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La jeune fille au sari rouge
Une nouvelle écrite en cadavre exquis avec Violaine Schwartz
Édité par le collège Laurent Mour-guet - Classe de Mme Arnac
air.laclasse.com prèsente
2018-2019
2
C ette nouvelle a été éditée selon les
règles du cadavre exquis, jeu littéraire
inventé par les surréalistes.
Chapitre après chapitre, Violaine Schwartz
et les collégiens ont ainsi imaginé cette
fiction en ne pouvant lire que les dernières
lignes des passages précédents.
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Sommaire
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Violaine Schwartz
Violaine Schwartz
Violaine Schwartz
Cité scolaire internationale (CSI)
Collège Jean charcot
Collège La tourette
5
7
13
17
19
23
2018-2019
4
5
Prologue
Résumé de la pièce Comment on freine ? Vingt lignes.
Critique de la mise en scène dans le style journalistique. Deux pages format A4.
Hugo souligne d’un beau trait rouge la phrase qu’il vient d’écrire mais en
retirant la règle, le rouge, pas sec, bave un peu sur la page blanche. Tant
pis.
Le devoir est à rendre pour le lendemain matin, il est 22 heures et la note
compte double.
Faut s’y mettre, faut s’y mettre. Alors c’était quoi déjà, l’histoire? Il était
au dernier rang entre Samantha et Nassim, ils ont joué pendant toute la
représentation à Rider, sans se faire prendre, la prof est complètement
bigleuse. Alors donc, voilà. Voilà, voilà, voilà.
H&M, c’est pas possible, au boulot ! C’est son surnom à l’école. Les
initiales de son nom. Hugo Martinet. Et c’est aussi parce qu’il est plutôt du
genre très stylé. Baskets de marque, t-shirts aussi. Il aime les habits et sa
mère ne lui refuse rien, même si, parfois, elle a des accès de sévérité, pour
faire comme si.
Depuis que Papa est parti, l’appartement est sens dessus dessous et le
frigo, assez vide. Il contemple les lignes bleues de sa copie comme des
vagues qui l’emportent au loin, vagues d’écume, déferlantes de sommeil,
nager, dormir, c’est quand les vacances ? Et où c’est qu’on va, cette année ?
Et est-ce que Papa va revenir ? Et... Tu te disperses, H&M. Défaut de
concentration. Elle a raison, la prof.
Donc, au début, sur la scène, y avait que des cartons de déménagement et
pas de vrai décor, c’était pas comme je croyais, le théâtre, et en plus, il se
passait rien, y avait que des gens qui parlaient.
Mais de quoi déjà ? Hélyette, la première de la classe, avec qui il a la
cote, lui a un peu expliqué l’histoire mais il n’a pas tout retenu car elle a
Violaine Schwartz
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vraiment de trop beaux yeux pour pouvoir l’écouter, sans se déconcentrer.
Dans les cartons, y avait que des habits, et tout à coup, il y a une indienne
qui est sortie d’un carton et qui s’est mise à danser, dans une robe rouge
de là-bas, mais en fait, elle était pas indienne, elle était plutôt ouvrière, ou
plutôt morte, non, plutôt revenante, comme un fantôme, je sais pas mais
très jolie. Bon, c’est pas bon. Je recommence. Hugo prend une nouvelle
copie et réécrit l’intitulé de l’exercice, qu’il souligne, sans baver cette fois.
Ok, maintenant, c’est la bonne. Et ensuite, sous la couette.
Donc, c’est l’histoire d’un couple qui arrive dans un nouvel appartement,
et la femme, elle sort de l’hôpital parce qu’elle a eu un accident de voiture
le même jour qu’une usine qui s’est effondrée en Inde.
Mais non, c’est pas en Inde, c’est où déjà ?
Se souvenant tout à coup qu’il s’agit d’une histoire tirée de la réalité, Hugo
enlève son sweat-shirt tout neuf trop cool qu’il adore, regarde l’étiquette
intérieure écrite en toutes les langues, ah voilà le français : 100% coton,
chlore interdit, Made in China. Mais c’était pas China dans la pièce, c’était
quoi déjà ?
Il regarde l’heure, il regarde son lit. Si sa mère était là, elle lui dirait d’aller
se coucher et plus vite que ça. Il finira demain, il mettra son réveil une
heure plus tôt, et puis voilà, c’est pas un drame quand même.
Il va pour fermer les volets de sa chambre quand tout à coup, dans
l’immeuble d’en face, la fenêtre de Madame Tortue s’illumine d’une
lumière violette, presque irréelle. Une femme en sari rouge le regarde sans
rien dire. Au même moment, sa lampe de bureau s’éteint brutalement.
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Chapitre 1: Punition bénie
0/20 pour copie non rendue et convocation chez le CPE pour imitation de
signature.
Il avait pourtant mis son portable une heure plus tôt pour finaliser son
devoir mais il n’a pas sonné, c’est pas de sa faute quand même s’il a un
problème de batterie.
Et ensuite, voyant que sa mère n’était toujours pas rentrée (ou déjà
repartie ? ), errant seul dans l’appartement jonché de cartons, il s’était
dit que le mieux finalement, pour justifier ce retard matinal, était d’être
malade.
Une bonne gastro, ça arrive aux meilleurs. Il avait rempli le carnet de
liaison bien proprement, signé en bas à l’emplacement requis, remis le
carnet au premier pion venu en arrivant tranquillement l’après-midi au
collège, mais évidemment, s’il se mettent à téléphoner directement aux
parents, on ne peut pas faire de miracle non plus.
Coup de fil au père.
Coup de fil à la mère.
Et ensuite, ça n’avait pas raté : scène de ménage au téléphone. Hurlements
dans le combiné.
C’est comme ça que tu élèves ton fils, je te félicite.
Mais de quoi je me mêle ? Dégage ! Connard.
Et maintenant, sa mère est furieuse contre lui.
Sa mère n’a vraiment pas besoin de ça.
Sa mère est obligée de le punir, comme un bébé.
Samedi, dimanche, sans sortir, voilà, tu es content ?
Oui, il est très content. Punition bénie.
Hier, samedi, elle est apparue deux fois à la fenêtre, dessinée dans le
chambranle comme dans un cadre. Une fois, en sari rouge. Une fois, en sari
Violaine Schwartz
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jaune. Ils se sont regardés longuement, immobiles.
Et puis elle a tiré le rideau, d’un seul coup.
Il ne l’avait jamais vue, auparavant. Il en est certain.
Il en déduit qu’elle vient d’arriver chez la mère Tortue.
Il connaît bien l’appartement d’en face, comme une télé à quelques mètres
de son bureau.
Il a vue sur le canapé à fleurs, la table basse recouverte de bibelots très
moches.
Tous les jours, à 18 heures, l’heure à laquelle il est censé faire ses devoirs,
la vieille dame, dont il ne connaît pas le nom mais qu’il a baptisé Bardot
(à cause de son amour pour les animaux) ou Mamie Tortue, ou Mam’selle
SPA, c’est selon les jours et les humeurs, s’installe entre ses coussins
brodés et regarde sans doute un jeu télévisé hors cadre. Elle a plusieurs
chats, trois ou quatre, et peut-être une tortue, enfin un truc très lent, non
identifié, qui se traîne au sol. Un hamster obèse et cul de jatte ? Un vieux
lapin unijambiste ? Un bébé crocodile ? De tout ce qu’il a imaginé, il penche
plutôt pour l’idée de la tortue, plus sympathique quand même.
Il la voit parfois dans la rue en bas de chez lui, avec son manteau tout
rapiécé et son cabas antique mais il n’a jamais osé l’aborder. Pour lui dire
quoi, en fait ? Vous aimez les animaux ?
D’ailleurs, il préfère s’évader dans des constructions imaginaires, à partir
d’indices glanés à travers le carreau, bien loin de son quotidien, les cartons
de déménagement, les yeux cernés de sa mère, c’est comme un puzzle
d’une autre vie à inventer.
Mais cette fois-ci, ça le dépasse, vraiment.
Que fait ce top model dans ce salon vieillot ?
Cette princesse des Mille et Une Nuits chez Mamie Bardot ?
Une aide à domicile ? Une femme de ménage ?
Certes, on dit que l’habit ne fait pas le moine, mais quand même, ça ne
tient pas debout comme hypothèse.
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Ou alors, c’est une étudiante étrangère, à qui La Tortue a loué une chambre
pour arrondir ses fins de mois ?
Ou une fille au pair mais pour vieux ?
Ou quoi d’autre ?
Un rêve éveillé ?
Elle ressemble étrangement à l’ouvrière de Comment on freine ?
Et si c’était une rescapée de l’accident, hébergée par la vieille dame, qui a
grand cœur, il en est certain.
Il a dégoté une paire de jumelle dans un carton étiqueté Gilles (c’est le
nom de son père), qui pourrait lui permettre de la voir de plus près mais
malheureusement, elle refuse de se montrer depuis ce matin.
Pris d’un découragement soudain, il se lance dans des recherches sur le
net, sur cette fameuse usine qui s’est effondrée, mais où déjà ?
Ah oui, au Bangladesh, il a le corrigé du devoir sous les yeux.
1133 morts. 2000 blessés. L’immeuble s’est écroulé sur les ouvrières au
travail. Les photos sur son écran s’impriment au fond de ses yeux.
Une main se dresse, toute seule, au milieu des ruines, comme dans un film
d’horreur.
Dans les décombres, on a retrouvé des étiquettes de marques occidentales,
Primark, Benetton, Auchan, Carrefour, Mango, Camaieu.
H&M est soupçonné également même si l’enseigne prétend ne pas
connaître cette usine.
H&M regarde son nouveau sweat-shirt, puis il regarde son placard grand
ouvert sur un amas d’habits.
Au fond de sa tête, il entend le bruit des machines à coudre, comme un
cliquetis de reproches.
Puis tout à coup, une drôle de chanson.
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La comptine du blue-jeans.(sur l’air Des canuts)
Elle m’a coupé, elle m’a cousu,
Elle m’a lavé, elle m’a tordu,
Elle m’a trempé dans l’eau d’javel,
Elle m’a séché, c’était mortel.
Je me souviens, qu’elle était fatiguée
dans le bruit des machines, assise toute la journée.
Je suis un blue-jeans,
fait par une gamine.
Elle m’a plié, elle m’a rangé,
dans un carton, bien repassé.
J’me suis r’trouvé sur un bateau,
on était mille, comme des jumeaux.
La même poche et la même braguette
et la même ceinture, et la même étiquette.
Je suis un blue-jeans,
Un parmi dix mille.
Scanne moi pour m’écouter !
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On m’a pendu dans une vitrine,
on m’a essayé en cabine.
J’avais un prix, toi, tu m’as pris
Je suis devenu ton habit.
Mais je repense souvent à l’ouvrière
qui m’a cousu là-bas. Elle est où ? Dans les airs.
Je suis un blue-jeans
de l’usine en ruines.
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Chapitre 2: Une semaine à la fenêtre, et rien de rien
Depuis samedi dernier, elle ne s’est plus montrée. Tous les jours, pourtant,
Hugo l’a attendue, à son poste de gué.
Le dimanche, rien.
Le lundi, en rentrant du collège, il s’est précipité derrière son carreau, il
n’a vu, au travers de ses jumelles, qu’une moitié de La Bardot, assise sur le
bord de son canapé.
Le mardi, il a caressé à distance le chat d’en face aux poils roux, roulé en
boule sur le tapis.
Le mercredi, au coeur de la nuit (il avait mis le réveil exprès), il n’a vu
que du noir sur du noir. Et le jeudi, il s’est fait surprendre par sa mère,
bêtement.
D’habitude, elle revient plus tard de son travail mais depuis que Papa est
parti, elle est devenue complètement imprévisible. Parfois, elle ne rentre
qu’à la nuit tombée et parfois, elle est encore en pyjama à l’heure du
goûter.
« Mais tu espionnes les voisins ? Ça va pas la tête ? Et en plus, tu fouilles dans les
cartons de ton père ? Rends-moi ça immédiatement. Et plus vite que ça. »
Le vendredi, à l’oeil nu, il n’a vu que la tortue passer dans le cadre, à moins
que ce ne soit le bébé crocodile ?
Et le samedi, c’est aujourd’hui.
Peut-être qu’elle n’apparaît que le samedi, s’était-il dit, plein d’espoir.
Mais non.
Il est resté toute la matinée, planqué derrière sa vitre.
Et rien.
Violaine Schwartz
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Il ne s’est absenté que pour aller déjeuner avec sa mère, et encore à toute
allure.
Mais qu’est-ce que tu as à t’enfermer comme ça dans ta chambre ? Donne-moi
ton portable. C’est mauvais pour la santé. Tu es triste, à cause de Papa, c’est ça ?
Tu peux me parler, tu sais.
Hugo lui a fait un gros bisou pour la réconforter, et puis il est retourné à sa
fenêtre.
Mais rien de rien de rien de rien.
Pourtant elle existe, se dit-il. Je ne l’ai pas inventée quand même. Pourquoi
j’irais inventer un truc pareil ? Peut-être qu’elle n’habite pas là, elle n’a fait
qu’une visite à Mamie Tortue, et voilà tout.
Il faudrait se renseigner auprès de la vieille dame mais il n’ose pas trop.
Elle fait un peu peur, avec son manteau bizarre.
Il repousse cette solution à plus tard.
Ou alors, peut-être qu’il faut être puni comme le week-end dernier, pour
qu’elle se montre ? Je pourrais refaire le coup de la signature sur le carnet
de liaison, pour voir. Mais pensant à la future engueulade entre ses deux
parents, il y renonce. C’est déjà tellement compliqué.
Ou peut-être que c’est la façon dont j’étais habillé samedi dernier qui l’a attirée
à la fenêtre ? Mais comment j’étais déjà ? Ah oui, j’avais mis le vieux gilet de
papa, pour faire bisquer maman. Le gilet tricoté par Mémé. Le dimanche, par
contre, j’avais mis mes habits de tous les jours, comme tous les autres jours.
Peut-être qu’elle n’aime pas mes habits de tous les jours, se dit-il soudain, que
ça lui rappelle des mauvais souvenirs ?
Et il repense à cette drôle de chanson, échappée de son placard :
Je suis un blue-jeans, fait par une gamine.
Fort de cette découverte, il galope chercher en douce le gilet tricoté
par Mémé que sa mère, furieuse, a enfoui au fond d’un des cartons de
déménagement.
Je t’interdis de toucher aux affaires de ton père, tu as compris ?
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Hugo regarde tous ces cartons entassés les uns sur les autres dans le salon
et soudain il repense à la pièce Comment on freine ?
Si ça se trouve, il n’y a que des habits là-dedans.
Il s’approche lentement d’un carton étiqueté : Livres Gilles.
Il l’ouvre précautionneusement.
Il se sent vaguement coupable.
À l’intérieur, il trouve la collection de livres de cuisine de son père. Poulet à
la noix de coco. Tiramisu. Rôti de porc aux pruneaux.
Soudain, il a comme une envie de pleurer. Depuis que Papa est parti, c’est
spaghettis à toutes les sauces.
Dans un autre carton, il finit par dégoter le vieux gilet tricoté main, il
l’enfile et retourne à son poste. Mais rien ne se passe.
Et puis, sa mère fait la sieste mais elle peut se réveiller à chaque instant et
ça va encore barder.
Il cache le vieux gilet au fond de son placard et commence à observer un a
un tous ses habits.
Made in China. Made in Spain. Made in Turkey. Made in Bangladesh. Made in
très loin.
Il entend comme un mur qui s’écroule, tout à coup. Il referme son placard,
épouvanté. Bon, ça suffit ces conneries, se dit-il, je vais aller voir La Mère
Tortue, et puis c’est tout.
Il s’emmitoufle dans le vieux gilet comme pour se porter chance, il tend
l’oreille, sa mère est toujours dans sa chambre, il traverse le salon à
pas de loup, il referme la porte tout doucement derrière lui, il traverse
courageusement la rue, et là, incroyable ! Au moment où il arrive devant
l’entrée de l’immeuble d’en face, elle s’ouvre comme par magie, et il se
retrouve nez à nez avec la Mère Tortue.
Il la laisse passer devant lui et il commence à la suivre.
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Chapitre 3: Tendre Bangladaise
Quand tu avais un an et quelques mois
Un beau jour, j’ai vu un portrait de toi
Tes petits yeux brillaient, étincelaient
Tendre Bangladaise, je t’ai parrainée
Quand tu avais sept ans, encore enfant,
Tu cousais déjà tes propres vêtements
Tard, nul ne te racontait des histoires
J’aurais tellement voulu venir te voir
Refrain :
Tu es la fille que je voulais
Celle que je n’ai jamais eue
Maintenant que tu es venue
Je te garderai à jamais
Quand tu as eu 15 ans et quelques jours
Envoyée dans une usine pour toujours
Tes études rêvées parties de travers
Mais toi, ton devoir, c’est d’aider tes frères
Cité scolaire internationale (CSI)
Scanne moi pour m’écouter sur
air.laclasse.com
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Quand tu avais 20 ans je m’en souviens
Tu travaillais dur, tout ça pour un rien
Du sang plein les mains, des larmes de chagrin
L’inquiétude me réveillait chaque matin
Refrain
Et maintenant que tu as bien grandi
Survécu à de tristes péripéties
Je viens te donner le double de mes clés
Tu vivras chez moi en sécurité
Refrain
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Chapitre 4: Ils se rencontrent enfin
Excusez-moi, madame, s’écrie H&M, essoufflé.
Alors qu’il marchait tranquillement dans la rue, rentrant d’une longue
journée de collège, il a soudain vu apparaître la femme au sari qu’il avait
aperçue l’autre soir à la fenêtre de l’appartement de Mme Tortue. Croyant
rêver, et trop curieux pour la laisser partir, il a alors décidé de la suivre afin
de savoir qui elle est.
Sentant une présence dans son dos, elle presse le pas et se retourne
régulièrement pour voir s’il est toujours derrière elle. H&M insiste. Au coin
de la rue, la femme au sari prend à droite. Le temps que H&M tourne à son
tour, elle a disparu. Il a juste le temps de voir la porte du bas de l’immeuble
de Mme Tortue claquer.
Pourquoi t’as fait ça ? Tu lui as fait trop peur ! se dit le jeune homme en lui-
même.
H&M rentre chez lui, dubitatif, portant en lui un sentiment de malaise. Il y
repense toute la nuit sans réussir à trouver le sommeil.
Le lendemain, en début d’après-midi, plein de remords, Hugo décide
d’aller chez Mme Tortue, la voisine, afin de s’excuser auprès de la jeune
femme du comportement qu’il avait eu la veille. La vieille dame de 77 ans
lui ouvre la porte et l’invite à rentrer.
Mon p’tit Hugo, je t’en prie, entre ! Ça me fait plaisir de te voir ! Viens au salon
avec moi, j’ai quelqu’un à te présenter.
Hugo suit Mme Tortue et aperçoit la femme au sari installée
confortablement dans le salon.
Elle est stupéfaite et commence à paniquer.
Sans leur laisser le temps de dire quoi que ce soit, Mme Tortue commence
les présentations : Hugo, voici Chapna qui habite chez moi depuis bientôt un
mois. Elle vient du Bangladesh et ne parle pas encore très bien le français… C’est
Collège Jean Charcot
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un joli nom, pas commun, Chapna. Tu sais, ça veut dire "rêve" en bengali.
La dame âgée se retourne ensuite vers la jeune femme, et, dans un anglais
parfait, lui dit : Chapna, here is Hugo. He is my young neighbour…
Enfin, d’un air jovial et convivial, elle leur annonce dans une langue hybride :
Je vais chercher du tea. En attendant, talk together.
Après un instant, hésitant, Hugo prend la parole.
Sorry for yesterday. I didn’t want to… faire peur… to you, le jeune homme a l’air de
se débattre avec les mots, I just wanted to… Ah, comment on dit ça déjà ? Faire ta
connaissance… You understand ?
Chapna fronce les sourcils, sceptique. Hugo continue tout de même d’essayer
de se faire comprendre.
What a nice sari ! s’exclama-t-il, ça me rappelle une pièce que j’ai vue avec mon
collège… You see, with my college, my teacher, my friends…
C’est sari de Dacca, ville au Bangladesh, moi je viens.
Pourquoi aujourd’hui tu vis ici ? Here ? Not in Bangladesh ?
Big accident in Dacca. Je partir vite. Plus famille, plus maison, plus travail. My job
has…cassé. BOUUM (elle mime l’explosion avec ses mains). All my friends were
killed and I stayed alone. I had to move, quickly. It was tough. Luckily for me, I met
Mme Tortue there…
Chapna éclate en sanglots. Hugo ne sait pas comment réagir, choqué. Il s’en
veut de l’avoir plongée dans cet état, d’avoir fait resurgir ses souvenirs si
tristes. Il lui tend un mouchoir en papier qu’il avait dans son sac. Chapna
le prend, sèche ses larmes et esquisse un léger sourire en constatant la
gentillesse d’Hugo.
Soudain, un grand fracas de vaisselle brisée… Puis plus rien.
Chapna et H&M accourent dans la cuisine. Mme Tortue est allongée sur le
sol, au milieu de tasses et de coupelles en morceaux. Ils lui parlent mais elle
ne répond pas. Pendant que H&M effectue les gestes de premier secours qu’il
a appris au collège - au troisième trimestre de 5eme, il s’en souvient comme
si c’était hier - Chapna lui tend le téléphone pour qu’il puisse communiquer
avec le SAMU en attendant la venue des secouristes.
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Les sapeurs-pompiers arrivés sur les lieux, les deux jeunes, paniqués,
accompagnent Mme Tortue en bas de l’immeuble, jusqu’à l’ambulance.
Elle n’a pas repris connaissance : c’est inquiétant. Les formulaires et
déclarations d’usages doivent alors être complétés par les témoins.
Hugo sort sa carte d’identité et se retourne vers la jeune fille pour qu’elle
remplisse aussi le questionnaire : elle n’est déjà plus là.
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Chapitre 5: Les saris rouges.
Un soir à la fenêtre, pour une punition
Ce fut une apparition
Ouvrière humble et jolie
Elle fuyait toujours sa vie
Et lorsqu’H&M, comme une aventure
Organise une filature
Tout en s’efforçant de la rencontrer
S’était mis à l’écouter
Son récit fini, elle a disparu
Mais lui murmurait ne la voyant plus
Bienvenue Chapna, même sans tambour
Bienvenue c’est le sésame
C’est bien fini, c’est pour toujours
De cette usine infâme
C’est à Dacca, sous les débris
Que tu as blessé ta vie
Je veux te jurer, mon amie
De soigner ton âme.
Il l’a rencontrée, elle la bengalaise
Elle a conté son histoire
Si pour lui ce n’est pas rose
Pour elle, c’est autre chose
Collège La Tourette
Scanne moi pour m’écouter sur
air.laclasse.com
24
Unis tous les deux dans l’adversité
Il leur faut garder espoir
Locaux dégradés, et travail au noir
Crimes contre l’humanité
C’est la société, qui ne tourne pas rond
Il faut que chacun entre en rébellion
Bienvenue Chapna, c’est grâce à toi
Que nous allons faire face
Loin des emplois sans foi ni loi
Tu trouveras ta place
Si à Dacca, sous les décombres
Tu as laissé des ombres
On s’est promis mon amie
De changer la vie !
25
Fin
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Dix classes de collégienset Violaine Schwartzécrivent onze nouvellesen cadavres exquis
Ce projet d’écriture collaborative entre des collégiens et un auteur est
mené sous forme de Classe Culturelle Numérique sur l’ENT laclasse.com au
cours de l’année scolaire. Des fictions s’élaborent en adaptant les règles du
cadavre exquis, ce jeu littéraire inventé par les surréalistes. L’auteur, cette
année Violaine Schwartz, écrit un prologue puis un premier chapitre dont
seules les dernières lignes sont visibles par les élèves. Puis chaque classe
poursuit cette amorce selon le même principe, de sorte qu’un texte se tisse
au fil de l’année, alternant les écrits de l’écrivain et ceux des élèves.
Lors de chaque livraison de texte, les auteurs publient également une fiche
signalétique qui rassemble des indices ou donne des pistes pour s’inspirer
et poursuivre (détails sur l’intrigue, les personnages, références littéraires,
scientifiques et artistiques).
Chaque classe joue aussi le rôle d’éditeur, se chargeant de la relecture, du
titre, de l’illustration et de la quatrième de couverture.
Cette année 300 collégiens (4è et 3è) ont écrit onze nouvelles avec Violaine
Schwartz.
Lisez les nouvelles en ligne sur air.laclasse.com
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Retrouvez toutes les nouvellesen ligne sur air.laclasse.com
Conception Christophe Monnet, Erasme Métropole deLyon et Isabelle Vio, Villa Gillet, avec ViolaineSchwartz et Marie Musset IA-IPR de LettresAcadémie de Lyon
Site web
Suivi de projet
Mise en page
Relecture Léa Rumiz - Villa Gillet
Éditeur Collége Laurent Mourguet - Classe de Mme Protières
Enseignant·e·s
air.laclasse.com développé par PatrickVincent, Erasme Métropole de Lyon
Hélène Leroy, Erasme Métropole de Lyonet Camille Soler, Villa Gillet
Ludivine Bocquier, Erasme Métropole de Lyon
Claude Arnac & Béatrice Seigneur
Imprimé à la Villa Gillet en Avril 2019
Couverture Image tirée de Pixabay
Une Classe Culturelle Numérique menée sur l’E.N.T. laclasse.com, initiée
par Erasme, laboratoire d’innovation ouverte de la Métropole de Lyon,
coréalisée avec la Villa Gillet. En collaboration avec le rectorat de l’Académie
de Lyon et la Direction Académique aux Arts et à la Culture. Avec Violaine
Schwartz, invitée à la Treizième édition des Assises Internationales du Ro-
man, un festival conçu et produit par la Villa Gillet, en partenariat avec Le
Monde et France Culture, et en coréalisation avec Les Subsistances.
Qui est donc, dans la maison de Madame Tortue, la jeune fille qui fascine autant Hugo Martinez, ce collégien peu sérieux ? Sûrement une des
femmes qui a fui les décombres du Rana Plaza, cette usine dans laquelle les ouvrières qui fabriquaient nos vêtements se sont retrouvées ense-
velies. Vêtue de ses beaux saris, elle ne se laisse plus apercevoir. Tiens, c’est comme dans la pièce que Hugo a vu avec sa classe. Mais elle disait
quoi déjà cette pièce ?
La jeune fille au sari rouge
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