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8/18/2019 Le Lieu Virtuel
1/30
SYMBOLES
DE
LA
RENAISSANCE
Troisiime
volume
--9
Travaux de
D. ARASSE
.
M.
BROCK. G.
DIDI-HUBERMAN
F. LECERCLE
.
L. MARIN
.
A. MINAZZOLT
P.
MOREL.
M. MURARO
.
D.
RUSSO
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
2/30
.,'
.,r.-i l'-,",, .i'-.-
l;
li.'t;:j,',i
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
3/30
Le
lieu
EST
la
figure
(r
i
le
temps de I'Annonciation
produit
bien auire
chose
que
le simple
moment
d'une
histoire,
alors
le lieu
ne
i)
r'y
rdduira
pas
plus
h la seule circonscription
d'un
espace.
On
pourrait
dire,
jouant
sur
les mots,
que
dans
l'Annonciation
I'espace s'interloque:
manidre
d'indiquer
que le
passage du
Verbe
divin dans l'humanit6
de
Marie
difhacte
aussi
l'id6e
d'un
espace aux
quatre sens
de
I'Ecriture
sainte. La s6miotique
de
l'Annonciation,
on
I'a
vu,
est une
s6miotique des-signc translata. Le
lieu
pictural de
I'Annonciation ne
saurait
€tre,
en cons6quence,
qu'une
topologie du d6placement.
Ce
qui peut
s'6noncer
autrement:
si
la
mise en
jeu
picturale
des
figures
ex6g6tiques
permet
d'dlaborer
de
tels
r6seaux
temporels
-
i savoir
les subtils rdseaux du
pr6sent
virtuel,
du
pass6
comm6mor6
et du
futur
prdfigurd
-
alors elle exigera
aussi d'6laborer le
jeu
des
espaces r6alistes
i
travers
quelque chose
que
I'on
pourra
nommer
un
lieu-rdseau,
un loars
tanslativus. Disons
pour faire
bref
que
la
topologie doit
se
constituer
ici
d l'image
-
image
rhizomatique
-
de
la
tropologie.
Que
I'on
se
reporte
donc ante
figuram,
devant
la
grande
Annonciation
peinte
par Fra Angelico
dans
le
corridor
du couvent
de
San
Marco. Le
visiteur
-
imaginons-le dominicain,
puisque cet espace
du
premier 6tage
correspondait
au
Quattrocento
i un espace de
clausura
-
vient
de
gravir le haut escalier
qui
conduit
aux cellules
et
d
la bibliothdque.
Imaginons-le
s'agenouillant chastement
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
4/30
Le
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
5/30
Annonciations
de Fra ,A.ngelico
-
et de tant d'autres artistes6
-
ce
jardin
n'est
pas
le Faradis,
puisque la
zone de
i'espace
qu'il
semble d€limiter
correspond
pr6cis6ment
i
la
perte du Paradis
par
I'espdce
humaine'..
Fra
,Angelico
aurait donc
peint
son
jardin
verdoyant
i
la manidre de ce
qu'on
pourrait
nornmer
un
lieu
flottant.
L'Annonciation
du Prado,
par
exemple, ne repr6sente aucune
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
6/30
devant
la
Vierge
-
a
priire
de
'i
Ave supposant une
g6nuflexion
-
non seulement
i l'image de
I'ange
qur
se
tient
en face
de
lui,
mais encore i
l'image
(et
c'esi un quasi reflet)
du
saint
qui
domine toute sa
vie
de
frbre
pr€cheur.
D'autre
part,
regardant
le 25 mars de
I'Annoaciation,
il
sera en
quelque
sorte regarde
dans le
dos, obliquement.
par
cet autre 25
mars
que
repr6sente
la
crucifixion.
Le
rapport
figural
s'impose donc avec force,
et nombre de
traits
plastiques
ou color6s confirmeront,
si
besoin
est, le lien
qui
noue ces deux images.
Par exemple,
le
Christ
penche
la
t6te
en
direction
de
saint Dominique,
un
peu
au-deli
de
lui,
et cet au-deli
d6signe
virtuellement
I'espace
liturgique
r6el du
corridor.
Quant
i I'encadrement
,
il
joue
lui
aussi
le rdle
d'un
pont
entre
les deux fresques:
c'est une m€me corniche
grise,
peinte
en trompe-l'oeil
et
i
la
m€me
hauteur,
qui
fait
la
base
de I'une et
de I'autre image;
enfin,
le
motif
veg€tal
qui
entoure
la repr€sentation du
crucifi6
reprend
exactement
la
partition
color6e, rouge et verte, du
jardin
que nous questionnonss.
Ce
jardin*en
effet nous
parle
de
l'incarnation,
c'est-i-dire du r6seau
temporel
et symbolique
que suppose
I'incarnation.
Dans
ce
jardin
ont
6clos des
grappes prolifdrantes
de
fleurs
blanches
et
rouges:
ces fleurs,
dit
I'ex€gdse,
sont
le Chtist
Albert
le Grand
prdcise
mOme
que
I'on
doit entendre
par
lh les
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
7/30
Fig. 1.
-
Fra ANGELICO
et
ccllaborateurs,
Crucifixion,
Florecce" cc-*vent de San
Marco
(cornCor).
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
8/30
Le
premier,
c'est
le
jardin
de la pridre
au Mont des
Oliviers.
trl se irouve reprdsent6
i deux cellules de distance
de
I'Annonciationl2,
illustrant
le
texte
fameux de
saint
Luc
selon
lequel J6sus
priait
avec tant
d'intensit6
et
d'angoisse
-
angoisse
nomm6e agonie
-
que
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
9/30
Qu'est-ce
qutun
Eiear
?
Le lieu
pictural,
on
le
voit,
reldve d'un
ordre de complexit€ inouie.
Il ne se
contente
pas
de
donner I'espace
plausible
d'une histoire:
il
virtualise
le labyrinthe
entier dont tel espace de
telle
histoire n'aura
constitue
qu'une
branche
infime. L'Annonciation,
dans
la
Bible chr6tienne,
se situe elle-m€me
entre deux
textes
au
moins
-
et
c'est
ce
que
suggBre admirablement
la
disposition des
bandeaux v6t6ro-
et
n€otestamentaires
comme
cadres
horizontaux,
dans l'Armadio
degli
Argenti.
Le lieu
pictural
de
l'Annonciation
-
et notamment ce
jardin,
qui ne
FIG. 5
nous
a pas
encore
tout dit
-,
un tel
lieu
sera
donc
au
moins
entre deux textes,
entre
d'autres
lieux,
d'autres temps.
Regarder
le
jardin
d'une
Annonciation
de
Fra Angelico, c'est se
tenir devant
un
locw
trawlativus,
un
lieu
qui
n'immobilise
ou n'enferme
rien, mais au
contraire
vous
fait
parcourir
un
immense chemin
mental,
entre
le
Paradis
que vous
avez
perdu
et celui
que
vous
voudriez
bien regarder, dans le lointain futur
de la
fin
des
temps.
Le
lieu
pictural,
compris
selon
sa
fonction de
figure,
c'est donc un
moment dans
un
r6seau: il
en
commdmore
les
tenants,
il
en
prophdtise
les
aboutissants.
Mais aussi
il
le
prCsente
-
comme
son
indice
-
et ainsi,
virtuellement,
le
lieu
inclut
la
totalit6 du
systdme
qui
I'inclut structuralement.
Tel
est son
paradoxe, qui ne
peut
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
10/30
Fie.4.
Fr3
ANG[-i rCC.
t'lol':
ttla
ing?:?'
t lir"*.". co'i/e
$i
de
Sar
Marco
1,:e iLi c
)
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
11/30
de
.incarnatio,,
"t
oo,,J'i"*,i;""i'i""i;H,ffi"ff;
ffiffiffi:":"::#"#:ii:#i::ffi:Hi:?i,'1
Hffi:
vrai
que
I'Annonciation
est une
histoire,
et
que
pour
un
chr6tien
elle
a
eu lieu dans le concret
d'un od et
d'un
quand; un
peintre
dominicain
se
devait donc d'en rendre
compte.
Saint Thomas insiste d'ailleurs
sur le
fait
que
chaque
histoire biblique
est immddiatement porteuse
de sens
spirituel22.
Il
est bien vrai
aussi
que
Fra Angelico
a
6labor6,
dans
le corridor
de San Marco,
un espace de
perception
en
partie
illusionniste:
en
tdmoignerait
par
exemple
le trompe-l'eil
de
cette corniche qui
semble faire
un socle de
pierre grise
d la fresque.
En t6moigne
surtout
Ia construction
perspective
de I'image:
comme l'a
remarqu6 William Hood,
le
peintre a intentionnelle-
ment
rehauss6 la
ligne
d'horizon,
de maniDre i ce
que
l'espace de l'Annonciation
puisse
s'appr6hender
au mieux
de
sa coh6rence perspective,
seulement si
le spectateur
est
ogenouill| devant I'image, c'est-i-dire dans
la
position
liturgique
de
l'
Ave
Marigz3.
Mais
un tel proced6,
qui
joue
6videmmeni
sur les
conditions du
regard,
n'en relbve
pas pour
autant
d'un
souci
de l',
celui
qui
voudrait
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
12/30
plus encore
que
de Thomas
d'Aquin27.
A
Floience,
saint
Antonin citait
le
grand
docteur
dominicain
d
longueur
de
pages,
tandis
qu'on pouvait
lire, dans
Ia bibliothdque de
San
Marco,
les €crits
d'Albert
le
Grand
(sa
Physica, son
trait| sur
les
pierues)
d cotd
de
ses
1crits
th1ologiques
(notamment
son
commentaire de
l'Annonciation,
le
Supoer
Missus
est,
autrement
appel6 Mariale)2g.
Albert
le Grand est assurdment
le fondateur de ce
qu'on nomme I'aristotdlisme
chretien.
Il
aura
consacrd
des dizaines
de
trait6s
ir exposer
et e commenter chaque aspect de
l'cuvre d'Aristote,
depuis
la
logique
jusqu'aux
Parva naturalla, en
passant
par
la
physique, la
mdtaphysique
et
l'6thique.
Si I'on
met cette s6rie
de volumineux
trait6s en
face
de
I'euvre
th6ologique
proprement
dite
-
euvre
plus
ample encore,
faisant suivre
)
la
Summa
theologiae
les
commentaires
des
prophdtes,
des Evangiles
,
des Sentences
de Pierre
Lombard
et
de toute
I'cBuwe
du
Pseudo-Denys
-,
on
comprend l'dtendue stup6fiante
du savoir mis en
jeu2e.
Le
moins
qu'on
puisse
dire
de
I'cuvre
d'Albert le Grand,
c'est bien
qu'elle
se d6ploie comme une
gigantesque encyclop6die.
Or,
l'expos6 de
I'aristot6lisme
occupe
presque
la moiti6
de
tout
cet
effort
de synthBse.
Mais
comment
procdde une
telle
synthdse ?
Elle
procdde de fagon
d6concertante
et
se
rdvdlera
n'€tre
pas,
au
sens
strict
du terme, une synthdse.
On
dirait aujourd'hui
qu'elle
est
un
bricolage,
ce
qui
signifie
notamment
que la
structure
du savoir albertinien s'invente en se
constituant,
et au
bout
du
compte
n'est
plus du tout
la
m6me
que celle du
savoir aristot6licien
original. D'une
part, ce
qu'Albert
le
Grand
nommait
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
13/30
t':
a
pu
se modifier3a.
On
pourrait
alors
faire
I'hypothBse que
la
,
c'est-d-dire
la
limite
interne
du corps
enveloppant
telle
chose
qui
y
prend
placeal,
On s'apergoit,
au terme de cette analyse,
que
la notion
aristot6licienne du lieu n'est
pensable que du strict
point de vue physique:
qu'il
y
a
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
14/30
niveau de
l'6me,
ou encore au- niveau du divin
-
alors
le lieu
pens6
comme limite
corporelie
ne
suffli
pius,
exige
son ddpassement.
Toute
la tradition
chr6tienne
-
c'est une
€vidence
-
comprend
le
lieu
du divin comme un
au-deld
du
pur
et simple lieu
physique:
une
alt6ritd absolue,
puissante, et
non
pas relative
ou aii6nde d
la
chose.
C'est ce
qu'dnongait
une
lettre de
saint Augustin
d
Volusien,
lettre
citde partout,
jusque dans
la
Sornrne
th1ologique
de saint Thomas
:
"Le
ser6 de
ces
hommes
pes
hdr4tiquesj
montre
qu'ils
sont inaptes
d se
reprisenter
autre chose
que
des
corps. Aucun
de ces
corps ne
peft
ete tout entier
partout;
car, n'est-ce
pas
un autre
que lui
qui
se touve n6cessairement
ailleurs
par
ses
parties
innonbrables
? Mab combien dffirente est la nature de l'6me de celle
du corps
Et combien
plus
encore
In
nature de Dieu
qui
est
le clearcur
de l'6me
et
da corps
Lui,
il sait
qu'il
est tout entier
partout
sans
qu'aucun
lizu
le contienne;
il
sail
qu'il
vient dans
un endroit
sans
s'flloigner de celui
oi
il 6ail;
il sait
qu'il
s'en
va d'un
lizu
sans
quitter
celui
oi
il 6tait
vena"a-
Or,
, m€me
si
son
essence
6chappe
au seul
ordre
de
la r6alit6
physique.
Et
c'est
ici
que
I'aristot6lisme
d'Albert
le Grand
va
se faire
,
de fagon
i
d6passer le strict
point de vue
de la circonscription spatiale, vers un
point
de vue
qui
pose
la
question du lieu
dans
les
termes de la
m6taphysique,
mais aussi delamorphogenise,la
gendse
des formes. Saint Albert
a beau,
parfois,
railler le
TimCe,
on a
I'impression
que
le texte de
Platon
travaille
en
profondeur
et
prepare
les
futurs
ddveloppements
albertiniens
sur
le
lieu.
Que
dit
Platon ?
Que
I'alt6rit€
-
qui
assure,
dans I'ordre logique, la
s6paration
et
le
lien
entre les
genres
-
exige
d'€tre
pens6e
dans I'ordre du
sensible: cette exigence
est
celleli
m€me
de la
pens6e
du lieu.
Mais
elle
s'avdre d'une difficult6 inouie. Comment
pouvons-nous
sdparer les objets
de la
place
qu'ils occupent, afin
de
d€nuder, pour
ainsi
dire,
I'essence
de
leur
lieu? La r6ponse de Platon est admirable
:
"lLe
lieul n'est
perceptible
que
grdce
d une
sorte
d.e
raisonnement
hybfidz
que
n'accompagne
point
la seruation
[de
Ia rdalitil:
d
peine
pouvons-nous y
croire. C'est lui
certes que
nous apercevorut
comrne en un rtve,
quand now
affirmons
qae
tout Ctre est
forciment
quelque
part,
en
un
certain
lizu,
occupe une ceflaine place,
et
que
ce
qui
n'est
ni
sur
la teoe,
ni
quclque
part
dans le
Ciel
n'ut
rien
du tout.
Mais
toates ces
obsemations
[...],
zoas somrnes incapables, dufait
de
cette sorte
d'6tat de rAve, de les
distinguer
nettement
et de dire ce
qui
est vrai>4s.
La beaut6
-
et l'ambiguit€
-
de
cet
argument,
c'est
que
Platon
inverse
par
avance,
terme
i terme,
,ou,
""
qui
aura
conduit la
pensde
aristotdlicienne
du
lieu
physique.
Ici,
le
lieu
retrouve
sa
dignite
d'€tre,
conlre
la
quasi-existence
que
lui
prOtait
Aristote. On
sent aussi
que le domaine strict de la
physique a 6t6
d6pass6: Platon
nous
parle
d'un
ciel or) toute
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
15/30
t
at
l:
le
lieu
.,porte-empreinte>
de Platon 6voque ce
qu'on
nomme
les rdves blancs€, se donnant d
la fois comme un
principe
d'absolue maternit4
et
comme
un
principe
d'absolue
dissemblance:
"Car
elle estfcette nature du rdceptaclef comrne
un
porte-empreinte
pour toutes chosesl...].
Qu'il
suffise de bien
se
iixer
dans
l'esprit
ces
trois
genres
d'€tre: ce
qui
natt,
ce
en
quoi
cela
natt,
et ce d la ressemblance
de
quoi
se
d€veloppe
ce
qui
natt.
Et
il
convient
de comparer le rdceptacle
d
une
mire,
Ie
modile d
un
pire,
et la nature intermddiaire
enfte les
deu:x
d un
enfant. De
plus,
il
faut
bien concevoir
ceci:
l'empreinte devant Atre trds diverse
et pTbenter d l'eil toutes
les
vaiitis,
ce en
quoi
se
forme
cette
empreinte serait mal
propre
d le recevoir,
si
cela n'itait pas
absolument
exempt de toutes
les
figures
que cela doit
recevoir
de
quelque part
ailleurs. En effet, si ce
receptack
enit semblable
d l'une
quelconque
des
figures
qui y
entrent, et si
par
hasard
il
lui
arrivait des
figures
contraires d celle-Id ou d'une nature absolumefi
he6rogene, iI
en
prendrait mal la ressemblance,
puisqu'il
I'offusquerait
por
son
propre
aspect.
C'est pourquoi il convient que
ce
qui
doit
recevoir en soi tow lcs
genres
soit
lui-mdme
en
dehors
de toutes
les
forrnet
"4e
.
Comme Platon,
Albert le
Grand
a envisage
le
lieu selon
un
constant
ddplacement
des ordres
de
r6alit6:
I'ordre
physique se
d6plagant
vers I'ordre biologique, puis
cosmologique,
puis
mdtaphysique;
et
I'ordre
m6taphysique
vers la
pens6e
exdg6tique
des
v6rit6s de la
foi. Entre
physique
et
ex6gCse,
donc,
Albert
le Grand
aura
developp6 une
notion du lieu
sur un
mode
qui
6tait
lui-m€me
translativus.
Tout l'exigeait:
la
difficult6
intrinsdque
du
concept aristot6licien,
d'une partso;
et d'autre part
I'enjeu th6ologique
de
I'entreprise
elle-m0me.
Un
dominicain
du Moyen
Age ne s'interrogeait
pas
sur
le
lieu
pour
simplement savoir
ce que signifie
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
16/30
originel
dans
la
matidre
et
les
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
17/30
#1':ie'.-
3
fouconsacr€:
solemnis], distingueceschoses,puisqu'iln'yap4squ'unseullieupourselesremEmorertoutes,etilpowsed
cela
(movet)
en
tant qu'il
est solennel
et rare. En effet, l'6me
adhire
(inhaeret)
plus
fortement
aux
choses
solennelles et
rares;
et
c'est
pour cela
qu'elks
s'impriment
(imprimuntur) plus
fortement
et emeuvent
(movent) p/as
fo
rtement>@.
Lieu
rare, solennel, voire
-
de
l'incarnation.
Albert
le
Grand
d6finissait le lieu de
m6moire selon
trois
critdres,
que
nous retrouvons
precisement
dans
I'euvre
du
peintre
florentin. Le
premier,
c'est
qu'un
lieu
ne releve
pas de
la
simple
(
-
par
exemple:
la maison
de
la
Vierge 6tait construite dans
un
jardin
-,
mais
de la
..disposition"
des
lieux et
des
images>
(dbpositio
locorum
et
imaginum)61,
c'est-i-dire
un r6seau,
par
exemple:
la maison de
la
Vierge est
a se
rem6morer
comme
si elle 6tait construite dans le
jardin
du Paradis
perdu par Eve,
dans le
jardin
de
l'agonie et
de
la
r6surrection de
J6sus-Christ, dans
le jardin d'un
Paradis
retrouv6...
Le
second
critdre,
cons€cutif
au
premier,
c'est
que
le lieu de m6moire n'est
pas
un
lieu
naturel:
on
pourrait dire
que
(sibi
facil
anima ad reservationem imaginb);
et elle a
beau utiliser
pour
cela
des
,
celles-ci
n'ont rien i
voir
avec
quelque
volont6 descriptive
que ce soit: car
les
similitudes
ne
servent
pas
ici d d6crire, mais bien i transiter,
par
le
jeu
des
associations,
dans
le
temps62.
La
preuve
de cela
-
et
le
troisidme
critdre
-,
c'est que le lieu de mdmoire ne
s'attribue
pas
d un 6v6nement
particulier; autrement,
dit
saint
Albert,
les images
prolifdreraient
et interfdreraient
dans
I'dme
pour y
disparaitre,
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
18/30
i'amour
du
Verbe
incarn6
et
de
I'Eglise66.
Dds
avant
le
milieu
du
III"
sidcle, Origdne
avait
d6jd
6crit
trois
commentaires
du
Cantique, dont
le
dernier
comprenait
dix
livres
en
vingt-mille
lignes
environ: ld
encore,
ie
..baiser
de bouche>r,
sur
lequel
r0vdrent
tant
de mystiques,
d6signait
I'acte mOme de i'incarnation
-
chair et
souffle divin
m616s
en Jdsus-Christ comme en un seul acte
d'amour67.
Un
dominicain
du
Quattrocento
pouvait
encore
lire ces
anciens
commentaires
d'Origdne, dans la
traduction
qu'en
avait laiss6
saint Jdrdme
:
car ils furent
recopids
partout;
on les
trouvait notamment
i Florence
et
au couvent
de
Fiesole
of Fra
Angelico, on le
sait, v6cut de
nombreuses ann6esG. Mais Origdne
n'6tait
que
le
premier
maillon
d'une
chaine consid6rable
scand6e, entre autres, par
les
noms de Gr6goire
de Nysse,
Maxime
le
Confesseur
(qui
fut traduit
en
latin
par
Jean
Scot
Erigdne),
saint Ambroise,
Augustin,
Gr6goire
le
Grand6e...
Celui-ci
avait
d6hut€
son
admirable Expositio
in
Canticis cantborum
sur
I'id6e
qu'on
peut
atteindre
la
pensde
-
la
m6moird-
du
mystdre
i
travers
certaines
images
ou lieux corporels,
i
condition que
ceux-ci soient
pour
ainsi
dire
unheimlichen,
c'est-d-dire
i
la
fois 4nigmatiques
et
familiers:
telle
est
bien
la
figure
au sens
paulinien
(ou
dionysien)
du
terme,
telle
est
I'all6gorie,
comme
le
dit ici
Gr6goire,
d
savoir une
espdce de
machine du
sens
qui
nous
fera transiter
d'un
sein de
jeune
fille
vers
l'amour
de la
divine incarnation
:
"Depuis
que
le
genre
hwnain
a Ae
expulse
des
jobs
du
Paradis,
entrant dans l'exil de
Ia
vie
presente,
il
a le ceur aveugle
(caecum
cor) d
l'6gard de I'intelligence
spiriatelle. Si ta voit
divine
(vox
divina)
disait d ce
ceur aveugle :
"Marche
d Ia suite de
Dieu> ou
"Aime
Dieur,
comme
on le lui a dit dans Ia
Loi,
disormais extld, refroidi et engourdi
dans I'insensibilitC, il
ne saisirait
pas
ce
qu'il
enEndrait.
Aussi,
est-ce
par
dnigmes
que
le
discours divin
s'adresse
d
I'ime
engourdie
par
k
ltoid
et
que,
d
partir
des
rdalit€s
qu'elk
connalt,
il
lui inspire
secrdtement
(latenter
insinuat)
un
amout
qu'elle
ne connatt
pas-
L'all4gorie
olfre
en
effet
d I'Ame
Cloign1e
de Dieu
comme u,ne machine
(quasi
quandam
machinam)
qui
la
fait
s'Clever
vers
Dieu. Par
le moyen
des
Enigmes, en
reconnaissant
dans leg, mots
quelque
chose qui
lui
est
farnilier,
elle
comprend
dans
Ie sens
des
mots ce
qui
ne
lui
est
pas
familicr,
et
grAce
d un
Inngage
terrestre, elle
est
s1parAe
de
h
terre.
f...1
De
ld vient en effet
que
dans
ce
livre
infitul|
Cantiqte
des
cantiques
sont employis
les termes d'un amour qui paratt
charnel.
1...1
Dans ce
livre
en effet,
on
prononce le
nom des
baisers,
lenomd.esseins,
lenomdesjoues,
lenomdescar.sses[...].
Pourtant,parlefaitmAmequ'ils'abaisseenparole,Dieu
now
dlive
en compr€hension:
car
c'est d
partir
du
langage de cet
amour-ld
que
nous
opprcnons
avec
quelle
force
notu
devons
bnAler
de I'amour divin,To
Le
Cantique
des cantiqucs
repr6sentait
sans
doute,
dans
la
Bible lue
par
les
exdgetes, le
texte
oi se
manifestaient
au
plus
haut
point
les vertus
all6goriques
et
anagogiques
de
la
figure.
Chaque
"similitude
corporelle>,
si
t6nue
f0t-elle,
y
6tait
pour
ainsi
dire
propuls6e
vers
un
sens
mystique,
ouvert, abyssal. On ne
s'6tonnera
pas
de
constater
que I'extraordinaire
prolif€ration
des
ex6gdses
du Canti4ue, au
XIIU
et
au
XIII"
sidcles,
s'est
exactement
identifi6e
avec
la
mise au
point
d6finitive des
principes
de
l'all€gorisme
scripturaireTl.
Au
XII"
sidcle,
les
conmentaires
de saint
Ambroise et de saint Gr6goire furent
6dit€s et amplifi6s;
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
19/30
trry
Lorsqu'un
dominicain
du
Quattrocento
se
tenait
devant le
jardin
de
I'Annonciation,
i
San
Nfarco,
il se
tenait
donc
devant un
lieu
de m6moire, i comprendre ici
comme
un r6ceptacle
-
ou une
..machiner
locale
-
capable
de
produire
en
lui tout un
r6seau de sens,
un
r6seau d'alldgories, de tropologies
et
d'anagogies
du
mystere.
Le
dominicain
pouvait
ainsi regarder
ce
jardin
comme un
jardin
superlatif,
un
Jardin
des
jardins.
IIy
voyait
bien
s0r l'horuu conclusus
chant6
par
Salomon en
pr6figuration
de la naissance
virginale
de
J6sus:
jardin
clos
i
raison
de la virginit6
de
Marie;
jardin
fleuri
i raison du
printemps
mystique
o[
se forme
le Christ-fleur.
Regarder
dans
ce
jardin
le
jardin
du
Cantique,
c'6tait d€ji m6diter
sur
le
mystdre de
I'incarnation?s.
Et
si I'eil
un
instant
s'arr0tait
sur les
petites
fleurs rouges et blanches du
jardin
d'Angelico, il
pouvait
y
reconnaitre
aussi la
beaut6
de
l'6pouse, rubea
et
lactea,
rouge
et
lactescenteT6
-
comme les
joues
de Marie sur
la fresque
elle-mdme.
Qu'est-ce
alors
que
ce
jardin
? C'est un r6ceptacle de
I'incarnation:
c'est
la figure
de
Marie.
Le
lieu, on
le
voit,
ne se contente
pas
d'€tre un support des figures; non seulement
il
est
capable de
les engendrer,
mais
encore,
en les engendrant,
il
s'y
identifie tout
i
fait. l,orsque
nous nous
demandons
oi est
la
Vierge sur
la
fresque
d'Angelico,
nous devons
donc r6pondre
ceci
:
elle
est
i
droite
comme figure-personnage de
I'histoire;
elle
est
d
gauche
comme
figure-lieu
du
mystEre
de
I'incarnation, sous
l'espdce
d'un
jardin
clos,
d'un
jardin
fleuri. Sa
pr6sence
traverse ainsi toute la surface de la
fresque.
Il
nous faut dds lors comprendre
que lorsque
Fra Angelico
conviait
le dominicain
de
San Marco i
se tenir ante
Virginis
figuram,
il
d6signait
par
ld
son @uvre
tout entidre
comme
un lieu marial
-
lieu f€cond
et
virginal
tout d
la fois, lieu ouvert
et
ferm6, dnigmatique
et familier.
Marie
r6ceptacle
du
virtuel
Quand
le mystdre atteint
les
lieux,
les
objets
ou
les
personnages
familiers
d'une histoire,
tous
les repdres
se
mettent
d vaciller. Lieux,
objets
et
personnages
n'auront
peut-€tre
rien
perdu
de
leur
dvidence,
de leur
simplicitd
apparente;
mais les
rapports,
eux,
auront
ddfinitivement
perdu
leur assise de
signification:
le
vouloir-dire
qui
relie objets,
lieux et
personnages
deviendra
probl6matique, ou
abyssal,
ou apordtique.
Telle est
I'inqui6tante
6tranget6,
des
lieux
proph6tiques
dans
I'Annonciation.
Alors
il faudra
repgnser
toute la
distribution
des rdles,
au-deli
des deux
personnages
du
dialogue
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
20/30
Toute
la
glorification
propre
du
corps de Marie revenait
alors i chanter
son
.t
-
son
uterus
-
eomme
lieu
de
i'incirconscriptible,
r6ceptacle de
ce
qui
n'a
pas
de limite78.
Or,
comment concevoir un
tel
lieu
(lieu
deux
fois
cel6, dans
la chair
et
dans
le mystdre)
sinon d travers
ce
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
21/30
Les
voies
d'une
telle
mdtamorphose sont
infinies,
arachn6ennes.
On tentera cependant
d'en suivre
un fil
a
travers
les dcrits
d'Albert
le Grand.
Qui
s'6tonnerait, i
pr6sent,
de
ddcouvrir
en
notre
doctor universalis
-
iascin6
par
le
mystdre des
corps,
fascin6
par
la question du
liiu
-
le
plus grand
docteur
marial
du
Moyen
Age
?83.
Les 6crits sur
la
Vierge
qu'on
lui
attribuait,
d
tort
ou
i
raison,
librent
d6finitivement
son
nom
e
tout un
univers
de
d6veloppements
th6ologico-po6tiques
sur la maternit6
divine:
ainsi lisait-on
encore
i
la
Renaissance,
parmi
la
quinzaine
de
ses
6crits traitant
de la Viergee
,
sa
Biblin
Mariana,
son
grand
Mariale,
de longs sertnons
ainsi
que
cetie
6trange
mariale
qu'on
intitulait
le
De laudibus Beatae
Maiae
Virginis.
Il
s'agit
d'un
texte immense
d'environ mille
sept cents
colonnes
in
qunrto, organis6 en douze
livres,
dont
le
premier
est une
explication de la
salutation angdlique,
et le dernier un
long d6veloppement
en sept
chapitres
.rri
la
Vi"rge
comprise comme
hortus
concluslrs.'
logique
i elle
seule
€clairante.
Entre
ces
deux
chapitres
extr$mes,
nous
auronsparcouru
des
centaines
de
pages
sur les douze
..privildges>
de
Marie,
sur ses
trente-cinq
vertus,
sur
sa
beaut6
tant corporelle
que
spirituelle,
sur
ses treize
noms
propres...
Puis,
viennent cinq
livres
-
totalisant
i
eux
seuls
quatre-vingt un
chapitres
-
consacr6s
aux
figures
de
Marie,
ce
par quoi
I'on
doit imaginer
Marie
pour apprdhender
les
mystbres et les vdrit6s
qu'elle
porte
en elle.
Or,
toutes
ces
figures
ou
Plesques
sont
des
figures
localesss:
au livre
VII,
Marie
est
ddsign€e par
douze
figures
c6lestes
-
Maria
caelum,
Maria
finnamentum,
Maria
horizon,
Maia
hu,
Maria
nubes...
-;
au
tiwe VIII
sont recens€es
les figures
terrestres
de
ia
Vierge
-
Maria
terra, area, carnpus...
-;
au
liwe IX,
ses figures aquatiques
-
Mari^a
fons,
puteus,
flumen...
-;
au
liwe
X,
nous
trouvons
un
catalogue
des
,
c'est-i-dire
de tous les
6difices
bibliques
pr6figurant
le corps de la
Vierge,
tels
I'arche d'alliance, le trdne de Salomon,
le temple
ou le
tabernacle;
le
livre
XI
est
consacrd
aux figures
de
..remparts>
et de navires
-
Maria
castrum, Maria
marus, Maria
arca Noe...
Et
sur
I'arche
de
No€ nous revenons,
pour
conclure, i
I'ineffable
paradis
de Maria
hords.
On
entrera
dans ce
dernier
livre
comme dans
un vrai
jardin.
Albert
le Grand
nous
prdsente d'abord
la
gdn€ralitl
de ce
lieu
qu'il
nomme
un
,
de
puretd
(mundus
in se...
emund,ans)%.Il
nous
parle
de
ses
propri6t6s
bienfaisantes,
passant
du
lieu
irrigu6
i
quelque
chose
qui
devient
progressivement
un co{Ps
humoral,
humide
et
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
22/30
Enfin notre
regard
se fera
plus pr6eis,
et nous cornprendrons
que
ce
jardin
n'a exist6
que
pour
Otre
f6cond,
ensemenc6,
(tecum)
-
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
23/30
Comment li encore ne
pas penser
ir
l'incarnaiion
du
Verbe ? Dieu
emplit
la
Vierge
pour
que naisse
la
chair
du
Christ,
comme
il a
empli la
terre pour
que
naisse
la
premidre chair, celle
d'Adam.
Tout
le
vocabulaire
de
I'incarnation
-
le pr6fixe
in
le montre assez
-
tourne
autour de
cette
id6e
d'un lieu
terrestre
empli,
rempli
par
la divinit6.
Dans
l'Annonciation, Marie
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
24/30
consoi6
toutes
ses ruines,
il
a fait
de
son
d6sert
un
Edenrl07. tr-e corps de Marie nous
parle
donc
d'un
lieu revisit€
par
la
puissance
et la b6n6diction
divines, depuis la chute
originelle. Et
la manidre
dont Dieu
revisite
la
terre,
c'est
bien
str
de la rendre
f6conde,
de
faire du
d€sert un
jardin
verdoyant...
Terre vierge,
terre
f6conde,
Marie s'6ldve ainsi d la dignit6
supr6me de
constituer
la demeure, ici-bas, de
Dieu.
Lorsqu'un
iecteur
de
la Bible r6fl6chit
i la
phrase
de Gabriel,
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
25/30
habitation
m6taphysique
-
celle de
la
gr6ce
spirituelle
-
et, s'agissant
de
la
seule
Vierge, une
habitation
>,
celle
du corps christique,
qui
devait
emplir Marie
comme
le
plus
ineffable
des
bienfaits.
Interrogeant
la
mission
du
Saint Esprit
-
Splrltus
Sanctus
superveniet
in
te
-,
Thomas
d'Aquin
a
soulev6
un
probldme
qui
pourrait
bien
6tre crucial,
s'agissant
de la repr6sentation
picturale
du colloque ang6lique:
il
se
demande
si
I'inhabitation
du
Saint Esprit
concerne,
en
quelque
manidre,
le
monde
visible.
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
26/30
vase,
urne,
calice
ou
merae
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
27/30
Fig.
6.
?ACr-O
Di
GIOv,qNNf
FEl, Annoncistio;.,.
itfsa,ane
d, i'Er-fsr.t
ei
Cru:it"ixici",.
Siecle,
Pinacotaca
Nazioilaie.
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
28/30
(domina),
elle
qui
sera
tout
i ia fois
6pouse et
mdre ,
dit
saint
Antonin.
Puis
il
explique que
la
langue
hdbreuse dispose de
deux
signes
pour
notre
lettre
M:
il
y
a le men,
ouvert
en
bas
et
fermd
en
haut, et il
y
a
le
mem,
ferm6
en
bas et
ouvert
en
haut.
C'est bien
dvidemment
ce dernier signe
que
le subtil Esprit
Saint aura choisi,
de
tout
temps,
pour
faire
I'initiale
du
nom de la
Viergelze.
Que
conclure alors
de ce
jeu
des formes
et du
sens
?
Que
la
lettre
du
nom
de
Marie se
contourne
et
se
d6crit
comme
le
lieu
le
plus
secret de son corps:
le
mem,
owert
en haut et ferm€ en
bas,
n'est
rien
d'autre
que
le
geninle
secreturn,
la description
m6me des
de
la
Vierge, que le Verbe divin a
d6sign6
pour
sa
(viscera[...]
realis habitatio
Chris{'s.
Bref,
la lettre
ici dessine le
lieu
du mystdre. La
lettre
d'un
nom
devient
capable
de fournir I'image
la
plus
directe
du mystBre
que
porte
en elle la cr€ature dou€e
de ce nom; de
cette lettre.
Le
mem de
Marie,
c'est Marie comme
lieu
:
c'est
le
jardin
clos
de
son
ventre, ferm6 en
bas,
ouvert
en
haut.
L'ex6gdse a
toujours
d6ploy6
des tr6sors
d'ing6niosit6
pour
confondre
-
interchanger tout
au moins
-
les
reprdsentations
de
mots et
les reprdsentations
de choses.
Le
rdsultat de cette vocation i constamment
ddplacer
aura
6t€
la
mise
en
place
progreisive
d'une
fabuleuse
machine
de
figurabilitd, d'omni-figurabilit6,
aimerait-on
dire.
D6jd,
saint
Ambroise
jouait
sur les mots
pour
produire
de I'image
:
aula
(la
demeure, le
palais)
r6sonnait
avec
aulaeunt
(le
rideau),
puis
avec
otla
(l'urne)
pour
d6signer la matrice de la Viergel3l. D6sormais,
Albert
le
Grand fera
jouer
le
mot
uterus avec
le mot ortus
(barridre)
et,
bien
stv,
avechortus, le
jardin
-
ce
jardin
que
nous
retrouvons
enfin, bien qualifi6
ici par
saint
Albert
de Paradisus voluptatisl3z.
Comment
alors ne
pas
supposer qu'une
telle
pratique
-
qui
jamais
n'opposait
le discours i
la
figure
-
ait
Mars
qu en
est-r
e
nnonqa ron c ,
eux
sc emas
se
on
concurrence
e
souvent
coexrs en :
ce
sonr
leux
maniBres
de
penser
la notion de symdtrie, que suppose le colloque ang6lique. La
premidre
est
ternaire;
elle
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
29/30
tutorise
le
dispositif
ir
perc6e
centrale; on
peut
thdologiquement I'investir d'un concept
du
lieu
virginal
en
tant
;ue
r6ceptacle
de la
"Trinit6
tout
entiEre>l3s.
Mais la
seconde,
binaire,
n'est pas
moins
pr6gnante: elle
consiste
i
Oennit
le
loau
de
I'Annonciation
par
deux
arcatures
qui organisent toute la surface
peinte selon
le dessin
fn1ral
d'un
grand
M,
pensable
-
ou,
le
plus
souvent,
par
la r6p6tition
scolaire
du
sch6ma,
impens6
-
comme un
ndice
du
nom
de
Marie.
Ce
dispositif
est
universel
:
on le trouve dans toute
la
peinture
siennoise,
chez
Ambrogio
It
Pietro
Lorenzetti,
chez
Taddeo di Bartolo; on
le
trouve d
Florence
chez
Lorenzo Monaco,
Filippo
Lippi;
plus
;ard,
on
le retrouve,
d6placd comme
8/18/2019 Le Lieu Virtuel
30/30
135.
Cf.
D.
ARASSE,
(Annonciation/Enonciation",
art. cit.,
p.
8-12.
t36
Les
exemples
abondent encore
dans le
liwe
de G.
PRAMPoLINI,
L'Annwciazione nei
pittori primitivi italioni,
Hoepli, Milan,
1939.
137.
I-es
paramdtres
de
e
lieu ne
se
r€duisent
pas
i
la seule dimensioa de l'irilubitatia ici interrog€e.
Il
y
manque d'auhes
trajets
et
d'autres dimensions,
avant
tout
la
dimensiol
&l'irchoatia
-
ou
genCse des
fornres
-
et
celle
de
l'incorporatio.
Je
me
permes
de
renvoyer,
pour
l'int6gralite de c€tte
analyse,
au livre
i
paraitre
:
Dissemblance
el
fguraion.
Les licu.r
du mysthre dans
la
peinare
du
Quattrocento,
Flammarion,
Paris,
1990.
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