View
220
Download
0
Category
Preview:
Citation preview
Arbo Vincent Master 2 « Expertise des conflits armés » Garcia Boris
Informatique
Analyse de données
La stratégie d’influence médiatique russe par le site Sputnik France
Janvier 2017
Sputnik France : Un média d’influence du Kremlin
Introduction A 100% financé par le Kremlin, Sputnik France a été lancé le 25 janvier 2015. Ce média
s’inscrit dans la dynamique de restructuration de l’appareil médiatique russe à
l’étranger. Cette politique d’influence du Kremlin considérée par l’Union européenne
comme de la « propagande extérieure » a pris une nouvelle dimension. Réelle stratégie,
Vladimir Poutine, alors en campagne en février 2012 disait : « Internet et les réseaux
sociaux sont des outils efficaces de la politique nationale et internationale ». Ainsi, c’est
la holding media Rossija Segodija qui est chargée de donner les lignes directrices aux
médias russes à l’étranger.
En observant Sputnik France on constate que le média diffuse des représentations
géopolitiques calquées sur une grande partie des narratifs développés par la Russie. Site
internet, mais aussi radio, les méthodes restent les mêmes que dans le passé : articles
non signés et désinformations. Ce n’est que courant 2015 que Sputnik s’est doté d’une
vraie équipe de rédaction. A cela s’ajoute un focus persistant sur certaines
problématiques. Pour exemple, entre le 24 novembre 2015 (avion russe abattu par la
Turquie) et le 1er juin 2016, sur 12000 publications, 13% sont sur la Turquie. De plus,
l’Europe est présentée comme divisée en proie aux crises (entre la création du site et le
31 mai 2016, environ 3 publications par jour concernent les migrants). A cela s’opposent
une position victimaire de la Russie et un suivi de son actualité en des termes élogieux.
Concernant le domaine de la sécurité et la défense qui nous intéresse ici, la récupération
des données du site nous montre un traitement quelque peu orienté. En effet la Russie,
élément central du discours et des publications est décrit par des termes positifs quand
« l’occident » lui au contraire, se trouve être agressif ou faible. Cela nous permet de
construire une méthodologie basée sur plusieurs hypothèses.
Méthodologie
Choix du sujet.
Dans un premier temps, avant toute action d’observation et de manipulation
informatique, nous avons choisi de nous intéresser au traitement médiatique des médias
russes implantés en France. Pour cela, notre attention s’est portée sur le site internet et
radio Sputnik France et plus précisément sur sa catégorie « défense ». La première
lecture rapide du contenu et des titres des articles nous a conduits à développer
certaines hypothèses auxquelles nous tenterons de répondre au cours de notre travail.
Hypothèses :
- Une grande partie des articles porte sur des thèmes relatifs à certaines
thématiques telles que l’armement.
- La Russie est décrite à travers un vocabulaire lié à la coopération, l’amélioration,
l’efficacité ou encore lié au domaine de la force.
- « L’occident » et ses alliés sont décrits à travers un vocabulaire lié à la menace,
l’agressivité et la faiblesse.
- Selon la période, les sujets des articles se concentrent sur une actualité liée à la
Russie.
La question que l’on peut se poser est la suivante : De quelle manière la politique de
communication des articles « défense » du site Sputnik France est-elle calquée sur
la stratégie d’influence du kremlin ?
Extraction des données
Pour acquérir les données de la rubrique « défense » du site, nous avons utilisé la
méthode du web scraping nous permettant d’extraire les données d’intérêt pour notre
travail. Nous avons alors eu recours à l’extension Web Scraper de Google Chrome dont la
Sitemap est la suivante :
« {"startUrl":"https://fr.sputniknews.com/defense/","selectors":[{"parentSelectors" :("_
root","pagination"],"type":"SelectorLink","multiple":true,"id":"articles","selector":"h2
a","delay":""},{"parentSelectors" :("articles"],"type":"SelectorText","multiple":false,"id":"
date","selector":"time.b-article__refs-
date","regex":"","delay":""},{"parentSelectors" :("articles"],"type":"SelectorText","multipl
e":false,"id":"vues","selector":"div.b-article__refs-textspan.b-counters-icon.b-counters
icon_view","regex":"","delay":""},{"parentSelectors" :("articles"],"type":"SelectorText","m
ultiple":false,"id":"like","selector":"span.b-counters-icon.b-counters-
icon_like","regex":"","delay":""},{"parentSelectors" :("articles"],"type":"SelectorText","m
ultiple":false,"id":"dislike","selector":"span.b-counters-icon.b-counters-
icon_dislike","regex":"","delay":""},{"parentSelectors" :("articles"],"type":"SelectorText","
multiple":false,"id":"com","selector":"div.b-article__refs-text a.b-counters-
icon","regex":"","delay":""},{"parentSelectors" :("_root","pagination"],"type":"SelectorLin
k","multiple":false,"id":"pagination","selector":"a.b-
btn","delay":""}],"_id":"sputniknews"} »
Nous avons donc pu extraire un total de 9860 articles sur la période 2011-2016.
Analyse des données.
Une fois les données disponibles au format Excel, la prochaine étape consiste à les
analyser. Nous avons alors utilisé le logiciel Iramuteq nous permettant d’analyser le
texte et d’obtenir l’occurrence de chaque mot dans les articles de la rubrique « défense »
de Sputnik France.
Manipulation des données
Par la suite, R nous a permis de questionner le dossier Excel et d’en tirer certaines
conclusions. Nous avons notamment interrogé les corrélations existantes entre les
catégories « vues », « like », « dislike » et « commentaires ».
Observations et analyse
En observant les résultats du web scraping, on peut constater qu’à travers les
différentes temporalités, des informations apparaissent. Dans un premier, les catégories
« vues », « like » et « commentaires » nous donne quelques informations intéressantes.
En effet, entre 2011 et 2014, les nombres relatifs à chacune des catégories sont très bas
et souvent égaux à zéro. Toutefois, à partir de 2015, on constate une forte croissance du
nombre de « vues », des « like » et des « commentaires ». Cette croissance se maintient
voir se stabilise au cours de l’année 2015 et 2016 en conservant des chiffres importants.
Les deux captures d’écran montrant les tableaux Excel sont des exemples de notre
analyse. En effet, la comparaison entre 2012 et 2016 est flagrante. Bien que ce ne soit
qu’une brève illustration de notre propos, les autres chiffres concernant ces catégories
et les différentes temporalités (2011, 2012, 2013, 2014, 2015 et 2016) font ressortir la
même tendance.
Manipulations sur R
Nous retrouvons bien les différentes catégories que sont la date, le nombre de vues, le
nombre de likes, de dislikes et de commentaires. La catégorie « articles » se présentant
sous la forme de chaîne de caractères nous a posé des difficultés sur R et nous avons
ainsi préféré l’analyser avec le logiciel Iramuteq.
Afin de démontrer l’évolution qu’a connu la page « défense » à travers le temps nous
nous sommes servis de la fonction « plot » afin de faire apparaître plusieurs
graphiques :
Ce graphique représente le nombre de commentaires postés sur les articles. On observe
ainsi un pic de commentaires postés à partir de 2015 et une augmentation en 2016. Les
années précédentes sont peu voire pas commentées. Mais prenons un exemple peut-être
plus pertinent qui est le nombre de vues.
Une fois de plus, on observe que c’est à partir de 2015 que le nombre de vues a explosé.
Les graphiques des « like » et « dislike » exposent la même évolution.
Nous avons procédé au test du chi² afin de déterminer s’il y avait une indépendance
entre la date et les autres données observées. On obtient :
Le résultat est donc p-value < 2.2e-16. Il existe donc bien un lien entre la date et les
autres données. Ce chiffre s’explique aussi certainement par le nombre important de
données que nous possédons. Il s’avère que le même résultat apparaît lorsque l’on traite
directement les données entre elles, sans considération de date.
Cette hypothèse est soutenue par le test des corrélations grâce à la fonction « cor » :
Ainsi, les données en fonction des dates tendent à être corrélées positivement, exceptées
pour les « dislike » qui semblent plus indépendants, peut-être dû à leur présence bien
moindre que les autres éléments observés. En testant les éléments « vues », « like »,
« dislike » et « com » ensemble on obtient :
Une fois de plus, on observe qu’il y a une corrélation entre les éléments « vues », « like »
et « com ». L’élément « dislike » apparaît une nouvelle fois comme un élément plus
indépendant.
Cette tendance se confirme en réalisant une analyse en composantes principales grâce
au package FactoMineR :
On obtient ainsi :
La plus grande indépendance du facteur « dislike » par rapport aux autres s’illustre ici
d’une meilleure façon. On voit qu’il y a une proximité plus grande entre les facteurs
« com », « vues » et « date », ce qui est confirmé depuis le début.
Ainsi, si le test du chi² montrait une corrélation entre tous les facteurs, une analyse plus
précise montre que le facteur « dislike » est plus indépendant que les autres. Cela peut
s’expliquer par la chose suivante : lorsqu’un article a beaucoup de « like », il a très peu
de « dislike ». Et inversement proportionnel. Cependant, les articles ayant le plus de
« like » sont les plus nombreux.
Au vu des ces observations, différents constats s’imposent. D’une part, le site Sputnik
France est parvenu depuis 2011 à considérablement augmenter son audience et d’autre
part à concentrer un public qui semble convaincu par les analyses et les visions du site
internet. Entre 2011 et 2016, les « vues » ont subi une forte croissance. Cette croissance
est en corrélation avec les mentions « like » et les commentaires. Cette grande ascension
débutant vers l’année 2015 peut s’expliquer par la réussite de la stratégie médiatique
russe à l’étranger, développée dès l’année 2012, suite à la « prise de conscience » de
l’importance des réseaux sociaux et de l’internet par Vladimir Poutine. Il avait déclaré à
ce sujet : « qu’Internet, les réseaux sociaux, les téléphones portables se sont transformés,
avec la télévision, en un outil efficace aussi bien de la politique nationale qu’internationale.
C’est un nouveau facteur qui demande réflexion, notamment afin qu’en continuant à
promouvoir la liberté exceptionnelle de communication sur le web, on réduise le risque de
son utilisation par les terroristes et les criminels1 ». Par ailleurs, en plus de cette
croissance, c’est l’attrait du public pour les articles qui est intéressant. En effet, en
comparaison avec les autres médias tels que Le Monde, Le Figaro ou encore Le Parisien,
le nombre de « like » et le nombre de « commentaires » est bien plus important sur
Sputnik France. Le site web apparaît alors comme plus mobilisateur et sujet à des
commentaires allant dans le sens du traitement de l’article par Sputnik.
Manipulation sur Uramiteq
1 POUTINE Vladimir, « La Russie et l’évolution du monde », Moskovskie Novosti, 2012, https://fr.sputniknews.com/opinion/20120227193517992/ (version française)
Le logiciel d’analyse de texte nous donne 5178 mots différents et l’occurrence de chacun,
allant de 1 à 2120. Afin de bien visualiser l’utilisation des mots par Sputnik France, un
nuage de mots permet de se donner rapidement une idée du vocabulaire utilisé tout en
prenant en compte ceux dont l’occurrence est moindre.
On observe que les mots qui apparaissent le plus dans les articles de Sputnik France
sont : Russie, russe, militaire, missile, armée, nouveau ou encore OTAN. Hormis ces
principaux mots, on peut voir que le vocabulaire est principalement lié à l’armement.
Cela démontre une certaine vision de la défense alors même que le domaine de la
défense comporte aussi les moyens civils et non seulement militaires. Afin d’être plus
précis dans notre analyse, nous avons utilisé Iramuteq pour obtenir l’occurrence de
chaque mot. Ce dernier vient confirmer de manière plus précise les observations du
nuage de mots.
Ces informations nous montrent un certain monopole de la Russie sur les articles du
site. Cela démontre bien le lien fort avec le Kremlin (qui le finance à 100%) et un suivi de
l’actualité russe alors que le média est concentré sur la France. On constate aussi, en
observant l’occurrence des mots, que le vocabulaire utilisé est caractérisé par trois
« blocs ». Le premier est relatif à des thématiques (« armement », « guerre », etc.). Le
second caractérise des pays ou des nationalités («Russie », « Ukraine », « Américains »,
« Chine », « Iran », « France », etc.) Et finalement le dernier « bloc » se définit par des
verbes d’action (« user », « unir », « tester », « créer », « déployer », etc.). A cela s’ajoute
un caractère péjoratif ou mélioratif selon les pays et les thématiques. Les « alliés »
ou « amis » de la Russie étant séparés de pays ou organisations avec lesquels les
tensions sont plus fortes tels que les Etats-Unis, l’Ukraine, la France, l’OTAN par
exemple.
Afin de distinguer une corrélation entre les mots, nous avons utilisé la Classification
Méthode Reinert afin de regrouper les mots les plus proches et nous avons obtenu
ceci :
Cinq classes apparaissent alors :
- La première semble plutôt porter sur la crise ukrainienne. On y retrouve des
mots forts comme « mort », « tuer », « pilonner », « blessé », « bombarder ».
- La deuxième se réfère à des exercices (« manœuvre », « conjoint », « Eagle ») avec
des verbes d’action comme « partir », « dérouler », « rapprocher ».
- La deuxième porte sur la Russie et ses coopérations. Les mots « coopération »,
« contrat », « unir », « vente », « accord », « conclure » illustrent bien ces propos.
- La quatrième fait allusion de l’armement russe et notamment aux facteurs de
réussite : « réussir », « succès », « lancement », « nouveau ».
- La cinquième concerne les Etats-Unis notamment à travers les mots « us »,
« pentagone », « navy », « défier ».
Lorsqu’on regarde le pourcentage de chaque classe, on se rend compte que les deux
premières qui avoisinent les 30% parlent de l’Ukraine et des armements russes,
notamment en matière de missile balistique. Pour le premier cas, il n’y a rien d’étonnant
entre la crise ukrainienne, l’annexion de la Crimée par la Russie et la politique
médiatique de la Russie qui a tâché de décrédibiliser les forces ukrainiennes. Le
deuxième cas illustre encore une fois la politique médiatique de la Russie et notamment
du Kremlin qui cherche à mettre en avant un renouveau de l’armement russe et de leur
bon fonctionnement. Cela s’explique par un armement russe devenu vieux et souvent
jugé obsolète ou défaillant. Le but pour le Kremlin est de montrer que son armée se
renouvelle avec du matériel moderne et performant.
En affichant les points de coordonnées des mots on peut arriver à plusieurs constats :
On aperçoit que la classe 1 et 4, qui sont les deux majeures, représentent bien deux
classes distinctes. Cependant les trois autres forment en réalité un tout. Il apparaît
évident à la vue des articles que les questions de coopération, d’exercices, et d’armes
apparaissent autant du côté russe que du côté occidental et notamment américain.
Lorsque l’on cherche la corrélation entre les mots on obtient ce graphique :
L’entremêlement des classes apparaît beaucoup plus complexe. On retrouve toutefois
les grandes tendances énoncées précédemment.
Ainsi, l’analyse de texte nous permet de décrire des tendances et d’en tirer certaines
conclusions. D’une part, le focus du site internet se fait sur la Russie et d’autre part, les
articles suivent une certaine donne géopolitique mondiale, orientée néanmoins vers les
visions et positions russes. A l’heure où la Russie et certains pays occidentaux traversent
des phases de tensions et s’engagent dans une guerre informationnelle, Sputnik France
décrit des évolutions opposées : un occident menaçant et décadent et une Russie en
pleine évolution et forte. Le vocabulaire lié à l’armement et au caractère « nouveau »
accompagne la modernisation militaire russe et le renouveau dans son armée et son
matériel.
Conclusion
Au cours de notre analyse, nous avons pu observer plusieurs tendances qui nous
permettent de décrire la politique de communication du site internet Sputnik France et
ainsi de questionner nos hypothèses. Tout d’abord, ce qui ressort de l’analyse des
données récupérées, c’est l’essor du site. En effet, la croissance depuis l’année 2015 en
constante augmentation témoigne d’une capacité du média à prendre une place
importante dans l’espace médiatique français. L’augmentation des vues et manière
dépendante, l’augmentation des likes et des commentaires en est l’exemple le plus
marquant. En observant de plus près, il apparaît clairement que l’armement est un
thème central des articles. Néanmoins il est lié à des thématiques ou des pays
particuliers auxquels s’adosse un vocabulaire mouvant. Notre deuxième et troisième
hypothèse, sur la caractérisation de la Russie et de l’occident s’avère-t-elle aussi juste
bien que des termes relevant de la coopération se retrouvent aussi pour les pays
occidentaux, nous obligeant ainsi à nuancer notre troisième hypothèse. De plus, Sputnik
France suit une temporalité qui est celle de l’actualité internationale dans le domaine de
la défense et plus précisément de l’armement et des mouvements militaires. Les
nombreux articles sur l’Ukraine en sont à nouveau l’exemple. Ainsi, le site internet
occupe la scène médiatique et se positionne en concordance avec les visions et les
cadres géopolitiques russes. Loin d’être un média indépendant, Sputnik France est un
réel acteur de la géopolitique prenant une place importante dans la stratégie médiatique
du kremlin. Le média s’inclut dans une lutte d’influence informationnelle de plus en plus
active à l’échelle internationale. Toujours est-il que notre étude porte sur une rubrique
particulière et en phase avec l’actualité internationale. Ainsi, elle ne serait décrire toute
la complexité de ce média et toute son importance dans la stratégie d’influence qui
semble opposer, en étant quelque réducteur, l’Europe de l’Ouest, les Etats-Unis et la
Russie.
Recommended