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LE DROIT DE LA CONCURRENCE
SUISSE ET EUROPEEN
(Cours SA 2011)
1 L’évolution des économies suisse, européenne et mondiale au cours des quinze
dernières années a accentué le rôle de la concurrence dans le fonctionnement des
marchés. Ces marchés ont pris des dimensions nouvelles :
- La création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994 a accéléré et
fortement augmenté les échanges internationaux ;
- La mise en place d’un véritable marché intérieur européen (de 15 Etats en 1992, de
27 Etats en 2007 dans l’Union européenne et 3 Etats dans l’Espace Economique
Européen et des Accords bilatéraux avec la Suisse !) a permis aux entreprises
européennes de travailler et d’organiser leurs activités à une autre échelle ;
- Dans ce contexte, la Suisse a d’abord pris conscience de son décalage (refus de
l’Espace économique européen en 1992) et, depuis, essaie de se repositionner
(adhésion à l’ONU, accords bilatéraux avec l’Union européenne, réforme du droit
économique interne).
2 Dans ces marchés, la concurrence doit être réglementée. Le droit de la concurrence –
domaine devenu incontournable pour les entreprises actives à l'échelle nationale et
internationale – est à la convergence de plusieurs disciplines : droit, économie, science
politique. La science économique explique les conséquences du comportement des
entreprises ou tout simplement de leur taille. Le droit détermine les règles de
comportement. La science politique oriente le choix des objectifs à poursuivre dans
l'intérêt de la société dans son ensemble.
3 Au cours de cette période, à tous les échelons (OMC, Union européenne, Suisse), on
s’est préoccupé du fonctionnement de la concurrence et de sa réglementation. La
première tâche du législateur est de favoriser les échanges et de permettre l’accès au
marché (1ère Partie). Le cadre dans lequel la concurrence peut s’exercer étant fixé, il
s’agira ensuite d’examiner comment elle risque d’être entravée ou éliminée ou encore
accaparée (2e Partie). Ces sujets seront traités en droit suisse et en droit européen car
ils se présentent d’une manière assez comparable même si c’est à une échelle très
différente. Préalablement, il convient de rappeler la place et le rôle du droit de la
concurrence (§ 1).
2
§ 1 LA PLACE ET LE ROLE DU DROIT DE LA CONCURRENCE
Textes législatifs : art. 27, 94-97, 100-103, Cst. féd (RS 101); art. 3 par. 1 let. b,
101 et 102, 112 TFUE.
Vous trouverez les textes légaux suisses sur le site internet
http://www.admin.ch/ch/f/rs/rs.html en insérant le numéro du Recueil
systématique du droit fédéral (RS) indiqué entre parenthèse après chaque texte
légal dans le champ de recherche.
Bibliographie : P. TERCIER, Introduction générale, in Commentaire Romand,
Concurrence, 2e éd., Bâle 2011, 1 ss; J. DEISS, Les aspects économiques du
nouveau droit de la concurrence, in CR Concurrence, Bâle 2002, 71 ss ; C.L. DE
LEYSSAC / G. PARLEANI, Droit du marché, Paris 2002 ; G. FARJAT, Pour un droit
économique, Paris 2004; L. VOGEL, Droit européen de la concurrence, Paris
2010.
Vous pouvez connaître la disponibilité en bibliothèque des ouvrages cités ci-
dessus en consultant le site internet www.rero.ch.
4 Le droit de la concurrence est une branche de ce que certains appellent le droit
économique, (G. FARJAT, Pour un droit économique, Paris 2004 ; J.-PH. COLSON,
Droit public économique, 3e éd., Paris 2001), et d’autres le droit du marché, (C.
LUCAS DE LEYSSAC / G. PARLEANI, Droit du marché, Paris 2002). Cette manière
assez différente de « classer » cette branche du droit n’est pas surprenante ; elle
met en évidence les aspects administratifs (rapports entre l’Etat et les administrés,
en l’occurrence, les entreprises) ou les aspects de droit privé (rapports des
entreprises entre elles).
1.1 LES FONDEMENTS DU DROIT DE LA CONCURRENCE
5 En Suisse, le droit de la concurrence a ses racines dans la Constitution
fédérale qui, d’une part, donne à l’Etat la mission de protéger la
concurrence économique (art. 94 Cst) et, d’autre part, protège depuis 1874
la liberté économique – aussi appelée liberté du commerce et de
l’industrie :
6 Art. 94 Principes de l’ordre économique
1 La Confédération et les cantons respectent le principe de la liberté
économique.
3
2 Ils veillent à sauvegarder les intérêts de l’économie nationale et
contribuent, avec le secteur de l’économie privée, à la prospérité et à la
sécurité économique de la population. 3 Dans les limites de leurs compétences respectives, ils veillent à créer
un environnement favorable au secteur de l’économie privée. 4 Les dérogations au principe de la liberté économique, en particulier les
mesures menaçant la concurrence, ne sont admises que si elles sont
prévues par la Constitution fédérale ou fondées sur les droits régaliens
des cantons.
7 Art. 96 : Politique en matière de concurrence
1 La Confédération légifère afin de lutter contre les conséquences sociales
et économiques dommageables des cartels et des autres formes de
limitation de la concurrence.
8 A noter que la garantie de la propriété, également prévue par la Constitution (art. 26 Cst.), et
un pouvoir judiciaire capable de fonctionner en toute indépendance sont également reconnus
comme des piliers nécessaires pour le bon fonctionnement d’une économie libérale.
9 La liberté contractuelle et les mécanismes prévus par le droit privé des
contrats permettent d’organiser l’activité économique. Cette liberté
contractuelle n’est toutefois pas sans limite :
- l’Etat intervient et impose des règles protectrices chaque fois que
l’expérience montre qu’une des parties au contrat n’est pas en position
de négocier avec une véritable marge de manœuvre : protection du
locataire dans le droit du bail ; protection du travailleur dans le contrat
de travail ; protection de l’emprunteur dans la loi sur le petit crédit (cf.
ci-dessous, ch. 3.2.1. N. 83 ss).
- Si les entreprises utilisent les règles contractuelles pour empêcher le
fonctionnement du marché (accord sur les prix, sur les territoires,
interdiction de revendre à certains acteurs économiques), l’Etat
intervient pour faire constater la nullité de ces clauses contractuelles.
10 En droit européen, les fondements du droit de la concurrence se trouvent
dans le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (art. 3 par. 1
let b, 101 et 102 TFUE), qui reprend les principes déjà fixés dans le Traité
de Rome signé en 1957 (ancien TCE).
11 D’une manière caractéristique, l’Union européenne s’est d’abord donnée pour but la mise en
place d’un marché intérieur « caractérisé par l’abolition, entre les Etats membres, des
obstacles à la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des
capitaux » (art. 3 par. 1 let. c TCE). Ensuite, l’Union a voulu que soit instauré et maintenu
« un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur » (art. 3
par. 1 let. g TCE).
4
Ainsi, en dehors du système juridique américain, l’Union européenne est la principale entité
économique qui a, à la fois adopté des règles juridiques relatives à l’accès au marché et à
l’exercice de la concurrence, et qui a aussi mis en place les instruments de mise en œuvre et
d’application effective de ces règles (cf. ci-dessous, § 10 et 11).
12 Ces dispositions ont été :
- complétées par de nombreux règlements adoptés par le Conseil et par
la Commission ; soit par exemple le règlement du Conseil sur
l’application de l’art. 81 TCE (aujourd’hui art. 101 TFUE) qui prohibe
les ententes (R n° 19/65/CEE modifié par le R n° 1215/1999/CE ou le
R n° 1400/2002 de la Commission concernant l’application de l’art. 81
par. 3 TCE à des catégories d’accords verticaux et de pratiques
concertées dans le secteur automobile.
En droit européen, un règlement est l’équivalent d’une loi en ce sens qu’il contient des
règles qui doivent être appliquées telles que définies alors qu’une directive indique un but
à atteindre en laissant aux Etats membres le choix des moyens pour atteindre ce but.
Les autorités européennes adoptent aussi des communications pour expliquer leur
manière d’appliquer certains textes. Par exemple, la Communication de la Commission
sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence a
pour objet d’expliquer la manière dont la Commission applique le concept de marché de
produit ou de marché géographique en cause (cf. Communication 97/C 372/03).
- interprétées, c’est-à-dire appliquées, par la Cour de Justice des
Communautés européennes (CJCE), dans des cas concrets.
La Cour de justice a été amenée à répondre à de nombreuses questions d’application du
traité grâce au mécanisme du recours préjudiciel prévu par le traité. Si la Cour de justice
avait été une instance de recours n’intervenant qu’après épuisement des voies de recours
nationales, il est probable que les justiciables n’y auraient pas eu souvent recours. Par la
voie du recours préjudiciel, l’instance nationale saisie – même la première instance – peut
soumettre un grief à la Cour de justice dès que ce grief soulève une question
d’interprétation du traité (p. ex. mesure d’effet équivalent ou entente illicite). Il est en effet
inutile que les différentes instances nationales se prononcent sur l’interprétation du traité
alors que de toute façon c’est la Cour de justice qui aura le dernier mot sur ce point !
1.2 LE ROLE DE L’ETAT
1.2.1 Le rôle traditionnel
13 L’Etat, au XXe siècle, est toujours intervenu de multiples manières dans
l’activité économique nationale :
- l’Etat acteur économique : l’Etat se croyait obligé d’exercer lui-même
certaines activités jugées indispensables pour assurer l’indépendance du
pays (armement, télécommunications, compagnies aériennes, p. ex) ;
- politique conjoncturelle : par le biais de la politique monétaire, les
gouvernements exerçaient une influence sur l’économie ;
5
- politique structurelle : en protégeant ou avantageant certaines
industries, en fixant les règles du marché du travail, les gouvernements
modifiaient les règles du jeu.
1.2.2 L’évolution du rôle de l’Etat
14 Au cours des vingt dernières années, le rôle de l’Etat a été fortement
modifié :
- marchés publics : lorsque l’Etat investit, construit, achète des biens ou
des services, il doit, dès que le marché atteint un certain seuil financier,
respecter la réglementation nationale, européenne ou de l’OMC relative
aux marchés publics ;
- politique monétaire : celle-ci n’est plus dans les mains des
gouvernements, mais de la banque nationale (pour la Suisse) ou de la
Banque Centrale Européenne (BCE) pour l’Union Européenne ;
- politique structurelle : elle est admissible mais ne doit pas aller
jusqu'à affecter la concurrence (problématique des aides d’Etat
prohibées par les art. 107 ss TFUE ; en Suisse, la Commission de la
concurrence (Comco) est invitée de par la loi à se déterminer sur les
projets législatifs qui pourraient affecter ou fausser la concurrence (art.
45 LCart.) :
1) Art. 45 Recommandations aux autorités
1 La commission observe de façon suivie la situation de la
concurrence.
2 Elle peut adresser aux autorités des recommandations visant à
promouvoir une concurrence efficace, notamment en ce qui concerne
l’élaboration et l’application des prescriptions de droit économique.
15 De plus, la création du marché unique européen, à fin 1992, et les règles
du GATT sur le commerce international ont changé les dimensions du
terrain sur lequel s’exerce la concurrence. Pour cette raison, les règles du
droit de la concurrence ont été harmonisées dans la Communauté
européenne et les règles suisses adaptées à celle du droit européen.
16 Il est intéressant de constater que, dans toute une série de domaines économiques particuliers,
le régime juridique adopté spécialement vise aussi à garantir une certaine égalité entre les
opérateurs pour garantir l’exercice de la concurrence :
- législation sur les télécommunications (cf. N 108 ss) ;
- législation dans le domaine de l’énergie électrique et du gaz (cf. N 111 ss) ;
- législation sur les bourses (cf. N 105 ss).
6
17 L’évolution a également été marquée dans l’application des règles du droit
de la concurrence :
- les administrations chargées d’appliquer ces règles ont crû en
personnel et en compétences (ce domaine exige une coopération étroite
de juristes et d’économistes) ; à l’échelle européenne, un réseau de
coopération a été mis en place entre la Commission européenne et les
autorités de la concurrence des Etats membres ;
- les pouvoirs d’enquête sont devenus si incisifs que l’on en vient à
invoquer pour les entreprises les droits fondamentaux que seules les
personnes physiques avaient l’habitude d’invoquer ;
- les sanctions, en particulier financières, que peuvent subir les
contrevenants deviennent vraiment dissuasives.
18 Cette évolution se caractérise par le fait que l’Etat n’agit plus directement
comme acteur économique, mais indirectement en définissant les règles du
jeu et garantissant leur respect.
1.3 LE DROIT DE LA CONCURRENCE
19 Par l’adoption des règles du droit de la concurrence et leur application,
l’Etat veille à ce que les acteurs économiques n’empêchent, ni n’entravent
d’une façon excessive l’exercice de la concurrence. Cela signifie :
- fixer les règles d'accès au terrain de jeu, soit favoriser l’établissement
(l’existence) du marché et son accès (y compris de l’extérieur du
pays) (mise en place du marché intérieur);
- fixer les règles du jeu en garantissant l’existence d’une concurrence
efficace et loyale sur le marché (LCart.); l’exercice de la concurrence
ne doit pas se faire à l’aide de méthodes déloyales ou contraires à la
bonne foi (indications fallacieuses, tromperies, publicité mensongère, p.
ex. ; cf. la LF contre la concurrence déloyale, LCD).
- empêcher la constitution de positions de puissance / domination sur le
marché (contrôle des concentrations).
20 De plus, l’Etat doit également veiller à ne pas lui-même entraver la
concurrence par sa propre activité :
- ne pas fausser le marché par des aides étatiques (subventions, aides aux
entreprises en détresse);
7
- respecter la concurrence lorsqu'il est acteur économique (sauf situations
exceptionnelles); autrement dit :
-- les exigences de la concurrence s'imposent également aux
entreprises étatiques qui exercent une activité économique;
-- les principes de la concurrence doivent être respectés dans
l'attribution des marchés publics.
21 Le droit de la concurrence n’existe que si le législateur (volonté politique)
adopte des règles juridiques. En Suisse, le droit de la concurrence a pris
de l’importance en plusieurs étapes :
- 1962 : adoption de la première loi sur les cartels et organisations
analogues ; les cartels restaient présumés licites aussi longtemps que
des conséquences nuisibles d’ordre économique et social n’étaient pas
établies par l’autorité.
- 1985 : la présomption de licéité subsiste.
- 1995 : la présomption est renversée pour les accords sur les prix, les
quantités ou sur les marchés géographiques.
- 2004 : la Comco obtient le droit d’infliger une sanction lorsqu’elle
constate un comportement illicite.
- 2011 : le Conseil fédéral propose d'adapter les sanctions lorsque
l'entreprise a mis en place un système interne de "compliance"; il
propose également des règles plus strictes pour les accords verticaux.
22 Cette évolution législative dénote une évolution de la politique de la
concurrence en Suisse :
23 Dans la première loi suisse sur les cartels, la Comco, lorsqu’elle achevait une enquête sur un
secteur économique, devait se contenter d’adresser aux entreprises concernées une
recommandation de mettre fin à la pratique visée. Si les entreprises ne suivaient pas la recom-
mandation, la Comco ne pouvait que demander au Département fédéral de l’économie de
prendre une décision dans le sens de la recommandation.
En comparaison, en application des dispositions de la LCart de 2004, la Comco a pris une
décision à l’encontre de Swisscom au printemps 2007 accompagnée d’une sanction de plus de
300 MCHF ! Cette décision a été cassée par le Tribunal administratif fédéral.
24 La mise en place d’autorités indépendantes et le développement des règles
de procédures ont favorisé un développement autonome du droit de la
concurrence :
- autonomie par rapport aux autorités politiques ; à titre d’exemple :
8
-- prise de contrôle d’ENDESA en Espagne par la société italienne
Enel malgré plusieurs tentatives du gouvernement espagnol de
favoriser un concurrent espagnol, la société Gaznatural.
-- tentative avortée d’intervention de la Banque centrale hollandaise
dans l’offre publique d’achat sur ABN Amro.
-- preuve contraire : en France, lorsque la société italienne ENEL a
annoncé qu'elle allait lancer une offre d'achat sur Gaz de France
(GDF), le gouvernement a "organisé" en un week-end la fusion de
GDF avec la société Suez !
- autonomie par rapport à la science économique ; la concurrence est
certes d’abord un concept économique qui vise la compétition entre les
acteurs économiques sur un marché donné ; dans les mains des
pouvoirs publics chargés d’appliquer le droit de la concurrence, la
concurrence devient un outil qu’ils ont adapté au but qu’ils
poursuivent : rechercher un équilibre concurrentiel ; non pas une
concurrence théorique ou parfaite, mais une concurrence praticable
(workable competition) sur un marché donné et compte tenu des
éventuels autres facteurs que le législateur a également demandé de
prendre en considération; par exemple :
-- Un accord affectant de manière notable la concurrence (art. 5 LCart.) peut être justifié
(motif d’efficacité économique) s’il a pour but d’améliorer la compétitivité des petites
et moyennes entreprises (art. 6 al. 1 let. e LCart).
-- Un accord contraire à l’art. 5 LCart. peut être autorisé par le Conseil fédéral s’il est
nécessaire à la sauvegarde d’intérêts publics prépondérants (art. 8 LCart.).
25 L’Etat veut protéger la concurrence car l’effet supposé de celle-ci est
l’efficacité des mécanismes économiques. La concurrence n’est donc pas
recherchée pour elle-même mais comme instrument permettant
d’atteindre l’efficacité. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de
protéger la concurrence contre les atteintes qui peuvent être apportées à
son fonctionnement. C’est la notion de concurrence efficace (wirksamer
Wettbewerb).
26 Procédant à une nouvelle analyse économique de la règle de droit, les autorités européennes
ont dès le début accordé de l'importance aux effets des comportements des acteurs
économiques. Elles ne s'attachaient pas au caractère fautif d'un comportement (violation de la
règle) mais à ses conséquences, ses effets.
Afin de faciliter l'application des règles, on a tiré de la pratique certaines présomptions (tel
comportement – accord sur les prix – entraîne une suppression de la concurrence); ces
comportements sont qualifiés d'illicites; il n'est plus nécessaire d'examiner leurs effets.
Plus récemment, les autorités de la concurrence s'écartent des règles PERSE pour examiner
dans chaque cas les effets du comportement avant de porter un jugement sur le caractère
abusif ou non du comportement ("the more economic approach"). Mais cette manière de
procéder conduit à un jugement a posteriori qui n'est pas très compatible avec la sécurité
9
juridique (peut-on être condamné pour un comportement dont on ne pouvait savoir, à ce
moment-là, qu'il serait apprécié négativement ?).
Pour aider les entreprises à bien se comporter, la Commission a publié des Communications
dans lesquelles elle formalise la théorie économique qu'elle applique et explique donc de
quelle manière elle va appliquer les principes du droit européen. Toutefois, ces
Communications ne lient pas les tribunaux.
27 Les règles adoptées par le législateur en droit de la concurrence devraient donc être en
conformité avec les énoncés de la science économique. Mais parfois on constate un décalage
entre les recommandations de l'analyse économique et l'application concrète de la norme de
concurrence. D'où la critique adressée parfois aux juristes de l'usage d'une doctrine
économique imparfaite, mal comprise ou même dépassée.
(Sur ces questions : I. LIANOS, La transformation du droit de la concurrence par le recours à
l'analyse économique, Bruxelles, 2007; F. JENNY, Le rôle de l'analyse économique dans le
contrôle par la Cour de cassation en matière de droit de la concurrence : Concurrences
2007, n° 4, p. 27, p. 34).
1.4 LA CONCURRENCE ET LA PROPRIETE INTELLECTUELLE
1.4.1 Nécessité d’une protection
28 Tout en recherchant les effets du fonctionnement efficace du marché,
l'Etat reconnaît généralement aussi la nécessité de protéger les efforts
consentis par le chercheur pour le développement d'un produit; d'où la
protection accordée par :
- la loi sur les brevets d'invention (LBI);
- la loi sur les designs (LDes);
- la loi sur les marques et les indications de provenance (LPM).
1.4.2 Protection internationale de la propriété industrielle ou intellectuelle
A. En général
29 Dans les pays industriels, le besoin d'une protection internationale des
droits de propriété industrielle a été ressenti très tôt et concrétisé à la fin du
XIXème siècle déjà dans un traité intitulé «Convention de l'Union de
Paris» (CUP), signé en 1883 et modifié à plusieurs reprises depuis lors
(1925, 1934, 1958, 1967).
30 Cette convention a été complétée par de nombreux traités ou accords inter-
nationaux dans le but de faciliter l'enregistrement dans des pays étrangers
de marques, de modèles ou dessins industriels, de brevets; de même,
d'autres accords protègent les appellations d'origine et les indications de
provenance. (L'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle -
10
OMPI - a été instituée, avec siège à Genève, dans le but de coordonner ces
efforts).
31 L'importance accordée aux droits de la propriété industrielle par les pays
industrialisés a été soulignée dans la révision des accords du GATT,
puisque l'accord du 15 avril 1994 instituant l’OMC comprend une annexe
1C intitulée : « Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle
qui touchent au commerce ».
32 Depuis quelques années, en particulier depuis la réunion ministérielle de
Doha en 2001, la question de l’étendue de la protection des droits de la
propriété intellectuelle fait l’objet d’un débat nourri. C’est en particulier le
cas dans les relations avec les pays les plus démunis et dans le domaine de
la santé publique. Dans quelles circonstances et à quelles conditions une
licence obligatoire peut-elle être imposée au titulaire du brevet ?
B. Le conflit avec les règles du marché
33 Les principes de la propriété intellectuelle entrent en conflit avec les règles
du marché unique pour la raison suivante :
- le système du brevet ou de la marque reconnaît à son titulaire le droit
exclusif de fabriquer un produit selon le brevet ou d'utiliser une marque
pour caractériser un produit; le titulaire du brevet peut exploiter son
droit lui-même, mais il peut également céder ce droit à un tiers en lui
accordant une licence; ce droit est généralement accordé pour une durée
donnée et un territoire donné ;
- en accordant des licences dans différentes parties du marché européen,
le titulaire peut ainsi fixer des conditions (notamment de prix !) pour
l’usage du droit de propriété intellectuelle ; en faisant cela, le titulaire
du brevet ou de la marque peut ainsi cloisonner le territoire européen.
En effet, les règles contractuelles prévues dans le contrat de licence et
l’appareil judiciaire donnent au titulaire du droit les moyens de faire
respecter l’engagement pris par le preneur de licence. Or, cet effet est
précisément celui que l’on a voulu éviter en créant le marché unique.
34 Cette problématique a provoqué le débat sur l’épuisement national ou
international des droits de la propriété intellectuelle :
- La question est d’abord de savoir si le titulaire du droit (brevet ou
marque) peut encore contrôler l’usage du produit au-delà de la première
mise du produit sur le marché effectuée par le licencié.
- On parle « d’épuisement » pour signifier que lorsque le titulaire du
droit a accordé une licence (sur le brevet ou la marque) et que le
licencié utilise son droit conformément au contrat de licence, le titulaire
11
n’a plus de contrôle possible sur le produit : il a « épuisé » son droit par
l’octroi de la licence ou la première mise du produit sur le marché !
Cela signifie d'une part que le licencié ne peut pas interdire à son
acheteur de revendre le produit au-delà d'un certain marché; d'autre
part, le titulaire du droit ne peut pas invoquer son droit de propriété
intellectuelle pour empêcher l'importation du produit sur certains
marchés.
* * * * *
12
1ère
partie
L’ACCES AU MARCHE
35 La concurrence implique l’existence d’un marché sur lequel elle puisse s’exercer. La
notion de marché a évolué avec l’extension géographique des marchés (Chapitre 1).
La possibilité d’accéder au marché constitue un élément essentiel de son bon
fonctionnement (Chapitre 2).
Chapitre 1
LE MARCHE
36 Les échanges commerciaux ont été favorisés par l’abaissement des barrières tarifaires
et non tarifaires (§ 2) et la mise en place d'une réglementation du marché (§3). Depuis
1992, l’Union européenne poursuit la mise en place d’un marché intérieur (§ 4), dont
le modèle a inspiré le législateur suisse (§ 5).
13
§ 2 LES ZONES DE LIBRE ECHANGE
Textes législatifs : Accord OMC (RS 0.632.20) ; Convention du 04.01.1960
instituant l’association européenne de Libre-Echange (AELE) (RS 0.632.31);
l'Accord de libre échange entre la Suisse et la CEE de 1972 (RS 0.632.401);
l'Accord de l'OMC du 15.4.1994 relatif aux obstacles techniques au commerce
(RO 1995, p. 2252 ss); art. 30 ss TFUE; Loi fédérale du 06.10.1995 sur le marché
intérieur (LMI) (RS 943.02), FF 1995 IV 552 ss; Loi fédérale du 06.10.1995 sur
les entraves techniques au commerce (LETC) (RS 943.02), FF 1995 IV 539 ss;
art. 34 ss TFUE.
Bibliographie : Message du Conseil fédéral du 23.11.1994, FF 1995 I 1193; E.
SCHEIDEGGER, Schweiz-EG 92 : Mehr Wettbewerb durch den Binnenmarkt,
Coire/Zurich 1992; B. MERKT, Harmonisation internationale et entraide
administrative internationale en droit de la concurrence, Berne 2000; C.L. DE
LEYSSAC/G. PARLEANI, Droit du marché, Paris 2002, p. 51 ss; D. DREYER/B.
DUBEY, Effets de la libre circulation des personnes sur l’exercice des activités
soumises à autorisation, in L’adhésion de la Suisse à l’Union européenne, Zurich,
1998, p. 859 ss; D. DREYER/B. DUBEY, Réglementation professionnelle et marché
intérieur, Bâle 2003.
2.1 L'ABAISSEMENT DES BARRIERES TARIFAIRES
37 A la fin des années 1950, la Suisse chercha sa place dans le concert des
Etats européens qui développaient et favorisaient les échanges
économiques.
38 Etant donné que la CEE - malgré son appellation - n'avait pas que des buts
économiques, il n'était pas question pour la Suisse d'en faire partie. Elle se
contenta donc :
- de participer à l'AELE dès 1960;
- de signer un accord de libre échange avec la CEE en 1972;
- de participer activement aux divers «rounds» de négociations du GATT
(devenu OMC en 1995).
39 La création d'une zone de libre échange vise des buts beaucoup plus
limités que celle d'un marché intérieur. Les pays qui établissent une zone
de libre échange conservent leur souveraineté ce qui permet –
14
volontairement ou involontairement – de créer ou de maintenir des
barrières non tarifaires aux échanges.
40 La création d'un marché intérieur implique des mesures qui dépassent
l'abolition des droits de douane (la libre circulation des personnes, des
marchandises, des services et des capitaux (cf. § 4 et 5 ci-dessous).
2.1.1 L'Association européenne de libre échange
41 En réponse à la création de la CEE (qui ne comprenait à l'origine que la France, l'Allemagne,
l'Italie, la Belgique, la Hollande et le Luxembourg), d'autres pays européens (la Suisse,
l'Autriche, la Grande-Bretagne, la Suède, la Norvège, la Finlande, l'Islande et l'Irlande)
constituèrent en 1960 la Convention instituant l’association européenne de Libre-Echange
(AELE). Actuellement, seuls la Norvège, l’Islande, le Liechtenstein et la Suisse en font
encore partie (mais la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein ont signé avec l’Union
européenne le Traité de l’Espace économique européen). Les objectifs décrits à l'art. 2 de la
Convention AELE sont notamment :
- de favoriser, dans la zone de libre échange (l'ensemble des pays membres de la
Convention), l'expansion du commerce en éliminant progressivement les obstacles qui
l'entravent;
- d'assurer aux échanges entre Etats membres des conditions de concurrence équitable.
42 Le démantèlement des droits de douane (obstacles tarifaires) à l'intérieur de l'AELE, a été
réussi progressivement du 1er juillet 1960 au 31 décembre 1966.
43 Quant à la concurrence, la Convention de l'AELE comporte plusieurs articles qui s'y
rapportent :
- aides gouvernementales (art. 13);
- achats publics (art. 14);
- pratiques commerciales restrictives (art. 15);
- établissement (art. 16);
- dumping (art. 17).
44 L'objectif semble bien d'éviter que les avantages du libre échange (élimination des droits de
douane et des restrictions quantitatives) ne soient réduits à néant par des mesures
gouvernementales ou privées.
45 En réalité, après avoir aboli les barrières douanières, les membres de l'AELE ne se sont que
tardivement occupés des barrières non tarifaires (en fait, ce n'est qu'à l'initiative du
Président de la Commission européenne, J. Delors, qu'en 1988 s'ouvrirent des discussions sur
la création de l'Espace Economique Européen).
46 De plus, l'AELE n'établit pas un système de concurrence mais se contente d'assurer le jeu du
libre-échange. La Convention ne prévoit aucune institution qui serait chargée de veiller à son
application; la violation des règles relatives à la concurrence (art. 13 à 17) ne peut être
sanctionnée que par une décision du Conseil des ministres (prise à la majorité). De telles
décisions n'ont été que très rarement prises, ce qui démontre l'importance toute relative que
les Etats membres de l'AELE attribuent au droit de la concurrence.
15
2.1.2 L'Accord de libre-échange entre la Suisse et la CEE (ALE)
47 En raison de l'accroissement des échanges internationaux et du développement de l'AELE et
de la Communauté économique européenne - CEE, leurs pays membres ressentirent le
besoin, à la fin des années 60, de faciliter les échanges de marchandises entre les deux zones.
Ce fut la signature des accords de libre-échange entre la CEE et les divers Etats membres de
l'AELE (et qui ont le même contenu).
48 Ces accords - celui qui fut signé par la Suisse date de 1972 - comprennent une clause relative
à la concurrence, l'art. 23, dont le texte est très semblable aux art. 81/82 du Traité CEE.
Pourtant, cet article n'a pratiquement pas eu d'impact sur les relations entre la Suisse et la
CEE car la Suisse - comme les autres pays de l'AELE - ne considère pas cette disposition
comme étant d'application directe. Cela signifie qu'en cas de différend, c'est un comité
mixte - institué par le Traité - qui doit être saisi. Composé de représentants des parties au
Traité, ce comité cherche, en cas de difficulté, des solutions selon une méthode politique
plutôt que juridictionnelle.
49 La portée (déjà faible) de cet Accord a été encore réduite par l'entrée en vigueur des Accords
bilatéraux (cf. 4 ci-dessous).
2.1.3 Autres organisations de libre-échange
50 L'UE constitue évidemment aussi une zone de libre échange mais elle est beaucoup plus que
cela puisqu'elle a aussi mis en place un marché intérieur et des organes politiques.
51 A noter que des organisations de libre-échange ont été mises sur pied sur d’autres continents :
- Amérique du Nord
The North American Free Trade Agreement (NAFTA) a été signé en 1992 entre les USA,
le Canada et Mexico, qui vise le libre commerce des marchandises et des services, ainsi
que la protection des investissements.
- Amérique du Sud
En 1960, plusieurs pays signèrent un accord de libre échanges (suppression des droits de
douane), transformé en 1980 en un traité d’intégration : Associación Latino-americana de
Integración, ALADI.
En 1991, l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay décidèrent la création d’un
marché commun sud-américain : MERCOSUR (en espagnol), MERCOSUL (en
portugais). En 2004, d’autres pays s’y joignirent : Bolivie, Chili, Pérou, Colombie et
Equateur.
- Amérique Centrale et Caraïbes :
Le Belize, Costa Rica, le Salvador, Guatemala, le Honduras, le Nicaragua et Panama ont
d’abord constitué le Marché Commun d’Amérique Centrale (MCCA), devenu depuis le
Système d’intégration de l’Amérique Centrale (SICA).
Les pays des Caraïbes ont formé le Carabbean Common Market.
- Asie
Dès 1967, plusieurs pays du sud-est asiatique signèrent l’AFTA : Asian Free Trade Area.
16
- Afrique
Plusieurs traités ont été signés :
-- Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (1975)
-- Marché Commun des Etats de l’Est et du Sud de l’Afrique (COMESA).
2.1.4 L'Organisation Mondiale du Commerce (OMC)
52 En avril 1994, les pays membres du GATT ont signé un accord instituant
l'Organisation Mondiale du Commerce qui complète l'accord du GATT de
1947 et donne un nouvel élan à cette organisation.
A. Les tarifs douaniers
53 Tout comme les deux organisations régionales que sont la CEE et l'AELE,
l'OMC a d'abord pour but d'abaisser les barrières douanières et
tarifaires afin de favoriser le libre échange (avec cette différence que cet
accord a une portée quasi planétaire).
B. Les barrières non tarifaires
54 L'accord ne se contente pas d'abaisser les droits de douane. Il comprend
divers chapitres qui ont pour but d'ouvrir l'accès aux marchés ou d'éviter
que la concurrence ne soit faussée :
- Accord sur les subventions et les mesures compensatoires
(Annexe 1A de l'Accord) : il définit ce qu'est une subvention des
pouvoirs publics et indique les cas dans lesquels ces subventions sont
prohibées.
- Accord sur les obstacles techniques au commerce (cf. ci-dessous
2.2.1.)
- Accord sur les marchés publics (cf. ci-dessous 2.2.2.)
- Droits anti-dumping et droits compensateurs : l'Accord GATT de
1947 comprenait déjà des règles relatives à la possibilité reconnue à un
pays d'imposer des droits de douane pour s'opposer à des pratiques de
dumping. Ces dispositions sont maintenues dans l'Accord OMC et
surtout leur contrôle est mieux assuré par les règles sur les différends
entre les pays membres.
C. Règles et procédures régissant le règlement des différends
55 L'une des caractéristiques de l'Accord de 1994 est qu'il institue des
structures permanentes beaucoup plus développées.
17
a) Présentation du problème
56 Le GATT avait pour but, à l’origine, d’éliminer les obstacles tarifaires
(droits de douane) au commerce international. Cependant, les acteurs
du commerce international le savent, les échanges commerciaux
subissent aussi des entraves en raison de pratiques commerciales
restrictives dues aux organes étatiques ou aux entreprises elles-mêmes
(ou association d’entreprises). Ces pratiques commerciales restrictives
peuvent avoir des effets sur la concurrence internationale. Le GATT en
avait conscience dès ses origines puisqu’une charte fut négociée à La
Havane, en 1947/48, sur ces questions de concurrence ; cependant,
cette charte n’a pas pu entrer en vigueur suite à son rejet par le Sénat
américain. Quant à l’art. XXIX du GATT, il est resté dépourvu de force
juridique à ce jour. Il n’existe donc pas encore, dans l’OMC, de
réglementation générale de la concurrence relative aux pratiques
commerciales restrictives d’origine privée.
57 Même si les Etats membres de l’OMC n’ont pu à ce jour se mettre
d’accord sur des règles spécifiques relatives à la concurrence, ils ont
néanmoins instauré un règlement des conflits portant sur la violation
des dispositions des accords.
b) Le règlement des conflits
58 Jusqu’à l’accord de Marrakech (1994), les différends entre Etats ne
pouvaient être réglés que par des négociations. L’institution de l’OMC,
décidée à Marrakech, a marqué l’évolution de la politique du
compromis vers un véritable système juridictionnel, soit l’annexe 2 de
l’Accord OMC, intitulé « Mémorandum d’accord sur les règles et
procédures régissant le règlement des différends ».
59 La procédure débute par une consultation (art. XXII) : un Etat, dont les
entreprises sont entravées dans l’exercice de la concurrence
internationale, va demander à l’OMC d’ouvrir une procédure de
consultation avec l’Etat qui a pris des mesures entravant la concurrence
ou dont les entreprises sont la cause de l’entrave.
60 Si cette procédure de consultation n’aboutit pas à un accord, l’Etat dont
les entreprises sont entravées peut demander que l’Organe de
règlement des différends soit saisi. Celui-ci va alors mettre sur pied un
groupe spécial devant lequel les Etats concernés vont faire valoir leur
point de vue : demande, réponse, réplique, duplique. A l’issue de la
procédure, le groupe spécial établit un rapport qui est transmis à
l’ORD qui approuve formellement sauf si :
- il y a consensus au sein de l’ORD contre le rapport
18
- un membre OMC déclare faire recours dans les 60 jours à l’Organe
d’appel (ODA).
61 Lorsque le groupe spécial ou, le cas échéant, l’ODA conclut qu’une
mesure est incompatible avec les accords OMC, il est recommandé au
membre concerné de rendre la mesure conforme à l’accord visé.
L’ORD surveille la mise en œuvre de la décision et autorise, le cas
échéant, l’adoption de mesures de compensation ou la suspension de
concessions (art. 22 Memorandum d’accord).
2.2 LES OBSTACLES TECHNIQUES ET LES MARCHES PUBLICS
62 En plus de ces libertés, il est nécessaire pour la création d'un marché intérieur d'éliminer les
obstacles techniques et ouvrir l'accès aux marchés publics.
63 Il est intéressant de constater que, dans ces deux domaines, il y a convergence des
préoccupations aux trois niveaux : suisse, européen et mondial.
2.2.1 Les obstacles techniques
A. La législation suisse
64 La Loi fédérale sur les entraves techniques au commerce (LETC) a été adoptée en 1995, après
l'adoption des accords de l'OMC et alors que la Suisse avait entamé la négociation des
accords bilatéraux avec l'Union européenne et préparait sa propre législation sur le marché
intérieur.
a) But de la loi
65 Cette loi a pour but de faciliter les échanges sur le marché intérieur, ainsi que les activités
d'importation et d'exportation.
66 Les entraves techniques au commerce sont définies comme les entraves aux échanges
internationaux de produits qui résultent :
- de la divergence des prescriptions et des normes techniques;
- de l'application divergente de ces prescriptions ou normes;
- de la non-reconnaissance des essais, enregistrements ou homologations effectuées à
l'étranger.
b) Méthode du législateur
67 Afin de ne pas entraver le commerce, les prescriptions techniques devront dorénavant :
- être compatibles avec celles des principaux partenaires commerciaux de la Suisse;
- être si possible simples et transparentes.
68 Des dérogations à ces principes ne sont admissibles que si :
- les prescriptions sont nécessaires pour protéger des intérêts publics prépondérants;
19
- les prescriptions ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une
restriction déguisée aux échanges (art. 4 LETC).
69 En 2009, le législateur a modifié l'art. 16 LETC pour introduire unilatéralement le principe
Cassis-de-Dijon dans les relations Suisse-UE (cf. ci-dessous 5.6).
B. Les accords internationaux
70 La législation suisse a été adoptée non seulement dans le but de contribuer à la réalisation du
marché intérieur suisse mais aussi afin de respecter les engagements pris par la Suisse dans
des traités internationaux et faciliter ainsi l'accès au marché helvétique.
71 Ces traités ou accords sont :
- la Convention de l'AELE de 1960 (RS 0.632.31);
- l'Accord de libre échange entre la Suisse et la CEE de 1972 (RS 0.632.401);
- l'Accord de l'OMC du 15.4.1994 relatif aux obstacles techniques au commerce (RO 1995,
p. 2252 ss).
(A noter qu'en 1988 déjà, les pays membres de l'AELE ont passé une convention sur la
reconnaissance mutuelle des résultats d'essais et des preuves de conformité).
- l'Accord bilatéral de 2002 entre la Suisse et l'Union européenne sur les obstacles
techniques.
2.2.2 Les marchés publics
A. Principes
72 L'importance économique des "marchés publics" n'est plus à démontrer. Le risque est grand
que l'autorité adjudicatrice, en l'absence de règles à suivre, n'accorde le "marché" à une
entreprise qui n'offre pas la meilleure offre possible pour l'adjudicateur. C'est afin d'éviter des
distorsions dans le processus d'adjudication que des règles de procédure ont été adoptées :
- publication de l'appel d'offres
- critères de choix
- annonce de la décision d'adjudication.
73 Ces règles élargissent considérablement le cercle des offreurs potentiels et donc améliore le
fonctionnement de la concurrence. D'un autre côté, la procédure est parfois compliquée, ce
qui engendre des coûts, et peut être longue (recours !).
74 Il importe de définir le champ d'application de ces règles. Dans chaque situation concrète, il
faut examiner les points suivants:
- Qui est l’adjudicateur du contrat ? Quelles sont les entités considérées comme des
«pouvoirs publics» ?
- Quel est l’objet du contrat ? S’agit-il de la construction d’un immeuble ? S’agit-il d’une
prestation de service ?
- Quelle est la valeur du contrat ? Comment se calcule la valeur du contrat ?
75 Les réponses à ces questions diront si la procédure prévue par la législation sur les marchés
publics doit être suivie, et le cas échéant, laquelle.
20
B. OMC
76 Des valeurs plancher ont été définies dans l'Accord de l'OMC sur les marchés publics (à noter
que cet accord - Annexe 4 de l'Accord de Marrakech - n'a pas été signé par tous les pays
membres de l'OMC mais par 24 Etats membres).
77 L'accord ne s'applique qu'aux marchés dont la valeur est supérieure à :
- pour les constructions : 9,575 millions de francs (5 millions DTS);
- pour les biens et services :
-- administration fédérale : fr. 263'000.-
-- Poste ou CFF : fr. 806'000.-
-- Swisscom : fr. 1'209'000.-.
2.2.3 Relations Suisse - Union européenne
78 Les marchés publics font l'objet de l'un des sept accords bilatéraux signés entre la Suisse et
l'Union européenne (cf. 4.5.1). Les valeurs plancher sont les mêmes que celles de l'accord
OMC.
2.2.4 Relations intercantonales
79 Les pouvoirs publics cantonaux et communaux sont tenus par les engagements des accords
OMC et de l'accord bilatéral entre la Suisse et l'Union européenne.
80 Les cantons ont fixé des seuils inférieurs dans l'Accord intercantonal sur les marchés publics
(AIMP).
2.3. EXERCICE
Le 15 juillet 2011, l'organe d'appel de l'OMC a rendu son rapport dans la
procédure opposant l'UE et la Chine au sujet de mesures antidumping
appliquées par l'UE à l'encontre d'exportations chinoises d'éléments de
fixation en fer et en acier.
Des milliers d'entreprises chinoises, pour la plupart des petites et
moyennes entreprises se plaignent d'être affectées par des mesures
antidumping de l'UE. Afin que les mesures antidumping ne soient pas
appliquées n'importe comment, l'UE a fixé les conditions et la procédure
d'adoption de ces mesures dans un Règlement antidumping. En l'espèce,
les mesures ont été adoptées en application de l'art. 9 al. 5 dudit
Règlement (CE) n° 384/96 du Conseil du 22.12.1995.
Dans la procédure devant l'Organe d'appel, les parties étaient d'une part
l'UE, de l'autre, la Chine; 11 pays étaient des participants tiers.
21
Extraits du rapport
ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE
ORGANE D'APPEL
Communautés européennes1 Ŕ Mesures
antidumping définitives visant certains éléments de
fixation en fer ou en acier en provenance de Chine
Union européenne, appelant/intimé
Chine, intimé/autre appelant
Brésil, participant tiers
Canada, participant tiers
Chili, participant tiers
Colombie, participant tiers
États-Unis, participant tiers
Inde, participant tiers
Japon, participant tiers
Norvège, participant tiers
Territoire douanier distinct de Taiwan, Penghu, Kinmen
et Matsu, participant tiers
Thaïlande, participant tiers
Turquie, participant tiers
AB-2011-2
Présents:
Oshima, Président de la section
Hillman, membre
Unterhalter, membre
(i) Introduction
1. L'Union européenne et la Chine font toutes deux appel de certaines questions de droit et
interprétations du droit figurant dans le rapport du Groupe spécial Communautés européennes –
Mesures antidumping définitives visant certains éléments de fixation en fer ou en acier en
1 Le présent différend a commencé avant l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne modifiant le
Traité sur l'Union européenne et du Traité instituant la Communauté européenne (fait à Lisbonne le
13 décembre 2007) le 1er
décembre 2009. Le 29 novembre 2009, l'Organisation mondiale du commerce a
reçu une note verbale (WT/L/779) du Conseil de l'Union européenne et de la Commission des Communautés
européennes indiquant que, en vertu du Traité de Lisbonne, à compter du 1er
décembre 2009, l'"Union
européenne" se substitue et succède à la "Communauté européenne". Le 13 juillet 2010, l'Organisation
mondiale du commerce a reçu une deuxième note verbale (WT/Let/679) du Conseil de l'Union européenne
confirmant que, avec effet à compter du 1er
décembre 2009, l'Union européenne a remplacé la Communauté
européenne et a assumé tous les droits et obligations de la Communauté européenne en ce qui concerne tous
les Accords dont le Directeur général de l'Organisation mondiale du commerce est le dépositaire et auxquels
la Communauté européenne participe en tant que signataire ou partie contractante. Nous comprenons la
référence à la "Communauté européenne" figurant dans les notes verbales comme une référence aux
"Communautés européennes". L'Union européenne a demandé au Groupe spécial de remplacer le nom
"Communautés européennes" par "Union européenne" dans le titre de l'affaire, mais le Groupe spécial a
décidé de ne pas procéder à cette modification parce que les demandes de consultations et d'établissement
d'un groupe spécial avaient toutes les deux été présentées par la Chine avant le 1er
décembre 2009 et faisaient
référence aux Communautés européennes, tout comme la décision de l'ORD portant établissement du Groupe
spécial. Toutefois, toutes les communications des parties ont été présentées au Groupe spécial après cette
date et font référence à l'Union européenne et le Groupe spécial a formulé ses constatations en se référant à
l'Union européenne. (Rapport du Groupe spécial, paragraphes 6.4 et 6.5) Dans le présent rapport, nous nous
référons aussi à l'Union européenne.
22
provenance de Chine (le "rapport du Groupe spécial").2 Le Groupe spécial a été établi le
23 octobre 2009 pour examiner une plainte de la Chine concernant la compatibilité "en tant que
tel" de l'article 9 5) du Règlement (CE) n° 384/96 du Conseil du 22 décembre 1995 relatif à la
défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de la
Communauté européenne, tel qu'il a été modifié3, avec l'Accord sur la mise en œuvre de l'article VI
de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (l'"Accord antidumping"),
l'"Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (le "GATT de 1994") et
l'"Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce (l'"Accord sur l'OMC"),
et la compatibilité de cette mesure, "telle qu'appliquée" dans l'enquête sur les éléments de fixation,
avec l'Accord antidumping; et la compatibilité du Règlement (CE) n° 91/2009 du Conseil du
26 janvier 2009 instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certains éléments
de fixation en fer ou en acier originaires de la République populaire de Chine (le "Règlement
définitif")4 avec l'Accord antidumping. Le Règlement (CE) n° 384/96 du Conseil a ensuite été
abrogé et remplacé par le Règlement (CE) n° 1225/2009 du Conseil du 30 novembre 2009 et les
communications de la Chine au Groupe spécial portaient sur ce dernier Règlement (le "Règlement
antidumping de base").5
2. Devant le Groupe spécial, la Chine contestait la compatibilité de l'article 9 5) du
Règlement antidumping de base, "en tant que tel", avec les articles 6.10, 9.2, 9.3, 9.4 et 18.4 de
l'Accord antidumping, des articles I:1 et X:3 a) du GATT de 1994 et de l'article XVI:4 de l'Accord
sur l'OMC, parce qu'il exigeait des exportateurs de pays à économie autre que de marché qu'ils
satisfassent à certains critères pour pouvoir bénéficier de marges de dumping individuelles et de
taux de droits individuels. La Chine contestait aussi l'article 9 5) du Règlement antidumping de
base, "tel qu'appliqué" dans l'enquête sur les éléments de fixation, au titre des articles 6.10, 9.2 et
9.4 de l'Accord antidumping. En outre, la Chine contestait divers aspects de fond et aspects
procéduraux du Règlement définitif, imposant des droits antidumping dans l'enquête sur les
éléments de fixation, au titre des articles 2, 3, 4, 5, 6 et 12 de l'Accord antidumping. Ces aspects
comprenaient les déterminations de la Commission concernant la représentativité, la définition de
la branche de production nationale, le produit considéré, l'existence d'un dumping et la
sous-cotation du prix, le volume et l'incidence des importations faisant l'objet d'un dumping et,
enfin, le lien de causalité. S'agissant de la procédure, les contestations formulées par la Chine
2 WT/DS397/R, 3 décembre 2010.
3 Journal officiel des Communautés européennes, série L, n° 56 (6 mars 1996) 2 (pièce CHN-1
présentée au Groupe spécial). 4 Journal officiel de l'Union européenne, série L, n° 29 (31 janvier 2009) 1 (pièce CHN-4 présentée
au Groupe spécial). 5 Journal officiel de l'Union européenne, série L, n° 343 (22 décembre 2009) 51, et rectificatif,
Journal officiel de l'Union européenne, série L, n° 7 (12 janvier 2010) 23 (pièce CHN-3 présentée au Groupe
spécial).
23
portaient sur la divulgation, par la Commission, de renseignements pertinents pour l'enquête, le
traitement des renseignements confidentiels et les aspects procéduraux des allégations concernant
le traitement individuel.
3. Le rapport du Groupe spécial a été distribué aux Membres de l'Organisation mondiale du
commerce (l'"OMC") le 3 décembre 2010. Pour les raisons exposées dans son rapport, le Groupe
spécial a formulé les constatations ci-après.
Le Groupe spécial a constaté que les allégations suivantes ne relevaient pas de son mandat:
b) l'allégation au titre de l'article 2.6 de l'Accord antidumping en ce qui concerne la définition
du produit similaire;
c) l'allégation au titre de l'article 6.9 de l'Accord antidumping en ce qui concerne la
non-divulgation alléguée de certains aspects de la détermination de la valeur normale; et
d) l'allégation au titre de l'article 6.9 de l'Accord antidumping en ce qui concerne les aspects
procéduraux de la définition de la branche de production nationale.
Le Groupe spécial a constaté que l'Union européenne avait agi d'une manière incompatible avec:
a) les articles 6.10, 9.2 et 18.4 de l'Accord antidumping, l'article I:1 du GATT de 1994 et
l'article XVI:4 de l'Accord sur l'OMC en ce qui concerne l'article 9 5) du Règlement
antidumping de base;
b) les articles 6.10 et 9.2 de l'Accord antidumping en ce qui concerne les déterminations
relatives au traitement individuel dans l'enquête sur les éléments de fixation;
c) l'article 3.1 et 3.2 de l'Accord antidumping en ce qui concerne le volume des importations
faisant l'objet d'un dumping examiné dans l'enquête sur les éléments de fixation;
d) l'article 3.1 et 3.5 de l'Accord antidumping en ce qui concerne l'analyse du lien de causalité
dans l'enquête sur les éléments de fixation;
e) l'article 6.4 et 6.2 de l'Accord antidumping en ce qui concerne certains aspects de la
détermination de la valeur normale;
f) l'article 6.5.1 de l'Accord antidumping en ce qui concerne les versions non confidentielles
des réponses au questionnaire de deux producteurs européens et l'article 6.5 de l'Accord
antidumping en ce qui concerne le traitement confidentiel des renseignements figurant
dans la réponse au questionnaire du producteur indien;
g) l'article 6.5 de l'Accord antidumping en ce qui concerne le traitement confidentiel des
données d'Eurostat sur la production totale d'éléments de fixation de l'UE; et
h) l'article 6.5 de l'Accord antidumping du fait qu'elle a divulgué des renseignements
confidentiels.
Le Groupe spécial a constaté que la Chine n'avait pas établi que l'Union européenne avait agi d'une
manière incompatible avec:
24
a) l'article 5.4 de l'Accord antidumping en ce qui concerne la détermination de la
représentativité dans l'enquête sur les éléments de fixation;
b) les articles 4.1 et 3.1 de l'Accord antidumping en ce qui concerne la définition de la
branche de production nationale dans l'enquête sur les éléments de fixation;
c) l'article 2.1 et 2.6 de l'Accord antidumping en ce qui concerne le produit considéré dans
l'enquête sur les éléments de fixation;
d) l'article 2.4 de l'Accord antidumping en ce qui concerne la détermination de l'existence
d'un dumping dans l'enquête sur les éléments de fixation;
e) l'article 3.1 et 3.2 de l'Accord antidumping en ce qui concerne la détermination de la
sous-cotation du prix dans l'enquête sur les éléments de fixation;
f) l'article 3.1, 3.2, 3.4 et 3.5 de l'Accord antidumping en ce qui concerne le fait d'avoir
considéré les importations en provenance des producteurs et exportateurs non inclus dans
l'échantillon/non examinés comme faisant l'objet d'un dumping dans l'enquête sur les
éléments de fixation;
g) l'article 3.1 et 3.4 de l'Accord antidumping en ce qui concerne l'examen de l'incidence des
importations faisant l'objet d'un dumping sur la branche de production nationale;
h) l'article 6.5, 6.4 et 6.2 de l'Accord antidumping relativement à la non-divulgation de
l'identité des plaignants et de ceux qui soutenaient la plainte;
i) l'article 6.2 et 6.4 de l'Accord antidumping en ce qui concerne le traitement confidentiel
des données d'Eurostat sur la production totale d'éléments de fixation de l'UE;
j) l'article 6.2 et 6.4 de l'Accord antidumping en ce qui concerne les aspects procéduraux de
la définition de la branche de production nationale; et
k) l'article 6.1.1 de l'Accord antidumping en ce qui concerne le délai accordé pour répondre
aux demandes de renseignements.
Le Groupe spécial a appliqué le principe d'économie jurisprudentielle pour ce qui concerne les
allégations de la Chine au titre de:
a) l'article 9.3 et 9.4 de l'Accord antidumping et de l'article X:3 a) du GATT de 1994 en ce
qui concerne l'article 9 5) du Règlement antidumping de base;
b) l'article 9.4 de l'Accord antidumping en ce qui concerne les déterminations relatives au
traitement individuel dans l'enquête sur les éléments de fixation;
c) l'article 3.4 et 3.5 de l'Accord antidumping en ce qui concerne le volume des importations
faisant l'objet d'un dumping examiné dans l'enquête sur les éléments de fixation;
d) l'article 6.5.1 de l'Accord antidumping en ce qui concerne la réponse au questionnaire du
producteur indien;
e) l'article 6.2 et 6.4 de l'Accord antidumping en ce qui concerne les versions non
confidentielles des réponses au questionnaire de deux producteurs européens et le
traitement confidentiel des renseignements figurant dans la réponse au questionnaire du
producteur indien; et
25
f) l'article 12.2.2 de l'Accord antidumping en ce qui concerne les aspects procéduraux des
déterminations relatives au traitement individuel.
4. Le 25 mars 2011, l'Union européenne a notifié à l'Organe de règlement des différends
(l'"ORD") son intention de faire appel de certaines questions de droit couvertes par le rapport du
Groupe spécial et de certaines interprétations du droit données par celui-ci, conformément aux
articles 16:4 et 17 du Mémorandum d'accord sur les règles et procédures régissant le règlement
des différends (le "Mémorandum d'accord") et a déposé une déclaration d'appel6 ainsi qu'une
communication en tant qu'appelant conformément aux règles 20 et 21, respectivement, des
Procédures de travail pour l'examen en appel (les "Procédures de travail").7
5. Le 30 mars 2011, la Chine a notifié à l'ORD son intention de faire appel de certaines
questions de droit couvertes par le rapport du Groupe spécial et de certaines interprétations du droit
données par celui-ci, conformément aux articles 16:4 et 17 du Mémorandum d'accord et a déposé
une déclaration d'un autre appel8 ainsi qu'une communication en tant qu'autre appelant
conformément à la règle 23 1) et à la règle 23 3), respectivement, des Procédures de travail. Le
12 avril 2011, l'Union européenne et la Chine ont chacune déposé une communication en tant
qu'intimé.9 Le 15 avril 2011, le Brésil, la Colombie, les États-Unis et le Japon ont chacun déposé
une communication en tant que participant tiers.10
Le même jour, le Canada, le Chili, l'Inde, la
Norvège, le Territoire douanier distinct de Taiwan, Penghu, Kinmen et Matsu et la Thaïlande ont
chacun notifié leur intention de comparaître à l'audience en tant que participant tiers.11
Le
18 avril 2011, la Turquie a notifié son intention de comparaître à l'audience en tant que participant
tiers.12
……..
387. Par conséquent, en ce qui concerne l'article I:1 du GATT de 1994, le Groupe spécial a
conclu ce qui suit:
[I]l est clair que l'application de l'article 9 5) se traduira, dans
certaines situations, par un traitement différent pour le même
produit provenant de Membres de l'OMC différents dans les
enquêtes antidumping effectuées par l'Union européenne. Nous
6 WT/DS397/7 (jointe en tant qu'annexe 1 au présent rapport).
7 WT/AB/WP/6, 16 août 2010.
8 WT/DS397/8 (jointe en tant qu'annexe II au présent rapport).
9 Conformément aux règles 22 et 23 4) des Procédures de travail.
10 Conformément à la règle 24 1) des Procédures de travail.
11 Conformément à la règle 24 2) des Procédures de travail.
12 Conformément à la règle 24 4) des Procédures de travail.
26
estimons donc que l'article 9 5) contrevient à l'obligation NPF
énoncée à l'article I:1 du GATT de 1994.13
388. L'Union européenne allègue que le Groupe spécial a fait erreur dans l'interprétation et
l'application de l'article I:1 du GATT de 1994, et a agi d'une manière incompatible avec l'article 11
du Mémorandum d'accord, lorsqu'il a constaté que l'article 9 5) du Règlement antidumping de base
était incompatible avec l'obligation NPF énoncée à l'article I:1 du GATT de 1994. Elle soutient
que l'avantage allégué accordé aux pays à économie de marché était fondé sur la nature des
fournisseurs considérés, et non sur le produit lui-même, et que cela veut dire qu'il n'y a pas, dans la
présente affaire, de discrimination entre produits similaires provenant de pays différents.14
L'Union européenne fait valoir qu'elle est en droit d'accorder un traitement différent aux
importations en provenance de pays à économie de marché et de NME parce que ces importations
sont différentes par nature. Elle ajoute que les termes "sans condition" figurant à l'article I:1
n'empêchent pas de soumettre l'octroi d'un avantage à certaines conditions dans la mesure où cela
n'entraîne pas une discrimination de facto.15
389. La Chine répond que le Groupe spécial a constaté à juste titre que l'article 9 5) du
Règlement antidumping de base était incompatible avec l'article I:1 du GATT de 1994, parce que
le traitement différent que l'Union européenne accorde dans ses enquêtes antidumping aux
importations provenant de NME et de pays à économie de marché Membres de l'OMC "ne peut pas
se justifier au motif que l'origine du produit reflète en quelque sorte une différence de nature".16
La
Chine estime en outre que le Groupe spécial n'a pas manqué à son obligation de se conformer à
l'article 11 du Mémorandum d'accord et qu'il n'a pas fait erreur en constatant que l'Accord
antidumping n'autorisait pas le traitement spécifique différent des importations provenant de NME
qui est prévu à l'article 9 5) du Règlement antidumping de base.
390. L'article I:1 du GATT de 1994 exige ce qui suit:
Tous avantages, faveurs, privilèges ou immunités accordés par un
Membre à un produit originaire ou à destination de tout autre pays
seront, immédiatement et sans condition, étendus à tout produit
similaire originaire ou à destination du territoire de tous les autres
Membres. Cette disposition concerne les droits de douane et les
impositions de toute nature perçus à l'importation ou à
l'exportation ou à l'occasion de l'importation ou de l'exportation,
ainsi que ceux qui frappent les transferts internationaux de fonds
effectués en règlement des importations ou des exportations, le
13
Rapport du Groupe spécial, paragraphe 7.124. 14
Communication de l'Union européenne en tant qu'appelant, paragraphe 213. 15
Communication de l'Union européenne en tant qu'appelant, paragraphe 212. 16
Communication de la Chine en tant qu'intimé, paragraphe 330.
27
mode de perception de ces droits et impositions, l'ensemble de la
réglementation et des formalités afférentes aux importations ou
aux exportations ainsi que toutes les questions qui font l'objet des
paragraphes 2 et 4 de l'article III.
391. L'article VI:2 du GATT de 1994 dispose ce qui suit:
En vue de neutraliser ou d'empêcher le dumping, tout Membre
pourra percevoir sur tout produit faisant l'objet d'un dumping un
droit antidumping dont le montant ne sera pas supérieur à la marge
de dumping afférente à ce produit. Aux fins d'application du
présent article, il faut entendre par marge de dumping la différence
de prix déterminée conformément aux dispositions du paragraphe
premier.
392. Nous observons que l'article VI du GATT de 1994 permet l'imposition de droits
antidumping, ce qui pourrait autrement être incompatible avec d'autres dispositions du GATT de
1994, telles que l'article I:1.17
Par conséquent, nous sommes d'avis qu'une question préliminaire à
examiner avant de déterminer si un droit antidumping a été imposé d'une manière incompatible
avec l'article I:1 du GATT de 1994 est celle de savoir s'il a été imposé d'une manière compatible
avec l'article VI du GATT de 1994.
393. Dans l'affaire Brésil – Noix de coco desséchée, l'Organe d'appel a confirmé la constatation
du Groupe spécial selon laquelle l'applicabilité de l'article VI du GATT de 1994 à une enquête en
matière de droits compensateurs déterminait également l'applicabilité des articles Ier et II du GATT
de 1994. Le Groupe spécial avait constaté que l'article VI du GATT de 1994 ne s'appliquait pas à
une mesure en matière de droits compensateurs qui résultait d'une enquête ouverte avant le 1er
janvier 1995. Il avait en outre constaté que si l'article VI du GATT de 1994 ne constituait pas
l'instrument juridique applicable, les allégations au titre des articles Ier
et II, qui découlaient
d'allégations d'incompatibilité avec ledit article VI, ne pouvaient pas être retenues.18
394. L'article 9 5) du Règlement antidumping de base régit les conditions dans lesquelles un
droit antidumping doit être imposé par l'Union européenne. Cependant, dans sa demande
d'établissement d'un groupe spécial, la Chine n'a pas formulé d'allégation au titre de l'article VI du
GATT de 1994 en ce qui concerne l'article 9 5) du Règlement antidumping de base. La question
17
Cette relation est aussi reflétée à l'article II:2 b) du GATT de 1994, qui dispose ce qui suit:
Aucune disposition du présent article n'empêchera un Membre de
percevoir à tout moment, à l'importation d'un produit:
…
b) un droit antidumping ou un droit compensateur en
conformité de l'article VI. 18
Rapport de l'Organe d'appel Brésil – Noix de coco desséchée, page 24; rapport du Groupe
spécial, Brésil – Noix de coco desséchée, paragraphes 280 et 281.
28
de savoir si l'article 9 5) du Règlement antidumping de base est appliqué d'une manière compatible
avec les dispositions de l'article VI du GATT de 1994 n'a donc pas été soulevée devant le Groupe
spécial et n'est pas contestée devant nous. Cela a des implications importantes pour la question de
savoir si l'article 9 5) du Règlement antidumping de base est incompatible avec l'article I:1 du
GATT de 1994.
395. Cependant, le Groupe spécial a constaté que l'article 9 5) du Règlement antidumping de
base était incompatible avec l'article I:1 du GATT de 1994, sans examiner la question préliminaire
se posant en l'espèce, qui consiste à savoir s'il était compatible avec l'article VI du GATT de 1994.
Le Groupe spécial n'a pas traité des implications de l'absence d'allégation au titre de l'article VI du
GATT de 1994 pour une allégation formulée au titre de l'article I:1 du GATT de 1994. Il n'a pas
non plus examiné la relation entre l'article VI du GATT de 1994 et les dispositions de l'Accord
antidumping, qui, aux termes de l'article premier de l'Accord antidumping, "régissent l'application
de l'article VI du GATT de 1994".19
Par conséquent, nous considérons qu'il manque à la
constatation formulée par le Groupe spécial au titre de l'article I:1 du GATT de 1994 une étape
essentielle dans le déroulement de l'analyse juridique, à savoir la détermination de la question de
savoir si et dans quelles circonstances une mesure antidumping qui est incompatible avec l'Accord
antidumping peut être examinée au titre de l'article I:1 du GATT de 1994, sans qu'il y ait examen
au titre de l'article VI du GATT de 1994.
396. Comme nous l'avons expliqué plus haut, la Chine n'a pas allégué devant le Groupe spécial
que l'article 9 5) du Règlement antidumping de base était incompatible avec l'article VI du GATT
de 1994 et, en l'espèce, les parties n'ont pas non plus avancé d'arguments relatifs à la relation entre
les dispositions de l'Accord antidumping et celles des articles VI et Ier du GATT de 1994. Par
conséquent, nous ne considérons pas qu'il soit approprié que nous examinions plus avant les
implications de l'absence d'allégation au titre de l'article VI du GATT de 1994 pour une allégation
au titre de l'article I:1 du GATT de 1994.
397. En outre, nous avons déjà confirmé les constatations du Groupe spécial selon lesquelles
l'article 9 5) du Règlement antidumping de base était incompatible "en tant que tel" avec les
19
L'article premier de l'Accord antidumping dispose ce qui suit: "[l]es dispositions qui suivent
régissent l'application de l'article VI du GATT de 1994 pour autant que des mesures soient prises dans le
cadre d'une législation ou d'une réglementation antidumping". (pas d'italique dans l'original) Nous notons
aussi que l'article 18.1 de l'Accord antidumping dispose qu'il ne pourra être pris aucune mesure particulière
contre le dumping "si ce n'est conformément aux dispositions du GATT de 1994, tel qu'il est interprété par le
présent accord". Le Groupe spécial n'a pas analysé les implications des termes "application" figurant à
l'article premier et "tel qu'il est interprété" figurant à l'article 18 de l'Accord antidumping pour ce qui est de la
relation entre les obligations énoncées dans l'Accord antidumping et aux articles VI et Ier
du GATT de 1994.
29
articles 6.10 et 9.2 de l'Accord antidumping et nous estimons qu'une décision au titre de l'article I:1
du GATT de 1994 n'est pas nécessaire pour régler le présent différend.
398. Par conséquent, pour les raisons exposées plus haut, nous nous abstenons de nous
prononcer sur la constatation du Groupe spécial selon laquelle l'article 9 5) du Règlement
antidumping de base est incompatible avec l'article I:1 du GATT de 1994 et déclarons que cette
constatation est sans pertinence et sans effet juridique. Nous ne jugeons pas nécessaire d'examiner
l'allégation de l'Union européenne selon laquelle le Groupe spécial a agi d'une manière
incompatible avec l'article 11 du Mémorandum d'accord, étant donné que nous avons déclaré que
la constatation du Groupe spécial selon laquelle l'article 9 5) du Règlement antidumping de base
était incompatible avec l'article I:1 du GATT de 1994 était sans pertinence et sans effet juridique.
G. Article XVI:4 de l'Accord sur l'OMC et article 18.4 de l'Accord antidumping
399. L'article XVI:4 de l'Accord sur l'OMC exige que les Membres de l'OMC assurent la
conformité de leurs lois, réglementations et dispositions administratives avec les dispositions des
accords visés. L'article 18.4 de l'Accord antidumping exige que chaque Membre prenne toutes les
mesures nécessaires pour assurer la conformité de ses lois, réglementations et procédures
administratives avec les dispositions de l'Accord antidumping. Après avoir conclu que l'article 9 5)
du Règlement antidumping de base était incompatible avec les articles 6.10 et 9.2 de l'Accord
antidumping "en tant que tel", le Groupe spécial a aussi constaté ce qui suit:
[L']Union européenne a agi d'une manière incompatible avec
l'article XVI:4 de l'Accord sur l'OMC et l'article 18.4 de l'[Accord
antidumping] en n'assurant pas la conformité de ses lois, réglementations
et procédures administratives avec ses obligations au titre des accords
pertinents.20
…..
623. Par conséquent, sur la base du contenu du formulaire de demande de traitement MET/IT et
du but dans lequel il est utilisé, nous constatons que ce formulaire n'est pas une demande de
renseignements sollicitant, de la part des exportateurs et producteurs chinois, une grande quantité
de renseignements sur lesquels la Commission fonderait ses déterminations concernant les aspects
essentiels d'une enquête antidumping.21
Nous confirmons donc la constatation formulée par le
Groupe spécial au paragraphe 7.579 de son rapport, selon laquelle le formulaire de demande de
traitement MET/IT n'est pas un "questionnaire" au sens de l'article 6.1.1 de l'Accord antidumping,
et selon laquelle, par conséquent, l'Union européenne n'a pas agi d'une manière incompatible avec
20
Rapport du Groupe spécial, paragraphe 7.137. 21
Rapport du Groupe spécial, paragraphe 7.577.
30
ses obligations au titre de l'article 6.1.1 en ne ménageant pas aux exportateurs chinois un délai de
30 jours pour présenter leurs réponses.
X. Constatations et conclusion
624. Pour les raisons exposées dans le présent rapport, l'Organe d'appel:
a) en ce qui concerne l'article 9 5) du Règlement antidumping de base22
:
(i) confirme la constatation formulée par le Groupe spécial au paragraphe 7.77 de son
rapport, selon laquelle l'article 9 5) du Règlement antidumping de base concerne
non seulement l'imposition de droits antidumping mais aussi le calcul des marges
de dumping, et selon laquelle il pourrait être contesté "en tant que tel" au titre de
l'article 6.10 de l'Accord antidumping, qui traite du calcul des marges de dumping
pour chaque exportateur ou producteur;
(ii) confirme, bien que pour des raisons différentes, la constatation formulée par le
Groupe spécial au paragraphe 7.98 de son rapport, selon laquelle l'article 9 5) du
Règlement antidumping de base est incompatible "en tant que tel" avec l'article
6.10 de l'Accord antidumping parce qu'il subordonne la détermination de marges
de dumping individuelles pour les producteurs ou exportateurs NME au respect des
critères IT;
(iii) confirme, bien que pour des raisons différentes, la constatation formulée par le
Groupe spécial au paragraphe 7.112 de son rapport, selon laquelle l'article 9 5) du
Règlement antidumping de base est incompatible "en tant que tel" avec l'article 9.2
de l'Accord antidumping parce qu'il subordonne l'imposition de droits individuels
aux producteurs ou exportateurs NME au respect des critères IT;
(iv) constate que, en formulant les constatations selon lesquelles l'article 9 5) du
Règlement antidumping de base était incompatible "en tant que tel" avec les
articles 6.10 et 9.2 de l'Accord antidumping, le Groupe spécial n'a pas agi d'une
manière incompatible avec l'article 11 du Mémorandum d'accord;
(v) déclare sans pertinence et sans effet juridique la constatation formulée par le
Groupe spécial au paragraphe 7.127 de son rapport23
, selon laquelle l'article 9 5) du
22
Voir aussi le rapport du Groupe spécial, paragraphe 8.2 a). 23
Voir aussi le rapport du Groupe spécial, paragraphe 8.2 a).
31
Règlement antidumping de base est incompatible avec l'obligation NPF énoncée à
l'article I:1 du GATT de 1994;
(vi) confirme la constatation formulée par le Groupe spécial au paragraphe 7.137 de
son rapport24
, selon laquelle l'Union européenne a agi d'une manière incompatible
avec l'article XVI:4 de l'Accord sur l'OMC et avec l'article 18.4 de l'Accord
antidumping en n'assurant pas la conformité de ses lois, réglementations et
procédures administratives avec ses obligations au titre des accords pertinents;
(vii) confirme la constatation formulée par le Groupe spécial au paragraphe 7.148 de
son rapport25
, selon laquelle l'article 9 5) du Règlement antidumping de base est
incompatible avec les articles 6.10 et 9.2 de l'Accord antidumping "tel qu'appliqué"
dans l'enquête sur les éléments de fixation.
b) en ce qui concerne les constatations formulées par le Groupe spécial au titre des
articles 4.1 et 3.1 de l'Accord antidumping26
:
i) constate que le Groupe spécial a fait erreur en constatant, au
paragraphe 7.230 de son rapport, que "l'Union européenne n'a[vait] pas agi
d'une manière incompatible avec l'article 4.1 de l'[Accord antidumping] en
définissant une branche de production nationale comprenant des
producteurs représentant 27 pour cent de la production totale estimée
d'éléments de fixation de l'UE" sur la base du fait que les productions
additionnées de ces producteurs représentaient "une proportion majeure"
de la production nationale totale;
ii) constate que le Groupe spécial n'a pas fait erreur en constatant, au
paragraphe 7.241 de son rapport, que la Chine n'avait pas établi que
l'Union européenne avait agi d'une manière incompatible avec l'article 3.1
de l'Accord antidumping lors du choix de l'échantillon de la branche de
production nationale aux fins de la détermination de l'existence d'un
dommage; et
iii) constate que le Groupe spécial n'a pas fait erreur dans son interprétation ou
son application des articles 4.1 et 3.1 de l'Accord antidumping, ni n'a agi
24
Voir aussi le rapport du Groupe spécial, paragraphe 8.2 a). 25
Voir aussi le rapport du Groupe spécial, paragraphe 8.2 b). 26
Voir aussi le rapport du Groupe spécial, paragraphe 8.3 b).
32
d'une manière incompatible avec l'article 11 du Mémorandum d'accord et
avec l'article 17.6 de l'Accord antidumping, en constatant, au
paragraphe 7.219 de son rapport, que "le simple fait que la branche de
production nationale telle qu'elle [avait] été définie en définitive
n'inclu[ait] aucune proportion particulière de producteurs exprimant des
vues différentes au sujet de la plainte ou de producteurs qui ne [s'étaient]
pas manifestés dans le délai de 15 jours ne démontr[ait] pas que l'Union
européenne [avait] agi d'une manière incompatible avec l'article 4.1 de
l'[Accord antidumping] pour définir la branche de production nationale"
ou qu'elle avait agi d'une manière incompatible avec l'article 3.1 de cet
accord.
…..
Questions
1. Qui subit une atteinte justifiant l'introduction de la procédure ?
2. Qui sont les parties à la procédure ?
3. Identifier les différentes instances de la procédure.
4. Quelles dispositions juridiques ont-elles été violées ?
5. Comment les décisions de l'Organe d'appel sont-elles exécutées ?
* * * * *
33
§ 3 LA REGLEMENTATION DU MARCHE
Textes législatifs : art. 94-97, 100-103, Cst. féd. (RS 101); art 6 CC ; Loi fédérale
du 06.10. 1995 sur les cartels (LCart) (RS 251) ; Loi fédérale du 19 décembre
1986 contre la concurrence déloyale (LCD) (RS 241).
Bibliographie : P. TERCIER, Introduction générale, in Commentaire Romand,
Concurrence, Bâle 2002, 1 ss; C.L. DE LEYSSAC / G. PARLEANI, Droit du marché,
Paris 2002 ; G. FARJAT, Pour un droit économique, Paris 2004 ; M. HERDEGEN,
Internationales Wirtschaftsrecht, 6e éd., Munich 2007 ; R. RHINOW / G. SCHMID /
G. BIAGGINI, Oeffentliches Wirtschaftsrecht, Bâle 1998.
3.1 L’INTERVENTION ETATIQUE
81 De tout temps, l’Etat a règlementé l’activité économique. C’est la
problématique de l’étendue de la liberté économique – garantie par la
Constitution fédérale – et de l’intérêt public justifiant les limites apportées
à son exercice. A juste titre, les entrepreneurs ont lutté pour réduire l’inter-
vention de l'Etat et obtenir une plus grande marge de manœuvre. Tout en
réduisant l’appareil législatif et règlementaire visant l’activité économique
de l’entrepreneur, l’Etat s’est préoccupé du fonctionnement du marché lui-
même.
82 Bien avant les dernières crises financières et économiques de 2007/2008,
la réglementation de l'économie a fait l'objet de multiples discussions :
- Tout en demandant une réduction des mesures restrictives inutiles ("red
tape"), les juristes et les économistes s'efforçaient de se mettre d'accord
sur une nouvelle réglementation (cf. par exemple en 2004, J.-B.
Zufferey, (Dé-, re-, sur-, auto-, co-, inter-) réglementation en matière
bancaire et financière, thèses pour un état des lieux en droit suisse,
Rapport à la société des juristes, in RDS 2004/II, p. 479 ss). On assiste
alors à une intensification de la réglementation.
- Dans le même temps, apparaissent des règles non-impératives (SOFT
LAW) mais dont l'application est "recommandée" si l'on veut faire
partie du système ("normes" comptables internationales, règles de
bonne gouvernance).
- De plus, les règles suivies en Suisse sont parfois reprises quasi-
intégralement de règles étrangères (p. ex. du droit européen); d'où une
globalisation de la réglementation.
34
3.2 LES DIVERS TYPES D’INTERVENTION
83 L’Etat peut intervenir de diverses manières et dans divers domaines. Il
peut :
- fixer des règles quant au contenu de certains contrats (cf. 3.2.1) ;
- fixer des règles générales d'organisation de l'entreprise (cf. 3.2.2) ;
- fixer des règles générales quant au fonctionnement du marché (cf.
3.2.3);
- fixer des règles quant au fonctionnement de certains marchés
particuliers (cf. 3.2.4).
3.2.1 La réglementation des relations contractuelles
84 Notre système économique repose sur le postulat de la liberté individuelle
et de l’autonomie de la volonté.
85 Cependant, le Code des obligations contient déjà, à l’art. 21 CO, une règle
qui protège la partie qui, en raison de sa gêne, de sa légèreté ou de son
inexpérience aurait signé un contrat dont les prestations sont
disproportionnées. Mais il s'agit d'une disposition très générale et qui n'est
guère plus appliquée.
86 Dans des domaines particuliers de la vie économique, le législateur a
adopté des règles spéciales protégeant la partie qui, en raison des dis-
fonctionnements du marché, n’est pas en position de négocier le contrat
dans des conditions usuelles :
A. Contrat de bail (art. 253 à 274 g CO, bail à loyer)
87 Depuis plus de quarante ans, le législateur suisse a adopté des règles
particulières concernant la fixation du loyer ou la résiliation du contrat.
En effet, en raison de l'exiguïté du territoire et de la demande croissante de
logements, le marché du logement est en Suisse en constant déséquilibre
(l'offre est inférieure à la demande). Par exemple :
- le Chapitre II (art. 269 ss CO) est intitulé : « Protection contre les loyers
abusifs ou d’autres prétentions abusives du bailleur en matière de baux
d’habitation et de loyers commerciaux » ;
- le Chapitre III (art. 271 ss CO) est intitulé : « Protection contre les
congés concernant les baux d’habitations et de locaux commerciaux ».
B. Droit de la consommation
35
88 Alors que les consommateurs représentent une partie essentielle du
marché, le législateur (du moins en Suisse) s’y est peu intéressé. Pourtant,
il est nécessaire de traiter certains aspects tels que :
- L’information du consommateur : c’est la question d’une part des
conditions générales et, d’autre part, de l’étiquetage des produits.
- La formation du contrat : en 1990, le législateur a adopté les art. 40a
à 40f CO sur le droit de révoquer certains contrats (RO 1991 846).
- Le crédit à la consommation : en 2001, le législateur a adopté la loi
fédérale sur le crédit à la consommation.
- La sécurité des produits : la réglementation suisse était disséminée
dans les différents domaines du droit; depuis 1993, la loi sur la
responsabilité du fait du produit élargit les possibilités d'actions en
justice pour celui qui subit un dommage en raison de la défectuosité
du produit. La LF du 12.6.2009 sur la sécurité des produits a introduit
des normes techniques pour les équipements de protection
individuelle (équipements d'alpinisme et d'escalade, lunettes-masques
de motocyclistes et cyclomoteurs, gilets de sauvetage; cf. RS 930.11
et 930.111). Il s'agit à ce propos de normes européennes harmonisées
qui ont été édictées par le Comité européen de normalisation (CEN),
sur l'ordre de la Commission européenne et de l'Association
européenne de libre échange (AELE).
C. Le contrat d’assurance
89 Cette branche économique est régie, dans ses relations avec ses
clients, par la loi fédérale sur le contrat d’assurance (RS 221.229.1).
3.2.2 La réglementation de l'entreprise
A. Organisation et fonctionnement de la société
90 Le Code des obligations a été modifié dans le but de faciliter la
constitution d'une société à responsabilité limitée et le transfert des parts.
Dans certaines conditions, le ou les associés peuvent renoncer à
l'établissement d'un rapport annuel de l'organe de révision. Cette dernière
possibilité est aussi, à certaines conditions (peu d'employés, faible chiffre
d'affaires), accordée à la société anonyme.
B. Contrat de travail (art. 319 à 362 CO)
36
91 Dans ce contrat, le législateur a imposé des règles auxquelles il ne peut
être dérogé au détriment du travailleur (la liste en est donnée à l’art. 362
CO), et d’autres auxquelles il ne peut être dérogé ni au détriment du
travailleur, ni au détriment de l’employeur (cf. la liste de l’art. 361 CO).
92 Le Code des obligations réglemente aussi les conventions collectives de
travail qui sont, soit adoptées par les partenaires sociaux (représentants des
employés et des employeurs), soit imposées par les autorités compétentes.
3.2.3 La réglementation du marché en général
A. La concurrence déloyale
a) Droit suisse
93 Le législateur suisse s’est d’abord préoccupé de la manière d’exercer la
concurrence avant même de se préoccuper que le marché existe et que
la concurrence y fonctionne. La première loi suisse sur la concurrence
déloyale (LCD) a été adoptée en 1943, soit vingt et un ans avant la
première loi sur les cartels (LCart.). Dans un premier temps, en effet, le
législateur veillait d'abord à la protection des concurrents contre des
comportements déloyaux de tiers. L'entreprise exclue de la concurrence
par un boycott, par exemple, devait invoquer l'art. 28 CC (protection
des droits de la personnalité).
94 Par la suite, après l'adoption de la première loi sur les cartels en 1962
(révisée en 1986, 1996 et 2004), l'objectif de la LCD a quelque peu
évolué. Selon l'art. 1er LCD (révisée en 1986), cette loi « vise à
garantir, dans l’intérêt de toutes les parties concernées, une
concurrence loyale et qui ne soit pas faussée ».
95 Il est cependant exact que le droit de la concurrence au sens étroit
concerne la garantie de la possibilité d’exercer la concurrence, alors
que la législation contre la concurrence déloyale se rapporte à la
manière d’exercer la concurrence. Ainsi, selon l’art. 2 LCD « est
déloyal et illicite tout comportement ou pratique commercial qui est
trompeur ou qui contrevient de toute autre manière aux règles de la
bonne foi et qui influe sur les rapports entre concurrents ou entre
fournisseurs et clients. » L’art. 3 LCD donne ensuite une liste
exemplative de ce genre de comportements : dénigrement d’autrui,
indications inexactes ou fallacieuses, mesures de nature à faire naître
une confusion avec les marchandises ou les prestations d’autrui, ventes
en dessous du prix coûtant, etc.
96 L’action en concurrence déloyale sera toujours introduite par un
concurrent à l’encontre d’un autre opérateur sur le marché. Elle n’est
37
pas engagée par une autorité administrative (et les dispositions pénales
sont rarement invoquées). Pourtant, en protégeant les concurrents
contre des pratiques déloyales c’est aussi le fonctionnement du marché
qui est indirectement protégé.
97 La plupart des systèmes juridiques connaissent des dispositions légales
relatives à la concurrence déloyale. La Convention d’Union de Paris, de
1883, faisait déjà référence aux « usages honnêtes et loyaux du
commerce ».
b) Droit communautaire
98 Jusqu’en 2005, le droit communautaire ne s’est pas préoccupé de la
concurrence déloyale, laissant ce domaine aux pays membres. Le 11
mai 2005, la Commission a adopté la Directive 2005/29 sur les
pratiques commerciales déloyales. Par cette Directive, la Commission
vise deux buts :
- satisfaire les impératifs du marché intérieur et la libre circulation que
celui-ci implique ;
- protéger les consommateurs, en particulier dans les échanges
transfrontaliers (pratiques trompeuses et pratiques agressives).
99 La Commission insiste sur un renforcement de la coopération entre les
Etats membres et entre les « professionnels » pour lutter de façon
uniforme contre les pratiques commerciales déloyales.
B. La protection de la concurrence
100 Alors que les règles relatives à la concurrence déloyale protègent d’abord
le concurrent, le droit de la concurrence proprement dit vise l’existence
même de la concurrence sur le marché et son exercice (cf. 2e Partie, ci-
dessous):
- art. 1er LCart: «La présente loi a pour but d’empêcher les
conséquences nuisibles d’ordre économique ou social imputables aux
cartels et aux autres restrictions à la concurrence et de promouvoir
ainsi la concurrence dans l’intérêt d’une économie de marché fondée
sur un régime libéral»;
- art. 3 par. 1 let. b TFUE: «L’Union dispose d’une compétence
exclusive dans […] l’établissement des règles de concurrence
nécessaires au fonctionnement du marché intérieur».
C. La loi suisse sur la surveillance des prix (LSP)
38
a) But
101 Après avoir instauré des mesures conjoncturelles de surveillance des
prix, au cours des années 1970, le législateur suisse, exécutant un
mandat résultant d’une initiative constitutionnelle, a adopté en 1985
une loi fédérale sur la surveillance des prix. Le Surveillant des prix
observe l’évolution des prix (art. 4 al. 1 LSPr) et empêche les
augmentations de prix abusives et le maintien de prix abusifs.
b) Champ d’application
102 Quant aux personnes, la loi s’applique aux cartels et aux organisations
analogues (« autres restrictions à la concurrence ») au sens de la LCart.
103 Si une appréciation de la situation est nécessaire, le Surveillant des prix
doit consulter la Commission de la Concurrence avant de prendre sa
décision (art. 5 al. 4 LSPr).
104 Quant à la matière, la loi
- s’applique au prix des marchandises, des services et de l’argent
(intérêts) ;
- ne s’applique pas à la rémunération du travail (salaires).
c) Prix administrés
105 Si une autorité (fédérale, cantonale ou communale) est compétente pour
décider ou approuver une augmentation de prix proposée par un cartel
ou une organisation analogue, elle prend au préalable l’avis du
Surveillant des prix (art. 14 LSPr).
3.2.4. La réglementation de certains marchés particuliers
A. Marchés financiers
a) Autorités administratives
106 - Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA;
RS 956.1)
- Commission des offres publiques (COPA; 954.195.1)
b) Rôle
107 Surveillance de l'activité des banques, des compagnies d'assurances
privées et des sociétés cotées en bourse.
39
c) Bases légales
108 - LF sur les banques et les caisses d'épargne (RS 952.0);
- LF sur la surveillance des entreprises d'assurances (RS 961.01)
- LF sur les bourses et le commerce des valeurs mobilières (RS 954.1)
- LF sur les placements collectifs de capitaux (RS 951.31)
B. Télécommunications
a) Autorité administrative
109 Commission fédérale de la communication, composée de 7 membres
spécialistes du domaine et indépendants, dont le Prof. Reiner
Eichenberger.
b) Rôle
110 Régulation du marché des télécommunications en Suisse
c) Bases légales
111 LF sur les télécommunications (RS 784.10) et les ordonnances
d'exécution
C. Marché de l'électricité
a) Autorité administrative
112 Commission fédérale de l'électricité, composée de 7 membres.
b) Rôle
113 Contrôle les prix de l'électricité, statue sur les litiges concernant le libre
accès au réseau électrique, règle les questions de transport et de
commerce international d'électricité.
c) Bases légales
114 LF sur l'approvisionnement en électricité (RS 734.7).
* * * * *
40
Chapitre 2
LA CREATION D’UN MARCHE INTEGRE
§ 4 LE MARCHE INTERIEUR EUROPEEN
Textes législatifs : art. 34 ss, 45 ss, 49 ss, 56 ss et 63 ss TFUE; Accords
bilatéraux, RS 0.142.112.681; 0.972.052.68; 0.420.513.1; 0.740.72;
0.748.127.192.68; 0.916.026.81; 0.946.526.81.
Bibliographie : N. LIGNEUL/J.-C. MASCLET, Libre circulation des marchandises,
Juris-Classeur Europe, Vol. 2, Fasc. 550; Accords bilatéraux Suisse – UE
(Commentaires), Bâle 2001; D. DREYER/B. DUBEY, La place des avocats dans les
accords sectoriels et leur rôle dans leur application, in « Accords bilatéraux »,
p. 209 ss; J. PELKMANS, Economic Concept and Meaning of the Internal Market,
in The EU Internal Market in Comparative Perspective, Economic, Political and
Legal Analysis, J. PELKMANS, D. HANF and M. CHANG, Bruxelles 2008, p. 29-76;
D. HANK, Legal Concept and Meaning of the Internal Market, in The EU Internal
Market, p. 77-93.
4.1 UN MARCHE CREE PAR ETAPES
4.1.1 Les étapes du marché intérieur
115 Le Traité de Rome prônait déjà la libre circulation des personnes et la libre
circulation des marchandises. L'abolition (progressive) des droits de
douane facilitait certes l'exportation des marchandises d'un pays à l'autre
de la Communauté, mais la libre circulation des marchandises n'était de
loin pas encore garantie. En effet, de nombreux obstacles administratifs ou
techniques restreignaient le mouvement des marchandises au sein de la
Communauté.
116 En 1985, vingt-huit ans après l'adoption du traité de Rome instituant la
CEE, les autorités communautaires se rendaient compte que la création
d'un véritable marché intérieur européen était encore très éloignée. L'une
des causes principales de la lenteur des progrès provenait des procédures
41
d'adoption des règles communautaires nécessaires, pour favoriser la libre
circulation des marchandises.
117 Les autorités de l'Union (Commission, Conseil des ministres, Parlement)
s'efforçaient d'harmoniser les règles applicables au sein de l'Union soit par
des Règlements (règles directement applicables dans l'ensemble de
l'Union), soit par des Directives (fixant des objectifs à atteindre mais
accordant une marge de manœuvre aux Etats membres sur la manière d'y
parvenir). Mais ces deux types de règles ne pouvaient le plus souvent être
adoptées qu'à l'unanimité.
118 Les Etats communautaires modifièrent alors le Traité par l'Acte unique
européen (1986), un traité qui non seulement réunissaient les organes des
trois communautés qui existaient encore distinctement (la CEE, la
Communauté du charbon et de l'acier - CECA - et la Communauté de
l'énergie atomique – CEEA) mais surtout modifiait les règles sur la
majorité en rendant possible l'adoption d'un beaucoup plus grand nombre
de décisions à la majorité plutôt qu'à l'unanimité.
119 Par la même occasion, les Etats communautaires se fixèrent comme
objectif de réaliser ce marché intérieur pour la fin 1992.
120 Cette réalisation a aussi été grandement facilitée par une interprétation très
dynamique du Traité par la Cour de Justice des Communautés
européennes (CJCE).
4.1.2 Remarque sur les traités européens
121 A l’époque de l’adoption du Traité de Rome (1957) instituant la
Communauté économique européenne – le marché commun, deux autres
traités régissaient le charbon et l’acier (CECA) et la recherche atomique
(Euratom). Chacune de ces organisations avait ses propres organes ; c’est
pourquoi, on parlait alors des Communautés européennes.
122 Le traité de Rome a été modifié à plusieurs reprises :
- l’Acte Unique européen (1986), rassemblant les différents organes en une seule
Communauté européenne et modifiant les systèmes de majorités ;
- le Traité de Maastricht (1992) modifiant les organes pour tenir compte de
l’agrandissement de la Communauté.
- le Traité d’Amsterdam (1997) instituant l’Union européenne et complétant la
Communauté européenne (1er pilier) par deux autres piliers :
-- la politique étrangère et la sécurité commune (PESC, 2e pilier) ;
-- la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures (JAI ; accord
de Schengen, 3e pilier);
42
- le Traité de Lisbonne (2007) simplifiant l’architecture de l’Union et fusionnant les trois
piliers.
4.1.3 La Constitution européenne et le Traité de Lisbonne
123 Nombre de principes importants de l’Union européenne étant dispersés
dans l’un ou l’autre traité, les Etats membres ont manifesté le souhait de
réunir les éléments fondamentaux dans un « texte de base », une
« constitution » (Traité de Rome II ou Traité de Rome de 2004). Ce traité
aurait dû entrer en vigueur le 1er novembre 2006, mais il a été rejeté par
la majorité des électeurs français et néerlandais lors des procédures de
ratification en 2005.
124 Pour palier à l’échec de la ratification de la « Constitution européenne »,
un nouveau texte, le Traité de Lisbonne, a été soumis aux pays membres
pour ratification. Toutefois, le processus de ratification a duré deux ans.
En effet, dans un premier temps, lors du référendum en juin 2008, le
peuple irlandais s’était exprimé contraire à l’adoption du Traité de
Lisbonne. Par contre, lors d’un nouveau référendum, en automne 2009,
les irlandais ont voté en grande majorité pour le oui. Ce traité est
finalement entré en vigueur le 1er décembre 2009.
4.2 L’ACCES AU MARCHE INTERIEUR
4.2.1 Le principe du marché intérieur
125 Selon l'art. 3 § 1 let. c du Traité de Maastricht (aujourd’hui abrogé et
remplacé, en substance, par les art. 3 à 6 TFUE), le marché intérieur
européen est caractérisé par l'abolition entre les Etats membres des
obstacles à la libre circulation des marchandises, des personnes, des
services et des capitaux.
126 En effet, un véritable marché intérieur ne peut fonctionner que si :
- les marchandises peuvent circuler librement (art. 28 TFUE);
- les capitaux peuvent circuler librement (art. 63 TFUE);
- les professionnels peuvent librement prester leurs services sur tout le
territoire de l'Union (art. 56/57 TFUE);
- les ressortissants de l'Union peuvent librement s'établir sur tout le
territoire de l'Union (art. 49 TFUE);
- les travailleurs peuvent librement circuler (art. 45 TFUE).
43
127 L'exercice de ces trois dernières libertés implique la reconnaissance des
diplômes et des certificats de capacité (cf. à ce sujet, ci-après, § 5.4 et 5.6).
128 Seule la libre circulation des marchandises est examinée ici plus en détail.
4.2.2 La libre circulation des marchandises
A. La marchandise (au sens communautaire)
a) La définition
129 La CJCE (10.12.1968, Commission c/ Italie, aff. 7/68) a défini les
marchandises comme les « produits appréciables en argent et
susceptibles comme tels de former l’objet de transactions commer-
ciales ».
b) Le caractère communautaire
130 L’art 28 al. 2 TFUE dispose que la liberté de circulation s’applique
« aux produits qui sont originaires des Etats membres, ainsi qu’aux
produits en provenance de pays tiers qui se trouvent en libre pratique
dans les Etats membres ».
131 La détermination de l’origine de la marchandise pose deux problèmes :
- un problème géographique : la marchandise a son origine dans le
territoire douanier communautaire y.c. les territoires assimilés au
territoire douanier en raison de conventions internationales (soit la
mer territoriale et l’espace) ;
- un problème de détermination de l’origine pour les marchandises
complexes : quelle est l’origine du produit réalisé sur le territoire
communautaire avec des produits importés d’Etats tiers ?
132 L’art. 24 du Code des douanes communautaire dispose que l’origine
d’un tel produit est le lieu de sa dernière ouvraison à condition que
celle-ci soit substantielle et économiquement justifiée
133 De plus, la marchandise issue d’un Etat tiers mais introduite dans la
Communauté à la suite des formalités douanières et fiscales et donc
régulièrement importée est alors assimilée à une marchandise
communautaire.
B. L'interdiction des droits de douanes
44
a) Le principe
134 Puisqu’elle est une zone de libre-échange, la Communauté interdit à ses
Etats membres de percevoir des droits de douane dans leurs relations
commerciales réciproques.
135 Par ailleurs, l’Union européenne a instauré, progressivement de 1957 à
1969, une union douanière : tarif douanier commun et réglementation
douanière unique (Code des douanes communautaires, envois
administration, contrôle et sanction par les Etats membres).
136 Une taxe imposée au commerce international et qualifiée de droit de
douane est donc illicite si elle ne correspond pas au Code des douanes.
Les problèmes ont surgi lorsque les Etats ont adopté des taxes « d’effets
équivalent aux droits de douane ».
b) La notion de taxe d’effet équivalent
137 Les art. 28/30 TFUE posent le principe d’interdiction des taxes d’effet
équivalent mais ne les définissent pas.
138 A l’origine les taxes d’effet équivalent ont été définies dans l’affaire du
« pain d’épices » (CJCE 14.12.1962, Commission c/ Luxembourg et
Belgique, aff. 2/62 et 3/62) de la façon suivante :
« La taxe d’effet équivalent peut être considérée, quelles que soient son
appellation et son origine, comme un droit unilatéralement imposé, soit
au moment de l’importation, soit ultérieurement et qui, frappant
spécifiquement un produit importé d’un pays membre à l’exclusion du
produit national similaire, a pour résultat, en altérant son prix, d’avoir
ainsi sur la liberté de circulation des produits, la même incidence
qu’un droit de douane. »
139 Depuis la fin des années 1960, la taxe d’effet équivalent est définie (cf.
CJCE 01.07.1969, Sociaal fonds Diamanterbeiders c/ Brachfeld et
Chougol, aff. 2/69 et 3/69 et Commission c/ Italie, aff. 24/68) comme :
« une charge pécuniaire, fût-elle minime, unilatéralement imposée
quelles que soient son appellation ou sa technique, et frappant les
marchandises nationales ou étrangères à raison du fait qu’elles
franchissent la frontière, lorsqu’elle n’est pas un droit de douane […]
alors même qu’elle ne serait pas perçue au profit de l’Etat, qu’elle
n’exercerait aucun effet discriminatoire ou protecteur et que le produit
imposé ne se trouverait pas en concurrence avec une production
nationale ».
45
140 Les critères de qualification de ces taxes sont donc :
- une charge pécuniaire ;
- une imposition unilatérale ;
- le franchissement d’une frontière.
141 Les Etats membres peuvent en revanche créer des mesures d’imposition
intérieures. Ils ont en effet conservé leur souveraineté fiscale (sauf dans
les domaines harmonisés).
142 L’art. 110 par. 1 TFUE dispose toutefois «Aucun Etat membre ne
frappera directement ou indirectement les produits des autres Etats
membres d’impositions intérieures, de quelque nature qu’elles soient,
supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les
produits nationaux similaires».
143 Il n’est donc possible de créer une taxe ou une imposition sur son
propre territoire que dans la mesure où elle frappe les produits
nationaux et les produits des autres Etats membres de la CE de façon
analogue. L’art. 110 n’est dès lors rien d’autre qu’une expression du
principe de non-discrimination sur la nationalité.
144 En conséquence, les mesures d’imposition intérieures sont en principe
licites si deux conditions sont remplies. La mesure ne doit pas :
- créer une discrimination entre des produits nationaux et des produits
similaires en provenance d’autres Etats membres ;
- faire naître une discrimination déguisée au commerce. L’art. 110
par. 2 TFUE interdit en effet les mesures d’imposition intérieure
« de nature à protéger indirectement d’autres productions ». Le juge
communautaire doit alors apprécier la « proximité » des
marchandises en causes, appréciation qui dépend de l’existence d’un
rapport de concurrence entre les produits.
c) Le régime de la taxe d’effet équivalent
145 Etant assimilée à des droits de douanes, la taxe d’effet équivalent est
interdite.
146 Deux actions sont ouvertes pour celui qui a payé indûment cette taxe :
- Une action en responsabilité contre l’Etat membre qui a violé cette
norme de droit communautaire si cette norme faisait naître des droits
au profit de particuliers, si la violation de la norme est suffisamment
caractérisée et si elle est la cause du préjudice dont on entend obtenir
réparation.
46
- Une action en répétition de l’indu. La restitution doit être intégrale
et englober l’indemnisation des éventuels préjudices découlant de la
violation du traité. Les Etats membres doivent organiser un recours
effectif devant leurs juridictions nationales, à savoir un recours dont
les conditions de recevabilité sont raisonnables. Ce recours doit en
outre être au moins aussi favorable que ceux organisés par les Etats
membres en matière de fiscalité interne.
C. L’interdiction des restrictions quantitatives et des mesures d’effet
équivalent
147 Les restrictions quantitatives ou les mesures d'effet équivalent peuvent être
éliminées en adoptant une règle commune à l'ensemble des Etats membres
(par la voie d'un règlement ou d'une directive). On parle alors d'un
domaine "harmonisé". En dehors de ces domaines, des règles différentes
sont applicables dans les pays membres. Cette différence peut-elle justifier
une restriction à l'importation? C'est à cette question que vise à répondre
l'art. 34 TFUE :
"Les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toute mesure
d'effet équivalent sont interdites entre les Etats membres".
a) Les restrictions quantitatives
148 La jurisprudence a précisé la notion de restriction quantitative en
indiquant qu’il s’agit de « toute mesure visant une prohibition totale ou
partielle d’importation, d’exportation ou de transit » (CJCE 12.07.73,
aff. 2/73).
149 La restriction quantitative a donc deux éléments constitutifs : une
mesure étatique et une prohibition totale ou partielle d’importer.
150 Est une mesure étatique :
- toute mesure d'une autorité exécutive, législative ou judiciaire;
- une mesure d'une autorité du pouvoir central national ou d'une
collectivité territoriale;
- une mesure d'un organisme public.
151 Est une restriction quantitative toute mesure visant à restreindre le
nombre (ou le poids) d'une marchandise à l'importation ou à
l'exportation.
b) Les mesures d’effet équivalent aux restrictions quantitatives
47
152 L'expression "mesures d'effet équivalent" a donné lieu à une abondante
jurisprudence de la CJCE. L'arrêt fondamental fut l'arrêt Dassonville
selon lequel une mesure d'effet équivalent englobe :
"Toute réglementation commerciale des Etats membres susceptibles
d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou
potentiellement le commerce intracommunautaire" (CJCE 11 juillet
1974, aff. 8/74).
153 Il s’agit, comme pour les restrictions quantitatives, d’une mesure
étatique.
154 Est une mesure étatique :
- toute mesure d'une autorité exécutive, législative ou judiciaire;
- une mesure d'une autorité du pouvoir central national ou d'une
collectivité territoriale;
- une mesure d'un organisme public.
155 Une mesure peut être qualifiée d'effet équivalent même si son influence
est potentielle ou d'une faible importance. En permettant d'éliminer
toute disposition discriminatoire ou non, constituant un obstacle ou
pouvant constituer un obstacle aux échanges, si limités que soient ses
effets, la jurisprudence "Dassonville" a étendu de manière considérable
le champ d'application de l'art. 34 TFUE. Ainsi, ont été jugées
contraires au droit communautaire :
- des mesures avantageant la production nationale (p. ex. les aides à la
presse réservées aux publications du pays octroyant l'aide);
- des mesures imposant des licences ou des certificats d'importation
ou d'exportation;
- la perception d'un "droit de statistique";
- des mesures concernant la composition des produits : règles
italiennes de fabrication des pâtes alimentaires excluant les farines
de blé tendre;
- des mesures concernant le conditionnement des produits et leur
étiquetage ou leur désignation (règle belge n'autorisant la vente de
margarine que sous un emballage de forme cubique).
48
156 La Cour a freiné l'extension de la jurisprudence Dassonville en jugeant
que des règles relatives aux modalités de vente ne violaient pas l'art. 34
TFUE "pourvu qu'elles s'appliquent à tous les opérateurs concernés
exerçant leur activité sur le territoire national, et pourvu qu'elles
affectent de la même manière, en droit comme en fait, la
commercialisation des produits nationaux et de ceux en provenance des
autres Etats membres" (Keck et Milhouard, CJCE, 24 nov. 1993, aff.
C-267 et 268/91 : Rec I. p. 6097).
157 Elle l'a également fait en renonçant à condamner des restrictions ayant
un effet trop hypothétique et aléatoire sur le commerce
intracommunautaire.
4.3 LES EXCEPTIONS AU LIBRE ACCES
158 Les entraves au commerce intracommunautaire sont admises lorsqu'elles
entrent dans le champ d'application de l'art. 36 TFUE. Le régime
d'exception ne s'applique qu'aux "entraves" alors qu'une "taxe d'effet
équivalent" à un droit de douane ne pourra jamais être justifiée.
159 L'art. 36 TFUE doit être interprété de manière restrictive. La mesure
restrictive doit respecter le principe de proportionnalité et être adéquate
(propre à atteindre le but visé). C'est en application de cette disposition,
que la CJCE a rendu son arrêt "Cassis-de-Dijon", précisant que la
restriction peut aussi être admise si elle est reconnue "nécessaire pour
satisfaire à des exigences impératives, tenant notamment à l'efficacité des
contrôles fiscaux, à la protection de la santé publique, à la loyauté des
transactions commerciales et à la défense des consommateurs."
4.4 LES PROCEDURES GARANTISSANT L’ACCES AU MARCHE
160 Alors que, selon les règles de l’OMC, les entreprises ne peuvent écarter les
obstacles au libre-échange que par une intervention de l’Etat dans lequel
elles ont leur siège (cf. ci-dessus § 2.1.4), les entreprises dont l’accès au
marché intérieur européen est dénié ou indûment entravé ont d’autres
moyens d’agir.
4.4.1 Le recours préjudiciel (art. 267 TFUE)
161 Selon l’art. 267 TFUE, la Cour de justice est compétente pour statuer à
titre préjudiciel sur l’interprétation du traité. Lorsqu’une question
d’interprétation est soulevée devant une juridiction (tribunal) d’un Etat
membre, cette juridiction peut demander à la Cour de justice de statuer sur
cette question.
49
162 Ainsi, lorsqu’une entreprise considère qu’une mesure administrative, dont
elle est l’objet et qui entrave son accès au marché, est contraire aux règles
européennes, elle invoque cette violation et invite le juge à solliciter de la
Cour de justice l’interprétation de ces règles européennes. Cette manière
de faire a été abondamment utilisée dès les années 1960 et a permis le
développement des règles du marché intérieur, en particulier celles
relatives à la libre circulation des personnes et à la libre circulation des
marchandises.
4.4.2 Dénonciation à la Commission
163 Lorsqu’une entreprise – dont les siège peut être hors de l’Union
européenne – est entravée par une autre entreprise (ou une association
privée), elle peut dénoncer le cas à la Commission européenne (ou encore
actuellement, à l’autorité nationale chargée d’appliquer le droit européen
de la concurrence) et cette autorité pourra, si jugé nécessaire, prendre une
décision à l’encontre de la société incriminée.
164 A noter que, dans le cas d’une dénonciation à la Commission par une
entreprise dont le siège est dans l’Union européenne, le pays de
l’entreprise entravée pourrait, en cas d’inaction de la Commission,
introduire devant les juridictions européennes une action judiciaire.
4.4.3 Action en dommages-intérêts
165 Par le biais d’une procédure civile entamée devant un tribunal d’un pays
membre de l’UE, l’entreprise entravée invoquera la violation du droit
européen dans le but d’obtenir l’annulation de l’entrave et, éventuel-
lement, des dommages-intérêts (la juridiction saisie pourra consulter la
CJCE par le biais du recours préjudiciel). Une telle action peut être
introduite par une entreprise établie hors de l’UE.
4.5 LES ACCORDS BILATERAUX ENTRE LA SUISSE ET L’UE
4.5.1 Adoption et contenu des accords
166 A la suite de l'échec en Suisse, à fin 1992, du vote sur le Traité instituant
l'Espace Economique Européen, le gouvernement suisse a conclu des
accords bilatéraux avec l'Union européenne. Ces négociations ont abouti
au printemps 1999 à la signature des accords bilatéraux entre la Suisse et
l’Union européenne. Ces accords et la législation d’accompagnement sont
entrés en vigueur le 1er juillet 2002.
50
167 L'extension de ces accords aux dix nouveaux pays membres de l'Union
européenne a été approuvée. Ces accords prévoient des périodes
transitoires. Une première étape transitoire a été franchie en 2007.
168 Les sept accords portent sur les objets suivants :
- la recherche,
- les obstacles techniques aux échanges,
- l'accès aux marchés publics,
- les transports terrestres,
- les transports aériens,
- la libre circulation des personnes,
- l'accès aux marchés des produits agricoles.
169 Plus précisément, il s’agit de:
- L’Accord du 16 janvier 2004 de coopération scientifique et technologique entre la
Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et la Communauté
européenne de l’énergie atomique, d’autre part (RS 0.420.513.1) ;
- L’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne
relatif à la reconnaissance mutuelle en matière d’évaluation de conformité (RS
0.946.526.81) ;
- L’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur
certains aspects relatifs aux marchés publics (RS 0.177.052.68) ;
- L’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur
le transport des marchandises et voyageurs par rail et par route (RS 0.740.72) ;
- L’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur
le transport aérien (RS 0.748.127.192.68) ;
- L’Accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses
Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (RS 0.142.112.681) ;
- L’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne
relatif aux échanges de produits agricoles (RS 0.916.026.81).
4.5.2 Le comité mixte
170 Les Accords bilatéraux n’instituent pas d’organes communs à la Suisse et
à l’Union européenne. Ils constatent l’accord des parties sur des règles en
vigueur au moment de l’adoption des Accords.
171 Or :
- des conflits peuvent surgir au sujet de l’interprétation ou de
l’application des accords ;
- les règles, en particulier les règles communautaires auxquelles se
rapportent les Accords évoluent rapidement ; il s’agit de décider
comment tenir compte de cette adaptation.
51
172 C’est pourquoi les parties signataires ont instauré pour chacun des
Accords un Comité mixte au sein duquel les représentants des parties
contractantes :
- règlent d’un commun accord les questions d’interprétation ou
d’exécution ;
- modifient les annexes des accords lorsque cette compétence leur a été
accordée ;
- constatent leur désaccord et sollicitent une coopération au niveau
gouvernemental (Conseil fédéral, Commission ou Conseil des
ministres).
4.5.3 Effets sur la concurrence
173 Du point de vue du droit de la concurrence, on peut faire les constatations
suivantes :
- alors que l'Accord de libre-échange de 1972 ne concerne que la
circulation des marchandises, les accords bilatéraux couvrent aussi la
circulation des personnes et des services;
- les accords bilatéraux instituent un comité mixte pour superviser leur
application; toutefois, les accords contiennent des règles d’application
directe qui pourraient être soumises, selon les circonstances, aux
tribunaux suisses ou aux tribunaux du pays européen concerné;
cependant, seuls les tribunaux d’un pays membre pourront, selon le
Traité (art. 267 TFUE), solliciter une décision préjudicielle de la Cour
de Justice de Luxembourg;
- en raison du décalage important entre la date de signature des accords
(printemps 1999) et celle de leur entrée en vigueur, respectivement de
leur application, se pose le problème du droit évolutif (c'est-à-dire de
l’intégration progressive aux accords des modifications du droit
communautaire postérieures à la signature des accords);
- il n'existe aucun accord international réglant les relations entre la
Comco à Berne et la Commission de Bruxelles (et la Direction de la
concurrence). C'est donc uniquement d'une manière informelle et
pragmatique que se règlent les rapports entre ces deux institutions (à
titre de comparaison, les autorités de la concurrence des Etats membres
de l’Union européenne travaillent en coordination avec la Division
générale de la concurrence de la Commission européenne (cf. § 10).
4.5.4 Mise en œuvre procédurale des accords au sein de l’Union
européenne
52
174 L’hypothèse est la suivante : une entreprise suisse met en vente un produit
ou exerce une activité soumise à autorisation au sein de l’Union
européenne. Une autorité administrative d’un Etat membre de l’Union
intervient pour le motif que ce produit ou cette activité ne lui semble pas
conforme aux prescriptions en vigueur au lieu de vente ou d’exercice de
l’activité.
175 Ce droit de regard devrait toujours être exercé dans le cadre d’une
procédure aussi courte, efficace et peu onéreuse que possible. En principe,
il ne peut y avoir de contrôle systématique dans l’Etat membre de
destination avant la mise sur le marché. Par conséquent, celui-ci ne
pourra, en règle générale, examiner la conformité d’un produit à ses
propres règles techniques que lors d’une inspection faite dans le cadre de
ses activités de surveillance du marché.
176 Si le produit en question devait ne pas être jugé conforme à ces règles, il y
a alors lieu d’examiner la proportionnalité de l’application de telles
règles au cas d’espèce. En effet, pour que l’application d’une règle
technique soit proportionnée, il faut qu’elle soit à la fois nécessaire et
adéquate. Si tel n’est pas le cas, l’autorité compétente doit prendre la
décision – conformément au droit communautaire qui prime le droit
national - d'écarter de sa propre initiative cette règle nationale lors de
l’examen du produit.
177 Par ailleurs, une réglementation nationale ne peut pas exiger que des
produits de ce type satisfassent littéralement et exactement aux mêmes
dispositions ou caractéristiques techniques prescrites pour les produits
fabriqués dans l’Etat membre de destination, alors que les produits
importés garantissent le même niveau de protection.
178 En cas de décision négative, il importe que l’Etat membre qui invoque
un motif justifiant à ses yeux une restriction à la libre circulation des
marchandises démontre concrètement l’existence d’un motif d’intérêt
général, la nécessité de la restriction en cause et son caractère
proportionné par rapport à l’objectif poursuivi.
179 L’un des principes généraux du droit communautaire est que toute
personne doit pouvoir bénéficier, devant les juridictions nationales, d’un
recours juridictionnel effectif contre les décisions nationales pouvant
porter atteinte à un droit reconnu par les traités ou par le droit
communautaire dérivé. Ce principe implique que les intéressés peuvent
obtenir de l’administration, avant tout recours, connaissance des motifs
de telles décisions.
53
180 En conséquence, l’Etat membre de destination qui estime qu’un tel
produit ne devrait pas être admis sur son marché ou qu’un tel service ne
peut être offert par ce prestataire devrait en tout état de cause :
- indiquer par écrit au fabricant ou au distributeur quels éléments de ses
règles techniques nationales empêchent, selon lui, la
commercialisation du produit concerné dans l’Etat membre de
destination ;
- prouver, sur la base de tous les éléments scientifiques pertinents, pour
quelles raisons ces éléments de la règles technique doivent être
imposés et pour quelles raisons des mesures moins entravantes ne
sauraient être acceptées ;
- inviter l’opérateur économique concerné à formuler ses observations
dans un délai raisonnable ;
- tenir compte de ces observations avant de rendre une décision finale ;
- une fois la décision prise, notifier cette décision motivée à l’opérateur
économique concerné en lui indiquant les voies de recours à sa
disposition ;
- notifier cette décision à la Commission en vertu de l’art. 11 de la
directive 2001/95 CEE relative à la sécurité générale des produits ou
en vertu de l’art. 50 du règlement n° 178/2002 établissant les
principes généraux et les prescriptions générales dans la législation
alimentaire ;
- ou, lorsque ces articles ne s’appliquent pas, notifier cette décision à la
Commission en vertu de la décision n° 3052/95 CE du Parlement du
13.12.05 établissant une procédure d’information mutuelle sur les
mesures nationales dérogeant au principe de libre circulation des
produits à l’intérieur de la Communauté.
181 Une décision négative de la part de l’Etat membre de destination
concernant l’admission à son marché d’un produit de l’EEE ou de la
Turquie ou d’un Etat membre de l’AELE est, en principe, susceptible de
constituer une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à
l’importation, interdite par l’art. 34 TFUE. Dès lors, l’opérateur
économique concerné peut toujours contester dans le pays devant les
juridictions, respectivement les administrations de l’Etat membre de
destination, une décision négative prise à son encontre.
182 Les juridictions et administrations nationales ont alors l’obligation de
garantir le plein effet du droit communautaire, lorsque l’on est en
présence de dispositions du droit national incompatible avec les articles 4
54
34 à 36 TFUE. En effet, le juge national chargé d’appliquer, dans le
cadre de sa compétence, les art. 34 et 36 TFUE, a l’obligation d’assurer
le plein effet de ces normes, en laissant au besoin inappliquée, de sa
propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale. Il
doit en outre appliquer les art. 23 et 36 TFUE à la lumière de la
jurisprudence de la Cour de Justice.
183 Les juridictions nationales peuvent cependant, le cas échéant, demander
à la Cour de Justice de statuer à titre préjudiciel sur l’interprétation des
art. 34 et 36 TFUE, conformément à l’art. 267 TFUE.
4.5.5. Mise en œuvre procédurale en Suisse
184 L'hypothèse est la suivante : une entreprise européenne met en vente un
produit ou exerce une activité soumise à autorisation en Suisse. Une
autorité administrative suisse (cantonale ou fédérale) intervient pour le
motif que ce produit ou cette activité ne lui semble par conforme à la
réglementation suisse.
185 Si l'autorité administrative prend une décision restreignant l'activité de
l'entreprise européenne, cette décision sera sujette à recours à plusieurs
échelons, éventuellement jusqu'au Tribunal fédéral. A noter que les
autorités suisses ne peuvent recourir directement à l'autorité suprême
(recours préjudiciel à la Cour de Justice puisque les autorités suisses n'y
sont pas soumises).
186 La restriction pourrait aussi, le cas échéant, être examinée par un tribunal
civil. Dans une action en dommages-intérêts fondée sur la violation d'une
clause contractuelle restreignant les quantités à vendre, par exemple, ou
le territoire dans lequel la vente peut être faite, la partie attaquée pourrait
invoquer la nullité de la clause en soutenant qu'elle n'est pas conforme
aux accords bilatéraux. C'est alors le juge civil (cantonal, puis, le cas
échéant, fédéral) qui décidera de la validité de la clause.
4.5 EXERCICE
Aff. C-570/07 CJUE Grande Chambre, 1.6.2010
Le contexte de l'affaire a été résumé comme suit par V. MICHEL dans la
Revue Europe août-septembre 2010, p. 17-18.
"Sur la base d'une division du territoire en zones pharmaceutiques, dans
chacune d'elles une seule pharmacie peut être créée par tranche de 2'800
55
habitants; une pharmacie supplémentaire ne peut être créée que lorsque
ce seuil est dépassé, cette pharmacie étant créée pour la fraction
supérieure à 2'000 habitants; chaque pharmacie doit respecter une
distance minimale par rapport aux pharmacies déjà existantes, cette
distance étant, en règle générale, de 250 mètres …
Contestant ce système, les pharmaciens José Manuel Blanco Pérez et
maria del Pilar Chao Gomez soulèvent, devant les juridictions espagnoles,
son incompatibilité avec la liberté d'établissement.
… il est de jurisprudence constante que l'entrave à la liberté
d'établissement procède de règlementations, même indistinctement
applicables, qui subordonnent l'établissement d'une entreprise dans un
autre Etat membre soit à une autorisation préalable – car cela entendre
notamment des charges supplémentaires – soit à des conditions tenant aux
besoins économiques ou sociaux – car cela tend à limiter le nombre de
prestataires de services."
Extrait de l'arrêt de la Cour :
Article 49 TFUE – Directive 2005/36/CE – Liberté d’établissement – Santé
publique – Pharmacies – Proximité – Approvisionnement de la population
en médicaments – Autorisation d’exploitation – Répartition territoriale des
pharmacies – Instauration de limites fondées sur un critère de la densité
démographique – Distance minimale entre les officines – Candidats ayant
exercé l’activité professionnelle sur une partie du territoire national –
Priorité – Discrimination»
Dans les affaires jointes C-570/07 et C-571/07,
ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article
234 CE, introduites par le Tribunal Superior de Justicia de Asturias
(Espagne), par décisions des 26 octobre et 22 octobre 2007, parvenues à la
Cour les 24 décembre et 27 décembre 2007, dans les procédures
José Manuel Blanco Pérez,
María del Pilar Chao Gómez
contre
Consejería de Salud y Servicios Sanitarios (C-570/07),
Principado de Asturias (C-571/07),
en présence de:
56
Federación Empresarial de Farmacéuticos Españoles (C-570/07),
Plataforma para la Libre Apertura de Farmacias (C-570/07),
Celso Fernández Gómez (C-571/07),
Consejo General de Colegios Oficiales de Farmacéuticos de España,
Plataforma para la Defensa del Modelo Mediterráneo de Farmacias,
Muy Ilustre Colegio Oficial de Farmacéuticos de Valencia,
Asociación Nacional de Grandes Empresas de Distribución (ANGED)
LA COUR (grande chambre),
composée de M. V. Skouris, président, MM. K. Lenaerts et E. Levits,
présidents de chambre, MM. C. W. A. Timmermans, A. Rosas, E. Juhász,
G. Arestis, A. Borg Barthet, M. Ilešič, J. Malenovský (rapporteur), U.
Lõhmus, A. Ó Caoimh et L. Bay Larsen, juges,
avocat général: M. M. Poiares Maduro,
greffier: Mme
M. Ferreira, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 mai 2009,
considérant les observations présentées:
…..
Arrêt
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de
l’article 49 TFUE.
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant
M. Blanco Pérez et Mme
Chao Gómez à la Consejería de Salud y Servicios
Sanitarios (autorité de la santé et des services sanitaires) (C-570/07) ainsi
qu’au Principado de Asturias (C-571/07), au sujet d’un appel à candidatures
en vue de délivrer des autorisations d’établissement de nouvelles
pharmacies dans la Communauté autonome des Asturies.
Le cadre juridique
La réglementation de l’Union
57
3 Aux termes du vingt-sixième considérant de la directive 2005/36/CE
du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la
reconnaissance des qualifications professionnelles (JO L 255, p. 22), qui
reprend, en substance, le deuxième considérant de la directive 85/432/CEE
du Conseil, du 16 septembre 1985, visant à la coordination des dispositions
législatives, réglementaires et administratives concernant certaines activités
du domaine de la pharmacie (JO L 253, p. 34):
«La présente directive n’assure pas la coordination de toutes les conditions
d’accès aux activités du domaine de la pharmacie et de leur exercice. La
répartition géographique des officines, notamment, et le monopole de
dispense de médicaments devraient continuer de relever de la compétence
des États membres. La présente directive n’affecte pas les dispositions
législatives, réglementaires et administratives des États membres qui
interdisent aux sociétés l’exercice de certaines activités de pharmacien ou
soumettent cet exercice à certaines conditions.»
…..
Il résulte de l’article 103, paragraphe 3, de la loi générale 14/1986 sur la
santé (Ley General de Sanidad 14/1986), du 25 avril 1986 (BOE n° 102, du
29 avril 1986, p. 15207), que les officines de pharmacie sont soumises à la
planification sanitaire dans les conditions définies par la législation spéciale
sur les médicaments et les pharmacies.
8 L’article 2 de la loi 16/1997 relative à la régulation des officines de
pharmacie (Ley de Regulación de los Servicios de las Oficinas de Farmacia
16/1997), du 25 avril 1997 (BOE n° 100, du 26 avril 1997, p. 13450),
prévoit:
«1. […] [A]fin d’organiser les services pharmaceutiques fournis à la
population, les communautés autonomes, à qui il incombe de veiller à ce
que ces services soient assurés, fixent des critères spécifiques de
planification pour l’autorisation des officines de pharmacie.
[…]
2. La planification des officines de pharmacie tient compte de la densité
démographique, des caractéristiques géographiques et de la dispersion de la
population, de manière à garantir l’accessibilité et la qualité du service et un
approvisionnement suffisant en médicaments, eu égard aux besoins
médicaux de chaque territoire.
La répartition territoriale de ces établissements est réalisée au regard du
nombre d’habitants par officine de pharmacie et de la distance entre les
officines de pharmacie, déterminés par les communautés autonomes,
conformément aux critères généraux susmentionnés. En tout état de cause,
les règles de répartition territoriale garantissent un service pharmaceutique
approprié à la population.
58
3. La tranche de population minimale pour permettre l’ouverture d’une
officine de pharmacie est, en règle générale, de 2 800 habitants par
établissement. En fonction de la concentration de la population, les
communautés autonomes peuvent fixer des tranches de population
supérieures, ne pouvant excéder 4 000 habitants par officine de pharmacie.
En tout état de cause, lorsque ces seuils sont atteints, une nouvelle officine
de pharmacie peut être ouverte par fraction supérieure à 2 000 habitants.
Sans préjudice du paragraphe précédent, les communautés autonomes
peuvent fixer des tranches de population plus faibles pour les zones rurales,
touristiques, de montagne ou pour les zones où, en raison de leurs
caractéristiques géographiques, démographiques ou sanitaires, l’application
des critères généraux ne permet pas d’assurer un service pharmaceutique.
4. La distance minimale entre officines de pharmacie, compte tenu des
critères géographiques et de dispersion de la population, est, en règle
générale, de 250 mètres. En fonction de la concentration de la population,
les communautés autonomes peuvent autoriser des distances inférieures
entre celles-ci; de même, les communautés autonomes peuvent fixer des
limitations à l’installation d’officines de pharmacie à proximité des centres
médicaux.»
9 En application de cette réglementation, la Communauté autonome des
Asturies a adopté le décret 72/2001 réglementant les pharmacies et les
services de pharmacie dans la principauté des Asturies (Decreto 72/2001
regulador de las oficinas de farmacia y botiquines en el Principado de
Asturias), du 19 juillet 2001 (BOPA nº 175, du 28 juillet 2001, p. 10135).
10 L’article 1er
, paragraphe 1, premier alinéa, de ce décret prévoit:
«Le territoire de la Communauté autonome est divisé en zones
pharmaceutiques qui coïncident, en règle générale, avec des zones sanitaires
de base qui sont établies dans le cadre de la planification sanitaire de la
principauté des Asturies.»
11 Selon les indications fournies par la Consejería de Salud y Servicios
Sanitarios et par le Principado de Asturias, la Communauté autonome des
Asturies est divisée en 68 zones sanitaires de base qui coïncident, en règle
générale, avec des zones pharmaceutiques.
12 L’article 2 de ce même décret énonce:
«1. Dans chaque zone pharmaceutique, le nombre de pharmacies
respecte la tranche de population de 2 800 habitants par pharmacie. Lorsque
ce seuil est dépassé, une nouvelle pharmacie peut être créée pour la fraction
supérieure à 2 000 habitants.
2. Dans toutes les zones sanitaires de base et dans tous les districts, il
peut y avoir au moins une pharmacie.»
59
13 L’article 3 du décret 72/2001 prévoit:
«Aux fins du présent décret, le calcul de la population est effectué sur la
base des données résultant de la dernière révision du recensement
municipal.»
14 L’article 4 de ce décret dispose:
«1. La distance minimale entre les locaux des officines de pharmacie est,
en règle générale, de 250 mètres quelle que soit la zone de pharmacie dans
laquelle ils se situent.
2. Cette distance minimale de 250 mètres est également respectée par
rapport aux centres de santé de l’une quelconque des zones de pharmacie,
qu’ils soient publics ou privés avec une convention d’assistance
extrahospitalière ou hospitalière, pratiquant des consultations externes ou
dotés de services d’urgence, qu’ils soient en fonctionnement ou en cours de
construction.
Cette condition de distance entre les centres de santé ne s’applique pas dans
les zones de pharmacie où il n’y a qu’une officine de pharmacie ni dans les
localités qui comptent actuellement une seule officine de pharmacie et où,
compte tenu de leurs caractéristiques, l’ouverture de nouvelles officines de
pharmacie n’est pas à prévoir.
….. 16 Selon ces dispositions, la Communauté autonome des Asturies est
notamment tenue d’entamer d’office, au minimum une fois par an, une
procédure en vue de délivrer des autorisations d’établissement de nouvelles
pharmacies pour tenir compte de l’évolution de la densité démographique.
…..
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
22 En 2002, la Communauté autonome des Asturies a décidé d’entamer,
conformément aux articles 6 à 17 du décret 72/2001, une procédure en vue
de l’octroi d’autorisations d’installation de nouvelles pharmacies.
23 La Consejería de Salud y Servicios Sanitarios a pris, le 14 juin 2002,
une décision lançant un appel à candidatures en vue de délivrer des
autorisations d’établissement de pharmacies dans la Communauté autonome
des Asturies (BOPA n° 145, du 24 juin 2002, p. 8145, ci-après la «décision
du 14 juin 2002»).
24 Les règles de l’appel à candidatures ont prévu l’ouverture de 24
nouvelles pharmacies en fonction, notamment, de la densité
démographique, de la dispersion de la population, de la distance entre les
pharmacies ainsi que des groupes de population minimaux.
60
25 Les requérants au principal, pharmaciens diplômés, souhaitaient
ouvrir une nouvelle pharmacie dans la Communauté autonome des Asturies,
sans toutefois se voir imposer le régime de planification territoriale
découlant du décret 72/2001.
26 Par conséquent, ils ont, dans le cadre de la première affaire au
principal, formé un recours contre la décision du 14 juin 2002, ainsi que
contre celle du Consejo de Gobierno del Principado de Asturias, du 10
octobre 2002, qui confirme la décision précédente.
27 Dans la seconde affaire au principal, ces mêmes requérants ont saisi
le Tribunal Superior de Justicia de Asturias d’un recours par lequel ils
attaquent la décision implicite relative à la réclamation introduite contre le
décret 72/2001 et, en particulier, contre ses articles 2, 4, 6 et 10 ainsi que
contre son annexe relative au barème de mérites.
28 Dans ces deux affaires, lesdits requérants ont contesté la légalité des
décisions susmentionnées et du décret 72/2001 notamment au motif que
ceux-ci ont pour effet d’empêcher l’accès des pharmaciens aux nouvelles
pharmacies dans la Communauté autonome des Asturies. Ce décret
prévoirait, en outre, des critères inadmissibles de sélection des titulaires de
nouvelles pharmacies.
29 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de
savoir si le régime prévu par le décret 72/2001 constitue une restriction à la
liberté d’établissement incompatible avec l’article 49 TFUE.
30 Dans ces circonstances, le Tribunal Superior de Justicia de Asturias a
décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle
suivante dans l’affaire C-570/07:
«L’article [49 TFUE] s’oppose-t-il aux articles 2, 3 et 4 du [décret 72/2001],
ainsi qu’aux points 4, 6 et 7 de l’annexe du décret susmentionné?»
31 Dans l’affaire C-571/07, le Tribunal Superior de Justicia de Asturias a
décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle
suivante:
«L’article [49 TFUE] s’oppose-t-il aux dispositions de la législation de la
Communauté autonome [...] des Asturies concernant l’autorisation
d’installation d’officines de pharmacie?»
…..
51 Dans ces conditions, les règles de droit interne concernées, relatives à
la répartition territoriale, doivent être examinées au regard des dispositions
du traité, et notamment de son article 49.
61
Sur la première partie des questions préjudicielles, relative aux conditions
principales liées à la densité démographique et à la distance minimale entre
les pharmacies
52 Par la première partie de ses questions, la juridiction de renvoi
demande, en substance, si l’article 49 TFUE s’oppose à une réglementation
nationale, telle que celle en cause au principal, qui impose des limites à la
délivrance d’autorisations d’établissement de nouvelles pharmacies, en
prévoyant que:
– dans chaque zone pharmaceutique, une seule pharmacie peut être
créée, en principe, par tranche de 2 800 habitants;
– une pharmacie supplémentaire ne peut être créée que lorsque ce seuil
est dépassé, cette pharmacie étant créée pour la fraction supérieure à 2 000
habitants, et
– chaque pharmacie doit respecter une distance minimale par rapport
aux pharmacies déjà existantes, cette distance étant, en règle générale, de
250 mètres.
Sur l’existence d’une restriction à la liberté d’établissement
53 Selon une jurisprudence constante, constitue une restriction au sens
de l’article 49 TFUE toute mesure nationale qui, même applicable sans
discrimination tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre
moins attrayant l’exercice, par les ressortissants de l’Union, de la liberté
d’établissement garantie par le traité (voir, en ce sens, arrêts du 14 octobre
2004, Commission/Pays-Bas, C-299/02, Rec. p. I-9761, point 15, et du 21
avril 2005, Commission/Grèce, C-140/03, Rec. p. I-3177, point 27).
54 Relève de cette catégorie, en particulier, une réglementation nationale
qui subordonne l’établissement d’une entreprise d’un autre État membre à la
délivrance d’une autorisation préalable, car celle-ci est susceptible de gêner
l’exercice, par une telle entreprise, de la liberté d’établissement en
l’empêchant d’exercer librement ses activités par l’intermédiaire d’un
établissement stable. En effet, ladite entreprise risque, d’une part, de
supporter les charges administratives et financières supplémentaires que
chaque délivrance d’une telle autorisation implique. D’autre part, le système
d’autorisation préalable exclut de l’exercice d’une activité non salariée les
opérateurs économiques qui ne répondent pas à des exigences
prédéterminées dont le respect conditionne la délivrance de cette
autorisation (voir, en ce sens, arrêt Hartlauer, précité, points 34 et 35).
55 Une réglementation nationale constitue par ailleurs une restriction
lorsqu’elle soumet l’exercice d’une activité à une condition tenant aux
besoins économiques ou sociaux auxquels cette activité doit satisfaire,
puisqu’elle tend à limiter le nombre de prestataires de services (voir, en ce
sens, arrêt Hartlauer, précité, point 36).
62
56 Dans les litiges au principal, il convient de relever, premièrement, que
la réglementation nationale subordonne la création d’une nouvelle
pharmacie à la délivrance d’une autorisation administrative préalable et que
celle-ci n’est en outre accordée qu’aux lauréats d’un concours.
57 Deuxièmement, cette réglementation permet, dans chaque zone
pharmaceutique, la création d’une seule pharmacie par tranche de
population de 2 800 habitants, une pharmacie supplémentaire ne pouvant
être créée que lorsque ce seuil est dépassé, et elle est créée pour la fraction
supérieure à 2 000 habitants.
58 Troisièmement, ladite réglementation s’oppose à ce que les
pharmaciens puissent exercer une activité économique indépendante dans
les locaux de leur libre choix, puisqu’ils sont tenus de respecter, en général,
une distance minimale de 250 mètres par rapport aux pharmacies déjà
existantes.
59 De telles règles ont ainsi pour effet de gêner et de rendre moins
attrayant l’exercice, par des pharmaciens d’autres États membres, de leurs
activités sur le territoire espagnol par l’intermédiaire d’un établissement
stable.
60 Par conséquent, une réglementation nationale telle que celle en cause
au principal constitue une restriction à la liberté d’établissement au sens de
l’article 49 TFUE.
Sur la justification de la restriction à la liberté d’établissement
61 Selon une jurisprudence constante, les restrictions à la liberté
d’établissement, qui sont applicables sans discrimination tenant à la
nationalité, peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt
général, à condition qu’elles soient propres à garantir la réalisation de
l’objectif poursuivi et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour
atteindre cet objectif (arrêts précités Hartlauer, point 44, ainsi que
Apothekerkammer des Saarlandes e.a., point 25).
62 Dans les affaires au principal, il convient de constater, en premier
lieu, que les règles en cause s’appliquent sans discrimination tenant à la
nationalité.
63 En deuxième lieu, il ressort de l’article 52, paragraphe 1, TFUE que
la protection de la santé publique peut justifier des restrictions aux libertés
fondamentales garanties par le traité telles que la liberté d’établissement
(voir, notamment, arrêts précités Hartlauer, point 46, ainsi que
Apothekerkammer des Saarlandes e.a., point 27).
64 Plus précisément, des restrictions à la liberté d’établissement peuvent
être justifiées par l’objectif visant à assurer un approvisionnement en
médicaments de la population sûr et de qualité (arrêts précités
63
Commission/Italie, point 52, ainsi que Apothekerkammer des Saarlandes
e.a., point 28).
65 L’importance dudit objectif est confirmée par les articles 168,
paragraphe 1, TFUE et 35 de la charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne en vertu desquels, notamment, un niveau élevé de protection de
la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes
les politiques et actions de l’Union européenne.
66 Il s’ensuit que l’objectif visant à assurer un approvisionnement en
médicaments de la population sûr et de qualité est susceptible de justifier
une réglementation nationale telle que celle en cause au principal.
67 En troisième lieu, il convient d’examiner si une telle réglementation
est propre à garantir cet objectif.
68 À cet égard, il y a lieu de relever, premièrement, que, compte tenu de
la marge d’appréciation rappelée au point 44 du présent arrêt, le fait qu’un
État membre impose des règles plus strictes en matière de protection de la
santé publique que celles établies par un autre État membre ne saurait
impliquer que ces règles sont incompatibles avec les dispositions du traité
relatives aux libertés fondamentales (voir, en ce sens, arrêt du 10 février
2009, Commission/Italie, C-110/05, Rec. p. I-519, point 65 et jurisprudence
citée).
69 Par conséquent, n’est pas déterminante pour la solution des présentes
affaires la circonstance que les États membres prévoient des règles
divergentes dans ce domaine et, plus particulièrement, que certains d’entre
eux ne restreignent pas le nombre de pharmacies pouvant être créées sur le
territoire national alors que d’autres limitent leur nombre en les soumettant
à des règles de planification géographique.
70 Deuxièmement, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence de
la Cour, des établissements et infrastructures sanitaires peuvent faire l’objet
d’une planification. Celle-ci peut comprendre une autorisation préalable
pour l’installation de nouveaux prestataires de soins, lorsqu’elle s’avère
indispensable pour combler d’éventuelles lacunes dans l’accès aux
prestations sanitaires et pour éviter la création de structures faisant double
emploi, de sorte que soit assurée une prise en charge sanitaire adaptée aux
besoins de la population, qui couvre l’ensemble du territoire et qui tienne
compte des régions géographiquement isolées ou autrement désavantagées
(voir, par analogie, arrêts du 12 juillet 2001, Smits et Peerbooms, C-157/99,
Rec. p. I-5473, points 76 à 80; du 16 mai 2006, Watts, C-372/04, Rec.
p. I-4325, points 108 à 110, ainsi que Hartlauer, précité, points 51 et 52).
71 Or, cette conclusion est pleinement transposable aux prestataires
sanitaires en matière de pharmacie.
64
72 Troisièmement, il convient de relever qu’il existe des agglomérations
qui pourraient être perçues par de nombreux pharmaciens comme très
rentables, et, partant, plus attractives, telles que celles situées dans les zones
urbaines. En revanche, d’autres parties du territoire national pourraient être
considérées comme moins attractives, telles que des zones rurales,
géographiquement isolées ou autrement désavantagées.
73 Dans ces conditions, il ne saurait être exclu que, en l’absence de toute
régulation, les pharmaciens se concentrent dans les localités jugées
attractives, de sorte que certaines autres localités moins attractives
souffriraient d’un nombre insuffisant de pharmaciens susceptibles d’assurer
un service pharmaceutique sûr et de qualité.
74 Quatrièmement, il y a lieu de rappeler que, lorsque des incertitudes
subsistent quant à l’existence ou à l’importance de risques pour la santé
publique, l’État membre peut prendre des mesures de protection sans avoir à
attendre que la réalité de ces risques soit pleinement démontrée (arrêt
Apothekerkammer des Saarlandes e.a., précité, point 30).
75 Dans ces circonstances, un État membre peut estimer qu’il existe un
risque de pénurie de pharmacies dans certaines parties de son territoire et,
par conséquent, de défaut d’approvisionnement en médicaments sûr et de
qualité.
76 Par suite, un État membre peut adopter, eu égard à ce risque, une
réglementation qui prévoit qu’une seule pharmacie peut être créée par
rapport à un certain nombre d’habitants (voir point 57 du présent arrêt).
77 En effet, une telle condition peut avoir pour effet de canaliser
l’implantation de pharmacies vers des parties du territoire national où
l’accès au service pharmaceutique est lacunaire puisque, en empêchant les
pharmaciens de s’implanter dans des zones déjà pourvues d’un nombre
suffisant de pharmacies, elle les invite ainsi à s’installer dans des zones dans
lesquelles il existe une pénurie de pharmacies.
78 Il s’ensuit que ladite condition est susceptible de répartir les
pharmacies d’une manière équilibrée sur le territoire national, d’assurer
ainsi à l’ensemble de la population un accès approprié au service
pharmaceutique, et, par conséquent, d’augmenter la sûreté et la qualité de
l’approvisionnement de la population en médicaments.
79 Ensuite, il convient de relever que la seule condition liée aux tranches
de population risque de ne pas permettre d’éviter une concentration des
pharmacies, au sein d’une zone géographique déterminée selon cette
condition, dans certaines localités attractives de cette zone. Or, une telle
concentration de pharmacies pourrait aboutir à la création de structures
faisant double emploi, alors que d’autres parties de la même zone pourraient
souffrir d’une pénurie de pharmacies.
65
80 Dans ces circonstances, il est loisible à un État membre de prévoir des
conditions supplémentaires qui viseraient à empêcher cette concentration,
en adoptant, par exemple, une condition telle que celle au principal, qui
impose des distances minimales entre les pharmacies.
81 En effet, cette condition permet d’éviter une telle concentration par sa
nature même, et elle est ainsi susceptible de répartir les pharmacies d’une
manière plus équilibrée au sein d’une zone géographique déterminée.
82 La condition liée à la distance minimale accroît aussi, par voie de
conséquence, la certitude des patients qu’ils disposeront d’une pharmacie à
proximité, et, par conséquent, qu’ils disposeront d’un accès facile et rapide
au service pharmaceutique approprié.
83 De telles conditions d’accès pourraient être considérées comme
nécessaires d’autant plus que, d’une part, l’administration de médicaments
peut s’avérer urgente et que, d’autre part, la clientèle des pharmacies
comprend des personnes à mobilité réduite, telles que des personnes âgées
ou gravement malades.
84 Ainsi, la condition liée à la distance minimale s’avère
complémentaire à celle liée aux tranches de population et, partant, elle peut
contribuer à la réalisation de l’objectif visant à répartir les pharmacies d’une
manière équilibrée sur le territoire national, assurer ainsi à l’ensemble de la
population un accès approprié au service pharmaceutique, et, par
conséquent, augmenter la sûreté et la qualité de l’approvisionnement de la
population en médicaments.
85 Enfin, il convient de relever que la poursuite de l’objectif visé par les
deux conditions susmentionnées est renforcée au travers de certains critères
intervenant, aux termes du décret 72/2001, lors de la phase de sélection des
titulaires de nouvelles pharmacies.
86 En effet, conformément au point 7, sous b), de l’annexe de ce décret,
en cas d’égalité résultant de l’application du barème de mérites en vertu
duquel les titulaires de nouvelles pharmacies sont sélectionnés, les
autorisations sont accordées selon un ordre qui donne une priorité, après les
catégories de pharmaciens figurant audit point 7, sous a), aux pharmaciens
qui ont été titulaires d’officines de pharmacie situées dans des zones ou des
municipalités dont la population est inférieure à 2 800 habitants.
87 Étant donné que les zones géographiques dont la population est
inférieure à 2 800 habitants sont généralement des zones considérées par les
pharmaciens comme moins attractives (voir point 72 du présent arrêt), ladite
condition de délivrance d’autorisation vise à encourager des pharmaciens à
s’implanter dans ces zones dans la perspective d’être récompensés
ultérieurement lors de l’octroi d’autres autorisations d’installation de
nouvelles pharmacies.
66
88 Cependant, les requérants au principal et la Plataforma para la Libre
Apertura de Farmacias font valoir que le régime en cause au principal ne
pourrait être considéré comme propre à atteindre l’objectif invoqué car il a
pour conséquence que certains pharmaciens sont privés de tout accès à
l’activité professionnelle indépendante alors que les pharmaciens établis sur
le marché bénéficient de profits disproportionnés.
89 Une telle argumentation ne saurait prospérer.
90 En effet, il convient de relever, tout d’abord, que la liberté
d’établissement des opérateurs économiques doit être mise en balance avec
les impératifs de la protection de la santé publique et que la gravité des
objectifs poursuivis dans ce domaine peut justifier des restrictions qui ont
des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs
(voir, en ce sens, arrêt du 17 juillet 1997, Affish, C-183/95, Rec. p. I-4315,
points 42 et 43).
91 Ensuite, il ressort du dossier que les autorités compétentes organisent
au moins une fois par an une procédure en vue de délivrer des autorisations
d’établissement de nouvelles pharmacies en fonction de l’évolution
démographique. Ainsi, par la décision du 14 juin 2002, la Communauté
autonome des Asturies a entamé une procédure en vue de l’octroi
d’autorisations d’installation de 24 nouvelles pharmacies sur son territoire à
partir de l’année 2002.
92 Enfin, selon le point 4 de l’annexe du décret 72/2001, ni l’expérience
professionnelle en tant que pharmacien titulaire ou cotitulaire d’une
pharmacie ni aucune autre catégorie de mérites ne sont prises en
considération lorsque l’une ou l’autre ont servi précédemment pour obtenir
une autorisation d’installation. De même, le point 7, sous a), de cette même
annexe énonce que, en cas d’égalité résultant de l’application du barème, les
autorisations sont accordées selon un ordre qui donne une priorité aux
pharmaciens qui n’ont pas été titulaires d’une officine de pharmacie.
93 Par ces critères, une telle réglementation nationale privilégie, dans ses
effets, les pharmaciens qui n’ont pas encore obtenu une autorisation
d’installation et elle vise, partant, à garantir à davantage de pharmaciens
l’accès à l’activité professionnelle indépendante.
94 S’il ressort de ce qui précède qu’une réglementation telle que celle en
cause au principal est en principe propre à atteindre l’objectif visant à
assurer un approvisionnement en médicaments de la population sûr et de
qualité, encore faut-il que la manière dont cette réglementation poursuit
ledit objectif ne soit pas incohérente. En effet, selon la jurisprudence de la
Cour, les différentes règles, ainsi que la législation nationale dans son
ensemble, ne sont propres à garantir la réalisation de l’objectif invoqué que
si elles répondent véritablement au souci d’atteindre celui-ci d’une manière
cohérente et systématique (voir, en ce sens, arrêts précités Hartlauer, point
55, ainsi que Apothekerkammer des Saarlandes e.a., point 42).
67
95 Dès lors, il convient d’examiner si le décret 72/2001 poursuit d’une
manière cohérente et systématique l’objectif visant à assurer un
approvisionnement en médicaments de la population sûr et de qualité
lorsqu’il fixe le nombre minimal d’habitants par pharmacie, en principe, à
2 800 ou à 2 000 et la distance minimale entre les pharmacies, en règle
générale, à 250 mètres. À cet égard, il y a lieu de tenir compte également de
la loi 16/1997, dès lors que le décret 72/2001 exécute cette loi.
96 Sur ce point, il convient de constater que les deux conditions prévues
par ce décret – applicables à l’ensemble du territoire concerné – sont
censées assurer un approvisionnement en médicaments de la population sûr
et de qualité sur la base des indications de nature forfaitaire qui tiennent
nécessairement compte des éléments démographiques ordinaires, considérés
comme moyens. Il s’ensuit que l’application uniforme des conditions ainsi
conçues risque de ne pas assurer un accès approprié au service
pharmaceutique dans des zones qui présentent certaines particularités
démographiques.
97 Tel peut être le cas, premièrement, dans certaines zones rurales dont
la population est généralement dispersée et moins nombreuse. Cette
particularité peut avoir pour effet que, si la condition du nombre minimal de
2 800 habitants était invariablement appliquée, certains habitants intéressés
se trouveraient hors de la portée locale raisonnable d’une pharmacie et
seraient ainsi privés d’un accès approprié au service pharmaceutique.
98 À cet égard, il convient de relever que la réglementation nationale
prévoit certaines mesures d’ajustement qui permettent d’atténuer les
conséquences de l’application de la règle de base de 2 800 habitants. En
effet, selon l’article 2, paragraphe 3, deuxième alinéa, de la loi 16/1997, les
communautés autonomes peuvent fixer des tranches de population plus
faibles que 2 800 habitants par pharmacie pour les zones rurales,
touristiques, de montagne ou pour les zones où, en raison de leurs
caractéristiques géographiques, démographiques ou sanitaires, l’application
des critères généraux ne permet pas d’assurer un service pharmaceutique et
rendre ainsi une pharmacie située dans une telle zone particulière plus
accessible pour le segment de la population l’entourant.
99 Deuxièmement, il s’avère qu’une stricte application de l’autre
condition du décret 72/2001, tenant à la distance minimale entre les
pharmacies, risque de ne pas assurer un accès approprié au service
pharmaceutique dans certaines zones géographiques à forte concentration
démographique. En effet, dans ces zones, la densité de population autour
d’une pharmacie peut nettement dépasser le nombre d’habitants fixé à titre
forfaitaire. Dans ces circonstances spécifiques, l’application de la condition
de la distance minimale de 250 mètres entre les pharmacies risquerait
d’aboutir à la situation dans laquelle le périmètre prévu pour une seule
pharmacie inclurait plus de 2 800 habitants – voire plus de 4 000 habitants
dans l’hypothèse visée à l’article 2, paragraphe 3, de la loi 16/1997. Partant,
il ne saurait être exclu que les habitants des zones ainsi caractérisées
68
puissent éprouver des difficultés, en raison de l’application stricte de la
règle tenant à la distance minimale, à accéder à une pharmacie dans des
conditions qui permettent d’assurer un service pharmaceutique approprié.
100 Cela étant, même dans un tel cas, ces conséquences peuvent être
atténuées par la mesure d’assouplissement prévue à l’article 2, paragraphe
4, de la loi 16/1997 selon lequel la distance minimale entre officines de
pharmacie est fixée «en règle générale» à 250 mètres, les communautés
autonomes pouvant autoriser, en fonction de la concentration de la
population, une distance inférieure entre les pharmacies et augmenter de
cette manière le nombre de pharmacies disponibles dans les zones à très
forte concentration de population.
101 À cet égard, il y a lieu de relever que, afin d’atteindre d’une manière
cohérente et systématique, dans un cas tel que celui décrit au point 99 du
présent arrêt, l’objectif visant à assurer un service pharmaceutique
approprié, les autorités compétentes pourraient même être amenées à
interpréter la règle générale comme une règle permettant d’accorder une
autorisation pour la création d’une pharmacie à une distance inférieure à
250 mètres non seulement dans des cas tout à fait exceptionnels, mais
chaque fois que l’application stricte de la règle générale de 250 mètres
risque de ne pas assurer un accès approprié au service pharmaceutique dans
certaines zones géographiques à forte concentration démographique.
102 Dans ces conditions, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier
si les autorités compétentes font un usage, dans le sens décrit aux points 98,
100 et 101 du présent arrêt, de l’habilitation offerte par de telles dispositions
dans toute zone géographique ayant des caractéristiques démographiques
particulières dans laquelle l’application stricte des règles de base de 2 800
habitants et de 250 mètres risquerait d’empêcher la création d’un nombre
suffisant de pharmacies susceptibles d’assurer un service pharmaceutique
approprié.
103 À la lumière de tout ce qui précède, il convient de constater que, sous
réserve des considérations énoncées aux points 94 à 100 du présent arrêt, la
réglementation en cause au principal s’avère propre à atteindre le but
poursuivi.
104 Il reste à examiner, en quatrième lieu, si la restriction à la liberté
d’établissement ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le
but invoqué, c’est-à-dire s’il n’existe pas des mesures moins attentatoires
pour y parvenir.
105 Sur ce point, les requérants au principal, la Plataforma para la Libre
Apertura de Farmacias et la Commission européenne font notamment valoir
qu’il suffirait de prévoir des règles fixant un nombre minimal de pharmacies
dans des zones géographiques déterminées (ci-après le «système ‘a
minima’»). De cette manière, aucune nouvelle implantation de pharmacie
ne serait certes autorisée – comme dans le système actuel – dans des zones
69
déjà pourvues d’un nombre suffisant de pharmacies, et ce jusqu’à ce que
chacune des zones géographiques déterminées dispose du nombre minimal
requis de pharmacies. Cependant, l’ouverture de nouvelles pharmacies
serait libre à partir du moment où chacune de ces zones disposerait de ce
nombre minimal de pharmacies.
106 À cet égard, il convient cependant de relever que, au regard de la
marge d’appréciation dont bénéficient les États membres en matière de
protection de la santé publique, mentionnée au point 44 du présent arrêt, un
État membre peut estimer que le système «a minima» ne permet pas
d’atteindre – avec la même efficacité que le système actuel – l’objectif
visant à assurer un approvisionnement en médicaments sûr et de qualité
dans les zones peu attractives.
107 Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que, dans le système actuel, le
facteur qui incite les pharmaciens à s’installer dans les zones dépourvues de
pharmacies résulte du fait qu’ils sont empêchés de s’implanter dans des
zones déjà pourvues d’un nombre suffisant de pharmacies, et ce en vertu
d’un critère démographique objectif, à savoir jusqu’au moment où la
population de ces zones augmente au-delà du seuil fixé. Ce système ne
laisse ainsi, en principe, aucun autre choix aux pharmaciens désireux
d’exercer une activité professionnelle indépendante que celui de s’installer
dans des zones dépourvues de pharmacies, dans lesquelles
l’approvisionnement de la population en médicaments est insuffisant et où
l’installation de pharmacies est donc autorisée.
108 Ensuite, il convient de constater qu’un État membre, tel que le
Royaume d’Espagne, peut légitimement aménager le système de répartition
territoriale à l’échelle régionale, c’est-à-dire conférer aux différentes
régions le soin d’organiser la répartition de pharmacies entre les zones
géographiques de leurs territoires respectifs.
109 Or, la situation dans les différentes régions peut se distinguer
considérablement en ce qui concerne l’installation de pharmaciens.
110 Plus précisément, il est envisageable que, au sein de certaines régions,
il existe une ou plusieurs zones géographiques dans lesquelles le nombre
minimal requis de pharmacies n’a pas encore été atteint. Ce n’est donc que
dans ces zones lacunaires que la possibilité de l’installation de nouvelles
pharmacies se présente.
111 En revanche, s’agissant d’autres régions, il peut y avoir la situation
dans laquelle toutes leurs zones géographiques sont déjà pourvues d’un
nombre minimal requis de pharmacies et – dans le système alternatif «a
minima» décrit au point 105 du présent arrêt – l’ensemble de leur territoire
serait donc ouvert à une libre installation de pharmaciens, y compris les
zones les plus attractives. Or, cette situation pourrait porter atteinte à
l’objectif national, tel qu’il ressort de la loi 16/1997, de canaliser les
pharmaciens vers des zones dépourvues de pharmacies dans quelque région
70
que ce soit. En effet, il ne saurait être exclu que les pharmaciens concernés
aient tendance à s’ajouter aux pharmaciens qui se sont installés dans les
régions saturées – et donc ouvertes à l’installation libre – au lieu
d’envisager une installation dans les zones dépourvues de pharmacies dans
les régions non saturées.
112 Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que la réglementation
en cause au principal va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre
l’objectif poursuivi.
113 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première partie
des questions posées que l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens
qu’il ne s’oppose pas, en principe, à une réglementation nationale, telle que
celle en cause au principal, qui impose des limites à la délivrance
d’autorisations d’établissement de nouvelles pharmacies, en prévoyant que:
– dans chaque zone pharmaceutique, une seule pharmacie peut être
créée, en principe, par tranche de 2 800 habitants;
– une pharmacie supplémentaire ne peut être créée que lorsque ce seuil
est dépassé, cette pharmacie étant créée pour la fraction supérieure à 2 000
habitants, et
– chaque pharmacie doit respecter une distance minimale par rapport
aux pharmacies déjà existantes, cette distance étant, en règle générale, de
250 mètres.
114 Cependant, l’article 49 TFUE s’oppose à une telle réglementation
nationale pour autant que les règles de base de 2 800 habitants ou de 250
mètres empêchent, dans toute zone géographique ayant des caractéristiques
démographiques particulières, la création d’un nombre suffisant de
pharmacies susceptibles d’assurer un service pharmaceutique approprié, ce
qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.
…..
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:
1) L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose
pas, en principe, à une réglementation nationale, telle que celle en cause
au principal, qui impose des limites à la délivrance d’autorisations
d’établissement de nouvelles pharmacies, en prévoyant que:
– dans chaque zone pharmaceutique, une seule pharmacie peut être
créée, en principe, par tranche de 2 800 habitants;
– une pharmacie supplémentaire ne peut être créée que lorsque ce
seuil est dépassé, cette pharmacie étant créée pour la fraction
supérieure à 2 000 habitants, et
71
– chaque pharmacie doit respecter une distance minimale par
rapport aux pharmacies déjà existantes, cette distance étant, en règle
générale, de 250 mètres.
Cependant, l’article 49 TFUE s’oppose à une telle réglementation
nationale pour autant que les règles de base de 2 800 habitants ou de
250 mètres empêchent, dans toute zone géographique ayant des
caractéristiques démographiques particulières, la création d’un
nombre suffisant de pharmacies susceptibles d’assurer un service
pharmaceutique approprié, ce qu’il appartient à la juridiction
nationale de vérifier.
…..
* * * * *
72
§ 5 LE MARCHE INTERIEUR SUISSE
Textes législatifs : Loi fédérale du 6.10.1995 sur le marché intérieur (LMI) (RS
943.02), FF 1995 IV 552 ss et 2005 461 ss ; Loi fédérale sur les entraves
techniques au commerce (LETC) (RS 946.51), FF 1995 IV 539 ss; LF sur la
formation professionnelle, RS 412.10 ; art. 34 ss TFUE.
Bibliographie : Message du Conseil fédéral du 23.11.1994, FF 1995 I
1193 ; Message relatif à la révision de la loi sur le marché intérieur, FF 2005 421;
E. SCHEIDEGGER, Schweiz-EG 92 : Mehr Wettbewerb durch den Binnenmarkt,
Coire/Zurich 1992; V. MARTENET/C. RAPIN, Le marché intérieur suisse, in
Cahiers Suisses de droit européen, n° 19, Berne/Zurich 1999; D. DREYER/B.
DUBEY, Effets de la libre circulation des personnes sur l’exercice des activités
soumises à autorisation, in L’adhésion de la Suisse à l’Union européenne, Zurich,
1998, p. 859 ss; Commentaire romand - Concurrence, LMI, p. 1239 ss; A.
AUER/V. MARTENET, La loi sur le marché intérieur face au mandat
constitutionnel de créer un espace économique unique - Avis de droit, DPC
2004/1, p. 277 ss.
5.1 LE LIBRE ACCES AU MARCHE
5.1.1 Généralités
187 La Loi fédérale sur le marché intérieur est fondée sur l’art. 95 Cst qui
donne à la Confédération la compétence de légiférer sur l’exercice des
activités économiques privées.
188 En vertu de l’al. 2 de cette disposition : la Confédération veille à créer un
espace économique suisse unique;
La Confédération a donc le devoir de prendre les mesures nécessaires à
cette fin.
189 Le but de la Loi sur le marché intérieur est clairement énoncé à l'art. 1er :
garantir à toute personne ayant son siège ou son établissement en Suisse
l'accès libre et non discriminatoire au marché, afin qu'elle puisse exercer
une activité lucrative.
190 Une activité lucrative ? Toute activité non régalienne (i.e. dont l’Etat ne
s’est pas réservé le monopole) ayant pour but un gain (art. 1er al. 3 LMI).
73
191 Comment garantir l'accès au marché ? Par les principes suivants :
- la suppression des dispositions et des mesures de nature
protectionniste édictées par les cantons et les communes; les cantons,
les communes et les autres organes assumant des tâches publiques
avaient un délai de deux ans dès l'entrée en vigueur de la loi en 1996
pour adapter leurs prescriptions (art. 11 LMI); cette disposition n’a
malheureusement eu que peu d’effets ;
- l'interdiction des mesures discriminatoires (art. 3 al. 1 let. a LMI) ;
- l'application du principe «Cassis-de-Dijon» (art. 2 al. 1 et 3 al. 2
LMI) ;
- la suppression des obstacles techniques (cf. LETC).
5.1.2 La suppression des obstacles techniques
192 La libre circulation des marchandises en Suisse était encore entravée par
de multiples obstacles techniques. La LF sur les entraves techniques,
adoptée en 1996 en même temps que la LF sur le marché intérieur, a pour
but de supprimer ces obstacles sur le marché suisse.
193 Cette loi – visant le marché intérieur – a été complétée sur le plan
extérieur par l'Accord relatif à la reconnaissance mutuelle en matière
d'évaluation de conformité signé entre la Suisse et l'UE en 1999 (entrée en
vigueur le 1er juin 2002 en même temps que les autres "accords
bilatéraux").
194 A noter que le principe "Cassis de Dijon", appliqué au sein du marché
intérieur européen et sur le marché suisse, ne peut être appliqué dans les
relations Suisse-UE car il n'existe pas d'institution, telle qu'un tribunal, qui
pourrait trancher les différents. Le Comité mixte n'a pas la même fonction
que la Cour de Justice des Communautés européennes par exemple.
195 Par contre, dans le but de faciliter les échanges entre la Suisse et l'UE, le
parlement suisse a adopté au printemps 2009 une modification de la LETC
par laquelle le principe "Cassis de Dijon" sera appliqué unilatéralement
par la Suisse à l'égard des produits européens (cf. ci-dessous 5.6).
5.1.3 Le principe "Cassis-de-Dijon"
A. Origine européenne du principe
74
196 Ce principe a été établi par la Cour de Justice des Communautés
européennes en application de l'art. 34 TFUE qui interdit les restrictions
quantitatives et les mesures d'effet équivalent (cf. ci-dessus § 4.3).
197 Selon ce principe, les produits fabriqués et commercialisés légalement
dans l'un des Etats membres doivent en principe être admis dans toute la
Communauté.
198 Certes, en l'absence de réglementation communautaire, les Etats membres
restent compétents pour édicter des prescriptions applicables sur leur
propre territoire. Mais les obstacles qui en résultent ne sont admissibles
que dans la mesure où ces prescriptions «peuvent être reconnues comme
étant nécessaires pour satisfaire à des exigences impératives tenant,
notamment à l'efficacité des contrôles fiscaux, à la protection de la santé
publique, à la loyauté des transactions commerciales et à la défense des
consommateurs» (Arrêt Cassis-de-Dijon).
B. Application du principe en Suisse
199 Dans la LMI, ce principe est énoncé à l'art. 2 qui limite les restrictions
possibles (art. 3). Toute personne a le droit d'offrir des marchandises ou
des services dans toute la Suisse pour autant que l'exercice de l'activité
lucrative en question soit licite au lieu où cette personne a son siège ou son
établissement (art. 2 al. 1 LMI).
200 C'est le canton de l'offreur qui détermine les éventuelles prescriptions
relatives à l'offre de marchandises ou de services. La marchandise dont la
mise en circulation est autorisée dans le canton de l'offreur peut être mise
en circulation dans toute la Suisse.
201 Aux termes de l’art. 2 al. 4 LMI, la liberté d’accès au marché selon les
prescriptions du lieu de provenance est étendue à l’établissement
commercial. Dès lors, des catégories professionnelles entières qui ne
pouvaient auparavant bénéficier de cette liberté d’établissement puisque
tributaires d’équipements fixes sur le lieu d’exécution de la prestation ont
désormais plus de mobilité. Concrètement, cela signifie que les personnes
concernées ne sont pas tenues de demander une autorisation au lieu de
destination pour exercer leur activité puisqu’elles peuvent exercer celle-ci
sur la base de l’autorisation délivrée au lieu du premier établissement.
202 La révision de la LMI a également ajouté à l’art. 2 LMI un alinéa 5 qui
fixe explicitement dans la loi la présomption (réfragable) d’équivalence
des règlementations cantonales et communales, qui est à la base de la
liberté d’accès au marché. L’inscription de ce principe dans la loi ne le
modifie pas, elle lui confère simplement plus de poids.
75
5.2 LES RESTRICTIONS A L'ACCES AU MARCHE
203 Des restrictions à la liberté d'accès au lieu de destination (de la
marchandise) ou de prestation des services ne peuvent être imposées que
si (art. 3 LMI) :
204 a) Ces restrictions s'appliquent de la même façon aux offreurs locaux
(principe de non-discrimination ou traitement national).
205 b) Ces restrictions sont indispensables à la préservation d'intérêts publics
prépondérants : Dans une précédente version, la LMI donnait une liste
exemplative d'intérêts prépondérants. Cette liste ne figure plus dans la
loi. Il a en effet été considéré qu’il n’était pas nécessaire de les préciser,
notamment en raison du fait qu’il s’agit des mêmes intérêts que ceux
admis par la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de
restrictions à la liberté économique. Il est cependant utile de la rappeler
pour concrétiser cette notion :
- protection de la vie et de la santé de l'être humain, protection des
animaux et des végétaux;
- protection de l'environnement;
- protection de la loyauté des échanges commerciaux et des consom-
mateurs;
- poursuite d'objectifs de politique sociale et énergétique;
- garantie d'un niveau de formation suffisant pour les activités
professionnelles soumises à autorisation.
206 Ces restrictions doivent respecter le principe de la proportionnalité;
l'art. 3 al. 2 LMI précise que ce principe n'est pas respecté si :
- la protection recherchée est déjà obtenue au moyen des
prescriptions applicables au lieu de provenance;
- les attestations de sécurité ou les certificats déjà produits par
l'offreur au lieu de provenance ne sont pas pris en compte.
207 Afin de bien se faire comprendre, le législateur ajoute (art. 3 al. 2 let. c
et 3 LMI) que :
76
- un siège ou un établissement au lieu de destination ne peuvent pas
être imposés à l’offreur comme condition pour pouvoir y exercer une
activité lucrative;
- les restrictions ne doivent en aucun cas constituer un obstacle
déguisé aux échanges ou destiné à favoriser les intérêts économiques
locaux.
5.3 LES ACTIVITES SOUMISES A AUTORISATION
5.3.1 Règles générales
A. Compétences fédérales
208 La LMI ne joue pas (ou plus) de rôle lorsque la compétence de
réglementer une profession est (ou est passée) en mains de la
Confédération.
209 C'est le cas pour certaines professions médicales pour lesquelles la
législation fédérale a prévu des certificats fédéraux et les conditions
d'obtention de ces certificats.
210 C'est aussi le cas pour l'exercice de la profession d'avocat :
- Alors même que les cantons fixent encore les exigences pour
l'obtention du brevet d'avocat (attestant la réussite des examens à la fin
du stage d'avocat) la Loi fédérale sur la libre circulation des avocats
(LLCA) a introduit le principe selon lequel un avocat inscrit à un
registre cantonal des avocats peut pratiquer la représentation en justice
dans toute la Suisse sans qu'une nouvelle autorisation ne soit nécessaire
(art. 4 LLCA).
- La LLCA fixe les conditions de formation (art. 7), les conditions
personnelles d'inscription au registre des avocats (art. 8), ainsi que les
règles professionnelles et la surveillance par les autorités (art. 12 à 20
LLCA).
211 De plus, exerçant la compétence conférée par la Constitution (art. 63) de
légiférer en matière de libre circulation professionnelle, la Confédération a
adopté la loi fédérale sur la formation professionnelle (RS 412.0).
B. Compétences cantonales
212 La LMI joue pleinement son rôle lorsque la compétence d'imposer un
certificat de capacité pour l'exercice de certaines activités est encore en
mains cantonales (art. 27 ss Cst).
77
213 Les cantons sont tenus, selon l’art. 196 ch. 5 Cst, à la reconnaissance
réciproque des titres sanctionnant une formation (une règle semblable
existait déjà dans la Constitution fédérale de 1874 !). De plus, la nouvelle
loi fédérale sur la formation professionnelle fixe – comme une directive
européenne – un cadre que les cantons doivent respecter.
214 Les cantons imposaient souvent, en plus des connaissances techniques ou
professionnelles établies par le certificat, des conditions personnelles.
Avant la LMI, les cantons exigeaient encore le dépôt d'une requête afin de
vérifier si ces conditions personnelles étaient remplies. Cette manière de
faire n'est plus possible avec la LMI.
215 L'art. 4 al. 4 LMI prévoit encore une règle très particulière dans
l'hypothèse où la reconnaissance de certificats est prévue dans un accord
intercantonal (concordat) puisque les dispositions du concordat
l'emportent sur la LMI !
5.3.2 La reconnaissance des certificats de capacité cantonaux
216 Le principe de la reconnaissance sur tout le territoire suisse des certificats
de capacité cantonaux étant déjà prévu par l'art. 196 ch. 5 Cst., il s'agit de
comprendre ce qu'apporte la loi sur le marché intérieur. Cet apport, à
l'art. 4 LMI, consiste dans la limitation des restrictions possibles puisque
celles-ci doivent respecter les règles de l'art. 3 LMI.
217 L’alinéa 3bis de l’art. 4 LMI prévoit en outre que : « La reconnaissance
de certificats de capacité pour les activités lucratives couvertes par
l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la
Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre
circulation des personnes est régie par cet accord ».
218 A l’avenir, la reconnaissance des certificats de capacité cantonaux devra
donc s’effectuer selon la procédure de reconnaissance de l’UE, les
accords intercantonaux restant réservés. Pour ce qui est de la
reconnaissance non réglée sur le plan cantonal, les mêmes règles
s’appliqueront sur le plan interne (entre cantons) et externe (UE).
219 La portée de l’alinéa 3bis dépendra toutefois de l’usage que fera la
Confédération, dans le cadre de la nouvelle loi sur la formation
professionnelle, de ses prérogatives en matière de réglementation.
220 S’agissant de la procédure de reconnaissance mise en place au sein de
l’UE, on distingue entre les directives générales et spéciales que la
Suisse a reprises dans son propre droit en signant l’accord sur la libre
circulation des personnes.
78
221 Les directives générales (p. ex. la directive 95/21/CE qui régit la
reconnaissance des métiers nécessitant une formation de 1 à 3 ans) se
fondent sur le principe de la confiance réciproque dans le système de
formation des autres Etats membres, alors que les directives spéciales
(par ex. la directive 77/452/CE reconnaissance de diplômes en matière
de soins infirmiers) se fondent sur le principe de l’harmonisation
préalable des systèmes de formation. En d’autres termes, une vérification
de la durée et des contenus des formations aura lieu dans le cas des
formations concernées par les directives générales tandis que les
diplômes pris en compte par les directives spéciales seront reconnus
d’office.
222 Il faut encore noter que l’accord sur la libre circulation des personnes a
été étendu aux dix nouveaux membres de l’UE en mai 2004 et ce,
également dans le domaine de la reconnaissance des diplômes.
5.4 LA MISE EN ŒUVRE PROCEDURALE
223 L’hypothèse est la suivante : une entreprise met en vente un produit ou
exerce une activité et l’autorité suisse intervient pour le motif que ce
produit ou cette activité n’est pas conforme aux prescriptions en vigueur
au lieu de vente ou d’exercice de l’activité.
224 En principe, l’autorité doit d’abord réunir des informations :
- sur la conformité du produit aux règles de l’Etat de provenance
- sur les diplômes du prestataire de service lorsque l’activité est
soumise à autorisation.
225 L’autorité ne peut pas instituer des contrôles faisant double emploi avec
les contrôles déjà effectués dans un autre Etat membre. L’autorité est
tenue de vérifier l’équivalence des niveaux de protection ou des
diplômes.
226 L’administration ne peut exiger que des produits satisfassent
littéralement et exactement aux mêmes dispositions ou caractéristiques
techniques prescrites en Suisse alors que les produits importés
garantissent objectivement le même niveau de protection. La règle est la
même mutatis mutandis pour la reconnaissance des diplômes.
227 Si l’autorité arrive à la conclusion que le produit n’est pas conforme ou
que la personne prestant le service n’a pas les qualifications requises, elle
prend une décision d’interdiction de la vente du produit ou d’exercice de
l’activité par la personne en cause.
79
228 Cette décision pourra faire l’objet d’un recours :
229 - devant un tribunal administratif cantonal lorsque c’est un organe de
l’administration cantonale qui a pris la décision ;
230 - devant le Tribunal administratif fédéral lorsque la décision a été prise
par une autorité administrative fédérale.
5.5 LE DROIT DE RECOURS DE LA COMCO
231 Le nouvel article 9 al. 2 bis LMI confère le droit à la Comco de faire
constater par un recours en matière de droit public (art. 82 ss LTF) qu’une
décision (cantonale ou communale) restreint indûment l’accès au marché.
232 L’art. 89 al. 2 lit. a LTF prévoit notamment que les départements fédéraux
ou, pour autant que le droit fédéral le prévoie, les unités qui leur sont
subordonnées, ont la qualité pour recourir si l’acte attaqué est susceptible
de violer la législation fédérale dans leur domaine d’attributions.
233 En vertu de l’art. 104 al. 2 LTF, la Comco peut donc, dès qu’elle a la
qualité pour recourir, faire usage des voies de recours cantonales et être
partie à une procédure devant n’importe quelle instance cantonale. Dans la
mesure où d’éventuels recours auprès d’instances communales peuvent
être qualifiées généralement de « voies de droit cantonales » au sens de
cette disposition, la Comco est assurée de disposer aussi d’un droit de
recours contre les décisions de première instance.
234 De plus, en vertu de l’art. 105 al. 4 LTF, le Conseil fédéral déterminera
par voie d’ordonnance les décisions devant être communiquée à la Comco
par les instances cantonales et communales.
235 Cependant, le droit de recours de la Comco sera restreint dans le domaine
des marchés publics aux décisions soulevant des questions d’importance
fondamentale et concernant des marchés excédent les valeurs seuils
déterminantes.
236 Il faut encore préciser que la Comco peut exercer son droit de recours
indépendamment d’un éventuel recours privé visant le respect de la liberté
d’accès au marché. L’aval des particuliers concernés n’est par ailleurs pas
nécessaire et le recours de la Comco n’interrompt pas le délai pour le
dépôt d’un recours individuel.
5.6 L'APPLICATION UNILATERALE DU PRINCIPE "CASSIS-DE-
DIJON"
80
5.6.1. Motifs de la révision de la LETC
237 Depuis 1992, le Conseil fédéral a poursuivi deux voies pour réduire les
entraves techniques au commerce :
- l'harmonisation autonome des prescriptions suisses avec le droit de
l'UE;
- la conclusion d'accords internationaux sur l'accès réciproque au
marché.
238 Malgré cela, un grand nombre d'entraves subsistent. Or, ces entraves
augmentent le prix des produits européens vendus en Suisse et rendent
plus difficiles les exportations suisses (les importations provenant de l'UE
représentent le 80 % des importations suisses et la majoration de prix est
de 10 à 25 %).
239 La modification législative ne s'applique pas pour les domaines dans
lesquels les réglementations suisses et européennes ne divergent pas, c'est-
à-dire sont déjà harmonisées. Evidemment, cette harmonisation résulte du
fait que la Suisse reprend telles quelles les normes européennes !
240 Des règles particulières sont prévues pour les denrées alimentaires (art. 16
c à e).
5.6.2. La modification de l'art. 16 LETC
241 Par la modification de l'art. 16 LETC, le législateur suisse a décidé
d'appliquer unilatéralement aux produits européens le principe "Cassis-de-
Dijon". L'application est dite unilatérale parce qu'elle est appliquée
indépendamment de ce que fait l'UE à l'égard des produits suisses.
A. Le principe et ses exceptions
242 Il est énoncé à l'art. 16 a LETC
243 "Les produits qui ne satisfont pas aux prescriptions techniques suisses
peuvent être mis sur le marché :
a) s'ils ont été fabriqués conformément aux prescriptions techniques de la
Communauté européenne (CE) et, lorsque le droit de la CE n'est
harmonisé ou ne fait l'objet que d'une harmonisation incomplète,
conformément aux prescriptions techniques d'un Etat membre de la CE
ou de l'Espace économique européen (EEE);
b) s'ils sont légalement sur le marché de l'Etat membre de la CE ou de
l'EEE visé à la let. a, et
81
c) s'ils ne présentent aucun risque majeur pour des intérêts publics
prépondérants au sens de l'art. 4, al. 4, let. a à e, lorsqu'ils sont utilisés
dans des conditions normales ou raisonnablement prévisibles."
244 Sont exceptés les produits soumis à homologation tels que les
médicaments, et les substances soumises à notification tels que les
produits chimiques. Il en va de même pour les produits dont l'importation
requiert une autorisation préalable (p. ex. LF sur le matériel de guerre ou
LF sur les épizooties – grippe aviaire !). Des procédures simplifiées sont
mises en place dans ces cas-là.
245 La loi prévoit aussi des exceptions pour les cas dans lesquels les prescrip-
tions suisses sont maintenues.
246 L'application unilatérale du principe "Cassis-de-Dijon" ne se fait pas pour
les produits pour lesquels le Conseil fédéral arrête une exception (art. 16a
al. 2 let. e LETC).
247 Lors de la préparation de la révision de la LETC, le Conseil fédéral a
procédé à un examen complet des prescriptions techniques suisses. Dans
un premier temps, 129 divergences ont été annoncées par l'administration
fédérale.
- Après un premier examen interne, 69 divergences ont été soumises lors
de la mise en circulation du projet;
- Finalement, lors de l'adoption du texte légal pour le soumettre au
Parlement, le Conseil fédéral n'a retenu que 18 exceptions :
-- Dans 5 cas, il a confirmé le maintien des prescriptions suisses :
"- interdiction du plomb dans les peintures et les vernis;
- prescriptions de sécurité relatives aux produits pour les chemins
de fer;
- mention de la teneur en alcool pour les boissons alcoolisées
sucrées;
- marques de contrôle des boissons distillées destinées à la
consommation;
- mention de la raison sociale, du prix de vente au détail et des
mises en garde combinées sur les produits du tabac et produits
contenant des succédanés de tabac destinés à être fumés."
-- Dans 13 cas, l'exception s'appliquera de manière restreinte ou
seulement à titre provisoire :
82
"- installations de combustion alimentées à l'huile, au gaz, au bois et
au charbon: exigence de qualité de l'air;
- identification d'une entreprise suisse à titre de personne
responsable de la mise sur le marché sur l'étiquette des substances
et préparations et sur la fiche de données de sécurité;
- substances stables dans l'air (gaz à effet de serre): limitations,
prescriptions en vue de prévenir les émissions et prescriptions sur
le marquage;
- interdiction des paraffines chlorées à chaînes courtes dans les
peintures et les vernis, les mastics, les textiles ainsi que les
matières plastiques et les caoutchoucs;
- exigences posées au bois traité avec des produits pour la
conservation du bois et aux matériaux en bois;
- interdiction des phosphates et limitation des agents complexants
dans les lessives et produits de nettoyage;
- titre, désignation et contrôle des ouvrages en métaux précieux;
- déclaration de l'élevage en batterie, non admis en Suisse;
- obligation de déclarer les mélanges involontaires avec des
substances allergènes dans les denrées alimentaires;
- exigences concernant la combustibilité des produits textiles
(articles vestimentaires, rideaux, voilages);
- exigences concernant les déperditions de chaleur des chauffe-eau,
des réservoirs d'eau chaude et des accumulateurs de chaleur;
- mention du pays de production des denrées alimentaires;
- mention du pays de production des matières premières des
denrées alimentaires."
248 Les précisions relatives au caractère restreint ou temporaire de la
restriction seront données dans l'ordonnance du Conseil fédéral qui sera
adoptée lors de la mise en œuvre de la révision de la LETC.
B. Les entreprises européennes
249 Les entreprises européennes peuvent donc exporter leurs produits sur le
marché suisse pour autant que :
- le produit a été fabriqué conformément aux prescriptions techniques
applicables dans son pays (prescriptions harmonisées ou prescriptions
de l'Etat de provenance);
- le produit a été légalement mis sur le marché de l'Etat membre;
83
- le produit ne présente pas un risque majeur pour des intérêts publics
prépondérants.
250 La règle s'applique tant aux marchandises fabriquées et légalement mises
sur le marché dans un Etat membre de l'UE qu'aux marchandises
provenant d'un autre Etat et qui satisfont au droit communautaire ou aux
prescriptions d'un Etat membre.
251 Il faut que le producteur européen soit effectivement actif sur le marché
européen et que la marchandise soit légalement sur le marché (l'art. 20
LETC explique la marche à suivre pour la surveillance du respect des
conditions légales).
C. Les entreprises suisses exportant en Europe
252 Les sociétés suisses qui exportent en Europe respectent la réglementation
européenne (harmonisée ou existante dans le pays d'exportation). Ces
entreprises, en application de l'art. 16a LETC peuvent écouler les mêmes
marchandises sur le marché suisse même si elles ne satisfont pas aux
règles suisses éventuellement divergentes.
D. Les autres entreprises suisses
253 L'application de l'art. 16a LETC aux entreprises suisses exportant sur le
marché européen crée une discrimination par rapport aux entreprises
suisses dont l'activité est limitée au marché suisse dans la mesure où
celles-ci doivent, selon les cas, respecter des normes suisses plus
contraignantes. Afin de réduire les effets de cette discrimination, le
législateur a adopté l'art. 16b LETC :
- lorsque les producteurs suisses constatent une telle discrimination péna-
lisant leurs produits, ils peuvent en informer le SECO;
- le SECO peut proposer de supprimer ou modifier les prescriptions
techniques suisses divergentes;
- le Conseil fédéral peut, dans les cas de rigueur, prévoir une
autorisation, limitée dans le temps, de produire et de vendre sur le
marché suisse selon les normes européennes.
* * * * *
84
2ème
partie
L'EXERCICE DE LA CONCURRENCE
ET LA PROTECTION DU MARCHE
Dans cette deuxième partie, après avoir précisé le champ d’application du droit de la
concurrence (Chapitre 3), il s’agira d’examiner à quelles conditions les entraves à la
concurrence sont illicites (Chapitre 4) et de quelle manière on procède pour appliquer ce
droit (Chapitre 5).
Chapitre 3
LE CHAMP D'APPLICATION DU DROIT DE LA CONCURRENCE
Le droit de la concurrence ne s’applique pas à tous les acteurs économiques et il vise un
but spécifique. C’est pourquoi, il faut délimiter le champ d’application matériel et le
champ d’application personnel et géographique, du droit de la concurrence.
§ 6 LES CHAMPS D'APPLICATION MATERIEL, PERSONNEL ET
GEOGRAPHIQUE
Textes législatifs : art. 2 à 4 LCart.; art. 1 et 2 LCD; art. 1 et 2 Loi fédérale
concernant la surveillance des prix (LSPr) (RS 942.20); art. 101 et 102 TFUE.
Bibliographie : P.-A. KILLIAS, CR Concurrence, Art. 2 et Art. 3; E. CLERC, CR
Concurrence, Art. 4; B. GOLDMAN/A. LYON-CAEN/L. VOGEL, Droit commercial
européen, 5e éd., Paris 1994; Traité de droit européen, Juris-Classeur; B.-A.
85
GENESTE, Pratiques restrictives de concurrence, Ententes anticoncurrentielles,
Champ d'application, in Juris classeur, Europe, 4, Paris 1996.
254 Le champ d’application de la loi sur les cartels est précisé aux art. 2 à 4 LCart. ; la
loi s’applique :
- aux entreprises (cf. ad 6.3 ci-dessous) ;
- aux entreprises qui, par une entente (6.2.1), une position dominante (6.2.2) ou
une opération de concentration (6.2.3) exercent une influence sur le marché ;
- aux entreprises qui ont des effets en Suisse (6.4).
255 En droit européen, les mêmes critères sont utilisés ; s’y ajoute celui de
l’affectation du commerce entre les Etats membres (6.5).
256 La loi réserve quelques domaines auxquels la loi sur les cartels ne s’applique pas
(6.1).
6.1 ACTIVITES NON SOUMISES AU DROIT DE LA
CONCURRENCE
6.1.1 Les règles de la propriété intellectuelle
257 Selon l’art. 3 al. 2 LCart., la loi ne s’applique pas aux effets sur le
concurrence qui découlent exclusivement des lois sur la propriété intellec-
tuelle. En effet, le titulaire d’un brevet se voit reconnaître le droit exclusif
d’exploiter le procédé de fabrication décrit par le brevet ; ce titulaire du
brevet bénéficie ainsi, de par la loi, d’une position dominante. Cette
situation est justifiée par la volonté de protéger les investissements faits
dans la recherche et le développement industriel.
258 Cette exemption est cependant strictement limitée au droit de l’usage
exclusif du brevet, lequel comprend le droit d’accorder une licence.
Cependant le droit exclusif accordé par la loi sur les brevets n’a pas pour
but de permettre au titulaire du brevet de mettre en place un cloisonnement
commercial du marché par des accords qui dépassent le droit d’usage du
brevet. C’est le sens de l’art. 3 al. 2 LCart.
259 La question des effets sur la concurrence découlant exclusivement de la
législation sur la propriété intellectuelle ou plutôt de la manière d'user de
ses droits est liée à la problématique de l'épuisement des droits.
260 Selon le principe de l'épuisement du droit, le titulaire du brevet a "épuisé"
son droit sur l'objet du brevet dès qu'il a mis licitement et volontairement
86
l'objet sur le marché. A la suite de cette première mise sur le marché, le
titulaire ne peut plus se fonder sur le brevet pour contrôler la "circulation"
de l'objet sur le marché.
261 Les milieux intéressés ont longtemps débattu la question de l'étendue
géographique de l'épuisement :
- s'il n'est que national, le titulaire peut encore s'opposer à l'arrivée sur le
marché d'un objet provenant d'un autre pays (alors même que cet objet
aurait été licitement mis sur le marché par le titulaire lui-même);
- si l'épuisement est international, le titulaire ne peut plus s'opposer à
l'arrivée d'un produit licitement mis sur le marché par lui-même dans un
autre pays;
- on parle d'un épuisement régional lorsque l'effet de l'épuisement
s'étend aux pays d'une organisation régionale telle que l'Union
européenne ou l'Espace économique européen.
262 En Suisse, alors que la législation ne traitait pas de cette question, le
Tribunal avait décidé d'appliquer le principe de l'épuisement international
pour les marques, mais celui de l'épuisement national pour les brevets.
263 En 2008, la loi suisse sur les brevets d'invention a été modifiée sur ce
point (entrée en vigueur le 1er juillet 2009) :
- le principe de l'épuisement régional s'applique dorénavant aussi aux
brevets; ce principe est appliqué unilatéralement, c'est-à-dire sans
convenir du principe de réciprocité) :
"Lorsqu'une marchandise brevetée est mise en circulation en Suisse ou
dans l'Espace économique européen par le titulaire du brevet ou avec
son accord, elle peut être importée et utilisée ou revendue en Suisse à
titre professionnel" (art. 9 a al. 1 LBI)
- exception : le principe de l'épuisement national continue à s'appliquer
pour les biens dont le prix est fixé par l'Etat, notamment les
médicaments :
"Nonobstant les al. 1 à 4, une marchandise brevetée ne peut être mise
en circulation en Suisse qu'avec l'accord du titulaire du brevet lorsque,
en Suisse ou dans le pays de mise en circulation, le prix de cette
marchandise est imposée par l'Etat." (art. 9 a al. 5 LBI)
6.1.2 Marchés de caractère étatique
264 Il est des domaines d’activités économiques pour lesquels l’Etat établit des
règles particulières qui dérogent à la concurrence; c'est le cas par exemple
pour les domaines suivants :
87
- télécommunications
- secteur laitier
- trafic aérien de ligne
- activité de notaire
265 (Certains secteurs qui échappent à la concurrence restent soumis à la
surveillance des prix, RS 942.20)
266 L’art. 3 al. 1 LCart. précise la notion de « prescriptions qui excluent de la
concurrence certains biens ou services » en indiquant que ce sont celles
qui :
- établissent un régime de marché ou un régime de prix de caractère
étatique; dans une affaire concernant Météosuisse, unité administrative
de l'administration fédérale, le TF a jugé que lorsque l'Etat intervient
souverainement et se fait rétribuer les prestations de services qu'il
fournit sur la base d'un tarif, la LCart ne s'applique pas. Le fait que
l'unité administrative soit gérée par mandat de prestations et enveloppes
budgétaires n'y change rien, tant qu'elle n'est pas autonome du point de
vue organisationnel et demeure dans la hiérarchie administrative (ATF
127 II 32 = JdT 2004 I 131).
- accordent des droits spéciaux à des entreprises chargées de l’exécution
de tâches publiques; par exemple l'instauration d'un monopole de droit
en faveur des Services Industriels genevois pour l'approvisionnement et
la distribution d'électricité (ATF 132 I 282); par la suite, la portée de ce
monopole a été modifiée par l'entrée en vigueur de la LF sur
l'approvisionnement en électricité.
La qualité d'entreprise suppose l'indépendance économique et juridique
(art. 2).
267 Malgré cela, l’application de ces règles soulève bien des difficultés en
pratique.
6.2 ACTIVITES SOUMISES AU DROIT DE LA CONCURRENCE
268 Le droit suisse, comme le droit européen, de la concurrence s’applique aux
entreprises capables d’exercer une influence sur le marché. La notion
« d’entreprise » sera traitée ci-dessous sous point 6.3.
269 L’influence sur le marché peut résulter d’une entente passée entre
plusieurs entreprises (6.2.1), d’une position dominante (6.2.2) ou d’une
opération de concentration (6.2.3).
88
6.2.1 Les ententes
270 Selon l’art. 4 LCart., les ententes (« accords en matière de concurrence »)
sont :
- les conventions, avec ou sans force obligatoire
- les pratiques concertées.
A. Les conventions
271 Une convention avec force obligatoire passée entre deux entreprises est
un contrat au sens de l’art. 1er CO. La convention peut aussi résulter d’une
décision prise par une association d’entreprises ou de sociétés auxquelles
des entreprises participent en qualité d’associés.
272 La loi distingue les conventions avec force obligatoire et celles sans force
obligatoire, mais sans prévoir des conséquences différentes à ces ententes.
Autrement dit, les deux types de conventions sont soumis à la loi. (Une
convention sans force contraignante n’est pas un contrat ; une partie à la
convention ne peut pas exiger une réparation à l’égard d’une autre partie
qui ne respecterait pas la convention). Les conventions sans force
obligatoire sont parfois appelées « gentlemen’s agreement » ou
« Frühstückskartell ». Etant donné que ces conventions sont souvent
informelles, elles sont difficiles à prouver.
B. Les pratiques concertées
273 Les pratiques concertées ne résultent pas non plus d’un accord formel
entre les entreprises. Ces pratiques donnent lieu à une adaptation
simultanée du comportement des entreprises qui ont précédemment
échangé des informations : annonce d’une augmentation ou d’une baisse
de prix, adoption d’un nouveau standard, recommandations données aux
distributeurs.
274 La pratique concertée doit être distinguée du comportement parallèle qui
ne tombe pas dans le champ d’application de la loi.
275 Qu’en est-il des recommandations adoptées par une association
professionnelle ? Peut-on considérer qu’elles n’entrent pas dans le champ
d’application de la loi alors que celle-ci ne les mentionne pas ? Selon le
principe de base, la loi s’applique à tout comportement qui a pour objet
ou pour effet de restreindre la concurrence. En conséquence, dans la
mesure où les membres de l’association suivent effectivement les recom-
mandations et que celles-ci peuvent avoir pour effet de restreindre la
concurrence, ces recommandations entrent dans le champ d’application de
la loi.
89
6.2.2. Les positions dominantes
276 La puissance sur le marché n’est pas illicite aussi longtemps qu’elle
résulte de pratiques orientées sur la performance et que la concurrence est
capable de l’entamer. La loi ne s’applique que si une entreprise domine le
marché.
277 Selon la loi suisse, une position dominante est acquise lorsque l’entreprise
concernée peut se comporter de manière essentiellement indépendante
par rapport aux autres participants au marché (art. 4 al. 2). L’existence
d’une position dominante dépendra :
- de la structure du marché ;
- du nombre et de la qualité des concurrents potentiels ;
- des barrières d’entrée sur le marché.
278 Selon l’art. 4 al. 2 LCart., la position dominante peut être détenue par une
ou plusieurs entreprises. On parle alors d’une position dominante
collective (duopole ou oligopole).
Un groupe de sociétés – société holding et filiales – ne constitue pas une position dominante
collective car les filiales ne jouissent pas d’une autonomie suffisante pour déterminer leurs
modes d’actions sur le marché.
A noter aussi que l’oligopole peut – selon les circonstances du marché – présenter une
structure de marché où la concurrence fonctionne de manière particulièrement efficace
(chaque acteur réagit rapidement aux actions de ses rivaux) ou présenter le risque de pratiques
parallèles ou concertées.
6.2.3. Les concentrations d’entreprises
A. Principe
279 Une position dominante peut résulter d’une opération de concentration.
Celle-ci résultant d’un accord entre deux ou plusieurs entreprises pourrait
aussi tomber dans le champ d’application de l’art. 5 LCart. Toutefois, la
procédure d’examen des ententes selon cette disposition n’est pas idéale
pour les entreprises qui souhaitent savoir le plus rapidement possible si
l’opération de concentration projetée peut être réalisée. C’est pourquoi, les
autorités de la concurrence (aussi bien européennes que suisses) ont mis
en place des procédures de contrôle des concentrations.
280 Selon ces règlements, les entreprises concernées ont l’obligation
d’annoncer l’opération de concentration (cf. § 9.2.1) ; elles ne peuvent se
contenter d’attendre que l’autorité administrative ouvre une enquête
comme c’est le cas pour la violation présumée de l’art. 5 LCart. Au vu de
cette obligation, il importe de
- définir ce qu’est une opération de concentration ;
90
- déterminer un « seuil d’intervention » (taille de l’opération).
B. Notion
281 Le contrôle s’applique à :
- la fusion de deux ou plusieurs entreprises ;
- toute opération de prise de contrôle direct ou indirect, pour autant que
les entreprises concernées soient d’une certaine importance sur le
marché suisse.
C. Seuils d’intervention
a) Droit suisse
282 Selon l’art. 9 LCart., les entreprises concernées sont d’une importance
suffisante pour justifier l’exigence de notification à la Comco de
l’opération de fusion lorsque :
- ces entreprises ont réalisé ensemble – en Suisse et à l’étranger – un
chiffre d’affaires minimum de 2 milliards de francs ou un chiffre
d’affaires en Suisse d’au moins 500 millions de francs (art. 9 al. 1
let. a LCart.) ;
- au moins deux des entreprises concernées ont réalisé
individuellement en Suisse un chiffre d’affaires minimum de 100
millions de francs.
283 Pour les sociétés d’assurances, au lieu du chiffre d’affaires, c’est le
montant total des primes brutes annuelles qui est pris en compte.
284 Pour les banques soumises à la loi fédérale sur les banques et les
caisses d’épargne, c’est le 10 % de la somme du bilan qui est retenu
comme critère.
285 Nonobstant ces critères, la notification à la Comco est obligatoire
lorsqu’il a été établi d’une autre manière qu’une des entreprises occupe
une position dominante en Suisse et que la concentration concerne ce
marché.
b) Droit européen
286 1) La concentration est réputée de dimension communautaire
lorsque :
- le chiffre d’affaires total réalisé sur le plan mondial par
l’ensemble des entreprises concernées est supérieur à 5
milliards d’euros, et
91
- le chiffre d’affaires total réalisé individuellement dans l’Union
européenne par au moins deux des entreprises concernées est
supérieur à 250 millions d’euros,
287 2) à moins que chacune des entreprises concernées réalise plus de
deux tiers de son chiffre d’affaires dans l’Union européenne à
l’intérieur d’un seul et même Etat membre.
288 3) La concentration qui n’atteint pas les seuils sus-indiqués reste de
dimension communautaire lorsque :
- le chiffre d’affaires réalisé sur le plan mondial par l’ensemble
des entreprises concernées est supérieur à 2,5 milliards d’euros ;
- dans chacun d’au moins trois Etats membres, le chiffre
d’affaires réalisé par toutes les entreprises concernées est
supérieur à 100 millions d’euros ;
- dans chacun d’au moins trois Etats membres - selon point 2 - le
chiffre d’affaires total réalisé individuellement par au moins
deux des entreprises concernées est supérieur à 25 millions
d’euros, et
- le chiffre d’affaires total réalisé individuellement dans l’Union
européenne par au moins deux des entreprises concernées
représente un montant supérieur à 100 millions d’euros.
6.3 LES ENTREPRISES CONCERNEES PAR LE DROIT DE LA
CONCURRENCE
6.3.1 La notion d’entreprise
289 Le droit suisse et le droit européen s'appliquent aux entreprises.
Cependant, ni la loi suisse, ni le Traité de l'UE ne définissent cette notion.
290 Selon le message du Conseil fédéral (lors du projet de modification de la
LCart en 1995), une "entreprise", c'est "tout acteur qui produit des biens et
des services et participe ainsi de manière indépendante au processus
économique, que ce soit du côté de l'offre ou de la demande".
291 La loi ne s'applique donc pas aux consommateurs, ni aux rapports entre
les travailleurs et l'entreprise (qui sont souvent réglés par des conventions
collectives).
292 L'art. 101 TFUE utilise également l'expression "entreprise", définie de
manière extensive par les autorités communautaires.
92
293 Certaines entreprises sont écartées en raison de l'objet de leurs activités : 294
- produits agricoles
- transports (certains types de transports maritimes internationaux; les
services de transports maritimes assurés exclusivement entre des ports
situés dans un même Etat membre; les transports aériens entre les
aéroports de la Communauté et des pays tiers).
6.3.2 Entreprises exerçant une influence sur le marché
295 Les entreprises sont soumises au droit de la concurrence pour autant
qu'elles exercent une certaine influence sur le marché :
A. Droit suisse
296 L'art. 5 LCart. vise les comportements des entreprises qui affectent la
concurrence de manière notable.
297 La Comco a publié une communication sur les accords entre PME
(communication relative aux accords ayant pour but d'améliorer la
compétitivité et dont l'impact sur le marché est restreint). Selon cette
communication, les accords en matière de concurrence ayant pour but
l'amélioration de la compétitivité sont en principe admissibles lorsque :
- les parts de marché cumulées des entreprises parties à un accord
horizontal ne dépassent pas 10 % de chacun des marchés de référence
concernés par l'accord;
- les parts de marché détenues par chacune des entreprises parties à un
accord vertical sur les marchés concernés par l'accord ne dépassent pas
15 %.
298 De même, la Comco considère comme n'affectant pas la concurrence de
manière notable les accords entre petites entreprises (moins de 10
collaborateurs et chiffre d'affaires annuel ne dépassant pas CHF 2 mio).
299 Toutefois, ces règles ne s'appliquent pas si des accords horizontaux
concernent :
- la fixation directe ou indirecte des prix
- des restrictions quantitatives
- une répartition des marchés
300 ou si des accords verticaux ont pour objet :
- un prix de vente minimum
- une protection territoriale absolue
93
B. Droit européen
301 En droit européen, ne sont visés que les accords ou pratiques concertées
"susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres".
302 La Commission européenne a publié une Communication définissant les
accords dont il peut être présumé qu'ils ne sont pas "susceptibles d'affecter
le commerce entre les Etats membres" (art. 101 al. 1 TFUE). C'est le cas
lorsque les produits ou services objets de l'accord ne représentent pas plus
de 5 % de l'ensemble des produits et services sur le territoire européen où
l'accord produit ses effets et le chiffre d'affaires total des entreprises à
l'accord ne dépasse pas 200 millions d'euros.
6.3.3 Entreprises de droit public ou de droit privé
303 En principe, toute restriction de la concurrence doit être évitée. Peu
importe que la restriction soit le fait d'une entreprise de droit privé ou
organisée selon le droit public :
- "Est soumise à la présente loi toute entreprise engagée dans le
processus économique qui offre ou qui acquiert des biens ou des
services, indépendamment de son organisation ou de sa forme
juridique." (art. 2 al. 1 bis LCart.)
- "Une organisation unitaire d'éléments personnels, matériels et
immatériels, rattachés à un sujet juridiquement autonome et
poursuivant d'une façon durable un but économique déterminé." (CJCE
13.7.1962, Mannesman AG, aff. 19/61 Rec. p. 677).
6.4. LE TERRITOIRE CONCERNE
6.4.1 Délimitation du territoire
304 Le droit de la concurrence s’applique aux entreprises dont le siège est situé
dans le territoire de l’ordre juridique concerné (suisse ou européen).
305 Selon les art. 52 TUE et 355 TFUE, le droit européen s’applique sur tout
le territoire des Etats membres de l’Union, lors même que certaines parties
de ce territoire se trouveraient en dehors du continent européen, par
exemple :
- les départements français d’Outre-Mer (la Guyane, la Guadeloupe, la
Martinique, la Réunion),
- les Açores, Madère, les Iles Canaries (Portugal).
94
306 Les règles du droit européen de la concurrence s’appliquent également
dans les Etats membres de l’Espace économique européen (Islande,
Norvège, Liechtenstein), en application du Traité signé entre ces pays et
l’Union européenne.
307 Le droit européen de la concurrence est-il applicable en Suisse ?
308 La Suisse a signé avec l’Union européenne un Accord de libre échange, en
1972, dont l’art. 23 a la teneur suivante :
1. Sont incompatibles avec le bon fonctionnement de l’accord, dans la
mesure où ils sont susceptibles d’affecter les échanges entre la
Communauté et la Suisse:
i) tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations
d’entreprises et toutes pratiques concertées entre entreprises qui
ont pour objet ou effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le
jeu de la concurrence en ce qui concerne la production et les
échanges de marchandises;
ii) l’exploitation abusive par une ou plusieurs entreprises d’une
position dominante sur l’ensemble des territoires des Parties
contractantes ou dans une partie substantielle de celui-ci;
iii) toute aide publique qui fausse ou menace de fausser la
concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines
productions.
2. Si une Partie contractante estime qu’une pratique donnée est
incompatible avec le présent article, elle peut prendre les mesures
appropriées dans les conditions et selon les procédures prévues à
l’article 27.
6.4.2 Application « extra-territoriale » ?
309 Le droit de la concurrence s’applique-t-il également à des entreprises dont
le siège est à l’extérieur des frontières de l’ordre juridique concerné mais
dont les effets sont ressentis à l’intérieur dudit ordre juridique ? La
question se pose de la même manière pour les ententes, pour les positions
dominantes et pour les opérations de concentrations d’entreprises.
310 Les autorités suisses et européennes ne s’en tiennent pas au critère du
siège. L’élément déterminant est celui du lieu où est ressenti l’effet anti-
concurrentiel voulu par les entreprises. Si un état de fait (entente, par
exemple) est réalisé à l’étranger mais produit des effets en Suisse, la loi
95
suisse sur les cartels s’applique (art. 2 al. 2 LCart.). Les autorités
européennes suivent le même principe.
311 On parle alors parfois d’application extra-territoriale du droit de la
concurrence. En fait, le droit s’applique aux effets ressentis à l’intérieur du
territoire concerné. Cependant, l’expression « d’application extra-
territoriale » souligne la problématique de l’exécution des décisions, voire
des sanctions, prises à l’encontre d’une entité juridique installée en dehors
du territoire concerné. La réponse viendra le plus souvent de la décision de
l’entreprise extérieure de reconnaître la compétence de l’autorité
administrative concernée dans le but de pouvoir poursuivre des activités
commerciales dans le territoire concerné.
6.5. DROIT EUROPEEN : AFFECTATION DU COMMERCE ENTRE
LES ETATS MEMBRES
312 En droit européen, ne sont visés que les accords ou pratiques concertées
« susceptibles d’affecter le commerce entre les Etats membres ».
313 Le commerce entre les Etats membres peut être affecté par des ententes
entre entreprises exerçant leurs activités dans différents Etats membres.
314 Il peut aussi l’être par des ententes entre une entreprise de l’Union
européenne et une entreprise exerçant son activité à l’extérieur de l’Union
européenne. Une entente entre entreprises d’un même Etat membre de
l’Union peut aussi affecter le commerce interétatique.
315 Le critère est appliqué d’une manière pragmatique : ce n’est pas
l’intention qui compte mais l’effet, actuel ou potentiel ; une affectation
vraisemblable suffit. Par contre, la conséquence de la pratique anti-
concurrentielle – actuelle ou potentielle – ne doit pas être insignifiante ou
négligeable ; l’effet doit être « sensible ».
316 Afin de faciliter l’application de ce critère, la Commission européenne a
publié une Communication définissant les accords dont il peut être
présumé qu'ils ne sont pas "susceptibles d'affecter le commerce entre les
Etats membres" (art. 101 par. 1 TFUE). Selon cette communication, le
commerce interétatique n’est pas affecté lorsque les produits ou services
objets de l'accord ne représentent pas plus de 5 % de l'ensemble des
produits et services sur le territoire européen où l'accord produit ses effets
et le chiffre d'affaires total des entreprises à l'accord ne dépasse pas 200
millions d'euros.
* * * * *
Chapitre 4
LES ENTRAVES A LA CONCURRENCE
Le champ d'application du droit de la concurrence ayant été fixé, il s'agit
maintenant de déterminer si une entente entre entreprises constitue une entrave
illicite à la concurrence ou si elle est admissible (§ 7). La même appréciation doit
être faite au sujet des positions dominantes (§ 8) et des opérations de
concentrations (§ 9).
§ 7 LES ENTENTES
Textes législatifs : art. 5 à 9 LCart., communications Comco; art. 101 et 102
TFUE, Règlements et Communications Commission.
Bibliographie : Commentaire romand Concurrence, PH. GUGLER / PH.
ZURKINDEN, art. 5 LCart.; J.-M. REYMOND, art. 6 LCart.; E. CLERC, art. 7 LCart;
O. PIAGET, La justification des ententes cartellaires dans l'Union européenne et en
Suisse, thèse Lausanne, Bâle 2001; C.L. DE LEYSSAC / G. PARLEANI, Droit du
marché, Paris 2002. I. CHABLOZ, L'autorisation exceptionnelle en droit de la
concurrence, thèse Fribourg 2002.
7.1 LE REGIME DES ENTENTES EN DROIT SUISSE
7.1.1 Remarques introductives
1 Au cours des quinze dernières années, la législation suisse est devenue
beaucoup plus restrictive au sujet des ententes cartellaires :
- lors de la révision de la loi intervenue en 1995, la notion de
"concurrence efficace" a été adoptée comme principe directeur de la
politique de la concurrence; de plus les cartels "rigides" (accords sur les
prix, les quantités ou les marchés) sont depuis lors présumés illicites;
- lors de la révision de 2004, la possibilité a été donnée à la Commission
d'infliger une sanction dès qu'elle constate la violation de la loi (alors
que précédemment une sanction ne pouvait intervenir que si les
entreprises participant à l'entente visée ne respectaient pas la décision
de la Comco);
- en septembre 2011, un projet de renforcement de la loi sur les cartels a
été mis en consultation; ce projet a pour but de déclarer illicites les
accords sur les prix, les quantités ou les marchés et de renverser le
fardeau de la preuve en ce qui concerne les faits justificatifs de
l'entrave.
2 La Comco a également commencé à faire usage de la possibilité que lui accorde
l'art. 6 LCart de publier des communications précisant les conditions
d'application de la loi (cf. la Communication concernant l'appréciation des
accords verticaux, la Communication concernant les accords verticaux
dans le domaine de la distribution automobile).
Les restrictions illicites à la concurrence peuvent résulter soit d'ententes
(7.1.2 ci-dessous), soit d'abus de position dominante (§ 8 ci-dessous).
7.1.2 Les restrictions dues à des ententes
3 Les différentes formes d'ententes visées ont été définies à l'art. 4 LCart. et
examinées au paragraphe 6.1.1 ci-dessus. C'est à l'art. 5 LCart. que le
législateur a fixé les critères de l'illicéité d'une entente. Ce texte s'est
considérablement inspiré des principes reconnus en droit européen de la
concurrence et en droit américain, selon lesquels certains types d'accord
sont en soi ("per se") illicites :
4 Art. 5 (Accords illicites) :
1 Les accords qui affectent de manière notable la concurrence sur le marché de certains
biens ou services et qui ne sont pas justifiés par des motifs d’efficacité économique, ainsi que
tous ceux qui conduisent à la suppression d’une concurrence efficace sont illicites.
2 Un accord est réputé justifié par des motifs d’efficacité économique :
a) lorsqu’il est nécessaire pour réduire les coûts de production ou de distribution, pour
améliorer des produits ou des procédés de fabrication, pour promouvoir la recherche ou
la diffusion de connaissances techniques ou professionnelles, ou pour exploiter plus
rationnellement des ressources ; et
b) lorsque cet accord ne permettra en aucune façon aux entreprises concernées de
supprimer une concurrence efficace.
3 Sont présumés entraîner la suppression d’une concurrence efficace dans la mesure où ils
réunissent des entreprises effectivement ou potentiellement concurrentes, les accords :
a) qui fixent directement ou indirectement des prix ;
b) qui restreignent des quantités de biens ou de services à produire, à acheter ou à fournir ;
c) qui opèrent une répartition géographique des marchés ou une répartition en fonction des
partenaires commerciaux.
4 Sont également présumés entraîner la suppression d’une concurrence efficace les accords
passés entre des entreprises occupant différents échelons du marché, qui imposent un prix de
vente minimum ou un prix de vente fixe, ainsi que les contrats de distribution attribuant des
territoires, lorsque les ventes par d’autres fournisseurs agréés sont exclues.
A. Principes
5 Le principe de l'art. 5 LCart. peut se résumer ainsi. Sont déclarés illicites :
- les accords qui conduisent à la suppression de la concurrence (lettre B,
ci-dessous);
- les accords qui affectent de manière notable la concurrence sans
pouvoir être justifiés par des motifs d'efficacité économique (lettre C,
ci-dessous);
6 Certains types d'accords sont présumés entraîner la suppression de la
concurrence. La présomption ne pourra être levée que si les entreprises
concernées peuvent établir que la concurrence reste efficace malgré
l'existence de l'accord. Dans cette hypothèse, le cartel n'est pas encore
licite; ce qui est réfuté, c'est uniquement la présomption de la suppression
de la concurrence (qui entraîne automatiquement l'illiciété). Il faudra
encore, dans ce cas, examiner si la concurrence est notablement entravée;
si c'est le cas, l'accord ne sera licite que s'il est justifié par des motifs
d'efficacité économique.
B. La suppression de la concurrence efficace
7 Sont présumés entraîner la suppression d'une concurrence efficace (et donc
illicites) :
- Les accords sur les prix : c'est l'effet qui est déterminant; peu importe
que l'accord s'applique à la fixation directe ou indirecte (par exemple
rabais) du prix;
- Les accords portant sur les quantités de biens ou de services à
produire, à acheter ou à fournir;
- Les accords de répartition géographique des marchés ou de
répartition en fonction des partenaires commerciaux; cette présomption
ne s'applique qu'aux accords horizontaux, c'est-à-dire entre concurrents,
mais non pas aux accords verticaux (accords de distribution).
8 Les ententes illicites combinent souvent plusieurs de ces types d'accords.
9 Ainsi, la Comco a sanctionné plusieurs entreprises d'installations électriques de
la région de Berne qui avaient conclu des accords de prix et de répartition
de la clientèle (décision du 6.7.2009). Entre 2006 et 2008, les entreprises
concernées se sont réparties des projets de façon alternée. Elles
s'échangeaient des informations sur les prix et présentaient des offres
concertées.
- Certains accords verticaux, soit ceux par lesquels des entreprises
occupant différents échelons du marché imposent un prix de vente
minimum ou fixe, ou attribuent des territoires, lorsque les ventes par
d'autres fournisseurs agréés sont exclues (cf. ci-dessous § 7.3.2).
C. L'entrave notable à la concurrence
a) Le caractère notable de l'entrave
10 L'entrave notable à la concurrence est illicite à moins qu'elle ne soit
justifiée par des motifs d'efficacité économique.
11 L'application de l'art. 5 al. 2 LCart. pose deux questions : quand est-ce
qu'une entrave est notable ? Quels motifs peuvent la justifier ?
12 Le critère d'entrave notable à la concurrence a été précisé par les
autorités d'application, en utilisant deux critères :
- Critère qualitatif : l'accord visé porte-t-il sur un paramètre central
de la concurrence ? Ce sera toujours le cas, si l'accord porte sur les
prix, les quantités ou les marchés. Quant aux autres paramètres de la
concurrence (recherche et développement, publicité), leur
importance variera selon le marché concerné (différences entre le
marché d’un produit pharmaceutique ou celui d'un service).
- Critère quantitatif : afin d'appliquer ce critère, il faut déterminer
quel est le marché concerné, quelle est la concurrence potentielle et
quelle place occupent sur ce marché les entreprises concernées.
(Rappelons que la Suisse ne connaît pas le critère de l'affectation du
marché communautaire et que la Comco a adopté une Communi-
cation sur les PME).
b) Faits justificatifs
13 Si, au vu de ces deux critères, l'entrave ne peut être qualifiée de notable,
l'art. 5 n'est pas violé. S'il est constaté que l'entrave est notable, il
convient alors d'examiner si elle peut être justifiée par un motif
d'efficacité économique; ce pourra être le cas, selon l'art. 5 al. 2 LCart.
lorsque l'accord est nécessaire :
- pour réduire les coûts de production ou de distribution;
- pour améliorer des produits ou des procédés de fabrication;
- pour promouvoir la recherche ou la diffusion de connaissances
techniques ou professionnelles;
- pour exploiter plus rationnellement des ressources.
14 La loi ajoute cependant une condition négative : la justification n'est
pas admissible si l'accord a pour effet de supprimer une concurrence
efficace.
c) Règles d'application
15 Afin de faciliter la compréhension et l'application de l'art. 5 LCart, le
législateur a prévu à l'art. 6 que le Conseil fédéral pourra édicter des
ordonnances et la Commission de la concurrence des communications.
A ce jour, aucune ordonnance n'a été adoptée par le Conseil fédéral. Par
contre, la Comco a publié deux Communications concernant les
accords verticaux :
- une Communication du 28.6.10 concernant l'appréciation des
accords verticaux;
- une Communication du 21.10.02 concernant les accords verticaux
dans le domaine de la distribution automobile, complétée par une
Note explicative réunissant les réponses données par la Comco aux
questions les plus fréquentes, en tenant compte des développements
observés au niveau européen dans l'application du règlement n°
1400/2002.
16 De plus, la Comco publie une Communication PME relative aux
accords ayant un impact restreint sur le marché (cf. 6.3.2.A ci-dessus).
7.1.3 La clause échappatoire des intérêts publics prépondérants
17 Lorsque des accords en matière de concurrence ou des pratiques
d'entreprises ayant une position dominante ont été déclarés illicites, les
entreprises concernées peuvent demander au Conseil fédéral d'autoriser, à
titre exceptionnel, ces pratiques ou ces accords s'ils sont nécessaires à la
sauvegarde d'intérêts publics prépondérants (art. 8 LCart.).
18 Il ne s'agit pas à proprement parler de recours. Les procédures de recours
proprement dites sont prévues aussi bien en procédure civile, lorsque les
tribunaux déclarent une entrave à la concurrence illicite, qu'en procédure
administrative (cf. ci-dessous § 10 et 11). La requête au Conseil fédéral
peut être déposée à n'importe quel stade de la procédure, même après
l'arrêt du Tribunal fédéral.
19 Il faut voir dans cette disposition une autorisation exceptionnelle qui
permet de tempérer l'application des nouveaux principes d'illicéité si
vraiment des intérêts publics prépondérants sont donnés et que l'accord ou
la pratique « illicite » est nécessaire pour la sauvegarde de ces intérêts.
20 A ce jour (2009), cette disposition n’a été examinée qu’une seule fois : le
Conseil fédéral a refusé de reconnaître un intérêt public prépondérant à la
fixation du prix des livres (décision du 2 mai 2007; aux Chambres
fédérales, une loi fédérale sur la réglementation du prix du livre a été
adoptée; mais un référendum a été demandé; le vote du peuple n'a pas
encore eu lieu.
7.2 LE REGIME DES ENTENTES EN DROIT EUROPEEN
7.2.1 Remarque introductive
21 Alors que le droit suisse a péniblement évolué à travers plusieurs réformes
légales (1985, 1995, 2004), l'Union européenne a, dès l'adoption du Traité
de Rome en 1957, mis l'accent sur le rôle de la concurrence (et du marché
intérieur dès 1992). De plus, la Cour de justice a rapidement pris le relais
dans sa jurisprudence.
22 Suite à l'ouverture de l'Europe à 27 membres, de nouvelles règles de
procédure ont été adoptées afin de permettre une application plus efficace
du droit de la concurrence (cf. § 10 ci-dessous).
7.2.2 Principes
23 Concernant les ententes entre entreprises, le principe fondamental est
énoncé à l'art. 101 TFUE en deux paragraphes :
- les accords entre entreprises qui ont pour objet ou pour effet de
restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sont interdits.
- les accords qui tombent sous le coup de l'interdiction de l'art. 101 al. 1
sont nuls de plein droit.
24 Les conditions à remplir pour échapper à l'interdiction sont données à
l'art. 101 par. 3 TFUE.
7.2.3 Les éléments constitutifs de l'interdiction
25 Selon l'art. 101 par. 1 TFUE, "sont incompatibles avec le marché commun
et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations
d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles
d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour
effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à
l'intérieur du marché commun".
26 L'entente est donc interdite lorsque les éléments suivants sont réunis :
A. Un concours de volontés ou une décision
27 Il existe un concours de volontés qui s'exprime :
- soit dans des accords (avec ou sans force obligatoire);
- soit par des décisions d'associations (décision prise par l'organe
compétent d'un groupe professionnel);
- soit par une pratique concertée; un parallélisme de comportement ne
suffit pas; il faut une concertation, c'est-à-dire au moins un échange
d'informations ou un contact qui affecte l'autonomie de décision des
entreprises.
B. Un but ou un résultat
28 La condition est satisfaite si les parties à l’entente ont eu pour but
d’empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence. Elle l’est aussi
si le résultat du comportement des parties en cause est une entrave, une
distorsion ou une restriction de la concurrence (même si ce résultat n’a pas
été expressément voulu) : « qui ont pour objet ou pour effet » :
29 L'art. 101 TFUE donne au par. 1er une liste exemplative de pratiques qui
portent atteinte à la concurrence :
- la fixation des prix ou des conditions de transaction;
- la limitation du développement technique, commercial ou financier;
- la répartition des marchés ou sources d'approvisionnement;
- la discrimination entre les partenaires commerciaux;
- les ventes (ou prestations de services) "couplées".
C. Un lien de causalité
30 Le comportement visé ne pourra être illicite que si un lien existe entre la
pratique et l'atteinte à la concurrence. Si le lien est établi, l'entente est
illicite lorsque l'accord a pour but de porter atteinte à la concurrence (peu
importe que le résultat ait été effectivement atteint). Réciproquement,
l'entente est illicite si le résultat (atteinte) est obtenu sans même que les
parties l'aient recherché.
7.2.4 La sanction
31 La sanction de cette incompatibilité est donnée par le par. 2 de l'art. 101
TFUE : "Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article
sont nuls de plein droit."
32 Cela signifie que les accords ou la décision n'ont pu produire aucun effet
valable dès leur adoption. De plus, la décision de constatation de la nullité
est généralement accompagnée d'une sanction pécuniaire importante (cf.
§ 10).
7.2.5 Les dérogations possibles
A. Le principe
33 Selon l'art. 101 par. 3 TFUE, le premier alinéa (principe d'interdiction)
n'est pas applicable si les conditions cumulatives suivantes sont réunies :
- l'entente contribue à améliorer la production ou la distribution des
produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique;
- l'entente réserve aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en
résulte;
- l'entente n'impose pas aux entreprises intéressées des restrictions qui ne
sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs;
- l'entente n'élimine pas la concurrence, pour une partie substantielle des
produits en cause.
B. Le régime applicable
34 La réglementation du régime des exemptions a été profondément modifiée
en 2004. Alors que, jusque là, les entreprises avaient l'obligation de
notifier les accords tombant sous le coup de l'art. 101 TFUE, cette
exigence a été supprimée par le Règlement (CE) 1/2003.
35 Dorénavant, dans toutes les procédures d'application de l'art. 101 TFUE,
que ce soit dans une procédure communautaire ou dans une procédure
engagée dans un Etat membre :
- la charge de la preuve d'une violation de l'art. 101 par. 1 TFUE
incombe à la partie ou à l'autorité qui l'allègue;
- il appartient à l'entreprise ou l'association d'entreprises qui invoque le
bénéfice de l'art. 101 par. 3 TFUE d'apporter la preuve que les
conditions de ce paragraphe sont réunies.
C. Règles d’application
36 Afin d'accroître la sécurité juridique et de favoriser la bonne marche des
affaires, la Commission a adopté ou publié des règlements, des communi-
cations et des lignes directrices :
37 Le Règlement 2790/1999, relatif aux accords verticaux pour l'achat ou la
vente de biens ou de services (cf. 7.3.2. A. ci-dessous) présume la licéité
des accords verticaux pour autant que les parties à l'entente n'occupent pas
ensemble une part de marché supérieure à 30 % :
- si le seuil n'est pas atteint, l'autorité d'application peut néanmoins tenter
de démontrer que l'entente viole l'art. 101 par. 1 TFUE;
- si le seuil est atteint, les parties visées peuvent tenter de démontrer que
l'entente ne viole pas l'art. 101 par. 1 ou satisfait les conditions de
l'art. 101 par. 3 TFUE.
38 De plus, la Commission a adopté des règlements pour certains types de
contrats particuliers :
- Règlement n° 1475/95 concernant les accords de distribution et de
services de vente et d'après-vente de véhicules automobiles;
- Règlement n° 4087/88 concernant les accords de franchise;
- Règlement n° 240/96 concernant les accords de transfert de
technologie.
39 Voici, à titre d'exemple, ce que disent les Lignes directrices concernant
l'application de l'art. 101 al. 3 TFUE :
« 1. L'article 81, paragraphe 3 [aujourd’hui art. 101 par. 3 TFUE], du
traité prévoit une dérogation aux dispositions de l'article 81, paragraphe
1, du traité. Les accords, décisions d'associations d'entreprises et
pratiques concertées(1) qui sont visés par l'article 81, paragraphe 1, mais
remplissent les conditions de l'article 81, paragraphe 3, sont valides et
applicables sans qu'une décision préalable soit nécessaire à cet effet.
2.
L'article 81, paragraphe 3, s'applique à des accords individuels ou, au
moyen de règlements d'exemption par catégorie, à des catégories
d'accords et de pratiques concertées. Le règlement no 1/2003 relatif à la
mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82
du traité (2) n'affecte pas la validité et la nature juridique des règlements
d'exemption par catégorie. Tous les règlements d'exemption actuels
restent en vigueur et les accords couverts par des règlements
d'exemption par catégorie sont juridiquement valides et applicables,
même s'ils restreignent la concurrence au sens de l'article 81,
paragraphe (3). Ces accords ne peuvent être interdits que pour l'avenir
et seulement après abrogation officielle de l'exemption par catégorie par
la Commission ou une autorité nationale de la concurrence (4). Les
accords exemptés par catégorie ne peuvent être invalidés par les
juridictions nationales dans le cadre d'une procédure contentieuse
privée.
…
4. Les présentes lignes directrices exposent l'interprétation que la
Commission donne aux conditions de l'exception contenue à l'article 81,
paragraphe 3. Elles fournissent ainsi des orientations sur la manière
dont elle appliquera cette disposition dans des cas individuels. Bien que
ces
lignes directrices ne soient pas contraignantes pour les juridictions et les
autorités des États membres, elles ont aussi pour objet de leur fournir
des orientations pour l'application de l'article 81, paragraphes 1 et 3, du
traité.
5. Ces lignes directrices définissent un cadre analytique pour
l'application de l'article 81, paragraphe 3. L'objectif est de permettre
l'élaboration d'une méthodologie pour l'application de cette disposition.
Cette méthodologie est fondée sur l'approche économique qui a été
introduite et développée dans les lignes directrices sur les restrictions
verticales, sur les accords de coopération horizontale et sur les accords
de transfert de technologie. La Commission appliquera également les
présentes lignes directrices, qui donnent une orientation plus détaillée
sur l'application des quatre conditions de l'article 81, paragraphe 3, que
celle contenue dans les lignes directrices sur les restrictions verticales,
sur les accords de coopération horizontale et sur les accords de transfert
de technologie, aux
accords couverts par ces dernières lignes directrices.
6. Les principes énoncés dans les présentes lignes directrices doivent être
appliqués à la lumière des circonstances de l'espèce, ce qui exclut toute
application mécanique. Il convient d'apprécier chaque affaire au regard
des faits qui la caractérisent et d'appliquer les lignes directrices avec
bon sens et souplesse.
…
11. L'appréciation au regard de l'article 81 s'effectue donc en deux
étapes. La première consiste à déterminer si un accord entre entreprises,
qui est susceptible d'affecter le commerce entre États membres, a un
objet anticoncurrentiel ou des effets anticoncurrentiels réels ou
potentiels (9). La seconde étape, qui n'a lieu d'être que s'il est avéré
qu'un accord restreint le jeu de la concurrence, consiste à déterminer les
effets proconcurrentiels produits par cet accord et à voir si ces effets
proconcurrentiels l'emportent sur les effets anticoncurrentiels. La mise
en
balance des effets anticoncurrentiels et des effets proconcurrentiels
s'effectue exclusivement dans le cadre établi par l'article 81, paragraphe
3 (10).
…
15. Le type de coordination de comportements ou de collusion entre
entreprises visé par l'article 81, paragraphe 1, consiste dans la situation
où au moins une entreprise s'engage envers une autre entreprise à
adopter un certain comportement sur le marché ou que, par suite de
contacts entre elles, l'incertitude entourant leur comportement sur le
marché soit éliminée ou du moins substantiellement réduite (15). Il
s'ensuit que la coordination peut revêtir la forme d'obligations régissant
le comportement sur le marché d'au moins une des parties ainsi que
d'accords influant sur le comportement sur le marché d'au moins une des
parties en modifiant ses incitations. Il n'est pas indispensable que la
coordination soit de l'intérêt de toutes les entreprises en cause (16). De
même, elle ne doit pas forcément être explicite. Elle peut également être
tacite. Pour qu'un accord puisse être réputé conclu au moyen d'un
acquiescement tacite, il est nécessaire qu'une entreprise invite une autre
entreprise, que ce soit de façon expresse ou implicite, à la réalisation
commune d'un but (17). Dans certaines circonstances, un accord peut se
déduire de relations commerciales durables entre les parties et être
imputable à ces relations (18). Toutefois, le seul fait qu'une mesure
adoptée par une entreprise s'inscrive dans le cadre de relations
commerciales continues ne saurait être suffisant (19).
…
17. Pour apprécier si un accord doit être considéré comme altérant le jeu
de la concurrence, il convient d'examiner le jeu de la concurrence dans
le cadre réel où il se produirait à défaut de l'accord litigieux (20). Lors
de cette appréciation, il est nécessaire de tenir compte de l'incidence
éventuelle de l'accord sur la concurrence intermarques (c'est-à-dire la
concurrence entre fournisseurs de marques concurrentes) et sur la
concurrence intramarque (c'est-à-dire la concurrence entre distributeurs
d'une même marque). L'article 81, paragraphe 1, interdit les restrictions
tant de la concurrence intermarques que de la concurrence intramarque
(21).
…
25. Des effets défavorables sur la concurrence sont susceptibles de se
produire sur le marché en cause quand les parties, individuellement ou
conjointement, possèdent ou obtiennent un certain pouvoir de marché et
que l'accord contribue à la création, au maintien ou au renforcement de
ce pouvoir ou permet aux parties de pratiquer pendant une durée
significative des prix supérieurs au niveau qui résulterait du jeu de la
concurrence ou de maintenir pendant une durée significative la
production en termes de quantité, qualité et diversité des produits ou en
termes d'innovation à un niveau inférieur à celui qui résulterait du jeu de
la concurrence. Sur les marchés où les coûts fixes sont élevés, les
entreprises doivent fixer leurs prix sensiblement au-dessus de leurs coûts
de production marginaux, afin d'avoir un bon retour sur investissement.
Le fait que des entreprises fixent leurs prix au-dessus de coûts
marginaux n'indique donc pas, en soi, que la concurrence ne fonctionne
pas bien sur le marché et que les entreprises possèdent une puissance de
marché qui leur permet de fixer leurs prix à des niveaux qui ne sont pas
concurrentiels. C'est lorsque les pressions concurrentielles ne sont pas
suffisantes pour maintenir les prix de la production à des niveaux
concurrentiels que des entreprises possèdent une puissance de marché
au sens de l'article 81, paragraphe 1.
…
59. Les catégories de gains d'efficacité énoncées à l'article 81,
paragraphe 3, sont assez larges pour couvrir tous les gains d'efficacité
économiques objectifs. Étant donné qu'il existe un chevauchement
considérable entre les différentes catégories mentionnées à l'article 81,
paragraphe 3, et qu'un même accord peut générer plusieurs types de
gains d'efficacité, il n'est pas indiqué d'établir des distinctions claires et
nettes entre ces catégories. Aux fins des présentes lignes directrices, une
distinction est établie entre les gains d'efficacité réalisés sur les coûts et
les gains d'efficacité de nature qualitative, qui créent de la valeur sous
forme de produits nouveaux ou meilleurs, d'une plus grande variété de
produits, etc.
60. En général, les gains d'efficacité sont le fruit d'une intégration
d'activités économiques par laquelle des entreprises conjuguent leurs
actifs afin de réaliser ce qu'elles ne pourraient réaliser aussi
efficacement chacune de son côté ou par laquelle elles confient à une
autre entreprise
des tâches pour lesquelles celle-ci est plus performante.
61. Le processus qui va de la recherche et développement à la distribution
en passant par la production peut être assimilé à une chaîne de valeur
pouvant être divisée en plusieurs étapes: à chaque étape de cette chaîne,
l'entreprise doit choisir entre exécuter l'activité elle-même, l'exécuter
conjointement avec une ou plusieurs autres entreprises ou la confier
intégralement à une ou plusieurs autres entreprises.
62. Normalement, chaque fois que le choix opéré implique une
coopération sur le marché avec une autre entreprise, un accord au sens
de l'article 81, paragraphe 1, doit être conclu. Il peut s'agir d'un accord
vertical, comme c'est le cas lorsque les parties opèrent à des niveaux
différents de la chaîne de valeur, ou horizontal, lorsque les parties
opèrent au même niveau de la chaîne. Ces deux catégories d'accords
peuvent générer des gains d'efficacité en permettant aux entreprises en
cause d'exécuter une tâche donnée à moindre coût ou avec plus de
valeur ajoutée pour le consommateur. Ces accords peuvent aussi
contenir ou induire des restrictions de concurrence, auquel cas la règle
d'interdiction de l'article 81, paragraphe 1, et la règle d'exemption
prévue à l'article 81, paragraphe 3, peuvent jouer ».
7.3 LES ACCORDS VERTICAUX
7.3.1. Remarques introductives
40 Si la notion d’entente horizontale (sur les prix ou sur les quantités) est la
première qui vient à l’esprit lorsqu’on évoque une entrave à la
concurrence, la réalité de la vie économique a rapidement obligé les
autorités d’application du droit de la concurrence à prendre en compte les
effets des accords verticaux.
41 Ce fut d’abord le cas en droit américain, puis en droit européen. En droit
suisse, on ne se préoccupait d’abord des effets des accords verticaux que si
l’une des parties au contrat occupait une position dominante sur l’un des
échelons du marché. Depuis 2004, l’art. 5 al. 4 LCart. contient une
disposition spécifique sur les accords verticaux :
«Sont également présumés entraîner la suppression d’une concurrence
efficace les accords passés entre des entreprises occupant différents
échelons du marché, qui imposent un prix de vente minimum ou un prix de
vente fixe ainsi que les contrats de distribution attribuant des territoires,
lorsque les ventes par d’autres fournisseurs agréés sont exclus».
42 Cette modification législative en Suisse a été influencée par la pratique
européenne ; c’est pourquoi, cette problématique des accords verticaux est
traitée ici en un même paragraphe pour les deux systèmes juridiques.
7.3.2. Textes légaux et textes explicatifs
A. Droit européen
43 Les autorités d’application du droit de la concurrence, aussi bien à
Bruxelles qu’à Berne, ont adopté des textes dont le but est de faciliter
l’application des principes juridiques dans le cas des accords verticaux :
- Règlement CE n° 2790-1999 du 22 décembre 1999 concernant
l’application de l’art. 81 par. 3 du traité à des catégories d’accords
verticaux et de pratiques concertées.
Pour rappel, un règlement a valeur législative et contient des règles
d’application directe, ce qui signifie que les autorités des Etats
membres doivent les appliquer même si elles n’ont pas été reprises
formellement en droit national.
- Communication de la Commission des CE n° 2000 - C 291 – 01
Lignes directives sur les restrictions verticales : il s’agit là d’un
document par lequel la Commission explique de quelle manière elle
applique le règlement sur les accords verticaux.
44 La Commission européenne a également adopté des règles spécifiques sur
un secteur particulier, celui de la vente des véhicules automobiles :
- Règlement (CE) 1° 1400 – 2002 du 31 juillet 2002 concernant
l’application de l’art. 81, par. 3, du traité à des catégories d’accords
verticaux et des pratiques concertées dans le secteur automobile.
- La Direction générale de la concurrence à Bruxelles, a publié une
« Brochure explicative en matière de distribution et service après-vente
des véhicules automobiles dans l’Union européenne ».
B. Droit suisse
45 De son côté, la Comco a publié :
- une Communication concernant l’appréciation des accords verticaux,
dont la dernière version date du 2 juillet 2007 ;
- une Communication sur les accords verticaux dans le domaine de la
distribution automobile du 21 octobre 2002.
7.3.3 Principes applicables en droit suisse
46 Les accords verticaux peuvent améliorer l’efficience économique au sein
d’une chaîne de production ou de distribution, entraîner une diminution
des coûts de transaction et de distribution et favoriser un niveau optimal
des investissements et des ventes.
47 Selon le pouvoir des entreprises sur le marché des entreprises concernées,
ces accords peuvent aussi engendrer des restrictions ayant des effets
anticoncurrentiels graves.
A. Prix
48 La suppression de la concurrence efficace est présumée en cas
d’imposition de prix de revente minimaux ou fixes.
49 En cas de recommandation de prix, celle-ci est également présumée illicite
si elle indique un prix minimal ou fixe. Dans les autres cas, la Commission
examine si :
- la recommandation est effectivement suivie ;
- le niveau de prix est significativement plus élevé que dans les pays
voisins ;
- la recommandation est accompagnée de mesures contraignantes.
B. Affectation notable de la concurrence
50 Les accords verticaux affectent la concurrence de manière notable
lorsque :
- ils empêchent le fournisseur de livrer des composants ou des pièces de
rechange à des tiers ;
- ils contiennent une obligation de non-concurrence d’une durée
indéterminée ou qui dépasse 5 ans ;
- ils contiennent une obligation de non-concurrence de plus d’une année
après l’expiration de l’accord vertical ;
- ils restreignent le multi-marquisme dans un système de distribution
sélective.
51 Toutefois, ces règles ne s’appliquent pas si les parties à l’accord
n’occupent pas une place significative sur le marché :
- pas de restriction si aucune des entreprises parties à l’accord ne détient
une part de marché supérieure à 15 % sur le marché concerné ; cette
limite est ramenée à 5 % en cas d’effet cumulatif de plusieurs réseaux
d’accords verticaux produisant des effets similaires, sauf si la part
cumulée de ces réseaux parallèles est inférieure à 30 %.
C. Distribution sélective
52 Dans un système de distribution sélective, le fournisseur s’engage à
vendre les biens ou les services contractuels uniquement à des revendeurs
sélectionnés sur la base de critères prédéfinis et ces revendeurs s’engagent
à ne pas vendre ces biens ou ces services à des revendeurs non agréés.
53 La sélection des revendeurs se fait exclusivement sur la base de critères
qualificatifs, objectifs et requis par la nature du produit (formation du
personnel, service fourni, assortiment des produits).
7.3.4 Principes applicables en droit européen
54 Les principes décrits au § 7.3.3, et relatifs au droit suisse, trouvent leur
origine dans les règles européennes. Ces principes sont donc en général
aussi applicables sur le marché européen.
55 L’illustration en est faite ici d’une autre manière, en présentant quelques
aspects du Règlement (N° 1400/2002) de la Commission sur les catégories
d’accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile.
A. Prix
56 L’exemption de l’application de l’art. 101 al. 3 TFUE ne peut être
reconnue aux accords verticaux qui ont pour objet la restriction de la
capacité du distributeur ou du réparateur de déterminer son prix de vente.
La possibilité subsiste pour le fournisseur d’imposer un prix de vente
maximal ou de recommander un prix de vente, à condition que ces
derniers n’équivalent pas à un prix de vente fixe ou minimal sous l’effet
de pressions exercées par l’une des parties ou de mesures d’incitation
prises par elle.
B. Plafonds
57 L’exemption s’applique, les autres conditions étant satisfaites, à condition
que la part de marché détenue par le fournisseur ne dépasse pas 30 % du
marché en cause sur lequel il vend les véhicules automobiles neufs.
58 Les parts de marché sont calculées pour la distribution de véhicules
automobiles neufs sur la base du volume des biens contractuels et biens
correspondants vendus par le fournisseur, ainsi que tout autre type de
biens vendus par le fournisseur et que l’acheteur considère comme
interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de
leur prix et de l’usage auquel ils sont destinés (art. 8 ch. 1 Règl.).
C. Distribution sélective
59 Au sujet de ce mode de distribution, le Règlement donne d’abord des
définitions :
- système de distribution sélective : un système de distribution dans
lequel le fournisseur s’engage à ne vendre les biens ou les services
contractuels, directement ou indirectement, qu’à des distributeurs ou
des réparateurs sélectionnés sur la base de critères définis, et dans
lequel ces distributeurs ou réparateurs s’engagent à ne pas vendre ces
biens ou ces services à des distributeurs non agréés ou à des réparateurs
indépendants, sans préjudice de la faculté de vendre des pièces de
rechange à des réparateurs indépendants ou de l’obligation de fournir
aux opérateurs indépendants l’ensemble des informations techniques,
des systèmes de diagnostic, des outils et de la formation nécessaires
pour la réparation et l’entretien des véhicules automobiles ou pour la
mise en œuvre des mesures de protection de l’environnement ;
- système de distribution sélective quantitative : un système de
distribution sélective dans lequel le fournisseur applique, pour
sélectionner les distributeurs et les réparateurs, des critères qui limitent
directement le nombre de ceux-ci ;
- système de distribution qualitative : un système de distribution
sélective dans lequel le fournisseur applique, pour sélectionner les
distributeurs ou les réparateurs, des critères purement qualitatifs, requis
par la nature des biens ou des services contractuels, établis
uniformément pour tous les distributeurs ou réparateurs souhaitant
adhérer au système de distribution, et appliqués d’une manière non
discriminatoire et ne limitant pas directement le nombre de
distributeurs ou de réparateurs.
25/10/2011
LE DROIT DE LA CONCURRENCE
SUISSE ET EUROPEEN
(Cours SA 2011)
1 L’évolution des économies suisse, européenne et mondiale au cours des quinze
dernières années a accentué le rôle de la concurrence dans le fonctionnement des
marchés. Ces marchés ont pris des dimensions nouvelles :
- La création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994 a accéléré et
fortement augmenté les échanges internationaux ;
- La mise en place d’un véritable marché intérieur européen (de 15 Etats en 1992, de
27 Etats en 2007 dans l’Union européenne et 3 Etats dans l’Espace Economique
Européen et des Accords bilatéraux avec la Suisse !) a permis aux entreprises
européennes de travailler et d’organiser leurs activités à une autre échelle ;
- Dans ce contexte, la Suisse a d’abord pris conscience de son décalage (refus de
l’Espace économique européen en 1992) et, depuis, essaie de se repositionner
(adhésion à l’ONU, accords bilatéraux avec l’Union européenne, réforme du droit
économique interne).
2 Dans ces marchés, la concurrence doit être réglementée. Le droit de la concurrence –
domaine devenu incontournable pour les entreprises actives à l'échelle nationale et
internationale – est à la convergence de plusieurs disciplines : droit, économie, science
politique. La science économique explique les conséquences du comportement des
entreprises ou tout simplement de leur taille. Le droit détermine les règles de
comportement. La science politique oriente le choix des objectifs à poursuivre dans
l'intérêt de la société dans son ensemble.
3 Au cours de cette période, à tous les échelons (OMC, Union européenne, Suisse), on
s’est préoccupé du fonctionnement de la concurrence et de sa réglementation. La
première tâche du législateur est de favoriser les échanges et de permettre l’accès au
marché (1ère Partie). Le cadre dans lequel la concurrence peut s’exercer étant fixé, il
s’agira ensuite d’examiner comment elle risque d’être entravée ou éliminée ou encore
accaparée (2e Partie). Ces sujets seront traités en droit suisse et en droit européen car ils
se présentent d’une manière assez comparable même si c’est à une échelle très
différente. Préalablement, il convient de rappeler la place et le rôle du droit de la
concurrence (§ 1).
25/10/2011
2
§ 1 LA PLACE ET LE ROLE DU DROIT DE LA CONCURRENCE
Textes législatifs : art. 27, 94-97, 100-103, Cst. féd (RS 101); art. 3 par. 1 let. b,
101 et 102, 112 TFUE.
Vous trouverez les textes légaux suisses sur le site internet
http://www.admin.ch/ch/f/rs/rs.html en insérant le numéro du Recueil
systématique du droit fédéral (RS) indiqué entre parenthèse après chaque texte
légal dans le champ de recherche.
Bibliographie : P. TERCIER, Introduction générale, in Commentaire Romand,
Concurrence, 2e éd., Bâle 2011, 1 ss; J. DEISS, Les aspects économiques du
nouveau droit de la concurrence, in CR Concurrence, Bâle 2002, 71 ss ; C.L. DE
LEYSSAC / G. PARLEANI, Droit du marché, Paris 2002 ; G. FARJAT, Pour un droit
économique, Paris 2004; L. VOGEL, Droit européen de la concurrence, Paris 2010.
Vous pouvez connaître la disponibilité en bibliothèque des ouvrages cités ci-
dessus en consultant le site internet www.rero.ch.
4 Le droit de la concurrence est une branche de ce que certains appellent le droit
économique, (G. FARJAT, Pour un droit économique, Paris 2004 ; J.-PH. COLSON,
Droit public économique, 3e éd., Paris 2001), et d’autres le droit du marché, (C.
LUCAS DE LEYSSAC / G. PARLEANI, Droit du marché, Paris 2002). Cette manière
assez différente de « classer » cette branche du droit n’est pas surprenante ; elle
met en évidence les aspects administratifs (rapports entre l’Etat et les administrés,
en l’occurrence, les entreprises) ou les aspects de droit privé (rapports des
entreprises entre elles).
1.1 LES FONDEMENTS DU DROIT DE LA CONCURRENCE
5 En Suisse, le droit de la concurrence a ses racines dans la Constitution
fédérale qui, d’une part, donne à l’Etat la mission de protéger la
concurrence économique (art. 94 Cst) et, d’autre part, protège depuis 1874
la liberté économique – aussi appelée liberté du commerce et de
l’industrie :
6 Art. 94 Principes de l’ordre économique
1 La Confédération et les cantons respectent le principe de la liberté
économique.
25/10/2011
3
2 Ils veillent à sauvegarder les intérêts de l’économie nationale et
contribuent, avec le secteur de l’économie privée, à la prospérité et à la
sécurité économique de la population. 3 Dans les limites de leurs compétences respectives, ils veillent à créer un
environnement favorable au secteur de l’économie privée. 4 Les dérogations au principe de la liberté économique, en particulier les
mesures menaçant la concurrence, ne sont admises que si elles sont
prévues par la Constitution fédérale ou fondées sur les droits régaliens
des cantons.
7 Art. 96 : Politique en matière de concurrence
1 La Confédération légifère afin de lutter contre les conséquences sociales
et économiques dommageables des cartels et des autres formes de
limitation de la concurrence.
8 A noter que la garantie de la propriété, également prévue par la Constitution (art. 26 Cst.), et
un pouvoir judiciaire capable de fonctionner en toute indépendance sont également reconnus
comme des piliers nécessaires pour le bon fonctionnement d’une économie libérale.
9 La liberté contractuelle et les mécanismes prévus par le droit privé des
contrats permettent d’organiser l’activité économique. Cette liberté
contractuelle n’est toutefois pas sans limite :
- l’Etat intervient et impose des règles protectrices chaque fois que
l’expérience montre qu’une des parties au contrat n’est pas en position
de négocier avec une véritable marge de manœuvre : protection du
locataire dans le droit du bail ; protection du travailleur dans le contrat
de travail ; protection de l’emprunteur dans la loi sur le petit crédit (cf.
ci-dessous, ch. 3.2.1. N. 83 ss).
- Si les entreprises utilisent les règles contractuelles pour empêcher le
fonctionnement du marché (accord sur les prix, sur les territoires,
interdiction de revendre à certains acteurs économiques), l’Etat
intervient pour faire constater la nullité de ces clauses contractuelles.
10 En droit européen, les fondements du droit de la concurrence se trouvent
dans le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (art. 3 par. 1 let
b, 101 et 102 TFUE), qui reprend les principes déjà fixés dans le Traité de
Rome signé en 1957 (ancien TCE).
11 D’une manière caractéristique, l’Union européenne s’est d’abord donnée pour but la mise en
place d’un marché intérieur « caractérisé par l’abolition, entre les Etats membres, des
obstacles à la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des
capitaux » (art. 3 par. 1 let. c TCE). Ensuite, l’Union a voulu que soit instauré et maintenu « un
régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur » (art. 3 par. 1
let. g TCE).
25/10/2011
4
Ainsi, en dehors du système juridique américain, l’Union européenne est la principale entité
économique qui a, à la fois adopté des règles juridiques relatives à l’accès au marché et à
l’exercice de la concurrence, et qui a aussi mis en place les instruments de mise en œuvre et
d’application effective de ces règles (cf. ci-dessous, § 10 et 11).
12 Ces dispositions ont été :
- complétées par de nombreux règlements adoptés par le Conseil et par la
Commission ; soit par exemple le règlement du Conseil sur l’application
de l’art. 81 TCE (aujourd’hui art. 101 TFUE) qui prohibe les ententes
(R n° 19/65/CEE modifié par le R n° 1215/1999/CE ou le R n°
1400/2002 de la Commission concernant l’application de l’art. 81 par. 3
TCE à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées
dans le secteur automobile.
En droit européen, un règlement est l’équivalent d’une loi en ce sens qu’il contient des
règles qui doivent être appliquées telles que définies alors qu’une directive indique un but
à atteindre en laissant aux Etats membres le choix des moyens pour atteindre ce but.
Les autorités européennes adoptent aussi des communications pour expliquer leur manière
d’appliquer certains textes. Par exemple, la Communication de la Commission sur la
définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence a pour
objet d’expliquer la manière dont la Commission applique le concept de marché de produit
ou de marché géographique en cause (cf. Communication 97/C 372/03).
- interprétées, c’est-à-dire appliquées, par la Cour de Justice des
Communautés européennes (CJCE), dans des cas concrets.
La Cour de justice a été amenée à répondre à de nombreuses questions d’application du
traité grâce au mécanisme du recours préjudiciel prévu par le traité. Si la Cour de justice
avait été une instance de recours n’intervenant qu’après épuisement des voies de recours
nationales, il est probable que les justiciables n’y auraient pas eu souvent recours. Par la
voie du recours préjudiciel, l’instance nationale saisie – même la première instance – peut
soumettre un grief à la Cour de justice dès que ce grief soulève une question
d’interprétation du traité (p. ex. mesure d’effet équivalent ou entente illicite). Il est en effet
inutile que les différentes instances nationales se prononcent sur l’interprétation du traité
alors que de toute façon c’est la Cour de justice qui aura le dernier mot sur ce point !
1.2 LE ROLE DE L’ETAT
1.2.1 Le rôle traditionnel
13 L’Etat, au XXe siècle, est toujours intervenu de multiples manières dans
l’activité économique nationale :
- l’Etat acteur économique : l’Etat se croyait obligé d’exercer lui-même
certaines activités jugées indispensables pour assurer l’indépendance du
pays (armement, télécommunications, compagnies aériennes, p. ex) ;
25/10/2011
5
- politique conjoncturelle : par le biais de la politique monétaire, les
gouvernements exerçaient une influence sur l’économie ;
- politique structurelle : en protégeant ou avantageant certaines
industries, en fixant les règles du marché du travail, les gouvernements
modifiaient les règles du jeu.
1.2.2 L’évolution du rôle de l’Etat
14 Au cours des vingt dernières années, le rôle de l’Etat a été fortement
modifié :
- marchés publics : lorsque l’Etat investit, construit, achète des biens ou
des services, il doit, dès que le marché atteint un certain seuil financier,
respecter la réglementation nationale, européenne ou de l’OMC relative
aux marchés publics ;
- politique monétaire : celle-ci n’est plus dans les mains des
gouvernements, mais de la banque nationale (pour la Suisse) ou de la
Banque Centrale Européenne (BCE) pour l’Union Européenne ;
- politique structurelle : elle est admissible mais ne doit pas aller jusqu'à
affecter la concurrence (problématique des aides d’Etat prohibées par les
art. 107 ss TFUE ; en Suisse, la Commission de la concurrence (Comco)
est invitée de par la loi à se déterminer sur les projets législatifs qui
pourraient affecter ou fausser la concurrence (art. 45 LCart.) :
1) Art. 45 Recommandations aux autorités
1 La commission observe de façon suivie la situation de la
concurrence.
2 Elle peut adresser aux autorités des recommandations visant à
promouvoir une concurrence efficace, notamment en ce qui concerne
l’élaboration et l’application des prescriptions de droit économique.
15 De plus, la création du marché unique européen, à fin 1992, et les règles du
GATT sur le commerce international ont changé les dimensions du terrain
sur lequel s’exerce la concurrence. Pour cette raison, les règles du droit de
la concurrence ont été harmonisées dans la Communauté européenne et les
règles suisses adaptées à celle du droit européen.
16 Il est intéressant de constater que, dans toute une série de domaines économiques particuliers,
le régime juridique adopté spécialement vise aussi à garantir une certaine égalité entre les
opérateurs pour garantir l’exercice de la concurrence :
- législation sur les télécommunications (cf. N 108 ss) ;
- législation dans le domaine de l’énergie électrique et du gaz (cf. N 111 ss) ;
- législation sur les bourses (cf. N 105 ss).
25/10/2011
6
17 L’évolution a également été marquée dans l’application des règles du droit
de la concurrence :
- les administrations chargées d’appliquer ces règles ont crû en
personnel et en compétences (ce domaine exige une coopération étroite
de juristes et d’économistes) ; à l’échelle européenne, un réseau de
coopération a été mis en place entre la Commission européenne et les
autorités de la concurrence des Etats membres ;
- les pouvoirs d’enquête sont devenus si incisifs que l’on en vient à
invoquer pour les entreprises les droits fondamentaux que seules les
personnes physiques avaient l’habitude d’invoquer ;
- les sanctions, en particulier financières, que peuvent subir les
contrevenants deviennent vraiment dissuasives.
18 Cette évolution se caractérise par le fait que l’Etat n’agit plus directement
comme acteur économique, mais indirectement en définissant les règles du
jeu et garantissant leur respect.
1.3 LE DROIT DE LA CONCURRENCE
19 Par l’adoption des règles du droit de la concurrence et leur application,
l’Etat veille à ce que les acteurs économiques n’empêchent, ni n’entravent
d’une façon excessive l’exercice de la concurrence. Cela signifie :
- fixer les règles d'accès au terrain de jeu, soit favoriser l’établissement
(l’existence) du marché et son accès (y compris de l’extérieur du
pays) (mise en place du marché intérieur);
- fixer les règles du jeu en garantissant l’existence d’une concurrence
efficace et loyale sur le marché (LCart.); l’exercice de la concurrence ne
doit pas se faire à l’aide de méthodes déloyales ou contraires à la bonne
foi (indications fallacieuses, tromperies, publicité mensongère, p. ex. ;
cf. la LF contre la concurrence déloyale, LCD).
- empêcher la constitution de positions de puissance / domination sur le
marché (contrôle des concentrations).
20 De plus, l’Etat doit également veiller à ne pas lui-même entraver la
concurrence par sa propre activité :
- ne pas fausser le marché par des aides étatiques (subventions, aides aux
entreprises en détresse);
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7
- respecter la concurrence lorsqu'il est acteur économique (sauf situations
exceptionnelles); autrement dit :
-- les exigences de la concurrence s'imposent également aux entreprises
étatiques qui exercent une activité économique;
-- les principes de la concurrence doivent être respectés dans
l'attribution des marchés publics.
21 Le droit de la concurrence n’existe que si le législateur (volonté politique)
adopte des règles juridiques. En Suisse, le droit de la concurrence a pris
de l’importance en plusieurs étapes :
- 1962 : adoption de la première loi sur les cartels et organisations
analogues ; les cartels restaient présumés licites aussi longtemps que des
conséquences nuisibles d’ordre économique et social n’étaient pas
établies par l’autorité.
- 1985 : la présomption de licéité subsiste.
- 1995 : la présomption est renversée pour les accords sur les prix, les
quantités ou sur les marchés géographiques.
- 2004 : la Comco obtient le droit d’infliger une sanction lorsqu’elle
constate un comportement illicite.
- 2011 : le Conseil fédéral propose d'adapter les sanctions lorsque
l'entreprise a mis en place un système interne de "compliance"; il
propose également des règles plus strictes pour les accords verticaux.
22 Cette évolution législative dénote une évolution de la politique de la
concurrence en Suisse :
23 Dans la première loi suisse sur les cartels, la Comco, lorsqu’elle achevait une enquête sur un
secteur économique, devait se contenter d’adresser aux entreprises concernées une
recommandation de mettre fin à la pratique visée. Si les entreprises ne suivaient pas la recom-
mandation, la Comco ne pouvait que demander au Département fédéral de l’économie de
prendre une décision dans le sens de la recommandation.
En comparaison, en application des dispositions de la LCart de 2004, la Comco a pris une
décision à l’encontre de Swisscom au printemps 2007 accompagnée d’une sanction de plus de
300 MCHF ! Cette décision a été cassée par le Tribunal administratif fédéral.
24 La mise en place d’autorités indépendantes et le développement des règles
de procédures ont favorisé un développement autonome du droit de la
concurrence :
25/10/2011
8
- autonomie par rapport aux autorités politiques ; à titre d’exemple :
-- prise de contrôle d’ENDESA en Espagne par la société italienne Enel
malgré plusieurs tentatives du gouvernement espagnol de favoriser
un concurrent espagnol, la société Gaznatural.
-- tentative avortée d’intervention de la Banque centrale hollandaise
dans l’offre publique d’achat sur ABN Amro.
-- preuve contraire : en France, lorsque la société italienne ENEL a
annoncé qu'elle allait lancer une offre d'achat sur Gaz de France
(GDF), le gouvernement a "organisé" en un week-end la fusion de
GDF avec la société Suez !
- autonomie par rapport à la science économique ; la concurrence est
certes d’abord un concept économique qui vise la compétition entre les
acteurs économiques sur un marché donné ; dans les mains des pouvoirs
publics chargés d’appliquer le droit de la concurrence, la concurrence
devient un outil qu’ils ont adapté au but qu’ils poursuivent : rechercher
un équilibre concurrentiel ; non pas une concurrence théorique ou
parfaite, mais une concurrence praticable (workable competition) sur un
marché donné et compte tenu des éventuels autres facteurs que le
législateur a également demandé de prendre en considération; par
exemple :
-- Un accord affectant de manière notable la concurrence (art. 5 LCart.) peut être justifié
(motif d’efficacité économique) s’il a pour but d’améliorer la compétitivité des petites
et moyennes entreprises (art. 6 al. 1 let. e LCart).
-- Un accord contraire à l’art. 5 LCart. peut être autorisé par le Conseil fédéral s’il est
nécessaire à la sauvegarde d’intérêts publics prépondérants (art. 8 LCart.).
25 L’Etat veut protéger la concurrence car l’effet supposé de celle-ci est
l’efficacité des mécanismes économiques. La concurrence n’est donc pas
recherchée pour elle-même mais comme instrument permettant
d’atteindre l’efficacité. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de
protéger la concurrence contre les atteintes qui peuvent être apportées à son
fonctionnement. C’est la notion de concurrence efficace (wirksamer
Wettbewerb).
26 Procédant à une nouvelle analyse économique de la règle de droit, les autorités européennes
ont dès le début accordé de l'importance aux effets des comportements des acteurs
économiques. Elles ne s'attachaient pas au caractère fautif d'un comportement (violation de la
règle) mais à ses conséquences, ses effets.
Afin de faciliter l'application des règles, on a tiré de la pratique certaines présomptions (tel
comportement – accord sur les prix – entraîne une suppression de la concurrence); ces
comportements sont qualifiés d'illicites; il n'est plus nécessaire d'examiner leurs effets.
Plus récemment, les autorités de la concurrence s'écartent des règles PERSE pour examiner
dans chaque cas les effets du comportement avant de porter un jugement sur le caractère abusif
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9
ou non du comportement ("the more economic approach"). Mais cette manière de procéder
conduit à un jugement a posteriori qui n'est pas très compatible avec la sécurité juridique (peut-
on être condamné pour un comportement dont on ne pouvait savoir, à ce moment-là, qu'il
serait apprécié négativement ?).
Pour aider les entreprises à bien se comporter, la Commission a publié des Communications
dans lesquelles elle formalise la théorie économique qu'elle applique et explique donc de
quelle manière elle va appliquer les principes du droit européen. Toutefois, ces
Communications ne lient pas les tribunaux.
27 Les règles adoptées par le législateur en droit de la concurrence devraient donc être en
conformité avec les énoncés de la science économique. Mais parfois on constate un décalage
entre les recommandations de l'analyse économique et l'application concrète de la norme de
concurrence. D'où la critique adressée parfois aux juristes de l'usage d'une doctrine
économique imparfaite, mal comprise ou même dépassée.
(Sur ces questions : I. LIANOS, La transformation du droit de la concurrence par le recours à
l'analyse économique, Bruxelles, 2007; F. JENNY, Le rôle de l'analyse économique dans le
contrôle par la Cour de cassation en matière de droit de la concurrence : Concurrences 2007,
n° 4, p. 27, p. 34).
1.4 LA CONCURRENCE ET LA PROPRIETE INTELLECTUELLE
1.4.1 Nécessité d’une protection
28 Tout en recherchant les effets du fonctionnement efficace du marché, l'Etat
reconnaît généralement aussi la nécessité de protéger les efforts consentis
par le chercheur pour le développement d'un produit; d'où la protection
accordée par :
- la loi sur les brevets d'invention (LBI);
- la loi sur les designs (LDes);
- la loi sur les marques et les indications de provenance (LPM).
1.4.2 Protection internationale de la propriété industrielle ou intellectuelle
A. En général
29 Dans les pays industriels, le besoin d'une protection internationale des
droits de propriété industrielle a été ressenti très tôt et concrétisé à la fin du
XIXème siècle déjà dans un traité intitulé «Convention de l'Union de
Paris» (CUP), signé en 1883 et modifié à plusieurs reprises depuis lors
(1925, 1934, 1958, 1967).
30 Cette convention a été complétée par de nombreux traités ou accords inter-
nationaux dans le but de faciliter l'enregistrement dans des pays étrangers
de marques, de modèles ou dessins industriels, de brevets; de même,
d'autres accords protègent les appellations d'origine et les indications de
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provenance. (L'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle -
OMPI - a été instituée, avec siège à Genève, dans le but de coordonner ces
efforts).
31 L'importance accordée aux droits de la propriété industrielle par les pays
industrialisés a été soulignée dans la révision des accords du GATT,
puisque l'accord du 15 avril 1994 instituant l’OMC comprend une annexe
1C intitulée : « Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle
qui touchent au commerce ».
32 Depuis quelques années, en particulier depuis la réunion ministérielle de
Doha en 2001, la question de l’étendue de la protection des droits de la
propriété intellectuelle fait l’objet d’un débat nourri. C’est en particulier le
cas dans les relations avec les pays les plus démunis et dans le domaine de
la santé publique. Dans quelles circonstances et à quelles conditions une
licence obligatoire peut-elle être imposée au titulaire du brevet ?
B. Le conflit avec les règles du marché
33 Les principes de la propriété intellectuelle entrent en conflit avec les règles
du marché unique pour la raison suivante :
- le système du brevet ou de la marque reconnaît à son titulaire le droit
exclusif de fabriquer un produit selon le brevet ou d'utiliser une marque
pour caractériser un produit; le titulaire du brevet peut exploiter son
droit lui-même, mais il peut également céder ce droit à un tiers en lui
accordant une licence; ce droit est généralement accordé pour une durée
donnée et un territoire donné ;
- en accordant des licences dans différentes parties du marché européen,
le titulaire peut ainsi fixer des conditions (notamment de prix !) pour
l’usage du droit de propriété intellectuelle ; en faisant cela, le titulaire du
brevet ou de la marque peut ainsi cloisonner le territoire européen. En
effet, les règles contractuelles prévues dans le contrat de licence et
l’appareil judiciaire donnent au titulaire du droit les moyens de faire
respecter l’engagement pris par le preneur de licence. Or, cet effet est
précisément celui que l’on a voulu éviter en créant le marché unique.
34 Cette problématique a provoqué le débat sur l’épuisement national ou
international des droits de la propriété intellectuelle :
- La question est d’abord de savoir si le titulaire du droit (brevet ou
marque) peut encore contrôler l’usage du produit au-delà de la première
mise du produit sur le marché effectuée par le licencié.
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- On parle « d’épuisement » pour signifier que lorsque le titulaire du droit
a accordé une licence (sur le brevet ou la marque) et que le licencié
utilise son droit conformément au contrat de licence, le titulaire n’a plus
de contrôle possible sur le produit : il a « épuisé » son droit par l’octroi
de la licence ou la première mise du produit sur le marché ! Cela signifie
d'une part que le licencié ne peut pas interdire à son acheteur de
revendre le produit au-delà d'un certain marché; d'autre part, le titulaire
du droit ne peut pas invoquer son droit de propriété intellectuelle pour
empêcher l'importation du produit sur certains marchés.
* * * * *
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1ère partie
L’ACCES AU MARCHE
35 La concurrence implique l’existence d’un marché sur lequel elle puisse s’exercer. La
notion de marché a évolué avec l’extension géographique des marchés (Chapitre 1). La
possibilité d’accéder au marché constitue un élément essentiel de son bon
fonctionnement (Chapitre 2).
Chapitre 1
LE MARCHE
36 Les échanges commerciaux ont été favorisés par l’abaissement des barrières tarifaires
et non tarifaires (§ 2) et la mise en place d'une réglementation du marché (§3). Depuis
1992, l’Union européenne poursuit la mise en place d’un marché intérieur (§ 4), dont le
modèle a inspiré le législateur suisse (§ 5).
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13
§ 2 LES ZONES DE LIBRE ECHANGE
Textes législatifs : Accord OMC (RS 0.632.20) ; Convention du 04.01.1960
instituant l’association européenne de Libre-Echange (AELE) (RS 0.632.31);
l'Accord de libre échange entre la Suisse et la CEE de 1972 (RS 0.632.401);
l'Accord de l'OMC du 15.4.1994 relatif aux obstacles techniques au commerce
(RO 1995, p. 2252 ss); art. 30 ss TFUE; Loi fédérale du 06.10.1995 sur le marché
intérieur (LMI) (RS 943.02), FF 1995 IV 552 ss; Loi fédérale du 06.10.1995 sur
les entraves techniques au commerce (LETC) (RS 943.02), FF 1995 IV 539 ss;
art. 34 ss TFUE.
Bibliographie : Message du Conseil fédéral du 23.11.1994, FF 1995 I 1193; E.
SCHEIDEGGER, Schweiz-EG 92 : Mehr Wettbewerb durch den Binnenmarkt,
Coire/Zurich 1992; B. MERKT, Harmonisation internationale et entraide
administrative internationale en droit de la concurrence, Berne 2000; C.L. DE
LEYSSAC/G. PARLEANI, Droit du marché, Paris 2002, p. 51 ss; D. DREYER/B.
DUBEY, Effets de la libre circulation des personnes sur l’exercice des activités
soumises à autorisation, in L’adhésion de la Suisse à l’Union européenne, Zurich,
1998, p. 859 ss; D. DREYER/B. DUBEY, Réglementation professionnelle et marché
intérieur, Bâle 2003.
2.1 L'ABAISSEMENT DES BARRIERES TARIFAIRES
37 A la fin des années 1950, la Suisse chercha sa place dans le concert des
Etats européens qui développaient et favorisaient les échanges
économiques.
38 Etant donné que la CEE - malgré son appellation - n'avait pas que des buts
économiques, il n'était pas question pour la Suisse d'en faire partie. Elle se
contenta donc :
- de participer à l'AELE dès 1960;
- de signer un accord de libre échange avec la CEE en 1972;
- de participer activement aux divers «rounds» de négociations du GATT
(devenu OMC en 1995).
39 La création d'une zone de libre échange vise des buts beaucoup plus limités
que celle d'un marché intérieur. Les pays qui établissent une zone de libre
échange conservent leur souveraineté ce qui permet – volontairement ou
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involontairement – de créer ou de maintenir des barrières non tarifaires
aux échanges.
40 La création d'un marché intérieur implique des mesures qui dépassent
l'abolition des droits de douane (la libre circulation des personnes, des
marchandises, des services et des capitaux (cf. § 4 et 5 ci-dessous).
2.1.1 L'Association européenne de libre échange
41 En réponse à la création de la CEE (qui ne comprenait à l'origine que la France, l'Allemagne,
l'Italie, la Belgique, la Hollande et le Luxembourg), d'autres pays européens (la Suisse,
l'Autriche, la Grande-Bretagne, la Suède, la Norvège, la Finlande, l'Islande et l'Irlande)
constituèrent en 1960 la Convention instituant l’association européenne de Libre-Echange
(AELE). Actuellement, seuls la Norvège, l’Islande, le Liechtenstein et la Suisse en font encore
partie (mais la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein ont signé avec l’Union européenne le
Traité de l’Espace économique européen). Les objectifs décrits à l'art. 2 de la Convention
AELE sont notamment :
- de favoriser, dans la zone de libre échange (l'ensemble des pays membres de la
Convention), l'expansion du commerce en éliminant progressivement les obstacles qui
l'entravent;
- d'assurer aux échanges entre Etats membres des conditions de concurrence équitable.
42 Le démantèlement des droits de douane (obstacles tarifaires) à l'intérieur de l'AELE, a été
réussi progressivement du 1er juillet 1960 au 31 décembre 1966.
43 Quant à la concurrence, la Convention de l'AELE comporte plusieurs articles qui s'y
rapportent :
- aides gouvernementales (art. 13);
- achats publics (art. 14);
- pratiques commerciales restrictives (art. 15);
- établissement (art. 16);
- dumping (art. 17).
44 L'objectif semble bien d'éviter que les avantages du libre échange (élimination des droits de
douane et des restrictions quantitatives) ne soient réduits à néant par des mesures
gouvernementales ou privées.
45 En réalité, après avoir aboli les barrières douanières, les membres de l'AELE ne se sont que
tardivement occupés des barrières non tarifaires (en fait, ce n'est qu'à l'initiative du
Président de la Commission européenne, J. Delors, qu'en 1988 s'ouvrirent des discussions sur
la création de l'Espace Economique Européen).
46 De plus, l'AELE n'établit pas un système de concurrence mais se contente d'assurer le jeu du
libre-échange. La Convention ne prévoit aucune institution qui serait chargée de veiller à son
application; la violation des règles relatives à la concurrence (art. 13 à 17) ne peut être
sanctionnée que par une décision du Conseil des ministres (prise à la majorité). De telles
décisions n'ont été que très rarement prises, ce qui démontre l'importance toute relative que les
Etats membres de l'AELE attribuent au droit de la concurrence. 47
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2.1.2 L'Accord de libre-échange entre la Suisse et la CEE (ALE)
48 En raison de l'accroissement des échanges internationaux et du développement de l'AELE et de
la Communauté économique européenne - CEE, leurs pays membres ressentirent le besoin, à la
fin des années 60, de faciliter les échanges de marchandises entre les deux zones. Ce fut la
signature des accords de libre-échange entre la CEE et les divers Etats membres de l'AELE (et
qui ont le même contenu).
49 Ces accords - celui qui fut signé par la Suisse date de 1972 - comprennent une clause relative à
la concurrence, l'art. 23, dont le texte est très semblable aux art. 81/82 du Traité CEE.
Pourtant, cet article n'a pratiquement pas eu d'impact sur les relations entre la Suisse et la CEE
car la Suisse - comme les autres pays de l'AELE - ne considère pas cette disposition comme
étant d'application directe. Cela signifie qu'en cas de différend, c'est un comité mixte -
institué par le Traité - qui doit être saisi. Composé de représentants des parties au Traité, ce
comité cherche, en cas de difficulté, des solutions selon une méthode politique plutôt que
juridictionnelle.
50 La portée (déjà faible) de cet Accord a été encore réduite par l'entrée en vigueur des Accords
bilatéraux (cf. 4 ci-dessous).
2.1.3 Autres organisations de libre-échange
51 L'UE constitue évidemment aussi une zone de libre échange mais elle est beaucoup plus que
cela puisqu'elle a aussi mis en place un marché intérieur et des organes politiques.
52 A noter que des organisations de libre-échange ont été mises sur pied sur d’autres continents :
- Amérique du Nord
The North American Free Trade Agreement (NAFTA) a été signé en 1992 entre les USA,
le Canada et Mexico, qui vise le libre commerce des marchandises et des services, ainsi
que la protection des investissements.
- Amérique du Sud
En 1960, plusieurs pays signèrent un accord de libre échanges (suppression des droits de
douane), transformé en 1980 en un traité d’intégration : Associación Latino-americana de
Integración, ALADI.
En 1991, l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay décidèrent la création d’un
marché commun sud-américain : MERCOSUR (en espagnol), MERCOSUL (en portugais).
En 2004, d’autres pays s’y joignirent : Bolivie, Chili, Pérou, Colombie et Equateur.
- Amérique Centrale et Caraïbes :
Le Belize, Costa Rica, le Salvador, Guatemala, le Honduras, le Nicaragua et Panama ont
d’abord constitué le Marché Commun d’Amérique Centrale (MCCA), devenu depuis le
Système d’intégration de l’Amérique Centrale (SICA).
Les pays des Caraïbes ont formé le Carabbean Common Market.
- Asie
Dès 1967, plusieurs pays du sud-est asiatique signèrent l’AFTA : Asian Free Trade Area.
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16
- Afrique
Plusieurs traités ont été signés :
-- Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (1975)
-- Marché Commun des Etats de l’Est et du Sud de l’Afrique (COMESA).
2.1.4 L'Organisation Mondiale du Commerce (OMC)
53 En avril 1994, les pays membres du GATT ont signé un accord instituant
l'Organisation Mondiale du Commerce qui complète l'accord du GATT de
1947 et donne un nouvel élan à cette organisation.
A. Les tarifs douaniers
54 Tout comme les deux organisations régionales que sont la CEE et l'AELE,
l'OMC a d'abord pour but d'abaisser les barrières douanières et
tarifaires afin de favoriser le libre échange (avec cette différence que cet
accord a une portée quasi planétaire).
B. Les barrières non tarifaires
55 L'accord ne se contente pas d'abaisser les droits de douane. Il comprend
divers chapitres qui ont pour but d'ouvrir l'accès aux marchés ou d'éviter
que la concurrence ne soit faussée :
- Accord sur les subventions et les mesures compensatoires
(Annexe 1A de l'Accord) : il définit ce qu'est une subvention des
pouvoirs publics et indique les cas dans lesquels ces subventions sont
prohibées.
- Accord sur les obstacles techniques au commerce (cf. ci-dessous
2.2.1.)
- Accord sur les marchés publics (cf. ci-dessous 2.2.2.)
- Droits anti-dumping et droits compensateurs : l'Accord GATT de
1947 comprenait déjà des règles relatives à la possibilité reconnue à un
pays d'imposer des droits de douane pour s'opposer à des pratiques de
dumping. Ces dispositions sont maintenues dans l'Accord OMC et
surtout leur contrôle est mieux assuré par les règles sur les différends
entre les pays membres.
C. Règles et procédures régissant le règlement des différends
56 L'une des caractéristiques de l'Accord de 1994 est qu'il institue des
structures permanentes beaucoup plus développées.
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a) Présentation du problème
57 Le GATT avait pour but, à l’origine, d’éliminer les obstacles tarifaires
(droits de douane) au commerce international. Cependant, les acteurs du
commerce international le savent, les échanges commerciaux subissent
aussi des entraves en raison de pratiques commerciales restrictives dues
aux organes étatiques ou aux entreprises elles-mêmes (ou association
d’entreprises). Ces pratiques commerciales restrictives peuvent avoir
des effets sur la concurrence internationale. Le GATT en avait
conscience dès ses origines puisqu’une charte fut négociée à La Havane,
en 1947/48, sur ces questions de concurrence ; cependant, cette charte
n’a pas pu entrer en vigueur suite à son rejet par le Sénat américain.
Quant à l’art. XXIX du GATT, il est resté dépourvu de force juridique à
ce jour. Il n’existe donc pas encore, dans l’OMC, de réglementation
générale de la concurrence relative aux pratiques commerciales
restrictives d’origine privée.
58 Même si les Etats membres de l’OMC n’ont pu à ce jour se mettre
d’accord sur des règles spécifiques relatives à la concurrence, ils ont
néanmoins instauré un règlement des conflits portant sur la violation
des dispositions des accords.
b) Le règlement des conflits
59 Jusqu’à l’accord de Marrakech (1994), les différends entre Etats ne
pouvaient être réglés que par des négociations. L’institution de l’OMC,
décidée à Marrakech, a marqué l’évolution de la politique du
compromis vers un véritable système juridictionnel, soit l’annexe 2 de
l’Accord OMC, intitulé « Mémorandum d’accord sur les règles et
procédures régissant le règlement des différends ».
60 La procédure débute par une consultation (art. XXII) : un Etat, dont les
entreprises sont entravées dans l’exercice de la concurrence
internationale, va demander à l’OMC d’ouvrir une procédure de
consultation avec l’Etat qui a pris des mesures entravant la concurrence
ou dont les entreprises sont la cause de l’entrave.
61 Si cette procédure de consultation n’aboutit pas à un accord, l’Etat dont
les entreprises sont entravées peut demander que l’Organe de
règlement des différends soit saisi. Celui-ci va alors mettre sur pied un
groupe spécial devant lequel les Etats concernés vont faire valoir leur
point de vue : demande, réponse, réplique, duplique. A l’issue de la
procédure, le groupe spécial établit un rapport qui est transmis à
l’ORD qui approuve formellement sauf si :
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- il y a consensus au sein de l’ORD contre le rapport
- un membre OMC déclare faire recours dans les 60 jours à l’Organe
d’appel (ODA).
62 Lorsque le groupe spécial ou, le cas échéant, l’ODA conclut qu’une
mesure est incompatible avec les accords OMC, il est recommandé au
membre concerné de rendre la mesure conforme à l’accord visé. L’ORD
surveille la mise en œuvre de la décision et autorise, le cas échéant,
l’adoption de mesures de compensation ou la suspension de concessions
(art. 22 Memorandum d’accord).
2.2 LES OBSTACLES TECHNIQUES ET LES MARCHES PUBLICS
63 En plus de ces libertés, il est nécessaire pour la création d'un marché intérieur d'éliminer les
obstacles techniques et ouvrir l'accès aux marchés publics.
64 Il est intéressant de constater que, dans ces deux domaines, il y a convergence des
préoccupations aux trois niveaux : suisse, européen et mondial.
2.2.1 Les obstacles techniques
A. La législation suisse
65 La Loi fédérale sur les entraves techniques au commerce (LETC) a été adoptée en 1995, après
l'adoption des accords de l'OMC et alors que la Suisse avait entamé la négociation des accords
bilatéraux avec l'Union européenne et préparait sa propre législation sur le marché intérieur.
a) But de la loi
66 Cette loi a pour but de faciliter les échanges sur le marché intérieur, ainsi que les activités
d'importation et d'exportation.
67 Les entraves techniques au commerce sont définies comme les entraves aux échanges
internationaux de produits qui résultent :
- de la divergence des prescriptions et des normes techniques;
- de l'application divergente de ces prescriptions ou normes;
- de la non-reconnaissance des essais, enregistrements ou homologations effectuées à
l'étranger.
b) Méthode du législateur
68 Afin de ne pas entraver le commerce, les prescriptions techniques devront dorénavant :
- être compatibles avec celles des principaux partenaires commerciaux de la Suisse;
- être si possible simples et transparentes.
69 Des dérogations à ces principes ne sont admissibles que si :
- les prescriptions sont nécessaires pour protéger des intérêts publics prépondérants;
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- les prescriptions ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une
restriction déguisée aux échanges (art. 4 LETC).
70 En 2009, le législateur a modifié l'art. 16 LETC pour introduire unilatéralement le principe
Cassis-de-Dijon dans les relations Suisse-UE (cf. ci-dessous 5.6).
B. Les accords internationaux
71 La législation suisse a été adoptée non seulement dans le but de contribuer à la réalisation du
marché intérieur suisse mais aussi afin de respecter les engagements pris par la Suisse dans des
traités internationaux et faciliter ainsi l'accès au marché helvétique.
72 Ces traités ou accords sont :
- la Convention de l'AELE de 1960 (RS 0.632.31);
- l'Accord de libre échange entre la Suisse et la CEE de 1972 (RS 0.632.401);
- l'Accord de l'OMC du 15.4.1994 relatif aux obstacles techniques au commerce (RO 1995,
p. 2252 ss).
(A noter qu'en 1988 déjà, les pays membres de l'AELE ont passé une convention sur la
reconnaissance mutuelle des résultats d'essais et des preuves de conformité).
- l'Accord bilatéral de 2002 entre la Suisse et l'Union européenne sur les obstacles
techniques.
2.2.2 Les marchés publics
A. Principes
73 L'importance économique des "marchés publics" n'est plus à démontrer. Le risque est grand
que l'autorité adjudicatrice, en l'absence de règles à suivre, n'accorde le "marché" à une
entreprise qui n'offre pas la meilleure offre possible pour l'adjudicateur. C'est afin d'éviter des
distorsions dans le processus d'adjudication que des règles de procédure ont été adoptées :
- publication de l'appel d'offres
- critères de choix
- annonce de la décision d'adjudication.
74 Ces règles élargissent considérablement le cercle des offreurs potentiels et donc améliore le
fonctionnement de la concurrence. D'un autre côté, la procédure est parfois compliquée, ce qui
engendre des coûts, et peut être longue (recours !).
75 Il importe de définir le champ d'application de ces règles. Dans chaque situation concrète, il
faut examiner les points suivants:
- Qui est l’adjudicateur du contrat ? Quelles sont les entités considérées comme des
«pouvoirs publics» ?
- Quel est l’objet du contrat ? S’agit-il de la construction d’un immeuble ? S’agit-il d’une
prestation de service ?
- Quelle est la valeur du contrat ? Comment se calcule la valeur du contrat ?
76 Les réponses à ces questions diront si la procédure prévue par la législation sur les marchés
publics doit être suivie, et le cas échéant, laquelle.
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B. OMC
77 Des valeurs plancher ont été définies dans l'Accord de l'OMC sur les marchés publics (à noter
que cet accord - Annexe 4 de l'Accord de Marrakech - n'a pas été signé par tous les pays
membres de l'OMC mais par 24 Etats membres).
78 L'accord ne s'applique qu'aux marchés dont la valeur est supérieure à :
- pour les constructions : 9,575 millions de francs (5 millions DTS);
- pour les biens et services :
-- administration fédérale : fr. 263'000.-
-- Poste ou CFF : fr. 806'000.-
-- Swisscom : fr. 1'209'000.-.
2.2.3 Relations Suisse - Union européenne
79 Les marchés publics font l'objet de l'un des sept accords bilatéraux signés entre la Suisse et
l'Union européenne (cf. 4.5.1). Les valeurs plancher sont les mêmes que celles de l'accord
OMC.
2.2.4 Relations intercantonales
80 Les pouvoirs publics cantonaux et communaux sont tenus par les engagements des accords
OMC et de l'accord bilatéral entre la Suisse et l'Union européenne.
81 Les cantons ont fixé des seuils inférieurs dans l'Accord intercantonal sur les marchés publics
(AIMP).
2.3. EXERCICE
Le 15 juillet 2011, l'organe d'appel de l'OMC a rendu son rapport dans la
procédure opposant l'UE et la Chine au sujet de mesures antidumping
appliquées par l'UE à l'encontre d'exportations chinoises d'éléments de
fixation en fer et en acier.
Des milliers d'entreprises chinoises, pour la plupart des petites et moyennes
entreprises se plaignent d'être affectées par des mesures antidumping de
l'UE. Afin que les mesures antidumping ne soient pas appliquées n'importe
comment, l'UE a fixé les conditions et la procédure d'adoption de ces
mesures dans un Règlement antidumping. En l'espèce, les mesures ont été
adoptées en application de l'art. 9 al. 5 dudit Règlement (CE) n° 384/96 du
Conseil du 22.12.1995.
Dans la procédure devant l'Organe d'appel, les parties étaient d'une part
l'UE, de l'autre, la Chine; 11 pays étaient des participants tiers.
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Extraits du rapport
ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE
ORGANE D'APPEL
Communautés européennes1 Ŕ Mesures
antidumping définitives visant certains éléments de
fixation en fer ou en acier en provenance de Chine
Union européenne, appelant/intimé
Chine, intimé/autre appelant
Brésil, participant tiers
Canada, participant tiers
Chili, participant tiers
Colombie, participant tiers
États-Unis, participant tiers
Inde, participant tiers
Japon, participant tiers
Norvège, participant tiers
Territoire douanier distinct de Taiwan, Penghu, Kinmen et
Matsu, participant tiers
Thaïlande, participant tiers
Turquie, participant tiers
AB-2011-2
Présents:
Oshima, Président de la section
Hillman, membre
Unterhalter, membre
(i) Introduction
1. L'Union européenne et la Chine font toutes deux appel de certaines questions de droit et
interprétations du droit figurant dans le rapport du Groupe spécial Communautés européennes –
Mesures antidumping définitives visant certains éléments de fixation en fer ou en acier en
1 Le présent différend a commencé avant l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne modifiant le
Traité sur l'Union européenne et du Traité instituant la Communauté européenne (fait à Lisbonne le
13 décembre 2007) le 1er
décembre 2009. Le 29 novembre 2009, l'Organisation mondiale du commerce a
reçu une note verbale (WT/L/779) du Conseil de l'Union européenne et de la Commission des Communautés
européennes indiquant que, en vertu du Traité de Lisbonne, à compter du 1er
décembre 2009, l'"Union
européenne" se substitue et succède à la "Communauté européenne". Le 13 juillet 2010, l'Organisation
mondiale du commerce a reçu une deuxième note verbale (WT/Let/679) du Conseil de l'Union européenne
confirmant que, avec effet à compter du 1er
décembre 2009, l'Union européenne a remplacé la Communauté
européenne et a assumé tous les droits et obligations de la Communauté européenne en ce qui concerne tous
les Accords dont le Directeur général de l'Organisation mondiale du commerce est le dépositaire et auxquels
la Communauté européenne participe en tant que signataire ou partie contractante. Nous comprenons la
référence à la "Communauté européenne" figurant dans les notes verbales comme une référence aux
"Communautés européennes". L'Union européenne a demandé au Groupe spécial de remplacer le nom
"Communautés européennes" par "Union européenne" dans le titre de l'affaire, mais le Groupe spécial a
décidé de ne pas procéder à cette modification parce que les demandes de consultations et d'établissement
d'un groupe spécial avaient toutes les deux été présentées par la Chine avant le 1er
décembre 2009 et faisaient
référence aux Communautés européennes, tout comme la décision de l'ORD portant établissement du Groupe
spécial. Toutefois, toutes les communications des parties ont été présentées au Groupe spécial après cette
date et font référence à l'Union européenne et le Groupe spécial a formulé ses constatations en se référant à
l'Union européenne. (Rapport du Groupe spécial, paragraphes 6.4 et 6.5) Dans le présent rapport, nous nous
référons aussi à l'Union européenne.
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22
provenance de Chine (le "rapport du Groupe spécial").2 Le Groupe spécial a été établi le
23 octobre 2009 pour examiner une plainte de la Chine concernant la compatibilité "en tant que
tel" de l'article 9 5) du Règlement (CE) n° 384/96 du Conseil du 22 décembre 1995 relatif à la
défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de la
Communauté européenne, tel qu'il a été modifié3, avec l'Accord sur la mise en œuvre de l'article VI
de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (l'"Accord antidumping"),
l'"Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (le "GATT de 1994") et
l'"Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce (l'"Accord sur l'OMC"),
et la compatibilité de cette mesure, "telle qu'appliquée" dans l'enquête sur les éléments de fixation,
avec l'Accord antidumping; et la compatibilité du Règlement (CE) n° 91/2009 du Conseil du
26 janvier 2009 instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certains éléments
de fixation en fer ou en acier originaires de la République populaire de Chine (le "Règlement
définitif")4 avec l'Accord antidumping. Le Règlement (CE) n° 384/96 du Conseil a ensuite été
abrogé et remplacé par le Règlement (CE) n° 1225/2009 du Conseil du 30 novembre 2009 et les
communications de la Chine au Groupe spécial portaient sur ce dernier Règlement (le "Règlement
antidumping de base").5
2. Devant le Groupe spécial, la Chine contestait la compatibilité de l'article 9 5) du
Règlement antidumping de base, "en tant que tel", avec les articles 6.10, 9.2, 9.3, 9.4 et 18.4 de
l'Accord antidumping, des articles I:1 et X:3 a) du GATT de 1994 et de l'article XVI:4 de l'Accord
sur l'OMC, parce qu'il exigeait des exportateurs de pays à économie autre que de marché qu'ils
satisfassent à certains critères pour pouvoir bénéficier de marges de dumping individuelles et de
taux de droits individuels. La Chine contestait aussi l'article 9 5) du Règlement antidumping de
base, "tel qu'appliqué" dans l'enquête sur les éléments de fixation, au titre des articles 6.10, 9.2 et
9.4 de l'Accord antidumping. En outre, la Chine contestait divers aspects de fond et aspects
procéduraux du Règlement définitif, imposant des droits antidumping dans l'enquête sur les
éléments de fixation, au titre des articles 2, 3, 4, 5, 6 et 12 de l'Accord antidumping. Ces aspects
comprenaient les déterminations de la Commission concernant la représentativité, la définition de
la branche de production nationale, le produit considéré, l'existence d'un dumping et la
sous-cotation du prix, le volume et l'incidence des importations faisant l'objet d'un dumping et,
2 WT/DS397/R, 3 décembre 2010.
3 Journal officiel des Communautés européennes, série L, n° 56 (6 mars 1996) 2 (pièce CHN-1
présentée au Groupe spécial). 4 Journal officiel de l'Union européenne, série L, n° 29 (31 janvier 2009) 1 (pièce CHN-4 présentée
au Groupe spécial). 5 Journal officiel de l'Union européenne, série L, n° 343 (22 décembre 2009) 51, et rectificatif,
Journal officiel de l'Union européenne, série L, n° 7 (12 janvier 2010) 23 (pièce CHN-3 présentée au Groupe
spécial).
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enfin, le lien de causalité. S'agissant de la procédure, les contestations formulées par la Chine
portaient sur la divulgation, par la Commission, de renseignements pertinents pour l'enquête, le
traitement des renseignements confidentiels et les aspects procéduraux des allégations concernant
le traitement individuel.
3. Le rapport du Groupe spécial a été distribué aux Membres de l'Organisation mondiale du
commerce (l'"OMC") le 3 décembre 2010. Pour les raisons exposées dans son rapport, le Groupe
spécial a formulé les constatations ci-après.
Le Groupe spécial a constaté que les allégations suivantes ne relevaient pas de son mandat:
b) l'allégation au titre de l'article 2.6 de l'Accord antidumping en ce qui concerne la définition
du produit similaire;
c) l'allégation au titre de l'article 6.9 de l'Accord antidumping en ce qui concerne la
non-divulgation alléguée de certains aspects de la détermination de la valeur normale; et
d) l'allégation au titre de l'article 6.9 de l'Accord antidumping en ce qui concerne les aspects
procéduraux de la définition de la branche de production nationale.
Le Groupe spécial a constaté que l'Union européenne avait agi d'une manière incompatible avec:
a) les articles 6.10, 9.2 et 18.4 de l'Accord antidumping, l'article I:1 du GATT de 1994 et
l'article XVI:4 de l'Accord sur l'OMC en ce qui concerne l'article 9 5) du Règlement
antidumping de base;
b) les articles 6.10 et 9.2 de l'Accord antidumping en ce qui concerne les déterminations
relatives au traitement individuel dans l'enquête sur les éléments de fixation;
c) l'article 3.1 et 3.2 de l'Accord antidumping en ce qui concerne le volume des importations
faisant l'objet d'un dumping examiné dans l'enquête sur les éléments de fixation;
d) l'article 3.1 et 3.5 de l'Accord antidumping en ce qui concerne l'analyse du lien de causalité
dans l'enquête sur les éléments de fixation;
e) l'article 6.4 et 6.2 de l'Accord antidumping en ce qui concerne certains aspects de la
détermination de la valeur normale;
f) l'article 6.5.1 de l'Accord antidumping en ce qui concerne les versions non confidentielles
des réponses au questionnaire de deux producteurs européens et l'article 6.5 de l'Accord
antidumping en ce qui concerne le traitement confidentiel des renseignements figurant
dans la réponse au questionnaire du producteur indien;
g) l'article 6.5 de l'Accord antidumping en ce qui concerne le traitement confidentiel des
données d'Eurostat sur la production totale d'éléments de fixation de l'UE; et
h) l'article 6.5 de l'Accord antidumping du fait qu'elle a divulgué des renseignements
confidentiels.
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24
Le Groupe spécial a constaté que la Chine n'avait pas établi que l'Union européenne avait agi d'une
manière incompatible avec:
a) l'article 5.4 de l'Accord antidumping en ce qui concerne la détermination de la
représentativité dans l'enquête sur les éléments de fixation;
b) les articles 4.1 et 3.1 de l'Accord antidumping en ce qui concerne la définition de la
branche de production nationale dans l'enquête sur les éléments de fixation;
c) l'article 2.1 et 2.6 de l'Accord antidumping en ce qui concerne le produit considéré dans
l'enquête sur les éléments de fixation;
d) l'article 2.4 de l'Accord antidumping en ce qui concerne la détermination de l'existence
d'un dumping dans l'enquête sur les éléments de fixation;
e) l'article 3.1 et 3.2 de l'Accord antidumping en ce qui concerne la détermination de la
sous-cotation du prix dans l'enquête sur les éléments de fixation;
f) l'article 3.1, 3.2, 3.4 et 3.5 de l'Accord antidumping en ce qui concerne le fait d'avoir
considéré les importations en provenance des producteurs et exportateurs non inclus dans
l'échantillon/non examinés comme faisant l'objet d'un dumping dans l'enquête sur les
éléments de fixation;
g) l'article 3.1 et 3.4 de l'Accord antidumping en ce qui concerne l'examen de l'incidence des
importations faisant l'objet d'un dumping sur la branche de production nationale;
h) l'article 6.5, 6.4 et 6.2 de l'Accord antidumping relativement à la non-divulgation de
l'identité des plaignants et de ceux qui soutenaient la plainte;
i) l'article 6.2 et 6.4 de l'Accord antidumping en ce qui concerne le traitement confidentiel
des données d'Eurostat sur la production totale d'éléments de fixation de l'UE;
j) l'article 6.2 et 6.4 de l'Accord antidumping en ce qui concerne les aspects procéduraux de
la définition de la branche de production nationale; et
k) l'article 6.1.1 de l'Accord antidumping en ce qui concerne le délai accordé pour répondre
aux demandes de renseignements.
Le Groupe spécial a appliqué le principe d'économie jurisprudentielle pour ce qui concerne les
allégations de la Chine au titre de:
a) l'article 9.3 et 9.4 de l'Accord antidumping et de l'article X:3 a) du GATT de 1994 en ce
qui concerne l'article 9 5) du Règlement antidumping de base;
b) l'article 9.4 de l'Accord antidumping en ce qui concerne les déterminations relatives au
traitement individuel dans l'enquête sur les éléments de fixation;
c) l'article 3.4 et 3.5 de l'Accord antidumping en ce qui concerne le volume des importations
faisant l'objet d'un dumping examiné dans l'enquête sur les éléments de fixation;
d) l'article 6.5.1 de l'Accord antidumping en ce qui concerne la réponse au questionnaire du
producteur indien;
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e) l'article 6.2 et 6.4 de l'Accord antidumping en ce qui concerne les versions non
confidentielles des réponses au questionnaire de deux producteurs européens et le
traitement confidentiel des renseignements figurant dans la réponse au questionnaire du
producteur indien; et
f) l'article 12.2.2 de l'Accord antidumping en ce qui concerne les aspects procéduraux des
déterminations relatives au traitement individuel.
4. Le 25 mars 2011, l'Union européenne a notifié à l'Organe de règlement des différends
(l'"ORD") son intention de faire appel de certaines questions de droit couvertes par le rapport du
Groupe spécial et de certaines interprétations du droit données par celui-ci, conformément aux
articles 16:4 et 17 du Mémorandum d'accord sur les règles et procédures régissant le règlement
des différends (le "Mémorandum d'accord") et a déposé une déclaration d'appel6 ainsi qu'une
communication en tant qu'appelant conformément aux règles 20 et 21, respectivement, des
Procédures de travail pour l'examen en appel (les "Procédures de travail").7
5. Le 30 mars 2011, la Chine a notifié à l'ORD son intention de faire appel de certaines
questions de droit couvertes par le rapport du Groupe spécial et de certaines interprétations du
droit données par celui-ci, conformément aux articles 16:4 et 17 du Mémorandum d'accord et a
déposé une déclaration d'un autre appel8 ainsi qu'une communication en tant qu'autre appelant
conformément à la règle 23 1) et à la règle 23 3), respectivement, des Procédures de travail. Le
12 avril 2011, l'Union européenne et la Chine ont chacune déposé une communication en tant
qu'intimé.9 Le 15 avril 2011, le Brésil, la Colombie, les États-Unis et le Japon ont chacun déposé
une communication en tant que participant tiers.10
Le même jour, le Canada, le Chili, l'Inde, la
Norvège, le Territoire douanier distinct de Taiwan, Penghu, Kinmen et Matsu et la Thaïlande ont
chacun notifié leur intention de comparaître à l'audience en tant que participant tiers.11
Le
18 avril 2011, la Turquie a notifié son intention de comparaître à l'audience en tant que participant
tiers.12
……..
387. Par conséquent, en ce qui concerne l'article I:1 du GATT de 1994, le Groupe spécial a
conclu ce qui suit:
6 WT/DS397/7 (jointe en tant qu'annexe 1 au présent rapport).
7 WT/AB/WP/6, 16 août 2010.
8 WT/DS397/8 (jointe en tant qu'annexe II au présent rapport).
9 Conformément aux règles 22 et 23 4) des Procédures de travail.
10 Conformément à la règle 24 1) des Procédures de travail.
11 Conformément à la règle 24 2) des Procédures de travail.
12 Conformément à la règle 24 4) des Procédures de travail.
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[I]l est clair que l'application de l'article 9 5) se traduira, dans
certaines situations, par un traitement différent pour le même
produit provenant de Membres de l'OMC différents dans les
enquêtes antidumping effectuées par l'Union européenne. Nous
estimons donc que l'article 9 5) contrevient à l'obligation NPF
énoncée à l'article I:1 du GATT de 1994.13
388. L'Union européenne allègue que le Groupe spécial a fait erreur dans l'interprétation et
l'application de l'article I:1 du GATT de 1994, et a agi d'une manière incompatible avec l'article 11
du Mémorandum d'accord, lorsqu'il a constaté que l'article 9 5) du Règlement antidumping de base
était incompatible avec l'obligation NPF énoncée à l'article I:1 du GATT de 1994. Elle soutient
que l'avantage allégué accordé aux pays à économie de marché était fondé sur la nature des
fournisseurs considérés, et non sur le produit lui-même, et que cela veut dire qu'il n'y a pas, dans la
présente affaire, de discrimination entre produits similaires provenant de pays différents.14
L'Union européenne fait valoir qu'elle est en droit d'accorder un traitement différent aux
importations en provenance de pays à économie de marché et de NME parce que ces importations
sont différentes par nature. Elle ajoute que les termes "sans condition" figurant à l'article I:1
n'empêchent pas de soumettre l'octroi d'un avantage à certaines conditions dans la mesure où cela
n'entraîne pas une discrimination de facto.15
389. La Chine répond que le Groupe spécial a constaté à juste titre que l'article 9 5) du
Règlement antidumping de base était incompatible avec l'article I:1 du GATT de 1994, parce que
le traitement différent que l'Union européenne accorde dans ses enquêtes antidumping aux
importations provenant de NME et de pays à économie de marché Membres de l'OMC "ne peut pas
se justifier au motif que l'origine du produit reflète en quelque sorte une différence de nature".16
La Chine estime en outre que le Groupe spécial n'a pas manqué à son obligation de se conformer à
l'article 11 du Mémorandum d'accord et qu'il n'a pas fait erreur en constatant que l'Accord
antidumping n'autorisait pas le traitement spécifique différent des importations provenant de NME
qui est prévu à l'article 9 5) du Règlement antidumping de base.
390. L'article I:1 du GATT de 1994 exige ce qui suit:
Tous avantages, faveurs, privilèges ou immunités accordés par un
Membre à un produit originaire ou à destination de tout autre pays
seront, immédiatement et sans condition, étendus à tout produit
similaire originaire ou à destination du territoire de tous les autres
Membres. Cette disposition concerne les droits de douane et les
13
Rapport du Groupe spécial, paragraphe 7.124. 14
Communication de l'Union européenne en tant qu'appelant, paragraphe 213. 15
Communication de l'Union européenne en tant qu'appelant, paragraphe 212. 16
Communication de la Chine en tant qu'intimé, paragraphe 330.
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impositions de toute nature perçus à l'importation ou à
l'exportation ou à l'occasion de l'importation ou de l'exportation,
ainsi que ceux qui frappent les transferts internationaux de fonds
effectués en règlement des importations ou des exportations, le
mode de perception de ces droits et impositions, l'ensemble de la
réglementation et des formalités afférentes aux importations ou
aux exportations ainsi que toutes les questions qui font l'objet des
paragraphes 2 et 4 de l'article III.
391. L'article VI:2 du GATT de 1994 dispose ce qui suit:
En vue de neutraliser ou d'empêcher le dumping, tout Membre
pourra percevoir sur tout produit faisant l'objet d'un dumping un
droit antidumping dont le montant ne sera pas supérieur à la
marge de dumping afférente à ce produit. Aux fins d'application
du présent article, il faut entendre par marge de dumping la
différence de prix déterminée conformément aux dispositions du
paragraphe premier.
392. Nous observons que l'article VI du GATT de 1994 permet l'imposition de droits
antidumping, ce qui pourrait autrement être incompatible avec d'autres dispositions du GATT de
1994, telles que l'article I:1.17
Par conséquent, nous sommes d'avis qu'une question préliminaire à
examiner avant de déterminer si un droit antidumping a été imposé d'une manière incompatible
avec l'article I:1 du GATT de 1994 est celle de savoir s'il a été imposé d'une manière compatible
avec l'article VI du GATT de 1994.
393. Dans l'affaire Brésil – Noix de coco desséchée, l'Organe d'appel a confirmé la constatation
du Groupe spécial selon laquelle l'applicabilité de l'article VI du GATT de 1994 à une enquête en
matière de droits compensateurs déterminait également l'applicabilité des articles Ier et II du GATT
de 1994. Le Groupe spécial avait constaté que l'article VI du GATT de 1994 ne s'appliquait pas à
une mesure en matière de droits compensateurs qui résultait d'une enquête ouverte avant le 1er
janvier 1995. Il avait en outre constaté que si l'article VI du GATT de 1994 ne constituait pas
l'instrument juridique applicable, les allégations au titre des articles Ier et II, qui découlaient
d'allégations d'incompatibilité avec ledit article VI, ne pouvaient pas être retenues.18
17
Cette relation est aussi reflétée à l'article II:2 b) du GATT de 1994, qui dispose ce qui suit:
Aucune disposition du présent article n'empêchera un Membre de
percevoir à tout moment, à l'importation d'un produit:
…
b) un droit antidumping ou un droit compensateur en
conformité de l'article VI. 18
Rapport de l'Organe d'appel Brésil – Noix de coco desséchée, page 24; rapport du Groupe spécial,
Brésil – Noix de coco desséchée, paragraphes 280 et 281.
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28
394. L'article 9 5) du Règlement antidumping de base régit les conditions dans lesquelles un
droit antidumping doit être imposé par l'Union européenne. Cependant, dans sa demande
d'établissement d'un groupe spécial, la Chine n'a pas formulé d'allégation au titre de l'article VI du
GATT de 1994 en ce qui concerne l'article 9 5) du Règlement antidumping de base. La question
de savoir si l'article 9 5) du Règlement antidumping de base est appliqué d'une manière compatible
avec les dispositions de l'article VI du GATT de 1994 n'a donc pas été soulevée devant le Groupe
spécial et n'est pas contestée devant nous. Cela a des implications importantes pour la question de
savoir si l'article 9 5) du Règlement antidumping de base est incompatible avec l'article I:1 du
GATT de 1994.
395. Cependant, le Groupe spécial a constaté que l'article 9 5) du Règlement antidumping de
base était incompatible avec l'article I:1 du GATT de 1994, sans examiner la question préliminaire
se posant en l'espèce, qui consiste à savoir s'il était compatible avec l'article VI du GATT de 1994.
Le Groupe spécial n'a pas traité des implications de l'absence d'allégation au titre de l'article VI du
GATT de 1994 pour une allégation formulée au titre de l'article I:1 du GATT de 1994. Il n'a pas
non plus examiné la relation entre l'article VI du GATT de 1994 et les dispositions de l'Accord
antidumping, qui, aux termes de l'article premier de l'Accord antidumping, "régissent l'application
de l'article VI du GATT de 1994".19
Par conséquent, nous considérons qu'il manque à la
constatation formulée par le Groupe spécial au titre de l'article I:1 du GATT de 1994 une étape
essentielle dans le déroulement de l'analyse juridique, à savoir la détermination de la question de
savoir si et dans quelles circonstances une mesure antidumping qui est incompatible avec l'Accord
antidumping peut être examinée au titre de l'article I:1 du GATT de 1994, sans qu'il y ait examen
au titre de l'article VI du GATT de 1994.
396. Comme nous l'avons expliqué plus haut, la Chine n'a pas allégué devant le Groupe spécial
que l'article 9 5) du Règlement antidumping de base était incompatible avec l'article VI du GATT
de 1994 et, en l'espèce, les parties n'ont pas non plus avancé d'arguments relatifs à la relation entre
les dispositions de l'Accord antidumping et celles des articles VI et Ier du GATT de 1994. Par
conséquent, nous ne considérons pas qu'il soit approprié que nous examinions plus avant les
19
L'article premier de l'Accord antidumping dispose ce qui suit: "[l]es dispositions qui suivent
régissent l'application de l'article VI du GATT de 1994 pour autant que des mesures soient prises dans le
cadre d'une législation ou d'une réglementation antidumping". (pas d'italique dans l'original) Nous notons
aussi que l'article 18.1 de l'Accord antidumping dispose qu'il ne pourra être pris aucune mesure particulière
contre le dumping "si ce n'est conformément aux dispositions du GATT de 1994, tel qu'il est interprété par le
présent accord". Le Groupe spécial n'a pas analysé les implications des termes "application" figurant à
l'article premier et "tel qu'il est interprété" figurant à l'article 18 de l'Accord antidumping pour ce qui est de la
relation entre les obligations énoncées dans l'Accord antidumping et aux articles VI et Ier
du GATT de 1994.
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implications de l'absence d'allégation au titre de l'article VI du GATT de 1994 pour une allégation
au titre de l'article I:1 du GATT de 1994.
397. En outre, nous avons déjà confirmé les constatations du Groupe spécial selon lesquelles
l'article 9 5) du Règlement antidumping de base était incompatible "en tant que tel" avec les
articles 6.10 et 9.2 de l'Accord antidumping et nous estimons qu'une décision au titre de l'article I:1
du GATT de 1994 n'est pas nécessaire pour régler le présent différend.
398. Par conséquent, pour les raisons exposées plus haut, nous nous abstenons de nous
prononcer sur la constatation du Groupe spécial selon laquelle l'article 9 5) du Règlement
antidumping de base est incompatible avec l'article I:1 du GATT de 1994 et déclarons que cette
constatation est sans pertinence et sans effet juridique. Nous ne jugeons pas nécessaire d'examiner
l'allégation de l'Union européenne selon laquelle le Groupe spécial a agi d'une manière
incompatible avec l'article 11 du Mémorandum d'accord, étant donné que nous avons déclaré que
la constatation du Groupe spécial selon laquelle l'article 9 5) du Règlement antidumping de base
était incompatible avec l'article I:1 du GATT de 1994 était sans pertinence et sans effet juridique.
G. Article XVI:4 de l'Accord sur l'OMC et article 18.4 de l'Accord antidumping
399. L'article XVI:4 de l'Accord sur l'OMC exige que les Membres de l'OMC assurent la
conformité de leurs lois, réglementations et dispositions administratives avec les dispositions des
accords visés. L'article 18.4 de l'Accord antidumping exige que chaque Membre prenne toutes les
mesures nécessaires pour assurer la conformité de ses lois, réglementations et procédures
administratives avec les dispositions de l'Accord antidumping. Après avoir conclu que
l'article 9 5) du Règlement antidumping de base était incompatible avec les articles 6.10 et 9.2 de
l'Accord antidumping "en tant que tel", le Groupe spécial a aussi constaté ce qui suit:
[L']Union européenne a agi d'une manière incompatible avec
l'article XVI:4 de l'Accord sur l'OMC et l'article 18.4 de l'[Accord
antidumping] en n'assurant pas la conformité de ses lois, réglementations
et procédures administratives avec ses obligations au titre des accords
pertinents.20
…..
623. Par conséquent, sur la base du contenu du formulaire de demande de traitement MET/IT et
du but dans lequel il est utilisé, nous constatons que ce formulaire n'est pas une demande de
renseignements sollicitant, de la part des exportateurs et producteurs chinois, une grande quantité
20
Rapport du Groupe spécial, paragraphe 7.137.
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de renseignements sur lesquels la Commission fonderait ses déterminations concernant les aspects
essentiels d'une enquête antidumping.21
Nous confirmons donc la constatation formulée par le
Groupe spécial au paragraphe 7.579 de son rapport, selon laquelle le formulaire de demande de
traitement MET/IT n'est pas un "questionnaire" au sens de l'article 6.1.1 de l'Accord antidumping,
et selon laquelle, par conséquent, l'Union européenne n'a pas agi d'une manière incompatible avec
ses obligations au titre de l'article 6.1.1 en ne ménageant pas aux exportateurs chinois un délai de
30 jours pour présenter leurs réponses.
X. Constatations et conclusion
624. Pour les raisons exposées dans le présent rapport, l'Organe d'appel:
a) en ce qui concerne l'article 9 5) du Règlement antidumping de base22
:
(i) confirme la constatation formulée par le Groupe spécial au paragraphe 7.77 de son
rapport, selon laquelle l'article 9 5) du Règlement antidumping de base concerne
non seulement l'imposition de droits antidumping mais aussi le calcul des marges
de dumping, et selon laquelle il pourrait être contesté "en tant que tel" au titre de
l'article 6.10 de l'Accord antidumping, qui traite du calcul des marges de dumping
pour chaque exportateur ou producteur;
(ii) confirme, bien que pour des raisons différentes, la constatation formulée par le
Groupe spécial au paragraphe 7.98 de son rapport, selon laquelle l'article 9 5) du
Règlement antidumping de base est incompatible "en tant que tel" avec l'article
6.10 de l'Accord antidumping parce qu'il subordonne la détermination de marges
de dumping individuelles pour les producteurs ou exportateurs NME au respect
des critères IT;
(iii) confirme, bien que pour des raisons différentes, la constatation formulée par le
Groupe spécial au paragraphe 7.112 de son rapport, selon laquelle l'article 9 5) du
Règlement antidumping de base est incompatible "en tant que tel" avec l'article 9.2
de l'Accord antidumping parce qu'il subordonne l'imposition de droits individuels
aux producteurs ou exportateurs NME au respect des critères IT;
(iv) constate que, en formulant les constatations selon lesquelles l'article 9 5) du
Règlement antidumping de base était incompatible "en tant que tel" avec les
21
Rapport du Groupe spécial, paragraphe 7.577. 22
Voir aussi le rapport du Groupe spécial, paragraphe 8.2 a).
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articles 6.10 et 9.2 de l'Accord antidumping, le Groupe spécial n'a pas agi d'une
manière incompatible avec l'article 11 du Mémorandum d'accord;
(v) déclare sans pertinence et sans effet juridique la constatation formulée par le
Groupe spécial au paragraphe 7.127 de son rapport23
, selon laquelle l'article 9 5)
du Règlement antidumping de base est incompatible avec l'obligation NPF énoncée
à l'article I:1 du GATT de 1994;
(vi) confirme la constatation formulée par le Groupe spécial au paragraphe 7.137 de
son rapport24
, selon laquelle l'Union européenne a agi d'une manière incompatible
avec l'article XVI:4 de l'Accord sur l'OMC et avec l'article 18.4 de l'Accord
antidumping en n'assurant pas la conformité de ses lois, réglementations et
procédures administratives avec ses obligations au titre des accords pertinents;
(vii) confirme la constatation formulée par le Groupe spécial au paragraphe 7.148 de
son rapport25
, selon laquelle l'article 9 5) du Règlement antidumping de base est
incompatible avec les articles 6.10 et 9.2 de l'Accord antidumping "tel qu'appliqué"
dans l'enquête sur les éléments de fixation.
b) en ce qui concerne les constatations formulées par le Groupe spécial au titre des
articles 4.1 et 3.1 de l'Accord antidumping26
:
i) constate que le Groupe spécial a fait erreur en constatant, au
paragraphe 7.230 de son rapport, que "l'Union européenne n'a[vait] pas agi
d'une manière incompatible avec l'article 4.1 de l'[Accord antidumping] en
définissant une branche de production nationale comprenant des
producteurs représentant 27 pour cent de la production totale estimée
d'éléments de fixation de l'UE" sur la base du fait que les productions
additionnées de ces producteurs représentaient "une proportion majeure"
de la production nationale totale;
ii) constate que le Groupe spécial n'a pas fait erreur en constatant, au
paragraphe 7.241 de son rapport, que la Chine n'avait pas établi que
l'Union européenne avait agi d'une manière incompatible avec l'article 3.1
23
Voir aussi le rapport du Groupe spécial, paragraphe 8.2 a). 24
Voir aussi le rapport du Groupe spécial, paragraphe 8.2 a). 25
Voir aussi le rapport du Groupe spécial, paragraphe 8.2 b). 26
Voir aussi le rapport du Groupe spécial, paragraphe 8.3 b).
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de l'Accord antidumping lors du choix de l'échantillon de la branche de
production nationale aux fins de la détermination de l'existence d'un
dommage; et
iii) constate que le Groupe spécial n'a pas fait erreur dans son interprétation
ou son application des articles 4.1 et 3.1 de l'Accord antidumping, ni n'a
agi d'une manière incompatible avec l'article 11 du Mémorandum d'accord
et avec l'article 17.6 de l'Accord antidumping, en constatant, au
paragraphe 7.219 de son rapport, que "le simple fait que la branche de
production nationale telle qu'elle [avait] été définie en définitive
n'inclu[ait] aucune proportion particulière de producteurs exprimant des
vues différentes au sujet de la plainte ou de producteurs qui ne [s'étaient]
pas manifestés dans le délai de 15 jours ne démontr[ait] pas que l'Union
européenne [avait] agi d'une manière incompatible avec l'article 4.1 de
l'[Accord antidumping] pour définir la branche de production nationale"
ou qu'elle avait agi d'une manière incompatible avec l'article 3.1 de cet
accord.
…..
Questions
1. Qui subit une atteinte justifiant l'introduction de la procédure ?
2. Qui sont les parties à la procédure ?
3. Identifier les différentes instances de la procédure.
4. Quelles dispositions juridiques ont-elles été violées ?
5. Comment les décisions de l'Organe d'appel sont-elles exécutées ?
* * * * *
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§ 3 LA REGLEMENTATION DU MARCHE
Textes législatifs : art. 94-97, 100-103, Cst. féd. (RS 101); art 6 CC ; Loi fédérale
du 06.10. 1995 sur les cartels (LCart) (RS 251) ; Loi fédérale du 19 décembre
1986 contre la concurrence déloyale (LCD) (RS 241).
Bibliographie : P. TERCIER, Introduction générale, in Commentaire Romand,
Concurrence, Bâle 2002, 1 ss; C.L. DE LEYSSAC / G. PARLEANI, Droit du marché,
Paris 2002 ; G. FARJAT, Pour un droit économique, Paris 2004 ; M. HERDEGEN,
Internationales Wirtschaftsrecht, 6e éd., Munich 2007 ; R. RHINOW / G. SCHMID /
G. BIAGGINI, Oeffentliches Wirtschaftsrecht, Bâle 1998.
3.1 L’INTERVENTION ETATIQUE
82 De tout temps, l’Etat a règlementé l’activité économique. C’est la
problématique de l’étendue de la liberté économique – garantie par la
Constitution fédérale – et de l’intérêt public justifiant les limites apportées
à son exercice. A juste titre, les entrepreneurs ont lutté pour réduire l’inter-
vention de l'Etat et obtenir une plus grande marge de manœuvre. Tout en
réduisant l’appareil législatif et règlementaire visant l’activité économique
de l’entrepreneur, l’Etat s’est préoccupé du fonctionnement du marché lui-
même.
83 Bien avant les dernières crises financières et économiques de 2007/2008, la
réglementation de l'économie a fait l'objet de multiples discussions :
- Tout en demandant une réduction des mesures restrictives inutiles ("red
tape"), les juristes et les économistes s'efforçaient de se mettre d'accord
sur une nouvelle réglementation (cf. par exemple en 2004, J.-B.
Zufferey, (Dé-, re-, sur-, auto-, co-, inter-) réglementation en matière
bancaire et financière, thèses pour un état des lieux en droit suisse,
Rapport à la société des juristes, in RDS 2004/II, p. 479 ss). On assiste
alors à une intensification de la réglementation.
- Dans le même temps, apparaissent des règles non-impératives (SOFT
LAW) mais dont l'application est "recommandée" si l'on veut faire
partie du système ("normes" comptables internationales, règles de bonne
gouvernance).
- De plus, les règles suivies en Suisse sont parfois reprises quasi-
intégralement de règles étrangères (p. ex. du droit européen); d'où une
globalisation de la réglementation.
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34
3.2 LES DIVERS TYPES D’INTERVENTION
84 L’Etat peut intervenir de diverses manières et dans divers domaines. Il
peut :
- fixer des règles quant au contenu de certains contrats (cf. 3.2.1) ;
- fixer des règles générales d'organisation de l'entreprise (cf. 3.2.2) ;
- fixer des règles générales quant au fonctionnement du marché (cf.
3.2.3);
- fixer des règles quant au fonctionnement de certains marchés
particuliers (cf. 3.2.4).
3.2.1 La réglementation des relations contractuelles
85 Notre système économique repose sur le postulat de la liberté individuelle
et de l’autonomie de la volonté.
86 Cependant, le Code des obligations contient déjà, à l’art. 21 CO, une règle
qui protège la partie qui, en raison de sa gêne, de sa légèreté ou de son
inexpérience aurait signé un contrat dont les prestations sont
disproportionnées. Mais il s'agit d'une disposition très générale et qui n'est
guère plus appliquée.
87 Dans des domaines particuliers de la vie économique, le législateur a
adopté des règles spéciales protégeant la partie qui, en raison des dis-
fonctionnements du marché, n’est pas en position de négocier le contrat
dans des conditions usuelles :
A. Contrat de bail (art. 253 à 274 g CO, bail à loyer)
88 Depuis plus de quarante ans, le législateur suisse a adopté des règles
particulières concernant la fixation du loyer ou la résiliation du contrat. En
effet, en raison de l'exiguïté du territoire et de la demande croissante de
logements, le marché du logement est en Suisse en constant déséquilibre
(l'offre est inférieure à la demande). Par exemple :
- le Chapitre II (art. 269 ss CO) est intitulé : « Protection contre les loyers
abusifs ou d’autres prétentions abusives du bailleur en matière de baux
d’habitation et de loyers commerciaux » ;
- le Chapitre III (art. 271 ss CO) est intitulé : « Protection contre les
congés concernant les baux d’habitations et de locaux commerciaux ».
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B. Droit de la consommation
89 Alors que les consommateurs représentent une partie essentielle du marché,
le législateur (du moins en Suisse) s’y est peu intéressé. Pourtant, il est
nécessaire de traiter certains aspects tels que :
- L’information du consommateur : c’est la question d’une part des
conditions générales et, d’autre part, de l’étiquetage des produits.
- La formation du contrat : en 1990, le législateur a adopté les art. 40a à
40f CO sur le droit de révoquer certains contrats (RO 1991 846).
- Le crédit à la consommation : en 2001, le législateur a adopté la loi
fédérale sur le crédit à la consommation.
- La sécurité des produits : la réglementation suisse était disséminée
dans les différents domaines du droit; depuis 1993, la loi sur la
responsabilité du fait du produit élargit les possibilités d'actions en
justice pour celui qui subit un dommage en raison de la défectuosité du
produit. La LF du 12.6.2009 sur la sécurité des produits a introduit des
normes techniques pour les équipements de protection individuelle
(équipements d'alpinisme et d'escalade, lunettes-masques de
motocyclistes et cyclomoteurs, gilets de sauvetage; cf. RS 930.11 et
930.111). Il s'agit à ce propos de normes européennes harmonisées qui
ont été édictées par le Comité européen de normalisation (CEN), sur
l'ordre de la Commission européenne et de l'Association européenne
de libre échange (AELE).
C. Le contrat d’assurance
90 Cette branche économique est régie, dans ses relations avec ses clients,
par la loi fédérale sur le contrat d’assurance (RS 221.229.1).
3.2.2 La réglementation de l'entreprise
A. Organisation et fonctionnement de la société
91 Le Code des obligations a été modifié dans le but de faciliter la constitution
d'une société à responsabilité limitée et le transfert des parts. Dans certaines
conditions, le ou les associés peuvent renoncer à l'établissement d'un
rapport annuel de l'organe de révision. Cette dernière possibilité est aussi, à
certaines conditions (peu d'employés, faible chiffre d'affaires), accordée à
la société anonyme.
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36
B. Contrat de travail (art. 319 à 362 CO)
92 Dans ce contrat, le législateur a imposé des règles auxquelles il ne peut être
dérogé au détriment du travailleur (la liste en est donnée à l’art. 362 CO),
et d’autres auxquelles il ne peut être dérogé ni au détriment du travailleur,
ni au détriment de l’employeur (cf. la liste de l’art. 361 CO).
93 Le Code des obligations réglemente aussi les conventions collectives de
travail qui sont, soit adoptées par les partenaires sociaux (représentants des
employés et des employeurs), soit imposées par les autorités compétentes.
3.2.3 La réglementation du marché en général
A. La concurrence déloyale
a) Droit suisse
94 Le législateur suisse s’est d’abord préoccupé de la manière d’exercer la
concurrence avant même de se préoccuper que le marché existe et que la
concurrence y fonctionne. La première loi suisse sur la concurrence
déloyale (LCD) a été adoptée en 1943, soit vingt et un ans avant la
première loi sur les cartels (LCart.). Dans un premier temps, en effet, le
législateur veillait d'abord à la protection des concurrents contre des
comportements déloyaux de tiers. L'entreprise exclue de la concurrence
par un boycott, par exemple, devait invoquer l'art. 28 CC (protection des
droits de la personnalité).
95 Par la suite, après l'adoption de la première loi sur les cartels en 1962
(révisée en 1986, 1996 et 2004), l'objectif de la LCD a quelque peu
évolué. Selon l'art. 1er LCD (révisée en 1986), cette loi « vise à garantir,
dans l’intérêt de toutes les parties concernées, une concurrence loyale
et qui ne soit pas faussée ».
96 Il est cependant exact que le droit de la concurrence au sens étroit
concerne la garantie de la possibilité d’exercer la concurrence, alors que
la législation contre la concurrence déloyale se rapporte à la manière
d’exercer la concurrence. Ainsi, selon l’art. 2 LCD « est déloyal et
illicite tout comportement ou pratique commercial qui est trompeur ou
qui contrevient de toute autre manière aux règles de la bonne foi et qui
influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et
clients. » L’art. 3 LCD donne ensuite une liste exemplative de ce genre
de comportements : dénigrement d’autrui, indications inexactes ou
fallacieuses, mesures de nature à faire naître une confusion avec les
marchandises ou les prestations d’autrui, ventes en dessous du prix
coûtant, etc.
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37
97 L’action en concurrence déloyale sera toujours introduite par un
concurrent à l’encontre d’un autre opérateur sur le marché. Elle n’est
pas engagée par une autorité administrative (et les dispositions pénales
sont rarement invoquées). Pourtant, en protégeant les concurrents contre
des pratiques déloyales c’est aussi le fonctionnement du marché qui est
indirectement protégé.
98 La plupart des systèmes juridiques connaissent des dispositions légales
relatives à la concurrence déloyale. La Convention d’Union de Paris, de
1883, faisait déjà référence aux « usages honnêtes et loyaux du
commerce ».
b) Droit communautaire
99 Jusqu’en 2005, le droit communautaire ne s’est pas préoccupé de la
concurrence déloyale, laissant ce domaine aux pays membres. Le 11 mai
2005, la Commission a adopté la Directive 2005/29 sur les pratiques
commerciales déloyales. Par cette Directive, la Commission vise deux
buts :
- satisfaire les impératifs du marché intérieur et la libre circulation que
celui-ci implique ;
- protéger les consommateurs, en particulier dans les échanges
transfrontaliers (pratiques trompeuses et pratiques agressives).
100 La Commission insiste sur un renforcement de la coopération entre les
Etats membres et entre les « professionnels » pour lutter de façon
uniforme contre les pratiques commerciales déloyales.
B. La protection de la concurrence
101 Alors que les règles relatives à la concurrence déloyale protègent d’abord
le concurrent, le droit de la concurrence proprement dit vise l’existence
même de la concurrence sur le marché et son exercice (cf. 2e Partie, ci-
dessous):
- art. 1er LCart: «La présente loi a pour but d’empêcher les
conséquences nuisibles d’ordre économique ou social imputables aux
cartels et aux autres restrictions à la concurrence et de promouvoir
ainsi la concurrence dans l’intérêt d’une économie de marché fondée
sur un régime libéral»;
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38
- art. 3 par. 1 let. b TFUE: «L’Union dispose d’une compétence exclusive
dans […] l’établissement des règles de concurrence nécessaires au
fonctionnement du marché intérieur».
C. La loi suisse sur la surveillance des prix (LSP)
a) But
102 Après avoir instauré des mesures conjoncturelles de surveillance des
prix, au cours des années 1970, le législateur suisse, exécutant un
mandat résultant d’une initiative constitutionnelle, a adopté en 1985 une
loi fédérale sur la surveillance des prix. Le Surveillant des prix observe
l’évolution des prix (art. 4 al. 1 LSPr) et empêche les augmentations de
prix abusives et le maintien de prix abusifs.
b) Champ d’application
103 Quant aux personnes, la loi s’applique aux cartels et aux organisations
analogues (« autres restrictions à la concurrence ») au sens de la LCart.
104 Si une appréciation de la situation est nécessaire, le Surveillant des prix
doit consulter la Commission de la Concurrence avant de prendre sa
décision (art. 5 al. 4 LSPr).
105 Quant à la matière, la loi
- s’applique au prix des marchandises, des services et de l’argent
(intérêts) ;
- ne s’applique pas à la rémunération du travail (salaires).
c) Prix administrés
106 Si une autorité (fédérale, cantonale ou communale) est compétente pour
décider ou approuver une augmentation de prix proposée par un cartel
ou une organisation analogue, elle prend au préalable l’avis du
Surveillant des prix (art. 14 LSPr).
3.2.4. La réglementation de certains marchés particuliers
A. Marchés financiers
a) Autorités administratives
107 - Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA;
RS 956.1)
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39
- Commission des offres publiques (COPA; 954.195.1)
b) Rôle
108 Surveillance de l'activité des banques, des compagnies d'assurances
privées et des sociétés cotées en bourse.
c) Bases légales
109 - LF sur les banques et les caisses d'épargne (RS 952.0);
- LF sur la surveillance des entreprises d'assurances (RS 961.01)
- LF sur les bourses et le commerce des valeurs mobilières (RS 954.1)
- LF sur les placements collectifs de capitaux (RS 951.31)
B. Télécommunications
a) Autorité administrative
110 Commission fédérale de la communication, composée de 7 membres
spécialistes du domaine et indépendants, dont le Prof. Reiner
Eichenberger.
b) Rôle
111 Régulation du marché des télécommunications en Suisse
c) Bases légales
112 LF sur les télécommunications (RS 784.10) et les ordonnances
d'exécution
C. Marché de l'électricité
a) Autorité administrative
113 Commission fédérale de l'électricité, composée de 7 membres.
b) Rôle
114 Contrôle les prix de l'électricité, statue sur les litiges concernant le libre
accès au réseau électrique, règle les questions de transport et de
commerce international d'électricité.
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41
Chapitre 2
LA CREATION D’UN MARCHE INTEGRE
§ 4 LE MARCHE INTERIEUR EUROPEEN
Textes législatifs : art. 34 ss, 45 ss, 49 ss, 56 ss et 63 ss TFUE; Accords
bilatéraux, RS 0.142.112.681; 0.972.052.68; 0.420.513.1; 0.740.72;
0.748.127.192.68; 0.916.026.81; 0.946.526.81.
Bibliographie : N. LIGNEUL/J.-C. MASCLET, Libre circulation des marchandises,
Juris-Classeur Europe, Vol. 2, Fasc. 550; Accords bilatéraux Suisse – UE
(Commentaires), Bâle 2001; D. DREYER/B. DUBEY, La place des avocats dans les
accords sectoriels et leur rôle dans leur application, in « Accords bilatéraux »,
p. 209 ss; J. PELKMANS, Economic Concept and Meaning of the Internal Market,
in The EU Internal Market in Comparative Perspective, Economic, Political and
Legal Analysis, J. PELKMANS, D. HANF and M. CHANG, Bruxelles 2008, p. 29-76;
D. HANK, Legal Concept and Meaning of the Internal Market, in The EU Internal
Market, p. 77-93.
4.1 UN MARCHE CREE PAR ETAPES
4.1.1 Les étapes du marché intérieur
116 Le Traité de Rome prônait déjà la libre circulation des personnes et la libre
circulation des marchandises. L'abolition (progressive) des droits de
douane facilitait certes l'exportation des marchandises d'un pays à l'autre
de la Communauté, mais la libre circulation des marchandises n'était de
loin pas encore garantie. En effet, de nombreux obstacles administratifs ou
techniques restreignaient le mouvement des marchandises au sein de la
Communauté.
117 En 1985, vingt-huit ans après l'adoption du traité de Rome instituant la
CEE, les autorités communautaires se rendaient compte que la création
d'un véritable marché intérieur européen était encore très éloignée. L'une
des causes principales de la lenteur des progrès provenait des procédures
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42
d'adoption des règles communautaires nécessaires, pour favoriser la libre
circulation des marchandises.
118 Les autorités de l'Union (Commission, Conseil des ministres, Parlement)
s'efforçaient d'harmoniser les règles applicables au sein de l'Union soit par
des Règlements (règles directement applicables dans l'ensemble de
l'Union), soit par des Directives (fixant des objectifs à atteindre mais
accordant une marge de manœuvre aux Etats membres sur la manière d'y
parvenir). Mais ces deux types de règles ne pouvaient le plus souvent être
adoptées qu'à l'unanimité.
119 Les Etats communautaires modifièrent alors le Traité par l'Acte unique
européen (1986), un traité qui non seulement réunissaient les organes des
trois communautés qui existaient encore distinctement (la CEE, la
Communauté du charbon et de l'acier - CECA - et la Communauté de
l'énergie atomique – CEEA) mais surtout modifiait les règles sur la
majorité en rendant possible l'adoption d'un beaucoup plus grand nombre
de décisions à la majorité plutôt qu'à l'unanimité.
120 Par la même occasion, les Etats communautaires se fixèrent comme
objectif de réaliser ce marché intérieur pour la fin 1992.
121 Cette réalisation a aussi été grandement facilitée par une interprétation très
dynamique du Traité par la Cour de Justice des Communautés européennes
(CJCE).
4.1.2 Remarque sur les traités européens
122 A l’époque de l’adoption du Traité de Rome (1957) instituant la
Communauté économique européenne – le marché commun, deux autres
traités régissaient le charbon et l’acier (CECA) et la recherche atomique
(Euratom). Chacune de ces organisations avait ses propres organes ; c’est
pourquoi, on parlait alors des Communautés européennes.
123 Le traité de Rome a été modifié à plusieurs reprises :
- l’Acte Unique européen (1986), rassemblant les différents organes en une seule
Communauté européenne et modifiant les systèmes de majorités ;
- le Traité de Maastricht (1992) modifiant les organes pour tenir compte de l’agrandissement
de la Communauté.
- le Traité d’Amsterdam (1997) instituant l’Union européenne et complétant la Communauté
européenne (1er pilier) par deux autres piliers :
-- la politique étrangère et la sécurité commune (PESC, 2e pilier) ;
-- la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures (JAI ; accord
de Schengen, 3e pilier);
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43
- le Traité de Lisbonne (2007) simplifiant l’architecture de l’Union et fusionnant les trois
piliers.
4.1.3 La Constitution européenne et le Traité de Lisbonne
124 Nombre de principes importants de l’Union européenne étant dispersés
dans l’un ou l’autre traité, les Etats membres ont manifesté le souhait de
réunir les éléments fondamentaux dans un « texte de base », une
« constitution » (Traité de Rome II ou Traité de Rome de 2004). Ce traité
aurait dû entrer en vigueur le 1er novembre 2006, mais il a été rejeté par
la majorité des électeurs français et néerlandais lors des procédures de
ratification en 2005.
125 Pour palier à l’échec de la ratification de la « Constitution européenne »,
un nouveau texte, le Traité de Lisbonne, a été soumis aux pays membres
pour ratification. Toutefois, le processus de ratification a duré deux ans.
En effet, dans un premier temps, lors du référendum en juin 2008, le
peuple irlandais s’était exprimé contraire à l’adoption du Traité de
Lisbonne. Par contre, lors d’un nouveau référendum, en automne 2009,
les irlandais ont voté en grande majorité pour le oui. Ce traité est
finalement entré en vigueur le 1er décembre 2009.
4.2 L’ACCES AU MARCHE INTERIEUR
4.2.1 Le principe du marché intérieur
126 Selon l'art. 3 § 1 let. c du Traité de Maastricht (aujourd’hui abrogé et
remplacé, en substance, par les art. 3 à 6 TFUE), le marché intérieur
européen est caractérisé par l'abolition entre les Etats membres des
obstacles à la libre circulation des marchandises, des personnes, des
services et des capitaux.
127 En effet, un véritable marché intérieur ne peut fonctionner que si :
- les marchandises peuvent circuler librement (art. 28 TFUE);
- les capitaux peuvent circuler librement (art. 63 TFUE);
- les professionnels peuvent librement prester leurs services sur tout le
territoire de l'Union (art. 56/57 TFUE);
- les ressortissants de l'Union peuvent librement s'établir sur tout le
territoire de l'Union (art. 49 TFUE);
- les travailleurs peuvent librement circuler (art. 45 TFUE).
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44
128 L'exercice de ces trois dernières libertés implique la reconnaissance des
diplômes et des certificats de capacité (cf. à ce sujet, ci-après, § 5.4 et 5.6).
129 Seule la libre circulation des marchandises est examinée ici plus en détail.
4.2.2 La libre circulation des marchandises
A. La marchandise (au sens communautaire)
a) La définition
130 La CJCE (10.12.1968, Commission c/ Italie, aff. 7/68) a défini les
marchandises comme les « produits appréciables en argent et
susceptibles comme tels de former l’objet de transactions commer-
ciales ».
b) Le caractère communautaire
131 L’art 28 al. 2 TFUE dispose que la liberté de circulation s’applique
« aux produits qui sont originaires des Etats membres, ainsi qu’aux
produits en provenance de pays tiers qui se trouvent en libre pratique
dans les Etats membres ».
132 La détermination de l’origine de la marchandise pose deux problèmes :
- un problème géographique : la marchandise a son origine dans le
territoire douanier communautaire y.c. les territoires assimilés au
territoire douanier en raison de conventions internationales (soit la
mer territoriale et l’espace) ;
- un problème de détermination de l’origine pour les marchandises
complexes : quelle est l’origine du produit réalisé sur le territoire
communautaire avec des produits importés d’Etats tiers ?
133 L’art. 24 du Code des douanes communautaire dispose que l’origine
d’un tel produit est le lieu de sa dernière ouvraison à condition que
celle-ci soit substantielle et économiquement justifiée
134 De plus, la marchandise issue d’un Etat tiers mais introduite dans la
Communauté à la suite des formalités douanières et fiscales et donc
régulièrement importée est alors assimilée à une marchandise
communautaire.
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45
B. L'interdiction des droits de douanes
a) Le principe
135 Puisqu’elle est une zone de libre-échange, la Communauté interdit à ses
Etats membres de percevoir des droits de douane dans leurs relations
commerciales réciproques.
136 Par ailleurs, l’Union européenne a instauré, progressivement de 1957 à
1969, une union douanière : tarif douanier commun et réglementation
douanière unique (Code des douanes communautaires, envois
administration, contrôle et sanction par les Etats membres).
137 Une taxe imposée au commerce international et qualifiée de droit de
douane est donc illicite si elle ne correspond pas au Code des douanes.
Les problèmes ont surgi lorsque les Etats ont adopté des taxes « d’effets
équivalent aux droits de douane ».
b) La notion de taxe d’effet équivalent
138 Les art. 28/30 TFUE posent le principe d’interdiction des taxes d’effet
équivalent mais ne les définissent pas.
139 A l’origine les taxes d’effet équivalent ont été définies dans l’affaire du
« pain d’épices » (CJCE 14.12.1962, Commission c/ Luxembourg et
Belgique, aff. 2/62 et 3/62) de la façon suivante :
« La taxe d’effet équivalent peut être considérée, quelles que soient son
appellation et son origine, comme un droit unilatéralement imposé, soit
au moment de l’importation, soit ultérieurement et qui, frappant
spécifiquement un produit importé d’un pays membre à l’exclusion du
produit national similaire, a pour résultat, en altérant son prix, d’avoir
ainsi sur la liberté de circulation des produits, la même incidence qu’un
droit de douane. »
140 Depuis la fin des années 1960, la taxe d’effet équivalent est définie (cf.
CJCE 01.07.1969, Sociaal fonds Diamanterbeiders c/ Brachfeld et
Chougol, aff. 2/69 et 3/69 et Commission c/ Italie, aff. 24/68) comme :
« une charge pécuniaire, fût-elle minime, unilatéralement imposée
quelles que soient son appellation ou sa technique, et frappant les
marchandises nationales ou étrangères à raison du fait qu’elles
franchissent la frontière, lorsqu’elle n’est pas un droit de douane […]
alors même qu’elle ne serait pas perçue au profit de l’Etat, qu’elle
n’exercerait aucun effet discriminatoire ou protecteur et que le produit
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46
imposé ne se trouverait pas en concurrence avec une production
nationale ».
141 Les critères de qualification de ces taxes sont donc :
- une charge pécuniaire ;
- une imposition unilatérale ;
- le franchissement d’une frontière.
142 Les Etats membres peuvent en revanche créer des mesures d’imposition
intérieures. Ils ont en effet conservé leur souveraineté fiscale (sauf dans
les domaines harmonisés).
143 L’art. 110 par. 1 TFUE dispose toutefois «Aucun Etat membre ne
frappera directement ou indirectement les produits des autres Etats
membres d’impositions intérieures, de quelque nature qu’elles soient,
supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les
produits nationaux similaires».
144 Il n’est donc possible de créer une taxe ou une imposition sur son propre
territoire que dans la mesure où elle frappe les produits nationaux et les
produits des autres Etats membres de la CE de façon analogue. L’art.
110 n’est dès lors rien d’autre qu’une expression du principe de non-
discrimination sur la nationalité.
145 En conséquence, les mesures d’imposition intérieures sont en principe
licites si deux conditions sont remplies. La mesure ne doit pas :
- créer une discrimination entre des produits nationaux et des produits
similaires en provenance d’autres Etats membres ;
- faire naître une discrimination déguisée au commerce. L’art. 110 par.
2 TFUE interdit en effet les mesures d’imposition intérieure « de
nature à protéger indirectement d’autres productions ». Le juge
communautaire doit alors apprécier la « proximité » des
marchandises en causes, appréciation qui dépend de l’existence d’un
rapport de concurrence entre les produits.
c) Le régime de la taxe d’effet équivalent
146 Etant assimilée à des droits de douanes, la taxe d’effet équivalent est
interdite.
147 Deux actions sont ouvertes pour celui qui a payé indûment cette taxe :
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47
- Une action en responsabilité contre l’Etat membre qui a violé cette
norme de droit communautaire si cette norme faisait naître des droits
au profit de particuliers, si la violation de la norme est suffisamment
caractérisée et si elle est la cause du préjudice dont on entend obtenir
réparation.
- Une action en répétition de l’indu. La restitution doit être intégrale
et englober l’indemnisation des éventuels préjudices découlant de la
violation du traité. Les Etats membres doivent organiser un recours
effectif devant leurs juridictions nationales, à savoir un recours dont
les conditions de recevabilité sont raisonnables. Ce recours doit en
outre être au moins aussi favorable que ceux organisés par les Etats
membres en matière de fiscalité interne.
C. L’interdiction des restrictions quantitatives et des mesures d’effet
équivalent
148 Les restrictions quantitatives ou les mesures d'effet équivalent peuvent être
éliminées en adoptant une règle commune à l'ensemble des Etats membres
(par la voie d'un règlement ou d'une directive). On parle alors d'un domaine
"harmonisé". En dehors de ces domaines, des règles différentes sont
applicables dans les pays membres. Cette différence peut-elle justifier une
restriction à l'importation? C'est à cette question que vise à répondre l'art.
34 TFUE :
"Les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toute mesure d'effet
équivalent sont interdites entre les Etats membres".
a) Les restrictions quantitatives
149 La jurisprudence a précisé la notion de restriction quantitative en
indiquant qu’il s’agit de « toute mesure visant une prohibition totale ou
partielle d’importation, d’exportation ou de transit » (CJCE 12.07.73,
aff. 2/73).
150 La restriction quantitative a donc deux éléments constitutifs : une
mesure étatique et une prohibition totale ou partielle d’importer.
151 Est une mesure étatique :
- toute mesure d'une autorité exécutive, législative ou judiciaire;
- une mesure d'une autorité du pouvoir central national ou d'une
collectivité territoriale;
- une mesure d'un organisme public.
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152 Est une restriction quantitative toute mesure visant à restreindre le
nombre (ou le poids) d'une marchandise à l'importation ou à
l'exportation.
b) Les mesures d’effet équivalent aux restrictions quantitatives
153 L'expression "mesures d'effet équivalent" a donné lieu à une abondante
jurisprudence de la CJCE. L'arrêt fondamental fut l'arrêt Dassonville
selon lequel une mesure d'effet équivalent englobe :
"Toute réglementation commerciale des Etats membres susceptibles
d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou
potentiellement le commerce intracommunautaire" (CJCE 11 juillet
1974, aff. 8/74).
154 Il s’agit, comme pour les restrictions quantitatives, d’une mesure
étatique.
155 Est une mesure étatique :
- toute mesure d'une autorité exécutive, législative ou judiciaire;
- une mesure d'une autorité du pouvoir central national ou d'une
collectivité territoriale;
- une mesure d'un organisme public.
156 Une mesure peut être qualifiée d'effet équivalent même si son influence
est potentielle ou d'une faible importance. En permettant d'éliminer
toute disposition discriminatoire ou non, constituant un obstacle ou
pouvant constituer un obstacle aux échanges, si limités que soient ses
effets, la jurisprudence "Dassonville" a étendu de manière considérable
le champ d'application de l'art. 34 TFUE. Ainsi, ont été jugées contraires
au droit communautaire :
- des mesures avantageant la production nationale (p. ex. les aides à la
presse réservées aux publications du pays octroyant l'aide);
- des mesures imposant des licences ou des certificats d'importation ou
d'exportation;
- la perception d'un "droit de statistique";
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- des mesures concernant la composition des produits : règles
italiennes de fabrication des pâtes alimentaires excluant les farines de
blé tendre;
- des mesures concernant le conditionnement des produits et leur
étiquetage ou leur désignation (règle belge n'autorisant la vente de
margarine que sous un emballage de forme cubique).
157 La Cour a freiné l'extension de la jurisprudence Dassonville en jugeant
que des règles relatives aux modalités de vente ne violaient pas l'art. 34
TFUE "pourvu qu'elles s'appliquent à tous les opérateurs concernés
exerçant leur activité sur le territoire national, et pourvu qu'elles
affectent de la même manière, en droit comme en fait, la
commercialisation des produits nationaux et de ceux en provenance des
autres Etats membres" (Keck et Milhouard, CJCE, 24 nov. 1993, aff. C-
267 et 268/91 : Rec I. p. 6097).
158 Elle l'a également fait en renonçant à condamner des restrictions ayant
un effet trop hypothétique et aléatoire sur le commerce
intracommunautaire.
4.3 LES EXCEPTIONS AU LIBRE ACCES
159 Les entraves au commerce intracommunautaire sont admises lorsqu'elles
entrent dans le champ d'application de l'art. 36 TFUE. Le régime
d'exception ne s'applique qu'aux "entraves" alors qu'une "taxe d'effet
équivalent" à un droit de douane ne pourra jamais être justifiée.
160 L'art. 36 TFUE doit être interprété de manière restrictive. La mesure
restrictive doit respecter le principe de proportionnalité et être adéquate
(propre à atteindre le but visé). C'est en application de cette disposition,
que la CJCE a rendu son arrêt "Cassis-de-Dijon", précisant que la
restriction peut aussi être admise si elle est reconnue "nécessaire pour
satisfaire à des exigences impératives, tenant notamment à l'efficacité des
contrôles fiscaux, à la protection de la santé publique, à la loyauté des
transactions commerciales et à la défense des consommateurs."
4.4 LES PROCEDURES GARANTISSANT L’ACCES AU MARCHE
161 Alors que, selon les règles de l’OMC, les entreprises ne peuvent écarter les
obstacles au libre-échange que par une intervention de l’Etat dans lequel
elles ont leur siège (cf. ci-dessus § 2.1.4), les entreprises dont l’accès au
marché intérieur européen est dénié ou indûment entravé ont d’autres
moyens d’agir.
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50
4.4.1 Le recours préjudiciel (art. 267 TFUE)
162 Selon l’art. 267 TFUE, la Cour de justice est compétente pour statuer à titre
préjudiciel sur l’interprétation du traité. Lorsqu’une question d’interpré-
tation est soulevée devant une juridiction (tribunal) d’un Etat membre,
cette juridiction peut demander à la Cour de justice de statuer sur cette
question.
163 Ainsi, lorsqu’une entreprise considère qu’une mesure administrative, dont
elle est l’objet et qui entrave son accès au marché, est contraire aux règles
européennes, elle invoque cette violation et invite le juge à solliciter de la
Cour de justice l’interprétation de ces règles européennes. Cette manière de
faire a été abondamment utilisée dès les années 1960 et a permis le
développement des règles du marché intérieur, en particulier celles
relatives à la libre circulation des personnes et à la libre circulation des
marchandises.
4.4.2 Dénonciation à la Commission
164 Lorsqu’une entreprise – dont les siège peut être hors de l’Union
européenne – est entravée par une autre entreprise (ou une association
privée), elle peut dénoncer le cas à la Commission européenne (ou encore
actuellement, à l’autorité nationale chargée d’appliquer le droit européen
de la concurrence) et cette autorité pourra, si jugé nécessaire, prendre une
décision à l’encontre de la société incriminée.
165 A noter que, dans le cas d’une dénonciation à la Commission par une
entreprise dont le siège est dans l’Union européenne, le pays de l’entreprise
entravée pourrait, en cas d’inaction de la Commission, introduire devant les
juridictions européennes une action judiciaire.
4.4.3 Action en dommages-intérêts
166 Par le biais d’une procédure civile entamée devant un tribunal d’un pays
membre de l’UE, l’entreprise entravée invoquera la violation du droit
européen dans le but d’obtenir l’annulation de l’entrave et, éventuellement,
des dommages-intérêts (la juridiction saisie pourra consulter la CJCE par le
biais du recours préjudiciel). Une telle action peut être introduite par une
entreprise établie hors de l’UE.
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4.5 LES ACCORDS BILATERAUX ENTRE LA SUISSE ET L’UE
4.5.1 Adoption et contenu des accords
167 A la suite de l'échec en Suisse, à fin 1992, du vote sur le Traité instituant
l'Espace Economique Européen, le gouvernement suisse a conclu des
accords bilatéraux avec l'Union européenne. Ces négociations ont abouti au
printemps 1999 à la signature des accords bilatéraux entre la Suisse et
l’Union européenne. Ces accords et la législation d’accompagnement sont
entrés en vigueur le 1er juillet 2002.
168 L'extension de ces accords aux dix nouveaux pays membres de l'Union
européenne a été approuvée. Ces accords prévoient des périodes
transitoires. Une première étape transitoire a été franchie en 2007.
169 Les sept accords portent sur les objets suivants :
- la recherche,
- les obstacles techniques aux échanges,
- l'accès aux marchés publics,
- les transports terrestres,
- les transports aériens,
- la libre circulation des personnes,
- l'accès aux marchés des produits agricoles.
170 Plus précisément, il s’agit de:
- L’Accord du 16 janvier 2004 de coopération scientifique et technologique entre la
Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et la Communauté
européenne de l’énergie atomique, d’autre part (RS 0.420.513.1) ;
- L’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne
relatif à la reconnaissance mutuelle en matière d’évaluation de conformité (RS
0.946.526.81) ;
- L’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur
certains aspects relatifs aux marchés publics (RS 0.177.052.68) ;
- L’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur
le transport des marchandises et voyageurs par rail et par route (RS 0.740.72) ;
- L’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur
le transport aérien (RS 0.748.127.192.68) ;
- L’Accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses
Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (RS 0.142.112.681) ;
- L’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne
relatif aux échanges de produits agricoles (RS 0.916.026.81).
4.5.2 Le comité mixte
171 Les Accords bilatéraux n’instituent pas d’organes communs à la Suisse et à
l’Union européenne. Ils constatent l’accord des parties sur des règles en
vigueur au moment de l’adoption des Accords.
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52
172 Or :
- des conflits peuvent surgir au sujet de l’interprétation ou de l’application
des accords ;
- les règles, en particulier les règles communautaires auxquelles se
rapportent les Accords évoluent rapidement ; il s’agit de décider
comment tenir compte de cette adaptation.
173 C’est pourquoi les parties signataires ont instauré pour chacun des Accords
un Comité mixte au sein duquel les représentants des parties
contractantes :
- règlent d’un commun accord les questions d’interprétation ou
d’exécution ;
- modifient les annexes des accords lorsque cette compétence leur a été
accordée ;
- constatent leur désaccord et sollicitent une coopération au niveau
gouvernemental (Conseil fédéral, Commission ou Conseil des
ministres).
4.5.3 Effets sur la concurrence
174 Du point de vue du droit de la concurrence, on peut faire les constatations
suivantes :
- alors que l'Accord de libre-échange de 1972 ne concerne que la
circulation des marchandises, les accords bilatéraux couvrent aussi la
circulation des personnes et des services;
- les accords bilatéraux instituent un comité mixte pour superviser leur
application; toutefois, les accords contiennent des règles d’application
directe qui pourraient être soumises, selon les circonstances, aux
tribunaux suisses ou aux tribunaux du pays européen concerné;
cependant, seuls les tribunaux d’un pays membre pourront, selon le
Traité (art. 267 TFUE), solliciter une décision préjudicielle de la Cour
de Justice de Luxembourg;
- en raison du décalage important entre la date de signature des accords
(printemps 1999) et celle de leur entrée en vigueur, respectivement de
leur application, se pose le problème du droit évolutif (c'est-à-dire de
l’intégration progressive aux accords des modifications du droit
communautaire postérieures à la signature des accords);
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53
- il n'existe aucun accord international réglant les relations entre la Comco
à Berne et la Commission de Bruxelles (et la Direction de la
concurrence). C'est donc uniquement d'une manière informelle et
pragmatique que se règlent les rapports entre ces deux institutions (à
titre de comparaison, les autorités de la concurrence des Etats membres
de l’Union européenne travaillent en coordination avec la Division
générale de la concurrence de la Commission européenne (cf. § 10).
4.5.4 Mise en œuvre procédurale des accords au sein de l’Union européenne
175 L’hypothèse est la suivante : une entreprise suisse met en vente un produit
ou exerce une activité soumise à autorisation au sein de l’Union
européenne. Une autorité administrative d’un Etat membre de l’Union
intervient pour le motif que ce produit ou cette activité ne lui semble pas
conforme aux prescriptions en vigueur au lieu de vente ou d’exercice de
l’activité.
176 Ce droit de regard devrait toujours être exercé dans le cadre d’une
procédure aussi courte, efficace et peu onéreuse que possible. En principe,
il ne peut y avoir de contrôle systématique dans l’Etat membre de
destination avant la mise sur le marché. Par conséquent, celui-ci ne pourra,
en règle générale, examiner la conformité d’un produit à ses propres règles
techniques que lors d’une inspection faite dans le cadre de ses activités de
surveillance du marché.
177 Si le produit en question devait ne pas être jugé conforme à ces règles, il y
a alors lieu d’examiner la proportionnalité de l’application de telles règles
au cas d’espèce. En effet, pour que l’application d’une règle technique soit
proportionnée, il faut qu’elle soit à la fois nécessaire et adéquate. Si tel
n’est pas le cas, l’autorité compétente doit prendre la décision – conformé-
ment au droit communautaire qui prime le droit national - d'écarter de sa
propre initiative cette règle nationale lors de l’examen du produit.
178 Par ailleurs, une réglementation nationale ne peut pas exiger que des
produits de ce type satisfassent littéralement et exactement aux mêmes
dispositions ou caractéristiques techniques prescrites pour les produits
fabriqués dans l’Etat membre de destination, alors que les produits
importés garantissent le même niveau de protection.
179 En cas de décision négative, il importe que l’Etat membre qui invoque un
motif justifiant à ses yeux une restriction à la libre circulation des
marchandises démontre concrètement l’existence d’un motif d’intérêt
général, la nécessité de la restriction en cause et son caractère
proportionné par rapport à l’objectif poursuivi.
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54
180 L’un des principes généraux du droit communautaire est que toute
personne doit pouvoir bénéficier, devant les juridictions nationales, d’un
recours juridictionnel effectif contre les décisions nationales pouvant
porter atteinte à un droit reconnu par les traités ou par le droit
communautaire dérivé. Ce principe implique que les intéressés peuvent
obtenir de l’administration, avant tout recours, connaissance des motifs
de telles décisions.
181 En conséquence, l’Etat membre de destination qui estime qu’un tel
produit ne devrait pas être admis sur son marché ou qu’un tel service ne
peut être offert par ce prestataire devrait en tout état de cause :
- indiquer par écrit au fabricant ou au distributeur quels éléments de ses
règles techniques nationales empêchent, selon lui, la
commercialisation du produit concerné dans l’Etat membre de
destination ;
- prouver, sur la base de tous les éléments scientifiques pertinents, pour
quelles raisons ces éléments de la règles technique doivent être
imposés et pour quelles raisons des mesures moins entravantes ne
sauraient être acceptées ;
- inviter l’opérateur économique concerné à formuler ses observations
dans un délai raisonnable ;
- tenir compte de ces observations avant de rendre une décision finale ;
- une fois la décision prise, notifier cette décision motivée à l’opérateur
économique concerné en lui indiquant les voies de recours à sa
disposition ;
- notifier cette décision à la Commission en vertu de l’art. 11 de la
directive 2001/95 CEE relative à la sécurité générale des produits ou
en vertu de l’art. 50 du règlement n° 178/2002 établissant les principes
généraux et les prescriptions générales dans la législation alimentaire ;
- ou, lorsque ces articles ne s’appliquent pas, notifier cette décision à la
Commission en vertu de la décision n° 3052/95 CE du Parlement du
13.12.05 établissant une procédure d’information mutuelle sur les
mesures nationales dérogeant au principe de libre circulation des
produits à l’intérieur de la Communauté.
182 Une décision négative de la part de l’Etat membre de destination
concernant l’admission à son marché d’un produit de l’EEE ou de la
Turquie ou d’un Etat membre de l’AELE est, en principe, susceptible de
constituer une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à
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55
l’importation, interdite par l’art. 34 TFUE. Dès lors, l’opérateur
économique concerné peut toujours contester dans le pays devant les
juridictions, respectivement les administrations de l’Etat membre de
destination, une décision négative prise à son encontre.
183 Les juridictions et administrations nationales ont alors l’obligation de
garantir le plein effet du droit communautaire, lorsque l’on est en
présence de dispositions du droit national incompatible avec les articles 4
34 à 36 TFUE. En effet, le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre
de sa compétence, les art. 34 et 36 TFUE, a l’obligation d’assurer le plein
effet de ces normes, en laissant au besoin inappliquée, de sa propre
autorité, toute disposition contraire de la législation nationale. Il doit en
outre appliquer les art. 23 et 36 TFUE à la lumière de la jurisprudence de
la Cour de Justice.
184 Les juridictions nationales peuvent cependant, le cas échéant, demander à
la Cour de Justice de statuer à titre préjudiciel sur l’interprétation des art.
34 et 36 TFUE, conformément à l’art. 267 TFUE.
4.5.5. Mise en œuvre procédurale en Suisse
185 L'hypothèse est la suivante : une entreprise européenne met en vente un
produit ou exerce une activité soumise à autorisation en Suisse. Une
autorité administrative suisse (cantonale ou fédérale) intervient pour le
motif que ce produit ou cette activité ne lui semble par conforme à la
réglementation suisse.
186 Si l'autorité administrative prend une décision restreignant l'activité de
l'entreprise européenne, cette décision sera sujette à recours à plusieurs
échelons, éventuellement jusqu'au Tribunal fédéral. A noter que les
autorités suisses ne peuvent recourir directement à l'autorité suprême
(recours préjudiciel à la Cour de Justice puisque les autorités suisses n'y
sont pas soumises).
187 La restriction pourrait aussi, le cas échéant, être examinée par un tribunal
civil. Dans une action en dommages-intérêts fondée sur la violation d'une
clause contractuelle restreignant les quantités à vendre, par exemple, ou
le territoire dans lequel la vente peut être faite, la partie attaquée pourrait
invoquer la nullité de la clause en soutenant qu'elle n'est pas conforme
aux accords bilatéraux. C'est alors le juge civil (cantonal, puis, le cas
échéant, fédéral) qui décidera de la validité de la clause.
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4.6 EXERCICE
Aff. C-570/07 CJUE Grande Chambre, 1.6.2010
Le contexte de l'affaire a été résumé comme suit par V. MICHEL dans la
Revue Europe août-septembre 2010, p. 17-18.
"Sur la base d'une division du territoire en zones pharmaceutiques, dans
chacune d'elles une seule pharmacie peut être créée par tranche de 2'800
habitants; une pharmacie supplémentaire ne peut être créée que lorsque ce
seuil est dépassé, cette pharmacie étant créée pour la fraction supérieure à
2'000 habitants; chaque pharmacie doit respecter une distance minimale
par rapport aux pharmacies déjà existantes, cette distance étant, en règle
générale, de 250 mètres …
Contestant ce système, les pharmaciens José Manuel Blanco Pérez et
maria del Pilar Chao Gomez soulèvent, devant les juridictions espagnoles,
son incompatibilité avec la liberté d'établissement.
… il est de jurisprudence constante que l'entrave à la liberté
d'établissement procède de règlementations, même indistinctement
applicables, qui subordonnent l'établissement d'une entreprise dans un
autre Etat membre soit à une autorisation préalable – car cela entendre
notamment des charges supplémentaires – soit à des conditions tenant aux
besoins économiques ou sociaux – car cela tend à limiter le nombre de
prestataires de services."
Extrait de l'arrêt de la Cour :
Article 49 TFUE – Directive 2005/36/CE – Liberté d’établissement – Santé
publique – Pharmacies – Proximité – Approvisionnement de la population
en médicaments – Autorisation d’exploitation – Répartition territoriale des
pharmacies – Instauration de limites fondées sur un critère de la densité
démographique – Distance minimale entre les officines – Candidats ayant
exercé l’activité professionnelle sur une partie du territoire national –
Priorité – Discrimination»
Dans les affaires jointes C-570/07 et C-571/07,
ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article
234 CE, introduites par le Tribunal Superior de Justicia de Asturias
(Espagne), par décisions des 26 octobre et 22 octobre 2007, parvenues à la
Cour les 24 décembre et 27 décembre 2007, dans les procédures
José Manuel Blanco Pérez,
María del Pilar Chao Gómez
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57
contre
Consejería de Salud y Servicios Sanitarios (C-570/07),
Principado de Asturias (C-571/07),
en présence de:
Federación Empresarial de Farmacéuticos Españoles (C-570/07),
Plataforma para la Libre Apertura de Farmacias (C-570/07),
Celso Fernández Gómez (C-571/07),
Consejo General de Colegios Oficiales de Farmacéuticos de España,
Plataforma para la Defensa del Modelo Mediterráneo de Farmacias,
Muy Ilustre Colegio Oficial de Farmacéuticos de Valencia,
Asociación Nacional de Grandes Empresas de Distribución (ANGED)
LA COUR (grande chambre),
composée de M. V. Skouris, président, MM. K. Lenaerts et E. Levits,
présidents de chambre, MM. C. W. A. Timmermans, A. Rosas, E. Juhász,
G. Arestis, A. Borg Barthet, M. Ilešič, J. Malenovský (rapporteur), U.
Lõhmus, A. Ó Caoimh et L. Bay Larsen, juges,
avocat général: M. M. Poiares Maduro,
greffier: Mme
M. Ferreira, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 mai 2009,
considérant les observations présentées:
…..
Arrêt
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de
l’article 49 TFUE.
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant
M. Blanco Pérez et Mme
Chao Gómez à la Consejería de Salud y Servicios
Sanitarios (autorité de la santé et des services sanitaires) (C-570/07) ainsi
qu’au Principado de Asturias (C-571/07), au sujet d’un appel à candidatures
en vue de délivrer des autorisations d’établissement de nouvelles pharmacies
dans la Communauté autonome des Asturies.
Le cadre juridique
La réglementation de l’Union
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58
3 Aux termes du vingt-sixième considérant de la directive 2005/36/CE
du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la
reconnaissance des qualifications professionnelles (JO L 255, p. 22), qui
reprend, en substance, le deuxième considérant de la directive 85/432/CEE
du Conseil, du 16 septembre 1985, visant à la coordination des dispositions
législatives, réglementaires et administratives concernant certaines activités
du domaine de la pharmacie (JO L 253, p. 34):
«La présente directive n’assure pas la coordination de toutes les conditions
d’accès aux activités du domaine de la pharmacie et de leur exercice. La
répartition géographique des officines, notamment, et le monopole de
dispense de médicaments devraient continuer de relever de la compétence
des États membres. La présente directive n’affecte pas les dispositions
législatives, réglementaires et administratives des États membres qui
interdisent aux sociétés l’exercice de certaines activités de pharmacien ou
soumettent cet exercice à certaines conditions.»
…..
Il résulte de l’article 103, paragraphe 3, de la loi générale 14/1986 sur la
santé (Ley General de Sanidad 14/1986), du 25 avril 1986 (BOE n° 102, du
29 avril 1986, p. 15207), que les officines de pharmacie sont soumises à la
planification sanitaire dans les conditions définies par la législation spéciale
sur les médicaments et les pharmacies.
8 L’article 2 de la loi 16/1997 relative à la régulation des officines de
pharmacie (Ley de Regulación de los Servicios de las Oficinas de Farmacia
16/1997), du 25 avril 1997 (BOE n° 100, du 26 avril 1997, p. 13450),
prévoit:
«1. […] [A]fin d’organiser les services pharmaceutiques fournis à la
population, les communautés autonomes, à qui il incombe de veiller à ce
que ces services soient assurés, fixent des critères spécifiques de
planification pour l’autorisation des officines de pharmacie.
[…]
2. La planification des officines de pharmacie tient compte de la densité
démographique, des caractéristiques géographiques et de la dispersion de la
population, de manière à garantir l’accessibilité et la qualité du service et un
approvisionnement suffisant en médicaments, eu égard aux besoins
médicaux de chaque territoire.
La répartition territoriale de ces établissements est réalisée au regard du
nombre d’habitants par officine de pharmacie et de la distance entre les
officines de pharmacie, déterminés par les communautés autonomes,
conformément aux critères généraux susmentionnés. En tout état de cause,
les règles de répartition territoriale garantissent un service pharmaceutique
approprié à la population.
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3. La tranche de population minimale pour permettre l’ouverture d’une
officine de pharmacie est, en règle générale, de 2 800 habitants par
établissement. En fonction de la concentration de la population, les
communautés autonomes peuvent fixer des tranches de population
supérieures, ne pouvant excéder 4 000 habitants par officine de pharmacie.
En tout état de cause, lorsque ces seuils sont atteints, une nouvelle officine
de pharmacie peut être ouverte par fraction supérieure à 2 000 habitants.
Sans préjudice du paragraphe précédent, les communautés autonomes
peuvent fixer des tranches de population plus faibles pour les zones rurales,
touristiques, de montagne ou pour les zones où, en raison de leurs
caractéristiques géographiques, démographiques ou sanitaires, l’application
des critères généraux ne permet pas d’assurer un service pharmaceutique.
4. La distance minimale entre officines de pharmacie, compte tenu des
critères géographiques et de dispersion de la population, est, en règle
générale, de 250 mètres. En fonction de la concentration de la population,
les communautés autonomes peuvent autoriser des distances inférieures
entre celles-ci; de même, les communautés autonomes peuvent fixer des
limitations à l’installation d’officines de pharmacie à proximité des centres
médicaux.»
9 En application de cette réglementation, la Communauté autonome des
Asturies a adopté le décret 72/2001 réglementant les pharmacies et les
services de pharmacie dans la principauté des Asturies (Decreto 72/2001
regulador de las oficinas de farmacia y botiquines en el Principado de
Asturias), du 19 juillet 2001 (BOPA nº 175, du 28 juillet 2001, p. 10135).
10 L’article 1er
, paragraphe 1, premier alinéa, de ce décret prévoit:
«Le territoire de la Communauté autonome est divisé en zones
pharmaceutiques qui coïncident, en règle générale, avec des zones sanitaires
de base qui sont établies dans le cadre de la planification sanitaire de la
principauté des Asturies.»
11 Selon les indications fournies par la Consejería de Salud y Servicios
Sanitarios et par le Principado de Asturias, la Communauté autonome des
Asturies est divisée en 68 zones sanitaires de base qui coïncident, en règle
générale, avec des zones pharmaceutiques.
12 L’article 2 de ce même décret énonce:
«1. Dans chaque zone pharmaceutique, le nombre de pharmacies respecte
la tranche de population de 2 800 habitants par pharmacie. Lorsque ce seuil
est dépassé, une nouvelle pharmacie peut être créée pour la fraction
supérieure à 2 000 habitants.
2. Dans toutes les zones sanitaires de base et dans tous les districts, il
peut y avoir au moins une pharmacie.»
13 L’article 3 du décret 72/2001 prévoit:
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«Aux fins du présent décret, le calcul de la population est effectué sur la
base des données résultant de la dernière révision du recensement
municipal.»
14 L’article 4 de ce décret dispose:
«1. La distance minimale entre les locaux des officines de pharmacie est,
en règle générale, de 250 mètres quelle que soit la zone de pharmacie dans
laquelle ils se situent.
2. Cette distance minimale de 250 mètres est également respectée par
rapport aux centres de santé de l’une quelconque des zones de pharmacie,
qu’ils soient publics ou privés avec une convention d’assistance
extrahospitalière ou hospitalière, pratiquant des consultations externes ou
dotés de services d’urgence, qu’ils soient en fonctionnement ou en cours de
construction.
Cette condition de distance entre les centres de santé ne s’applique pas dans
les zones de pharmacie où il n’y a qu’une officine de pharmacie ni dans les
localités qui comptent actuellement une seule officine de pharmacie et où,
compte tenu de leurs caractéristiques, l’ouverture de nouvelles officines de
pharmacie n’est pas à prévoir.
…..
16 Selon ces dispositions, la Communauté autonome des Asturies est
notamment tenue d’entamer d’office, au minimum une fois par an, une
procédure en vue de délivrer des autorisations d’établissement de nouvelles
pharmacies pour tenir compte de l’évolution de la densité démographique.
…..
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
22 En 2002, la Communauté autonome des Asturies a décidé d’entamer,
conformément aux articles 6 à 17 du décret 72/2001, une procédure en vue
de l’octroi d’autorisations d’installation de nouvelles pharmacies.
23 La Consejería de Salud y Servicios Sanitarios a pris, le 14 juin 2002,
une décision lançant un appel à candidatures en vue de délivrer des
autorisations d’établissement de pharmacies dans la Communauté autonome
des Asturies (BOPA n° 145, du 24 juin 2002, p. 8145, ci-après la «décision
du 14 juin 2002»).
24 Les règles de l’appel à candidatures ont prévu l’ouverture de 24
nouvelles pharmacies en fonction, notamment, de la densité démographique,
de la dispersion de la population, de la distance entre les pharmacies ainsi
que des groupes de population minimaux.
25 Les requérants au principal, pharmaciens diplômés, souhaitaient
ouvrir une nouvelle pharmacie dans la Communauté autonome des Asturies,
sans toutefois se voir imposer le régime de planification territoriale
découlant du décret 72/2001.
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61
26 Par conséquent, ils ont, dans le cadre de la première affaire au
principal, formé un recours contre la décision du 14 juin 2002, ainsi que
contre celle du Consejo de Gobierno del Principado de Asturias, du 10
octobre 2002, qui confirme la décision précédente.
27 Dans la seconde affaire au principal, ces mêmes requérants ont saisi le
Tribunal Superior de Justicia de Asturias d’un recours par lequel ils
attaquent la décision implicite relative à la réclamation introduite contre le
décret 72/2001 et, en particulier, contre ses articles 2, 4, 6 et 10 ainsi que
contre son annexe relative au barème de mérites.
28 Dans ces deux affaires, lesdits requérants ont contesté la légalité des
décisions susmentionnées et du décret 72/2001 notamment au motif que
ceux-ci ont pour effet d’empêcher l’accès des pharmaciens aux nouvelles
pharmacies dans la Communauté autonome des Asturies. Ce décret
prévoirait, en outre, des critères inadmissibles de sélection des titulaires de
nouvelles pharmacies.
29 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de
savoir si le régime prévu par le décret 72/2001 constitue une restriction à la
liberté d’établissement incompatible avec l’article 49 TFUE.
30 Dans ces circonstances, le Tribunal Superior de Justicia de Asturias a
décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle
suivante dans l’affaire C-570/07:
«L’article [49 TFUE] s’oppose-t-il aux articles 2, 3 et 4 du [décret 72/2001],
ainsi qu’aux points 4, 6 et 7 de l’annexe du décret susmentionné?»
31 Dans l’affaire C-571/07, le Tribunal Superior de Justicia de Asturias a
décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle
suivante:
«L’article [49 TFUE] s’oppose-t-il aux dispositions de la législation de la
Communauté autonome [...] des Asturies concernant l’autorisation
d’installation d’officines de pharmacie?»
…..
51 Dans ces conditions, les règles de droit interne concernées, relatives à
la répartition territoriale, doivent être examinées au regard des dispositions
du traité, et notamment de son article 49.
Sur la première partie des questions préjudicielles, relative aux conditions
principales liées à la densité démographique et à la distance minimale entre
les pharmacies
52 Par la première partie de ses questions, la juridiction de renvoi
demande, en substance, si l’article 49 TFUE s’oppose à une réglementation
nationale, telle que celle en cause au principal, qui impose des limites à la
délivrance d’autorisations d’établissement de nouvelles pharmacies, en
prévoyant que:
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– dans chaque zone pharmaceutique, une seule pharmacie peut être
créée, en principe, par tranche de 2 800 habitants;
– une pharmacie supplémentaire ne peut être créée que lorsque ce seuil
est dépassé, cette pharmacie étant créée pour la fraction supérieure à 2 000
habitants, et
– chaque pharmacie doit respecter une distance minimale par rapport
aux pharmacies déjà existantes, cette distance étant, en règle générale, de
250 mètres.
Sur l’existence d’une restriction à la liberté d’établissement
53 Selon une jurisprudence constante, constitue une restriction au sens de
l’article 49 TFUE toute mesure nationale qui, même applicable sans
discrimination tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre
moins attrayant l’exercice, par les ressortissants de l’Union, de la liberté
d’établissement garantie par le traité (voir, en ce sens, arrêts du 14 octobre
2004, Commission/Pays-Bas, C-299/02, Rec. p. I-9761, point 15, et du 21
avril 2005, Commission/Grèce, C-140/03, Rec. p. I-3177, point 27).
54 Relève de cette catégorie, en particulier, une réglementation nationale
qui subordonne l’établissement d’une entreprise d’un autre État membre à la
délivrance d’une autorisation préalable, car celle-ci est susceptible de gêner
l’exercice, par une telle entreprise, de la liberté d’établissement en
l’empêchant d’exercer librement ses activités par l’intermédiaire d’un
établissement stable. En effet, ladite entreprise risque, d’une part, de
supporter les charges administratives et financières supplémentaires que
chaque délivrance d’une telle autorisation implique. D’autre part, le système
d’autorisation préalable exclut de l’exercice d’une activité non salariée les
opérateurs économiques qui ne répondent pas à des exigences
prédéterminées dont le respect conditionne la délivrance de cette
autorisation (voir, en ce sens, arrêt Hartlauer, précité, points 34 et 35).
55 Une réglementation nationale constitue par ailleurs une restriction
lorsqu’elle soumet l’exercice d’une activité à une condition tenant aux
besoins économiques ou sociaux auxquels cette activité doit satisfaire,
puisqu’elle tend à limiter le nombre de prestataires de services (voir, en ce
sens, arrêt Hartlauer, précité, point 36).
56 Dans les litiges au principal, il convient de relever, premièrement, que
la réglementation nationale subordonne la création d’une nouvelle
pharmacie à la délivrance d’une autorisation administrative préalable et que
celle-ci n’est en outre accordée qu’aux lauréats d’un concours.
57 Deuxièmement, cette réglementation permet, dans chaque zone
pharmaceutique, la création d’une seule pharmacie par tranche de population
de 2 800 habitants, une pharmacie supplémentaire ne pouvant être créée que
lorsque ce seuil est dépassé, et elle est créée pour la fraction supérieure à
2 000 habitants.
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63
58 Troisièmement, ladite réglementation s’oppose à ce que les
pharmaciens puissent exercer une activité économique indépendante dans
les locaux de leur libre choix, puisqu’ils sont tenus de respecter, en général,
une distance minimale de 250 mètres par rapport aux pharmacies déjà
existantes.
59 De telles règles ont ainsi pour effet de gêner et de rendre moins
attrayant l’exercice, par des pharmaciens d’autres États membres, de leurs
activités sur le territoire espagnol par l’intermédiaire d’un établissement
stable.
60 Par conséquent, une réglementation nationale telle que celle en cause
au principal constitue une restriction à la liberté d’établissement au sens de
l’article 49 TFUE.
Sur la justification de la restriction à la liberté d’établissement
61 Selon une jurisprudence constante, les restrictions à la liberté
d’établissement, qui sont applicables sans discrimination tenant à la
nationalité, peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt
général, à condition qu’elles soient propres à garantir la réalisation de
l’objectif poursuivi et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour
atteindre cet objectif (arrêts précités Hartlauer, point 44, ainsi que
Apothekerkammer des Saarlandes e.a., point 25).
62 Dans les affaires au principal, il convient de constater, en premier lieu,
que les règles en cause s’appliquent sans discrimination tenant à la
nationalité.
63 En deuxième lieu, il ressort de l’article 52, paragraphe 1, TFUE que la
protection de la santé publique peut justifier des restrictions aux libertés
fondamentales garanties par le traité telles que la liberté d’établissement
(voir, notamment, arrêts précités Hartlauer, point 46, ainsi que
Apothekerkammer des Saarlandes e.a., point 27).
64 Plus précisément, des restrictions à la liberté d’établissement peuvent
être justifiées par l’objectif visant à assurer un approvisionnement en
médicaments de la population sûr et de qualité (arrêts précités
Commission/Italie, point 52, ainsi que Apothekerkammer des Saarlandes
e.a., point 28).
65 L’importance dudit objectif est confirmée par les articles 168,
paragraphe 1, TFUE et 35 de la charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne en vertu desquels, notamment, un niveau élevé de protection de
la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes
les politiques et actions de l’Union européenne.
66 Il s’ensuit que l’objectif visant à assurer un approvisionnement en
médicaments de la population sûr et de qualité est susceptible de justifier
une réglementation nationale telle que celle en cause au principal.
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67 En troisième lieu, il convient d’examiner si une telle réglementation
est propre à garantir cet objectif.
68 À cet égard, il y a lieu de relever, premièrement, que, compte tenu de
la marge d’appréciation rappelée au point 44 du présent arrêt, le fait qu’un
État membre impose des règles plus strictes en matière de protection de la
santé publique que celles établies par un autre État membre ne saurait
impliquer que ces règles sont incompatibles avec les dispositions du traité
relatives aux libertés fondamentales (voir, en ce sens, arrêt du 10 février
2009, Commission/Italie, C-110/05, Rec. p. I-519, point 65 et jurisprudence
citée).
69 Par conséquent, n’est pas déterminante pour la solution des présentes
affaires la circonstance que les États membres prévoient des règles
divergentes dans ce domaine et, plus particulièrement, que certains d’entre
eux ne restreignent pas le nombre de pharmacies pouvant être créées sur le
territoire national alors que d’autres limitent leur nombre en les soumettant à
des règles de planification géographique.
70 Deuxièmement, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence de la
Cour, des établissements et infrastructures sanitaires peuvent faire l’objet
d’une planification. Celle-ci peut comprendre une autorisation préalable
pour l’installation de nouveaux prestataires de soins, lorsqu’elle s’avère
indispensable pour combler d’éventuelles lacunes dans l’accès aux
prestations sanitaires et pour éviter la création de structures faisant double
emploi, de sorte que soit assurée une prise en charge sanitaire adaptée aux
besoins de la population, qui couvre l’ensemble du territoire et qui tienne
compte des régions géographiquement isolées ou autrement désavantagées
(voir, par analogie, arrêts du 12 juillet 2001, Smits et Peerbooms, C-157/99,
Rec. p. I-5473, points 76 à 80; du 16 mai 2006, Watts, C-372/04, Rec.
p. I-4325, points 108 à 110, ainsi que Hartlauer, précité, points 51 et 52).
71 Or, cette conclusion est pleinement transposable aux prestataires
sanitaires en matière de pharmacie.
72 Troisièmement, il convient de relever qu’il existe des agglomérations
qui pourraient être perçues par de nombreux pharmaciens comme très
rentables, et, partant, plus attractives, telles que celles situées dans les zones
urbaines. En revanche, d’autres parties du territoire national pourraient être
considérées comme moins attractives, telles que des zones rurales,
géographiquement isolées ou autrement désavantagées.
73 Dans ces conditions, il ne saurait être exclu que, en l’absence de toute
régulation, les pharmaciens se concentrent dans les localités jugées
attractives, de sorte que certaines autres localités moins attractives
souffriraient d’un nombre insuffisant de pharmaciens susceptibles d’assurer
un service pharmaceutique sûr et de qualité.
74 Quatrièmement, il y a lieu de rappeler que, lorsque des incertitudes
subsistent quant à l’existence ou à l’importance de risques pour la santé
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publique, l’État membre peut prendre des mesures de protection sans avoir à
attendre que la réalité de ces risques soit pleinement démontrée (arrêt
Apothekerkammer des Saarlandes e.a., précité, point 30).
75 Dans ces circonstances, un État membre peut estimer qu’il existe un
risque de pénurie de pharmacies dans certaines parties de son territoire et,
par conséquent, de défaut d’approvisionnement en médicaments sûr et de
qualité.
76 Par suite, un État membre peut adopter, eu égard à ce risque, une
réglementation qui prévoit qu’une seule pharmacie peut être créée par
rapport à un certain nombre d’habitants (voir point 57 du présent arrêt).
77 En effet, une telle condition peut avoir pour effet de canaliser
l’implantation de pharmacies vers des parties du territoire national où
l’accès au service pharmaceutique est lacunaire puisque, en empêchant les
pharmaciens de s’implanter dans des zones déjà pourvues d’un nombre
suffisant de pharmacies, elle les invite ainsi à s’installer dans des zones dans
lesquelles il existe une pénurie de pharmacies.
78 Il s’ensuit que ladite condition est susceptible de répartir les
pharmacies d’une manière équilibrée sur le territoire national, d’assurer ainsi
à l’ensemble de la population un accès approprié au service pharmaceutique,
et, par conséquent, d’augmenter la sûreté et la qualité de
l’approvisionnement de la population en médicaments.
79 Ensuite, il convient de relever que la seule condition liée aux tranches
de population risque de ne pas permettre d’éviter une concentration des
pharmacies, au sein d’une zone géographique déterminée selon cette
condition, dans certaines localités attractives de cette zone. Or, une telle
concentration de pharmacies pourrait aboutir à la création de structures
faisant double emploi, alors que d’autres parties de la même zone pourraient
souffrir d’une pénurie de pharmacies.
80 Dans ces circonstances, il est loisible à un État membre de prévoir des
conditions supplémentaires qui viseraient à empêcher cette concentration, en
adoptant, par exemple, une condition telle que celle au principal, qui impose
des distances minimales entre les pharmacies.
81 En effet, cette condition permet d’éviter une telle concentration par sa
nature même, et elle est ainsi susceptible de répartir les pharmacies d’une
manière plus équilibrée au sein d’une zone géographique déterminée.
82 La condition liée à la distance minimale accroît aussi, par voie de
conséquence, la certitude des patients qu’ils disposeront d’une pharmacie à
proximité, et, par conséquent, qu’ils disposeront d’un accès facile et rapide
au service pharmaceutique approprié.
83 De telles conditions d’accès pourraient être considérées comme
nécessaires d’autant plus que, d’une part, l’administration de médicaments
peut s’avérer urgente et que, d’autre part, la clientèle des pharmacies
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66
comprend des personnes à mobilité réduite, telles que des personnes âgées
ou gravement malades.
84 Ainsi, la condition liée à la distance minimale s’avère complémentaire
à celle liée aux tranches de population et, partant, elle peut contribuer à la
réalisation de l’objectif visant à répartir les pharmacies d’une manière
équilibrée sur le territoire national, assurer ainsi à l’ensemble de la
population un accès approprié au service pharmaceutique, et, par
conséquent, augmenter la sûreté et la qualité de l’approvisionnement de la
population en médicaments.
85 Enfin, il convient de relever que la poursuite de l’objectif visé par les
deux conditions susmentionnées est renforcée au travers de certains critères
intervenant, aux termes du décret 72/2001, lors de la phase de sélection des
titulaires de nouvelles pharmacies.
86 En effet, conformément au point 7, sous b), de l’annexe de ce décret,
en cas d’égalité résultant de l’application du barème de mérites en vertu
duquel les titulaires de nouvelles pharmacies sont sélectionnés, les
autorisations sont accordées selon un ordre qui donne une priorité, après les
catégories de pharmaciens figurant audit point 7, sous a), aux pharmaciens
qui ont été titulaires d’officines de pharmacie situées dans des zones ou des
municipalités dont la population est inférieure à 2 800 habitants.
87 Étant donné que les zones géographiques dont la population est
inférieure à 2 800 habitants sont généralement des zones considérées par les
pharmaciens comme moins attractives (voir point 72 du présent arrêt), ladite
condition de délivrance d’autorisation vise à encourager des pharmaciens à
s’implanter dans ces zones dans la perspective d’être récompensés
ultérieurement lors de l’octroi d’autres autorisations d’installation de
nouvelles pharmacies.
88 Cependant, les requérants au principal et la Plataforma para la Libre
Apertura de Farmacias font valoir que le régime en cause au principal ne
pourrait être considéré comme propre à atteindre l’objectif invoqué car il a
pour conséquence que certains pharmaciens sont privés de tout accès à
l’activité professionnelle indépendante alors que les pharmaciens établis sur
le marché bénéficient de profits disproportionnés.
89 Une telle argumentation ne saurait prospérer.
90 En effet, il convient de relever, tout d’abord, que la liberté
d’établissement des opérateurs économiques doit être mise en balance avec
les impératifs de la protection de la santé publique et que la gravité des
objectifs poursuivis dans ce domaine peut justifier des restrictions qui ont
des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs
(voir, en ce sens, arrêt du 17 juillet 1997, Affish, C-183/95, Rec. p. I-4315,
points 42 et 43).
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91 Ensuite, il ressort du dossier que les autorités compétentes organisent
au moins une fois par an une procédure en vue de délivrer des autorisations
d’établissement de nouvelles pharmacies en fonction de l’évolution
démographique. Ainsi, par la décision du 14 juin 2002, la Communauté
autonome des Asturies a entamé une procédure en vue de l’octroi
d’autorisations d’installation de 24 nouvelles pharmacies sur son territoire à
partir de l’année 2002.
92 Enfin, selon le point 4 de l’annexe du décret 72/2001, ni l’expérience
professionnelle en tant que pharmacien titulaire ou cotitulaire d’une
pharmacie ni aucune autre catégorie de mérites ne sont prises en
considération lorsque l’une ou l’autre ont servi précédemment pour obtenir
une autorisation d’installation. De même, le point 7, sous a), de cette même
annexe énonce que, en cas d’égalité résultant de l’application du barème, les
autorisations sont accordées selon un ordre qui donne une priorité aux
pharmaciens qui n’ont pas été titulaires d’une officine de pharmacie.
93 Par ces critères, une telle réglementation nationale privilégie, dans ses
effets, les pharmaciens qui n’ont pas encore obtenu une autorisation
d’installation et elle vise, partant, à garantir à davantage de pharmaciens
l’accès à l’activité professionnelle indépendante.
94 S’il ressort de ce qui précède qu’une réglementation telle que celle en
cause au principal est en principe propre à atteindre l’objectif visant à
assurer un approvisionnement en médicaments de la population sûr et de
qualité, encore faut-il que la manière dont cette réglementation poursuit ledit
objectif ne soit pas incohérente. En effet, selon la jurisprudence de la Cour,
les différentes règles, ainsi que la législation nationale dans son ensemble,
ne sont propres à garantir la réalisation de l’objectif invoqué que si elles
répondent véritablement au souci d’atteindre celui-ci d’une manière
cohérente et systématique (voir, en ce sens, arrêts précités Hartlauer, point
55, ainsi que Apothekerkammer des Saarlandes e.a., point 42).
95 Dès lors, il convient d’examiner si le décret 72/2001 poursuit d’une
manière cohérente et systématique l’objectif visant à assurer un
approvisionnement en médicaments de la population sûr et de qualité
lorsqu’il fixe le nombre minimal d’habitants par pharmacie, en principe, à
2 800 ou à 2 000 et la distance minimale entre les pharmacies, en règle
générale, à 250 mètres. À cet égard, il y a lieu de tenir compte également de
la loi 16/1997, dès lors que le décret 72/2001 exécute cette loi.
96 Sur ce point, il convient de constater que les deux conditions prévues
par ce décret – applicables à l’ensemble du territoire concerné – sont censées
assurer un approvisionnement en médicaments de la population sûr et de
qualité sur la base des indications de nature forfaitaire qui tiennent
nécessairement compte des éléments démographiques ordinaires, considérés
comme moyens. Il s’ensuit que l’application uniforme des conditions ainsi
conçues risque de ne pas assurer un accès approprié au service
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pharmaceutique dans des zones qui présentent certaines particularités
démographiques.
97 Tel peut être le cas, premièrement, dans certaines zones rurales dont la
population est généralement dispersée et moins nombreuse. Cette
particularité peut avoir pour effet que, si la condition du nombre minimal de
2 800 habitants était invariablement appliquée, certains habitants intéressés
se trouveraient hors de la portée locale raisonnable d’une pharmacie et
seraient ainsi privés d’un accès approprié au service pharmaceutique.
98 À cet égard, il convient de relever que la réglementation nationale
prévoit certaines mesures d’ajustement qui permettent d’atténuer les
conséquences de l’application de la règle de base de 2 800 habitants. En
effet, selon l’article 2, paragraphe 3, deuxième alinéa, de la loi 16/1997, les
communautés autonomes peuvent fixer des tranches de population plus
faibles que 2 800 habitants par pharmacie pour les zones rurales,
touristiques, de montagne ou pour les zones où, en raison de leurs
caractéristiques géographiques, démographiques ou sanitaires, l’application
des critères généraux ne permet pas d’assurer un service pharmaceutique et
rendre ainsi une pharmacie située dans une telle zone particulière plus
accessible pour le segment de la population l’entourant.
99 Deuxièmement, il s’avère qu’une stricte application de l’autre
condition du décret 72/2001, tenant à la distance minimale entre les
pharmacies, risque de ne pas assurer un accès approprié au service
pharmaceutique dans certaines zones géographiques à forte concentration
démographique. En effet, dans ces zones, la densité de population autour
d’une pharmacie peut nettement dépasser le nombre d’habitants fixé à titre
forfaitaire. Dans ces circonstances spécifiques, l’application de la condition
de la distance minimale de 250 mètres entre les pharmacies risquerait
d’aboutir à la situation dans laquelle le périmètre prévu pour une seule
pharmacie inclurait plus de 2 800 habitants – voire plus de 4 000 habitants
dans l’hypothèse visée à l’article 2, paragraphe 3, de la loi 16/1997. Partant,
il ne saurait être exclu que les habitants des zones ainsi caractérisées
puissent éprouver des difficultés, en raison de l’application stricte de la règle
tenant à la distance minimale, à accéder à une pharmacie dans des
conditions qui permettent d’assurer un service pharmaceutique approprié.
100 Cela étant, même dans un tel cas, ces conséquences peuvent être
atténuées par la mesure d’assouplissement prévue à l’article 2, paragraphe 4,
de la loi 16/1997 selon lequel la distance minimale entre officines de
pharmacie est fixée «en règle générale» à 250 mètres, les communautés
autonomes pouvant autoriser, en fonction de la concentration de la
population, une distance inférieure entre les pharmacies et augmenter de
cette manière le nombre de pharmacies disponibles dans les zones à très
forte concentration de population.
101 À cet égard, il y a lieu de relever que, afin d’atteindre d’une manière
cohérente et systématique, dans un cas tel que celui décrit au point 99 du
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présent arrêt, l’objectif visant à assurer un service pharmaceutique
approprié, les autorités compétentes pourraient même être amenées à
interpréter la règle générale comme une règle permettant d’accorder une
autorisation pour la création d’une pharmacie à une distance inférieure à 250
mètres non seulement dans des cas tout à fait exceptionnels, mais chaque
fois que l’application stricte de la règle générale de 250 mètres risque de ne
pas assurer un accès approprié au service pharmaceutique dans certaines
zones géographiques à forte concentration démographique.
102 Dans ces conditions, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier
si les autorités compétentes font un usage, dans le sens décrit aux points 98,
100 et 101 du présent arrêt, de l’habilitation offerte par de telles dispositions
dans toute zone géographique ayant des caractéristiques démographiques
particulières dans laquelle l’application stricte des règles de base de 2 800
habitants et de 250 mètres risquerait d’empêcher la création d’un nombre
suffisant de pharmacies susceptibles d’assurer un service pharmaceutique
approprié.
103 À la lumière de tout ce qui précède, il convient de constater que, sous
réserve des considérations énoncées aux points 94 à 100 du présent arrêt, la
réglementation en cause au principal s’avère propre à atteindre le but
poursuivi.
104 Il reste à examiner, en quatrième lieu, si la restriction à la liberté
d’établissement ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le
but invoqué, c’est-à-dire s’il n’existe pas des mesures moins attentatoires
pour y parvenir.
105 Sur ce point, les requérants au principal, la Plataforma para la Libre
Apertura de Farmacias et la Commission européenne font notamment valoir
qu’il suffirait de prévoir des règles fixant un nombre minimal de pharmacies
dans des zones géographiques déterminées (ci-après le «système ‘a
minima’»). De cette manière, aucune nouvelle implantation de pharmacie ne
serait certes autorisée – comme dans le système actuel – dans des zones déjà
pourvues d’un nombre suffisant de pharmacies, et ce jusqu’à ce que chacune
des zones géographiques déterminées dispose du nombre minimal requis de
pharmacies. Cependant, l’ouverture de nouvelles pharmacies serait libre à
partir du moment où chacune de ces zones disposerait de ce nombre
minimal de pharmacies.
106 À cet égard, il convient cependant de relever que, au regard de la
marge d’appréciation dont bénéficient les États membres en matière de
protection de la santé publique, mentionnée au point 44 du présent arrêt, un
État membre peut estimer que le système «a minima» ne permet pas
d’atteindre – avec la même efficacité que le système actuel – l’objectif
visant à assurer un approvisionnement en médicaments sûr et de qualité dans
les zones peu attractives.
107 Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que, dans le système actuel, le
facteur qui incite les pharmaciens à s’installer dans les zones dépourvues de
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pharmacies résulte du fait qu’ils sont empêchés de s’implanter dans des
zones déjà pourvues d’un nombre suffisant de pharmacies, et ce en vertu
d’un critère démographique objectif, à savoir jusqu’au moment où la
population de ces zones augmente au-delà du seuil fixé. Ce système ne
laisse ainsi, en principe, aucun autre choix aux pharmaciens désireux
d’exercer une activité professionnelle indépendante que celui de s’installer
dans des zones dépourvues de pharmacies, dans lesquelles
l’approvisionnement de la population en médicaments est insuffisant et où
l’installation de pharmacies est donc autorisée.
108 Ensuite, il convient de constater qu’un État membre, tel que le
Royaume d’Espagne, peut légitimement aménager le système de répartition
territoriale à l’échelle régionale, c’est-à-dire conférer aux différentes régions
le soin d’organiser la répartition de pharmacies entre les zones
géographiques de leurs territoires respectifs.
109 Or, la situation dans les différentes régions peut se distinguer
considérablement en ce qui concerne l’installation de pharmaciens.
110 Plus précisément, il est envisageable que, au sein de certaines régions,
il existe une ou plusieurs zones géographiques dans lesquelles le nombre
minimal requis de pharmacies n’a pas encore été atteint. Ce n’est donc que
dans ces zones lacunaires que la possibilité de l’installation de nouvelles
pharmacies se présente.
111 En revanche, s’agissant d’autres régions, il peut y avoir la situation
dans laquelle toutes leurs zones géographiques sont déjà pourvues d’un
nombre minimal requis de pharmacies et – dans le système alternatif «a
minima» décrit au point 105 du présent arrêt – l’ensemble de leur territoire
serait donc ouvert à une libre installation de pharmaciens, y compris les
zones les plus attractives. Or, cette situation pourrait porter atteinte à
l’objectif national, tel qu’il ressort de la loi 16/1997, de canaliser les
pharmaciens vers des zones dépourvues de pharmacies dans quelque région
que ce soit. En effet, il ne saurait être exclu que les pharmaciens concernés
aient tendance à s’ajouter aux pharmaciens qui se sont installés dans les
régions saturées – et donc ouvertes à l’installation libre – au lieu d’envisager
une installation dans les zones dépourvues de pharmacies dans les régions
non saturées.
112 Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que la réglementation
en cause au principal va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre
l’objectif poursuivi.
113 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première partie
des questions posées que l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens
qu’il ne s’oppose pas, en principe, à une réglementation nationale, telle que
celle en cause au principal, qui impose des limites à la délivrance
d’autorisations d’établissement de nouvelles pharmacies, en prévoyant que:
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– dans chaque zone pharmaceutique, une seule pharmacie peut être
créée, en principe, par tranche de 2 800 habitants;
– une pharmacie supplémentaire ne peut être créée que lorsque ce seuil
est dépassé, cette pharmacie étant créée pour la fraction supérieure à 2 000
habitants, et
– chaque pharmacie doit respecter une distance minimale par rapport
aux pharmacies déjà existantes, cette distance étant, en règle générale, de
250 mètres.
114 Cependant, l’article 49 TFUE s’oppose à une telle réglementation
nationale pour autant que les règles de base de 2 800 habitants ou de 250
mètres empêchent, dans toute zone géographique ayant des caractéristiques
démographiques particulières, la création d’un nombre suffisant de
pharmacies susceptibles d’assurer un service pharmaceutique approprié, ce
qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.
…..
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:
1) L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose
pas, en principe, à une réglementation nationale, telle que celle en cause
au principal, qui impose des limites à la délivrance d’autorisations
d’établissement de nouvelles pharmacies, en prévoyant que:
– dans chaque zone pharmaceutique, une seule pharmacie peut être
créée, en principe, par tranche de 2 800 habitants;
– une pharmacie supplémentaire ne peut être créée que lorsque ce
seuil est dépassé, cette pharmacie étant créée pour la fraction
supérieure à 2 000 habitants, et
– chaque pharmacie doit respecter une distance minimale par
rapport aux pharmacies déjà existantes, cette distance étant, en règle
générale, de 250 mètres.
Cependant, l’article 49 TFUE s’oppose à une telle réglementation
nationale pour autant que les règles de base de 2 800 habitants ou de
250 mètres empêchent, dans toute zone géographique ayant des
caractéristiques démographiques particulières, la création d’un nombre
suffisant de pharmacies susceptibles d’assurer un service
pharmaceutique approprié, ce qu’il appartient à la juridiction nationale
de vérifier.
…..
* * * * *
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§ 5 LE MARCHE INTERIEUR SUISSE
Textes législatifs : Loi fédérale du 6.10.1995 sur le marché intérieur (LMI) (RS
943.02), FF 1995 IV 552 ss et 2005 461 ss ; Loi fédérale sur les entraves
techniques au commerce (LETC) (RS 946.51), FF 1995 IV 539 ss; LF sur la
formation professionnelle, RS 412.10 ; art. 34 ss TFUE.
Bibliographie : Message du Conseil fédéral du 23.11.1994, FF 1995 I
1193 ; Message relatif à la révision de la loi sur le marché intérieur, FF 2005 421;
E. SCHEIDEGGER, Schweiz-EG 92 : Mehr Wettbewerb durch den Binnenmarkt,
Coire/Zurich 1992; V. MARTENET/C. RAPIN, Le marché intérieur suisse, in
Cahiers Suisses de droit européen, n° 19, Berne/Zurich 1999; D. DREYER/B.
DUBEY, Effets de la libre circulation des personnes sur l’exercice des activités
soumises à autorisation, in L’adhésion de la Suisse à l’Union européenne, Zurich,
1998, p. 859 ss; Commentaire romand - Concurrence, LMI, p. 1239 ss; A.
AUER/V. MARTENET, La loi sur le marché intérieur face au mandat constitutionnel
de créer un espace économique unique - Avis de droit, DPC 2004/1, p. 277 ss.
5.1 LE LIBRE ACCES AU MARCHE
5.1.1 Généralités
188 La Loi fédérale sur le marché intérieur est fondée sur l’art. 95 Cst qui
donne à la Confédération la compétence de légiférer sur l’exercice des
activités économiques privées.
189 En vertu de l’al. 2 de cette disposition : la Confédération veille à créer un
espace économique suisse unique;
La Confédération a donc le devoir de prendre les mesures nécessaires à
cette fin.
190 Le but de la Loi sur le marché intérieur est clairement énoncé à l'art. 1er :
garantir à toute personne ayant son siège ou son établissement en Suisse
l'accès libre et non discriminatoire au marché, afin qu'elle puisse exercer
une activité lucrative.
191 Une activité lucrative ? Toute activité non régalienne (i.e. dont l’Etat ne
s’est pas réservé le monopole) ayant pour but un gain (art. 1er al. 3 LMI).
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192 Comment garantir l'accès au marché ? Par les principes suivants :
- la suppression des dispositions et des mesures de nature protectionniste
édictées par les cantons et les communes; les cantons, les communes et
les autres organes assumant des tâches publiques avaient un délai de
deux ans dès l'entrée en vigueur de la loi en 1996 pour adapter leurs
prescriptions (art. 11 LMI); cette disposition n’a malheureusement eu
que peu d’effets ;
- l'interdiction des mesures discriminatoires (art. 3 al. 1 let. a LMI) ;
- l'application du principe «Cassis-de-Dijon» (art. 2 al. 1 et 3 al. 2 LMI) ;
- la suppression des obstacles techniques (cf. LETC).
5.1.2 La suppression des obstacles techniques
193 La libre circulation des marchandises en Suisse était encore entravée par de
multiples obstacles techniques. La LF sur les entraves techniques, adoptée
en 1996 en même temps que la LF sur le marché intérieur, a pour but de
supprimer ces obstacles sur le marché suisse.
194 Cette loi – visant le marché intérieur – a été complétée sur le plan extérieur
par l'Accord relatif à la reconnaissance mutuelle en matière d'évaluation de
conformité signé entre la Suisse et l'UE en 1999 (entrée en vigueur le 1er
juin 2002 en même temps que les autres "accords bilatéraux").
195 A noter que le principe "Cassis de Dijon", appliqué au sein du marché
intérieur européen et sur le marché suisse, ne peut être appliqué dans les
relations Suisse-UE car il n'existe pas d'institution, telle qu'un tribunal, qui
pourrait trancher les différents. Le Comité mixte n'a pas la même fonction
que la Cour de Justice des Communautés européennes par exemple.
196 Par contre, dans le but de faciliter les échanges entre la Suisse et l'UE, le
parlement suisse a adopté au printemps 2009 une modification de la LETC
par laquelle le principe "Cassis de Dijon" sera appliqué unilatéralement par
la Suisse à l'égard des produits européens (cf. ci-dessous 5.6).
5.1.3 Le principe "Cassis-de-Dijon"
A. Origine européenne du principe
197 Ce principe a été établi par la Cour de Justice des Communautés
européennes en application de l'art. 34 TFUE qui interdit les restrictions
quantitatives et les mesures d'effet équivalent (cf. ci-dessus § 4.3).
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198 Selon ce principe, les produits fabriqués et commercialisés légalement dans
l'un des Etats membres doivent en principe être admis dans toute la
Communauté.
199 Certes, en l'absence de réglementation communautaire, les Etats membres
restent compétents pour édicter des prescriptions applicables sur leur
propre territoire. Mais les obstacles qui en résultent ne sont admissibles que
dans la mesure où ces prescriptions «peuvent être reconnues comme étant
nécessaires pour satisfaire à des exigences impératives tenant, notamment
à l'efficacité des contrôles fiscaux, à la protection de la santé publique, à la
loyauté des transactions commerciales et à la défense des consommateurs»
(Arrêt Cassis-de-Dijon).
B. Application du principe en Suisse
200 Dans la LMI, ce principe est énoncé à l'art. 2 qui limite les restrictions
possibles (art. 3). Toute personne a le droit d'offrir des marchandises ou des
services dans toute la Suisse pour autant que l'exercice de l'activité
lucrative en question soit licite au lieu où cette personne a son siège ou son
établissement (art. 2 al. 1 LMI).
201 C'est le canton de l'offreur qui détermine les éventuelles prescriptions
relatives à l'offre de marchandises ou de services. La marchandise dont la
mise en circulation est autorisée dans le canton de l'offreur peut être mise
en circulation dans toute la Suisse.
202 Aux termes de l’art. 2 al. 4 LMI, la liberté d’accès au marché selon les
prescriptions du lieu de provenance est étendue à l’établissement
commercial. Dès lors, des catégories professionnelles entières qui ne
pouvaient auparavant bénéficier de cette liberté d’établissement puisque
tributaires d’équipements fixes sur le lieu d’exécution de la prestation ont
désormais plus de mobilité. Concrètement, cela signifie que les personnes
concernées ne sont pas tenues de demander une autorisation au lieu de
destination pour exercer leur activité puisqu’elles peuvent exercer celle-ci
sur la base de l’autorisation délivrée au lieu du premier établissement.
203 La révision de la LMI a également ajouté à l’art. 2 LMI un alinéa 5 qui fixe
explicitement dans la loi la présomption (réfragable) d’équivalence des
règlementations cantonales et communales, qui est à la base de la liberté
d’accès au marché. L’inscription de ce principe dans la loi ne le modifie
pas, elle lui confère simplement plus de poids.
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5.2 LES RESTRICTIONS A L'ACCES AU MARCHE
204 Des restrictions à la liberté d'accès au lieu de destination (de la
marchandise) ou de prestation des services ne peuvent être imposées que si
(art. 3 LMI) :
205 a) Ces restrictions s'appliquent de la même façon aux offreurs locaux
(principe de non-discrimination ou traitement national).
206 b) Ces restrictions sont indispensables à la préservation d'intérêts publics
prépondérants : Dans une précédente version, la LMI donnait une liste
exemplative d'intérêts prépondérants. Cette liste ne figure plus dans la
loi. Il a en effet été considéré qu’il n’était pas nécessaire de les préciser,
notamment en raison du fait qu’il s’agit des mêmes intérêts que ceux
admis par la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de restrictions
à la liberté économique. Il est cependant utile de la rappeler pour
concrétiser cette notion :
- protection de la vie et de la santé de l'être humain, protection des
animaux et des végétaux;
- protection de l'environnement;
- protection de la loyauté des échanges commerciaux et des consom-
mateurs;
- poursuite d'objectifs de politique sociale et énergétique;
- garantie d'un niveau de formation suffisant pour les activités
professionnelles soumises à autorisation.
207 Ces restrictions doivent respecter le principe de la proportionnalité;
l'art. 3 al. 2 LMI précise que ce principe n'est pas respecté si :
- la protection recherchée est déjà obtenue au moyen des prescriptions
applicables au lieu de provenance;
- les attestations de sécurité ou les certificats déjà produits par
l'offreur au lieu de provenance ne sont pas pris en compte.
208 Afin de bien se faire comprendre, le législateur ajoute (art. 3 al. 2 let. c
et 3 LMI) que :
- un siège ou un établissement au lieu de destination ne peuvent pas
être imposés à l’offreur comme condition pour pouvoir y exercer une
activité lucrative;
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- les restrictions ne doivent en aucun cas constituer un obstacle déguisé
aux échanges ou destiné à favoriser les intérêts économiques locaux.
5.3 LES ACTIVITES SOUMISES A AUTORISATION
5.3.1 Règles générales
A. Compétences fédérales
209 La LMI ne joue pas (ou plus) de rôle lorsque la compétence de réglementer
une profession est (ou est passée) en mains de la Confédération.
210 C'est le cas pour certaines professions médicales pour lesquelles la
législation fédérale a prévu des certificats fédéraux et les conditions
d'obtention de ces certificats.
211 C'est aussi le cas pour l'exercice de la profession d'avocat :
- Alors même que les cantons fixent encore les exigences pour l'obtention
du brevet d'avocat (attestant la réussite des examens à la fin du stage
d'avocat) la Loi fédérale sur la libre circulation des avocats (LLCA) a
introduit le principe selon lequel un avocat inscrit à un registre cantonal
des avocats peut pratiquer la représentation en justice dans toute la
Suisse sans qu'une nouvelle autorisation ne soit nécessaire (art. 4
LLCA).
- La LLCA fixe les conditions de formation (art. 7), les conditions
personnelles d'inscription au registre des avocats (art. 8), ainsi que les
règles professionnelles et la surveillance par les autorités (art. 12 à 20
LLCA).
212 De plus, exerçant la compétence conférée par la Constitution (art. 63) de
légiférer en matière de libre circulation professionnelle, la Confédération a
adopté la loi fédérale sur la formation professionnelle (RS 412.0).
B. Compétences cantonales
213 La LMI joue pleinement son rôle lorsque la compétence d'imposer un
certificat de capacité pour l'exercice de certaines activités est encore en
mains cantonales (art. 27 ss Cst).
214 Les cantons sont tenus, selon l’art. 196 ch. 5 Cst, à la reconnaissance
réciproque des titres sanctionnant une formation (une règle semblable
existait déjà dans la Constitution fédérale de 1874 !). De plus, la nouvelle
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loi fédérale sur la formation professionnelle fixe – comme une directive
européenne – un cadre que les cantons doivent respecter.
215 Les cantons imposaient souvent, en plus des connaissances techniques ou
professionnelles établies par le certificat, des conditions personnelles.
Avant la LMI, les cantons exigeaient encore le dépôt d'une requête afin de
vérifier si ces conditions personnelles étaient remplies. Cette manière de
faire n'est plus possible avec la LMI.
216 L'art. 4 al. 4 LMI prévoit encore une règle très particulière dans l'hypothèse
où la reconnaissance de certificats est prévue dans un accord intercantonal
(concordat) puisque les dispositions du concordat l'emportent sur la LMI !
5.3.2 La reconnaissance des certificats de capacité cantonaux
217 Le principe de la reconnaissance sur tout le territoire suisse des certificats
de capacité cantonaux étant déjà prévu par l'art. 196 ch. 5 Cst., il s'agit de
comprendre ce qu'apporte la loi sur le marché intérieur. Cet apport, à
l'art. 4 LMI, consiste dans la limitation des restrictions possibles puisque
celles-ci doivent respecter les règles de l'art. 3 LMI.
218 L’alinéa 3bis de l’art. 4 LMI prévoit en outre que : « La reconnaissance de
certificats de capacité pour les activités lucratives couvertes par l’accord
du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la
Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre
circulation des personnes est régie par cet accord ».
219 A l’avenir, la reconnaissance des certificats de capacité cantonaux devra
donc s’effectuer selon la procédure de reconnaissance de l’UE, les
accords intercantonaux restant réservés. Pour ce qui est de la
reconnaissance non réglée sur le plan cantonal, les mêmes règles
s’appliqueront sur le plan interne (entre cantons) et externe (UE).
220 La portée de l’alinéa 3bis dépendra toutefois de l’usage que fera la
Confédération, dans le cadre de la nouvelle loi sur la formation
professionnelle, de ses prérogatives en matière de réglementation.
221 S’agissant de la procédure de reconnaissance mise en place au sein de
l’UE, on distingue entre les directives générales et spéciales que la Suisse
a reprises dans son propre droit en signant l’accord sur la libre circulation
des personnes.
222 Les directives générales (p. ex. la directive 95/21/CE qui régit la
reconnaissance des métiers nécessitant une formation de 1 à 3 ans) se
fondent sur le principe de la confiance réciproque dans le système de
formation des autres Etats membres, alors que les directives spéciales
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(par ex. la directive 77/452/CE reconnaissance de diplômes en matière de
soins infirmiers) se fondent sur le principe de l’harmonisation préalable
des systèmes de formation. En d’autres termes, une vérification de la
durée et des contenus des formations aura lieu dans le cas des formations
concernées par les directives générales tandis que les diplômes pris en
compte par les directives spéciales seront reconnus d’office.
223 Il faut encore noter que l’accord sur la libre circulation des personnes a
été étendu aux dix nouveaux membres de l’UE en mai 2004 et ce,
également dans le domaine de la reconnaissance des diplômes.
5.4 LA MISE EN ŒUVRE PROCEDURALE
224 L’hypothèse est la suivante : une entreprise met en vente un produit ou
exerce une activité et l’autorité suisse intervient pour le motif que ce
produit ou cette activité n’est pas conforme aux prescriptions en vigueur
au lieu de vente ou d’exercice de l’activité.
225 En principe, l’autorité doit d’abord réunir des informations :
- sur la conformité du produit aux règles de l’Etat de provenance
- sur les diplômes du prestataire de service lorsque l’activité est soumise
à autorisation.
226 L’autorité ne peut pas instituer des contrôles faisant double emploi avec
les contrôles déjà effectués dans un autre Etat membre. L’autorité est
tenue de vérifier l’équivalence des niveaux de protection ou des
diplômes.
227 L’administration ne peut exiger que des produits satisfassent
littéralement et exactement aux mêmes dispositions ou caractéristiques
techniques prescrites en Suisse alors que les produits importés
garantissent objectivement le même niveau de protection. La règle est la
même mutatis mutandis pour la reconnaissance des diplômes.
228 Si l’autorité arrive à la conclusion que le produit n’est pas conforme ou
que la personne prestant le service n’a pas les qualifications requises, elle
prend une décision d’interdiction de la vente du produit ou d’exercice de
l’activité par la personne en cause.
229 Cette décision pourra faire l’objet d’un recours :
230 - devant un tribunal administratif cantonal lorsque c’est un organe de
l’administration cantonale qui a pris la décision ;
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231 - devant le Tribunal administratif fédéral lorsque la décision a été prise
par une autorité administrative fédérale.
5.5 LE DROIT DE RECOURS DE LA COMCO
232 Le nouvel article 9 al. 2 bis LMI confère le droit à la Comco de faire
constater par un recours en matière de droit public (art. 82 ss LTF) qu’une
décision (cantonale ou communale) restreint indûment l’accès au marché.
233 L’art. 89 al. 2 lit. a LTF prévoit notamment que les départements fédéraux
ou, pour autant que le droit fédéral le prévoie, les unités qui leur sont
subordonnées, ont la qualité pour recourir si l’acte attaqué est susceptible
de violer la législation fédérale dans leur domaine d’attributions.
234 En vertu de l’art. 104 al. 2 LTF, la Comco peut donc, dès qu’elle a la
qualité pour recourir, faire usage des voies de recours cantonales et être
partie à une procédure devant n’importe quelle instance cantonale. Dans la
mesure où d’éventuels recours auprès d’instances communales peuvent être
qualifiées généralement de « voies de droit cantonales » au sens de cette
disposition, la Comco est assurée de disposer aussi d’un droit de recours
contre les décisions de première instance.
235 De plus, en vertu de l’art. 105 al. 4 LTF, le Conseil fédéral déterminera par
voie d’ordonnance les décisions devant être communiquée à la Comco par
les instances cantonales et communales.
236 Cependant, le droit de recours de la Comco sera restreint dans le domaine
des marchés publics aux décisions soulevant des questions d’importance
fondamentale et concernant des marchés excédent les valeurs seuils
déterminantes.
237 Il faut encore préciser que la Comco peut exercer son droit de recours
indépendamment d’un éventuel recours privé visant le respect de la liberté
d’accès au marché. L’aval des particuliers concernés n’est par ailleurs pas
nécessaire et le recours de la Comco n’interrompt pas le délai pour le dépôt
d’un recours individuel.
5.6 L'APPLICATION UNILATERALE DU PRINCIPE "CASSIS-DE-
DIJON"
5.6.1. Motifs de la révision de la LETC
238 Depuis 1992, le Conseil fédéral a poursuivi deux voies pour réduire les
entraves techniques au commerce :
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- l'harmonisation autonome des prescriptions suisses avec le droit de
l'UE;
- la conclusion d'accords internationaux sur l'accès réciproque au
marché.
239 Malgré cela, un grand nombre d'entraves subsistent. Or, ces entraves
augmentent le prix des produits européens vendus en Suisse et rendent plus
difficiles les exportations suisses (les importations provenant de l'UE
représentent le 80 % des importations suisses et la majoration de prix est de
10 à 25 %).
240 La modification législative ne s'applique pas pour les domaines dans
lesquels les réglementations suisses et européennes ne divergent pas, c'est-
à-dire sont déjà harmonisées. Evidemment, cette harmonisation résulte du
fait que la Suisse reprend telles quelles les normes européennes !
241 Des règles particulières sont prévues pour les denrées alimentaires (art. 16
c à e).
5.6.2. La modification de l'art. 16 LETC
242 Par la modification de l'art. 16 LETC, le législateur suisse a décidé
d'appliquer unilatéralement aux produits européens le principe "Cassis-de-
Dijon". L'application est dite unilatérale parce qu'elle est appliquée
indépendamment de ce que fait l'UE à l'égard des produits suisses.
A. Le principe et ses exceptions
243 Il est énoncé à l'art. 16 a LETC
244 "Les produits qui ne satisfont pas aux prescriptions techniques suisses
peuvent être mis sur le marché :
a) s'ils ont été fabriqués conformément aux prescriptions techniques de la
Communauté européenne (CE) et, lorsque le droit de la CE n'est
harmonisé ou ne fait l'objet que d'une harmonisation incomplète,
conformément aux prescriptions techniques d'un Etat membre de la CE
ou de l'Espace économique européen (EEE);
b) s'ils sont légalement sur le marché de l'Etat membre de la CE ou de
l'EEE visé à la let. a, et
c) s'ils ne présentent aucun risque majeur pour des intérêts publics
prépondérants au sens de l'art. 4, al. 4, let. a à e, lorsqu'ils sont utilisés
dans des conditions normales ou raisonnablement prévisibles."
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245 Sont exceptés les produits soumis à homologation tels que les
médicaments, et les substances soumises à notification tels que les
produits chimiques. Il en va de même pour les produits dont l'importation
requiert une autorisation préalable (p. ex. LF sur le matériel de guerre ou
LF sur les épizooties – grippe aviaire !). Des procédures simplifiées sont
mises en place dans ces cas-là.
246 La loi prévoit aussi des exceptions pour les cas dans lesquels les prescrip-
tions suisses sont maintenues.
247 L'application unilatérale du principe "Cassis-de-Dijon" ne se fait pas pour
les produits pour lesquels le Conseil fédéral arrête une exception (art. 16a
al. 2 let. e LETC).
248 Lors de la préparation de la révision de la LETC, le Conseil fédéral a
procédé à un examen complet des prescriptions techniques suisses. Dans un
premier temps, 129 divergences ont été annoncées par l'administration
fédérale.
- Après un premier examen interne, 69 divergences ont été soumises lors
de la mise en circulation du projet;
- Finalement, lors de l'adoption du texte légal pour le soumettre au
Parlement, le Conseil fédéral n'a retenu que 18 exceptions :
-- Dans 5 cas, il a confirmé le maintien des prescriptions suisses :
"- interdiction du plomb dans les peintures et les vernis;
- prescriptions de sécurité relatives aux produits pour les chemins de
fer;
- mention de la teneur en alcool pour les boissons alcoolisées
sucrées;
- marques de contrôle des boissons distillées destinées à la
consommation;
- mention de la raison sociale, du prix de vente au détail et des
mises en garde combinées sur les produits du tabac et produits
contenant des succédanés de tabac destinés à être fumés."
-- Dans 13 cas, l'exception s'appliquera de manière restreinte ou
seulement à titre provisoire :
"- installations de combustion alimentées à l'huile, au gaz, au bois et
au charbon: exigence de qualité de l'air;
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- identification d'une entreprise suisse à titre de personne
responsable de la mise sur le marché sur l'étiquette des substances
et préparations et sur la fiche de données de sécurité;
- substances stables dans l'air (gaz à effet de serre): limitations,
prescriptions en vue de prévenir les émissions et prescriptions sur
le marquage;
- interdiction des paraffines chlorées à chaînes courtes dans les
peintures et les vernis, les mastics, les textiles ainsi que les
matières plastiques et les caoutchoucs;
- exigences posées au bois traité avec des produits pour la
conservation du bois et aux matériaux en bois;
- interdiction des phosphates et limitation des agents complexants
dans les lessives et produits de nettoyage;
- titre, désignation et contrôle des ouvrages en métaux précieux;
- déclaration de l'élevage en batterie, non admis en Suisse;
- obligation de déclarer les mélanges involontaires avec des
substances allergènes dans les denrées alimentaires;
- exigences concernant la combustibilité des produits textiles
(articles vestimentaires, rideaux, voilages);
- exigences concernant les déperditions de chaleur des chauffe-eau,
des réservoirs d'eau chaude et des accumulateurs de chaleur;
- mention du pays de production des denrées alimentaires;
- mention du pays de production des matières premières des denrées
alimentaires."
249 Les précisions relatives au caractère restreint ou temporaire de la
restriction seront données dans l'ordonnance du Conseil fédéral qui sera
adoptée lors de la mise en œuvre de la révision de la LETC.
B. Les entreprises européennes
250 Les entreprises européennes peuvent donc exporter leurs produits sur le
marché suisse pour autant que :
- le produit a été fabriqué conformément aux prescriptions techniques
applicables dans son pays (prescriptions harmonisées ou prescriptions
de l'Etat de provenance);
- le produit a été légalement mis sur le marché de l'Etat membre;
- le produit ne présente pas un risque majeur pour des intérêts publics
prépondérants.
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251 La règle s'applique tant aux marchandises fabriquées et légalement mises
sur le marché dans un Etat membre de l'UE qu'aux marchandises provenant
d'un autre Etat et qui satisfont au droit communautaire ou aux prescriptions
d'un Etat membre.
252 Il faut que le producteur européen soit effectivement actif sur le marché
européen et que la marchandise soit légalement sur le marché (l'art. 20
LETC explique la marche à suivre pour la surveillance du respect des
conditions légales).
C. Les entreprises suisses exportant en Europe
253 Les sociétés suisses qui exportent en Europe respectent la réglementation
européenne (harmonisée ou existante dans le pays d'exportation). Ces
entreprises, en application de l'art. 16a LETC peuvent écouler les mêmes
marchandises sur le marché suisse même si elles ne satisfont pas aux règles
suisses éventuellement divergentes.
D. Les autres entreprises suisses
254 L'application de l'art. 16a LETC aux entreprises suisses exportant sur le
marché européen crée une discrimination par rapport aux entreprises
suisses dont l'activité est limitée au marché suisse dans la mesure où celles-
ci doivent, selon les cas, respecter des normes suisses plus contraignantes.
Afin de réduire les effets de cette discrimination, le législateur a adopté
l'art. 16b LETC :
- lorsque les producteurs suisses constatent une telle discrimination péna-
lisant leurs produits, ils peuvent en informer le SECO;
- le SECO peut proposer de supprimer ou modifier les prescriptions
techniques suisses divergentes;
- le Conseil fédéral peut, dans les cas de rigueur, prévoir une autorisation,
limitée dans le temps, de produire et de vendre sur le marché suisse
selon les normes européennes.
* * * * *
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2ème partie
L'EXERCICE DE LA CONCURRENCE
ET LA PROTECTION DU MARCHE
Dans cette deuxième partie, après avoir précisé le champ d’application du droit de la
concurrence (Chapitre 3), il s’agira d’examiner à quelles conditions les entraves à la
concurrence sont illicites (Chapitre 4) et de quelle manière on procède pour appliquer ce
droit (Chapitre 5).
Chapitre 3
LE CHAMP D'APPLICATION DU DROIT DE LA CONCURRENCE
Le droit de la concurrence ne s’applique pas à tous les acteurs économiques et il vise un
but spécifique. C’est pourquoi, il faut délimiter le champ d’application matériel et le
champ d’application personnel et géographique, du droit de la concurrence.
§ 6 LES CHAMPS D'APPLICATION MATERIEL, PERSONNEL ET
GEOGRAPHIQUE
Textes législatifs : art. 2 à 4 LCart.; art. 1 et 2 LCD; art. 1 et 2 Loi fédérale
concernant la surveillance des prix (LSPr) (RS 942.20); art. 101 et 102 TFUE.
Bibliographie : P.-A. KILLIAS, CR Concurrence, Art. 2 et Art. 3; E. CLERC, CR
Concurrence, Art. 4; B. GOLDMAN/A. LYON-CAEN/L. VOGEL, Droit commercial
européen, 5e éd., Paris 1994; Traité de droit européen, Juris-Classeur; B.-A.
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GENESTE, Pratiques restrictives de concurrence, Ententes anticoncurrentielles,
Champ d'application, in Juris classeur, Europe, 4, Paris 1996.
255 Le champ d’application de la loi sur les cartels est précisé aux art. 2 à 4 LCart. ; la
loi s’applique :
- aux entreprises (cf. ad 6.3 ci-dessous) ;
- aux entreprises qui, par une entente (6.2.1), une position dominante (6.2.2) ou
une opération de concentration (6.2.3) exercent une influence sur le marché ;
- aux entreprises qui ont des effets en Suisse (6.4).
256 En droit européen, les mêmes critères sont utilisés ; s’y ajoute celui de l’affectation
du commerce entre les Etats membres (6.5).
257 La loi réserve quelques domaines auxquels la loi sur les cartels ne s’applique pas
(6.1).
6.1 ACTIVITES NON SOUMISES AU DROIT DE LA CONCURRENCE
6.1.1 Les règles de la propriété intellectuelle
258 Selon l’art. 3 al. 2 LCart., la loi ne s’applique pas aux effets sur le
concurrence qui découlent exclusivement des lois sur la propriété intellec-
tuelle. En effet, le titulaire d’un brevet se voit reconnaître le droit exclusif
d’exploiter le procédé de fabrication décrit par le brevet ; ce titulaire du
brevet bénéficie ainsi, de par la loi, d’une position dominante. Cette
situation est justifiée par la volonté de protéger les investissements faits
dans la recherche et le développement industriel.
259 Cette exemption est cependant strictement limitée au droit de l’usage
exclusif du brevet, lequel comprend le droit d’accorder une licence.
Cependant le droit exclusif accordé par la loi sur les brevets n’a pas pour
but de permettre au titulaire du brevet de mettre en place un cloisonnement
commercial du marché par des accords qui dépassent le droit d’usage du
brevet. C’est le sens de l’art. 3 al. 2 LCart.
260 La question des effets sur la concurrence découlant exclusivement de la
législation sur la propriété intellectuelle ou plutôt de la manière d'user de
ses droits est liée à la problématique de l'épuisement des droits.
261 Selon le principe de l'épuisement du droit, le titulaire du brevet a "épuisé"
son droit sur l'objet du brevet dès qu'il a mis licitement et volontairement
l'objet sur le marché. A la suite de cette première mise sur le marché, le
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titulaire ne peut plus se fonder sur le brevet pour contrôler la "circulation"
de l'objet sur le marché.
262 Les milieux intéressés ont longtemps débattu la question de l'étendue
géographique de l'épuisement :
- s'il n'est que national, le titulaire peut encore s'opposer à l'arrivée sur le
marché d'un objet provenant d'un autre pays (alors même que cet objet
aurait été licitement mis sur le marché par le titulaire lui-même);
- si l'épuisement est international, le titulaire ne peut plus s'opposer à
l'arrivée d'un produit licitement mis sur le marché par lui-même dans un
autre pays;
- on parle d'un épuisement régional lorsque l'effet de l'épuisement s'étend
aux pays d'une organisation régionale telle que l'Union européenne ou
l'Espace économique européen.
263 En Suisse, alors que la législation ne traitait pas de cette question, le
Tribunal avait décidé d'appliquer le principe de l'épuisement international
pour les marques, mais celui de l'épuisement national pour les brevets.
264 En 2008, la loi suisse sur les brevets d'invention a été modifiée sur ce point
(entrée en vigueur le 1er juillet 2009) :
- le principe de l'épuisement régional s'applique dorénavant aussi aux
brevets; ce principe est appliqué unilatéralement, c'est-à-dire sans
convenir du principe de réciprocité) :
"Lorsqu'une marchandise brevetée est mise en circulation en Suisse ou
dans l'Espace économique européen par le titulaire du brevet ou avec
son accord, elle peut être importée et utilisée ou revendue en Suisse à
titre professionnel" (art. 9 a al. 1 LBI)
- exception : le principe de l'épuisement national continue à s'appliquer
pour les biens dont le prix est fixé par l'Etat, notamment les
médicaments :
"Nonobstant les al. 1 à 4, une marchandise brevetée ne peut être mise
en circulation en Suisse qu'avec l'accord du titulaire du brevet lorsque,
en Suisse ou dans le pays de mise en circulation, le prix de cette
marchandise est imposée par l'Etat." (art. 9 a al. 5 LBI)
6.1.2 Marchés de caractère étatique
265 Il est des domaines d’activités économiques pour lesquels l’Etat établit des
règles particulières qui dérogent à la concurrence; c'est le cas par exemple
pour les domaines suivants :
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- télécommunications
- secteur laitier
- trafic aérien de ligne
- activité de notaire
266 (Certains secteurs qui échappent à la concurrence restent soumis à la
surveillance des prix, RS 942.20)
267 L’art. 3 al. 1 LCart. précise la notion de « prescriptions qui excluent de la
concurrence certains biens ou services » en indiquant que ce sont celles
qui :
- établissent un régime de marché ou un régime de prix de caractère
étatique; dans une affaire concernant Météosuisse, unité administrative
de l'administration fédérale, le TF a jugé que lorsque l'Etat intervient
souverainement et se fait rétribuer les prestations de services qu'il
fournit sur la base d'un tarif, la LCart ne s'applique pas. Le fait que
l'unité administrative soit gérée par mandat de prestations et enveloppes
budgétaires n'y change rien, tant qu'elle n'est pas autonome du point de
vue organisationnel et demeure dans la hiérarchie administrative (ATF
127 II 32 = JdT 2004 I 131).
- accordent des droits spéciaux à des entreprises chargées de l’exécution
de tâches publiques; par exemple l'instauration d'un monopole de droit
en faveur des Services Industriels genevois pour l'approvisionnement et
la distribution d'électricité (ATF 132 I 282); par la suite, la portée de ce
monopole a été modifiée par l'entrée en vigueur de la LF sur
l'approvisionnement en électricité.
La qualité d'entreprise suppose l'indépendance économique et juridique
(art. 2).
268 Malgré cela, l’application de ces règles soulève bien des difficultés en
pratique.
6.2 ACTIVITES SOUMISES AU DROIT DE LA CONCURRENCE
269 Le droit suisse, comme le droit européen, de la concurrence s’applique aux
entreprises capables d’exercer une influence sur le marché. La notion
« d’entreprise » sera traitée ci-dessous sous point 6.3.
270 L’influence sur le marché peut résulter d’une entente passée entre plusieurs
entreprises (6.2.1), d’une position dominante (6.2.2) ou d’une opération de
concentration (6.2.3).
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6.2.1 Les ententes
271 Selon l’art. 4 LCart., les ententes (« accords en matière de concurrence »)
sont :
- les conventions, avec ou sans force obligatoire
- les pratiques concertées.
A. Les conventions
272 Une convention avec force obligatoire passée entre deux entreprises est
un contrat au sens de l’art. 1er CO. La convention peut aussi résulter d’une
décision prise par une association d’entreprises ou de sociétés auxquelles
des entreprises participent en qualité d’associés.
273 La loi distingue les conventions avec force obligatoire et celles sans force
obligatoire, mais sans prévoir des conséquences différentes à ces ententes.
Autrement dit, les deux types de conventions sont soumis à la loi. (Une
convention sans force contraignante n’est pas un contrat ; une partie à la
convention ne peut pas exiger une réparation à l’égard d’une autre partie
qui ne respecterait pas la convention). Les conventions sans force
obligatoire sont parfois appelées « gentlemen’s agreement » ou
« Frühstückskartell ». Etant donné que ces conventions sont souvent
informelles, elles sont difficiles à prouver.
B. Les pratiques concertées
274 Les pratiques concertées ne résultent pas non plus d’un accord formel
entre les entreprises. Ces pratiques donnent lieu à une adaptation
simultanée du comportement des entreprises qui ont précédemment
échangé des informations : annonce d’une augmentation ou d’une baisse de
prix, adoption d’un nouveau standard, recommandations données aux
distributeurs.
275 La pratique concertée doit être distinguée du comportement parallèle qui
ne tombe pas dans le champ d’application de la loi.
276 Qu’en est-il des recommandations adoptées par une association
professionnelle ? Peut-on considérer qu’elles n’entrent pas dans le champ
d’application de la loi alors que celle-ci ne les mentionne pas ? Selon le
principe de base, la loi s’applique à tout comportement qui a pour objet ou
pour effet de restreindre la concurrence. En conséquence, dans la mesure
où les membres de l’association suivent effectivement les recom-
mandations et que celles-ci peuvent avoir pour effet de restreindre la
concurrence, ces recommandations entrent dans le champ d’application de
la loi.
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6.2.2. Les positions dominantes
277 La puissance sur le marché n’est pas illicite aussi longtemps qu’elle résulte
de pratiques orientées sur la performance et que la concurrence est capable
de l’entamer. La loi ne s’applique que si une entreprise domine le marché.
278 Selon la loi suisse, une position dominante est acquise lorsque l’entreprise
concernée peut se comporter de manière essentiellement indépendante
par rapport aux autres participants au marché (art. 4 al. 2). L’existence
d’une position dominante dépendra :
- de la structure du marché ;
- du nombre et de la qualité des concurrents potentiels ;
- des barrières d’entrée sur le marché.
279 Selon l’art. 4 al. 2 LCart., la position dominante peut être détenue par une
ou plusieurs entreprises. On parle alors d’une position dominante
collective (duopole ou oligopole).
Un groupe de sociétés – société holding et filiales – ne constitue pas une position dominante
collective car les filiales ne jouissent pas d’une autonomie suffisante pour déterminer leurs
modes d’actions sur le marché.
A noter aussi que l’oligopole peut – selon les circonstances du marché – présenter une
structure de marché où la concurrence fonctionne de manière particulièrement efficace (chaque
acteur réagit rapidement aux actions de ses rivaux) ou présenter le risque de pratiques
parallèles ou concertées.
6.2.3. Les concentrations d’entreprises
A. Principe
280 Une position dominante peut résulter d’une opération de concentration.
Celle-ci résultant d’un accord entre deux ou plusieurs entreprises pourrait
aussi tomber dans le champ d’application de l’art. 5 LCart. Toutefois, la
procédure d’examen des ententes selon cette disposition n’est pas idéale
pour les entreprises qui souhaitent savoir le plus rapidement possible si
l’opération de concentration projetée peut être réalisée. C’est pourquoi, les
autorités de la concurrence (aussi bien européennes que suisses) ont mis en
place des procédures de contrôle des concentrations.
281 Selon ces règlements, les entreprises concernées ont l’obligation
d’annoncer l’opération de concentration (cf. § 9.2.1) ; elles ne peuvent se
contenter d’attendre que l’autorité administrative ouvre une enquête
comme c’est le cas pour la violation présumée de l’art. 5 LCart. Au vu de
cette obligation, il importe de
- définir ce qu’est une opération de concentration ;
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- déterminer un « seuil d’intervention » (taille de l’opération).
B. Notion
282 Le contrôle s’applique à :
- la fusion de deux ou plusieurs entreprises ;
- toute opération de prise de contrôle direct ou indirect, pour autant que
les entreprises concernées soient d’une certaine importance sur le
marché suisse.
C. Seuils d’intervention
a) Droit suisse
283 Selon l’art. 9 LCart., les entreprises concernées sont d’une importance
suffisante pour justifier l’exigence de notification à la Comco de
l’opération de fusion lorsque :
- ces entreprises ont réalisé ensemble – en Suisse et à l’étranger – un
chiffre d’affaires minimum de 2 milliards de francs ou un chiffre
d’affaires en Suisse d’au moins 500 millions de francs (art. 9 al. 1 let.
a LCart.) ;
- au moins deux des entreprises concernées ont réalisé
individuellement en Suisse un chiffre d’affaires minimum de 100
millions de francs.
284 Pour les sociétés d’assurances, au lieu du chiffre d’affaires, c’est le
montant total des primes brutes annuelles qui est pris en compte.
285 Pour les banques soumises à la loi fédérale sur les banques et les caisses
d’épargne, c’est le 10 % de la somme du bilan qui est retenu comme
critère.
286 Nonobstant ces critères, la notification à la Comco est obligatoire
lorsqu’il a été établi d’une autre manière qu’une des entreprises occupe
une position dominante en Suisse et que la concentration concerne ce
marché.
b) Droit européen
287 1) La concentration est réputée de dimension communautaire
lorsque :
- le chiffre d’affaires total réalisé sur le plan mondial par
l’ensemble des entreprises concernées est supérieur à 5 milliards
d’euros, et
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- le chiffre d’affaires total réalisé individuellement dans l’Union
européenne par au moins deux des entreprises concernées est
supérieur à 250 millions d’euros,
288 2) à moins que chacune des entreprises concernées réalise plus de
deux tiers de son chiffre d’affaires dans l’Union européenne à
l’intérieur d’un seul et même Etat membre.
289 3) La concentration qui n’atteint pas les seuils sus-indiqués reste de
dimension communautaire lorsque :
- le chiffre d’affaires réalisé sur le plan mondial par l’ensemble des
entreprises concernées est supérieur à 2,5 milliards d’euros ;
- dans chacun d’au moins trois Etats membres, le chiffre
d’affaires réalisé par toutes les entreprises concernées est
supérieur à 100 millions d’euros ;
- dans chacun d’au moins trois Etats membres - selon point 2 - le
chiffre d’affaires total réalisé individuellement par au moins
deux des entreprises concernées est supérieur à 25 millions
d’euros, et
- le chiffre d’affaires total réalisé individuellement dans l’Union
européenne par au moins deux des entreprises concernées
représente un montant supérieur à 100 millions d’euros.
6.3 LES ENTREPRISES CONCERNEES PAR LE DROIT DE LA
CONCURRENCE
6.3.1 La notion d’entreprise
290 Le droit suisse et le droit européen s'appliquent aux entreprises.
Cependant, ni la loi suisse, ni le Traité de l'UE ne définissent cette notion.
291 Selon le message du Conseil fédéral (lors du projet de modification de la
LCart en 1995), une "entreprise", c'est "tout acteur qui produit des biens et
des services et participe ainsi de manière indépendante au processus
économique, que ce soit du côté de l'offre ou de la demande".
292 La loi ne s'applique donc pas aux consommateurs, ni aux rapports entre
les travailleurs et l'entreprise (qui sont souvent réglés par des conventions
collectives).
293 L'art. 101 TFUE utilise également l'expression "entreprise", définie de
manière extensive par les autorités communautaires.
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294 Certaines entreprises sont écartées en raison de l'objet de leurs activités : 295
- produits agricoles
- transports (certains types de transports maritimes internationaux; les
services de transports maritimes assurés exclusivement entre des ports
situés dans un même Etat membre; les transports aériens entre les
aéroports de la Communauté et des pays tiers).
6.3.2 Entreprises exerçant une influence sur le marché
296 Les entreprises sont soumises au droit de la concurrence pour autant
qu'elles exercent une certaine influence sur le marché :
A. Droit suisse
297 L'art. 5 LCart. vise les comportements des entreprises qui affectent la
concurrence de manière notable.
298 La Comco a publié une communication sur les accords entre PME
(communication relative aux accords ayant pour but d'améliorer la
compétitivité et dont l'impact sur le marché est restreint). Selon cette
communication, les accords en matière de concurrence ayant pour but
l'amélioration de la compétitivité sont en principe admissibles lorsque :
- les parts de marché cumulées des entreprises parties à un accord
horizontal ne dépassent pas 10 % de chacun des marchés de référence
concernés par l'accord;
- les parts de marché détenues par chacune des entreprises parties à un
accord vertical sur les marchés concernés par l'accord ne dépassent pas
15 %.
299 De même, la Comco considère comme n'affectant pas la concurrence de
manière notable les accords entre petites entreprises (moins de 10
collaborateurs et chiffre d'affaires annuel ne dépassant pas CHF 2 mio).
300 Toutefois, ces règles ne s'appliquent pas si des accords horizontaux
concernent :
- la fixation directe ou indirecte des prix
- des restrictions quantitatives
- une répartition des marchés
301 ou si des accords verticaux ont pour objet :
- un prix de vente minimum
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- une protection territoriale absolue
B. Droit européen
302 En droit européen, ne sont visés que les accords ou pratiques concertées
"susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres".
303 La Commission européenne a publié une Communication définissant les
accords dont il peut être présumé qu'ils ne sont pas "susceptibles d'affecter
le commerce entre les Etats membres" (art. 101 al. 1 TFUE). C'est le cas
lorsque les produits ou services objets de l'accord ne représentent pas plus
de 5 % de l'ensemble des produits et services sur le territoire européen où
l'accord produit ses effets et le chiffre d'affaires total des entreprises à
l'accord ne dépasse pas 200 millions d'euros.
6.3.3 Entreprises de droit public ou de droit privé
304 En principe, toute restriction de la concurrence doit être évitée. Peu
importe que la restriction soit le fait d'une entreprise de droit privé ou
organisée selon le droit public :
- "Est soumise à la présente loi toute entreprise engagée dans le
processus économique qui offre ou qui acquiert des biens ou des
services, indépendamment de son organisation ou de sa forme
juridique." (art. 2 al. 1 bis LCart.)
- "Une organisation unitaire d'éléments personnels, matériels et
immatériels, rattachés à un sujet juridiquement autonome et
poursuivant d'une façon durable un but économique déterminé." (CJCE
13.7.1962, Mannesman AG, aff. 19/61 Rec. p. 677).
6.4. LE TERRITOIRE CONCERNE
6.4.1 Délimitation du territoire
305 Le droit de la concurrence s’applique aux entreprises dont le siège est situé
dans le territoire de l’ordre juridique concerné (suisse ou européen).
306 Selon les art. 52 TUE et 355 TFUE, le droit européen s’applique sur tout le
territoire des Etats membres de l’Union, lors même que certaines parties de
ce territoire se trouveraient en dehors du continent européen, par exemple :
- les départements français d’Outre-Mer (la Guyane, la Guadeloupe, la
Martinique, la Réunion),
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- les Açores, Madère, les Iles Canaries (Portugal).
307 Les règles du droit européen de la concurrence s’appliquent également
dans les Etats membres de l’Espace économique européen (Islande,
Norvège, Liechtenstein), en application du Traité signé entre ces pays et
l’Union européenne.
308 Le droit européen de la concurrence est-il applicable en Suisse ?
309 La Suisse a signé avec l’Union européenne un Accord de libre échange, en
1972, dont l’art. 23 a la teneur suivante :
1. Sont incompatibles avec le bon fonctionnement de l’accord, dans la
mesure où ils sont susceptibles d’affecter les échanges entre la
Communauté et la Suisse:
i) tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations
d’entreprises et toutes pratiques concertées entre entreprises qui
ont pour objet ou effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le
jeu de la concurrence en ce qui concerne la production et les
échanges de marchandises;
ii) l’exploitation abusive par une ou plusieurs entreprises d’une
position dominante sur l’ensemble des territoires des Parties
contractantes ou dans une partie substantielle de celui-ci;
iii) toute aide publique qui fausse ou menace de fausser la
concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines
productions.
2. Si une Partie contractante estime qu’une pratique donnée est
incompatible avec le présent article, elle peut prendre les mesures
appropriées dans les conditions et selon les procédures prévues à
l’article 27.
6.4.2 Application « extra-territoriale » ?
310 Le droit de la concurrence s’applique-t-il également à des entreprises dont
le siège est à l’extérieur des frontières de l’ordre juridique concerné mais
dont les effets sont ressentis à l’intérieur dudit ordre juridique ? La
question se pose de la même manière pour les ententes, pour les positions
dominantes et pour les opérations de concentrations d’entreprises.
311 Les autorités suisses et européennes ne s’en tiennent pas au critère du
siège. L’élément déterminant est celui du lieu où est ressenti l’effet anti-
concurrentiel voulu par les entreprises. Si un état de fait (entente, par
exemple) est réalisé à l’étranger mais produit des effets en Suisse, la loi
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suisse sur les cartels s’applique (art. 2 al. 2 LCart.). Les autorités
européennes suivent le même principe.
312 On parle alors parfois d’application extra-territoriale du droit de la
concurrence. En fait, le droit s’applique aux effets ressentis à l’intérieur du
territoire concerné. Cependant, l’expression « d’application extra-
territoriale » souligne la problématique de l’exécution des décisions, voire
des sanctions, prises à l’encontre d’une entité juridique installée en dehors
du territoire concerné. La réponse viendra le plus souvent de la décision de
l’entreprise extérieure de reconnaître la compétence de l’autorité
administrative concernée dans le but de pouvoir poursuivre des activités
commerciales dans le territoire concerné.
6.5. DROIT EUROPEEN : AFFECTATION DU COMMERCE ENTRE
LES ETATS MEMBRES
313 En droit européen, ne sont visés que les accords ou pratiques concertées
« susceptibles d’affecter le commerce entre les Etats membres ».
314 Le commerce entre les Etats membres peut être affecté par des ententes
entre entreprises exerçant leurs activités dans différents Etats membres.
315 Il peut aussi l’être par des ententes entre une entreprise de l’Union
européenne et une entreprise exerçant son activité à l’extérieur de l’Union
européenne. Une entente entre entreprises d’un même Etat membre de
l’Union peut aussi affecter le commerce interétatique.
316 Le critère est appliqué d’une manière pragmatique : ce n’est pas l’intention
qui compte mais l’effet, actuel ou potentiel ; une affectation vraisemblable
suffit. Par contre, la conséquence de la pratique anti-concurrentielle –
actuelle ou potentielle – ne doit pas être insignifiante ou négligeable ;
l’effet doit être « sensible ».
317 Afin de faciliter l’application de ce critère, la Commission européenne a
publié une Communication définissant les accords dont il peut être
présumé qu'ils ne sont pas "susceptibles d'affecter le commerce entre les
Etats membres" (art. 101 par. 1 TFUE). Selon cette communication, le
commerce interétatique n’est pas affecté lorsque les produits ou services
objets de l'accord ne représentent pas plus de 5 % de l'ensemble des
produits et services sur le territoire européen où l'accord produit ses effets
et le chiffre d'affaires total des entreprises à l'accord ne dépasse pas 200
millions d'euros.
* * * * *
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Chapitre 4
LES ENTRAVES A LA CONCURRENCE
Le champ d'application du droit de la concurrence ayant été fixé, il s'agit
maintenant de déterminer si une entente entre entreprises constitue une entrave
illicite à la concurrence ou si elle est admissible (§ 7). La même appréciation doit
être faite au sujet des positions dominantes (§ 8) et des opérations de
concentrations (§ 9).
§ 7 LES ENTENTES
Textes législatifs : art. 5 à 9 LCart., communications Comco; art. 101 et 102
TFUE, Règlements et Communications Commission.
Bibliographie : Commentaire romand Concurrence, PH. GUGLER / PH.
ZURKINDEN, art. 5 LCart.; J.-M. REYMOND, art. 6 LCart.; E. CLERC, art. 7 LCart;
O. PIAGET, La justification des ententes cartellaires dans l'Union européenne et en
Suisse, thèse Lausanne, Bâle 2001; C.L. DE LEYSSAC / G. PARLEANI, Droit du
marché, Paris 2002. I. CHABLOZ, L'autorisation exceptionnelle en droit de la
concurrence, thèse Fribourg 2002.
7.1 LE REGIME DES ENTENTES EN DROIT SUISSE
7.1.1 Remarques introductives
318 Au cours des quinze dernières années, la législation suisse est devenue
beaucoup plus restrictive au sujet des ententes cartellaires :
- lors de la révision de la loi intervenue en 1995, la notion de
"concurrence efficace" a été adoptée comme principe directeur de la
politique de la concurrence; de plus les cartels "rigides" (accords sur les
prix, les quantités ou les marchés) sont depuis lors présumés illicites;
- lors de la révision de 2004, la possibilité a été donnée à la Commission
d'infliger une sanction dès qu'elle constate la violation de la loi (alors
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que précédemment une sanction ne pouvait intervenir que si les
entreprises participant à l'entente visée ne respectaient pas la décision de
la Comco);
- en septembre 2011, un projet de renforcement de la loi sur les cartels a
été mis en consultation; ce projet a pour but de déclarer illicites les
accords sur les prix, les quantités ou les marchés et de renverser le
fardeau de la preuve en ce qui concerne les faits justificatifs de l'entrave.
319 La Comco a également commencé à faire usage de la possibilité que lui
accorde l'art. 6 LCart de publier des communications précisant les
conditions d'application de la loi (cf. la Communication concernant
l'appréciation des accords verticaux, la Communication concernant les
accords verticaux dans le domaine de la distribution automobile).
Les restrictions illicites à la concurrence peuvent résulter soit d'ententes
(7.1.2 ci-dessous), soit d'abus de position dominante (§ 8 ci-dessous).
7.1.2 Les restrictions dues à des ententes
320 Les différentes formes d'ententes visées ont été définies à l'art. 4 LCart. et
examinées au paragraphe 6.1.1 ci-dessus. C'est à l'art. 5 LCart. que le
législateur a fixé les critères de l'illicéité d'une entente. Ce texte s'est
considérablement inspiré des principes reconnus en droit européen de la
concurrence et en droit américain, selon lesquels certains types d'accord
sont en soi ("per se") illicites :
321 Art. 5 (Accords illicites) :
1 Les accords qui affectent de manière notable la concurrence sur le marché de certains biens
ou services et qui ne sont pas justifiés par des motifs d’efficacité économique, ainsi que tous
ceux qui conduisent à la suppression d’une concurrence efficace sont illicites.
2 Un accord est réputé justifié par des motifs d’efficacité économique :
a) lorsqu’il est nécessaire pour réduire les coûts de production ou de distribution, pour
améliorer des produits ou des procédés de fabrication, pour promouvoir la recherche ou
la diffusion de connaissances techniques ou professionnelles, ou pour exploiter plus
rationnellement des ressources ; et
b) lorsque cet accord ne permettra en aucune façon aux entreprises concernées de supprimer
une concurrence efficace.
3 Sont présumés entraîner la suppression d’une concurrence efficace dans la mesure où ils
réunissent des entreprises effectivement ou potentiellement concurrentes, les accords :
a) qui fixent directement ou indirectement des prix ;
b) qui restreignent des quantités de biens ou de services à produire, à acheter ou à fournir ;
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98
c) qui opèrent une répartition géographique des marchés ou une répartition en fonction des
partenaires commerciaux.
4 Sont également présumés entraîner la suppression d’une concurrence efficace les accords
passés entre des entreprises occupant différents échelons du marché, qui imposent un prix de
vente minimum ou un prix de vente fixe, ainsi que les contrats de distribution attribuant des
territoires, lorsque les ventes par d’autres fournisseurs agréés sont exclues.
A. Principes
322 Le principe de l'art. 5 LCart. peut se résumer ainsi. Sont déclarés illicites :
- les accords qui conduisent à la suppression de la concurrence (lettre B,
ci-dessous);
- les accords qui affectent de manière notable la concurrence sans
pouvoir être justifiés par des motifs d'efficacité économique (lettre C,
ci-dessous);
323 Certains types d'accords sont présumés entraîner la suppression de la
concurrence. La présomption ne pourra être levée que si les entreprises
concernées peuvent établir que la concurrence reste efficace malgré
l'existence de l'accord. Dans cette hypothèse, le cartel n'est pas encore
licite; ce qui est réfuté, c'est uniquement la présomption de la suppression
de la concurrence (qui entraîne automatiquement l'illiciété). Il faudra
encore, dans ce cas, examiner si la concurrence est notablement entravée; si
c'est le cas, l'accord ne sera licite que s'il est justifié par des motifs
d'efficacité économique.
B. La suppression de la concurrence efficace
324 Sont présumés entraîner la suppression d'une concurrence efficace (et
donc illicites) :
- Les accords sur les prix : c'est l'effet qui est déterminant; peu importe
que l'accord s'applique à la fixation directe ou indirecte (par exemple
rabais) du prix;
- Les accords portant sur les quantités de biens ou de services à
produire, à acheter ou à fournir;
- Les accords de répartition géographique des marchés ou de répartition
en fonction des partenaires commerciaux; cette présomption ne
s'applique qu'aux accords horizontaux, c'est-à-dire entre concurrents,
mais non pas aux accords verticaux (accords de distribution).
325 Les ententes illicites combinent souvent plusieurs de ces types d'accords.
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99
326 Ainsi, la Comco a sanctionné plusieurs entreprises d'installations
électriques de la région de Berne qui avaient conclu des accords de prix et
de répartition de la clientèle (décision du 6.7.2009). Entre 2006 et 2008, les
entreprises concernées se sont réparties des projets de façon alternée. Elles
s'échangeaient des informations sur les prix et présentaient des offres
concertées.
- Certains accords verticaux, soit ceux par lesquels des entreprises
occupant différents échelons du marché imposent un prix de vente
minimum ou fixe, ou attribuent des territoires, lorsque les ventes par
d'autres fournisseurs agréés sont exclues (cf. ci-dessous § 7.3.2).
C. L'entrave notable à la concurrence
a) Le caractère notable de l'entrave
327 L'entrave notable à la concurrence est illicite à moins qu'elle ne soit
justifiée par des motifs d'efficacité économique.
328 L'application de l'art. 5 al. 2 LCart. pose deux questions : quand est-ce
qu'une entrave est notable ? Quels motifs peuvent la justifier ?
329 Le critère d'entrave notable à la concurrence a été précisé par les
autorités d'application, en utilisant deux critères :
- Critère qualitatif : l'accord visé porte-t-il sur un paramètre central
de la concurrence ? Ce sera toujours le cas, si l'accord porte sur les
prix, les quantités ou les marchés. Quant aux autres paramètres de la
concurrence (recherche et développement, publicité), leur importance
variera selon le marché concerné (différences entre le marché d’un
produit pharmaceutique ou celui d'un service).
- Critère quantitatif : afin d'appliquer ce critère, il faut déterminer
quel est le marché concerné, quelle est la concurrence potentielle et
quelle place occupent sur ce marché les entreprises concernées.
(Rappelons que la Suisse ne connaît pas le critère de l'affectation du
marché communautaire et que la Comco a adopté une Communi-
cation sur les PME).
b) Faits justificatifs
330 Si, au vu de ces deux critères, l'entrave ne peut être qualifiée de notable,
l'art. 5 n'est pas violé. S'il est constaté que l'entrave est notable, il
convient alors d'examiner si elle peut être justifiée par un motif
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d'efficacité économique; ce pourra être le cas, selon l'art. 5 al. 2 LCart.
lorsque l'accord est nécessaire :
- pour réduire les coûts de production ou de distribution;
- pour améliorer des produits ou des procédés de fabrication;
- pour promouvoir la recherche ou la diffusion de connaissances
techniques ou professionnelles;
- pour exploiter plus rationnellement des ressources.
331 La loi ajoute cependant une condition négative : la justification n'est pas
admissible si l'accord a pour effet de supprimer une concurrence
efficace.
c) Règles d'application
332 Afin de faciliter la compréhension et l'application de l'art. 5 LCart, le
législateur a prévu à l'art. 6 que le Conseil fédéral pourra édicter des
ordonnances et la Commission de la concurrence des communications.
A ce jour, aucune ordonnance n'a été adoptée par le Conseil fédéral. Par
contre, la Comco a publié deux Communications concernant les accords
verticaux :
- une Communication du 28.6.10 concernant l'appréciation des accords
verticaux;
- une Communication du 21.10.02 concernant les accords verticaux
dans le domaine de la distribution automobile, complétée par une
Note explicative réunissant les réponses données par la Comco aux
questions les plus fréquentes, en tenant compte des développements
observés au niveau européen dans l'application du règlement n°
1400/2002.
333 De plus, la Comco publie une Communication PME relative aux
accords ayant un impact restreint sur le marché (cf. 6.3.2.A ci-dessus).
7.1.3 La clause échappatoire des intérêts publics prépondérants
334 Lorsque des accords en matière de concurrence ou des pratiques
d'entreprises ayant une position dominante ont été déclarés illicites, les
entreprises concernées peuvent demander au Conseil fédéral d'autoriser, à
titre exceptionnel, ces pratiques ou ces accords s'ils sont nécessaires à la
sauvegarde d'intérêts publics prépondérants (art. 8 LCart.).
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335 Il ne s'agit pas à proprement parler de recours. Les procédures de recours
proprement dites sont prévues aussi bien en procédure civile, lorsque les
tribunaux déclarent une entrave à la concurrence illicite, qu'en procédure
administrative (cf. ci-dessous § 10 et 11). La requête au Conseil fédéral
peut être déposée à n'importe quel stade de la procédure, même après l'arrêt
du Tribunal fédéral.
336 Il faut voir dans cette disposition une autorisation exceptionnelle qui
permet de tempérer l'application des nouveaux principes d'illicéité si
vraiment des intérêts publics prépondérants sont donnés et que l'accord ou
la pratique « illicite » est nécessaire pour la sauvegarde de ces intérêts.
337 A ce jour (2009), cette disposition n’a été examinée qu’une seule fois : le
Conseil fédéral a refusé de reconnaître un intérêt public prépondérant à la
fixation du prix des livres (décision du 2 mai 2007; aux Chambres
fédérales, une loi fédérale sur la réglementation du prix du livre a été
adoptée; mais un référendum a été demandé; le vote du peuple n'a pas
encore eu lieu.
7.2 LE REGIME DES ENTENTES EN DROIT EUROPEEN
7.2.1 Remarque introductive
338 Alors que le droit suisse a péniblement évolué à travers plusieurs réformes
légales (1985, 1995, 2004), l'Union européenne a, dès l'adoption du Traité
de Rome en 1957, mis l'accent sur le rôle de la concurrence (et du marché
intérieur dès 1992). De plus, la Cour de justice a rapidement pris le relais
dans sa jurisprudence.
339 Suite à l'ouverture de l'Europe à 27 membres, de nouvelles règles de
procédure ont été adoptées afin de permettre une application plus efficace
du droit de la concurrence (cf. § 10 ci-dessous).
7.2.2 Principes
340 Concernant les ententes entre entreprises, le principe fondamental est
énoncé à l'art. 101 TFUE en deux paragraphes :
- les accords entre entreprises qui ont pour objet ou pour effet de
restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sont interdits.
- les accords qui tombent sous le coup de l'interdiction de l'art. 101 al. 1
sont nuls de plein droit.
341 Les conditions à remplir pour échapper à l'interdiction sont données à
l'art. 101 par. 3 TFUE.
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102
7.2.3 Les éléments constitutifs de l'interdiction
342 Selon l'art. 101 par. 1 TFUE, "sont incompatibles avec le marché commun
et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations
d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter
le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet
d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à
l'intérieur du marché commun".
343 L'entente est donc interdite lorsque les éléments suivants sont réunis :
A. Un concours de volontés ou une décision
344 Il existe un concours de volontés qui s'exprime :
- soit dans des accords (avec ou sans force obligatoire);
- soit par des décisions d'associations (décision prise par l'organe
compétent d'un groupe professionnel);
- soit par une pratique concertée; un parallélisme de comportement ne
suffit pas; il faut une concertation, c'est-à-dire au moins un échange
d'informations ou un contact qui affecte l'autonomie de décision des
entreprises.
B. Un but ou un résultat
345 La condition est satisfaite si les parties à l’entente ont eu pour but
d’empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence. Elle l’est aussi
si le résultat du comportement des parties en cause est une entrave, une
distorsion ou une restriction de la concurrence (même si ce résultat n’a pas
été expressément voulu) : « qui ont pour objet ou pour effet » :
346 L'art. 101 TFUE donne au par. 1er une liste exemplative de pratiques qui
portent atteinte à la concurrence :
- la fixation des prix ou des conditions de transaction;
- la limitation du développement technique, commercial ou financier;
- la répartition des marchés ou sources d'approvisionnement;
- la discrimination entre les partenaires commerciaux;
- les ventes (ou prestations de services) "couplées".
C. Un lien de causalité
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347 Le comportement visé ne pourra être illicite que si un lien existe entre la
pratique et l'atteinte à la concurrence. Si le lien est établi, l'entente est
illicite lorsque l'accord a pour but de porter atteinte à la concurrence (peu
importe que le résultat ait été effectivement atteint). Réciproquement,
l'entente est illicite si le résultat (atteinte) est obtenu sans même que les
parties l'aient recherché.
7.2.4 La sanction
348 La sanction de cette incompatibilité est donnée par le par. 2 de l'art. 101
TFUE : "Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont
nuls de plein droit."
349 Cela signifie que les accords ou la décision n'ont pu produire aucun effet
valable dès leur adoption. De plus, la décision de constatation de la nullité
est généralement accompagnée d'une sanction pécuniaire importante (cf.
§ 10).
7.2.5 Les dérogations possibles
A. Le principe
350 Selon l'art. 101 par. 3 TFUE, le premier alinéa (principe d'interdiction)
n'est pas applicable si les conditions cumulatives suivantes sont réunies :
- l'entente contribue à améliorer la production ou la distribution des
produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique;
- l'entente réserve aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en
résulte;
- l'entente n'impose pas aux entreprises intéressées des restrictions qui ne
sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs;
- l'entente n'élimine pas la concurrence, pour une partie substantielle des
produits en cause.
B. Le régime applicable
351 La réglementation du régime des exemptions a été profondément modifiée
en 2004. Alors que, jusque là, les entreprises avaient l'obligation de notifier
les accords tombant sous le coup de l'art. 101 TFUE, cette exigence a été
supprimée par le Règlement (CE) 1/2003.
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352 Dorénavant, dans toutes les procédures d'application de l'art. 101 TFUE,
que ce soit dans une procédure communautaire ou dans une procédure
engagée dans un Etat membre :
- la charge de la preuve d'une violation de l'art. 101 par. 1 TFUE incombe
à la partie ou à l'autorité qui l'allègue;
- il appartient à l'entreprise ou l'association d'entreprises qui invoque le
bénéfice de l'art. 101 par. 3 TFUE d'apporter la preuve que les
conditions de ce paragraphe sont réunies.
C. Règles d’application
353 Afin d'accroître la sécurité juridique et de favoriser la bonne marche des
affaires, la Commission a adopté ou publié des règlements, des communi-
cations et des lignes directrices :
354 Le Règlement 2790/1999, relatif aux accords verticaux pour l'achat ou la
vente de biens ou de services (cf. 7.3.2. A. ci-dessous) présume la licéité
des accords verticaux pour autant que les parties à l'entente n'occupent pas
ensemble une part de marché supérieure à 30 % :
- si le seuil n'est pas atteint, l'autorité d'application peut néanmoins tenter
de démontrer que l'entente viole l'art. 101 par. 1 TFUE;
- si le seuil est atteint, les parties visées peuvent tenter de démontrer que
l'entente ne viole pas l'art. 101 par. 1 ou satisfait les conditions de
l'art. 101 par. 3 TFUE.
355 De plus, la Commission a adopté des règlements pour certains types de
contrats particuliers :
- Règlement n° 1475/95 concernant les accords de distribution et de
services de vente et d'après-vente de véhicules automobiles;
- Règlement n° 4087/88 concernant les accords de franchise;
- Règlement n° 240/96 concernant les accords de transfert de technologie.
356 Voici, à titre d'exemple, ce que disent les Lignes directrices concernant
l'application de l'art. 101 al. 3 TFUE :
« 1. L'article 81, paragraphe 3 [aujourd’hui art. 101 par. 3 TFUE], du traité
prévoit une dérogation aux dispositions de l'article 81, paragraphe 1, du
traité. Les accords, décisions d'associations d'entreprises et pratiques
concertées(1) qui sont visés par l'article 81, paragraphe 1, mais
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105
remplissent les conditions de l'article 81, paragraphe 3, sont valides et
applicables sans qu'une décision préalable soit nécessaire à cet effet.
2.
L'article 81, paragraphe 3, s'applique à des accords individuels ou, au
moyen de règlements d'exemption par catégorie, à des catégories
d'accords et de pratiques concertées. Le règlement no 1/2003 relatif à la
mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82
du traité (2) n'affecte pas la validité et la nature juridique des règlements
d'exemption par catégorie. Tous les règlements d'exemption actuels
restent en vigueur et les accords couverts par des règlements d'exemption
par catégorie sont juridiquement valides et applicables, même s'ils
restreignent la concurrence au sens de l'article 81, paragraphe (3). Ces
accords ne peuvent être interdits que pour l'avenir et seulement après
abrogation officielle de l'exemption par catégorie par la Commission ou
une autorité nationale de la concurrence (4). Les accords exemptés par
catégorie ne peuvent être invalidés par les juridictions nationales dans le
cadre d'une procédure contentieuse privée.
…
4. Les présentes lignes directrices exposent l'interprétation que la
Commission donne aux conditions de l'exception contenue à l'article 81,
paragraphe 3. Elles fournissent ainsi des orientations sur la manière
dont elle appliquera cette disposition dans des cas individuels. Bien que
ces
lignes directrices ne soient pas contraignantes pour les juridictions et les
autorités des États membres, elles ont aussi pour objet de leur fournir des
orientations pour l'application de l'article 81, paragraphes 1 et 3, du
traité.
5. Ces lignes directrices définissent un cadre analytique pour
l'application de l'article 81, paragraphe 3. L'objectif est de permettre
l'élaboration d'une méthodologie pour l'application de cette disposition.
Cette méthodologie est fondée sur l'approche économique qui a été
introduite et développée dans les lignes directrices sur les restrictions
verticales, sur les accords de coopération horizontale et sur les accords
de transfert de technologie. La Commission appliquera également les
présentes lignes directrices, qui donnent une orientation plus détaillée
sur l'application des quatre conditions de l'article 81, paragraphe 3, que
celle contenue dans les lignes directrices sur les restrictions verticales,
sur les accords de coopération horizontale et sur les accords de transfert
de technologie, aux
accords couverts par ces dernières lignes directrices.
6. Les principes énoncés dans les présentes lignes directrices doivent être
appliqués à la lumière des circonstances de l'espèce, ce qui exclut toute
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106
application mécanique. Il convient d'apprécier chaque affaire au regard
des faits qui la caractérisent et d'appliquer les lignes directrices avec bon
sens et souplesse.
…
11. L'appréciation au regard de l'article 81 s'effectue donc en deux étapes.
La première consiste à déterminer si un accord entre entreprises, qui est
susceptible d'affecter le commerce entre États membres, a un objet
anticoncurrentiel ou des effets anticoncurrentiels réels ou potentiels (9).
La seconde étape, qui n'a lieu d'être que s'il est avéré qu'un accord
restreint le jeu de la concurrence, consiste à déterminer les effets
proconcurrentiels produits par cet accord et à voir si ces effets
proconcurrentiels l'emportent sur les effets anticoncurrentiels. La mise
en
balance des effets anticoncurrentiels et des effets proconcurrentiels
s'effectue exclusivement dans le cadre établi par l'article 81, paragraphe
3 (10).
…
15. Le type de coordination de comportements ou de collusion entre
entreprises visé par l'article 81, paragraphe 1, consiste dans la situation
où au moins une entreprise s'engage envers une autre entreprise à
adopter un certain comportement sur le marché ou que, par suite de
contacts entre elles, l'incertitude entourant leur comportement sur le
marché soit éliminée ou du moins substantiellement réduite (15). Il
s'ensuit que la coordination peut revêtir la forme d'obligations régissant
le comportement sur le marché d'au moins une des parties ainsi que
d'accords influant sur le comportement sur le marché d'au moins une des
parties en modifiant ses incitations. Il n'est pas indispensable que la
coordination soit de l'intérêt de toutes les entreprises en cause (16). De
même, elle ne doit pas forcément être explicite. Elle peut également être
tacite. Pour qu'un accord puisse être réputé conclu au moyen d'un
acquiescement tacite, il est nécessaire qu'une entreprise invite une autre
entreprise, que ce soit de façon expresse ou implicite, à la réalisation
commune d'un but (17). Dans certaines circonstances, un accord peut se
déduire de relations commerciales durables entre les parties et être
imputable à ces relations (18). Toutefois, le seul fait qu'une mesure
adoptée par une entreprise s'inscrive dans le cadre de relations
commerciales continues ne saurait être suffisant (19).
…
17. Pour apprécier si un accord doit être considéré comme altérant le jeu
de la concurrence, il convient d'examiner le jeu de la concurrence dans
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107
le cadre réel où il se produirait à défaut de l'accord litigieux (20). Lors
de cette appréciation, il est nécessaire de tenir compte de l'incidence
éventuelle de l'accord sur la concurrence intermarques (c'est-à-dire la
concurrence entre fournisseurs de marques concurrentes) et sur la
concurrence intramarque (c'est-à-dire la concurrence entre distributeurs
d'une même marque). L'article 81, paragraphe 1, interdit les restrictions
tant de la concurrence intermarques que de la concurrence intramarque
(21).
…
25. Des effets défavorables sur la concurrence sont susceptibles de se
produire sur le marché en cause quand les parties, individuellement ou
conjointement, possèdent ou obtiennent un certain pouvoir de marché et
que l'accord contribue à la création, au maintien ou au renforcement de
ce pouvoir ou permet aux parties de pratiquer pendant une durée
significative des prix supérieurs au niveau qui résulterait du jeu de la
concurrence ou de maintenir pendant une durée significative la
production en termes de quantité, qualité et diversité des produits ou en
termes d'innovation à un niveau inférieur à celui qui résulterait du jeu de
la concurrence. Sur les marchés où les coûts fixes sont élevés, les
entreprises doivent fixer leurs prix sensiblement au-dessus de leurs coûts
de production marginaux, afin d'avoir un bon retour sur investissement.
Le fait que des entreprises fixent leurs prix au-dessus de coûts marginaux
n'indique donc pas, en soi, que la concurrence ne fonctionne pas bien sur
le marché et que les entreprises possèdent une puissance de marché qui
leur permet de fixer leurs prix à des niveaux qui ne sont pas
concurrentiels. C'est lorsque les pressions concurrentielles ne sont pas
suffisantes pour maintenir les prix de la production à des niveaux
concurrentiels que des entreprises possèdent une puissance de marché au
sens de l'article 81, paragraphe 1.
…
59. Les catégories de gains d'efficacité énoncées à l'article 81,
paragraphe 3, sont assez larges pour couvrir tous les gains d'efficacité
économiques objectifs. Étant donné qu'il existe un chevauchement
considérable entre les différentes catégories mentionnées à l'article 81,
paragraphe 3, et qu'un même accord peut générer plusieurs types de
gains d'efficacité, il n'est pas indiqué d'établir des distinctions claires et
nettes entre ces catégories. Aux fins des présentes lignes directrices, une
distinction est établie entre les gains d'efficacité réalisés sur les coûts et
les gains d'efficacité de nature qualitative, qui créent de la valeur sous
forme de produits nouveaux ou meilleurs, d'une plus grande variété de
produits, etc.
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60. En général, les gains d'efficacité sont le fruit d'une intégration
d'activités économiques par laquelle des entreprises conjuguent leurs
actifs afin de réaliser ce qu'elles ne pourraient réaliser aussi
efficacement chacune de son côté ou par laquelle elles confient à une
autre entreprise
des tâches pour lesquelles celle-ci est plus performante.
61. Le processus qui va de la recherche et développement à la distribution
en passant par la production peut être assimilé à une chaîne de valeur
pouvant être divisée en plusieurs étapes: à chaque étape de cette chaîne,
l'entreprise doit choisir entre exécuter l'activité elle-même, l'exécuter
conjointement avec une ou plusieurs autres entreprises ou la confier
intégralement à une ou plusieurs autres entreprises.
62. Normalement, chaque fois que le choix opéré implique une
coopération sur le marché avec une autre entreprise, un accord au sens
de l'article 81, paragraphe 1, doit être conclu. Il peut s'agir d'un accord
vertical, comme c'est le cas lorsque les parties opèrent à des niveaux
différents de la chaîne de valeur, ou horizontal, lorsque les parties
opèrent au même niveau de la chaîne. Ces deux catégories d'accords
peuvent générer des gains d'efficacité en permettant aux entreprises en
cause d'exécuter une tâche donnée à moindre coût ou avec plus de valeur
ajoutée pour le consommateur. Ces accords peuvent aussi contenir ou
induire des restrictions de concurrence, auquel cas la règle d'interdiction
de l'article 81, paragraphe 1, et la règle d'exemption prévue à l'article
81, paragraphe 3, peuvent jouer ».
7.3 LES ACCORDS VERTICAUX
7.3.1. Remarques introductives
357 Si la notion d’entente horizontale (sur les prix ou sur les quantités) est la
première qui vient à l’esprit lorsqu’on évoque une entrave à la concurrence,
la réalité de la vie économique a rapidement obligé les autorités
d’application du droit de la concurrence à prendre en compte les effets des
accords verticaux.
358 Ce fut d’abord le cas en droit américain, puis en droit européen. En droit
suisse, on ne se préoccupait d’abord des effets des accords verticaux que si
l’une des parties au contrat occupait une position dominante sur l’un des
échelons du marché. Depuis 2004, l’art. 5 al. 4 LCart. contient une
disposition spécifique sur les accords verticaux :
«Sont également présumés entraîner la suppression d’une concurrence
efficace les accords passés entre des entreprises occupant différents
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109
échelons du marché, qui imposent un prix de vente minimum ou un prix de
vente fixe ainsi que les contrats de distribution attribuant des territoires,
lorsque les ventes par d’autres fournisseurs agréés sont exclus».
359 Cette modification législative en Suisse a été influencée par la pratique
européenne ; c’est pourquoi, cette problématique des accords verticaux est
traitée ici en un même paragraphe pour les deux systèmes juridiques.
7.3.2. Textes légaux et textes explicatifs
A. Droit européen
360 Les autorités d’application du droit de la concurrence, aussi bien à
Bruxelles qu’à Berne, ont adopté des textes dont le but est de faciliter
l’application des principes juridiques dans le cas des accords verticaux :
- Règlement CE n° 2790-1999 du 22 décembre 1999 concernant
l’application de l’art. 81 par. 3 du traité à des catégories d’accords
verticaux et de pratiques concertées.
Pour rappel, un règlement a valeur législative et contient des règles
d’application directe, ce qui signifie que les autorités des Etats membres
doivent les appliquer même si elles n’ont pas été reprises formellement
en droit national.
- Communication de la Commission des CE n° 2000 - C 291 – 01
Lignes directives sur les restrictions verticales : il s’agit là d’un
document par lequel la Commission explique de quelle manière elle
applique le règlement sur les accords verticaux.
361 La Commission européenne a également adopté des règles spécifiques sur
un secteur particulier, celui de la vente des véhicules automobiles :
- Règlement (CE) 1° 1400 – 2002 du 31 juillet 2002 concernant
l’application de l’art. 81, par. 3, du traité à des catégories d’accords
verticaux et des pratiques concertées dans le secteur automobile.
- La Direction générale de la concurrence à Bruxelles, a publié une
« Brochure explicative en matière de distribution et service après-vente
des véhicules automobiles dans l’Union européenne ».
B. Droit suisse
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362 De son côté, la Comco a publié :
- une Communication concernant l’appréciation des accords verticaux,
dont la dernière version date du 2 juillet 2007 ;
- une Communication sur les accords verticaux dans le domaine de la
distribution automobile du 21 octobre 2002.
7.3.3 Principes applicables en droit suisse
363 Les accords verticaux peuvent améliorer l’efficience économique au sein
d’une chaîne de production ou de distribution, entraîner une diminution des
coûts de transaction et de distribution et favoriser un niveau optimal des
investissements et des ventes.
364 Selon le pouvoir des entreprises sur le marché des entreprises concernées,
ces accords peuvent aussi engendrer des restrictions ayant des effets
anticoncurrentiels graves.
A. Prix
365 La suppression de la concurrence efficace est présumée en cas d’imposition
de prix de revente minimaux ou fixes.
366 En cas de recommandation de prix, celle-ci est également présumée illicite
si elle indique un prix minimal ou fixe. Dans les autres cas, la Commission
examine si :
- la recommandation est effectivement suivie ;
- le niveau de prix est significativement plus élevé que dans les pays
voisins ;
- la recommandation est accompagnée de mesures contraignantes.
B. Affectation notable de la concurrence
367 Les accords verticaux affectent la concurrence de manière notable lorsque :
- ils empêchent le fournisseur de livrer des composants ou des pièces de
rechange à des tiers ;
- ils contiennent une obligation de non-concurrence d’une durée
indéterminée ou qui dépasse 5 ans ;
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- ils contiennent une obligation de non-concurrence de plus d’une année
après l’expiration de l’accord vertical ;
- ils restreignent le multi-marquisme dans un système de distribution
sélective.
368 Toutefois, ces règles ne s’appliquent pas si les parties à l’accord n’occupent
pas une place significative sur le marché :
- pas de restriction si aucune des entreprises parties à l’accord ne détient
une part de marché supérieure à 15 % sur le marché concerné ; cette
limite est ramenée à 5 % en cas d’effet cumulatif de plusieurs réseaux
d’accords verticaux produisant des effets similaires, sauf si la part
cumulée de ces réseaux parallèles est inférieure à 30 %.
C. Distribution sélective
369 Dans un système de distribution sélective, le fournisseur s’engage à vendre
les biens ou les services contractuels uniquement à des revendeurs
sélectionnés sur la base de critères prédéfinis et ces revendeurs s’engagent
à ne pas vendre ces biens ou ces services à des revendeurs non agréés.
370 La sélection des revendeurs se fait exclusivement sur la base de critères
qualificatifs, objectifs et requis par la nature du produit (formation du
personnel, service fourni, assortiment des produits).
7.3.4 Principes applicables en droit européen
371 Les principes décrits au § 7.3.3, et relatifs au droit suisse, trouvent leur
origine dans les règles européennes. Ces principes sont donc en général
aussi applicables sur le marché européen.
372 L’illustration en est faite ici d’une autre manière, en présentant quelques
aspects du Règlement (N° 1400/2002) de la Commission sur les catégories
d’accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile.
A. Prix
373 L’exemption de l’application de l’art. 101 al. 3 TFUE ne peut être
reconnue aux accords verticaux qui ont pour objet la restriction de la
capacité du distributeur ou du réparateur de déterminer son prix de vente.
La possibilité subsiste pour le fournisseur d’imposer un prix de vente
maximal ou de recommander un prix de vente, à condition que ces derniers
n’équivalent pas à un prix de vente fixe ou minimal sous l’effet de
pressions exercées par l’une des parties ou de mesures d’incitation prises
par elle.
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B. Plafonds
374 L’exemption s’applique, les autres conditions étant satisfaites, à condition
que la part de marché détenue par le fournisseur ne dépasse pas 30 % du
marché en cause sur lequel il vend les véhicules automobiles neufs.
375 Les parts de marché sont calculées pour la distribution de véhicules
automobiles neufs sur la base du volume des biens contractuels et biens
correspondants vendus par le fournisseur, ainsi que tout autre type de biens
vendus par le fournisseur et que l’acheteur considère comme interchan-
geables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et
de l’usage auquel ils sont destinés (art. 8 ch. 1 Règl.).
C. Distribution sélective
376 Au sujet de ce mode de distribution, le Règlement donne d’abord des
définitions :
- système de distribution sélective : un système de distribution dans lequel
le fournisseur s’engage à ne vendre les biens ou les services
contractuels, directement ou indirectement, qu’à des distributeurs ou des
réparateurs sélectionnés sur la base de critères définis, et dans lequel ces
distributeurs ou réparateurs s’engagent à ne pas vendre ces biens ou ces
services à des distributeurs non agréés ou à des réparateurs
indépendants, sans préjudice de la faculté de vendre des pièces de
rechange à des réparateurs indépendants ou de l’obligation de fournir
aux opérateurs indépendants l’ensemble des informations techniques,
des systèmes de diagnostic, des outils et de la formation nécessaires
pour la réparation et l’entretien des véhicules automobiles ou pour la
mise en œuvre des mesures de protection de l’environnement ;
- système de distribution sélective quantitative : un système de
distribution sélective dans lequel le fournisseur applique, pour
sélectionner les distributeurs et les réparateurs, des critères qui limitent
directement le nombre de ceux-ci ;
- système de distribution qualitative : un système de distribution sélective
dans lequel le fournisseur applique, pour sélectionner les distributeurs
ou les réparateurs, des critères purement qualitatifs, requis par la nature
des biens ou des services contractuels, établis uniformément pour tous
les distributeurs ou réparateurs souhaitant adhérer au système de distri-
bution, et appliqués d’une manière non discriminatoire et ne limitant pas
directement le nombre de distributeurs ou de réparateurs.
* * * * *
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§ 8 LES POSITIONS DOMINANTES
Textes législatifs : art. 7 LCart ; art. 102 TFUE.
Bibliographie : Commentaire Romand Concurrence, Evelyne CLERC, art. 7
LCart ; C. L. DE LEYSSAC / G. PARLEANI, Droit du marché, p. 877 ss.
8.1 LA PROBLEMATIQUE
377 Avant d’aborder les notions de position dominante et d’abus de cette
position, trois remarques s’imposent aussi bien en droit suisse qu’en droit
européen :
- Les deux systèmes juridiques reconnaissent que toute entreprise, de par
son existence, exerce une certaine influence sur le marché ; toutefois, la
constatation de ce fait ne signifie pas encore que les autorités de la
concurrence doivent s’y intéresser. Ce n’est que lorsqu’une entreprise
dispose d’une influence qualifiée sur le marché et que l’on peut dire
que cette entreprise occupe une position de puissance sur le marché
que le droit de la concurrence va s’y intéresser (cf. 8.3 ci-dessous).
- A première vue, la position dominante est le fait d’une entreprise,
puisque si plusieurs entreprises se concertent pour influencer le marché,
on sera en présence d’une entente (§ 7).
De plus, lorsque plusieurs entreprises agissent de manière concertée,
cette concertation est aussi qualifiée d'entente. Mais, la théorie
économique a expliqué que la position dominante peut découler de
l’existence d’un oligopole, sans qu’il existe une concertation entre les
entreprises occupant collectivement une position dominante (cf. E.
CLERC, Art. 4 LCart. n° 47 ss et 146 ss).
La position dominante collective sera constatée lorsque sur un même
marché, en raison de facteurs de corrélations économiques (résultant de
liens structurels ou de la structure oligopolitique du marché) des effets
de coordination sur le marché sont constatés (comportement uniforme
ou même ligne d'action sur le marché).
- Alors que les deux premières remarques se réfèrent à une puissance
horizontale, une situation de domination peut aussi exister dans des
relations verticales, du côté des acheteurs (puissance d’achat), et
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engendrer des situations de dépendance de certaines entreprises
(fournisseurs, sous-traitants).
8.2 LES POSITIONS DOMINANTES
378 La position dominante ne peut être constatée sans que l’on ait déterminé
l’objet de la domination : le marché (marché en cause, « relevant
market »). Celui-ci doit être délimité :
- quant à l'objet
- quant au lieu
- quant au temps
8.2.1. Délimitation quant à l’objet
379 Selon l'art. 11 al. 1 Ordonnance sur le contrôle des concentrations, repris
du ch. 7 de la Communication de la Commission européenne sur la
définition du marché en cause (97/C 372/03) :
«Le marché de produits comprend tous les produits ou services que les
partenaires potentiels de l’échange considèrent comme substituables en
raison de leurs caractéristiques ou de l’usage auquel ils sont destinés. »
380 Dans sa Communication (ch. 22), la Commission européenne donne un
exemple de l’analyse de la substituabilité du côté de l’offre dans le secteur
du papier :
«On trouve généralement sur le marché toute une gamme de qualités de
papier, depuis le papier d’impression standard jusqu’au papier de qualité
supérieure utilisé, entre autres, pour les livres d’art. Du point de vue de la
demande, on n’utilise pas indifféremment ces différentes qualités de
papier ; on n’imprime pas un livre d’art, par exemple, ou un ouvrage de
luxe en utilisant un papier de qualité médiocre. Les papeteries peuvent
pourtant fabriquer différentes qualités de papier et la production peut être
adaptée à court terme et moyennant de très faibles coûts d’adaptation. En
l’absence de difficultés particulières au stade de la distribution, les
entreprises papetières peuvent donc se faire concurrence pour les
commandes de diverses qualités de papier, notamment si ces commandes
sont passées suffisamment à l’avance pour permettre de modifier les plans
de production. Dans ces circonstances, la Commission ne définirait pas un
marché distinct pour chaque qualité de papier et chacun de ses usages. Les
diverses qualités sont regroupées dans un même marché en cause et leurs
ventes sont cumulées afin d’évaluer l’importance du marché total, en
valeur et en volume. »
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La Commission adopte une approche souple en se fondant sur des éléments
empiriques et en exploitant toutes les informations dont elle dispose (ch. 25
de la Communication).
8.2.2 Délimitation quant au lieu
381 La commission définit ainsi le marché géographique :
"Le marché géographique en cause comprend le territoire sur lequel les
entreprises concernées sont engagées dans l'offre des biens et des services
en cause, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment
homogènes et qui peut être distingué de zones géographiques voisines
parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de
manière appréciable."
382 Les catégories de données suivantes sont jugées utiles par la Commission
pour définir le marché géographique :
- preuves que, dans le passé, il y a déplacement de commandes vers
d'autres zones;
- caractéristiques fondamentales de la demande (préférence nationale,
langue, culture, nécessité d'une présence sur place)
- opinions des clients et des concurrents (interrogés par la Commission !)
- examen des habitudes d'achat des clients
- entraves et coûts liés à la réorientation des commandes des entreprises
situées dans d'autres zones géographiques.
383 Du point de vue géographique, selon la formule de l’art. 102 TFUE, la
position dominante peut exister sur le « marché commun ou dans une
partie substantielle de celui-ci ». A diverses reprises, les autorités
communautaires ont considéré que le territoire d’un seul Etat membre
(Allemagne, Royaume-Uni, mais aussi Belgique ou Hollande) pouvait
constituer le marché géographique.
8.2.3 Délimitation quant au temps
384 Pour certains types de produits, le facteur temps doit être pris en considéra-
tion :
- les vols transatlantiques entre l'Europe et les Etats-Unis sont plus chers
en été lorsque la demande est forte et moins chers à d'autres moments;
- la publicité télévisée coûte plus chère à certaines heures ("prime-time").
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385 La Comco s’appuie quant à elle sur les définitions données dans
l’Ordonnance sur le contrôle des concentrations (art. 11 al. 3 let. a et b).
386 Une position dominante peut être détenue par toute entreprise quelle qu'en
soit la forme juridique. Un "joint-venture" (société simple, qui n'a pas la
personnalité juridique) peut détenir une position dominante.
387 Le Traité ne donnant pas de définition de la notion de position dominante,
celle-ci a été élaborée par la Commission et la Cour de Justice.
388 Lorsque le marché a été délimité, l’existence de la position dominante est
établie par les autorités de la concurrence à l’aide des critères de :
389 - structure (répartition des parts de marché, conditions d’accès au
marché) : après avoir défini le marché en cause, quant au produit et au
territoire, la Commission détermine la taille totale du marché et les parts
détenues sur le territoire en cause. Elle le fait en consultant les sources
disponibles (estimations des entreprises, publication des associations
professionnelles) ou en demandant à chaque fournisseur sur le marché
en cause de lui communiquer son chiffre d’affaires ;
390 - comportement (quant à la fixation des prix, aux rapports avec les
fournisseurs) ; l’entreprise a le pouvoir de faire obstacle au maintien
d’une concurrence effective ; autrement dit, l’entreprise (ou les
entreprises) concernée(s) dispose(nt) d’une autonomie de stratégie sur le
marché.
391 - résultat (marge bénéficiaire) : l’entreprise obtient des marges
supérieures à la moyenne.
8.3 L’ABUS DE LA POSITION DOMINANTE
8.3.1 Généralités
392 La concurrence est une lutte pour des parts de marchés. Les efforts
entrepris pour acquérir, conserver ou augmenter ces parts de marchés sont
donc propres au système. Les entreprises peuvent donc accéder à une
position dominante grâce à leur succès économique et leur croissance
interne (la croissance externe – par acquisition d’autres entreprises – fait
l’objet du contrôle des concentrations cf § 10). La constatation de
l’existence d’une position dominante n’implique pas un reproche à l’égard
de cette entreprise. Cependant, lorsque cette position est acquise,
l’entreprise en position dominante doit assumer une responsabilité
particulière, celle de ne pas – par son comportement – porter atteinte à une
concurrence effective.
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393 Le même comportement d’une entreprise dominant le marché pourra, selon
les circonstances, être considéré comme un comportement concurrentiel
favorable ou comme une pratique abusive. Les circonstances particulières
de chaque cas d’espèce seront donc déterminantes.
8.3.2 Conditions de l’abus
394 L’art. 7 al. 1 LCart. constitue une clause générale (illustrée par les
exemples de l’al. 2) :
« Les pratiques d’entreprises ayant une position dominante sont réputées
illicites lorsque celles-ci abusent de leur position et entravent ainsi l’accès
d’autres entreprises à la concurrence ou son exercice, ou désavantagent
les partenaires commerciaux. »
395 Selon cette disposition, la première condition d’un abus de position
dominante consiste soit en une entrave à l’accès à la concurrence ou à son
exercice, soit dans l’exploitation de la position dominante au détriment des
partenaires commerciaux.
396 Une seconde condition doit être remplie même si elle n’est que sous-
entendue par l’art. 7 al. 1 LCart. : le comportement n’est pas justifié par des
considérations commerciales légitimes (legitimate business reasons).
Cette possibilité d’une justification objective existait déjà dans la
législation antérieure et a toujours été reconnue aussi bien par la Comco
(DPC 1997, p. 490) et par les tribunaux. Cette condition négative de
l’absence de « legitimate business reasons » est également appliquée, en
droit européen, dans l’interprétation de l’art. 102 TFUE.
397 L’entrave est donnée lorsque la position dominante a pour effet ou est
utilisée pour limiter l’accès de tiers à la concurrence et limiter l’exercice de
la concurrence.
398 L’exploitation est constatée lorsque l’entreprise tire partie de sa rente de
position dominante sur le marché pour maximiser ses profits.
L’exploitation de la position dominante est réalisée même si l’entreprise en
position dominante ne cherche pas à entraver des concurrents déterminés.
399 Il n’est pas possible de donner une définition des considérations
commerciales légitimes d’une part parce qu’elles doivent toujours être
appréciées en fonction des circonstances du cas d’espèce et, d’autre part,
parce que la plupart des pratiques des entreprises sont ambivalentes.
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400 L’abus de position dominante est une notion juridique, mais une notion
juridique indéterminée qui nécessite une analyse économique de chaque
cas d’espèce.
401 L’abus de position dominante est une notion objective. Le comportement
d’une entreprise en position dominante peut être jugé illicite en raison de
ses effets, en l’absence de toute faute.
402 Une intention de l’entreprise en cause de vouloir dominer le marché en
exploitant sa situation ou en écartant ses concurrents permettra bien sûr de
conclure à un comportement abusif. La preuve de cette intention ne sera
pas facile à apporter car les autorités disposent rarement d’écrits permettant
d’établir cette intention. Mais celle-ci peut aussi résulter d’indices. Des
pratiques s’apparentant à des mesures « disciplinaires » (boycott,
interruption des relations contractuelles, conditions commerciales
discriminatoires) dénotent une intention de domination.
403 L’Association suisse pour l’insémination artificielle avait le monopole
d’approvisionnement aux vétérinaires. Le monopole fut aboli.
L’association a proposé aux vétérinaires des contrats d’approvisionnement
exclusif avec des clauses de réduction des prestations et de conditions
financières désavantageuses si le vétérinaire se fournit aussi ailleurs (DPC
1999, p. 75 ss.).
404 En l’absence d’une preuve de l’intention, la qualification d’abus résultera
de l’analyse des effets du comportement de l’entreprise en position
dominante. L’alinéa 2 de l’art. 7 LCart donne une liste exemplative de ces
comportements.
8.4 EXEMPLES DE COMPORTEMENTS ABUSIFS
8.4.1 Le refus d’entretenir des relations commerciales
405 Cette pratique est visée aussi bien par le droit suisse (art. 7 al. 2 let. a
LCart) que par le droit européen (selon la jurisprudence de la CJCE en
application de l’art. 102 TFUE, cf. arrêt United Brands c/ Commission
22/76, Rec. 1978, p. 207, ch. 163-203).
406 Le principe vise aussi bien le refus d’établir des relations commerciales
avec des partenaires commerciaux potentiels, sans raison objective, que la
rupture des relations commerciales existantes sans respecter une période
transitoire appropriée.
407 Le refus d’entretenir des relations commerciales constitue un cas d’entrave
à l’encontre des concurrents. Les partenaires commerciaux peuvent être
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119
soit des fournisseurs, soit des clients de l’entreprise dominante dans la
mesure où ils sont des concurrents de celle-ci (Refus de livrer les sons et
images des courses françaises de chevaux par une société française au
bookmaker belge Ladbroke ; la société française titulaire des droits sur les
images était absente du marché belge des paris et n’avait pas non plus
octroyé une licence sur ce marché ; le refus ne fut pas considéré comme
illicite en raison de l’absence de restriction de concurrence sur le marché
belge).
408 Le fait d’empêcher une entreprise (dominante) de mettre un terme à ses
relations commerciales avec un partenaire commercial ou de l’obliger à
entamer des relations avec ce partenaire constitue une atteinte forte à la
liberté de contracter de l’entreprise concernée. Une telle décision ne peut
intervenir qu’aux conditions suivantes
A. Il n’existe pas de substitut réel ou potentiel
409 Il n’y a pas de source alternative.
(Swisscom décide de ne plus louer de lignes en cuivre dans la boucle locale
à des prestataires concurrents, mais de leur offrir un autre service : la
capacité de transmission. La Comco a considéré qu’il ne s’agissait pas
d’une entrave ; DPC 1999, p. 375, ch. 58-63).
B. Le produit/service/infrastructure est indispensable
410 Dans l’affaire Ladbroke, la transmission télévisée des courses a été
considérée comme un service complémentaire mais non indispensable.
C. Suppression de la concurrence
411 Le refus a pour effet d’éliminer toute concurrence de la part de l’entreprise
qui requiert la relation commerciale.
(SWIFT, coopérative détenue par 2000 banques, refuse d’offrir les services
de transmissions de données à la Poste – en France. Accord amiable).
D. Absence de justification objective
412 Le refus (ou la rupture des relations) est arbitraire. Le refus peut être
justifié lorsque les prestations économiques du cocontractant deviennent
insuffisantes ou sa solvabilité douteuse.
413 Mais la préservation ou l’augmentation de parts de marchés, ou encore
l’expansion sur un marché voisin, peuvent être admis comme justifications.
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8.4.2 Discrimination de partenaires commerciaux
414 L’entreprise dominante pratique des prix ou autres conditions
commerciales qui, sans raisons objectives, défavorisent certains partenaires
commerciaux par rapport à d’autres.
415 La discrimination n’a pas besoin d’atteindre un degré tel que ces conditions
soient inéquitables (cf. art. 7 al. 2 let. c LCart) pour être considérée comme
une entrave illicite.
416 Des conditions commerciales exceptionnellement favorables résultant de
subventions croisées peuvent être discriminatoires (let. b), prédatoires (let.
d) ou inéquitables (let. c)
(Télécom PTT – nom de l’entité qui a repris l’activité téléphone à PTT et
qui a précédé Swisscom – a discriminé les exploitants privés d’accès ou de
services Internet en réservant exclusivement le numéro O-842 à son service
« Blue Window » ; de plus, Blue Window a bénéficié de subventions
croisées).
417 En droit européen, une différence de prix devient significative et
injustifiable, donc illicite, à un faible niveau lorsque la discrimination
résulte d’une politique claire de cloisonnement des marchés.
(Abus de position dominante par United Brands qui vendait ses bananes à
des prix différents selon le pays du distributeur dans l’UE – avec
interdiction de revente – alors que toutes les autres conditions étaient
semblables).
418 Quid des rabais de fidélité accordés aux clients qui s’engagent à ne
s’approvisionner qu’auprès du vendeur pour un certain pourcentage de
leurs besoins ?
8.4.3 Conditions commerciales inéquitables
419 Ces conditions constituent une pratique d’exploitation de la part de
l’entreprise dominante qui extrait ainsi une rente de la position qu’elle
détient sur le marché. L’entreprise dominante ne cherche pas à écarter ou
éliminer la concurrence, mais plutôt à exploiter l’absence de concurrence.
420 Cette pratique est visée par l’art. 7 al. 2 let. c LCart et par l’art. 102 TFUE
expressément.
421 Le caractère inéquitable peut résulter du prix ou des autres conditions du
contrat. Le caractère inéquitable peut être établi :
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- soit par la méthode relative par comparaison avec les conditions qui
résulteraient d’une concurrence efficace sur le marché (« als – ob
Wettbewerb ») ou les conditions pratiquées sur un autre marché
géographique ;
- soit par la méthode absolue : les conditions commerciales proposées
sont inéquitables parce que dans un rapport déraisonnable avec la valeur
économique de la prestation de l’entreprise dominante.
8.4.4 Pratiques prédatoires
422 La pratique classique est la sous-enchère en matière de prix ou de
conditions dirigée contre un concurrent déterminé. Cette pratique est visée
par l’art. 7 al. 2 let. d LCart et par l’art. 102 TFUE. Une telle pratique
permet en effet à l’entreprise dominante, moyennant un sacrifice
temporaire, d’écarter un concurrent ou de décourager l’arrivée d’un
concurrent sur le marché pour ensuite mieux profiter de la situation. La
concurrence sur les prix est l’essence même du marché. La distinction entre
l’attitude souhaitée pour le bon fonctionnement du marché et l’attitude
répréhensible parce qu’abusive n’est souvent pas facile.
423 La pratique prédatoire est ciblée : elle vise un ou des concurrents
déterminés que l’entreprise dominante cherche à faire « rentrer dans le
rang » ou à écarter du marché.
424 L’application des art. 7 LCart et 102 TFUE à ces pratiques pose la délicate
question de l’analyse des coûts : à partir de quel niveau de prix la pratique
peut-elle être qualifiée de prédatoire? Les autorités d’application de ces
dispositions qualifient de prédatoires des prix inférieurs à la moyenne des
coûts variables, puisque chaque vente entraîne alors une perte.
8.4.5 Limitation de la production, des débouchés ou du développement
technologique
425 Il s’agit de pratiques d’entraves visées par l’art. 7 al. 2 let. e LCart et l’art.
102 TFUE, le premier étant la reprise du second. Le fait que la précision
(« au préjudice des consommateurs ») de l’art. 102 TFUE ne soit pas
reprise expressément en droit suisse ne joue pas de rôle. Ces types
d’entraves, qui créent une pénurie artificielle, ont en effet toujours un effet
indirect pour le consommateur.
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8.4.6 Affaires liées
426 Les affaires liées (« Koppelungsverträge », « tying ») visent la
subordination de la conclusion de contrats à l’acceptation ou à la fourniture
de prestations supplémentaires.
427 Cette pratique est visée par l’art. 7 al. 2 let. f LCart et l’art. 102 TFUE. Elle
peut être qualifiée à la fois d’entrave et d’exploitation. L’entreprise
concernée utilise sa position dominante sur un marché comme levier pour
étendre sa puissance sur le marché du produit « lié ».
428 La question délicate est de savoir si le produit supplémentaire est un
produit distinct dont l’achat est imposé sans que cela soit nécessaire ou si
c’est un produit complémentaire du premier dont l’acquisition est
objectivement et nécessairement liée à l’acquisition du premier.
429 (Vente des clous Hilti : justification rejetée puisqu’il existait des
fournisseurs indépendants de clous).
* * * * *
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§ 9 LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS D’ENTREPRISES
Textes législatifs : art. 9 à 11 et 32 à 38 LCart. ; Ordonnance sur le contrôle des
concentrations d’entreprises du 17.6.1996. Règlement n° 139/2004 du Conseil
relatif au contrôle des concentrations entre entreprises.
Bibliographie : Commentaire romand sur le droit de la concurrence, S. VENTURI,
art. 9 à 11; C. BOVET, art. 32 à 38 ; Th. GEISER / P. KRAUSKOPF / P. MÜNCH,
Wettbewerbsrecht, Bâle 2005, p. 369 - 413. C. L. DE LEYSSAC / G. PARLEANI,
Droit du marché, Paris 2002, p. 703 - 741.
9.1. NOTION
430 Alors que le Traité de Rome instituant le Marché Commun date de 1957,
ce n’est qu’en 1989 que le Conseil a adopté le premier Règlement (n°
4064/1989) sur le contrôle des opérations de concentrations entre
entreprises. Ce Règlement a été remplacé en 2004 par le Règlement du
Conseil n° 139/2004.
431 En Suisse, ce n’est qu’en 1995 que des dispositions légales relatives aux
concentrations d’entreprises ont été introduites dans la loi (art. 9 à 11 et 32
à 38 LCart). Ces règles ont été complétées par l’Ordonnance du Conseil
fédéral du 17 juin 1996. Le régime légal suisse s’inspire très largement des
règles du droit européen.
432 Il y a opération de concentration en cas de fusion de deux ou plusieurs
entreprises. Mais le contrôle de la concentration ne s’exerce pas seulement
en présence d’une fusion formelle de deux entreprises. Il s’exerce à toute
opération d’acquisition du contrôle quelle qu’en soit la forme. Le contrôle
est réputé acquis lorsque, par la prise de participations au capital ou par
tout autre moyen, une entreprise est en mesure d’exercer une influence
déterminante sur l’activité de l’entreprise visée (art. 1 OCCE ; art. 3 Règl.
n° 139/2004).
433 L’influence déterminante peut être obtenue par :
- des droits de propriété ou de jouissance sur des biens de l’entreprise ;
- des droits ou des contrats permettant d’influencer la composition, les
délibérations ou les décisions des organes de l’entreprise.
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434 Le droit communautaire présente deux particularités :
435 1) Le Règlement européen ne s’applique qu’aux opérations de
concentration de dimension communautaire (art. 1er ch. 1 Règl.).
436 2) La Commission peut renvoyer l’examen de la concentration à un Etat
membre :
- si la concentration menace d’affecter de manière significative la
concurrence dans un marché intérieur de cet Etat membre qui
présente toutes les caractéristiques d’un marché distinct ;
- ou si la concentration affecte la concurrence dans un marché à
l’intérieur de cet Etat membre, qui présente toutes les caractéristiques
d’un marché distinct et qui ne constitue pas une partie substantielle
du marché commun.
9.2 NOTIFICATION
9.2.1 Devoir d’annonce
437 Aussi bien en droit suisse qu’en droit européen, les opérations de
concentration d’entreprises doivent être notifiées aux autorités de la
concurrence avant leur réalisation (lorsque les valeurs seuils sont atteintes).
438 En cas d’inobservation de la notification, les règles suivantes s’appliquent
selon le droit suisse :
- la procédure de contrôle des art. 32 ss LCart est appliquée d’office ;
- les entreprises participantes doivent s’abstenir de réaliser la
concentration ;
- les entreprises concernées s’exposent à une sanction de CHF 1'000'000.-
ou plus (art. 51 al. 1 LCart) ; les sanctions en cas de non-respect d’une
charge sont réservées.
9.2.2 Contenu de la notification
439 L’objet du contrôle de concentration est de vérifier si l’opération envisagée
« crée ou renforce une position dominante capable de supprimer une
concurrence efficace » (art. 10 al. 2 LCart) ou si elle entrave de manière
significative une concurrence efficace (art. 2 ch. 1 let. b Règl.).
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125
440 Afin de procéder à ce contrôle, la Commission doit pouvoir disposer de
toutes les informations nécessaires sur l’opération visée. La liste des
informations à fournir est donnée par l’Ordonnance sur le contrôle des
concentrations d’entreprises (du 17.6.1996), à l’art. 11, soit en particulier :
- une description de l’opération de concentration et un exposé des faits
et circonstances pertinents ainsi que des objectifs poursuivis par
l’opération de concentration ;
- les données relatives aux marchés de produits et aux marchés
géographiques affectés par la concentration, sur lesquels la part de
marché totale en Suisse de deux ou plusieurs entreprises participantes
est de 20 % ou plus, ou sur lesquels la part de marché en Suisse de l’une
des entreprises participantes est de 30 % ; en outre une description de
ces marchés qui indiquera au moins la structure de la distribution et de
la demande ainsi que l’importance de la recherche et du
développement ;
- pour les marchés affectés selon la lettre d, les parts de marché des
entreprises participantes pour les trois dernières années et, si elles sont
connues, celles de chacun des trois principaux concurrents, ainsi qu’un
exposé des bases de calcul utilisées pour déterminer les parts de
marché ;
- pour les marchés affectés selon la lettre d, des informations sur les
entreprises entrées sur le marché au cours des cinq dernières années et
sur celles qui pourraient le faire dans les trois ans qui suivent ; les
coûts d’une entrée sur le marché seront, si possible, indiqués ;
- des copies des comptes et rapports annuels les plus récents des
entreprises participantes ;
- des copies des contrats qui mettent en œuvre la concentration et de
ceux qui lui sont liés.
441 Afin d’aider les entreprises dans la préparation de la notification, l’UE et la
Comco ont élaboré chacune une formule de notification donnant toutes les
rubriques auxquelles une réponse doit être apportée.
9.2.3 Procédure
442 A l’exception du calcul des délais, les grandes étapes de la procédure sont
semblables en droit suisse et en droit européen.
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126
443 En pratique, les entreprises engagent des contacts informels avec les
autorités compétentes afin d’anticiper leurs réactions et de savoir si une
procédure simplifiée est possible (procédure de pré-examen seulement).
444 Au cours de la procédure d’examen préalable, l’autorité examine s’il
existe des indices que la concentration crée ou renforce une position
dominante (art. 10 LCart.).
445 A l’issue de cette procédure de pré-examen (phase 1, qui dure un mois
selon l’art. 32 LCart., 25 jours ouvrables, voire 35 jours ouvrables selon
l’art. 10 ch. 1 Règl. n° 139/2004), l’autorité communique aux entreprises
concernées si elle entend soumettre l'opération à un examen proprement
dit (phase 2). A défaut d’une telle décision, la concentration est admise. Le
délai prévu pour cette phase 1 ne commence toutefois à courir qu’à partir
du moment où la Commission a attesté avoir reçu un dossier de notification
complet. Il peut ainsi s’écouler plusieurs semaines entre le moment où la
concentration est annoncée et celui auquel l’autorité déclare que le dossier
est complet.
446 Si, à la fin de la première phase, l’autorité constate qu’il existe des indices
suffisants pour justifier un examen proprement dit, elle ouvre cette seconde
phase de la procédure :
- Elle publie le contenu essentiel de la notification de concentration et
offre aux tiers la possibilité de donner leur avis dans un certain délai
(art. 33 LCart.).
- En principe, l’exécution de la concentration reste suspendue au cours
de cette phase.
- L’autorité peut solliciter des informations complémentaires ; elle peut
même procéder à des inspections dans les locaux des entreprises et
examiner sa comptabilité (art. 13 Règl. n° 139/2004).
- L’autorité rend sa décision dans les quatre mois (art. 33 al. 3 LCart.) en
droit suisse, dans les 90 jours ouvrables, voire 105 jours ouvrables, à
compter de la date d’ouverture de la procédure.
- L’autorité décide alors :
-- soit d’interdire la concentration
-- soit d’autoriser la concentration ou de ne l’autoriser que sous
certaines conditions ou moyennant certaines charges.
A défaut de décision dans les délais prévus, la concentration peut être
réalisée.
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127
- La décision d’interdiction ou d’autorisation sous condition ou
moyennant charge peut faire l’objet d’un recours (cf. § 12).
- En droit suisse, la procédure d’autorisation exceptionnelle est réservée
(art. 11 LCart.).
9.3. APPRECIATION DE LA CONCENTRATION
9.3.1 Les principes
447 Afin d’apprécier l’effet de l’opération de concentration, il faut d’abord
avoir délimité le marché :
- l’Ordonnance fédérale le fait à l’art. 11 al. 3 ;
- en droit européen, on commence aussi par se référer à la
Communication sur la définition du marché du 9.12.1997.
448 Il s’agit ensuite de déterminer si la concentration permet de créer ou de
renforcer une position dominante. Mais alors que la position dominante
de l’art. 102 TFUE (art. 7 LCart.) était examinée sous l’angle du
comportement (de l’abus), le contrôle des concentrations s’intéresse aux
effets sur la structure du marché, y compris à son évolution (rôle de la
concurrence potentielle). Pour le même motif, il est tenu compte de
l’évolution probable du marché en l’absence de la concentration : il n’y a
pas de renforcement de la position dominante si l’entreprise rachetée était
en difficulté et aurait disparu à défaut de la concentration (failing company
defence).
449 L’appréciation des autorités européennes et suisses diffère quant aux effets
considérés :
- en droit suisse, la concentration peut être interdite si la position
dominante est capable de supprimer une concurrence efficace (art. 10
al. 2 let. a LCart.) ;
- en droit européen, la concentration doit être refusée lorsqu’elle entrave
de manière significative une concurrence efficace dans le marché
commun ou une partie substantielle de celui-ci (art. 2 ch. 1 let. b Règl.).
9.3.2 Facteurs pris en compte en droit suisse
450 Le critère de la suppression de la concurrence efficace dénote la volonté du
législateur de n’interdire les fusions que dans les cas de concentration
extrêmement élevée.
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128
451 De plus, étant donné qu’il faut tenir compte de la concurrence potentielle
(art. 10. al. 4 LCart.), on comprend aisément que pour peu qu’une
concurrence étrangère existe ou puisse se concrétiser, la suppression de la
concurrence ne pourra être établie que si la concentration a lieu sur un
marché suisse isolé du marché international.
A. La part de marché
452 La part de marché à considérer est celle de l’entité qui résultera de
l’opération de concentration. Le calcul de cette part de marché résulte de
l’addition des parts de marché des entreprises participant à l’opération de
concentration.
453 Une première indication est donnée par l’art. 11 al. 1 let. d de l’Ordon-
nance de contrôle des concentrations d’entreprises : celles-ci doivent
donner des indications détaillées si :
- la part de marché totale en Suisse des entreprises participant à
l’opération est de 20 % ou plus ; ou
- si la part de marché en Suisse de l’une des entreprises concernées
dépasse 30 %.
454 Ces chiffres ne donnent qu’une présomption de non-nocivité. En règle
générale, en dessous de ces seuils, il n’y aura pas de suppression de la
concurrence. Mais, il n’y a pas de présomption inverse. La concentration
n’est pas déjà présumée nuisible au dessus de ces seuils.
455 Les concentrations horizontales feront l’objet d’un examen attentif.
B. La concurrence actuelle et potentielle
456 C’est le critère décisif. Il s’agit d’abord de déterminer l’état de la
concurrence actuelle. Si cette concurrence est suffisante et n’est pas
susceptible d’être supprimée dans un avenir proche, la concentration doit
être admise. L’intensité de la concurrence actuelle dépend :
- du nombre d’acteurs actifs sur le marché
- des parts de marché détenues par ces différents acteurs.
457 La concurrence potentielle est le second facteur déterminant. Le législateur
a expressément exigé de la Comco que ce facteur soit pris en considération
car ce qui compte, ce n’est pas la situation actuelle du marché mais ses
perspectives de développement. Dans ce but, sont à considérer :
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129
a) La vraisemblance de l’arrivée de nouveaux concurrents
Si le marché est caractérisé par des barrières à l’entrée élevées (investis-
sements coûteux et irrécupérables à court terme – sunk costs ; barrières
technologiques, règlementaires ou géographiques), les chances de
nouvelles entrées sur le marché sont faibles.
b) La concurrence potentielle doit être suffisante
Les nouveaux concurrents doivent avoir la taille suffisante et les
ressources nécessaires pour exercer une concurrence efficace de manière
durable.
c) La concurrence potentielle doit pouvoir s’exercer dans un avenir proche
L’Ordonnance donne à nouveau une indication à cet égard puisque,
selon l’art. 11 al. 1 let. f, les entreprises concernées doivent fournir des
informations sur les entreprises qui pourraient entrer dans le marché
dans les trois années à venir.
C. Les effets favorables sur un autre marché
458 Si les entreprises concernées par l’opération de concentration peuvent
montrer que cette opération conduit à une amélioration des conditions de
concurrence sur un autre marché, la Comco devra examiner si ces effets
positifs permettent de justifier la suppression de la concurrence entraînée
par la concentration.
9.3.3 Facteurs pris en compte en droit européen
459 Les facteurs pris en compte en droit européen sont énoncés à l’art. 2 ch. 1
let. b du Règl. :
460 La Commission tient compte « de la position sur le marché des entreprises
concernées et de leur puissance économique et financière, des possibilités
de choix des fournisseurs et des utilisateurs, de leur accès aux sources
d’approvisionnement ou aux débouchés, de l’existence en droit ou en fait
de barrières à l’entrée, de l’évolution de l’offre et de la demande des
produits et services concernés, des intérêts des consommateurs
intermédiaires et finals ainsi que de l’évolution du progrès technique et
économique pour autant que celle-ci soit à l’avantage des consommateurs
et ne constitue pas un obstacle à la concurrence. »
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9.4 DECISIONS DES AUTORITES
461 Les autorités de la concurrence peuvent accepter l’opération de concen-
tration ou la rejeter. L’absence d’une décision dans les délais prévus pour
l’examen préalable ou l’examen approfondi aura pour effet que l’opération
pourra être réalisée.
462 Les autorités peuvent aussi assortir leur approbation de conditions ou de
charges :
- Les conditions (suspensives) devront être satisfaites avant que
l’opération ne puisse être réalisée.
- Les charges doivent être satisfaites dans le délai imparti par l’autorité
mais n’empêchent pas la réalisation de la concentration. Le non-respect
des charges expose l’entreprise à une sanction (art. 51 LCart.). Le droit
européen connaît à ce propos le régime des astreintes, c’est-à-dire d’une
amende journalière, par jour de retard, pouvant aller jusqu’à 5 % du
chiffre d’affaires total journalier moyen de l’entreprise (art. 15 Règl.).
463 Les décisions des autorités d’application du droit peuvent faire l’objet de
recours (cf. § 10).
9.5. PROPOSITIONS DE MODIFICATIONS DU CONTRÔLE DES
CONCENTRATIONS
9.5.1. Matières concernées
464 Le projet de modification de la LCart. soumis mis en consultation en 2011
porte, dans le domaine du contrôle des concentrations sur :
- un cas d'exemption d'une notification;
- les critères d'appréciation des effets de la concentration projetée.
9.5.2. Exemption
465 Il n'est pas nécessaire de notifier à l'Autorité de la concurrence (nouvelle
autorité proposée) une opération de concentration lorsque :
- les marchés de produits concernés par l'opération comprennent
géographiquement la Suisse et au moins l'Espace Economique
Européen, et
- l'opération est évaluée par la Commission européenne.
466 Il est rappelé que, selon le droit actuel, aussi bien la Comco que la
Commission européenne examine une opération de concentration lorsque
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les seuils sont atteints; cela pose des problèmes puisque aucune procédure
de consultation n'est actuellement formellement applicable.
467 Texte du projet
Art. 9 al. 1 bis (nouveau) et al. 5
1bis Les opérations de concentration d'entreprises atteignant les valeurs
seuils de l'art. 9, al. 1, ne doivent pas être notifiées à l'Autorité de la
concurrence lorsque :
a. chacun des marchés de produits concerné par l'opération peut être
défini géographiquement comme comprenant la Suisse et au moins
l'EEE, et
b. l'opération est évaluée par la Commission européenne. Les entreprises
participantes sont tenues de communiquer à l'Autorité de la
concurrence une copie complète de la notification de l'opération dans
les dix jours suivant le dépôt de cette notification auprès de la
Commission européenne.
5 L'assemblée fédérale peut, par voie d'ordonnance :
a. adapter aux circonstances les valeurs seuils fixées aux al. 1 à 3;
b. assortir de conditions spéciales l'obligation de notifier des concen-
trations d'entreprises dans certaines branches de l'économie.
9.5.3. Critères d'appréciation
468 Le projet propose deux variantes pour l'appréciation des opérations de
concentration :
469 Variante 1
Art. 10 al. 1 et 2
1 Les concentrations d'entreprises devant être notifiées sont examinées par
l'Autorité de la concurrence lorsqu'un examen préalable (art. 32, al. 1) fait
apparaître des indices qu'elles affectent de manière notable la concurrence
efficace.
2 L'Autorité de la concurrence peut interdire la concentration ou
l'autoriser moyennant des conditions ou des charges lorsqu'il résulte de
l'examen que la concentration :
a. affecte de manière notable la concurrence efficace, et
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132
b. ne génère pas, pour les acheteurs, des gains d'efficacité spécifiques,
vérifiables, immédiats et prouvés par les entreprises participantes qui
compensent les inconvénients causés par l'affectation notable de la
concurrence.
470 Variante 2
Art. 10 al. 1 et 2
1 Les concentrations d'entreprises devant être notifiées sont examinées par
l'Autorité de la concurrence lorsqu'un examen préalable (art. 32, al. 1) fait
apparaître des indices qu'elles créent ou renforcent une position
dominante.
2 L'Autorité de la concurrence peut interdire la concentration ou
l'autoriser moyennant des conditions ou des charges lorsqu'il résulte de
l'examen que la concentration :
a. crée ou renforce une position dominante, et
b. ne provoque pas une amélioration des conditions de concurrence sur un
autre marché, qui l'emporte sur les inconvénients de la position
dominante.
9.5.4. Accord d'entraide administrative entre la Suisse et l'UE ?
471 Depuis plusieurs années, la Suisse souhaite passer un accord avec l'Union
européenne dans le but d'échanger des informations et de coordonner
temporellement les procédures.
* * * * *
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133
Chapitre 5
APPLICATION DU DROIT DE LA CONCURRENCE
Après avoir déterminé le champ d’application du droit de la concurrence et examiné le
contenu des règles relatives aux entraves à la concurrence, il est nécessaire, dans ce
domaine particulier, de traiter des procédures d’application qui sont de deux sortes : de
droit administratif (§ 10) et de droit civil (§ 11).
§ 10 DROIT ADMINISTRATIF
Textes législatifs : art. 18 à 31 ; 39 à 53 LCart ; Règlement interne du 1er juillet
1996 de la Commission de la concurrence (RS 251.1) : Règlement (CE) n° 1/2003
du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de
concurrence prévues aux articles 101 et 102 TFUE.
Bibliographie : Commentaire romand sur le droit de la concurrence, S. VENTURI,
art. 9 à 11; C. BOVET, art. 32 à 38 ; Th. GEISER / P. KRAUSKOPF / P. MÜNCH,
Wettbewerbsrecht, Bâle 2005, p. 369 - 413. C. L. DE LEYSSAC / G. PARLEANI,
Droit du marché, Paris 2002, p. 703 - 741.
472 L’application du droit de la concurrence incombe d’abord aux autorités
administratives, non seulement dans le cas du contrôle des concentrations, mais
également dans le cas des ententes et des positions dominantes.
473 Dans ce domaine de l’application, il est nécessaire de traiter séparément le droit
suisse et le droit européen.
10.1 DROIT SUISSE
474 L’application de la législation sur les ententes est d’abord de la compétence
de la Commission de la concurrence (Comco). Ainsi qu’expliqué ci-
dessous, d’autres autorités (Tribunal administratif fédéral, Tribunal fédéral,
Conseil fédéral) ont également un rôle à jouer.
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134
10.1.1 Les tâches de la Comco
475 Selon la loi sur les cartels, la Comco a les tâches suivantes :
- prendre des décisions lorsqu'elle constate une violation de la LCart. (art.
30 LCart.);
- se prononce sur les concentrations d'entreprises (art. 32 LCart.);
- adresser aux autorités des recommandations (art. 45 al. 2 LCart.);
- donner des préavis (art. 46 al. 2 LCart.);
- élaborer des avis (art. 47 al. 1 LCart.).
A. Enquêtes
476 Selon l’art. 45 LCart, la Comco observe de façon suivie la situation de la
concurrence en Suisse et procède à une enquête administrative soit au sujet
d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises en particulier, soit au sujet
d’une branche économique s’il existe des indices d’une restriction illicite à
la concurrence (art. 27 LCart).
477 La procédure commence généralement par une enquête préalable (art. 26
LCart) ouverte par le Secrétariat de la Comco.
478 Cette enquête préalable peut être ouverte par la Comco de son propre chef.
Elle peut l'être aussi :
- à la suite d'une plainte ou d'une dénonciation d'un concurrent;
- à la suite d'une dénonciation par une partie à l'accord illicite.
479 A la fin de l'enquête préalable, le Secrétariat de la Comco peut :
- proposer de clore l'enquête préalable sans lui donner, s'il n'y a pas de
violation de la LCart.; le Secrétariat en informe la Comco;
- propose à l'entreprise ou aux entreprises concernées de passer un accord
à l'amiable (qui doit être approuvé par la Comco (art. 29 LCart.);
- recommander à la Comco d'ouvrir une enquête.
480 Lorsqu'une enquête est ouverte, il s'agit de déterminer l’éventuelle
existence d’une restriction illicite à la concurrence. Lorsqu’une telle
restriction est constatée, la Comco prend une décision, (cf. no 497) sur les
éventuelles mesures à prendre (art. 30 LCart).
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135
B. Examen des concentrations d’entreprises
481 La Comco se prononce sur les concentrations d’entreprises qui lui sont
notifiées (art. 32 LCart ; cf. § 9).
C. Autres tâches
482 La Comco a également pour tâche :
- d’adresser aux autorités des recommandations visant à promouvoir une
concurrence efficace (art. 45 LCart) ; cela vaut pour l’ensemble des
prescriptions de droit économiques. L’art. 8 LMI assigne à la Comco la
tâche de veiller à ce que les autorités fédérales, cantonales et
communales respectent les principes énoncés par la LMI.
- donner des préavis sur les projets de lois et ordonnances de la
Confédération en matière de droit économique (art. 46 LCart) ;
- donner des avis aux autorités sur des questions de principe touchant la
concurrence (art. 47 LCart).
10.1.2 Organisation
483 Pour accomplir les tâches prévues par la loi, ont été mis en place une
Commission de la concurrence (Comco) et un Secrétariat.
A. La commission
484 La Commission de la concurrence (Comco) est composée de onze à
quinze membres qui n’exercent pas cette activité à plein-temps et qui
doivent être en majorité des experts indépendants.
485 L’organisation et le mode de fonctionnement de la Comco sont fixés dans
un Règlement interne (RS 251.1) approuvé par le Conseil fédéral.
486 Selon le Règlement interne, les décisions prises au nom de la Commission
peuvent l’être par :
- la Commission elle-même, soit l’ensemble de ses membres ;
- la Présidence, composée du Président de la Comco et des vice-
Présidents (le Président actuel est le Prof. Vincent Martenet, Professeur
à la Faculté de droit de l'Université de Lausanne);
- chacun des membres de la Présidence.
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487 La Comco peut valablement prendre des décisions lorsque la moitié au
moins de ses membres sont présents et que plus de la moitié des membres
présents sont des experts indépendants.
488 Les membres de la Comco doivent indiquer dans un registre public les
liens qu’ils ont avec l’économie. Cette transparence est exigée afin que les
parties à la procédure puissent, le cas échéant, demander la récusation de
l’un des membres de la Chambre.
489 Les questions juridiques fondamentales, en particulier les changements de
jurisprudence, sont soumis à la Comco dans son ensemble.
490 Le Surveillant des prix prend part aux séances de la Comco ou des
Chambres avec voix consultative.
491 Dans le cadre de son objectif d'évaluation de la LCart (cf. art. 59a LCart.), le Conseil fédéral a
soumis diverses propositions dont le renforcement de la Comco. Cette réforme institutionnelle
a pour but de renforcer l'indépendance et le professionnalisme de la Comco et de clarifier la
répartition des compétences entre les différents organes (secrétariat-Commission) : la priorité
du Conseil fédéral est de réduire le nombre de membres de la Comco, d'augmenter leur taux
d'occupation et de supprimer la distinction entre Comco et Secrétariat. A la suite de la
consultation organisée en automne 2009, un rapport du Département de l'économie est attendu
au printemps 2010.
B. Le secrétariat
492 Le Secrétariat, dirigé par un Directeur, est composé d’une cinquantaine
de collaborateurs. Il instruit les affaires de la Comco, lui fait des
propositions et exécute ses décisions.
493 Il mène les enquêtes préalables (art. 26 ss LCart) et informe la Chambre
compétente de leur clôture. S’il existe des indices d’une restriction illicite à
la concurrence, le Secrétariat, d’entente avec un membre de la Présidence
de la Comco, ouvre une enquête (art. 27 LCart).
494 A l’issue de la procédure d’enquête, la Comco, sur proposition du
Secrétariat, prend sa décision sur les mesures à prendre ou sur
l’approbation de l’accord amiable (art. 30 LCart).
10.1.3 Compétences et procédures
A. Décisions
495 A l’aboutissement de son enquête ou de l’examen de l’opération de
concentration, la Comco prend une décision. En droit administratif, une
décision (cf. art. 5 Loi fédérale sur la procédure administrative) est une
mesure prise par une autorité, dans un cas d’espèce, fondée sur le droit
public fédéral et ayant pour objet :
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137
- de créer, de modifier ou d’annuler des droits ou des obligations ;
- de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits ou
d’obligations ;
- de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer,
modifier, annuler ou constater des droits ou obligations.
496 Sont aussi considérées comme décisions les mesures en matière
d’exécution, les décisions incidentes, les décisions sur opposition, les
décisions sur recours, les décisions prises en matière de révision et
l’interprétation.
497 Le droit suisse de la concurrence n’a évolué que très progressivement à ce sujet. Jusqu’en
1996, la Comco ne faisait qu’adopter des recommandations ; seul le Département de
l’Economie était habilité, le cas échéant, à prendre une décision au sens indiqué ci-dessus.
Jusqu’en 2004, la Comco pouvait certes prendre des décisions mais celle-ci se contentait de
constater l’illicéité d’une pratique. Une sanction ne pouvait intervenir que si la décision n’était
pas respectée. Depuis 2005, la Comco est en droit, lorsqu’elle constate la violation de la loi
d’infliger immédiatement une sanction.
498 La Comco dispose de tous les moyens nécessaires pour instruire une
affaire :
- audition des parties et des témoins ;
- entraide administrative d’autres services de l’administration ;
- perquisition et saisie des pièces à conviction ; la Comco a publié une
Notice sur le déroulement des perquisitions qui traite du droit à
l’assistance d’un avocat et de la protection de la correspondance
échangée entre l’avocat et l’entreprise au sujet de l’affaire donnant lieu à
la perquisition.
499 Les décisions de la Commission ou du Secrétariat peuvent faire l’objet
d’un recours au Tribunal administratif fédéral (art. 44 LCart). Un recours
en matière de droit public au Tribunal fédéral peut encore être interjeté
contre les décisions du Tribunal administratif fédéral.
B. Sanctions
a) Le montant de la sanction
500 La sanction de la Comco est déterminée selon les principes énoncés à
l’art. 49a LCart et explicités dans l’Ordonnance sur les sanctions
adoptée par le Conseil fédéral.
501 La sanction est calculée en fonction de la durée et de la gravité des
pratiques illicites, ainsi que du profit présumé résultant de ces pratiques
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138
(art. 2 Ordonnance sur les sanctions). La prise en compte de ces critères
permet d’établir un montant de base.
502 Ce montant de base pourra :
- être majoré dans une proportion pouvant atteindre jusqu’à 50 % si la
pratique anticoncurrentielle a duré de un à cinq ans ;
- être majoré de 10 % par année supplémentaire si la pratique
anticoncurrentielle a duré plus de cinq ans.
503 Toutefois, le montant de la sanction ne pourra en aucun cas être
supérieur à 10 % du chiffre d’affaires réalisé en Suisse par l’entreprise
au cours des trois derniers exercices (art. 49a LCart).
b) Circonstances aggravantes (art. 5 Ordonnance sur les sanctions) :
504 Le montant est majoré en cas de circonstances aggravantes telles que :
- la violation répétée de la LCart
- la réalisation d’un gain particulièrement élevé
- le refus de coopérer avec les autorités
- le rôle d’instigateur ou d’acteur principal de l’infraction
- l’usage de mesures de rétorsion dans le but de faire respecter l’accord
illicite.
c) Circonstances atténuantes (art. 6 Ordonnance sur les sanctions)
505 Le montant de la sanction est réduit si l’entreprise cesse le
comportement illicite dès la première intervention de la Comco.
506 Dans le cas de restriction à la concurrence selon l’art. 5 al. 3 et al. 4
LCart, le montant est également réduit si l’entreprise a joué un rôle
exclusivement passif ou n’a pas mis en œuvre les mesures de rétorsion
décidées pour imposer l’accord.
507 En vertu du principe de la proportionnalité, les autorités prennent en
compte la situation financière de l’entreprise.
508 Une sanction pouvant aller jusqu’à 1 million de francs peut être imposée
à l’entreprise qui aura réalisé une concentration sans procéder à la
notification dont elle aurait dû faire l’objet ou n’aura pas observé
l’interdiction provisoire de réaliser la concentration (art. 51 LCart).
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139
C. Programme de clémence
509 Dans la modification législative de 2004, le législateur suisse a introduit
(art. 49 a LCart) ce que l’on appelle le « programme de clémence ». Etant
donné qu’il est souvent difficile d’apporter les preuves de l’accord
cartellaire, les autorités encouragent un membre du cartel à en dénoncer
l’existence et offre, à titre de récompense, la possibilité pour le
dénonciateur d’échapper à toute sanction.
510 Le procédé est certes controversé et discutable. Il est cependant déjà
appliqué depuis plusieurs années par les autorités de la concurrence de
l’UE.
511 Cette immunité ne peut toutefois être accordée qu’à des conditions très
strictes ; une entreprise ne peut être libérée de toute sanction que si :
- elle est la première à dénoncer le cartel (une seule entreprise peut
bénéficier de l’immunité) ; c’est pourquoi, le Secrétariat accuse
réception de l’auto-dénonciation en précisant la date et l’heure de son
enregistrement (art. 9 Ordonnance sur les sanctions).
- elle fournit des informations justifiant l’ouverture d’une enquête au
sens de l’art. 27 LCart (et des informations que la Comco ne connaissait
pas déjà) ;
- ou fournit des preuves permettant d’établir une restriction de la
concurrence.
512 Le Secrétariat, d’entente avec un membre de la Présidence, communique à
l’entreprise :
- si les conditions pour une renonciation à la sanction sont remplies ;
- si des informations complémentaires doivent être transmises ;
- dans quel délai le dénonciateur anonyme doit révéler son identité.
513 L’immunité peut être complète ou partielle. Elle ne peut être complète que
si :
- la société dénonciatrice n’était pas elle-même l’instigatrice ou l’actrice
principale du cartel ou n’a pas forcé une autre entreprise à participer au
cartel ;
- la société dénonciatrice remet spontanément (de son propre chef) toutes
les informations et preuves dont elle dispose ;
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- la société dénonciatrice coopère sans interruption, sans réserve et sans
atermoiement avec l’autorité ;
- l’entreprise doit cesser ses activités illicites dès la dénonciation.
514 Une réduction de la sanction pourra aller jusqu’à 50 % en fonction de la
contribution à la réussite de la procédure.
515 La sanction pourra même être réduite jusqu’à 80 % lorsque l’entreprise
fournit des informations ou soumet des preuves sur une autre infraction
aux al. 3 ou 4 de l’art. 5 LCart.
D. Procédure d’opposition
516 Une autre possibilité offerte par la révision législative de 2004 afin d’offrir
une certaine sécurité juridique est celle de l’annonce d’une restriction à la
concurrence avant que celle-ci ne produise ses effets. Si dans les 5 mois à
compter de l’annonce, la Comco n’a pas décidé l’ouverture d’une enquête
au sens de l’art. 26 LCart, l’entreprise peut mettre en œuvre le
comportement annoncé sans risque d’une sanction directe.
517 Il faut également rappeler qu’une entreprise peut demander une
consultation au Secrétariat sur la licéité d’un comportement annoncé (art.
23 al. 2 LCart).
E. Instances de recours
518 Les décisions de la Comco peuvent faire l’objet d’un recours dans les 30
jours au Tribunal administratif fédéral.
519 Les arrêts du Tribunal administratif fédéral peuvent être attaqués devant le
Tribunal fédéral par un recours en matière de droit public.
520 A tous les stades de la procédure, y compris dans les 30 jours suivant
l’arrêt du Tribunal fédéral, une demande d’autorisation exceptionnelle peut
être adressée au Conseil fédéral.
10.1.4 Les propositions de réforme
521 Le projet de révision de 2011 comprend une proposition de réorganisation
des organes d'application du droit de la concurrence. A l'heure actuelle, la
chaîne décisionnelle est la suivante :
- Secrétariat – Comco – Tribunal administratif fédéral – Tribunal fédéral,
La proposition est la suivante :
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- Autorité de la concurrence – Tribunal de la concurrence – Tribunal
fédéral.
Selon cette proposition :
- la distinction entre le Secrétariat et la Comco est supprimée;
- un tribunal spécialisé est mis en place.
522 Le chapitre des sanctions serait complété par des restrictions des sanctions
pour les entreprises qui auraient adopté et mis en place un programme de
"compliance" :
"Des mesures adaptées à l'activité commerciale et à la branche concernée
et destinées à lutter contre les infractions à la législation sur les cartels
amènent une réduction de la sanction si l'entreprise démontre qu'elle a pris
de telles mesures à même de prévenir efficacement les infractions."
10.2 DROIT EUROPEEN
10.2.1 Autorités d’application du droit européen de la concurrence
A. Autorités européennes
a) La Commission européenne
523 La Commission européenne est la principale autorité chargée
d’appliquer le droit européen de la concurrence. A ce titre, la
Commission européenne ne fait pas qu’adopter des décisions dans des
cas d’espèce. Elle adopte aussi des Règlements et des Communications
afin de faciliter l’application du droit.
524 Au sein de la Commission, un Commissaire – actuellement M. Almunia
– a la charge de la politique de la concurrence, charge qu’il assume avec
l’aide de la Direction générale de la concurrence.
b) Les instances de recours
525 Les décisions de la Commission européenne peuvent être l’objet d’un
recours au Tribunal de première instance (TPI) à Luxembourg, qui
peut revoir les faits et le droit.
526 Les jugements du TPI peuvent être attaqués devant la Cour de Justice
des Communautés européennes (CJCE), à Luxembourg, qui ne revoit
alors que l’application du droit.
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B. Les autorités nationales
527 Jusqu’en 2003, les autorités européennes et les autorités nationales
d’application du droit de la concurrence travaillaient séparément dans leurs
domaines respectifs de compétence.
528 Le Règlement n° 1/2003 du 16.12.2002 relatif à la mise en œuvre des art.
101 et 102 TFUE a complètement changé le système en instituant un
régime de compétences parallèles permettant à la Commission et aux
autorités de concurrence des Etats membres d’appliquer l’art. 101 et l’art.
102 du traité !
529 Ces autorités forment ensemble un réseau : réseau européen de la
concurrence (REC) (European Competition Network – ECN). Elles
collaborent désormais étroitement. Ce réseau devrait assurer une division
efficace du travail et une application homogène des règles communautaires
relatives à la concurrence. 530 La répartition des tâches s’effectue selon les principes suivants :
- toutes les autorités de concurrence (la Commission européenne ou une
autorité nationale) sont habilitées à appliquer les art. 101 et 102 du
traité ;
- l’autorité qui reçoit une plainte ou entame une procédure d’office
restera en principe en charge de l’affaire ; si nécessaire, l’autorité peut
solliciter le concours d’une autre autorité ;
- la réattribution d’une affaire ne peut être envisagée qu’au
commencement de la procédure que si cette autorité estime qu’elle
« n’est pas bien placée pour agir » ou si d’autres autorités s’estiment
« bien placées » elles aussi pour agir (cette procédure implique que tous
les membres du réseau soient informés de l’ouverture d’une
procédure) ;
- une autorité est considérée comme étant « bien placée » pour traiter une
affaire si les trois conditions cumulatives suivantes sont remplies :
1) l’accord ou la pratique a des effets directs, substantiels, actuels ou
prévisibles sur son territoire ;
2) l’autorité est à même de faire cesser efficacement l’intégralité de
l’infraction et de la sanctionner d’une manière appropriée ;
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143
3) l’autorité est en mesure de réunir les preuves requises pour
démontrer l’infraction (le cas échéant avec le concours d’autres
autorités).
- la Commission européenne est « particulièrement bien placée » si un
accord (ou des accords similaires) ont des effets sur la concurrence
dans plus de trois Etats membres ;
- la Commission européenne est aussi « particulièrement bien placée »
pour traiter une affaire si celle-ci est étroitement liée à d’autres
dispositions communautaires pouvant être plus efficacement appliquées
par la Commission ou si l’intérêt de la Communauté exige l’adoption
d’une décision de la Commission (cas d’un problème nouveau, par
exemple).
- lorsque la Commission européenne est saisie la première d’une affaire,
les autorités nationales ne peuvent plus, de leur propre chef, traiter
l’affaire.
- dans les deux mois qui suivent la date de l’information, envoyée au
réseau par une autorité nationale, de l’ouverture d’une affaire, la
Commission européenne peut, après avoir consulté l’autorité
concernée, ouvrir une procédure, ce qui aura pour effet de dessaisir
l’autorité nationale.
- après la période initiale de deux mois, ce n’est que dans des situations
exceptionnelles que la Commission peut décider de reprendre une
affaire (retard excessif d’une procédure, nécessité d’une décision
communautaire).
10.2.2 Procédure
A. Saisine
531 La Commission ou l’autorité nationale intervient soit d’office, après avoir
constaté l’existence d’un problème potentiel, soit suite à une plainte.
B. Instruction
532 La Commission peut exiger des parties qu’elles lui fournissent les
renseignements utiles pour son enquête. Elle peut aussi solliciter la collabo-
ration des autres autorités administratives communautaires ou des Etats
membres.
533 Vu l’importance des conséquences possibles, les autorités administratives
doivent respecter les principes de la procédure administrative lors de leurs
enquêtes :
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534 - droit d’être entendu : les entreprises visées doivent avoir la possibilité
de s’exprimer sur les reproches formulés à leur égard ;
535 - accès au dossier : un des aspects essentiels du droit d’être entendu est
celui de l’accès au dossier. Les entreprises concernées doivent être en
mesure de connaître, en temps voulu, les éléments sur lesquels l’autorité
envisage de fonder sa décision
536 - secret professionnel : (correspondance avec un avocat).
C. Décision
537 L’autorité peut être amenée à prendre des décisions en cours d’instruction
du dossier : exigence de production des pièces, audition des parties, de
témoins ou d’experts.
538 Lorsque la procédure est terminée, l’autorité rend une décision. En droit
communautaire, l’enquête relative à une pratique restrictive de la
concurrence doit être ouverte au plus tard cinq ans après la survenance de
la pratique, faute de quoi l’affaire serait prescrite. La décision finale peut
faire l’objet d’un recours :
- auprès du Tribunal de 1ère instance, si la décision a été prise par la
Commission européenne ;
- selon les règles du droit national si la décision a été rendue par une
autorité administrative d’un Etat membre;
- dans les deux cas, un recours reste possible encore à la CJCE.
D. Contenu de la décision (sanction)
539 En droit communautaire, un premier effet d’une sanction est la nullité de la
clause restrictive de la concurrence (cf. art. 101 al. 2 TFUE), ce qui peut
entraîner des conséquences pour les entreprises concernées (par exemple,
la restitution d’une subvention).
540 La Commission peut infliger une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu’à
10 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise concernée. Cette sanction
est fixée en tenant compte de la nature de l’infraction et de son impact
concret sur le marché, si cet impact est mesurable. La Commission
distingue les infractions peu graves, les infractions graves et celles qui sont
très graves. En plus de la sanction, la Commission peut imposer une
astreinte, soit une sanction pécuniaire pour chaque jour de retard dans
l'application d'une de ses décisions.
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145
541 Enfin, en dehors des sanctions pécuniaires, la Commission peut :
- exiger des entreprises concernées qu’elles adoptent dorénavant un
comportement différent (mesures comportementales : ne plus avoir
telle attitude restrictive de la concurrence ou accepter d’avoir des
relations contractuelles avec une autre entreprise) ;
- exiger d’une entreprise qu’elle modifie sa structure (mesures
structurelles) ; ces dernières mesures, beaucoup plus intrusives pour
l’entreprise, ne seront prononcées qu’à titre exceptionnel et que si des
mesures comportementales apparaissent insuffisantes;
- refuser une opération de concentration.
* * * * *
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§ 11 DROIT CIVIL
Textes législatifs : art. 12 à 17 LCart.
Bibliographie : Droit de la concurrence, J.-M. REYMOND, art. 12 ss ; TH. GEISER /
P. KRAUSKOPF / P. MÜNCH, Schweizerisches und europäisches Wettbewerbsrecht,
p. 523 ss.
11.1 DROIT SUISSE
11.1.1 Actions judiciaires et autorités compétentes
542 Selon un principe juridique fondamental, celui qui subit un préjudice
(dommage ou tort moral) en raison de l’attitude illicite d’un tiers doit
pouvoir obtenir la cessation du préjudice et la réparation du préjudice.
543 C’est ce principe qui, en droit de la concurrence, est concrétisé et
développé à l’art. 12 LCart dans lequel le législateur a prévu plusieurs
types d’actions.
A. Suppression ou cessation de l’entrave
544 Celui qui est entravé dans l’accès ou l’exercice de la concurrence par une
restriction illicite à la concurrence peut demander la suppression ou la
cessation de l’entrave.
545 Le demandeur devra donc établir qu’il y a eu entrave illicite au sens des art.
5 ou 7 LCart.
a) Suppression de l’entrave
546 L’action en suppression vise une entrave actuelle et qui dure encore.
547 Deux situations peuvent être envisagées. Dans le premier cas, le
demandeur subit les effets d’un accord auquel des entreprises tierces
sont parties ou subit les effets d’une position dominante. Dans le second
cas, le demandeur est partie à un accord dont il souhaite être libéré sans
devoir subir les peines contractuelles prévues dans cette situation. Dans
les deux cas, il est demandé au juge de constater que l’accord est illicite,
et donc nul (art. 13 LCart et art. 20 CO). (Le même résultat pourrait être
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147
obtenu par une dénonciation de l’accord à la Comco mais selon une
procédure différente).
b) Cessation de l’entrave
548 L’action en cessation vise une entrave qui risque sérieusement de se
réaliser ou de se répéter.
549 Afin de supprimer ou d’écarter l’entrave, l’art. 13 LCart donne au juge
la possibilité de décider que celui qui est à l’origine de l’entrave doit
conclure avec celui qui la subit des contrats conformes au marché et aux
conditions usuelles de la branche.
B. Action en dommages-intérêts
550 L’action en dommages-intérêts suppose quatre conditions :
- un acte illicite : en l’espèce, ce serait la violation de l’art. 5 LCart
(entente illicite) ou de l’art. 7 LCart (abus d’une position dominante)
- une faute ou une négligence qui est appréciée objectivement
- un dommage qui correspond à la différence entre l’état du patrimoine
de la partie entravée s’il n’y avait pas eu d’entrave et l’état actuel du
patrimoine
- un lien de causalité entre l’acte illicite et fautif et le dommage subi ;
selon la jurisprudence, ce doit être un lien de causalité « adéquate »,
c’est-à-dire que, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la
vie, il était en soi propre à produire un effet du genre de celui qui s’est
réalisé, de sorte que la survenance de ce résultat paraît, d’une manière
générale, provoquée ou favorisée par cet événement.
C. Autorités compétentes
a) Niveau cantonal
551 En Suisse, l’organisation judiciaire et la procédure civile sont de la
compétence des cantons. Cette règle générale trouve parfois des
exceptions dans le droit fédéral (matériel) qui détermine alors le tribunal
(for) compétent ou la règle de procédure. C’est le cas à l’art. 5 al. 1 let. b
Code fédéral de procédure civile selon lequel les cantons doivent
désigner pour leur territoire un tribunal chargé de connaître en instance
cantonale unique des actions civiles intentées pour violation du droit
de la concurrence. Dans le Canton de Fribourg, c’est une cour d’appel
du Tribunal cantonal qui est compétente pour traiter ce type de litige.
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552 La loi fédérale sur les fors désigne (quant au lieu) le tribunal devant
lequel l’action peut être introduite :
- le tribunal du siège de la partie ayant subi le dommage
- ou celui du siège du défendeur
- ou celui du lieu où l’acte illicite a été commis
- ou celui du lieu où le résultat s’est produit.
553 Lorsqu’une entreprise étrangère est impliquée, il faut tenir compte
des règles de droit international privé (art. 137 LDIP).
b) Niveau fédéral
554 L’arrêt rendu par un tribunal cantonal peut faire l’objet d’un recours en
matière civile au Tribunal fédéral.
c) Tribunal arbitral
555 Les parties peuvent avoir convenu par contrat – ou décider après la
survenance du conflit, par un « compromis arbitral » - de soumettre leur
litige à un tribunal arbitral. La sentence du Tribunal arbitral sera
exécutoire comme un jugement d’un tribunal ordinaire (pour autant que
certaines conditions soient respectées, en particulier l’indépendance des
arbitres).
11.1.2 Procédure
A. Règles générales
556 Devant l’instance cantonale, les règles de procédure sont celles prévues par
le droit cantonal.
Aucune facilité, telle que les actions collectives – class actions – introduites ces dernières
années dans plusieurs pays de l'UE (et depuis longtemps aux Etats-Unis) n'existe en Suisse.
Aucune mesure telle que celles préconisées dans l'UE n'est à l'étude. En conséquence, à titre
d'exemple, le client de Swisscom qui voudrait faire valoir une réduction de ses factures pour le
motif d'abus de position dominante devrait procéder ainsi :
- l'abus de position dominante a été constaté par la Comco dans une procédure
administrative (qui n'est pas encore terminée); le client faisant valoir une action civile devra
introduire action devant le Tribunal, instance unique pour ce type d'affaires;
- le client fera valoir un dommage de quelques centaines de francs; selon les règles de
procédure civile fribourgeoise, le demandeur devra faire une avance de frais entre 100.- et
30'000.- CHF; une avance est requise de chacune des parties;
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- la partie qui a gain de cause obtient des dépens et celle qui perd son procès doit les payer;
ces dépens sont fixés par le Tribunal selon le tarif des dépens; l'avocat établit sa liste de
frais au tarif horaire de base de 230.- CHF; dans les affaires de nature pécuniaire, les
honoraires sont majorés jusqu'à un maximum de 350 % (15 % dès 42'000.- CHF à 350 %
pour 17 MCHF).
557 Devant le Tribunal fédéral, ce sont celles prévues par la loi fédérale sur
l’organisation judiciaire fédérale.
B. Rôle de la Comco
558 Le procès est introduit devant l’instance cantonale unique – et non pas
devant le tribunal ordinaire de première instance – parce que le demandeur
invoque la violation de la loi sur les cartels. Cela implique que le
demandeur fonde son action sur l’existence d’une entente ou d’une position
dominante et la violation de l’art. 5 ou de l’art. 7 LCart.
559 Afin d’éviter des interprétations divergentes de la notion d’entrave ou de
suppression de la concurrence, l’art. 15 LCart prescrit que lorsque la licéité
d’une restriction à la concurrence est contestée, la Cour doit soumettre
cette question à la Comco qui rend un avis (et non pas une décision) :
- si la Comco arrive à la conclusion qu’il n’y a pas d’entrave à la
concurrence, la procédure n’a plus d’objet (sauf si la Cour cantonale
refuse de suivre l’avis de la Comco !) ;
- si la Comco constate une violation, l’affaire est reprise par l’autorité
judiciaire cantonale sur les autres aspects du procès (étendue du
dommage, réparation).
C. Importances des mesures provisionnelles
560 Les mesures provisionnelles sont celles qui sont prises par le juge, à la
requête d’une partie, et qui s’appliquent pendant la durée de la procédure.
Souvent, la procédure débute par une requête de mesures provisionnelles
sur laquelle le juge se prononce après avoir entendu la partie défenderesse.
Toutefois, en cas d’urgence, le juge peut se prononcer avant même d’avoir
pu convoquer l’autre partie. Dans ce cas, l’ordonnance « super provisoire »
sera réexaminée par le juge lorsque la partie adverse aura pu s’exprimer.
561 Ces mesures sont souvent primordiales car seule une intervention rapide,
ou même immédiate, du juge permet de sauvegarder les droits du
requérant.
562 Des conditions strictes doivent être remplies :
- l’entrave doit être imminente ou actuelle
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- la vraisemblance de l’atteinte illicite doit être donnée
- le préjudice causé serait difficilement réparable
- des sûretés peuvent être imposées, sur requête, si les mesures sont de
nature à causer un préjudice à la partie adverse.
11.2 DROIT EUROPEEN
11.2.1 Règles actuelles
563 La Commission européenne, le Tribunal de Première Instance et la Cour de
Justice des Communautés Européennes (CJCE) sont des instances
administratives. Elles ne se prononcent pas sur des demandes en
dommages-intérêts. Les sanctions pécuniaires qu’elles imposent ne servent
pas à compenser un dommage puisqu’elles sont attribuées à la
Communauté européenne.
564 Une action civile en cessation du trouble ou en dommages-intérêts doit être
introduite devant les tribunaux civils des Etats membres de l’Union.
11.2.2 Les réformes en vue
565 En décembre 2005, la Commission a mis en consultation un « livre vert »
relatif aux actions en dommages-intérêts. Elle constate tout d’abord que ce
domaine du droit (actions civiles) est caractérisé dans les Etats membres
par un « total sous-développement » et que son objectif est d’identifier les
principaux obstacles à un fonctionnement efficace des actions en
dommages-intérêts :
- détermination des dommages-intérêts : selon un modèle économique
(complexe) ou en chargeant le juge de le faire en équité ?
- permettre au juge de doubler le montant des dommages-intérêts dans le
cas d’infractions caractérisées (ententes horizontales) (aux Etats-Unis,
dans ce cas-là, le juge peut attribuer le triple du montant)
- faciliter l’introduction d’actions collectives (class actions) ?
- réduire le risque financier du demandeur en ne le condamnant à payer
les frais, en cas de perte du procès, que s’il a agi de façon manifestement
déraisonnable en introduisant l’action ?
- consentir une réduction du risque financier à l’entreprise qui a collaboré
avec les autorités administratives selon le programme de clémence ?
(remise conditionnelle, suppression de la responsabilité conjointe).
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566 En avril 2008, la Commission, suite à la procédure de consultation, a
développé ses propositions dans un "livre blanc" :
- l'objet reste d'assurer aux victimes d'infractions au droit communautaire
de la concurrence d'obtenir réparation intégrale de leur dommage par
des mécanismes de réparation efficaces.
- Le droit à la réparation doit être reconnu à toute personne ayant subi un
préjudice du fait de cette infraction, y compris aux acheteurs indirects
qui sans traiter directement avec l'auteur de l'infraction subit un
dommage du fait de la répercussion du surcoût.
- Deux modes d'agir complémentaires sont proposés :
-- les actions collectives ("class actions") par lesquelles les victimes
décident de mettre en commun leurs demandes d'indemnisation
individuelles;
-- les actions représentatives, intentées par des entités qualifiées, telles
que des associations de consommateurs, désignés à l'avance, ou
habilitées au cas par cas.
567 Ce type de procédures pose des problèmes délicats :
- accès aux preuves : difficulté de l'équilibre entre l'accès aux éléments
de fait nécessaire et le respect du secret des affaires;
- calcul des dommages-intérêts : dommage subi; manque à gagner :
multiple ?
La réforme est toujours en cours.
* * * * *
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