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LA REFORME DE LA REGULATION DE LA FINANCE MONDIALE
La crise a engendré de vives critiques à l’égard du secteur financier. Tant les opinions
que les pouvoirs publics n’ont pas compris comment des pertes si élevées avaient pu se
produire et comment les phénomènes de contagion avaient pu faire peser des menaces sur
quasiment tous les compartiments de l’économie mondiale. Cette suspicion sur les activités a
marqué une nette rupture avec le discours dominant des 25 dernières années selon lequel la
dérégulation devait permettre la baisse des coûts de transaction, une allocation optimale des
investissements et une meilleure dispersion des risques. Il est apparu, au contraire, que le
développement des activités financières pouvait se manifester par l’opacité des risques, la
contagion rapide à d’autres secteurs, la primauté de la gestion à court terme, l’envolée des
rémunérations, l’impossibilité de séparer l’activité saine de la spéculation, voire « du sale ».
La nécessité de renforcer la régulation afférente au secteur financier a cependant dû
prendre en compte la contrainte du maintien de l’activité économique et ne pas empêcher le
secteur financier d’assurer sa fonction première qui est le financement de l’économie.
En matière de réforme de la régulation, diverses orientations se sont dégagées :
- faire évoluer les règles prudentielles en renforçant l’exigence de fonds propres sur les
activités les plus risquées, la titrisation par exemple, et en adoptant des standards
visant à accroitre le montant de ressources stables des banques ;
- atténuer la procyclicité des normes comptables ;
- prendre en compte le risque systémique ;
- rééquilibrer les incitations individuelles, notamment concernant les modes de
rémunération des opérateurs de marché qui doivent refléter la performance de long
terme des institutions ;
- améliorer la transparence des marchés et de l’information financière ;
1. Le renforcement des exigences prudentielles
Les organisations prudentielles, que sont le Comité de Bâle et le Comité européen des
superviseurs bancaires (CEBS)1, ont engagé à partir de 2008 une vaste réflexion visant à la
modernisation des normes prudentielles et au renforcement des exigences de fonds propres
afin d’améliorer la résistance des systèmes financiers aux chocs économiques. Les réflexions
se sont principalement orientées sur :
- la qualité et de la solidité des fonds propres ;
1 Ancêtre de Agence bancaire européenne (ABE)
- l’introduction de nouvelles exigences en capital pour les activités les plus risquées (la
négociation pour compte propre et la titrisation en particulier) ;
- la nécessité d’introduire une dimension contracyclique et de prendre en compte le
risque systémique.
- la mise en place de nouveaux instruments de mesure des risques bancaires
(introduction du ratio de levier et d’exigences en termes de liquidité) ;
Cette approche du Comité de Bâle a été validée lors du sommet du G20 de Pittsburgh
en septembre 2009. Les dirigeants ont alors mis l’accent sur le calendrier d’élaboration et
d’application des nouvelles normes, respectivement d’ici fin 2010 et fin 2012, ainsi que sur
l’application des futures normes par tous les membres du G20, y compris les États-Unis. Les
réformes du cadre prudentiel sont, en effet, souvent longues à être mises en œuvre2 car elles
impliquent des négociations internationales complexes où les intérêts divergents des acteurs
peuvent s’affronter et nécessitent des transpositions dans les réglementations nationales.
1.1. Les initiatives du Comité de Bâle en réponse à la crise financière
Le Comité de Bâle est l’enceinte dans laquelle sont définies les principales
dispositions prudentielles applicables aux banques3. A partir de 2007, l’activité du Comité
s’est intensifiée et a donné lieu à l’élaboration de nombreux documents dont le plus
emblématique est l’accord dit de « Bale III » conclu en septembre 2010 qui pose le cadre de la
nouvelle exigence de fonds propres que les banques doivent respecter pour conduire leur
activité.
1.1.1. L’analyse de la crise financière
Le contexte de fragilisation du secteur financier a conduit le Comité de Bâle à publier
de nombreux documents à partir de 2008 :
- le rapport Liquidity Risk: Management and Supervisory Challenges (21 février 2008)
met en évidence la diversité des régimes prudentiels et ses conséquences pour les
superviseurs, notamment pour la surveillance des groupes transfrontières ;
- le 25 septembre 2008, sont publiés les Principles for Sound Liquidity Management
and Supervision qui soulignent l’importance, pour les banques, de bien intégrer le
risque de liquidité dans leur dispositif global de gestion des risques, de mettre en place
des scénarios de crise et de détenir suffisamment d’actifs liquides pour honorer leurs
engagements ;
- les mesures destinées à renforcer la résilience des systèmes bancaires sont évoquées
en avril 2008. En sus de la gestion de la liquidité, les mesures couvrent les trois piliers
du dispositif bâlois en proposant : le renforcement des exigences opérationnelles et de
2 La réforme de Bâle II s’est ainsi échelonnée entre 1997 et 2005.
3 Les 27 pays membres du comité de Bâle sont : l’Argentine, l’Australie, la Belgique, le Brésil, le Canada, la Chine, la
France, l’Allemagne, Hong Kong SAR, l’Inde, l’Indonésie, l’Italie, le Japon, la Corée, le Luxembourg, le Mexique, les Pays-
Bas, la Russie, l’Arabie Saoudite, Singapour, l’Afrique du Sud, l’Espagne, la Suède, la Suisse, la Turquie, le Royaume-Uni et
les États-Unis.
fonds propres liées à la titrisation et au portefeuille de négociation ; l’amélioration des
dispositifs de gestion des risques des banques, notamment par la mise en place de
scénarios de crise plus sévères ; l’amélioration de la transparence dans les pratiques de
valorisation des banques ;
- en outre, le Comité a publié au mois de juin 2008, une synthèse relative à la
valorisation en juste valeur. Il est mentionné que les banques doivent disposer de
procédures de gestion et de contrôle des techniques des mesures en juste valeur et que
les superviseurs doivent examiner, dans le cadre du pilier 2, la pertinence de ces
pratiques. Dans ce contexte, le Comité de Bâle a également édicté des
recommandations en matière de valorisation, plus particulièrement concernant la
gouvernance, les dispositifs de contrôle et le reporting financier. Le Comité a
également publié fin 2008 des documents sur la qualité de l’audit externe précisant
notamment les attentes des superviseurs quant au rôle des auditeurs en matière de
contrôle des valorisations des produits financiers et de lutte anti-blanchiment.
1.1.2. – La titrisation
En matière de révision du régime de la titrisation dont le rôle dans la crise a été essentiel,
les recommandations du Comité de Bâle ont porté dans les directions suivantes :
- la première action a consisté à renforcer les exigences liées à l’utilisation des
approches fondées sur les notations externes (Rating Based Approach – RBA) ou sur
l’évaluation interne du risque (Internal Assessment Approach – IAA) pour la
détermination de l’exigence en fonds propres. La connaissance fine des expositions
sous-jacentes, de leurs caractéristiques de risques et des flux de paiements doit être
une condition préalable à leur utilisation. De même, la réalisation de simulations de
situations de crise et des conséquences possibles des concentrations de risques ont été
rendues obligatoires ;
- ensuite, des changements ont porté sur le traitement des lignes de liquidité. Ces
engagements de financement, même quand ils sont structurés à court terme,
fonctionnent en réalité comme des engagements de long terme, en raison de leur
reconduction automatique au fil des ans. C’est le cas, en particulier, des programmes
de titrisation, financés par l’émission de billets de trésorerie (Asset Backed
Commercial Paper – ABCP), qui bénéficient de garantie de refinancement des
banques sous la forme de lignes de liquidités. Ces dernières se sont vues appliquer un
facteur de conversion identique à celui prévu pour les lignes de long terme, soit 50 %
(contre 20 % précédemment). Dans le même esprit, les facteurs de conversion minorés
qui s’appliquaient aux lignes utilisables uniquement en cas de perturbation de marché,
compte tenu de leur supposée faible probabilité de tirage, ont été supprimés.
- enfin, le dernier aspect concerne les positions de re-titrisation, qui correspondent à des
participations dans des montages ayant pour sous-jacent au moins une position de
titrisation (obligations de type CDO (Collateralised Debt Obligations) par exemple,
incluant des titres représentatifs d’un portefeuille d’actifs hypothécaires – ou Asset-
backed Securities (ABS)). En raison du niveau élevé de risque associé à de telles
positions, qui s’explique notamment par l’existence de possibles corrélations
importantes des défauts, le Comité de Bâle a proposé d’appliquer une échelle de
pondération plus sévère que celle retenue pour les titrisations simples.
L’objectif du texte publié par le Comité de Bâle en juillet 2009 est de rendre cohérente
les exigences de fonds propres applicables à la titrisation avec celles relative à la distribution
classique de crédits par les banques.
Encadré 1 : Les changements intervenus au niveau européen (CRD2)
Les réflexions et réalisations intervenues au niveau du Comité de Bâle ont été transposées à l’échelon
européen. La directive dite CRD (pour capital regulatory directive) qui a instauré les accords de Bâle II a fait
l’objet de modifications importantes afin de prendre en compte les évolutions intervenues au niveau
international.
La première révision de la directive dite CRD intervenue en 2009 -CRD 2- comporte cinq principaux
volets qui sont le reflet des recommandations du Comité de Bâle :
1 - dans le cadre de la surveillance prudentielle des groupes transfrontaliers, la coopération entre autorités de
supervision, notamment des collèges de superviseurs, est généralisée. Cette coopération, porte sur
l’ensemble des activités prudentielles. Elle doit notamment permettre de parvenir à des décisions conjointes
pour l’application du pilier 2 tant au niveau consolidé qu’au niveau individuel ;
2 - le traitement des instruments hybrides (c’est-à-dire comportant à la fois des caractéristiques de capital et
de dette) éligibles en fonds propres de base est mieux encadré. Trois critères d’éligibilité sont ainsi définis,
fondés sur le caractère essentiellement non daté des instruments, sur la possibilité, pour l’émetteur, en cas de
difficultés financières, d’annuler le paiement des coupons, enfin, sur la capacité d’absorption des pertes, en
continuité d’exploitation comme en liquidation. Ces critères sont complétés par des limites inclusives : 15 %
pour les instruments dits innovants (c’est- à -dire comportant une forte incitation au remboursement via
notamment l’existence d’un saut de rémunération), 35 % pour les instruments non innovants et 50 % pour
ceux convertibles en actions en cas de crise. Par ailleurs, le périmètre des instruments susceptibles d’être
assimilés au capital est précisé, avec notamment l’introduction d’une condition selon laquelle ceux-ci
doivent être pari passu avec les actions ordinaires en continuité d’exploitation comme en liquidation ;
3 - le régime dit des « grands risques », qui conduit à limiter l’exposition d’une banque sur une même
contrepartie (ou un ensemble de contreparties liées) à 25 % de ses fonds propres est, d’une part, simplifié, au
travers notamment d’une réduction du nombre de dispositions optionnelles, d’autre part, renforcé, avec une
mesure du risque prenant davantage en compte le montant maximal auquel la banque peut être exposée.
Ainsi, cette approche conduit en général à retenir les éléments de hors-bilan représentatifs d’une garantie ou
d’un engagement de financement pour leur montant nominal (les cas d’utilisation de « facteurs de
conversion » ayant été réduits). Cette évolution impactera notamment les expositions interbancaires qui font,
pour l’heure, l’objet d’une pondération soit graduelle, en fonction de leur maturité (0 %, 20 % ou 50 %), soit
forfaitaire (20 %). Une mesure d’assouplissement est toutefois prévue pour les plus petits établissements.
Enfin, la limite globale, qui plafonne le montant des grands risques à huit fois les fonds propres, est
supprimé.
4 - le traitement de la titrisation est modifié sur quatre points.
Le caractère significatif du transfert de risque (qui constitue l’un des critères à respecter pour l’application
du régime de la titrisation) est précisé, celui-ci devant être apprécié sur la base soit d’un seuil forfaitaire de
50 % assis sur les risques pondérés associés aux tranches mezzanines, soit d’un calcul en capital
économique démontrant que le transfert du risque est proportionné à l’allègement en capital réglementaire.
Le traitement des lignes de liquidité est renforcé, avec une approche plus conservatrice des facteurs de
conversion (les facteurs préférentiels appliqués aux lignes de liquidité activables en cas de perturbation de
marché sont supprimés et, dans le cadre de l’approche standard, un facteur uniforme de 50 % est retenu,
quelle que soit la maturité de l’engagement de financement).
Une analyse interne des risques liés aux portefeuilles sous-jacents doit par ailleurs compléter l’utilisation de
notations externes, les positions en question étant à défaut déduites des fonds propres (ou pondérés à 1 250
%).
Enfin, une rétention de 5 % au minimum des intérêts économiques liés à une opération de titrisation est
exigée de l’originateur ou du sponsor, afin d’assurer une meilleure cohérence entre ses incitations et celles
des investisseurs, notamment en termes de sélection et de suivi des crédits sous-jacents.
5 - des dispositions viennent enfin renforcer la gestion du risque de liquidité. Les établissements ont
notamment incités à mettre en place des indicateurs et des limites prenant en compte tous les flux de
trésorerie des éléments du bilan et du hors-bilan, des stress tests (idiosyncratiques, de marché et une
combinaison des deux), ainsi que des plans de continuité. Les établissements doivent, par ailleurs, veiller à
disposer en permanence d’un volume suffisant d’actifs liquides.
1.1.3. - Révision des exigences applicables aux activités du portefeuille de négociation
Lors du déclenchement de la crise financière, la surveillance prudentielle des risques
de marché demeurait largement fondée sur le dispositif de 1996 qui permettait aux
établissements de recourir à des modèles internes aux fins de calcul de leurs exigences en
fonds propres réglementaires. Ce dispositif est apparu de moins en moins adapté face à la
présence croissante de produits de crédit complexes et à la liquidité incertaine dans les
portefeuilles de négociation.
Le Comité de Bâle a publié le 16 janvier 2009 un projet de révision du cadre
prudentiel de surveillance des risques de marché et une proposition d’exigence additionnelle
de fonds propres au titre des risques du portefeuille de négociation, dite Incremental Risk
Charge (IRC). Cette exigence additionnelle résulte de la nécessité d’aller au-delà de la seule
capture du risque de défaut et introduit une exigence au titre du risque de migration des
notations des contreparties.
Par ailleurs, le Comité de Bâle a proposé d’appliquer aux positions de titrisation
enregistrées en trading book une exigence de fonds propres similaire à celle appliquée aux
positions de titrisation enregistrées en banking book. Ce nouveau traitement concerne
l’ensemble des établissements soumis à une exigence au titre des risques de marché, qu’ils
soient en approche standard ou en approche de type « Value at Risk ».
En outre, le Comité de Bâle a proposé de fixer de nouvelles exigences en matière de
VaR mesurée par les banques en requérant de ces dernières qu’elles calculent, outre leur
VaR usuelle, une VaR sur des paramètres dits « stressés », destinée à mieux prendre compte
des pertes potentielles dans un environnement contraire. Cette VaR « stressée » implique des
exigences en capital additionnelles à celles découlant de la VaR usuelle. Enfin une exigence
additionnelle découle de la mesure des risques de crédit issus des activités de trading de
corrélation « CRM (Comprehensive Risk Measure) ».
Au total, l’ensemble des modifications apportées conduit à une hausse des exigences
de fonds propres au titre des risques de marché. Cet ensemble de mesures parfois appelé
Bâle 2,5 constitue un durcissement significatif des conditions dans lesquelles les
établissements financiers exercent leur activité.
Encadré 2 : La directive européenne dite CRD3 et la garantie des dépôts
La deuxième révision intervenue début 2010 (CRD 3) transposant la proposition IRC du Comité de Bâle a
concerné les éléments du portefeuille de négociation. Par ailleurs, une nouvelle série de modifications a été
adoptée le 11 octobre 2010 introduisant des règles supplémentaires sur la titrisation (augmentation des exigences
de fonds propres pour les opérations de retitrisation, renforcement de la surveillance pour les opérations
complexes, exigences accrues de transparence) et sur les politiques de rémunération. Concernant celles-ci, les
établissements resteront responsables de la conception et de leur propre politique de rémunération mais la
directive préconise :
- que la rémunération variable due sous forme de liquidités et versée d’avance soit plafonnée à 30% du
bonus total et à 20% pour les montants élevés ;
- qu’entre 40 et 60% des bonus doivent être reportés et ne soient pas dus si les investissements effectués
ne produisent pas les résultats escomptés ;
- qu’au moins 50% du total de la rémunération variable soit payée sous forme de capital conditionnel et
d’actions ;
- que le texte couvre les indemnités de départ à la retraite.
Enfin, s’agissant de la garantie des dépôts, la directive 2009/14/CE du Parlement européen et du Conseil
du 11 mars 2009 modifie la directive 94/19/CE en ce qui concerne le niveau de garantie et le délai de
remboursement. La directive augmente le montant minimal garanti pour l’ensemble des dépôts d’un même
déposant qui est porté dans un premier temps à 50 000 euros (au lieu de 20 000 euros). Ce montant a ensuite été
fixé à 100 000 euros au 31 décembre 2010. Le délai de remboursement, actuellement de trois mois et pouvant
être étendu à neuf mois, est réduit à vingt jours ouvrables.
1.1.4. - Autres questions traitées par le Comité de Bâle.
Le comité a publié des directives et des documents d’études sur d’autres sujets soit
déjà abordés par le passé mais actualisés à la lumière de la crise actuelle soit qui n’avait pas
encore fait l’objet de son attention. Sans être exhaustif, on peut citer des recommandations
relatives à la gouvernance des institutions, aux véhicules de hors bilan (Spécial Purpose
Véhicule), à la résolution des crises impliquant des établissements ayant une activité
transfrontière, au fonctionnement des collèges de superviseurs, à la mise en œuvre du back
testing des modèles de risques de crédit, aux modes de rémunérations adoptés dans les
établissements et à la définition d’un coussin de capital contra cyclique.
L’ensemble de ces travaux ainsi que la réforme de Bâle III constituent le paquet de la
réforme de la régulation bancaire résultant du mandat fixé par le G20 à Londres et à
Pittsburgh.
1.2. L’élaboration du nouveau dispositif de Bâle III
Le Comité de Bâle a publié le 17 décembre 2009 un ensemble de propositions de
renforcement de la réglementation prudentielle visant notamment à améliorer la résilience du
système financier face à des situations de crise.
1.2.1. Les mesures de renfoncement de la réglementation prudentielle publiée fin 2009
Cet ensemble de mesures, qui a été soumises à consultation lors du premier semestre
2010, a constitué un durcissement significatif des conditions dans lesquelles les
établissements financiers exercent leur activité. Les principaux points de ce qui deviendra par
la suite la réforme Bâle III sont les suivants :
1 - Tout d’abord, le Comité souhaite harmoniser au niveau international la définition
des fonds propres réglementaires et renforcer la capacité d’absorption des pertes des
établissements de crédit en augmentant, notamment, la qualité des instruments éligibles en
fonds propres. En effet, faute d’une définition commune et en raison de la présence, dans les
fonds propres réglementaires, d’éléments non purs, présentant notamment un caractère de
dettes comme les emprunts subordonnés ou les actions de préférence, les marchés se sont
détournés de l’examen du ratio de solvabilité global au profit du ratio de fonds propres de
base (tier 1) ou de notions non réglementaires comme le core tier 1 (qui comprend
uniquement les droits attachés aux actions ordinaires).
Dans cet esprit, le Comité propose de simplifier la structure des fonds propres, deux
grandes catégories subsistant :
- les fonds propres de base (Tier 1), permettant d’absorber les pertes en continuité
d’exploitation ;
- les fonds propres complémentaires (Tier 2), permettant d’absorber les pertes en
situation de liquidation.
La catégorie des fonds propres surcomplémentaires (Tier 3), destinés à la couverture
des risques de marché, serait, elle, supprimée.
Au sein des fonds propres Tier 1, il est fait une distinction entre un « noyau dur » ou
Core Tier 1, composé des actions ordinaires, des réserves et du report à nouveau et les autres
éléments non admis en Core Tier 1, tels les actions de préférence, non incluses dans le noyau
dur, car susceptibles de distribuer un dividende même en cas de situation difficile. En outre,
pour être admissible en Core Tier 1, tous les éléments doivent remplir certaines conditions :
ils doivent être subordonnés, non datés, sans incitation de rachat et prévoir une flexibilité
totale des paiements.
Les instruments admis en Tier 2 doivent tous respecter un seul ensemble de
conditions, en particulier être subordonnés aux créances ordinaires, ainsi que présenter une
maturité initiale d’au moins 5 années. De même, les ajustements réglementaires,
principalement les éléments venant en déduction des fonds propres, doivent être harmonisés et
appliqués au seul niveau du Core Tier 1 et non, comme auparavant, à hauteur de 50 % sur le
Tier 1 et de 50 % sur le Tier 2. Ces ajustements consistent à déduire des fonds propres des
éléments tels que les actifs incorporels (écarts d’acquisition ou Goodwill par exemple), les
participations détenues dans les banques, établissements financiers ou compagnies
d’assurance, les impôts différés actifs.
Une problématique particulière a concerné les établissements ayant une forme
coopérative et mutualiste. La définition envisagée des fonds propres « durs » conduisait à ne
plus classer les titres de capital des banques coopératives et mutualistes, que sont les parts
sociales et les certificats coopératifs en capital « Core Tier One ». En outre, le fait de déduire
les intérêts minoritaires dans les participations était également défavorable aux banques
coopératives et mutualistes dont la structure de groupe repose fréquemment sur des
participations croisées des banques régionales dans l’organe central et inversement.
2 - Le deuxième aspect des propositions du Comité traite du renforcement de la
couverture du risque de contrepartie, né des activités sur instruments dérivés, des opérations
de pension et des opérations sur titres. L’objectif est ici d’accroître les exigences de fonds
propres par la prise en compte de données stressées et des pertes potentielles liées aux
ajustements de valorisation des instruments, ainsi que par le traitement plus prudent des
accords de netting collatéraux et autres instruments de couverture. Le risque systémique
associé à ces activités est également davantage pris en compte, en incitant les établissements à
passer par des contreparties centrales pour le traitement de ces opérations.
3 - La troisième mesure présentée est l’introduction d’un ratio d’endettement, ou
leverage ratio, rapportant les fonds propres au total des expositions sans pondération des
risques, qui serait complémentaire au ratio de solvabilité. Le ratio d’endettement répond aux
critiques de l’utilisation par les banques de leur propre modèle pour déterminer leurs actifs
nets pondérés et l’exigence de capital correspondante. Afin d’assurer la comparabilité du
ratio, sa définition doit être harmonisée et son calcul tenir compte des différences existant
entre référentiels comptables. Il doit également inclure les activités de hors bilan, qui, à la
lumière de la crise, se sont révélées être une source importante d’effet de levier.
4 - Le quatrième aspect des propositions cherche à remédier aux tendances
procycliques du système financier en préconisant :
-la mise en place d’un provisionnement prospectif comptable. Ce sujet nécessite une
étroite collaboration avec l’International Accounting Standards Board (IASB), afin de
promouvoir un provisionnement fondé sur un modèle de pertes attendues résultant de
la prise en compte des probabilités de défaut (PD) associés aux expositions des
banques ;
- l’instauration de deux coussins de capital. Le premier, dit de conservation
(conservation buffer), fixe un ratio cible supérieur au ratio réglementaire qui, faute
d’être atteint, conduit à des restrictions en matière de distribution des dividendes ou de
rachats d’actions. Le second coussin, macroprudentiel, voit son montant évoluer en
fonction de variables macroéconomiques ; il est conçu comme une mesure de
contracyclicité souple, en dehors du pilier 1, à la disposition du superviseur. Par
ailleurs, le Comité formule des propositions pour mieux utiliser les notations externes,
incluant l’obligation pour les établissements de conduire leur propre analyse interne du
risque.
5 - un autre aspect essentiel du renforcement des exigences prudentielles concerne
l’amélioration de la gestion du risque de liquidité. Le Comité propose la mise en place d’un
dispositif quantitatif, sous la forme de deux ratios harmonisés au niveau international :
- Un ratio de liquidité à court terme (1 mois) exige la détention d’actifs liquides de très
grande qualité, à hauteur d’un montant déterminé à partir d’un scénario de stress
combinant des éléments de choc systémique et des éléments de choc spécifique ;
- Un ratio structurel de transformation (à horizon 1 an) exige un certain niveau de
ressources stables comparées aux actifs longs et, ce, afin de limiter les stratégies de
transformation excessive. La mesure comporte des pondérations graduées appliquées
aux éléments du numérateur (ressources plus ou moins stables) et du dénominateur
(actifs plus ou moins liquides). Dans le projet initial, il était prévu que certains
paramètres de ces ratios puissent rester du ressort de chaque juridiction nationale, afin
de prendre en compte les spécificités des marchés locaux.
En outre, le Comité proposait également la mise en place d’outils de contrôle
harmonisés du risque de liquidité à l’usage des autorités de supervision, afin que celles-ci
aient toujours à leur disposition une batterie d’indicateurs quantitatifs sur la situation des
établissements comprenant les impasses de liquidité, la concentration des ressources, les actifs
non grevés disponibles et l’état des marchés. Les travaux du Comité ont également porté sur
la mise en œuvre d’approches pratiques pour réduire la probabilité et l’impact d’une
défaillance d’un établissement systémique. Le Comité de Bâle évalue notamment les
avantages et inconvénients relatifs à une exigence additionnelle de fonds propres pour les
établissements systémiques, des exigences additionnelles en matière de liquidité ou d’autres
mesures prudentielles.
Ces propositions ont ouvert une phase de consultation de la profession dans la
première moitié de 2010. Les banques françaises ont estimé que le nouveau système risquait
de mettre en danger le financement de l’économie. Plus généralement, les établissements
européens craignaient de se voir imposer des règles prudentielles excessives et de devoir
mobiliser des ressources en fonds propres supérieures à celles exigées aux États-Unis.
Les principales critiques de la profession bancaire sur le projet ont porté sur :
- le caractère simpliste du leverage ratio qui ne traduit pas la réalité des risques ;
- les contraintes liées aux nouvelles normes de liquidité, qui ne prennent pas en compte
l’éligibilité de certains actifs au refinancement des banques centrales, et sont
particulièrement pénalisante pour les établissements actifs dans les activités de Banque
de Financement et d’Investissement (BFI) ;
- la prise en compte des fonds propres hybrides pendant une période de transition qui
fragilise le système ;
- le système trop simpliste de déductions des participations (intérêts minoritaires) et le
caractère trop conservateur de la mesure du risque de contrepartie.
Pour les banques françaises, le point critique du nouveau dispositif concernait les
nouvelles normes de liquidité sachant que le système bancaire français se caractérisait
schématiquement par 1 900 milliards d'euros de crédits pour plus de 1 500 milliards d'euros
de dépôts. Alors que l’impasse de 400 milliards d'euros est levée sur les marchés, le ratio de
liquidité, dans sa première version, impliquait de détenir pratiquement autant de dépôts que de
crédits. Ceci constituait une forte contrainte dans un contexte où les dépôts, en France, ont
tendance à être relativement faible en France en raison de l’attractivité de l’assurance-vie et
de facteurs fiscaux spécifiques relatifs, par exemple, au livret A et au Livret de
développement durable dont les encours sont centralisés à hauteur de 65 % des montants
transférés à la Caisse des dépôts.
1.2.2. Les accords de Bâle III
1.2.2.1. Une nouvelle définition des fonds propres
Le 27 juillet 2010, le Comité de Bâle a précisé la définition des fonds propres après six
mois de consultation. Plusieurs assouplissements ont été introduits par rapport au texte initial.
Ainsi, le retrait systématique des intérêts minoritaires (qui concernait notamment les groupes
mutualistes) n’est pas retenu. Il a été concédé que les participations financières ne soient
déduites des fonds propres que pour la part excédant 10% des fonds propres. Par ailleurs, la
mise en place du ratio de levier, fixé à 3 %, a été reportée à l’issue d’une période
d’observation allant jusqu’en 2018. Les ratios de liquidité voient également leur application
reportée à 2018 et il est annoncé que leur calibrage doit être revu afin notamment de prendre
en compte la stabilité des activités pratiquées.
Le niveau cible de l’exigence de fonds propres (pour le Core tier 1, le Tier 1 et les
fonds propres globaux) a fait l’objet d’une réflexion supplémentaire. L’étendue de la
fourchette (4-8%) possible était, en effet, particulièrement large et avait conduit l’Allemagne
à ne pas signer l’accord en juin 2010.
Mi-septembre 2010, le comité de Bâle sur la supervision bancaire a finalisé le
dispositif dit "Bâle III". Ce dispositif a ensuite été approuvé par le G20 de Séoul en décembre
2010.
Les nouvelles règles de Bâle III en matière de fonds propres consistent à respecter les
seuils suivants :
- la composante actions ordinaires et assimilées du Tier 1 (T1) correspondant au
concept de Core tier 1 doit, à tout moment, être au moins égale à 4,5 % des actifs
pondérés à partir de 2015 ;
- le Tier 1 (T1) doit, à tout moment, être au moins égal à 6,0 % des actifs pondérés ;
- le total des fonds propres (T1 plus T2) doit, à tout moment, être au moins égal à
8,0 % des actifs pondérés.
Ces exigences sont, en outre, assorties de l’obligation de constituer un coussin de
précaution (conservation buffer) de 2,5%. Contrairement à un ratio prudentiel, ce coussin peut
ne pas être respecté en permanence, situation qui engendre cependant des restrictions en
matière de distribution de dividendes, l’objectif étant alors de forcer les établissements à
affecter leurs résultats au renforcement des fonds propres.
Le nouveau dispositif accorde cependant au secteur des délais conséquents de mise en
œuvre ; les banques ont, en effet, jusqu'en 2015 pour porter le ratio « Core tier 1 », à 4,5 % de
leur total de bilan, et jusqu'à 2019 pour constituer le coussin de précaution" de 2,5 %.
Toutefois, les banques internationales les plus importantes sont assujetties à une « surcharge »
supplémentaire de fonds propres en plus des règles de Bâle III destinées à financer le
sauvetage éventuel d'un groupe jugé d'importance « systémique » (voir 9.3.2).
Enfin de façon explicitement macro-prudentielle, la reforme de Bâle III a prévu la
mise en place d’un coussin contra-cyclique (conter-cyclical buffer) d’un maximum de 2,5%
dont le déclenchement serait à l’initiative du superviseur national mais s’appliquerait à
l’ensemble du secteur. L’objectif est de lutter contre les phénomènes de surchauffe et de
bulles financières. Ce coussin contracyclique a vocation à être activé en fonction d’une
batterie d’indices considérée comme pertinents par le superviseur. La référence du ratio
« crédit/PIB » a souvent été évoquée mais n’a finalement pas été retenue en raison des risques
de signaux négatifs que son utilisation pourrait donner. Au final, il a été convenu que le
jugement des Autorités ne soit pas mécanique mais puisse prendre en compte tous les
indicateurs susceptibles d’être pertinents.
1.2.2.2. De nouvelles exigences en matière de liquidité et de levier
Des exigences strictes en matière de fonds propres sont indispensables mais un niveau
de liquidité adéquat est également important. Face à l’absence d’harmonisation internationale
dans ce domaine, le Comité de Bâle a donc mis en place des normes de liquidité qui
n’existaient que dans certains pays (dont la France). Avant la crise, les financements,
disponibles étaient abondants et à faible coût. Le retournement brutal de la situation a montré
que l’assèchement de la liquidité pouvait être rapide et durable ; le système bancaire s’est
trouvé soumis à de vives tensions, qui ont obligé les banques centrales à intervenir pour
assurer le bon fonctionnement des marchés monétaires et, parfois, soutenir certains
établissements. Pour compléter les principes de saine gestion de la liquidité, le Comité a
élaboré deux normes minimales. La première est de favoriser la résilience à court terme du
profil de risque de liquidité d’une banque en veillant à ce qu’elle dispose de suffisamment
d’actifs liquides de haute qualité pour surmonter une grave crise qui durerait 1 mois. Le
second objectif est de promouvoir la résilience à plus long terme afin que les banques
financent leurs activités au moyen de sources structurellement plus stables. Ces deux ratios
(voir détail de la transposition européenne CRD IV) se composent essentiellement de
paramètres spécifiques « harmonisés » au plan international, dont la valeur a été soit,
généralement, fixée de façon contraignante, soit, pour certains, laissée à la discrétion de
l’autorité de contrôle nationale, afin de refléter les conditions propres à chaque juridiction.
L’introduction d’un ratio de levier rapportant les fonds propres au total de bilan et du
hors-bilan vise à remédier à la situation de banque ayant eu recours à un endettement excessif
tout en affichant des ratios de solvabilité élevé (Lehman brothers affichait fin 2007 un ratio
Tier 1/Actifs nets pondérés Bâle II de 9,3% et un ratio de levier de 3,1%). La prise de distance
par rapport aux approches fondées sur les risques s’explique notamment par les incertitudes et
les possibilités d’arbitrage réglementaire entourant l’usage des modèles pour déterminer
l’exigence de fonds propres et par la pondération des titres d’État, à 0% en approche standard
et très proche de ce seuil dans les approches avancées. Un long délai d’application a été prévu
pour l’entrée en vigueur du ratio de levier qui doit devenir une norme à respecter seulement
en 2018 même si sa publication à titre indicatif est obligatoire à partir de 2015.
Ratio de levier : Tier 1 / Total Expositions (Bilan + Hors Bilan)> 3%
Ce ratio, par sa simplicité, est celui qui permet le mieux des comparaisons
internationales sous la réserve importante des différences de normes comptables applicables
en matière de dérivés notamment. Les normes comptables américaines offrent, en effet, la
possibilité de présenter en valeur nette au bilan des opérations de pensions livrées
(repo/reverse Repo) ou de produits dérivés avec du collatéral en espèces, dès lors qu’elles
sont couvertes par un accord de compensation (master netting agreement). Au contraire, dans
les comptes établis selon les normes IFRS, les actifs et passifs financiers sont présentés sur
une base brute au bilan et la compensation ne s’applique normalement pas4. L’entrée en
vigueur d’EMIR (European Market Infrastructure Regulation), qui a rendu obligatoire pour
les dérivés de gré à gré standards la compensation via des contreparties centrales, conduit
certes à l’accroissement des positions compensées mais les distorsions comptables ont conduit
le régulateur à revoir le dispositif initial. Afin de parvenir à des règles homogènes, le Comité
de Bâle a finalement autorisé début 2014 sous conditions les banques à comptabiliser en
valeur nette (netting) une grande partie de leurs risques de contreparties. Cette harmonisation
des conditions de présentation entre les banques américaines et européennes était nécessaire
dans la mesure où le ratio de 3 % constituait une contrainte très difficile à remplir pour
certaines banques européennes (Crédit Agricole et Société Générale par exemple).
1.2.2.3. Les conséquences de Bâle III
En 2010, les nouvelles règles de solvabilité des banques ont été plutôt bien accueillies
en raison des délais assez longs laissés aux établissements les moins bien capitalisés. À
l'horizon 2012, retenu par la majorité des analystes pour simuler l'effet Bâle III, la situation
semblait, en effet, gérable. Sur l'échantillon de 49 banques européennes cotées, le respect d'un
ratio de 7 % requerrait 27 milliards d'euros de capital supplémentaire, tandis qu'il aurait fallu
55 milliards pour un ratio de 8 %. Par exception, en Allemagne, la Commerzbank, dont le
capital tier one était de mauvaise qualité, aurait affiché un ratio de fonds propres durs sous
Bâle III de 2,8 %. Tandis que la Fédération bancaire française (FBF) jugeait que le nouveau
régime de Bâle III constituait « une contrainte forte qui pèsera inévitablement sur le
financement de l'économie et notamment le volume et le coût du crédit », la publication de
l’accord de Bâle III a logiquement reçu le soutien des principaux responsables des questions
monétaires et financières. Le président du comité de Bâle, Nout Wellink, a ainsi considéré que
l'accord conclu en septembre 2010 sur les nouvelles normes prudentielles internationales était
"un pilier", qui contribuera "à produire un système bancaire et financier bien plus solide". Le
président de la BCE, Jean-Claude Trichet, a estimé pour sa part que l'accord de Bâle III
assurait un bon équilibre entre le renforcement des bilans et le maintien de la capacité des
banques à prêter. Enfin, Dominique Strauss-Kahn, directeur général du Fonds monétaire
international (FMI), a déclaré que « la nouvelle réglementation bancaire dite Bâle III va dans
le bon sens mais elle doit être complétée par un renforcement de la supervision des banques ».
Il est vrai que les normes de fonds propres ne sont pas tout, ne serait-ce que par la possibilité
qu’ont les établissements de réduire leur exposition aux dates de détermination des ratios. Ces
pratiques remontent à la mise en place du ratio Cooke et concernent l’ensemble des normes
prudentielles qu’elles aient trait à la solvabilité, à la concentration des risques, à la liquidité et
plus récemment à la taille de bilan qui est un indicateur extrêmement suivi par les agences de
notation. Les ratios ont l’immense défaut de n’être que des photos à un instant donné et ne
traduisent pas forcement le profil véritable de l’activité qui dans certains domaines (activités
de marchés) peut être modifié très significativement d’une journée sur l’autre.
La publication des règles de Bâle III a ouvert le chantier de la transposition du
nouveau cadre prudentiel dans les différentes juridictions. Celle-ci peut, en effet, être
extrêmement longue dans des pays comme les États-Unis ou l’Union Européenne et
rencontrer des obstacles susceptibles de remettre en cause l’esprit, voire l’essence même, de la
réforme qui vise précisément à mettre tous les établissements à égalité dans la concurrence
internationale. Comme tout accord multilatéral, les décisions du Comité de Bâle résultent, en
4 Les seules exceptions à la non compensation correspondent aux situations dans lesquelles l’entité a un droit
juridiquement exécutoire de compenser l’actif et le passif et a l’intention de compenser soit en réglant le
montant net, soit en réalisant l’actif et en réglant le passif simultanément. Si le droit n’est que conditionnel (lié à
la défaillance de la contrepartie ou à la réalisation d’un évènement futur), la compensation n’est pas admise.
effet, d'un compromis. Certains pays, comme l'Allemagne, ont cherché à assouplir le
dispositif, tandis que d'autres, notamment les États-Unis, le Royaume-Uni et la Suisse étaient
favorable à des règles encore plus strictes. Juste après la publication de l’accord, les
divergences d’appréciation ne se sont d’ailleurs pas fait attendre. D'un côté, le régulateur
canadien, dont les banques avaient très bien traversé la crise, a pris acte du soulagement
ambiant en annonçant immédiatement l'abandon des restrictions qu'il avait imposées sur les
dividendes et les rachats d'actions. À contrario, d'autres régulateurs ont dit envisager une
attitude plus ferme d'autant que Bâle III prévoit la mise en place, au-delà du plancher
réglementaire, d'un coussin de capital « contracyclique » dont l'épaisseur est laissée à leur
appréciation en fonction des circonstances nationales. Ainsi, la Suisse, dont le secteur
bancaire pèse huit fois le PIB, envisageait de soumettre UBS et Crédit Suisse à des normes
plus exigeantes, comme elle l'avait fait avec Bâle II. De même, la China Banking Regulatory
Commission (CBRC) planifiait en juillet 2010 de relever sensiblement les ratios prudentiels
du secteur bancaire. Le ratio d'adéquation des fonds propres core tier one passerait à 6 % des
actifs pondérés, le ratio tier one à 8 % et le ratio total de solvabilité à 10 %.
On peut aussi penser que le relèvement décidé à Bâle a été significativement amoindri
par l’action de lobbying des banques qui ont sans cesse répété que des règles trop dures en
termes d’exigences de fonds propres réduiraient leur capacité à prêter aux entreprises et aux
particuliers, et donc à financer l'économie et la croissance.
Enfin, les règles de Bâle III sont demeurées particulièrement peu exigeantes
concernant les engagements sur les États et peuvent constituer une incitation à l’endettement
de ces derniers. En effet, les banques étant tentées de minimiser leurs " actifs pondérés du
risque " (le dénominateur du ratio de solvabilité), elles pourraient avoir tendance à favoriser
les obligations souveraines au détriment d'autres actifs. La question des expositions
souveraines est venue assez rapidement à l’ordre du jour à l’occasion de la crise de la zone
euro qui a mis en lumière la relation qui peut exister entre risque souverain et risque bancaire.
1.3. La transposition de Bâle III en Europe : la CRD IV
1.3.1. Transposition et points particuliers
Les autorités européennes ont publié le 17 juillet 2013 le paquet CRD IV, qui
comprend une directive (Capital requirement directive-CRD) et un règlement (Capital
requirement regulation – CRR), transposant les dispositions de Bâle III à compter du
1er janvier 2014. Le règlement, qui reprend toutes les exigences prudentielles de nature
quantitative applicables aux banques européennes, est le texte le plus long de l’histoire de la
construction européenne ce qui témoigne de l’importance de la régulation des banques dans la
poursuite du projet européen. Le choix d’un règlement est, d’ailleurs, une innovation qui
permet de supprimer l’étape constituée par les transpositions nationales et garantit une
meilleure harmonisation dans la mesure où les options nationales sont désormais plus limitées
(mais non supprimées). Pour préciser les modalités d’application des dispositions du
règlement, l’EBA a été mandaté pour élaborer des projets de standards techniques (Regulatory
Technical Standards –RTS- et Implementation Regulatory Standards-ITS)) visant à préciser
les modalités d’applications des règles contenues dans le règlement.
Les principales problématiques liées à la transposition de Bâle III dans l’Union
européenne sont exposées ci-après.
En plus des coussins de conservation et contracyclique, La CRD IV a introduit un
coussin de risque systémique à ne pas confondre avec la surcharge pesant sur les grandes
banques systémiques (G-SIFIs) définies par le comité de Bâle le 4 novembre 2011. Ce
coussin, compris entre 0 % et 5 %, et fixé par les autorités nationales, sachant qu’au-delà d’un
certain seuil, la décision devra être confirmée par les autorités européennes, vise à prévenir les
risques macroprudentiels et non cycliques de long terme, non couverts par les dispositions du
règlement dit CRR ou de la directive. Cette exigence reste une discrétion nationale qui
n’entre, ni dans le champ du pilier 1, ni dans le champ du pilier 2 et peut s’appliquer de façon
discrétionnaire aux institutions d’une même juridiction.
La CRD IV a également renforcé les pouvoirs de sanctions à l’encontre des personnes
physiques (dirigeants, membres de conseil d’administration ou de surveillance) et a introduit
un dispositif d’alerte éthique dont l’objet est d’encadrer le signalement des infractions aux
autorités compétentes en protégeant notamment le donneur d’alerte à qui est accordé une
garantie de confidentialité. Pour rétablir la confiance des citoyens européens envers le secteur
financier, le paquet CRD IV prévoit aussi l’encadrement des rémunérations des dirigeants
(limitation de la part variable, renforcement du comité des rémunérations, restriction en cas
d’aide d’État) et une transparence renforcée avec la publication « pays par pays » des
bénéfices réalisés, des impôts payés et des subventions reçues.
La CRD IV s’est éloignée de certaines dispositions de Bâle III notamment concernant
la déduction des participations dans les sociétés d’assurances. L’existence du régime de
supervision spécifique des conglomérats financiers a rendu possible l’utilisation, sur option
nationale, d’une pondération en risques des participations significatives dans les sociétés
d’assurance alors que Bâle III prévoyait leur déduction des fonds propres (après application
d’une franchise correspondant à 10 % des fonds propres). Cette situation bénéficie d’ailleurs
au premier chef aux groupes bancaires français qui ont développé des activités de
bancassurance significatives.
Pour favoriser le financement de l’économie, un ajustement à la baisse de la
pondération des expositions sur les Petites et Moyennes Entreprises (PME) a été introduit à
l’article 501 du CRR constituant une mesure purement européenne. En contrepartie, un
ajustement sur les expositions des institutions financières a été introduit.
Le principal point de critique de la transposition européenne a été le maintien de la
possibilité d’une pondération de risque zéro pour les dettes souveraines émises en monnaie
nationale. Enfin, il a souvent été relevé que la suppression des filtres prudentiels dans CRD IV
allait accentuer la volatilité des capitaux propres.
1.3.2. La définition des fonds propres bancaires dans le règlement européen
Conformément aux principes du comité de Bâle, les fonds propres comprennent deux
grandes catégories dénommées Tier 1 et Tier 2.
Le Tier 1 a vocation à absorber les pertes pouvant survenir dans une perspective de
continuité d’exploitation alors le Tier 2 (essentiellement des dettes subordonnées d’une durée
minimale de 5 ans sans clause de step-up5) vise à faire face aux obligations financières en cas
de liquidation.
Le Tier 1 comprend le capital, les bénéfices non distribués, les réserves et le fonds de
réserve bancaire général ainsi que les gains et pertes latents directement comptabilisés en
capitaux propres et les intérêts minoritaires. Les autres éléments de Tier 1 (non inclus dans les
fonds propres dits « durs » ou CET1) ont un rang de subordination inférieur aux fonds propres
de catégorie 2 en cas d’insolvabilité et comprennent notamment les actions de préférence qui
donnent droit à un dividende prioritaire mais sont dénués du droit de vote. Entrent également
dans cette catégorie, les titres contingents (convertible bonds ou Cocos) pour lesquels le
principal est réduit ou converti en CET 1 lors de la survenance d’un évènement déclencheur
(ratio CET1 fixé contractuellement avec un minimum de 5,125% par exemple).
Sont déduits des fonds propres Tier 1 :
- les actions ou instruments auto-détenus ;
- les « écarts d’acquisition (Good Will) et autres actifs incorporels ;
- les participations en CET 1 détenues dans les entreprises à caractère financier (sous
réserve de certaines franchises) ;
- les impôts différés actifs dépendant de bénéfices futurs ;
- les insuffisances de provisions par rapport aux pertes attendues ;
- d’autres éléments comme les actifs de fonds de pension à prestations définies, les
éléments de titrisation s’ils ne font pas l’objet d’une pondération à 1 250%.
5 Les clauses de step-up consistent à prévoir la possibilité d’une augmentation de la rémunération après un certain nombre
d’années ce qui constitue une incitation forte au remboursement anticipé et entraine une volatilité potentielle des fonds
propres.
Il a été introduit le principe de déduction des éléments en priorité sur le CET1 et non
plus selon des règles de type 50/50 entre le Tier 1 et le Tier 2. Enfin, les filtres prudentiels,
qui avaient été introduit en Europe suite à l’entrée en vigueur des normes IFRS et visant à ne
pas prendre en compte dans les fonds propres certains gains latents non sécurisés, ont été,
pour l’essentiel, supprimés dans la transposition européenne.
Des dispositions transitoires (mécanisme dit de grandfathering) ayant court jusqu’à fin
2021) ont été prévues par le règlement CRR. Elles concernent notamment le traitement des
intérêts minoritaires, la suppression des filtres prudentiels, le traitement des plus-values sur le
risque de crédit propre lié aux instruments de dettes inscrits au passif ou encore les
instruments de capital ne répondant pas aux critères d’éligibilité des fonds propres.
Les participations hors du secteur financier ne doivent à aucun moment dépasser 15%
du montant total des fonds propres pour chaque participation prise individuellement et 60%
pour l’ensemble des participations.
Les établissements européens ont assez largement anticipé le durcissement des
exigences réglementaires ; l’EBA avait ainsi estimé que, pour un échantillon de banques
européennes, le besoin de fonds propres pour atteindre le seuil requis de 7 % en 2019 était
passé de 242 milliards d’euros à fin juin 2011 à 112 milliards en juin 2012. Cette trajectoire
vers un renforcement de la structure de capitalisation a permis par la suite à la BCE d’adopter
un cible de CET1 supérieure à la norme de la CRD IV pour les banques placées sous sa
supervision.
1.3.3. Le dispositif lié à la liquidité (Liquidity Coverage Ratio)
La transposition du LCR en Europe n’a pas fait l’objet d’adaptation et est le reflet de
l’accord de Bâle dans ce domaine. Le LCR (Liquidity Coverage Ratio) est de s’assurer que les
banques peuvent faire face à un choc liquidité se traduisant par une augmentation inattendue
des flux de paiement sortants et/ou une diminution des sources de refinancement. Pour cela, le
régulateur exige que les banques détiennent des actifs considérés comme suffisamment
liquides en distinguant les catégories suivantes :
- Actifs liquides de niveau 1 (très haute qualité) : caisse, réserves mobilisables à la
banque centrale et titres d’États ou équivalents pondérés à 0% en risque de crédit selon
les règles de Bâle II ;
- Actifs liquides de niveau 2A de bonne qualité soumis à décote de 15% et plafonnés à
40% du total d’actifs liquides. On y trouve notamment les autres titres d’État ou
équivalents pondérés à 20 % en risque de crédit selon les règles de Bâle II, les
obligations sécurisées (covered bonds) notées jusqu’à AA-, les obligations
d’entreprises non financières et les billets de trésorerie notés jusqu’à AA-.
- Actifs liquides de niveau 2B de moins bonne qualité soumis à une décote supérieure
et plafonnés au sein de la limite de 40 % des actifs de niveau 2, à 15 % du total
d’actifs liquides. On y trouve les Reverse Mortgage Backed Securities (RMBS) notés
jusqu’à AA (décote de 25 %), les obligations d’entreprises non financières et les
billets de trésorerie notés entre A+ et BBB- (décote de 50 %) et les actions appartenant
aux grands indices (décote de 50 %).
Le dénominateur correspond au montant à financer en cas d’un choc de liquidité se
calculant par la différence entre :
-les flux sortants à 30 jours : passifs exigibles sous 30 jours (fuite des dépôts,
remboursements sur titres émis..) et des tirages sur des engagements de hors-bilan ;
-les flux entrants à 30 jours qui sont plafonnées à hauteur de 75 % des flux sortants
afin de contraindre les établissements à constituer un stock minimum d’actifs liquides
(au moins égal à 25 % des sorties prévisibles en période de stress).
Début 2013, des évolutions importantes sont intervenues concernant le ratio de
liquidité à court terme dans le sens d’un assouplissement des règles venant amender l’accord
publié en décembre 2010. La prime accordée aux titres de la dette publique a été revue par la
prise en compte de nouvelles catégories d’actifs au numérateur. Afin de permettre le
financement de l’économie, il a été envisagé une entrée en vigueur progressive sur quatre ans
à partir de 2015 et l’exigence a été ramenée à 60 % en 2015 pour atteindre 100 % en 2019.
Surtout, il a été concédé un élargissement de la gamme des actifs éligibles au coussin de
liquidité dans la limite de 15 % du total. Ainsi, après application d’une décote variable, les
obligations notées de A+ à BBB- (reprise à 50%) et les RMBS (repris à 75 %) seront acceptés
pour entrer dans le coussin destiné à couvrir les besoins de liquidité en cas d’assèchement de
la liquidité sur les marchés. En outre, les hypothèses de tirage des facilités interbancaires ont
été réduites ainsi que les hypothèses de fuite sur les dépôts des entreprises dont la stabilité a
été mieux prise en compte. Ainsi, le taux de fuite (ramené à 3 % au lieu de 5 %) des dépôts
faisant l’objet d’un mécanisme de garantie des dépôts ou le taux de tirage des lignes de
liquidité interbancaire ramené de 100 % à 40 %. Ces allègements s’ajoutent à ceux décidés à
l’été 2012 qui avaient consisté à réduite le taux de fuite des dépôts des entreprises et des
souverains de 75 % à 40 %. Des points complémentaires ont également été identifiés pour
clarification par le Comité (règles de publication en matière de liquidité, indicateurs de
marché à retenir pour déterminer l’éligibilité d’un actif au LCR, traitement des facilités des
banques centrales et des actifs éligibles à leur refinancement).
Le texte a également été révisé afin de permettre aux banques de recourir en cas de
crise à leur coussin de liquidité qui présente ainsi un vrai caractère contracyclique (le ratio
pouvant ainsi dans certaines situations être en deçà de la norme minimale).
Enfin en janvier 2014, le Comité de Bâle a publié les exigences de publication liées à
la liquidité (moyenne des LCR quotidiens sur le trimestre précédent). Une description
qualitative du ratio est également attendue comprenant les principaux déterminant du ratio, la
composition des High Quality Liquid Assets-HQLA-, la concentration des sources de
financement ou encore les expositions sur dérivés et les potentiels besoins supplémentaires en
collatéral.
1.3.4. Présentation du NSFR
Le Net Stable Funding Ratio (NSFR) a été introduit par le Comité de Bâle en
décembre 20106 afin d’encadrer de manière harmonisée au niveau international la
surveillance du risque de transformation et, ainsi, compléter le ratio bâlois de liquidité à court
terme LCR (Liquidity Coverage Ratio). Suite à une première phase d’observation, le Comité a
6 « Basel III : international framework for liquidity risk measurement, standards and monitoring » de décembre 2010, disponible sous http://www.bis.org/publ/bcbs188.pdf
publié, en janvier 2014, une version révisée du ratio corrigeant certains défauts initiaux. La
version définitive intègre les modifications post-consultation portant notamment sur le
traitement du short-term march funding et des opérations de dérivés et a été publiée dans le
prolongement de la réunion du G20 à Brisbane en novembre 2014, pour une entrée en vigueur
du ratio NSFR à partir de 2018.
L’objectif est de contrôler que l’activité de transformation (financements longs
accordés grâce à des ressources courtes) et la détention stable d’actifs, à l’origine du risque de
liquidité, sont maîtrisées. Le NSFR prend en compte l’ensemble des éléments de bilan et de
hors bilan et impose que les ressources pondérées en fonction de leur stabilité présumée sont
au moins égales aux besoins de financements stables des emplois calculés sur la base de
l’actif et du hors bilan.
𝑅𝑒𝑠𝑠𝑜𝑢𝑟𝑐𝑒𝑠 𝑠𝑡𝑎𝑏𝑙𝑒𝑠
𝐵𝑒𝑠𝑜𝑖𝑛𝑠 𝑑𝑒 𝑓𝑖𝑛𝑎𝑛𝑐𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑠𝑡𝑎𝑏𝑙𝑒𝑠 ≥ 100%
Ressources stables : Les éléments de passif sont pondérés de manière croissante en
fonction de leur stabilité avec des pondérations variables selon la nature des opérations et des
contreparties (ainsi, les dépôts à vue stables des particuliers et des PME sont retenus à 90%,
ceux moins stables à 80% et les financements à moins d’un an reçus des institutions
financières à 50%).
Besoins de financement stables : les éléments de bilan net de hors bilan son pondérés
de manière décroissante en fonction de la liquidité des actifs considérés, les postes les moins
liquides étant ceux qui exigent le plus de financement stables (ainsi, les créances
hypothécaires éligibles à une pondération de 35% en approche standard de Bâle II sont
retenues à 65%, les autres prêts à des clients particuliers ou au PME sont pondérés à 85%). Il
est également tenu compte de la production nouvelle et le régulateur a souhaité avoir une
approche en continuité d’exploitation. La pondération prend également en compte le fait
qu’un actif soit éventuellement grevé (encumbered), et donc moins liquide.
Destiné à entrer en application en 2018 après une période d’observation, le NSFR a
fait l’objet de nombreuses critiques en ce sens qu’il peut conduire à l’arrêt de certaines
activités en cas d’insuffisances de ressources stables. Ce ratio conjugue, en effet, des
hypothèses de stress et une approche en continuité d’activité signifiant que les banques sont
supposées renouveler leur production de nouveaux crédits même quand leurs ressources
stables s’inscrivent à la baisse.
En janvier 2014, le Comité de Bâle a tiré des enseignements de la période
d’observation sur le ratio NSFR, notamment les conséquences éventuelles de l’introduction
d’une mesure de la transformation sur le fonctionnement des marchés interbancaires et le
financement de l’économie ainsi que son impact sur certains modèles d’activité. À l’issue de
la consultation publique, le Comité de Bâle a également revu le traitement des financements à
court terme (short term match funding), aux opérations de dérivés ainsi qu’aux financements
résultant des exigences de marges initiales et des besoins futurs de collatéral D’assez
nombreuses modifications ont été apportées par rapport à la version de 2010.
Encadré 3 : Principales modifications apportées en 2014 au NSFR
- ratio dynamique : les hypothèses de stress sévères présentes dans la version de 2010 ont été
conservées mais assouplies. Le NSFR reste un ratio dynamique calculé en continuité
d’activité (tenant compte notamment des obligations de production nouvelle), mais
l’encadrement de la transformation, très marquée dans le NSFR 2010 - qui fait l’hypothèse
d’un non-renouvellement des ressources de marché côté passif tout en exigeant la poursuite
de la production de crédit à l’actif - est réduite (cf. infra) ;
- horizon de temps : le NSFR tient désormais compte d’un horizon de temps infra-annuel, à 6
mois, afin de réduire l’effet de seuil excessif du ratio dans sa version initiale. Les passifs à
moins d’un an se voient notamment reconnaitre une certaine stabilité lorsque leur durée
résiduelle se situe entre six mois et un an ;
- atténuer la « détransformation » : malgré le maintien du caractère dynamique du ratio NSFR,
le traitement de certains éléments d’actif et de passif est significativement revu. Les
pondérations relatives au renouvellement des actifs à moins d’un an dans la version 2010
constituaient l’un des défauts majeurs du standard. S’appuyant sur une inertie supposée du
profil d’actif des établissements bancaires, les pondérations du NSFR 2010 revenaient ainsi à
exiger que certains actifs à moins d’un an soient financés par des passifs d’une maturité
supérieure à un an, imposant de facto une « détransformation ». Une meilleure prise en
compte de la capacité des banques à moduler la structure de leurs activités en cas de
difficultés de financement se traduit, dans la version modifiée du NSFR, par une pondération
revue à la baisse pour certains actifs de durée résiduelle inférieure à 1 an. En parallèle, côté
passif, la nouvelle calibration reconnait la stabilité de certains financements à moins d’un an,
ce qui contribuera substantiellement à l’objectif recherché de réduction de l’encadrement
excessif de la transformation ;
- éviter un traitement trop hétérogène des actifs à plus d’un an : les actifs liquides reconnus
dans le LCR (HQLA) ayant une maturité résiduelle supérieure à un an bénéficiaient déjà
d’une exigence de financement stable réduite dans la version 2010 du NSFR. Au-delà des
HQLA, ce traitement favorable est étendu à d’autres actifs à plus d’un an, et notamment aux
prêts « mortgage », pour lesquels la capacité des banques à les sortir de leur bilan
(notamment en les titrisant) est reconnue. À noter par ailleurs que le traitement des actifs
liquides a été aligné avec celui appliqué dans le LCR ;
- rééquilibrer le traitement entre les différentes ressources : le NSFR de 2010 pénalisait
fortement les ressources de marché à moins d’un an par rapport aux dépôts de la clientèle de
détail. Ce traitement est partiellement rééquilibré dans le NSFR révisé qui reconnait en partie
la stabilité de certains financements de marché à plus de six mois. Toutefois, la prime
accordée aux dépôts est maintenue et s’est même accrue (augmentation de la pondération -
ASF- des dépôts de la clientèle de détail) et rendra plus contraignant le respect du NSFR pour
des établissements se refinançant exclusivement sur les marchés. Elle pourrait également se
traduire par une incitation à collecter des dépôts et encourager une « course aux dépôts » déjà
favorisée par le LCR. La notion de « dépôts opérationnels » de la clientèle de gros, supposés
plus stables, a par ailleurs été reprise du LCR ;
- éviter les interactions négatives avec les opérations de politique monétaire : le NSFR a été
modifié afin d’être mis en cohérence avec les objectifs de politique monétaire. Afin d’éviter
que les opérations à long terme des banques centrales, ayant pour objectif d’allonger le profil
de financement des banques, n’engendrent pas une dégradation du NSFR, un traitement
spécifique a été introduit ;
- encadrer les activités de court-terme : l’un des objectifs du NSFR est de réduire la
dépendance aux refinancements de court terme. Cela revient donc à encadrer les actifs à court
terme, même lorsque ceux-ci sont financés par des ressources adossées en maturité
(problématique du « short term matched funding »). Ceci vise à prendre en compte le fait
qu’un financement à court terme, même sécurisé, peut être facilement retiré par une
contrepartie financière tandis qu’il n’est pas toujours possible ou souhaitable pour
l’établissement de mettre fin aux actifs de court terme.
- préciser l’encadrement des opérations de dérivés : le traitement des opérations de dérivés a
été revu. Les actifs de dérivés nets (i.e. actifs - collatéral reçu sous forme de cash) font l’objet
d’un besoin en financement stable de 100% alors que les passifs de dérivés nets (i.e. passifs -
collatéral versé) sont pondérés à 0%. Un add-on sur les passifs de dérivés bruts de 20 % est
ajouté. Ce traitement implique ainsi une compensation des flux d’opérations de dérivés à
payer et à recevoir, tout en assurant qu’une exigence de financement stable pour les
portefeuilles de dérivés demeure quel que soit le degré de compensation entre flux à payer et
à recevoir. Par ailleurs, un besoin de financement stable est imposé pour les marges initiales
versées ; cette exigence, dont l’impact n’a pu être évalué, fait l’objet d’une clause de revue
avant l’entrée en vigueur du standard.
En Europe, l’article 510(3) de CRR donne à la Commission le pouvoir de faire d’ici
fin 2016 une proposition législative sur la base du rapport qui lui sera communiqué, « en
prenant pleinement en considération la diversité du secteur bancaire de l’Union ».
Contrairement aux actes délégués (i.e. sur le LCR notamment), une proposition législative
requiert une adoption formelle conjointe du Conseil et du Parlement européen suivant un
processus identique à la procédure législative ordinaire. La portée du rapport élaboré par
l’EBA sera donc significative dans la mesure où les co-législateurs pourront proposer des
amendements au projet de la Commission européenne.
1.3.5. Les exigences au titre du risque de contrepartie
Concernant les opérations sur dérivés et interbancaires (repo, prêt de titres), la CRD IV
a introduit une nouvelle exigence qui consiste à ajuster la valorisation des portefeuilles de ce
type pour tenir compte du risque de contrepartie inhérent à ces produits. La charge au titre du
risque de CVA (Credit Valuation adjustment) vise à prendre en compte la perte potentielle
attendue en cas de défaut de la contrepartie. La juste valeur d’un produit dérivé résulte, en
effet, de l’actualisation de flux futurs (la valeur actuelle) dont le paiement pourrait être remis
en question en cas de défaut de la contrepartie. Le CVA reflète ainsi la différence de valeur du
produit dérivé conclu avec une contrepartie donnée et une contrepartie sans risque.
Il faut cependant avoir à l’esprit que la CVA recouvre différentes concepts : CVA
comptable, CVA calculé par le front office pour la gestion des risques et, enfin, CVA
réglementaire laquelle doit être prise en compte à du 1er janvier 2014 pour les banques
soumises à une exigence de fonds propres en la matière. En Europe, cette obligation ne
s’applique pas aux dérivés de couverture, aux opérations compensées par une chambre de
compensation reconnue et aux opérations réalisées avec des contreparties non financières. Les
techniques de valorisation dans ce domaine apparaissaient variables et dépendent soit des
notations (rating based) soit des spreads de crédit observables sur les marchés. Le comité de
Bâle a fait le choix de la seconde méthode et le CVA réglementaire résulte de la volatilité des
spreads de crédit. En revanche, les banques peuvent continuer à déterminer leurs CVA
comptables selon une autre méthode.
Le dispositif prudentiel prévoit de façon classique deux modes de détermination de la
CVA : une approche standard qui prévoit l’utilisation de formules de calcul fournies par le
superviseur et une approche avancée dans laquelle le superviseur est en charge de valider la
méthodologie de l’établissement laquelle vise à estimer une perte attendue. Par symétrie avec
ce qui existe pour les risques de marché, les établissements doivent déterminer une Value at
risk (VAR) et une VarR stressée sur 10 jours à 99%. Le risque de contrepartie peut être réduit
lorsqu’il est fait recours à une chambre de compensation centrale (CCP) ou si des contrats-
cadre de compensation (master agreements) s’appliquent. Dans cette dernière situation, les
gains et pertes respectifs sur l’ensemble des opérations peuvent être compensés et des appels
de marge doivent être réalisés sur la valeur nette. Des montants de collatéral (dépôts de cash
ou de titres éligibles) seront transférés entre les deux contreparties pour couvrir leurs
expositions.
Quatre méthodes permettent de déterminer la valeur exposée en risque au titre du CCR
risque de contrepartie :
- méthode du modèle interne (autorisation de l’ACPR du calcul de l’exposition à un
horizon d’un an) ;
- méthode d’évaluation au prix de marché ;
- méthode de l’exposition initiale ;
- méthode standard.
En premier lieu, il s’agit de déterminer la valeur exposée au titre du risque de
contrepartie. Tous les éléments du portefeuille bancaire et du portefeuille de négociation sont
visés (instruments dérivés, opérations de pensions, de prêt ou d’emprunt de titres, de prêt avec
appel de marge) et l’objectif est de mettre en évidence une exposition en cas de défaut (EAD).
Comme cette dernière n’est qu’un des paramètres permettant de déterminer l’exigence de
fonds propres comme la probabilité de défaut et la perte en cas de défaut, il faut soit estimer
les autres paramètres (en approche avancée) ou appliquer les pondérations fournies par le
régulateur (dans l’approche standard).
Da façon additionnelle, la réglementation impose le calcul d’une Expected Effective
Positive Exposure (EEPE) stressée afin de prendre en compte les effets d’un environnement
économique adverse. La réglementation a également renforcé les normes de gouvernance et
de gestion du risque de contrepartie (augmentation de la période de marge en risque pour
certains produits).
1.4. – La réforme Solvency II pour le secteur des assurances
Ces dernières années, le secteur européen de l’assurance a connu une série de
changements fondamentaux. Les circonstances difficiles dans lesquelles le secteur a évolué au
début de la décennie passée, et les lacunes du cadre réglementaire et de contrôle actuel
(Solvabilité I), ont incité les autorités de contrôle à modifier la manière dont la position de
solvabilité des entreprises d’assurance est réglementée. Contrairement aux règles qui
prescrivent les exigences en fonds propres des banques, lesquelles reposent sur le cadre de
Bâle mis au point par le Comité de Bâle, le cadre de solvabilité des entreprises d’assurance et
de réassurance est une question purement européenne.
Le Parlement et le Conseil européen ont approuvé la directive-cadre Solvabilité II le
25 novembre 2009 et, par conséquent, ont pu prendre en compte l’impact de la crise
financière. Ce texte, qui a été présenté officiellement par la commission européenne le 10
juillet 2007, contient les principes de base d’un nouveau régime de solvabilité entièrement axé
sur le profil de risque des entreprises d’assurance et de réassurance et qui remplace les
exigences du cadre Solvabilité I. Dans le même temps, cette directive comporte une refonte
des directives existantes les plus importantes pour le secteur de l’assurance. Solvabilité II doit
s’appliquer à toutes les entreprises d’assurance et de réassurance de l’UE (environ
5 000 entreprises et associations d’assurances mutuelles). Pour la Commission européenne,
les objectifs du régime Solvabilité II sont d’améliorer la réglementation, d’approfondir
l’intégration du marché de l’assurance de l’UE, d’accroître encore l’efficacité de la protection
des consommateurs et de renforcer la compétitivité du secteur. La réglementation en vigueur
apparaît, en effet, dépassée et n’est pas prospective ; elle ne couvre pas tous les risques et
n’incite pas véritablement les entreprises à améliorer leur gestion des risques. Par ailleurs, la
réglementation existante n’a pas permis d’uniformiser les modalités de calcul des provisions
techniques tandis que les exigences en fonds propres ne sont pas sensibles aux risques et sont
de plus antinomiques, en ce sens qu’une plus grande prudence dans l’évaluation des
provisions techniques pousse à la hausse les exigences en fonds propres. Enfin, les exigences
en matière de bonne gestion et de bonne organisation de l’entreprise ne sont pas suffisamment
précises.
La directive Solvabilité II se fonde sur les principes suivants :
- cohérence par rapport à la réalité économique, ce qui signifie évaluation cohérente de
l’actif et du passif par rapport aux prix de marché ;
- sensibilité aux risques, ce qui implique que les exigences en matière de fonds propres
se durcissent à mesure qu’augmentent les risques auxquels est exposée l’entreprise ;
- une architecture à trois piliers assortie d’exigences d’ordres quantitatif et qualitatif,
ainsi qu’en matière d’information qui incitent à mieux gérer les risques ;
– la compatibilité avec d’autres dispositions internationales, comme les
développements de l’IASB (International Accouting Standards Board), la
réglementation bancaire et les normes internationales en matière de contrôle des
assurances.
La directive Solvabilité II est une directive-cadre et se borne donc à énoncer les grands
principes qui sont développés dans les mesures d’exécution et les recommandations de
l’European Insurance and Occupational Pensions Authority (EIOPA). À l’automne 2011, un
projet de texte relatif aux mesures d’exécution a été soumis pour information aux États-
membres. Ces mesures d’exécution proposées dans la directive Solvabilité II restent toutefois
sujettes à modification et les discussions entre la Commission européenne, le Conseil et le
Parlement européen (le « trialogue ») en vue de l’adoption de la directive Omnibus prévue
pour entrer en vigueur à la fin de 2012.
Elle prévoit les principes suivants :
- la directive Solvabilité II doit être transposée, soit avant le 1er janvier 2013, soit
avant le 31 mars 2013 ;
- le nouveau régime prudentiel sera progressivement introduit dans le courant de
2013 ;
- le processus d’approbation de plusieurs points nécessitant l’aval de l’autorité de
contrôle, tels que l’utilisation d’un modèle interne et de paramètres propres à
l’entreprise, débutera en juin 2013 ;
- le régime entrera entièrement en vigueur le 1er janvier 2014. Cela signifie que les
normes techniques à l’appui des mesures d’exécution de la directive Solvabilité II ne
seront pas publiées avant février 2013.
La structure de Solvabilité II est calquée sur celle de Bâle II et est grosso modo
parallèle en ce qui concerne les 2ème et 3ème piliers. Bien évidemment, les exigences
quantitatives du premier pilier sont, quant à elles, propres aux assurances.
La directive dispose, dans le cadre du premier pilier, que les provisions techniques
sont fixées d’une manière cohérente par rapport aux prix de marché et qu’elles sont évaluées à
la valeur à laquelle elles pourraient être transférées à une autre entreprise. S’agissant de
certains engagements d’assurance, on peut trouver sur les marchés financiers des instruments
qui en reproduisent les flux de trésorerie (portefeuille de réplication). Ce type d’évaluation
sera toutefois impossible pour la majeure partie des engagements d’assurance, faute
d’instruments financiers de réplication.
L’évaluation de ces engagements de manière cohérente par rapport au marché est la
somme de la meilleure estimation et d’une marge de risque. La meilleure estimation
correspond à la valeur moyenne pondérée actuelle des flux de trésorerie futurs. Étant donné
que la valeur des engagements correspond désormais à la valeur à laquelle les engagements
peuvent être transférés et que la meilleure estimation est une moyenne, il est peu probable
qu’un autre assureur reprenne les engagements lorsque seule la meilleure estimation est
transférée. C’est la raison pour laquelle, pour fixer les provisions techniques, la meilleure
estimation doit être majorée d’une marge, appelée marge de risque. Cette marge est égale à la
charge en capital de l’entreprise pour maintenir les engagements d’assurance au bilan (coût du
capital). Son calcul n’est pas un exercice facile, dans la mesure où les exigences futures en
fonds propres doivent être calculées selon des hypothèses bien définies, pour toute la durée
des engagements. L’actualisation des flux de trésorerie futurs se fait au moyen d’une courbe
de taux sans risque.
Dans le calcul des provisions et en particulier pour la modélisation des flux de
trésorerie, il convient de tenir compte de tous les éléments prévisibles susceptibles d’influer
sur les flux de trésorerie. Pour ce faire, les engagements doivent être ventilés en groupes de
risques homogènes. Il faut ensuite examiner les facteurs susceptibles d’influencer les flux de
trésorerie du groupe de risques. Ainsi, par exemple, la modélisation des flux de trésorerie doit
prendre en compte l’évolution attendue de la mortalité, de l’invalidité, des options dans les
contrats et des interventions du management. La directive contient deux exigences en matière
de fonds propres : le capital de solvabilité requis (solvency capital requirement – SCR) et le
minimum de capital requis (minimum capital requirement – MCR).
Le SCR est défini comme le capital requis pour compenser, avec une certitude de
99,5 %, les pertes qui pourraient être subies au cours de l’année à venir. L’exigence peut être
établie selon une formule standard, un modèle interne ou un modèle interne partiel.
La formule standard pour le calcul de cette exigence est construite de manière
modulaire. Pour chacun des risques auxquels l’entreprise est exposée, le capital requis pour
atteindre la certitude requise de 99,5 % est quantifié. Une exigence en matière de fonds
propres est ainsi fixée pour chacun des sous-modules et ces exigences sont ensuite agrégées
au moyen de matrices de corrélation afin d’obtenir l’exigence en fonds propres totale. La
probabilité que les évolutions négatives se produisent simultanément pour tous les types de
risques est très faible. L’exigence globale est donc largement inférieure à la somme des
exigences des différents modules. En additionnant les exigences en fonds propres au moyen
de matrices de corrélation, on veille à ce que l’exigence en fonds propres globale satisfasse
également la certitude de 99,5 % demandée. S’agissant des modèles internes, la directive fixe
les critères que les modèles doivent remplir.
Le MCR est le montant des fonds propres en dessous duquel le risque de l’entreprise
devient inacceptable. Il est calculé à l’aide d’une formule et est fonction des primes et des
provisions techniques, avec un plancher et un plafond exprimés en pourcentage du SCR. Le
MCR est à comparer avec une exigence minimale en capital qui, si elle n’est pas respectée,
donne lieu à une intervention immédiate de l’autorité de contrôle afin de restaurer la situation
à bref délai.
Dans le régime Solvabilité II, le SCR doit être respecté. Dans le cas contraire,
l’autorité de contrôle intervient et réclame un plan financier à l’entreprise afin de remédier à
la situation. Si l’entreprise ne respecte plus le MCR, l’autorité de contrôle réagit plus
vigoureusement et exige un refinancement à court terme de l’entreprise. Si le plan ne permet
pas de restaurer la situation, l’autorité de contrôle sera amenée à retirer l’agrément
indispensable à l’entreprise pour exercer des activités d’assurance.
La directive précise que les fonds propres se composent de deux parties : d’une part,
les fonds propres de base, définis comme la différence entre les actifs évalués aux prix de
marché et les engagements, et, d’autre part, les fonds propres auxiliaires, qui sont des
éléments du patrimoine hors bilan qui, sous réserve de l’acceptation par l’autorité de contrôle,
font partie des fonds propres, comme par exemple le capital souscrit non libéré. Les éléments
du patrimoine sont classés par niveaux en fonction de leur capacité à absorber des pertes.
Le deuxième pilier impose des exigences quant au mode d’organisation de l’entreprise
et précise différents aspects du système de gouvernance : contrôle interne, audit, fonction
actuarielle, gestion des risques, exigences d’honorabilité et de compétence, sous-traitance.
Actuellement, ces règles sont déjà largement connues. Par le biais d’une évaluation interne du
risque et de la solvabilité (own risk and solvency assessment), il est également attendu de
l’entreprise qu’elle estime elle-même l’ensemble des risques auxquels elle doit faire face et
qu’elle évalue si elle a suffisamment de fonds propres par rapport à ces risques. La directive
comprend un certain nombre d’autres dispositions portant sur la manière dont l’autorité de
contrôle exercera ses compétences (processus de contrôle prudentiel).
Enfin, le troisième pilier indique ce qui doit être communiqué au public et à l’autorité
de contrôle et de quelle manière. Dans son reporting à l’autorité de contrôle, l’entreprise devra
établir un rapport sur sa solvabilité et sa situation financière, dont la réglementation fixe le
contenu.
2. Atténuer la procyclicité des normes comptables7
Les normes comptables applicables aux banques ont été accusées d’avoir amplifié les
effets des chocs de liquidité intervenus sur les marchés par le biais de l’utilisation
systématique de la « juste valeur » dont les variations se répercutent immédiatement sur les
fonds propres des banques. Le Gouverneur de la Banque de France soulignait ainsi le 11
décembre 2008, lors des rencontres européennes de la profession comptable, « il va sans dire
que la plus grande sensibilité des bilans aux fluctuations de marché qu’induit une
comptabilité en juste valeur n’est évidemment pas sans incidence pour la stabilité
financière ». Le principal débat lié aux normes comptables a concerné l’application de la
norme IAS 39 relative à la valorisation et à la comptabilisation des instruments financiers ainsi
que le périmètre de la Fair Value. Dans ces domaines, les évolutions ne sont cependant pas
consensuelles et la convergence des référentiels américain et international s’avère
extrêmement difficile.
2.1. – La convergence difficile des normes comptables internationales et américaines
Le G20 avait posé en 2009 le principe d’une convergence à l’horizon de juin 2011, des
normes comptables internationales et alors demandé aux deux grands normalisateurs
comptables international (IASB) et américain (FASB) de parvenir à un ensemble de normes
comptables communes et de qualité pour la comptabilisation des instruments financiers. La
définition de ce référentiel commun devait notamment permettre de simplifier et d’harmoniser
les règles existantes.
Le programme de convergence entre US GAAP et IFRS s’est, dans un premier temps,
traduit par la diffusion par l’IASB de documents consultatifs sur les thèmes de la distinction
entre les instruments de dettes et capitaux propres, la présentation des états financiers afin
d’améliorer la présentation et la lisibilité de l’information financière ainsi que la rénovation
du cadre conceptuel qui regroupe les principes comptables généraux du référentiel IFRS.
L’IASB a également publié des propositions de modification des règles de consolidation et de
sortie d’actifs – visant, en principe, à se rapprocher des textes américains – qui pourraient
conduire à la déconsolidation d’un grand nombre d’entités du fait d’une moindre prise en
compte de l’exposition aux risques et avantages.
Bien qu’indiquant régulièrement poursuivre leurs travaux de convergence du
référentiel comptable international, l’IASB et le FASB ont eu au cours des dernières années
des divergences majeures qui se sont longtemps accrues plutôt que réduites. Ainsi, le principe
d’application de la fair value à l’ensemble des positions financières (full fair value) a été
réaffirmé avec force dans différent documents publiés par le FASB au cours de l’année 2009
et la crise a renforcé, outre-Atlantique, la croyance dans la nécessité d’une évaluation de tous
les éléments du bilan à la « juste valeur ». Le normalisateur comptable américain s’est ainsi
fortement concentré sur les modalités d’application de la « juste valeur », par exemple,
lorsque le marché devient « inactif »8 sans remettre en cause la légitimité de cette notion, qui
7 Voir Didier Marteau, Pascal Morand (février 2010). Normes Comptables et crise financière. Proposition pour une réforme
du système de régulation comptable.
8 Le FASB a proposé un processus de validation du prix coté sur le marché ordonné autour de deux étapes :
conduit inévitablement à accroître l’amplitude des aléas sur les valorisations comptables, n’a
de sens que si les estimations comptables ont une indiscutable légitimité et sont entourées
d’un faible aléa. Ainsi, plus le champ de la fair value s’étend, plus l’aléa autour des
indicateurs comptables est important et nécessite un renforcement du contrôle des
valorisations comptables.
Enfin, l’IASB et le FASB ont également échoué à converger concernant les conditions
de compensation des actifs et passifs financiers, question particulièrement importante
concernant les opérations sur dérivés. Le référentiel IFRS continue de privilégier une
approche très restrictive en matière de compensation au contraire des US GAAP. La seule
avancée a été l’obligation de publier en annexe une réconciliation des différences entre les
deux normes. Cette situation maintient des différences de traitement entre banques
américaines et européennes, ces dernières ayant un total de bilan plus élevé à activité
constante.
On voit que les initiatives distinctes de l’IASB et de son homologue américain, le
FASB, ont, au final, accentué, ou au moins maintenu, les risques de distorsion de concurrence
et de nouvelle compétition normative au niveau mondial ». La convergence souhaitée en 2009
lors du sommet du G20 de Londres parait s’éloigner de plus en plus du fait des réticences
américaines, notamment celles de la SEC qui, après avoir pris des engagements sur
l’équivalence des normes, est peu à peu revenue en arrière.
2.2. - Améliorer la gouvernance de l’IASB
Parce que les normes comptables ont aujourd’hui des implications politiques et
systémiques concrètes, ces dernières doivent être prises en compte et reflétées dans la
composition des organes dirigeants de l’IASB. Ensuite, l’affirmation selon laquelle les
normalisateurs comptables doivent remplir leur mission indépendamment de toute pression
extérieure hors celle du monde des affaires apparait discutable. Aussi l’intérêt public,
représenté par le pouvoir politique, doit-il être un paramètre d’entrée dans le processus de
création de normes comptables, dont le pouvoir structurant sur l’économie a été rappelé par la
crise. Au-delà, un lien de responsabilité plus fort entre l’IASB et ses principaux mandants –
Commission européenne et G20 – doit être établi comme cela existe un aux États-Unis pour le
FASB envers la SEC.
– première étape : l’entité détermine, à partir de critères objectifs, si le marché est « actif » ou « inactif
». Parmi les critères retenus, figurent bien sûr le volume des transactions, l’amplitude de la fourchette
bid-ask, la volatilité instantanée de la fourchette ou encore le niveau du spread de liquidité. L’entité,
selon son jugement, détermine si le marché est « actif ». Dans cette hypothèse, le prix coté est retenu
comme estimateur de la « juste valeur ». Si le marché est jugé « inactif », l’entité passe à la seconde
étape... ;
– seconde étape : l’entité détermine si les transactions effectuées ont été distressed, c’est-à-dire
effectuées dans des conditions de contrainte fortes, et dans ce cas assimilées à une « vente forcée ». Les
critères utilisés pour estimer la dimension distressed d’une transaction sont le nombre d’acheteurs et
l’animation du marché sur les jours ouvrés précédant la date d’observation du prix. Si le prix coté
semble ne pas être associé à une transaction distressed, il doit, même dans l’hypothèse d’un marché «
inactif », être retenu comme estimateur de la fair value. Si le prix est en revanche associé à une
transaction jugée distressed, alors la valorisation comptable de l’actif doit reposer sur une autre
méthode et résulter d’un modèle. Des éléments précis de description de la méthode d’évaluation utilisée
dans ce dernier cas doivent être publiés en annexe, accompagnés, comme pour les toutes les positions
réévaluées au niveau 3 (paramètres non observables), de stress-tests sur les valorisations comptables.
Les instances de normalisation se sont défendues en soulignant que le schéma en
vigueur prévoyait explicitement qu’elles « rendent compte » (accountability) de leurs
décisions, mais sans assortir l’exercice de leur responsabilité d’un système de sanction. A cet
égard, il était fréquemment fait le reproche aux normalisateurs de ne pas accorder une grande
écoute aux intérêts exprimés par les utilisateurs. Si les propositions de normes établies par
l’IASB obéissent à un due process d’un parfait formalisme, ordonné autour de six étapes, les
utilisateurs semblaient regretter, d’une part, l’absence de synthèse des résultats de la
consultation, d’autre part, l’absence de justification des décisions finalement retenues.
Considérant que leur intérêt n’est donc pas correctement pris en compte, les utilisateurs, dans
leur diversité, ont appelé à un renforcement du rôle des pouvoirs publics au sein de l’IASB.
Au début de l’année 2009, la gouvernance de l’IASB a ainsi connu quelques évolutions
institutionnelles, qui se sont traduites notamment par la création d’un comité de surveillance
(« monitoring group »), chargé de mieux superviser ses travaux. Ce comité n’a pas, à son
origine été doté de réels pouvoirs et agit plutôt comme un alibi si bien que la réforme n’a que
partiellement répondu aux attentes.
Trois solutions de gouvernance comptable paraissaient pouvoir être envisagées en
Europe :
– le maintien de l’actuelle structure de production de normes comptables avec d’une
part, une présence renforcée et active de l’Union européenne au sein du Board de
l’IASB, d’autre part, la prise en compte explicite de l’intérêt des utilisateurs, des
stakeholders et des États lors du processus de création ou d’amendement des normes,
et enfin l’ouverture d’une réflexion sur la validité des fondements théoriques sous-
jacents aux décisions actuelles de normalisation. Si les fondements théoriques des
normes de valorisation comptable publiées par l’IASB sont apparus parfois
discutables, le travail mené par cet organisme a cependant permis de constituer un
corps de règles dense et précis, de mieux en mieux articulé avec celui du FASB.
Renforcer l’IASB en exigeant une prise en compte effective de l’intérêt public et de
celui des stakeholders, reposant sur une représentativité géographique équilibrée, est la
solution la plus efficace pour la mise en place à moyen terme d’une gouvernance
comptable mondiale. Le symbole de l’ouverture de l’IASB serait la nomination en son
sein de représentants publics des zones géographiques concernées, dont un
représentant de la Commission européenne, disposant du droit de vote.
– si les conditions de mise en application de la solution précédente ne sont pas
acceptées, création d’une instance européenne de normalisation, s’appuyant sur les
travaux de l’IASB, mais disposant du pouvoir d’amender certaines dispositions. Ce
projet suppose que l’Europe accepte d’allouer des ressources d’expertise à cette
nouvelle structure, dont l’objet n’est cependant pas de produire un système de normes
concurrentes de celles de l’IASB, mais d’interpréter les normes proposées et de les
amender le cas échéant ;
– la création d’un organisme concurrent de l’IASB, de nature étatique, proposant son
propre système de normes. Une telle stratégie paraît s’inscrire en contradiction avec
l’objectif de convergence internationale et contribuerait à l’émergence d’un monde de
normalisation multipolaire. Ses partisans soulignent au contraire que la compétition
entre les systèmes de normes conduirait à laisser le marché choisir le meilleur d’entre
eux, la convergence par la compétition apparaissant préférable à la convergence par
l’alignement.
D’autres réflexions ont conduit également à proposer la création d’un organisme de
régulation comptable européen disposant du pouvoir d’amendement des modalités
d’application des normes comptables dans un contexte de « bulle » ou de crise. Ce régulateur
pourrait imposer la suspension temporaire, décidée dans des circonstances exceptionnelles9 de
la valorisation au prix de marché des portefeuilles, notamment quand le spread de liquidité
s’écarte trop, à la hausse ou à la baisse, de son niveau « systématique », correspondant aux
difficultés habituelles de débouclement d’une position sur le marché. La mise en place d’un
tel organisme de régulation aurait probablement permis d’observer le niveau anormalement
bas des spreads dans la période précédant la crise et d’imposer l’abandon temporaire du mark
to market pour un prix de modèle plus conforme à la valeur de ces actifs. Le niveau
anormalement bas des spreads ne s’expliquait pas par la baisse ou l’annulation de la
probabilité de défaut des émetteurs, mais par « l’attraction » des opérateurs à l’égard des
produits structurés de crédit. La mise en application de cette proposition suppose bien sûr que
l’instance de régulation dispose, tant sur un plan quantitatif que qualitatif, des ressources
d’expertise nécessaires à l’identification des scénarios extrêmes déclenchant un changement
de méthode et à la validation des estimations comptables proposées. Il pourrait être envisagé
que les banques conservent la responsabilité des algorithmes et paramètres de réévaluation,
mais que l’instance de régulation contrôle elle-même les estimations comptables. Ceci
aboutirait à un modèle proche de celui mis en place par le Comité de Bâle pour l’exigence de
fonds propres alloués à la couverture du risque de marché. Dans le cadre d’un cahier des
charges méthodologique précis, les départements de contrôle des risques des banques
élaborent les modèles de VaR, estiment les paramètres (matrice de covariance...), qui servent
de support au calcul des fonds propres. Le régulateur dispose d’une équipe dédiée en charge
de la validation des modèles internes, qui contrôle de manière régulière les algorithmes et
paramètres des modèles utilisés, les résultats obtenus, le back testing, et le système
d’information sous-jacent.
En dépit de ces nombreuses réflexions, le mode de production des normes comptables
n’a pas évolué à la suite de la crise et la remise en cause de l’indépendance de l’IASB a peu à
peu disparu de l’agenda politique européen. La mise au point douloureuse d’IFRS 9 en
remplacement d’IAS 39 a seulement permis de constater que les préoccupations des
régulateurs bancaires ont finalement été davantage intégrées ce qui paraît avoir suffi pour
faire taire la majeure partie des critiques à l’égard de l’IASB qui conserve en 2015 toute
latitude pour imposer ses choix à l’Union européenne.
2.3. - La réduction du périmètre de la fair value au portefeuille de trading
A la suite de la crise financière, la volonté de limiter le périmètre de la fair value au
seul portefeuille de transactions repose sur quatre arguments :
9 Ces mesures ont bien sûr un caractère exceptionnel et ne sont en aucune manière un instrument
régulier de stabilisation économique. Cet organisme de régulation comptable européen pourrait être une nouvelle
structure ou bien ses fonctions exercées par un organisme existant, telle une structure regroupant le CESR, le
CIOPS et le CEBS et les autorités européennes de normalisation comptable.
Le choix du mode de valorisation comptable doit reposer sur l’intention de
gestion, ou sur le modèle économique de l’entreprise (business model), et non sur un
critère d’appartenance de l’instrument à une catégorie prédéfinie. S’il peut être utile, en
particulier sous une perspective de gestion des risques, de connaître à tout instant la valeur de
marché de titres détenus à des fins stratégiques sur un horizon de long terme, l’impact
systématique des variations de fair value dans le résultat et/ou les fonds propres n’a pas
forcément de sens économique et peut même conduire à des décisions improductives. Dans
certaines circonstances, il peut s’avérer que le prix de marché présent n’est plus un bon
indicateur du prix futur et que les estimations comptables, qui reposent sur cette hypothèse,
sont erronées.
Dans de nombreuses activités financières, les prix de modèle ne sont pas
contrôlables ce qui conduit à une traduction déformée et parfois « discrétionnaire » de la
réalité. Ainsi, le développement des produits structurés de crédit, au début des années 2000 a
été de pair avec des difficultés d’évaluation de ces produits, qui reposent fréquemment sur des
modèles complexes dont les paramètres sont difficiles à estimer, car souvent non observables
sur le marché. La valeur de ces paramètres, notamment la probabilité de défaut, le taux de
recouvrement en cas de défaut et les corrélations entre les événements de défaut pour les
produits – nombreux – dont le sous-jacent est un portefeuille de crédits, sont souvent
entourées d’une grande incertitude en raison de la complexité des algorithmes et des
paramètres associés aux modèles utilisés.
Imposer pour seul mode de valorisation comptable la fair value revient à ignorer
la distinction entre la valeur d’échange et la valeur d’usage. Le débat comptable sur la fair
value est une illustration contemporaine du débat qui a longtemps animé la science
économique autour du thème de la valeur et l’adoption de la fair value comme principe de
valorisation comptable revient à ne pas distinguer valeur d’échange et valeur d’usage. Il
faudrait pourtant au contraire accepter l’idée qu’un actif financier puisse avoir deux valeurs
différentes, selon l’intention de détention (ou de modèle d’activité) de l’établissement. Le prix
d’un actif de trading est amputé d’un spread systématique de liquidité, correspondant au
risque que cet actif ne puisse être cédé, à l’instant désiré, au prix du marché. Ce spread
systématique peut être majoré d’un spread conjoncturel, correspondant le plus souvent à une
aversion du marché à l’égard de la catégorie de titres à laquelle l’actif appartient. Ces deux
spreads n’ont aucune raison théorique d’affecter le prix d’un actif détenu à des fins
stratégiques. Aussi le système de valorisation comptable doit-il reconnaître la coexistence de
deux prix car la valorisation d’un actif à son « prix de sortie » n’a aucune légitimité pour celui
qui est « mobilisé » dans le cadre d’une stratégie de long terme.
La réduction du périmètre de la fair value limite les effets de procyclicité de la
normalisation comptable. Le caractère procyclique de la normalisation comptable dépasse
largement le cadre des banques et s’est également largement illustré, durant la crise, dans
l’industrie des fonds (hedge funds). Tous les fonds investis en titres de crédit ont été
contraints par la réglementation comptable de valoriser leur portefeuille au « prix de
marché », faisant état de dépréciations massives expliquées beaucoup plus par la hausse du «
spread de défiance » que par la dégradation effective de la qualité de crédit des titres détenus.
De manière générale, il serait souhaitable que les conditions d’exercice de la validation
des valorisations comptables effectuées en fair value soient plus transparentes, l’utilisation de
modèles de plus en plus complexes par les banques rendant l’exercice de contrôle externe de
plus en plus difficile, et vain, dans certaines circonstances. L’asymétrie entre l’expertise
professionnelle et scientifique, tout au moins supposée, des « structureurs » de produits
dérivés et celle des organismes de contrôle des risques et de validation interne/externe des
comptes est une donnée importante dans le débat sur les origines microéconomiques de la
crise financière. S’il existait un organisme supranational de régulation comptable, celui-ci
devrait disposer de ressources d’expertise importantes et être un interlocuteur permanent des
cabinets d’audit dans leur mission de validation de la valorisation des portefeuilles. On peut
même imaginer qu’il dispose du pouvoir de contre-valorisation.
La nécessite de faire évoluer les règles comptables se justifie, enfin, par le fait qu’elles
peuvent conditionner la mise en place d’autres reformes comme celle du système de
rémunération des opérateurs de marché. Les deux questions sont, en effet, articulées, tout
simplement parce que les « bonus » sont calculés sur les résultats comptables et que
l’évaluation mark to market offre aux opérateurs une option gratuite. Un bonus est
implicitement une option d’achat sur le résultat de l’opérateur : si le résultat est négatif, la
perte est nulle, s’il est positif, l’opérateur réalise un gain. Comme le prix d’une option est une
fonction croissante de la volatilité, le système comptable offrant le plus de volatilité sera le
plus désiré.
Il faut enfin rappeler que les superviseurs bancaires ont été très précocement
sensibilisés à la question de la procyclicité des normes IFRS comme en témoigne le dispositif
des « filtres prudentiels » qui vise à neutraliser l’impact de la volatilité de certains actifs sur le
calcul des fonds propres prudentiels. L’objectif est, en effet, de « filtrer » des éléments non
certains et non stabilisés comme certaines plus-values latentes sur titres et de les déduire des
fonds propres servant de base aux exigences prudentielles. Ces filtres ont cependant été en
grande partie supprimés à l’occasion de la revue de la définition des fonds propres dans
l’accord de Bâle III.
2.4. – Les principales évolutions des normes comptables
2.4.1. - Le traitement des actifs peu liquides
La crise de liquidité a mis en exergue les difficultés à déterminer une juste valeur pour
un grand nombre d’instruments financiers devenus non liquides. Il est, dès lors, apparu
nécessaire de clarifier l’application du principe de juste valeur, notamment dans le cadre des
dispositions existantes de la norme IAS 39. Celle-ci prévoit, en effet, que la juste valeur d’un
instrument doit normalement correspondre au prix constaté sur le marché. Or, compte tenu de
la situation de crise et d’absence de liquidité, les banques ont rencontré des difficultés à
déterminer une valeur estimée en appliquant les dispositions existantes.
Un certain nombre de clarifications ont donc été apportées par les normalisateurs
comptables internationaux (IASB) et américains (FASB) sur le traitement comptable de
certains instruments financiers. En France, une recommandation conjointe de novembre 2008
de la Commission bancaire, de l’Autorité des marchés financiers, de l’Autorité de contrôle des
assurances et des mutuelles et du Conseil national de la comptabilité, a insisté aussi sur
l’importance du jugement dans la détermination des justes valeurs dans un contexte de marché
perturbé. Cette recommandation a confirmé, au regard de circonstances exceptionnelles, et en
l’absence de références pertinentes pour un actif financier, qu’il est possible de recourir à une
valorisation fondée sur des modèles appliqués aux flux de trésorerie générés par les actifs et
intégrant des ajustements appropriés et raisonnables, au titre des risques de modèle, de
liquidité et de contrepartie. La recommandation a précisé, en outre, que les prix des quelques
transactions isolées qui parviennent à se nouer ainsi que les valeurs communiquées par des
tierces parties, telles que des brokers ou sociétés de pricing, sont à considérer dans le
processus de valorisation d’un instrument peu ou pas liquide mais qu’elles ne doivent pas
nécessairement en constituer une composante déterminante. Il est, en outre, rappelé que les
valeurs résultant des ventes forcées (valeurs à la casse) sont à écarter du processus de
valorisation car elles ne s’inscrivent pas dans un contexte de continuité d’exploitation.
Auparavant, on peut souligner que les superviseurs bancaires, le Comité de Bâle et le CECB
avaient souligné la nécessité de procédures de valorisation et de contrôle rigoureuses ainsi que
d’une structure de gouvernance adéquate. Il a été, en outre, demandé de bien prendre en
compte l’ensemble des facteurs de risque dans les valorisations – risque de modèle, risque de
liquidité et de contrepartie – et de veiller, lors du classement en portefeuille de transaction
comptable, à ce que les instruments remplissent les exigences fixées par la norme IAS 39,
notamment pour ce qui est de l’intention de trading.
Au-delà des précisions apportées quant à la valorisation des actifs illiquides, l’IASB a
fait paraître en octobre 2008, un amendement de la norme IAS 39 permettant, à l’instar des
normes comptables américaines, d’effectuer des reclassements entre portefeuilles comptables,
compte tenu de circonstances exceptionnelles et de l’illiquidité de certains marchés. Ce texte a
été adopté par l’Union européenne et transposé en normes comptables françaises pour les
comptes arrêtés au 31 décembre 2008.
Encadré 4 : La réforme de la norme FAS 157
La norme comptable SFAS 157, publiée par le FASB, précise les modalités de valorisation comptable
des positions financières détenues par les entreprises cotées aux États-Unis. Le principe de base de l’évaluation
des positions est la fair value, mais elle distingue trois modes de valorisation, appelés « niveaux », applicables
selon la qualité de l’information fournie par le marché. Le niveau 1 (level one) s’applique aux positions pour
lesquelles le prix de marché est observable et correspond à une transaction ne s’apparentant pas à une vente
forcée. Le niveau 1 correspond strictement à une évaluation mark to market. Le niveau 2 (level two) s’applique à
la valorisation des positions sur lesquelles la première condition n’est pas remplie : marché illiquide, prix de
marché associés à des transactions « forcées ». Dans ce cas, la réglementation comptable américaine prévoit une
valorisation reposant sur un modèle dont les paramètres sont supposés observables et extraits du marché, relatifs
à des titres de caractéristiques voisines. Une option sur action, peu liquide, peut par exemple être valorisée à
partir d’un modèle dérivé de Black-Scholes et intégrant la volatilité d’un titre de caractéristiques proches. Le
paramétrage peut être plus complexe que celui relative à une option à la monnaie et par exemple utiliser une «
nappe de volatilités » communiquant des volatilités implicites différentes selon le prix d’exercice et la maturité.
Le niveau 2 est qualifié de mark to model, la valorisation étant de la responsabilité interne des banques, sous le
contrôle ex post des auditeurs. Les banques disposent donc d’une grande flexibilité dans leur évaluation,
contestée par ceux qui considèrent que l’opacité des valorisations nuit à la nécessaire confiance des opérateurs
dans le système financier, préconisée par d’autres pour lesquels les prix de modèle sont plus pertinents que les
prix de marché, ou sont les seuls possibles en l’absence de marché. Le niveau 3 (level 3) s’applique à
l’évaluation comptable des positions financières entrant dans la deuxième catégorie, mais pour lesquelles aucun
paramètre observable sur le marché ne permet une réévaluation. Entrent par exemple dans cette catégorie
certains produits dérivés climatiques négociés de gré à gré, dont les flux de paiement sont indexés sur le niveau
futur d’indices climatiques (température, précipitations...), non observables évidemment, et ne pouvant même
faire l’objet d’une prévision scientifique. Certains produits de cette nature sont traités et doivent faire l’objet
d’une réévaluation comptable probablement au-delà des compétences des meilleurs services de climatologie...
De nombreuses parts de créances titrisées émises par les SPV (special purpose vehicle) et « rapatriées »
dans les bilans bancaires lors de la crise de liquidité présentaient ces caractéristiques. Le prix de ces parts
dépendait de trois paramètres : probabilités individuelles de défaut des émetteurs présents dans le portefeuille de
titrisation, taux de recouvrement en cas de défaut de chacun des prêts sous-jacents, et enfin... corrélation entre les
événements de défaut. Ces paramètres n’étaient clairement pas observables, conduisant au placement des parts
de SPV dans la catégorie level three pour une valorisation comptable... flexible.
La réponse du FASB, permettant aux banques, selon leur « jugement », de changer le mode de
valorisation comptable lorsque les critères d’appartenance à l’un des trois « niveaux » ne sont plus respectés,
pose avec acuité la question du contrôle interne et externe des valorisations. Appelé facétieusement mark to
myth, « le niveau 3 » est une estimation du prix reposant sur des paramètres internes, non observables sur le
marché, et donc difficiles à contrôler. Il peut par exemple s’agir d’un swap CMS (constant maturity swap) 10 ans
sur le taux à 10 ans d’une devise dont la courbe de taux est peu traitée. Comme la valorisation de ce swap exige
une courbe de taux sur 20 ans (pour calculer le taux forward 10 ans dans 10 ans, par exemple), une crise de
liquidité rend difficile toute évaluation reposant sur des paramètres extraits du marché. Il en résulte une
valorisation difficile, voire impossible à produire, et bien sûr à contrôler.
2.4.2. - La transparence financière (IFRS 7)
La transparence de l’information financière délivrée par les établissements de crédit
constitue une des conditions de la restauration et de la préservation d’un climat de confiance.
A cette fin, a été promulgué en 2009, un amendement de la norme IFRS 7, relative à
l’information financière sur les instruments financiers valorisés à la juste valeur. Cet
amendement, cohérent avec les dispositions des normes américaines (voir encadré sur la
norme FAS 157), prévoit notamment la communication par les banques d’encours d’actifs par
niveaux de juste valeur selon la hiérarchie suivante :
- en niveau 1, la valorisation repose sur l’utilisation des prix de marché disponibles ;
- en niveau 2, est privilégié l’utilisation d’une technique de valorisation fondée sur des
valeurs observables sur le marché ou le recours à des prix de marché d’instruments
assimilables ;
- en niveau 3, les encours résultent de l’utilisation de techniques de valorisation et de
modélisation fondées sur des valeurs non observables.
De même, des grilles indicatives d’informations financières ont également été
élaborées sur les thèmes suivants : expositions CDO (Collateralised Debt Obligations),
expositions CMBS (Commercial Mortgage- Backed Securities), autres expositions subprimes
(Residential Mortgage Backed Securities, prêts, etc.), opérations de dette à effet de levier et
véhicules ad hoc. Pour sa part, le Comité de Bâle a renforcé les exigences en termes
d’information financière à publier dans le cadre du pilier 3 de Bâle II, notamment en matière
de titrisation/retitrisation et d’opérations impliquant des véhicules ad hoc dans lesquels la
banque intervient en tant que sponsor.
Par ailleurs, le Comité européen de supervision bancaire (CESB) a publié
régulièrement des rapports sur la qualité de l’information financière contenue dans les
rapports annuels. En 2008, il était apparu que les informations concernant l’impact de la crise
sur la stratégie d’activité des établissements et sur la gestion des risques, ainsi que la
description des pratiques d’évaluation des instruments illiquides – en particulier la description
des méthodologies d’évaluation et des tests de sensibilité réalisés – méritaient d’être encore
plus détaillées. En 2009, le CESB a conclu à une tendance en progrès bien que des lacunes
subsistassent notamment en ce qui concerne les informations relatives à la juste valeur et à la
dépréciation des actifs financiers et non financiers ; il ressortait globalement une forte
hétérogénéité de l’information produite.
Le CESB a également publié des rapports sur la conformité de l’information financière
fournie au titre du pilier 3 de la directive sur l’adéquation des fonds propres. Le pilier 3 de
Bâle II, pilier complémentaire aux piliers 1 et 2, a pour but d’amener les établissements de
crédit à communiquer de manière détaillée et pertinente sur leurs expositions aux différents
types de risques, leurs politiques de gestion et d’adéquation des fonds propres de ces risques.
Il ressortait, par exemple en 2009, de cette analyse que l’information délivrée par les
établissements financiers européens apparaissait perfectible. En outre, certaines informations
explicitement requises par le texte – telles que celles relatives au back testing des modèles
internes relatifs au risque de crédit – n’avaient pas été communiquées par certains
établissements. Des travaux analogues ont ensuite été poursuivis par l’EBA lesquels
concluent invariablement à des situations en progrès mais nécessitant de façon constante et
pérenne des améliorations.
2.4.3. Une nouvelle définition de la juste valeur : la norme IFRS 13
La norme IFRS 13, publié par l’IASB en mai 2011, a été adoptée par l’Union
européenne en décembre 2012 et est applicable depuis le 1er janvier 2013. Elle détermine une
nouvelle définition de la juste valeur et remplace dans les normes existantes toute disposition
en la matière. Elle s’inscrit également dans le cadre de la convergence entre normes
européennes et américaines. Dans sa définition, « prix qui serait reçu pour la vente d’un actif
ou payé pour le transfert d’un passif lors d’une transaction normale entre intervenants de
marché à la date d’évaluation », la juste valeur est un prix de sortie (« exist price »)
puisqu’elle correspond à un prix pour vendre un actif ou transférer un passif et est
explicitement déterminée du point de vue des « intervenants de marché ».
IFRS 13 retient le principe d’une hiérarchie des données d’entrée (« input ») à trois
niveaux :
- Niveau 1 : prix côté sans ajustement sur un marché actif pour un instrument identique ;
- Niveau 2 : valorisation à partir d’un modèle utilisant des paramètres observables ;
- Niveau 3 : valorisation à partir d’un modèle utilisant des paramètres non observables
(données spécifiques à l’entité notamment) ayant un impact significatif sur
l’évaluation de l’instrument considéré.
Un des principaux impacts d’IFRS 13 porte sur la valorisation des instruments dérivés.
Cette valorisation doit prendre en compte le risque de crédit de contrepartie (CVA –Crédit
Valuation Adjustment) et le risque de crédit propre (DVA - Debit Valuation Adjustment) ce
qui n’était pas formellement requis sous IAS 39.
2.4.4. – la réforme de la norme IAS 39 sur la comptabilisation des instruments financiers et son remplacement par IFRS 9
L’IASB a décidé, à la demande des instances politiques, d’accélérer la réforme de la
comptabilisation des instruments financiers. Cette refonte de la norme IAS 39 qui est devenue
IFRS 9 a été publiée en juillet 2014 et remplacera IAS 39 à compter du 1er janvier 2018 ; elle
comporte trois volets principaux : la classification et l’évaluation des instruments financiers,
les dépréciations et la comptabilité de couverture.
2.4.4.1. – Classification et évaluation des instruments dans la norme IFRS 9.
L’IASB a lancé, le 14 juillet 2009, une large consultation sur un projet de révision de
la norme IAS 39 (Exposure draft financial intruments - classification and measurement), dont
l’objectif affirmé était la simplification du mode de valorisation comptable des positions
financières, réduit à deux méthodes, la « juste valeur » et la valorisation au coût amorti au lieu
des quatre catégories en vigueur : juste valeur par résultat, instruments disponibles à la vente
(Available For Sale), instruments détenus jusqu’à l’échéance (Held To Maturity), prêts et
créances.
Dans ce cadre, il était prévu que seuls les actifs financiers (instruments de dette) gérés
avec l’objectif de percevoir des flux de trésorerie contractuels (Business Model test) et dont
les flux de trésorerie sont basiques10, puissent être comptabilisés au coût amorti. Cela visait,
par exemple, les prêts et les obligations simples (cotées ou non) qu’il était, par ailleurs,
possible, sur option, de comptabiliser à la juste valeur par le biais du compte de résultat si cela
permettait de réduire une distorsion de traitement comptable.
Tous les autres actifs financiers devaient être comptabilisés à la juste valeur par le
biais du compte de résultat (actions, dérivés, instruments de dette complexes comme certains
actifs de titrisation, certains titres perpétuels, instruments dits hybrides tels que des
obligations convertibles...). Ainsi, la juste valeur par le biais du compte de résultat est
devenue une catégorie par défaut et son périmètre s’en est trouvé sensiblement étendu. Les
titres de la catégorie available for sale, parmi lesquels les titres de participation, les parts de
titrisation ou les TSDI, devaient dans ce cadre être soumis à une valorisation en fair value
avec impact sur le résultat, alors qu’ils ne faisaient l’objet, dans la norme précédente, que
d’une valorisation à la « juste valeur » avec impact sur les capitaux propres. Pour sa part, le
reclassement d’actifs est requis dans des situations très restrictives, en cas de changement du
mode de gestion (business model) des instruments (ex : acquisition/ abandon d’une activité)
par exemple. Au total, l’extension du périmètre de la fair value par résultat semblait une
réalité dans la nouvelle norme régissant les instruments financiers et finalement adoptée en
novembre 2010.
Pourtant, la nouvelles norme IFRS 9 n’est pas parvenue à faire consensus ainsi qu’en
témoignent les critiques du Comité de Bâle en août 2009 qui a insisté sur la nécessité, pour les
états financiers, de refléter les modèles de gestion (business model) des établissements et sur
les insuffisances de la juste valeur en cas d’illiquidité ou de dysfonctionnement des marchés.
En faisant de la juste valeur une catégorie par défaut, la norme IFRS 9 ne définissait pas de
mode de gestion spécifique (i.e. activités de trading) devant caractériser les instruments à la
juste valeur par le biais du compte de résultat. L’IASB, qui avait plusieurs fois repoussée la
mise en application qui devait être fixée au 1er janvier 2015, a finalement décidé d’en
reconsidérer certains aspects pour tenir compte des décisions du FASB et, surtout, du refus
d’adoption par la Commission européenne.
L’IASB a donc entrepris de rouvrir le chantier d’IFRS 9 en harmonisant son modèle
de classement et d’évaluation des instruments financiers avec celui du FASB. Le nouveau
modèle dévoilé en novembre 2012 repose sur trois catégories comptables : la juste valeur par
résultat, la juste valeur par capitaux propres et le coût amorti. Dans ce cadre, la juste valeur
par résultat demeure la catégorie par défaut, la catégorie coût amorti correspond à l’activité de
prêts et celle de la juste valeur par les capitaux propres englobe un assez large spectre de titres
de dettes et d’instruments de fonds propres. Un établissement pourra modifier la catégorie
comptable d’un actif financier mais seulement si le modèle économique change sachant que la
norme a défini explicitement deux modèles :
10 c’est-à-dire uniquement constitués d’un remboursement du principal et d’intérêts (contractual cash flow characteristics),
- détention en vue de la collecte des flux de trésorerie contractuels (activités classique
d’intermédiation) ;
- détention en vue de la collecte des flux de trésorerie contractuels ou de la vente
(activités de trading).
Les règles de classification des passifs financiers sont inchangées par rapport à
IAS 39 ; les deux catégories au coût amorti et à la juste valeur subsistent et aucun
reclassement n’est autorisé. La principale modification concerne la réévaluation du risque de
crédit propre pour les passifs financiers désignés à la juste valeur par résultat sur option. Cette
réévaluation est désormais comptabilisée en capitaux propres, sans possibilité toutefois de
constater en résultat la plus ou moins-value réalisée lors d’un éventuel rachat avant
l’échéance. Cette option permet d’éviter l’effet contre-intuitif d’enregistrement d’un résultat
positif lorsque la situation se dégrade.
2.4.4.2. - Les dépréciations
La mise en œuvre des IFRS à partir de 2005 en Europe a conduit à une prise en
compte tardive du risque de crédit auquel devait nécessairement être associé un événement de
perte (défaut de paiement, difficultés financières de l’emprunteur...). Pour amender ce
principe, également fortement critiqué par les superviseurs bancaires et notamment le Comité
de Bâle, l’IASB a publié un document le 25 juin 2009 relatif à l’approche des « pertes
attendues » (« expected losses »), en tant qu’alternative à la méthode des « pertes encourues »
(« incurred losses »). Plusieurs phases de consultation et de nouvelles propositions se sont
succédé et l’atteinte d’un consensus dans ce domaine s’est révélée extrêmement difficile. Il
est vrai que la possibilité de faire des provisions discrétionnaires avait été par le passé
vivement critiquée car elle permettait de pouvoir lisser les résultats d’une année sur l’autre
(entreprises allemandes dans les années 80, Crédit Lyonnais) et s’accompagnait difficilement
des exigences de transparence associées à des marchés financiers développés.
Il est cependant apparu essentiel, dans le cas des banques, de définir un dispositif
permettant de provisionner au plus tôt les pertes futures, en fonction de leur probabilité de
survenance, et non au moment où elles interviennent. Cet argument est d’autant plus valide
que les critiques portant sur la pro cyclicité des normes prudentielles et des règles de Bâle II
avait rendu nécessaire l’adoption d’un dispositif de provisionnement dynamique comme l’a
confirmé le communiqué final du G20 de Pittsburgh. Ayant lui-aussi un effet contra cyclique,
le provisionnement dynamique est une incitation pour les banques à renforcer leurs fonds
propres dans les périodes fastes afin de leur permettre de mieux affronter les crises. Sur le
plan technique, des questions importantes portent sur le traitement de ces provisions par les
administrations fiscales et les distorsions de concurrence qui peuvent en naitre.
En réponse à la forte demande de « plus de convergence » et de « moins de
complexité », l’IASB et le FASB ont, en janvier 2011, publié une approche commune
s’appuyant sur :
- les actifs sains pour lesquels les pertes attendues sont évaluées et enregistrées de façon
étalée avec l’introduction d’un plancher ;
- les actifs douteux sur lesquels les pertes encourues sont constatées immédiatement.
Les autorités bancaires ont cependant estimé que le modèle proposé risquait de
provoquer une volatilité accrue en raison de l’obligation d’estimer à chaque arrêté les pertes
attendues. Ces commentaires ont, à leur tour, été critiqués par les autres parties prenantes si
bien que s’est éloignée la perspective d’un consensus dans ce domaine.
Une nouvelle mouture de texte a été proposée par l’IASB en 2013. Le modèle
applicable aux actifs mesuré au coût amorti et à la juste valeur par les capitaux propres repose
sur le principe du provisionnement de tout ou partie des pertes attendues selon le niveau et la
qualité de crédit des actifs financiers (titres ou prêts), qui sont, dès lors, classés selon trois
niveaux :
- Le 1er niveau vise les actifs dépréciés à hauteur des pertes attendues sur leur durée de
vie sur la base d’une probabilité de défaut dans les 12 prochains mois. Ce sont les
actifs qui viennent d’être comptabilisés ou qui n’ont pas subi de dégradation subite du
risque de crédit ;
- le 2ème niveau concerne les actifs ayant subi une dégradation significative du risque. Ils
doivent, pour leur part, être dépréciés du montant des pertes attendues sur la durée de
vie résiduelle, cette dépréciation s’appuyant sur les probabilités de défaut à maturité ;
- le 3ème niveau correspond aux actifs du niveau précédent et qui de surcroit ont subi des
pertes avérées. Le calcul des intérêts ne se fait plus sur la valeur brute des actifs mais
sur la valeur nette (c’est-à-dire après prise en compte des dépréciations).
Ce schéma vise à répondre aux critiques à l’égard du modèle de pertes avérées qui
entraînent des dépréciations trop tardives. Il répond aux attentes du superviseur en matière de
provisionnement du risque de crédit tandis qu’il se différencie du modèle du normalisateur
américain par le fait que ce dernier envisage de provisionner en totalité et à l’origine les pertes
attendues. Il est, par ailleurs, prévu que les modifications prévoient que les effets de
l'évolution du risque de crédit d'une entreprise ne soient pas retranscrits dans les éléments
courants du compte de résultat mais dans les autres éléments du résultat global (other
comprehensive income).
Concernant la date d’application, le normalisateur comptable a une nouvelle fois
décidé de reporter la date à laquelle s'appliquera obligatoirement IFRS 9. Initialement fixée à
2013, elle avait été décalée à début 2015. Comme l'IASB n'a pas terminé ses travaux,
notamment sur le volet « dépréciation » d'IFRS 9, les entreprises risquent de manquer de
temps pour s'adapter. Après avoir tergiversé sur le sujet, le normalisateur a fixé à 2018 la date
d’application de la nouvelle norme
2.4.4.3. – La comptabilité de couverture
L’IASB a publié plusieurs textes consultatifs à partir de 2010 et 2011 dans ce domaine
important, notamment dans le cadre des activités de marché des banques. Les propositions
n’ont pas facilement fait consensus, par exemple pour la macro-couverture qui a fait l’objet en
avril 2014 de consultations complémentaires. IFRS 9 vise à rapprocher la comptabilité avec
les pratiques de gestion des risques des institutions financières. Ainsi, un élément sera admis à
la comptabilité de couverture s’il existe une relation économique entre l’instrument couvert et
l’instrument de couverture et s’il est déterminé un ratio de couverture mesurant la gestion
effective par l’entité du risque couvert.
Sur le plan opérationnel, IFRS 9 apporte davantage de souplesse par rapport à IFRS
39. Ainsi, la fourchette d’efficacité (80%-125%) est supprimée et le périmètre des instruments
éligibles à la comptabilité de couverture est étendu. A l’inverse, l’interruption d’une relation
de couverture ne doit pas seulement résulter d’une décision comptable mais d’un changement
réel dans l’intention de gestion.
3. – Le risque systémique
Il n’existe pas de définition précise de ce qu’est une entité systémique mais plusieurs
critères semblent pouvoir la caractériser : interconnexion avec le reste du système financier,
taille et importance relative dans son pays d’origine, importance dans les infrastructures
financières du pays, levier d’endettement. Cette réflexion va nécessairement de pair avec celle
sur l’aléa moral. La crise a révélé que certains établissements bancaires, considérés comme
trop importants pour faire faillite (« too big to fail ») peuvent anticiper que l’État les
soutiendra en cas de difficultés majeures et adoptent, par conséquent, un comportement trop
risqué. Après la faillite de Lehman Brothers, les États et les banques centrales sont de facto
devenus les réassureurs en dernier ressort de grandes institutions financières, qu’ils ne
pouvaient laisser faire faillite. Une telle situation justifie qu à l’avenir, une surveillance plus
étroite soit la contrepartie de l’assurance qu’ont ces institutions d’être secourues par les
pouvoirs publics en cas de difficultés. De manière très nouvelle, le coût de la réglementation
ne doi pas uniquement porter sur les risques portés par ces institutions mais sur les risques que
leur activité fait courir aux autres intervenants et à l’ensemble du système financier.
Plusieurs types de mesures sont envisageables pour traiter des institutions
systémiques :
- normes de capital ou de liquidité croissantes en fonction du caractère systémique ;
- supervision différenciée en se reposant sur le pilier 2 de Bâle II sans introduire de
nouvelles règles spécifiques ;
- système d’assurance pour garantir à ces établissements un accès à la liquidité et/ou au
capital ;
- séparation des activités de banque d’investissement et de banque de détail sachant
qu’il semble que la diversification des métiers s’est révélée un facteur de résistance
pendant la crise ;
- enfin, la surveillance du risque systémique ne saurait se concevoir sans le traitement a
priori – par la mise en place de « testaments » – des crises et faillites susceptibles
d’affecter des établissements financiers d’importance systémique.
3.1. - Qu’est-ce que le risque systémique ?
Le risque systémique a fait l’objet de nombreux groupes de travail et travaux
académiques depuis 2008. Une première étape a consisté à identifier ou créer des structures
investies du mandat et des moyens de surveiller ce risque. Cette surveillance est désormais du
ressort du nouveau Conseil de stabilité financière (CSF), qui a succédé le 2 avril 2009 au
Forum de stabilité financière (FSB) et du Comité de Bâle. Le mandat que les membres du
G20 ont confié au CSF prévoit, entre autres, une coopération étroite avec le FMI dans le cadre
d’un processus « d’ alerte rapide », un suivi des meilleures pratiques, l’établissement de lignes
directrices pour les collèges de superviseurs et la mise en œuvre d’un cadre d’action pour les
crises transfrontalières, en particulier celles impliquant des établissements de taille
systémique.
A défaut d’une définition académique largement reconnue, les différentes enceintes
internationales ont travaillé à une acception commune : la crise systémique est une rupture
dans le fonctionnement des services financiers causée par la dégradation de tout ou partie du
système financier et ayant un impact négatif généralisé sur l’économie réelle. Le risque
systémique est donc le risque de matérialisation de cette rupture dans le fonctionnement des
services financiers susceptible d’affecter l’ensemble du secteur ainsi que l’économie réelle.
Le risque systémique peut également être appréhendé à travers la notion d’externalités
négatives. A l’échelle du secteur financier, le risque systémique correspondrait donc aux coûts
que fait supporter le secteur financier à l’économie réelle en cas de crise systémique.
L’identification du risque systémique est complexe et ne peut être définie à partir d’un
seul critère. Ainsi, la taille des institutions financières ne constitue pas le seul critère à retenir
et on peut également considérer le degré de concentration du secteur, le risque individuel
(mesuré par la probabilité de défaut dans le cas d’une institution financière), l’interconnexion
avec d’autres acteurs similaires ou secteurs distincts, ou l’exposition à des facteurs de risque
communs. Les risques des institutions financières ne sont pas non plus forcément liés à leur
taille de bilan compte tenu du poids des expositions de hors bilan et des différences de
référentiels comptables ; la taille peut, a contrario, s’accompagner d’une plus grande
diversification des risques et donc d’une plus grande résilience aux chocs. La situation
macroéconomique et les cycles financiers constituent également des éléments importants dans
l’émergence des crises systémiques. Par ailleurs, l’analyse du risque systémique ne peut se
limiter aux banques. Si le secteur bancaire a joué un rôle important dans le déclenchement et
la propagation de la crise des subprimes, on peut citer les hedge funds qui ont été à l’origine
de la fragilisation de certaines grandes banques comme UBS et Bear Stearns, les difficultés de
l’assureur AIG qui s’est retrouvé dans l’incapacité de faire face aux appels de marges de ses
contreparties sur un portefeuille de CDS s’élevant à 440Mds$ et les rehausseurs de crédits ou
monoliners (FSA, AMBAC, MBIA, etc.).
3.2. – L’identification des établissements systémiques et les règles de surcharge appliquées
Les ministres de l’économie du G20 se sont accordés sur des critères d’identification
des institutions et des marchés d’importance systémique (cf. Encadré), en novembre 2009, sur
la base de propositions conjointes du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque des
règlements internationaux (BRI) et du conseil de stabilité financière (CSF). Les critères
d’appréciation de l’importance systémique d’une institution ou d’un marché sont
nécessairement flexibles. C’est la raison pour laquelle le FMI, la BRI et le CSF ont privilégié
des critères qualitatifs qui laissent aux autorités de supervision une large marge
d’interprétation, jugée nécessaire car elle apparaît comme la seule garantie d’une prise en
compte de la relativité temporelle et géographique du risque systémique.
Encadré 5 : Critères d’identification des firmes et marchés d’importance systémique
(FMI-BRI-CSF)
3 principaux critères ont été retenus. Ce choix est illustré dans le document conjoint FMI-BRI-CSF à travers
trois études de cas d’institutions financières ayant rencontré de graves difficultés pendant la crise financière
récente (Northern Rock, Lehman Brothers et AIG). Ces 3 critères peuvent être définis de la façon suivante :
- la taille : il s’agit d’apprécier le volume des services financiers fournis par une entité individuelle ou un
groupe. La taille au sens de l’identification du risque systémique est une notion exhaustive et recouvre les
expositions autrement dit les risques inscrit au bilan et au hors bilan de l’entité observée. Ainsi le total de bilan
net de Lehman Brothers, 4è banque d’investissement américaine, s’élevait en normes comptables américaines à
340Mds$ à la fin du 2è trimestre 2008, pour un total d’actifs de 600Mds$. L’appréciation de la taille d’une
entité doit se fonder sur une approche économique plus que comptable.
- l’absence de substituabilité : il s’agit d’apprécier la dépendance relative du système financier aux services
financiers fournis par une entité individuelle, afin d’apprécier la résilience du système à la disparition de cette
entité. L’absence de substituabilité peut être notamment identifiée grâce à des indicateurs de concentration
comme l’index Hirschman-Herfindahl qui mesure la distribution des parts de marché dans le secteur financier.
- l’interconnexion : il s’agit d’apprécier les liens directs et indirects entre institutions financières qui vont
faciliter la propagation du risque systémique et sa contagion à l’économie réelle. On peut noter, par exemple, le
nombre et la diversité des contreparties d’AIG (particuliers, entreprises non financières, collectivités publiques
américaines, banques commerciales et d’investissement internationales, money market funds et entreprises
d’assurance) comme facteur de son importance systémique.
Le Comité de Bâle a publié en 2011 sa méthodologie permettant d’établir la liste des
établissements systémiques. Outre les trois dimensions précitées11, ont également été
intégrées l’activité transfrontière (mesurée par le pourcentage d’actifs et de passifs contractés
avec des non-résidents) et la complexité (évaluée à partir de l’encours notionnel de dérivés,
l’importance des actifs évalués à partir de modèles utilisant des données non observables et
l’importance des actifs détenus à des fins de trading ou disponibles à la vente). La
combinaison de ces cinq critères, puis leur pondération individuelle, débouchent sur la
détermination d’un score « systémique » et une liste de 29 institutions sur 73 examinées a été
publiée par le Comité à la fin de l’année 201112. Le dispositif prudentiel envisagé prévoit cinq
niveaux (respectivement 1%, 1.5%, 2% 2,5% et 3,5%) de surcharges de fonds propres en
fonction du score systémique atteint par chaque institution. Ainsi, sur les 29 institutions
identifiées, aucune n’est sujette à l’application de la surcharge maximale. Le Comité de Bâle a
prévu que les législations nationales devaient être adaptées avant le 1er janvier 2014, l’entrée
en vigueur de ces nouvelles dispositions intervenant de façon progressive entre le début 2016
et la fin 2018. L’instauration de surcharges systémiques n’était pas un sujet consensuel et la
position française13 estimait que c’était là une position défectueuse devant être écartée.
L’instauration d’une telle surcharge vient en effet rompre l’égalité de concurrence entre
établissement et il peut être préféré dans ce cas des mécanismes de bail in permettant de
contenir le hasard moral.
La liste actualisée annuellement n’a pas connu de modifications importantes au cours
des années suivantes. A la suite de leurs difficultés respectives engendrant une nette réduction
11 Le critère de la taille est apprécié à partir du total servant de base au calcul du ratio de levier , celui de
l’interconnexion à partir du montant des actifs et des passifs interbancaires et la substituabilité à partir des actifs
en dépôts, des paiements et des règlements effectués et des montants de prise ferme.
12 Bank of America, Bank of China, Bank of New York Mellon, Banque Populaire CdE, Barclays, BNP Paribas,
Citigroup, Commerzbank, Credit Suisse, Deutsche Bank, Dexia, Goldman Sachs , Group Crédit Agricole,
HSBC, ING Bank, JP Morgan Chase, Lloyds Banking Group, Mitsubishi UFJ FG, Mizuho FG, Morgan Stanley,
Nordea, Royal Bank of Scotland, Santander, Société Générale, State Street, Sumitomo Mitsui FG, UBS,
Unicredit Group, Wells Fargo. 13 Rapport Lepetit sur le risque systémique (avril 2010).
de leurs activités, Dexia, Commerzbank et Lloyds Banking Group sont sortis tandis que trois
banques chinoises devenaient systémiques (Agricultural Bank of China, China Construction
Bank. ICBC) ainsi que Standard Chartered (UK).
3.3. - Tarifer la garantie implicite de l’État
La garantie implicite de l’État n’a pas été tarifée aux établissements d’importance
systémique, qui font potentiellement courir d’importants risques à la stabilité financière.
À l’occasion du sommet de Pittsburgh en septembre 2009, les chefs d’État des pays
du G20 ont évoqué conjointement le principe d’une taxation du secteur financier. Par la suite,
les travaux effectués notamment sous l’égide du FMI ont distingués deux instruments
possibles pouvant se combiner entre eux ; une taxe sur les institutions financières (appelée
contribution à la stabilité financière) et une taxe sur les activités financières.
3.3.1. - Taxer les externalités négatives des activités systémiques
La taxe sur les institutions financières pourrait avoir vocation à alimenter un fonds
destiné au règlement des crises ultérieures, la cible de rendement cumulé étant déterminée par
le coût des crises constatées, soit 2 à 4 % du PIB selon le FMI. Le FMI a recommandé
également un champ des redevables très large (toutes les institutions financières) et a estimé
que l’assiette la plus pertinente est constituée par la somme des passifs des bilans, à
l’exception notamment des fonds propres et des engagements réglementés (pour éviter une
double imposition s’ajoutant à celle finançant les mécanismes d’assurance), et des
engagements hors bilan présentant des risques (engagements en matière de produits dérivés,
par exemple).
Ces propositions n’ont toutefois pas eu de traduction concrète au niveau international
et l’absence de consensus sur le sujet est apparue clairement à l’occasion du sommet du G20
de Toronto, fin juin 2010. Après avoir souligné l’accord général de principe sur la nécessité
d’une « contribution juste et substantielle » du secteur financier au coût des interventions
publiques éventuelles, la déclaration finale du sommet se borne, en effet, à constater qu’il
existe « une panoplie d’instruments à cette fin » et à noter que « certains pays prévoient une
taxation financière » et que « d’autres pays ont choisi des approches différentes ».
La taxation du secteur financier semble aujourd’hui davantage susceptible d’être
coordonnée dans un cadre européen. À la suite d’un conseil de l’Union européenne réuni le 17
juin 201014, les gouvernements français, britannique et allemand ont rendu publique, le 22
14 La position arrêtée par l’Union, telle qu’elle ressort des conclusions de ce Conseil, est la suivante : « L'UE
devrait jouer un rôle de premier plan dans les efforts consentis pour définir une stratégie à l'échelle de la
planète visant à l'instauration de systèmes de prélèvements et de taxes sur les établissements financiers, en vue
de maintenir des conditions égales pour tous au niveau mondial, et elle défendra vigoureusement cette position
vis-à-vis de ses partenaires du G20. Il conviendrait de réfléchir à l'introduction d'une taxe mondiale sur les
transactions financières et de faire avancer les travaux dans ce domaine ». Parallèlement, le Conseil a convenu
que « les États membres devraient instaurer des systèmes de prélèvements et de taxes sur les établissements
financiers afin d'assurer une répartition équitable des charges et d'inciter les parties concernées à contenir les
risques systémiques », la République tchèque se réservant toutefois de ne pas instaurer de telles mesures. Les
conclusions du Conseil précisent qu’il est « urgent de poursuivre les travaux sur leurs principales
caractéristiques et d'examiner avec attention la question des moyens propres à assurer que les règles du jeu
juin, une déclaration commune attestant de leur volonté de mettre en place une taxation assise
sur les bilans des banques. Cette déclaration précise que les dispositifs retenus pourront
diverger en fonction des spécificités nationales mais que le niveau de taxation choisi garantira
des conditions concurrentielles égales (« a level playing field »).
3.3.2. - Réflexions sur les assiettes envisageables15
Dès lors qu’on opte pour une assiette de patrimoine des acteurs financiers, il convient
de s’interroger sur la catégorie d’actif ou de passif qui remplit le mieux les conditions
d’efficacité recensées.
La taille de bilan doit être exclue du champ des assiettes possibles de la taxe. La
taille de bilan ne constitue en effet pas un étalon pertinent des activités systémique. Elle ne
discrimine pas les activités financières entre elles et traite sur un pied d’égalité les activités les
plus e les moins risquées. En outre, en l’absence d’un cadre comptable réellement harmonisé
(différences entre les normes américaines et européennes), la taille de bilan n’est pas une
mesure universelle et équitable.
Les développements qui suivent évoquent quelques assiettes possibles.
Les passifs de marché. Il s’agirait de taxer le recours à l’endettement des institutions
financières. Cette assiette correspondrait à l’ensemble du passif moins les fonds propres
(ressources permanentes dont le remboursement est à la main de l’émetteur) et les dépôts
(ressources privées non levées sur les marchés et garanties dans la plupart des pays).
Autrement dit cette assiette couvrirait tous les instruments de dette en bilan utilisés comme
effet de levier : dettes interbancaires, dettes obligataires émises à court et à long terme, prêts-
emprunts de titres (repurchase agreement). Cette assiette apparaît pertinente pour les taxes
dont l’objectif est de rembourser le coût de la crise pour les pouvoirs publics. En effet,
l’endettement des institutions financières est sans doute la catégorie la plus représentative des
interventions publiques pendant la crise : liquidités injectées par les banques centrales,
garanties de refinancement accordées par les États. Cette assiette est ainsi envisagée par les
pays où les interventions publiques de soutien au secteur bancaire ont été massives et
déficitaires à ce stade. C’est le cas de la TARP fee américaine et en partie aussi du projet de
taxe allemande de 2010. Cette assiette n’apparaît, en revanche, pas pertinente pour corriger
pour l’avenir les comportements à risque du secteur financier :
- l’endettement ne cible pas les comportements à risque des institutions financières.
Les risques d’une activité ne sont pas reflétés dans ses modalités de refinancement.
Une même émission de dette peut financer à la fois un crédit immobilier bien noté peu
risqué et des positions de marché risquées peu liquides.
- la complémentarité avec la réglementation micro-prudentielle est limitée. Le comité
de Bâle a engagé une réforme visant à adopter des règles internationales harmonisées
d’encadrement des risques de liquidité et de transformation des banques.
seront les mêmes pour tous ainsi que celle de l'effet cumulatif des différentes mesures de réglementation » et le
Conseil européen « invite le Conseil et la Commission à faire progresser ces travaux et à en rendre compte en
octobre 2010. »
15 Propositions issues du rapport Lepetit sur le risque systémique.
- cette assiette pénaliserait le modèle d’intermédiation bancaire, dans l’hypothèse où
l’endettement actuellement hors bilan ne serait pas à l’avenir reconsolidé en bilan
(conduits et véhicules de titrisation de crédits, quand bien même ils constituent un
canal de refinancement des banques).
Actifs pondérés par les risques. Il s’agirait de taxer les actifs des institutions
financières après pondération par les risques, selon la méthode définie par le comité de Bâle
en matière de solvabilité des banques. Cette assiette est représentative du profil de risque
global des institutions financières mais elle présente toutefois plusieurs limites car toutes les
institutions financières ne calculent pas d’encours d’actifs pondérés par les risques (risk
weighted assets, RWA) et la complémentarité avec la réglementation micro-prudentielle est
faible car la taxe serait assise sur les mêmes mesures de risque. En outre, cette assiette
favorise les activités de marché par rapport aux banques universelles, compte tenu du fait que
la pondération des activités de crédit est relativement plus élevée. Le rapport Lepetit rappelle
ainsi que « les exigences en fonds propres des huit principaux groupes français au titre du
risque de marché s’élevaient en 2008 à 5 % du total de (leurs) exigences en fonds propres ». Il
note également que « les nouvelles mesures décidées par le comité de Bâle vont modifier cet
équilibre mais ne pourront sans doute pas le renverser complètement ».
Instruments de marché potentiellement illiquides. L’utilisation de cette base
taxable qui suppose donc une harmonisation accrue des publications des institutions
financières, présente de nombreux avantages. Elle constitue une bonne approximation du
risque systémique fortement complémentaire de la régulation micro-prudentielle. Les
positions illiquides de marché sont mal appréhendées par les dispositifs de tarification
prudentielle (limites de la VAR pour calculer les exigences en fonds propres et risque
d’illiquidité mal appréhendé du fait de leur traitement comptable) alors même qu’elles
comportent un risque systémique élevé et particulièrement mis en lumière pendant la crise.
3.3.3. - Affectation
On peut envisager d’affecter la taxe à un fonds national de résolution de crise ou au
budget général de l’Etat. La deuxième solution permet d’éviter tout parallélisme avec un
mécanisme d’assurance, l’objet de la taxe étant de corriger les comportements à risque. En
outre, il semblerait plus difficile de faire contribuer des institutions financières de catégories
très différentes (banques, fonds) à un même fonds. La mise en œuvre internationale de cette
taxe supposerait de déroger aux règles de territorialité de l’impôt. Il est en effet proposé de
taxer les institutions financières redevables sur une base consolidée, afin d’éviter les risques
de délocalisation d’activités au sein d’un même groupe. Cette approche reviendrait à déroger
au principe des conventions fiscales internationales fondées sur la taxation d’entités
transfrontières sur une base sociale. Elle supposerait de définir une clef de répartition du
produit de la taxe entre États. Cette clef de répartition devrait correspondre au partage des
responsabilités publiques en cas de difficultés de l’entité redevable.
La Commission européenne a aussi exprimé le souhait que les contributions retenues
par chaque État membre pour alimenter des « fonds de prévoyance » dédiés visent « les
institutions qu'ils supervisent ainsi que leurs filiales opérant dans les autres pays européens ».
3.3.4. – Les projets britannique, allemand et suédois
Le ministre britannique des finances a annoncé l’introduction d’une taxe sur les
banques (« bank levy ») à compter du 1er janvier 2011 afin de réduire le risque systémique. La
cible de rendement s’établissait à environ 2,5 milliards de livres. L’assiette de taxation est très
proche de celle prônée par le Fonds monétaire international et la Commission européenne16. Il
a été décidé de taxer seulement les grands établissements (ceux dont le total de bilan excède
20 milliards de livres) et d’asseoir la taxe sur le passif des banques, à l’exclusion des fonds
propres de base (dits capital tier 1) et des dépôts assurés et de prendre en compte dans
l’assiette le passif net résultant des positions sur des produits dérivés. Un taux de 0,07 % a été
fixé initialement et a été porté à 1,105% en 2015 avec l’objectif de générer 900 millions de
livres de ressources supplémentaires en régime de croisière.
Le Gouvernement allemand a instauré un fonds de secours financé par une
contribution des banques. L’assiette est assez proche du projet britannique avec quelques
différences techniques (l’assiette comprend ainsi la valeur nominale des engagements hors
bilan en matière de dérivés en fin d’exercice, taxée au taux de 0,00015 %). Le produit des
contributions est affecté au fonds de secours, qui pourra prélever, en cas de besoin, des
contributions exceptionnelles. Les contributions exceptionnelles seront déductibles, au
contraire des contributions ordinaires. Le produit attendu, entre 1 et 1,2 milliard d’euros, a été
atteint dès la première année de sorte que la taxe allemande n’est pas pérenne.
La Suède a mis en place une taxe bancaire en 2009 visant un objectif de prévention
du risque systémique. Cette taxe, dite taxe de stabilité, est prélevée au taux de 0,036 % sur
une assiette liée au passif des établissements bancaires corrigé selon des modalités similaires
aux Britanniques (notamment par l’exclusion des fonds propres). Elle a été prélevée d’abord à
taux réduit de moitié puis à taux plein à compter de 2011. Son produit est affecté à un fonds
de stabilité financière, qui bénéficie d’une garantie illimitée de l’État et qui a, par la suite,
fusionné, avec le fonds de garantie des dépôts. La taxe a vocation à financer un abondement
du fonds à hauteur de 2,5 % du PIB en 15 ans. Par comparaison, on peut noter qu’en France, il
aurait été nécessaire de dégager un produit annuel de l’ordre de 3 milliards d’euros pour
parvenir à un tel objectif.
3.3.5. - La taxe bancaire française
La loi de finances pour 2011 a proposé la création d’une taxe, dite taxe de risque
systémique, à la charge de grands établissements de crédit soumises à des exigences
minimales en fonds propres supérieures à 500 millions d’euros. La nouvelle taxe adoptée en
France a pour assise l’assiette utilisée par le régulateur prudentiel pour déterminer les
exigences en fonds propres réglementaires et son rendement visait initialement à compenser le
coût, pour les contribuables, de la résolution des crises bancaires. La taxe d’un taux de 0.25%,
porte à 0,5% des 2012, est affectée au budget général pour préserver l’incertitude quant à
l’éventualité d’une intervention publique et ne pas développer l’aléa moral.
16 Les passifs, moins les dépôts et le capital : c'est l'assiette préconisée par la Commission européenne
en septembre 2010 pour mettre les banques à contribution en vue de leur faire supporter le coût de l'éventuelle
faillite de l'une d'entre elles. Les services de la Commission estiment que « les passifs d'une banque devraient
permettre de mieux évaluer que ses actifs ses interconnexions » avec le reste du secteur, autrement dit son
«risque systémique ».
La définition d’une assiette consolidée aboutit à la taxation de risques correspondant à
des activités exercées hors de France et constitue une dérogation importante au principe
traditionnel dans notre droit de la territorialité de l’impôt. D’un point de vue économique,
l’assiette retenue n’est pas exempte de critiques (cf. 9.3.3.2) et d’autres bases de taxation
comme celle des instruments de marché illiquides préconisée par le rapport Lepetit se serait
inscrites dans une logique complémentaire de la réglementation prudentielle. De ce fait, elle
est cependant difficilement envisageable dans un cadre strictement national dans lequel son
instauration aurait probablement pour effet direct la délocalisation d’activités hors de France
alors que s’éloigne la perspective d’une taxation internationale depuis le G20 de Toronto.
L’assiette des risques pondérés malgré ses limites qui sont celles de la réglementation
prudentielle elle-même, est donc apparue au législateur la moins mauvaise possible dans un
cadre national. Il convient, au surplus, de noter que la réglementation prudentielle évolue pour
mieux appréhender les risques de marché. Cette assiette a, en outre, de nombreux mérites
techniques. Elle repose, en effet, sur des concepts bien établis, dont les redevables sont
familiers, et qui sont constamment adaptés par le régulateur.
Selon l’évaluation préalable de la loi de finance, le produit de la taxe, qui est affecté au
budget général, devait s’élever à 504 millions d'euros en 2011, à 555 millions d'euros en 2012
et à 809 millions d'euros en 2013. Pour 2014, la France a augmenté le taux de la taxe
systémique à 0,529% au lieu de 0,5% de leur exigence de fonds propres. La majoration vise à
financer une contribution pluriannuelle au fonds de soutien aux collectivités locales, créé pour
régler le problème des emprunts toxiques. A compter du budget 2015, la taxe a été rendue non
déductible à l'impôt sur les sociétés afin de générer 300 millions d’euros de recettes
supplémentaires qui contribueront à alimenter l’enveloppe de 3,6 milliards d'euros de recettes
supplémentaires rendue nécessaire pour que la France puisse faire avaliser son budget 2015
par la Commission européenne.
La loi de finance pour 2015 a cependant prévu la suppression progressive de la taxe
sur le risque systémique dont le taux baissera progressivement jusqu'à devenir nul en 2019. La
mise en place de la nouvelle contribution non déductible au fonds de résolution européen,
alimenté par les banques françaises à hauteur de 15 milliards d'euros sur huit ans (2 milliards
par an) va en effet générer un surcroît important de recettes d'impôt sur les sociétés qui
compensera la suppression de la taxe systémique.
3.3.6. - La taxation des transactions financières
En août 1971, le président américain Richard Nixon décide d'abolir la convertibilité du
dollar en or, mettant fin de fait au système monétaire international mis en place en 1944 par
les accords de Bretton-Woods, qui garantissait une grande stabilité des taux de change. C'est
dans ce contexte qu'en 1972, le professeur d'économie américain James Tobin évoque, lors
d'une conférence à l'université de Princeton, l'idée d'une taxe d'un taux très faible (entre 0,05
% et 0,2 %) sur les transactions financières qui permettrait de "jeter quelques grains de sable
dans les rouages de la finance internationale", c'est-à-dire de limiter l'instabilité des marchés
financiers en freinant le développement de la spéculation à court terme. Il reçoit le prix Nobel
d'économie en 1981.
En 1984, la Suède instaura une taxe de 0,5 % sur les transactions financières sur son
marché d'actions. Ce taux fut doublé en 1986, puis la taxe étendue au marché des obligations.
Mais l'expérience fut un échec ; les revenus générés s'avérèrent décevants car la taxe
provoqua une fuite des capitaux hors du pays et l'expérience est abandonnée en 1990.
La taxe est remise au goût du jour au milieu des années 1990, après la crise du système
monétaire européen en 1992, puis la crise du peso mexicain en 1994. Cette année-là, le
président socialiste François Mitterrand relance l'idée au sommet social de Copenhague, et
elle est à nouveau évoquée un an plus tard en marge du G7 à Halifax. En 1998, l'organisation
non gouvernementale Action pour une taxe Tobin d'aide aux citoyens (Attac)" devenue
l'Association pour la taxation des transactions financières et pour l'action citoyenne) voit le
jour en 1998 et le fer de lance de l’altermondialisme et de la mise en place de la taxe. En
juillet 2001, des émeutes éclatent dans le cadre de l’organisation du G8 à Gênes et débouchent
sur la mort d’un jeune manifestant. Cette épisode dramatique pousse James Tobin à sortir de
sa réserve et à critiquer les altermondialistes dont les positions "partent d'un bon sentiment,
mais sont mal pensées".
En 1997, Lionel Jospin, devenu premier ministre, renonce à mettre en place la taxe
qu'il avait défendue deux ans plus tôt. Son ministre des finances, Dominique Strauss-Kahn,
n’y est, en effet, pas favorable et fait notamment figurer dans un document budgétaire de
Bercy une étude officielle la critiquant très fermement. A quelques mois d'une nouvelle
élection présidentielle, Lionel Jospin la ressort du chapeau en août 2001 et se dit "favorable à
ce que la France propose que l'Union européenne prenne une initiative (sur une taxe sur les
transactions financières) au plan international". Quelques jours plus tard, son homologue
allemand du SPD, Gerhard Schröder appelle à ouvrir un débat européen sur le contrôle des
flux financiers spéculatifs. Le 19 novembre 2001, en France, l’Assemblée nationale adopte le
principe d’une taxation des transactions sur le marché des devises, mais pose la condition que
celle-ci n'entrera en vigueur que si une mesure identique est adoptée par les autres pays de
l'Union européenne. La taxe retombe dans l'oubli avec la victoire de Jacques Chirac (UMP) à
la présidence de la République en 2002. C’est pourtant la droite qui va peu à peu prendre la
main sur le sujet. En 2006, le chef de l'État parvient à instaurer une taxe pérenne sur les billets
d'avion, adoptée par 27 pays (elle a depuis apporté près de 180 millions d'euros
supplémentaires à l'aide française au développement) ce qui amène, en 2007, le ministre des
affaires étrangères Bernard Kouchner à relancer le principe d'une taxe sur les transactions
financières sur la base d’un prélèvement "indolore" de 0,005 %, qui rapporterait 30 milliards
d'euros par an.
En août 2009, le basculement d'Adair Turner, chef de l'autorité britannique des
services financiers (FSA), en faveur de la taxe, marque un tournant. Gordon Brown, en
novembre 2009 se dit favorable à l'examen de la mise en place de la taxe Tobin sur les
transactions financières et le G20 demande au Fonds monétaire international (FMI)
d'accélérer la réflexion autour de la faisabilité d'une telle taxe. Le FMI ainsi que les États-Unis
et les marchés financiers y restent très opposés ; le Fonds se prononce finalement pour une
taxe sur les seules entreprises financières.
L'extension de la crise grecque à toute la zone euro étend encore le cercle des
partisans. En juin 2011, la Commission européenne propose à son tour l'introduction d'une
taxe sur les transactions financières à partir de 2014 pour alimenter le futur budget de l'Union
européenne. En août, Nicolas Sarkozy et la chancelière allemande, Angela Merkel, annoncent
une prochaine initiative franco-allemande sur le sujet. En novembre, Nicolas Sarkozy se fait
le héraut de la taxe Tobin au G20 à Cannes. "Une taxe sur les transactions financières est
techniquement possible, financièrement indispensable, moralement incontournable", assure le
chef de l'État. La taxe reçoit notamment le soutien de l'Argentine et l'Afrique du Sud, mais un
très grand nombre de pays y restent farouchement opposés, notamment les États-Unis et la
Chine. L'initiative au niveau mondial semblant dans l'impasse, le Royaume-Uni – qui
s'inquiète pour la place financière de Londres – et la Suède – échaudée par son expérience de
1984 – n'en voulant pas, l'idée se profile d'une taxe circonscrite à la zone euro.
Début 2012, la France est apparue finalement isolée sur le sujet en Europe mais
annonce l’adoption d’une taxe sur les transactions générant quelques centaines de millions
d’euros par an. En octobre 2012, onze pays, dont l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne,
ont lancé une initiative en vue d’instaurer une taxe, susceptible de rapporter environ 10
milliards d'euros par an aux États. L’Allemagne a cependant rapidement indiqué que son
application ne pouvait être immédiate, notamment dans la perspective des élections
législatives prévues pour l’automne 2013. Le projet fait l’objet de réactions négatives comme
celle du Gouverneur de la Banque de France, qui souligne que la TTF voulue par Bruxelles
présente « un énorme risque » pour les pays qui l’appliqueraient. Elle provoquerait « une
hausse du coût du capital pour les Etats et les entreprises » concernés, une « baisse de la
liquidité sur les marchés »17. Les banques des pays concernés ont fait également valoir que
ce projet aurait des conséquences lourdes sur le financement des entreprises qui ont recours
aux marchés de capitaux et créerait une distorsion de concurrence et une fragmentation fiscale
majeure. Enfin, cette taxe engendre un risque de délocalisation de pans entiers d’activités
financières et fragilise les acteurs français de la gestion d’actifs.
Le projet est réactivé en 2014 mais ne débouche sur aucun accord entre les 11 pays de
l'Union (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Estonie, France, Grèce, Italie, Portugal,
Slovaquie et Slovénie). Le 5 janvier 2015, le président de la République, François Hollande,
annonce une initiative française en faveur d’une taxe ayant « une assiette la plus large
possible ». Elle serait « mise au service du climat, de la lutte contre le réchauffement
climatique ». Pourtant les divergences vont demeurer importantes ; l’Estonie ne veut plus
participer à l’accord ; la France, au contraire de l’Italie ne souhaite pas taxer les dérivés
actions, dans lesquels ses banques sont en pointe, l’Allemagne n'a pas intérêt à ce que les
dérivés de taux, seuls, soient taxés, tandis que plusieurs petits pays freinent une taxe sur les
actions seulement, compte tenu du coût de la mise en place du nouvel impôt et des faibles
recettes attendues pour eux. La position défendue par la France vise à taxer les actions (elle a
déjà une taxe de cette nature) et aussi les CDS (credit défault swap), qui représentent environ
3 % des dérivés négociés de gré à gré au niveau mondial et serait représentatif des activités
qui ne financent pas l'économie réelle.
Malgré la volonté affichée par le ministre des finances français, Michel Sapin, au
sommet de l’euro group du 16 juin 2016, l’incapacité politique paralyse la finalisation du
projet. Prévue uniquement dans moins de 10 pays de l’UE sur 28, il est sûr que la TTFE
conférerait un avantage concurrentiel aux places financières hors zone euro (Londres,
Singapore, Hong Kong, New York...) et il n’est pas sûr que les Etats-membres en retireraient
les recettes fiscales escomptées. De surcroit, dans le cas de la France, a déjà été introduite une
taxe sur les transactions financières, depuis le 1er août 2012 qui porte sur les achats et ventes
d’actions des sociétés dont la capitalisation boursière dépasse un milliard d’euros et dont le
siège social est en France. Son taux, initialement de 0,1 % a été porté à 0,2 % par la première
loi de finances rectificative de juillet 2012. Cette taxe rapporte de l’ordre de 700 millions
environ au budget de l’Etat français.
17 Interview donnée au Financial Times le 28 octobre 2013.
3.4. - Mesures de séparation ou d’interdiction permanente des activités des institutions financières
3.4.1. – La séparation de la banque de détail et de la banque d’affaire.
Des mesures dites de « narrow banking » interdisant aux banques de dépôts certaines
activités risquées ont été mise en place de longue date au Royaume Uni à travers le régime
des building societies qui reçoivent des dépôts et dont les activités bancaires autres que les
prêts immobiliers résidentiels sont restreintes par des limites quantitatives (cas des prêts
immobiliers commerciaux) et/ou des interdictions (trading pour compte propre). La référence
en la matière est, bien sûr, constituée par le Glass-Steagal Act de 1933 qui a cependant été
assoupli peu à peu puis supprimé en 1999. Peu à peu, le modèle de banque universelle s’est
imposé, notamment en France, à mesure de la constitution des grands groupes bancaires
opérant à une échelle mondiale sachant que ce modèle peut être jugé performant en cela qu’il
permet une mutualisation et une diversification des risques a l’échelle d’une banque.
La crise a remis la problématique de la séparation des activités bancaires notamment
quand les banques d’affaires américaines n’ont dû leur salut qu’à leur reprise par des banques
commerciales (Merryl Lynch) ou leur conversion en banque de dépôt (Goldman Sachs,
Morgan Stanley). Au début de l’année 2010, Paul Volcker a proposé, lors du débat sur la
réforme de la régulation aux États-Unis, d’interdire aux banques de dépôts de faire des
activités risquées sur les marchés. Le Dodd-Frank Act a ainsi introduit une forme de
restriction des activités appelée règle Volcker (Volcker Rule) qui limite les activités des
banques de dépôt concernant les opérations pour compte propre, le capital-investissement et
les hedge funds. Ces deux dernières limitations n’ont guère suscité de controverse puisque ces
activités, assez faciles à définir, ne constituaient pas un volet important des opérations des
banques commerciales. En revanche, les limitations des activités pour compte propre a été
beaucoup plus difficiles à définir et à mettre en œuvre. L’avis de projet de réglementation
soumis par les agences de réglementation des États-Unis comptait ainsi plus de deux cents
pages et appelait des commentaires sur 383 questions. A la suite de la définition que les
régulateurs ont retenu concernant le compte propre, (la législation Dodd-Frank ne comportait
guère d’instructions concrètes à ce sujet, d’où la longue liste de questions), la règle Volcker a
consisté à maintenir le rôle de teneur de marché au sein des activités susceptibles de collecter
des dépôts pour ne pas enfreindre les activités de couverture des banques pour le compte de
leurs clients.
Les mesures de séparation des activités remettent en cause le modèle de banque
universelle au profit de deux statuts distincts, celui de banque commerciale de dépôt d’une
part (dont les activités bancaires se limitent aux services à la clientèle) et celui de banque
d’investissement d’autre part (spécialisée dans les activités pour compte propre). Diverses
questions sont associées à la problématique de la séparation des activités :
- La séparation des activités bancaires et de marché se justifie par le fait qu’elles ne
portent pas sur le même type d’actifs. Les premières portent sur des actifs de nature
monétaire et correspondent à des créances sur les agents économiques tandis que les
secondes concernent des actifs dont la valeur peut fluctuer en fonction de
l'appréciation des marchés. A la différence du banquier - qui prête l'argent des autres –
le financier place ses propres deniers ou ceux de sa clientèle qui sont alors exposés à
certains risques de variation. C’est cette dualité qui justifierait la séparation des deux
catégories d'activités sachant par ailleurs que des fonds de résolution commun ne
peuvent être viables qu’à la condition que les risques mutualisés soient de nature et
d’intensité comparables. Il n’est guère contestable que les risques des banques
commerciales sont très différents de ceux de la banque de financement et
d'investissement (BFI); de même que les grands établissements systémiques peuvent
subir et engendrer des pertes qui n'ont rien à voir avec celles des banques de proximité.
Il n'est donc guère imaginable d'organiser une solidarité en mélangeant les uns et les
autres.
- La séparation peut être inadaptée à la réduction du risque systémique, voire
contreproductive dans certains cas ; elle pourrait augmenter la vulnérabilité de
certaines entités qui concentreraient les activités interdites aux banques de dépôts et
deviendraient des contreparties peu substituables, dont le défaut serait préjudiciable à
l’ensemble du secteur financier.
- La distinction banque de dépôt/banque d’affaires peut conduire à mettre en place deux
systèmes de supervision distincts, comme c’est le cas aux États-Unis, et favoriseraient
le développement d’arbitrages réglementaires alors même qu’une régulation efficace
du risque systémique vise précisément à réduire ces possibilités.
- La faisabilité opérationnelle de ces mesures peut être difficile. La distinction entre
banque commerciale de dépôt et banque d’investissement n’apparaît pas nette
contrairement à la situation des années 30 dans un système de change fixe où la
circulation du capital était très limitée. Certaines prestations classiques des banques
d’investissement (produits de couverture de taux, de change, de défaut, etc.) sont
devenues indissociables des prestations des banques commerciales et la séparation de
ces activités conduirait à appauvrir considérablement les services bancaires. De même,
la distinction effectuée entre activités de clientèle et activités de compte propre semble
difficile compte tenu de la forte porosité des activités de marché.
Toutes ces problématiques sont venues peser dans le débat politique, par exemple en
France lors de la campagne présidentielle de 2012 et en Grande Bretagne (rapport Vickers).
L’independant Commission on banking (ICB) ou commission Vickers a proposé, en
septembre 2011, une réforme profonde des banques de dépôts. Le rapport final prévoyait
d’isoler les activités de détail dans des entités contrôlées par son propre conseil
d’administration et cantonnés de manière à réduire ses relations avec le reste de
l’organisation. La banque de détail a vocation à être davantage réglementée avec des normes
élevées de capital et d’autres obligations, l’idée est d’isoler l’activité de détail de la faillite des
autres composantes du groupe effectuant des activités risquées. Les propositions Vickers ont
été celles qui sont allées le plus loin dans l’idée se séparation des activités et les règles en
découlant ont été rendues applicables seulement à partir de 2019. En Grande Bretagne, les
banques devront se scinder en deux entités, dotées de conseil d'administration et de
capitalisation distincts sans toutefois que le rapport Vickers ne réponde pas à toutes les
interrogations liées à la manière de découper les activités, notamment dans le domaine de la
banque commerciale.
La réforme bancaire et financière française, élaborée fin 2012, en application du
« discours du Bourget » de François Hollande s’est fixée pour objectif de limiter les activités
de marché à celles nécessaires au financement de l’économie sans toutefois remettre en cause
fondamentalement le mode d’organisation des banques en France. Il est vrai qu’il n’y a pas eu
d’approche coordonnée en Europe dans ce domaine et que la France faisait cavalier seul en
raison de la promesse faite durant la campagne présidentielle. Ainsi, si le trading à haute
fréquence et sur matières premières agricoles a été interdit, le cantonnement des activités
spéculatives porte sur des activités limitées et la tenue de marché, par exemple, n’a pas été
considérée comme de nature spéculative. Preuve d’une relative précipitation et de la difficulté
à identifier ce qui relève de l’intermédiation normale et de la spéculation, aucune étude
d’impact n’a été produite quant aux conséquences de la loi et c’est sans doute dans le domaine
de la cartographie et de la transparence des activités de marché que cette loi pourrait entrainer
des améliorations. Dans le cas français, il faut aussi relever que les points les plus importants
de la loi ne relèvent pas de la séparation des activités mais de la résolution des crises et des
faillites bancaires. Le mécanisme dit « de solidarité » prévu dans la loi consistait à faire
supporter aux banques une faillite éventuelle de l’une d’elle sans limitation de montant avant
que l’adoption de la directive européenne sur la résolution ne généralise ce principe à
l’échelon européen. Un dernier point a été le renforcement des pouvoirs du superviseur.
L’ACPR peut ainsi demander, en cas de besoin, le remplacement des membres du conseil
d’administration d’établissement dont la situation le justifierait. Le régulateur est également
en charge du suivi de la préparation des plans de rétablissement et de résolution et peut
imposer la cession ou la filialisation de certaines activités. Enfin, il peut exiger d’imputer les
pertes aux actionnaires ou à certains créanciers (bail in par opposition au bail out). La loi dite
de « séparation » a aussi intégré des éléments ne concernant pas directement le risque
systémique. Ainsi, au titre de la lutte contre les paradis fiscaux, la loi impose faire preuve de
transparence sur leurs activités pays par pays. L’Assemblée a également voté un amendement
qui plafonne les bonus des dirigeants des banques et des opérateurs de marché. La France
transpose ainsi, en amont, la directive européenne instituant que la rémunération variable ne
pourra pas dépasser le montant de la rémunération fixe.
L’entrée en vigueur de la loi n’est intervenue qu’en 2015 après la publication des
textes d’application fixant notamment les seuils à partir desquels était rendu obligatoire le
cantonnement des activités spéculatives. Le seuil de la valeur des « activités de négociation
sur instruments financiers » au-delà duquel un établissement est contraint de filialiser ses
opérations pour compte propre a été fixé à 7,5 % du bilan (la valeur des activités concernées
est déterminée « à juste valeur par résultat au sens des normes comptables IFRS »). Le texte
d’application précise ainsi que les opérations qui devront être isolées des activités de services
à la clientèle et de tenue de marché. Ne sont ainsi pas considérées comme des activités
bancaires traditionnelles la constitution de positions purement directionnelles (consistant à
suivre simplement une tendance de marché identifiée et « visant à générer une marge par la
plus-value réalisée »), ainsi que les activités d'arbitrages, « lesquelles visent à profiter
exclusivement de l'inefficience de marché [...] au lieu de viser à apporter une liquidité
additionnelle ».
Les banques ont ensuite dû identifier les unités intervenant pour compte propre
sachant que pour les banques dont le bilan est supérieur à 10 milliards d'euros (soit quasiment
l'ensemble du secteur), le niveau de détail va jusqu'au « plus petit échelon organisationnel de
l'établissement, c'est-à-dire la table de négociation ». Cette classification, qui doit inclure le
détail des effectifs affectés aux opérations, à la commercialisation et à la structuration, doit
être communiquée « au moins annuellement » à l'Autorité de contrôle prudentiel et de
résolution (ACPR) qui se prononce sur son adéquation. Chaque unité doit être encadrée par un
mandat, précisant l'activité de négociation dont elle a la charge et ses conditions d'exercice, en
fonction de la stratégie et de l'appétit au risque de la banque. Le respect de ces mandats est de
la responsabilité du contrôle permanent des établissements qui doivent également s'assurer
que les rémunérations n'encouragent pas une prise de risque excessive. Les unités chargées de
la tenue de marché doivent disposer d’un mandat précisant pour chaque type d'instrument, un
temps de présence quotidien et mensuel minimal sur le marché, et fixant un écart maximal du
prix proposé par rapport à l'écartement moyen de la fourchette constatée sur un marché donné.
Seuls deux groupes (BNPP et Société Générale) ont été conduit à créer des filiales,
respectivement dénommées Opéra et Descartes, exerçant pour compte propre ; elles y ont
transféré des actifs limites (mois d’un milliard d’euros) sachant que la nouvelle
règlementation a conduit les établissements à renoncer à ce type d’activités ce qui explique
pourquoi les groupes Crédit Agricole, Banque Populaire-Caisse d’épargne et Crédit mutuel
n’ont pas eu besoin de séparer leurs activités spéculatives.
Après les règles Volker et le rapport Vickers, le rapport Liikanen, rédigé par un groupe
d'experts européens présidé par le gouverneur de la Banque de Finlande, a proposé une
troisième voie. Comme Volcker, il part du principe de l'existence d'activités financières, qui
ne se limitent pas au trading pour compte propre mais ne préconise pas de les interdire et
recommande de les isoler dans une entité séparée mieux capitalisée. La commission Liikanen
a dressé une longue liste d’activités, incluant celles sur les dérivés pour des clients financiers,
les activités dites de « tenue de marché », les prêts aux fonds alternatifs (dont prime
brokerage pour les hedge funds), les investissements en capital-investissement. Le rapport
préconisait que la séparation n'intervienne qu'au-delà de certains seuils, que la Commission
européenne était censée définir. Au final, les dispositions du rapport Liikanen allaient
beaucoup plus loin que la loi française ce qui a abouti à une vive critique des propositions de
la Commission européenne par les pouvoirs publics, notamment concernant la filialisation
quasi automatique de la « tenue de marché » qui, selon le secteur bancaire, aurait des
conséquences en termes de coûts et pénaliserait les banques continentales par rapport à leurs
homologues implantées à Londres. Le débat a été rendu rapidement difficile du fait de
l’impossibilité de démontrer les affirmations des deux camps. Il en ainsi des subventions
implicites dont bénéficieraient les banques d’investissement du fait de leur adossement aux
banques commerciales et qui peuvent les conduire à une prise de risque excessive allant
jusqu'à nécessiter le soutien des pouvoirs publics (banque centrales et Etats). A contrario, il
est tout aussi difficile de prouver en quoi adosser des activités de natures différentes procure
des gains en termes d'efficience ou de réduction des risques. Le remplacement du
commissaire en charge des questions bancaires, Michel Barnier, par un britannique, Jonathan
Hill, moins favorable à l’idée de séparation, a conduit peu à peu à abandonner le projet au
profit d’autres questions jugées plus prioritaires, sur le climat notamment.
Le Parlement européen a rejeté en mai 2015 le rapport Hökmark, qui défendait une
version largement dénaturée de la proposition faite début 2014 par Michel Barnier. Le texte
propose ne proposait plus d’interdire et de filialiser automatiquement les activités de compte
propre mais donnait seulement aux régulateurs la possibilité de le demander au cas par cas, au
vu des risques pris par chaque établissement.
Au final, les expériences de séparation ont eu des effets très limités. A l’abandon du
projet européen et aux objectifs peu ambitieux des lois françaises et américaines, répond
seulement l’expérience britannique de la « séparation forte » justifiée par un environnement
financier ou le crédit bancaire finance l’économie et les entreprises (70 % en zone euro, 50 %
au Royaume-Uni), plus que les marchés financiers. Dans ce contexte, la séparation apparait
légitime pour s’assurer que les banques concentrent bien leurs moyens (liquidité, capital) sur
le crédit bancaire, et ne se dispersent pas dans les activités de marché. C’est ce que l’on peut
appeler la “séparation forte”, qui sera effective au Royaume-Uni à partir de 2019. En
revanche, dans un contexte ou le financement des entreprises passe par les marchés financiers
comme aux Etats-Unis (70 % des emprunts), il s’agit moins de s’assurer que des moyens
suffisants sont consacrés au crédit bancaire, dès lors que les entreprises ont principalement
recours aux marchés pour se financer, que de limiter les risques pesant sur les banques. C’est
pourquoi la réforme Volcker a choisi une voie plus mesurée c’est-à-dire une interdiction des
seules activités de proprietary trading et une limitation des prises de participations dans des
fonds spéculatifs. Ces deux visions expliquent également le recul européen surtout depuis le
lancement de l’initiative européenne d’Union des marchés de capitaux (UMC) qui vise à
favoriser le financement des entreprises européennes et françaises par les marchés de capitaux
et se rapprocher du modèle américain de financement. L’avenir dira si ces positions seront
pérennes et si la Royaume-Uni met finalement en œuvre son approche de séparation forte
laquelle n’est rendue obligatoire qu’en 2019. D’ici-là, les discussions autour du Brexit
pourrait venir influer sur le mode d’organisation des banques.
3.4.2. - Mesures de restriction permanente de la taille des institutions financières
Cette famille de mesures vise à limiter le levier des institutions financières. Elles font
écho au ratio de levier envisagé dans le cadre de la réforme du cadre prudentiel des banques
engagée par le Comité de Bâle. Ces mesures n’ont d’efficacité que si elles s’appliquent à
l’ensemble du secteur financier, sous peine d’inciter au renforcement du levier des entités non
soumises à ces mesures. Dans cette hypothèse, il est probable que de telles mesures auraient
un effet très négatif sur le financement de l’économie.
Outre le fait qu’elles ne traitent qu’un aspect limité du risque systémique, elles posent
également de redoutables difficultés de calibrage. L’élaboration de ce type de mesure suppose
qu’on puisse définir la taille optimale des institutions financières du point de vue de la
stabilité financière. L’expérience de la crise ne permet pas de déterminer cette taille optimale,
des établissements de petite taille (Northern Rock) ayant parfois démontré une résilience
moindre que certains grands établissements (HSBC, Santander).
3.4.3. - Mesures temporaires imposées par les superviseurs
Si l’imposition à titre permanent de surcharges prudentielles ou de mesures de
restriction d’activité ou de taille apparaît contreproductive, il est pertinent d’envisager ces
mesures à titre temporaire. Les superviseurs micro-prudentiels, sur la base de leurs propres
analyses ou de celles des superviseurs systémiques, doivent être en capacité de pénaliser le
développement de certaines activités lorsque celles-ci peuvent conduire à l’accumulation de
risques identifiés comme systémiques, de nature à fragiliser l’ensemble du secteur financier.
Envisagées à titre temporaire, ces mesures de « refroidissement » des activités financières par
les prix (surcharges prudentielles) ou par les volumes (mesures de restriction d’activités ou de
la taille d’institutions financières) sont utiles, sans poser les difficultés identifiées lorsqu’elles
sont envisagées à titre permanent.
Les surcharges prudentielles temporaires reposent sur une appréciation en continu des
superviseurs et pas sur une liste figée dans le marbre d’entités systémiques. De même, les
mesures de restriction d’activités ou de taille envisagées à titre temporaire ne créent pas de
risques d’arbitrage réglementaire. La nouvelle loi américaine privilégie ainsi la mise en œuvre
à titre temporaire des « Volcker rules » à la discrétion des superviseurs. Les pouvoirs des
régulateurs micro-prudentiels devraient donc être harmonisés en ce sens en élargissant par
exemple le cadre actuel du pilier 2 qui prévoit l’adoption de mesures discrétionnaires par les
régulateurs en fonction du profil de risque propre a chaque établissement.
4. - Les dispositifs de résolution de crise ( crisis management )
L’adoption de mesures visant à faciliter la résolution des crises a figuré parmi les
priorités internationales énoncées notamment lors du sommet de Pitsburgh de septembre
2009. La crise financière a, en effet, démontré les limites des dispositifs de gestion de crise.
Non seulement les dispositifs nationaux divergeaient sensiblement dans leurs objectifs et dans
les moyens à la disposition des autorités en charge de la gestion de crise (superviseur, banque
centrale, Trésor), mais ces dispositifs présentaient surtout de notables faiblesses tant en termes
de réactivité, que de coordination entre autorités.
La principale priorité a été de mettre en place des mécanismes d’absorption des pertes
qui évitent l’intervention des pouvoirs publics et qui aboutissent à faire financer les pertes des
banques par les impôts des contribuables. Le sauvetage des banques par les finances
publiques a, en effet, été très difficilement accepté par les opinions publiques et a contribué à
la généralisation de la remise en cause du « monde de la finance ». Dans ce contexte, la
recherche de mécanismes qualifiés de bail in, par opposition au bail out, a été recherchée. Les
instruments de bail in qui consistent à faire supporter les pertes par les créanciers internes
peuvent être de natures diverses :
- les titres de capital contingent dont le principe est la transformation d’une dette en un
instrument de capital dès lors qu’un seuil de déclenchement (ratio prudentiel par
exemple) aura été atteint ;
- les titres de bail in contractuel dont l’activation est laissée au superviseur ;
- le bail in statutaire qui donne à l’autorité prudentielle, après réduction à zéro des droits
des actionnaires existants, de réduire ou de convertir une partie du passif bancaire dès
lors qu’elle estime que cela est nécessaire à la survie de l’établissement.
Les deux premiers instruments sont apparus complexes à mettre en œuvre et il n’était
pas sûr qu’il existât une base d’investisseurs pour y souscrire. C’est pourquoi le bail in
statutaire limité à la dette junior (emprunts subordonnés) est apparu comme le plus adapté et a
notamment été adopté dans la réforme de la régulation européenne. Tout l’enjeu est de savoir
si les instruments de bail in peuvent être suffisants notamment dans le cadre du sauvetage
d’une grande banque pour ne pas avoir à choisir entre le soutien des pouvoirs publics et la
mise à contribution des déposants.
4.1. - La définition de régimes efficaces et harmonisés de résolution de crise
Les épisodes de l’Automne 2008 ont montré que le traitement des crises bancaires,
notamment systémiques, requérait des outils complémentaires pour les régulateurs en charge
de la résolution. Ceux-ci doivent, en effet, pouvoir agir rapidement et prendre des mesures
telles l’augmentation du capital, des cessions d’actifs ou de fonds de commerce, des
restructurations pouvant aller jusqu’au démantèlement par bloc (good bank, bad bank bridge
bank). Il est aussi nécessaire de s’appuyer sur les ressources d’un fonds de résolution
constitué en général ex ante et qui doit permettre d’éviter de recourir aux finances publiques
des États et donc de faire peser sur le contribuable le fardeau financier lié aux crises
bancaires.
4.1.1. Les différents acteurs impliqués dans la gestion des crises bancaires
La gestion des crises bancaires justifie que différents acteurs se coordonnent et
coopèrent de façon efficace. Le dispositif comprend en général un préteur en dernier essor (la
banque centrale), une autorité de supervision bancaire, une entité gouvernementale (le
ministère des finances généralement) et un assureur des dépôts. La crise a montré que d’autres
intervenants pouvaient être impliqués comme le législateur, les régulateurs d’organismes non
bancaires tels les autorités de surveillance des marchés, de supervision des assurances ou
d’organismes spécialisés dans l’immobilier par exemple qui ont un impact sur la stabilité
financière.
Le Ministère des Finances a une responsabilité essentielle pour assurer la cohérence
du système. Il est en charge de superviser la politique économique et de gérer les
finances publiques. La politique monétaire ainsi que la régulation et la supervision
financières sont déléguées à des institutions tierces (banque centrale et autorité
indépendante) mais les négociations internationales concernant les questions
financières restent de la responsabilité technique du Trésor qui peut cependant associer
la banque centrale, le superviseur et l’assureur des dépôts. Le superviseur est
également autorisé à faire évoluer le cadre réglementaire dans la mesure où le
gouvernement et le parlement sont d’accord avec les grandes orientations prises.
Les banques centrales jouent le rôle de prêteur en dernier ressort qui consiste à assurer
le fonctionnement des systèmes de paiement et assurer la fourniture de liquidité aux
banques qui demeurent fondamentalement solvables. Cette assistance en matière de
liquidité vise à empêcher les phénomènes de panique bancaire et de ruée vers les
guichets. La banque centrale intervient sur le marché monétaire ou octroie des
financements directs aux banques et a pour objectif de prévenir des faillites résultant
de pénurie temporaire de liquidités et ses concours doivent être garantis par actifs de
bonne qualité. Il est aussi important que les banques centrales agissent rapidement et
sans hésitation afin de ne pas altérer la confiance des intervenants qui doivent avoir
une vision claire des intentions et de la politique de la banque centrale. La fonction de
prêteur en dernier ressort pose une série de questions qui justifient d’examiner avec
attention les conditions d’intervention du prêteur en dernier ressort notamment au
regard des notions d’aléa moral et de too big to fail.
Le superviseur est en charge du système financier au jour le jour et responsable de
l’agrément des nouveaux entrants ainsi que de leur liquidation éventuelle. La
supervision quantitative et qualitative vise à influencer le comportement des banques
et le superviseur doit disposer des outils appropriés pour assurer la conformité avec les
lois et les règlements. Une question importante est celle de l’aptitude effective du
superviseur à prendre et faire appliquer des décisions. Le superviseur peut parfois se
limiter à des actions formelles et ne pas prendre les mesures nécessaires en cas de
fragilités bancaires. La complaisance de certains régulateurs a ainsi été fréquemment
dénoncée de même que les interférences politiques qui rendent éminemment
nécessaire l’indépendance du superviseur vis-à-vis du pouvoir politique. Ainsi, peut-
on relever que les décisions de protéger les déposants et de sauver des banques alors
même que des systèmes de garantie des dépôts explicite ou des systèmes de résolution
étaient en place sont avant tout de nature politique et ne relèvent pas de la régulation.
Il apparaît, en effet, que la fermeture de banques dans le contexte d’une crise
systémique peut générer une perte de confiance sur les marchés financiers et entraver
le financement de l’économie. La mise en place d’une régulation macro-prudentielle et
la recherche de l’articulation avec les aspects micro-prudentiels sont des réponses à la
nécessité d’avoir une approche globale pour le suivi du secteur financier.
Les systèmes de protection des dépôts se sont peu à peu généralisés mais ils sont
davantage conçus pour traiter des faillites de petites ou moyennes banques. La crise
financière de par son ampleur systémique a cependant montre que la mauvaise
conception du système de garantie des dépôts pouvait transformer une faillite bancaire
en crise généralisée (Northern Rock au Royaume-Uni). La garantie des dépôts peut
prendre une forme explicite ou implicite. Cette dernière forme correspond à la
situation où les déposants seront totalement remboursés quand une banque fait défaut,
le financement étant assuré par le contribuable. Cette situation survient quand les Etats
ont peur qu’une faillite ne se transforme en ruée sur les dépôts. Les garanties
implicites ne reposent pas sur des mécanismes de paiement préétablis et les décisions
de remboursement sont du ressort du juge. Les incertitudes quant à la mise en œuvre
de la garantie implicite poussent les déposants à choisir des banques importantes et à
entretenir le phénomène de concentration bancaire. Les incertitudes lies à la garante
implicite des déposants par les pouvoirs publics poussent à définir des systèmes de
protection explicite.
Les corps législatifs jouent enfin un rôle important dans la mise en place des lois et
s’assure que les gouvernements et ses agences exercent leur supervision de manière
adéquate. Le rôle des parlements s’est singulièrement accru dans le contexte de crise
financière qui a mis sous pression les finances publiques pour sauver des institutions et
alimenter le système bancaire et les marches financiers en liquidité. Ces mesures
d’exception qui ont été jusqu’à remettre en cause le droit de propriété justifient
l’intervention des parlements.
4.1.2. Les pouvoirs de résolution
Les standards identifiés au niveau européen et international s’agissant des pouvoirs
devant doivent être conférés à l’autorité de résolution sont les suivants :
- modifier l’équipe de direction en place et/ou avoir recours à un administrateur
provisoire ;
- faciliter ou réaliser l’acquisition de la banque défaillante ou de ses activités
par le secteur privé et régler a posteriori les réclamations afférentes ;
- transférer les activités d’une banque défaillante vers une « banque relais »
temporaire afin de les préserver sans interruption de l’exploitation, en vue de la
vente à un acquéreur du secteur privé ;
- réduire les droits des actionnaires dans les cas justifiés par l’intérêt public.
Dans le cas français, le dispositif de gestion des défaillances d’institutions financières
apparaissait plutôt satisfaisant au moment de la survenance de la crise. En amont du
déclenchement de procédures collectives de redressement ou de liquidation judiciaire,
l’autorité de contrôle prudentiel (ACP) disposait déjà d’un panel de pouvoirs relativement
complets : pouvoir d’inviter les actionnaires, à la main du gouverneur de la Banque de France
après avis de l’ACP, à apporter leur soutien financier (augmentation de capital, octroi de prêts
par exemple) dès que l’établissement connaissait des difficultés financières sérieuses sans
nécessairement être en état de cessation des paiements ; pouvoirs de recommandation et
d’injonction ; mesures conservatoires ou de police administrative ; pouvoir de nommer un
administrateur provisoire auprès de l’établissement auquel sont transférés tous les pouvoirs
d'administration, de direction et de représentation de la personne morale. Enfin, le fonds de
garantie des dépôts pouvait, sur demande de l’ACP, intervenir à titre préventif auprès d’une
banque dont la situation laissait craindre à terme une indisponibilité des dépôts. Force est
toutefois de constater qu’eu égard au caractère concentré du marché bancaire français, l’action
préventive du Fonds de Garantie des Dépôts n’aurait été probablement pas suffisante en cas
de difficulté d’un établissement de taille importante.
La loi française de réforme bancaire a confié à l’ACP, rebaptisée ACPR en septembre
2013, des missions nouvelles en matière de prévention de gestion des crises bancaires
s’ajoutant à ses missions de supervision. Un collège chargé de la résolution des crises
bancaires est ainsi créé et les missions du Fonds de Garantie des Dépôts (FGD) rebaptisé
FGDR (pour résolution) sont également étendues. L’ACPR peut décider de mesures de
résolution comme la révocation des dirigeants, le transfert ou la cession de tout ou partie de
l’établissement, décision de faire supporter les pertes par les actionnaires et autres détenteurs
de fonds propres de l’établissement.
4.2. - Résoudre les questions spécifiques aux groupes bancaires transfrontières
Les mesures existantes pour la résolution des défaillances bancaires pour des groupes
actifs dans plusieurs pays sont apparues insuffisantes (DEXIA, FORTIS, AIG) et il a été
admis qu’à défaut de pouvoir être instauré à l’échelon international, un régime de résolution
devrait être rapidement mis en place à l’échelon européen. Le rapport De Larosière concluait
d’ailleurs que « l’absence d’outils de gestion et de résolution des crises harmonisés pour
l’ensemble du marché unique défavorise l’Europe par rapport aux États-Unis. Ces questions
devraient être réglées par l’adoption de mesures adéquates au niveau communautaire ». Dans
ce domaine, les discussions intervenues au niveau européen ont débouché sur un compromis
difficile. La directive établissant un cadre pour le redressement et la résolution des
établissements de crédit (Bank Recovery and Resolution Directive (BRRD)), adoptée le 15
mai 2014, impose d’une part à chaque État de se doter d’une autorité de résolution et de
constituer un fonds de résolution et définit, d’autre part, un cadre européen harmonisé :
- sur le volet préventif, au travers de l’élaboration par les établissements de crédit de
plans de redressement et par les autorités nationales compétentes de plans de
résolution ;
- sur l’intervention précoce, qui doit permettre aux autorités de résolution d’imposer un
plan de redressement dès lors qu’un établissement enfreint ou risque d’enfreindre ses
exigences de fonds propres ;
- sur le volet résolution, qui introduit des procédures d’insolvabilité particulières pour
les établissements bancaires afin de les réorganiser ou les liquider d’une manière
ordonnée tout en préservant leurs fonctions les plus cruciales.
4.2.1. Les “Cross border Stability Group”
La coopération transfrontière au sein des « Cross border Stability Group » (groupes
réunissant les différents acteurs en charges de la gestion de crises du pays d’origine et des
pays d’accueil –Trésor, banques centrales, autorités de supervision- dont la création était
prévue dans le Memorandum of Understanding de 2008) a été largement encouragée et
renforcée au cours de la crise. La limite de ce type de dispositif vient du caractère par essence
fragile de toute obligation de coopération, surtout lorsque ces discussions portent sur des
questions comportant des aspects de confidentialité. La mise en place de l’union bancaire au
niveau européen et la centralisation du pouvoir de décision à Francfort a éclairci cette
question en Europe mais maintient la question de la nécessité non plus d’une coopération
mais d’une intégration étroite entre les superviseurs nationaux et le superviseur européen.
4.2.2. La mise en place de testaments bancaires (« Living Wills »)
Au niveau international, le Conseil de la stabilité financière et le Comité de Bâle ont
engagé, à la demande notamment des autorités britanniques, des travaux au sujet de la mise en
place, par chaque groupe transfrontière, de « plans d’urgence et de résolution » (généralement
dénommés « living wills »). L’objectif de ces plans d’urgence est d’anticiper la résolution
d’une défaillance bancaire en expliquant par avance et en détail comment un établissement et
son activité pourraient être démantelés et liquidés rapidement et en bonne et due forme. La
mise en place de living wills présenterait l’avantage d’améliorer la lisibilité des structures
bancaires, condition nécessaire au démantèlement ordonné d’un groupe en cas de faillite
(précédent Lehman). Elle permettrait également d’éclaircir la question de la transférabilité des
actifs à l’intérieur d’un groupe et pourrait notamment servir de cadre à la conclusion
d’accords « ex ante » entre superviseurs « home » et « host » sur les conditions de
transférabilité des actifs.
On peut s’interroger sur le caractère réellement opérationnel de ces dispositifs face à
des crises dont la nature est toujours délicate à prévoir. Une autre réserve de second ordre est
le statut de ces documents et leur niveau de confidentialité dans la mesure où ils ont vocation
à être connu d’un nombre très limité d’intervenants au sein des superviseurs. A cet égard, ce
type d’exigences peut s’imaginer comme faisant partie du pilier 2 de Bâle II.
4.2.3. L’adoption d’une approche consolidée de la résolution en désignant une « lead resolution authority »
L’activité exercée sur une base mondiale par les groupes bancaires mondiaux oblige
notamment les États-Unis et l’Union Européenne à renoncer à une gestion seulement
nationale des crises et à isoler les actifs au niveau de chaque pays. Pour cela, deux approches
sont envisageables :
- La première est de renforcer la coordination des mesures nationales, largement
insuffisante en 2008. Le protocole d’accord (MoU) sur la stabilité financière, conclu
en juin 2008, était en place lors de la crise mais n’a pas pu constituer un cadre
suffisant et utile pour la coopération entre les États membres.
- La seconde est de retenir une approche consolidée de la résolution des crises
permettant une plus grande intégration du cadre de résolution. Celle-ci peut se réaliser
par la désignation (selon des règles établies ex ante) d’une autorité de résolution
principale («lead resolution authority») qui orchestrerait les modalités de gestion de la
défaillance d’un groupe. Cette autorité appliquerait, en coopération avec les autorités
nationales concernées, les mesures de résolution sur chaque territoire concerné. Cette
approche, nettement plus ambitieuse que la précédente, a pu être envisagée en Europe
après qu’un traitement plus intégré de l’insolvabilité pour les groupes bancaires soit
devenu possible, par exemple dans le cadre d’une Union bancaire européenne.
4.2.4. Faciliter les transferts d’actifs intra-groupe au niveau européen
Il ne peut y avoir de gestion consolidée des risques à l’échelle d’un groupe qui soit
efficace (bénéfique en termes de stabilité financière) sans réduction des obstacles à la «
transférabilité » des actifs entre les entités d’un même groupe (mère-filiales, filiales-filiales).
Ces transferts d’actifs ne soulèvent aucune difficulté en continuité d’exploitation, mais
deviennent quasiment impossibles en situation de crise. En effet, en cas de crise de liquidité,
les autorités en charge de la supervision de chacune des entités du groupe préfèrent opérer un
gel des actifs de cette entité, car elles estiment ne pas disposer de garanties suffisantes en cas
de faillite du groupe dans son ensemble pour récupérer les actifs transférés. Un objectif est
donc de développer ces garanties dans le cadre, par exemple, de la reconnaissance d’un
« intérêt de groupe ».
4.3. Permettre les renflouements internes (bail in)
4.3.1. Un nouvel outil prudentiel au titre de la résolution
Le G20, lors du sommet de Saint Pétersbourg de septembre 2013, a confié au FSB la
responsabilité de définir des règles applicables aux banques systémiques mondiales afin que
leurs difficultés éventuelles aient un impact limité sur la stabilité financière et l’économie.
L’objectif est de compléter les exigences au titre des règles de Bale III, qui visent à couvrir les
pertes inattendues dans une perspective de continuité d’exploitation, par la mise en place
d’une capacité d’absorption des pertes dans une scenario de cessation d’activité et de
résolution (gone concern).
Alors que les pertes inattendues susceptibles de résulter des aléas de l’exploitation ne
peuvent être couvertes que par des éléments de fonds propres (le cas échéant sous forme de
dettes subordonnées), il a été admis que les ressources affectées à l’apurement des pertes en
cas de résolution pouvaient inclure des dettes qui ont vocation à être converties en capital lors
du sauvetage (bail in).
L’objectif du dispositif dit Total Loss Absorbing Capacity (TLAC) est de permettre le
rétablissement ou la résolution d’une banque sans générer de risque systémique et sans
recourir à l’argent public (bail out), tout en assurant la continuité des fonctions bancaires
essentielles (collecte de dépôts, distribution de crédit). Le TLAC doit constituer un pare-feu
destiné à ne plus rendre nécessaire l’intervention des Etats en cas de difficulté bancaire.
Pour se faire, les banques doivent ainsi disposer à tout moment d’une capacité totale
d’absorption des pertes qui doit permettre en cas de résolution de séparer les activités d’une
banque en deux structures distinctes :
- Une « bad bank » concentrant les actifs non performants qui seront adosses aux fonds
propres et dettes identifiés pour le TLAC. La bad bank pourra selon les cas se
redresser et poursuivre son activité soit être mise en faillite.
-
- Une « bridge bank » portant les activités considérées viables lesquelles seront
financées par la dette senior convertie en capital (bail in), les dépôts et les autres
dettes.
Le FSB, après avoir soumis un document consultatif fin 2014, a vu ses propositions
validées au cours du sommet du G20 d’Antalya du 9 novembre 2015. Les débats les plus
importants ont porté sur le degré d’autonomie des autorités nationales en matière de fixation
des exigences minimales, qui s’est finalement avéré assez limité puisque les seuils retenus
sont des exigences minimales non susceptible d’être réduites.
Conformément à l’approche retenue, le TLAC correspond à la somme des exigences
de fonds propres requises au titre de la continuité d’exploitation et de la résolution. Par
exception, les exigences au titre des coussins de conservation, contra-cycliques et systémiques
ne sont pas intégrées à ce niveau et constituent une exigence additionnelle en raison du
caractère non permanent de ces coussins.
4.3.2. Les exigences minimales
Le ratio minimum de TLAC est introduit en deux étapes :
- Les grandes banques devront détenir à partir de 2019 un montant total de TLAC
représentant au moins 16% de leur actif net pondères et 6% du total de bilan (ratio de
levier).
- L’exigence augmentera à compter de 2022 et s’élèvera à 18% des actifs nets pondérés
(RWA) ou 6,75% du total de bilan.
Les seuils finalement retenus correspondent aux bornes minimales qui avaient été
retenus dans de document consultatif en raison de l’influence de certains pays ainsi qu’aux
résultats de l’étude d’impact qui ont révélé des besoins importants de fonds propres pour
certaines institutions. Les exigences définies au regard des actifs pondérés par les risques ne
sont que des seuils minimaux. Comme déjà indiqué, elles n’incluent pas les exigences
relatives aux coussins qui peuvent représenter globalement une exigence complémentaire
évoluant habituellement entre 2,5 % et 5 % des actifs pondérés. Au final, les exigences de
TLAC portent potentiellement les exigences globales entre 19,5 % et 23 % des actifs pondérés
par les risques. Ceci n’empêche cependant pas de fixer des normes plus contraignantes. Ainsi,
certains pays comme la Suisse exigeront des montants plus élevés (ratio de 28,6 % des actifs
pondérés et ratio de levier de 10 %).
Si une institution ne respecte pas le CET 1, elle doit présenter un plan de reconstitution
du capital et peut être amenée à limiter ses distributions de dividendes et de rémunérations
variables. Si à l’issue, les exigences de TLAC ne sont pas respectées, alors des mécanismes de
sanction doivent s’appliquer et déboucher en dernier ressort sur un plan de résolution. Le
niveau minimum de TLAC doit permettre à l’institution après absorption des pertes de
disposer d’une recapitalisation d’au moins 8 % des RWA pour pouvoir démarrer ses activités
sur de nouvelles bases. Ce niveau de 8 % a été retenu pour concilier la double contrainte
d’assurer la continuité des activités clé de la banque et de garantir le respect d’une
capitalisation significative.
4.3.3. Composition du TLAC
Le TLAC peut être constitué d’instruments de fonds propres, de dettes subordonnées,
non sécurisées et dont la maturité résiduelle est supérieure à un an. Par exception, des dettes
seniors à plus d’un an peuvent être éligibles au TLAC dans la limite de 2,5 % (pour un ratio
de 16 %) puis 3,5 % (pour un ratio de 18 %) des actifs pondérés par les risques. Les dépôts
sont exclus du TLAC.
La définition des instruments pouvant entrer dans le TLAC a fait l’objet de longs
débats entre les participants à l’accord. Dans une optique de résolution, il est apparu que
certaines dettes non subordonnées (senior) pouvaient entrer dans la composition du TLAC
même si elles avaient un rang pari passu dans de nombreux pays. Ainsi, si les titres de dette
émis peuvent être mobilisés, le recours à d’autres instruments peut poser des problèmes à
l’économie (dépôts non garantis des grandes entreprises ou produits dérivés). Il faut
cependant mentionner que la directive européenne sur la résolution de 2014 a introduit le
principe du no creditor worse off (NCWO). Selon ce principe, aucun créancier ne peut
encourir de pertes supérieures à celles qu’il aurait essuyer en cas de procédure d’insolvabilité
de droit commun impliquant pour le fonds de résolution de compenser une différence
éventuelle. Cette disposition a imposé de revoir les règles d’insolvabilité qui sont, en grande
partie, définies au niveau national pour pouvoir intégrer des dettes non subordonnées dans des
mesures de bail in (les quatre principaux pays de la zone euro ont ainsi adapté leurs régimes
de faillites afin de résoudre les risques liés au principe résultant du NCWO) et accroitre
l’efficacité de leurs instruments de bail in.
En règle générale, ont été retenus les instruments sont plus adaptés à la couverture des
pertes tandis que ceux qui posent problème ont été exclus de l’assiette du TLAC. Ceci est le
cas des dépôts garantis, et des dépôts à court terme (de maturité initiale inferieure a un an).
Les passifs résultant d’expositions sur dérivés ou de dettes liées à des structured notes ainsi
que les dettes non contractuelles (fiscales) ont été exclues du TLAC.
Ceci est également le cas des dépôts garantis (jusqu'à 100 000 euros dans l’Union
européenne) des personnes physiques et des Petites et Moyennes Entreprises (PME) et plus
généralement des dettes qui ne peuvent être converties en capital sans risque de contestation
juridique ou de compensation. Une autre condition des dettes pour l’éligibilité au TLAC est
leur disponibilité ; elles doivent avoir été émises par l’entité en résolution, avoir une maturité
résiduelle d’au moins un an et ne pas contenir d’option de remboursement exerçable par les
investisseurs.
En revanche, la subordination des éléments du TLAC n’a pas été retenue bien
qu’abondement débattue. Même si cela aurait permis une meilleure transparence concernant
la capacité d’absorption et la hiérarchie des créanciers, Il en aurait résulté un risque de
complexité de la structure des dettes du fait de la création d’une nouvelle classe de fonds
propres sachant aussi que de nombreuses banques ont émis des volumes importants de fonds
propres Tier 2 qui prévoient qu’aucune autre catégorie ne peut leur être subordonnée.
Les éléments du TLAC sont subordonnés par rapport aux éléments exclus (dépôts,
dérivés et dettes non contractuelles) selon le principe d’une subordination légale, contractuelle
ou structurelle des passifs éligibles à la TLAC. La subordination structurelle serait obtenue en
faisant émettre les passifs par une compagnie holding « pure », c’est-à-dire qui ne comporte
pratiquement aucun passif opérationnel sachant que les groupes français ne sont pas organisés
autour d’une société holding au contraire des groupes américains. En outre, des exceptions
portent sur des dettes qui remplissent les critères du TLAC (obligations) mais ne sont pas
explicitement subordonnés aux autres éléments (emprunts obligataires classiques très utilisés
par les banques françaises, par exemple). Ces passifs de ce type peuvent finalement entrer
dans le TLAC à hauteur de 2.5% des actifs pondérés (seuil porte à 3,5% à partir de 2022).
Au final, on relèvera que la situation des déposants s’est améliorée avec le nouveau
régime dans le cadre de la BRRD. Auparavant, les déposants étaient des « créditeurs » ou
créanciers chirographaires et leur rang de priorité était identique à celui des créances
obligataires, des passifs opérationnels, des fournisseurs de la banque, etc. La nouvelle
hiérarchie améliore le rang des déposants (particuliers et PME) comme le montre la liste ci-
après (qui va du moins privilégié au plus privilégié) :
- Les dépôts chirographaires : dépôts du secteur financier (par exemple, les dépôts
appartenant à une société de gestion d’actifs) dès le premier euro et dépôts des grandes
entreprises supérieurs à 100 000 euros ; ces dépôts demeurent au même rang de
priorité qu’avant l’entrée en vigueur de BRRD ;
- Les dépôts privilégiés : dépôts des PME et particuliers de plus de 100 000 euros ;
- Les super privilégiés (moins de 100 000 euros).
4.3.4. La répartition du TLAC au sein des groupes bancaires
Les grandes banques internationales ont la caractéristique de dépendre de plusieurs
superviseurs, celui du pays d’origine et ceux des pays ou sont implantées des filiales ou
succursales. Le FSB a fixé des règles concernant la répartition entre les entités des groupes.
Le système du point d’entrée unique (Single point of entry) a été adopté dans lequel il
a été décidé que ce sont les créanciers et les actionnaires de la maison-mère (généralement
une holding) qui assumeront les pertes. Ainsi, les créanciers des entités opérationnelles sont
protégés des lors que la maison mère dispose d’un niveau de TLAC suffisant. Les filiales
significatives doivent disposer d’instruments de TLAC pré affectes même s’ils sont inscrits au
bilan de la maison mère. C’est une fois que la capacité d’absorption de la holding a été épuisé
que les autres créanciers des filiales peuvent être mis à contribution. Les outils de résolution
au niveau de la holding permettent de mieux protéger les filiales et d’épargner les activités
opérationnelles.
Par opposition, le système du point d’entrée multiples implique de maintenir des
montants de dettes éligibles au niveau de chaque entité susceptible de faire l’objet d’une
résolution. Le pré-positionnement du TLAC a été fortement critiqué par les banques en ce
sens que les G-SIB dispose d’une capacité à transférer en cas de difficultés des ressources leur
permettant normalement d’éviter la résolution. Ainsi les filiales essentielles du groupe, qui ne
sont pas situées dans le même pays que l’entité de résolution, devraient disposer d’une
capacité d’absorption comprise entre 75 et 90 % de ce qu’elles auraient dû détenir si elles
avaient été des entités de résolution. L’entité de résolution joue alors le rôle de source de
TLAC interne pour elles.
4.3.5. La compatibilité du TLAC et du MREL
En Europe, l’entrée en vigueur préalable de la Bank Recovery and Resolution
Directive (BRRD) adoptée le 15 avril 2014 a permis d’anticiper en grande partie l’entrée en
vigueur du TLAC. La BRRD a introduit un ratio le Minimum Required Eligibile Liablity
(MREL) applicable après une phase de transition en 2020. Cette norme a vocation à être
applicable par toutes les banques mais son niveau doit être fixé au cas par cas par le
superviseur ce qui en fait typiquement une mesure de pilier 2. Dans l’attente de voir
clairement fixés les critères d’éligibilité, les banques sont maintenues dans l’incertitude et il
n’est toujours pas clair (comme dans le cas de Monte dei Pasch di Seina) si par exemple les
obligations bancaires senior sont éligibles au renflouement en cas de difficultés.
Face à l’éventualité de voir coexister deux ratios de capacité d’absorption (MREL et
TLAC) en Europe, l’Autorité Bancaire Européenne a engagé des travaux afin de rendre
compatible les deux mécanismes sachant que la Commission européenne avait prévu de revoir
le MREL initialement avant la fin de 2016. Les caractéristiques respectives de deux
dispositifs diffèrent, en effet, sur certains points : calcul du TLAC sur un total de bilan
pondéré par les risques tandis que le MREL est déterminé par rapport au bilan brut. Mais la
préoccupation principale concerne le traitement de la dette senior dont les détenteurs ignorent
le traitement qui leur sera appliqué en cas de renflouement interne.
Dans tous les cas, l’intégration des dispositions du TLAC doit être effectuée
nécessitant un amendement des règlements et directives relatives aux exigences de fonds
propres et à la résolution (CRD/CRR IV et BRRD) pour déterminer la capacité totale
d’absorption des pertes dont doivent disposer les grandes banques systémiques. Ce point est
délicat dans la mesure où il faut assurer la coordination et la cohérence avec les exigences du
MREL. Le TLAC ne concerne, en effet, que les banques globalement systémiques soit huit
banques en ce qui concerne le périmètre de l’Union bancaire (BNP Paribas, BPCE, Deutsche
Bank, Crédit Agricole, ING, Santander, Société Générale, Unicrédit).
4.3.6. Les difficultés de l’entrée en vigueur des mesures de bail in et les coûts de la réforme
L’entrée en vigueur des règles de renflouement, depuis le 1er janvier 2016, au sein de
l’Union bancaire ne s’est pas faite sans difficulté. Le transfert des risques, supportés
jusqu’alors par les États, vers les créanciers privés provoque une forte augmentation de la
prime de risque exigée par les investisseurs du fait du retrait du soutien implicite de l’État. En
outre, un autre danger est celui du risque de contagion induit par les nouvelles règles. En effet,
une part importante des dettes bancaires étant détenue par d’autres banques, des fonds de
pension, des compagnies d’assurance, l’application d’une mesure de renflouement interne est
de nature à faciliter la propagation d’une crise financière à d’autres acteurs et d’infliger des
pertes, par exemple, à des organismes de gestion des retraites. Des doutes sont vite apparus
quant à la possibilité effective des mesures de renflouement interne. A cet égard, certains pays
sont venus au secours de certains établissements quelques semaines avant le 1er janvier 2016
pour éviter des conflits liés à l’application des règles de bail in. Cela a été le cas en Italie avec
le sauvetage de quatre banques italiennes (Banca Marche, Banca Etruria, Carif, Carichieti,
Banca Tercas) dont le renflouement des pertes, pourtant limité à des obligations
subordonnées, a causé beaucoup d’émotion et de contestation. Cela a été aussi le cas au
Portugal, avec la mise en résolution de la BANIF et de Banco Esperito Santo avec, pour cette
dernière, un appel en renflouement rétroactif de certains détenteurs de dettes seniors. Depuis
l’entrée en vigueur des règles de renflouement européennes, les solutions alternatives au
renflouement interne semblent être privilégiées ce qui pose des questions sur l’effectivité du
nouveau système censé s’appliquer18.
Une conséquence de la réforme est que la plupart des G-SIBs vont devoir procéder à
des émissions de dette senior, qui seront accompagnées de clauses spécifiques prévoyant le
risque de dépréciation ou d’annulation, pour respecter les ratios définis par le FSB. Le marché
pour ce type de titres de dettes n’existe pas encore jusqu’en 2017 et l’appétit des investisseurs
pour ce risque n’est pas avéré. En 2016, le besoin global était estime à environ 250 milliards
de dollars pour les G-SIB d’ici à 2019 avec les risques associes de renchérissement du cout
des financements octroyés par les banques. Pour leur part, les quatre banques françaises
d’importance systémique BNP Paribas, BPCE, Crédit Agricole et Société Générale ont fait
valoir qu’elles étaient dans une situation défavorable car, contrairement au modèle américain
notamment, elles ne sont pas organisées sous forme de holding. La plupart des dettes des
banques françaises sont liées à des activités opérationnelles et donc inéligibles. La création
d’une holding ne serait pas pour autant une solution idéale car cela pourrait aller à l’encontre
des clauses régissant la dette préexistante. De plus, la création d’une holding pourrait
matérialiser un certain nombre de plus-values latentes qui auraient un coût fiscal important
pour le groupe concerné19.
4.4. – Le financement de la résolution de crise
La crise a mis en lumière la nécessité de disposer de mécanismes de financement privé
ou de solutions impliquant le secteur privé pour que les coûts de la défaillance d’une
institution financière ne soient pas à la charge de la puissance publique et au final des
contribuables.
La mise en place de fonds dits de « résolution » constitués de manière ex-ante fait
débat tant au plan international qu’européen. Si la mise en place des mécanismes de
financement ex ante semble opportune afin de disposer de ressources en temps de crise, ce
type de solution a le désavantage d’accroitre l’aléa moral et fait l’objet d’un certain nombre de
réserves :
- l’abondement de fonds de résolution à hauteur de plusieurs milliards d’euros pourrait
être préjudiciable au financement de l’économie (surtout, compte tenu du haut niveau
d’intermédiation bancaire en Europe, si ce prélèvement est assis sur la taille du bilan
des banques) ;
18 En janvier 2016, le gouvernement italien a mis en place un dispositif permettant la cession puis la titrisation
des créances douteuses des banques italiennes, estimées à 360 milliards d’euros, vers des structures de
défaisance privées bénéficiant partiellement de la garantie de l’État. Par la suite, un fonds d’investissement
financé à hauteur de 6 milliards d’euros par les banques et les compagnies d’assurances italiennes doit permettre
de venir au soutien du secteur bancaire national. 19 Une autre possibilité est la réduction de la taille du bilan en titrisant une partie des créances mais la
profondeur du marché semble insuffisante pour atteindre cet objectif.
- en situation de crise systémique, les financements disponibles s’avéreront
insuffisants ;
- l'existence de fonds de résolution génère un aléa moral incitant à la prise de risque.
C’est le gouvernement suédois qui a été le premier à créer fin octobre 2008 un « fonds
de stabilité » avec un objectif de dotation de 2,5 % du PIB en 2023, soit environ 15 milliards
d’euros. Plus généralement, l’option privilégiée est de faire des fonds de garantie des dépôts
existants des instruments financiers de résolution des crises. Dans un certain nombre de cas,
ces fonds peuvent intervenir à la fois de manière curative (i.e. indemnisation des déposants),
mais également de manière préventive (i.e. prévention d’une faillite bancaire). C’est le cas en
France, comme au Royaume-Uni et en Espagne, et a fortiori aux États-Unis où le FDIC est
doté de pouvoirs de résolution extrêmement large. Le renforcement des capacités
d’intervention préventive des fonds de garantie des dépôts s’avère cependant nécessaire au
regard de l’ampleur des interventions potentielles.
5. – L’encadrement des politiques de rémunération
La crise financière a mis à nu les politiques de rémunérations exorbitantes de certains
secteurs de la finance, qui ont été très souvent considérées comme indécentes par les opinions
publiques. Ces pratiques ont également abouti à une immense crise de la responsabilité » des
grandes institutions bancaires et financières et, notamment, de leurs opérateurs de marché,
plus connus sous le nom de traders. Le 12 février 2009, le président français N. Sarkozy
observait ainsi que le système de rémunération de « ceux que l’on appelle traders, ces jeunes
gens qui jouaient à spéculer (…) a conduit à la catastrophe que l’on sait ». Les traders,
rémunérés sous forme de « bonus », ont souvent été considérés comme les principaux
responsables des prises de risques excessives à l’origine de la crise à cause de systèmes de
rémunération asymétrique qui aboutissent à ce que leur soient versées des primes importantes
quelle que soit le résultat final des positions prises.
5.1. - Les dispositifs d’encadrement des rémunérations des traders
5.1.1. - En France
Le communiqué du premier G20 de Washington en octobre 2008 contenait plusieurs
dispositions visant à encadrer les rémunérations versées dans les institutions financières. Par
la suite, les « standards » définis par le Conseil de stabilité financière (CSF)20 ont été adoptés
par le G20 de Pittsburgh. Ces principes, au nombre de neuf, visent notamment à :
- favoriser l’implication des organes de gouvernance dans la fixation des bonus ;
- ne pas faire dépendre la rémunération des personnes assurant le contrôle des risques de
la performance des opérationnels ;
20 Ou FSB pour Financial Stability Board en anglais
- adapter les rémunérations octroyées à la prise de risque effectivement réalisée et
intégrer autant que possible l’ensemble des facteurs de risque ;
- étaler dans le temps les rémunérations et recourir à un panachage entre les versements
en espèces et sous la forme d’autres instruments ;
- intégrer le contrôle des rémunérations dans les tâches des superviseurs et mettre en
place des obligations de transparence pour les établissements.
En France, l’application des standards s’est faite par étapes successives. Un code
d’éthique sur la rémunération des professionnels de marché a été élaboré en février 2009
conjointement par les banques, les pouvoirs publics et les régulateurs. Il y était notamment
prévu de limiter la pratique des parts variables garanties, de modifier l’assiette de la
rémunération – à ce titre, on ne doit pas anticiper des bénéfices futurs et on intègre différents
éléments de coût dans la rémunération de l’opérateur (coût du risque et de liquidité, et coût du
capital notamment) –, de différer une partie de la part variable de la rémunération et de
privilégier la rémunération en titres plutôt qu’en numéraire. Ces principes se sont appliqués à
partir de 2009 sur les rémunérations variables à verser en 2010.
A la suite de la « fuite » de juillet 2009 selon laquelle BNPP avait provisionné une
somme d’un milliard d’euros pour payer les bonus de l’année en cours, une réunion des
banquiers à l’Élysée a débouché sur plusieurs mesures complémentaires :
- les autorités ont cherché à renforcer la réglementation relative au contrôle interne des
banques ;
- des contrôles renforcés en matière de rémunération ont été effectués avec des missions
sur place de la Commission bancaire dans les grands groupes bancaires français. Ces
missions ont constitué une première et ont eu, pour objet, de vérifier le respect, par ces
groupes, des principes et des règles applicables ;
- la possibilité de prendre de nouvelles sanctions à l’encontre des établissements
bancaires a été élargie et l’État a la faculté de ne plus accorder de mandats aux
banques qui n’appliqueraient pas les règles internationales en matière de
rémunération ;
- une fonction de supervision, confiée à l’ancien directeur général du FMI, Michel
Camdessus, couvrant les banques bénéficiant d’un soutien de l’État en fonds propres,
a été créée.
La réglementation bancaire et financière française a ensuite repris les
recommandations du CSF. Un arrêté du 3 novembre 2009 « relatif aux rémunérations des
personnels dont les activités sont susceptibles d’avoir une incidence sur l’exposition aux
risques des établissements de crédit » a introduit l’essentiel des principes et standards énoncés
par le FSB. Ces dispositions sont entrées en vigueur en France dès la fin de l’année 2009. Par
rapport aux préconisations du CSF, la réglementation française demeuraient cependant en
retrait sur deux points:
- seuls les salariés, professionnels des marchés financiers étaient couverts alors que le
FSB entendait traiter des « cadres supérieurs ainsi que des autres employés dont les
actions ont des répercussions sur l’exposition aux risques » ;
- alors que le FSB précisait qu’une « une partie substantielle de la rémunération variable
(entre 40 et 60 %) devrait être payée de façon échelonnée (…) » et « une proportion
importante de la rémunération variable (plus de 50 %) doit être attribuée en actions
(…) », le règlement CRBF n°97-02 énonçait « une fraction importante de la
rémunération doit être versée sous condition de résultat et différée » et à l’article 31-
4.4 « une part importante de la rémunération peut prendre la forme d’actions (…) ».
Ces différences ont été supprimées en décembre 2010 à l’occasion de la transposition
en droit français de la directive européenne 2010/76/UE, dite CRD3. Dans cette dernière
version, un principe de proportionnalité a été introduit en vertu duquel les établissements
doivent considérer leurs politiques de rémunérations d’une manière et dans une mesure qui
soit adaptée à leur taille et à leur organisation interne ainsi qu’à la nature, la portée et la
complexité de leurs activités ». En outre, si les établissements restent responsables de la
conception et de leur propre politique de rémunération, la directive préconise :
- que la rémunération variable due sous forme de liquidités et versée d’avance soit
plafonnée à 30 % du bonus total et à 20 % pour les montants élevés ;
- qu’entre 40 et 60 % des bonus doivent être reportés et ne soient pas dus si les
investissements effectués ne produisent pas les résultats escomptés ;
- qu’au moins 50 % du total de la rémunération variable soit payée sous forme de
capital conditionnel et d’actions ;
- que le texte couvre les indemnités de départ à la retraite.
La volonté d’encadrer les bonus, non seulement pour des raisons « morales », mais
également pour des raisons de stabilité financière, a pris une nouvelle dimension au mois de
décembre 2009. Londres et Paris ont annoncé vouloir taxer à hauteur de 50 % les bonus
versés en 2010 au titre de l’année 2009. Dans une tribune conjointe dans le Wall Street
Journal du 10 décembre 2009, MM. Sarkozy et Brown ont ainsi souligné qu’ « un impôt
exceptionnel assis sur les primes versées devra être envisagé en priorité parce que les bonus
pour 2009 sont en partie le résultat du soutien apporté par les États au système bancaire ».
Sur le même modèle que celui annoncé par le gouvernement britannique, les bonus versés en
France par les banques en 2010 au titre de l’année 2009 ont été taxés à 50 % à partir de 27
500 euros (ces dispositions n’ont pas été maintenues par la suite).
5.2. - L’adaptation des réglementations étrangères aux principes du CSF
Au Royaume-Uni, dès le mois d’août 2009, la FSA a émis une nouvelle
réglementation destinée à réformer les pratiques de rémunération dans les services financiers.
Les nouvelles règles incluses dans le Rémunération code ne se sont appliquées du fait d’un
principe de proportionnalité, qu’à 26 banques et en leur sein, à quelques 4 300 personnes
physiques, membres des conseils d’administration, directeurs, cadres et employés les mieux
rémunérés. Pour le reste de la communauté financière, ces dispositions étaient destinées à
servir de référence à de saines pratiques non contraignantes. En transposant les exigences de
la directive européenne CRD3, le Royaume-Uni a complété et renforcé, en 2010, son corpus
réglementaire mais a maintenu deux principes de proportionnalité21 :
En Allemagne, a été votée une loi en juillet 2010 transposant les dispositions de la
directive européenne CRD3. L’Allemagne a maintenu deux principes de proportionnalité dans
sa réglementation. Elle n’a soumis l’ensemble des banques et autres établissements financiers
qu’à des principes généraux de modération. Les contraintes plus spécifiques, telles que la
création de comités des rémunérations, les règles précises en matière d’attribution de
rémunérations variables, différées ou non, et la communication de ces informations au public,
n’ont été rendues applicables qu’aux établissements importants dont le total de bilan est
supérieur à 40 milliards d’euros et au sein de ces établissements, qu’à l’encadrement supérieur
et aux autres preneurs de risques dont l’appréciation doit être documentée mais reste à la
discrétion desdits établissements.
En Suisse, l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers, la FINMA, a
publié, le 21 octobre 2009, une circulaire transposant les principes du FSB de façon
incomplète tant pour ce qui est des pourcentages de rémunération devant être différée et/ou
payée en titres (absence de pourcentage minimum requis), de l’interdiction de prises de
garanties sur les rémunérations différées, que de la notion de « preneur de risques » évoquée
mais non précisée. Surtout la circulaire 2010/1 introduit un principe de proportionnalité qui
limite son application aux établissements ayant des fonds propres supérieurs à 2 milliards
francs suisses. De ce fait, seulement 6 banques et 5 compagnies d’assurance de droit suisse
étaient alors concernées.
Aux États-Unis, depuis la crise financière de 2008 qui a suivi celle des subprimes en
2007, les États-Unis ont été le lieu d’évolutions législatives et réglementaires continues. Ainsi
a été votée la loi TARP de renflouement financier des établissements bancaires et financiers
en 2008, dont les contraintes en matière de rémunérations de l’encadrement supérieur et de
communication ont amené les établissements bénéficiaires d’une aide de l’État fédéral à s’en
extraire au plus vite. Ensuite, la Fed a édicté des Guidances on Sound Inventive Compensation
Policiers, s’appuyant sur les principes et standards du FSB mais ne comportant aucun
chiffrage minimum des parts variables différées et/ou en titres. Dans ce contexte, la
communication des grandes banques américaines sur leurs politiques de rémunérations en
2009 est restée très imprécise et il est impossible de mesurer l’étendue des populations
concernées et la nature précise des dispositions mises en œuvre et des changements qui en
résultent. Pour sa part, la loi Dodd Frank comporte sept sections dédiées aux politiques de
rémunérations. Un texte cosigné par sept agences fédérales, dont la FED, la FDIC et la SEC, a
été mis en consultation publique le 14 avril 2011 ; pas plus que la guidance du 25 juin 2010,
la nouvelle règle ne couvre la totalité des principes et standards du FSB de 2009. Les
obligations les plus contraignantes s’appliqueraient aux établissements les plus importants,
notamment les grandes banques ayant des actifs de plus de 50 milliards de dollars. Dans ces
derniers, l’obligation de différé de rémunération n’est mentionnée que pour les senior
executives, sans précision des parts à payer en titres ou en espèces, et, de façon générale, la
publication d’informations chiffrées publiques sur les « preneurs de risques » n’est pas
21 Quant à la nature et à la taille des établissements concernés pour ce qui est de l’étendue des exigences requises
par le régulateur et quant au seuil en dessous duquel la notion même de « preneur de risques » ne s’applique pas
(rémunération totale inférieure à 500 000 livres sterling et rémunération variable inférieure à 33 % de la
rémunération totale).
envisagée. Le thème des bonus garantis n’est pas abordé et le principe de couverture des aléas
des rémunérations variables n’est pas interdit.
5.3. - Les pratiques de rémunérations dans les banques
5.3.1. - Le suivi du Conseil de la stabilité Financière (CSF)
Le suivi de l’application des principes adoptés par le G20 en 2009 est du ressort du
Conseil de la Stabilité Financière (CSF). Le premier exercice de ce type mené en mars 2010
concluait que leur mise en œuvre à l’échelon international n’était pas complète. La seconde
revue dont les résultats ont été publiés en octobre 2011 a porté, outre sur les superviseurs et
régulateurs des pays représentés au CSF, sur 70 institutions financières considérées comme
significatives. Malgré des progrès réels, le CSF a conclu que de nombreuses améliorations
restaient à réaliser pour parvenir à un degré satisfaisant d’homogénéité dans le traitement des
rémunérations des opérateurs de marché.
En 2011, 13 juridictions sur un total 24 avaient mis en œuvre l’ensemble des principes
tandis que cinq autres étaient conformes à une ou deux exceptions prés. Le CSF avaient
conclu que les établissements les plus importants avaient, en général, mis en œuvre les
principes. Toutefois, les données collectées n’apparaissaient pas suffisantes pour mesurer les
évolutions pouvant exister au sein de chaque établissement et il apparaissait également que les
structures de rémunération variaient fortement entre établissements. Les pays ayant mis en
œuvre de façon extensive les standards faisaient également valoir que les « moins disant »
bénéficiaient d’un avantage comparatif. Le rapport du CSF d’octobre 2011 indiquaient aussi
que, dans certains pays, les réglementations édictées manquaient de transparence et n’étaient
sont pas suffisamment explicites quant aux normes à appliquer. Ensuite, l’usage de moyennes
par les établissements pouvait cacher des disparités internes très importantes.
L’amélioration du contenu et de la forme des travaux internationaux de supervision
était donc à poursuivre et des progrès sensibles devaient intervenir dans l’interprétation à
donner aux normes comme le notait un rapport de l'ACP en 2011.
5.3.2. – Les réflexions sur les pratiques de rémunérations dans les banques françaises
L’ACP a dressé fin 2011 un premier état des lieux de la mise en application des «
principes et standards du Financial Stability Board (FSB) » sur les rémunérations dans les
établissements financiers. L’étude portait à la fois sur les pratiques de rémunérations dans les
banques en France, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Suisse et aux États-Unis et les
enseignements tirés étaient nettement plus nuancés que ceux du CSF, notamment pour ce qui
concerne l’application au niveau international.
Le premier constat était une prise en compte indéniable par les banques françaises des
modifications de la réglementation sur les rémunérations. En outre, en dépit de disparités
entre les groupes bancaires, la communication des banques françaises était jugée plus ouverte
et plus extensive que celle des banques des autres pays analysés qu’il s’agisse notamment des
pourcentages de rémunération différée, de la proportion de cette rémunération différée payée
en actions ou en produits indexés, des conditions d’application du malus ou du lien entre
performance et niveau de la rémunération.
Les banques françaises avaient une vision large de la notion de « personnes dont les
activités sont susceptibles d’avoir une incidence sur l’exposition aux risques. Les grandes
banques françaises déclaraient chacune environ 3 500 personnes pour des effectifs globaux
compris entre 150 000 et 200 000 collaborateurs. Par comparaison, seuls 200 à 300 risk-takers
ont été identifiés par les grandes banques anglaises, suisses et allemandes (et aucun chiffre
n’est communiqué par les banques américaines). Concernant la rémunération des dirigeants,
sur l’ensemble des huit banques examinées, la rémunération des dirigeants s’étend au sein
d’une fourchette comprise entre 0,7 et 3,8 millions d’euros pour 2010. Ces montants restent
très en-deçà des rémunérations des dirigeants des grandes banques étrangères nombre des
rémunérations constatées se situant entre 7 et 10 millions d’euros. La conformité des banques
françaises était également globalement satisfaisante au regard des seuils fixés par la directive
européenne qui ne sont cependant pas systématiquement respectés (versement en espèces
limité à 30 %, versement différé à hauteur d’au moins 40 %, paiement en titres pour 50 % au
minimum).
Certaines insuffisances demeuraient cependant concernant notamment les pratiques de
malus et de clawback22. Les premières n’apparaissaient pas suffisamment appliquées en cas
de non-atteinte des objectifs alors que les clauses de clawback ne concernaient que les
nouveaux embauchés quittant leur employeur avant une année complète d’exercice. Ensuite,
la pratique des bonus garantis normalement prohibée perduraient surtout sur des places
étrangères n’appliquant pas les mêmes standards qu’en France.
L’ACP concluait qu’une forte coordination internationale était indispensable à
l’efficacité de l’encadrement des rémunérations. Dans un secteur très évolutif, il apparaissait
nécessaire que les grands pays s’accordent plus clairement sur les notions suivantes :
- la définition précise des material risk takers ou « preneurs de risques » « dont les
activités ont un impact substantiel sur l’exposition au risque de la société». Les
principes et standards restent muets sur le sujet et les régulateurs eux-mêmes ont
amplement laissé aux banques le soin d’en donner une interprétation ;
- les standards fixant des seuils minima de rémunération différée, payable ou non en
titres sur une période minimale de trois ans et sujette à malus ou clawback (les
standards 6 à 9), font l’objet d’une grande divergence d’appréciation selon les pays
quant à leur caractère contraignant ou simplement indicatif, qui est à même de fausser
toute mise en place effective des principes et standards du FSB ;
- le degré de communication publique souhaitable vis-à-vis de politiques de
rémunérations qui respectent les principes et standards du FSB. Certains pays évitent
ou retardent cette communication, d’autres en limitent la portée tandis que d’autres
encore prônent une transparence accrue. Ces divergences d’approche ne mettent pas
tous les établissements bancaires à situation égale et favorisent le protectionnisme des
« moins-disant » ;
- certains pays se retranchaient derrière d’autres législations nationales, en particulier
le droit du travail, pour exciper du fait qu’ils ne peuvent mettre en vigueur certains des
principes et standards du FSB ;
22 Le malus correspond à une diminution du montant versé, tandis que le « clawback » s’entend d’une demande de
restitution de sommes déjà versées ou de l’absence de versement de sommes non encore versées mais néanmoins acquises.
- enfin, les analyses ex ante de l’ensemble des risques potentiels pour évaluer leurs
enveloppes de rémunérations variables, et des mesures ex post des performances pour
leur attribution n’avaient pas été intégrées par un grand nombre de banques.
Une autre contribution à la question des bonus a été le rapport de M. Camdessus
publié en janvier 2011 selon lequel les six grands groupes bancaires français ayant bénéficié
du concours de l’État avaient alloué en 2009 un total de près de 3 milliards d’euros de
rémunérations variables (hors charges sociales) à environ 8 200 personnes, soit un montant
moyen de 242 000 euros. Ce montant était de 60 % supérieur à celui de 2008 et en diminution
(de 800 millions d’euros) par rapport à 2007. En 2009, le montant moyen des cent premiers
bonus23 pour les quatre principales banques s’élevait à 1,65 millions d’euros et celui des dix
premiers bonus à 4 millions d’euros. À titre de comparaison, selon les indications publiées par
les entreprises du CAC 40 sur les rémunérations totales de leurs dirigeants perçues en 2009, la
moyenne de ces revenus, proche de la médiane, était d’environ 2,5 millions d’euros. Plus
précisément, les quarante premiers bonus individuels alloués par les banques françaises en
2009 étaient tous supérieurs aux rémunérations perçues la même année par les dirigeants du
CAC 40 bien que les responsabilités managériales et sociales des chefs d’entreprise soient
d’une toute autre portée. Il convient de souligner, au surplus, que la rémunération variable des
opérateurs de marché s’ajoute à une rémunération fixe qui figure souvent, elle-même, dans la
catégorie des hauts revenus salariaux. Le rapport Camdessus esquissait quelques pistes et
notait que « l’acceptabilité sociale de rémunérations pourrait être améliorée par l’adoption de
limitations telles que, par exemple :
- l’introduction d’une proportionnalité entre la rémunération variable et la
rémunération fixe ;
- l’introduction d’un taux de distribution dégressif, en particulier dans des
circonstances de marché exceptionnellement favorables, comme en 2009 ;
- l’introduction d’un taux maximal de progression de l’enveloppe des bonus ;
- l’allongement sur le long terme (trois à cinq ans au moins) des délais de blocage du
différé.
5.3.3. Les bonus distribués par les banques françaises entre 2010 et 2012
2010 2011 2012
BNPP 1009 (3663
bénéficiaires)
489 (3479) 559 (3252)
Société Générale 729 (3464) 410 (3546) 500 (3974)
Groupe Crédit 139 (918) 145 (1263) Nd
23 Pour les quatre grands groupes français (BNPP, Société Générale, Crédit Agricole et Natixis), les 400
premières rémunérations (environ 660 millions d’euros) ont représenté le quart de l’enveloppe globale. Par
ailleurs, il est apparu que les plus hauts bonus n’avaient pas diminué en montant par rapport aux niveaux atteints
en 2006 et 2007 même si la part versée immédiatement en numéraire avait été réduite. Il faut également noter
que l’âge moyen de ces collaborateurs est de 41 ans, l’ancienneté moyenne dans leur établissement est de 9 ans
et la faiblesse du nombre de femmes (parmi les quatre cents premiers bonus considérés, la proportion de femmes
avoisine 5 % et aucune ne figure parmi les dix premiers bonus de chaque banque).
Agricole
Groupe BPCE 113 (603) 102 (1067) Nd
1,99 1146
Source : rapport annuel des banques
Après avoir été orientée à la hausse en 2010 grâce aux bonnes performances des
marchés financiers, les rémunérations variables au titre de l’année 2011 se sont inscrites en
nette diminution dans le contexte de crise de la dette souveraine européenne alors même que
ce thème est devenu un thème politique important en France dans le contexte de la campagne
présidentielle (SG et BNPP ont d’ailleurs attendu le lendemain de l’élection présidentielle du
6 mai 2012 pour publier les informations sur les Bonus). Par la suite, une légère reprise est
intervenue mais sans retrouver le niveau antérieur ce qui est à relier avec la tendance à la
diminution du Produit Net Bancaire et des résultats des lignes de métier de Banque de
financement et d’investissement (Au titre de 2012, BNPP a ainsi distribué 559 millions de
bonus à rapporter à une rémunération fixe de 522 millions au bénéfice de 3 252 personnes
tandis que la Société Générale a octroyé 500 millions de rémunération variable (versus
393 millions de fixe) à 3 974 personnes impliquées dans la prise de risque.
5.4. Les dispositions de CRD IV en matière de bonus
Les discussions relatives à la régulation des rémunérations ont été laborieuses au
Parlement européen dans le cadre de l’adoption de la directive européenne n°2013/36 dite
CRD IV applicable à partir du 1er janvier 2014. Celle-ci contient reprend globalement les
dispositions de la CRD III et introduit le plafonnement des rémunérations variables qui était,
on l’a vu, suggéré par le rapport Candessus. Le principe retenu est que les rémunérations
variables ne peuvent excéder 100% de la rémunération fixe sauf décision explicite des
actionnaires qui peuvent porter ce seuil à 200 %. Ces règles de plafonnement ont constitué un
sujet de discorde entre le Royaume-Uni et l’Europe, notamment concernant la règle visant à
plafonner la part de la rémunération variable à 100 % de la rémunération fixe (ou deux fois
avec l'accord des actionnaires). Cette disposition est importante dans le cas britannique qui
comptait, en 2013, 188 personnes gagnant plus d'1 million d'euros, contre seulement 117 en
France et 100 en Allemagne, selon le rapport publié en juin 2014 par l'EBA. Surtout, leurs
bonus atteignaient en moyenne 370 % de leur salaire fixe, bien loin de la limite maximale des
200%.
En attendant le jugement de la Cour de Luxembourg à la suite de la demande
britannique, le débat s’est déplacé sur autre terrain à savoir le contournement des futures
règles par les établissements américains et britanniques qui ont déjà augmenté les salaires
fixes via l’octroi d’allowances consistant dans des primes mensuelles de défraiement variant
dans le temps en fonction de la performance mais qui ne sont pas comptabilisées dans les
bonus. L'EBA a remis en cause le système des allowances, des primes mensuelles assimilées
à du salaire fixe qui doivent être considérées comme de la rémunération variable. La
Commission européenne sera chargée de veiller au respect de ces principes après que le
Royaume-Uni ait saisi la Cour de justice européenne pour défendre la liberté de rémunération
face à la directive CRD IV et aux pouvoirs de l'EBA. Selon l’EBA, ces primes ne sont pas
« fixes », « pas permanentes » mais « liées indirectement à la performance ». Elles peuvent,
en effet, être suspendues ou annulées sur une base discrétionnaire ou sont basées sur d'autres
conditions contractuelles qui ne font pas partie des packages de rémunération traditionnels.
En revanche, les autorités britanniques ont publié des règles selon lesquelles la totalité
de la rémunération variable d'un employé d'une banque pourra être reprise en cas de
survenance de pertes ultérieures (clause de clawback) afin de responsabiliser davantage les
dirigeants et cadres des banques.
La nouvelle directive a abouti à une réduction très sensible du nombre de salariés
régulés ce qui revient à minimiser considérablement la transparence autour des pratiques de
bonus. Cet alignement sur les pays qui ont eu une vision minimaliste quant au périmètre de la
régulation aboutit après cinq ans de discussion à ne pas changer fondamentalement les modes
de rémunération des opérateurs de marché si choquant pour le reste de la société.
Dans le détail, les banques sont tenues d’identifier les personnes ayant un impact sur
leur profil de risque sachant que l’objectif du dispositif est aussi que les institutions adoptent
des critères relativement homogènes. Pour cela, des critères tant qualitatifs que quantitatifs
doivent être retenus ; les critères qualitatifs visent les personnes pouvant engager leur
institution à prendre des expositions de crédit ou de marché significatives représentant un
certain niveau du montant de Common Equity Tier 1 (CET1). Pour leur part, les seuils
quantitatifs correspondent à une rémunération annuelle totale supérieure à 500 000 euros ou
comparable à celle du senior management. Si une banque souhaite exclure certaines
personnes du champ concerné, elles doivent faire une demande à la l’autorité de supervision
concernée qui se prononcera (l’EBA doit être consultée pour les rémunérations supérieures à
1 000 000 euros). A titre d’illustration, dans une étude couvrant les années 2010 et 2011,
l’Autorité bancaire européenne (EBA) a mis en évidence que, sans surprise, le Royaume-Uni,
compte le plus de personnes ayant reçu une rémunération supérieure à un million d’euros (2
436 personnes concernées en 2011 soit plus que l'ensemble des autres membres de l'Union
réunis)24. L’étude de l’EBA a également montré que le part des rémunérations variables
s’établissait à un niveau supérieur au seuil maximal prévu par la nouvelle réglementation
européenne (50%). En Allemagne, au Royaume-Uni et en France respectivement pour 2011,
la part variable représentait 72, 78 et 79% du total perçu.
La CRD IV, qui a été publiée le 27 juin 2013, est venue modifier considérablement les
règles de communication des banques françaises sur les rémunérations en raison d’une
définition de la population régulée qui aboutit à une diminution très sensible du nombre de
personnes concernées. La nouvelle définition européenne ne retient, en effet, que les
collaborateurs dont les activités ont individuellement et effectivement une incidence
significative sur le profil de risque de l’entreprise alors qu’auparavant le périmètre était
définis sur « base collective » du simple fait de l’appartenance des collaborateurs à une
activité de marché. Ainsi à la Société Générale, cet alignement a abouti par exemple à ce que
la population régulée 2013 totalisait seulement 360 personnes (hors dirigeants mandataires
sociaux) à rapporter à un chiffre de 2 974 personnes en 2012. L’enveloppe de rémunération
variable de la population régulée au titre de 2013 s’établissait à 216 MEUR. Chez BNPP, le
constat était identique et le groupe avait modifié sa communication concernant les
rémunérations dans un sens plus restrictif et le montant de la rémunération variable attribuée
aux collaborateurs régulés en 2013 s’était élevé à 240 millions d’euros (contre 559 l’année
précédente).
24 Pour les autres pays, on trouve 170 rémunérations supérieures au million d'euros en Allemagne, 162 en
France, 125 en Espagne, 96 en Italie, 36 aux Pays-Bas. En France, le nombre de personnes concernées passe
entre 2010 et 2011 de 292 à 162, pour un gain moyen de 1,8 à 1,6 millions.
5.5. - Les questions en suspens
Emblématique et symbolique par excellence, le sujet des bonus des traders a été pris
en compte par les régulateurs qui ont fixé des principes en la matière et instauré un suivi de
leur mise en œuvre. Pourtant force est de constater que le résultat peut apparaitre décevant et
répond de façon imparfaite aux problèmes posés.
La question principale demeure la justification des Bonus. Les régulations introduites
aboutissent à faire évoluer les modalités de versement mais n’influent que marginalement
sur leur montant puisque, comme on l’a vu, la prise en compte de l’ensemble des facteurs de
risques dans la formation des résultats est loin d’être acquise. Il perdure que les rémunérations
variables des professionnels de marché représentent des montants extrêmement élevés. En
élargissant les observations sur une plus longue durée, plusieurs études ont montré, au plan
international, que les salaires de la banque de financement et d’investissement dépassaient les
sommets des rémunérations connues. Enfin, les bonus continuent de poser des questions plus
générales comme le coût pour notre société de l’orientation d’une partie des élites dont elle
assure la formation vers des fonctions dont l’utilité collective est parfois mise en doute. La
lutte contre les situations de rente est une autre problématique ; on ne peut que se rendre à
l’évidence que ces rémunérations élevées sont pour partie la résultante d’une forte
profitabilité du secteur financier. Toutes les mesures visant à augmenter le nombre des
acteurs, à réduire l’hétérogénéité des produits et l’opacité de la tarification (notamment par
l’organisation des marchés de gré à gré), auront un impact justifié sur la profitabilité des
activités et donc sur le niveau des rémunérations.
Les modes de raisonnement antérieurs n’ont pas toujours été modifiés en dépit du
nouvel environnement réglementaire et des attentes de l’opinion publique. Ainsi, la
mécanique de détermination des enveloppes distribuables a peu évolué. Les raisonnements et
les calculs restent fondés sur l’attribution aux collaborateurs d’une fraction substantielle des
résultats. En pratique, cette proportion est autant fonction des résultats de la banque que de
l’état de la concurrence telle que chaque établissement tente de l’apprécier. Comme par le
passé, les politiques de rémunération privilégient le niveau des rémunérations individuelles
par rapport à une concurrence d’établissements étrangers jugée menaçante, et quels qu’aient
été les résultats effectifs du secteur de la Banque de Financement et d’Investissement (BFI).
Une des graves anomalies du système de rémunérations des professionnels de marché
provient du fait que ces bonus -qui sont une rémunération variable fixée en fonction des
résultats- ont été protégés pendant la période récente contre les pertes. C’est ce que montre,
notamment, l’évolution des bonus attribués depuis 2007 qui se sont toujours maintenu à des
niveaux important même dans les situations où les résultats des activités de marchés se sont
inscrits à la baisse.
Sur le plan de la transparence, l’examen des informations communiquées par les
banques en application des obligations qui leur étaient imposées a mis en évidence des
pratiques d’information à minima et une certaine disparité de contenu et de présentation. Des
supports de publication doivent être désignés et l’information exigée devrait être standardisée
de telle sorte qu’elle instaure une véritable comparabilité entre banques dans le temps. Le
constat est en effet que les banques internationales communiquent toujours assez peu sur le
sujet et que le prélèvement représenté par les bonus ne peut toujours pas être appréhendé de
façon convenable par les tiers extérieurs.
Sur le plan du contrôle enfin, il apparaît que les régulateurs au mieux procèdent par
des questionnaires sans qu’il ne soit donné lieu à des investigations approfondies en la matière
alors même, on l’a vu, que les conditions de formation des résultats sont des questions parfois
très complexes ou la part d’appréciation peut être considérable. Le périmètre du contrôle des
rémunérations devrait également être élargi pour également permettre une égalité de
traitement de l’ensemble des métiers de la finance, qui, pour certains, se présentent en
concurrents pour les recrutements ; tel est le cas des hedge funds, de l’asset management et du
private equity. Il faut enfin encore une fois rappeler que les normes du G20 sont appliquées de
manière très différente d’un pays à l’autre. On peut citer comme principaux écarts le
périmètre retenu (social, excluant donc les implantations à l’étranger, ou consolidé) ou les
effectifs concernés (limitation au front office ou extension à toutes les fonctions des BFI).
*
* *
En conclusion, il semble indispensable de soumettre le mécanisme de rémunérations à
une logique qui ne soit plus exclusivement celle de la maximisation des distributions. Il doit
être conçu plutôt comme un outil de management associant aux objectifs de résultats à court
et moyen terme des éléments relevant de l’éthique des comportements individuel et collectif
et de la responsabilité sociale de l’entreprise.
6. – Améliorer les règles de fonctionnement et de transparence des marches
La crise financière a mis en lumière le déficit en matière d’informations fiables sur les
marchés financiers qui contribue tantôt à des prises de risques inconsidérées, tantôt à des
mouvements de défiance généralisée. C’est pourquoi, la transparence et la qualité de
l’information financière doivent être améliorées suivant trois axes. Tout d’abord, il convient
de mieux réguler et encadrer ceux qui sont chargés de produire cette information : les agences
de notation. Ensuite, il est indispensable de protéger le destinataire final de cette information :
l’épargnant. Enfin, il convient de mettre fin aux « trous noirs » de la finance internationale :
les transactions de gré à gré de produits dérivés.
6.1. – L’encadrement des agences de notation
Les principales agences de notation – Moody’s, Standard & Poors et Fitch – n’ont pas
prévu la survenue de trois des grandes crises financières de ces quinze dernières années : la
crise asiatique de 1997, les scandales financiers du début des années 2000 et la crise des
subprime. En outre, lorsque les premières manifestations de la crise des subprimes sont
apparues au printemps et à l’été 2007, elles ont eu tendance à surréagir, abaissant très vite des
notes qu’elles auraient dû ajuster bien auparavant contribuant à entretenir une volatilité déjà
élevée. Ces agences exercent pourtant des missions de service public et devraient contribuer à
améliorer la transparence de l’information financière en réduisant les asymétries
d’information entre les émetteurs et les investisseurs.
6.1.1. - Adapter la notation à la complexité financière
La première critique adressée aux agences de notation est qu’elles ont appliqué à des
produits financiers complexes, comme les produits structurés, les mêmes règles de notation
que celles appliquées pour des produits obligataires classiques. Elles ont ainsi lourdement
sous-estimé les risques inhérents à ces produits et contribué à la confusion dans l’esprit des
investisseurs qui ont pu croire que la qualité, notée AAA, d’un produit financier complexe
était la même que celle d’un titre émis par l’État français, par exemple, lui-même noté AAA.
La transparence des méthodes des agences de notation est nécessaire pour le bon
fonctionnement des marchés. Ces méthodes doivent s’appuyer sur des statistiques robustes
prenant en compte l’ensemble des facteurs de risque associés aux produits notés. Il est ainsi
nécessaire d’intégrer à côté du risque de crédit, le risque de liquidité et les risques
opérationnels et de prendre en compte les effets de corrélations entre les différentes
composantes des produits structurés.
6.1.2. - Réduire les conflits d’intérêts en matière de notation
Les conflits d’intérêts naissent fréquemment d’un excès de dépendance à une source
particulière de revenus. Ceci est clairement le cas pour les agences de notation qui sont
rémunérées par les banques et participent de facto à la conception des produits financiers.
Dans ces conditions, les conflits d’intérêt sont inhérents au business model des agences qui
repose sur une rémunération par les émetteurs d’instruments financiers et non par les
investisseurs.
Afin de remédier à cette situation, le Parlement européen a apporté des améliorations
substantielles à la prévention et à la gestion des conflits d’intérêts25. Pour aller plus loin dans
ce domaine, il pourrait être envisagé une tarification au forfait des agences de notation. En
effet, les émetteurs, qui sont les clients des agences de notation, leur paieraient un
abonnement annuel indépendamment des volumes émis. L’institution d’un paiement au forfait
des agences permettrait ainsi d’éviter toute « course » à la notation, qui pousse trop souvent
les agences à privilégier la quantité à la qualité des notes émises.
6.1.3. - Accroître la concurrence sur le marché de la notation
La notation représente aujourd’hui un marché mondial très important quant à son objet
et très concentré quant à ses acteurs, puisque trois grandes agences – Standard & Poor’s,
Moody’s et Fitch – contrôlent plus de 90 % du marché mondial. Le marché de la notation est
fort peu contestable, car les barrières à l’entrée sont décisives (En France, c’est l’ambition de
Coface qui, spécialisée dans l’assurance-crédit, s’est récemment positionnée comme agence
de notation). La nécessité d’accroître la concurrence sur le marché de la notation se justifie
par le fait qu’une vraie concurrence aurait des effets vertueux à la fois sur la qualité des notes
et sur la baisse de leur prix.
25 L’article 5 du règlement sur les agences de notation de crédit expose que « les agences de notation prennent toute mesure
nécessaire pour garantir qu’aucun conflit d’intérêts existant ou potentiel ou relation commerciale les impliquant en tant
qu’émetteur d’une notation de crédit ou impliquant leurs dirigeants, leurs analystes de notation, leurs salariés ou toute autre
personne physique dont les services sont mis à la disposition ou placés sous le contrôle de l’agence de notation ou toute
personne directement ou indirectement liée à elles par une relation de contrôle, n’affecte l’émission de ladite notation de
crédit ».
6.1.4. - Mettre en œuvre une supervision à l’échelle européenne des agences de notation
Les normalisateurs internationaux ont commencé, dès le début 2009, à réfléchir à une
nouvelle réglementation des agences. L’Organisation internationale des commissions de
valeurs (OICV) a publié un rapport sur le rôle des agences dans la crise des subprimes
américains et a également mis à jour son code de bonne conduite des agences. Dès sa réunion
de Londres en avril 2009, le G20 a appelé à mettre en place les principes d’enregistrement des
agences, de différenciation des échelles de notation selon les produits et de diffusion de
l’historique des notations et des hypothèses utilisées. En Europe, l’Autorité européenne des
marchés financiers, ou European Securities and Markets Authority (ESMA), est
opérationnelles depuis le 1er janvier 2011 et les agences de notation sont désormais soumises
à une surveillance renforcée et doivent s’enregistrer auprès de cette nouvelle autorité
européenne. Elle est habilitée à prendre des mesures en matière de surveillance, telles le
retrait de l’enregistrement ou la suspension de l’utilisation des notes de crédit à des fins
réglementaires. Elle peut également demander des informations et mener des enquêtes ou
inspections sur place. Le rôle de l’Autorité européenne des marchés financiers et son
articulation avec les autorités nationales, devra cependant être précisé afin qu’elle dispose, à
terme, d’un réel pouvoir décisionnel concernant l’accréditation, le retrait d’agrément, le
contrôle et la sanction des agences de notation à l’échelle européenne.
Aux États-Unis, le renforcement de l’encadrement des pratiques des agences de
notation a été réalisé par le Dodd-Frank Act promulgué le 21 juillet 2010 et de nouvelles
responsabilités ont été confiées à la Securities and Exchange Commission (SEC).
6.1.5. - Comment évaluer le risque souverain ?
Au-delà des nouvelles régulations des agences de notation mises en place en 2009-
2010 au niveau international, la question se pose également de diminuer le recours aux
notations souveraines des agences ou de confier l’évaluation du risque souverain aux autorités
publiques, qu’il s’agisse des banques centrales, des superviseurs ou de tout autre organisme
indépendant. Les autorités publiques cherchent également à réduire la dépendance à l’égard
de la notation dans les textes réglementaires. Aux États-Unis, dans le cadre du Dodd-Frank
Act, les agences de supervision comme la SEC ou le Système fédéral de réserve américain
(Fed) devront s’efforcer de supprimer les références aux notations externes dans leur corpus
réglementaire. Au niveau européen, la Commission européenne a également engagé des
travaux sur ce thème. Dans un discours prononcé lors de l’inauguration de l’ESMA, le
commissaire européen Michel Barnier, en charge du marché intérieur et des services, s’est
déclaré favorable à plusieurs changements parmi lesquels la réduction de la dépendance
envers les notations des agences pour les institutions financières et la réglementation
prudentielle. Il s’est également prononcé pour un renforcement des exigences sur le processus
de notation des souverains (plus de transparence, information préalable des gouvernements en
cas de dégradation de la notation…), pour un renforcement de la concurrence sur ce marché et
pour un engagement de la responsabilité civile des agences en cas de négligence ou de
violations des règles applicables. Surtout, le commissaire Barnier a ouvert le débat sur
l’opportunité de publier des notations souveraines dans le cas de pays bénéficiant d’un
programme de soutien européen ou international.
Le 15 novembre 2011, la Commission européenne a donc annoncé de nouvelles
mesures concernant la notation souveraine par les agences de notation dans une nouvelle
proposition de règlement. Entre autres, elle a fait des propositions sur le rythme de mise à jour
des notes en temps de crise ainsi que sur l’information qui doit être communiquée à l’émetteur
souverain. En revanche, la proposition la plus symbolique, la suspension de la notation des
souverains en grande difficulté, n’a pas été retenue. Certains observateurs soulignent qu’une
telle suppression de notations dans un contexte de crise pourrait s’avérer contre-productive
auprès des investisseurs qui pourraient y voir un souhait d’occulter certaines informations
sensibles. Par ailleurs, certains décideurs publics tels que la chancelière allemande Angela
Merkel et le président de la Commission européenne José Manuel Barroso se sont prononcés
pour l’établissement à moyen terme d’une agence basée en Europe. Toutefois, selon la
chancelière Angela Merkel, cette agence ne devrait pas être créée par les États.
A l’automne 2012, les pays et le Parlement de l'Union européenne (UE) conviennent
d'instaurer un contrôle limité des agences de notation. L’objectif est notamment de réduire
une dépendance aux notations jugée excessive et établir un régime de responsabilité civile
dans lequel il sera possible d’engager une procédure contre les agences si l'on estime qu'elles
ont commis des erreurs de jugement. Cette réforme a été très limitée par rapport aux
ambitions initiales ; si des points techniques sont introduits comme l’établissement d’un
calendrier indicatif de leurs décisions à venir sur les notes souveraines, la publication des
notation après la clôture de la Bourse et une heure au moins avant l'ouverture des marchés
dans l'Union européenne, la publication sur une plateforme européenne pour en améliorer la
visibilité, il n’y plus de trace de la création d'une agence européenne, ni de l'obligation faite
aux émetteurs de changer d'agences tous les trois ans par exemple. Ce résultat a de quoi
décontenancer quand on pense à toutes les déclarations va-t-en-guerre des politiques
européens à l’égard des agences qui un temps ont incarné le mal absolu et toute la turpitude
du monde de la Finance. Le vrai changement va plutôt résider dans la diminution du recours à
ces notes pour évaluer les besoins en fonds propres ce qui suppose que les banques
notamment prenne le relais pour juger de la qualité d’un emprunteur.
6.2. - La protection des épargnants et des consommateurs
Avec le constat du développement inconsidéré des prêts « subprime » et de l’opacité
de certains produits de placement et de prêts structurés, l’amélioration de la protection des
emprunteurs et des épargnants non professionnels contre le risque de vente abusive ou
inadaptée est devenue un enjeu important de l’après crise. Si le consommateur doit
s’informer, faire preuve de prudence et se donner les moyens de son propre discernement, le
fournisseur de crédit ou de produits financiers a naturellement une responsabilité forte dans
l’acte de conseil et de commercialisation. Cette responsabilité doit être pleinement intégrée
dans les étapes afférentes au produit, qui vont de la conception à la promotion et à la
présentation au client. La proposition commerciale d’un prêt ou d’un produit d’épargne doit
être intelligible, adaptée au profil de risque et aux objectifs de placement ou de financement
du client. Il est apparu impératif de parvenir à l’échelle de l’Union européenne, à une
présentation simplifiée et standardisée de tous les produits financiers qui peuvent être
souscrits par les épargnants. Ces documents de synthèse doivent être normés, afin d’offrir à
l’épargnant une plus grande lisibilité et une meilleure comparabilité entre tous les produits
financiers.
En France, la création de l’ACP en 2010 a été l’occasion de lui confier des missions
importantes en matière de protection de la clientèle, missions qu’elle mène de façon conjointe
avec l’Autorité des marchés financiers (AMF). En particulier, l’article L. 612-1 du Code
monétaire et financier précise en effet que « l’Autorité de contrôle prudentiel veille à la
préservation de la stabilité du système financier et à la protection des clients, assurés,
adhérents et bénéficiaires des personnes soumises à son contrôle. Dans cette optique, le
collège de l’ACPR est doté d’une commission consultative Pratiques commerciales pour
l’éclairer dans sa prise de décisions sur les sujets relatifs à la protection de la clientèle.
L’ACP, devenue depuis ACPR, oriente son action selon trois axes :
- le contrôle des pratiques commerciales des organismes bancaires et d’assurance et de
leurs intermédiaires, sur pièces et sur place ;
- la réponse aux demandes de la clientèle et l’orientation et l’analyse des réclamations
reçues ;
- la veille sur les campagnes publicitaires, contrats, produits et services.
Concernant ce dernier point, les dispositions sectorielles relatives à la publicité issues
des dispositions du Code monétaire et financier, du Code des assurances ainsi que du Code de
la consommation concernent l’identification des entreprises et la définition du caractère
publicitaire du message. L’ACPR, et en son sein la direction du contrôle des pratiques
commerciales (DCPC), exerce au quotidien une veille qualitative sur les publicités des
secteurs de la banque et de l’assurance. En 2013, cette veille a porté sur plus de 5 000
communications à caractère publicitaire. Elle permet à l’ACPR d’observer les tendances de la
communication des professionnels et d’avoir une vision comparative des différents produits
proposés sur le marché. Ces observations conduisent l’ACPR à être particulièrement vigilante
sur les campagnes organisées par les annonceurs, les innovations commerciales (nouveaux
contrats, nouvelles mécaniques promotionnelles).
Pour sa part, la direction des relations avec les épargnants de l’AMF effectue une
veille sur les communications publicitaires de produits d’épargne et financiers afin de relever
les publicités contestables ou trompeuses sur des produits financiers qui entrent dans le champ
de supervision de l’AMF parce qu’ils sont distribués en France sans qu’ils soient
nécessairement agréés par l’AMF (cas des produits commercialisés en libre prestation de
service, par exemple). La veille ainsi réalisée permet :
- de détecter des offres concernant des placements dits « atypiques » dont les
communications publicitaires seraient contestables ou trompeuses ;
- de détecter des sociétés qui proposent au marché français des produits ou services sans
y être autorisées ;
- d’enrichir et de mettre à jour les alertes de l’AMF.
Compte tenu de l’imbrication croissante entre les produits d’épargne (assurance-vie et
OPCVM notamment) et du développement d’acteurs à même de distribuer toute la gamme des
produits d’assurance et de banque, un pôle commun à l’ACPR et l’AMF a été instauré par
l’article L612-47 du Code monétaire et financier. Outre les missions de contrôle et le suivi des
campagnes de publicité, le pôle commun s’attache à examiner les thématiques relevant des
pratiques développées par les professionnels. Au cours des années récentes, deux axes
principaux de contrôle ont été retenus : la connaissance du client dans le cadre du devoir de
conseil et le traitement des réclamations. En outre, le pôle commun s’est aussi intéressé au
développement du financement participatif et aux conventions entre les producteurs et les
distributeurs d’instruments financiers ou de contrats d’assurance-vie. Par ailleurs, les
enseignements de la surveillance effectuée par les deux autorités les ont conduites à publier
des alertes sur les produits spéculatifs du marché des changes commercialisés par Internet.
L’AMF et l’ACPR ont constaté que ces publicités, très présentes sur les sites Internet
d’organes de presse « grand public », promeuvent ces produits financiers d’une manière
particulièrement trompeuse et parfois très agressive, en minimisant les risques de perte.
L’ACPR et l’AMF participent également aux travaux européens qui visent à améliorer
la protection du consommateur concernant l’information précontractuelle sur les produits
d’investissement quelle que soit la nature du produit : dépôts structurés, contrats d’assurance
vie, régimes de retraite ou instruments financiers. Un joint commitee regroupe l’Autorité
bancaire européenne (EBA), l’Autorité européenne des assurances et des pensions
personnelles (EIOPA) et l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) et mène des
travaux en vue de définir des lignes directrices sur le traitement des réclamations, avec
comme objectif de promouvoir un traitement harmonisé des réclamations quel que soit le type
d’établissement avec lequel un consommateur entre en relation.
6.3. – La surveillance des marchés de gré à gré et l’encadrement des dérivés
6.3.1. - L’opacité du marché des Credit default swap (CDS) s’est avérée un facteur de risque
La crise a rendu nécessaire la sécurisation du marché des CDS et plus généralement
des dérivés de crédit échangés de gré à gré. La multiplication des défaillances en septembre
2008 et l’aversion au risque ont créé un climat particulièrement dangereux en termes de
stabilité financière en raison d’un risque de double défaut à la fois de l’entité sous-jacente et
de l’entité vendeuse de protection. Cette augmentation des risques de crédit (sur le sous-
jacent) et de contrepartie (notamment sur l’intervenant qui vend de la protection) explique le
mouvement de réduction des expositions sur ce marché par le biais de la compression
(élimination des contrats redondants) si bien que les encours notionnels des marché de CDS
sont passés de fin décembre 2007 à juin 2009 de 58 à 36 trillions de dollars. La réduction a été
logiquement plus importante pour les CDS multi names (indices paniers) que pour les CDS
individuels (single names), la standardisation des indices permettant la compression plus
efficace.
L’enchainement d’un nombre important d’évènement de crédit a permis de tirer de
nombreux enseignements sur les expositions de marché et la résilience du système. La faillite
de Lehman d’après les premières estimations, laissait penser à 400 milliards de dollars
d’indemnisations alors que la dette de Lehman Brothers n’excédait pas 150 milliards de
dollars. Les premières estimations de l’ISDA tirées de l’enchère ont abouti à un montant
limité de 7 milliards de dollars. Par ailleurs, selon DTCC, 72 milliards de dollars de CDS ont
été traités par un processus automatisé lors du règlement du 21 octobre 2008 sans incident
technique. In fine, le règlement a permis d’évaluer le transfert de fonds des vendeurs nets de
protection à seulement 5,2 milliards de dollars. Les anticipations de défaut en chaine d’entités
vendeuses de protection ne pouvant verser les indemnités se sont donc révélées infondées. De
façon générale, tous les événements de crédit depuis 2008 ont été gérés sans désordre, signe
d’efficacité des protocoles d’enchères.
Afin toutefois de réduire les risques liés à l’absence de transparence, un mouvement de
standardisation important des contrats a été initié et le recours aux chambres de compensation
par contrepartie centrale s’est développé sur le marché des CDS.
6.3.2. - La standardisation des contrats de CDS
Sous l’égide de l’International Securities and Derivatives Association (ISDA), un
nouveau contrat de CDS est entré en vigueur sur les entités de référence américaines en avril
2009 et pour les entités européennes en juillet 2009. Ces nouveaux contrats définissent mieux
les évènements de crédit qui peuvent être constitués par une faillite, un défaut de paiement,
une répudiation/moratoire dans le cas d’un CDS souverain ou encore une restructuration de la
dette sous-jacente au contrat dans le cas d’un contrat européen. Le nouveau contrat introduit
également une standardisation des coupons qui rend les contrats plus fongibles et permet une
meilleure liquidité du marché.
6.3.3. - Les chambres de compensation par contrepartie centrale (CCP)
Bien que le débat sur l’opportunité du développement des CCP ne soit pas neuf, les
difficultés observées sur le marché des CDS ont conduit les autorités publiques (G20) à
encourager cette extension. Ainsi, a-t-il été décidé que fin 2012, tous les dérivés OTC
devraient être enregistrés dans des banques centrales de données (trade repositories) et les
dérivés OTC standardisés compensés par des chambres de compensation. S’agissant de la
centralisation de la compensation en aval, plusieurs projets ont été lancés et offrent des
services pour les Credit Default Swap (CDS) : Intercontinental Exchange Trust (ICE) aux
États-Unis, ICE Clear Europe et Eurex Clearing (filiale conjointe des bourses allemande et
suisse) en Europe ainsi que LCH Clearnet SA (filiale française de LCH Clearnet) qui a
annoncé le lancement de sa plate-forme de compensation de contrats sur sous-jacents
européens en 2010.
La compensation par contrepartie centrale diminue le niveau global des risques lié à
l’ensemble des positions de marché en effectuant le calcul des positions nettes portant sur des
contrats fongibles. Agissant en tant que contrepartie, la CCP devient acheteuse face aux
vendeurs et vendeuse face aux acheteurs. Elle garantit aussi la bonne fin des opérations et son
action est déterminante en cas de défaillance d’un intervenant dans la mesure où elle se
substitue au défaillant pour assurer le respect de ses obligations vis-à-vis des contreparties
concernées. En cas de défaut sur le marché des CDS, la CCP serait ainsi amenée à assurer le
maintien des primes au vendeur de protection et le maintien de la protection de l’acheteur
contre le risque de crédit sous-jacent au contrat.
Les CCP améliorent aussi la transparence du marché et permettent d’agréger
l’exposition des contreparties sur l’ensemble du marché. Pour certains analystes, la visibilité
qui en découlerait constituerait une réponse plus flexible que des restrictions d’activité trop
étroites imposées aux établissements bancaires et financiers.
Néanmoins, le recours à ces infrastructures ne fait pas disparaître le risque mais le
concentre davantage dans les chambres de compensation (Central counterparty ou CCPs). Il
importe donc de garantir leur robustesse par la sélection attentive de leurs membres adhérents,
par l’instauration de marges versées par ces membres pour chaque transaction adressée à la
CCP et par la création d’un fonds de garantie. Afin de vérifier que le modèle de gestion des
risques mis en œuvre par la CCP permet effectivement de prévenir et de gérer la survenance
d’un risque de défaut, chacun de ces mécanismes doit être préalablement agréé par le
superviseur.
6.3.4. - La régulation
Les différents engagements pris devraient se traduire par des nouveaux textes
législatifs sur les marchés financiers et les infrastructures de marché. La standardisation des
dérivés de crédit doit également être étendue de manière à permettre l’extension des CCP à
toutes les catégories de CDS. Actuellement, seuls les produits sur indices de CDS et les CDS
sur les entités les plus liquides sont couverts. Concrètement les nouvelles obligations de
transparence donneront aux autorités de contrôle les moyens d’identifier les entités devant
être soumises aux nouvelles règles relatives aux marchés de produits dérivés. En outre,
l’obligation de compensation conduira à soumettre les utilisateurs de ces produits à des règles
prudentielles assurant une tarification correcte des risques, notamment par le biais de la
collatéralisation, des appels de marge obligatoires et de l’abondement du fonds de garantie de
la chambre de compensation.
La sécurisation des systèmes de gestion des risques des CCP doit être entreprise. En
particulier, l’accès à la liquidité constitue un enjeu important. Une CCP doit disposer de
ressources suffisantes pour faire face à un accroissement très brutal de ses besoins suite à la
défaillance d’un intervenant et ne doit pas être trop dépendant des lignes de refinancement
bancaires susceptibles de s’assécher en cas de crise financière. Les CCP doivent également
avoir un accès permanent à la liquidité de banque centrale dans la devise traitée ce qui
suppose une surveillance directe de la banque centrale sur ces infrastructures. Eu égard à
l’importance du volume de CDS libellés en euros, il y a incontestablement nécessité d’une
chambre de compensation dans cette devise placée sous la surveillance de l’euro système et
localisée en zone euro. –
Le règlement européen EMIR (European Market and Infrastructure Regulation)
impose de nouvelles contraintes aux différents acteurs des marchés de produits dérivés :
contreparties financières ou non-financières effectuant une transaction sur ces marchés,
chambres de compensation. Il introduit d’autre part de nouveaux acteurs, les référentiels
centraux, chargés d’enregistrer l’ensemble des contrats de dérivés conclus entre deux
contreparties.
6.3.5. Principes et champ d’application d’EMIR
EMIR (« European Market Infrastructure Regulation ») est le pendant européen du
Dodd-Frank Act américain en ce qui concerne les dispositions relatives au post-marché. Le
règlement EMIR du 4 juillet 2012 est entré en vigueur le 16 août 2012, mais son application
effective dépend de l’adoption progressive d’un certain nombre de standards techniques par
les régulateurs européens. Comme le Dodd-Frank Act, EMIR a été adopté après la crise
financière de 2008 et le Sommet du G20 de Pittsburgh visant à encadrer les dérivés négociés
de gré à gré (dits « OTC »).
EMIR repose sur les principes suivants :
- une obligation de compensation centrale de l’ensemble des dérivés négociés de gré à
gré jugés par l’ESMA suffisamment liquides et standardisés. De ce fait, le risque de
contrepartie sera intégralement transféré aux chambres de compensation ;
- un cadre juridique harmonisé au niveau européen destiné à assurer que les chambres
de compensation respectent des exigences fortes en termes de capital, d’organisation,
et de règles de conduite ;
- le recours à un ensemble de techniques d’atténuation des risques opérationnels et de
contrepartie pour les contrats non compensés notamment par le biais d’échange de
collatéral ;
- une obligation de déclaration à des référentiels centraux de l’ensemble des transactions
sur produits dérivés.
EMIR s’applique à toute contrepartie, financière (établissements de crédit, entreprises
d’investissement, compagnies d’assurance, sociétés de gestion…) ou non financière qui
effectue une transaction sur un produit dérivé. Des exemptions existent pour certaines
catégories d’acteurs ou de transactions, lorsque celles-ci ont lieu entre deux entités
appartenant à un même groupe sous réserve du respect de certaines conditions.
Le périmètre des produits couverts par EMIR est le suivant :
- concernant l’obligation de compensation et les techniques d’atténuation des risques :
tout dérivé de gré à gré au sens de la directive MIFID dès lors que son exécution n’a
pas lieu sur un marché réglementé) ;
- concernant les dispositions applicables aux contreparties centrales : tout instrument
financier ;
- concernant la déclaration aux référentiels centraux : tout contrat dérivé, aussi bien de
gré à gré que négocié sur un marché réglementé.
6.3.6. L’évolution des règles de résolution
L'ISDA, qui est l’association professionnelle régulant le marché des dérivés, a mis en
place de nouvelles règles applicables au CDS (« credit default swaps »), par exemple quand
les États interviennent pour sauver des banques. Pour gérer cette situation, un nouvel
événement de crédit a été créé afin de prévoir les modalités de dédommagement des assurés
c'est-à-dire des détenteurs de CDS qui, contrairement à la situation antérieure, seront protégés
en cas d'expropriation, de non-remboursement des obligations à 100% ou en cas de
modification des termes des contrats obligataires du fait de l'intervention d'une autorité
publique. Un autre changement concerne les actifs à livrer en s’inspirant du cas de la banque
néerlandaise SNS où la valeur des titres subordonnés est devenue nulle à la suite de
l'expropriation des porteurs d’obligations se sont vu confisquer leurs titres. Dans cas, la seule
valeur de référence pour activer le CDS était celle des obligations non subordonnées (seniors),
pourtant sans rapport avec la valeur de la dette subordonnée ce qui était très pénalisant pour
les assurés. Enfin, l'ISDA a répondu au problème soulevé par Banco Espirito Santo, qui a été
scindé, avec d'un côté la « good bank » (Banco Novo) porteuse des obligations seniors et, de
l'autre, la « bad bank », porteuse des titres subordonnés. Dans ce schéma, il a été décidé que
les CDS restaient bien attachés aux titres en défaut de la « vieille » structure. Ces
changements constituent une vraie révolution aux yeux des marchés qui permet de garantir le
prix des contrats d'assurance dont le rôle protecteur a été renforcé.
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