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Confessions ordinairesd’un enfant précoce
JEAN-MICHEL AUDOUAL
13.62 506901
----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique
[Roman (134x204)] NB Pages : 166 pages
- Tranche : 2 mm + nb pages x 0,07 mm) = 13.62 ----------------------------------------------------------------------------
Confessions ordinaires d’un enfant précoce
Jean-Michel Audoual
Jean
-Mic
hel
Au
dou
al
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« Alors vint le temps où le risque qu’il fallait
accepter pour rester prisonnier du bourgeon
était plus douloureux que le risque de
s’épanouir. »
Anaïs Nin
« La vie n’a jamais été destinée à être une
lutte ; elle ne devrait être qu’une douce
progression d’un point à un autre, très
semblable au fait de se promener à travers
une vallée un jour de grand soleil. »
Stuart Wilde
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Chapitre 1
Premiers pas
Je venais de souffler mes trois premières bougies
lorsque je franchis la porte de la maternelle pour la
première fois. Le matin même, mon père m’avait saisi
le menton de ses mains calleuses et m’avait dit : « Faut
pas pleurer, fiston, tu es grand maintenant. » J’avais
alors retenu mes larmes en mâchouillant
consciencieusement l’intérieur de mes joues puis avais
emboîté le pas de mes deux grands frères qui
marchaient profil bas en cette belle matinée du mois de
septembre. Bien évidemment, maman m’avait
accompagné, le cœur gros, mais ne le montrait pas ou
si peu. Je me souviens seulement qu’elle avait échangé
son vieux tablier quotidien contre sa plus belle robe et
qu’elle avait pris une voix tendre et rassurante pour
vanter les mérites de l’école et de l’instruction.
Une foule bigarrée s’était pressée dans la cour de
cette grande bâtisse qui allait devenir ma seconde
demeure et nous attendîmes que maîtres et maîtresses
apparaissent sur le perron. Mes deux frères, plus
expérimentés que moi, ne montraient aucun signe
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d’appréhension et distribuaient çà et là des poignées
de mains chaleureuses et masculines. Ils rentraient
respectivement en CE1 et CM1.
Soudain, le directeur fit irruption sur le perron, prit
une voix de circonstance, réclama le silence et les cris
se turent progressivement.
« Je vous souhaite à tous une très bonne rentrée et
tous mes vœux de réussite pour l’année à venir. »
Son discours ne variait quasiment jamais au fil des
ans. Il céda ensuite la parole aux enseignantes qui se
dressèrent simultanément et commencèrent l’appel
d’une voix mal assurée : « Abadie, Azouz, Bachelot,
Robinet… Vas-y mon bonhomme » lança ma mère
tout en rajustant mon col de chemise.
Le ventre serré, je rejoignis le rang et son cortège de
cartables flambant neufs. L’entrée en classe se fit dans
le calme même si la plupart d’entre nous réprimaient
une irrésistible envie de pleurer. La maîtresse nous fit
asseoir sur de petites chaises en ligne.
« Je m’appelle Cécile Heurtebise, mais il faudra
m’appeler Madame. » déclara notre nouvelle
institutrice.
« Oui, Madame Cécile » reprit spontanément mon
voisin de gauche.
La maîtresse nous expliqua alors qu’il fallait dire
Madame Heurtebise et se lança dans un discours que
nul ne comprit réellement. Puis, Aziz éructa
bruyamment, ce qui nous amusa beaucoup.
« Il faut que tu dises pardon, Aziz » soupira
Madame et Aziz s’exécuta.
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« Je vais maintenant vous lire une histoire mais il
faudra que vous soyez bien sages. »
Elle chaussa ses grosses lunettes noires, et fronça
les sourcils en regardant Aziz.
« Ecoutez-moi bien. Je vais vous lire l’histoire de
Riquet, le petit garçon qui ne voulait pas grandir. »
Tous les regards se braquèrent sur les grosses
lunettes de maîtresse qui prit un drôle d’accent pour
essayer de nous captiver. Elle détachait les syllabes
une à une, méticuleusement, et je remarquai que sa
bouche s’arrondissait exagérément chaque fois
qu’elle prononçait le son [o].
Quelques instants après, j’avais complètement
perdu la trace de Riquet et mon esprit vagabondait en
dehors de la classe. Je pensais à maman qui se
retrouvait seule à la maison, à mes frères qui devaient
essuyer les premières remarques de leur maîtresse et à
papa occupé, au fond de son atelier. Madame
Heurtebise finit par se rendre compte de ma
distraction et me jeta un regard méprisant.
« Cela ne t’intéresse pas Yvan ? » demanda-t-elle
sèchement.
« Non, Madame Heurtebise » répondis-je le plus
naturellement du monde.
C’est ainsi que débuta ma scolarité, par cet
affrontement laconique mais révélateur de ce que
j’allais vivre, en partie, tout au long de mon enfance.
Je finis la matinée au piquet pour la première fois de
ma vie, ne comprenant pas en quoi la franchise était
répréhensible, d’autant que Papa m’avait dit bien
souvent que le mensonge était la pire des trahisons. Je
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passai un gros quart d’heure dans le coin de la classe
puis Aziz se montra à son tour arrogant en appelant
maîtresse « Madame Heurtebisou. »
« Va remplacer ton camarade » cria-t-elle. Aziz
obéit, tête basse, et je rejoignis ma place.
Lorsque la cloche sonna, la plupart des petits se
mirent à courir dans tous les sens comme des lions en
cage. Quant à moi, je m’adossai à l’unique platane
qui trônait au milieu de la cour et me mis à regarder
les nuages dont les formes variaient au gré des vents.
Soudain, maîtresse tapa dans ses mains et je sortis
de ma rêverie. Quelques-uns d’entre nous se mirent à
pleurer à nouveau et réclamèrent leur mère, mais
madame Heurtebise n’y prêta pas attention.
« Dépêchez-vous, dépêchez-vous. Rejoignez la
classe ! »
Nous passâmes une heure à coller des gommettes
sur des formes géométriques sans que je ne
comprenne l’utilité de cette activité puis maîtresse
frappa encore dans ses mains.
« Et maintenant, vous allez faire un joli dessin
pour vos papas et vos mamans. »
Elle distribua à chacun d’entre nous une feuille
blanche.
« Appliquez-vous, car vous n’en aurez pas
d’autres ! » lança la maîtresse.
Je traçai le contour de gros nuages blancs aux
formes insolites. Un d’entre eux portait de grosses
lunettes noires. Maîtresse fit mine de s’occuper puis
passa à chaque table.
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« Alors Aziz, montre-moi ton joli dessin. »
Mais Aziz refusait. Maîtresse lui arracha des
mains.
« Ce ne sont que des gribouillis ! »
Puis, elle le lui redonna indélicatement. Marion,
Joffrey et Pierre-Yves furent félicités. Leur dessin
représentait une grande maison entourée d’un
magnifique jardin.
« Et toi, Yvan, qu’as-tu dessiné ? »
Je ne répondis pas.
« Tu aurais pu utiliser des couleurs, ton dessin est
tout gris ! »
Je murmurai alors que les nuages étaient blancs
mais maîtresse ne m’entendit pas.
Enfin, la cloche de midi nous libéra et nous pûmes
embrasser nos mères avec soulagement. Madame
Heurtebise changea d’expression et fit de grands
sourires à tout le monde, puis s’adressa aux adultes.
« Il n’aime pas beaucoup les histoires, Madame
Wikosky » glissa-t-elle à ma mère, un brin d’ironie
dans la voix.
« C’est que nous n’avons pas beaucoup de livres à
la maison » bredouilla Joséphine.
Maîtresse se pencha vers moi, me sourit avec
condescendance puis s’en alla discuter longuement
avec les mamans de Pierre-Yves et de Marion.
Durant le trajet, maman me posa des questions et
nous marchâmes main dans la main. Il y avait bien
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longtemps que nous ne nous étions retrouvés seul à
seul.
« Aujourd’hui, c’est exceptionnel mon chéri. Je
suis venue te chercher car c’est ton premier jour
d’école, mais il faudra que tu manges à la cantine,
comme tes frères. »
Puis tout en dénouant son tablier, elle avait ajouté :
« Alors, dis-moi, elle est comment cette
maîtresse ? »
Je jetai un coup d’œil vers la fenêtre et les nuages
continuaient à danser dans le ciel.
« Très gentille, maman. »
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Chapitre 2
Mots volés
Après trois années de maternelle qui me parurent
interminables, j’entrai enfin au CP. Je redevenais petit
parmi les grands et l’idée de côtoyer des enfants bien
plus âgés que moi me séduisait. D’après mes frères,
l’année s’annonçait des plus difficiles. Je les écoutais
donc parler en prenant un air sérieux et désolé, mais au
fond de moi, je sentais naître un immense ravissement.
Le CP semblait l’eldorado promis, la grande porte
ouverte sur le monde et le savoir. Enfin, si ce n’était
qu’un mirage, j’allais quand même en finir avec les
coloriages, les cubes aux formes étranges, les pots de
peinture desséchés, les tabliers salis, les récitations
enfantines que j’ânonnais sans passion et ces
sempiternelles répétitions d’exercices bêtifiants :
j’entoure la bonne lettre, je colorie le bon mot, je barre
l’intrus… Même avec la plus grande volonté de notre
maîtresse qui n’avait pas ménagé sa peine pour nous
inculquer quelques notions fondamentales, j’avais le
sentiment d’avoir perdu mon temps.
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Enfin le grand jour arriva. Sans quitter
l’établissement où je venais d’accomplir mes
premières armes, je quittai la petite cour pour la cour
des grands, leurs cartes magiques et leur partie virile
de football.
Notre nouvelle institutrice s’appelait Madame
Ledoux. D’abord docile, comme son patronyme le
laissait entendre, elle prit la classe en mains avec la
plus grande fermeté. Avec elle, les apprentissages
avaient des allures militaires, si bien que je peux
avouer qu’au bout d’un mois, je lisais sans difficulté.
Bien évidemment, comme beaucoup d’enfants,
j’avais emmagasiné un certain nombre de mots,
décelés çà et là, sur un panneau publicitaire, un
paquet de céréales, un journal abandonné, mais ce
n’est que de façon intuitive que je pus déchiffrer les
premières lignes.
Cependant un peu tôt. Lorsqu’il fallait que je
m’applique et que j’écrive les phrases les plus
simples : « Le chat mange la souris… le chat n’aime
pas le rat » je rechignais à la tâche. Madame Ledoux
fustigeait donc toutes mes imperfections et
considérait que j’étais un élève paresseux. Elle
m’invitait incessamment à recommencer mon travail,
à tracer des o plus ronds, des s moins larges, des m
moins écrasés et surtout à écrire sur les lignes
consciencieusement, avec application, ce dont j’étais
incapable. Heureusement, je n’étais pas le seul à pâtir
de son impatience.
Comme je me trouvais au fond de la classe, je
parvins assez vite à me faire oublier, d’autant que je
n’avais aucune compagnie. Les « camarades » qui
m’accompagnèrent cette année s’étaient nichés derrière
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moi, dans le coin de la classe, sur trois étagères
branlantes et minuscules. Un jour de désœuvrement, je
saisis un petit ouvrage poussiéreux intitulé : Les
Mémoires d’un âne. Les minutes qui suivirent ma
découverte passèrent à une vitesse vertigineuse et
lorsque la cloche sonna, je sursautai. Durant tout le
repas de midi, je repensai au désespoir de Cadichon. A
13h30, je n’avais qu’une hâte, c’était d’en finir avec le
ballon rond. Ainsi, je pris l’habitude de ne plus bâcler
mes devoirs et j’accomplis les tâches que me
demandaient Madame Ledoux le plus soigneusement
possible. Mes camarades de jeu, quant à eux,
s’épuisaient à la faire enrager. Pendant ce temps, je
tissais des liens amicaux avec cette comtesse inspirée.
Après les Mémoires d’un âne, je suivis les
pérégrinations de Charles, ce bon petit diable que
martyrisait cette épouvantable Madame Mac Miche,
j’enchaînais enfin avec les aventures des petites filles
modèles et je découvris la Gloire de mon père.
Les livres devinrent pour moi une échappatoire à
cet enfer que demeurait l’école. Les mois passèrent au
rythme des aventures de Tom Sawyer, de l’affreux
capitaine Achab, de Moby Dick, de Rémi et de Vitali.
L’entrée en littérature m’apprit également la rudesse
des adultes, leur jalousie, leur arrogance et parfois
leur cruauté. Les livres que je lus cette année-là
faisaient la part belle, il faut l’avouer, à de sinistres
personnages, impitoyables et malveillants. Ces
voyages intérieurs comblèrent une longue année de
CP où les apprentissages progressaient à petits pas.
Dès que je rentrais chez moi, je poursuivais mes
lectures au fond de mon lit.
Vers la fin de l’année, Madame Ledoux était fière
de nous avoir inculqué les bases du français et du
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calcul. Elle insistait souvent sur les valeurs morales
de l’honnête homme, valeur qu’elle nous avait apprise
à grands éclats de voix et à petits coups de règle.
Aussi voulut-elle récompenser tous nos efforts en
lisant les histoires des grands auteurs, formule qu’elle
avait employée à l’occasion. Un après-midi, alors que
nous venions de finir notre leçon de mathématiques,
elle se dirigea d’un pas magistral vers le fond de la
classe, terre promise qu’elle arpentait fort peu, me
contourna et se hissa jusqu’au renfoncement qui
contenait tous mes trésors. Il ne restait sur l’étagère
que deux gros volumes de Victor Hugo intitulés les
Travailleurs de la Mer ; un ouvrage que j’avais
commencé en début d’année et que j’avais vite
abandonné.
Soudain, Madame Ledoux fit un pas en arrière et
ne put réprimer un cri perçant qui fit tressaillir toute
la classe. Elle paraissait décomposée.
« Les enfants, il faut que je vous dise qu’il y a
parmi nous un voleur ou peut-être même plusieurs.
Aujourd’hui, il n’y aura donc pas de lecture comme je
vous l’avais promis et si le voleur ne se dénonce pas
demain, avant midi, vous resterez après la classe, une
heure chaque jour jusqu’à la fin de l’année. »
Un murmure réprobateur parcourut toutes les
travées. Les regards échangés furent meurtriers puis
de nombreuses têtes se tournèrent vers moi et le tollé
grandit. Enfin, la sonnerie mit fin à cette agitation.
A la sortie de l’école, les enfants informèrent leurs
parents qui ne tardèrent pas à désigner un médiateur
pour que le coupable soit renvoyé. Le ton monta.
Quelques messieurs menaçaient déjà d’inscrire leur
enfant dans le privé. Toutefois malgré cette
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orchestration très théâtrale et les turpitudes de la rue,
madame Ledoux ne broncha pas. Arrivée chez elle,
elle avait coupé le téléphone, n’avait ouvert à
personne. Les loups étaient lâchés.
A la première heure, et bien avant que la sonnerie
n’ait retenti, un petit groupe de parents, s’était massé
contre les grilles de l’école. Madame Ledoux était
attendue de pied ferme par une délégation de bien-
pensants hirsutes et méchants. Les représentants des
parents d’élèves s’invitèrent dans l’école et proférèrent
à nouveau des menaces. Un d’entre eux, plus véhément
que les autres, prit la parole et promit d’en toucher
deux mots au recteur, mais la maîtresse ne trembla pas.
Le prénom de Mohamed fut plusieurs fois prononcé
puis progressivement le mien aussi, vu que je me
situais au fond de la classe. Un de mes camarades
assurait que j’avais emprunté un livre. Un autre
bafouilla que j’étais un voleur car je ne lui avais jamais
rendu son compas. Finalement c’est mon frère qui me
dénonça. Le surlendemain de l’affaire, il alla voir
madame Ledoux et vida sur son bureau un sac qui
contenait tous les livres que j’avais empruntés. J’appris
un peu plus tard qu’il avait été soudoyé par un élève de
sa classe, lui-même dépêché par un parent d’un de mes
camarades. Cette trahison m’atteignit au plus profond
du cœur. Il fallait donc que je me méfie du monde
entier ! Non content d’avoir perdu confiance envers les
adultes, je compris à mes dépens que ma propre
famille pouvait me réduire à néant. Tadé nous punit
sévèrement. L’un pour avoir volé et l’autre pour avoir
bafoué l’honneur de la famille. Nous passâmes une
grande partie de nos vacances estivales à accomplir des
tâches ingrates et répétitives.
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