voir tout entier ; et proche de cinq ou six carreaux de velours posés les uns sur les autres, sur qui cette belle s’assit, il y avait une longue tablette d’argent suspendue avec des cordons d’argent et de soie, et où je vis quantité de beaux livres arrangés.95
L’image d’une chambre idéale se dessine selon un procédé d’ekphrasis. L’auteur
construit un lieu doublement réflexif. Le microcosme reflète le macrocosme avec la mer,
des objets concaves et une mise en abîme grâce aux deux miroirs. C’est également un écho
à la poésie de Tristan et en particulier à La Mer des Vers Héroïques. Le lieu, ainsi
reconstruit dans la mémoire du Page, perd sa référence à la réalité et prend une dimension
symbolique. C’est un lieu parfait et apparemment sûr comme devrait l’être le coffre dans
lequel Ariston met le portrait de sa belle. Cependant, même idéalisés, la chambre et plus
généralement le lieu clos ne sont pas toujours des asiles sûrs et peuvent devenir funèbre
comme nous le verrons dans La Mort de Sénèque.
Un dernière hétérotopie possible est la cave de la maison de Montauban que le Page
attaque avec d’autres soldats (Page, II, L, p. 251-252). C’est un lieu qui, bien qu’inséré
dans l’espace guerrier, semble le neutraliser. On y fait la fête avec du vin de Gaillac, à la
recherche d’un trésor. L’illusion arrive avec la nuit, comme le soir où le Page croit voir
l’alchimiste sortir de l’or d’une poêle. Ici il croit sortir de l’or de pots de grès.
95 Ibid., I, XXIV, p. 84.
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
50
3.2 Saillance d’éléments
Tristan semble souffrir de « myopie relative96 » lorsqu’il décrit un lieu. Il le réduit à un
élément. Ainsi, Poussol est la ville « en laquelle l’usage de la boussole a été premièrement
inventée » (Cosmo, p. 473)
Nous avons vu que le regard du Page réduit les régions à des villes. L’espace entre ces
villes est ignoré, il est parcouru elliptiquement : « Je ne vous dirai point quelles montagnes
je franchis ni quels ruisseaux je passai avant que de voir cette ville capitale de l’Écosse97 ».
Dans ce passage, la vision est convoquée, le Page « aperçoit » la ville d’Édimbourg. On
croit voir se dessiner la ville à l’horizon, comme si le temps de la narration ralentissait. Ces
moments sont rares dans le roman. Cela se reproduit lorsque le Page arrive à Poitiers :
« cette grande cité que nous voyions déjà d’assez près » (Page, II, XIX, p. 188). La seule
ville sur laquelle le narrateur semble vraiment poser son regard est Bordeaux :
Je vis en cet agréable séjour beaucoup de singularités merveilleuses ; on m’y fit observer un marais desséché par de grands travaux et non sans une prodigieuse dépense, où la boue et les voiries, par l’artifice des humains, avaient été transformés en gazons fleuris et, bref, où l’on avait tiré tout ce qu’on s’imagine de plus délicieux pour la vue et pour l’odorat, de tout ce qu’il y a de plus sale et de plus infect.
J’y vis un tombeau de pierre, soutenu de quatre piliers de même étoffe, qui se remplissait d’eau, durant le croissant, en regorgeait en pleine lune, et se trouvait sec en son défaut. Mille superbes édifices s’y présentèrent à mes yeux pour me faire admirer leur belle structure98.
Synesthésie et hyperbole jalonnent la description pour tendre vers une conversion
euphorique. Le laid se métamorphose en espace positif. Tous les sens sont sollicités : la
vue, l’odorat avec le passage de la boue aux gazons fleuris, l’ouïe avec le bruit de l’eau. Le
regard se fait insistant. La description sert d’écrin pour mettre en valeur l’activité de
l’homme, son œuvre. Les artères de la ville sont évoquées, ce qui pourrait donner une
impression d’étendue, d’ouverture, mais très vite, le narrateur se focalise sur le tombeau.
Avec Tristan, l’espace n’est jamais en expansion. Nous pouvons remarquer une continuité
formelle dans l’œuvre de Tristan. Le tombeau correspond au type d’objets qu’on retrouve
ailleurs dans l’œuvre tristanienne : « Toutes les formes creuses ont le même aspect et sont
composées de deux mêmes substances, eau et pierre. L’union des formes creuses et de
l’univers euphorique en est d’autant plus forte99 ». L’emboîtement des objets semble ainsi
96 Expression employée par Marc Brosseau dans son étude de la représentation des lieux dans les récits courts et non descriptifs (p.425) 97 Tristan L’Hermite, Page, op. cit., II, II, p. 152. 98 Ibid., II, XXXVII, p. 226. 99 Véronique Adam, Images fanées et matières vives : cinq études sur la poésie Louis XIII, Grenoble, ELLUG, 2003, p. 267.
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
51
prolonger la fermeture des lieux. Dans Le Page, beaucoup de contenants entrent en jeu : le
tombeau mais aussi les fioles de l’alchimiste dans la chambre de l’auberge, le pot de
graisse rempli de pièces d’or dans la cave, le coffre d’acier dans le cabinet anglais…
Des espaces pittoresques, beaucoup d’évocations, peu de descriptions… Inutile donc de
chercher dans la prose de Tristan de longues évocations des pays traversés, évacués
également les panoramas époustouflants. Le lecteur ne trouvera que quelques gros plans
disposés çà et là au fil de l’écriture. La représentation de vastes étendues est absente : pas
de mer, pas de campagne, pas de paysage-tableau. Une région est réduite à un trait, elle
passe par l’évocation d’une ville ou même d’un monument. Souvent, la ville elle-même se
resserre sur un lieu clos, une scène d’intimité. Tout se passe comme si le cercle privé
contaminait l’espace public.
4. Les fonctionnalités des espaces
Les lieux réels et identifiables participent à la construction de deux types d’espaces :
l’espace privé et l’espace public (la ville, la cour et les lieux similaires). À l’horizon de
cette géographie apparemment réelle, se dévoile une géographie plus imaginaire et
symbolique, scindée entre l’espace privé, lieu réflexif, et l’espace public, aux polarités
multiples.
4.1 Espace et dépaysement
La fonction première de l’espace tristanien est le dépaysement, dans les deux
acceptions du début du XVIIème siècle. « Dépayser » consiste à « faire sortir quelqu’un de
son pays natal ». C’est aussi « faire changer de pays à un homme qui y est habitué, pour lui
faire perdre ses connaissances, pour le mettre en lieu où il soit deguisé et inconnu100 ».
La préface des Éléments de Géographie augure ce dépaysement :
S’il te faut que tu aies voyagé tu trouveras ici de quoi rafraîchir ta mémoire, et de quoi faire de seconds voyages, qui te coûteront moins d’argent et de peine que les premiers ; et quand ton humeur ou tes affaires ne t’auraient pas permis de voir d’autres pays que ton lieu natal, si tu veux apprendre les noms de beaucoup de peuples, de beaucoup de Mers,
100 Dictionnaire universel contenant generalement tous les mots françois, tant vieux que modernes, & les termes de toutes les sciences et des arts, par Antoine Furetière (1690). Ces deux sens sont aussi attestés dans le Dictionnaire de la langue française du XVIème siècle d’Edmond Huguet.
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
52
Fleuves, Montagnes, Iles, Promontoires, Royaumes, Provinces et Cités, tu n’as rien qu’à prendre la peine de lire.101
Si l’on examine les annotations qui zooment souvent sur un détail pittoresque, aucune ne
porte sur la France. Le nombre d’annotations croît en fonction de la distance ou du
dépaysement.
Dans Le Page, le dépaysement semble omniprésent et peut se décliner selon quatre
formes. Un dépaysement géographique apparaît lorsqu’Ariston entreprend un périple qui le
conduit dans plusieurs contrées européennes. Deux directions opposées se côtoient, l’une
est une trajectoire qui part vers le Nord, avec l’Angleterre, l’Écosse et la Norvège, l’autre
est un regard vers des pays méridionaux comme l’Italie ou l’Espagne. C’est pour le
narrateur un transport à la fois physique et imaginaire. Le dépaysement est aussi d’ordre
social. Ariston cherche à se « forger une fausse généalogie » (Page, I, XVII, p. 62). Il passe
du statut de page à celui de marchand. Jusqu’à dix-huit ans, il cherche à reconquérir sa
place dans la société de cour, désireux d’obtenir une reconnaissance d’auteur102. Une autre
forme de dépaysement s’opère sur le plan psychologique. Tristan, au travers de ce
personnage et par un récit à la première personne, retrace le début de sa vie. Comme le fera
plus tard Jean-Jacques Rousseau dans ses Confessions, l’auteur tente d’expliciter les
événements qui l’ont corrompu et qui ont favorisé sa mélancolie. Les premières
réprimandes injustifiées de son précepteur, toujours dans « l’impatience de trouver quelque
nouvelle couleur pour [le] punir103 », l’auraient conduit au jeu, à la violence et à la fuite. À
la fois cause et conséquence de son errance, la mélancolie semble indissociable de
l’espace : le Page change « de façon de vivre » parce que « l’étude [lui] avait donné tant de
mélancolie qu’[il] ne la pouvai[t] plus supporter » (Page, I, IV, p. 28). La mélancolie
instaure la dynamique du voyage : « m’abandonnant aux transports de cet excès de
mélancolie, je sortis de la ville sans autre dessein que d’aller où mes pas me conduiraient »
(Page, II, XIX, p. 187). Elle est aussi une conséquence de son errance et s’amplifie à
chaque déplacement : c’est à contrecœur que le Page quitte Rouen, laissant ainsi
l’alchimiste qu’il ne reverra jamais. Les états d’âme d’Ariston motivent ses déplacements
et chaque changement de lieu est prétexte à un changement de décor et d’atmosphère,
instituant enfin pour le lecteur un dépaysement générique. Une déambulation picaresque
suit une romance pastorale ; c’est ensuite le tour d’historiettes restituées sur le ton de
101 Tristan L’Hermite, Cosmo, op. cit, p. 444 ; nous soulignons. 102 « Cher Thirinte, c’est où finit le dix-huit ou dix-neuvième an de ma vie » écrit le narrateur à la fin du roman (Page, II, LV, p. 262). 103 Tristan L’Hermite, Page, op. cit., I, XI, p. 48 (« nouvelle couleur » : faux-semblant, prétexte).
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
53
l’entretien. Dans ces différents contextes, la « campagne » tranquille et les tumultueuses
« villes » convoquées au début du roman104 sont bien présentes mais parfois de façon
ambiguë. Le jardin, cadre pastoral par excellence, héberge non une idylle amoureuse mais
l’initiation de l’alchimiste. Les villes accueillent l’errance du Page qui, désargenté et sans
protecteur, va d’auberge en auberge, au gré de ses affres. Dépaysements géographique,
social, psychologique et générique sont étroitement imbriqués et mêlés.
4.2 Espace public (politique, religieux, social)
Le monde de Tristan se scinde en espace public et espace intime ; cependant leur
occupation dans l’espace littéraire n’est pas la même. L’espace public, délaissé par Tristan,
est minimisé, voire évacué. Les controverses des Plaidoyers sont certes publiques mais
concernent essentiellement la sphère privée. Le Page ne semble apaisé que dans des lieux
intimes.
4.2.1 Espace politique : les lieux d’exercice du pouvoir
Dans Le Page, le pouvoir politique est concentré sur un lieu : Paris et sa cour. Il agit
comme un pôle d’attraction pour le Page qui revient toujours « vers la ville capitale du
royaume » (Page, II, LV, p. 262). C’est pourtant à la cour que le Page apprend « les
mauvais exemples, que [lui] donnaient beaucoup de jeunes gens libertins, qu’[il] voyai[t]
dans la maison » (Page, I, IV, p. 29). Le pouvoir guerrier s’exerce de façon plus diffuse.
Les villes écrasées par le pouvoir se succèdent sans jamais être nommées : Saint-Jean
d’Angely qui « arrêta quelques jours » le roi (Page, II, XLIX, p. 248) puis Clairac « qui
avait réputation d’être forte, [et qui] ne fut pas sitôt rendue que beaucoup d’autres à son
exemple embrassèrent l’obéissance » (Page, II, L, p. 249), et enfin Montauban : « Lorsque
cette ville rebelle eut été prise, notre camp s’alla poser devant une autre beaucoup plus
forte » (Page, II, LIII, p. 255).
Le burlesque voile le paysage épique. En effet, à Montauban, le Page est blessé. Mais
c’est par un coup de pelle donné par « un habitant de la ville rebelle » (Page, II, L, p. 251).
Le Page se réfugie alors dans une cave.
4.2.2 Espace social : les lieux de faux‐semblants et de perversion
Le Page disgracié s’inscrit dans un mouvement incessant. Pourtant le Page est passif et
subit les événements. Il parcourt de longues distances mais il en émane une impression de
104 Ibid., I, III, p 26.
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
54
rétrécissement de l’univers. Les espaces ouverts sont comme synthétisés dans un espace
plus réduit, celui de la ville. Le regard ne s’attarde jamais sur la ville et sans transition, le
Page se retrouve dans un endroit clos : la maison du paysan, la cour, le château du Grand-
Pressigny…
Ce nouveau lieu reste public ou du moins hors du cercle intime mais il devient clos.
Comme la ville, il n’est pas détaillé. Aucune description de l’architecture ou de la
disposition des pièces n’est donnée. Seule une impression en émane : celle d’un endroit
propice au mensonge, à la dissimulation. Par exemple, le château du Grand-Pressigny est le
lieu d’historiettes burlesques. Les animaux envahissent l’espace : c’est le moment où
dindon, perdrix, chat et singe s’invitent dans la narration. Les personnages qui
interviennent sont grotesques : le nain Anselme, le gros garçon jardinier, la boulangère, les
deux fripons Gélase et Maigrelin. L’espace est perverti par les personnages qui l’habitent :
le beau se métamorphose en farces et mensonges. Le Page semble être à la recherche d’un
lieu sûr, un asile : « je m’allais jeter entre les bras de ces personnes puissantes, près de qui
j’étais en un sûr asile » (Page, I, V, p. 31), « je ne manquai pas à la première occasion à
recourir à ce royal asile » (Page, I, VI, p. 34), « arrivé en ce doux asile » (Page, I, XXXVII,
p. 119), « qui devait pour lors être mon asile » (Page, II, II, p. 152).
4.3 Espace privé, éthique et leçon
Si l’espace privé du Page est le lieu de l’apprentissage (l’instruction dans le cabinet de
la jeune fille anglais, les lectures dans la bibliothèque de Scévole de Sainte-Marthe), c’est
aussi dans les Plaidoyers un lieu qui se doit d’être un exemplum, au sein duquel la
dimension morale de personnages génériques et intemporels est évaluée.
4.3.1 Typologie des épitomés
À partir du relevé des principales caractéristiques des cent épitomés, en particulier des
types de protagonistes et de leurs éventuelles dénominations ainsi que de l’époque et du
thème de l’histoire, nous avons pu établir une classification en neuf catégories : les
histoires se déroulant à l’Antiquité (époque romaine et grecque), celles qui font intervenir
des figures de pouvoir dans un milieu public (roi, tyran) ou dans la sphère familiale (père
biologique, parent adoptif, mari ou maître) et a contrario celles où le protagoniste n’est pas
une figure de pouvoir (personnages de la classe populaire). À ces cinq catégories
principales, s’ajoutent les histoires guerrières, religieuses et celles qui heurtent la
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
55
bienséance (viol, suicide). Nous avons également classé les plaidoyers selon ces neuf
catégories. Le tableau ci-dessous synthétise le nombre d’épitomés et de plaidoyers pour
chaque catégorie :
CATEGORIE EPITOMES PLAIDOYERS époque lointaine 24 4 figure de potestas – cercle privé 29 21 figure de potestas – cercle public 10 1 milieu guerrier 8 1 milieu religieux 4 1 non postestas – cercle public 7 3 non potestas – cercle privé 6 1 non bienséance 7 0 autre 5 4
Table 11 : classification des épitomés et des plaidoyers
La sélection de Tristan resserre l’éventail des histoires. Comme Jean-Pierre Camus, il
ignore les grandes histoires et délaisse les rois et héros pour se focaliser sur les « petites
histoires ». De plus, il écarte les thèmes liés aux viols et aux suicides. On peut penser que
Tristan enlève les histoires où le clivage bon/méchant est trop évident. En effet, alors que
Le Sylvain inclut de nombreuses figures de tyran105, il semblerait que Tristan les fuit : une
seule occurrence du substantif « tyran » subsiste ; elle est dans le plaidoyer XIII, seul
plaidoyer conservé de la catégorie « figure de potestas – cercle public ».
Ainsi, la recomposition semble orientée à des fins d’unification. Les plaidoyers forment
un ensemble homogène fait en vue d’une unité cohérente où la majorité des histoires (57%)
concerne une discorde dans le milieu familial entre une figure d’autorité et un ou plusieurs
autres personnages et plus particulièrement un litige père/fils, mari/femme ou
maître/esclave.
4.3.2 Brouillage des codes
Tristan donne une certaine cohérence à son œuvre par le choix des histoires mais aussi
par leur organisation. L’examen de l’ordre des plaidoyers effectué par Anne Tournon nous
conforte dans cette idée :
Ce duel symbolique, s'il rappelle en écho les autres affrontements, sert aussi la structure de l'œuvre et montre le travail du conteur : elle permet une liaison thématique et justifie l'ordre de certains plaidoyers.106
105 Elles apparaissent dans les épitomés 2, 3, 8, 10, 11, 45, 46, 50, 64 et 69. 106 Anne Tournon, introduction des Plaidoyers historiques, op. cit., p. 355-357.
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
56
Toutefois, deux plaidoyers posent problèmes ; les plaidoyers III et XX sont discordants
par rapport à notre hypothèse de recomposition. En effet, le troisième plaidoyer est une
conjonction de tous les critères écartés dans les autres textes : les lieux sont explicités
(Nice, Monaco, Tunis), la bienséance est mise à mal (l’histoire se passe dans une maison
de prostituées), les personnages appartiennent au milieu religieux et guerrier (c’est un
soldat qui est tué par la religieuse) et l’histoire choisit la bienséance contre la
vraisemblance (il est difficile de penser que la jeune religieuse puisse passer plusieurs mois
sans être contrainte de se prostituer). Quant au seul plaidoyer original et entièrement créé
par Tristan (pl. XX), il est totalement hors-sujet. C’est le seul qui ne se déroule pas dans un
tribunal ; le thème galant est un écho à l’Astrée. C’est un sujet de prédilection de Tristan
que l’on trouve déjà dans l’épisode anglais du Page disgracié. Sa position en milieu
d’œuvre perturbe ainsi le lecteur qui s’attend à un changement de tonalité alors qu’il n’en
est rien.
À l’exception de ces deux plaidoyers et comme relevé dans la classification, la
reconstruction de Tristan recentre l’œuvre sur la famille et ses dissensions. Le lecteur est
plongé dans le noyau familial et confronté à des problèmes liés à l’argent et au sexe. Le
travail de récriture au sein de chaque histoire ajoute un prisme nouveau : le contenu est
remanié, les évocations pathétiques effacées et toute modalité axiologique évitée. On
pourrait alors penser que l’auteur veut proposer des histoires plus exemplaires
qu’historiques :
Intricately mixed with elements borrowed from the actual world, fiction calls our attention to the nonactual, to the invisible, and to the exemplary107.
Le terrain est dès lors habilement préparé mais Tristan laisse au lecteur la liberté de
peser le bien et le mal grâce aux controverses et à une certaine absence de parti-pris. Ce
libre arbitre est autorisé en particulier grâce aux mondes possibles qui cohabitent au sein
d’un même plaidoyer mais aussi grâce aux échos entre plaidoyers.
4.3.3 Les mondes possibles intra‐plaidoyer et inter‐plaidoyers
Nous faisons l’inventaire des mondes possibles engendrés par deux plaidoyers afin
d’imaginer l’effet qu’ils pourraient avoir sur le lecteur. Le plaidoyer VIII parle «d’un
curieux impertinent qui voulut répudier sa femme » :
Un homme de jalouse humeur fit solliciter sa femme par un de ses valets, et se servit de tant d'artifices pour ébranler sa chasteté qu'enfin la femme dit oui, comme il était caché
107 Thomas Pavel, «Fiction and Imitation», Poetics Today, vol. 21, n° 3, Fall 2000, p. 539.
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
57
derrière eux. Le mari paraît à ce mot, lui fait de furieuses reproches, puis assemble tous ses parents pour l'accuser d'adultère, afin de la répudier.
Les fabliaux et les comédies relatant des histoires de cocufiage sont les textes de
référence. Le plaidoyer modifie légèrement le schéma-type : le mari pousse sa femme à la
faute et pose lui-même la question des mondes possibles (sa femme doit/peut être
infidèle).
L’exposition des faits donne un premier monde possible, c’est le monde de référence M.
C’est le plus objectif car le liminaire est assez neutre et le jugement rendu n’est pas
indiqué. Toutefois, par rapport à l’épitomé, Tristan accentue le caractère jaloux du mari.
Les constantes dans ce monde sont le mari, la femme, l’amant et les parents de femme. Les
propositions sont, entre autres, « le valet tente de séduire la femme » (A), « le mari accuse
d’adultère sa femme » (B), « la femme est infidèle » (C), « il est possible que la femme soit
infidèle » (A) et « il est nécessaire que la femme soit infidèle » ( A).
Il est très proche du monde engendré par le texte du Sylvain. Dans l’épitomé 28, le mari
est « caché en un jardin » et la femme cèdera « la premiere fois que son mary yra aux
champs108 ». Tristan a gommé ces allusions présentant ainsi le prototype du mari
indépendamment de sa fonction sociale (les champs faisant penser au paysan). Le cadre
dans lequel se déroule la scène devient lui aussi indéterminé.
Dans le plaidoyer du mari, la femme infidèle a fauté plusieurs fois. Ce premier
plaidoyer donne un monde fictionnel Mf1. Il contient les mêmes propositions que M. En
prenant l’analogie comme relation d’accessibilité R, le lecteur peut passer d’un monde à
l’autre. Toutefois, dans Mf1, la proposition C est vrai ; donc C est vrai dans M.
Ce sont les parents de l’épouse qui répondent ensuite au mari. L’épitomé propose
plusieurs alternatives justifiant le comportement de l’épouse (ce qui ajouterait plusieurs
propositions si l’on voulait représenter l’état de ce monde) :
mais aussi ne pourrez vous nier, que l’impudicité consiste au fait, non pas en une parolle dite sans sçavoir à quelle intention : que sçavez vous si elle lui promettoit de peur d’estre forcee, se voyant seulle ? ou pour vous faire cognoistre l’infidelité de votre serviteur, et par ce moyen conserver vostre honneur et le sien et ne nyons aussi qu’elle ait promis au premier qui l’a requise
Le plaidoyer est plus catégorique : l’épouse est innocente, elle a fait croire qu’elle
cédait. Tristan rend donc la représentation du monde plus simple que dans l’épitomé ; il se
débarrasse des inférences inutiles :
108 Alexandre Van Den Buschen, Epitomes de cent histoires tragicques, Paris, 1581, p. 93.
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
58
Elle a fait semblant d'accepter les offres de son service, mais elle ne l'a point effectivement reçu dans son lit. Ce OUI dont tu veux si fort exagérer l'infamie, est un mot qui ne t'a point apporté de préjudice. Il n'a été prononcé que pour se moquer d'un mari jaloux qui n'avait de honte d'offenser une honnête femme.
Ce second plaidoyer donne un autre monde fictionnel Mf2 tout aussi accessible depuis
M ; toutefois, la valeur de vérité change pour C qui devient faux, induisant ainsi que C
est faux dans M. L’épouse est donc peut-être infidèle mais pas nécessairement.
Et maintenant si le valet était un homme riche ? Tristan nous propose de visiter cette
alternative au travers d’autres mondes possibles. En effet, le plaidoyer XV « D'un homme
riche qui mourut amoureux d’une femme vertueuse, à laquelle il laissa tout son bien par
testament ; ce qui donne occasion d’accuser sa femme d’adultère » projette un monde
fictionnel Mf3 accessible depuis M. C’est toujours la relation d’analogie qui fonctionne :
Mf3 est composé des mêmes constantes (le mari, la femme et l’amant) et des mêmes
propositions « l’amant tente de séduire la femme » (A), « le mari accuse d’adultère sa
femme » (B) et « la femme est infidèle » (C). On passe seulement d’un amant pauvre à un
amant riche :
Un homme ayant une belle femme alla faire un long voyage, sans la mener avec lui. Durant cette absence un étranger fort riche vint loger près de la maison de cette femme, et ne l'eut pas si tôt vue qu'il en devint fort amoureux. Après beaucoup de soins rendus en vain et de présents offerts inutilement, le riche amant, perdant espérance d'être aimé, perdit aussi le désir de vivre, et se sentit saisi d'une fièvre ardente, qui le conduisit au tombeau. Avant de rendre l'esprit, il donna tout son bien à cette belle et chaste femme, et coucha expressément ces mots dans son testament, « pour l'avoir trouvée chaste et vertueuse». Le mari est averti du bien dont sa femme a fait acquisition avant son retour, et cela lui fait concevoir une telle jalousie qu'étant arrivé en sa maison, il accuse sa femme d'adultère
Comme pour le plaidoyer précédent, le discours du mari et celui de l’épouse engendrent
d’autres mondes fictionnels Mf4 et Mf5. Le lecteur a donc à sa disposition plusieurs mondes
possibles reliés entre eux. Tristan a revu l’espace de ce plaidoyer : le mari part en voyage
mais on ne connaît plus la destination (Jérusalem pour l’épitomé).
En restructurant les épitomés, Tristan contribue à rendre les plaidoyers « adaptables »
au monde réel du lecteur (Ma), facilitant les échanges entre Ma et les mondes textuels.
Se dessine ainsi une « constellation référentielle qui varie pour chaque œuvre109 ». Dans
la constellation des Plaidoyers (qui projette le monde possible de référence M) se trouvent
109 Françoise Lavocat, op. cit., p. 28.
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
59
des mondes textuels actuels, comme celui projeté par les épitomés du Sylvain Ma1 (ou Mf1
selon que l’on considère les épitomés comme factuels ou fictionnels) ou des œuvres
historiques Ma2. On trouve également des mondes fictionnels Mf1, en particulier ceux
projetés par les histoires tragiques qui reprennent des histoires très ressemblantes sur des
sujets comme l’adultère, le mari jaloux, le viol. Par exemple dans la cinquième histoire de
Pierre Boiaistuau, Dideco séduit et abuse Violente ; cette dernière est ensuite condamnée
pour l’avoir tué d’une manière sauvage110. Pour le monde M, ces références ne sont pas
toutes des relations de signification absolument nécessaires (les relations référentielles Rf
et Ra définies par Françoise Lavocat). En effet, par rapport aux épitomés, Tristan a
supprimé nombre de relations référentielles. En enlevant beaucoup de références à des
personnages historiques et en situant les faits dans le monde contemporain du lecteur111, la
connaissance d’œuvres textuelles extérieures n’est pas indispensable pour comprendre le
plaidoyer : le lecteur n’a plus à connaître le destin des personnages cités dans l’épitomé
tels Suzanne Hebrée ou Flora Thais (lien de M vers Ma2). De même, la connaissance de
l’œuvre du Sylvain n’est pas indispensable car les Plaidoyers historiques n’en sont qu’une
écriture méliorative112 (lien de M vers Ma1).
La relation entre M et le monde actuel pourrait jouer un rôle herméneutique. Les
plaidoyers, en proposant plusieurs interprétations du monde réel, permettraient, comme
Anne Duprat le suggère, de guider le lecteur dans sa compréhension de « l’humaine
condition ».
Tristan recentre l’espace de ces mondes dans la sphère privé (en supprimant les
épitomés qui se déroulent hors de cette sphère). Tout se passe comme si Tristan cherchait à
placer ces situations dans un espace suffisamment impersonnel pour que le lecteur puisse
se l’approprier. Il enlève les éléments qui pourraient trop caractériser le lieu, par exemple,
le mari est derrière les amants, mais on ne sait plus où.
En revanche, lorsque les événements sont très particuliers, comme pour l’abbesse
prostituée, l’enfant devenu poison oriental ou le comte de Flandres, Tristan opère à
l’inverse. Il ajoute des repères par rapport aux épitomés. Les lieux sont situés ou précisés
110 Pierre Boiaistuau, Histoires tragiques, Paris, Honoré Champion, 1977, p.167. 111 Tristan emploie des déictiques comme « aujourd’hui » (sept occurrences), « maintenant » (six
occurrences) ou encore « ici » (six occurrences). 112 Cela serait différent, par exemple, pour une écriture parodique.
Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels
60
par rapport à la géographie du lecteur. L’abbesse est de Nice, le comte à Tournai et le
marchand vend l’enfant à Constantinople.
L’espace tristanien n’est pas tendu vers l’horizon mais plutôt comme replié sur lui-
même, comme une spirale qui entraînerait les éléments en son centre. D’un paysage ouvert,
vaste, on glisse systématiquement vers un espace resserré. Beaucoup d’espaces clos
peuvent s’observer. Ce sont des chambres, des tombeaux, des objets creux qui au départ
semblent des hétérotopies positives mais qui peuvent se transformer en espaces funestes.
On ne rencontre pas ou peu d’espaces lisses, insaisissables dans sa globalité et dans
lesquels la notion de frontière serait absente. Les espaces hors de portée du pouvoir
semblent être plutôt des données discrètes113.
113 Analogie mathématique. Les données discrètes, par opposition aux données continues, sont quantifiables.
61
« L'autre doit à son tour, d'un tranquille visage,
Émailler tout le paysage, » Tristan L’Hermite
Stances
III – Espace tristanien et genres
Nous avons dans un premier temps porté notre étude sur les textes en prose de Tristan
L’Hermite. La caractérisation de l’espace dans ce type de texte s’est faite selon trois
critères : les types de lieux participant à la construction de l’espace, le lien entre ces lieux
et l’espace ainsi construit et enfin, le caractère acceptable de ces espaces.
1. Littérature géographique et genre
Nous avons pu constater que la ville est un lieu qui joue un rôle important, en particulier
dans Le Page. Elle opère une dichotomie entre espace naturel et espace non naturel.
L’espace naturel n’est pas très présent ; cependant quand il entre en jeu, souvent, il est mis
en valeur par des conversions euphoriques. L’espace artificiel, quant à lui, peut se
comparer à des espaces triés. Ce sont des zones délimitées, lieu d’exercice d’un pouvoir
qu’il soit politique, religieux ou guerrier.
Nous nous sommes focalisés sur l’espace « vécu », c’est-à-dire celui conceptualisé à
travers les images et symboles qui l’accompagnent, à travers les descriptions des
Espace tristanien et genres
62
écrivains114. Il peut émerger de la juxtaposition ou de l’agrégation de différents lieux. Nous
avons cherché la relation des lieux vers l’espace. Nous avons mis en évidence des
homotopies où il n’y avait aucun brouillage entre l’espace réel et sa représentation, des
hétérotopies et une utopie, en la mémoire du Page. Tristan semble opérer un brouillage
hétérotopique en effaçant certaines références ou en rendant difficilement localisables
certains endroits Cette absence de références rend la question du genre plus complexe.
Ainsi, Le Page s’écarte de l’autobiographie, il joue avec le roman précieux qui apprécie
l’art du secret et des devinettes et semble échapper à une topographie réelle pour s’ancrer
dans un univers fictionnel. Le lecteur est parfois conduit dans des hétérotopies. Ces
espaces sont marginaux ou s’ils sont à l’intérieur de la société, obéissent à des règles autres
et peuvent rompre avec le temps réel. Ce sont aussi parfois des espaces de crise,
notamment de crise identitaire pour le Page.
Parfois, il y a si peu d’entités géographiques nommées dans le texte que l’espace
devient indéfinissable. Cet effet de neutralité se trouve dans plusieurs plaidoyers. Nous
nous sommes alors demandé quel rôle pouvait jouer des espaces atopiques sur la
perception du lecteur. L’étude de mondes possibles projetés par certains plaidoyers fait
penser à une recherche d’exemplarité plutôt qu’à un effet de fiction.
Il serait intéressant à présent de chercher si certains types d’espace mis en évidence
dans les textes en prose se retrouvent dans des œuvres d’un genre différent, le théâtre par
exemple, d’autant que le caractère exemplaire du lieu tragique y est plus prégnant que sa
fonction fictionnelle.
Christiane Lahaie suggère qu’une « géocritique théâtrale est envisageable, pour peu que
l’on tienne compte des spécificités mimétiques mais aussi évocatrices du genre115 ». Deux
éléments peuvent être pris en compte : « l’espace dramatique » construit à partir des
dialogues et « l’espace scénique ». L’espace scénique possède quelques propriétés du lieu
représenté. Comme il reste iconique, il est plus souvent suggéré que décrit. Nous
n’écartons cependant pas l’examen des indications textuelles scéniques présentes dans les
œuvres.
114 Pour mémoire, Henri Levebvre distingue l’espace vécu, de l’espace conçu et de l’espace perçu (sensation immédiate et non médiatisée). 115 Lahaie Christiane, « Éléments de réflexion pour une géocritique des genres », Épistémocrique, vol. IX, 2011.
Espace tristanien et genres
63
2. Les lieux dans trois tragédies de Tristan
Nous avons effectué un repérage géographique dans trois tragédies La Mariane, La
mort de Sénèque et Osman, en suivant la même méthodologie que pour les œuvres en
prose. Elles sont considérées comme les plus représentatives du théâtre de Tristan. Les
deux autres tragédies Panthée et La Mort de Chrispe, n’amenant pas de nouveaux lieux, ne
nous ont pas paru essentielles : l’empire perse de Cyrus II sous l’antiquité (539 avt J.-C.)
pour la première et Rome sous le règne de l’empereur Constantin Ier (326 ap. J.-C.) pour la
seconde. Nous avons travaillé à partir de l’analyse morpho-syntaxique des discours pour
lister les occurrences de noms de lieux ; nous n’avons pas inclus pour ce traitement les
épitres.
2.1 La Mariane
Tristan a pris l’histoire de Mariane des Antiquités judaïques de Flavius Josèphe comme
il le précise dans son avertissement au lecteur : « Quiconque a lu Josèphe, […] sait assez
quelles ont été les violences d'Hérode, qui furent fatales aux Innocents, et particulièrement
à cette Illustre Mariane, dont il avait usurpé le lit et la liberté, avec la Couronne de Judée ».
Hérode, roi de Judée de 37 avant J.-C. à 4 avant J.-C., est follement épris de sa femme
Mariane, qui le méprise d’autant plus que ce dernier a fait assassiner son frère Aristobule.
Devant se rendre à Rhodes, le tyran ordonne à son serviteur Soesme de tuer Mariane s’il ne
revenait pas. À son retour, il apprend que Mariane a été informée de cet ordre et soupçonne
alors un adultère entre elle et Soesme. Hérode, incité par sa sœur Salomé qui a fomenté le
complot, soupçonne sa femme de vouloir attenter à ses jours. Jaloux et suspicieux, il en
vient à la condamner à mort.
La pièce se déroulant à Jérusalem, la plupart des noms propres servent à situer la
région : Arménie, Égypte, Palestine, Judée.
Pays / Continent Région Ville Fleuve/Mer… Île
Afrique 1 Judée 2 Jérusalem 3 Euphrate 1 Rhodes 1
Arménie 1 Rome 2 Jourdain 2
Égypte 1 Nil 1
Palestine 1 Tibre 1
Figure 12 : les noms de lieux dans La Mariane
Jérusalem est un espace ambigu, à la fois lieu de domination par un barbare, Hérode, et
lieu de naissance de la religion chrétienne. La dualité de cet espace se révèle par sa
Espace tristanien et genres
64
comparaison avec d’autres pays. La tyrannie d’Hérode et Jérusalem, incarnées par
Mariane, sont d’abord comparés à l’Afrique : « Va monstre plus cruel que tous ceux de
l'Afrique » (IV, VI, vers 1385). L’Afrique, pays des barbares au temps de Tristan, semble
une convocation presque anachronique. C’est ensuite par l’intermédiaire d’Aristobule que
Jérusalem est confrontée à Rome : « Que dans la Palestine on élevait un homme / Qui
valait bien les dieux qu'on adorait à Rome » (vers 415-416, II, I). Le lieu chrétien,
singulier, s’oppose ici à l’espace païen, pluriel.
On peut constater une forte présence de l’eau notamment avec l’évocation de
l’Euphrate, du Jourdain, du Nil et du Tibre. La présence de l’eau se conjugue avec la mort
notamment dans le rêve que fait le roi Hérode. Ce dernier se réveille en sursaut au début de
la pièce, il vient de rêver du frère de Mariane qu’il a fait noyer :
Je me suis trouvé seul dans un bois écarté, Où l'horreur habitait avec l'obscurité, Lorsqu'une voix plaintive a percé les ténèbres, […] Mes pas m'ont amené sur le bord d'un étang, Dont j'ai trouvé les eaux toutes rouges de sang ;116
On retrouve dans ce rêve la topique du locus horribilis. La forêt et les ténèbres sont
cependant associées à un autre élément : l’eau. Contrairement à l’eau claire des rivières et
fontaines évoqués dans les œuvres précédentes, ici, c’est un marais, où l’eau est stagnante
et corrompue. Nous retrouvons cet aspect dans les autres tragédies.
Le marais est aussi utilisé pour transformer Jérusalem, l’amener à un espace strié, mais
avec des verticales plongeantes (« gouffre », « abîme »), c’est un espace dans lequel on
s’enfonce et on se noie :
De tout Jérusalem ne faites rien qu'un gouffre, Qu'un abîme infernal, qu'un palud plein d'horreur,
Les éléments naturels transforment l’espace artificiel. Les lieux du pouvoir sont ainsi
naturalisés par une métaphore fluviale, Rome et « la colère du Tibre », Jérusalem et « le
Jourdain libre », comme pour les rapprocher des lieux pittoresques de Cosmographie ou
pour atténuer la nature politique de ces lieux :
Et j'ai mille secrets par où le Jourdain libre N'a point à redouter la colère du Tibre.
Le lieu de pouvoir peut être aussi contaminé ; ainsi le Jourdain, fleuve biblique et lieu de
pèlerinage chrétien accentue le pôle religieux de Jérusalem. L’évocation du Tibre peut être
une résurgence de la poésie de Du Bellay (« Plus mon Loyre Gaulois, que le Tybre
116 Tristan L’Hermite, La Mariane, Paris, Augustin Courbé, 1637, I, III, vers 93-102.
Espace tristanien et genres
65
Latin117 »), mais aussi un écho à L’Astrée (« ce grand Cleomir, qui pour vostre service
visita si souvent le Tibre, le Rhin, et le Danube118 »). Nous verrons que l’on retrouve aussi
ces fleuves dans Osman. Le théâtre de Tristan met donc en scène des lieux topiques repris
de textes historiques, religieux et littéraires. Cette pratique intertextuelle se rencontre aussi
dans Le Page et plus implicitement dans la Cosmographie par le biais de certaines
annotations. La symbolique induite par l’intertextualité entraîne ainsi une modification du
type de lieu initial. Sans être explicitement écrit, la religion imprègne l’espace dans lequel
se joue la scène.
La mise en scène d’une passion amoureuse conduisant Hérode au crime et à la folie
donne à voir un personnage double, d’un côté un mari violent dont la jalousie conduit à
l’assassinat et de l’autre une figure despotique de l’Orient. Il semble donc intéressant
d’étudier à la fois l’évocation des lieux amenant à la construction de l’espace oriental et les
« lieux autres » relevant plus de la sphère privée. Ainsi, le lieu de rencontre entre Mariane
et Alexandra semble une hétérotopie. Il n’est pas nommé, seules quelques indications
spatiales dénotent un espace instable, transgressif : « ce lieu », « par où ? », « de ce côté »
(alors que Tristan a précisé dans les arguments les autres lieux : la chambre d’Hérode, la
chambre de Mariane et la prison). Il devient un espace dans lequel les règles changent, où
la mère condamne et où s’opère une inversion des valeurs de vérité : « Vous vivrez
innocente, et je mourrai coupable ».
Le corps de Marianne pourrait être lui aussi considéré comme un espace. Un espace
qu’Hérode veut prendre comme il veut prendre Jérusalem. Il le disloque et commence par
séparer le couple mythique de l’Androgyne formé par Aristobule et Marianne. Puis il lui
coupe la tête (« d’un prompt éclair d’acier lui fit voler la tête »). Le corps se perçoit
comme un espace fragmenté qui sera réunifié après la mort.
2.2 La Mort de Sénèque
La pièce se déroule dans l’Antiquité, comme pour La Mariane mais l’action se situe ici
du côté de l’Occident, à Rome. La tragédie retrace la mort du philosophe Sénèque après
que Néron l’a accusé de faire partie d’une conspiration menée par Pison (65 après J.-C.).
Alerté par son capitaine de flotte Procule, Néron interroge des conjurés soupçonnés de
vouloir le tuer. Il commence par une jeune affranchie, Épicaris, qui résiste à la torture. Il
117 Joachim du Bellay, Les Regrets, 1558, p. 98, 31 (recherche effectuée avec la base Frantext). 118 Honoré d’Urfé, L'Astrée, t. 1, 1ère partie, livres 3, 1612, p. 84 (recherche effectuée avec la base Frantext).
Espace tristanien et genres
66
obtient la liste des conjurés en questionnant Natalis puis le sénateur Sévinus qui cèdent à la
peur ; le nom de Sénèque est dans la liste. Pressé par sa femme Sabine Poppée, qui jalouse
les richesses de Sénèque, Néron ordonne à Sénèque de se tuer.
Rome, citée de nombreuses fois, est associée à un « brasier » et « un grand marais de
sang mêlé de cendre » (vers 402). L’alliance antithétique de l’eau et du feu est ici revisitée.
L’eau est corrompue et Rome est un « grand marais ». Tristan utilise le même procédé que
dans La Mariane pour transformer Rome en espace naturel, mais il en fait un espace
négatif. L’évocation de l’incendie de Rome par Néron se situe dans le discours emphatique
d’Épicaris. Rome est aussi personnalisée pour faire référence au peuple lorsque Sabine
s’instruit de la mort de « cette peste de cour » :
Qu'a dit en te voyant cet honneur de Cordoue Que Rome admire tant, que tout le monde loue ? (vers 1770)
Pays / Continent Région Ville Fleuve/Mer… Île
Égypte 1 Cordoue 1 Euphrate 1
Italie 1 Micène 3 Tibre 1
Orient 2 Rome 14
Rome (Champ de Mars)
1
Rome (Jardin de Mécène)
1
Troie 1
Figure 13 : les noms de lieux dans La Mort de Sénèque
Le monde oriental est peu présent dans les références : il s’agit « du blé qui vient
d’Égypte » et « des poisons d’Orient / Dont la douce rigueur fait mourir en riant 119» qui
survient dans un dialogue où Poppée tente de persuader Néron de tuer Sénèque. La
seconde occurrence d’Orient fait surgir tout le monde oriental dans un lieu clos et
macabre ; nous y reviendrons.
Les jardins de Mécène sont le lieu où Néron est instruit du complot et où il interroge les
conspirateurs. C’est aussi dans les jardins que les conspirateurs se réunissent. Ils semblent
donc être un espace pluriel qui a perdu sa fonction habituelle (rêverie, scène galante) pour
devenir à la fois un lieu dédié au secret et un lieu d’exercice du pouvoir. Alors que jusqu’à
présent l’espace du complot était fermé, il devient ouvert, visible de tous et fusionne de
façon étrange à l’espace qu’il veut combattre. Il s’agirait alors d’inverser le sens de ce lieu
119 Cette association peut rappeler le poison du premier des Plaidoyers Historiques, « D’un enfant rousseau qui fut vendu par un médecin de Raguse, à un médecin turc, qui en fit du poison ».
Espace tristanien et genres
67
générique de la poésie lyrique et de la pastorale et de faire du locus amoenus un lieu
politique120.
Il est possible également de voir un espace tiers, hétérotopique, en la rive de Misène :
Épicaris semble y avoir une autre identité (elle est courtisane, comme le Page est marchand
sur la rive de Norvège) : « Voudrais-tu dénier qu'un soir sur une rive » (vers 807) puis
« Elle quitta Micène, et se jeta dans Rome » (vers 868)
Enfin, la chambre dans laquelle se tue Sénèque, par sa description, fait penser au cabinet
de la jeune fille anglaise dans Le Page. Ekphrasis, synesthésie et jeu de miroir conduisent à
donner à ce lieu une dimension symbolique. Mais là encore, on assiste à une inversion, la
chambre comme lieu amoureux, devient un lieu macabre. Une situation similaire survient
dans Le Page avec le « royal asile121 » qu’est la chambre dans laquelle le jeune Duc
d’Orléans meurt. Dans La Mort de Sénèque, le sentenier qui rapporte le suicide commence
ainsi :
Nous sommes avec lui passés dans une chambre Où l'air qu'on respirait n'était rien qu'esprit d'ambre ; Ce n'étaient en ce lieu qu'ornement précieux Dont l'éclat magnifique éblouissait les yeux ; Que meubles d'Orient, Chefs-d'oeuvre d'une adresse Où l'art débat le prix avecque la richesse ; Que miroirs enrichis et d'extrême grandeur.
Le lieu est clos. Il sollicite le plaisir des sens, la vue et l’odorat. Alors qu’il devrait être
sombre et lugubre, il n’est que merveille et esthétisme. Avec le jeu des grands miroirs et
des objets orientaux qui envahissent l’espace, il devient un microcosme qui reflète tout
l’Orient. Interrompu par Sabine Poppée, le sentenaire reprend :
Un vaste bassin d'or, où des eaux odorantes Ornaient de leur parfum mille pierres brillantes, N'y faisait éclater une valeur sans prix Que pour y recevoir son sang et ses esprits.
En multipliant les détails, le lieu se fragmente et néanmoins semble homogène en reliant
des objets similaires : brillants, orientaux et creux ou clos. Le lieu devient lumineux ; les
richesses effectives et figuratives s’entremêlent (« son sang et ses esprits »), faisant du
corps de Sénèque un double du lieu. L’unité fusionnelle du lieu que l’on rencontre ici ne se
trouvait pas dans le roman, Ariston restant un élément hétérogène de la chambre. De la
description de la chambre funèbre de Sénèque émane un haut-lieu, à la fois de mémoire et
du cœur. Il pourrait devenir également un lieu exemplaire d’une mort chrétienne ? Les
120 Voir à ce sujet Laurence Giavarini, La distance pastorale, Paris, Vrin, 2010, qui montre que les lieux de la pastorale sont devenus des moyens de réfléchir sur le pouvoir. 121 Tristan L’Hermite, Page, I, VI, p. 34.
Espace tristanien et genres
68
derniers gestes de Sénèque font penser au baptême chrétien. S’ajoute à cela l’évocation
d’ « [u]n vieux Cilicien aux bonnes mœurs instruit/ Un Prophète nouveau dont la doctrine
pure /Ne tient rien de Platon, ne tient rien d'Épicure » (vers 704). On peut aussi voir dans
ce lieu une relecture de la mort des saints dont on dit aussi que le corps embaume et est
éclatant à leur mort.
2.3 Osman
La tragédie d’Osman relate un drame oriental mais, à la différence de La Mariane, il est
contemporain. Les lieux ne sont plus topiques et institués mais modernes, dont le sens est
encore imprécis et réduits à des lieux barbares. Tristan nuance cet état de fait, en rendant
Osman conforme au modèle du héros tragique, plus occidentalisé. Il s’agit de l’épisode qui
précède la mort d’Osman, fils d’Ahmet Ier, qui en 1618, à l’âge de quatorze ans, devient
sultan de l’empire ottoman. En 1622, de retour à Constantinople, après avoir été contraint
de signer un traité avec la Pologne, Osman reproche sa défaite à ses officiers et aux
janissaires. Il décide de former une nouvelle armée en Égypte et prétexte pour cela un
pèlerinage à Médine. Mais les janissaires, informés du dessein d’Osman, se révoltent. Dans
la pièce, Osman étouffe une première révolte en effectuant une sortie du sérail avec
quarante capigis, gardiens de la porte du sérail. Cependant, le mufti furieux de l’affront
qu’Osman a fait à sa fille en la renvoyant (parce qu’il la trouve moins belle que sur le
portrait qu’on lui avait donné), appelle à nouveau à la révolte. Osman meurt dans les rues
de Constantinople, mis en pièce après un courageux combat contre les janissaires. Comme
le fait remarquer Napoléon-Maurice Bernardin, Tristan construit une figure de héros
courageux et frappé d’une mort digne alors que la vérité historique est autre puisqu’il
meurt dans la forteresse des Sept-Tours, étranglé par ses gardiens :
Tristan, tout en respectant scrupuleusement les grandes lignes de l’histoire, a su néanmoins, par de légers, mais habiles changements, élever Osman à la majesté du héros tragique122
Bien que la pièce de passe dans et autour du palais de Constantinople, les références au
monde occidental sont assez nombreuses. L’empire ottoman semble se heurter à l’espace
européen, par l’intermédiaire de la Pologne. Se dessine alors un espace limité, aux
frontières difficiles à franchir : des murs avec la forteresse d’Ouchin (Khotin de nos jours)
et de larges cours d’eau avec le Niester (aujourd’hui, le Dniestr)
122 Napoléon-Maurice Bernardin, op. cit., p. 475.
Espace tristanien et genres
69
Quel fut devant Ouchin ce courage bouillant, Qui les a fait passer pour un corps si vaillant ? Le Niester tint pour faux tout ce qu'on en raconte, Il rougit de leur sang bien moins que de leur honte ;123
Comme Jérusalem, la Pologne se voit liée à un fleuve. En remplaçant l’eau par le sang,
cette association laisse toutefois présent l’aspect guerrier de l’espace. Le fleuve
ensanglanté, récurrent chez Tristan, n’est pas original. Pierre Boaistuau dans Le Théâtre du
monde (1558) écrit ainsi : « à peine trouverez vous aujourd'huy region en l'Europe qui ne
soit teincte de sang humain, ne mer ou fleuve qui n'en rougisse ». On le retrouve également
dans la poésie de Théophile de Viau « le fleuve de son lict alors fit un cercueil,/ qui de vos
ennemys fut le sanglant accueil,124 ».
Pays / Continent Région Ville Fleuve/Mer… Île
Asie 4 Thrace 1 Byzance 2 Bosphore 1
Egypte 1 Caire 5 Danube 1
Pologne 2 Cracovie 1 Niester 2
Mecque 1 Nil 1
Médine 2 Rhin 1
Ouchin 1
Figure 14 : les noms de lieux dans Osman
Le monde oriental est de fait présent dans la pièce par les références à l’Asie, aux villes
orientales (Byzance, La Mecque, Le Caire, Médine) et à l’eau (Bosphore, Nil). Cependant,
nous pouvons nous interroger sur la ville de Constantinople. Elle n’est désignée que par
son ancien nom de cité grecque, Byzance. C’est d’abord Osman qui la cite :
Et le Perse animé, le Russe et le Cosaque, Qui vont forcer Byzance à la première attaque, Et donner tout en proie à leurs cruels efforts, N'auront pas le loisir de piller nos trésors
Puis Orcane :
Et c'est prendre à témoin la puissance divine D'une mauvaise foi que Byzance devine, Et qui sous la couleur d'un voile spécieux A paru dès l'abord toute claire à nos yeux125.
Le lieu semble lié au mensonge : le Niester, incarnation du monde occidental, dénonce
la fausseté du monde oriental qui n’est qu’une illusion, un « voile spécieux ». L’Orient
serait donc le monde du faux et tout se passe comme si Tristan cherchait à prolonger cette
fausseté. Cette impression peut se confirmer par l’étude de deux autres références La
123 Tristan L’Hermite, Osman, Paris, G. de Luynes, 1656, vers 111-114. 124 Théophile de Viau, Œuvres poétiques : 1re partie, 1621, p. 174 125 Tristan L’Hermite, Osman, op. cit., I, I, vers 81-85 et IV, IV, vers 1193-1196.
Espace tristanien et genres
70
Mecque et Médine. En effet, comme la majorité des villes citées dans les œuvres de
Tristan, on les retrouve dans la Cosmographie, dans la partie traitant de l’Arabie :
Les villes principales sont Mecha, fameuse à cause de la sépulture de Mahomet, Medina-Tanalby, fameuse à cause de la naissance de Mahomet (Cosmo, p. 491).
Dans cette annotation, l’auteur donne de fausses indications, erreur que Pierre D’Avity
ne commet pas :
les Perses & Arabes appellent la ville de la sepulture du faux Prophete Mahomet, Medina el Naby: c'est à dire peuple du Prophete. Et quand ils vont en pelerinage à la sépulture, bien qu'ils disent qu'ils aillent à la Meque, toutefois c'est à Medina el Naby, car ce n'est pas une même chose, que ces deux villes estans bien esloignee l'une de l'autre.126
On pourrait penser à une lecture de seconde main de Tristan, rectifiée quelques années
plus tard, puisque Tristan ne fait plus la confusion dans Osman et situe bien le tombeau à
Médine :
Vous excitez en vain cette rumeur mutine, Lorsque je veux partir pour la Sainte Médine : Vers le sacré tombeau je porterai mes pas, Que vos séditions ne retarderont pas. 127
Cependant, comme nous avons vu que Tristan avait déjà pris quelques libertés dans la
Cosmographie, nous pouvons peut-être penser qu’il s’agit d’une confusion volontaire,
d’autant plus que Tristan latinise le nom de La Mecque, comme pour l’occidentaliser. Il la
désigne par son nom en latin vulgaire : Mecha. Johann Jacob Hofmann (1635-1706) dans
Lexicon Universale qui comme d’Avity situe le tombeau de Mahomet à Médine, écrit :
vulgo la Mecque, Gallis, la Meccha Italis, civitas Arabiae Felicis, quam Saraceni incolunt, Mahumeticae superstitionis caput. […]. a Medina Tanalbia in Meridiem, ibi sepulchrum Mahumetis.
Les deux lieux primordiaux de la religion musulmane sont donc décrits de façon
imparfaite, tendant à minimiser l’importance du monde arabe.
Tristan aurait pensé également l’espace comme le lieu d’un pouvoir oriental disloqué :
Osman doit sortir du sérail pour faire régner l’ordre. Au contraire, au début de la pièce, Osman peut espionner et donner ses ordres cachés, comme son successeur Mustafa caché voire enfermé, derrière une « fausse fenêtre », ou les sultans des autres tragédies orientales contemporaines. Cette fausse fenêtre désigne le sérail comme lieu d’illusion et d’arbitraire du pouvoir. […] Le choix scénographique de Tristan entraîne l’apparition d’un espace compartimenté, en plusieurs lieux visibles ou invisibles. […] La multiplication des lieux invisibles aux yeux d’Osman déstabilise sa puissance et l’empire,
126 Pierre D’Avity, op. cit., p 1059. 127 Tristan L’Hermite, Osman, op. cit, vers 1121-1124.
Espace tristanien et genres
71
signale la faillite de ce pouvoir totalitaire qui en vient à fuir son propre panoptique pour voir ce qui a lieu dans sa ville128
Le lieu est moins important en lui-même que pour sa fonction de surveillance, de regard
sur le reste de la ville. L’ubiquité d’Osman est transférée sur ceux qu’il observait depuis
son panoptique. Il semble ne plus pouvoir faire illusion, être moins oriental :
L'âme du grand Acmat dans une voûte obscure, Si l'on en croit les tiens, en a fait un murmure, S'est plainte bassement de quoi l'on est entré Pour ôter une enseigne à son turban sacré :129
La sépulture d’Ahmet Ier est à l’opposé de la chambre-tombeau de Sénèque. Le lieu funeste
oriental est sombre et triste, à l’image d’une « voûte obscure ».
Comme la chambre de Sénèque, l’espace est fragmenté en de multiples lieux.
L’appartement de la sœur, celui d’Osman, la maison du mufti, la façade du sérail (et son
balcon) et la place compartimentent l’espace. Ils sont hétérogènes par leur fonction
(surveillance, asile, combat,…) mais aussi par leur granularité : la façade n’est qu’un
morceau alors que la maison du mufti est « un tout » autonome. Les lieux d’Osman se
démarquent ainsi des deux autres qui semblent plus homogènes et unifiées. La Mariane se
jouent essentiellement dans des pièces closes notamment les chambres d’Hérode et de
Mariane. La Mort de Sénèque présente des espaces fusionnés en un seul. Cette
caractéristique distingue Tristan des pièces classiques qui tendent vers unité de lieu et le
rapproche du roman pour lequel l’espace fragmenté est assez typique.
2.4 Similitudes et nouveautés
Dans les tragédies, on ne parcourt pas une géographie de pays comme dans le roman,
c’est plutôt l’espace du palais qui est arpenté. On se contente alors d’évoquer un voyage
pour Osman ou des lieux, tout en restant dans un microcosme.
Les espaces mis en scène sont des espaces liés au pouvoir : Jérusalem, Rome,
Constantinople… Ce sont des espaces politiques représentés comme des lieux de faux
semblants et d’arbitraire : « Car les amis de Cour, ces mouches des Palais, / Dans les
adversités ne nous suivent jamais : » (Osman, V, VI, vers 1519-1520). Il s’agit d’une
caractéristique récurrente dans toutes les œuvres étudiées. Plus important encore, l’espace
128 Véronique Adam, « Mon turban n’a plus sa couronne : la désorientation du monde ottoman », A. Duprat, dir., Orient baroque / Orient classique, variations esthétiques du motif oriental (XVIe-XVIIe siècle), Actes du colloque international du Groupe Orient (CORSO-Paris IV), Tunis, 2-5 mai 2008, Paris, Bouchène, 2010 p. 143. 129 Tristan L’Hermite, Osman, op. cit., vers 1205-1208.
Espace tristanien et genres
72
apparaît fragmenté. Il peut être découpé par toutes sortes d’éléments naturels, artificiels ou
symboliques : des frontières naturelles comme le Jourdain, des murailles comme le sérail
de Constantinople et même des lignes imaginaires lorsque Jérusalem devient un gouffre.
Cependant, l’espace est souvent relié à un élément réflexif, un fleuve, des miroirs, une
fenêtre. Cette caractéristique se trouve également dans le roman. On a donc un espace dont
l’unité semble brisée, mais qui se duplique par un jeu de réflexion.
En revanche, l’espace du théâtre est davantage connoté culturellement. L’Occident et
l’Orient sont représentés dans les textes en prose mais sous une forme antithétique,
d’opposition. Dans la tragédie, l’Occident semble contaminer l’Orient notamment par un
réseau symbolique intertextuel dans lequel s’inscrivent les lieux. Il imprègne le monde
oriental de La Mariane et d’Osman.
Une autre particularité réside dans les nombreuses dualités de lieux qui s’opposent
sémantiquement : clos/ouvert, lumineux/sombre, singulier/multiple… Ce manichéisme
serait dicté par le côté exemplaire et modélisant du théâtre ; ce qui expliquerait qu’il est
moins présent dans les textes narratifs.
Si le conflit entre deux familles est un thème commun au théâtre, Tristan lui apporte une
originalité en déportant ce conflit sur des lieux qu’ils modifient. Ainsi, Tristan semble
pouvoir rendre l’espace théâtral polymorphe. L’espace du pouvoir est représenté dans les
œuvres en prose de Tristan par les villes et la Cour. Il est souvent utilisé dans le théâtre
pour mettre en scène le conflit, c’est un « palais à volonté » ou une pièce du sérail. Dans
les tragédies, Tristan déplace cet espace en le reliant à un élément naturel, un fleuve
comme le Jourdain. Cependant, si les éléments naturels métamorphosaient jusqu’à présent
la laideur en espace positif, dans la tragédie ils opèrent une conversion dysphorique, Rome
devient un marais, Jérusalem un abîme infernal. D’autres espaces sont transformés. Par
exemple l’espace du secret n’est plus clos mais ouvert. C’est aussi une originalité du
théâtre de Tristan que de chercher à changer la fonction convenue d’un espace.
Les lieux se complexifient. L’Orient, selon le prisme occidental est un espace du
mensonge. Tristan se libère de ce stéréotype. L’Orient est représenté dans la chambre de
Sénèque par une multitude d’objets réfléchis à l’infini par les miroirs, ce qui brouille sa
représentation. C’est aussi pour l’espace d’Osman, un lieu qui n’est pas unitaire et dont la
désorientation s’accentue avec un sultan qui se tourne dans toutes les directions, l’Europe,
l’Égypte et l’Arabie.
73
« Ainsi je commençai à me dépayser, et n’ayant aperçu jusqu’alors que des arbres et la tranquillité de la campagne, je vins à considérer les divers ornements et le tumulte d’une des plus célèbres villes du monde »
Tristan L’Hermite Le Page disgracié
Conclusion
Le Page aurait-il pu rencontrer son philosophe ailleurs qu’à Rouen ? Aurait-il pu
devenir marchand dans un autre pays que la Norvège ? Pourquoi le mari qui accuse sa
femme d’adultère ne va-t-il pas aux champs ? L’étude des espaces et la sémantique que la
critique moderne leur associe peuvent donner des éléments de réponse. Il fallait une ville
portuaire, un tiers espace à la frontière poreuse pour cette rencontre ; de même, le Page ne
pouvait séjourner que dans un pays nordique lors de sa crise identitaire. La représentation
de l’espace, ou plutôt, sa caractérisation d’un point de vue géocritique, peut être un
paramètre de lecture à part entière et avoir une fonction dans l’œuvre. Cela semble bien
fonctionner pour les trois œuvres en prose étudiées. Les détails géographiques pointés par
l’auteur dans la Cosmographie permettre d’évaluer le degré d’étrangeté de ces lieux (il n’y
a aucune annotation pour la France) et leur donne une connotation souvent politique et
religieuse. Dans Le Page nous avons pu associer les trajectoires et les villes aux diverses
formes de dépaysement du Page. Enfin, la réécriture de l’espace des Plaidoyers en tentant
de le rendre anonyme et neutre, sert l’exemplarité que Tristan semble avoir voulu mettre en
valeur. Les polarités est et ouest sont présentes dans les trois œuvres (Le Page présente
Conclusion
74
plutôt un axe nord/sud mais avec toutefois une incursion de l’Orient incarné par l’homme
bossu rencontré dans une auberge). La représentation tristanienne l’accentue et brouille la
frontière entre les deux ; Constantinople semble cristalliser cette tension.
L’espace dramatique reprend cette cristallisation entre Occident et Orient, en
intensifiant l’aspect religieux qui semble s’immiscer dans l’espace politique. Ce dernier est
fragmenté, composé d’une multitude d’éléments à l’image du microcosme oriental produit
dans la chambre funèbre de Sénèque. Les corps d’Osman et de Mariane, contrairement à
celui de Sénèque, sont découpés et dissociés et pourraient être une représentation de
l’espace oriental.
Pour continuer cette étude sur la représentation de l’espace, nous pourrions sélectionner
quelques espaces caractéristiques de l’œuvre de Tristan et les comparer avec des textes
d’auteurs du premier dix-septième siècle. D’un point de vue méthodologique, la base
Frantext pourrait être utilisée pour repérer certains lieux.
La description de Bordeaux est assez surprenante pour essayer de chercher d’autres
représentations de cet espace. C’est un des rares lieux dans lequel ce sont les éléments
artificiels qui valorisent l’espace naturel. Constantinople, espace fragmenté et complexe,
lieu de tension entre monde occidental et monde oriental, serait également un terrain
d’étude intéressant. L’extension à d’autres œuvres permettrait ainsi une approche
réellement géocritique.
75
Bibliographie
1. Corpus de travail et œuvres connexes
L’HERMITE Tristan, Principes de cosmographie, [1637], Œuvres complètes, tome II, édition critique sous la direction de Jean-Pierre Chauveau, Paris, H. Champion, 2002, p. 427-527.
L’HERMITE Tristan, Le Page disgracié, [1643], édition Jacques Prévot, Paris, Gallimard, 1994.
L’HERMITE Tristan, Plaidoyers historiques, [1643], Œuvres complètes, tome V, édition critique sous la direction de Roger Guichemerre, Paris, H. Champion, 1999, p. 337-490.
L’HERMITE Tristan, La Mariane, Paris, Augustin Courbé, 1637.
L’HERMITE Tristan, La Mort de Sénèque, Paris, Toussainct Quinet, 1645.
L’HERMITE Tristan, Osman, [1646], Paris, G. de Luynes, 1656.
VAN DEN BUSCHEN Alexandre, Epitomes de cent histoires tragicques, Paris, 1581.
2. Études critiques sur Tristan L’Hermite et son œuvre
ADAM Véronique, « Mon turban n’a plus sa couronne : la désorientation du monde ottoman », A. Duprat, dir., Orient baroque / Orient classique, variations esthétiques du motif oriental (XVIe-XVIIe siècle), Actes du colloque international du Groupe Orient (CORSO-Paris IV), Tunis, 2-5 mai 2008, Paris, Bouchène, 2010 p. 129-148.
ADAM Véronique, « Le Nom propre dans Le Page disgracié », V. le Flanchec, Styles, P.U Sorbonne, 2013, p. 99-114
BERNARDIN Napoléon-Maurice, Un précurseur de Racine Tristan L’Hermite sieur du Solier (1601-1655), sa famille, sa vie, ses œuvres, Paris, Alphonse Picard et Fils éditeurs, 1895.
BERREGARD Sandrine, Tristan L'Hermite, « héritier » et « précurseur », Tübingen, Gunter Narr Verlag, 2006.
RIEGER Dietmar, « “Ie vous recite la pure verité de ceste Histoire”. Authentification et fictionnalité dans les Histoires tragiques (Rosset et Parival) », Tristan et la prose narrative de son temps : la fiction, Cahiers Tristan l’Hermite, XXIV, 2012.
SERROY Jean, « L’amante anglaise : Tristan et l’Angleterre dans Le Page disgracié », Cahiers Tristan L’Hermite n°10, 1988, p. 23-28.
Bibliographie
76
3. Critique littéraire
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DELEUZE Gilles et GUATTARI Félix, Mille plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980.
PAVEL Thomas G., ”Fiction and Imitation”, Poetics Today, Volume 21, Number 3, Fall 2000.
ROBERT Marthe, Roman des origines et origines du roman, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1977.
SMETHURST Paul, The Postmodern Chronotype: Reading Space and Time in Contemporary Fiction, Amsterdam, Rodopi, 2000.
4. Travaux sur l’espace
BROSSEAU Marc, « L’espace littéraire en l’absence de description : un défi pour l’interprétation géographique de la littérature », Cahiers de géographie du Québec, vol. 52, n° 147, 2008, p. 419-437.
COLLOT Michel, « Points de vue sur la perception des paysages », Espace géographique, tome 15 n° 3, 1986, p. 211-217.
COLLOT Michel, L’Horizon fabuleux, XIXe siècle, Paris, Librairie José Corti, 1988.
COLLOT Michel, « Pour une géographie littéraire », Fabula-LhT, n° 8, « Le partage des disciplines », mai 2011, URL : http://www.fabula.org/lht/8/collot.html, page consultée le 27 août 2014.
DAUNAIS Isabelle, « L’étendue : matière et question du roman », Topographies romanesques sous la direction de Audrey Camus et Rachel Bouvet, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, Collection « Interférences », 2011, p.95-104.
FOUCAULT Michel, «Des Espaces Autres», Architecture, Mouvement, Continuité. vol. 5, 1984.
FRANK Joseph, The Idea of Spatial Form, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1991.
FRANK Joseph, “Spatial Form: An Answer to Critics”, Critical Inquiry, vol. 4, n° 2, 1977, pp. 231-252.
LAHAIE Christiane, « Entre géographie et littérature : la question du lieu et de la mimèsis », Cahiers de géographie du Québec, vol. 52, n°147, 2008, p. 439-451.
LAHAIE Christiane, « Éléments de réflexion pour une géocritique des genres », Épistémocrique, vol. IX, 2011.
LEFEBVRE Henri, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000.
LEVY Bertrand, « Géographie et littérature. Une synthèse historique », Le Globe, 2006, t. 146, p. 25-52
WESTPHAL Bertrand, La Géocritique, Paris, Éditions de Minuit, 2007.
Bibliographie
77
5. Travaux sur les mondes possibles
DUPRAT Anne, « Des espaces imaginaires aux mondes possibles. Syllogismes de la fiction baroque », La théorie littéraire des mondes possibles, Paris, CNRS éditions, 2010, p. 149-170.
LAVOCAT Françoise (dir.), Usages et théories de la fiction : le débat contemporain à l'épreuve des textes anciens (XVIe-XVIIIe siècles), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004.
LAVOCAT Françoise (dir.), La théorie littéraire des mondes possibles, Paris, CNRS éditions, 2010.
LAVOCAT Françoise, « Les genres de la fiction. État des lieux et propositions », La théorie littéraire des mondes possibles, Paris, CNRS éditions, 2010.
MURZILLI Nancy, De l’usage des mondes possibles en théorie de la fiction, Klesis – Revue philosophique, 2012.
NOILLE-CLAUZADE Christine, « Considérations logiques sur de nouveaux styles de fictionnalité : les mondes de la fiction au XVIIe siècle », La théorie littéraire des mondes possibles, Paris, CNRS éditions, 2010, p. 171-188.
6. Travaux sur les histoires tragiques
GRANDE Nathalie, « Du long au court : réduction de la longueur et invention des formes narratives, l'exemple de Madeleine de Scudéry », Dix-septième siècle, n° 215, 2002.
ZUFFEREY Joël, Le Discours fictionnel : autour des nouvelles de Jean-Pierre Camus, Leuven, Peeters, 2006.
7. Œuvres géographiques
CABEZA DE VACA , Relation de voyage, Actes Sud, Léméac, 2008.
DE LERY Jean, Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil, Paris, Le Livre de Poche, 2008.
GHEERBRANT Alain, Orénoque-Amazone, Paris, Folio, 1993.
THEVET André, La Cosmographie universelle, Paris, Pierre L’Huillier et Guillaume Chaudière, 1575.
8. Histoires tragiques
BOCCACE, Le Décaméron, Classiques Garnier, 1994.
BOIAISTUAU Pierre, Histoires tragiques, Paris, Honoré Champion, 1977.
9. Autres travaux
ADAM Véronique, Images fanées et matières vives : cinq études sur la poésie Louis XIII, Grenoble, ELLUG, 2003.
Bibliographie
78
BÉDARD Mario,. « Une typologie du haut-lieu, ou la quadrature d'un géosymbole », Cahiers de Géographie du Québec, vol. 46, n°127, 2002, p. 49-74.
CASANOVA-ROBIN Hélène, « Éléments pour une analyse du paysage dans le livre XIV des Métamorphoses d’Ovide », Journée d’étude et de recherche sur le Livre XIV des Métamorphoses d’Ovide organisé par A. Videau, tenue à l’Université Paris Ouest-Nanterre le 9 mars 2011 (publié en ligne sur le site http://claro.hypotheses.org/).
CHAILLOU Michel, Le Sentiment géographique, Paris, Gallimard, coll. « L’imaginaire », 1989.
CHENG François, Vide et Plein : le langage pictural chinois, Paris, Seuil, 1991.
D’AVITY Pierre, Les estats, empires, royaumes, et principautez du monde, Genève, 1665.
GIAVARINI Laurence, La distance pastorale, Paris, Vrin, 2010.
GREINER Frank, « La confrontation de l’histoire et du roman : Fancan, Sorel, Lenglet-Dufresnoy », Dix-septième siècle, n°239, 2008, p. 311-338.
LESTRINGANT Frank, « Le déclin d'un savoir. La crise de la cosmographie à la fin de la Renaissance », Économies, Sociétés, Civilisations, 46e année, N. 2, 1991, p. 239-260.
SANSON Guillaume, Introduction à la géographie – Première partie, Paris, 1681.
79
Table des illustrations
Figure 1 : exemple d’étiquetage morpho-syntaxique ..................................................... 18
Figure 2 : calcul des fréquences d’occurrences par catégorie ........................................ 18
Figure 3 : éléments retenus pour une typologie de l’espace ........................................... 20
Figure 4 : découpage du globe dans les Éléments de Géographie .................................. 22
Figure 5 : inventaire des pays du vieux monde .............................................................. 23
Figure 6 : répartition par type des annotations dans les Éléments de Géographie ......... 26
Figure 7 : références géographiques des Plaidoyers ...................................................... 28
Figure 8: voyage du Page en Europe du Nord ................................................................ 31
Figure 9 : voyage du Page en France .............................................................................. 34
Figure 10 : synthèse des lieux européens rencontrés dans Le Page disgracié et les
Plaidoyers historiques ......................................................................................................... 38
Table 11 : classification des épitomés et des plaidoyers ................................................ 55
Figure 12 : les noms de lieux dans La Mariane .............................................................. 63
Figure 13 : les noms de lieux dans La Mort de Sénèque ................................................ 66
Figure 14 : les noms de lieux dans Osman ..................................................................... 69
80
Annexes
Annexe A : Principes de cosmographie
A.1 Relevé des 35 annotations dans les Éléments de Géographie.
Endroit Type de lieu
Rattachement
Type d’annotation
Détail page
Egypte occidentale
province Égypte antiquité Pyramides - Déserts où demeuraient les anciens Hermites
500
Cinéraïque province Égypte antiquité Temple de Jupiter Ammon 500
Ayavan province Éthiopie historique Occupation et appartenance 501
Côte des Safres
province Éthiopie Pays désert, « rempli de Sauvages »
501
Iles de l’Ascension (ste Hélène)
île Iles de l’Afrique
lyrique Bon port - fontaine 504
Sainte croix (Brésil)
province Amérique méridionale
religieux Nom - Fort de Coligny 509
Caribana province Amérique méridionale
Occupation et nom 509
Chica province Amérique méridionale
Forteresse de Philipopolis 510
Cubaga île
Amérique septentrionale - Iles Barlonent
économie Pêche de perles 508
Virginie province
Amérique septentrionale - Nouvelle France
Peuple sauvage, habite des cabanes de paille
506
Ile de Terre îles
Amérique septentrionale - Nouvelle France
économie Pêche à la morue 506
Annexes
81
Jaccasu (ou Floride)
province
Amérique septentrionale - Nouvelle France
étymolo-gique
Découverte le jour de Pâques - 2 colonies françaises
506
Arabie Heureuse
province Arabie religieux Naissance et sépulture de Mahomet
491
Palestine province Sirie religieux Villes de Sodome et Gomorre 489
Tartarie province Tartarie étymolo-gique
Hordes signifie assemblée (en langue tartare)
493
Tartarie Catasisquy
province Tartarie littéraire Marco Polo 494
Tartarie province Tartarie religieux Nom de religion 493
Mingrelye province Turcomanie économie Pays « peu habité à cause de la grande quantité d’Esclaves qu’on en tire »
488
Escosse province Angleterre antiquité Muraille des Pictes bâtie par les Romains
483
Sudgales province Angleterre mythologi-que
Pays du prophète Merlin 484
Tempé fleuve Grèce antiquité Célébré par les poètes anciens 478
Bosnie province Illirie étymolog-ique
Vient du fleuve Bons 479
Ligourne port Italie contemporain
Séjour du Duc de Toscane 473
Poussol ville Italie Lieu d’invention de la boussole 473
Lorette ville Italie religieux miracle 473
Morga port Suède contemporain
Connu pour la pêche 481
Détroit de Nègrepont
détroit Mer Méditerranée
antiquité Noyade Aristote 462
Candie île Mer Méditerranée
mythologi-que
Labyrinthe de Dédale 485
Ile de Lampadouse
île Mer Méditerranée
religieux littéraire
Miracle / Lieu du Roland Furieux 465
Elbe (ou Cosmopolis)
île Mer Méditerranée
religieux Résidence de l’ordre des chevaliers de Saint-Étienne
485
Valcomparo vallée Cefalonie (île)
antiquité mythologi-que
Ithaque, pays d’Ulysse 485
Annexes
82
Val di Massaro
vallée Sicile (île) antiquité guerrier
Promontoire de Lilybée (guerres puniques)
485
Val di Notto vallée Sicile (île) Antiquité guerrier
Promontoire de Pachin 485
Groenland île Mer Océane lyrique « printemps perpétuel » 482
Island île Mer Océane lyrique Le mont Hecla « jette incessamment des flammes »
482
A.2 Inventaire exhaustif des régions autres que l’Europe
Asie
Natolie Turcomanie
Sirie Perse
Moscovie Tartarie
Les Indes La Chine
Afrique
Barbarie Biledulgerid
Sarra Guinée Zaïde
Éthiopie Supérieure
Éthiopie Inférieure
Amérique Septentrionale
Terre Septentrionale
Canada Nouvelle
Espagne Californie
Iles de Barlonent
Nouvelle Grenade
Amérique Méridionale
Castille de l’Or Caribana
Sainte Croix Plata Chica Chili Péru
Annexes
83
Annexe B ‐ Plaidoyers historiques
B.1 Synthèse des 37 plaidoyers
épitomé
plaidoyer
histoire personnages
indice d'époque
indice de lieux
1er plaidoyer
2e plaidoyer
thème construction particulière
79 1 enfant vendu par un médecin à un autre médecin de Constantinople qui le transforme en poison
enfant - médecin
"sequins" Raguse / Gènes et Constantinople
la mère de l'enfant
le médecin
atteinte à l'intégrité corporelle (meurtre)
différence avec épitomé
42 2 fils ménager libéré par le fils prodigue contre l'avis du père
père - 2 fils
"corsaires de Barbarie"
le père le fils ménager
problème d'héritage
53 3 religieuse contrainte à la prostitution et voulant réintégrer son ordre
2 religieuses
Nice et Tunis
l'autre religieuse
quelqu'un en faveur
religion
89 4 Diogène qui ne veut pas rendre un manteau prêté
Aristaque et Diogène le Cynique
"Diogène le cynique"
Aristaque Diogène vol suppression de la loi (qui était en début) + interventions inversées
60 5 capitaine (sans bras) trompé qui veut que son fils le venge
père et fils
le père le fils adultère + problème d'héritage
43 6 homme présentant ses deux fils de 3 ans à sa femme (fils et bâtard)
mari et femme
la femme le mari litige sur reconnaissance ou tutelle d'un enfant
discours de la mère différent
38 7 sculpteur faussement accusé de vol qui a les 2 mains coupées
Eliens et Athéniens
"sculpteur Phidias" (soit 490-430 avt JC)
les Athéniens
les Eliens atteinte à l'intégrité corporelle
28 8 un mari tentant sa femme avec un serviteur
mari et femme
le mari les parents de la femme
adultère (avéré) de la femme
rend l'adultère explicite
86 9 un homme qui mutile des enfants pour mendier
l'homme le mendiant
"réponse pour le mendiant"
atteinte à l'intégrité corporelle
moins atroce que dans épitomé
6 10 un manchot qui frappe un officier qui demande que sa main soit coupée
un officier et un manchot
l'officier atteinte à l'intégrité corporelle
31 11 un juge qui pend un criminel et paye 3000 écus
le juge - les parents du criminel
les parents
le juge atteinte à l'intégrité corporelle
effacement figures symboliques
75 12 père accusant son fils d'avoir voulu l'empoisonner
père et fils
le père le fils atteinte à l'intégrité corporelle (tentative de meurtre)
Annexes
84
2 13 Comte de Flandres qui fait pendre son fils, cause indirecte de la mort d'un enfant d'une marchande de fruits
Liederic + fille d'un roi de France
Comte de Flandres / Tournai
les Flammands
le Comte de Flandres
atteinte à l'intégrité corporelle (meurtre du fils)
long car histoire préalable donnée avant les faits
66 14 un homme qui se fait crever les yeux pour recevoir 10 onces d'or
magistrat et aveugle
le magistrat
l'aveugle duperie + atteinte à l'intégrité corporelle
effacement du lieu (le mari revenait de Jérusalement)
65 15 mari jaloux qui accuse sa femme d'adultère parce qu'un homme lui laisse sa fortune
mari et femme
le mari la femme adultère FAUX de la femme
87 16 homme cru mort qui demande son bien à sa libération
homme fils et seigneur ennemi
gentilhomme piémontais (Italie)
le gentilhomme
les possesseurs de son bien
problème d'héritage
AJOUT : jugement donné à la fin
40 17 femme qui se jette du haut de sa maison croyant son mari mort (duperie) ; son père la déshérite car elle ne veut pas quitter son mari
femme et son père
la femme son père duperie du mari + problème d'héritage
57 18 femme d'un fils accusé à tort par le frère d'adultère ; le mari meurt de l'avoir cru ; le père demande alors au fils d'épouser sa veuve
père, deux fils et bru
le fils qui ne veut pas épouser sa belle-soeur
le père faux adultère juif précisé dans titre (rien dans épitomé)
35 19 marchand espagnol qui laisse son héritage à deux fils issus de 2 esclaves : aîné doit faire les parts, puîné doit choisir; aîné met mère d'un côté et biens de l'autre
deux fils marchand espagnol (Espagne)
le puîné l'aîné problème d'héritage
20 gentilhomme qui fait la cour à une veuve qui en préfère un autre plus riche - se plaint ensuite d'être délaissée par ce dernier
veuve et deux prétendants
Padoue la veuve le premier Cavalier (cite le second "Seigneur Jules")
thème galant CREATION
9 21 homme qui tue sa femme dont les deux enfants meurent par accident
mari et femme
les parents de la femme
les parents du mari
atteinte à l'intégrité corporelle (meurtre)
13 22 fils voulant déshériter un frère , ivre, qui avait frappé son père
deux fils le frère qui accuse
le frère accusé
problème d'héritage
loi citée en début + évcation Noé, Alexandre
Annexes
85
27 23 villageois qui tombe du toit et tue un passant dont le fils demande justice (jugement rendu = fils tombe de son toit sur le villageois)
villageois, fils du mort et juges (subalternes)
Suisse (seigneurie de Berne)
le fils les juges jugement problématique
21 24 dans une famille juive - Sadoc qui viole femme étrangère de son frère Gamaliel qui le tue ainsi qu'un autre de ses frères
frères les frères Gamaliel atteinte à l'intégrité corporelle (viol et meurtre)
second plus long (beaucoup d'exemples) - juif ajouté dans le titre
29 25 deux frères qui héritent et doivent donner 1000 écus à un bâtard mais maison brûle. L'aîné accepte de donner quand même au bâtard mais cadet refuse
père, deux enfants et un troisième
les enfants légitimes
le bâtard problème d'héritage
47 26 fils qui accuse -à tort- son frère d'avoir tué son père qui revient à temps pour sauver son fils mais ce dernier ne veut pas pardonner à son frère (père menace de le déshériter)
père et deux enfants
le père le fils problème d'héritage
loi énoncée au début
81 27 chirurgien qui ouvre le corps à vif un soldat - dénoncé par un de ses assistants
chirugien chirurgien de Padoue - sénat de Venise
le chirurgien
le Procureur de la République
atteinte à l'intégrité corporelle (meurtre)
95 28 juif qui demande une livre de chair à un chrétien qui le remboursait en retard ; si en prend plus ou moins on lui coupe la tête
un juif et un chrétien
Constantinople
le juif le chrétien
jugement problématique
98 29 père qui déshérite son fils et donne ses biens à ami ; quand meurt, le fils veut récupérer son bien
2 pères, fils du premier père et enfants de l'autre
le fils déshérité
les héritiers
problème d'héritage
24 30 marchand qui a un fils de son esclave mais qui ne veut pas affranchir cette dernière
père le marchand
le juge litige sur reconnaissance ou tutelle d'un enfant
loi énoncée au début
80 31 père et fils condamnés : celui qui décapite l'autre est gracié (mais juge exécute le fils)
père et juges
le père les juges jugement problématique
Annexes
86
70 32 grand-père qui enlève son petit-fils avant qu'il ne soit empoisonné par la marâtre
le grand-père et le père
le grand-père
le père litige sur reconnaissance ou tutelle d'un enfant
97 33 Papirius qui veut exécuter Quintus Fabius Rutilianus
dictateur et général de Cavalerie
romain Rome Fabius Papirius atteinte à l'intégrité corporelle (condamnation à mort)
90 34 une des 3 fils de Fabius Ambuste ayant tué chef gaulois - gaulois demande leur mort
peuple gaulois, peuple romain
romain Gaule les gaulois
les romains
atteinte à l'intégrité corporelle (meurtre)
44 35 romain exilé qui s'empoisonne avec sa femme (elle meurt et lui revendique son héritage)
mari et famille de la femme
romain Rome les parents
le mari problème d'héritage
71 36 père qui déshérite son fils parricide parce que absout (même voix pour et contre)
père et fils
le père le fils problème d'héritage
loi énoncée au début
19 37 un homme condamné à mort qui récuse son juge
homme et juge
le criminel
le juge jugement problématique
B.2 Synthèse des épitomés
Les épitomés grisés sont ceux retenus pour les plaidoyers N° PRINCIPAL
PROTAGONISTE AUTRES PERSONNAGES
HISTOIRE THEME
1 Quintus Fuluius sénateurs de Capua Antiquité (romain/grec)
2 comte de Flandres roy de France Puissants (roi/tyran)
3 Pacuuius sénateurs de Capua Antiquité (romain/grec)
4 homme Prince veut l'héritage Puissants (roi/tyran)
5 Spurius Seruilius peuple de Rome Antiquité (romain/grec)
6 manchot un Officier soldat/guerre
7 soldat devient sénateur et chef d'armée
soldat/guerre
8 Censeurs Romains Mamercus Antiquité (romain/grec)
9 mari tue sa femme par colère
celui : homme
10 Caius Seruslius Spurius Melius Antiquité (romain/grec)
11 femme du Tyran Puissants (roi/tyran)
12 homme offense un prêtre Religion
13 celui qui veut hériter
veut hériter celui : homme
Annexes
87
14 homme prend le cheval d'un prêtre
Religion
15 homme soldat/guerre
16 femme veut laisser son mari protagoniste : femme
17 homme tue son ennemi mais aussi un passant
celui : homme
18 Sergius Verginius romain/grec
19 homme condamné et refuse son premier juge
celui : homme
20 soldats après la mort de leur chef
soldat/guerre
21 Gamaliel ses frères (Sadoc) celui : homme
22 homme jouit d'une fille et épouse sa sœur
Femme (viol/abus)
23 une maison à abattre
la maison est le lieu d'un crime
Autre
24 homme couche avec une esclave
celui : homme
25 lieutenant général monarque qui perd la bataille soldat/guerre
26 2 hommes juge exécutés et innocents celui : homme
27 homme tombe de sa maison et tue un passant
celui : homme
28 homme tente sa femme pour la répudier
celui : homme
29 fils bâtard demande son héritage celui : homme
30 chevalier de Rhodes
veut entrer en religion Religion
31 juge paie pour faire pendre quelqu'un
Autre
32 hommes (peuple) veulent déposer leur Roi
Puissants (roi/tyran)
33 Athéniens Thébains Antiquité (romain/grec)
34 homme accuse quelqu'un qui meurt en prison
celui : homme
35 fils d'un esclave veut déshériter son frère
celui : homme
36 Milciades Callias Antiquité (romain/grec)
37 fils est déshérité de son père
celui : homme
38 Phidias Eliens Antiquité (romain/grec)
39 fils défend sa mère celui : homme
40 femme mari qui a voulu la tuer
protagoniste : femme
41 SAUT
42 prodigue et son frère
père celui : homme
43 mari femme celui : homme
44 mari femme celui : homme
Annexes
88
45 père abandonne ses deux enfants gémeaux nourris par un autre
Antiquité (romain/grec)
46 fils roi tyran frappe son père Puissants (roi/tyran)
46 esclave maître et fils celui : homme
47 fils père ne veut pas libérer son frère
celui : homme
48 père fils déshérite son fils (qui a épousé une fille du capitaine des corsaires)
celui : homme
49 soldat on veut le priver de l'honneur de sa victoire
soldat/guerre
50 homme couche avec la femme d'un tyran pour le tuer
Puissants (roi/tyran)
51 grand-père le petit-fils adopte son petit-fils celui : homme
52 femme impudique protagoniste : femme
53 femme prostituée qui veut devenir religieuse
Religion
54 frère force sa sœur à tuer son violeur
Femme (viol/abus)
55 père un de ses 2 fils qui tombe amoureux de la jeune mariée de son père
donne sa fiancée à son fils
celui : homme
56 homme femme blessée (belle-mère du fils) - enfant de 3 ans (témoin)
Trouvé mort - soupçon sur le fils ou le facteur (amant de la marâtre)
celui : homme
57 homme veut contraindre son fils à épouser sa belle-sœur
celui : homme
58 femme empoisonne son beau-fils et accuse sa fille
protagoniste : femme
59 Laminius (prêteur romain)
décapite quelqu'un sur demande d'une femme lubrique
Antiquité (romain/grec)
60 homme sans main fils déshérite son fils pour ne pas avoir voulu tuer sa mère infidèle
celui : homme
61 deux filles violées l'une veut la mort de son violeur, l'autre se marier avec
Femme (viol/abus)
62 un romain déshérité par son père car va à la guerre
Antiquité (romain/grec)
63 violeur apaise le père de la fille mais pas le sien
Femme (viol/abus)
64 mari femme tyran tué par mari (qui ensuite répudie sa femme)
Puissants (roi/tyran)
Annexes
89
65 mari femme qui hérite du riche
riche qui meurt d'amour pour la femme et mari jaloux
celui : homme
66 homme se fait crever les yeux pour de l'argent
celui : homme
67 fils déshérité part à la guerre et revient victorieux
soldat/guerre
68 fille violée veut la mort du violeur puis un mariage
Femme (viol/abus)
69 homme veut être remboursé de sa maison (brûlée avec un tyran)
Puissants (roi/tyran)
70 grand-père prend son petit-fils
soupçonne la marâtre d'empoisonner ses petits-fils
celui : homme
71 fils accusé d'avoir voulu tuer son père (est libéré par égalité des voix)
celui : homme
72 fils s'oppose à son père et devient capitaine général d'armée
soldat/guerre
73 père perd sa fille accuse la mère d'empoisonnement et d'adultère
celui : homme
74 Romulus Rémus tue son frère Antiquité (romain/grec)
75 fils accusé de vouloir empoisonner son père
celui : homme
76 homme magistrat refus de l'enterrer
se suicide et le magistrat refuse de l'enterrer
Autre
77 serviteur de Lucullus (sénateur romain)
rend son maître fou Antiquité (romain/grec)
78 mère tue sa fille pour avoir tué son frère
protagoniste : femme
79 mère enfant rousseau tué par turc
Autre
80 fils père accepte de décapiter son père et pas inversement (accusés de crime de lèse-majesté)
celui : homme
81 chirurgien de Padoue
tue un homme pour voir son cœur
Autre
82 riche grec pauvre qui doit donner sa fille (prise contre son gré)
Antiquité (romain/grec)
Annexes
90
83 femme aveugle veut retenir son fils
père pris par des pirates corsaires
protagoniste : femme
84 riche Grec pauvre à qui il brûle la maison
Antiquité (romain/grec)
85 Agamemnon sa fille Iphigénie Antiquité (romain/grec)
86 homme recueille des orphelins et les mutilent
celui : homme
87 gentilhomme Piemontais qui redemande ses biens
fils qui croyait son père mort
Autre
88 les Horaces, 3 frères romains
tuent 3 décures et la sœur
Antiquité (romain/grec)
89 Diogène veut garder manteau
Aristache Antiquité (romain/grec)
90 3 fils de Fabius combattent contre gaulois
Antiquité (romain/grec)
91 jeune homme se déguise en habit de fille pour jouir d'une nonne
Femme (viol/abus)
92 Dom Ferrand Espagne - époque de Charles Quint (1500-1560)
Puissants (roi/tyran)
93 matrones romaines accusées d'empoisonner les sénateurs
Antiquité (romain/grec)
94 comte de Flandres (Baudouin)
pend 3 gentilshommes voleurs
Puissants (roi/tyran)
95 juif chrétien veut chair du chrétien, en Turquie
celui : homme
96 Palamède accusé de vouloir trahir les grecs
Antiquité (romain/grec)
97 dictateur romain (Lucius Papirius)
voulant condamner maître des chevaliers (Quintus Fabius)
Antiquité (romain/grec)
98 fils déshérité veut récupérer les biens de son père (après la mort de l'héritier)
celui : homme
99 deux citoyens torturés
débiteur et créditeur coupables de parjure
celui : homme
100 harangue de Tite Live : Titus Quintius - guerre
Antiquité (romain/grec)
Annexes
91
B.3 Relevés des toponymes
NOM fréq. lien avec Cosmo
Angleterre 1 Antioche 1 p. 487/488 Artois 1 Asie 2 Berne 1 p. 476 Constantinople 5 p. 478 Europe 2 Flandres 5 France 6 Gènes 1 p. 472 Grèce 2 Italie 5 Milan 1 p. 473 Nice 1 p. 470 Orléans 1 p. 472 Padoue 2 p. 473 Raguse 2 p. 479 Rome 20 p. 473 Sparte 1 p. 477 Suisse 1 Toscane 4 Tournai 1 p. 471 Tunis 1 p. 498 Venise 2 p. 473
Annexe C – Le Page disgracié
NOM fréq. lien avec Cosmo Albion 1 Angleterre 13 Douvres 2 p. 483 Gravesines 2 NON Londres 21 p. 483 Plymouth 5 p. 483 (Plemuth) Tamise 2 p. 483 Flandres 1 tissu p. 471 (province de France occidentale)Chine 1 boîte carrée p. 496 Danemark 2 p. 481 Écosse 6
Annexes
92
Edimbourg 6 p. 483 Orcades 1 p. 463 (île de la mer océane)
Pucelles (château des) 1 arrivée à Edimbourg
Espagne 5 p. 468 Pont-de-l'Arche 1 NON Calais 2 p. 471 (province : Picardie) Coutras 2 bataille religion NON Dieppe 2 p. 471 (province : Normandie) France 10 Gaillac 1 tonneau de vin NON Moncontour (bataille de) 1 bataille religion NON Orléans 1 p. 472 (province : Beausse) Paris 6 p. 471 (province : Isle de France) Pyrénées 1 p. 469 Seine 1 p. 469 St Denis bataille p. 471 (province : Isle de France) Hollande 1 p. 470 (province de France orientale) Pays-Bas 1 NON Ormus 1 p. 492 (en Perse) Irlande 3 p. 484 (Hibernie) Limerick 1 p. 484 (Limerich) Italie 3 p. 472 Norvège 4 p. 480 Jérusalem 1 livre du Tasse p. 489 (Hierusalem en Judée) Moscovie 1 p. 489
Carthage 1 livre Enéide p. 498 (Cartage dans le royaume de Tunes)
Troie 1 livre Enéide p. 487 ("les ruines de Troye la grande")Europe 3 Inde 10 Coq d’Inde p. 495 Noé (arche de) 1 Orient 1 Terre Sainte 1 St Jean de Compostelle 1 p. 468 (en Galice) Allemands 3 Anglais 7 Danois 1 Florentin 1 Français 9 Grecs 1 Mantouan 1
Table des matières
Remerciements .................................................................................................................. 2
Sommaire .......................................................................................................................... 3
Introduction ....................................................................................................................... 5
I – La question des lieux ................................................................................................. 10
1. Préambule méthodologique ..................................................................................... 10
1.1 Terminologie géographique ............................................................................... 11
1.2 Mondes possibles ............................................................................................... 15
1.3 Méthodologie informatique ............................................................................... 17
2. Typologie des lieux ................................................................................................. 20
2.1 Principes de cosmographie, géographie littéraire ou littérature géographique . 20
2.2 La réécriture des Plaidoyers .............................................................................. 26
2.3 De l’orphelin au bâtard, itinéraire d’un Page disgracié .................................... 30
II – Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels ................................. 36
1. Éléments de synthèse .............................................................................................. 36
2. Un espace fragmenté et liminaire ............................................................................ 39
2.1 L’eau, élément délimitateur ............................................................................... 39
2.2 Déréalisation et indétermination des lieux ........................................................ 40
2.3 Poétisation ......................................................................................................... 43
3. Fermeture et resserrement de l’espace .................................................................... 47
3.1 Un espace centripète .......................................................................................... 47
3.2 Saillance d’éléments .......................................................................................... 50
4. Les fonctionnalités des espaces ............................................................................... 51
4.1 Espace et dépaysement ...................................................................................... 51
Tables des matières
4.2 Espace public (politique, religieux, social) ....................................................... 53
4.3 Espace privé, éthique et leçon ........................................................................... 54
III – Espace tristanien et genres ...................................................................................... 61
1. Littérature géographique et genre ........................................................................... 61
2. Les lieux dans trois tragédies de Tristan ................................................................. 63
2.1 La Mariane ........................................................................................................ 63
2.2 La Mort de Sénèque ........................................................................................... 65
2.3 Osman ................................................................................................................ 68
2.4 Similitudes et nouveautés .................................................................................. 71
Conclusion ...................................................................................................................... 73
Bibliographie .................................................................................................................. 75
Table des illustrations ..................................................................................................... 79
Annexes .......................................................................................................................... 80
Annexe A : Principes de cosmographie ...................................................................... 80
A.1 Relevé des 35 annotations dans les Éléments de Géographie. ......................... 80
A.2 Inventaire exhaustif des régions autres que l’Europe ....................................... 82
Annexe B - Plaidoyers historiques ............................................................................. 83
B.1 Synthèse des 37 plaidoyers ............................................................................... 83
B.2 Synthèse des épitomés ...................................................................................... 86
B.3 Relevés des toponymes ..................................................................................... 91
Annexe C – Le Page disgracié .................................................................................... 91
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