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UNIVERSITE DE GRENOBLE
Institut d’Etudes Politiques de Grenoble
Clément Perrier
Le mythe de l’ascension sociale par le sport : enchantement et
désenchantement par de jeunes basketteurs en centre de
formation
Année universitaire 2011-2012
Séminaire « Imaginaire et Politique »
Sous la direction de Mme Guillalot
UNIVERSITE DE GRENOBLE
Institut d’Etudes Politiques de Grenoble
Clément Perrier
Le mythe de l’ascension sociale par le sport : enchantement et
désenchantement par de jeunes basketteurs en centre de
formation
Année universitaire 2011-2012
Séminaire « Imaginaire et Politique »
Sous la direction de Mme Guillalot
Remerciements
Je remercie toutes les personnes qui ont permis la réalisation de ce travail :
A Madame Guillalot pour son aide constante, le temps consacré à répondre à mes
nombreuses interrogations, sa compréhension et son soutien dès la genèse du projet.
A Monsieur Gonthier pour l’intérêt porté une nouvelle fois à mon travail et son aide
précieuse depuis mon arrivée à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble.
A Jean-Luc pour son accueil toujours chaleureux, le temps consacré à organiser les
rencontres et les nombreux échanges qui ont contribué à faire de cette recherche un
moment de fréquentes remises en question.
A Marion pour toutes les discussions qui m’ont permises de me construire, de grandir
et de donner à l’aboutissement de cette recherche un sens particulier ; pour ce qui n’a
plus besoin d’être dit.
A Amilia pour sa présence de chaque instant, son aide dans le travail mais surtout sa
capacité à alléger considérablement tous les moments difficiles ; parce que, quand
même, les très nombreux efforts aboutissent et promettent encore un peu de temps.
A mes parents pour leur soutien sans faille et leur disponibilité, particulièrement au
moment de la rédaction finale et de la relecture ; pour tous les débats et les moments
ensemble qui m’ont continuellement aidé à faire mieux et plus encore, à être mieux.
A Jacqueline, François et Coralie pour le temps passé à m’aider dans l’avancement de
ce mémoire.
A Elies, Margaux, Rémi, Lucile et Arnaud pour avoir rendue belles ces deux années.
A tous ceux de Saint Jean qui n’ont jamais oublié de me divertir pendant la rédaction.
4
Sommaire
INTRODUCTION ................................................................................................................................................ 5
PARTIE I : L’EDUCATION, A LA BASE DE L’INTERPRETATION DU MYTHE ................................................... 18
SECTION 1 : UN MYTHE QUI IMPREGNE NOTRE SOCIETE ET QUI S'INSCRIT DANS L'UNIVERS DE TOUS................................. 18 A/ « De la masse sortira l’élite » ............................................................................................................. 18 B/ La professionnalisation du sport ........................................................................................................ 22 C/ L’intégration par le sport et le culte des personnalités ...................................................................... 31
SECTION 2 : LE MILIEU SCOLAIRE, EN OPPOSITION AMBIGÜE AVEC LE MONDE SPORTIF .................................................. 39 A/ Quand sport et école ont le même public .......................................................................................... 41 B/ Sport de haut niveau et étude : deux univers compatibles ? .............................................................. 45 C/ Quand le sport permet d’éviter les études : une typologie des représentations ............................... 48
SECTION 3 : L’IMPORTANCE DU MILIEU FAMILIAL .................................................................................................. 52 A/ L’accompagnement et le soutien familial .......................................................................................... 53 B/ « Garder la tête froide » ..................................................................................................................... 59
PARTIE II : LA REALISATION DE SOI, OU LE DESENCHANTEMENT DU MYTHE ............................................ 67
SECTION 1 : L’INCOMPATIBILITE ENTRE LE REVE ET LA VIE DE SPORTIF ........................................................................ 67 A/ La nécessité du travail et le surpassement des limites ....................................................................... 67 B/ Un monde fermé ................................................................................................................................ 74
SECTION 2 : DEVENIR UN HOMME ..................................................................................................................... 81 A/ Le centre de formation, un lieu de construction de la personnalité ................................................... 81 B/ Etre reconnu ....................................................................................................................................... 86
PARTIE III : L’ARGENT, MOTEUR DOUBLE QUI A LA FOIS CONSTRUIT ET DECONSTRUIT LE MYTHE ............ 91
SECTION 1 : L’ARGENT, BUT DE LA PERFORMANCE SPORTIVE ................................................................................... 91 A/ Vivre de sa passion ............................................................................................................................. 91 B/ Etre riche ............................................................................................................................................ 95
SECTION 2 : L’ARGENT, NECESSAIRE VECTEUR DE LA PERFORMANCE SPORTIVE .......................................................... 101 A/ Quand progresser est coûteux ......................................................................................................... 101 B/ Et la méritocratie ? ........................................................................................................................... 105
CONCLUSION ................................................................................................................................................ 110
TABLE DES ANNEXES .................................................................................................................................... 116
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................................ 242
OUVRAGES CITES ................................................................................................................................................. 242 ARTICLES CITES ................................................................................................................................................... 243 OUVRAGES ET ARTICLES NON CITES AYANT INSPIRE LA RECHERCHE ................................................................................. 244
5
Introduction
« En créant du plaisir, de l’émotion et du rêve, en enlevant les barrières sociales,
ethniques ou religieuses, le sport est bien sûr générateur de lien social. Parce que tout le
monde est à l’égal dans un vestiaire ou sur un stade, parce que la notion même de club génère
un sentiment d’appartenance et donc d’existence propre, le club sportif joue un rôle essentiel
dans l’épanouissement de la personne. En offrant sa chance à chacune et à chacun, en
apportant à celles et à ceux qui en ont simplement l’envie, la possibilité de se réaliser, le sport
représente un formidable vecteur d’intégration. A travers nos équipes nationales ou lors des
grands événements que nous pouvons organiser sur notre territoire s’exprime un sentiment
identitaire qui légitime une certaine fierté nationale. Les jeunes issus des milieux les plus
défavorisés trouvent dans le sport un encadrement, une hygiène de vie et des règles. Ils
peuvent également y rencontrer la réussite, et il y a de plus en plus de jeunes issus de ces
milieux parmi les sportifs professionnels. »1 C'est en ces termes que Denis Masseglia, le
Président du Comité National Olympique et Sportif Français, définit le rôle social du sport.
Plus qu'un vecteur de mobilité au sein de la société, le sport est ici perçu et donné à voir
comme un correcteur de l'échec sociétal dans la recherche méritocratique et égalitaire. Ceci
est d’ailleurs expliqué par Alain Finkelkraut quand il explique que « de nombreux
sociologues, de Christian Bromberger à Alain Ehrenberg, ont fait du sport un concentré de la
démocratie. La démocratie substitue en effet à une élite de la naissance une élite du talent. »2
Or, à la vue de la littérature florissante sur le sujet, il paraît difficile d’affirmer de façon si sûre
la relation unilatérale liant sport et égalité sociale. Cette affirmation mérite dès lors d’être
retravaillée et mise, à nouveau, en question.
Bien que la citation demande d'être étudiée dans son ensemble, c'est principalement la
dernière partie qui va nous intéresser dans le cadre de la recherche : elle affirme que de plus
en plus de jeunes issus de milieux « populaires » deviennent sportifs professionnels et donc en
ce sens que le sport est un moyen pour eux d’atteindre ce qui est qualifié comme « la
réussite ». Ainsi, le sport serait un moyen de progresser socialement, de « réussir ». Ce dernier
1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du
Comité national olympique et sportif français, Paris, le 10 avril 2012, consulté sur
http://franceolympique.com/art/2331-tribune_de_denis_masseglia.html, le 08/03/2012 2 Interview d’Alain Finkelkraut par le quotidien Libération, édition du 18 juillet 2009, p.17
6
terme pose question : qu’est-ce que la réussite et en quoi être sportif peut-il être considéré
comme un aboutissement ? Plus encore, comment le sportif de haut niveau est-il devenu un
modèle d’exemplarité, un personnage phare dans l’imaginaire collectif de la société
contemporaine ? Ces questions seront à la base du raisonnement qui suit et marquent une
première approche de l’objet qui rassemble sport, imaginaire collectif et milieu social. Il va
s’agir dès lors de comprendre le lien créé entre ces trois items qui sont au cœur de la vie
sociale française et forment donc un terrain de recherche particulièrement intéressant.
Dans un premier temps, il convient de rappeler la manière dont le sujet de la recherche
a été composé et remanié. En d'autres termes, il s'agit de comprendre comment le passage à
une position de chercheur s'est effectué.
Étant « sportif de haut niveau » et plus généralement en relation étroite avec le sport
depuis l'enfance, c'est un sujet qui m'a toujours particulièrement intéressé. N'ayant pu accéder
à un centre de formation de haut-niveau, j'ai connu, comme un grand nombre d'autres joueurs,
l'échec aux portes de la réussite sportive de très haut niveau. C'était pourtant ce qui guidait
mon parcours et me laissait croire en un avenir radieux : ce qu'on peut appeler un rêve
d'enfant. Ayant acquis plus tard des connaissances théoriques me permettant de mieux
comprendre mon parcours et ce rêve déchu, une question m'a souvent effleurée : pourquoi et
comment ai-je pu croire à un avenir professionnel dans le sport ? Tout, autour de moi, me
laissait pourtant voir que c'était impossible ou presque. Bon nombre de mes amis, classés dans
les catégories sociales inférieures, ont aussi connu ce rêve un temps, avant d'être brutalement
confrontés à la réalité d'un monde qui laisse peu de place aux échecs et aux défaillances. J'ai
souvent entendu des phrases telles que, « Tu imagines, avec tout l'argent que je vais gagner,
tout ce que je pourrai me payer ? ». Bien qu’issu d’un milieu aisé, j'imaginais moi-même ce
que je pourrais faire de mon hypothétique fortune une fois devenu professionnel. On voit
apparaître ici ce qui va être le fondement de ma réflexion actuelle : le rêve d'ascension
sociale, par le biais du sport. J'ai dès lors décidé d'en faire mon thème de recherche dans le
cadre de mon mémoire. Je ne savais pas comment formuler le sujet, mais l'idée de l'ascension
sociale par le sport devait en être le centre. J'ai pu préciser peu à peu ce sujet, autour du terme
clef évoqué précédemment : celui de la croyance, qui met en relation imaginaire collectif et
espoir individuel.
7
Voulant lier sport et études, j'ai tenté depuis mon arrivée à l'Institut d’Etudes Politiques
de Grenoble de concentrer mes thèmes de réflexion autour du sport. Ce fut notamment le cas
lors du choix du stage que j'ai réalisé durant l'été 2011 : j'ai mené une enquête sociologique
pour le compte d'un club de basket-ball professionnel, enquête intitulée « Cohésion au sein
d'un club sportif professionnel et recherche de performance », sous la direction de M.
Gonthier. Je devais, à l'aide d'entretiens semi-directifs avec tous les acteurs principaux du
club, analyser la cohésion qui existait ou non au sein du club afin de donner des conseils de
développement pour le futur3. J'ai alors été en contact direct avec les joueurs et tout le staff
technique et administratif pendant près de deux mois, ce qui m'a permis une réelle immersion
dans le milieu. Un des constats qui est ressorti des entretiens est qu'il n'y a pas de place pour
le rêve dans le monde professionnel. Le paradoxe est que les sportifs donnent du rêve mais
qu'eux-mêmes sont dans une réalité absolument définie, cernée, et beaucoup moins mirifique
que ce qui nous est donné à voir. Le club étudié évolue au deuxième niveau national en
basket-ball et les salaires n'ont donc rien à voir avec ceux dévoilés par le meilleur niveau
footballistique. J'ai ainsi pu me confronter à des problèmes de taille plus réelle. Les joueurs
n'étaient pas univoques entre eux mais s'accordaient à dire qu'il y avait une grande part de
chance dans la réussite, qu'il fallait savoir éviter les blessures et que c'était un travail quotidien
et dur depuis l'enfance ou au moins l'adolescence joint à des capacités naturelles et des
facteurs indépendants qui permettaient, éventuellement, d'arriver au plus haut niveau.
L'assistant coach m'a même dit dans une discussion informelle : « Aujourd'hui, les enfants
rêvent d'argent, de strass et de paillettes. Ce n'est pas le sport qui les fait avancer, c'est
l'argent qu'ils vont gagner par le sport. C'est impossible de s'en sortir comme ça. Il faut
arrêter de faire croire aux jeunes des choses qu'ils n'auront jamais. »4 Cela m'a interpellé et,
n'ayant pas commencé les entretiens, j'ai inclus quelques questions à ma trame concernant la
mobilité sociale, la part de rêve et les parcours biographiques dans l'idée que cela pourrait
peut-être m'aider à problématiser le sujet de mon mémoire. Entendons le terme « mobilité
sociale » au sens d’Elias, c’est-à-dire qu’il désigne le changement de position sociale d’un
individu ou d’un groupe d’individus à l’intérieur d’une société hiérarchisée. « La mobilité
sociale proprement dite désigne la circulation des individus à l’intérieur de la hiérarchie des
3 Stage réalisé entre le 1
er août et le 15 septembre 2011 au sein de la JL Bourg Basket Pro, incluant la réalisation
de dix-neuf entretiens semi-directifs. 4 Entretien réalisé avec Vincent Lavandier, assistant coach de la JL Bourg Basket Pro, le 17 août 2012, minute
22, p. 9
8
statuts sociaux et des catégories sociales ou classes sociales »5. Deux types de mobilité sociale
verticale se distinguent : « la mobilité intragénérationnelle, impliquant l’étude de la carrière
socio-professionnelle des individus au cours de leur vie sociale, qui désigne le passage d’un
individu d’une catégorie sociale à une autre, et la mobilité intergénérationnelle, nécessitant
l’examen de la carrière socioprofessionnelle par rapport à celle des parents, et qui
correspond à la circulation d’un individu de son groupe social d’origine (celui de sa famille)
à un autre groupe, celui d’appartenance »6. C’est-cette deuxième mobilité qui va nous
intéresser ici et particulièrement la mobilité ascendante : ce qu’on appelle communément
« l’ascension sociale ».
Ayant lu des articles sur le sujet et m'étant renseigné auprès de nombreux
professionnels du milieu, j'ai déjà pu préciser le thème. J’ai préféré le terme de mythe de
l’ascension sociale par le sport à celui de rêve. En effet, toutes mes lectures, liées au contenu
des entretiens, m'ont montré que cette ascension sociale, à l'échelle globale, ne trouvait pas de
correspondance dans la société contemporaine. Bien sûr, il existe des exemples connus de
tous, pour ne citer que Zinedine Zidane7, de sportifs venant de milieux très modestes et
devenus richissimes grâce au sport. Mais j'ai pu constater que cette ascension ne relevait pas
d’un fait social corroboré par un grand nombre de faits réels. Le premier travail doit alors
consister à comprendre l’essence et la portée de ce mythe, c’est-à-dire à appréhender la façon
dont l’idée s’est répandue dans l’imaginaire collectif. Au sens d’Eliade, le mythe raconte «une
histoire sacrée; il relate un événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps
fabuleux des "commencements" »8. Or, comme le rappelle François Charton dans Les dieux du
stade9, le sport est pourtant à l'origine affaire de nobles et est interdit aux esclaves dans
l'antiquité. On note que les participants aux premiers Jeux Olympiques sont des soldats, issus
pour la plupart de la modeste bourgeoisie mais qu'il y avait aussi de simples citoyens. Les
Jeux Olympiques étaient l'occasion pour eux, en cas de victoire, de monter en grade dans
l'Armée et d'obtenir des titres de noblesses. Il y avait donc réellement une ascension sociale,
5 D. Baillet, Les Grands thèmes de la sociologie du sport, Paris, l’Harmattan, coll. Logiques sociales, p.168
6 R. Boudon (dir.), Le Dictionnaire de sociologie, Paris, Larousse, 1997, p.149
7 Issu d’une famille algérienne établie à Marseille depuis le début des années 1950, Zinedine Zidane a grandi
dans le quartier de « La Castellane », réputé pour sa pauvreté et ses conditions de vie difficiles. Après une
carrière brillante, Zidane a aujourd’hui une notoriété mondiale et un palmarès jugé exceptionnel, accompagné
d’un salaire avoisinant les quinze millions d’euros par an. Il est dès lors devenu le promoteur de l’ascension
sociale par le sport. 8 M. Eliade, Aspects du mythe, Paris, Gallimard, « Idées », 1963 ; rééd. « Folio essais », 1988, p.21
9 F. Charton, Les Dieux du stade : le sportif et son imaginaire, Paris, Desclée de Brouwer, 1998, pp. 32-34
9
mais qui ne concernait en aucun cas les plus miséreux. Les esclaves ne pouvant participer,
cette opportunité ne leur était pas offerte. Il est primordial de se demander si les choses ont
réellement changé aujourd'hui. Nous comprendrons cependant au fil du raisonnement qu’il
s’agit avant tout d’un mythe moderne qui s’inscrit dans un contexte contemporain et non dans
une histoire sacrée que nous hériterions d’un « temps avant l’histoire »10
, pour reprendre le
terme de Levy-Strauss.
Cette étude tend alors à s’inscrire dans la lignée des recherches liant sport et milieu
social. Il existe une littérature de plus en plus importante sur ce sujet, qui constitue la base
nécessaire dans la construction de l’objet et dans la compréhension sociologique du sport. Les
travaux de William Gasparini sont, entre autres, d’une grande aide car ils proposent une
analyse détaillée de la place du sport dans la société et particulièrement dans les milieux les
plus défavorisés, ce qu’il appelle les « quartiers ».11
Ils accordent aussi une grande place au
lien entre sport et « intégration »12
. Ce dernier thème revient très régulièrement en sociologie
du sport, notamment chez Brohm, Callède, Defrance ou Pociello. Comme le souligne Boudon
à juste titre, le terme d’intégration « n’a pas de sens très précis et fixé »13
. On peut cependant
trouver chez Durkheim une ébauche de définition, la première de la notion : « [L’intégration]
des individus à la société globale se au niveau de leur position et de leur rôle dans les
sociétés industrielles. [...] Car dans ces sociétés modernes, l’individu n’est plus socialisé par
des groupes primaires, mais par sa position et la fonction qu’il occupe dans la division du
travail social. L’intégration de la société est le produit de l’intégration des individus à
différentes institutions, telles la famille, l’Eglise, le groupe professionnel, l’Etat. Elle vient de
la juste intégration des individus à des groupes spécifiques. […] Un groupe social est intégré
dans la mesure où ses membres possèdent une conscience commune, partagent les mêmes
croyances et pratiques, sont en interaction les uns avec les autres, et se sentent voués à des
buts communs».14
La littérature actuelle, à l’exemple de Gasparini, voit dans le sport un
nouveau vecteur de l’intégration. Etant donné que l’hypothétique intégration par le sport
touche surtout les milieux défavorisés ou issus de l’immigration, cette littérature ne peut être
10
C. Levy-Strauss, Mythologiques, tome I : « Le Cru et le cuit », Paris, Plon, 1964, p. 74 11
W. Gasparini et G. Vieille-Marchiset, Le sport dans les quartiers. Pratiques sociales et politiques publiques,
Paris, PUF, coll. « Pratiques corporelles », 2008, p. 8 12
W. Gasparini « L'intégration par le sport. », Sociétés contemporaines 1/2008 (n° 69), p. 7-23. 13
R. Boudon, op.cit, p.124 14
E. Durkheim, De la Division du travail social, (1893), Paris, PUF, 1960, p.272
10
écartée dans le cadre de notre recherche. En effet, la notion d’intégration est liée à celle de
mobilité sociale dans le sens où l’idée d’une possible ascension sociale méritocratique
« renforce le sentiment d’intégration »15
.
Ainsi, il existe de nombreux travaux sur le lien entre pratique sportive et milieu social,
intégration ou encore mobilité sociale. Mais il apparaît après de nombreuses recherches que
seules quelques études traitent de la relation entre position dans la hiérarchie sociale et
interprétation de la pratique sportive. C’est-ce que cette enquête tentera d’apporter à la
recherche scientifique concernant l’analyse du sport et des comportements sociaux.
Le choix du sujet définitif s’est réalisé en plusieurs phases. Dans un premier temps et
comme cela a été expliqué, c’est le mythe de l'ascension sociale par le sport et ses
répercussions dans les politiques publiques qui constituaient le champ de réflexion de
l’enquête. J’avais aussi pensé un temps à traiter de l’intégration par le sport mais le sujet était
déjà très largement étudié et il me semblait difficile de produire quelque chose d’original et de
novateur. Mme Guillalot, la directrice de ce mémoire, m’a alors rappelé que le sujet de
l’ascension sociale avait déjà été traité et qu'il n'était pas assez précis. Elle me conseillait de
trouver soit « un support d'analyse original, soit des médias auxquels on ne pense pas
immédiatement pour un tel sujet, soit des entretiens mais auprès d'un public peu sollicité sur
ce thème...), soit [de] trouver un angle de recherche plus précis »16
. Cherchant un biais
original, je me suis repenché sur les travaux effectués durant mon stage et me suis rappelé
d'un entretien en particulier. J'avais rencontré un joueur du centre de formation du club ayant
de très grandes chances de devenir professionnel. J'ai alors écouté à nouveau l'entretien et ai
pu noter son approche très particulière sur toutes les questions qui concernaient l'ascension
sociale, la part de rêve etc. Son discours à la fois candide et timide mais précis du milieu
sportif m'a singulièrement intéressé et me semblait assez novateur. On entend souvent parler
les sportifs devenus professionnels ou les très jeunes talents mais jamais ou presque les
adolescents. Or ils ont une place toute particulière : ils sont à la croisée des mondes amateurs
et professionnels et sont au dernier échelon de filtrage du professionnalisme. Ils ont donc
nécessairement un rapport particulier à l'ascension sociale qui, pour certains, est touchée du
15
M. Fodimbi « Sport et Intégration » in P. Arnaud, M. Attali et J. Saint-Martin (dir.), Le sport en France, Paris,
La documentation française, 2008, p.176 16
Echange d’e-mails datant du 12 décembre 2011
11
doigt. Ils sont à la dernière étape après plusieurs phases de sélection, mais la plus difficile
avant l'accès à l'élite. C'est-cette position singulière qui me semble avantageuse et qui, je
crois, n'a jamais été traitée. Des jeunes sportifs de centres de formation constitueront donc
mon panel d'étude.
Il aurait été possible de rencontrer des adolescents venant de différents centres de
formation et de différents sports mais cela posait deux problèmes majeurs : celui de
l’exhaustivité et celui du temps. En effet, il aurait fallu classer les sports et justifier cette
classification afin d’interroger des jeunes de centres de formations de chaque « type » de
sport. Cela me semblait impossible à la vue du temps imparti pour réaliser les entretiens, les
analyser puis rédiger l’enquête. J’ai donc choisi d’interroger les joueurs d’un seul centre de
formation et d’un même sport pour que mon panel d’interviewés soit complet et justifié. Le
sport choisi est le basket-ball car c’est, selon un entretien téléphonique avec le directeur du
Comité Régional Olympique et Sportif de Rhône-Alpes, « le sport qui réunit la plus grande
mixité sociale au niveau des licenciés jeunes »17
. Cette mixité me semble primordiale dans le
but d’analyser la différence de perception de l’avenir en fonction de l’origine sociale. De
même, comme on peut le voir dans le tableau 1 en annexe, le basket-ball est le deuxième sport
collectif le plus pratiqué avec 456 000 licenciés en 2010, derrière le football. Je tenais à
choisir un sport qui soit largement répandu pour avoir des chiffres représentatifs d’une plus
grande population, avec suffisamment de centres de formation disponibles pour recueillir des
statistiques sur le milieu social d’origine des joueurs. Je souhaitais choisir un sport collectif
pour que le rapport à l’autre au sein du centre de formation ne soit pas uniquement fondé sur
la concurrence. Il m’importait de comprendre la façon dont les jeunes joueurs font la part des
choses entre esprit d’équipe, nécessaire pour gagner, et progression individuelle dans un
dessein de professionnalisation. Voulant interroger un groupe en tant que tel et non des
personnalités uniquement, je me devais de faire le choix d’un sport collectif. D’aucuns
pensent que le football est « le » sport où l’on trouve une grande mixité sociale, notamment
par le fait que des joueurs venant de milieux populaires sont aujourd’hui extrêmement
médiatisés18
. Or, comme le montre Christian Pociello dans son étude « Sport et classe sociale
17
Entretien téléphonique réalisé le 14 janvier 2012 avec Guy Margotton. La prise de notes étant extrêmement
compliquée lors de la conversation, cet échange ne figure pas en annexe et seules quelques phrases ont été
notées. 18
On pense notamment à Zinedine Zidane déjà cité, mais aussi à Karim Bezema, Atem Ben Arfa ou Franck
Ribéry par exemple.
12
»19
et que l’on retrouve dans le tableau 2 de l’annexe, le football a une très forte dimension
énergétique et une faible dimension technique. Comme l’affirmait Bourdieu, « Un sport a
d’autant plus de chance d’être adopté par les membres d’une classe sociale qu’il ne contredit
pas le rapport au corps dans ce qu’il a de plus profond et de plus profondément inconscient,
c’est à dire le schéma corporel en tant qu’il est dépositaire de toute une vision du monde
social, de toute une philosophie de la personne et du corps propre »20
. Defrance rajoute
d’ailleurs au sujet de cette analyse bourdieusienne que « les dispositions à l’égard du corps,
de la pratique sportive, sont cohérentes avec les dispositions à l’égard d’autres pratiques
culturelles »21
. Comme le faisait Bourdieu, Pociello explique que les milieux sociaux
populaires ont un réel attrait pour la dimension énergétique, l’usage de la force et les
performances endurantes tandis que les « classes »22
les plus aisées préfèrent les sports très
techniques et tactiques. Suivant ce raisonnement, si je voulais trouver un public varié, il me
fallait un sport à mi-chemin entre forte cotation énergétique et grande importance technique.
Si l’on se réfère une nouvelle fois au tableau 2 de l’annexe, on note que le basket-ball
correspond parfaitement à ces critères, plus encore que le football. On remarque surtout que
les trois auteurs, Thomas, Pociello et Loy, classent le basket de la même façon, c’est-à-dire
autant physique que technique.
Enfin, ayant moi-même pratiqué le basket à haut niveau, je pouvais aisément
comprendre le langage technique des joueurs et ainsi rentrer plus facilement avec eux dans
une relation d’égal à égal. Me présentant comme joueur de basket de niveau national, je savais
que je gagnerai immédiatement un certain respect qui me semble primordial pour réaliser un
entretien dans un milieu d’entre soi où la performance est tenue en très haute estime. D’une
certaine façon, et grâce à ce que mon stage m’avait montré, je savais que mon simple
curriculum vitae sportif permettait d’être respecté et donc considéré comme quelqu’un de
confiance à qui l’on peut librement parler. Etant donné que le public visé est adolescent, un
âge où la langue a du mal à se délier, je voulais avoir tous les atouts de mon côté pour « faire
19
C.Pociello, Les cultures sportives, Paris, PUF, 1995, pp. 32-47 20
P. Bourdieu, La distinction : critique sociale du jugement, Paris, Editions de Minuit, 1979, p. 46 21
J.Defrance, Sociologie du sport, Paris, La découverte, 1995, p. 63 22
On entend le terme « classes » au sens de Weber comme il les décrit dans ses Essais : « Dans notre
terminologie, les classes ne sont pas des communautés ; elles ne représentent que des bases possibles et
fréquentes de l’activité communautaire. On peut parler de classes lorsqu’un certain nombre de personnes ont en
commun une composante causale spécifique des chances que leur offre leur vie, dans la mesure où cette
composante représente exclusivement l’intérêt économique de la possession de biens et d’occasion de revenus et,
se présente dans les conditions du marché des denrées et du travail ». (M. Weber, Essays in Sociology, Oxford
University press, 1946, p.181)
13
parler » le plus possible. C’est pour ces raisons que j’ai choisi d’entrer en contact avec un
centre de formation de basket-ball, celui de la JL Bourg Basket Pro.23
Pour lier le tout, j'ai choisi de m'interroger sur les représentations : c'est l'analyse des
pensées qui m'intéresse. Je cherche en fait à comprendre comment l'ascension sociale est
perçue par ces jeunes. En d'autres termes, je veux analyser la manière dont ils appréhendent
leur situation et la possible ascension sociale qui y est liée, en fonction de leur position
sociale. Dès lors, dans quelle mesure le milieu social d'origine et la structure d’accueil
constituent-ils un socle de socialisation qui influence de jeunes basketteurs en centre de
formation dans leur manière de se représenter leur éventuelle ascension sociale par le sport ?
J’ai émis, dès cette question posée, l’hypothèse que le milieu social d’origine est le
facteur déterminant dans la différence de conception de l’avenir et de perception d’une
possible ascension sociale grâce au sport. Celle-ci ne serait en fait qu’un mirage perçu et
donné uniquement à ceux qui sont le moins concernés et qui viennent déjà de milieux sociaux
moyens ou aisés. Les joueurs issus de classes populaires seraient ainsi naturellement écartés
de cette hypothétique mobilité en raison de leur plus faible « capital »24
économique, social et
culturel.
Pour réaliser cette recherche, on distingue les sources de première et de seconde main.
Les sources de seconde main sont les études déjà existantes sur le sujet et les auteurs qui les
ont traitées, que nous avons en partie énoncées auparavant. Les sources de première main sont
les entretiens réalisés, au nombre de douze. J’ai fait le choix d’interviewer tous les joueurs de
l’équipe, sauf un qu’il était impossible de rencontrer en raison de son emploi du temps bondé,
ainsi que l’entraîneur et le directeur du centre. Cela permet de comparer les dires des joueurs
sur leur provenance, leur niveau et leur(s) espoir(s) avec ce qu’en pense objectivement le
staff. On comprendra plus tard toute l’importance que cela revêt dans l’analyse des résultats.
En outre il fallait que j'interroge à la fois des joueurs aisés financièrement et des joueurs
défavorisés afin de confronter leurs points de vue. C'est-cette confrontation qui est
23
Ndlr : le même club que celui qui avait constitué le terrain d’enquête du stage effectué en 2011. Il va sans dire
qu’ay’ant déjà des contacts dans le club, il m’était bien plus aisé d’avoir accès au centre de formation quand les
autres clubs sont méfiants de toutes les entrées extérieures, voulant protéger leurs joueurs. 24
Le terme « capital » renvoie à la notion développée par Bourdieu et que l’on peut définir de la sorte : « Pierre
Bourdieu définit la société comme une imbrication de champs : champs économique, culturel, artistique, sportif,
religieux, etc. Chaque champ est organisé selon une logique propre déterminée par la spécificité des enjeux et
des atouts que l’on peut y faire valoir. Les interactions se structurent donc en fonction des atouts et des
ressources que chacun des agents mobilise, c’est-à-dire, pour reprendre les catégories construites par Bourdieu,
de son capital, qu’il soit économique, culturel, social ou symbolique ». (D. Baillet, op.cit., p.140)
14
intéressante. Pour la même raison, j’avais pensé interroger à la fois des filles et des garçons.
J’ai vite écarté cette possibilité car il n’y a qu’une poignée de filles professionnelles du basket
en France25
, et leurs salaires sont proches du Salaire Minimum Interprofessionnel de
Croissance. Il n’y a donc aucun espoir d’ascension sociale et interroger des filles n’aurait pas
eu de sens pour cette enquête. Il était néanmoins primordial que je puisse interroger des
personnes originaires de différents milieux sociaux afin de veiller à la largeur de l'enquête.
Oublier des types de joueurs serait oublier une part de la recherche et donc la laisser
incomplète. Tous les points de vue doivent être croisés pour que les résultats obtenus soient
valables.
En parallèle de la problématisation du sujet, il me fallait choisir la ou les méthodes à
utiliser pour l'enquête. Très vite, j'ai opté pour les entretiens semi-directifs et ce pour plusieurs
raisons.
Tout d'abord, ma recherche se doit d'être qualitative, de par la nature même du sujet. Si
pendant un temps j'ai pensé à réaliser des questionnaires pour avoir des résultats quantitatifs
en plus de l'enquête qualitative, je me suis vite rendu compte que le temps qui m'était imparti
serait trop court pour mener à bien les deux projets avec qualité. J'ai donc choisi de privilégier
l'enquête qualitative qui, pour analyser les représentations, me paraît plus pertinente et plus
approfondie. En effet, j'avais à cœur d'analyser les discours, pour savoir ce que les jeunes
joueurs disent, ce qu'ils pensent réellement et veulent bien me donner à entendre. Des chiffres,
s'ils auraient pu être tout aussi intéressants et révéler bon nombre d'informations, ne
permettraient pas cette analyse des discours qui me paraît primordiale pour traiter le présent
sujet. De même, je n'avais que peu de joueurs à disposition. Sur un si faible échantillon avec
des parcours très disparates, réaliser une enquête quantitative semblait compliqué et l'analyse
des résultats difficile voire insignifiante. J’aurais bien sûr pu faire passer des questionnaires
dans d’autres centres de formation mais je n’aurais pas été sûr de la qualité des résultats : je
craignais que ces questionnaires soient perçus comme un travail, qu'il était possible de bâcler.
L'enquête quantitative risquait dès lors de fausser ma recherche et j’aurais perdu du temps à
analyser un résultat pas forcément fiable. Je me suis donc cantonné au choix de l'analyse
25
Il faut d’ailleurs rappeler que nous situons cette recherche à un niveau français uniquement. Comme le
développement tentera de le montrer, le mythe de l’ascension sociale par le sport peut être compris
mondialement mais est particulier en France car il vient d’une histoire des politiques sportives très spécifique.
15
qualitative, ce qui restreignait déjà les méthodes possibles. Bien entendu, j’ai tout de même pu
m'aider d'études quantitatives déjà réalisées. Celles-ci ne cernent pas forcément la totalité de
mon sujet mais offrent des résultats quantitatifs intéressants dans le raisonnement.
Par ailleurs, dans le cadre d’un cours de Méthodes des Sciences Sociales, j'ai eu à
réaliser des entretiens semi-directifs pour une enquête sur la démarche positive à l'entrée de
l'Institut d'Etudes Politiques de Grenoble. Comme je l'ai déjà expliqué, j'ai aussi réalisé durant
mon stage dix-neuf autres entretiens semi-directifs. Sans pouvoir dire que je maîtrise cette
méthode, j'ai du moins une expérience approfondie et connais donc quelques travers ou
problèmes qui peuvent y être liés. Dans la recherche d'un résultat juste, il me semblait
nécessaire d'user d'une méthode qui ne m'est pas inconnue, pour être un minimum performant
dès les premiers entretiens. De même, mener un entretien directif n'était pas approprié car,
comme l'explique Pierre Brechon dans son cours de Méthodes des Sciences Sociales destiné
aux élèves de l'IEPG, « c'est une technique aujourd'hui peu pratiquée en sciences sociales
parce qu'elle ne permet pas une quantification facile et qu'elle laisse aussi peu de liberté à
l'enquêteur et à l'enquêté... Elle n'a pas les avantages de l'enquête quantitative sans avoir
véritablement ceux de l'entretien qualitatif. »26
Ayant besoin, pour les raisons évoquées
précédemment et principalement pour « faire dire » à des jeunes souvent timides dans le
discours, d'une grande liberté de parole et d'un libre mouvement dans mon entretien, cette
méthode ne convenait pas. Enfin, choisir de réaliser des entretiens non-directifs ou libres
paraissait à la fois compliqué et inadapté : compliqué car je n'ai jamais mené d'entretiens de ce
type et que j’allais mettre plus de temps pour pouvoir gérer correctement la situation et réussir
à adopter l'attitude qui convient, ce qui risquait de nuire à la qualité des premiers rendez-vous
et donc de mon enquête en général ; inadapté car ma population d'enquête est dans un âge où
il est difficile de s'exprimer sur et face à l'inconnu. J'ai pu vérifier cela lors de mon stage : les
adolescents ont besoin d'être particulièrement mis en confiance, d'être guidés. Cela passe par
l'attitude mais avant tout par le discours. J'avais besoin de thèmes précis à aborder et sans
diriger partiellement l'entretien, il aurait été je crois très compliqué d'amener certains aspects
dans la discussion.
C'est pourquoi les entretiens semi-directifs correspondaient à mes attentes. Ils me
permettaient d'amener les interviewés sur les points que je désirais aborder et ainsi de traiter
de façon détaillée des questions souvent oubliées ou laissées de côté lors des présentations des
26
Citation issue d’un cours privé non publié, « Les méthodes de l’enquête qualitative », Grenoble, 2011, p.8
16
centres de formation. Mon dessein était véritablement de les faire parler sur des thématiques
qu'ils ont pour habitude de laisser à la marge : la réaction face à l’échec, la place de l'argent
dans leur projet, la volonté d'ascension sociale, le rapport aux autres, la lutte permanente ou
encore la conflictualité entre l'attachement à un club et le besoin de réussite, entre autres. En
d’autres termes, toutes les questions qui conditionnent nécessairement la vie d'un jeune sportif
mais qui sont souvent camouflées lors des discussions, formelles ou informelles. En effet, sur
les thèmes très généraux et habituels tels que la recherche de performance, le
professionnalisme ou encore la passion, je présageais, et pas forcément à juste titre d'ailleurs,
que les discours allaient s'accorder. Ce sont des thèmes ultra-médiatisés et donc bien connus
des jeunes que j’allais interroger. Dans leur envie de reproduction du fonctionnement des
aînés, pris en modèle, je pensais entendre beaucoup de discours assez habituels des médias
mais il était tout de même nécessaire de le vérifier. C'est donc sur les points plus cachés,
marginalisés et presque tabous dans le monde médiatique qu'il m'importait de creuser. C'est
sur ces questions-là que je pouvais tester les représentations personnelles des joueurs car il n'y
a pas ou peu de réponses toute faites et très souvent entendues. Les interviewés devaient
produire leur propre discours, donner leur point de vue sur des problématiques qui n'ont pas
de réponses médiatiques construites et sur lesquelles on n'invite pas à parler en règle générale.
C'est tout du moins la manière par laquelle je comptais appréhender les discours, les
perceptions : en comparant les réponses non cloisonnées par un discours officiel habituel.
Pour poursuivre cet objectif, il fallait nécessairement attacher la plus grande
importance à la conception du guide d'entretien. C'était, il me semble, la seule façon de faire
parler des jeunes sur un sujet tabou dans leur milieu. Le guide d'entretien est pendant la
discussion ce qui organise le discours. Il importait donc que celui-ci soit le plus limpide
possible et le plus parfaitement maîtrisé pour pouvoir rebondir au fil de la conversation sans
devoir suivre ma trame à la lettre. Ce guide d’entretien, disponible en annexe, s’organise de la
façon suivante autour de quatre thèmes principaux : l'une assez générale sur la présentation de
l'interviewé, la seconde sur sa conception du sport et son intégration dans la société, la
troisième sur ses perspectives d'avenir à tous les niveaux et enfin le portrait sociologique.
Cette division me paraissait adaptée pour pouvoir traiter en profondeur tous les pans de la
représentation du mythe par l'individu. Ce guide a bien entendu été modifié après les deux
premiers entretiens « tests », réalisés avec d’autres joueurs, afin de cerner au mieux les
interviewés.
17
Il existe à l'heure actuelle très peu de discours à analyser sur mon sujet d'études. Par
contre, à l'image de la citation mise en exergue, quelques phrases sur le sujet sont souvent
propulsées par les médias sur le devant de la scène. Je me suis donc servi de celles-ci, et
notamment celles des sportifs, pour comprendre la construction du mythe. Mis à part quelques
citations, ma recherche s’est faite principalement à l'aide des entretiens que j’ai menés. C'est
donc les discours que j'ai réussi à « faire dire » que j'ai analysés et non des paroles déjà
écrites. C'est d'ailleurs la précision du sujet qui impose cela. Étant donné qu'il n'existe pas à
l'heure actuelle de discours de jeunes sportifs publiés ou mis en ligne sur internet, il me fallait
aller chercher moi-même les perceptions.
Les entretiens ont dès lors constitué le point de départ de ma recherche et mon objet
principal d'étude. C'est de l'analyse de ceux-ci qu’a découlé l'écrit. Toutes les études sur le
sujet déjà publiées n’ont fait que m’aider à la conception de mon guide d'entretien et m'ont
aidé à formuler des hypothèses à partir de données historiques, socio-démographiques,
ethnologiques ou sociologiques, mais ne se sont en aucun cas substituées aux paroles
recueillies lors des entretiens. Cela semblait nécessaire si je ne voulais pas perdre peu à peu de
vue le sujet choisi.
Il paraissait donc important d’organiser la recherche autour des sujets principaux qui
ressortaient des entretiens. C’est ainsi que trois thèmes semblent se dégager et permettre la
compréhension du mythe et son interprétation par les jeunes basketteurs. L’éducation,
premièrement, cristallise les représentations des joueurs sur leur sport et sur leur avenir. Le
rapport à la scolarité et l’importance de l’entourage familial seront dès lors à interroger. La
réalisation de soi, deuxièmement, marque l’éloignement des joueurs vis-à-vis du mythe. Il
s’agira là de comprendre comment l’importance du travail et la construction de la personnalité
sont mises en avant au sein du centre de formation. Enfin, l’argent, en tant que conséquence
mais aussi que cause de la performance sportive, sera le dernier sujet à analyser dans le but de
cerner la construction des parcours et des représentations des joueurs. En suivant ces trois
thèmes, nous avancerons progressivement dans l’analyse de la perception et de l’ancrage du
mythe, qui sera mis en question par les dires des pensionnaires du centre de formation.
18
Partie I : L’éducation, à la base de l’interprétation du
mythe
Tout d’abord, il est nécessaire de revenir sur les fondements du mythe moderne. Il
s’agit ici de comprendre comment il s’est façonné, répandu et la place qu’il occupe dans la
société. Cela nous permettra de mieux comprendre ensuite comment le mythe est interprété
par les joueurs et comment cette hypothétique ascension sociale s’inscrit dans leur parcours.
Section 1 : Un mythe qui imprègne notre société et qui s'inscrit
dans l'univers de tous
L’idée que le sport peut être un formidable promoteur de l’égalité des chances et une
rampe de lancement vers le haut de « l’échelle sociale » n’est pas un fait immuable. On doit
plutôt voir dans ce « mythe moderne » une construction sociale qu’il est possible
d’appréhender en observant avec précision les différentes politiques sportives françaises du
XXe siècle ainsi que l’évolution du sport et de la société dans leur globalité.
A/ « De la masse sortira l’élite »27
Si, comme l’explique François Charton cité précédemment, on peut trouver les
origines du mythe dans l’Antiquité et les premiers Jeux Olympiques, on se rend compte au fil
des lectures que c’est essentiellement depuis la naissance du sport moderne que l’idée d’une
possible ascension sociale par le biais du sport s’est développée dans l’imaginaire collectif.
On reconnaît le sport moderne à travers quatre critères, définis tel que suit par Thierry Terret :
« le sport moderne se définit par la mise en œuvre d'une ou plusieurs qualités physiques :
activités d'endurance, de résistance, de force, de coordination, d'adresse, de souplesse, etc. ;
27
P. Arnaud, Michaël Attali et Jean Saint-Martin, op.cit., p. 59
19
une activité institutionnalisée dont les règles tendent à être identiques pour l'ensemble de la
planète ; une pratique majoritairement orientée vers la compétition et enfin une pratique sous
la tutelle d’une fédération »28
. Historiquement, c’est à partir de la fin du XVIIIe siècle que le
sport moderne commença à se développer. Ayant pris corps en Angleterre, il se diffusa très
vite en Europe, et notamment en France, d’abord sous sa version de gymnastique. Ce n’est
que par la suite que les sports collectifs, le football et le rugby tout d’abord, omniprésents en
Grande-Bretagne, se déployèrent sur le Continent. Jusqu’à la fin de la seconde guerre
mondiale, le sport resta en France affaire de minorités bourgeoises. Si l’avènement des
compétitions de football ou la naissance de grands rassemblements tels que le Tour de France
avaient déjà largement intéressé les foules, la pratique n’était offerte qu’à une élite sociale qui
pouvait se permettre de consacrer du temps à l’entraînement. Bien qu’on note une
augmentation du nombre de pratiquants des « jeux et sports »29
jusqu’à 1945, c’est après la
seconde guerre mondiale que les efforts en terme de démocratisation sont devenus importants.
Comme le relate M. Terret, « c’est particulièrement avec le Général de Gaulle que naît
cette volonté de « sport pour tous ». Dans la conjoncture des années soixante, sous l’action
cohérente d’un état fortement centralisé, le Haut Commissariat puis le Secrétariat d’Etat à la
Jeunesse et aux Sports s’efforcent de mobiliser la population pour élever le niveau sportif
général et les performances internationales de l’élite. « Dans la compétition entre les peuples,
déclare De Gaulle, nous devons figurer et même l’emporter »30
. La politique de restauration
de la grandeur du pays menée au début de la Ve république marque la volonté du
gouvernement de « mettre les Français au sport » pour tenter d’en dégager une élite
internationale. Dans cette perspective, la démocratisation du sport apparaît indispensable,
d’autant qu’il participe directement du nouveau contrat social que les pouvoirs publics
entendent promouvoir. Progressivement, le sport est construit comme une véritable idéologie,
autrement dit un système d’idées et de valeurs conformes aux règles dominantes dans les
rapports sociaux ; un système de normes et de modèles sociaux permettant une régulation
continue et uniforme des pratiques socioculturelles. »31
Ceci n’a été possible que par une
nouveauté administrative : les années soixante ont vu « la victoire du monopole étatique au
28
T. Terret, Histoire des sports, Paris, L'Harmattan, 1996, p. 121 29
C. Pociello, Sports et société, Paris, Vigot, 1981, p. 34 30
Général de Gaulle, Discours d’inauguration de l’aéroport d’Orly, 24 février 1961 31
T. Terret, op.cit., p.122-123
20
sein du champ socio-sportif »32
. Ainsi, de simple rivale du mouvement sportif,
l’administration est devenue le plus puissant des acteurs et a désormais les moyens d’imposer
ses objectifs et décisions, grâce en particulier à la création d’un Conseil National des Sports,
confié à M. Herzog, afin « d’aider le ministre de l’Education nationale à élaborer une
politique sportive, notamment en étudiant toutes les mesures à prendre pour élever le niveau
sportif de la nation, et pour dégager et entraîner rationnellement une élite sportive »33
, puis à
celle du Haut Comité des Sports en 1961, qui devient officiellement la plus haute institution
de l’Etat en matière de sport. On comprend bien ici l’émergence du sport comme image de
réussite et de charisme d’un état. Avoir des champions, c’est s’affirmer dans les relations
internationales.
D’ailleurs, au lendemain de la piètre prestation des athlètes français aux Jeux de Rome
de 1960, l’urgence est avant tout de favoriser l’émergence de champions ayant le niveau
international : la majeure partie de l’effort financier, intellectuel, institutionnel et de formation
des cadres a pour objectif le sport de compétition et de haute performance avant le sport de
masse. Mais ce constat implique de faire des choix susceptibles de heurter toute une partie du
milieu sportif français : d’un côté, la mouvance qui gravite autour du Comité Olympique
Français prônant l’amateurisme, le désintéressement, la polyvalence et, de l’autre, les
représentants du sport « travailliste », souhaitant une démocratisation rapide et profonde. Pour
justifier sa politique, le haut-commissaire doit se présenter comme un fédérateur : en
reprenant l’idée coubertinienne selon laquelle l’élite ne peut sortir que de la masse de la
nation sportive34
, il espère ne s’opposer aucun de ces deux courants. Après les bons résultats
aux Jeux Olympiques de Tokyo en 1964, M. Herzog confirme sa volonté de démocratisation
et, profitant de la réussite française, rappelle que « tant qu’en France, le sport restera
l’apanage d’une minorité dans laquelle la moindre défaillance prend des allures de
catastrophe, nous aurons des résultats moyens et en dessous de nos possibilités
démographiques […]. Il faut donc s’intéresser au sport de masse […] et les élites sortiront
d’elles-mêmes. Ces élites susciteront à leur tour de nouvelles recrues, et le processus faisant
32
P. Arnaud, Michaël Attali et Jean Saint-Martin, op.cit., p. 58 33
Arrêté du 13 décembre 1960, paru au Journal officiel du 16 décembre 1960 34
« Pour que 100 se livrent à la culture physique, il faut que 20 se spécialisent ; pour que 20 se spécialisent, il
faut que 5 soient capables de prouesses étonnantes. Impossible de sortir de là, tout se tient et s‘enchaîne » (P. de
Coubertin, Revue olympique, juillet 1913)
21
boule de neige, fera de la France une nation sportive »35
. M. Herzog s’attache dès lors à
persuader les représentants des fédérations que « c’est de l’ensemble de la nation sportive que
sortent les champions, et c’est leur exemple qui entraîne les foules à se dépasser dans l’effort
[…]. L’humanisme sportif auquel nous sommes passionnément attachés doit nous faire
relever les défis de notre époque. Qu’il soit le prestige national ou la vocation désintéressée,
la France voudrait voir s’épanouir des générations d’athlètes »36
.
C’est-cette volonté de faire venir l’élite du peuple, de la « masse », qui marque la
première étape dans la construction sociétale du mythe. Par la mise en place de ses politiques,
Herzog laisse passer l’idée que tout le monde peut faire partie de l’élite sportive. Et cette élite
est déjà médiatisée, chaque décennie ayant ses champions. Il existe donc, depuis cette
politique de recrutement populaire qui s’est traduite par un effort financier important et
l’installation de structures sportives partout en France, une possibilité affichée pour chaque
français de se découvrir un talent dans une discipline sportive. Et ce talent, dans le dessein
d’Herzog, permettra de représenter au mieux la France à l’étranger. Les salaires ou
rétributions n’étaient alors absolument pas attrayants mais c’est une rétribution en termes de
prestige, de gloire qui était visée. Devenir l’envoyé d’une nation et s’en faire le représentant, à
une époque gaulliste où le patriotisme est encore bien présent, c’est gagner considérablement
en prestige. La rétribution, plus que financière, est alors morale et individuelle : c’est-celle de
la gloire dans les hautes sphères de l’Etat et pour un public initié. En ce sens, on laissait croire
dès les années soixante à une possible ascension sociale. Tout du moins, l’idée pouvait
commencer à s’ancrer dans l’imaginaire collectif.
Malgré des années soixante-dix compliquées avec une forte remise en cause du sport
dans la société, notamment par Jean-Marie Brohm qui le décrit comme le nouvel « opium du
peuple »37
, le sport ne cesse de gagner en public et en pratiquants français. A ce titre, on
observe que la dynamique générale sur l’ensemble du XXe siècle est-celle d’une croissance
soutenue et presque ininterrompue. Une estimation publiée en 1909 retient le chiffre de
900000 personnes « adhérant à des sociétés spécialisées dans les activités physiques de type
35
Cité par T. Ducrot, « La mise en administration du sport en France (1939-1966) : éléments pour une socio-
histoire de la construction d’un monopole étatique », mémoire de DEA, IEP de Grenoble, 1996, p.40 36
Ibid. 37
JM Brohm, Sociologie politique du Sport, Presses universitaires de Nancy, Nancy, nouv.éd., 1992, p. 13
22
gymnastique ou sportif »38
, alors qu’un décompte de 2004 situe le nombre de prises de licence
de tous genres dans les associations sportives à plus de 15 millions.39
Outre les mesures
lancées par Herzog, particulièrement en terme de formation et de construction d’équipements,
certaines lois ont continué de favoriser la place du sport dans la vie française jusqu’à
aujourd’hui. On peut citer la loi du 16 juillet 1984 relative à l’organisation des Activités
Physiques et Sportives40
qui reconnait que le développement du sport est d’intérêt général et
que son encadrement est susceptible de déboucher sur une mission de service public. Le sport
a, grâce à des mesures de ce type, gagné en influence au sein de la société et, selon une
enquête de 2011, est pratiqué par environ 65% des français chaque année41
.
En outre, cette pratique démocratisée du sport est entraînée par un autre phénomène,
ou l’entraîne, qui est-celui de la professionnalisation du sport. Pour comprendre l’émergence
du mythe dans l’imaginaire collectif, il faut s’intéresser aussi à ce phénomène important de la
culture sportive. Bien entendu, la démocratisation et l’accès à des structures pour le plus
grand nombre étaient la base, comme nous l’avons compris, de la propagation de l’idée.
Cependant, elle a été suivie par la professionnalisation que nous devons à présent tenter
d’appréhender dans notre dessein de cerner la construction du mythe de l’ascension sociale
par le sport.
B/ La professionnalisation du sport
Le sport, devenu l’un des phénomènes marquants de ce siècle, a largement dépassé
son statut de simple activité ludique et récréative de loisir, pour être de plus en plus considéré
comme un bien économique qui se produit, se consomme, s’échange et se finance. On
distingue plusieurs éléments qui marquent la professionnalisation du sport. C’est tout d’abord
la fin du bénévolat, mouvement qui semble se confirmer ces dernières années, mais aussi la
médiatisation du sport et enfin sa commercialisation. Ces trois items décrivent assez
38
Chiffres indiqués par le général Canonge (« De l’éducation physique en France », in Gazette des hôpitaux,
1909, p.1003 et suiv.) et par le docteur Edouard Lachaud (Pour la race. Notre soldat, sa caserne, Henri Charle-
Lavauzelle, Paris, 1909, chap.1) 39
Secrétariat d’Etat aux Sports, à la Jeunesse et à la Vie associative, « Les licences 2004. Une approche par
disciplines sportives », Stat-info, n°05-06, décembre 2005 40
Plus connue sous le nom de « Loi Avice » 41
Ministère des Sports, « Les principales activités physiques et sportives pratiquées en France en 2010 », Stat-
info, n°11-12, décembre 2011
23
justement la façon dont la transition s’est faite, d’un sport marqué par l’amateurisme à
l’émergence du sport professionnel.
La fin du bénévolat
Bernard Jeu signale à juste titre que « le bénévolat n’est pas synonyme
d’incompétence, que le salariat ne veux pas dire absence de dévouement, et que le
professionnalisme ne se traduit pas par absence d’amour du sport. »42
Insistant sur le fait que
le bénévolat sportif doit demeurer un pilier du système, et qu’il ne doit pas être envisagé
comme l’antagonisme du salariat, mais plutôt comme un complément, il résume très
clairement la dynamique sportive ainsi : « les dirigeants et les pratiquants sportifs ont
d’abord été des amateurs, les athlètes se sont ensuite professionnalisés car le sport connut un
succès croissant et l’institution sportive a commencé à avoir besoin de permanents, mais cette
professionnalisation n’efface et n’exclut pas pour autant le bénévolat, et l’amateurisme »43
.
La question de l’amateurisme et du professionnalisme a également affecté le mouvement
olympique sportif. En effet, depuis la fin du XIXe siècle, l’amateurisme a été l’un des piliers
officiels du mouvement olympique, et les bénévoles ont constitué la majorité des dirigeants
sportifs, mais, aujourd’hui, l’amateurisme et le bénévolat ont disparu dans le monde sportif,
notamment olympique. Comme l’écrit Paul Simmonot, « la papauté olympique »44
a
actuellement intégré les valeurs marchandes et rejeté l’amateurisme sportif. Et cette crise de
l’amateurisme ne date pas du XXe siècle. Déjà, dans l’Antiquité, l’amateurisme grec s’était
dégradé, comme le montre bien Pierre de Coubertin : « Rien n’est plus instructif que d’étudier
les péripéties sportives de l’Antiquité. On voit avec le succès se développer la complication et
le spécialisme d’où sortent bientôt le professionnalisme et la corruption. […]Ce sont alors les
exagérations de l’entraînement ; l’athlète, aux mains de l’entraîneur et du manager, tend à
devenir un être anormal vivant du sport, comme ceux qui s’occupent de lui ; c’est le
mercantilisme. Callipsos l’Athénien (332 av. JC) achète ses adversaires qui lui laissent
gagner le pentathlon. Les jeux sont entourés d’une vaste foire où s’entassent les curiosités et
les spectacles ; il faut toujours du nouveau, du sensationnel à cette foule énervée et bruyante.
A plusieurs reprises, s’esquissent des mouvements de salutaire réaction, mais peu à peu
l’opinion se détache et se détourne, la religion athlétique perd ses fidèles : elle n’a plus que
42
B. Jeu, Analyse du sport, Paris, PUF, 1993, p.156 43
Ibid. 44
P. Simonnot, Homo Sportivus, Paris, Gallimard, 1998, pp 129-130
24
des clients »45
. On voit ici une étonnante similitude entre la situation antique décrite par
Coubertin et la situation actuelle, utilisée dans plusieurs ouvrages pour décrire la
professionnalisation contemporaine.
Alors, cette crise actuelle se comprend de façon contemporaine et obéit à différentes
causes, d’abord d’ordre économique et social. Amorcée après 1945, elle est en premier lieu
due à l’ampleur des recettes procurées par les spectacles sportifs. Elle s’explique ensuite par
l’élévation du niveau des performances sportives, élévation due à de multiples facteurs tels :
l’amélioration du matériel et de l’équipement ; perfectionnement de l’entraînement,
transformation de l’alimentation et de l’hygiène ou encore augmentation du nombre des
athlètes dans le monde.
Elle tient ensuite à des motifs politico-institutionnels. Au lendemain de la seconde
guerre mondiale, la doctrine de l’amateurisme s’éloigne de la réalité concrète : les sportifs
amateurs des pays socialistes européens sont, en fait, des professionnels entretenus par leur
état respectif, et les athlètes américains poursuivent leur cycle universitaire à des fins
uniquement olympiques. Les Etats-Unis et l’URSS rivalisaient ainsi sur le terrain olympique à
coups de subventions, et les pays satellites, dans chaque camp, en firent de même. Le
processus de professionnalisation atteint son apogée en 1978 lorsque Lord Kilanin, directeur
du Comité International Olympique, fit retirer le mot « amateur » de la charte olympique puis
avec son successeur Samaranch qui, dans la charte de 1983, affirme « qu’un athlète peut
gagner des fortunes s’il a l’esprit olympique »46
.
Enfin, le passage du sport d’élite, réservé aux amateurs, au sport spectacle de masse
produit par des professionnels, n’est pas seulement lié à l’existence de nouvelles entreprises
industrielles et d’institutions modernes. Il est, comme le dit Pierre Bourdieu, étroitement lié à
la rencontre de l’offre de certaines catégories sociales, c’est-à-dire, il est dû à la rencontre de
« la forme particulière que revêtent la pratique et la consommation sportives proposées à un
moment donné du temps », et « les attentes, les intérêts et les valeurs des pratiquants
potentiels, l’évolution des pratiques et des consommations réelles étant le résultat de la
confrontation et de l’ajustement permanents entre l’un et l’autre »47
. Le passage de
45
P. de Coubertin, Pédagogie sportive, Paris, 1922, pp. 132-133 46
P. Simonnot, op.cit., pp. 139-140 47
Ibid. p.189
25
l’amateurisme au professionnalisme est donc dû à la rencontre entre les intérêts et les valeurs
des classes populaires et moyennes accordées au sport à un moment donné, et les exigences
liées à la professionnalisation de la préparation et l’exécution de la pratique sportive au même
moment. De surcroît, comme l’explique Eric Dunning, la façon dont évoluent les sociétés
dans leur globalité impacte la façon dont le sport se professionnalise. Il dit d’ailleurs à ce sujet
que « les pressions et les contrôles réciproques qui s’opèrent dans les sociétés industrielles
urbaines se reproduisent généralement dans la sphère du sport. Corollairement, les sportifs
de très haut niveau ne peuvent être indépendants et jouer pour l’amusement ; ils sont
contraints à une participation aux sports sérieuse et tournée vers autrui. Ne pouvant jouer
pour eux-mêmes, ils sont forcés de représenter des unités sociales plus larges, par exemple
des villes, des comtés ou des pays. Pour cela, ils reçoivent des récompenses matérielles et/ou
honorifiques, ainsi que les installations et le temps nécessaires à leur entraînement. En
retour, on attend d’eux qu’ils accomplissent une « performance sportive », c’est-à-dire qu’ils
procurent la satisfaction exigée par ceux qui contrôlent et consomment le sport, autrement dit
le spectacle d’une compétition excitante que les gens paient pour regarder ou bien la
validation, grâce à la victoire, de l’image ou de la réputation de l’unité sociale à laquelle
s’identifient ceux qui contrôlent et/ou consomment. […]Par chacun de ces aspects, la
configuration sociale – le schéma des dépendances intergroupes qui caractérise un Etat-
nation industriel-urbain – crée des contraintes qui interdisent la mise en pratique de l’éthique
amateur, laquelle fait de l’amusement le principal objectif du sport.[…] Loin de se cantonner
au sport de très haut niveau, ces contraintes se propagent jusqu’aux échelons inférieurs de la
performance sportive. Ce phénomène est dû en partie au fait que les sportifs de très haut
niveau forment un groupe de référence, promu par les médias, qui détermine les normes
auxquelles les autres tentent de se conformer. »48
Ainsi, le sport suit la logique industrielle
développée au sein de la société. La fin de la citation explique que cette logique implique une
fin prononcée de l’amateurisme et que celui-ci est en partie dû à la médiatisation du sport, liée
à sa commercialisation, que nous allons tenter de cerner à présent.
La médiatisation et la commercialisation du sport
Depuis le milieu des années 1980, la médiatisation et la commercialisation du sport
professionnel se déploient de manière spectaculaire. Les évènements sportifs sont devenus des
48
N. Elias et E. Dunning, Sport et Civilisation, Paris, Fay’ard, 1994, pp. 302-303
26
produits que la télévision et les sponsors achètent, mettent en spectacle, vendent en vue d’en
tirer un profit. Ces athlètes monnayent alors « leur talent et leurs compétitions à des prix de
plus en plus élevés »49
. Cela est lié au fait que le sport, en se professionnalisant, est devenu un
véritable spectacle. On parle d’ailleurs de sport professionnel ou de « sport-spectacle ».
Spectacle populaire d’aujourd’hui, par excellence, il est à l’heure actuelle un spectacle de
masse car il concerne les individus de tous les groupes sociaux et de tous les Etats. Comme le
souligne Jean-Marie Brohm, « Le spectacle sportif est devenu aujourd’hui dans toutes les
sociétés avancées non seulement le spectacle planétaire par excellence, mais le modèle type
du spectacle qui attire et agglutine les foules en les concentrant autour d’une scène populaire,
où toute la population est invitée à participer, en tant que masse, à la célébration des exploits.
Le spectacle sportif est la mise en scène d’un spectacle de masse où le public communique,
directement ou imaginairement, avec les sportifs de compétition avec ces acteurs plus ou
moins mythiques que sont les sportifs de compétition. »50
Dès lors, le sportif professionnel
attire et en tant que centre du rassemblement, est envié. C’est-cette position sur le devant de la
scène qui fait « rêver » les individus, qui les laisse croire en un prestige social à portée de
main. A partir du moment où le sportif est connu et reconnu, il devient le référent jalousé mais
respecté de son milieu d’origine. Comme nous l’avions compris, plus les masses sont
impliquées dans le sport et plus l’espoir individuel grandit : tout le monde peut « y arriver ».
De même, plus le sport est vu et rendu spectaculaire, plus la position de sportif fait envie. La
gloire qui était avant tout procurée par un ressenti individuel patriote devient dès lors une
gloire animée par la popularité et le succès auprès de la masse spectatrice. Que ce soit à
l’échelle locale, régionale ou nationale, le sport est alors vecteur de renommée. Comme nous
l’avons déjà compris, il faut penser l’ascension aussi bien en termes de prestige social que de
rémunération financière En ce sens, le fait que le sport devienne un spectacle contribue
largement à la propension du mythe : il y a rêve d’ascension sociale par le sport seulement
parce que ce dernier offre une très large diffusion des performances. Cette diffusion s’est
d’ailleurs développée grâce à une médiatisation de plus en plus importante.
Le pouvoir des médias a, depuis leur création, été considérable sur le sport, comme le
montrent les grandes heures du cyclisme, tel le Tour de France, qui sont le produit de l’action
des journaux, comme l’Auto ou Paris-Soir. Les organisateurs de spectacles et les dirigeants de
49
O. Chabay, « De l’amateurisme au sport business », 2 juin 1999, La Documentation Française, p.10 50
JM. Brohm, Sociologie politique du sport, Paris, Editions universitaires, 1976, p.298
27
médias tentent de modifier les règles sportives en valorisant l’aspect spectaculaire51
. Si la
presse a joué un rôle de diffusion du sport, la télévision a porté le sport au pinacle : elle a
parfaitement véhiculé le spectacle sportif. Depuis 1970, la télévision a d’ailleurs développé
ses liens avec le sport, et de plus en plus de compétitions sont retransmises : le nombre
d’heures de diffusion de sport en France par la télévision est passé de 232 en 1968 à 12000 en
199952
. Cette hausse est due à l’arrivée de nouvelles chaînes qui accordent au sport une part
plus importante, comme Canal +, ou qui ne se consacrent qu’au sport, comme les chaînes
thématiques, telles EuroSport. Les rapports entre le sport et la télévision sont des rapports
d’intérêts. Aujourd’hui, l’argent des télévisions constitue la source principale de financement
du sport professionnel et explique l’inflation des salaires des sportifs. L’audience des
événements sportifs représente pour les chaînes privées la majorité de leur chiffre d’affaires.
En 1998, le football a par exemple réalisé les quatre premières audiences de TF1 : « Les
recettes brutes encaissées par la chaîne pour la finale de la coupe du monde, meilleure
audience de l’année toutes chaînes et tous programmes confondus, ont dépassé les 50 millions
de francs53
»54
. Le sport est donc devenu une vaste industrie de programmes et un enjeu
majeur pour les chaînes de télévision, notamment pour celles à péage pour lesquelles la
possession de droits de retransmission constitue un produit d’appel considérable. On assiste
aujourd’hui à une mutation profonde des liens entre sport et télévision : le rapport qualité-
prix est alors au centre des préoccupations des responsables de programmes, qui ont pour but
d’obtenir des événements permettant de recueillir une audience large, pour vendre le plus
possible d’écrans publicitaires aux annonceurs et rentabiliser leur investissement initial. Cette
dépendance des sports vis-à-vis de l’argent des télévisions a des effets pervers, tels l’inégalité
des sports dans le traitement médiatique et les retombées financières qui y sont liées. Nous
comprendrons plus tard que cette différence d’exposition joue un rôle clé dans les différences
d’interprétation du mythe. En outre, à l’heure d’internet, le sport a encore gagné en visibilité.
Désormais, chaque individu connecté au web peut voir et revoir les matchs, les compétitions
et les performances d’un joueur en particulier. Avec tous les sites de vidéos à la demande,
l’utilisateur a accès en permanence aux retransmissions sportives.
51
On note par exemple au basket la suppression progressive de plusieurs règles ou l’assouplissement d’autres tel
le « marcher » ou le « passage en force » afin de rendre le jeu plus athlétique et donc plus spectaculaire. 52
Chiffres donnés par D. Baillet in D. Baillet, op.cit., p. 123 53
Ndlr : l’équivalent d’environ 7,6 Millions d’Euros 54
O. Chabay, op.cit., p.11
28
Si le sport est affecté, et de plus en plus, par un important processus de médiatisation,
il est également touché par un phénomène puissant de commercialisation qui lui est
étroitement lié. Ce dernier affecte surtout le sport en tant que spectacle, dans les sociétés
industrielles modernes. Les manifestations sportives ont à l’heure actuelle considérablement
augmenté, les compétitions ont pris une allure gigantesque et mobilisent des foules immenses
abritées dans d’énormes stades55
.Ce phénomène de masse a été intensifié, comme nous
venons de le comprendre, par la télévision « qui a transformé le spectacle sportif en un fait
universel à l’échelle planétaire. »56
Comme le note très lucidement Jean-Marie Brohm57
, ce
phénomène social de massification a incontestablement attiré les organisateurs de
manifestations sportives qui ont envisagé le sport comme une affaire lucrative, leur objectif
étant alors d’organiser des spectacles et des manifestations financièrement bénéficiaires et
commercialement profitables. En d’autres termes, la recherche du profit passe dorénavant
avant l’objectif purement sportif. Le sport n’est donc plus seulement un support publicitaire
mais une véritable activité commerciale, « un marché à conquérir »58
et même un
« investissement financier spéculatif »59
avec l’entrée en bourse de certains clubs60
. Les
investisseurs ont le projet, en s’appuyant sur la notoriété du club, de développer des activités
parallèles comme le lancement de chaînes de télévision et de sites internet avec des contenus
payant ou encore le merchandising. Des sommes astronomiques d’argent sont donc investies
dans les clubs : Selon un rapport financier publié par la Direction Nationale du Contrôle de
Gestion, le budget cumulé des vingt clubs de Ligue 1 était de 910 millions d'euros en 2005-
2006, soit une hausse de 39 % par rapport à la saison 2002-2003. En 2011, le chiffre d’affaires
hors transfert de la Ligue 1 était de 1,243 milliard d’Euros61
. Ce rapport nous apprend aussi
que le salaire mensuel moyen d’un footballeur est d’environ 40000€, en comparaison à celui
d’un joueur de rugby qui est d’environ 10000€62
. En comparaison, les basketteurs
professionnels français évoluant au plus haut niveau gagnent 9723€ par mois tandis que ceux
évoluant en Pro B63
reçoivent en moyenne 4249€64
.65
55
Celui de Rio de Janeiro au Brésil peut accueillir environ 200000 spectateurs, par exemple. 56
JM Brohm, op.cit., p.208 57
Ibid. 58
O. Chabay, op.cit., p.13 59
Ibid. 60
L’Olympique Lyonnais est entré en bourse en 2007, tandis que le Paris Saint-Germain et l’Olympique de
Marseille étaient déjà côtés depuis plusieurs années, respectivement avec les groupes Adidas et Canal+ 61
« Rapport d’activité de la ligue professionnelle de football », DNCG, 2012, p.47 62
Ibid., p.53 63
Ndlr : Le deuxième niveau national, celui par exemple de la JL Bourg Basket Pro
29
On peut comparer ces chiffres avec le salaire mensuel moyen par ménage en France
qui est de 2314€, en considérant une moyenne de 2,3 habitants par ménage66
. On comprend
immédiatement que le salaire d’un joueur, et ce même en Pro B, est presque le double du
salaire d’un ménage français. Les possibilités financières avec le sport sont donc importantes
et cela est sans cesse rappelé dans les émissions télévisées où l’on voit les joueurs arriver dans
des voitures de sport hors de prix ou sur internet, avec les photos des maisons de certains
joueurs. Cette médiatisation de la commercialisation et de la professionnalisation du sport
atteint ces dernières années son apogée avec la création d’émissions uniquement centrés sur la
vie quotidienne de sportifs, telles « Ma maison de star » sur la chaîne américaine MTV ou
encore l’émission « Téléfoot » de TF1 qui consacre chaque semaine un reportage à la vie d’un
joueur.
Cette mise en scène de l’argent amassé grâce au sport constitue aujourd’hui un des
piliers majeurs du mythe de l’ascension sociale par le sport. Le public, les téléspectateurs
voient à travers les médias d’immenses fortunes se former grâce au football, au rugby ou au
basket67
, mais aussi grâce à des sports individuels comme l’athlétisme ou la natation. Le
sport, comme nous l’avons compris, étant ouvert à tous, l’idée peut se propager que chacun
est en mesure de faire fortune puisque chacun a accès à des structures d’entraînement, est égal
face au sport. Puisque l’élite doit sortir de la masse, chacun pense que, potentiellement, il peut
faire partie de l’élite. Et cette position fait très envie puisque permet, en somme, de devenir
riche ; ou tout du moins d’élever son niveau de vie. Les médias rappellent constamment
l’argent en jeu avec le sport : les sommes dépensées pour les transferts de joueurs font les gros
titres de la presse et les salaires sont sur le devant de la scène à la télévision. Dans
l’imaginaire collectif, et comme nous l’avons expliqué, l’idée s’est répandue que chacun, de
façon égale, peut accéder au sport et montrer son talent. Dans un rapport évident de causalité,
l’idée s’est aussi répandue que chacun peut accéder à la fortune. Etant donné que les sportifs
sont adulés ou tout du moins auréolés d’une popularité exacerbée, la position est très enviée :
une immense part de la population aimerait être riche et reconnue. C’est là toute la
64
Tous ces salaires sont des chiffres nets, hors primes et hors contrats publicitaires. 65
Chiffres donnés par le magazine Basket News en 2008 et cités par l’utilisateur « Guru » sur le site
Basket4life.com, à la page http://www.basket4life.com/les-salaires-des-basketteurs-de-la-pro-a-t8554.html le 18
septembre 2008. Page consultée le 12 février 2012 66
Chiffres fournis par le site salairemoyen.com selon la dernière enquête de l’INSEE de 2011, à la page
http://www.salairemoyen.com/france.html, page consultée le 4 mars 2012 67
Ndlr : les trois sports collectifs les mieux rémunérés en France
30
particularité de ce mythe moderne : il s’est répandu par la croyance mais aussi par l’envie.
C’est parce que l’idée est belle qu’elle s’est répandue, parce qu’elle fait rêver : chacun, sur un
pied d’égalité, peut arriver en haut de l’échelle sociale. En d’autres termes, le sport réussirait
là où la politique échoue. Les différents temps que nous avons décomposés jusqu’à présent
sont nécessaires pour comprendre le mythe : c’est parce qu’il y a eu démocratisation du sport
qu’il y a eu professionnalisation et donc qu’il y a eu médiatisation et commercialisation. C’est
l’ensemble, le tout, qui imprègne l’imaginaire collectif d’une possible ascension sociale par le
sport, que ce soit en termes de popularité ou de moyens financiers. Et comme le rappelait un
des joueurs de la JL Bourg Basket lors d’un entretien en 2011 :
- « C’est ça le sport maintenant. C’est du rêve en boîte pour tout le monde. Tout le
monde pense qu’il peut devenir riche. Parce que personne ne voit ce qu’il faut faire pour y
arriver. On te montre que l’argent et les paillettes. Donc forcément tout le monde en veut. Si y
avait pas tout ça, enfin j’veux dire, si y avait que la popularité, ça attirerait moins de monde.
Mais là y a tout : l’argent ET les fans. Alors laisse tomber forcément…Bien sûr que les jeunes
veulent y croire, vu ce qu’on leur montre. Quand tu vois ça de loin c’est le monde parfait, y a
que des avantages. Tout le monde pense qu’il peut devenir quelqu’un avec le sport. Tu vois
Zidane, t’as envie de faire pareil. Normal en même temps. »68
Le rôle du sport serait donc de faire rêver, ou au moins de laisser croire en une
égalité face au terrain, face au jeu, et donc face à l’avenir. Cette citation laisse déjà entrevoir
des limites de ce mythe et une désillusion par ceux qui sont au cœur du professionnalisme.
C’est-ce que nous allons tenter de cerner dans le discours des jeunes basketteurs : quelle est la
part de mythe vécu et quelle est la part de remise en question ? Si cette question sera au cœur
du développement, un dernier thème découle de la citation et permet d’expliquer pourquoi ce
mythe moderne est si bien ancré dans l’imaginaire collectif. C’est-celui de l’intégration par le
sport, liée à la mise en exergue de personnalités : ce qu’on appelle « l’effet Zidane »69
.
68
Entretien réalisé le 27 août 2011 avec un des joueurs de la JL Bourg Basket Pro souhaitant rester anonyme,
minute 39. 69
Expression employée par Mogniss H. Abdallah dans son article « L’effet Zidane ou le rêve éveillé de
l’intégration par le sport », in Hommes et Migrations, Juillet-août 2000, n°1226, pp.5-14
31
C/ L’intégration par le sport et le culte des personnalités
Comme nous l’avons compris, le champion est devenu un modèle
d’accomplissement qui alimente les ambitions d’ascension sociale. Le professionnalisme
restant limité jusque dans les années soixante-dix – quatre-vingt, la voie sportive pour la
mobilité sociale demeure marginale, même si le récit de la vie « des fils d’ouvrier immigrés
devenus footballeurs »70
, à l’image de Raymond Kopa, ou coureurs comme Michel Jazy, est
répété inlassablement, « comme pour faire perdurer la croyance en une possibilité
d’ascension offerte par un sport « ouvert » à tous et juste »71
. Ces deux exemples venus du
milieu du siècle dernier sont étonnamment modernes : ils lient ascension sociale et
intégration.
L’idée selon laquelle les sports peuvent servir à l’intégration sociale des jeunes est
aujourd’hui banale. Les discours des hommes politiques, les propos journalistiques, les avis
des acteurs du monde sportif et les prises de position du ministère chargé des sports sont
concordants pour ériger le sport comme école de la vie et comme facteur d’intégration sociale
par la normalisation des comportements des jeunes habitants de quartiers populaires72
.
Cette vision d’un sport intégrateur par nature est une idéologie qui se présente sous
les traits de l’évidence73
; elle s’inscrit dans une tradition, celle de l’instrumentalisation des
sports ; elle se développe dans un contexte, celui de la permanence de la « question sociale » ;
elle sert à promouvoir le sport et ses intérêts par la mise en avant d’une image éducative, et
elle contribue à faire croire que les problèmes sociaux dans les quartiers sensibles sont plutôt
liés à une problématique éducative et/ou culturelle, et donc individuelle, que sociétale et
économique74
.
70
M. Fodimbi, « Sport et intégration » in P. Arnaud, M. Attali et J. Saint-Martin (dir.), op.cit., p.105 71
Ibid. 72
Le secrétariat d’Etat aux Sports, à la jeunesse et à la vie associative a initié, début 2007, une politique de
valorisation de la fonction sociale et éducative du sport, qui vise notamment l’accès de tous à la pratique
sportive, et en particulier les publics les plus en difficulté. 73
A titre d’exemple, voir l’avis du conseil économique et social Nord-Pas-de-Calais du 26 septembre 2006
concernant la question « Comment la pratique du sport peut-elle être un outil d’intégration sociale, d’insertion et
de citoyenneté dans la région Nord-Pas-de-Calais ? », où il est indiqué : « Le sport est, selon certains
sociologues avertis, un lieu d’intégration avec l’école, le travail et la famille. En effet, il est une école de
discipline et d’apprentissage de la vie collective et des règles, il intègre naturellement les jeunes. » 74
On voit cela notamment à travers les propos du Michel Fodimbi, qui rajoute que « Cette vision des choses
s’est accentuée depuis 2002, comme en témoigne l’orientation répressive de l’action publique à destination des
quartiers sensibles, en considérant que la politique de prévention/intégration aurait échoué (voir la loi n°2002-
1138 d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, dite « loi Perben »). Tout cela
32
Comme le note Michel Fodimbi, les rapports entre sport et intégration ont été
construits « essentiellement au cours des deux dernières décennies du XXe siècle »75
. Ils
s’inscrivent dans un contexte social, politique et économique, celui de la montée du chômage
des jeunes et de l’apparition de la « question des banlieues », mais aussi dans une continuité
historique, une « tradition française » d’instrumentalisation des sport. Dans les années quatre-
vingt, le développement de manifestations de violence urbaine76
attire l’attention des pouvoirs
publics sur les conditions de vie de la population des « quartiers d’exil »77
. Les jeunes, et
notamment ceux d’origine étrangère, sont particulièrement concernés par un processus de
marginalisation dont l’apparition est corrélée à des facteurs de fragilité sociale tels l’échec
scolaire, le chômage ou encore la dissolution de la famille. Cette surconcentration de
caractéristiques sociales défavorables conduit à la « galère »78
. Des révoltes contre ces
situations de misère, d’exclusion et de racisme se cristallisent lors d’incidents avec la police et
prennent la forme d’émeutes urbaines. Le pouvoir politique, par l’intermédiaire des
collectivités territoriales et locales mais aussi du ministère de la Ville, met en place dans
l’urgence une série de mesures visant à restaurer le calme dans les cités en voie de
« ghettoïsation ». Des mesures sociales à visée éducative y tiennent une place privilégiée, et
les sports entrent dans les dispositifs d’intervention sociale à destination des « jeunes en
difficultés ». C’est ainsi que l’objectif assigné au sport dépasse immédiatement le simple
souci occupationnel, ceux-ci étant érigés comme moyen privilégié de restauration du lien
social, d’insertion des jeunes, de développement de la citoyenneté ou encore d’intégration des
enfants étrangers.
Ce nouveau rôle attribué au sport pose question. Car au cours de leur brève histoire,
les sports modernes ont servi à des finalités opposées : « régénérer la race française79
,
s’accompagne de discours qui assimilent jeunesse, immigration et délinquance, et qui proposent le recours aux
pédopsychiatres afin d’intervenir le plus tôt possible à l’égard de la « déviance ». » (M. Fodimbi, op.cit. p. 171) 75
Ibid. , p.172 76
« Les Minguettes » à Vénissieux, est la première cité où se manifestent sous formes d’émeutes urbaines, en été
1981, les difficultés à vivre des habitants et la « galère » des jeunes. 77
F. Dubet et D. Lapeyronnie, Les quartiers d’exil, Le Seuil, Paris, 1992, p. 12 78
F. Dubet, La Galère. Jeunes en survie, Fay’ard, Paris, 1987, p. 17 79
« L’enthousiasme des Français provient bien d’un effet de masse qui génère indirectement une véritable prise
de conscience sur le rôle que le sort peut jouer à l’échelle d’un pays. Du coup, les responsables tricolores
n’hésitent pas à reprendre largement les mêmes arguments patriotiques, eugénistes et récréatifs. Ainsi Henry
Paté lance-t-il aux journalistes réunis pour visiter le stade Pershing : « Ils (les américains) ont fait cela afin de
donner au peuple français le moyen de régénérer sa race, nous qui avons vu là-bas, sur les champs de bataille, la
plus belle jeunesse fauchée par les balles ennemies. » […] Les journalistes ne sont pas en reste qui estiment que
« les maîtres de nos destinées ont enfin compris que le sort n’est plus seulement un jeu d’enfant, mais qu’il est
33
développer l’esprit de conquête, préparer à la guerre, démontrer la suprématie de l’Est ou de
l’Ouest mais aussi éduquer, socialiser, renforcer la cohésion sociale…tout en étant au service
du consumérisme actuel. »80
Les vertus du sport seraient pour le moins contradictoires et
paradoxales. Mais l’utilisation des sports à des finalités de cohésion nationale s’inscrit dans
une tradition historique française. Pierre Arnaud81
repère ainsi quatre modèles d’intégration82
qui rendent compte des différents objectifs assignés aux sports selon les pays, les régimes
politiques et l’état de développement social des sociétés. Le quatrième modèle, celui de
l’intégration nationale et civique, nous intéresse plus particulièrement. Il repose « sur une
analyse sociopolitique de la participation et de l’adhésion consensuelles aux principes
révolutionnaires de l’Etat républicain. […] Ce modèle postule que l’intégration n’est possible
que par l’assimilation de population adhérant volontairement aux valeurs et aux principes
d’une République, une et indivisible »83
. Cela passe par la participation aux institutions
nationales et républicaines que sont l’école et l’armée. Instrumentalisés par ces institutions, la
gymnastique puis les sports ont servi à mettre en place un habitus républicain.
L’instrumentalisation du sport à des fins d’intégration, qui se développe à partir des
années quatre-vingt et qui se perpétue aujourd’hui s’inscrit dans cette logique. La population
visée est-celle des jeunes en difficulté socialement, principalement immigrés ou d’origine
immigrée et essentiellement maghrébine. Sur un fond de racisme qui considère que les
différences culturelles et cultuelles liées à l’origine ethnique sont les principaux facteurs qui
expliquent la « crise des banlieues », toute cette population est sommée de faire des efforts
pour s’intégrer. C’est ainsi que naissent les figures de « l’intégré », celui qui fait les efforts et
qui ressemble aux « Français de souche », et de celui qui n’a « pas réussi à
« s’intégrer » : pauvre ou désaffilié, […] [il] n’a pu « s’émanciper » des multiples critères
culturels, religieux, phénotypiques que l’on a progressivement opposés à « l’identité
aussi une force, une sauvegarde et une distraction. Notre peuple, avec la loi des huit heures, aura besoin de
distractions : si elles sont sportives, si elles se passent loin du bistrot et du cinéma, l’avenir de notre race est
sauf. » (Tierry Terret, Les Jeux interalliés de 1919. Sport, guerre et relations internationales, coll. « Espaces et
temps du sport », l’Harmattant, Paris, 2003, p.78) 80
M. Fodimbi, op.cit., p.174 81
P. Arnaud, « Sport et intégration ; un modèle français », in Centre de recherche et d’innovation sur le sport,
Université Lyon 1, « Sport et banlieue », Spirales, n°10, 1996 82
Le modèle socioculturel relatif aux sociétés locales dans lequel les jeux et les fêtes participent à l’intégration
culturelle ; le modèle étatique de soumission de l’individu à l’Etat, le modèle socio-éducatif d’intégration par le
self-government et le modèle de l’intégration nationale et civique. 83
Pierre Arnaud, op.cit., p.15
34
française » en les rattachant à la figure de « l’immigré » ».84
L’excellence sportive, vue sous
les traits de Zinedine Zidane, de Djamel Bourras ou encore de Brahim Asloum est présentée,
dans les discours politiques et journalistiques, comme l’exemple de l’intégration réussie. Mais
plus encore, ces discours et la prédominance de la figure de Zidane, le « gamin des cités » qui
gagne à présent 1,2 million d’euros par mois, laissent croire dans l’imaginaire collectif à une
quasi exhaustivité des classes populaires comme milieu d’origine des sportifs professionnels.
Comme le rappelle Nadir Djennad, « on a souvent vu, ces derniers temps, des reportages sur
des jeunes sportifs issus de l’immigration qui ont réussi, comme Zinedine Zidane ou Djamel
Bourras. Dans ces cas, l’accent est mis sur le sport, qui est facteur d’intégration. On a pu
voir plusieurs reportages dans les banlieues, où des jeunes essaient de « s’en sortir » en
jouant au football ou en pratiquant la boxe thaïlandaise. Des journalistes ont posé des
questions du style : « S’il n’y avait pas le sport, seriez-vous tombé dans la
délinquance ? » »85
.
Le sport est ainsi montré comme seul échappatoire aux problèmes sociaux dont
souffrent les jeunes, immigrés ou non, des quartiers populaires. Eux-mêmes voient donc dans
le sport le moyen de « sortir du quartier ». A force de stigmatisation médiatique, ces jeunes
croient ce qu’ils entendent et le sport devient, pour une partie au moins, l’unique porte de
sortie86
.
L’hypothétique ascension sociale par le sport que nous nous sommes attachés à
définir jusque-là fait particulièrement sens chez ces jeunes en tant que « remède » à leurs
« maux ». Les sportifs issus des mêmes milieux qu’eux et qui ont réussi deviennent dès lors
des héros tenus en modèles. Plus encore, ces champions sont la preuve vivante qu’il est
possible de réussir, de « s’en sortir » par le sport et que l’ascension sociale existe dans une
réalité proche. Les aînés sont donc imités, copiés et régulièrement, un nouveau joueur issu
d’un quartier défavorisé accède au devant de la scène. C’est particulièrement le cas pour le
84
M. Rigouste, « L’immigré, mais qui a réussi… », Le Monde diplomatique, juillet 2005 85
N. Djennad, « Devenir journaliste pour un jeune issu de l’immigration », Migrations société, vol.13, numéros
75-76, mai-juin 2001 86
Cette porte de sortie, dans l’imaginaire collectif, peut être jouée par d’autres acteurs de la vie contemporaine
que sont le cinéma, le « stand-up » ou la chanson, révélés principalement par l’émergence des télé-réalités
proposant à des inconnus ay’ant un « don », un « talent », de le mettre en avant à la télévision. Ces nouveaux
items n’étant pas au cœur du sujet, nous ne les développeront pas ici mais il est important de noter leur
croissance dans l’imaginaire collectif, même si cette possibilité d’élévation sociale n’est pas encore légitimée par
des discours officiels, à la différence du sport.
35
football, le sport le plus médiatisé en France. Depuis Zidane, plusieurs footballeurs de
« banlieues » ont atteint le plus haut niveau national voire international : Nicolas Anelka,
originaire de Trappe et qui n’aura de cesse de le répéter, Karim Benzema qui vient de
Vénissieux ou encore Franck Ribéry du quartier du « Chemin Vert » à Boulogne-sur-Mer. Ce
dernier fait l’objet de nombreuses railleries en raison de sa difficulté à s’exprimer dans un
français correct mais est devenu le modèle du jeune français de quartier populaire, à la
scolarisation difficile, qui est devenu riche et célèbre grâce au football. Le sportif français le
mieux payé rappelle d’ailleurs très régulièrement à ses « frères du quartier » qu’il « pense à
eux », qu’il « n’oublie pas d’où il vient » et que « tout le monde peut faire comme lui »87
. Si
ces personnalités ultra-médiatisées pratiquent surtout le football, elles imprègnent
l’imaginaire de l’ensemble des sports. C’est-ce qu’on peut noter au regard de tous les
entretiens réalisés auprès des jeunes basketteurs du centre de formation de la JL Bourg Basket
Pro. A la question qui vise à savoir si, selon eux, le sport permet une ascension sociale dans la
société, tous ceux qui ont répondu « oui » ont pris le football en exemple, à l’image
d’Etienne :
- « Ah ben ça c’est sûr. Enfin quand tu vois genre Zidane, il est parti de rien. Et
aujourd’hui il est vraiment riche. Ça c’est grâce au sport ! Et y en a d’autres. Je sais pas,
Ribéry par exemple, c’est pareil. »88
Cet extrait est révélateur de l’idée qui circule dans l’imaginaire collectif.
Immédiatement, Etienne n’avait que deux exemples en tête, ceux de footballeurs. Pourtant, il
est convaincu que l’ascension sociale est permise par le sport. Pas un des joueurs n’a cité un
basketteur comme exemple de cette ascension mais dix sur les onze pensent qu’elle est bien
réellement possible. Ceci est notamment dû à l’importance que les médias donnent à ces
personnalités : ce sont celles dont on entend le plus souvent parler et dont l’histoire
personnelle est ressassée. On n’entend peu souvent parler de l’origine sociale de ceux pour
qui elle était aisée. Qui sait par exemple que le père d’Hugo Lloris, gardien de l’équipe de
France de football, est directeur de banque tandis que sa mère est conseillère juridique à
Monaco ? La difficulté pour trouver cette information sur internet montre toute la négligence
qui est attachée à son parcours par les bloggeurs et journalistes du web. N’étant ni
87
Interview pour « Téléfoot » sur TF1 diffusée le 13 novembre 2011 88
Entretien avec Marius réalisé le 18 avril 2012, minute 27
36
extraordinaire ni atypique, celle-ci est relatée dans très peu d’articles et c’est sur le site du
quotidien Libération89
que l’information est disponible le plus aisément. Dans le même temps,
toutes les pages et articles ou presque d’un des joueurs cités plus haut révèlent immédiatement
son origine sociale.
On peut expliquer cette différenciation par l’enthousiasme que les masses révèlent à
l’égard du parcours sportif des « petits » qui ont réussi, au contraire de l’indifférence pour
ceux des joueurs qui viennent de milieux sociaux plus aisés. Les journalistes, suivant cette
tendance, n’ont de cesse d’impliquer l’historique des joueurs dans leur performance actuelle.
Modèles de réussite, d’intégration et d’ascension, ces footballeurs se font à première vue les
parfaits ambassadeurs des jeunes générations de milieux populaires. Ils sont la
personnification de l’idée commune qui lie ascension sociale et sport. C’est-ce qui a permis de
répandre le rêve du « Pourquoi pas moi ? » dans l’imaginaire collectif. Bien sûr, ceux qui sont
en haut de l’échelle sociale pensaient de la sorte depuis bien longtemps et l’idée était déjà
présente dans les classes moyennes. Mais ces modèles, ces exemples répétés de la réussite par
le sport dans le football et ce depuis la Coupe du monde 1998, quand Zidane est devenu l’élu
d’un peuple, ont laissé la promesse d’une possible ascension sociale dans les classes
populaires de la société. C’est donc désormais toute la nation qui est imprégnée par ce mythe
moderne : le sport offre à chacun une chance de réussite, pour peu qu’il s’en donne la peine. Il
est un vecteur important de l’intégration et les médias se chargent d’entretenir le culte de ces
nouvelles personnalités du sport, de mythifier leur parcours. Bien sûr, comme nous l’avons
montré avec les exemples de Kopa et de Jazy, cet intérêt porté aux sportifs venant des classes
populaires n’est pas nouveau. Cependant, la démultiplication de la portée et des techniques
des médias et la démocratisation du sport ont largement accentué ce phénomène.
On remarque même que les différents présidents de la République française ont
contribué à accentuer ce phénomène. Jacques Chirac, entre autres, a à de nombreuses reprises
utilisé la métaphore sportive et l’image des sportifs vainqueurs pour mettre l’accent sur la
France qui gagne et sur le caractère exemplaire du sport, où tout un chacun peut réussir, à
l’instar de l’équipe de France de football « Black-blanc-beur »90
. De même, dans son discours
89
http://www.liberation.fr/sports/0101632291-hugo-lloris-gardien-a-bonne-distance, page écrite le 27 avril 2010
et consultée le 3 avril 2012. 90
« Expression vulgarisée dans les années 1990, pour désigner la France multi-ethnique (par comparaison au
drapeau bleu, blanc, rouge) ; cette expression provient peut-être du titre Black and white blues, chanson de Serge
37
« Oser le sport » du 30 mai 200691
, Nicolas Sarkozy présente cette activité comme parée de
pouvoirs essentiels, pour l’individu et pour la France. Il affirme que « le sport enseigne la
persévérance et l’acceptation de l’inévitable alternance entre l’échec et la réussite […]. En
mettant chacun devant ses limites physiques, sans pouvoir se retrancher derrière les artifices
du savoir, de la richesse ou du langage, le sport révèle les qualités profondes de l’être que
sont le courage, le goût du risque, la volonté ou encore le dépassement de soi. »92
Il ajoute à
cela un principe de cohésion sociale et dit à ce sujet que « ce qui est capital […], c’est que le
sport reste cet espace unique de sociabilité où les Français de toutes conditions, de toutes
origines et de tous milieux sociaux se rencontrent et partagent les mêmes efforts et les mêmes
émotions. Alors que la ségrégation sociale et urbaine ne cesse de s’aggraver, les clubs de
sport et les compétitions sportives sont parmi les derniers lieux où l’on n’est rien d’autre […]
qu’un être qui transpire, qui souffre, qui gagne ou qui perd ; un homme ou une femme qu’on
aide parce que, dans le sport, on gagne tous ensemble ou l’on perd tous ensemble »93
. Le
sport est présenté comme une activité que tout individu a intérêt à pratiquer afin d’être mieux
éduqué, mieux portant et mieux intégré. Plus encore, le personnage qui incarne la plus haute
fonction de l’exécutif français rappelle que le sport se joue sur un terrain d’égalité, où
absolument tout le monde peut réussir.
Dans l’idée d’un sport pour tous, où la méritocratie semble être le maître mot, la
possibilité d’ascension sociale paraît évidente. Ehrenberg parle d’une « illusion réaliste »94
,
dont la fonction est de résoudre un des dilemmes centraux de la condition démocratique : cette
tension jamais résolue entre égalité de principe et inégalité de fait. La compétition sportive
dénoue cette tension. D’où la popularité du sport! Il parvient à réaliser dans l’ordre
symbolique ce que le politique échoue à faire advenir dans le réel : la prise de l’individu sur
son destin, la réussite d’un anonyme qui réalise la promesse faite à tous, et qui est, enfin, « à
la hauteur ».C’est ainsi que ce mythe moderne a été peu à peu construit dans l’imaginaire
collectif et continue d’être façonné, depuis la démocratisation du sport jusqu’à son
hypermédiatisation. Alors, comment les jeunes joueurs en centre de formation interprètent-ils
ce mythe, et de quelle façon celui-ci marque-t-il leur parcours ?
Gainsbourg interprétée par Joëlle Ursull à l'Eurovision en 1990 (elle obtint la deuxième place); ou de la
compagnie de danse hip hop du même nom créée par Jean Djemad et Christine Coudun en 1984 »
(http://fr.wikipedia.org/wiki/Beur, page consultée le 16avril 2012) 91
N. Sarkozy, « Convention pour la France d’après. Oser le sport », Paris, 30 mai 2006 92
Ibid. 93
Ibid. 94
A. Ehrenberg, Le culte de la performance, Hachette, coll. « Essai », Paris, 2008, p.47
38
Après avoir analysé la totalité des entretiens, il ressort que le premier thème prégnant
est-celui de l’éducation, à la fois scolaire et familiale.
39
Section 2 : Le milieu scolaire, en opposition ambigüe avec le
monde sportif
Comme nous l’avons compris à travers l’explication de la construction du mythe, le
sport permettrait à tous, dans l’idéal mis en exergue par les médias, de devenir riche et
célèbre. En ce sens le sport serait un formidable moyen d’ascension sociale. Cette idée rejoint
en tant que telle celle de l’idéal démocratique républicain qui veut que chacun, par la force de
l’envie et du courage, quel que soit son origine sociale, puisse connaître une ascension sociale
sans limite. C’est d’ailleurs ce qui est inscrit au fronton de chaque mairie française et qui
s’inscrit dans la devise nationale : « l’égalité ». Tous les citoyens doivent dès lors pouvoir
s’émanciper et, par le travail, ne pas être limités à leur position sociale d’origine. Cette
mobilité sociale est-censée être rendue possible par un outil républicain, commun à tous et
obligatoire pendant au moins dix ans95
: l’école. Cet établissement doit être, dans l’absolu, le
garant de l’égalité des chances : étant donné que le programme est le même pour tous, il n’y a
a priori pas de raison que les différences d’origine sociales aient une influence sur la
scolarité. En d’autres termes, l’idéal est exactement le même que celui donné au sport. Le
moyen de permettre la mobilité sociale diffère mais le but est le même. Sauf
qu’historiquement, l’école a été le premier promoteur de l’égalité des chances, c’est l’outil
« traditionnel » de la République. Et c’est donc parce que ce modèle a montré ses limites que
sa « mission » a aussi été confiée au sport. Comme n’hésite pas à le dire Nicolas Sarkozy, le
sport est « cet espace unique de sociabilité où les Français de toutes conditions, de toutes
origines et de tous milieux sociaux se rencontrent et partagent les mêmes efforts et les mêmes
émotions. Alors que la ségrégation sociale et urbaine ne cesse de s’aggraver […] »96
. Or
l’école, dans sa définition première, « accueille tous les enfants, tels qu’ils sont aujourd’hui,
sans discriminations, dans la diversité de leurs conditions, de leurs cultures »97
. D’un côté, le
sport est présenté comme « l’espace unique de sociabilité »98
, mais de l’autre, on comprend
95
La scolarité est obligatoire pour chaque citoyen français à partir de 6 ans et jusqu’à 16 ans, sauf dérogation
spéciale. 96
N. Sarkozy, op.cit. 97
« Débat sur l’école », Ligue de l’enseignement, 2004 98
Ibid.
40
que ce devrait être le rôle de l’école. L’échec de l’égalité face à la scolarité semble être trop
grand et l’origine sociale reste aujourd’hui le facteur déterminant dans la réussite scolaire99
.
C’est tout du moins ce qui ressort du discours de l’ancien président de la République : c’est
désormais au sport d’assurer l’égalité des chances dans la course au succès, car c’est le lieu où
toutes les différences semblent être gommées. Bien entendu, comme nous l’avons compris
précédemment, ce rôle conféré au sport n’a rien d’ « évident » et fait suite à de nombreux
autres rôles, qui s’inscrivaient eux aussi dans un contexte social, économique et politique.
L’idée qu’une ascension sociale par le sport est possible est en fait une réponse à un problème
sociétal contemporain : celui de l’immense inégalité des chances chez les jeunes. En faisant
du sport un nouvel espoir d’avenir, on clame que si l’école ne remplit plus son devoir premier,
ce n’est pas forcément un problème : pour tous les défavorisés, tous les « laissés pour
compte », autre chose est possible. Et cet autre chose, c’est le sport professionnel. En
montrant, tel qu’on l’a décrit, tout l’argent disponible dans le milieu sportif et, en insistant sur
les parcours de jeunes de banlieues ayant atteint le sommet mondial dans une discipline, on
laisse croire que ce monde est ouvert à tous.
Le sport professionnel comme vecteur de mobilité sociale se construit donc, si ce
n’est en opposition, en parallèle à l’école. On comprend bien ici le rapport de force qu’il
existe aujourd’hui entre scolarité et sport professionnel. Or, les joueurs du centre de formation
qui ont été interrogés dans le cadre de cette recherche sont à mi-chemin entre les deux mondes
et ont donc un avis particulier sur la question. Comme le rappelle l’entraîneur du centre de
formation :
- « Les gamins qui jouent ici sont tous au lycée. Et depuis que le centre de formation
existe, tous les joueurs qui sont passés ici sont sortis avec leur cursus entamé réussi. C’est un
bac général pour certains, un bac technique pour d’autres ou bien un engagement en terminal
pour ceux qui ont déjà redoublé. Quand on avait des joueurs étrangers, c’était même un
99
Ce phénomène de « reproduction sociale » a notamment été étudié par Bourdieu et Passeron dans Les
héritiers. Les étudiants et la culture, paru en 1964. (P. Bourdieu et J.C. Passeron, Les Héritiers. Les étudiants et
la culture, Minuit, Paris, 1964) Par l’exemple d’étudiants, ils montrent comment la position des parents
constituent un héritage pour les enfants, d’où le nom de l’essai. Ces héritiers gagnent par la naissance une bonne
position sociale tandis que les « déshérités » sont voués à conserver une position sociale basse. Les deux auteurs
ont continué cette analyse dans La Reproduction (P. Bourdieu et JC Passeron, La Reproduction, Minuit, Paris,
1970) où ils expliquent que le système d’enseignement exerce un « pouvoir de violence symbolique » qui
engendre inévitablement une reproduction de la hiérarchie sociale. Voir aussi, entre autres, les travaux de F.
Dubet, M. Cherkaouidu ou B. Lahire
41
brevet français. Mais dans tous les cas, ils réussissent. L’école est pour nous une priorité.
Mais ils s’entraînent tous les jours ou presque100
et forcément, le basket, c’est très très
important. Leur vie se partage entre le basket et les études pendant trois ans. Ils ont peu de
temps libre, et on exige qu’ils fassent les deux à fond. Mais la première priorité c’est le
basket. »101
Mais tous les joueurs n’ont pas le même vécu et la même origine sociale. Il s’agit
donc de comprendre comment le rapport à la scolarité et donc par opposition au mythe change
quand la position sociale varie. A première vue, on pourrait croire que les publics visés par les
deux milieux ne sont pas les mêmes : les classes moyennes et aisées considéreraient l’école
comme le moyen de réussir tandis que le sport attirerait plutôt les classes populaires. Ce
cliché doit immédiatement être remis en cause.
A/ Quand sport et école ont le même public
Par ce que nous venons d’expliquer, on pourrait penser que certains joueurs du centre
de formation, en ce qui concerne leur avenir, sont tournés vers le basket tandis que d’autres
accordent plus d’importance aux études. Ce qu’on constate à l’analyse de l’ensemble des
discours est singulièrement différent. En effet, on distingue deux types de joueurs : ceux qui
réussissent, et les autres. En d’autres termes, ceux qui réussissent le mieux au basket sont
aussi ceux qui s’en sortent scolairement.
On peut comprendre cela grâce aux réponses des joueurs, bien entendu, mais aussi
par l’analyse qu’en propose leur staff. Dans le guide d’entretien prévu pour les deux
membres de l’encadrement, une question visait à savoir qui parmi les joueurs avait le plus de
chance d’être un jour professionnel102
. Cette question amenait nécessairement à un classement
entre les différents joueurs de l’équipe, et l’entraîneur n’a pas souhaité y répondre, par devoir
de réserve semble-t-il. Le directeur du centre a par contre répondu et a, sans hésiter ou
presque, classé les joueurs par potentiel de réussite dans le milieu professionnel. Ce
100
Ndlr : Les joueurs du centre de formation ont entraînement tous les jours du lundi au vendredi dont deux fois
le mercredi. Ils évoluent en championnat de France et se déplacent chaque weekend entre Antibes et Mulhouse,
pour prendre les extrémités géographiques de cette saison. 101
Entretien avec M. Madeleine, minute 14, p.4 102
On peut rappeler encore une fois que les joueurs du centre n’ont pas de contrat professionnel et n’ont donc
pas encore franchi l’étape qui fait passer du statut d’amateur à celui de professionnel rémunéré. Les joueurs
n’ont donc aucune certitude quant à leur chance de réussite dans le plus haut niveau du basket national ou
international.
42
classement permet une analyse verticale des discours des joueurs et de les classer à nouveau
par rapport à ce qu’ils ont dit. On se rend alors compte que ceux qui ont le plus de chances de
réussir dans le basket sont aussi de « bons » lycéens. On peut par exemple citer Tony qui
affirme :
- « Moi je pense que l’école c’est très important. Je suis en terminale S et j’espère
bien avoir mon bac. Après, je continuerai avec la JL si ma blessure se rétablit et je devrais
être avec l’équipe pro l’année prochaine. Mais je vais quand même essayer de faire un BTS
en même temps. »103
Comme on le comprend, Tony souhaite garder un réel contact avec le milieu scolaire.
Or, selon les dires du directeur du centre de formation,
- « Tony est un bon élève, il sait qu’il doit bosser. Jusqu’à ce qu’il se blesse104
, il
faisait tous les entraînements avec l’équipe pro et on lui a fait signer un contrat pour l’année
prochaine. C’est la deuxième plus grosse chance de réussite de l’équipe. Il a déjà été
sélectionné en équipe de France avec qui il a fait plusieurs tournois. Même si sa blessure a
été un coup dur, je crois qu’il a un vrai potentiel »105
.
Et cela est encore plus probant avec l’exemple de Nicolas, classé par le directeur
comme meilleure chance de réussite en tant que joueur professionnel parmi l’effectif du
centre de formation. Il vient d’intégrer l’équipe de France cadet, c’est-à-dire des moins de 17
ans, pour participer aux championnats du monde en Serbie en juillet 2012. Ayant donc de
réelles chances de réussir dans le basket, Nicolas ne s’arrête pas là puisque le directeur du
centre de formation a affirmé, lors d’une discussion informelle après l’entretien alors que le
dictaphone enregistrait toujours :
- « C’est un excellent gamin. Tout est dit. Il vient d’intégrer l’équipe de France, il a
16 de moyenne en Première scientifique, il est discret et poli. Qu’est-ce que tu veux de plus ?
Bien sûr que je le mets numéro un, il fait tout ce qu’on lui demande et il le fait bien. »106
103
Entretien avec Tony, minute 17, p.5 104
Ndlr : un problème important au genou qui l’a empêché de jouer environ six mois et qui n’est toujours pas
rétabli. 105
Entretien réalisé avec M. Fauchelevent le 3 mai 2012, minute 33, p. 8 106
Ibid., partie non retranscrite car étant enregistrée après la fin de la discussion officielle et ne faisant donc pas
partie de l’accord passé sur les modalités de l’entretien.
43
La clarté de ce discours au sujet de la réussite de Nicolas est pour le moins
convaincante. D’autant plus que le directeur du centre surveille les joueurs en étude au lycée
deux heures par semaine et qu’il assiste à tous les conseils de classe. De même, il participe
aux séances quotidiennes d’entraînements et fait les déplacements le week-end à l’occasion
du match. Il connaît donc particulièrement bien les joueurs, leur parcours scolaire et sportif.
Si l’exemple des deux joueurs qui ont le plus de « chances » de réussir sportivement
est parlant, on remarque aussi que l’association entre niveau scolaire et sportif est perceptible
chez tous. Ainsi les joueurs de niveau « moyen » comptent poursuivre des études classiques,
à la faculté ou en BTS. Par exemple, Steed explique :
« Ça fait longtemps que je sais que je ne pourrais pas être pro. Mais c’est comme ça,
j’en suis conscient. […] Je vais donc poursuivre des études plus classiques l’année prochaine
après mon bac. Je vais laisser un peu le basket de côté. Enfin je pense bien me trouver un p’tit
club pour jouer mais en m’investissant beaucoup moins. Je pense aller à la fac de médecine.
[…]Je sais que ça va être dur mais j’ai envie d’essayer. On verra bien ! [rires] »107
On parle de niveau « moyen » en rapport au classement donné par le directeur du
centre, M. Fauchelevent. En effet, celui-ci a distingué parmi les onze joueurs trois catégories.
La première, constituée de trois joueurs, équivaut à ceux qui ont une réelle chance d’être pro.
La seconde, comprenant six adolescents, correspond à un niveau qu’il a décrit comme
« moyen »108
et qui ont peu de chance de succès dans le monde du sport, tout du moins en tant
que joueurs. Enfin, les deux derniers joueurs sont, pour reprendre son expression, « pas
bons »109
et ont d’ailleurs été renvoyés du centre de formation à la fin de l’année. Les deux
joueurs avaient confié lors de l’entretien que leur scolarité était compliquée, et notamment
Marius qui livrait :
- « Ben je suis en seconde mais j’ai du mal, enfin j’ai la moyenne quoi mais faut
passer du temps à travailler. Je sais pas encore ce que je ferai, je vais essayer d’avoir le bac
quand même et on verra ensuite. »110
107
Entretien réalisé avec Steed le 5 avril 2012, minute 11, p.4 108
Entretien réalisé avec M. Fauchelevent, op.cit., minute 29, p.9 109
Ibid. 110
Entretien réalisé avec Marius le 17 avril 2012, minute 17, p.5
44
L’objectif était exactement le même pour Yven, l’autre joueur renvoyé. Il apparaît
donc que le lien entre basket et étude n’est pas celui que l’on pourrait croire : les joueurs qui
réussissent dans leur sport sont les mêmes ou presque que ceux qui réussissent scolairement.
En effet, les trois joueurs de la première catégorie du classement ont semblent-ils de grandes
chances d’obtenir leur bac et sur les six joueurs de la seconde catégorie, un seul est en légère
difficulté scolaire. Cela est largement compréhensible quand on connaît la politique de
recrutement des joueurs : ils sont sélectionnés sur leur niveau de basket, après des tests
techniques et physiques, mais aussi sur le sérieux de leur dossier écolier. A ce sujet,
l’entraîneur M. Madeleine est d’ailleurs très clair :
- « On ne prend que des joueurs qui ont un dossier scolaire sans problème. On est
très attentif à ça. C’est-à-dire qu’un joueur, même si il est excellent au basket, s’il pose des
problèmes en classe, qu’il a redoublé et qu’il n’a pas corrigé sa façon de travailler ou bien
qu’il a un dossier trop faible, on ne le prendra pas. Pour nous, la première priorité c’est que
les élèves complètent leur cursus. Donc oui, on a déjà refusé des joueurs qui étaient peut être
meilleurs techniquement, qui avaient un plus gros potentiel basket, mais on savait qu’on allait
avoir des problèmes. On a un contrat avec le lycée St Pierre et si on veut que ça continue, on
doit faire en sorte que les joueurs soient sérieux au lycée. C’est pour ça qu’ils ont un temps
d’étude obligatoire chaque soir. Après, ça dépend des années, des joueurs qui viennent. On
laisse aussi des chances à certains joueurs qui n’ont pas forcément un dossier excellent après
les avoir rencontrer. Mais des fois, comme cette année, ça ne marche pas. »111
Le mode de sélection des joueurs crée donc ce lien entre réussite sportive et scolaire.
Le filtre à l’entrée du centre de formation étant très important, beaucoup de joueurs sont
recalés chaque année en raison de leur dossier trop faible.
En outre, ce que l’on observe aussi est que ce mode de sélection est propre au centre
de formation de la JL Bourg et que chaque club formateur s’organise comme bon lui semble.
Comme le rappelle M. Madeleine,
- « Chaque centre fonctionne comme il en a envie, et je sais que certains, surtout
dans les niveaux inférieurs, ne donnent pas d’importance aux études. Chez nous les joueurs
111
Entretien réalisé avec M. Madeleine, op.cit, minute 17, p.4-5
45
sont tous logés au même endroit et on contrôle. A d’autres endroits, ce n’est pas la même
chose. »112
Cela rappelle avec justesse que le cadre étudié est particulier : c’est un centre de
formation où la place accordée à la scolarité est réelle. Après avoir appelé plusieurs autres
centres de formation, il est clair que cette priorité n’est pas partout la même. Je peux par
exemple citer l’entraîneur d’un centre de formation parisien qui disait que « le basket est un
sport de grand. Quoi qu’on fasse, il faut des grands. Et s’ils n’ont pas le niveau scolaire, il
nous en faudra quand même. Alors on les prend, tant qu’ils permettent de gagner des
matchs. »113
Il faut donc, tout au long de la recherche, avoir conscience que les résultats
auraient pu être tout autres si le centre de formation choisi avait changé. Cela étant, il est ici
certain que le sport et l’école ne sont pas en opposition mais touchent le même public, réussir
à l’école étant même le moyen inéluctable pour pouvoir jouer au basket. Plus encore, si les
résultats chutent au lycée ou sont en baisse notable, les joueurs peuvent être « privés
d’entraînement, jusqu’à ce que les résultats remontent. »114
Par contre, comment les joueurs pensent-ils gérer l’association entre études et
basket à la suite du lycée?
B/ Sport de haut niveau et étude : deux univers compatibles ?
Si les joueurs du centre de formation doivent nécessairement avoir des résultats
satisfaisants au lycée, leur cursus change à la fin des années de « cadet », qui équivalent aux
trois années de lycée. Cette année, l’équipe première du club est en Pro B et il n’y a donc pas
de catégorie « espoir », qui correspond aux trois années après le bac, et qui est réservée aux
clubs jouant dans le championnat élite français, la Pro A. Mais le club espère bien retrouver115
une place dans ce championnat d’ici deux ans, ce qui recréerait une catégorie espoir. Celle-ci
est dans les esprits de tous, entraîneurs comme joueurs, puisqu’elle est la transition la plus
logique entre le sport amateur et le monde professionnel. En réponse à la question qui tend à
savoir ce que comptent faire les joueurs après leur bac, six sur les dix ont parlé de
112
Entretien réalisé avec M. Madeleine, op.cit., minute 22, p. 6 113
Discussion téléphonique avec un entraîneur de centre de formation de la périphérie parisienne, propos
recueilli à la main et non retranscris en intégralité le 12 mai 2012 114
Entretien avec M. Madeleine, op.cit., minute 11, p.3 115
Le club a évolué en Pro A de 2000 à 2007
46
championnat « espoir ». C’est par exemple le cas de Dorian, le troisième joueur ayant « le
plus de chance de réussir ». Il explique :
- « Quand tu sors de cadet, la différence physique elle est vraiment dure avec les
pros. C’est chaud de passer de l’un à l’autre comme ça. Du coup, j’aimerais bien jouer en
espoir pour pouvoir plus prendre le temps avant d’être peut être pro. Donc si la JL remonte en
pro A, je pense que je resterai là, sinon je trouverai un autre club. »116
Ce type de discours a été à peu de choses près le même chez les six joueurs qui ont
cité la catégorie espoir, avec pour objectif premier de l’intégrer à la suite des années de centre
de formation117
. Cependant, on note une différence chez un des joueurs, François, qui assure :
- « Je vais tenter de rejoindre une équipe espoir. Mais je ne suis pas sûr d’y arriver
du coup je vais tout miser sur mes études. Je m’en sors très bien au lycée, je suis en S et
j’aimerais aller dans une école d’ingénieur. Ça me permettrait d’être sûr de m’en sortir,
d’avoir un métier tout ça. […] Par contre, je ne pourrai plus continuer le basket de la même
façon. A ce niveau-là, c’est soit l’un soit l’autre. »118
La dichotomie entre qualité des études supérieures et niveau de basket fait ici sens et
le choix semble nécessaire : c’est soit l’un soit l’autre. Si François a choisi, ce n’est pas le
seul. Les cinq interviewés n’ayant pas mentionné le championnat « espoir » ont eu une
réponse du même type. Ronny explique ainsi qu’il va « faire une fac pour devenir prof de
sport. »119
, tandis que Luc souhaite s’« orienter vers un IUT de communication »120
. Tous
deux expliquent aussi vouloir jouer au basket « pour le plaisir, à un niveau inférieur, juste
comme ça »121
, en confirmant, comme le dit Luc :
- « On ne peut pas suivre des études supérieures et continuer à ce niveau de basket.
C’est possible au lycée parce que les cours…enfin ça va, tu vois, c’est pas non plus trop
116
Entretien réalisé avec Dorian le 18 avril 2012, minute 18, p. 5 117
La catégorie espoir ne donnant pas non plus droit à des rémunérations salariales, les joueurs sont encore
nécessairement en centre de formation mais ils distinguent les années « cadet » et les années « espoir ». 118
Entretien réalisé avec François le 17 avril 2012, minute 11, p.3 119
Entretien réalisé avec Ronny le 17 avril 2012, minute 26, p. 7 120
Entretien réalisé avec Luc le 18 avril 2012, minute 14, p.4 121
Ibid.
47
intense. Mais après le bac, il faut faire un choix. C’est pas possible d’être pro et de faire des
études, donc il faut choisir. »122
A l’inverse, Tony a déjà choisi sa priorité pour l’année à venir :
- « L’année prochaine je vais faire mon BTS, en trois ans au lieu de deux. Et je veux
le réussir pour avoir quelque chose à faire dans tous les cas. Mais je sais que ça va être très
compliqué. Le rythme physique est vachement soutenu en pro, c’est super chaud pour tout
faire, avec les déplacements le week-end. […] Pour l’instant, j’avais pas de priorité, c’était
autant le basket que les études. Mais l’année prochaine il va falloir choisir et j’crois que ce
sera quand même plus le basket. Je sais que plein de gens trouvent que c’est naïf et
inconscient mais bon, on verra bien… »123
Si l’association entre sport et étude semblait possible jusque-là, il est clair que l’après
bac diffère. Chacun choisit le domaine où il pense pouvoir réussir le mieux. L’idée de
« métier » pour gagner sa vie revient très souvent dans les entretiens, et le choix entre basket
ou école n’est pas anodin. On remarque que tous les joueurs classés comme « moyens »
pensent faire des études supérieures et arrêter le basket à haut niveau, sauf celui étant en
légère difficulté scolaire, Chris. Ce sont en fait les trois joueurs ayant le meilleur niveau
basketballistique ainsi que les deux ayant le moins bon qui pensent soit trouver un club
professionnel soit intégrer une équipe « espoir ». Cela rejoint la conclusion que nous avions
tirée du paragraphe précédent : ces deux joueurs ont a priori de sérieuses difficultés scolaires
et ne peuvent pas attendre beaucoup du supérieur. A l’inverse, les trois joueurs ayant de réelles
chances de parvenir à leur but de réussite sportive sont conscients de leur potentiel et croient
pouvoir avoir la « meilleure situation possible »124
grâce au basket. Chaque pensionnaire du
centre de formation fait donc un calcul coût/avantage sur le choix d’avenir qui lui est offert. Si
les études permettent un meilleur avenir que l’école, alors il vaut mieux s’engager dans cette
voie, et réciproquement. A ce jeu-là, les deux joueurs considérés comme plus faibles sont
perdants : ils ne semblent pas vraiment conscients de leur infériorité sur le terrain mais voient
bien que leur scolarité est défaillante. Ils s’accrochent donc à l’espoir de pouvoir faire du
basket leur métier, à la différence des autres joueurs qui ont l’air plutôt honnêtes et objectifs
122
Ibid. 123
Entretien réalisé avec Tony, op.cit., minute 25, p. 7 124
Ibid.
48
sur leur niveau de jeu et sur le choix le plus opportun à faire en conséquence. Mais la chute
annoncée, la révélation que le sport professionnel ne sera pas accessible pour les deux joueurs
ne peut être que dure, et elle l’a été. En apprenant qu’ils étaient renvoyés, les deux joueurs ont
été très surpris et ont toujours du mal à l’accepter. Tony confiait, quelques jours après le
renvoi de ses coéquipiers :
« Je trouve ça moche. On les a pris pour trois ans et ils sont virés à la fin de leur
première année. Pour eux le basket c’était un rêve, ils croyaient vraiment ça. Et là on leur dit
que c’est fini. C’était chaud tu vois, Marius il m’a dit qu’il avait plus rien à faire de sa vie,
que c’était la fin du truc. Il pleurait et tout, on l’avait jamais vu comme ça. Enfin il est
vraiment mal là j’crois, il s’en remet pas. Et puis Yven il va retourner dans sa banlieue
parisienne et il va s’remettre à faire des conneries. Là il était cadré, il faisait des efforts et
tout. Mais maintenant je le vois mal faire autre chose que des conneries. C’est pas évident sa
vie là-bas j’crois »125
.
Outre l’échec sportif difficile, un autre thème est abordé ici en filigrane : celui de la
différence d’origine sociale.
C/ Quand le sport permet d’éviter les études : une typologie des
représentations
Les dires de Tony nous permettent de prendre en considération une nouvelle
variable : celle de l’origine sociale. En effet, et comme on le comprend avec la dernière
citation, les deux joueurs renvoyés n’ont pas une condition de vie aisée. Plus que cela, on
remarque que ce sont eux qui ont l’origine sociale la plus « basse » en termes de hiérarchie.
La mère de Marius est institutrice et son père est électricien à mi- temps tandis que la mère
d’Yven est assistante maternelle et son père est employé. Immédiatement, on constate que les
deux adolescents ne sont pas issus de classes très défavorisées mais plutôt moyennes-basses, à
la différence des autres jeunes de l’équipe qui viennent de classes moyennes-hautes voire
aisées. Mais les deux joueurs viennent de régions plutôt pauvres au niveau de l’emploi :
Marius vient du Jura et m’a dit au sujet de son lieu d’habitation qu’il n’y avait « pas de boulot
là-bas, y a pas mal de gens au chômage »126
et Yven d’une « banlieue en région
125
Entretien réalisé avec Tony, op.cit., minute 29, p.8 126
Information révélée après l’entretien lors d’une discussion informelle et non retranscrite
49
parisienne »127
, sur laquelle il n’a pas donné plus de précision mais qui, selon les propos de
Tony, semble assez pauvre et où les conditions de vie ne sont pas des plus simples. Cela peut
expliquer l’importance donnée au sport : c’est le moyen de se sortir de l’environnement social
d’origine. Le sport est l’échappatoire espéré à un milieu d’origine difficile et sans grande
espérance d’ascension sociale. Pour Yven et Marius, le centre de formation était un élan
d’espoir. D’ailleurs, à la question qui vise à savoir ce que la JL Bourg représente pour eux, les
deux ont répondu par le même mot : un tremplin. Un tremplin vers l’avenir, la réussite et le
sport professionnel. En quittant leur région et en consacrant une large partie de leur emploi du
temps au basket, après avoir passé les sélections, les joueurs peuvent croire qu’ils vont enfin
percer dans le basket. Or comme le rappel M. Fauchelevent,
- « seulement quelques-uns arrivent à faire du basket leur métier. Mais c’est une très
large minorité, même parmi les centres de formation. Les joueurs sont prévenus dès le début
par contre hein !? »128
Malgré ces dires, à l’écoute des entretiens avec les deux joueurs concernés, on se
rend compte qu’ils croient vraiment en un avenir dans le basket. Ils restent modestes, en
utilisant des phrases comme « je sais que c’est dur mais j’y crois, on verra »129
, ou encore « il
faut encore que je montre ce que je peux faire »130
mais plusieurs moments montrent leur
attachement à ce rêve de professionnalisme. Ainsi Yven explique qu’il veut « faire rêver les
jeunes comme Amaré Stoudemire131
[l’]a fait rêver, que les jeunes [l’]admirent »132
. Par le
sourire qu’il arborait au moment de le dire et la façon dont ses yeux regardaient dans le vide,
il était évident qu’il parlait de son rêve. Mais on voyait aussi que rêve et réalité étaient
confondus à ce moment-là. Puis, sans doute pour se rassurer sur son potentiel autant que pour
revenir dans une réalité plus terre à terre, il continuait en affirmant :
- « C’est possible hein ! Moi j’ai mon cousin il vient du même endroit que moi et il
entraîne à un super niveau. C’est lui qui m’a dit que je pourrai devenir très fort. Et puis y a
des mecs de mon quartier qui jouent à un haut niveau. Ou même quand tu vois genre Zidane,
127
Entretien réalisé avec Yven le 18 avril 2012, minute 1, p.1 128
Entretien avec M. Fauchelevent, op.cit., minute 15, p. 4 129
Entretien avec Yven, op.cit., minute 5, p.2 130
Ibid. 131
Ndlr : un joueur de basket américain évoluant en NBA, le championnat national nord-américain, réputé
comme étant le meilleur au monde. 132
Entretien réalisé avec Yven, op.cit., minute 7, p.3
50
il avait rien et pourtant c’est le Dieu aujourd’hui. Donc ça montre que tout le monde peut y
arriver s’il le veut vraiment. »133
On retrouve ici les critères énoncés précédemment qui expliquent l’émergence du
mythe. Face à la difficulté scolaire, le sport peut apporter une meilleure réponse, par un autre
moyen sans doute plus plaisant. Les aînés sont là encore pris en modèle et justifient la
croyance : c’est parce qu’eux ont réussi ou semblent avoir réussi qu’Yven croit en ses
chances. C’est d’ailleurs de cette façon qu’il justifie son projet : tout est possible, « si [on] le
veut vraiment 134
». Il n’y aurait dès lors qu’une question de volonté dans la réussite. D’autres
y sont arrivés, c’est donc que c’est possible. Marius confirme cela, en disant que :
- «Enfin quand tu vois genre Zidane, il est parti de rien. Et aujourd’hui il est
vraiment riche. Ça c’est grâce au sport. Ça montre que c’est possible. Et puis eux ils sont
super riches et ils ont pas fait d’étude. Donc y a pas que les études qui permettent de s’en
sortir. Des fois on veut nous faire croire ça. Mais le sport aussi ça permet. »135
Le sport serait donc un formidable promoteur social, et même plus, un moyen de
devenir « riche ». Surtout, le sport est décrit ici comme un moyen parallèle pour réussir, ce qui
est permis par la construction du mythe que nous nous sommes attachés à définir. On sent
bien dans le propos de Marius que faire du sport permet d’éviter de faire des études
supérieures, qui sont, comme il le rappelle, souvent considérées comme le moyen légitime
d’avancer vers la réussite sociale. Il pense qu’on « veut nous faire croire ça », et que cette
croyance n’est pas fondée. Mais il remplace inconsciemment cette croyance par une autre,
celle qui veut que le sport soit un vecteur réel de progression sociale.
Parmi les dix joueurs interrogés, on distingue trois types de rapport à l’école, qui
peuvent être classés afin de définir une typologie simple. On appellera le premier groupe celui
des « pragmatiques ». Constitué de tous les joueurs « moyens » sauf un, on trouve dans ce
groupe un rapport à l’école réfléchi. Conscients de leur incapacité à devenir professionnel
dans le sport ayant un niveau scolaire satisfaisant, ils réalisent un calcul coût/avantage qui les
pousse à faire des études supérieures une priorité. Ils sont dès lors attachés à leur réussite au
lycée et à l’obtention du baccalauréat en particulier car ils savent que c’est pour eux le seul
133
Ibid. 134
Ibid. 135
Entretien avec Marius, op.cit., minute 27, p.9
51
moyen d’accéder à une école du supérieur ou à l’université. Ils développent des projets en
rapport avec leurs préférences scolaires et ne font donc pas de l’école un « ennemi » à éviter
mais sont conscients qu’ils doivent s’en servir s’ils veulent trouver une situation confortable
et un « métier qui [les] fera vivre »136
. Le sport de haut niveau ne faisait donc partie de leur
vie que pendant un temps, qui s’arrête après le centre de formation pour laisser place à une
scolarité dans le supérieur. Tous les « pragmatiques » viennent d’un milieu social aisé ou
moyen-haut.
Le deuxième groupe est-celui des « passionnés ». Il est constitué des trois joueurs qui
ont « le plus de chances de réussir »137
. Ceux-ci ont à la fois la capacité à devenir des
professionnels du sport et le niveau a priori requis pour obtenir sans grande difficulté un
baccalauréat et poursuivre dans le supérieur. Cette position leur rend le calcul coût/avantage
pour chaque choix possible difficile mais tous tendent à faire du basket leur priorité. Ils
expliquent ce choix par le fait que le sport est leur « passion », et qu’en vivre est un idéal. Le
milieu scolaire est néanmoins largement considéré et n’est pas encore laissé pour compte car
ils pensent que les blessures peuvent arrêter leur carrière : il leur faut donc au moins le
baccalauréat pour pouvoir reprendre des études plus tard en cas de besoin. Le rapport à l’école
n’est donc pas négatif mais la préférence pour le sport explique la volonté de faire passer le
basket avant la scolarité dans le futur. On note que ces joueurs viennent d’un milieu plus aisé
que les autres joueurs.
Enfin, la troisième catégorie est-celle des « romanesques ». Elle est constituée des
deux adolescents qui ont été renvoyés du centre de formation ainsi que de Chris, le joueur
« moyen » en légère difficulté scolaire. Ces trois garçons considèrent le lycée et les études en
général comme une obligation ennuyeuse qu’ils sont obligés de suivre. Le discours récurrent
sur l’importance des études au sein du centre de formation138
leur fait dire que, effectivement,
« les études [peuvent] aider dans la vie »139
, mais ils n’en font pas pour autant une priorité.
Ces joueurs n’effectuent pas le même calcul coût/avantage que leurs coéquipiers, en fonction
de leur capacité, mais voient le basket comme un moyen d’éviter les études et d’arriver encore
136
Entretien avec François, op.cit., minute 11, p.3 137
Entretien avec M. Fauchelevent, minute 29, p.10 138
Dès l’arrivée au centre de formation, l’accent est mis sur la place des études. M. Madeleine explique
d’ailleurs : « On ne leur laisse pas le choix. Et même pire, on les emmerde tout le temps avec les cours, on leur
rabâche que c’est important, qu’ils doivent avoir leur bac. C’est la priorité du centre de formation. » (Entretien
avec M. Madeleine, op.cit., minute 12, p.3 ) 139
Entretien avec Chris, op.cit., minute 15, p.5
52
plus haut dans l’échelle sociale. Pour ces trois adolescents, le futur est rêvé et leur choix est
fait en fonction de ce rêve, non pas en raison d’une réflexion objective sur leur potentiel.
Comme nous l’avons expliqué, leur milieu social d’origine, plus « faible » économiquement
et culturellement que le reste de l’équipe ainsi que leurs difficultés au lycée expliquent cette
préférence. Le sport est pour eux un espoir. C’est dans cette catégorie que l’idée d’ascension
sociale par le sport est la plus présente, la plus espérée, tout du moins dans le rapport que cela
engendre avec l’école. On repère aussi cela dans les nombreuses références que ces trois
joueurs font à des joueurs NBA. Ils sont très souvent cités en modèle de réussite. Chris a par
exemple parlé très longuement de Kobe Bryant, plein d’admiration. Ces joueurs
personnalisent leur rêve et, comme l’explique Yven, cette position « fait envie »140
. D’ailleurs
toutes les « stars » citées n’ont pas eu de parcours universitaire et ont fait fortune grâce à leur
talent sportif. Cela contribue à renforcer l’idée qu’il est possible de très bien réussir sans
l’école.
Avec cette typologie, on comprend que le rapport à la scolarité change selon deux
critères principaux : la chance objective de réussite dans le basket professionnel et le milieu
social d’origine. Cependant, si ces deux données sont importantes, elles ne sont pas
suffisantes pour expliquer la différence de perception du sport comme « ascenseur » social.
C’est alors la famille qui joue un rôle clé dans la façon d’évoluer et de réussir des joueurs.
Section 3 : L’importance du milieu familial
Tous les interviewés étant mineurs et non émancipés, ils dépendent encore de leur
famille. L'une des définitions les plus courantes de la famille, empreinte du sens de la famille
nucléaire, c'est qu'il s'agit d'un groupe social caractérisé par la résidence commune et la
coopération d'adultes des deux sexes et des enfants qu'ils ont engendrés ou adoptés : c’est « la
cohabitation et la coopération socialement reconnues d'un couple avec ses enfants »141
. Il
nous paraît évident qu'une telle définition de la famille ne permet pas de rendre compte
efficacement de plusieurs aspects, dimensions et variables que recouvre ce concept mais elle
montre le lien universel qu’il y a entre des parents et leur enfant. Les parents sont
140
Entretient avec Yven, op. cit., minute 4, p. 2 141
J. Kellerhals, PY. Trouto et E Lazega, Microsociologie de la famille, Paris, Presses Universitaires de France,
Collection "Que sais-je?", 1984
53
responsables de l’éducation et des fautes commises par leur enfant jusqu’à dix-huit
ans142
, sauf cas exceptionnels.
Dans le cadre du centre de formation, bien que les joueurs vivent tous dans un centre
pour jeunes, ils restent sous la responsabilité de leurs parents. Ceux-ci ont donc leur mot à
dire sur le parcours de leurs enfants, sur leur choix pour l’avenir, mais ont en outre, par leur
éducation, façonné la personnalité des joueurs et, en conséquence, leur représentation du
basket ou du monde professionnel. Comme l’explique Olivier Galland, « Les parents
assument un rôle d'amortisseur des difficultés des jeunes et de soutien financier, moral,
social. Parents et enfants partagent grosso modo les mêmes valeurs. »143
L’écoute des
entretiens confirme ce propos mais montre aussi que l’accompagnement et le soutien familial
sont nécessaires pour percer dans le sport.
A/ L’accompagnement et le soutien familial
Tout d’abord, on observe que tous les joueurs sauf un ont un membre de la famille
qui a joué ou joue au basket. C’est d’ailleurs la principale motivation des adolescents dans le
choix de ce sport. A la question : « Pourquoi as-tu choisi de faire du basket ? », neuf joueurs
ont parlé de leur famille. Luc a ainsi répondu qu’il souhaitait faire comme sa sœur, ancienne
membre de l’équipe de France junior et aujourd’hui dans une équipe professionnelle, Nicolas
explique que c’est son « père qui [lui] a donné envie quand [il] allait le voir »144
, tandis que
Ronny développe :
« Mon père faisait du basket, ma mère faisait du basket, mon frère faisait du basket.
Donc j’allais tout le temps les voir et puis ça me plaisait. Du coup avec eux j’avais tout le
temps un ballon à la main. Enfin logique, quand t’es p’tit tu te poses pas de question. Tout le
monde fait du basket donc tu fais du basket aussi. »145
142
La responsabilité des parents du fait de leur enfant est un type de responsabilité du fait d'autrui. Il s'agit de la
situation dans laquelle un enfant cause un dommage et engage dès lors la responsabilité délictuelle de ses
parents. Ce type de responsabilité est régi à l'article 1384 du Code civil dont son 4e alinéa dispose que : « Le
père et la mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé
par leurs enfants mineurs habitant avec eux. » 143
O. Galland, « Les parents assurent un rôle d’amortisseur », Libération, édition du 30 décembre 1997, p.19 144
Entretien avec Nicolas, op.cit., minute 2, p.2 145
Entretien avec Ronny, op.cit., minute 2, p.2
54
Uniquement par son activité, la famille influence donc le joueur dans le choix-même
du sport. Cette raison ayant été évoquée par une très large majorité, on voit apparaître ici une
première répercussion familiale.
Les joueurs s’accordent aussi à dire que leur famille les a aidés dans leur parcours
sportif. Une question du guide d’entretien avait pour but de tester la place que les joueurs
donnent à leurs parents dans leur propre réussite sportive, réussite entendue au sens où ils ont
pu intégrer un centre de formation. Cette question a permis de mettre en avant la façon dont la
cellule familiale est nécessairement impliquée pour intégrer une structure formatrice. Cela se
repère tout d’abord à travers l’engagement de la famille. Comme le rappelle Tony,
- « Mes parents ils ont toujours été là, c’est eux qui m’ont permis de jouer au basket
déjà quand j’étais petit. Ensuite c’est eux qui ont fait tous les déplacements, qui m’ont permis
de changer de club pour que je progresse. Et puis qui m’ont inscrit au pôle146
aussi, alors que
je sais que ça coûte plus cher. Et puis après ils m’ont toujours accompagné faire les
sélections, en équipe de France. Ils ont fait énormément de déplacements pour moi et je dois
les remercier pour ça. Bien sûr j’ai énormément travailler donc c’est pas que eux, mais ça
reste quand même grâce à eux je pense. »147
Ce discours a été récurrent au cours des entretiens. Tous les joueurs sauf un ont tenu
ce type de propos, en insistant sur l’importance qu’avait tenu leur famille dans leur réussite
sportive. Cet accompagnement semble en effet nécessaire puisque, comme l’explique Tony
dans la citation précédente, la progression implique des déplacements : déplacements pour les
matchs, pour les entraînements, pour éventuellement changer de club. Il faut donc que
l’entourage ait une implication dans le parcours du joueur pour que celui-ci puisse se déplacer.
D’ailleurs, l’adolescent n’ayant pas mentionné ce rôle familial vient d’une ville et non d’un
village. Le réseau de transport y est beaucoup plus développé et permet, même jeune, de se
déplacer seul sans investissement particulier de la famille. L’itinéraire de Chris, qui
n’implique pas sa famille dans son parcours est de plus assez atypique :
146
Ndlr : le pôle espoir de la ligue du lyonnais, une structure fédérale à Lyon qui réunit les, a priori, dix
meilleurs joueurs de la région des années de minimes, soit les deux années qui précèdent l’entrée en centre de
formation. 147
Entretien avec Tony, op.cit., minute 25, p. 8
55
« Je suis pas du tout d’ici. En fait je viens de la Réunion. […] Et quand je suis arrivé
en fait c’est mon médecin qui a dit à ma mère « Ah il est grand votre fils, il est super grand, et
tout, pourquoi vous l’inscrivez pas au basket ? » Et ma mère elle y connaissait rien mais c’est
le médecin qui a donné le nom de la JL du coup je suis venu voir et comme par hasard il
restait une place […] et après la JL m’a toujours gardé. […] Vu qu’ils m’ont logé et que
j’étais dans une famille à Bourg ben j’ai joué tout seul. Ma famille a rien changé à ça. Je les
vois même très peu maintenant. Ouais. C’est moi qui me suis entraîné c’est tout »148
Le parcours de Chris explique sa position vis-à-vis de l’importance de la famille dans
son parcours. Placé en famille d’accueil dès son arrivée en France, il n’y a jamais eu de lien
entre ses parents et le basket. Il a dû se « construire seul »149
et en est plutôt fier. C’est aussi
sans doute pour cette raison qu’il est le seul à penser qu’on peut réussir dans le sport sans ses
parents. Comme nous l’avions indiqué précédemment, Chris fait partie, dans la typologie que
nous avons établie, des « romanesques ». C’est d’ailleurs le seul, dans la catégorie des joueurs
« moyens », à être classé comme tel. Cela s’explique ici par la différence de parcours familial.
Si les deux autres joueurs « romanesques » viennent d’un milieu social plus modeste, ce qui
explique leur différence de choix ou d’imaginaire pour le futur, la raison est différente pour
Chris. Ayant été dans plusieurs familles d’accueil, son parcours est resté sans accroche fixe,
contrairement aux autres joueurs pour lesquels la famille est dévouée. On peut dès lors
comprendre que le sport est devenu un moyen de prouver qu’il peut réussir : le prouver aux
autres, mais surtout à lui-même. Il dit d’ailleurs à ce sujet :
« Je veux que mes parents soient fiers de moi. Je les vois très peu. J’ai vu ma mère il
y a deux mois la dernière fois et mon père je ne l’ai pas vu de l’année, depuis le début de
l’année. Je vais faire des tests dans un autre club parce que je pense qu’on m’aidera plus là-
bas. Ici on me considère pas comme un grand joueur. Si je vais là-bas je pense qu’on va plus
voir comme je joue. C’est eux qui m’ont téléphoné, ça fait déjà deux fois. »150
Chris, en disant cela, semblait tenter de se convaincre avant tout. Si son avenir ne
pouvait être radieux ici, il le serait forcément ailleurs. L’absence répétée de famille, de pilier
dans la réflexion joue un rôle majeur dans ce choix de trajectoire. Pour pallier ce manque, le
148
Entretien avec Chris, op.cit., minute 2, p.1 149
Entretien avec Chris, op.cit., minute 21, p. 7 150
Ibid.
56
joueur a développé de façon exacerbée un imaginaire autour du sport. C’est d’ailleurs pour
cela qu’il a souvent cité quelques joueurs américains lors de l’entretien. Ces joueurs se sont
pour la plupart construits seuls, dans des quartiers défavorisés. Pour lui la faiblesse n’est pas
économique mais familiale. Il s’imagine donc dans la peau des plus grands joueurs, en
affirmant son désir de « faire comme eux. »151
Ces joueurs, extrêmement médiatisés,
deviennent des modèles de réussite, non seulement sportive mais aussi sociale. Ils sont la
preuve que ce parcours est possible.
La famille joue donc un rôle clé dans l’accès au haut niveau, en tant que nécessaires
accompagnateurs. Comme le rappelle Luc,
« Rien que pour venir ici, heureusement qu’il y avait mes parents. Enfin s’ils
n’avaient pas voulu m’emmener ou me payer les billets de train, je n’aurais jamais pu venir
faire les tests. Je viens d’Alsace, c’est pas à côté, donc ça coûte quand même cher on peut
dire de venir jusqu’à Bourg. Si tes parents ils font pas l’effort ou bien qu’ils s’en foutent tu
peux pas faire ça. Tu peux pas te faire repérer ou tenter au moins. »152
Le terme clé est donné par Luc, c’est-celui « d’effort » : si la famille ou l’entourage
proche ne consent pas à en faire, il paraît extrêmement compliqué que le joueur puisse
franchir l’étape des sélections. C’est un effort financier, puisqu’il faut payer la licence et les
tenues ou les déplacements, mais aussi un effort en termes de temps consacré à suivre
l’enfant, à le conduire, à l’aider ou à le motiver. Toutes les familles ne veulent ou ne peuvent
pas faire cet effort. En effet, la place consacrée à l’enfant diffère largement selon les milieux
et selon les personnalités. Ce qu’on constate chez les joueurs interrogés, Chris excepté, c’est
qu’ils sont extrêmement choyés et entourés par leurs parents. Ronny affirme ainsi que « [ses]
parents sont toujours venus à tous [ses] matchs, ils [l]’ont emmenés voir des matchs de pro
régulièrement »153
, François ajoute que « [ses parents] sont les premières personnes à
[l]’encourager et à venir [le] supporter »154
tandis que Marius n’hésite pas à observer que
« [son] père et [sa] mère ont toujours consacré beaucoup de temps à [son] basket »155
. Ce
151
Ibid. 152
Entretien avec Luc, op.cit. , minute 29, p.9 153
Entretien avec Ronny, op.cit. , minute 25, p.7 154
Entretien avec François, minute 24, p.7 155
Entretien avec Marius, minute 21, p.6
57
type d’affirmation revient au moins une fois par entretien, ce qui montre l’importance que
joue la famille, au moins jusqu’à l’accès en centre de formation.
Ceci explique sans doute le public touché par ce centre. Comme nous l’avons déjà
évoqué, tous les joueurs viennent de classes sociales considérées comme moyennes ou aisées,
et aucun ne vient de milieu défavorisé. Pour les raisons évoquées précédemment, on pourrait
penser que ce recrutement est inhérent au fonctionnement de la sélection du club. C’est
d’ailleurs ce que dit M. Madeleine :
- « Aujourd’hui dans l’équipe qu’on a…. je dirai d’une classe euh… moyenne +,
d’une classe plutôt correcte tout en sachant que les dés sont pipés, c’est pas représentatif en
fait, c’est pas représentatif, le centre de formation est pas représentatif je pense de comme on
disait tout à l’heure de la mixité sociale pour la bonne et simple raison que venir au centre de
formation de Bourg, pour certaines personnes, ça coûte de l’argent donc à partir de ce
moment-là si les gens peuvent déjà pas financièrement subvenir à ça, forcément ils seront pas
au centre de formation chez nous donc… »156
D’autres centres de formation ont donc été contactés par téléphone, seize au total,
afin de savoir quel type de joueurs sont principalement recrutés. Par « type de joueurs », on
raisonne en termes de milieu social d’origine. De façon flagrante, il apparaît que le public est
quasiment le même dans tous les centres de formation. Si ce n’est deux structures parisiennes,
tous les autres centres accueillent principalement des joueurs venant de milieux sociaux
moyen-haut ou moyen-bas, avec toujours au moins deux joueurs venant de milieux aisés mais
aucun de milieux très défavorisés. Seules les deux structures de Paris disent recruter des
joueurs en grande difficulté financière. Si aucun des centres n’a souhaité donner des
statistiques précises, tous ont répondu avec méfiance aux questions mais en assurant que les
joueurs, sans être richissimes, n’avaient pas de mauvaises conditions de vie. L’accès aux
structures formatrices n’est donc pas ouvert à tous. Comme le rappelle M. Fauchelevent,
- « Le type de sélection fait aujourd’hui qu’on vise un type particulier de joueur.
Surtout des joueurs athlétiques. Donc on va a priori chercher dans les milieux sociaux plutôt
bas. Mais il faut de l’accompagnement, donc au final, ce ne sont pas dans ces milieux qu’on
trouve les joueurs principalement mais dans les classes moyennes. Attention je ne fais pas du
156
Entretien avec M. Madeleine, op.cit., minute 21, p.6
58
tout de racisme, mais aujourd’hui on ne cherche pas de joueurs très intelligents. Donc on va
moins chercher dans les classes sociales hautes, puisque ce qui est privilégié c’est l’aspect
physique des joueurs. Et on trouve surtout ça dans les classes moyennes ou basses. C’est pour
ça qu’aujourd’hui on a surtout des joueurs venant de classes moyennes. Quand on changera
le type de joueur cherché, on changera ça avec. Et ça va arriver je pense, c’est nécessaire. Il
faut de l’intelligence. »157
Dans ce cadre-là, avant même d’influer sur la façon d’interpréter le mythe de
l’ascension sociale par le sport, l’entourage familial proche rend possible ou non cette
hypothétique ascension sociale, en accompagnant le joueur sur les terrains et aux journées de
détection obligatoires. Mais plus encore, le milieu social d’origine est un facteur déterminant
dans l’accès aux centres de formations, en raison des critères de sélection. M. Madeleine
ajoute d’ailleurs :
- « Je pense qu’on se rapproche quand même partout d’une classe moyenne malgré
tout parce que si c’est pas le centre de formation qui coûte de l’argent ça va être autre chose
le gamin il vient de loin bah ça va être des trajets, ça va être plein de trucs qui font, c’est un
état d’esprit. »158
François donne d’ailleurs un exemple pour illustrer ces propos :
- « Je pense pas qu’il y ai de joueurs très défavorisés, je pense pas non plus...Ben moi
j’ai l’exemple en fait de quand je jouais à Meyzieu, y avait un garçon qui avait vraiment du
talent, il venait d’un milieu défavorisé, il avait des problèmes de comportement, des choses
comme ça et je pense que pour rentrer en centre de formation, ça doit être rare quand même,
parce qu’il faut faire des efforts, des choses comme ça. Donc ça doit pas être possible»159
La famille, origine sociale du joueur, détermine en partie un mode de fonctionnement,
un attrait pour certaines valeurs et un comportement, qui changent en fonction du rang dans la
157
Entretien avec M. Fauchelevent, op.cit., minute 17, p.5 158
Entretien avec M. Madeleine, op.cit., minute 22, p.6 159
Entretien avec François, op.cit., minute 13, p.4
59
hiérarchie sociale. C’est-cet habitus160
qu’il nous faut à présent appréhender, en tant que
déterminant dans l’hypothétique accès au sport professionnel.
B/ « Garder la tête froide »161
Encore plus que dans l’accompagnement des joueurs, qui semble tout de même
primordial pour intégrer un jour un centre de formation, les parents jouent un rôle clé dans la
réussite professionnelle de leur enfant. De par l’éducation qu’ils transmettent et la manière
d’envisager le sport, particulièrement professionnel, les parents déterminent d’une certaine
façon la trajectoire empruntée par le joueur. Bien entendu, celle-ci n’est jamais entièrement
contrôlée, puisque le particularisme de chaque personnalité laisse une réflexion individuelle
autour de chaque décision ; mais il apparaît que les parents de joueurs, selon leur
comportement et leur mode d’éducation, influent considérablement sur la manière dont leurs
enfants regardent l’avenir. M. Madeleine, l’entraîneur du centre de formation insiste
particulièrement sur ce point, et affirme d’ailleurs, en réponse à la question « quelle place ont
les parents et l’entourage proche dans la réussite sportive de leur enfant ? » :
- « Une place immense. Ils ont un très très grand rôle. Pour moi c’est-ce qui fait
toute la différence entre des joueurs qui ont à la base, a priori, le même niveau. Parce que si
les parents mettent une trop grande pression, s’ils parlent tout le temps de professionnalisme,
de résultat, d’argent et tout ça, le gamin il explose au bout d’un moment. Y a des parents, ils
voient leur gamin en centre de formation ils pensent que ça y est c’est bon, ils sont pros et
riches. C’est pas le cas du tout, on essaye de leur expliquer. Mais y en a qui vivent leur rêve
par procuration avec leurs enfants. Enfin quand t’entends ce que te disent les parents et la
passion qu’ils mettent à chaque match c’est fou. Vraiment c’est fou. Donc forcément, le gamin
qui a toujours entendu parler de sa réussite, qui voit tout le monde derrière lui, il choppe un
boulard énorme. Et même s’il était très fort, parce que très technique ou très athlétique, en
étant jeune, quand il arrive à ce niveau il se casse la gueule. Et même des joueurs qui
160
Nous entendons ici l’habitus dans le sens donné par Pierre Bourdieu. L’habitus est pour lui le fait de se
socialiser dans un peuple traditionnel, définition qu’il résume comme un « système de dispositions réglées » (P.
Bourdieu, La distinction, op.cit., p. 29). Il permet à un individu de se mouvoir dans le monde social et de
l’interpréter d’une manière qui d’une part lui est propre, qui d’autre part est commune aux membres des
catégories sociales auxquelles il appartient. 161
Entretien avec M. Madeleine, op.cit., minute 38, p. 10
60
intègrent l’INSEP162
ou qui sont en équipe de France jeune ça leur arrive. Parce que la
réussite, à moins d’être un champion hors norme, ce qui arrive des fois, c’est avant tout de
l’humilité. Et l’humilité c’est tes parents qui te l’apprennent, dans leur façon d’éduquer. Alors
bien sûr à l’inverse, les parents qui s’en foutent et qui ne poussent pas leur gamin, ou bien qui
ne voient jamais rien et qui suivent ça de loin parce que comme ça il est plus chez eux, c’est
pas mieux. Puisqu’à un moment il manque l’effort, l’aide qui permet d’aller tout au bout du
projet. Nous on essaye de l’apporter, bien sûr, mais on remplacera jamais le boulot des
parents. »163
Cette conviction que les parents, même dans le sport, changent l’avenir des joueurs,
est particulièrement marquée ici. On comprend avec cette citation que l’encadrement du jeune
est nécessaire pour atteindre le plus haut niveau, et que les seuls talents physiques ou
techniques ne suffisent plus pour franchir la dernière étape avant le monde professionnel. La
manière dont est éduqué et entouré un joueur serait donc un facteur déterminant dans la
réussite sportive. M. Madeleine ne s’arrête d’ailleurs pas là et poursuit sa démonstration à
l’aide d’un exemple :
- « Et tu vois pour Antoine Diot164
, dont je te parlais tout à l’heure. Et bien je suis,
mais alors persuadé que sa réussite il la doit énormément à ses parents. Son père c’est mon
collègue donc je le connais très bien et sa mère aussi. Du coup j’ai vu tout le travail qu’ils ont
fait avec lui. Ils lui ont toujours montré l’importance des études, que le sport ne suffisait pas
pour être bien dans sa tête. Ils ont toujours voulu qu’il garde quelque chose à côté pour
s’ouvrir, pour ne pas se fermer sur le sport. Les joueurs qui se ferment et qui oublient qu’il y
a autre chose à côté, une vie réelle, ils font rarement une grande carrière. En France en tout
cas. Les parents d’Antoine lui ont toujours appris ça. A prendre étape par étape, à pas se
brûler les ailes. A voir d’abord le sport comme un jeu. A insister sur la possibilité de blessure
et donc que tout peut s’arrêter d’un coup. Et pas à réfléchir en termes d’argent qu’il pourrait
y avoir à la sortie. Tout le temps, tout le temps, tout le temps, ils ont fait en sorte qu’il garde
la tête froide. Et qu’il gagne peut être moins d’argent très vite, ça c’est sûr, mais que sa
carrière soit une grande carrière. Et le résultat c’est qu’il était en équipe de France à 20 ans,
162
Ndlr : Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance, le lieu de rassemblement des meilleurs
jeunes sportifs français. 163
Entretien avec M. Madeleine, op.cit., minute 39, p.11 164
Ndlr : un joueur professionnel français ay’ant intégré l’équipe de France très jeune, issu du centre de
formation de la JL Bourg Bakset
61
à côté des meilleurs joueurs. Il a su garder la tête froide. Et c’est-ce qui manque à beaucoup
aujourd’hui. Parce que les parents ils voient les même choses que leurs enfants, donc ils
rêvent de la même chose. Et quand les rêves des enfants et des parents se confondent,
généralement, c’est pas bon du tout. Sportivement en tout cas. »165
Plus que la façon d’éduquer, on voit ici que c’est la façon dont les parents
considèrent le sport qui influe sur le comportement du joueur. Il apparaît aussi que les parents
doivent être assez humbles et avoir une vue sur le long terme pour que leurs enfants « gardent
la tête froide ». Comme l’exprime Christian Pocciello, citant Bourdieu, « les choix (et les
rejets) de sports sont d’abord et essentiellement soumis à la logique de l’habitus. Il suffit aux
agents de s’abandonner aux penchants de leur habitus pour reprendre à leur compte, sans
même le savoir, l’intention immanente aux pratiques correspondantes, de s’y retrouver eux-
mêmes tout entier, tout en y retrouvant aussi tous ceux qui s’y retrouvent, leurs pareils »166
.
Et c’est avant tout une habitude de classe que de penser en termes de futur éloigné plutôt
qu’en revenus immédiats. C’est un habitus propre à des catégories sociales moyennes, ayant
une culture de l’économie et de l’humilité. Selon les dires de M. Madeleine, il semble
nécessaire d’adopter une attitude réfléchie et méfiante face aux travers tentants du sport :
l’hypermédiatisation dont peuvent être victimes les jeunes joueurs, l’argent facile qui leur est
proposé par certains agents malveillants ou encore le surdosage de responsabilités qu’on leur
confie très tôt. Toutes ces tentations, comme l’explique à juste titre M. Madeleine,
peuvent « briser la carrière d’un joueur »167
. Il faut donc un recul important de la part des
parents pour alerter leur enfant sur ces travers à éviter. Mais prendre un temps de réflexion
avant une décision importante, surtout quand elle implique des revenus financiers élevés et
rapides, n’est pas aisé ou tout du moins n’est pas naturel pour bon nombre de familles.
Comme l’explique Bourdieu168
, le rôle de la socialisation primaire, c’est-à-dire pendant
l’enfance et l’adolescence, est très important dans la structuration de l’habitus. Par le biais de
cette acquisition commune de capital social, les individus de mêmes classes peuvent voir leurs
comportements, leurs goûts et leurs « styles de vie » se rapprocher jusqu’à créer un « habitus
de classe »169
. L’habitus est en ce sens la matrice des comportements individuels. Cette
165
Entretien avec M. Madeleine, op.cit., minute 39, p.11 166
C. Pociello, op.cit., p. 21 167
Entretient avec M. Madeline, op.cit., minute 33, p.9 168
P. Bourdieu, La Disinction : critique sociale du jugement, op.cit. 169
P. Bourdieu, Questions de sociologie, Minuit, Paris, 1981, p.75
62
définition s’inscrit tout à fait dans l’étude des comportements sportifs, puisque l’habitus régit,
en partie, tous les domaines de la vie. Les joueurs, face à l’avenir et face au sport
professionnel, retranscrivent à leur façon ce qu’ils ont hérité de leur famille. L’éducation
qu’ils ont reçue influence largement leur rapport à l’argent, à la médiatisation ou à la
popularité. Or, ce que préconise M. Madeleine et qui a été rendu possible pour Antoine Diot
ne l’est pas pour tous. Le recul nécessaire qu’ont pu prendre ses parents pour l’avertir, le
protéger et l’aider à grandir progressivement vient en partie de l’habitus de classe qui les
imprègne. Rappelons qu’ils sont tous les deux professeurs en collège, c’est-à-dire dans une
classe moyenne assez haute et surtout très cultivée. Ces personnes ont donc des possibilités de
réflexion face au monde professionnel qui ne sont pas données à tous. Cet habitus de classe ne
trouve pas forcément de reflets dans les autres classes. Certains joueurs, comme le dit M.
Madeleine, se sont « brûlés les ailes » en voulant signer trop tôt dans des clubs ou en pensant
que leur carrière était toute tracée alors qu’elle était à peine entamée. L’humilité qui, pour cet
entraîneur, semble primordiale, n’est pas un habitus dans toutes les classes sociales, au
contraire. Dès lors, quand un joueur atteint les portes du haut niveau, particulièrement en
centre de formation, il peut naturellement être tenté par tout ce qui fait envie dans le sport et
qui lui semble à portée de main. C’est à ce moment-là que l’ascension sociale paraît possible
et c’est alors que l’entourage et l’éducation jouent un rôle majeur dans la réflexion.
On distingue deux catégories de joueurs au centre de formation : ceux qui sont très
entourés et cadrés dans leur réflexion par leurs parents et les autres. La première catégorie,
celle des « avertis » comporte tous les joueurs que nous avions classés comme
« pragmatiques » ainsi que les « passionnés ». Ces joueurs ont été largement accompagnés par
leur famille mais aussi contraints à avoir un œil averti et méfiant sur le professionnalisme et
ses travers, ce que montrent les entretiens. C’est ainsi que Tony explique :
- « Mes parents m’ont toujours dit de faire attention. Mon père me soutient beaucoup
et je sais qu’il a pas très bien vécu ma blessure. Mais en même temps il continue de
m’encourager et il m’a toujours dit que si j’arrivais pas à être pro c’était pas grave. Chaque
fois que j’ai changé de club ou que j’ai fait des tests il m’a accompagné et il a choisi avec moi
aussi. Ils veulent le meilleur c’est sûr, mais ils font gaffe à ce que je fais, pour pas que je
prenne trop la grosse tête. Ils m’ont toujours fait que…Enfin en sorte que je me méfie de ce
63
que j’allais faire [il rigole]. Tu vois ? Enfin genre là quand j’ai signé mon contrat pro ils
étaient là évidemment et ils ont posé plein de question pour que tout se passe bien. »170
Ce propos montre l’attention que les parents peuvent avoir au sujet du parcours des
joueurs. L’exemple de Tony est particulier puisqu’il est le seul à avoir un contrat professionnel
le liant au club, mais ce type de propos est récurent dans ce groupe. Luc dit en ce sens que ses
parents « ont toujours été là quand il [a] changé de club et [qu’il] choisissait avec eux avant
chaque grande décision »171
, Ronny rajoute que son père « ne voulait pas [qu’il] fasse de
bêtises. Même si [il] savait [qu’il] n’allait pas être pro, il faisait bien attention à ce [qu’il] ne
voit pas d’autres coachs, [qu’il] soit contacté sans être au courant et il répète tout le temps
que le plus important c’est les études. »172
et Nicolas dit que ses parents « lui ont toujours dit
de rester pas prétentieux, enfin humble un peu, quoi [qu’il] fasse. Ils voulaient pas [qu’il]
choppe la grosse tête »173
. Toutes ces précautions prisent par les parents expliquent l’attitude
pragmatique de leurs enfants. Que ce soit en choisissant une poursuite d’étude ou de
persévérer dans le basket, les joueurs savent pourquoi ils ont fait ce choix et gardent,
semblent-ils, beaucoup de lucidité et d’humilité. C’est particulièrement le cas chez les trois
joueurs « passionnés » qui ont plutôt tendance à dévaloriser leur réussite, plutôt qu’à mettre
en avant leur performance. Cela, pour des jeunes de seize ou dix-sept ans, est surprenant tant
les réponses aux questions qui touchaient à leur niveau de basket semblaient les gêner. Ils ne
cachent pas leur ambition mais l’exprime avec beaucoup de réserve. On voit en fond le travail
des parents et du staff du centre de formation qui insistent pour que les joueurs « prennent le
temps de réussir »174
. Les joueurs insistent dans ce cas sur le présent, sur leurs performances
actuelles plutôt que sur celles à venir. Le mythe d’ascension sociale reste donc assez éloigné :
il y a une chance à saisir pour certains joueurs mais ils préfèrent ne pas en parler et attendre de
voir ce qu’il en sera réellement.
Cette attitude diffère avec celle des membres du second groupe, que nous appellerons
les « rêveurs ». Ce groupe est en fait uniquement composé des joueurs ayant été classés
auparavant comme « romanesques ». Les adolescents ont ici un rapport tout autre avec leur
famille et donc avec l’avenir. L’attitude est ici liée à celle que nous avons déjà décrite au sujet
170
Entretien avec Tony, op.cit., minute 24, p.7 171
Entretien avec Luc, op.cit., minute 19, p.6 172
Entretien avec Ronny, op.cit., minute 21, p.7 173
Entretient avec Nicolas, minute 17, p.5 174
Entretien avec M. Fauchelevent, minute 13, p.4
64
des « romanesques », mais quelques observations sont à rajouter. Comme M. Fauchelevent l’a
exprimé en aparté des entretiens :
- « […] et d’ailleurs la maman de Marius m’a dit ça après qu’on l’ai renvoyé :
« Vous comprenez mon fils il est dans un rêve, vous pouvez pas lui enlever ça il y croit
tellement. En rentrant là il avait tellement d’espoir, faut le laisser continuer etc. » La mère
elle sait que le gamin est dans un rêve mais ça la perturbe pas plus. Faudrait lui montrer la
réalité un jour. Il est pas dedans la Marius, et si on le laissait continuer il fonçait dans un
mur. »175
Le rapport des parents avec le joueur est ici tout autre. Plutôt que de mettre en garde
contre les dangers du monde sportif, la mère trouve tout à fait normal qu’on laisse rêver son
fils de dix-sept ans. Elle-même, d’après ce que rapporte M. Fauchelevent, semble entretenir ce
rêve, sans prendre garde à ce qu’il en est réellement. Il est donc logique que le joueur soit
dans cette optique là pour l’avenir : étant donné que son rêve à l’air réalisable et que sa
famille ne l’avertit pas sur la réalité qui diffère de ce rêve, il ne peut se remettre véritablement
en question. Comme le dit M. Madeleine, le staff ne peut jouer le rôle des parents et les
conseils à propos de l’avenir ne peuvent pas avoir le même poids. C’est le même
comportement que l’on observe chez Marius. Ce dernier affirme avec insistance que son
cousin lui a dit qu’il avait un « très gros potentiel »176
. Il poursuit en disant :
- « Je ne suis pas sûr d’y arriver, la sélection est dure, mais il me fait confiance et
mon oncle qui est dans le basket aussi. Ils m’ont dit que je pouvais être très fort alors je pense
que ça peut le faire »177
.
Là encore, la famille ne joue pas un rôle de prévention mais plutôt d’encouragement
dans l’espoir d’un avenir radieux. Pour Chris, n’ayant pas de contact régulier avec sa famille,
le cas est encore différent : il se débrouille seul, avec l’aide du staff. Mais s’en étant sorti
relativement bien jusque-là, il ne voit pas de raison pour que cela change et croit donc dur
comme fer à son avenir. Il explique d’ailleurs que « pour des jeunes qui ont sacrifié trois ans
de leur vie en sorte de formation, c’est une récompense normale d’être pro à la fin. Tout le
175
Phrase notée après une discussion informelle suivant l’entretien « officiel » 176
Entretien avec Marius, op.cit., minute 3, p.1 177
Ibid., minute 14, p.4
65
monde peut pas l’être, mais c’est quand même une bonne récompense »178
. Il n’exclue donc
pas du tout l’idée de faire partie de ceux qui réussiront et voit même là-dedans une rétribution
des plus logiques. Dans les trois cas, la famille ne permet pas aux joueurs de rester humbles
ou méfiants face à l’avenir mais, au contraire, les pousse dans cette voie.
On note aussi que les « rêveurs » sont ceux, excepté Luc, qui viennent des villes les
plus éloignées de Bourg-en-Bresse. La présence de leur parent est donc beaucoup moins
régulière et le choix de partir loin de chez soi peut montrer la volonté affirmée de réussir,
« coûte que coûte ». L’éloignement est d’ailleurs une façon de marquer le départ vers un autre
monde, à la fois géographique et symbolique et l’idée que partir peut améliorer les conditions
de vie n’est pas nouvelle. C’est d’ailleurs ce que montre la volonté affichée de partir encore
d’Yven :
- « Je compte m'orienter aux les Etats-Unis, pour faire un an là-bas pour une
expérience professionnelle autant pour voir le basket et un peu pour voir une high school là
bas parce que j'ai la possibilité de reprendre un an en high school là-bas vu que j'suis né en
fin d'année. Ensuite pour voir si je peux intégrer un college là-bas ce serait intéressant. Le
basket c’est autre chose là-bas. Faut voir ce que ça peut donner. »179
Yven pense ne pas pouvoir être professionnel en France, mais il veut aller aux Etats-Unis. Ce
nouveau départ est pour lui l’opportunité de repousser l’échec dans le milieu du basket. Il
parlait de façon émerveillée du basket aux Etats-Unis lors de l’entretien et on pouvait
remarquer toute l’attente qu’il avait de cet hypothétique voyage. Son insuccès en France est
avoué mais n’a pas atteint l’espoir de réussir dans le sport. Le fait de partir est donc, là encore,
un moyen d’échapper à l’échec présent, avec l’idée qu’ailleurs, ce sera plus simple.
Les autres joueurs viennent tous de la région et voient donc leurs parents au moins
toutes les deux semaines d’après ce qu’ils disent. Si Luc vient aussi de plus loin, le parcours
de sa sœur au plus haut niveau peut expliquer l’attention que portent ses parents à le mettre en
garde contre l’insécurité d’un parcours dans la sphère sportive professionnelle. Ceci
expliquerait la différence de personnalité et d’ambition pour l’avenir. En effet, les « rêveurs »
sont persuadés qu’ils réussiront à vivre du basket-ball. Ils voient dans cette trajectoire une
178
Entretient avec Chris, op.cit., minute 16, p.5 179
Entretien avec Yven, op.cit., minute 13, p.4
66
vraie possibilité d’ascension sociale, ou tout du moins de richesse et de reconnaissance,
thèmes sur lesquels nous reviendrons plus loin.
La façon dont les joueurs sont éduqués est par conséquent un facteur déterminant
dans la façon d’appréhender l’avenir et donc le mythe de l’ascension sociale. Le milieu social
d’origine, par les habitus qui y transitent, définit une manière d’envisager le sport
professionnel : si ce milieu fait rêver certains parents, il est craint par d’autres. La différence
dans la socialisation primaire explique principalement cette opposition qui est retrouvée chez
les joueurs. En fonction de l’origine sociale, l’humilité nécessaire pour réussir au plus haut
niveau, au basket-ball en tout cas, n’est pas intégrée de la même façon par tous les parents et
est donc réceptionnée très différemment selon les joueurs. Cependant, tous s’accordent à dire
que l’émergence dans le sport professionnel est très difficile et qu’elle ne peut s’envisager
qu’au prix de nombreux efforts, ce qu’il va nous importer de comprendre à présent.
67
Partie II : La réalisation de soi, ou le désenchantement
du mythe
Comme nous l’avons compris jusqu’ici, le mythe est porté par la croyance en un
avenir radieux que pourrait procurer le sport. Les joueurs, suivant leur origine sociale et leur
parcours scolaire, ne l’interprètent pas de la même façon et n’y attachent pas, en conséquence,
la même importance. Même si certains joueurs rêvent d’un futur rayonnant, et ce par le biais
du sport, tous sont au quotidien dans une réalité bien définie où travail, talent et respect sont
les maîtres mots.
Section 1 : L’incompatibilité entre le rêve et la vie de sportif
Nous avons montré précédemment que certains joueurs rêvent leur parcours et leur
hypothétique carrière à venir. Le paradoxe que l’on observe est que ce rêve est
systématiquement joint à un très grand pragmatisme face à la nécessité du travail et le besoin
de talent. Les joueurs sont en fait dans une double position qui à la fois leur permet
d’imaginer un avenir radieux et de se projeter dedans mais qui leur montre en permanence le
besoin de se surpasser et de repousser leurs limites pour atteindre le niveau professionnel.
C’est sans aucun doute leur posture qui crée cette dichotomie : ce sont des adolescents, à mi-
chemin entre l’enfance et le monde professionnel. Ils ne sont donc ni éloignés de leur rêve ni
complètement marqués par le professionnalisme. Un fait a cependant été mis en exergue par
la totalité des entretiens : pour réussir, il faut fournir un travail énorme.
A/ La nécessité du travail et le surpassement des limites
Le centre de formation est avant tout un lieu de travail. Comme l’explique M.
Madeleine, la vie des joueurs « se partage entre le basket et les études pendant trois ans. Ils
ont peu de temps libre, et on exige qu’ils fassent les deux à fond »180
. Les joueurs en sont
parfaitement conscients et voient là-dedans la clé de la réussite pour atteindre le monde
professionnel. Citons immédiatement Steed quand il dit :
180
Entretien avec M. Madeleine, op.cit., minute 14, p.4
68
- « Oui je pense que le centre peut nous faire devenir pro, mais le but c’est d’au
moins faire de nous les meilleurs joueurs qu’on puisse être, de développer au maximum nos
capacités. Tant que tu travailles dur c’est bon. Mais les coachs nous lâchent pas, ils veulent
tout le temps qu’on travaille beaucoup, qu’on donne tout ce qu’on a à chaque match, à
chaque entraînement. C’est des années très dures physiquement et mentalement. »181
Le travail s’effectue ici dans le but d’atteindre individuellement et collectivement le
meilleur niveau. Tous les joueurs affirment cela dans les entretiens et on comprend que la
place consacrée à l’effort est extrêmement importante. Cet effort n’est d’ailleurs pas toujours
facile à faire. Chris rappelle à ce titre :
- « Moi j’ai dans l’idée que quand un jeune a sacrifié trois années de sa vie pour être
en centre de formation, la meilleure récompense ce serait peut-être qu’il finisse pro quoi.
Ouais parce que...euh, on a quand même, enfin je vais pas dire gâché parce que c’est pas le
cas, mais on a quand même donné trois années de notre vie à bosser à fond, à bosser, à se
réveiller le matin pour aller à l’entraînement et tout, mais je crois que la récompense ce
serait qu’on finisse pro plus tard. Mais moi j’y crois ! […] Et donc euh...ouais c’est une petite
déception que de, qu’un joueur qui a sa...qui a donné trois années de sa vie, travaille à fond,
qui a bossé sans relâche, peut pas finir pro quoi. Parce qu’on est là pour ça, enfin tout notre
but c’est quand on nous dit « ouais tu vas être en centre de formation », notre but c’est de
bosser et pour finir pro plus tard. »182
Chris insiste fortement sur le lien qu’il y a entre travail et professionnalisme. Il parle
d’ailleurs de « sacrifice », ce qui montre comme le corps et l’esprit sont marqués par
l’expérience. Mais ce sacrifice est la première étape d’un « sacre », puisque l’effort laisse une
trace tangible qui est ensuite glorifiée. La façon dont les joueurs se donnent n’est pas un acte
gratuit : comme l’affirme Chris, le sacrifice doit entraîner quelque chose ensuite, ce qui est
d’ailleurs le sens d’un tel acte. Ce quelque chose, c’est la reconnaissance, c’est la popularité.
Les joueurs, et c’est pourquoi ils sont déjà dans une filière professionnelle183
, n’ont pas dans
l’idée que leur but peut être atteint uniquement par le talent ou par la chance. Ils sont
conscients que c’est leur capacité à progresser et à donner de leur énergie qui va les tirer
181
Entretien avec Steed, minute 18, p.6 182
Entretien avec Chris, minute 14, p.4-5 183
Rappelons que les joueurs du centre de formation sont intégrés au club professionnel et non au club amateur
de la JL Bourg Basket. Ils ne sont certes pas encore professionnels mais sont dans une structure qui elle, l’est.
69
ensuite vers le haut. L’entrée dans la sphère professionnelle serait d’ailleurs à ce titre une
juste récompense, pour reprendre le terme choisi par Chris. Nicolas voit aussi les choses ainsi
mais, plus encore, fait le lien entre sa réussite à venir et l’effort qu’il fournit actuellement. En
réponse à la question « penses-tu être professionnel un jour », il indique :
- « Je ne sais pas encore, je ne peux pas dire. Il me reste encore un an au centre de
formation et je vais tout donner, je vais repousser encore mes limites. Si je travaille bien et
que je continue de donner tout ce que j’ai, je pense que je peux y arriver. Et puis ça dépendra
aussi si je suis pris en Equipe de France ou pas. Enfin si j’y vais…ce s’ra quand même plus
simple pour être pro après. Mais même, ‘fin c’est pareil. Si je veux être pris il faut que je
bosse à fond et que j’me surpasse trop pendant le stage, de… euh, de la sélection quoi. »184
On voit apparaître un lien indissociable entre dépassement de soi, effort et réussite.
Ce dépassement de soi, évoqué ici par Nicolas, est d’ailleurs un thème clé dans l’imaginaire
du sport. Isabelle Queval l’a largement traité et son essai S’accomplir ou se dépasser185
nous
est particulièrement utile pour comprendre l’origine et la portée de cet imaginaire. La dernière
partie du livre, « Le dépassement de soi, figure du sport contemporain », nous intéresse
particulièrement dans le cadre de cette recherche. L'essayiste rappelle que le sport s'inscrit
dans des schèmes sociétaux, celui de la nécessité de réussir, l'impératif d'acquérir une
visibilité sociale et d'être en quête d'une excellence qui se veut protéiforme. La dualité entre
éducation physique et sport est visitée à travers diverses occurrences et thématiques :
bien/mieux, équilibre/déséquilibre, mesure/excès, désintéressement/avidité,
épanouissement/perfectionnement, pédagogie/compétition ou encore aspect ludique/empire du
chiffre et des palmarès. Cette dualité se retrouve au sein de l'Éducation nationale entre
l'éducation physique et l'association sportive hors temps scolaire. Le dépassement de soi
s'avère contagieux et incontournable et comme Queval l’explique, il est inhérent à toute quête
de l'excellence. En effet, peut-on « faire bien sans faire mieux »186
? C'est le sport de haut
niveau, icône du dépassement de soi, qui est réellement représentatif d'un processus qui,
depuis les Lumières, a amorcé le culte du progrès dans la culture occidentale. Distinct du
sport de masse, il agit néanmoins comme miroir dans des processus d'identification populaire.
184
Entretien avec Nicolas, minute 16, p.5 185
I. Queval, S’accomplir ou se dépasser. Essai sur le sport, Gallimard « Bibliothèque des sciences humaines», 2004 186
Ibid., p. 17
70
Il fonctionne selon les lois du marché, du spectacle. Il perdure dans sa logique de performance
au sein d'une société qui commence à remettre en cause les cadences de travail, le progrès, le
culte du « mieux ». Le champion est d’ailleurs défini parfois, comme le disait Jacques
Anquetil, par sa « capacité à souffrir »187
. Pour le champion, le dépassement de soi apparaît
comme un mode d'être, un chemin vers la transcendance, une volonté de dépasser des limites
qui semblent subjectives. Ayrton Senna, par exemple, résume assez bien les enjeux du
dépassement de soi, de l'amélioration de l'humain, de l'immortalité et de l'abstraction du
corps : « Le dépassement de soi prend tout son sens dans le cockpit d'une voiture de course.
Pour aller plus loin, plus près des limites de la machine et de l'homme, un pilote doit tout
donner : son cœur, son corps, sa tête ; je suis là, dans le présent, mais en même temps je suis
plus loin que moi-même, plus loin que la réalité, je suis dans le futur. »188
Isabelle Queval
traduit bien la valeur symbolique du sport, où la réussite sociale s'évalue en termes de
performance, « une ère de la démocratie de la réussite et du prestige méritocratique du
surpassement, une époque de l'évolution statistique chiffrée qui se conjugue à la force
fulgurante de l'image, du « look » »189
.
Alors, ce besoin de dépassement ou de surpassement est totalement intégré par les
joueurs du centre de formation. C’est même ce qui leur est demandé. Comme l’affirme M.
Fauchelevent :
- « On ne demandera jamais aux joueurs d’avoir une limite. Je pense pas qu’il y ai
de limites d’ailleurs. C’est nous qui les créons. Ou les joueurs qui se les créent. Nous on veut
qu’ils aillent le plus haut possible. Regarde, moi, je suis petit gros et pourtant j’ai été
professionnel. Si j’avais eu des limites j’aurais jamais réussi ça, je me serais arrêté avant.
C’est en se dépassant tout le temps, en donnant encore plus qu’on peut y arriver. Les gamins
sont là pour bosser. Si ils sont pas pros à la fin c’est pas grave, nous notre but c’est qu’ils
aillent le plus haut possible. C’est la capacité à se donner à l’entraînement tout le temps qui
fait la différence. »190
187
Cité par I. Queval, ibid., p. 307 188
Ibid., p. 286 189
Ibid, p. 343 190
Discussion avec M. Fauchelevent, après la fin de l’entretien et donc non retranscrite. Phrase tirée d’une prise
de note après la discussion
71
Cette nécessité de toujours faire plus, de toujours faire mieux, est donc affichée et
serait, à l’exemple de M. Fauchelevent, le facteur déterminant dans la réussite. Ce discours est
largement passé auprès des joueurs qui, dans les entretiens, choisissent tout au moins une fois
un mot de la famille de « dépasser » ou « surpasser » et une expression synonyme de
« travailler avec acharnement ». Le travail montré comme vecteur de réussite induit une autre
idée, celle de la méritocratie : par son engagement, sa dévotion et sa capacité à faire toujours
mieux, chaque joueur serait maître de son destin et donc de sa réussite dans l’univers
professionnel.
Si les joueurs tiennent tant à se dépasser, c’est avant tout parce que le monde du sport
ne laisse pas de place à l’échec ou à la faiblesse. Le culte de la performance, développé de
façon sociétale mais dont le sport se fait le miroir grossissant, réclame des prouesses
« toujours plus hautes, toujours plus rapides, toujours plus fortes »191
. Alors, dans ce contexte,
il semble difficile de prendre le temps nécessaire pour soigner une blessure ou accepter
l’erreur. On remarque que les joueurs sont conscients de cette règle nouvelle du sport
professionnel et l’ont même pour la plupart déjà intégrée dans leur façon de faire, en se
dépassant sans cesse et en tentant de repousser les limites imposées par le corps ou par
l’esprit. C’est ainsi que Tony explique :
- « J’aurais dû m’arrêter plus tôt. Là je faisais tous les entraînements avec les pros,
plus ceux avec le centre de formation. Ça m’a cassé ! C’était obligé que je me blesse à force
de faire toujours plus, toujours plus… (regard songeur) Mais même les coachs auraient dû
m’arrêter, je sais pas pourquoi ils voulaient que je fasse tout ça. Enfin si, pour que je
progresse c’est sûr, mais c’était pas prudent. Et au final ça fait six mois que j’ai pas jouer.
Normal ça me fait chier, surtout que j’aurais pu l’éviter. Mais à force de vouloir trop faire tu
vois, ben tu te casses. Et maintenant je sais pas comment je vais revenir. Je sais pas quand je
pourrai reprendre. Et si du coup j’aurai ma place dans le groupe pro. Normalement oui avec
le contrat. Mais ça va être chaud. »192
Le discours de Tony montre à quel point le centre de formation, particulièrement
dans son cas, est un passage éprouvant. A force de chercher plus de performance, la
« machine » peut s’enrayer et ne plus fonctionner, pendant plus ou moins longtemps. La
191
Pour reprendre l’expression d’Henri Didon, devenue devise olympique. 192
Entretien avec Tony, op.cit., minute 16, p.5
72
blessure, dans le sport de haut niveau, est un risque perpétuel et difficilement contrôlable.
Mais la blessure est aussi le coup d’arrêt qui peut stopper net toute carrière. C’est-ce que
montrait un ancien joueur de l’équipe de France lors d’un entretien en septembre dernier :
- « J’étais au top de ma carrière, au plus haut niveau ça allait bien. Je venais de
faire l’Euro avec l’équipe de France, on était au top avec Pau, ça roulait quoi. […] Et puis
j’ai eu ma blessure au genou. Une grosse blessure…Et là tout le monde te laisse. Parce que le
groupe il doit continuer, il peut pas t’attendre. Il y a beaucoup d’argent en jeu et tout. Du
coup on te trouve un pigiste tout de suite après, tu sens que ta blessure fait chier tout le
monde. Mais personne pense que la première personne que ça emmerde, c’est toi. Parce que
du coup t’es en dehors du groupe, et il faut te reconstruire seul. Se soigner, retrouver le
physique, le niveau, la confiance. Et plus tu mets du temps à revenir moins on te regarde.
Parce que le groupe a continué sans toi. Et là c’est la chute, et c’est comme ça que j’ai fait
des piges en Pro B avant de signer ici. […] Oui bien sûr, j’ai beaucoup d’amertume. Parce
que j’ai vu ce que c’est quand ça s’arrête. Et encore, j’ai la chance de rejouer au basket. »193
Ce discours ne mérite pas beaucoup plus d’explications. Il montre combien le sport
de haut niveau peut être cruel face à la blessure et donc en quelques sortes, face à l’échec. On
ne voit dans les médias que le côté flamboyant du sport : la réussite, la popularité, la richesse,
mais très rarement la difficulté d’un grand nombre de sportifs tombés dans l’oubli à la suite
d’une blessure ou de contre-performances. Les joueurs du centre de formation acceptent cette
réalité et c’est pour cela qu’ils donnent une réelle importance aux études. Comme l’explique
Luc,
- « Quand t’es sportif ta carrière elle s’arrête tôt. Et genre là à la JL, c’est de la Pro
B. Donc faut pas compter devenir millionnaire, y a aucune chance. Donc les études c’est
important parce que tu pourras pas vivre du sport toute ta vie. Bien sûr c’est un rêve ça, ça
fait envie, quand tu vois Parker ou les autres. Mais dans la réalité, quand ça s’arrête faut
bien pouvoir faire un boulot. Donc avoir le bac c’est quand même vachement important. Puis
même si tu te blesses, t’as plus de boulot ! Donc il faut trouver autre chose à faire… Et ça
sans avoir fait d’études c’est chaud. Enfin j’crois… »194
193
Entretien avec C. Ferchaud dans le cadre du stage à la JL Bourg Basket, août 2011, minute 23, p.8 194
Entretien avec Luc, op.cit., minute 25, p.7
73
Les études sont alors une assurance, en prévoyance de ce risque réel qui pèse sur
chaque sportif de haut niveau. Le cadre de la recherche encourage sans doute aussi cette
maturité des joueurs à ce sujet : comme le dit Luc, la JL Bourg est en pro B et comme nous
l’avons indiqué, les salaires ne sont pas mirobolants. Bien sûr, une rémunération de 4000€ par
mois est déjà largement au-dessus de la moyenne française, mais ne permet pas de vivre toute
sa vie sans travailler. Si l’enquête avait eu lieu dans un autre club, de Pro A, où les salaires
moyens sont de 15000€ mensuels, les résultats auprès du centre de formation sur ce thème
auraient sans doute été différents. Les dix joueurs interviewés ont expliqué la nécessité des
études à la manière de Luc, en prenant en considération les risques du métier. Bien sûr, et
comme nous l’avons déjà montré, tous ne donnent pas la même importance à la scolarité mais
la totalité des joueurs exprime à un moment de l’entretien le besoin d’avoir un bac à la fin du
lycée.
Le recul des adolescents vis-à-vis d’un métier souvent montré comme mirifique
dénote avec la croyance en un mythe de l’ascension sociale par le sport. Si certains joueurs,
comme nous l’avons compris, sont influencés par l’émergence de ce mythe, ils restent
néanmoins conscients que le sport professionnel est un univers particulier et cruel. Cette
dualité dans la pensée vient encore une fois de l’âge et de la situation des joueurs. Ils sont
entre la posture candide influencée par le mythe sociétal et la position de joueur professionnel
qui travaille dans une réalité bien définie.
Ce qui ressort alors de cette dualité et qui est mis en avant pour contrer le paradoxe,
c’est l’importance de l’effort quotidien et du « sacrifice » au sport. Comme nous l’avons saisi
précédemment, le travail est la clé de la réussite selon les joueurs, ce qui leur permettrait de
devenir professionnel quelle que soit leur origine. Les dés ne seraient ainsi pas pipés et tout le
monde pourrait réussir, en travaillant. Or, comme nous l’avons compris jusqu’à présent,
seulement quelques joueurs du centre de formation ont une réelle possibilité d’atteindre le
plus haut niveau sportif. Tous expliquent pourtant avec ferveur l’importance du travail pour
réussir, tous disent donner le meilleur d’eux-mêmes mais seuls quelques-uns franchiront peut
être les portes du professionnalisme. M. Madeleine confirme même les dires des joueurs
puisqu’il affirme :
- « Dans l’ensemble, les joueurs jouent vraiment le jeu. On a eu un problème avec un
joueur cette année qui n’a pas fait assez d’efforts, et qui n’a jamais été assez investi. Mais
74
tous les autres bossent beaucoup et font vraiment ce qu’on leur demande. Ils ont
complètement compris ce qu’on attendait d’eux. »195
Et il poursuit pourtant en expliquant que la volonté est « d’amener chaque gamin à
son plus haut potentiel individuel voilà, ils finiront pas tous pros parce qu’ils en ont pas tous
la capacité »196
. Avec le même travail et la même envie, tous les joueurs n’arriveront donc
pas au même niveau. La méritocratie affichée du sport ne serait donc pas si évidente qu’elle
n’y paraît.
B/ Un monde fermé
« Le discours du sport est-celui du mérite : que le meilleur gagne ! Et il y a dans ce
discours l’idée d’une vérité du jeu : sur un terrain la couleur de peau ne compte pas, seules
les performances importeraient »197
. C’est en ces termes que Patrick Mignon définit l’idéal
méritocratique du sport que nous avons tenté d’appréhender précédemment. Mais comme
nous l’avons constaté, la méritocratie n’est pas réellement installée, puisque tous les joueurs
ne peuvent pas atteindre un même but malgré la même envie et le même effort.
Cette différence de possibilité est relatée par quasiment tous les joueurs, neuf sur les
dix, qui donnent pour raison un même facteur : le talent. Ainsi, il faudrait avant tout du talent
pour atteindre le plus haut niveau. Par ce terme, entendons une aptitude, une qualité naturelle
inexplicable rationnellement que certains auraient à la différence d’autres. C’est d’ailleurs ce
que nous livre Dorian :
- « Tout le monde peut pas y arriver, il faut du talent. Enfin genre, un mec qui bosse
énormément et tout, qui fait que ça, il va progresser, c’est sûr, même peut-être beaucoup.
Mais il sera jamais aussi fort que celui qui travaille autant et qui a du talent. Quand t’as pas
de talent tu peux être bon si tu taffes tu vois, mais tu peux pas être excellent. »198
En ce sens, les joueurs ne naîtraient pas avec les mêmes dispositions et possibilités.
Le monde professionnel ne serait ainsi pas ouvert à tous mais à une poignée d’élus réunissant
195
Entretien avec M. Madeleine, minute 20, p.6 196
Ibid., minute 21, p.6 197
P. Mignon, « Intégration par le sport, et si on regardait du côté des instances », in Le sport peut-il tenir ses
promesses sociales, coll. « Le dossier du mois », La ligue de l’enseignement, juin/juillet 2010 198
Entretien avec Dorian, minute 21, p.6
75
les critères nécessaires pour ce sport et à un tel niveau. Steed poursuit dans ce sens en
répondant à la question qui vise à savoir si la méritocratie existe dans le sport :
- « Non je ne pense pas. Chez certains joueurs c’est plus inné que chez d’autres, il y a
une part de talent. Certains font énormément d’effort et y arrivent mais ce n’est pas une
garantie. C’est aussi une part de chance, quelqu’un qui était là au bon moment au bon
endroit, qui a mis le bon shoot…c’est peut-être pas forcément le plus méritant. »199
Il rajoute ici un nouveau facteur dans le cadre de la réussite, celui de la chance. Il
faut se trouver dans une certaine région ou dans un certain club pour réussir, avoir la chance
d’être vu, repéré. Cette part de chance est non-négligeable et semble même primordiale pour
être remarquée. C’est en tout cas ce qu’on peut comprendre en écoutant Tony, qui explique :
- « Je dois beaucoup à Marc car c’est lui qui m’a amené en équipe de France. En
fait il connaissait une personne du staff et il l’a appelée pour parler de moi, enfin pour lui
dire de me voir jouer tout ça. Et du coup le mec est venu et ça a accroché. Mais j’ai grave eu
de la chance parce que si Marc connaissait pas ce mec, ou bien si l’autre était venu à un
autre match…parce que genre ce jour-là je mettais tout, c’était énorme. Ben j’aurais peut-
être jamais été pris. Donc j’ai eu de la chance quand même. »200
Tony a montré beaucoup de modestie lors de l’entretien mais comme ses camarades le
rappellent, « il a un sacré talent. [On] a l’impression que c’est facile pour lui, quand [les
autres] galèrent grave »201
. Ses qualités de basketteurs ne doivent donc pas être remises en
cause mais il explique bien la chance qu’il a eu et qui a peut-être fait la différence avec
d’autres joueurs de même niveau à un moment donné. On voit apparaître ici deux facteurs
nécessaires de la réussite pour franchir le dernier palier de la sélection professionnelle :
chance et talent. D’ailleurs, Tony est le seul du groupe à avoir signé un contrat avec l’équipe
première pour la saison prochaine. Il est donc, au moins pour les autres joueurs de l’équipe,
un modèle de réussite. Outre ces deux critères, un autre est considérablement important et est
évoqué là-encore par huit joueurs sur les dix interviewés : celui de la taille. Ce facteur,
incontrôlable et naturel, est lié à la nature du sport. Le panier de basket-ball étant en hauteur,
199
Entretien avec Steed, minute 29, p.8 200
Entretien avec Tony réalisé pendant le stage d’août 2011, minute 26, p.9 201
Entretien avec Ronny, minute 16, p.7
76
il faut des gens de grande taille pour être plus prêt du cercle. Depuis les débuts de ce sport, les
entraîneurs ont toujours cherché des joueurs « grands » pour ensuite les faire travailler. Avant
même le talent, la passion ou la détermination, c’est une loi naturelle qui détermine qui sera
privilégié dans la formation et dans l’accès aux structures. Les joueurs sont complètement
conscients de cela et c’est pour neuf d’entre eux une des raisons qui les a tournés vers ce
sport. C’est ainsi que Nicolas raconte :
- « J’étais le plus grand dans ma classe tout le temps quand j’étais petit. Du coup tout
le monde me disait de jouer au basket. Et vu que mes parents en faisaient ben j’en ai fais
aussi. Puis quand t’es petit (comprendre jeune), quand t’es grand ben tous les entraîneurs
viennent te voir et tout. Du coup après je suis allé au pôle, parce que je savais joué hein, je
m’entrainais déjà, mais aussi parce que je suis grand. »202
Cette explication se retrouve chez quasiment tous les joueurs. Comme nous l’avons
déjà cité, c’est-cette raison qui a conduit le médecin de Chris à l’orienter vers le basket, alors
que pour Marius qui « a toujours été le plus grand partout »203
, il était naturel de pratiquer ce
sport. A l’inverse, Dorian explique que sa petite taille aurait pu lui fermer des portes :
- « J’ai toujours été plutôt petit, enfin pour le basket j’veux dire. Du coup les grands
ils passaient avant moi. Alors y a fallu que je travaille encore plus, tout le temps, pour
compenser ça en fait. Je voulais qu’on me voit plus que les grands sur le terrain. Du coup je
jouais tout le temps tout le temps chez moi, pour être super technique vu que je savais que je
serai jamais grand. Fallait compenser quoi. Maintenant j’ai fait beaucoup de muscu donc
c’est différent, et y a toujours quelques petits joueurs. Mais c’est les grands qui sont repérés
en premier. »204
Dans le sens où il a réussi à entrer en centre de formation et même à être classé par M.
Fauchelevent, et par M. Madeleine qui le plaçait après l’entretien, parmi les trois joueurs
ayant de réelles chances de devenir un jour professionnel, Dorian véhicule l’idée que le travail
paye et que n’importe qui peut réussir dans le basket. Cela étant, d’après ce qu’on pu confier
202
Interview de Nicolas, minute 2, p.1 203
Entretien avec Marius, minute 2, p.1 204
Entretien avec Dorian, minute 5, p.2
77
les coachs lors de discussions informelles, il est indéniable que ce garçon a un talent
exceptionnel entre les mains. Il a certes su le mettre à profit mais il avait des prédispositions,
en termes de lecture de jeu et de dextérité, pour le moins impressionnantes. Son talent lui a
donc permis de compenser sa petite taille.
Il est intéressant d’observer ici la dichotomie entre l’importance du travail, très
rigoureux, et le besoin de talent, complètement irrationnel. Les joueurs envisagent en fait la
réussite à la fois en termes de facteurs rationnels et de raisons illogiques. On explique cette
dichotomie par le fait que les joueurs sont dans un parcours incertain et n’ont pas encore de
certitude en ce qui concerne leur avenir. Ils se rassurent donc en donnant dans le discours une
grande place au travail : cela les conforte dans leur choix et justifie même leur parcours en
centre de formation. Ils sont toujours venus avec le rêve d’être un jour professionnel et se
conforte à espérer, au moins un peu, qu’il est possible de réussir par le travail. Il est toujours
plus sécurisant de donner de l’importance à ce qui est rationnel et maîtrisable plutôt qu’à ce
qui est aléatoire. Cependant, au dernier échelon de la sélection, ils voient tous les jours que le
travail ne fait pas tout et qu’il y a des différences immuables entre les joueurs. Le mérite ne
peut dès lors pas tout compenser, et certaines aptitudes sont incontournables pour atteindre le
niveau professionnel.
Cette présentation des différents facteurs qui permettent l’accès au plus haut niveau
n’est pas exhaustive. En effet, tous ceux donnés ici ne semblent pas biaisés, au sens où chacun
pourrait réussir avec de la chance et du talent, quelle que soit son origine ou son capital social.
Or, ce que les joueurs disent est autre. Comme nous l’avons déjà expliqué, l’origine sociale
est déterminante dans la possibilité d’accès ou non à un centre de formation, ce qui
conditionne considérablement la réussite. Mais une fois le centre intégré, le « carnet
d’adresse » serait primordiale pour faire la différence et atteindre le très haut niveau. C’est en
tout cas ce qu’explique François :
- « Je pense que déjà il faut être bien entouré, faut savoir avoir des contacts. Faut
savoir euh...je pense l’aspect entourage et euh...faut avoir son petit coup de chance, de
tomber sous le charme, enfin qu’un coach nous apprécie et puis nous fasse monter. Enfin je
vois par exemple en équipe de France, ben j’ai un ami qui est en équipe de France qui me
disait que lui « ça aurait pu ne pas être moi, parce que moi mon coach a décidé d’aller me
78
présenter à mon coach de l’équipe de France parce qu’il m’aimait bien et il a fait l’effort
pour ça. Donc ça aurait très bien pu être mon voisin, en termes de basket, qui était aussi bon
que moi mais que le coach avait pas choisi. »205
Son histoire montre l’importance d’être apprécié ou de connaître quelqu’un de haut
placé : ce n’est plus le talent qui fait la différence, mais le capital social. M. Madeleine est
d’accord avec cela :
- « on mettra plus facilement une pièce sur un que sur un autre, ça je pense que c’est
dans tous les métiers pareils, que ce soit au basket ou dans un autre job… quand on s’appelle
fils de ou voilà, je pense qu’on a forcément un gros avantage au départ voilà, ou sur internet
on regarde le gamin Tchicamboud206
, s’il s’appelait pas Tchicamboud y’aurait pas 50 vidéos
sur youtube »207
Les facteurs déterminants, à partir d’un certain niveau, sont donc autres que sportifs. Il
faut certes du talent, de la réussite et du travail, mais ce n’est pas forcément ce qui
conditionne l’accès à l’élite. Bien entendu, certains joueurs ayant des caractéristiques
exceptionnelles208
réussiront sans cela, mais il semble que le carnet d’adresse soit tout de
même utile pour percer. On comprend là que les joueurs ne sont absolument pas sur un pied
d’égalité face à la réussite et que la prétendue méritocratie régnante dans le sport peut être
remise en question.
Face à cette inégalité de traitement, les joueurs du centre de formation n’ont pas la
même réaction : ils ne voient pas le monde dans lequel ils sont de la même façon. Il faut alors
réutiliser la typologie dressée en première partie pour comprendre la différence
d’interprétation. Pour les « pragmatiques », le milieu professionnel est une sphère fermée,
mais où le travail paye. Selon eux, le talent est très important pour réussir et c’est pourquoi ils
ont peu de chance d’être professionnels un jour. C’est en tout cas la façon dont ils expliquent
leur échec. On remarque que ces joueurs s’expriment de façon paradoxale, à la façon de
205
Entretien avec François, op.cit., minute 29, p.7 206
Ndlr : Steed Tchicamboud est un joueur de l’équipe de France de basket 207
Entretien avec M. Madeleine, op.cit., minute 31, p.9 208
On pense par exemple à Alexis Ajinça, joueur français qui mesure 2m25. Sa taille étant tellement rare, il a eu
accès à des centres et à des structures sans même savoir jouer au basket à ses débuts. Ce cas est assez
exceptionnel et ne constitue donc en aucun cas un exemple révélateur des conditions d’accès au haut niveau.
79
Steed, en réponse à la question qui tend à savoir si tout le monde peut percer dans le sport
professionnel:
- « Oui je pense que tout le monde peut y arriver parce que c’est vraiment le travail
qui peut nous emmener là où on veut aller. Après que tout le monde puisse y arriver, je ne
sais pas puisqu’il n’y aura pas nécessairement toutes les infrastructures, des gens ne
pourront peut-être pas rentrer n’importe où s’ils n’ont pas assez de talent. Il y a aussi des
problèmes d’argent ou des choses comme ça. »209
Dans la même phrase, Steed donne deux réponses antonymiques : « le travail peut tout
mais il ne peut pas tout ». Ce paradoxe est revenu chez tous les joueurs « pragmatiques », ce
qui est dû à leur situation : ils savent qu’ils ne seront pas professionnels mais veulent
légitimer leur travail quotidien et leur échec dans le sport.
Pour le deuxième groupe, celui des « passionnés », la position diffère totalement : ils
considèrent que tout le monde peut réussir dans le sport et que c’est le travail qui rend cela
possible. Comme nous l’avons montré avec l’exemple de Tony, ces joueurs tiennent à rester
modestes et invoquent aussi la chance comme raison dans la réussite. Là encore, la posture
choisie légitime la position : ces joueurs doivent leur réussite à leur travail, ou en tout cas le
pensent. C’est le moyen qui semble en effet le plus juste pour réussir et donc le plus flatteur.
Il serait étonnant, et ce n’est d’ailleurs pas le cas, qu’un des trois joueurs « passionnés »
explique sa réussite par son origine sociale ou par le capital financier et social de ses parents.
Le travail est une vertu bien plus noble à faire ressortir. Ces joueurs pensent donc que leur
parcours est possible pour tous, par le dépassement de soi, extrêmement mis en avant dans
cette catégorie, le travail et la passion.
Enfin, le dernier groupe adopte un troisième type de discours. Les « romanesques »
pensent en effet que le travail permet de réussir mais sont critiques sur le fonctionnement du
centre de formation. Selon eux, tout le monde à une chance de devenir professionnel par le
travail, à la fois athlétique et technique. En affirmant cela, ils légitiment leur rêve et leur
espoir pour l’avenir. Ce sont aussi eux qui évoquent le moins le talent parmi le panel
d’interviewés, sans doute parce qu’ils voient leur parcours comme quelque chose de
laborieux, où il faut consacrer beaucoup d’énergie pour atteindre le niveau requis. L’effort et
209
Entretien avec Steed, op.cit., minute 26, p.8
80
le dépassement de soi ont dans ce groupe une valeur considérable. Par contre, les trois joueurs
sont les seuls à avoir évoqué les inégalités de traitement au sein du centre de formation. C’est
le cas d’Yven qui explique :
- « Par exemple tu regardes, ceux qui sont p’t’être un peu plus forts, si un jour il a pas
envie de s'entraîner, ben il va dire « j'ai un contrôle à réviser », il va rester seul pendant que
nous on ira s'entraîner. Ou alors y'en a qui vont aller s'entraîner avec les pros. Mais bon ça
c'est pour d'autres raisons. On va leur dire « Allez vous reposer parce que vous vous
entraînez avec les pros » alors que nous on continue, on continue, on s'entraîne tout le temps.
Y'a d'autres sortes de privilèges aussi. Regarde, là, la saison est terminée, y'en a qui vont
continuer à jouer avec l'équipe réserve... ils s'entraînent, par exemple les entraînements de
musculations y'en a des spéciales pour l'équipe et d'autres pour ceux qui vont devenir pro
donc heu, pas tous pareils quand même. »210
Chris et Marius ont aussi fait des allusions de ce type sur les inégalités au sein du
centre et particulièrement sur le fait que certains sont largement privilégiés. Cette critique du
mode de fonctionnement légitime là aussi l’échec annoncé des joueurs. Même s’ils croient en
leur chance, ils sont conscients du retard pris sur certains autres joueurs. Ce retard ne viendrait
alors pas d’eux, qui ont « énormément bossé »211
, mais de la façon dont ils sont considérés
dans le centre. Ces trois joueurs se considèrent comme défavorisés par leur staff, ce qui
expliquerait leur niveau de basket plus faible.
La différence de représentation, outre la différence sociale originelle qui a permis de
fonder les différentes catégories, vient ici principalement de la différence de possibilité
d’intégrer le monde professionnel un jour. Alors, malgré cette disparité entre les joueurs dans
leur parcours futur, le centre de formation a un objectif important : faire de jeunes basketteurs
des « Hommes ».
210
Entretien avec Yven, op.cit., minute 26, p.8 211
Entretien avec Chris, op.cit., minute18, p. 6
81
Section 2 : Devenir un Homme
Comme nous avons pu le constater jusque-là, le centre de formation est un lieu de
travail, ayant des objectifs sportifs et scolaires à la fois. Les joueurs rentrent a priori pour trois
ans, une période longue dans l’adolescence. C’est un moment particulier de la vie, où
l’enfance se termine et l’âge adulte se rapproche. Etape clé qui fait la transition entre deux
moments différents, l’adolescence est un palier important dans la construction de l’identité et
de la personnalité. Les joueurs du centre de formation étant en contact quotidien avec le staff,
il est manifeste que ce dernier joue un rôle majeur dans la construction des représentations
qu’ils peuvent avoir et donc des choix qu’ils feront dans le futur. C’est d’ailleurs un rôle
affirmé par le centre de formation : il faut accompagner ces adolescents à devenir des hommes
bien dans leur peau.
A/ Le centre de formation, un lieu de construction de la personnalité
Ce rôle du centre de formation est repérable premièrement dans les paroles du staff,
qui choisit l’orientation pédagogique du centre de formation et sa manière de fonctionner.
C’est en tout cas ce qui est exprimé par M. Madeleine :
« Le premier but du centre de formation chez nous ça va être de construire une équipe
qui va correspondre à l’image qu’on veut véhiculer du centre de formation, c’est le premier
truc, deuxième truc, ça va être de former des ados, de construire de hommes, les emmener
comme je l’ai dit tout à l’heure vers la réussite scolaire qui devait être la leur, ce pour quoi
ils sont destinés et petit à petit idéalement d’y intégrer le basket et d’amener chaque gamin à
son plus haut potentiel individuel. Si on a atteint cet objectif à la fois scolaire, d’identité, de
construction d’un ado avec des valeurs qu’on veut véhiculer, de l’amener à son plus haut
niveau de basket, j’estime qu’on a rempli notre mission. »212
Le premier objectif est donc de former des joueurs en fonction de l’image à véhiculer.
Cette image, comme l’interviewé me l’expliquait à la fin de l’entretien, se construit à travers
des comportements et des valeurs. Ces valeurs, l’entraîneur et le directeur du centre souhaitent
les faire passer aux joueurs. On remarque que cette volonté est réelle à travers les discours des
joueurs. A la question, « est-ce que le basket est un sport qui porte des valeurs ? », tous ont
212
Entretien avec M. Madeleine, op.cit., minute 19, p.6
82
répondu à peu de choses près de la même façon. Si la difficulté à mettre des mots est
apparente, certaines expressions reviennent très souvent : « c’est collectif donc faut s’entendre
avec tout le monde, enfin avoir un esprit d’équipe. Donc c’est du respect pour les autres et
pour les coachs »213
, « faut du courage aussi, mais en restant pas prétentieux »214
, « et puis
savoir se donner tout le temps, faut travailler »215
. Ces expressions ne donnent pas de valeurs
précises, ce qui semblait compliqué à faire sans réflexion pour des adolescents, mais mettent
en avant un type de fonctionnement, une façon d’envisager le basket. Nous ne citons ici que
quelques joueurs mais les dix ont évoqué au moins deux de ces types d’expression.
Comparons alors ce qui est mis en valeur par les joueurs et ce qui l’est par le directeur du
centre de formation, en réponse à la même question :
- « Je ne sais pas si c’est le sport qui a des valeurs naturellement ou si c’est les gens
qui sont dans ce sport qui véhiculent des valeurs qui leurs sont chères. Je pense que c’est
plutôt ça. Nous avec M. Madeleine on a des valeurs, c’est sûr, ou en tout cas on attache de
l’importance à ces valeurs, parce qu’on pense que c’est important. Du coup on essaye de les
transmettre aux gamins. […] Ce sont des valeurs d’humilité, de respect, de partage, de
travail, de combativité. »216
On repère immédiatement la proximité entre les valeurs que souhaite véhiculer M.
Fauchelevent et celles attribuées au basket par les joueurs. Mettons le « partage » en
correspondance avec « l’esprit d’équipe », la « combativité » avec le « courage » et
« l’humilité » avec l’expression « pas prétentieux », les termes de travail et de respect ayant
aussi été évoqués par les joueurs. L’ambition du staff de faire passer une certaine
compréhension le sport et du basket-ball en particulier est dès lors un succès : les joueurs se
sont appropriés ces valeurs, sur lesquelles l’encadrement a particulièrement insisté, et les
redonnent naturellement pour définir les pratiques. C’est un exercice délicat que de répondre à
une suite de questions sans y être préparé, surtout quand c’est un inconnu qui les pose. Cette
question sur les valeurs posée naturellement en début d’entretien, quand le joueur n’est pas
encore réellement en confiance, cherche à interpeller l’instinct : comment, spontanément, le
joueur caractérise sa pratique et donc, nécessairement, sa façon d’être ? La proximité dans les
213
Entretien avec Nicolas, op.cit., minute 2, p.1 214
Entretien avec Ronny, op.cit., minute 2, p.1 215
Entretien avec Luc, op.cit., minute 2, p.1 216
Entretien avec M. Fauchelevent, minute 1, p.1
83
réponses montre le travail effectué par l’encadrement du centre de formation et nous permet
de saisir à quel point il forme la personnalité. En effet, définir sa façon de faire dans le sport
c’est aussi définir sa façon d’être, de penser. On aurait pu avoir des réponses prônant
l’individualité ou la richesse, en tant que valeur financière rendue possible par le sport. Or ce
n’est pas le cas, et en ce sens la volonté du staff est une réussite.
Cela nous amène vers la deuxième partie de la citation de M. Madeleine, quand il
parle d’objectif « d’identité » et de « construction d’un ado ». C’est-ce qui est aussi montré
par M. Fauchelevent, en réponse à la question « Quel est le but premier du centre de
formation :
- « C’est pas un but forcément sportif. C'est que quand ils sortent d'ici, qu'il y aient passé un
an, deux ans ou trois ans, ils soient premièrement meilleurs hommes que quand ils sont
rentrés, meilleurs basketteurs que quand ils sont rentrés, qu'ils aient progressé sur le plan
scolaire. Et qu'on les ait fait s'épanouir un peu et se responsabiliser un peu. Voilà. Et après
s'il peut y avoir une réussite sportive par dessus tout ça, je dirais tant mieux. Mais pour moi,
c'est ma vision personnelle des choses, c'est pas la réussite principale que j'attends au centre
de formation. C'est à dire que quand il sortent de là, ils savent s'acheter un truc sans
demander à leur mère, ils savent passer un coup de fil sans faire « hum han hin », se tenir à
peu près bien, tu vois, être des gens quoi. Des gens… Ecrire des textos sans 8000 fautes. »217
Le centre de formation, avant même le but sportif, placerait la construction de
l’identité comme une fin importante dans le cycle des trois années. Là encore, les joueurs sont
au fait de cette réalité et l’ont largement intégrée. Comme le rappelle Marius, « avec le sport
tu changes de caractère, t’es mieux avec les autres. »218
. Dorian est plus précis et ajoute :
- « Dans tous les cas le but à la sortie c’est qu’on soit bien en sortant. Enfin je crois
que le centre de formation ça nous permet de devenir des Hommes. Qu’on soit bien dans
notre peau, qu’on soit respecté et qu’on respecte les autres. C’est pas que du basket en fait.
Parce que le basket, y en a qui seront pros, d’autres qui le seront pas. On sait pas trop ça tu
217
Entretien avec M. Fauchelevent, op.cit., minute 16, p.5 218
Entretien avec Marius, op. cit., minute 26, p.8
84
vois ? Mais tout le monde est cadré et tout. Donc ça doit nous aider à faire de nous des
hommes. »219
Cette idée revient très régulièrement, puisque sept joueurs sur les dix ont mentionné le
fait que la construction de la personnalité était un des buts principaux du centre de formation.
Il faut alors noter que ce sont les trois joueurs « romanesques » qui n’ont pas évoqué cet
objectif. Ayant moins de recul que leur coéquipier sur leur situation et étant dans un objectif
de professionnalisation évident, ils ne considèrent pas autant l’aspect extra-sportif que leurs
camarades car ce n’est pas en apparence le but d’un centre de formation sportif.
Cela étant, par l’apprentissage de la rigueur, du travail et du respect, les joueurs
doivent ressortir « meilleurs » dans leur façon d’être et de vivre en groupe. Cette nécessité est
d’ailleurs affichée en groupe affichée comme primordiale par les joueurs, qui voient là-dedans
un gage de réussite. C’est d’ailleurs toute la particularité d’un centre de formation : il faut
apprendre à se construire avec les autres mais se démarquer suffisamment individuellement
pour espérer un jour atteindre une place privilégiée qui ne peut être donnée à tous. Steed est
d’ailleurs assez honnête sur ce point quand il dit :
- « Alors que cette année j’ai eu du temps de jeu, j’ai un peu profité de la blessure de
Tony, comme tout le monde. C’est moche à dire mais c’est vrai qu’après c’est un petit peu la
concurrence, c’est un très bon pote, mais sa blessure m’a permis d’aller dans le cinq de
départ. »220
Cette réalité, qu’il exprime avec gêne, nait de la structure même : c’est un centre de
formation, où les places pour accéder à l’élite sont rares. Le fait que le basket est un sport
collectif contribue à renforcer cette dichotomie : il faut à la fois savoir se donner pour
l’équipe, rendre ses coéquipiers meilleurs pour que l’équipe soit plus performante, mais être
tout de même au-dessus du groupe pour construire son parcours futur et garder une chance
d’atteindre le milieu professionnel. Dorian précise avec justesse que :
- « De grands joueurs se sont fait connaître parce qu’ils étaient de grands
individualistes. Des fois faut jouer pour toi. Mais bon, pour se faire repérer il faut que
l’équipe gagne des matchs. Parce qu’un joueur s’il est fort mais que son équipe perd ben ça
219
Entretien avec Dorian, op.cit., minute 14, p.4 220
Entretien avec Steed, op. cit., minute 20, p.6
85
sert à rien. Le but c’est quand même de gagner des matchs, ou des championnats, fin de
gagner quoi. Donc je pense qu’il faut d’abord être bon pour l’équipe, et après plus tu
apportes, plus tu te donnes et tout, plus c’est mieux. Enfin les grandes équipes ça marche
quand tous les joueurs fonctionnent comme ça. Donc faut d’abord voir l’équipe et après
toi. »221
Aucun joueur n’a remis en cause cette vision des choses et même si le rêve est
personnel, la priorité semble toujours aller à l’équipe et à la réussite du groupe. Toute cette
idée remet en cause le mythe de l’ascension sociale par le sport : pas dans le sens où le sport
ne permettrait pas une promotion sociale mais parce que le but premier du sport n’est pas là.
Comme nous l’avons compris, le mythe s’est développé grâce à des récits d’individualités, de
sportifs qui se sont « construits » seuls et a émergé à l’aide de chiffres donnant des salaires
individuels exorbitant. Ce que vivent les joueurs du centre de formation est tout autre : ils
voient le sport comme un moyen de s’améliorer, comme sportif mais surtout comme humain,
et « d’être » avec un groupe. Plusieurs joueurs ont d’ailleurs évoqué « l’amitié » comme
valeur véhiculée par le basket-ball. Alors, peut être qu’une ascension sociale est possible,
mais elle n’est pas au cœur des préoccupations de la très grande majorité des joueurs.
Cet éloignement du mythe vient principalement du centre de formation : par les choix
pédagogiques et la méthode de sélection qui y sont opérés, le staff attire et ne recrute qu’un
certain type de joueurs. Il est donc fortement probable que, si l’enquête s’était déroulée dans
un autre centre de formation, et encore plus, dans un autre sport, les résultats auraient différé.
Il est tout de même primordial de noter à nouveau que cette sélection touche principalement
des joueurs de classe moyenne et non des joueurs financièrement « défavorisés ». Ainsi
l’éloignement au mythe est rendu possible par une certaine culture, une façon d’appréhender
le monde. Les valeurs du centre de formation peuvent être assimilées par les joueurs
notamment parce qu’ils sont capables de comprendre ces valeurs et de les partager. On
comprend, bien que le basket soit censé être le sport qui réunit le plus de catégories sociales,
que le centre de formation est une sphère très sélective ou l’entre-soi prédomine. Le centre de
formation et l’origine sociale des joueurs qu’il sélectionne constituent alors un socle de
socialisation fondamentale dans l’interprétation, et en l’occurrence l’éloignement, du mythe,
par les valeurs et la pédagogie qui y sont choisies.
221
Entretien avec Dorian, minute 15, p.4
86
Cependant, si l’hypothétique ascension sociale est laissée de côté et relativement peu
attendue, il apparaît que le sport, déjà dans le centre de formation, est perçu comme un moyen
de se faire connaître et reconnaître.
B/ Etre reconnu
Les joueurs, comme nous l’avons compris, sont attachés à des valeurs que le staff du
centre de formation leur a transmises. Mais comme le rappelait une étudiante durant une
discussion informelle, « le côté sportif de haut niveau ça plait quand même vachement, enfin
ça donne un certain prestige »222
. Les joueurs sont tout à fait conscients de cela et n’hésite pas
à en jouer. Comme le relate Tony :
- « Ben ça fait quand même kiffer, genre quand je joue avec les pros. Enfin que je suis
sur le banc. Les ptits qui viennent te demander un autographe et tout. C’est vraiment
agréable. Enfin ça fait plaisir tu vois, les gens qui te parlent dans la rue et tout. Moi j’aime
bien ça. Après c’est pas toute la gloire et tout de certaines stars que je dis hein, c’est juste là
être vu et qu’on sache qui je suis, c’est cool. »223
Ce joueur avait affirmé plus tôt dans l’entretien qu’il jouaist simplement pour son
plaisir et on remarque qu’il limite son propos tout seul, se rendant sans doute compte de
l’antinomie de ses dires. C’est pourtant la quasi-totalité des joueurs qui raisonne à sa façon.
Alors, tandis que nous venons d’expliquer que les joueurs attachaient peu d’importance au
mythe de l’ascension sociale par le sport et qu’ils pensaient aussi en terme de bien-être
individuel et collectif, de construction de leur personnalité, il apparaît que le prestige social
est réellement recherché. Bien entendu, l’ascension sociale est aussi caractérisée par une
élévation de ce capital social mais comme nous l’avons démontré précédemment, c’est
principalement le facteur économique qui a permis l’émergence du mythe dans le monde
contemporain. Le dévoilement des fortunes et le goût exacerbé des médias pour le capital
économique des sportifs représentent même aujourd’hui le fondement du mythe. Le mythe de
l’ascension sociale est donc essentiellement un mythe de l’enrichissement monétaire par le
sport. Or, les joueurs sont ici attirés par la reconnaissance. Comme l’affirme Ronny :
222
Discussion informelle avec une étudiante de l’IEPG ne donnant donc pas lieu à une prise de note. 223
Entretien avec Tony, minute 18, p.7
87
- « C’est du prestige le sport pro. Les gens te reconnaissent, t’aiment même sans te
connaître. Y a pas de boulot où t’as ça. Forcément c’est cool. Enfin ça fait partie du métier
mais c’est bien quand même, que les gens te reconnaissent comme ça. Je trouve en tout
cas. »224
Et ce prestige est envié. On constate que c’est le centre de formation, en tant que socle
de socialisation important dans la vie des joueurs, qui révèle ce besoin de reconnaissance. On
peut s’appuyer ici sur les propos de Chris, déjà cités précédemment :
- « Pour des jeunes qui ont sacrifié trois ans de leur vie en sorte de formation, c’est
une récompense normale d’être pro à la fin. On a quand même donné trois années de notre
vie à bosser à fond, à bosser, à se réveiller le matin pour aller à l’entraînement et tout, mais
je crois que la récompense ce serait qu’on finisse pro plus tard. Enfin qu’on soit reconnu
pour tout le travail qu’on a fait »225
Le prestige est ici interprété comme la reconnaissance sociale après des années
d’efforts. Mais ce sacrifice est la première étape d’un « sacre », puisque l’effort laisse une
trace tangible qui est ensuite glorifiée. La façon dont les joueurs se donnent n’est pas un acte
gratuit : comme l’affirme Chris, le sacrifice doit entraîner quelque chose, ce qui donne
d’ailleurs sens à l’acte. Ce quelque chose, c’est la reconnaissance, c’est la popularité. Et c’est
de cela que découle l’envie voire le besoin de « gloire ». Le temps passé à travailler et à se
dépasser mérite une récompense dans l’esprit des joueurs. C’est d’ailleurs ce qui est assuré
par le directeur du centre de formation, M. Fauchelevent, qui affirme :
- « Mais le travail paye, et on leur dit tout le temps. S’ils travaillent ils seront
récompensés. Forcément. Parce qu’ils vont voir qu’ils progressent, qu’on leur donne plus de
temps de jeu ou de confiance. Et puis plus tu es bon plus on te remarque quand tu joues. C’est
une bonne récompense. »226
Cette citation met en exergue la façon dont le centre de formation construit aussi les
envies : s’il instaure des valeurs fondamentales, il propose aussi une récompense au travail
fourni. Bien entendu, la plupart des joueurs rêvaient sans doute déjà du prestige que pourrait
224
Entretien avec Ronny, minute 30, p.8 225
Entretien avec Chris, op.cit. 226
Entretien avec M. Fauchelevent, op.cit., minute 19, p.7
88
leur apporter le sport avant d’entrer au centre de formation, mais les discours du staff et la
structure en elle-même ont sans doute cristallisé cette envie. En effet, le centre de formation
est un univers déjà prestigieux dans une ville, dans un département voire dans une région, en
tout cas pour les amateurs de basket-ball. Il n’est donc pas rare de voir une salle remplie pour
un match de « cadets France », le niveau auquel évoluent les centres de formation. Sans être
professionnel, les joueurs ont une visibilité importante et ont déjà une sorte de prestige social
qui est liée à leur réussite dans l’étape de sélection. Les supporters apprécient souvent ces
rencontres et particulièrement l’échange d’après match où l’on peut rencontrer les joueurs et
discuter avec eux. C’est en effet le moment où l’on rencontre d’hypothétiques futures
« stars ». Après un match auquel nous avons assisté, un membre du public confiait en réponse
à une question : « c’est bien de voir les jeunes comme ça. On sait pas trop, peut-être qu’il y
avait le futur qui Parker jouait là. Moi j’ai rencontré Antoine Diot quand il jouaist ici comme
ça et depuis il me dit bonjour. C’est bien quand même. »227
A l’image de cet homme, nombre
de gens se déplacent au match pour voir un niveau de qualité, certes, mais aussi avec l’arrière-
pensée, que, peut-être, un jour, ces joueurs seront mondialement célèbres et qu’on pourra se
targuer de les avoir rencontrés. Ce « privilège » est extrêmement apprécié par certains
connaisseurs qui ont ainsi l’impression d’avoir été dans l’intimité de joueurs célèbres, ce qui
leur procure une satisfaction et une fierté certaines, comme l’homme cité qui racontait sa
rencontre se rengorgeant. Alors, comme le montre Nicolas, les joueurs se rendent compte de
cette popularité et l’apprécient :
- « C’est cool quand du monde vient te voir à la fin du match, t’a dit que t’as fait un
bon match et tout. Enfin y a des gens ils viennent souvent, ils nous encouragent. C’est cool
quand t’es crevé, genre des fois la semaine elle a été dure. Et là on te dit que t’as fait un bon
taff. Ça fait du bien. C’est cool que les gens suivent ce qu’on fait. »228
Cinq joueurs ont eu des propos similaires et ont mis en avant l’importance de ce
prestige. C’est-ce qui contribue à légitimer le travail effectué et qui encourage à faire encore
mieux. En effet, devant des supporters, l’envie de faire bien se décuple. Dorian explique
d’ailleurs :
227
Discours informel rapporté après un match des cadets de la JL Bourg en 2011 228
Entretien avec Nicolas, op.cit., minute 15, p.5
89
- « Ben normal quand y a du monde dans la salle t’as pas envie de décevoir. Enfin
quand tu fais un bon match après tout le monde attend de toi plus. Du coup ça pousse à faire
mieux. »229
Ce discours se rapproche étonnamment de ceux donnés par les professionnels aux
médias. On voit là la proximité dans les attitudes entre les adolescents et leurs aînés qui sont
imités. Le centre de formation est donc le lieu de la construction de la personnalité aussi dans
la façon des joueurs de se représenter leur rapport au monde. Pendant le cycle au sein de la
structure formatrice, les joueurs sont donc en contact avec une forme de popularité. Celle-ci
leur plaît et il leur semble difficile de laisser cet aspect du sport. On note cela particulièrement
à travers la question « Qu’est-ce qui t’attire dans le sport professionnel ? » Les joueurs ont
notamment parlé de cette reconnaissance sociale mais en montrant sa possible fin. François
répond à la question en ce sens :
- « Ben le prestige. Enfin quand tout le monde t’aime bien parce que tu fais du sport
c’est cool. Mais bon, faut pas s’leurrer non plus, c’est bientôt fini ça. Parce que là on était
déjà un peu connu. Enfin pas nationalement hein, mais genre un peu dans le basket, contre les
autres joueurs et tout. Quand on va faire des études ça va changer. Enfin on sera un étudiant
normal, alors qu’au lycée on est quand même un peu à part, tout le monde sait ce qu’on
fait. »230
On sent déjà l’amertume du joueur alors qu’il lui reste plus d’un an a effectué au
centre de formation. La posture d’adolescent à la fois intégré au cadre scolaire mais en dehors
du reste des lycéens est avantageuse. Il est de notoriété commune que les sportifs de haut
niveau, surtout à l’adolescence, ont naturellement un charisme certain et une image à part au
lycée. Il est souvent compliqué de quitter cette posture prestigieuse au sein d’un univers pour
redevenir ou devenir « Monsieur Tout-le-monde », c’est d’ailleurs ce que semble redouter
François. C’est aussi ce que confiait M. Madeleine lors de la discussion qui a suivi
l’entretien :
« Pour la plupart des joueurs, quand ils s’en vont d’ici c’est dur. Parce qu’ils sont
chouchoutés pendant trois ans quand même. Même si on leur demande beaucoup, on leur
229
Entretien avec Dorian, op.cit., minute 15, p.5 230
Entretien avec François, op.cit., minute 16, p.5
90
donne des très bonnes conditions de boulot. Et pour la plupart c’est la dernière fois qu’ils
pourront vivre comme ça leur passion, qu’ils auront ces conditions, et un encadrement comme
ça. Donc quand ils s’en vont, ils se rendent compte que c’est fini. C’était dur mais du coup ils
se font des vrais potes, ils apprennent à grandir. Ils savent ça. Et beaucoup nous appellent
encore longtemps après pour nous remercier. C’est bien je trouve. Mais voilà, ils seront plus
jamais les beaux gosses du lycée, les mecs un peu inaccessibles. C’est la fin du rêve pour eux
quand ils quittent le centre. Ouais, c’est la fin du rêve, et donc un peu de leur passion. »231
Ce discours nous montre l’attachement que les joueurs développent pour la structure
mais surtout pour la position sociale qui y est liée, le prestige qui en découle. C’est, dans leur
vie, un temps où le mythe est touché du doigt et où la condition sociale d’origine, aux yeux
des autres, peut être effacée pour n’être plus, en apparence, qu’un sportif qui est sur le chemin
du succès. C’est donc, d’une certaine façon, la réalisation de la mobilité sociale. Mais cette
mobilité n’est ici réelle qu’en termes de prestige, à une petite échelle et non en termes
d’économie. Et comme le rappelle M. Madeleine, le rêve s’arrêtera là « pour la plupart »232
.
Ce bref espace-temps construit donc et déconstruit à la fois le mythe, puisqu’il laisse croire un
instant que la mobilité sociale est vraiment possible mais y coupe court ensuite ; il donne un
aperçu de la vie rêvée mais permet rarement d’y accéder effectivement. Cette fin de cycle
semble difficile à aborder pour les joueurs mais Luc confie enfin que « c’est comme ça, tout à
une fin. »233
Alors, durant ce cycle de trois ans, les joueurs ont un aperçu de ce qu’est le prestige
social. Ils y prennent goût et savent, pour la plupart, que cette position sociale particulière ne
durera qu’un temps. Mais qu’en est-il alors de leur rapport à l’argent ? C’est-ce qui caractérise
le mythe dans toute sa portée sociétale, et les joueurs ont un rapport particulier avec la
richesse, en tant que fin mais aussi en tant que facteur déterminant dans la réussite.
231
Discussion informelle avec M. Madeleine à la suite de l’entretien. 232
Ibid. 233
Entretien avec Luc, op.cit., minute 26, p.9
91
Partie III : L’argent, moteur double qui à la fois
construit et déconstruit le mythe
Section 1 : L’argent, but de la performance sportive
A/ Vivre de sa passion
Nous avons pu comprendre ce qui guide le parcours des joueurs grâce à une question :
« Qu’est-ce qui t’attire, te fait envie, dans le monde professionnel » ? La première des
réponses, et ce pour la grande majorité des joueurs, se rapporte à la passion. A l’écoute des
discours, il apparaît que cette passion est définie par un intérêt particulièrement vif et poussé
pour le basket, auquel vient s’ajouter un affect très développé. Citons immédiatement la
réponse de François, qui affirme :
- « Ben déjà de vivre de sa passion, ça c’est clair. Enfin faire ce qui te plait tout le
temps quoi. Le basket c’est vraiment une passion, c’est pour ça que je fais tout ça, les efforts
et tout. C’est un plaisir de jouer, de progresser. Donc ouais vivre de ça, pouvoir faire que ça
de ta vie. C’est ça qui me fait vraiment envie. Enfin ça me faisait encore plus envie avant
parce que j’y croyais mais là, même maintenant, si on me proposait de vivre du basket je
voudrais direct. Evidemment ! »234
« Vivre de sa passion »235
est d’ailleurs l’expression qui est revenue huit fois sur les
dix entretiens. C’est en fait lier la pratique à la rémunération qui est attirant pour un joueur.
Cela vient de l’historique et du parcours de ceux-ci. Comme ils l’affirment d’ailleurs, ils ont
commencé le sport par passion, par attrait, ou encore « pour se défouler »236
. Le sport n’était
donc pas originellement un moyen de gagner leur vie mais plutôt un vecteur d’amusement.
C’est en tout cas ce que relate Tony :
- « Ben j’aimais bien le basket à cause de ma famille et tout mais c’était surtout pour
être avec mes potes. Enfin on faisait du basket tous ensemble donc ça nous permettait d’être
234
Entretien avec François, minute 17, p.5 235
Ibid. 236
Entretien avec Marius, minute 1, p.1
92
plus souvent ensemble, de se voir et tout. C’est cool tu vois quand t’es petit de pouvoir être
avec tes copains, faire le sport qui te plaît avec eux. Donc là c’était pas de la compétition
encore, c’était juste du bon temps, un loisir quoi. »237
Les explications en termes d’amitié et de temps passé avec les « copains »238
constituent la première réponse à la question : « qu’est-ce qui te plaisait dans le basket ? ».
Ainsi, sept joueurs sur les dix ont évoqué cette raison, les autres insistant surtout sur leur taille
et le fait que le basket était, semble-t-il, « fait pour eux ». A leur début, les joueurs ne
considéraient ainsi pas le sport comme un moyen de réussir socialement : c’était simplement
un moyen de s’amuser. On constate que tous ont alors développé un goût exacerbé pour ce
sport. Comme le note Dorian :
- « Une fois que j’ai commencé je voulais plus lâcher. Enfin j’avais tout le temps envie
de progresser encore, d’être le meilleur. Parce que ça me plaisait vraiment t’sais, enfin
c’était frais d’apprendre des nouveaux moves, des cross et tout. Du coup je me suis mis à
m’entraîner tout le temps à faire des shoots chez moi dès que je rentrais de l’école, tout ça
quoi. »239
Selon les récits, cela s’est passé approximativement de la même façon pour tous les
joueurs. D’un loisir d’enfant, le basket est devenu progressivement une réelle passion et un
divertissement duquel on ne peut plus se passer. M. Madeleine expliquait d’ailleurs à ce
sujet :
- « J’espère que le basket est un échappatoire, mais dans le bon sens du terme. C’est
la passion des joueurs qui sont là, le basket et j’espère que jouer au basket leur vide la tête,
leur permet d’être bien. Qu’ils se ressourcent avec le basket. »240
Cette évolution de la place du sport dans la vie des joueurs est à noter car c’est-ce qui
guide le travail qu’ils fournissent, leurs efforts. En effet, c’est quand le loisir devient passion
que les « sacrifices » sont possibles. Il y a quelque chose de déraisonné dans la passion, en
tant que pulsion incontrôlable. D’ailleurs, philosophiquement et au sens moderne, la passion
237
Entretien avec Tony réalisé dans le cadre du stage d’août 2011, réalisé le 21 août 2011, minute 5, p.2 238
Ibid. 239
Entretien avec Dorian, minute 2, p.2 240
Entretien avec M. Madeleine, minute 15, p.4
93
est une inclination exclusive vers un objet, un état affectif durable et violent dans lequel se
produit un déséquilibre psychologique. L'objet de la passion occupe alors excessivement
l'esprit. Comme l’explique Simone Manon, « une passion est un désir dominant, exclusif,
suffisamment puissant pour envahir toute la vie de l’esprit et polariser une existence sur un
seul objet. En dehors de l’intérêt porté à l’objet passionnel plus rien n’importe. Tout l’univers
du passionné converge vers un unique pôle qui le fascine. »241
C’est donc ce qui amène, dans
le cas présent, à meurtrir son corps, à chercher à se dépasser au-delà des raisons logiques.
C’est aussi la passion qui, en lien avec la professionnalisation du sport, amène le joueur à
envisager une carrière sportive. On peut comprendre cette transition à la lecture de Luc :
- « Quand tu te rends compte que t’es au-dessus du niveau des autres, enfin là où tu
joues, tu commences à te dire que tu peux être professionnel un jour. Vu que c’est ta passion
t’as envie de faire que ça. Et tu te dis, ben je pourrai en vivre. Et ça te paraît merveilleux
parce que, à temps plein, tu seras payé pour faire ce que tu kiffes ! [rires] C’est quand même
quelque chose de vraiment cool, et ça fait rêver. C’est ça, vivre de ce que tu aimes, qu’on te
paye pour t’amuser. »242
Luc montre assez justement la progression qui amène les joueurs à réfléchir au sujet de
leur avenir en termes de passion. Comme il le rappelle, la première étape est la domination
sportive, « quand [le joueur] se rend compte qu’il est au-dessus du niveau ». Cela est affirmé
par la totalité des joueurs, en réponse à la question : « quand est-ce que tu t’es dit que ce
parcours était vraiment possible ? ». Les joueurs parlent alors tous d’une sélection, d’un
changement de club ou d’un appel d’un entraîneur. En d’autres termes, c’est quand ils ont
compris qu’ils étaient sans doute meilleurs que les autres qu’ils ont commencé à croire en une
vie liée au sport professionnel. Nicolas raconte ce parcours comme suit :
- « Ben c'est petit à petit. Parce qu'au début je suis arrivé au pôle, au pôle du lyonnais.
Et là, heu, c'est les meilleurs joueurs du Rhône-Alpes. Après on arrive en centre de formation,
là c'est des joueurs de la France, donc c'est encore plus réparti. Et après y'a les présélections
équipe de France. Donc là j'ai été appelé. Donc là ça veut dire que y'a déjà... c'est d'jà pas
241
Définition proposée par Simone Manon, professeur agrégée de philosophie sur son blog à la page
http://www.philolog.fr/desir-et-passion/, rédigé le 10 décembre 2007 et consulté le 21 mai 2012 242
Entretien avec Luc, minute 31, p.10
94
mal quoi. Puis je pense que j’ai mes chances en équipe de France. Donc ça, ça veut quand
même dire que je peux être pro un jour. »243
C’est donc un évènement, ou en l’occurrence une suite d’évènements, de sélections,
qui mettent en exergue le potentiel du joueur. On remarque alors que ce ne sont pas les
mêmes évènements qui sont considérés comme marquants suivant la catégorie du joueur. En
effet, pour les « passionnés » et les « pragmatiques », les faits évoqués sont rationnels : ce
sont des sélections, des faits marquants et repérables. C’est ainsi pour Ronny « l’entrée au
pôle du lyonnais »244
qui a marqué l’origine de l’espoir « logique »245
tandis que pour Dorian,
c’est le moment où il a été « sélectionné à l’ASVEL246
et [qu’il] a été champion de
France »247
qui a été déterminant.
Les raisons sont autres pour les « romanesques » qui, eux, ne citent pas de faits mais
rapportent des propos. En effet, Chris répond à la question qui tend à savoir à quel moment il
s’est rendu compte que c’était possible d’être professionnel par :
- « C’est tout le temps en fait. Les gens me disent que je suis un bon joueur alors ça
me pousse. Y’a des fois où, franchement je te le dis, j’ai envie de tout arrêter genre tout
abandonner, basket tout et de vivre avec mes parents. […]. J’ai envie de tout arrêter et de
vivre avec mes parents mais y’a une petite volonté, et c’est-cette petite volonté que j’ai en
moi, et qui me dit « vas-y continue » qui me donne envie de réussir, de me surpasser, de... tu
vois ? »248
Son espoir se fonde donc sur sa passion et sur les dires des gens. On note la même
chose chez Yven qui avoue avoir pensé être professionnel le jour où « [son] oncle [lui] a dit
qu’il avait le talent pour être un bon joueur »249
. Le rapport aux évènements passés dans la
construction de l’avenir est ici beaucoup moins rationnel que pour les deux catégories
précédentes. Ceci s’explique par le parcours moins riche des joueurs, qui entraîne d’ailleurs
243
Entretien avec William, minute 13, p.4 244
Entretien avec Ronny minute 15, p. 4 245
On parle ici d’espoir « logique » en opposition à l’espoir candide de l’enfance qui, sans aucune raison
apparente, laisse penser qu’une carrière sportive est possible. 246
Le club français ayant de loin le plus gros budget, disposant d’un centre de formation et d’une structure
extrêmement professionnelle dont est issue un grand nombre de joueurs professionnels français 247
Entretien avec Dorian, minute 12, p.3 248
Entretien avec Chris, minute 23, p. 7 249
Entretien avec Yven, minute 17, p.5
95
l’infériorité de leur niveau par rapport à leurs coéquipiers. De même, et comme nous l’avions
compris, les « romanesques » ne sont pas dans un rapport pragmatique ou rationnel à la réalité
sportive. C’est donc naturellement que leur parcours ne s’est pas envisagé à partir de faits
mais à la suite de propos, liant passion et professionnalisation.
L’expression clé est donc, quelle que soit la catégorie étudiée, la volonté de « vivre de
sa passion ». Si les joueurs ne raisonnent pas en termes d’argent, cela est sous-tendu à leur
propos car ils évoquent les possibilités d’être « payés pour jouer »250
. Ainsi, « vivre de sa
passion » signifie en fait « être rémunéré pour sa passion », pour ne pas avoir à trouver un
autre métier. On voit ici que la notion de travail dont se réclament pourtant les joueurs agit
comme un repoussoir : c’est la volonté de vivre du « jeu » et non du « travail » qui prime.
Cela n’est possible que parce que le sport s’est professionnalisé et que la plupart des sportifs
de haut niveau sont des professionnels qui pratiquent leur discipline à temps complet. Les
joueurs, avant même d’avoir évoqué l’argent qui est disponible dans la sphère sportive, sont
naturellement guidés par la rémunération : c’est parce qu’il y a des salaires suffisamment
élevés que la carrière de sportif peut être envisagée.
On comprend grâce à cette explication que l’argent, d’une certaine façon, oriente le
parcours des joueurs. Eux, dans les entretiens, mettent en avant la passion, mais une passion
professionnalisée et donc rémunérée : ce qui leur permettra, s’ils y arrivent, de « vivre ».
Alors, l’argent doit être perçu comme un élément clé dans la construction des parcours,
puisque sans argent, il n’y a pas de sport professionnel et donc pas d’espoir de vie centrée sur
le sport. On observe alors que les joueurs sont conscients des fonds disponibles et, même s’ils
le cachent, que cette richesse à portée de main fait envie.
B/ Etre riche
Les joueurs mettent en avant tout ce qui est extra-économique durant les entretiens :
la réalisation de soi, le travail, la passion. Ces éléments sont « nobles » et légitimement
bien perçus dans la société. En mettant en avant ces thèmes là en particulier, les joueurs se
placent dans une posture digne face à l’enquêteur et se mettent en valeur. Personne en effet
ne pourra critiquer l’attachement au travail, à des vertus et au dépassement de soi.
Pourtant, et ce dans tous les entretiens, les joueurs donnent des indices qui montrent qu’un
250
Entretien avec Luc, minute 15, p.4
96
thème surplombe tous les autres : celui de l’argent. Mais ce thème est socialement « mal
vu », principalement en France. Comme l’expliquait Gildas Loirand lors de la
conférence nommée « L’argent pourrit le sport »251
, les formes diversifiées de cette
dénonciation trouvent des fondements historiques, politiques et sociaux qui ont abouti « à
la solidification d'un consensus national marqué par une tendance à la condamnation
morale spontanée de l'emprise des forces du marché sur le sport »252
. Il insiste plus
particulièrement sur le rôle de l'État qui, en définissant le sport comme un service public à
vocation prioritairement éducative, a largement contribué à « façonner les catégories
nationales de perceptions et d'appréhension du sport des français »253
; au point que l'idée
selon laquelle "l'argent pourrit le sport" est désormais une évidence relativement partagée
et indiscutée.
Dans ce contexte, il semble logique que les joueurs n’affirment pas explicitement
l’importance de l’argent dans leur cursus. Ils pensent que cela les ferait passer pour des
« mercenaires » et des personnes intéressées. Ils tentent même de se dédouaner de tous
reproches à ce sujet en dénonçant la financiarisation du sport. A la question qui demande
ce qu’il faudrait changer dans le sport professionnel, huit joueurs ont affirmé qu’il faut
réduire la place de l’argent pour retrouver des salaires « normaux »254
. Citons alors Chris
dont l’explication est particulièrement virulente :
- « L’argent. Trop d’argent, trop d’argent, trop d’argent. Ça devrait changer quand même
parce que...non aujourd’hui, même moi quand tu m’entends parler, tu te dis « j’ai envie
d’intégrer le milieu professionnel pour l’argent ». Normalement ça devrait pas être ça.
Normalement quand t’intègres le niveau professionnel c’est déjà pour le plaisir de jouer,
pour le plaisir de faire plaisir aux autres. Mais s’il y a quelque chose qui devrait changer
c’est l’argent. C’est que l’argent ça prend une grande partie dans notre sport, de tous les
sports. »255
251
G. Loirand, « L’argent pourrit le sport et conduit au dopage : sociologie d’une évidence », Nantes, 1er
février
2012 252
Ibid. 253
Ibid. 254
Entretien avec Ronny, minute 37, p.10 255
Entretien avec Chris, minute 36, p.11
97
Chris exprime alors totalement la dualité de la position dans laquelle se trouvent les
joueurs : il y a trop d’argent mais celui-ci fait tout de même rêver. Les joueurs, à l’image de
Chris sont à la fois dans cette posture d’envie et de dénonciation. Comme il l’est souvent
rappelé dans les médias, « l’argent dénature le sport », ou encore « marque la fin du sport ».
Les joueurs entendent cela et le comprennent. Mais ils sont aussi au dernier niveau de la
sélection, juste avant l’accès à cette richesse disponible. Les adolescents sont dès lors dans un
entre-deux, qui ressort dans les entretiens : l’argent fait envie et il est difficile d’avoir à
proximité une manne monétaire extraordinaire sans pour autant en profiter. Chris, plus tôt
dans l’entretien, montrait d’ailleurs son attrait pour la richesse :
- « C’est-cette image quoi. Qu’on nous donne, que les joueurs professionnels donnent
que ce soit au foot, au rugby, au basket, tous les sports, c’est l’image que les joueurs pro nous
donnent. Parce que quand t’entends au foot qu’un joueur a été transféré pour telle somme,
quand t’entends au basket que le joueur qui est arrivé a signé un contrat de tel somme tu dis
ben... « je vais finir pro pour devenir riche » voilà, pour finir avec plein de sous pour avoir
des belles maisons, des grosses voitures, voilà. Aux Etats-Unis c’est ça, c’est-cette image
qu’on nous donne. Ca fait envie quand même, normal non ? […] Mais moi y a pas que
l’argent… y a aussi euh, faire un sport, que les gens te regardent tout ça. C’est pas que
l’argent. »256
Chris prouve ici la mise en scène de la richesse par les médias, en tant qu’image du
sport, et montre que, face à cette richesse, la position d’athlète de haut niveau fait envie. Mais
immédiatement, il marque aussi son éloignement en précisant qu’il n’y a « pas que l’argent ».
Alors certes, il n’y a pas que l’argent, mais ceci implique qu’il y a aussi l’argent, Plus encore,
en le précisant de la sorte, il montre qu’il y a avant tout l’argent. Les joueurs y ont fait au
moins une fois référence au cours des entretiens, sans exception. S’ils n’ont pas tous eu la
même verve que Chris pour parler de ce sujet, des indices montrent que leur pensée est
réellement proche. C’est par exemple le cas pour François qui, rappelons-le, accorde une
grande place à la passion et au prestige social. Il poursuit le développement que nous avons
déjà cité en expliquant :
256
Ibid., minute 27, p. 8
98
- « Et puis bah, cet aspect, cette vie où tu t’entraînes, t’as pas de contraintes majeures
en terme d’horaires, par exemple y’a pas de grandes vacances ou de week-end mais en terme
d’horaires, c’est plutôt intéressant. Puis en termes de salaires, de choses comme ça, ça peut
tout de suite être intéressant »257
François s’était attaché à montrer l’importance de la passion et du dévouement mais il
finit quand même par expliquer à demi-mots que le salaire qui rémunère tout cela est
intéressant lui aussi. On comprend que les joueurs, même en gardant de la pudeur et de la
distance face à l’argent y ont pensé. Le fait de vouloir « cacher » cette envie montre même
que la réflexion à ce sujet est particulièrement approfondie et donc ancrée dans leur parcours.
Ils sont d’ailleurs capables, même dans un entretien où les questions s’enchaînent, à
s’autocensurer pour dévoiler en priorité les aspects appréciés socialement. Cette censure
montre l’évolution dans la représentation des joueurs : si l’argent a guidé leur parcours un
temps, ils sont maintenant attirés par d’autres éléments que sont le prestige ou le
développement de valeurs individuelles et collectives. M. Fauchelevent montre alors que les
joueurs, même s’ils n’aspirent pas à devenir pro uniquement pour l’aspect financier, ont
toujours un œil sur l’argent :
- « Je pense que [ce qui attire les joueurs] c'est une forme de reconnaissance
individuelle, sociale, médiatique, l'image d'un Parker. Devenir quelqu'un. Par contre l'aspect
financier, aujourd'hui, a déjà une place dans la discussion. Même s'il est très très... il est
mineur. Il y a forcément un accompagnement financier à faire et les parents ou les joueurs ne
voient pas d'autre façon de faire que de les accompagner sur le plan financier. On a beau
mettre des structures, des entraîneurs, des entraînements de qualité, tout ça c'est bien. Mais
combien ça va me rapporter quand même ? Même si c'est 200€ par mois, mais si c'est 400,
même si c'est la moitié d'un appart. Donc voilà, aujourd'hui pour certains j'pense que c'est
encore quelque chose de flou. Mais derrière aussi, y'a quand même, devenir pro c'est gagner
de l'argent. »258
M. Fauchelevent résume ici parfaitement ce qui ressort de l’analyse des entretiens : les
joueurs ont un réel attrait pour la notoriété publique, pour le prestige. Et cela n’est pas affiché
uniquement pour masquer l’attrait pour l’argent, c’est une réalité dans leurs parcours. Mais,
257
Entretien avec François, minute 24, p.8 258
Entretien avec M. Fauchelevent, minute 25, p. 7
99
comme il l’indique, « devenir pro c’est [avant tout] gagner de l’argent ». Il est donc
impossible de dissocier professionnalisation et financiarisation et c’est d’ailleurs la définition
même de la professionnalisation : c’est le passage d’une activité bénévole à une activité
rémunérée. Tous les joueurs sont d’accords pour dire que leur but premier en intégrant le
centre de formation était de devenir à terme professionnel. En d’autres termes, tous affirment
qu’ils voulaient gagner de l’argent par le biais du sport.
Alors, le but recherché par les joueurs lorsqu’ils intègrent le centre de formation serait
bien l’ascension sociale. Pas nécessairement une ascension fulgurante, d’une extrémité à une
autre, mais au moins une reconnaissance sociale et une rémunération pour le moins
satisfaisante. Steed explique d’ailleurs :
- « Je pense qu’il y a beaucoup d’argent quand on voit ce que peuvent avoir les clubs,
ce que peut valoir un joueur, ce qu’il peut gagner des fois c’est vraiment énorme au niveau du
salaire. »259
Les joueurs voient cette omniprésence de l’argent, mais étonnamment, aucun ne la
situe dans le basket français et c’est le foot ou la NBA qui sont donnés en exemple. Cela est
pour le moins paradoxal car les joueurs expliquent leur relation à un sport mais prennent
comme modèle un autre sport ou un exemple lointain. Ainsi, Marius affirme en réponse à la
question qui vise à savoir ce qui fait rêver dans le basket:
- « Y’a genre le foot, ça fait plus rêver parce que tu peux, tu gagnes beaucoup
d’argent. L’exemple des grandes stars là, ils gagnent beaucoup d’argent alors que dans les
autres sports tu gagnes moins. C’est tout, c’est ça qui fait la différence.[…] Mais moi c’est
juste faire mon sport que je veux, c’est même pas une question d’argent »260
.
En réponse à une question sur le basket, Marius répond par le salaire des footballeurs.
Et cela se poursuit quand il lui est demandé de définir ce qu’est une star :
- « Ben parce que t’es fan d’eux on va dire. Genre les stars du foot, t’as envie d’être
comme eux, t’as envie de jouer à leur niveau, d’avoir le salaire qu’ils ont, tout ça. »261
259
Entretien avec Steed, minute 28, p.9 260
Entretien avec Marius, minute 17, p.5 261
Ibid., minute 26, p.8
100
Cela insiste sur la place prégnante qu’a le football dans notre société. Les joueurs
imaginent des salaires dans leur sport à l’aide des fortunes d’un autre sport. Seuls deux
joueurs au cours des entretiens on fait le lien entre les salaires dans le basket-ball français et
les questions de richesses. C’est notamment le cas de Steed qui explique :
- « En Europe je ne sais pas s’il y a suffisamment d’argent pour changer de classe
sociale, enfin devenir riche. »262
Il affirmait pourtant trois questions auparavant :
- « On peut s’enrichir avec le basket, il n’y a qu’à voir, pas trop en Europe mais aux
Etats-Unis, il suffit de faire deux-trois saisons pour gagner assez de sous pour toute sa vie.
Donc oui je pense que dans certains cas, ça permet de changer de classe. »263
Steed ne se réfère pas au football ici mais à ce qui est loin, de l’autre côté de
l’Atlantique. On voit apparaître toute la portée du mythe : les joueurs sont persuadés qu’il est
possible de s’enrichir grâce au sport sans pour autant avoir d’exemples au quotidien dans leur
pays et à leur niveau. Les joueurs associent donc intuitivement salaires du football et sport
professionnel, ce qui est dû à l’importance que les médias accordent aux footballeurs et aux
sommes qu’ils peuvent empocher.
Les joueurs du centre de formation sont ainsi dans un rapport particulier à
l’argent qu’ils voient à la fois de près et de loin. De près car ils sont au dernier niveau de la
sélection et la richesse leur semble accessible, mais de loin car ils n’ont en fait aucune
conscience des salaires et des niveaux de vie de la majorité des basketteurs de Pro A ou de
Pro B, qui, même s’ils vivent très confortablement, sont extrêmement loin des niveaux de vie
des footballeurs. Il faut enfin rappeler que nous nous attachions ici à comprendre la place de
l’argent dans la construction du parcours des joueurs : ce pourquoi ils ont voulu intégrer le
centre de formation et devenir professionnels. Tout le développement précédent montre qu’ils
ont pour la plupart fait une croix sur ce milieu et ne sont donc plus dans le même mode de
pensée. Ils ont développé d’autres goûts et d’autres attentes vis-à-vis du centre de formation
mais l’argent reste à la base de leur rêve et de leur parcours.
262
Entretien avec Steed, minute 23, p. 6 263
Ibid.
101
Cela est d’autant plus vrai que, comme nous allons à présent le comprendre, l’argent
est nécessaire pour réussir dans le sport.
Section 2 : L’argent, nécessaire vecteur de la performance
sportive
Nous avons pour l’instant compris que l’argent est un but de la performance sportive
et ce dès la construction d’un parcours futur par les joueurs. En ce sens, ils sont influencés par
le mythe qui donne le sport à voir comme un milieu ultra-financé et ce quelle que soit la
discipline. Or, il apparaît aussi que l’argent rend ou non possible la performance sportive.
Avant même d’être un objectif des cursus sportifs, l’argent serait un agent considérable dans
l’accès au plus haut niveau. L’argent n’est ainsi pas uniquement une conséquence de la
performance sportive mais aussi la cause principale de son développement.
A/ Quand progresser est coûteux
Nous avons déjà pu comprendre dans la première partie qu’intégrer un centre de
formation n’est pas donné à tous et que cela a un coût. Si c’est l’obstacle social que nous
avons principalement appréhendé, dans le sens où les sélections pour rentrer dans la structure
formatrice conditionnent un niveau d’origine social moyen voire aisé, il faut à présent noter
que c’est aussi une barrière purement financière qu’il faut franchir pour accéder à l’élite
sportive. Les réponses à la question qui cherche à savoir s’il est plus facile de réussir dans le
sport quand on a plus d’argent montrent l’importance du capital économique dans la réussite
sportive. C’est ainsi que François affirme :
- « Déjà en terme de euh... parce que moi j’associe l’argent avec une condition en
famille plus facile, par exemple les transports ou les choses comme ça, par exemple j’avais
des amis quand j’étais à Meyzieu qui jouaient pas dans un club un peu plus haut parce que
leurs parents pouvaient pas les amener tous les jours à la salle, des choses comme ça. Ça
c’est l’aspect argent. Après dans le basket, ça va en termes d’équipement. Et encore quand on
102
s’entraîne tous les jours, il faut du matériel. Les chaussures on les change trois fois par an,
des choses comme ça »264
Matériellement, il faut donc des moyens pour s’assurer un avenir dans le sport. Nous
avons déjà évoqué la question des voyages que la famille faits ou non, mais nous avions traité
cette question en termes d’efforts, d’habitus. En fait, les transports nécessaires à la pratique du
sport pour aller, si ce n’est à l’entraînement, aux matchs à l’extérieur ou aux sélections sont
aussi dépendants des moyens économiques. Pensons aussi aux camps d’été et autres stages
qui ont lieu pendant les vacances et qui permettent de pratiquer de façon intense hors saison
officielle. Ces camps ont un coût variable mais les plus réputés sont financièrement très
sélectifs. C’est-ce qui est mis en avant par Nicolas :
- « Ben quand on a plus d'argent, ça permet de faire des stages que les autres pourront
pas faire, l'été, les camps d'entraînement... Plus simple je sais pas mais ça permet de faire des
trucs que les autres pourront pas faire. »265
Tout le monde ne peut pas se permettre d’acheter des tickets de transport en commun
ou de train, ou bien de payer l’essence requise pour faire les déplacements. Or cela a un coût
réel et même important sur plusieurs années. M. Madeleine ajoute d’ailleurs que :
- « Venir au centre de formation de Bourg, pour certaines personnes, ça coûte de
l’argent donc à partir de ce moment-là si les gens peuvent déjà pas financièrement subvenir à
ça, forcément ils seront pas au centre de formation chez nous donc… »266
Le centre de formation n’est pas disponible à tous car il faut pouvoir payer pour y
rentrer. Bien entendu, la sélection ne s’achète pas et dépend des critères que nous avons
énoncés précédemment, mais une fois les joueurs admis, il faut encore qu’ils puissent financer
leurs études au sein du centre. C’est là aussi ce qui explique la moyenne sociale de
provenance des joueurs. On constate alors que ceux-ci sont conscients de ce privilège et de
l’effort fait par leur famille. Marius explique ainsi :
264
Entretien avec François, minute 29, p.7 265
Entretien avec Nicolas, minute 23, p.8 266
Entretien avec M. Madeleine, minute 26, p.7
103
- « Je pense que c’est plus cher que je sois là pour mes parents oui. Enfin si j’étais
resté au lycée à côté de chez moi tout ça, j’aurais eu tous les billets de train en moins tout ça.
Donc c’est parce que mes parents peuvent payer que je suis là aussi. » 267
Ce discours répondait à la question qui tend à savoir si c’est plus cher pour la famille
que le joueur soit au centre de formation et non dans un cursus « normal ». Neuf joueurs sur
les dix ont répondu à la façon de Marius que oui, il y avait un réel effort financier à faire pour
pouvoir intégrer le centre de formation. Ronny poursuit en ce sens, en allant encore plus loin :
- « Y'a du piston, y'a du piston... y'a du piston. Tout est plus facile quand t'as plus d'argent
de toute façon ! Donc réussir dans le sport aussi. Direct, tu connais plus de monde et tout.
Bien sûr ! Plus t’as d’argent plus c’est simple. »268
Ronny fait ici le rapprochement entre capitaux sociaux et économiques. Et avec
raison : dans la plupart des cas, ces deux capitaux sont extrêmement liés. C’est notamment ce
qui explique ce qu’il appelle le « piston » et qui est traduit comme suit par Marius :
- « Ben y’a certains de mes amis, ils ont des parents qui ont de l’argent et qui sont
hauts placés dans le basket. Du coup ils peuvent intégrer des centres qui sont vraiment forts,
genre à Cholet, l’INSEP, tout ça. »269
Marius insiste ici sur le fait qu’avec des relations, il est plus facile d’aller dans les
meilleurs centres de formation. Les connaissances familiales seraient donc un gage de réussite
et un facteur important permettant l’accès aux meilleures formations. Et comme M.
Madeleine l’expliquait :
- « Tous les centres de formations ne se valent pas. Ceux des clubs de Pro A attirent
plus de monde forcément. Et ils ont plus de moyen, un plus gros staff… Donc ils sortent plus
souvent que nous des joueurs professionnels. […] Ça coûte d’être au centre de formation à
Bourg, mais ça peut coûter encore bien, bien plus cher. Les meilleurs centres de formations,
ils réclament beaucoup. Faut de l’argent quoi. »270
267
Entretien avec Marius, minute 21, p. 6 268
Entretien avec Ronny, minute 36, p.10 269
Entretient avec Marius, minute 16, p. 5 270
Entretien avec M. Madeleine, minute 18, p.6
104
Les centres de formations en France sont donc un système à plusieurs vitesses, et si
l’on en croit M. Madeleine, plus on se rapproche de l’excellence dans la formation et plus la
structure est payante. Alors, les plus riches seraient favorisés dans la qualité de leur formation
tandis que les moins aisés devraient se contenter des places restantes dans les structures plus
amateures. Cela est révélateur de l’inégalité qui existe dans l’accès à la formation. L’argent,
comme l’expliquent les joueurs, est véritablement un facteur qui détermine la propension à
être un jour professionnel. Il est alors judicieux de noter la position de M. Fauchelevent sur la
question :
- « [Ce n’est] pas du tout [plus facile de réussir avec plus d’argent], ce n’est pas une
question d’argent. C’est de la volonté. L’argent n’a rien à voir là-dedans. »271
Cette prise de position catégorique et antinomique par rapport aux dires des autres
entretiens s’explique par la carrière de M. Fauchelevent : fils d’employé et de nourrice, il est
devenu professionnel à l’âge de 20 ans et a joué 14 ans aux plus hauts niveaux français. Son
parcours le laisse donc penser que la réussite n’est pas une question d’argent mais une
question de volonté : il prend son cursus en modèle pour expliquer un phénomène qui est
pourtant plus global. Si lui a réussi sans moyen, il pense que n’importe qui peut y arriver. On
retrouve ce type de réponse chez seulement deux joueurs. Tony, tout d’abord, qui est lui aussi
clair sur la question :
- « Ah non, ça n’a aucun rapport avec l’argent ! Mais alors absolument pas. Enfin tu
veux faire quoi avec de l’argent ? Non non, vraiment pas ! »272
Tony, ayant déjà signé un contrat professionnel, n’a pas vraiment d’autres choix que
de répondre cela s’il veut légitimer sa position. Rares sont les adolescents qui peuvent
assumer un privilège et se rendre compte si jeunes de l’importance du milieu social d’origine
quand ils ont atteint leur but. Ainsi, dire que l’argent est un facteur déterminant dans la
réussite aurait signifié être un privilégié, un « pistonné ». Or Tony est conscient de la qualité
et de l’ardeur de son travail. Il voit donc dans la signature de son contrat une récompense
méritée, que l’argent n’a en rien changé.
271
Entretien avec M. Fauchelevent, minute 28, p.8 272
Entretien avec Tony, minute 23, p.6
105
L’autre joueur qui pense que l’argent ne facilite en rien l’accès au haut niveau est
Chris. Comme nous l’avons déjà expliqué, ce joueur est fier de s’être construit seul et le
revendique. Il ne veut donc rien devoir à personne dans son hypothétique réussite, c’est
pourquoi il affirme que les fonds disponibles ne changent pas la trajectoire empruntée.
De ce fait, c’est le parcours personnel plus que l’origine sociale qui détermine ici la
différence de conception du rôle de l’argent dans la réussite sportive. Pourtant, à la vue des
arguments présentés, il est-certain que l’argent est une ressource nécessaire pour percer dans
le sport. Ce postulat remet largement en cause l’idée d’une méritocratie du sport, où tout le
monde serait au même niveau face à l’adversité. Il s’agit dans un dernier temps de
comprendre la position des joueurs sur cette remise en cause profonde du mythe, qui montre
que le basket de haut niveau n’est pas ouvert aux masses mais se destine en fait à des athlètes
originaires d’un rang social moyen, si ce n’est aisé.
B/ Et la méritocratie ?
Nous venons de comprendre que le sport de haut niveau n’est pas ouvert à tous : les
critères de sélection et l’accès aux formations empêchent les moins aisés de réussir. Ce constat
a été rendu possible par les propos des joueurs et on peut donc s’attendre à ce qu’ils mettent
en doute la méritocratie affichée du sport. C’est effectivement le cas : l’ensemble des joueurs
ainsi que les membres du staff ont répondu négativement à la question qui demande si ceux
qui s’en sortent le mieux dans le sport sont les plus méritants. Les raisons sont celles qui ont
déjà été évoqué précédemment : la différence de talent, de taille, de dispositions physiques et
de capital économique. C’est ainsi que M. Fauchelevent affirme :
- « Non, il y a aussi les notions de critères physiques : par exemple, un mec qui fait
deux mètres dix mais qui arrive pas à mettre un tir, bah on a quand même besoin d'un mec de
deux mètres dix, parce qu'il fait deux mètres dix on va le prendre. Et un gamin plus petit qui
va être joueur banal, qui va être noyé dans une forme de masse on le prendra pas même si
c'est un gros bosseur, même si... donc c'est pas forcément le plus méritant. »273
Cette citation est la plus claire, sans doute en raison de la différence de vécu et de
vocabulaire entre M. Fauchelevent et les joueurs et c’est pourquoi nous la prenons en
273
Entretien avec M. Fauchelevent, minute 24, p.8
106
exemple. Mais il faut rappeler que dans les douze entretiens, on trouve une réponse similaire à
celle du directeur du centre de formation. Si le critère choisi ici pour justifier l’échec
méritocratique est entièrement aléatoire et ne dépend donc pas de l’origine sociale mais de la
taille, Ronny met lui en avant un autre phénomène :
- « Y'en a mais pas beaucoup. Non ça existe pas. Pas dans le sport professionnel. Pas
dans le basket. Faut de l’argent. C’est pas du mérite ça l’argent ! »274
Or, le mythe est fondé sur un idéal méritocratique : c’est l’idée que chacun, de
n’importe quelle origine sociale et sans distinction de revenus puisse être à égalité sur un
terrain de sport. Plus encore, le rôle confié au sport était de réussir là où le politique avait
échoué : dans l’égalité des chances. Ce qui ressort de la recherche est que cette égalité n’est
pas réelle et que la différence de milieu social d’origine est le facteur déterminant qui permet
ou non l’accès au plus haut niveau.
On constate cependant étonnement que les joueurs ne remettent pas en cause la
possibilité d’ascension sociale par le sport. Ils montrent bien que ce sont les athlètes des
classes moyennes ou aisées qui ont le plus de chances de réussir mais laissent entendre que
n’importe qui peut connaître une ascension sociale grâce au sport. On retrouve cette idée dans
les propos de Nicolas :
- « Ben oui. Aux Etats-Unis, y'a beaucoup de joueurs qui quand ils étaient jeunes
vivaient dans les banlieues des grandes villes et qui dans le basket sont mondialement connus,
et gagnent beaucoup d'argent donc ça leur a permis d'évoluer. […]Ben ouais, que par
exemple les joueurs professionnels, quand ils parlent de leur enfance déjà. On voit... Et avec
leur famille, quand... que... ça fait plaisir, en offrant des trucs qu’ils ne pouvaient pas se payer
avant. On voit dans des reportages, on lit quoi. »275
L’ascension sociale est donc possible selon Nicolas. On note encore une fois que c’est-
ce qui est lointain qui est pris en exemple, la NBA. Hors cette ligue, au niveau des salaires et
du prestige qui en découle, est unique au monde. Pourtant, c’est celle qui revient le plus
souvent pour justifier l’idée qu’une ascension sociale est possible par le sport. C’est
notamment ce qu’explique Ronny :
274
Entretien avec Marius, minute 33, p.11 275
Entretien avec Nicolas, minute 16, p.6
107
- « Ben oui dans le football déjà. Ou au basket aux Etats-Unis. C’est toujours la
même histoire. Le gangster d’un quartier qui passe son temps à jouer et à s’entraîner et qui
se fait repérer par un entraîneur et qui finit en NBA et qui roule en Mercedes. Non mais
même toi tu le sais ? C’est ça le stéréotype. Mais c’est possible, même des fois en France
dans le basket, quelqu’un qui passe d’une classe moyenne à une classe haute on va dire. »276
Cette citation donne plusieurs informations différentes. Tout d’abord, et pour les
raisons que nous avons expliquées précédemment, le joueur se rapporte à la NBA et au
football pour justifier un propos qui, en raison de la tournure de la question, aurait dû le
concerner avant tout. De surcroît, Ronny parle ici aussi de la valeur du travail. C’est parce que
le jeune « gangster »277
américain a passé du temps à s’entraîner qu’il a pu être remarqué.
Intuitivement, on voit le lien qu’il y a entre travail et réussite sportive alors que Ronny est
sans doute le joueur le plus virulent dans la critique du sport comme sphère méritocratique.
Ce paradoxe mérite des explications : Ronny est acerbe vis-à-vis de la méritocratie mais
seulement sur le système français, qu’il côtoie depuis plusieurs années et dont il a observé les
failles. Par contre, les systèmes américains ou footballistiques sont connus uniquement par le
relais qu’en font les médias. Comme nous l’avons compris dès l’explication du mythe, ces
médias apprécient tout particulièrement les récits de « formidables », « d’exceptionnelles »
ascensions sociales. De ce fait, le joueur reçoit et assimile la compréhension de ces différentes
sphères comme les médias le donnent à voir et non comme son propre cursus lui permettrait
d’analyser. La NBA reste un monde à part dans le basket mondial et les joueurs du centre de
formation demeurent candides face à cet univers rêvé. Ils sont proches du professionnalisme
en France mais pas aux Etats-Unis, ce qui explique leur crédulité dans la perception de ce rêve
lointain. Ainsi, ce qui est vrai ici ne le serait pas ailleurs. Et cet ailleurs, c’est déjà dans un
autre sport sur le même territoire. Il apparaît alors que l’absence de méritocratie est dénoncée
seulement dans le basket et non pour l’ensemble du système sportif et social français.
Enfin, la dernière phrase de la citation est révélatrice d’une réalité que nous n’avions
pas encore totalement expliquée : la mobilité sociale ne toucherait en fait que les classes
moyennes. Les joueurs de ces classes auraient une réelle possibilité d’ascension sociale vers
un milieu plus aisé. A la vue des publics du centre de formation, cette analyse paraît
276
Entretien avec Ronny, minute 25, p.6 277
Ibid.
108
intéressante. Etant donné que les joueurs sélectionnés viennent de classes moyennes, il est
logique que la mobilité sociale touche particulièrement ces athlètes. Dans l’interprétation du
mythe que nous avions proposée au départ, nous considérions l’ascension sociale comme le
passage d’un milieu défavorisé à une classe aisée. C’est en effet la mobilité qui réunit les
extrêmes et qui est donc la plus « spectaculaire », portée par les médias. Or, le parcours d’une
classe moyenne à un milieu plus aisé est aussi une ascension sociale. Cette mobilité est
marquée par un prestige social qui découle de la position de sportif de haut niveau et une
hausse pas forcément extraordinaire mais notable des revenus. Citons alors M. Fauchelevent
qui explique :
- « Il y a une exposition, aujourd'hui le sport pro c'est une bulle qui a l'air de vivre un
peu en marge de toute forme de crise parce qu'aujourd'hui on parle de la crise partout mais
dans le sport on signe toujours de gros contrats à gros coups de millions, on fait des pubs
avec des sportifs, on utilise les images des mecs à droite et à gauche. Le discours, et moi, là je
l’expérimente moi-même qui ai été ancien sportif, c'est qu'aujourd'hui je fais passer des
choses avec des entraîneurs, alors d'autres entraîneurs encore meilleur que moi avant ont
essayé, mais comme ils ont pas cette image d'ancien sportif etc, et ben ça avait moins de
poids. Donc voilà, moi je pense que toute cette exposition là, ça permet une ascension
sociale. »278
En lui demandant si cette ascension en termes de reconnaissance était aussi financière,
M. Fauchelevent a poursuivi en affirmant :
- « Dans la réalité des faits pas pour tout le monde. Elle est extraordinaire pour
certains mecs. Encore une fois ceux qui traversent l'Atlantique. Mais ceux qui restent en
France. Elle est pas extraordinaire mais elle reste bien au-delà de ce que gagne un travailleur
lambda en France. Aujourd'hui des joueurs de rotation en Pro A gagnent plus de 10 000 euros
par mois. Même des cadres avec beaucoup de responsabilités dans des boites, qui font
beaucoup beaucoup plus d'heures gagnent pas 10 000 euros par mois. Donc malgré tout ça,
reste dans le basket comme dans d'autres sports, comme dans presque tous les sports -le hand,
le rugby- des sommes hors normes quoi. »
Ces propos, tenus par un ancien professionnel, semblent justes et précis. L’ascension
278
Entretien avec M. Fauchelevent, minute 26, p.9
109
sociale est ainsi permise, pour des joueurs venant de classes sociales moyennes ou même déjà
aisées. Ce n’est pas l’ascension sociale que les médias mettent en avant, ni celle qui fait rêver
les foules. Mais cela montre que le sport, dans certains cas, permet de hausser son niveau de
vie. Notons encore une fois que cette mobilité n’est pas méritocratique et qu’elle est loin de
porter le message social que le politique tente de donner au sport. Mais elle marque les
joueurs dans leur façon de considérer le basket-ball. Ceux-ci voient avant tout les conditions
de vie sensationnelles de joueurs appartenant à des sphères différentes ou éloignées de celles-
ci.
Les joueurs en centre de formation confondent différentes réalités et mélangent les
situations : de ce fait, de nombreux paradoxes sont apparus dans les entretiens. Cela vient
avant tout de leur situation : entre enfance et âge adulte, entre naïveté et maturité.
110
Conclusion
Au terme de notre raisonnement, il est nécessaire de dresser un bilan de la recherche.
Comme nous l’avons compris, et c’est d’ailleurs l’hypothèse que nous avions faîte en
introduction, l’origine sociale constitue un socle de socialisation qui se révèle être déterminant
dans la façon de percevoir, d’appréhender et de représenter le mythe de l’ascension sociale
par le sport. Ce mythe s’est construit en parallèle à trois phases de l’histoire du sport. La
première est-celle de la massification de la pratique sportive, où la pratique bourgeoise a
laissé place à une pratique de foule. La seconde est une phase de professionnalisation du
sport, engendrée par la décroissance du bénévolat et la commercialisation puis la
médiatisation des compétitions sportives de haut niveau. Enfin, la dernière phase, plus
récente, est-celle de l’intégration comme nouveau rôle confié au sport. Cette intégration a été
personnifiée par des modèles issus de quartiers populaires ayant atteint la richesse et une
popularité mondiale.
Nous avons alors distingué plusieurs thèmes permettant de comprendre comment les
joueurs en centre de formation interprètent ce mythe. L’éducation, qu’elle soit scolaire ou
familiale est décisive dans la construction de la pensée de l’adolescent. En effet, nous avons
observé que le rapport aux études change considérablement selon l’origine sociale. Cette
distinction nous a permis de créer trois groupes, en fonction du rapport qu’entretiennent les
joueurs à la scolarité et donc nécessairement à leur avenir dans le sport ainsi qu’à leur
possibilité réelle d’atteindre ou non le niveau professionnel, en suivant un classement effectué
par le directeur du centre de formation et confirmé officieusement par l’entraîneur. Les
différents groupes que nous nous sommes attachés à constituer établissent alors un
« niveau »279
, au sens de Goblot : ils permettent à chacun de se distinguer à l’intérieur d’un
même univers fermé. La « barrière »280
, ce qui permet au groupe d’être fermé, c’est-à-dire la
limite entre ce qui peut constituer le groupe et ce qui lui est extérieur, est ici la phase de
sélection. Or, comme nous l’avons compris, les critères choisis ne laissent passer la
« barrière » qu’à des joueurs venant d’une certaine classe sociale ou presque. Le « niveau »
est déterminé au sein du centre de formation à l’aide de deux principaux critères : la
279
E. Goblot, La barrière et le niveau : étude sur la bourgeoisie française moderne, Puf, Paris, 1925, p. 19 280
Ibid.
111
possibilité effective de devenir un jour professionnel et encore une fois le milieu d’origine.
L’origine sociale est effectivement notoire puisque, même si tous les joueurs viennent d’une
classe considérée comme « moyenne », il subsiste de réelles différences. Le terme « moyen »
signifie en fait qu’aucun joueur n’est complètement défavorisé ni extrêmement aisé. On a
néanmoins remarqué que les trois joueurs ayant le plus de « chances » de devenir un jour des
professionnels du sport sont les plus aisés, au contraire des trois joueurs ayant le moins de
possibilités dans le sport de haut niveau qui viennent, eux, des milieux sociaux les plus bas en
comparaison des autres joueurs. Nous avons alors compris que ces trois catégories sont aussi
liées à l’engagement et à l’accompagnement familial qui demeurent un facteur primordial
dans la réussite des joueurs.
De surcroît, l’enquête a mise en avant les difficultés physiques et mentales que les
joueurs éprouvent durant leur passage en centre de formation. Le travail est alors montré
comme l’agent nécessaire pour réussir et le dépassement de soi et de ses limites semble
inhérent au fonctionnement de la structure. Cette méritocratie apparente est largement remise
en cause par les joueurs qui invoquent d’autres facteurs dans la progression vers le plus haut
niveau : la taille et le talent, éléments incontrôlables mais aussi les capitaux sociaux et
économiques qui sont inévitablement liés au milieu social d’origine. Alors, dans ce contexte,
le mythe de l’ascension social ne touche pas les joueurs du centre de formation de la même
façon qu’il imprègne la société en générale. Mais il serait hypocrite de dire que ce mythe ne
touche pas les joueurs et qu’il ne guide pas leur conduite. En effet, le prestige social, approché
durant les années de formation et la richesse économique ont guidé depuis l’enfance le rêve de
professionnalisation des joueurs. Et même s’ils s’en détachent, même s’ils dévoilent à travers
leur quotidien beaucoup de limites à ce mythe, ils en sont imprégnés. Alors c’est l’origine
sociale qui différencie les discours et la profondeur « d’enracinement » du rêve. La famille et
les habitus liés au milieu social dans lequel elle se situe jouent un rôle déterminant dans la
manière dont les joueurs vont comprendre le sport, s’accaparer les valeurs transmises au sein
du centre de formation et rester humble ou non face à un monde rude et sans pitié. Mais le
centre de formation n’est pas qu’un lieu d’apprentissage du sport : c’est un centre
d’apprentissage des règles de la vie et de la conduite en société.
En outre, si la recherche a été productive, dans le sens où elle propose de réels
résultats, elle aurait pu l’être encore plus. Cela tient d’abord au choix du panel d’interviewés.
112
Comme nous l’avions justifié en introduction, réaliser des entretiens avec tous les joueurs du
groupe était nécessaire pour avoir un résultat global et pouvoir comparer la différence dans les
propos en fonction de l’origine sociale. Au terme de la recherche, ce choix paraît satisfaisant
car il aurait été très compliqué de constituer la typologie qui est finalement la clé de voute de
la recherche si certains joueurs avaient été laissés de côté ou si les deux membres du staff
n’avaient pas été interrogé. Par contre, et c’est-ce que les résultats montrent, il aurait été
particulièrement juste de faire des entretiens avec des parents de joueur. Ceux-ci ont une
immense place dans la construction des représentations de leur enfant et avoir leur avis non
seulement sur le mythe mais aussi sur le sport professionnel et sur l’avenir de leur fils aurait
été judicieux. Cela aurait alors permis une analyse plus approfondie et sans doute plus
rigoureuse de l’importance du milieu familial, qui s’est révélé être un facteur clé dans la
différence d’interprétation du mythe de l’ascension sociale par le sport. Le temps disponible
pour effectuer l’enquête explique la limite du nombre d’entretiens réalisables mais ceci nuit à
la qualité du résultat final.
De même, comme nous avons pris soin de l’expliquer tout au long du raisonnement,
les résultats sont absolument inhérents à l’établissement choisi. Il est donc tout à fait possible
et même probable que ces résultats aient été différents si nous avions observé un autre centre
de formation. Les conclusions que nous avons tirées sont par contre bien valides, puisque
elles sont situées dans un espace-temps bien défini, mais ne peuvent être élargies. Elles sont
par contre révélatrices de tendances et de facteurs qui resteront déterminants dans
l’explication des différences d’interprétations quelle que soit la structure étudiée. Le rôle joué
par la famille est ainsi crucial dans le choix de parcours des joueurs et ce dans n’importe quel
centre de formation, en raison de l’importance du milieu d’origine dans la réception et
l’intériorisation des habitus qui y sont liés. Cependant, les résultats restent liés à un
établissement en particulier et perdent dès lors une portée universelle. Bien que l’enquête n’ait
pas eu vocation à recouvrir une telle étendue, il est regrettable que les conclusions ne
s’appliquent qu’en un lieu et en un moment donné. Pour pallier cela, il aurait été sensé
d’étudier plusieurs centres de formations. Ainsi, une comparaison entre les différents types de
fonctionnement et donc les différences de représentation aurait été possible. Cette
comparaison aurait permis de mettre en avant les facteurs les plus déterminants dans la
différence d’interprétation et de comprendre ce qui est inhérent au fonctionnement des centres
ou ce qui est marqué de façon plus globale, sociétale. En d’autres termes, une telle enquête
113
aurait résolu le problème qui empreinte cette recherche : qu’est-ce qui est, dans les
représentations des joueurs, influencé par le mythe et qu’est-ce qui l’est par la famille ou par
le staff des structures formatrices. Evaluer les rapports de forces ou de domination dans ce qui
construit le mode de fonctionnement et de pensée d’un joueur n’est pas possible sur un seul
centre mais l’aurait été sur deux. Là encore, le temps disponible ne permettait pas de réaliser
autant d’entretiens et donc une telle recherche. Cette impossibilité est regrettable car, sans
cela, les résultats auraient eu une portée beaucoup plus étendue.
De surcroît, le sujet choisi imposait de définir le mythe. Il semble nécessaire, pour
comprendre comment les joueurs l’appréhendent, de savoir comment il s’est construit et
comment il a émergé dans la société. Le mythe est le cœur du sujet et il ne fallait donc pas
laisser de zones d’ombres, ou en tout cas le moins possibles, sur son émergence et sa portée.
Cela étant, malgré un grand nombre de plans imaginés, il semblait inévitable de ne pas
déséquilibrer une partie par rapport à l’autre ou aux autres. De même, ajouter la description à
l’introduction aurait considérablement alourdi un moment de la recherche qui se doit d’être
claire et concise. C’est pourquoi le plan proposé est déséquilibré et propose une première
partie surchargée. La première sous-partie entièrement narrative aurait peut-être pu être
disloquée et répartie dans les autres parties. Cela a été tenté mais ne donnait pas un résultat
assez clair et c’est-ce qui justifie le choix de laisser l’explication de la construction en une
première sous-partie, qui reste tout de même un temps à part dans le recherche.
Par ailleurs, le fait que les interviewés ne soient pas tous des inconnus est de facto un
biais qui altère les résultats des entretiens. Dans certains cas, cela n’a pas été un mal puisque
les joueurs ont eu immédiatement confiance et nous avons montré comme cela est important
auprès d’adolescents. Mais, pour un entretien en particulier, les propos du joueur n’ont pas été
une ressource très fiable puisqu’il n’a pas pris l’entretien au sérieux. Ce désagrément a été
résolu avec l’aide d’un collègue qui a contacté le joueur a posteriori afin de lui reposer des
questions et dont les réponses semblent plus honnêtes. Le centre de formation observé est le
seul à avoir accepté d’organiser les rencontres avec les joueurs, sur des temps d’études définis
et dans un emploi du temps très réglé. Dans les autres structures, il aurait fallu attendre les
vacances pour que les joueurs soient dans leur famille, les contacter un par un et espérer qu’ils
soient tous disponibles. Dans le temps imparti, ce risque semblait dangereux à prendre. C’est
114
pourquoi, malgré la familiarité avec quelques interrogés, le choix du centre observé s’est
imposé.
Ces limites de la recherche laissent à penser que le raisonnement n’est pas complet et
qu’il mériterait d’être prolongé. A travers le choix du panel des entretiens et du type de
structure étudié, nous avons mis en exergue une façon de représenter et d’appréhender le
mythe. Il serait alors intéressant de pouvoir comparer cette étude avec une étude similaire
traitant de l’imaginaire d’un autre type de public. Cela pourrait être le cas avec des joueurs
plus jeunes mais déjà dans des filières de haut niveau, par exemple dans un pôle espoir que
nous avons évoqué. Les jeunes joueurs, a priori moins mûrs, auraient sans doute tenu des
propos autres, notamment en ce qui concerne le rêve, les modèles et la passion. Mais cela
pourrait aussi être le cas avec des sportifs déjà professionnels. Si quelques-uns ont été cités ici
grâce à une précédente enquête, ils n’avaient pas été interrogés sur le mythe en tant que tel et
la plupart des réponses étaient inexploitables ici. Alors, en interviewant à nouveau ces
joueurs, on pourrait comprendre s’ils sont des « représentants » du mythe ou bien par exemple
s’ils sont critiques au sujet de leur métier. En d’autres termes, changer le panel d’interviewés
serait dorénavant judicieux pour poursuivre la compréhension des représentations. Cette
recherche est une première étape, qui aborde un thème et en propose une interprétation.
Cette interprétation mérite d’être poursuivie car elle laisse encore des zones d’ombres
sur les représentations que les joueurs peuvent avoir du mythe sociétal. En effet, nous n’avons
par exemple pas traité ici de ce que le mythe peut engendrer comme réaction dans un objectif
de réussite. Face à la désillusion qu’un grand nombre de joueurs connait, il serait important de
comprendre les différences de réaction. Ainsi, nous n’évoquons pas ici le cas des conduites
dopantes chez les sportifs. Or, nous pouvons supposer que celles-ci découlent du dépassement
de soi que nous avons évoqué. A force de demander toujours plus aux sportifs pour atteindre
les sommets de leur discipline, face à l’attente des masses d’un résultat qui doit être
spectaculaire et qui repousse les limites physiques, les parcours des sportifs diffèrent, en
fonction de leur personnalité et donc de leur éducation et de leur entourage. Ce besoin de
réussir est sans doute lié à l’émergence du mythe : quand les joueurs se rendent compte que le
rêve qui guide leur parcours risque de s’effondrer, plusieurs possibilités s’offrent à eux : le
dopage, le retour à une vie plus « normale » mais parfois aussi la dépression où le recours
115
encore plus important au travail et au dépassement de soi. Cela amènerait aussi à s’interroger,
plus que nous n’avons pu le faire ici, sur le rapport aux autres au sein d’un sport collectif.
Comme le montrait un des joueurs, la blessure de l’un peut faire la réussite d’un autre. Dans
ce cas, où commence l’individualisme et où s’arrête l’esprit d’équipe ? Plus encore, jusqu’où
la poursuite du rêve peut-elle mener, notamment dans le rapport aux autres ? La construction
de la personnalité individuelle au sein d’un groupe est un sujet particulièrement important
dans le sport collectif, qu’il faudrait appréhender d’autant plus pour comprendre les logiques
de rivalité et d’amitié dans une structure telle que le centre de formation. Ces logiques sont,
semble-t-il, au cœur de la construction de soi dans un établissement formateur, moment
crucial dans la réflexion sur les possibilités d’avenir et sur les choix de vie. Ces thèmes ont été
abordés mais méritent d’être plus approfondis et pourraient constituer des sujets de recherche
à part entière.
Enfin, et c’est-ce que les thèmes évoqués précédemment laissent à comprendre, il
faudrait pour appréhender l’interprétation du mythe s’interroger sur le rapport au corps
qu’entretiennent les joueurs. En effet, les pratiques sportives sont souvent données en
exemple pour leurs vertus physiques et hygiénistes. Le sport serait alors un formidable moyen
d’être bien dans sa peau, de construire un corps robuste et élégant. Or, et c’est-ce que nous
avons commencé à saisir, le corps est particulièrement mis à l’épreuve et meurtri dans la
recherche de performance. A l’exemple d’un des joueurs cités, le sport peut même « casser »
le corps pour interdire ensuite toute pratique sportive. Le recul incessant des limites, le
dépassement de soi et la volonté d’être toujours meilleur ne laissent pas la santé indemne.
Donnons par exemple un chiffre marquant : l’espérance de vie pour un footballeur américain
est actuellement de 47 ans281
, soit près de quarante années de moins qu’un américain normal.
Si ce chiffre est un extrême dans le monde du sport, on note une recrudescence des décès sur
les terrains ou durant la pratique professionnelle. La quête de la performance aurait donc un
prix, qui est selon un des joueurs interrogés le « sacrifice ». Ce sacrifice serait peut-être celui
du corps, de la santé et à terme de la vie. Alors, un autre sujet mériterait d’être abordé et
même traité pour comprendre les effets du sport. C’est-celui qui demande ce que coûte, à tous
points de vus, une carrière sportive professionnelle.
281
Chiffre donné par le site footballamericain.com à la page http://www.footballamericain.com/nfl/nfl-et-
esperance-de-vie.html, rédigée le 11 mai 2012 et consultée le 24 mai 2012
116
Table des Annexes
GUIDES D’ENTRETIENS ................................................................................................................................. 117
GUIDE D’ENTRETIEN DES JOUEURS .......................................................................................................................... 117 GUIDE D’ENTRETIEN STAFF .................................................................................................................................... 119
ENTRETIENS ................................................................................................................................................. 121
ENTRETIEN AVEC STEED, ....................................................................................................................................... 121 ENTRETIEN AVEC YVEN, ........................................................................................................................................ 131 ENTRETIEN AVEC CHRIS, ....................................................................................................................................... 142 ENTRETIEN AVEC FRANÇOIS, .................................................................................................................................. 153 ENTRETIEN AVEC NICOLAS, .................................................................................................................................... 162 ENTRETIEN AVEC LUC, .......................................................................................................................................... 170 ENTRETIEN AVEC TONY, ........................................................................................................................................ 184 ENTRETIEN AVEC MARIUS, .................................................................................................................................... 193 ENTRETIEN AVEC DORIAN, ..................................................................................................................................... 204 ENTRETIEN AVEC RONNY, ...................................................................................................................................... 210 ENTRETIEN AVEC M. FAUCHELEVENT, ...................................................................................................................... 222 ENTRETIEN AVEC M. MADELEINE, .......................................................................................................................... 230
DOCUMENTS ................................................................................................................................................ 240
LICENCES SPORTIVES EN 2010 EN FRANCE ................................................................................................................ 240 « HIERARCHIES » SOCIALES DE DISCIPLINES SPORTIVES ET COTATION DE LEUR DIMENSION ENERGETIQUE PAR RAPPORT A LEUR
DIMENSION TECHNIQUE ........................................................................................................................................ 241
117
Guides d’entretiens
Guide d’entretien des joueurs
Consigne: J'aimerais que tu me parles de ton parcours sportif, du centre de formation et du
sport professionnel en général.
I / Généralités - Présentation
1) Peux-tu te présenter brièvement ?
Age, origine géographique etc.
2) Comment es-tu arrivé à la JL Bourg ?
Parcours précédent, type de recrutement
II / Le basket
3) As-tu toujours été dans le milieu du basket ?
D’autres sports avant ?
4) Pourquoi t'es-tu tourné vers ce sport en particulier ?
5) Est-ce un sport porteur de valeurs ?
Y a-t-il des différences entre les sports ?
6) Qu’est-ce qui est attirant pour les jeunes dans le basket?
7) Trouves-tu que le basket est un sport où il y a une grande mixité sociale ?
Par rapport aux autres ? Comment est-ce caractérisé ?
8) Est-ce un sport qui fait rêver aujourd'hui ?
Pourquoi ? En quoi ?
9) Quels sont tes modèles dans le basket et le sport ? Pourquoi ?
III / Le club
1) Peux-tu m'expliquer le fonctionnement du club ?
2) Comment est-ce que le lien est fait entre la section amateur et la section professionnelle ?
3) Comment fonctionne le centre de formation ?
Quelle priorité ? Pourquoi ?
4) Qu’est-ce qui est le plus important pour toi ? Les études ou le basket ?
5) Est-ce que des joueurs du centre de formation intègrent l’équipe pro ?
6) Que font les joueurs du centre de formation si ils ne deviennent pas pro ? Y a-t-il une
reconversion prévue ?
7) Et toi, qu'espères tu à la fin de tes années au centre de formation ? Que feras tu si tu ne
deviens pas professionnel ? Et les autres à ton avis ?
8) D’où viennent principalement les joueurs recrutés au centre de formation ? A ton avis, de
quel milieu social sont-ils issus ?
9) Quelle est la politique de formation des joueurs ? Qu’est-ce que l’on cherche en
particulier ?
Le résultat, le plaisir, la progression à court et/ou long terme ?
10) A ton avis, comment se situe le club sur l’échiquier du basket ?
Niveau financier, structurel, politique => des améliorations à envisager ?
Points faibles/forts ?
11) Pourquoi es-tu venu ici ? Et si un autre club, plus prestigieux, t'avais proposé ?
118
12) Crois-tu en tes chances de devenir professionnel un jour ? Si non, déception ?
13) A quel moment t'es-tu dit que tu pourrais y arriver un jour ? Pourquoi ? Comment cela
s'est-il passé ?
14) Pour toi, que représente la JL Bourg ?
IV / Le sport professionnel
1) Qu’est-ce qui caractérise le sport professionnel aujourd’hui, de manière général ?
2) Quel différence y a-t-il entre le basket et les autres sports, au niveau professionnel ?
3) Qu'est-ce qui t'attire dans ce milieu ? Pourquoi vouloir devenir professionnel ?
4) Est-ce que tu espères que ta vie sera « plus facile » si tu deviens professionnel ?
Si oui, pourquoi ? Et en quoi ?
5) Est-ce qu'aujourd'hui le sport permet une ascension dans la hiérarchie sociale ? Pourquoi ?
6) Qu'est-ce qui te fait voir cette ascension ?
Médias, connaissances... ?
7) Est-ce que tu penses que c'est un des rôles du sport ? Ou bien devrait-ce en être un ?
8) Selon toi, est-ce que la méritocratie existe dans le sport ?
Est-ce que tout le monde peut réussir à percer dans le sport ?
9) Est-ce que tu penses que l'Etat ou les politiques publiques font en sorte que le sport
permette une ascension sociale ?
10) Qui t'a permis de réussir dans le basket ?
11) A ton avis, est-ce que c'est plus facile de réussir dans le sport si on a plus d'argent ?
12) Quelle place occupe ton entourage dans ta réussite au basket ? Plus coûteux pour eux ?
Sans famille qui t'accompagne, est-ce possible ?
13) Quelle place prend l’argent dans le club selon toi ? Et dans le sport professionnel en
général ?
14) Quelle place penses-tu avoir dans la réussite du groupe ?
15) Selon toi, que devrait-on changer dans le sport professionnel en général ? Et dans le
basket en particulier ?
IV/ Profil sociologique
1.1.1. Vous êtes:
1.1.2. Quel est votre âge ?
1.1.3. Quel est le métier de votre père ?
1.1.4. Quel est le métier de votre mère?
1.1.5. Quelle est, par conséquent, leur PCS?
1.1.7. Quel est votre niveau d'étude?
10. Par rapport au reste de la population, comment considérez-vous votre vie ?
119
Guide d’entretien staff
Consigne: J'aimerais que vous me parliez du centre de formation, du milieu social d’origine
des joueurs et du sport professionnel en général.
I / Généralités - Présentation
1) Peux-tu présenter brièvement ?
Age, origine géographique etc.
2) Comment es-tu arrivé à la JL Bourg ?
Parcours précédent, type de recrutement
II / Le basket
3) As-tu toujours été dans le milieu du basket ?
D’autres sports avant ?
4) Pourquoi t'es-tu tourné vers ce sport en particulier ?
5) Est-ce un sport porteur de valeurs ?
Y a-t-il des différences entre les sports ?
6) Qu’est-ce qui est attirant pour les jeunes dans le basket?
7) Trouves-tu que le basket est un sport où il y a une grande mixité sociale ?
Par rapport aux autres ? Comment est-ce caractérisé ?
8) Est-ce un sport qui fait rêver aujourd'hui ?
Pourquoi ? En quoi ?
9) Quels sont tes modèles dans le sport ? Et dans le basket ?
III / Le club
1) Peux-tu m'expliquer le fonctionnement du club ?
2) Comment est-ce que le lien est fait entre la section amateur et la section professionnelle ?
3) Comment fonctionne le centre de formation ?
Importance des études ? Quelle priorité ? Pourquoi ?
4) Est-ce que des joueurs du centre de formation intègrent l’équipe pro ?
5) Que font les joueurs du centre de formation si ils ne deviennent pas pro ? Y a-t-il une
reconversion prévue ?
6) A ton avis, combien de joueurs sur le groupe ont des chances de devenir pro un jour ?
Peux-tu les classer, de celui qui a à ton avis le plus de chance à celui qui en a
le moins ?
7) D’où viennent principalement les joueurs recrutés au centre de formation ? A ton avis, de
quel milieu social sont-ils issus ?
8) Quelle est la politique de formation des joueurs ? Qu’est-ce que l’on cherche en
particulier ?
Le résultat, le plaisir, la progression à court et/ou long terme ?
10) A ton avis, comment se situe le club sur l’échiquier du basket ?
Niveau financier, structurel, politique => des améliorations à envisager ?
Points faibles/forts ?
11) Pourquoi es-tu venu ici ? Et si un autre club, plus prestigieux, t'avais proposé ?
13) A quel moment penses-tu que les joueurs ont pensé pouvoir devenir pro un jour ?
Comment cela s'est-il passé ?
14) Pour eux, que représente la JL Bourg ?
120
IV / Le sport professionnel
1) Qu’est-ce qui caractérise le sport professionnel aujourd’hui, de manière général ?
2) Quel différence y a-t-il entre le basket et les autres sports, au niveau professionnel ?
3) Qu'est-ce qui t'attire dans ce milieu ? Pourquoi vouloir devenir professionnel ?
4) Est-ce que tu penses que les joueurs espèrent que leur vie sera « plus facile » si ils
deviennent professionnels ?
Si oui, pourquoi ? Et en quoi ?
5) Est-ce qu'aujourd'hui le sport permet une ascension dans la hiérarchie sociale ? Pourquoi ?
6) Qu'est-ce qui te fait voir cette ascension ?
Médias, connaissances... ?
7) Est-ce que tu penses que c'est un des rôles du sport ? Ou bien devrait-ce en être un ?
8) Selon toi, est-ce que la méritocratie existe dans le sport ?
Est-ce que tout le monde peut réussir à percer dans le sport ?
9) Est-ce que tu penses que l'Etat ou les politiques publiques font en sorte que le sport
permette une ascension sociale ?
10) Qui a permis aux joueurs de réussir dans le basket, en règle générale ?
11) A ton avis, est-ce que c'est plus facile de réussir dans le sport si on a plus d'argent ?
12) Quelle place occupe l’entourage des joueurs dans leur réussite au basket ? Plus coûteux
pour eux ? Sans famille qui accompagne, est-ce possible ?
13) Quelle place prend l’argent dans le club selon toi ? Et dans le sport professionnel en
général ?
14) Peux-tu classer les joueurs par ordre d’importance dans la réussite du groupe ?
15) Selon toi, que devrait-on changer dans le sport professionnel en général ? Et dans le
basket en particulier ?
IV/ Profil sociologique
1.1.2. Vous êtes:
1.1.6. Quel est votre âge ?
1.1.7. Quel est le métier de votre père ?
1.1.8. Quel est le métier de votre mère?
1.1.9. Quelle est, par conséquent, leur PCS?
1.1.8. Quel est votre niveau d'étude?
10. Par rapport au reste de la population, comment considérez-vous votre vie ?
121
Entretiens Entretien avec Steed,
Réalisé le 5 avril 2012
Steed me reçoit chez sa mère à Bourg-en-Bresse et nous nous installons dans son salon,
l’appartement étant libre. Je lui demande de ses nouvelles, l’ayant entraîné à des camps de
basket quand il était plus jeune. L’ayant contacté directement par téléphone, il sait déjà la
raison de ma venue. Je lui donne ensuite les modalités de l’entretien et nous commençons.
Question : Peux-tu commencer par te présenter ?
Réponse : Steed, j’ai 17ans, je joue à la JL Bourg Basket depuis 11ans. Sinon je suis en
Terminale S à Lalande et j’habite à Bourg.
Et t’as toujours été dans le milieu du basket ?
Euh…j’ai fait un an de foot au FCBB
Comment es-tu arrivé dans le milieu du basket ?
C’est avec mon père qui lui était vraiment dans le milieu du basket. C’est lui qui m’as
transmis cette passion. Mais ma mère a aussi fait du basket, ma sœur… C’est de famille
Pourquoi après te tourner vers ce sport en particulier. Comment as-tu fais le choix entre
le basket et le foot ?
J’ai fait un an de basket puis un an de foot et après je suis revenu au basket. Je ne sais pas
trop, je préférais le basket, c’était un sport d’intérieur, il y avait pas tout ce qui est pluie, froid
etc. Mais c’est surtout avec mes parents
Est-ce que tu penses que c’est un sport qui véhicule des valeurs ?
(…) des valeurs… (long silence)
Est-ce qu’il y a des choses qui sont rattachées au basket, des impressions, des valeurs qui
sont véhiculées ?
Ba déjà c’est un sport collectif, on dit qu’il faut être intelligent pour jouer au basket.
Selon toi qu’est-ce qui différencie le basket des autres sports ?
Par exemple par rapport au foot je dirai l’état d’esprit. Mon avis, le foot ça reste assez
spécial…enfin…Au basket il y a plus de respect, sur le terrain, on triche moins.
Comment es-tu arrivé à la JL Bourg ?
122
J’habite à Bourg, mes parents jouaisent à la JL, ma sœur y jouaist aussi donc c’était le plus
simple.
Selon toi qu’est-ce qui est attirant pour un jeune dans le basket ?
Le fait que ce soit un sport collectif et pas individuel, ça crée plus de lien. Après…c’est un
sport…
Qu’est-ce qui peut pousser un jeune au basket plus qu’à un autre sport ?
Après c’est une question de goût de chacun. Le basket c’est un sport qui se joue avec les
mains et non avec les pieds. C’est un sport où il y aura beaucoup moins de contact qu’au
rugby, c’est un sport d’adresse. Dans le basket il peut y avoir aussi du spectacle. C’est peut-
être le sport où il y a le plus de suspens, un match n’est jamais gagné. Même deux secondes
avant la fin, ce n’est pas fini. Donc c’est peut-être ce côté-là.
Est-ce que tu penses que dans le basket, il y a une grande mixité sociale ? [Je lui explique
ce que j’entends par là]
Je pense qu’il y a une grande mixité sociale. Par contre ce n’est pas forcément un sport
accessible à tout le monde. Par exemple au foot, tu prends deux piquets, deux arbres, tu as un
ballon et tu peux jouer au foot alors qu’au basket il faut plus d’infrastructures, il faut un
panier etc. Sinon le basket peut être très répandu dans le monde, même dans les pays pauvres.
Il y énormément de joueurs qui sortent d’Afrique, qui viennent jouer dans les grands clubs
européens.
Est-ce que tu penses que les gens de toutes les classes sociales se retrouvent dans les
clubs, sur un terrain ?
Oui je pense. Le sport permet de réunir tout le monde, met tout le monde sur un même pied
d’égalité.
Est-ce que tu penses que le basket rassemble plus ?
Je sais pas, peut-être que le foot rassemble plus les gens des classes défavorisées.
Pourquoi selon toi ?
Le foot est le sport le plus populaire. Et c’est plus facile d’aller jouer dans un club de football
que dans un club de basket puisqu’il y a plus de terrains de foot que de salles de basket. Le
football est plus développé que le basket.
Est-ce que tu penses que le basket fait rêver aujourd’hui ?
Oui je pense, par exemple avec le dernier Euro et les Français qui sont arrivés jusqu’en finale
et ont fini vice-champions d’Europe. Ils sont aussi allés en finale des Jeux Olympiques (en
2000 ndlr).
Peux-tu maintenant m’expliquer le fonctionnement du club de la JL Bourg ?
123
Euh…au niveau pro ou amateur ?
Explique-moi déjà cette différence.
Ce ne sont pas deux clubs différents mais ce sont deux parties d’un même club. Chez les
amateurs c’est surtout du bénévolat avec un comité directeur, comme dans n’importe quel
club, et des entraîneurs qui sont payés. Chez les pros, comme c’est professionnel, il y a un
directeur, un trésorier, un entraîneur pro, un assistant, un directeur du centre de formation et
un entraineur pour le centre de formation également. Il y a vraiment des échelons, différents
grades.
Et est-ce qu’il y a un lien entre la section pro et la section amateur ?
Oui, il y a des passerelles entre les deux. Nous, on fait partie de la section pro. Si on a des
blessés, des joueurs de l’équipe 2 peuvent venir compléter l’équipe. Nous on peut aussi aller
du côté amateur. Il y a des gens de l’équipe qui sont allés jouer avec les « Régional 1». Et ils
l’ont fait même à l’intérieur de la section pro : on nous a déjà appelé plusieurs fois pour aller
s’entraîner avec la section pro parce qu’ils avaient des blessés ou qu’il leur manquait des
joueurs.
Donc c’est le centre de formation qui fait un peu le lien entre les deux parties du club ?
Oui
Peux-tu m’expliquer comment fonctionne le centre de formation ?
Déjà on s’entraîne tous les soirs du Lundi au Jeudi. On est aussi en hébergement pour ceux
qui habitent loin, aux Trois Saules. L’école, quasiment tout le monde va à Saint-Pierre
puisqu’il y a un partenariat qui est fait avec la JL. Les repas se font soit à Saint-Pierre soit aux
Trois-Saône à l’hébergement le soir. Au niveau des transports, c’est la JL, les entraîneurs ou
les parents des joueurs qui conduisent le minibus pour aller en déplacement le week-end.
Toi tu es à Saint-Pierre aussi ?
Non moi je suis à Lalande, c’est plus près de chez moi, ma sœur était à Lalande aussi donc ma
mère a dit que c’était plus simple que j’aille là-bas.
Et est-ce que le fait que tu ne sois pas au centre d’hébergement change quelque chose
pour toi par rapport à l’équipe ?
On pourrait croire que je suis un peu à part mais finalement pas vraiment. C’est vrai que eux
se voient 24h sur 24 alors que moi je ne les vois le soi de 18h à 20h, le week-end quand on a
match ou quand on se rejoint pour aller voir le match des pros. Mais non ça va je me sens
intégré, comme tout le monde.
Selon toi, est-ce que c’est important les études ?
124
Oui. Même pour quelqu’un qui prétend être pro, les études c’est important puisqu’ on n’est
jamais à l’abri d’une blessure et du jour au lendemain, on pourra peut-être plus jamais jouer
au basket de sa vie. Et s’il a rien derrière, il va se retrouver « dans la merde ». Donc oui il ne
faut surtout pas lâcher les études. Il faut au moins avoir son bac.
Pour toi, c’est quoi la priorité, s’il y en a une ?
Je pense que ça reste les études. Après c’est possible de faire les deux à la fois, réussi les
études et beaucoup s’entraîner même si ce n’est sûrement pas facile. Mais oui priorité aux
études.
Est-ce qu’ensuite, des joueurs du centre de formation intègrent l’équipe
professionnelle ?
Oui ça peut arriver. Le fait qu’ils nous appellent pour aller s’entraîner, pour aller remplacer
les pros, ça leur permet de nous juger, de nous évaluer. Et ensuite, au début de la saison
suivante, ils peuvent très bien…S’ils ont besoin d’un jeune pour faire le 11e joueur, ils
peuvent très bien recruter dans le centre de formation.
Et dès lors, que font les jeunes du centre de formation s’ils ne deviennent pas
professionnels ?
Ils peuvent soit continuer pour le plaisir, continuer de jouer à un bon niveau, dans une équipe
région. Certains peuvent arrêter pour leurs études, ils arrêtent un temps et reprennent après.
Y a-t-il une reconversion spéciale de prévue ou chacun gère comme il veut ?
Non je pense que chacun gère comme il veut ». Après on en parle au sein du centre de
formation avec les entraîneurs. Ceux qui habitent loin reviennent plus près de chez eux…
Et toi qu’espères-tu à la fin de tes années en centre de formation ?
Moi je veux faire médecine donc je pense arrêter pendant ma première année, pour un ou
deux ans s’il faut. Et après reprendre pour aller jouer à la JL dans l’équipe 2, donc dans
l’équipe senior. Ils m’ont proposé de jouer l’année prochaine en Nationale 3 mais j’ai refusé.
Mais est-ce que tu crois en tes chances de devenir un jour basketteur professionnel ?
Non pas du tout.
Pourquoi ?
On ne devient pas pro du jour au lendemain. Je pense que ça se voit quand un joueur devient
pro, c’est qu’il domine déjà chez les jeunes, il fait toutes les sélections par exemple
départementales, régionales, zone, nationales. Et après il fait au moins partie des
présélectionnés dans les équipes de France, il fait les camps. Non il n’est pas dévoilé du jour
au lendemain comme ça au public, il ne sort pas de nulle part. On voit quand un joueur a le
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potentiel, même en cadet il domine parce que de toute façon quand il va passer pro, c’est là le
changement le plus dur, là où il y a les différences d’âge et d’expérience les plus importantes.
Et c’est une déception ?
Non. Non pas du tout. Quand tu es petit tu rêves toujours de faire ça mais après... Non j’ai
toujours été réaliste, je savais très bien que je n’allais jamais devenir pro.
Et parmi tes coéquipiers, tu penses que certains peuvent devenir professionnels ?
Oui je pense que j’ai un coéquipier qui peut devenir pro, actuellement blessé au genou. Mais
il a des chances d’obtenir l’année prochaine un contrat pro.
Et parmi les autres joueurs qui ne vont pas devenir professionnel, est-ce que eux pensent
qu’ils vont le devenir ?
Est-ce qu’ils vont devenir pro ?
Est-ce qu’ils pensent qu’ils vont le devenir ?
Peut-être. Après ça peut être une forme de motivation aussi. On n’en a jamais vraiment parlé.
Après peut-être que certains sont là effectivement pour vraiment devenir pro et tant mieux
pour eux. Mais c’est vrai qu’on n’a jamais vraiment parlé de ça.
D’où viennent principalement les joueurs qui sont recrutés au centre de formation de la
JL Bourg ?
Ils peuvent venir d’un peu partout. Après cette année c’était beaucoup plus régional, ça venait
de Lyon principalement. Après ça montait un peu plus loin, vers Besançon, les Vosges…Ou
dans l’Ain aussi. Ils peuvent aussi venir directement de l’équipe minime France de la JL
Bourg et intégrer le centre de formation. Mais l’année dernière, c’était de toute la France,
même international : on avait un Lillois, un Parisien, un Marseillais et même trois Sénégalais.
C’est vrai que ça faisait un changement et que ce n’est pas toujours facile quand il y plusieurs
personnes qui ne viennent pas du même endroit, du même horizon pour arriver à s’entendre.
Parce qu’on passer 24heures sur 24 avec les mêmes gens.
Qu’est-ce qui est difficile selon toi dans le fait de mixer comme ça…
L’intégration, le fait que tout le monde n’ait pas les mêmes objectifs. Ensuite ce n’est quand
même pas facile d’être au centre de formation : on s’entraîne beaucoup, on a des longs
déplacements donc certains après peuvent être fatigués, ce qui peut influer sur leur caractère.
Après c’est un groupe donc il y a forcément des hauts et des bas.
A ton avis, de quel milieu social viennent tes coéquipiers ?
Principalement, ils viennent plutôt des classes sociales normales ou aisées. Toute façon, la JL
paye tout. Saint-Pierre c’est un lycée privé mais la JL paye la scolarité, la nourriture,
126
l’hébergement. Donc tout le monde peut y rentrer, ce n’est pas forcément que pour les
personnes aisées.
Et dans la réalité, est-ce qu’il y a une vraie mixité ?
Non. Dans notre équipe, on n’a personne dont les parents soient soit au chômage ou qui
gagnent le SMIC. On a tous des parents qui gagnent bien leur vie.
Selon toi, quelle est la politique de formation des jeunes à la JL, qu’est-ce qu’ils
recherchent en particulier ?
Ils cherchent vraiment à nous faire progresser, à nous faire gagner de l’expérience. Chaque
année on joue le top 16, les 16 meilleures équipes de France, on joue la Coupe de France. Il y
a des passerelles avec les pros, les séniors 2. Dans le travail, on touche un peu tous les
domaines. On fait beaucoup de technique mais on travaille aussi le physique, c’est-à-dire
musculation, courses…C’est vraiment le travail.
Et selon toi, est-ce que leur but final est que vous deveniez professionnels ?
Oui je pense, mais le but c’est d’au moins faire de nous les meilleurs joueurs qu’on puisse
être, de développer au maximum nos capacités. Après si on a le talent pour devenir
professionnel, oui pourquoi pas. Je ne pense pas non plus qu’on devienne professionnel en
3ans, mais leur but, oui, c’est vraiment de nous faire aller de l’avant. Tant que tu travailles dur
c’est bon. Mais les coachs nous lâchent pas, ils veulent tout le temps qu’on travaille
beaucoup, qu’on donne tout ce qu’on a à chaque match, à chaque entraînement. C’est des
années très dures physiquement et mentalement.
A ton avis, comment se situe le club sur l’ensemble des clubs de basket au niveau de la
formation et au niveau plus global ?
Je pense que concernant le centre de formation, pour un club de Pro B, on est vraiment bien.
On a déjà joué contre des centres d’équipe de Pro A qui avaient de moins bonnes
infrastructures que les nôtres. Ensuite au niveau professionnel, par rapport aux autres équipes
de Pro B, cette année ce n’est pas ça, mais si la sauce prend, si l’année prochaine il y a du
changement…
…et a priori il y en aura…
Oui il y en aura, je pense que ça peut être pas mal.
Si un autre club plus prestigieux t’avait proposé de te recruter, qu’aurais été ton choix ?
Je ne sais pas, c’est compliqué parce que ça dépend de la distance. Si c’est pour un niveau
plus élevé et ne pas jouer ça ne m’intéressait pas. Cette année j’ai eu beaucoup de temps de
jeu et c’est ça qui m’a plus. En première année je faisais tous les entraînements en 1 mais le
week-end j’allais jouer en 2 pour avoir du temps de jeu. L’année dernière c’était en dent de
scie, ça pouvait varier d’un match sur l’autre. Alors que cette année j’ai eu du temps de jeu,
127
j’ai un peu profité de la blessure de Pierre, comme tout le monde. C’est moche à dire mais
c’est vrai qu’après c’est un petit peu la concurrence, c’est un très bon pote, mais sa blessure
m’a permis d’aller dans le cinq de départ.
Tu m’as dit tout à l’heure que devenir professionnel était un rêve d’enfant. A quel
moment tu t’es dit que cela pourrait arriver ? Est-ce que tu te l’es dit et pourquoi ?
Comment cela s’est passé ?
Quand je pensais ça, j’étais vraiment petit, on ne se rend pas compte du niveau. On joue bien
au niveau département et après on va sur Lyon et dès petit on voit que d’autres sont forts.
Jusqu’à quand tu y as cru ?
Je n’en sais rien. Je pense que dès que je suis sorti du département, en benjamin, je me suis
rendu compte.
Et tu ne t’es jamais dit que le centre de formation pouvait t’apporter ça ?
Non je voyais plus ça comme un moyen de vivre ma passion à fond, de jouer contre des
équipes vraiment fortes, jouer à un très haut niveau. Non c’était vraiment plus dans l’optique
de vivre ma passion que de me dire qu’après mes trois ans, je deviendrais professionnel.
A ton avis, sur un autre thème, qu’est-ce qui caractérise le sport professionnel
aujourd’hui ? Si je te dis « sport professionnel »à quoi cela te fait-il penser ?
…Un métier, des joueurs très forts, des super équipes qui jouent un titre
Y a-t-il une/ des différences entre le basket professionnel et les autres sports ?
Oui je pense, notamment au niveau médiatique, le basket est en retrait par rapport au football
et au rugby. Pour l’engouement, les supporters de basket n’ont rien à envier aux supporters de
foot ou du rugby. Il n’y a qu’à voir en Grèce ou en Serbie, là-bas c’est le sport national et
dans les salles c’est une ambiance unique.
Qu’est-ce qui t’attires dans le sport professionnel ?
De pouvoir faire du basket un métier. Quand tu aimes un sport, ton rêve c’est d’en faire toute
ta vie, donc d’en faire ton métier. Ensuite l’idée de partir loin de chez toi, d’aller jouer à
l’étranger, ce sont des expériences à vivre.
Et selon toi, quelles sont les raisons qui ont attiré tes coéquipiers vers le sport
professionnel ? Ce sont les mêmes raisons, y’en a-t-il de différentes ?
Non je pense qu’au final, on est tous là par passion. Sinon on ne se ferait pas chier à venir au
centre de formation.
Est-ce que tu penses que la vie est plus facile quand on est professionnel ?
128
Pas forcément, après ça dépend pas rapport à qui. Le gros désavantage, c’est que
généralement on ne reste pas dans le même club toute sa vie, on peut changer de club trois
fois en trois ans…On n’a pas la sécurité de l’emploi, on n’est pas à l’abri d’une blessure qui
nous brise notre carrière. On peut très bien être à Bourg-en-Bresse et se retrouver du jour au
lendemain au fin fond de la Suède. Après, tout ce qui est amis, famille… pour les enfants, ce
n’est pas facile, ils changent d’écoles tous les ans. Cependant c’est sûr qu’on est-certain de
faire quelque chose qu’on aime. Quelqu’un qui travaille à l’usine, je ne pense pas qu’il fasse
ça parce que ça lui fait plaisir.
Est-ce que selon toi, aujourd’hui, le sport permet l’ascension sociale ?
On peut s’enrichir avec le basket, il n’y a qu’à voir, pas trop en Europe malgré quelques
exceptions mais surtout aux Etats-Unis, il suffit de faire deux-trois saisons pour gagner assez
de sous pour toute sa vie. Donc oui je pense que dans certains cas, ça permet de changer de
classe.
Si on revient sur l’Europe et la France particulièrement ?
Il n’y’a vraiment que les gros joueurs qui gagnent vraiment beaucoup d’argent. Le basket
c’est éphémère, à 35ans il faut trouver autre chose, par exemple dans le coaching. Non, en
Europe et dans le basket je ne sais pas s’il y a suffisamment d’argent pour changer de classe
sociale.
Penses-tu que c’est un rôle du sport ?
Non je ne pense pas, il y a déjà suffisamment d’argent dans le sport, pas forcément dans le
basket européen mais dans le foot européen par exemple, les joueurs sont payés énormément.
Je pense qu’il y a suffisamment d’argent dans le sport…et il faut surtout s’intéresser au jeu en
lui-même.
Selon toi, la méritocratie existe-elle dans le sport ? C’est-à-dire celui qui a fait le plus
d’effort sera le plus récompensé
Non je ne pense pas. Chez certains joueurs c’est plus inné que chez d’autres, il y a une part de
talent Certains font énormément d’effort et y arrivent mais ce n’est pas une garantie. C’est
aussi une part de chance, quelqu’un qui était là au bon moment au bon endroit, qui a mis le
bon shoot…c’est peut-être pas forcément le plus méritant.
Selon toi, est-ce que tout le monde peut percer dans le sport professionnel ?
Oui je pense mais dans ce cas-là, pour que tout le monde puisse y arriver, il faut que tout le
monde puisse se donner à 1000% parce que c’est vraiment le travail qui peut nous emmener là
où on veut aller. Après que tout le monde puisse y arriver, je ne sais pas puisqu’il n’y aura pas
nécessairement toutes les infrastructures, des gens ne pourront peut-être pas rentrer n’importe
où s’ils n’ont pas assez de talent. Il y a aussi des problèmes d’argent ou des choses comme ça.
A ton avis, sans rien changer à ce qu’il y a actuellement, est-ce que n’importe quelle
personne peut y arriver ?
129
Non je ne pense pas. En plus il y a certaines prédispositions. Dans le milieu du basket, on va
plutôt chercher de la taille donc les enfants qui sont plutôt grands seront plus avantagés que
les enfants qui sont voués à être petits et pour qui ça va être beaucoup plus durs. Je ne pense
pas que tout le monde puisse y arriver.
Penses-tu que l’Etat, que les politiques publiques, que les politiques font en sorte que le
sport permette une ascension sociale et permette à tout le monde de réussir ? Penses-tu
que c’est son rôle ?
Je ne pense pas. Concernant le basket ils ne s’en mêlent pas trop, ils vont plus du côté du foot.
Non je ne pense pas qu’ils aient un rôle à jouer là-dedans.
A ton avis, qu’est-ce qui t’a permis de réussi dans le basket, dans le sens où tu as intégré
un centre de formation ?
Mes parents m’ont déjà plongé dans le sport, je me suis beaucoup entraîné toute ma vie, j’ai
eu des bons entraîneurs à chaque année. J’ai eu aussi la chance en minime d’aller au pôle à
Lyon, ça m’a permis de beaucoup progresser. Je pense que c’est le travail finalement.
En plus du travail quelle place occupe ton entourage dans ta réussite ?
Ils se sont beaucoup investis, ils m’ont permis de beaucoup jouer au basket, d’intégrer le pôle
et me donner une grosse source de motivation. Quand tu fais un bon match et que ton père te
félicite, tu es content. Le lundi après-midi tu as plus envie de t’entraîner.
Penses-tu qu’il est possible de réussir sans une famille derrière qui accompagne ?
Oui je pense que c’est possible. Apres chacun a sa source de motivation et au final, ce ne sont
pas tes parents qui vont faire que tu vas être bon ou pas. Ça t’appartient plus à toi, ton
entourage sera pas toujours derrière toi pour que tu y arrives.
Selon toi, quelle place prend l’argent dans le club ?
(long silence) Et bien au niveau du centre de formation, l’argent va surtout aider les joueurs
au niveau logement école enfin études et nourriture. Ça permet d’intégrer plus facilement le
centre de formation et de ne pas se dire « J’aurai jamais les sous pour pouvoir payer ça à mon
fils ». Après il peut aussi y avoir un contrat avec les jeunes du centre de formation. Mais
généralement, l’argent est pour les professionnels et les dirigeants.
Dans le sport professionnel en général ?
Je pense qu’il y a beaucoup d’argent quand on voit ce que peuvent avoir les clubs, ce que peut
valoir un joueur, ce qu’il peut gagner des fois c’est vraiment énorme au niveau du salaire.
C’est même surement un excès.
Quelle place tu penses avoir dans la réussite du groupe, de ton équipe ?
130
Le fait que je sois 3e année, je dois apporter un peu d’expérience aux 1ere année. C’est vers
des personnes comme Baptiste Pierre ou moi vers qui ils vont se tourner s’ils ont des
questions. Après c’est plus à nous de prendre la parole lors des entraînements, seconder le
coach. C’est d’ailleurs ce qu’il nous avait demandé en début d’année, d’être un peu leaders, et
de mener le groupe. Essayer d’être un peu l’exemple, le moteur aux entraînements.
Et enfin, selon toi, est-ce qu’il y a quelque chose qu’on va changer dans le sport
professionnel ou dans le basket en particulier ?
En général je pense… L’argent, les salaires exorbitants. Après pour le basket surtout en
France, développer les infrastructures, les salles. Que le basket soit plus médiatisé…
Trois-quatre questions pour finir : Tu as 17ans ?
Oui.
Le métier de ton père ?
Professeur d’EPS mais en ce moment il est entraîneur et à la fois éducateur pour ceux qui
passent le BE2
Le métier de ta mère ?
Institutrice
Par rapport au reste de la population, comment considères-tu ton niveau de vie ?
Je me considère bien, par rapport à la moyenne je pense que je suis un peu au-dessus.
Ok, c’est tout pour moi, tu as des questions, des choses que tu veux ajouter, redire ?
Non. C’est bon.
Très bien ! Je te remercie
131
Entretien avec Yven, Réalisé le 18 avril 2012
Yven vient m’ouvrir la porte du centre d’accueil où les joueurs sont logés, à la demande de M.
Fauchelevent, et nous nous installons dans la salle d’étude, vide. Je lui explique la raison de
ma venue, les modalités de l’entretien et nous commençons.
Question : Est-ce que tu peux te présenter ?
Réponse : Je m'appelle Yven. Je suis cadet France à la JL, au centre de formation J'habite sur
Paris, et donc je suis là depuis la rentrée, depuis le 15 août. J'ai seize ans.
Quel parcours suis-tu à l'école ?
Là, je suis en première STG et pour l'instant on n'a pas encore choisi d'option.
Comment es-tu arrivé à la JL ?
L'année dernière je jouais sur Paris, en cadet France en deuxième div. Je cherchais à pouvoir
atteindre la première division, et je cherchais un centre de formation pour pouvoir mieux
suivre mes études. Et donc, c'est ici, en envoyant mon C.V. à M. Madeleine, il m'a appelé et
finalement je suis ici.
Et tu as toujours été dans le milieu du basket ?
J'ai commencé le basket en 4e, c'est vraiment ça qui m'a plu et je suis arrivé jusque-là.
Et tu as pratiqué d'autres sports ?
Non, j'ai commencé par le basket. Au début je faisais un peu de tout, je touchais un peu à tout
mais sans vraiment être licencié dans un club. Donc ça a été le basket.
Pourquoi t'es-tu tourné vers ce sport ?
C'est surtout l'influence des autres qui me disaient « tu es grand, il faut que tu fasses du basket
et tout » et en essayant ça m'a plu donc je me suis lancé dedans. Et la famille aussi donc je me
suis tourné vers le basket.
A ton avis, est-ce un sport qui est porteur de valeurs ?
(petite hésitation – humm) Je peux dire que oui. En tant que basketteur, je trouve, on est assez
bien reconnu dans la ville de Bourg en Bresse, on a une assez bonne image. Et j'pense que
peu importe où, étant sportif on a une bonne image en tant que basketteur. (petit temps) y'a
des valeurs... En tant qu'espoir collectif il y a une valeur d'équipe tout simplement.
Qu'est-ce qui est attirant pour un jeune dans le basket ?
132
Ben, justement, d'inculquer ces valeurs, l'esprit d'équipe, plusieurs valeurs qui sont
importantes dans la vie, étant jeune, qu'on peut apprendre. Ensuite... ensuite je sais pas trop.
Déjà, le sport c'est un truc qu'il faut quand on est jeune, je pense.
C'est donc ça qui attire les jeunes vers le basket ?
Je sais pas, peut-être. Je ne suis pas sûr non plus. Je pense que c'est peut-être aussi l'image des
grandes star du basket et tout qu'ils... essayent de leur ressembler.
Qu'est-ce qui fait envie chez ces stars tu penses ?
Ben, on regarde un peu la célébrité, la popularité et puis... ben, ils gagnent cher d'argent aussi
donc c'est un peu tout ça.
Est-ce que tu penses que le basket est un sport où il y a une grande mixité sociale ?
(explique le concept de mixité sociale)
Ben... je dirais pas autant que d'autres sports comme le foot assez quand même. Pas un sport
de riche comme le golf mais c'est un sport assez mixte je pense, n'importe qui peut jouer au
basket.
Et comment tu te rends compte de ça ?
Je regarde notamment dans le club. Moi je dirais pas que je suis en haut de l'échelle sociale, je
dirais pas que je suis en bas non plus. Mais je regarde dans l'équipe, on va dire qu'y'en a qui
ont des assez bien ces et d'autres un peu moins et on est tous toujours soudés. C’est possible
hein ! Moi j’ai mon cousin il vient du même endroit que moi et il entraîne à un super niveau.
C’est lui qui m’a dit que je pourrai devenir très fort. Et puis y a des mecs de mon quartier qui
jouent à un haut niveau. Ou même quand tu vois genre Zidane, il avait rien et pourtant c’est
le Dieu aujourd’hui. Donc ça montre que tout le monde peut y arriver s’il le veut vraiment.
Est-ce que tu penses que c'est un sport qui fait rêver le basket ?
Bah ouais, comme je disais tout à l'heure, quand on regarde les joueurs NBA et tout, on rêve
souvent de devenir comme eux ou alors les joueurs pro comme à la JL, on veut souvent
atteindre le niveau pro comme eux et je pense que là ça nous donne envie.
Est-ce que tu as des modèles dans le basket ou dans le sport en général ?
Ben, y'a un modèle référence dans le basket qui est Mickaël Jordan mais je pense que ça, tout
le monde a dû le citer. Pour parler plus personnellement, moi ce qui m'intéresserait plutôt c'est
d'être un joueur comme Amare Stoudemire, que j'ai rencontré d'ailleurs, j'ai parlé avec lui et
c'était sympathique. Je veux faire rêver comme lui me fait rêver. Forcément ça fait envie.
Tu l'as rencontré comment ?
Sur Paris, il est venu l'année dernière, il y avait un match NBA / Europe tour à l'occasion de
133
ça, la veille, il est venu dîner à un petit camp d'entraînement et j'en faisais partie grâce à mon
cousin qui m'a fait rentrer et j'ai parlé avec lui, il m'a donné quelques conseils c'était sympa.
Ok. On va passer à un autre thème, qui est le club.
Ouais.
Est-ce que tu peux m'expliquer comment fonctionne le centre de formation.
Je pense que c'est comme tous les autres centres de formation, ils sont plutôt axés sur les
études c'est à dire qu'il faut réussir ses études et après derrière on peut conjuguer avec le
basket. Après c'est plus une évolution collective j'ai l'impression heu, c'est plus axé sur
l'équipe. Essayer d'avoir de bons résultats en équipe et ensuite individuellement essayer de
bien progresser aussi. Donc je pense c'est plutôt ça. Après, c'est pas tout le monde qui a
l'objectif d'être pro après même si ça reste l'objectif du centre de formation. Mais heu.... ils
cherchent pas vraiment à former des joueurs pro, ils cherchent surtout à donner le meilleur de
nous-même et à atteindre notre maximum.
Est-ce que c'est important les études tu penses ?
Bah, l'année dernière j'aurais dit « pas vraiment » mais là cette année je me rends compte de la
réalité et ouais, j'pense que les études c'est très important.
C'est quoi, la réalité ?
Ben, le supérieur, par exemple si j'ai pas mon bac je pourrai aller nulle part et même avec le
bac j'aurai des difficultés donc je sais qu'il faut travailler, essayer d'aller le plus loin possible.
Mais, travailler parce que toi, tu penses devenir pro, ou pas ?
Ben, non j'pense pas. (rire gêné). Au jour d'aujourd'hui, je vois la réalité, j'me dis que déjà
personnellement par rapport à mon poste, il me manque des centimètres. Après, je sais pas si
je pourrai acquérir le niveau requis temps demandé donc j'préfère continuer mes études à côté
et être sûr d'avoir quelque chose à la fin, mais bon j’y crois quand même.
Tu sais que dans le club il y a une section amateur et une section pro...
Ouais
… à ton avis comment le lien est fait entre les deux ?
(petit silence) ben, les sections amateurs, de c'que j'en ai vu, parce que j'ai fait mon stage à la
JL – mon stage en entreprise – apparemment c'est la section amateur qui fournit un peu pour
le centre de formation et la section pro aussi. Mais derrière y'a pas vraiment de liaison entre
les deux, par exemple les joueurs de la section amateur ils passent rarement pro et l'inverse se
fait pas non plus. Donc après une liaison, y'en a pas vraiment. C'est avec les évènements
comme le tournoi qu'il y avait hier ou quelques tournois, des p'tites soirées et tout mais sinon
à part ça je pense pas.
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Et le centre de formation il fait partie de la partie pro ou amateur ?
Je pense de la section pro, mais en gros il fait un peu le lien entre les deux.
A ton avis, est-ce que beaucoup de joueur de la formation vont intégrer l'équipe pro ?
L'équipe pro de la JL ?
Oui, ou d'autres ?
Humm, ben, là pour l'instant cette année moi j'en vois, assez quand même, deux, trois mais
après je pense pas que tous on arrivera à être pro. J'pense pas.
Qu'est-ce qui fait la différence à ton avis ?
Ah après y'a les qualités individuelles, les qualités individuelles aussi, et puis p't'être aussi la
mentalité ouais. C'est à peu près tout j'crois.
Et toi aujourd'hui, qu'est-ce que tu espères à la fin de tes années au centre de
formation ?
Moi, déjà, j'espère avoir une bonne expérience, c'est déjà ça de bien commencer. Avoir
acquéris le maximum de qualités que je pourrais avoir, c'est à dire progresser le plus sur ces
deux ans. Après, être pro si c'est possible, ben, je le ferai. Mais si c'est pas possible ben je
continuerai mes études, je continuerai ma route.
Et dans le centre de formation, il y a une reconversion prévue, si jamais justement, tu
n'arrives pas à être pro ?
(silence) Pas vraiment mais ils nous suivent toujours pour savoir ce qu'on veut faire après le
bac. C'est à dire si y'en a qui veulent s'orienter vers une STAPS et tout. Ils s'en occupent assez,
sinon c'est pas prévu vraiment.
Tu as une idée de ce que tu voudrais faire si tu ne deviens pas professionnel ?
Je compte m'orienter aux les Etats-Unis, pour faire un an là-bas pour une expérience
professionnelle autant pour voir le basket et un peu pour voir une high school là-bas parce que
j'ai la possibilité de reprendre un an en high school là-bas vu que j'suis né en fin d'année.
Ensuite pour voir si je peux intégrer un college là-bas ce serait intéressant. Le basket c’est
autre chose là-bas. Faut voir ce que ça peut donner.
D'accord. Et à ton avis, d'où viennent principalement les joueurs qui sont recrutés au
centre de formation ?
Étant donné que je viens de Paris, un peu de partout, mais sinon, à part moi y'en a beaucoup
qui viennent de loin, y'a... Marius qui vient du pôle du Jura, sinon c'est surtout les joueurs qui
sortent du pôle de Lyon, du pôle lyonnais et qui partent pas à l'ASVEL. En fait on est un peu
135
le club réserve de l'ASVEL.
Et à ton avis, de quel milieu social ils sont issus ?
Ben, par rapport à ceux que je voix, c'est assez bien placé, un peu plus au-dessus de la
moyenne mais après y'a des exceptions, y'en a qui sont bien au-dessus et y'en a qui sont un
peu au-dessous.
Et à ton avis, comment se situe le club si on parle d'échiquier du basket, au niveau de la
formation ? Par rapport aux autres clubs, est-ce qu'il est bien placé ?
Ben moi, je trouve que pour un club de Pro B il est bien situé, il a une bonne organisation.
Après, si on regarde les centres de Pro A, on peut pas vraiment comparer, c'est des grosses
structures, des grosses équipes. Mais pour un club de Pro B, franchement, on fait de bons
résultats.
Pourquoi es-tu venu ici ? Est-ce que c'est toi qui as choisi ce club ou est-ce que c'était la
seule opportunité ?
Non, c'est un choix que j'ai fait. Le premier choix qui était décisif c'est que ici, tout était pris
en charge, l'école qui est privée, ils me payent le foyer, la nourriture, tout ce qui est habits,
tout est pris en charge. Après, y'a juste à prendre en charge les billets de train pour rentrer sur
Paris, ça déjà c'était pas mal. Et ensuite y'avait un bon suivi scolaire avec les heures d'étude
qui étaient bien structurées, les entraînements tous les jours ça aussi ça m'intéressait parce que
l'année dernière c'est pas ce que j'avais. Et je savais qu'il y avait un bon encadrement avec M.
Fauchelevent et Madeleine donc ça m’intéressait aussi.
Et si un autre club disons plus prestigieux t'avais proposé – on parlait de l'ASVEL par
exemple tout à l'heure - est-ce que tu y serais allé ou pas tu penses ?
Ben ouais. Ouais parce que l'image de l'ASVEL ouais, c'est plus important. Mais après je sais
pas, je pense que j'aurais réfléchi aussi au niveau du jeu si j'avais plus de temps de jeu là-bas
ou ici, c'est surtout ça que j'aurais regardé. Parce qu'après, je pense, au niveau de... de
l'éducation ça aurait été à peu près pareil.
A quel moment tu t'es dit que tu pourrais devenir pro un jour, comment ça s'est passé ?
Quand j'ai commencé le basket, j'ai commencé en championnat départemental. Ensuite mon
oncle, il est venu me chercher parce qu'il était coach en minime France. Il m'a dit « Ouais,
ben, t'as un potentiel et il faut le développer », donc en gros j'ai commencé à jouer en minime
France et après je suis passé en cadet France et je me suis dit « Je pourrais essayer de percer »
donc à ce moment-là je me suis dit « Pourquoi pas essayer d'être pro et d'aller en centre de
formation ».
Et pour toi, que représente la JL Bourg aujourd'hui ?
Bah, c'était une opportunité que j'avais pour devenir professionnel et aujourd'hui je pense que
je leur dis quand même heu.... je les remercie quand même parce que c'est grâce à eux que je
veux continuer mes études et plus m'orienter vers le commerce et le management plus tard,
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grâce au stage que j'ai fait à la JL. Et derrière, j'ai bien progressé niveau basket et même dans
les valeurs qu'ils m'ont inculqué, que ce soit dans le basket ou en dehors.
Tu penses rester ici l'année prochaine ?
Ben, si je peux ouais.
Tu n'es pas encore sur ?
Ben, ça me dépendra de si ils me gardent ou pas. On sait jamais mais sinon ouais.
D'accord. A ton avis, aujourd'hui, qu'est-ce qui caractérise le sport professionnel en
général ?
Je dirais plus que c'est un sport de spectacle on va dire parce que c'est surtout les spectateurs
qui vont... ben, ouais, je dirais que c'est surtout ça.
Et est-ce qu'il y a une différence entre le basket et les autres sports au niveau
professionnel ?
Si on regarde par rapport au foot, qui au-dessus niveau heu financièrement et puis sinon, heu,
pas trop. Je pense que tous les sports sont au même niveau.
Et qu'est-ce qui t'a attiré dans ce milieu ? Qu'est-ce qui t'attire encore ?
Ben, le basket, je sais pas, c'est ma passion, ça vient comme ça, c'est dans ma nature et
l'influence de la famille, des amis. Et après je m'y plais bien donc c'est ça qui fait toute la
différence.
Mais, dans le milieu professionnel qu'est-ce qui t'attire ?
Ah, ben, comme je disais, c'est un peu le rêve d'être pro plus tard et de toucher un salaire pour
ce qu'on aime faire et après l'image aussi de la popularité, c'est intéressant.
Est-ce que tu espères que la vie soit plus facile si tu deviens pro ?
Plus facile je sais pas. Parce qu'on dit toujours que les sportifs c'est des fainéants mais bon ils
travaillent quand même toujours et ils s'entraînent difficilement. Mais je pense que, ouais, elle
serait quand même un peu plus facile que certaines des personnes qui travaillent sur les
chantiers notamment ou sur tout...
Pourquoi ?
Bah, notamment au niveau des horaires, au niveau du rythme de vie. Et ouais, donc c'est un
peu, un peu plus simple.
Et aujourd'hui, à ton avis, est-ce que le sport permet une ascension dans la hiérarchie
sociale ? (explications)
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Ben ouais. C'est différent. Là je suis joueur de basket et si demain je suis joueur pro, ben y'a le
« pro » qui se rajoute et ça change tout.
Qu'est-ce que ça change à ton avis ?
Ben, je sais pas, c'est... c'est une autre image de soi. Et tu peux dire que j'y suis arrivé, ça y
est, je suis pro. Et les gens ils reconnaissent le parcours qu'on a fait.
Est-ce que tu penses que c'est un des rôles du sport de permettre ça ?
Ben ouais (hésitation). Ben notamment acquérir des valeurs que le sport inculque mais aussi,
devenir pro c'est un peu l'objectif des centre de formation des clubs professionnels : former
des joueurs à devenir pro.
A ton avis, est-ce que la méritocratie existe dans le sport ? (explications sur la
méritocratie)
Non. Pas vraiment. Ben, après y'a des critères... Je sais pas. Un gars qui fait 1 mètre 50 et qui
peut bosser tous les jours il aurait du mal à devenir pro. Alors qu'un gars qui fait des bêtises
on le prendra direct pour être sérieux, pour progresser parce que c'est des bêtises, ils
bougeront pas […] Après y'a le facteur physique. Après un gars qui bosse dur c'est vrai qu'il
va progresser plus vite et qu'il aura l'envie...
A ton avis, est-ce que tout le monde peut réussir à percer dans le sport ?
Ben non. Justement, y'a le facteur du physique, l'égalité des qualités individuelles du potentiel
et tout à gérer pour...
Et qu'est-ce qui te montre l'ascension sociale que permet le sport ?
Ben, déjà les personnes ils changent. J'ai un ami là, Malik Cidibé, il est en pro à la JL, je le
connaissais déjà l'année dernière quand il était en cadet. Je le regarde l'année dernière, je le
regarde aujourd'hui il est pas du tout pareil. Il est passé à un niveau supérieur. Là c'est plus la
re-sta, qui sort en boite et tout alors que l'année dernière c'était un mec tout calme, il parlait
pas. P't'être qu'il s'ouvre aussi. Que ça permet de s'ouvrir vers les autres.
Comment on le voit dans la société ?
Je sais pas.
Est-ce que tu penses que l'état, les politiques publiques font en sorte de permettre une
ascension sociale par le sport ?
Ben... un peu si on regarde tout ce qu'ils mettent en place. Une fédération du basket, et tout...
J'ai pas réfléchi à ça. (silence) Par exemple y'a l'INSEP aussi qui met en place, pour les
sports, pour sortir les gros joueurs français qu'on connaît aujourd'hui...
138
Et à ton avis, qu'est-ce qui t'a permis de réussir dans le basket ?
Ben... Je sais pas... P't'être l'envie, l'envie... essayer de faire le mieux que mes prédécesseurs,
essayer d'atteindre le plus haut niveau possible.
Est-ce qu'il y a des gens qui t'ont permis de réussir ?
Il y a eu mon oncle aussi qui a permis, quand je commençais le basket. Un de mes cousins qui
est intervenu qui faisait du basket aussi à l'école, qui est au Canada. Et ma mère aussi qui m'a
toujours soutenu.
Et justement, quel rôle tu donnes à ta famille dans ta réussite sportive ?
Ben, c'est un peu grâce à eux parce que si ils étaient pas derrière moi, ben je ne serais pas ici
aujourd'hui.
Et à ton avis est-ce que c'est plus coûteux pour eux que tu fasse ça qu'autre chose ?
Je sais pas. Peut-être plus simple ouais parce que je suis loin de ma famille et tout. Mais ils
sont contents que je réussisse mes études et que je m'épanouis dans le basket.
A ton avis, est-ce que c'est plus facile de réussir dans le sport quand on a plus d'argent
ou pas ?
Ben, ça j'pense pas, non.
Donc tout le monde est sur un pied d'égalité face au sport ?
Ouais, ouais.
Et quelle place prend l'argent dans le club, selon toi ?
Bah, la différence c'est que... par exemple ils y attachent plus d'importance vu que y'a de
l'argent en jeu, y'a de l'argent sur nous et tout. Donc sur ça, ils sont un peu plus stricts et tout.
Sinon, je sais pas.
Et dans le sport en général, est-ce que tu penses que l'argent a une grande place ?
Ben ouais, ça motive. Si on regarde les joueurs pro, ils sont souvent motivés par le salaire et
tout. Et même les joueurs qui veulent devenir pro, c'est pour le salaire qu'ils viennent aussi.
Et toi, est-ce que ça t'attire ?
Ben ouais, ça m'attire aussi. Comme tout le monde. Essayer de bien gagner sa vie en faisant
ce qu'on aime. Mais heu, ouais.
Est-ce que tu penses que c'est la principale motivation des gens ?
139
Non, je pense pas non plus. On fait du basket parce qu'on aime le basket. On fait un sport
parce qu'on aime ça. Après, si on te dit qu'on peut te filer un salaire en faisant ça, ben ça
motive aussi.
Et est-ce que tu penses qu'il y a quand même des gens qui par le sport ont le but de
mieux vivre, de mieux gagner leur vie ?
Ouais, je pense que ça existe.
Et actuellement dans le centre de formation, tu penses que c'est une majorité de gens ou
pas ?
Non, je pense qu'ici y'a personne qui voit ça comme ça.
Où est-ce qu'il y a des joueurs plus comme ça alors ?
Ben l'année dernière p't'être les trois sénégalais qui étaient venus, justement, une personne qui
sortait d'Afrique, qui sortait d'une situation vraiment difficile qui essayent de percer dans le
sport pour pouvoir être mieux financés, pour pouvoir envoyer à leur famille aussi et les aider.
Donc ouais, y'a des gens qui font du sport pour les finances.
Quelle place tu penses avoir dans la réussite du groupe.
Ben, je sais pas... je sais pas si j'ai une place dans la réussite. Je suis pas leader du groupe
mais je suis pas à la fin non plus.
Est-ce que c'est important la place individuelle qu'on a dans l'équipe ?
Ben, pas vraiment. Nous on voit aujourd'hui ceux qui sont un peu chahutés ben... on a pas un
mauvais regard sur eux, mais après derrière ça crée des tensions dans l'équipe. J'pense que
c'est une équipe, on est tous sur le même piédestal ben c'est bien mieux. Parce qu'on est plus
unis et y'en a pas un qui nous regarde de haut et...
Est-ce que c'est le cas aujourd'hui ?
Ouais
Tu m'as dit qu'il y en a qui ont des chances d'être pro. Est-ce que tu penses qu'ils sont
privilégiés ?
Ouais !
De quelle façon ?
Ben, par exemple tu regardes, ceux qui sont p’têtre plus forts, si un jour il a pas envie de
s'entraîner, ben il va dire « j'ai un contrôle à réviser », il va rester seul pendant que nous on ira
s'entraîner. Ou alors y'en a qui vont aller s'entraîner avec les pros. Mais bon ça c'est pour
d'autres raisons. On va leur dire « Allez vous reposer parce que vous vous entraînez avec les
140
pros » alors que nous on continue, on continue, on s'entraîne tout le temps. Y'a d'autres sortes
de privilèges aussi. Regarde, là, la saison est terminée, y'en a qui vont continuer à jouer avec
l'équipe réserve... ils s'entraînent, par exemple les entraînements de musculations y'en a des
spécials pour l'équipe et d'autres pour ceux qui vont devenir pro donc heu, pas tous pareil !
Et c'est injuste, à ton avis ?
Ben, je dirais oui, si on regarde on est une équipe, je pense qu'on devrait tout faire ensemble.
Mais après c'est comme le centre de formation. Après y'a d'autres centres de formation, pour
éviter ces tensions entre les joueurs, ils font tourner. Chaque joueur s'entraîne avec les pros.
Toutes les semaines ils changent de joueurs. Je trouve ça intéressant. Et comme ça tout le
monde a sa chance. Mais bon, après c'est la manière d'autres joueurs.
A ton avis, est-ce qu'il y a des choses qu'on devrait changer dans le basket ou dans le
sport en général ?
Ben, non pour l'instant ça a l'air assez pas mal.
Ok. Trois questions pour finir : ton âge c'est 16 ans ?
Oui
Quel est le métier de ton père ?
Il est dans L’événementiel.
C'est à dire ?
C'est à dire tout ce qui est conférence, quand il y a des grosses conférences, des discours
présidentiels, il s'occupe de la lumière, du son de tout ce qui est la mise en place des structures
et tout...
Mais il est cadre, employé ?
Il est employé.
Et la profession de ta mère ?
Ma mère elle est assistante maternelle mais aussi animatrice.
Tu les classerais comment au niveau de l'échelle sociale ?
Pas tout en bas mais pas en haut non plus. Dans la moyenne, quoi.
Et par rapport au reste de la population tu considères comment ton niveau de vie ?
Dans le monde ?
141
En France.
Bah, moi je le considère bien mais après, par rapport à d'autres je suis p't'être en dessous un
peu.
Et par rapport au reste du monde ?
Ben, par rapport au reste du monde je suis bien parce que tu regardes, y'a plein de continents
en difficultés donc j'ai cette chance d'être né en France !
Merci.
Merci.
142
Entretien avec Chris, Réalisé le 18 avril 2012
Chris vient me rejoindre dans la salle d’étude du centre d’hébergement des joueurs à la suite
de Jean-Marc. Je lui explique la raison de ma venue, les modalités de l’entretien et nous
commençons.
Question : Est-ce que tu peux te présenter déjà ?
Réponse : Ben je suis (...) Chris, je suis en première bac pro vente au lycée Saint-Joseph. Je
suis en deuxième année cadet à la JL Bourg Basket.
Ok. Et Comment tu es arrivé à la JL ?
Bah je suis arrivé à la JL à l’âge de 12 ans en benjamin. C’était la première fois que je
pratiquais du basket. Donc la JL m’a pris dans son club et ils m’ont formé pendant...de 12 ans
à maintenant. Je suis resté qu’à la JL.
D’accord. Et t’as toujours été dans le milieu du basket ou t’as fait d’autres sports ?
Bah j’ai toujours été dans le milieu du basket. Avant je faisais pas d’autres sports. Enfin du
sport de rue, du foot, du n’importe quoi mais en club c’est le basket que j’ai commencé à
pratiquer.
Et t’es originaire de Bourg ou ?
Non je suis pas du tout originaire d’ici, je suis originaire de la Réunion.
Et comment de la Réunion t’es arrivé à Bourg ?
Bah mes parents sont venus ici et ils m’ont emmené avec eux et voilà. Je suis venu à Bourg.
D’accord. Et pourquoi tu as fait du basket ?
Ben déjà euh...au début ce sport euh...c’est mon médecin en fait. Je suis allé voir mon
médecin et ma mère qui m’a dit euh... « ah mais madame votre fils il est grand, il est super
grand, pourquoi vous l’inscririez pas dans un club de basket ? » Ma mère elle connaissait rien
au basket et tout. Après le médecin a amené un bonhomme de la JL et du coup on est allé voir
à la JL et comme par hasard il restait une place et c’est moi qui l’aie prise. Et c’est comme ça
que ma carrière de basketteur a commencé. Et je me suis beaucoup entraîné. Beaucoup
beaucoup !
Et à ton avis, est-ce que c’est un sport qui est porteur de valeurs qui sont attachées au
basket ? (je lui explique ce que j’entends par valeurs)
Ben c’est déjà quand on parle de basket on parle de respect. C’est euh... un sport collectif
euh...qui a pour but de...de (...) avant et des personnes de différentes régions, de différents
143
pays. Et euh...qu’est-ce que je peux dire d’autre ? Je sais pas trop...je sais pas trop quoi
répondre.
Ok pas de problème. A ton avis qu’est-ce qui est attirant pour un jeune au basket
aujourd’hui ? Qu’est-ce qui va faire qu’un jeune va se mettre au basket aujourd’hui ?
(il répète la question) Franchement je peux pas te répondre.
Tu sais pas ce qui peut l’attirer ?
(il répète une nouvelle fois la question) (long moment de silence) C’est une très bonne
question parce que...je sais pas. Je peux pas te répondre, je sais pas.
Mais est-ce qu’il y a des choses qu’on entend qui font parler du basket, qui vont donner
envie à ton avis ?
Bah...je peux dire les...smashs, les dunks. Les joueurs...les joueurs à haut niveau. Quand un
jeune qui s’y connait en basket entend parler de Tony Parker, de Antoine Diot, de Batum et
tout, ça peut le donner envie parce que...ce sont des jeunes qui ont réussi et euh...ça peut
donner envie d’apprendre.
Ok. Donc là je vais parler de mixité sociale (je lui explique ce qu’est la mixité sociale).
Est-ce que tu penses que le basket est un sport où il y a une grande mixité sociale ?
(il répète encore une fois la question) Ben... (il marque un long temps de pause.) Dans ta
question tu veux dire : est-ce qu’il y a une personne qui n’a pas d’argent peut faire du basket ?
Ben c’est plus est-ce qu’il y a aussi bien des gens qui ont beaucoup d’argent que des gens
qui ont pas d’argent qui jouent au basket ? (je lui explique une nouvelle fois ce que
j’entends par mixité sociale)
Ouais. Ouais.
Et par rapport aux autres sports tu penses que c’est pareil ?
Bah par rapport aux autres sports euh...je peux pas t’éclairer dessus parce que moi je...je
m’adresse à pleins d’autres sports mais...juste au point de vue regarder. Mais dans le fin fond
d’autres sports...non moi y’a que le basket.
Mais t’as pas une idée, quand tu vois, ce que tu en penses, est-ce que tu penses que c’est
pareil dans tous les sports ou ?
Logiquement ça devrait être pareil mais bon. Peut-être que c’est pas pareil. Je sais pas. Pour
moi ça doit être pareil.
Mais dans le basket en tout cas c’est comme ça ?
Oui dans le basket c’est comme ça. Pour moi y’a pas de mixité non...y’a pas de ça.
144
Tu veux dire il y a tout le monde qui peut jouer au basket ?
Tout le monde peut jouer au basket, il suffit juste que t’aies un bon potentiel et tout de suite,
que tu sois riche ou pas riche, que tu sois pauvre...tout le monde peut jouer au basket.
Et est-ce que c’est un sport qui fait rêver à ton avis aujourd’hui ?
Ben... (marque un moyen temps de pause.) Pas plus que le foot. Parce que...enfin aux Etats-
Unis oui, mais ici en France, je trouve que le basket n’est pas assez porté haut par rapport au
foot. Parce que je trouve que...le foot c’est le sport numéro 1 ici en France. Le basket, je sais
pas...je sais pas où il est classé mais il est pas assez considéré pour moi. Je trouve qu’il
pourrait l’être plus parce que...c’est vachement un sport où...c’est vachement un bon sport
quoi. C’est un bon sport qui pourrait être considéré au même classement que le foot mais bon.
Tout le monde n’est pas du même avis que moi.
Pourquoi tu penses que le foot fait plus rêver que le basket ?
Ben...aussi euh...parce que euh...au foot, je sais pas, y’a peut-être plus de chances de réussir,
de finir professionnel au foot qu‘au basket. Au basket, c’est très dur de devenir professionnel.
Genre euh...dans une équipe de 10 joueurs, y’a peut-être un ou deux qui vont finir
professionnels, plus tard. Par contre au foot euh...tu perces facilement je crois.
Et est-ce que t’as des modèles dans le basket ou dans le sport en général ?
Moi dans le sport mon modèle c’est euh...au basket déjà c’est Kobe Bryant, et au foot, je peux
dire... (il hésite) Lionel Messi. (rires)
Pourquoi Kobe Bryant au basket ?
Oh Kobe Bryant parce que c’est un joueur polyvalent, c’est un joueur...y’a pas de mots pour
le qualifier, il est tellement bon. Il a une vision du jeu...hors normes. Il a une vision du jeu
comme aucun autre joueur et euh... à ce jour y’a pas de comparaison. Enfin moi je trouve pas
mais pour moi y’a aucun joueur qui peut lui arriver à la cheville. (il répète trois fois Kobe
Bryant) Y’a Michael Jordan ? Oui mais pour moi maintenant c’est passé c’est la place de
Kobe.
Et est-ce que tu peux m’expliquer le fonctionnement du centre de formation ?
(il répète la question) Alors le centre de formation a été créé pour le but de...de repérer tous
les jeunes talents de France, enfin de France ou du monde mais enfin... Oui du monde parce
que ici à la JL Bourg, il y a des jeunes qui sont venus du Sénégal, donc je peux dire du
monde. Parce que des jeunes talents qui vont peut-être qui vont avoir la chance de finir
professionnels plus tard donc euh...leur but c’est de leur former au plus haut niveau possible.
Et euh ouais c’est tout.
Tu sais qu’à la JL il y a une section amateur et une section professionnelle, et comment
le lien est fait entre les deux à ton avis ?
145
(il répète la question) Ben...hum. Je sais pas.
Et toi dans le centre de formation, t’es dans quelle partie ?
Ah ben...dans le centre de formation, je suis encore amateur.
Et venant du centre de formation, est-ce que tu penses qu’il y a une chance d’intégrer la
partie pro un jour ou pas ?
Déjà quand t’es en centre de formation, c’est pour 3 ans. Tu signes pour 3 ans et euh...le club,
normalement, logiquement, s’il te prend dans le centre de formation, c’est pas pour te virer
une année après. Ils le prennent pour trois ans de suite, sans le virer après. Après ça dépend
des valeurs du jeune. Si le jeune euh...les clubs pros l’ont remarqué pendant ces trois ans de
cadet, il peut euh...intégrer le club Espoir, euh....l’équipe Espoir de ce club. Donc euh...les
équipes Espoir sont plutôt dans les clubs où y’a les pros. Genre ici à la JL on a pas de club
Espoir parce qu’on est pas en pro A, on est en pro B. Donc euh...quand même un jeune qui
sort du centre de formation intègre un club pro, enfin un club Espoir, il a beaucoup de chances
d’aller en pro.
Mais du coup à la JL où il n’y a pas d’équipe Espoir, il y a quand même des joueurs du
centre de formation qui intègrent l’équipe professionnelle ou pas ?
Oui. Enfin cette année y’a un joueur de mon équipe qui a signé pour être en pro. C’est sa
dernière année et il a signé pour le club pour l’année prochaine, ici à la JL.
Et que font les joueurs du centre de formation s’ils deviennent pas pro ?
Ben ça dépend, yen a certains qui arrêtent complètement le basket, qui se mettent dans leurs
études. Mais sinon y’a d’autres qui vont...y’a plusieurs équipes de la régionale 3, régionale 1,
régionale 2, les euh...départementales, y’a plein d’autres équipes. Mais ce sont des équipes où
tu t’am...pfff où t’es...enfin t’es R1, 2 et 3 t’es payé mais les autres équipes
c’est...départementales, c’est pour t’amuser, pour garder la forme. Mais les autres équipes, y’a
quand même encore un peu de compétition. Le mieux c’est être en Espoir pour espérer finir
pro.
Et toi, qu’est-ce que t’espères à la fin de tes années au centre de formation ?
Ben moi, ce que j’espère c’est de...aller en Espoir, dans un bon club Espoir et je me donne les
moyens pour. Et si j’arrive pas à trouver un club Espoir je vais en...Nationale 3, dans un club
Nationale 3 qui pourra peut être me permettre d’intégrer un club euh... Espoir après.
Et que feras-tu à ton avis si tu deviens pas professionnel ?
Ben ce que je ferai c’est...je continuerai mes études, je vais me mettre à fond dans mes études.
Puis...je continuerai quand même le basket dans un petit, dans un club quoi, pour garder la
forme, pour garder la passion quoi.
146
Et est-ce que tu crois en tes chances de devenir pro un jour ou pas ?
Franchement...(il hésite un long moment) Non. Enfin si y a des chances quand même (il me
regarde malicieusement). Mais y’a peu de chance parce que y’a quand même une
concurrence, y’a beaucoup de la concurrence
(Nous sommes interrompus par quelqu’un qui tape à la porte)
Y’a beaucoup de concurrence donc maintenant, ces années, c’est très dur de devenir
professionnel. Comme j’ai dit, dans une équipe de 10, y’a peut-être un ou deux qui ont cette
chance, les autres, c’est chaud.
Est-ce que c’est une déception pour toi ?
Oui c’est une déception pour moi si j’y arrive pas, parce que moi j’ai dans l’idée que quand un
jeune a sacrifié trois années de sa vie pour être en centre de formation, la meilleure
récompense ce serait peut-être qu’il finisse pro quoi. Ouais parce que...euh, on a quand même,
enfin je vais pas dire gâcher parce que c’est pas le cas, mais on a quand même donné trois
années de notre vie à bosser à fond, à bosser, à se réveiller le matin pour aller à l’entraînement
et tout, mais je crois que la récompense ce serait qu’on finisse pro plus tard. Mais moi j’y
crois !
Parce que c’est un sacrifice pour toi là, le centre de formation ?
Je dirai pas que c’est un sacrifice, c’est euh... (il hésite un moment) d’une part c’est euh...c’est
une joie. C’est une joie d’être là parce que tu pratiques ta passion, tu pratiques ton sport que
t’aimes et t’as la chance de le pratiquer à haut niveau. Nous on peut dire en centre de
formation, on se qualifie de joueurs à haut niveau, parce que on...y’a déjà des très bons dans
notre niveau. Et donc euh...ouais c’est une petite déception que de, qu’un joueur qui a sa...qui
a donné trois années de sa vie, travaille à fond, qui a bossé sans relâche, peut pas finir pro
quoi. Parce qu’on est là pour ça, enfin tout notre but c’est quand on nous dit « ouais tu vas
être en centre de formation », notre but c’est de bosser et pour finir pro plus tard. Et ouais
quand tu te dis que peut être tu pourras pas finir pro, ça te donne un coup dans le moral, ça te
casse quoi.
Mais t’espères encore quand même ?
Oui j’espère ! Là il me reste, c’est ma deuxième année, il me reste l’année prochaine, je vais
continuer à bosser dur et je verrai bien ce que l’avenir me réserve. Mais...à côté, je travaille,
j’ai mes études quand même. Je travaille, mais euh...je travaille aussi en cours parce qu’on
sait jamais, les études c’est important quand même. Mais bon le basket c’est mieux…
Et si justement tu t’en sors pas dans le basket, qu’est-ce que tu souhaiterais faire à côté ?
Ben ce que j’aimerais faire à côté c’est douanier.
Et à ton avis d’où viennent principalement les joueurs qui sont recrutés du centre de
formation ?
147
(il répète la question) Ben ils viennent de euh...des différents bouts de la France. Fin moi je
viens de la Réunion, y'a ceux qui viennent de Paris, y’a ceux qui viennent de Strasbourg, y’a
deux trois qui viennent de l’ASVEL de Lyon euh... yen a d’autres qui viennent du Juras, enfin
c’est de partout.
Et à ton avis de quel milieu social ils sont issus ?
Euh...ben...à peu près du même niveau social. Parce que dans notre équipe euh...dans notre
équipe je vois pas perso...comment je peux dire ça... Personne ne...enfin moi je crois,
personne n’a des soucis d’argent. Je peux dire ça comme ça, personne n’a des soucis d’argent.
après nos parents ont des bons emplois, on a tous des maisons... Je vois pas, personne n’habite
dans HLM dans mon équipe, on a tous des maisons, et mon père travaille, ma mère elle
travaille, et on vit bien quoi. On va dire ça.
Et à ton avis, qu’est-ce qu’on cherche en particulier avec les joueurs ici ? Enfin dans le
centre de formation de la JL ?
Ben...qu’ils aillent le plus loin possible. Qu’ils se donnent à fond, qu’ils euh... qu’ils montrent
de quoi ils sont capables.
Et est-ce que tout le monde est au même niveau à peu près ou est-ce qu’il y a vraiment
des différences ?
Tout le monde n’est pas au même niveau, y’a des...comment je peux te dire ça ? Dans les
années cadets y’a trois années. Y’a les premières les deuxièmes et les troisièmes années. Les
troisièmes années ont logiquement un niveau supérieur aux deuxièmes années. Les deuxièmes
années sont logiquement à un niveau supérieur des premières années.
Et ça pose pas de problème ?
Ben...non ça pose pas de problème parce que dans une équipe de basket, il faut avoir tous les
niveaux parce que sinon, c’est pas une équipe quoi.
Et est-ce que au niveau de la formation, la JL c’est un bon club par rapport aux autres
ou pas ?
Ben au niveau de la formation, la JL ils font partis des bons centres de formation de France.
Ils ont un bon centre de formation, un bon centre d’hébergement, il fait parti des meilleurs.
Pourquoi t’as choisi ce club de formation, est-ce que si un autre club plus prestigieux
t’avait proposé tu y serais allé tu penses ?
Ben...en ce moment... Pourquoi j’ai choisi celui-là parce que quand on m’a proposé de venir
en centre de formation ici à la JL, j’avais pas d’autres choix parce que déjà je connaissais pas
bien le basket, et ça faisait deux ans que je pratiquais du basket, parce que exactement en tout
ça fait 4 ans que je fais du basket. ça faisait deux ans que je faisais du basket et je connaissais
pas encore grand chose. Donc quand on m’a proposé de venir à la JL j’ai dit « OK je serai en
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centre de formation à la JL, cool, j’ai dit ouais ». Et l’année dernière...enfin déjà cette année je
devais pas être là. J’ai Aix Maurienne, je sais pas si tu connais, Aix Maurienne qui m’a
proposé d’aller jouer là-bas l’année dernière, enfin pour cette année. Du coup je devais y aller
mais vu que le centre de formation a changé de directeur, le directeur du centre de formation
c’est devenu M Fauchelevent, M Fauchelevent il m’a reproposé de rester ici. Il m’a...bref, il
m’a reproposé de rester ici (...)
Il t’a quoi ? Il t’a convaincu ?
Ouais il m’a convaincu de rester ici et du coup, je suis resté ici. Et ce même club, Aix
Maurienne, j’ai appris y’a pas longtemps, ils m’ont recontacté pour aller là-bas l’année
prochaine. Et du coup, vu que cette année, la JL j’en ai eu un peu marre, je peux franchement
j’en ai eu vraiment marre parce que euh... parfois j’ai l’impression que les coachs ont des
favoris dans l’équipe, et ça, ça me met hors de moi. Et du coup Aix Maurienne m’a recontacté
euh...je vais aller voir ça mercredi prochain.
Là du coup tu penses que c’est la fin avec la JL ?
Ben...y’a des grandes chances que oui.
Mais comment tu le ressens qu’il y a des favoris, comment tu le vois ?
Ben...y’a des favoris et le truc c’est que les coachs ils se cachent pas. Ils se cachent pas de la
montrer. Genre euh...ils vont favoriser certains joueurs et d’autres non... Quand je dis
favoriser c’est euh...comment dire ? Y’a plein de petites choses qui font ça c’est genre euh...
quand on va chez le médecin, y’a certains joueurs qui sont obligés d’aller en bus et d’autres
non. Ils vont les chercher et ils les accompagnent. Y’a des joueurs qui jouent 40 minutes par
match et d’autres non et ça c’est pas possible parce que dans une équipe, un joueur ne devrait
pas jouer 40 minutes par match quel que soit son niveau. Un joueur, tous les joueurs parce
que des joueurs dans notre équipe franchement, je te dis, ils jouent pas, ils jouent 0 minute.
Donc euh...(il réfléchit) y’a plein de trucs comme ça qui sont
(une nouvelle fois interrompus)
Juste, qui est-ce qui joue 0 minute ?
Ben c’est plus des premières années. Y’a un joueur en particulier Marius, lui euh... les coachs
ils le considèrent pas. Je peux dire ça comme ça parce que c’est mon avis. Et ça, ça devrait
pas être comme ça parce que quand un jeune vient en centre de formation c’est pour le faire
progresser. Et comme ils font, si un jeune reste assis sur le banc pendant 40 minutes, c’est pas
pour le faire progresser.
Et toi, t’as du temps de jeu ?
Oui moi ça va... J’ai beaucoup de temps de jeu. En début de saison, j’étais blessé, parce que je
me suis cassé un os au pied et donc j’ai fait 4 mois sans jouer. Et du coup, je suis revenu après
et...au début j’avais pas beaucoup de temps de jeu, je revenais de blessure, maintenant j’ai
récupéré et c’est cool.
149
Ok. Et à quel moment tu t’es dit que tu pourrais y arriver un jour ?
(il répète la question) C’est tout le temps en fait. Y a des gens qui me disent que je suis un bon
joueur alors je les crois. Y’a des fois où, franchement je te le dis, j’ai envie de tout arrêter
genre tout abandonner, basket tout et de vivre avec mes parents. Ça fait 2 mois et demi que je
suis parti de chez moi...enfin j’ai vu ma mère oui, mais que j’ai pas vu mon père, ni ma petite
sœur, que j’ai pas vu ma maison. Franchement j’ai rien vu. J’ai envie de tout arrêter et de
vivre avec mes parents mais y’a une petite volonté, et c’est-cette petite volonté que j’ai en
moi, et qui me dit « vas-y continue » qui me donne envie de réussir, de me surpasser, de...tu
vois ?
Oui. Parce qu’ils habitent où tes parents là ?
Bah mon père il habite à Strasbourg, et ma mère elle habite à Villefranche, elle est avec mon
beau-père. Mais Je veux qu’ils soient fiers de moi. Je les vois pas presque. J’ai vu ma mère il
y a deux mois la dernière fois et mon père je ne l’ai pas vu de l’année, depuis le début de
l’année. Je vais faire des tests dans un autre club parce que je pense qu’on m’aidera plus là-
bas. Ici on me considère pas comme un grand joueur. Si je vais là-bas je pense qu’on va plus
voir comme je joue. C’est eux qui m’ont téléphoné, ça fait déjà deux fois.
Et pour toi aujourd’hui, que représente la JL Bourg ?
(il répète la question) Ben la JL Bourg représente une grande partie de moi, parce que
c’est...là que j’ai commencé. Et je dirai pas que c’est là que je vais finir mais c’est là que j’ai
commencé et peut être qu’un jour, qui sait ? Je vais venir jouer ici à la JL.
D’accord. Et à ton avis, qu’est-ce qui caractérise le sport professionnel aujourd’hui ? (je
lui réexplique la question)
L’argent.
L’argent ? Pourquoi ?
Parce que c’est...c’est-cette image quoi. Qu’on nous donne, que les joueurs professionnels
donnent que ce soit au foot, au rugby, au basket, tous les sports, c’est l’image que les joueurs
pro nous donnent. Parce que quand t’entends au foot qu’un joueur a été transféré pour telle
somme, quand t’entends au basket que le joueur qui est arrivé a signé un contrat de tel somme
tu dis ben... « Je vais finir pro pour devenir riche » voilà, pour finir avec plein de sous pour
avoir des belles maisons, des grosses voitures, voilà. Aux Etats-Unis c’est ça, c’est-cette
image qu’on nous donne. Ca fait envie quand même, normal.
Et toi, ça te fait envie ça ?
Ben...moi oui, ça me fait bien envie parce que, j’aimerais bien gagner ma vie avec ma
passion. Ouais, j’aimerais bien gagner ma vie avec ma passion. Et de bien la gagner.
150
D’accord. Et est-ce que tu penses qu’il y a une différence entre le basket et les autres
sports à ce niveau-là tu penses ou pas ?
Oui, il y a des très grosses différences. Ben moi je fais référence au foot, au basket, il a une
très grosse différence d’ordre financier.
Mais toi qu’est-ce qui t’attire dans le milieu professionnel ?
Moi c’est, non y’a pas que l’argent qui m’attire, c’est pas complètement...c’est aussi le fait de
faire un sport, le fait de montrer mon talent à plusieurs personnes, genre au public qui vient
me voir jouer. Le fait de faire plaisir, à certains gamins, plus tard parce que comme moi, tu
sais je t’ai dit Kobe Bryant me fait rêver, le fait de faire rêver certains gamins, ça, ça me
donne envie de...de finir pro.
Et est-ce que tu espères, si tu deviens pro, que la vie sera plus facile ou pas ?
Ben...non, je crois pas parce que, ça reste la même vie, ça change pas. Y’a rien qui change. Je
peux pas dire c’est comme si tu travaillais mais bon, c’est pas pareil. Mais...qu’est-ce qui
change ? T’as toujours les mêmes soucis, t’auras toujours les mêmes soucis de la vie, t’auras
des enfants, t’auras une femme, t’auras une voiture, t’auras une maison, t’auras les impôts à
payer, qu’est-ce qui change ? Rien, y’a rien qui change.
Et est-ce que tu penses que le sport aujourd’hui, ça permet de grimper dans l’échelle
sociale ? (je lui explique ce que j’entends par échelle sociale)
Ohhhh oui, ça oui, ça c’est...une personne qui est d’une classe sociale moyenne, grâce au
sport s’il a un potentiel hors norme, ouais. Parce que y’a plusieurs joueurs que je connais et
qui sont issus d’une classe sociale moyenne, mais quand je dis moyenne c’est surtout certains
très moyen, mais aujourd’hui qui sont, qui ont des supers contrats, même en cadet. Ils
commencent, comment je peux dire, ils sont en équipe de France, mais quand ce joueur il est
sur le terrain, le spectateur peut pas savoir qu’il vient d’un niveau social moyen. Ben voilà,
tout le monde peut, quel que soit ton niveau social, quand t’as envie de réussir tu réussis.
Et est-ce que tu penses que c’est un des rôles du sport de permettre ça ou pas ?
Oui, ouais. Enfin...oui. Il a plusieurs rôles le sport. Il a déjà le rôle de compétition, de faire
connaître la compétition dès le plus jeune âge. Il a aussi le rôle de pousser des jeunes jusqu’au
bout de leur limite.
Et qu’est-ce qui te fait voir que cette ascension est possible ?
(il hésite très longuement) J’ai pas très bien compris ta question.
(Je lui réexplique ce que j’entends par ascension sociale)
Comme je te dis, j’en connais, des gens. C’est pas forcément les médias, parce que les
médias...ils nous montrent pas trop. Quand un joueur il a percé, comme Zidane, là les médias
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s’intéressent à lui, parce qu’on voit de quel milieu social il vient. Tant que t’as pas percé, tu
peux pas le savoir.
Et est-ce que tu penses que la méritocratie (je lui explique ce que c’est que la
méritocratie) marche dans le sport ou pas ?
Ben je veux pas totalement dire ça. Certes il y a de la volonté mais il y a des gens qui peuvent
te casser, il y a des gens qui peuvent te donner plus envie, qui peuvent te donner un dégoût de
ta passion et qui peuvent faire...toi tu es sûr de toi, tu te donnes à fond dans ta passion, tu dis
« ouais tu vas finir pro » et t’as les moyens pour, mais y’a certaines personnes qui peuvent
faire que tu deviennes pas pro. Faut connaître des gens quand même, et puis que des gens
t’aiment bien aussi. C’est obligé ça !
Et toi ça t’es arrivé ?
Euh...moi je te dis je suis pas encore dans ce cas. ça m’est jamais arrivé mais pour l’instant.
Mais j’espère que ça m’arrivera pas.
A ton avis, qu’est-ce qui t’as permis de réussir dans le basket ?
C’est ma volonté de toujours vouloir aller plus loin.
Et à ton avis c’est plus facile de réussir dans le sport quand on a plus d’argent ou pas ?
Non enfin peut être mais pour moi, non. Parce que si t’as pas de talent et que t’as de l’argent,
il va te servir à rien ton argent.
Et est-ce que ton entourage a pris une grande place dans ta réussite ou pas ?
Ben ma famille me laisse vivre mon sport sans s’en mêler. A chaque fin de match, c’est moi
qui les appelle pour leur dire ce que j’ai fait mais sans suite quoi, ils disent pas « oui Chris
vas-y continue » Moi je suis tout à fait d’accord avec ça.
Est-ce que c’est quand même eux qui t’ont permis de réussir ou pas ?
Oui c’est mes parents parce que si mes parents m’avaient pas...déjà si ma mère m’avait pas
fait venir ici en France, si elle m’avait pas inscrit dans ce club, je serai pas là. Mais je me suis
construit tout seul, c’est tout, ils sont pas là.
Et est-ce que c’est plus coûteux pour eux que tu fasses ça plutôt qu’un cursus normal
pour eux on va dire ou pas ?
Financièrement, mes parents ils versent aucun sou dans mon sport. Ici à la JL, mon lycée est
privé, il est payé par la JL, ma chambre elle est payée par la JL. Ça coûte rien.
Et quelle place prend l’argent dans le club selon toi ? (je lui explique la question)
Ben...non. On parle pas d’argent.
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Et quelle place tu penses avoir dans la réussite du groupe ?
Ben dans la réussite du groupe euh...je peux dire que j’ai une bonne place parce que j’apporte
quand même de ce que j’ai en moi quoi. Parce que j’ai plusieurs capacités que le groupe sans
moi aura pas. Ouais j’apporte...je veux pas dire totalement, quasi-tout, mais j’apporte une
bonne partie de moi quoi.
Et à ton avis, est-ce qu’on devrait changer quelque chose dans le basket ou dans le sport
pro en général ?
(il réfléchit) L’argent. Trop d’argent, trop d’argent, trop d’argent. ça devrait changer quand
même parce que...non aujourd’hui, même moi quand tu m’entends parler, tu te dis « j’ai envie
d’intégrer le milieu professionnel pour l’argent ». Normalement ça devrait pas être ça.
Normalement quand t’intègres le niveau professionnel c’est déjà pour le plaisir de jouer, pour
le plaisir de faire plaisir aux autres. Mais s’il y a quelque chose qui devrait changer c’est
l’argent. C’est que l’argent ça prend une grande partie dans notre sport, de tous les sports.
Juste deux trois questions pour finir, tu as 16 ans ?
Oui.
C’est quoi le métier de ton père ?
Architecte, il vient de faire faillite et il s’est mis à travailler avec une autre boîte.
Et le métier de ta mère ?
Aide-soignante.
Et de ton beau-père du coup ?
A la retraite.
Par rapport au reste de la population, tu considères comment ton niveau de vie ?
Je suis milieu, ni très riche, ni très pauvre.
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Entretien avec François, Réalisé le 17 avril 2012
François vient me rejoindre dans une salle d’étude du lycée Saint Pierre à la suite de Nicolas,
à la demande de M. Fauchelevent. Je lui explique la raison de ma venue, les modalités de
l’entretien et nous commençons.
Question : Est-ce que tu peux te présenter déjà ?
Réponse : Alors je m’appelle François, je suis au centre de formation de la JL Bourg, je suis
en première S et je vis sur Lyon.
Et comment t’es arrivé à la JL ?
Je suis arrivé à la JL parce que je cherchais un centre de formation, et que ben on est
tombé...ils cherchaient un joueur de mon poste et voilà, on est tombé en accord l’an dernier.
T’es arrivé cette année ou l’année dernière ?
Cette année.
D’accord, tu jouais où avant ?
Je jouais à Meyzieu.
T’as toujours été dans le milieu du basket ou pas ?
Euh non j’ai commencé assez tard, enfin tard, j’ai commencé dans le milieu de ma première
année. Avant j’ai fait plusieurs sports, j’ai fait du rugby, du judo, de la natation, de la
gymnastique, et puis voilà depuis benjamin je fais du basket.
Et pourquoi tu as choisi ce sport alors ?
Ben déjà quand j’ai commencé, j’avais l’avantage de taille parce que je suis grand et que je
m’y suis plu, j’ai un esprit collectif. Voilà c’est surtout l’aspect collectif que j’aime bien et
puis c’est un sport d’adresse fin...oui j’aime bien ça me plaît.
Et à ton avis, est-ce que c’est un sport qui porte des valeurs ?
Des valeurs hum... oui bien sûr. Apres je pense plus dans les valeurs du sport collectif, pas
particulier au basket, je pense pas qu’il y ait des valeurs pour le basket.
Et à ton avis, qu’est-ce qui est attirant pour un jeune dans le basket aujourd’hui ?
Ben...c’est parce que c’est un sport qui est pas très difficile d’accès, déjà. Il suffit d’avoir des
baskets et un ballon pour jouer au basket. Donc je pense c’est ça, après qu’est-ce qui peut être
attirant ? Bah l’envie de...parce que c’est un sport quand même médiatisé donc ça peut
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apporter l’envie de...moi je sais que je connais beaucoup de gens qui sont pas basketteurs et
qui suivent le basket, donc je pense que c’est l’aspect médiatique qui peut être intéressant.
Après c’est un sport collectif qui se joue en salle, donc il n’y pas l’aspect froid l’hiver etc.
Donc là je vais parler de mixité sociale (je lui explique ce que c’est), est-ce que tu trouves
que le basket c’est un sport où il y a une grande mixité sociale ?
Oui, et pourquoi ? Ben parce que déjà, c’est pas un sport qui coûte très cher, c’est pas comme
les sports comme équitation, au niveau matériel, on demande pas grand chose donc si tu veux,
il y a déjà cet aspect-là au niveau économique. Et après y’a pas de cible spécialisée pour être
basketteur, après c’est une question de taille souvent. Mais euh...non je pense que c’est un
sport avec plutôt une mixité sociale importante.
Et par rapport aux autres sports à ton avis, c’est plus, moins ?
Euh je dirai que c’est plus quand même, parce que c’est un sport qui est accessible, c’est
l’image que les gens en ont et que moi j’ai.
Et si tu devais classer avec tous les sports, tu mettrais le basket où ?
(il réfléchit) Je le mettrai en haut je dirai. Y’a des sports comme le foot aussi, qui sont bien
mixtes, oui en tête quoi.
Ok ça marche. Et est-ce que c’est un sport qui fait rêver aujourd’hui tu trouves ?
Euh oui...mais en tout cas en France, c’est un sport qui est pas énormément médiatisé, et dès
lors qu’on s’intéresse un peu à tout ce qui est rêve américain et chose comme ça ben oui, ça
peut faire rêver.
Et qu’est-ce qui fait rêver ?
Ben y’a l’aspect économique déjà. Jouer en NBA, je pense, en terme de salaire, c’est assez
énorme. Après y’a la médiatisation. Mais c’est vrai que je pense pas que c’est le facteur
premier, parce qu’en France, on n’en entend pas tant parler que ça, peut être cette année avec
Tony Parker et l’équipe de France qui a fait quelque chose mais...ouais je sais pas. (il hésite)
Est-ce que t’as des modèles dans le sport ou le basket en général ?
Ben dans le basket, y’a le modèle incontesté, Michael Jordan. Euh après dans le milieu du
sport, moi je suis plutôt pas le joueur forcément flashy mais le joueur qui a des valeurs, qui
respecte son corps, des choses comme ça. Ben...le joueur qui est bourré de talent, qui fait des
choses, le joueur qui le mérite quoi. Il faut travailler pour ça. Est-ce que j’ai des exemples... ?
(il réfléchit) Bah tu vois par exemple à la JL, un joueur comme Tsagarakis, il fait très
attention à sa qualité de vie, et c’est des joueurs que j’admire parce que dans leur travail ils
sont acharnés. Après y’a l’image de Kobe Bryant en NBA, un gars qui travaille comme un
fou...ça, ça voilà.
Est-ce que tu peux m’expliquer le fonctionnement du club ?
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Moi je m’y connais pas trop parce que je suis arrivé cette année mais en terme de
fonctionnement ben...y’a la partie amateur et la partie professionnelle. Y’a les pros, c’est
l’équipe pro hein et même l’équipe de France fait partie de la section amateur.
Et comment se fait le lien entre la section amateur et la section pro à ton avis ?
Et ben...déjà...nous les jeunes on est cadet de France donc on a l’opportunité de travailler avec
des pros. Déjà y’a ce premier lien là. Puis je pense ce qui lie c’est...les matchs, la salle, c’est
accueillant, y’a pas une barrière entre les joueurs et les spectateurs. Donc y’a un lien qui est
fait, le club, tous les efforts, ils organisent des événements pour que les jeunes puissent avoir
accès aux pros. Je vois hier après-midi, ils signaient des autographes, c’était ouvert tout
l’après-midi ou alors je sais qu’il y a...ils ont organisé un tournoi de console avec des joueurs
et un tournoi de trois contre trois qui allait être animé par des joueurs aussi. Ils font des
efforts.
Et comment fonctionne le centre de formation ?
Nous, les sportifs, on réside aux Trois Saules, donc on s’entraîne toute la semaine, sauf le
mercredi après-midi où on s’entraîne au lycée St Pierre. On a un coach et un responsable. La
plupart on est au lycée St Pierre.
Et est-ce qu’il y a des joueurs du centre de formation qui intègrent l’équipe pro après ?
Ben là on a l’exemple de Pierre-Hugues qui va sûrement signer un contrat pro pour l’an
prochain. Euh sinon...je sais pas si y’a beaucoup de joueurs qui ont signé des contrats pros et
qui sont restés longtemps, ça j’en ai pas trop entendu parler. Mais en tout cas oui, y’a des
joueurs qui ont des contrats pros après.
Et qu’est-ce qu’ils font les joueurs du centre de formation s’ils ne deviennent pas pro ?
Ben y’a un peu de tout, y’a ceux qui continuent dans la voie basket, y’en a qui intègrent les
équipes Espoirs. Yen a d’autres qui retournent par exemple près de chez eux, pour jouer dans
des clubs à un peu moins haut niveau N1 encore c’est beaucoup, mais N2 ou N3. Et après par
exemple Damien est parti dans le Nord pour jouer en N2 je crois, et y’en a qui se réorientent
de manière à faire des études normales et juste continuer le basket en amateur.
Pour toi, c’est quelque chose d’important les études ou pas ?
Euh oui, pour moi oui. J’ai toujours mis les études avant le basket parce que je pense que la
chance de vivre du basket est beaucoup plus faible que de vivre normalement avec un bon
diplôme. Donc je pense oui, les études c’est important.
Toi, qu’est-ce qui tu espères après la fin de tes années au centre de formation ?
Ben moi j’espère euh...ben déjà on parlait de valeurs au début, le basket ça apprend de la
rigueur parce que en étant au centre de formation, il faut adapter le travail et le basket donc la
rigueur dans tout ce que je fais. Et puis j’espère aussi, sur les deux années qui me restent,
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profiter de, en terme de basket parce que faut être clair, je pense pas jouer à aussi haut niveau,
fin en cadet France, on joue en première division donc c’est le meilleur niveau possible et je
pense pas que ça puisse m’arriver donc je vais profiter de ces deux années. Je vais quand
même tenter de rejoindre une équipe espoir. Mais je ne suis pas sûr d’y arriver du coup je vais
tout miser sur mes études.
Et si tu ne deviens pas pro, qu’est-ce que tu espères faire ?
Je m’en sors très bien au lycée, je suis en S et j’aimerais aller dans une école d’ingénieur. Ça
me permettrait d’être sûr de m’en sortir, d’avoir un métier tout ça, je voudrais faire l’INSA.
Exactement, mon métier, je sais pas encore mais je voudrais intégrer une école d’ingénieur
oui.
Et d’où viennent principalement les joueurs qui sont en centre de formation ?
Principalement euh...ben cette année on est plutôt de la région, on est trois lyonnais, yen a un
qui vient des Vosges, y’a un Parisien... Je sais que l’an dernier y’avait des Sénégalais, mais
bon ça dépend des années, mais pas de très loin de ce que je vois pour cette année.
En général, ils sont issus de quel milieu les gens qui viennent ici ?
Ben c’est plutôt divers. Cette année, je dirai que c’est un niveau assez aisé. Mais sinon, d’une
manière générale, c’est très mixte.
Tu penses qu’il y a des gens à la fois très défavorisés et très favorisés qui arrivent ?
Très défavorisés je pense pas non plus...Ben moi j’ai l’exemple en fait de quand je jouais à
Meyzieu, y’avait un garçon qui avait vraiment du talent, il venait d’un milieu défavorisé, il
avait des problèmes de comportement, des choses comme ça et je pense que pour rentrer en
centre de formation, ça doit être rare quand même, parce qu’il faut faire des efforts, des
choses comme ça. Donc non, il n’y pas de personne très défavorisée.
A ton avis ici, c’est quoi la politique de formation des joueurs, qu’est-ce qu’on va
chercher en particulier ?
Cette année, j’arrive pas vraiment à comprendre leur objectif, j’ai vraiment...je sais pas. J’ai
l’impression qu’ils ont un joueur qui est clé, qu’ils veulent euh...de chaque année, qu’ils
veulent mettre le plus haut possible. Et puis après ben je sais pas vraiment en fait, j’arrive pas
trop à le cibler l’objectif. Après c’est voilà, essayer de sortir le joueur à plus haut niveau
possible, atteindre l’équipe de France, des choses comme ça quoi.
Et à ton avis, quand on parle de l’échiquier du basket en général, comment se situe la JL
au niveau de la formation ?
Et ben...je pense qu’ils sont pas mal, parce que pour un club de pro B, ils ont quand même
sorti plutôt des bons joueurs. Après c’est sûr qu’ils sont pas flashy comme les clubs de pro A
avec énormément de moyens. Mais je pense qu’en terme de formation, ils sont pas mal. Je
pense que c’est un bon compromis fin...pour un club de pro B, je pense qu’ils sont un des
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meilleurs clubs de centre de formation de pro B je pense. Et puis comme on voit cette année,
on peut rivaliser avec les plus grosses équipe de pro A donc je pense qu’on est pas mal.
Et pourquoi tu es venu ici toi ?
Moi je suis venu ici, parce que déjà en termes de basket, le projet, ça convenait bien. Et puis
c’était pas très loin de chez moi, donc ça demande pas de quitter ma famille etc. Après moi ce
qui m’importait aussi beaucoup c’était l’aspect scolaire. Par exemple, l’ASVEL, le lycée est
beaucoup moins côté qu’ici. Donc ça, ça m’importait beaucoup. Et puis l’image du club est
plutôt bonne, fin on n’a pas une image, avec de réelle séparation entre le milieu pro et amateur
par exemple, ce dont on parlait tout à l’heure. Et puis je savais que le coach des pros était
plutôt ouvert et qu’il donnait sa chance aux jeunes. Donc ça, ça m’a donné envie de venir.
Si un autre club plus « prestigieux » t’avait proposé de venir, tu y serais allé tu penses ou
pas ?
Ben moi l’an dernier j’avais un dilemme parce que j’avais une copine sur Lyon et donc je
voulais pas trop partir loin donc je sais que j’aurai vraiment réfléchi... Après je sais pas. S’il
avait fallu que j’aille plus loin, je pense que j’aurais fait plus d’efforts dans le basket,
m’investir encore plus quoi, parce que cette année je fais vraiment basket et cours, j’essaye de
pas mettre de différence. Alors que si un club...fin je sais pas, je sais pas.
Par exemple, si t’avais pu aller à l’ASVEL, tu y serais allé ou pas ?
Et ben... (il réfléchit) En tout honnêteté, je sais pas parce que, déjà y’a l’image du club que je
trouve pas super, et puis j’ai parlé du lycée qui était pas super. Après, tout dépend de ce qu’ils
me proposaient, par exemple, sur des sports, ça aurait pu être intéressant et puis c’était proche
de chez moi donc ça aurait été 50/50.
Est-ce que tu crois en tes chances de devenir pro un jour aujourd’hui ?
Non.
Pourquoi ?
Euh...moi j’ai un parcours un peu pas normal en fait. Donc comme j’ai commencé tard, j’ai
fait un an et demi dans un club à côté de chez moi, qui est un club pas du tout à haut niveau,
où je m’ennuyais donc après je suis parti à Meyzieu. Et là, j’ai vite vu que je pouvais faire des
choses donc je suis allé en sélection, donc j’ai découvert les sélections en première année de
Minimes. J’ai tout de suite été pris. Et puis j’ai les tests d’entrée au pôle pour faire la
deuxième année Minimes au pôle sauf que j’ai pas été pris. Mais je suis rentré en décembre
parce que y’en avait un qui s’était désisté, donc du coup en terme de confiance et de moral,
j’avais un peu l’impression d’être un...pas le premier choix mais un peu par défaut qu’on
m’avait pris donc en terme de confiance, ça m’a pas aidé. Et puis euh...à la fin de l’année, j’ai
cherché un centre de formation et j’ai pas eu de retour donc j’ai un peu abandonné, je me suis
dit que ma chance était passée, et que j’aurai pas...voilà. Et puis cette année, je suis arrivé à la
JL, et je me suis rendu compte qu’il fallait un sacré niveau pour faire quelque chose. Et
158
euh...voilà. En plus, je joue pas vraiment au poste que j’aurais voulu donc, ouais j’ai toujours
pas de poste attribué donc je pense pas que j’aurai mes chances.
Est-ce que c’est une déception pour toi ou pas ?
Ben oui parce que c’était un rêve pour moi d’être professionnel et de vivre du basket. Mais en
même temps je me rends compte que c’est un type de vie particulier. Quand je m’entraîne
avec les pros, je vois ce que c’est et je me dis que finalement c’est pas que du rêve et qu’il y a
des côtés un peu difficiles.
Et qu’est-ce qui t’attirait dans ce milieu ?
Ben déjà de vivre de sa passion, ça c’est clair. Enfin faire ce qui te plait tout le temps quoi. Le
basket c’est vraiment une passion, c’est pour ça que je fais tout ça, les efforts et tout. C’est un
plaisir de jouer, de progresser. Donc ouais vivre de ça, pouvoir faire que ça de ta vie. C’est ça
qui me fait vraiment envie. Enfin ça me faisait encore plus envie avant parce que j’y croyais
mais là même maintenant, si on me proposait de vivre du basket je voudrais direct.
Evidemment ! Et puis bah, cet aspect, cette vie où tu t’entraînes, t’as pas de contraintes
majeures en terme d’horaires, par exemple y’a pas de grandes vacances ou de week-end mais
en terme d’horaires, c’est plutôt intéressant. Puis en termes de salaires, de choses comme ça,
ça peut tout de suite être intéressant. Après ce qui m’a déplu, c’est-cet aspect, et j’ai
l’impression particulièrement au basket, que un joueur peut changer tous les ans de club, et ça
ça me plaît pas du tout. J’aurais aimé par exemple, si j’avais été pro, faire toute ma carrière
dans un même club, voilà et m’attacher aux valeurs d’un club plutôt que de changer tous les
ans, ça ça m’aurait pas plu.
Et à ton avis, qu’est-ce qui caractérise le sport professionnel aujourd’hui ?
Je dirai hum... (il réfléchit) Je sais pas.
Je sais pas, si je te parle de sport professionnel, qu’est-ce que ça t’évoque, à quoi tu
penses ?
Ben ça m’évoque une vie particulière et euh...souvent un rêve pour beaucoup de jeunes. ça
m’évoque de l’argent. Hum...puis ouais une vie pas ordinaire.
Pourquoi c’est un rêve pour beaucoup de jeunes tu penses ?
Parce que je pense que, en terme de...les jeunes, l’éducation, quand on est jeune, ça fait pas
rêver de se dire de faire des études pendant, fin pour la plupart en tout cas, pendant
longtemps, pour avoir un métier quand on sait pas ce qu’on veut faire en fait. Alors que le
sport c’est j’aime ça donc je veux faire ça plus tard, et ça va être ben c’est-ce que j’aime donc
je veux faire ça quoi. Donc c’est pour ça je pense que les jeunes en rêvent. Et puis y’a aussi
l’aspect médiatique, par exemple tous les footballeurs qui sont hyper médiatisés, qui sont des
vrais stars, tout le monde connaît, ça, ça fait aussi rêver les jeunes je pense.
Et est-ce qu’il y a une différence entre le basket et les autres sports au niveau
professionnel tu penses ?
159
Bah y’a ce que j’ai évoqué tout à l’heure, l’aspect du sportif qui peut changer à tout moment
de club, qui est je pense bien particulier au basket, fin c’est l’impression que j’avais. Et après
hum...non voilà c’est tout je pense.
Est-ce que t’espérais que ta vie serait plus facile si tu devenais basketteur ?
Euh...oui, oui. Ben d’ailleurs je pensais qu’en terme de progression dans le basket, je pensais
que si j’étais dans le milieu pro, j’allais forcément être bon et ça c’est pas du tout vrai. Il faut
avoir la volonté de progresser, il faut travailler dur tous les jours, et ça vient pas tout seul.
Après c’est sûr que oui, la vie sportive ça a vraiment l’image de quelqu’un qui se balade en
tatane toute la semaine, qui a entraînement et qui fait que ça de ses journées, donc la vie peut
paraître un peu facile.
Et aujourd’hui, est-ce qu’à ton avis le sport permet une ascension sociale ? (je lui
explique brièvement le terme ascension sociale)
(Tout de suite) Oui, clairement. Bah je vais prendre l’exemple du foot parce que c’est
flagrant, mais ça peut aussi être l’exemple du basketteur aux Etats-Unis, où des jeunes de
milieux très défavorisés, de banlieues très difficiles arrivent à gagner des millions d’euros et à
être des véritables stars dans leur pays quoi.
Et qu’est-ce qui te fait voir cette ascension, comment tu t’en aperçois ?
Ben déjà parce qu’on en parle. On a une espèce de fierté des fois, on vante ceux qui ont réussi
à sortir d’un milieu difficile pour arriver dans le milieu professionnel. Et puis ça se voit aussi
dans les études des personnes par exemple, je vois à l’entraînement, y’a un gars qui vient d’un
milieu un peu difficile aux Etats-Unis et sa manière de parler fin...ça se voit qu’il a pas eu une
enfance facile.
Est-ce qu’à ton avis ça c’est un des rôles du sport ou pas ?
Euh...ouais, on s’en rend peut-être pas compte, mais oui. Je pense que ça fait partie des rôles
du sport ouais.
Mais c’est important tu penses ?
Ben oui parce que on voit bien qu’aujourd’hui les milieux défavorisés ont du mal à grimper
les échelles sociales. Oui je pense que ça peut être important. Quand on s’attache pas aux
valeurs au début, en termes d’argent, pour donner la chance aux jeunes, je pense que oui, c’est
important.
Est-ce que tu penses qu’il y a une méritocratie qui existe dans le sport ? (je lui explique
ce que j’entends par méritocratie)
Oui, mais en même temps, y’a l’aspect, comme on dit, du petit coup de pouce. Par exemple,
y’a l’aspect, quelqu’un qui va être au basket, qui va être petit, il va tout de suite être
désavantagé par rapport à quelqu’un qui est grand. Mais c’est sûr que dans le sport plus
160
particulièrement, c’est vraiment les efforts qui payent quoi. C’est quelqu’un qui a un gros
mental, une grosse faculté de travail, je pense qu’il peut réussir.
Est-ce que tu penses que tout le monde peut percer dans le sport ?
Non, je pense pas. Je pense que déjà il faut être bien entouré, faut savoir avoir des contacts.
Faut savoir euh...je pense l’aspect entourage et euh...faut avoir son petit coup de chance, de
tomber sous le charme, enfin qu’un coach nous apprécie et puis nous fasse monter. Enfin je
vois par exemple en équipe de France, ben j’ai un ami qui est en équipe de France qui me
disait que lui « ça aurait pu ne pas être moi, parce que moi mon coach a décidé d’aller me
présenter à mon coach de l’équipe de France et il a fait l’effort pour ça. Donc ça aurait très
bien pu être mon voisin, en termes de basket, qui était aussi bon que moi mais que le coach
avait pas choisi. »
D’accord. Et est-ce que tu penses que c’est plus facile de réussir dans le sport quand on a
plus d’argent ?
Euh... oui. Déjà en terme de euh... parce que moi j’associe l’argent avec une condition en
famille plus facile, par exemple les transports ou les choses comme ça, par exemple j’avais
des amis quand j’étais à Meyzieu qui jouaient pas dans un club un peu plus haut parce que
leurs parents pouvaient pas les amener tous les jours à la salle, des choses comme ça. ça c’est
l’aspect argent. Après dans le basket, ça va en termes d’équipement. Et encore quand on
s’entraîne tous les jours, il faut du matériel. Les chaussures on les change trois fois par an, des
choses comme ça. Mais dans les sports où on demande carrément, je vais pas encore dire
l’équitation, pas tout le monde peut se permettre de faire de l’équitation. C’est un sport qui
coûte cher et voilà.
Et à ton avis qu’est-ce qui t’as permis ou qui est qui t’as permis de réussir dans le
basket ?
Euh...je dirai euh... au tout début c’était ma taille, mon physique. Et je pense que j’ai quand
même une bonne capacité de travail et une bonne volonté. Malgré je pense pas que je sois le
joueur le plus talentueux qu’on ait vu mais je pense que j’arrive à cibler ce que j’ai besoin de
travailler, des choses comme ça. A mettre de l’intensité quand il faut.
Est-ce que tu penses que ta famille, ton entourage occupe un vrai rôle dans ta réussite ou
pas ?
Ben un vrai rôle... (il réfléchit) Oui, parce que déjà ils m’ont autorisé à partir au Pôle, ça
c’était important. Après je vois, plus ça avance et plus y’a une sorte de lassitude qui se créé un
peu parce que les matchs tous les week-end, des choses comme ça, ça demande des efforts.
Mais au fond quand même ils me soutiennent et ils ont quand même fait beaucoup d’effort,
c’est les premiers à m’encourager et à venir me supporter donc oui, je pense que c’est un
côté...important.
Et à ton avis, quelle place prend l’argent dans le club ?
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Euh...pour moi c’est une place importante parce que l’équipe pro dépend de l’argent. Parce
que c’est rare les équipes qui arrivent à se former, les équipes compétitives, avec peu de
moyen.
(Nous sommes interrompus)
Oui, clairement, ça a une place importante. Pareil pour faire venir des jeunes du plus loin
possible, il faut des moyens pour les héberger, tout ce qu’il faut pour les équiper.
Et finalement, quelle place tu penses avoir dans la réussite du groupe ?
Euh... (il réfléchit) Une place plutôt importante mais pas non plus...je dirai importante mais
pas non plus. Ouais une place moyenne. Mais vu qu’il y avait Pierre qui s’est blessé, notre
meilleur joueur, j’ai eu une place plus importante du coup, donc euh...je dirai que si je devais
être capitaine, je serai troisième capitaine.
Deux, trois choses pour finir. Ton âge, tu m’as dit 17 ?
Oui.
C’est quoi le métier de ton père ?
Il est ingénieur donc cadre supérieur.
Et ta mère ?
Cadre supérieure aussi.
Donc t’es en première S tu m’as dit. Et par rapport au reste de la population, tu
considères comment ton niveau de vie ?
Euh bah plutôt haut. S’il y avait une moyenne de niveau de vie, je me mettrai au dessus. J’ai
un niveau de vie qui me permet d’avoir une vie normale sans soucis d’argent.
162
Entretien avec Nicolas, Réalisé le 17 avril 2012
Nicolas vient me rejoindre dans une salle d’étude du lycée Saint Pierre, à la demande de M.
Fauchelevent, pendant un temps consacré à la réalisation des devoirs. Je lui explique la
raison de ma venue, les modalités de l’entretien et nous commençons.
Est-ce que tu peux te présenter ?
Je m'appelle Nicolas. Je fais du basket depuis... Je fais du basket à la JL. Je suis en 1ère S. Et
je suis au centre de formation. J'ai dix-sept ans.
Comment t'es arrivé à la JL ?
Ben, avant j'étais à l'ASVEL. Et puis l'ASVEL ils... je suis parti de l'ASVEL. Et puis après je
suis venu à le JL parce que c'était pas loin de chez moi et qu'ils me permettaient de rester dans
un centre de formation.
Pourquoi tu n'es pas resté à l'ASVEL ?
Parce que l'ASVL, déjà leur internat... Ben... A l'internat y'avait peu de places. Et ils voulaient
faire venir des gens de l'extérieur, donc heu... Moi j'pouvais pas... comme j'habitais pas près,
'fin à Lyon, je pouvais pas rester à l'ASVEL sans être à l'internat donc j'suis venu ici.
Et t'as toujours été dans le milieu du basket ?
Heu ouais.
Y'a eu d'autres sport ?
Quand j'étais petit je faisais du judo, du tennis, de la natation aussi.
Et depuis combien de temps tu joues au basket ?
Ben, ça doit faire 7 ou 8 ans.
Est-ce que c'est un sport porteur de valeurs ?
Ben ouais j'pense parce qu'entre les coéquipiers, faut avoir de la confiance, c'est heu... après je
sais pas. Ouais y'a d'autres choses, là je sais pas.
Pourquoi tu t'es tourné vers le sport ?
Parce que j'étais grand, déjà. Et puis mon père jouit au basket aussi, donc j'allais le voir et,
donc près, j'en ai fait.
Qu'est-ce qui t'a attiré ?
163
Je sais pas vraiment. D'être en équipe, de partager de bons moments. Quand on gagne et tout.
C'est le sport collectif quoi.
Pourquoi ça par rapport à un autre sport collectif. ?
Parce que je sais pas. J'aurais aimé faire du hand, du volley mais le basket, ça me plaisait bien,
j'étais grand...
Qu'est-ce qui est attirant dans le basket pour un jeune aujourd'hui ?
(silence suivi d'explications) Bah déjà l'hiver on s'entraîne à l'intérieur alors il fait pas froid.
(rires) Sinon je sais pas. Il peut y avoir du spectacle. Par exemple on va plus s'ennuyer devant
un match de foot, alors qu'au basket y'a tout le temps de l'action.
(Explications sur la mixité sociale) Est-ce qu'il y a une mixité sociale au basket ?
Ouais.
Et dans les autres sports ?
Ben, non, dans les sports individuels parfois y'a de l'équipement, plus cher...
Et dans les sports collectifs ?
Ben ouais, c'est pareil faut une paire de chaussure, un maillot, un short quoi.
Et, est-ce que ça fait rêver aujourd'hui le basket ?
Ben ouais, quand on voit les stars français en NBA, que, on se dit que là bas ils sont... c'est
super.
Qu'est-ce qui fait rêver ?
Ben, déjà, les Etats Unis.
Quoi aux Etats-Unis ?
Ben, je sais pas, comme c'est amplifié le sport, c'est super médiatisé, c'est heu... C'est, déjà les
Etats-Unis, c'est pas ça, mais on dirait que tout se passe aux Etats-Unis. Après y'a aussi en
Europe où c'est l'ambiance dans les salles et tout. C'est des ambiances de folie.
Quels sont tes modèles dans le basket ou le sport en général.
Je dirais un gars qui se donne, qui travaille tout le temps... Ben Michaël Jordan déjà. Après
y'en a plein.
Qui d'autre ?
164
Je dirais... Kobe Bryant, Lebron James, c'est des joueurs qui... enfin c'est les meilleurs quoi.
Pourquoi t'es « fan » d'eux ?
Parce que, je sais pas, on essaye de leur ressembler des fois, ils font des trucs qu'on aimerait
faire aussi, ils mènent leur équipe à la victoire, ils... Après c'est leur comportement, des fois
qui ont aussi en dehors du terrain, sur le terrain qui heu, leur leadership et tout.
Est-ce que tu peux m'expliquer comment fonctionne le club de la JL ?
Ben, au niveau heu... C'est M. Fauchelevent, et M. Madeleine qui s'occupent de nous. Ils
s'occupent du recrutement, après y'a l'internat c'est encadré par Gilles. Et ça c'est important
aussi. Pour, en dehors du basket, pour pas qu'on soit encadrés.
Tu joues combien de temps au basket par semaine ?
Par semaine on doit être à dix heures plus les matchs. Et des fois y'a aussi les entraînements
pros.
A la JL il y a une section amateur et une section professionnelle. On fait le lien entre les
deux ?
C'est, ça se fait entre minimes et cadet. Parce qu'en minime c'est moins professionnel, après
en cadet on commence à pouvoir s'entraîner avec les pros. Et on est plutôt en contact avec
eux.
Est-ce qu'il y a des joueurs du centre de formation qui intègrent l'équipe pro ?
Ben oui. Ben là, Tony, s'il s'était pas blessé normalement il... Enfin cet année on a pas
l'agrément « Centre de formation » donc on peut pas jouer avec eux, mais cette année, Tony,
j'pense qu'il aurait pu jouer avec.
Et en règle générale, ça arrive souvent ?
Ben après y'en a... J'pense c'est un niveau assez bon parce que y'en a qui prennent différentes
voies mais bon y'en a qui partent aux Etats-Unis comme Johan Penera. Ben Jérome Sanchez,
il était à la JL, il est parti à l'ASVEL et là il est revenu, heu... ici pour jouer en Pro, Octavio
aussi. Donc oui.
Que font les joueurs du centre de formation qui ne deviennent pas pros ?
Ben... Je pense que... ils continuent à jouer au basket comme ça, en loisir, et puis, heu... ils
travaillent quoi.
Et dans le parcours, est-ce qu'une reconversion est prévue ?
Bah comme on fait les études en général on a toujours le bac, puis après, ben, on fait les
165
études à côté...
Et tu penses que c'est important les études ?
Ben oui, parce que même si on devient professionnel, on peut toujours avoir une blessure,
quelque chose. Voilà quoi.
Qu'est-ce que tu espères à la fin du centre de formation ?
Ben, moi j'attends qu'ils me fassent progresser à mon meilleur niveau, au plus haut que je
puisse, jusqu'à ce que je sois cadet, pour après essayer de jouer au basket en Pro.
Tu penses que c'est possible ?
Ben ouais.
Et si jamais ce n'est pas le cas, qu'est-ce que tu penses faire ?
Ben, j'aimerais bien faire des études d'ingénieur.
A ton avis, d'où viennent les joueurs recrutés au centre ?
Heu, ffff... y'en a peu qui viennent de l'étranger parce que la JL c'est pas vraiment un grand
club. Après ils essayent de faire venir des joueurs de toute la France un peu.
De quel milieu social sont issus les joueurs ?
Ben de tous, toutes les classes sociales. A la JL des fois ils prennent en charge le logement, et
tout, donc si c'est ça, tout le monde peut venir, j'pense.
Et là, actuellement dans ton équipe ?
Je dirais, heu... 'fin les milieux... fin, moyen, un peu en dessus et un peu en dessous. Pas
vraiment pauvre pas vraiment riche.
Quelle est la politique de formation des joueurs ?
Ben ils attendent heu (silence) Je pense pas qu'ils attendent de nous qu'on soit bon tout de
suite. Ils veulent surtout nous faire progresser à long terme en fait. C'est une idée de potentiel
en quelque sorte.
Comment se situe le centre de formation dans les milieux du basket à ton avis ?
Il se situe pas trop mal pour un club de Pro B, parce que, on... on est quand même au niveau
de l'internat c'est des appartements donc c'est moins encadré... au niveau des entraînements on
s'entraîne bien....
Et pourquoi avoir choisi ce centre de formation en particulier ?
166
Ben, après l'ASVEL, la JL ils m'avaient contacté. Et puis c'était quelque chose d'intéressant.
On allait avoir une bonne équipe déjà, et ça c'était quelque chose d'important. Et ensuite,
c'était à proximité de chez moi pour pas aller trop loin directement.
Et si un autre club plus « prestigieux » t'avais proposé, tu aurais dit quoi ?
Ben, j'aurais vu en fonction de l'équipe en fait. C'était pour gagner quoi. Je joue au basket
pour gagner.
Si tu avais pu rester à l'ASVEL, tu l'aurais fait ?
Ouais, je serais resté.
Est-ce qu'aujourd'hui tu crois en tes chances de devenir pro ?
Ouais je pense. [rires]
C'est dans longtemps ?
Ben en général c'est après cadet qu'on peut voir. Après ça dépend, si c'est un club de Pro A on
joue en espoir et on peut intégrer l'équipe pro. Ou sinon jouer dans un club en Pro B et
monter.
A quel moment tu t'es dit que tu pourrais y arriver un jour ?
Ben c'est petit à petit. Parce qu'au début je suis arrivé au pôle, au pôle du lyonnais. Et là, heu,
c'est les meilleurs joueurs du Rhône-Alpes. Après on arrive en centre de formation, là c'est des
joueurs de la France, donc c'est encore plus réparti. Et après y'a les présélections équipe de
France. Donc là j'ai été appelé. Donc là ça veut dire que y'a déjà... c'est d'jà pas mal quoi.
Donc là, tu es présélectionné ?
Ben, les présélections c'est en mai. Les championnats du monde c'est en juin.
Tu as des chances ?
Ouais, je pense qu'il y a moyen.
La JL Bourg ça représente quoi pour toi ?
Ben, j'pense que c'est un bon centre de formation parce que déjà, c'est assez familial, pas
comme d'autres centres où les gens ils arrivent, ils jouent au basket et voilà quoi. Ici, c'est...
Y'a une bonne entente entre les coachs. Entre tout le monde quoi. Même les entraîneurs pros
ils viennent nous voir jouer et tout.
Qu'est-ce qui caractérise le sport professionnel ? (explications)
C'est heu... ben d'être reconnu. Quand on est sportif professionnel, ça veut dire qu'il y a un
167
certain niveau, que les gens ils savent que voilà quoi. Et puis après si y'a un peu d'argent... de
gagner sa vie quoi ?
Y a-t-il une différence entre le basket et les autres sports ?
Ben, par rapport au foot, par exemple, c'est pas pareil mais je saurais pas l'expliquer.
Qu'est-ce qui change ?
Ben l'argent. Dans le foot y'a plus d'argent. Mais dans le hand, y'en a moins que dans le basket
déjà.
Qu'est-ce qui t'attire dans le monde professionnel ?
Ben pour gagner ma vie en faisant ce que j'aime. Faire du basket, en faire tous les jours.
Est-ce que tu penses que ta vie sera plus facile si tu deviens professionnel ?
Ben après ça dépend à quel niveau on joue en pro. Si on joue au meilleur niveau
professionnel, oui. Mais après, on peut jouer en Pro B et avoir une vie normale.
Ce sera plus dur, plus facile.... ?
Non, je pense pas que ça sera plus dur.
Est-ce que le sport aujourd'hui permet une ascension sociale ? (explications)
Ben oui. Aux Etats-Unis, y'a beaucoup de joueurs qui quand ils étaient jeunes vivaient dans
les banlieues des grandes villes et qui dans le basket sont mondialement connus, et gagnent
beaucoup d'argent donc ça leur a permis d'évoluer.
Et en France ça existe aussi ?
Ben oui, je pense que ça existe aussi en France.
Comment tu le vois ?
Ben ouais, que par exemple les joueurs professionnels, quand il parlent de leur enfance déjà.
On voit... Et avec leur famille, quand... que... ça fait plaisir, en offrant des trucs qu'ils ne
pouvait pas se payer avant. On voit dans des reportages, on lit quoi.
Est-ce que tu penses que c'est un des rôles du sport ?
Ben je pense pas que c'est un des rôles mais c'est une conséquence que ça a quand même. Ca
arrive quand même.
Est-ce que la méritocratie existe dans le sport ?
168
Ben oui mais pas toujours. Parce que si on travaille tout le temps en général ça paye mais des
fois c'est pas possible.
Qu'est-ce qui peut faire que c'est pas possible ?
Ben déjà, au début y'en a qui ont un certain talent, que d'autres ont pas donc même si on
travaille plus que l'autre on n'arrive pas à avoir ce qu'il a lui.
Est-ce que tu penses que si tu travailles tu peux t'en sortir ?
Ouais, je pense qu'on peut s'en sortir après, ouais.
Et tout le monde peut réussir à percer ?
Non, je pense pas parce qu'après faut aussi être bien entouré. Des fois, faut faire les bons
choix. On peut vite faire un mauvais choix, être oublié. Et après, c'est dur de revenir quoi.
Est-ce que tu penses que l'Etat, les politiques publiques, font en sorte que le sport soit
accessible à tout le monde ?
Je sais pas.
Qui t'as permis de réussir dans le basket.
Mon père déjà j'pense. Il a fait du basket quand il était jeune aussi. Donc il m'a emmené
m'entraîner avec lui et tout. Après ben c'est les coachs aussi. Certains coachs qui quand ils
entraînent font passer des messages.
Quel rôle ont eu ta famille, tes proches dans te réussite sportive ?
Ben, ils m'ont toujours accompagné quoi. Ils... 'fin mon père ma mère ils viennent souvent
voir mes matchs. Dans mes choix ils m'ont toujours heu... ils m'ont jamais dit « non tu feras
pas ça, non on veut pas. »
Tu penses que c'est plus coûteux pour eux cette formation ?
Ben au collège déjà quand je suis parti au pôle. J'étais en internat, c'était un collège privé donc
il fallait payer le collège et par rapport au collège où j'étais avant...
Sans cette famille qui t'accompagne, tu aurais pu réussir ?
Ouais, j'aurais pas pu.
Est-ce qu'à ton avis c'est plus facile de réussir dans le sport quand on a plus d'argent ?
Ben quand on a plus d'argent, ça permet de faire des stages que les autres pourront pas faire,
l'été , les camps d'entraînement... Plus simple je sais pas mais ça permet de faire des trucs que
les autres pourront pas faire.
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Quelle place prend l'argent dans le club ?
(silence) Ben l'argent c'est, il en faut dans le club, pour recruter de bons joueurs, que le club
puisse monter et après avoir plus d'argent pour continuer à se développer, pour faire un
meilleur centre de formation ben, faire venir des autres joueurs.
Dans le sport pro en général ?
Ben oui il faut de l'argent.
C'est le plus important ?
Ben non, il faut aussi de bons dirigeants, des gens qui font de bons choix.
Quelle place tu penses avoir dans la réussite du groupe ?
Je pense que j'ai une place... une bonne place. Enfin, je sais pas. Ben que l'équipe, cette année
comme il n'y a pas Tony, je prends un peu sa place, je dois, avec d'autres joueurs on est un peu
les leaders de l'équipe.
Est-ce que selon toi il y a quelque chose à changer dans le sport pro en général ?
(silence) Ben... J'ai pas d'idée...
Quelques questions pour finir. Quel âge tu as ?
J'ai eu 17 ans en janvier.
Quelle est le métier de ton père ?
Mon père il est directeur régional à Fondcash, c'est un groupe de Carrefour.
Et le métier de ta mère ?
Elle est assistante sociale.
Par rapport au reste de la population comment tu considères ton niveau de vie ?
J'pense qu'il est assez bon. Il est plutôt... il est bien.
Par rapport à la moyenne des gens ?
Au-dessus un peu.
Merci.
170
Entretien avec Luc, Réalisé le 18 avril 2012
Luc vient me rejoindre dans le bureau mis à disposition par le directeur du centre
d’hébergement à la demande du directeur du centre de formation. Je lui explique la raison de
ma venue, les modalités de l’entretien et nous commençons.
Est-ce que déjà tu peux te présenter brièvement ?
Je m’appelle Luc, je suis à Bourg depuis cette année. Je viens de Nancy, en Lorraine, ça fait
loin. Je suis venu ici d’abord pour le basket avec Jean-Luc et Ludovic mais pas pour les
études. J’ai 15 ans et je suis en seconde.
Et tu es arrivé comment à la JL ?
Ben en fait, j’ai fait des détections, puis après ils m’ont recruté et c’était bon. Puis je suis
venu.
Ils t’ont recruté comment ?
J’ai appelé parce que je connaissais le...coach des pros, qu’il y a en ce moment. Donc j’ai fait
plusieurs entraînements avec eux. Puis après ils m’ont recontacté pour dire que je pouvais
venir si je voulais.
Tu jouais à quel niveau avant ?
Avant je jouais en Minimes région.
T’as toujours été dans le milieu du basket ou il y a eu d’autres sports ?
Avant je faisais du ski. Je fais beaucoup de ski.
Et sinon ça fait combien de temps que tu fais du basket ?
ça doit faire euh... 9 ans.
Pourquoi tu t’es tourné vers ce sport en particulier ?
Ben j’ai une soeur qui en faisait, qui en faisait avant moi et puis ça m’a attiré.
Tu saurais dire pourquoi ?
Au début, c’était pas vraiment parce que j’aimais le sport mais au fur à mesure, je m’y suis
accroché, c’est plus pour ça.
Est-ce qu’à ton avis c’est un sport qui porte des valeurs ?
171
Ouais je pense. Comme dans tous les sports, y’a le respect. Et tu vois, donner le maximum de
soi-même.
Et par rapport aux autres sports, est-ce qu’il y a des différences ?
Hum...ben par rapport au sport individuel, il y a la cohésion avec les joueurs d’une même
équipe.
C’est important ça ?
Oui, je pense c’est vraiment important.
Parce que ?
Parce que...moi y’a certaines équipes où j’étais, on s’entend pas bien à l’extérieur du terrain,
c’est sûr, ça peut pas fonctionner.
Qu’est-ce qui est attirant à ton avis pour quelqu’un qui commence à faire du basket ?
Déjà c’est un sport où il faut qu’il s’amuse en premier. Puis prendre au sérieux si on doit aller
loin mais devoir s’amuser en premier.
ça c’est pour tous les sports non ?
Oui.
Est-ce que tu penses que dans le basket, il y a une grande mixité sociale ? (je lui explique
la question)
Oui, je pense que c’est tous les milieux au basket.
Et par rapport aux autres sports, tu penses que ça se passe comment ?
Je pense que c’est plus facile de faire du basket, et que par rapport à l’équitation ou des sports
comme ça, je pense que c’est plus facile, y’a plus de milieu.
Et si tu devais classer les sports en terme de mixité sociale, le basket, tu le mettrais à
quel niveau ?
Je le mettrais avec le foot. Tous les milieux sociaux peuvent faire ce sport.
C’est un sport qui fait rêver aujourd’hui ?
Un peu mais pas au foot je pense pas. C’est pas celui qui fait le plus mais moins que le foot.
Pourquoi moins que le foot ?
172
En termes de célébrités, dans les sports longtemps, on mettait les footballeurs en premier. Puis
le basket, je pense pas qu’on soit les premières stars qu’on connaît niveau sportif.
Qu’est-ce qui fait rêver aujourd’hui pour un jeune ?
C’est ça ouais. C’est réussir, devenir une star.
Et en quoi le basket fait rêver alors ?
(il réfléchit) Je pense t’avoir expliqué, d’être célèbre. C’est un peu toujours la même chose
mais...ou qu’on nous reconnaisse. C’est ça. `
Toi personnellement, c’est quoi ou c’est qui tes modèles dans le sport ?
J’ai pas vraiment de modèles en particulier c’est...une globalité. Faut prendre un peu de tout et
le meilleur de chacun. Je pense pas qu’on arrive à trouver un idéal.
C’est quoi l’idéal ?
Ben...de reprendre toutes les valeurs que j’ai dit tout à l’heure.
Est-ce qu’il y a des choses ou des personnes qui incarnent ça ?
Ouais je pense qu’il y en a des basketteurs qui les représentent comme ça. Je dirai...beaucoup
de grecs je trouve, qui sont pas des modèles mais voilà. Pour nous, quand on dit basket, c’est
souvent ce qu’il se passe aux Etats-Unis, la NBA tout ça. Mais je pense que c’est pas
forcément des modèles du basket.
Plus les grecs donc ?
Voilà.
Pourquoi, parce qu’ils représentent plus les valeurs ?
Ben...c’est moins médiatisé mais si on les compare sportivement, je pense qu’ils peuvent plus
rivaliser. Je dirai qu’ils ont réussi sans forcément...être très connus mais ils ont réussi.
Est-ce que tu penses que pour les jeunes joueurs, ce sont des modèles aussi ?
Non, je pense pas. Pour moi, c’est des modèles mais pour beaucoup, c’est des stars du basket
comme Tony Parker, parce qu’il est parti aux Etars-Unis, que des joueurs comme ça. Mais ils
pensent pas aux joueurs étrangers qui jouent...pas des petits championnats mais qui jouent
dans des championnats qui nous intéressent pas en tant que français.
Les autres de ton équipe, en centre de formation, ils pensent plus comme toi ou ils
réfléchissent plus en termes de célébrités aux Etats-Unis ?
Je pense un peu des deux. Chacun a son point de vue là-dessus et...
173
Toi tu en penses quoi ?
Moi, c’est plus l’Europe et tout ça. C’est surtout ça.
(Nous sommes interrompus)
Tu me dis que les autres pensent plus aux Etats-Unis, pourquoi à ton avis ?
On en entend beaucoup plus parler. Genre dans les médias, tout ça. Même si on s’intéresse
pas, on en entend quand même parler.
(Nous sommes une nouvelle fois interrompus)
Le fait qu’on en entende plus parler, c’est ça qui fait rêver ? Tout ça, ça fait envie ?
Oui, je pense tout ça.
Le bling bling ?
Voilà. (rires)
Complètement autre chose, est-ce que tu peux m’expliquer le fonctionnement du club
ici ?
Je sais pas, c’est un club...ça c’est un petit club déjà comparé à où j’étais à Nancy, c’est pas la
même chose, je veux dire...ça c’est un peu comme une famille, tout le monde se connaît. On
peut aller parler à n’importe qui...voilà. C’est vachement familial cette ambiance...le lycée
Saint Pierre, on dort ici...
Donc là, comment se fait le lien entre la section amateur et la section professionnelle ?
J’en sais rien du tout...je sais pas.
Toi tu appartiens à quelle section ? Tu sais ou pas ?
Euh...je suis en amateur.
Non... (rires)
Ah bon ? (rires)
Bon, ce n’est pas grave, et comment fonctionne le centre de formation ? Il s’organise
comment ?
Ben y’a Jean-Luc, c’est le directeur du centre de formation. Après y’a Ludovic qui nous
entraîne, avec Jean-Luc. On a un entraînement le lundi, un le mardi, deux le mercredi, puis
174
après un jeudi, vendredi. Puis après, match le dimanche. On a des heures d’études obligatoires
ici et au lycée, pour les cours.
Est-ce que c’est important les cours quand même ou pas ?
Ouais, je pense que c’est très important parce que...si un jour on devient basketteur
professionnel, notre carrière s’arrête à 40 ans maximum. On vit pas toute une vie avec ce
qu’on a amassé en 20 ans. Quand on est sportif, il faut se reconvertir, c’est pour ça que les
études, c’est important.
Est-ce qu’il y a des joueurs du centre de formation qui intègrent l’équipe pro ?
Ouais, on en a un ou deux... Fin y’en a un, avant qu’il se blesse, il y était toujours, Pierre. Ils
faisaient tous les entraînements avec eux. Puis là, vu qu’il y a beaucoup de blessés, il y a des
cadets, un deux ou trois qui font l’entraînement avec eux.
Mais qui derrière vont devenir pro dans l’équipe ?
Je sais pas.
Et tu penses que c’est possible ?
Ah oui, oui, je pense que c’est possible.
Donc les joueurs du centre qui ne deviennent pas pro, qu’est-ce qu’ils font après ?
(il réfléchit) Je pense que c’est pas ça le plus important. Il faut juste faire comme on peut.
Tout le monde va trouver un métier, que ce soit dans le milieu du basket ou pas.
Mais est-ce qu’il y en a beaucoup qui y arrivent quand même ou pas ? A ton avis ?
C’est difficile je pense mais...il y en a qui arrivent.
A ton avis, le but du centre de formation, c’est quoi ?
Ben je sais pas...pas forcément d’amener à être pro mais jouer comme on peut, suivant nos
capacités. Je pense c’est ça.
Toi, qu’est-ce que tu espères personnellement du centre de formation ?
C’est de faire les trois années Cadet. Puis après c’est de soit rentrer en Espoir ou dans un club
de N1 ou N2. Et puis voilà.
Mais est-ce qu’à terme tu penses que tu peux devenir professionnel ou pas ?
Ouais je pense.
Et si jamais ça n’arrive pas, est-ce que tu imagines faire d’autres choses que du basket ?
175
Euh...ouais j’y ai pensé.
Tu as des idées déjà ?
Oui.
Qui sont ? (rires)
Déjà l’année prochaine, je veux faire une première ES. Et puis après je pense faire une école
de commerce, quelque chose comme ça.
Et si tu devais avoir un regard sur le reste de ton équipe, est-ce qu’il y en a beaucoup qui
pensent devenir pro ou est-ce qu’il y en a qui envisagent autre chose ?
ça c’est assez mitigé. Yen a certains, ouais, qui le pensent vraiment. Yen a d’autres, un peu
moins quand même.
Est-ce que tu penses que pour ceux qui y croient vraiment, ça va se réaliser ?
Ouais je pense ouais.
Du coup est-ce qu’ils pensent à faire autre chose ?
Ouais, peut-être un peu ouais. C’est toujours dans un coin de leur tête, ils y pensent autant que
tout le monde, sauf que c’est le basket leur priorité.
D’où viennent les joueurs qui sont recrutés du centre de formation ?
Ben ici, je trouve que c’est assez local. On est deux à venir de l’extérieur, y’en a beaucoup qui
sont de l’Ain ou de la région lyonnaise. Je suis un des plus loin, je viens de Nancy. Je trouve
que c’est local ici.
Et de quel milieu social viennent-ils ?
Tous du même, je dirai.
Si tu devais faire une comparaison avec les personnes que tu côtois, tu penses que tu te
situerais comment ?
Je pense qu’on est tous à peu près au milieu.
Est-ce qu’il y a des personnes qui viennent de classes très hautes ?
Non.
Et de classes très basses ?
176
Non plus.
Est-ce que tu penses que le basket, si toi tu te considères au milieu, peut te permettre de
passer un cran au-dessus ?
Je pense oui.
Et est-ce que les autres le pensent aussi tu crois ?
Je pense oui.
Est-ce que c’est une des motivations à ton avis ?
Non pas forcément. Pour moi non, la première motivation, c’est pour ça que je suis ici, c’est
pas de monter de classe sociale.
Est-ce que tu penses que pour certains, c’est le cas ?
Non.
Parce qu’on ne pense pas à ça derrière ?
Non.
Ok. Et là aujourd’hui, la politique de formation des joueurs à la JL, c’est quoi tu
penses ?
Hum, d’amener le plus possible, je pense. Ce qu’on peut pour réussir.
A ton avis, sur une sorte d’échiquier du basket, comment se situe la JL ?
Je pense qu’ils sont biens, ouais.
Biens c’est-à-dire ?
Ben...niveau formation, on est bien parce que notre équipe cadet, on est dans les 7 meilleurs
français. Puis le club pro aussi, parce qu’ils sont quand même en pro B. Puis voilà.
Quand tu es venu ici, est-ce qu’il y a d’autres choses qui t’attiraient ou c’est plus parce
que c’était possible là ?
J’ai fait beaucoup d’essais, j’ai fait Strasbourg, Maurienne, Nancy...et c’est ici que ça me
plaisait le plus en fait.
Et tu as été pris dans les autres ?
Ouais.
177
Donc c’est toi qui as choisi de venir ici ?
Oui.
Et si un club plus « prestigieux » t’avait proposé, l’ASVEL ou Chalon, est-ce que tu
penses que ça aurait joué dans ton choix ?
Je sais pas. Bah après...peut être. Mais je pense pas.
Mais est-ce que tu penses que ceux qui vont dans ces centres de formation là ont plus de
chances de réussir ou pas ?
Non, pas forcément.
Parce que ?
Je trouve que la différence entre l’ASVEL et Bourg, y’a pas une énorme différence
mais...surtout au niveau cadet, après pro oui ça change, mais au niveau des jeunes, je trouve
pas que ça change énormément.
A quel moment est-ce que tu t’es dit que potentiellement, tu pourrais devenir pro un
jour ?
(il réfléchit) C’est vrai, on l’espère tous (rires), mais pas forcément quand tu commences le
basket. Mais moi ça a été vers 9 ou 10 ans.
Mais qu’est-ce qui t’a fait dire que tu pourrais t’en sortir ?
Ben parce qu’on essaye d’aller le plus loin qu’on peut. Quand tu te rends compte que t’es au-
dessus du niveau des autres, enfin là où tu joues, tu commences à te dire que tu peux être
professionnel un jour. Vu que c’est ta passion t’as envie de faire que ça. Et tu te dis, ben je
pourrai en vivre. Et ça te paraît merveilleux parce que, à temps plein, tu seras payé pour faire
ce que tu kiffes ! [rires] C’est quand même quelque chose de vraiment cool, et ça fait rêver.
C’est ça, vivre de ce que tu aimes, qu’on te paye pour t’amuser.
Et pourquoi tu voudrais devenir professionnel ?
(il réfléchit) Parce que c’est l’objectif qu’on se fixe quand on est en centre de formation.
Oui mais avant d’entrer en centre de formation, que tu as 9 ou 10 ans et que tu te dis
que ça pourrait le faire, qu’est-ce qui a fait ça ?
Pas forcément être une star mais voilà, c’est être connu... Pas forcément être connu, mais être
un bon joueur.
A ton avis, qu’est-ce qui caractérise le sport professionnel aujourd’hui, d’une manière
générale ? (je lui explique la question, à sa demande)
178
Les gens fin...c’est leur métier déjà. Ils aiment leur métier parce qu’ils ont tout fait pour y
arriver.
Et sinon, quelle image on a du sport professionnel ?
Ben, plus pour le foot, mais souvent, quand on fait du sport au niveau professionnel, on aime
pas réussir les études, yen a beaucoup qui pensent ça je trouve. Alors que c’est pas forcément
vrai. Enfin je dis ça, c’est plus pour le foot, moins pour le basket, yen a beaucoup qui pensent
que on fait du foot parce qu’on sait faire que ça. Moi je pense pas que ce soit vrai mais bon.
Pourquoi est-ce que tu penses que c’est différent pour le basket ?
Parce qu’on réussit moins...pas qu’on réussit moins dans le basket, mais quand on se
concentre sur le foot, y’a plus de chances de devenir professionnel. Au basket, ils pensent plus
à leurs études que de se concentrer juste sur le sport.
Tu penses que c’est un problème de se concentrer juste sur le sport ?
Je dis ça, ça dépend des personnes. Je pense vraiment qu’on puisse y arriver et que...
(Nous sommes encore interrompus)
Donc tu penses qu’il y a une différence entre le basket et le foot, mais par rapport aux
autres sports, ça se passe comment ?
C’est les deux plus médiatisés. Fin y’a certains sports comme...le rugby c’est quand même
assez. Le tennis aussi. Y’a des sports comme le volley ou le handball, qui se médiatisent de
plus en plus alors qu’il y a quelques années, on connaissait rien. C’est tellement médiatisé.
Pour toi, c’est quoi la plus grosse différence entre le basket et le foot ?
Pour moi, la différence, je pense que c’est les salaires des joueurs professionnels.
C’est aussi ce qui fait la différence dans l’attirance pour les jeunes ou pas ?
Je pense que ouais.
Et pareil, tu penses qu’au foot, il y a de la mixité sociale comme au basket ?
Oui, c’est pareil.
Et toi, si tu deviens professionnel, est-ce que tu espères que ta vie sera plus facile
derrière ou différente ?
Pas forcément différente, mais plus facile, ouais je pense. Fin au niveau salaire non, mais par
rapport au bien et tout ça, je pense que oui.
Au bien, c’est-à-dire ?
179
Pas avoir plus de facilité dans la vie, mais voilà, sportivement après, y’a une reconversion et
ça nous ouvre des portes.
Est-ce que tu penses que le sport aujourd’hui permet une ascension sociale ? (je lui
explique le terme)
Oui et non, parce que ça dépend à quel niveau on joue je pense. Si, pour le basket, on joue en
N1 ou en pro A, ce sera pas la même ascension sociale.
Oui mais est-ce que le sport, ça peut être un moyen pour monter dans le rang social ?
Oui, je pense.
Et est-ce qu’à ton avis, c’est un des rôles du sport ou pas ?
Non, je pense que c’est pas le but premier pour lequel on en fait.
Qu’est-ce qui te fait voir que cette ascension est possible ?
(Il réfléchit)
(Je lui réexplique la question)
Parce que le joueur professionnel, quel que soit le sport, il a quand même un revenu financier
assez élevé je pense. Je pense c’est surtout ça.
Et est-ce que tu penses qu’il y a beaucoup de sportifs professionnels qui viennent d’un
milieu défavorisé ?
Ouais, y’en a quelques-uns.
ça représente une majorité tu penses ou pas ?
En France, je pense pas. Dans d’autres pays étrangers, oui. Comme...en France, dans le
basket, il y a beaucoup de joueurs africains, qui viennent jouer dans des centres de formation
français. Je pense que c’est un exemple d’ascension sociale.
Et eux justement qui partent de très bas, est-ce que ce n’est pas un des buts du sport ?
Oui, ben oui. Plus que nous français. Je veux dire nous, on fait du sport, c’est plus pour
s’amuser alors que eux réussissent. Ils sont sûrs de mieux s’en sortir dans le milieu.
Est-ce que selon toi, il y a une méritocratie dans le sport ? (je lui explique ce qu’est la
méritocratie)
Oui, je pense que oui.
180
Et par rapport à ailleurs dans la société ?
Je pense que c’est pareil partout.
Est-ce que tu penses que tout le monde peut réussir dans le sport de la même façon ?
La majorité ouais.
Qu’est-ce qui peut faire varier ça ?
(Il réfléchit longuement) L’intérêt qu’on y met...puis ouais, l’investissement, je pense c’est
surtout ça.
Est-ce que tu penses que l’Etat ou les hommes politiques font en sorte de permettre cette
ascension sociale ou pas ?
(Il réfléchit) Je pense ouais.
A quel niveau tu penses ?
Bah...pas pour le basket, mais y’a certains sports où ils donnent des subventions. Peut-être pas
l’Etat mais les Conseils Général, quand je faisais du ski, on avait des subventions ouais.
Sponsors, etc.
Et à ton avis, qu’est-ce qui t’a permis de réussir dans le basket ?
L’investissement que j’ai mis dedans. Je pense qu’il n’y pas tout le monde qui a envie de
passer onze heures dans la semaine à faire du basket.
A ton avis, est-ce que c’est plus facile de réussir dans le sport quand on a plus d’argent ?
Non.
ça change rien tu penses ?
Non, ça change rien.
Quelle place occupe ton entourage dans ta réussite au basket ?
Qu’ils soient avec moi, on peut dire qu’ils m’aident parce qu’ils apportent un soutien. Qu’ils
nous accompagnent dans ce sport et qu’ils nous suivent.
Mais toi tu penses que tu en es là parce qu’ils te l’ont permis ou c’est indépendant
d’eux ?
Ils me l’ont permis.
Et ta famille particulièrement ?
181
Surtout.
Parce qu’ils t’ont aidé, etc. ?
Par exemple, quand je suis venu faire des détections en soit, j’aurais pas pu les faire. C’est
plein de choses comme ça. Genre s’ils avaient pas voulu être derrière moi, je les aurais pas
fait et puis ils m’auraient pas aidé à les faire.
Est-ce que ça coûte cher de faire une année en centre de formation ?
Je pense ouais.
Tu as une idée à peu près ou pas ?
Non.
Mais est-ce que là pour tes parents, ça coûte plus cher que si tu avais été dans un lycée
normal ou pas ?
Oui.
Et à ton avis, dans le club, à la JL, quelle place prend l’argent ?
Je trouve c’est...ouais on en entend pas beaucoup parler. Je suis cadet mais j’en ai jamais
entendu parler.
Et dans le sport professionnel en général ?
Ouais, là c’est...je trouve pas à la JL, pas énormément mais dans le club de ma sœur oui.
Elle joue où ?
A Bourges.
Mais elle joue en pro à Bourges ?
Elle joue en N1 et elle fait tous les entraînements avec les pros.
Plus généralement, à l’extérieur, pour quelqu’un qui n’est pas sportif, ce qui ressort
c’est l’argent, c’est le sport ?
Je trouve que ça dépend des personnes. Tout le monde ne perçoit pas ça de la même façon.
Y’a des gens qui pensent que le sport, on gagne beaucoup d’argent, puis d’autres non, ils
pensent qu’au sport en lui-même en fait.
Et quelle place tu penses avoir dans la réussite du groupe ?
182
Je sais pas...dans le milieu. (rires)
Pourquoi ?
Déjà parce que, pour l’instant je suis plus jeune, et je peux progresser.
Et en France, selon toi, est-ce qu’il y a des choses que l’on devrait changer dans le
basket ?
Non pas spécialement.
Dans le monde du sport, chez les pros ?
Ouais si...je vais dire ça comme ça mais...je trouve qu’il y a un peu trop de...surtout des
joueurs professionnels, ils s’en foutent du club où ils sont. Encore une fois, c’est-certains
joueurs qui vont jouer une saison dans un club, ils foutent de ce qui va se passer après, de ce
qui s’est passé avant...de l’avenir du club quoi. Yen a d’autres qui vont jouer 4 matchs pour
remplacer un joueur et eux, ils vont vraiment s’investir à fond.
Et pour toi, qu’est-ce que représente la JL Bourg finalement ? (je lui explique la
question)
Y’a une bonne entente. Tout le monde aime bien tout le monde, même si y’a parfois quelques
problèmes.
J’ai quelques questions pour finir, ton âge, tu m’as dit 15 ans ?
Oui.
Le métier de ton père ?
Il est chef d’entreprise.
C’est une entreprise de quoi ?
De revêtement de sols.
Et tu sais combien il a d’employés à peu près ?
Il en a 8 je crois.
D’accord. Et le métier de ta mère ?
Elle tient un hôtel.
Tu sais le classement de l’hôtel ?
C’est un trois étoiles.
183
C’est la gérante ou il lui appartient ?
Il lui appartient.
Donc ton niveau d’études, tu es en seconde générale ?
Oui.
Par rapport au reste de la population, tu considères comment ton niveau de vie ?
Normal, ni très haut, ni très bas.
Je te remercie, c’est tout bon pour moi.
184
Entretien avec Tony, Réalisé le 18 avril 2012
Tony vient me rejoindre dans le bureau du directeur du centre de formation. Je l’ai déjà
rencontré dans le cadre du stage en septembre 2011 et ne lui pose donc pas les questions
auxquelles il avait déjà répondu. Je lui explique la raison de ma nouvelle venue, lui redonne
les modalités de l’entretien et nous commençons.
On va commencer… Est-ce que tu penses que le basket c’est un sport où y’a une grande
mixité sociale, c’est-à-dire qu’il y a des gens d’un peu de toutes les classes sociales ou pas
trop ?
Bah ouais y’a des gens de toutes les classes sociales, après, pfff, c’est quoi ces questions,
qu’est-ce tu veux que je te dise bah… le basket c’est pour tout le monde, toutes les classes
sociales quoi.
Est-ce que dans tous les sports tout le monde peut faire le sport, est-ce que…
Bah je pense que oui après moi je suis dans une classe sociale moyenne, aisée, je sais que le
basket, ça a jamais été un souci pour moi, pour en faire, après les autres, j’en ai vraiment
aucune idée mais je pense que tout le monde a accès au basket facilement et je pense que tous
les sports c’est pareil.
Tu penses que tous les sports c’est pareil ?
Ouais
Même les sports individuels ?
Bah ouais…
Ok
Bah après, je suis pas assez connaisseur pour dire, mais ça c’est mon opinion
Et… est-ce que un sport qui fait rêver les jeunes, tu penses
Ouais, bah ouais, de plus en plus, avec la montée de l’équipe de France
Ouais…
Et bah… Tony Parker, toutes les stars de l’équipe commencent à faire parler d’eux, ça
commence à faire rêver je pense, même pour nous… donc
Ca te fait rêver toi ?
Bah ouais, je pense que ça fait rêver tout le monde non ?
Qu’est-ce qui te fait rêver ?
185
Bah tu regardes le palmarès, même, ouais, le palmarès de Tony Parker tu te fis « wow,
chapeau quoi » et puis même, tous les Français qui font parler d’eux en NBA… c’est bien
Et tu crois que ça attire du monde ou pas, ou c’est que les connaisseurs…
Bah non, ça attire, des plus jeunes âges, plus les petits ils entendent parler de… y’a un petit
dès 6 ans qui va commencer à entendre de Tony Parker, il va se mettre à regarder la NBA…
Ca marche… et c’est qui tes modèles, toi, dans le basket ou dans le sport ?
Français ?
Non, en général
Euh… j’ai qui en modèle… j’ai… Wade bon, tu connais ? Voilà, je sais pas, j’ai pas trop de
modèle à qui… ah si j’ai un modèle auquel je me réfère vachement… j’ai un modèle, mais tu
connais pas je pense…Rivers ? Tu connais ?
Du tout, c’est qui ?
C’est un gars qui joue à Duke, à l’université, qui va entrer en NBA là et c’est le fils de Doc
Rivers.
Ah si je vois
Bon il est pas mal médiatisé ah lui il me fait rêver…
Tu t’intéresses à la NCAA ?
Ouais vachement, plus que la NBA même, maintenant que c’est fini, je trouve ça vachement
bien.
D’accord et pourquoi lui il te fait rêver ou pourquoi ?
Bah il joue… franchement il a un jeu… Pas tout le monde l’aime mais bon, je trouve qu’il a
un jeu… beau à voir jouer quoi… et voilà je prends référence sur lui, parce que j’aime bien
son jeu.
Ok, très bien… est-ce que des joueurs du centre de formation intègrent l’équipe pro ?
A Bourg ? Bah ouais… C’est ça le principe d’un centre de formation je pense, je pense que
Jean-Luc il travaille pour ça en fait, pour faire monter le plus possible de jeunes en pro, après
la marche centre de formation-ProB, elle est hyper dure, c’est que c’est hyper dur, sauf si tu as
un talent vraiment fou, c’est vraiment dur, j’en connais pas qui ont réussi à passer la marche
d’un coup, y’a beaucoup, à Bourg, c’est beaucoup ça, ils font souvent un jeune en pro, qui fait
le dixième homme… qui vient du centre de formation… y’a eu Greg, y’a eu Pierre, y’a eu
Delaflore
D’accord et est-ce que là, dans les gens qui sont au centre de formation actuellement, tu
penses que y’en a beaucoup qui vont devenir pro un jour ?
186
Nan…. Nan
Combien tu penses ?
Moi je parie sur un… celui qui est en équipe de France… Lui il sera, lui je pense qu’il va
réussir à percer et voilà je pense ça sera le seul.
Et toi ?
Nan… je me mettrais, mais moi je miserais pas sur moi en tous cas, s’il fallait dire quelqu’un
je dirai Nicolas je pense qu’il a beaucoup plus de chance que quelqu’un d’autre d’être pro.
Pourtant si on te propose de rester c’est bien…
Ouais ouais mais je préfère pas, franchement…
Nan mais c’est pas, je te l’ai déjà dit je suis pas un journaliste… je te demande pas…
t’as le droit de me dire que tu penses devenir pro sans que…
Nan nan c’est pas ça, si je pensais passer pro je te l’aurais dit mais vraiment pas ! Si j’avais
fait une saison sans me blesser, je t’aurais dit oui… mais je me suis blessé, on se remet
souvent en question quand on est blessé, donc voilà, donc pour l’instant, mon avenir est assez
incertain… J’aurais dû m’arrêter plus tôt. Là je faisais tous les entraînements avec les pros,
plus ceux avec le centre de formation. Ça m’a cassé ! C’était obligé que je me blesse à force
de faire toujours plus, toujours plus… (regard songeur) Mais même les coachs auraient dû
m’arrêter, je sais pas pourquoi ils voulaient que je fasse tout ça. Enfin si, pour que je
progresse c’est sûr, mais c’était pas prudent. Et au final ça fait six mois que j’ai pas jouer.
Normal ça me fait chier, surtout que j’aurai pu l’éviter. Mais à force de vouloir trop faire tu
vois, ben tu te casses. Et maintenant je sais pas comment je vais revenir. Je sais pas quand je
pourrai reprendre. Et si du coup j’aurai ma place dans le groupe pro. Normalement oui avec le
contrat. Mais ça va être chaud.
Ca marche… et les autres à ton avis, qui deviennent pas pro, à ton avis, qu’est-ce qu’ils
vont faire ?
Bah c’est difficile, y’a deux jeunes qui se sont fait virer du centre de formation donc… je
regarde ça… c’est alors après y’a ceux qui sont forts en étude.
Qui se sont fait virer quand ?
Ils se sont fait virer bah pour l’année prochaine là !
Ah ouais ?
Ils sont pas gardés.
Qui se fait virer ?
Yven et Marius. Donc le noir et Marius qui sera…
187
C’est celui qui vient du Jura c’est ça ?
Ouais c’est ça, c’est chaud, c’est dur pour eux là et t’as ceux qui… Je trouve ça moche. On les
a pris pour trois ans et ils sont virés à la fin de leur première année. Pour eux le basket c’était
un rêve, ils croyaient vraiment ça. Et là on leur dit que c’est fini. C’était chaud tu vois, Marius
il m’a dit qu’il avait plus rien à faire de sa vie, que c’était la fin du truc. Il pleurait et tout, on
l’avait jamais vu comme ça. Enfin il est vraiment mal là j’crois, il s’en remet pas. Et puis
Yven il va retourner dans sa banlieue parisienne et il va s’remettre à faire des conneries. Là il
était cadré, il faisait des efforts et tout. Mais maintenant je le vois mal faire autre chose que
des conneries. C’est pas évident sa vie là-bas j’crois. Après je pense que comme François, qui
va réussir, s’il réussit pas dans le basket, il va réussir dans les études parce que c’est un vrai
bosseur, après ça dépend de la personnalité, Ronny, je pense qu’il va s’en sortir… et puis
voilà.
Et comment ça se fait qu’ils se soient fait virer les deux ?
Virés parce qu’il y a de la concurrence et qu’ils ont pas le niveau, ils ont pas eu le niveau cette
année donc virés, c’est dur… je sais pas il a 15 ans, c’est dur quoi, il lui « bah nan il est
viré », je trouve ça pas très cool…
Mais est-ce qu’ils sont… oui donc tu trouves que c’est pas cool pour quoi ?
Euh…parce que c’est, parce qu’ils sont jeunes quoi et je trouve que quand t’engages des
jeunes de 15 ans, tu pars sur les trois ans, forcément, après je sais pas je trouve ça dur pour
eux, pour quelqu’un qui quitte sa famille, qui doit, qui se fait virer au bout d’un an, après…
bon il l’a cherché parce que…
Qui ? Yven ?
Nan nan pas vraiment Yven mais Marius parce qu’il faisait vraiment aucun effort mais bon je
trouve ça dur pour lui
Il faisait aucun effort scolaire ?
Non, basket, voilà. Une catastrophe…
D’accord, ça marche et du coup, eux, là ils vont faire quoi les deux, tu sais ?
Marius il se rentre je crois, il veut arrêter le basket
Ah carrément ?
Ouais, ça l’a dégoûté et nan Yven je sais pas. Ouais lui, ça l’a bien démoli…
Il s’y attendait pas ?
Si, il s’y attendait mais tu sais, tu t’y attends et puis dès que ça te tombe dessus.
Ouais, je vois… et est-ce que tu penses que les joueurs qui sont là, peut-être toi, est-ce
qu’ils espèrent tous devenir pro ou pas ?
188
Euh… ouais y’en a quelques-uns, ouais y’en a qui savent très bien que c’est cuit, mais y’en a
quelques-uns qui pensent et qui sont persuadés qu’ils seront pro.
Même si c’est pas le cas ?
Euh pffff… bah après je les connais pas assez, je les connais pas très bien, mais je pense oui
que pour eux c’est pas le cas…
Tu les connais pas très bien ?
J’ai pas été beaucoup avec eux cette saison, donc je les connais pas énormément mais bon je
sais qu’il y en a qui croient qu’ils vont être pro et qu’ils vont y arriver, un ou deux, y’en a qui
pensent, pour moi, ils ont… après peut-être d’un coup ils vont peut-être réussir mais bon c’est
mon avis.
Ouais, c’est ton avis qui m’intéresse, tant mieux… toi si… t’as ton projet d’études mais
ta priorité, elle est où ?
Euh… ma priorité, c’est-à-dire ?
Bah entre le basket, les études, tu mets la priorité où pour l’année prochaine ?
Bah je vais dire le basket, le basket même si, si je suis mal au point là, je vais tout faire pour
retrouver mon niveau et percer au basket. Moi je pense que l’école c’est très important. Je suis
en terminale S et j’espère bien avoir mon bac. Après, je continuerai avec la JL si ma blessure
se rétablit et je devrais être avec l’équipe pro l’année prochaine. Mais je vais quand même
essayer de faire un BTS en même temps. L’année prochaine je vais faire mon BTS, en trois
ans au lieu de deux. Et je veux le réussir pour avoir quelque chose à faire dans tous les cas.
Mais je sais que ça va être très compliqué. Le rythme physique est vachement soutenu en pro,
c’est super chaud pour tout faire, avec les déplacements le week-end. […] Pour l’instant,
j’avais pas de priorité, c’était autant le basket que les études. Mais l’année prochaine il va
falloir choisir et j’crois que ce sera quand même plus le basket. Je sais que plein de gens
trouvent que c’est naïf et inconscient mais bon, on verra bien…
Pourquoi naïf ?
Bah parce que si on prend les pourcentages de chances de réussir entre basket et études, les
études sont largement au-dessus… mais bon, ce qui me plaît c’est le basket…
C’est un peu plus kiffant le basket aussi…
Ouais c’est exactement ça…
Et est-ce que tu t’es dit, au début, quand t’as commencé à jouer, à prendre du niveau un
peu, est-ce que tu t’es dit que ça te permettait d’éviter l’école ou pas ?
Non… non non jamais, j’ai jamais fait le rapport basket, école donc…
Y’en a qui l’ont fait tu penses ?
189
Non…
Ok. Et est-ce que là, si un autre club plus prestigieux te proposer d’y aller, tu irais ou
pas ?
Pas à cette période-là, pas en sachant que je suis blessé, que je suis toujours pas revenu mais
en fin de contrat, ouais c’est sûr, je voudrais partir.
D’accord. Et à quel moment tu t’es dit que tu pourrais y arriver un jour ?
Quand je suis entré en équipe de France il y a deux ans bah je me suis dit que quand même, je
pouvais peut-être y arriver, c’est quand même là qu’on commence à se dire « tu peux y
arriver, tu peux y arriver », tout le monde… les coachs, j’ai Marc et Ludo qui ont commencé à
me dire que je pouvais y arriver et tout… j’avais ça en tête voilà.
Et pour toi aujourd’hui, qu’est-ce que ça représente ?
Bah beaucoup quand même, ça fait trois ans que je suis et ils m’ont vachement aidé, que ce
soit niveau études ou basket… mais, bah voilà, je suis vachement reconnaissant de ce qu’ils
ont fait, surtout Marc, je suis vachement reconnaissant de ce qu’il a fait parce qu’il m’a quand
même beaucoup aidé et c’est dommage qu’il soit plus là. C’est lui qui m’a amené en équipe
de France. En fait il connaissait une personne du staff et il l’a appelé pour parler de moi, enfin
pour lui dire de me voir jouer tout ça. Et du coup le mec est venu et ça a accroché. Mais j’ai
grave eu de la chance parce que si Marc connaissait pas ce mec, ou bien si l’autre était venu à
un autre match…parce que genre ce jour-là je mettais tout, c’était énorme. Ben j’aurais peut-
être jamais été pris. Donc j’ai eu de la chance quand même.
Ouais ?
Ouais…
Tu regrettes ?
Ouais.
Tu t’entends pas avec M. Fauchelevent ?
Euh moyen…
Parce que…
Parce que on s’entend…enfin moi je m’entends pas avec lui
Ah ?
Après lui il a sa vision, mais moi, je m’entends pas avec lui…
Sur quoi ?
En général.
190
Ouais…
Et puis il était beaucoup… il m’a vu trois mois au basket, après j’étais quand même de côté
pendant 6 mois…alors que Marc, même s’il était pas là, il prenait vachement de nouvelles et
tout… après Marc voilà, ça fait longtemps qu’il m’entraîne, avec M. Fauchelevent, ça fait que
trois mois donc voilà, mais je m’entends moyen…
Ok et avec les autres ça se passe bien ou c’est avec toi surtout ?
Euh… on est partagé avec M. Fauchelevent.
Ah ouais ?
Après c’est un peu de tout, t’as ceux qui se méfient, t’as ceux qui aiment bien…
Ils aiment pas du tout ?
Parce qu’ils disent qu’il est faux, y’en a qui disent qu’il est pas réglo…
Ca marche, pour revenir quand même au sujet, qu’est-ce qui t’attire dans le milieu
professionnel ?
Bah ce qui m’attire c’est gagné la vie par son plaisir, enfin tu vois, faire ce qu’on aime, être
payé, c’est la belle vie quoi…
Mais est-ce… qu’est-ce que c’est pour toi le milieu professionnel ?
Bah c’est un monde assez dur… un milieu, je sais pas je le connais pas trop ce monde-là, des
professionnels… il est dur d’accès, que ça devient de plus en plus dur d’être Français et de
rentrer dans ce monde, après on connait pas trop.
Tu réfléchis à l’argent ou pas ?
Non, pas pour l’instant.
Mais est-ce que tu penses que ta vie peut-être plus facile si tu deviens pro ou pas ?
Nan, c’est difficile si je deviens pro, plus difficile parce que je peux peut-être gagner
beaucoup pendant dix ans et après va falloir que je me refasse, donc ça, c’est compliqué,
surtout à 30 ans, donc ouais non c’est chaud, c’est pour ça que c’est dur, je pense pas que ce
soit plus facile d’être pro, justement, c’est plus dur… t’as pas une vie stable, tu joues, tu peux
être viré à tout moment, t’es sous pression quand même… donc après faut aimer, ça c’est sur.
Mais t’as quand même envie ?
Ouais, bah ouais, c’est clair.
D’accord, c’est la passion, c’est vraiment ça ?
Ouais bah ouais, c’est vraiment ça, la passion. Puis y’a vachement de côtés négatifs à être pro,
c’est la passion qui fait tout, tu t’en fous quoi.
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Et la reconnaissance, ça t’importe ou pas ?
C’est-à-dire ?
Bah que les gens te voient…
Ouais… ouais c’est bien ça aussi, ouais, ça c’est le pied, nan nan nan, la reconnaissance c’est
un plus, mais c’est vrai que c’est sympa quoi, c’est clair, après, je connais pas non plus
vachement. Ben ça fait quand même kiffer, genre quand je joue avec les pros. Enfin que je
suis sur le banc. Les ptits qui viennent te demander un autographe et tout. C’est vraiment
agréable. Enfin ça fait plaisir tu vois, les gens qui te parlent dans la rue et tout. Moi j’aime
bien ça. Après c’est pas toute la gloire et tout de certaines stars que je dis hein, c’est juste là
être vu et qu’on sache qui je suis, c’est cool, mais j’sais pas trop.
Non mais de ce que tu vois.
Oui non, de ce que je vois, non non c’est clair, c’est un plus, c’est un plus.
Et à ton avis les gens qui jouent avec toi au centre de formation, ils viennent de quel
milieu social, enfin de quelle classe ?
Bah y’a de tout.
Y’a de tout vraiment tu penses ?
Bah ouais ouais, y’a de tout, t’as ceux qui viennent de la classe moyenne-élevée, et ceux qui
sont un petit peu plus bas, mais ouais y’a de tout… enfin dans cette équipe, après ça dépend.
Et ouais, dans les autres centres de formation tu penses que c’est pareil ?
Ouais ouais, bah l’année dernière, on avait trois Sénégalais…
Tu penses que les centres de formation, y’a des gens qui viennent un peu de tous les
milieux ?
Ouais, je pense que ouais… ouais le milieu social ça a rien à voir…
Ca change rien tu penses ?
Nan bah nan… le petit il est super fort au basket, il a pas de sous pour venir, le club il est tout
frais payé, il viendra quand même !
Ouais, donc c’est pas une question d’argent ?
Ah non, ça n’a aucun rapport avec l’argent ! Mais alors absolument pas. Enfin tu veux faire
quoi avec de l’argent ? Non non, vraiment pas !!
Qui t'a permis de réussir dans le basket ?
192
Mes parents déjà quand même, au départ. Après ça dépend, y a le pôle espoir, la JL, Marc qui
m’ont permis de passer des palliés. Au départ c’est quand même mes parents parce qu’ils
m’ont toujours soutenus, ils ont jamais été contre ça. Ils m’ont toujours dit de faire attention.
Mon père me soutient beaucoup et je sais qu’il a pas très bien vécu ma blessure. Mais en
même temps il continue de m’encourager et il m’a toujours dit que si j’arrivais pas à être pro
c’était pas grave. Chaque fois que j’ai changé de club ou que j’ai fait des tests il m’a
accompagné et il a choisi avec moi aussi. Ils veulent le meilleur c’est sûr, mais ils font gaffe à
ce que je fais, pour pas que je prenne trop la grosse tête. Ils m’ont toujours fait que…Enfin en
sorte que je me méfie de ce que j’allais faire [il rigole]. Tu vois ? Enfin genre là quand j’ai
signé mon contrat pro ils étaient là évidemment et ils ont posé plein de question pour que tout
se passe bien.
Quelle place occupe ton entourage dans ta réussite au basket ? Sans famille qui
t'accompagne, est-ce possible ?
Oui c’est possible mais après ça dépend des caractères, y en a qui préfèrent d’autres non. Moi
je suis habitué à ce qu’il y ai mes parents. Mon père croit vachement en moi. Mais ça me met
pas la pression, il sera pas non plus trop déçu si je réussis pas. Mes parents ils ont toujours été
là, c’est eux qui m’ont permis de jouer au basket déjà quand j’étais petit. Ensuite c’est eux qui
ont fait tous les déplacements, qui m’ont permis de changer de club pour que je progresse. Et
puis qui m’ont inscrit au pôle aussi, alors que je sais que ça coûte plus cher. Et puis après ils
m’ont toujours accompagné faire les sélections, en équipe de France. Ils ont fait énormément
de déplacements pour moi et je dois les remercier pour ça. Bien sûr j’ai énormément
travailler donc c’est pas que eux, mais ça reste quand même grâce à eux je pense.
(Nous devons quitter le bureau et nous arrêtons l’entretien. Je lui pose encore quelques
questions une fois sortie puis prends des notes sur la discussion informelle après son départ.)
193
Entretien avec Marius, Réalisé le 18 avril 2012
Marius vient me rejoindre dans le bureau mis à disposition par le directeur du centre
d’hébergement à la suite de Luc. Je lui explique la raison de ma venue, les modalités de
l’entretien et nous commençons.
Question : Est-ce que tu peux commencer par te présenter ?
Réponse : Je m’appelle Marius, j’habite à Bourg, je joue au basket depuis 6 ans. Je suis venu
ici, au centre de formation à Bourg cette année, c’est ma première année. J’étudie au lycée
Saint-Pierre, donc lycée privé, et puis voilà.
T’es en seconde là-bas ?
Je suis en seconde.
Ok et depuis 6 ans c’est depuis que tu as 6 ans ou ?
Depuis...6 ans que je fais du basket.
Et comment es-tu arrivé à la JL ?
Et ben j’ai fait des tests l’année dernière pour rentrer ici et puis ils m’ont sélectionné.
Tu en as fait ailleurs aussi ?
J’en ai fait à Chalon, à Dijon et puis voilà.
Et t’avais été pris ailleurs ou ?
J’ai été pris dans un autre centre, qui était plus près de chez moi mais inférieur en catégorie.
Tu as toujours été dans le milieu du basket ou tu as fait d’autres sports ?
Au début, quand j’étais petit, je faisais de la natation. J’en ai fait pendant 12 ans. Puis après
j’ai arrêté parce que ça marchait pas avec mes horaires de basket et j’ai préféré continuer le
basket.
Et pourquoi tu t’es tourné vers ce sport en particulier ?
Ben tout d’abord, parce que je suis grand. C’est surtout ça, j’étais le plus grand...dans ma
classe, j’étais toujours le plus grand. Puis j’aime bien ça, c’est intensif, c’est un sport collectif
et puis euh...tu peux bien te dépenser.
Et est-ce qu’à ton avis, c’est un sport qui est porteur de valeurs ?
194
Euh oui. Y’a le respect, le fair play, puis ma fraternité. Faut être ami, faut apprécier avec qui
tu joues.
C’est important ça tu crois ?
Oui c’est important.
Même pour les résultats ?
Bah oui. Si tu...tu gagnes pas un match tout seul, tu gagnes un match avec une équipe. C’est
super important pour le basket.
Et à ton avis, qu’est-ce qui est attirant pour un jeune dans le basket aujourd’hui ?
Hum ben les stars. Les stars de la NBA, quand y’a des matchs, ils s’habillent bien, ils ont des
belles femmes, tout ça. Puis le sport est beau à voir, y’a des matchs, y’a des trucs
spectaculaires. C’est vraiment bien.
Et quand tu dis les stars, c’est quoi qui attire, c’est par exemple le fait d’être aux Etats-
Unis ?
D’être connu aux Etats-Unis ouais, tous les enfants là-bas t’adorent.
Est-ce que tu penses que le basket est un sport où il y a une grande mixité sociale ? (je lui
explique le terme de mixité sociale)
Ouais. Par exemple moi je suis dans une classe sociale qui est pas trop élevée, je suis en bas.
Puis je suis venu ici parce qu’ils me paient les cours. Je paye juste ici, ça va, mais si je payais
les cours, je pouvais pas venir. C’est pour ça que ouais, ce qui est bien, c’est que c’est pour
toutes les classes sociales. Enfin d’où je viens y a pas de boulot et tout…
Dans le basket en général, ça marche beaucoup comme ça tu penses ou pas ?
Je pense aussi.
Et est-ce que ça, ça change selon les sports à ton avis ?
Ben y’a certains sports comme le golf, où il faut avoir beaucoup d’argent pour y jouer, le
water polo aussi, surtout ça.
Pourquoi ?
Parce que...je sais pas, ce que j’ai entendu, c’est que ceux qui vont là-bas, c’est tous ceux qui
ont beaucoup d’argent, c’est pas ceux qui ont une classe sociale basse.
Et est-ce que c’est un sport qui fait rêver aujourd’hui le basket ?
195
En France ? Ouais je pense mais plus aux Etats-Unis. Ouais en France, y’a des jeunes, on est
beaucoup au basket en France mais moins que le foot par contre.
ça fait moins rêver que le foot tu penses ?
Non je pense que le foot c’est le plus pratiqué en France je crois.
Et est-ce que par rapport aux autres sports, ça fait moins rêver, plus rêver ?
(il réfléchit) Hum...alors là. Bah...je pense que ça fait plus rêver. Enfin non moins rêver parce
que ça dépend des sports. Y’a genre le foot, ça fait plus rêver parce que tu peux, tu gagnes
beaucoup d’argent. L’exemple des grandes stars là, ils gagnent beaucoup d’argent alors que
dans les autres sports tu gagnes moins. C’est tout, c’est ça qui fait la différence.
Et tu penses que c’est l’argent qui attire ?
Ouais c’est surtout l’argent aussi. La plupart des gens sont attirés par l’argent ouais, sinon les
autres sont plus là pour se faire plaisir.
Quels sont tes modèles dans le basket ou dans les sports en général ? (je lui explique la
question car il me demande de préciser)
Au basket, c’est Michael Jordan. C’est mon modèle, c’est une star. C’est une star de NBA
connue mondialement...
Et pourquoi ?
Parce que ça a été un des plus grands joueurs de basket au monde.
Mais qu’est-ce qui t’attire chez lui ?
Ben il a gagné beaucoup de titres, sa manière de jouer, puis...le talent qu’il a aussi.
Ok. Et est-ce que maintenant tu peux m’expliquer le fonctionnement du club ?
Euh bah là c’est un centre de formation Ceux qui sont au centre, ils peuvent jouer en deux
catégories : y’a les cadets France, ceux qui jouent en première division et qui jouent pour le
championnat de France. Y’a les deuxièmes, c’est les cadets Région, ça se joue tout dans l’Ain.
Après t’as les filles, c’est les cadettes Région, y’a pas de France. Puis après, y’a les Baby, les
Poussins et puis t’as les Seniors qui jouent en R1. Et puis t’as les pros, qui jouent en pro B.
Donc il y a à la fois des pros et des amateurs ?
Ouais.
Et comment le lien est fait entre les deux ?
Ben ils se connaissent depuis longtemps. Ils se connaissent tous.
196
Oui mais comment on passe des joueurs amateurs aux joueurs pros ?
Ben ça, ça dépend comme tu joues. Si tu te fais repérer par le coach, ou si t’es un bon joueur
tu vois.
Et le centre de formation, il fonctionne comment ?
Il sert à former les jeunes pour qu’ils aillent au plus haut niveau qu’ils peuvent aller.
C’est quoi généralement le niveau qu’on attend ?
Bah...on attend nous les pros, pro B, pro A. Mais c’est déjà bien d’aller en N1, N2.
Et comment ça fonctionne dans la vie de tous les jours le centre ? Comment s’organise ta
semaine par exemple ?
Bah le lundi, j’ai cours toute la journée, je commence à 8h, je finis à 6h et après j’ai
entraînement 1h30, de 6h à 19h30. Le mardi c’est pareil, mais je finis un peu plus tôt parce
que j’ai des cours spécial, ça dépend des personnes. Et puis après j’ai entraînement pareil le
soir. Le mercredi, on a entraînement le midi, entraînement le soir. Le jeudi, on a entraînement
le soir. Et puis le vendredi, on a entraînement le midi. Et puis le dimanche, on a match à
l’extérieur ou à domicile.
Et est-ce qu’il y a des joueurs du centre de formation qui intègrent l’équipe pro à la fin ?
Y’en a un cette année qui est pris en équipe pro, qui a un contrat pro. Puis les autres sinon, ils
vont avec les N1, N2, ou ils partent d’ici, ils vont...je sais pas, ils partent de Bourg.
Et est-ce qu’il y a quand même beaucoup de joueurs qui vont devenir pro à la fin ?
Non, pas tellement.
Qu’est-ce que font les joueurs du centre s’ils ne deviennent pas pro à la fin ?
Ben...on essaye de trouver un autre club qui est en dessous des pros, genre N1, N2, c’est déjà
pas mal, c’est un bon basket. Et sinon on essaye d’aller dans le scolaire, en fac, tout ça.
Parce que si tu es en N1, N2, tu gagnes déjà ta vie ?
Oui tu gagnes déjà pas mal mais tu peux avoir un boulot à côté. C’est pour ça qu’il faut
travailler.
Et toi, qu’est-ce que tu espères à la fin de tes années au centre de formation ?
Ben de pouvoir jouer au plus haut niveau que je suis. Et puis ou sinon avoir un boulot potable.
C’est quoi un boulot potable ?
197
Ben un boulot que j’aime. Et puis que je puisse faire ma vie.
Et c’est quoi à ton avis, le niveau le plus haut que tu puisses atteindre ?
Pour l’instant je suis pas en capacité de juger, parce que pour l’instant j’ai pas toutes les
capacités nécessaires.
Mais tu as forcément des attentes, des espoirs ?
Ben le niveau que je vise, c’est N1, N2. C’est déjà pas mal.
Et pro, c’est possible à ton avis ?
Ben pro, je sais pas du tout. Franchement, je sais pas du tout. C’est vraiment dur et puis on est
beaucoup à vouloir y être. Et puis faut déjà avoir le talent.
C’est une question de talent tu penses ?
Ouais. Et puis aussi, savoir bien jouer, avoir le collectif, tout ça.
D’accord. Et à ton avis, d’où viennent principalement les joueurs qui sont recrutés au
centre de formation ?
Ben de toute la France, ils sont sélectionnés dans toute la France. Genre yen a un qui vient de
Paris. Celui d’avant, qui était là, il vient de Nancy. Puis moi je viens du Jura, juste à côté.
Et tu penses qu’ils sont principalement issus de quel milieu social ?
Euh...milieu je pense. En général.
Est-ce qu’il y en a qui viennent de classes très favorisées ?
(il réfléchit) Euh...non. Pas trop, je crois pas.
Et très défavorisées ?
Non plus. Mais il peut y avoir de toutes les classes mais là cette année, yen a aucun qui vient
d’un milieu bas.
Et dans d’autres centres de formation, tu penses que c’est pareil ?
Non, dans d’autres centres de formation, je pense qu’il y en a quand même qui viennent d’un
milieu bas. C’est possible.
Et quelle est la politique de formation du joueur ici, qu’est-ce que l’on cherche avant
tout ?
198
Ben...devenir professionnel du basket.
Est-ce que vous êtes préparés, au cas où ça ne marche pas, à faire autre chose ou pas ?
Euh...non. On travaille à l’école surtout, au cas où qu’une blessure ou qu’on ait pas le niveau,
pour avoir un boulot à côté quoi.
Mais en premier lieu, ce qui est le plus important à ton avis, c’est l’école ou c’est le
basket ?
C’est l’école le plus important. ça te rattrape de tout.
Le club de la JL, tu penses qu’il est bien côté, ça se passe comment sur l’échiquier du
basket?
Ben il est bien réputé. Il a une bonne équipe pro B, on était en pro A. On a eu des bons
joueurs qui sont connus en France.
Et au niveau du centre de formation ?
Ben ça va, on joue bien. Pour l’instant, on est en poule haute, on est dans les trois premiers. Il
y a d’autres poules.
Et pourquoi es-tu venu ici ?
Parce que d’abord je cherchais un centre de formation. Puis j’ai trouvé que celui-là qui était à
proximité parce que j’habite pas très loin, j’habite à 45 minutes. Puis j’ai aimé la structure.
Comment c’était fait avec les cours et les horaires de basket. Puis l’entente avec les joueurs
aussi.
Tu les connaissais déjà d’avant ou pas ?
Non, mais...je me suis fait des bons amis on va dire. C’est une bonne entente par rapport
d’autres centres où c’est juste pour devenir basketteur professionnel, c’est chacun pour sa
pomme, tout ça. Alors qu’ici c’est, on travaille tous ensemble.
Et si un autre club plus prestigieux t’avait proposé, est-ce que tu y serais allé tu penses
ou pas ?
ça je sais pas du tout. Bah je pense que, avant que je vienne ici, ouais je serais peut-être allé.
Mais maintenant que je suis ici, je sais pas du tout. Je pense que je resterais un peu plus là.
Est-ce que tu penses que dans d’autres centres de formation, il y a plus de chances de
devenir pro à la fin ou pas ?
Ouais t’as plus de chances, mais là-bas c’est...c’est surtout situé pour ceux qui ont plus
d’argent. Puis...genre y’a des joueurs qui sont en équipe de France là-bas, et ils font plus jouer
ceux-là que les autres. En gros, y’en a qui viennent pour rien.
199
Et pourquoi tu dis « ceux qui ont plus d’argent » ?
Euh...ça dépend. Dans certains clubs, y’a des parents qui travaillent dans le centre, tout ça. ça
peut les aider à aller au plus haut niveau.
Mais est-ce que l’argent que tu as en arrivant change quelque chose dans les centres de
formation ?
Non, non...enfin, je sais pas comment dire. Non je pense pas, non ça change pas mais ça
dépend d’où tu viens, de quelle famille tu fais partie et tout ça.
Parce que ?
Ben y’a certains de mes amis, ils ont des parents qui sont hauts placés dans le basket. Ils
peuvent intégrer des centres qui sont vraiment forts, genre à Cholet, l’Insep, tout ça.
Donc ce n’est pas qu’une question de mérite en fait ?
Oui.
Donc tout le monde ne part pas égalitaire ?
Non.
Est-ce que tu crois en tes chances de devenir pro un jour ?
Hum...c’est possible. Mais ça dépend de moi. Comment je vais...l’année prochaine ou dans
deux ans. Si je joue bien, si j’ai le niveau...
Et à quel moment tu t’es dit que tu pouvais devenir pro, comment ça s’est passé ?
Ben à la fin de ma troisième, j’étais en poly sport basket. Et puis mon coach m’a dit que
j’avais des chances. J’ai fait plusieurs tests en centre de formation, puis j’ai été pris à celui-là.
Puis je me suis dit, si j’y vais, j’ai peut-être une chance de devenir pro.
Et qu’est-ce qui t’attire là-dedans ?
Bah de jouer au basket à haut niveau.
C’est tout ?
Oui, c’est-ce qui m’attire le plus.
Il y a d’autres choses qui t’attirent par rapport au fait d’être professionnel ?
Non, c’est même pas une question d’argent, c’est juste pratiquer le basket et monter au plus
haut niveau possible.
200
Pour toi, qu’est-ce que ça représente aujourd’hui la JL Bourg ?
Ben un bon club, un bon centre, puis des bons coachs.
Un autre thème maintenant, qu’est-ce qui caractérise le sport professionnel de manière
générale aujourd’hui à ton avis ?
Les stars, tout de suite. Les grandes stars du sport, du foot, du basket, tout ça. L’Equipe de
France...
Et les stars, c’est quoi en fait ?
Ben parce que t’es fan d’eux on va dire. Genre les stars du foot, t’as envie d’être comme eux,
t’as envie de jouer à leur niveau, d’avoir le salaire qu’ils ont, tout ça.
Donc c’est quand même une question de salaire ?
Ouais quand même. Mais quand t’es jeune. Après quand t’es plus vieux, tu te rends compte
que c’est pas ça qui compte.
Et c’est quoi qui compte ?
C’est se faire plaisir.
Est-ce qu’il y a une différence entre le basket et les autres sports au niveau
professionnel ?
(il réfléchit) Non, je pense pas.
Si tu deviens professionnel, est-ce que tu espères que ta vie sera plus facile ensuite ?
Ben oui, je pense.
Pourquoi ?
Ben pour euh...je sais pas. Je sais pas comment expliquer.
Dis moi le fond de ta pensée.
Ben je pense qu’elle sera plus facile ma vie parce que...je voudrais atteindre le but que je
voudrais.
Et au niveau financier, trouver un travail ensuite, est-ce que ce sera plus simple ?
Non je pense pas. Trouver un travail, ça va pas changer, si t’es professionnel ou pas. Tout
dépend de tes études.
201
Et au niveau financier ?
Ben ça dépend si t’es bien payé ou pas.
Et ça tu n’y penses pas ?
Non, non.
Ok. Est-ce que tu penses que le sport permet d’avoir un meilleur rang social ?
Ouais je pense. (il réfléchit un long moment) Je sais pas comment expliquer ça par contre.
(je lui réexplique la question)
Ouais, je pense. Ben avec le sport, tu peux te défouler tout ça, tu changes de caractère, t’es
mieux avec les autres.
Et dans la société, avec les gens, tu penses que tu seras mieux ?
Oui je pense.
Et est-ce que le rôle du sport, c’est t’aider à être mieux financièrement ?
Hum...non.
Donc le sport ne permet pas ça tu penses ?
Non. Mais y’a d’autres manières de vivre bien, sans l’argent, tout ça. C’est avec le travail tout
ça. Mais je pense que c’est plus pour se dépenser, se faire plaisir.
Donc en fait c’est à côté du travail ?
Oui.
A ton avis, qu’est-ce qui t’as permis de réussir dans le basket ?
Ben...mon envie. J’aime bien le sport, j’avais bien envie de continuer. Et puis surtout ma
taille.
Parce que tu fais quelle taille ?
Je fais 1,94.
Et est-ce que c’est plus facile de réussir dans le sport maintenant si on a plus d’argent ou
pas ? (je lui donne un exemple pour illustrer ma question)
Je pense que si on a plus d’argent, on réussit mieux.
202
Pourquoi ?
Parce que certains centres coûtent chers, surtout les plus hauts placés, ça coûte vraiment cher.
Quelle place occupe ton entourage dans ta réussite ? (je lui précise un peu la question)
Ben ils m’ont beaucoup aidé pour réussir dans le basket. C’est eux qui m’ont poussé à
intégrer ce centre, c’est eux qui ont demandé pour me faire passer les tests. Et puis ils sont
toujours là à m’encourager, à me motiver.
Et pour eux, c’est plus compliqué que tu sois là ?
Ben pour mes parents, ça leur fait bizarre qu’à mon âge, je suis déjà en internat, tout ça.
Qu’ils me voient que le week-end et pas la semaine.
Et pour eux c’est plus cher que tu sois ici, et que tu étudies ici plutôt qu’être à côté de
chez toi ou pas ?
Je pense que c’est plus cher. Enfin si j’étais resté au lycée à côté de chez moi j’aurais pas eu
les billets de train tout ça à acheter. Du coup je suis là parce que mes parents peuvent payer.
Sinon je pourrais pas.
Donc ils sont quand même là pour t’aider, même à ce niveau-là ?
Oui.
Et dans le club, quelle place prend l’argent à ton avis ?
Je pense qu’elle prend pas de place. ça dépend pas de l’argent dans ce club je pense.
ça dépend de quoi alors ?
Ben de si tu sais jouer au basket ou pas.
Et dans le sport professionnel en général ?
Euh...alors là. Je pense pas non plus.
Qu’est-ce qui est important ?
C’est de savoir jouer, avoir du talent.
A ton avis, est-ce qu’il y a quelque chose que l’on devrait changer dans le basket ou dans
le sport en général ?
Les salaires des grands joueurs de foot parce que...faut pas exagérer non plus. Pour un joueur
qui gagne 20 millions d’euros, ou je sais pas combien, c’est un peu trop je pense, par rapport
203
aux personnes qui bossent tous les jours et tous les matins pour aller travailler et qui gagnent
moins qu’eux. Je pense qu’il faut...faut changer ça.
Et dans le basket, il n’y a pas ça ?
En basket, les salaires sont pas trop élevés non plus.
J’ai juste deux, trois questions pour finir. T’as quinze ans ?
Oui.
Quel est le métier de ton père ?
Electricien.
Il a sa boîte ou ?
Non, il travaille dans une agence.
Et celui de ta mère ?
Elle est directrice d’école.
D’une école primaire ?
Oui.
Tu es en seconde générale là ?
Oui.
Et par rapport au reste de la population, tu situes comment ton niveau de vie ?
Je suis au milieu je pense.
204
Entretien avec Dorian, Réalisé le 18 avril 2012
Dorian vient me rejoindre dans le bureau mis à disposition par le directeur du centre
d’hébergement à la suite de Marius. Je lui explique la raison de ma venue, les modalités de
l’entretien et nous commençons. Il faut noter que, durant l’entretien, nous sommes
interrompus par le propriétaire du bureau. Celui-ci écoutait en fait l’entretien et a pris parti
le joueur sur la qualité de ses réponses. J’ai essayé de lui expliquer que nous ne pouvions pas
continuer dans ces conditions et lui ai demandé l’accès à une autre salle. Il m’a alors
répondu qu’il n’y en avait pas de disponible et j’ai donc terminé l’entretien, le joueur étant
extrêmement mal à l’aise et ne sachant quoi répondre.
Est-ce que tu peux te présenter ?
Ben je m’appelle Dorian, j’ai 15 ans. Je suis né le 21 avril 1996. J’habite dans l’Ain. Je joue à
la JL Bourg depuis cette année. J’ai une sœur de 20 ans. (rires)
Comment es-tu arrivé à la JL ?
J’étais à l’ASVEL en Minimes France. A la fin de mes deux années, je voulais trouver un
centre de formation. Donc j’ai contacté la JL et voilà.
C’est toi qui les as contactés ?
Ouais.
Pourquoi la JL ?
Bah parce que c’était près de chez moi. Puis c’était un bon club avec le plus haut niveau quoi.
Et pourquoi ne pas être resté à l’ASVEL ?
Ben parce qu’ils me logeaient pas donc je pouvais pas faire les trajets tous les jours. Alors
qu’ici je suis bien.
Tu as toujours été dans le milieu du basket ?
Ouais, ben ça fait...8 ans. 8 ou 9 ans peut-être.
Pourquoi tu t’es tourné vers ce sport en particulier ?
Ben...parce que j’avais un copain avant qui en faisait et j’aimais bien jouer avec lui. Et au fur
et à mesure, voilà, j’ai joué.
Qu’est qui t’a attiré ?
Ben...le collectif. De jouer ensemble, de jouer à 5 sur un terrain. Une fois que j’ai commencé
je voulais plus lâcher. Enfin j’avais tout le temps envie de progresser encore, d’être le
205
meilleur. Parce que ça me plaisait vraiment t’sais, enfin c’était frais d’apprendre des nouveaux
moves, des cross et tout. Du coup je me suis mis à m’entraîner tout le temps à faire des shoots
chez moi dès que je rentrais de l’école, tout ça quoi.
Est-ce que c’est un sport qui est porteur de valeurs à ton avis ?
(Nous sommes interrompus pendant un long moment et la personne interrompt le joueur
pendant qu’il parle)
(du coup je lui explique la question car il ne retrouve plus ses mots)
C’est un jeu où il faut être intelligent...
(il nous interrompt encore une fois pour répondre à la place de Dorian)
Bah l’esprit d’équipe alors.
(il l’interrompt encore une fois)
Bah être ensemble, être unis.
(il l’interrompt encore une fois)
Bah savoir vivre avec les autres,
(il commente encore une fois la réponse de Thomas)
D’autres choses ou pas, à ton avis ?
C’est tout.
(il l’interrompt encore une fois)
Qu’est-ce qui est attirant pour un jeune dans le basket à ton avis ?
Ben...la compétition déjà. Vouloir toujours tout gagner. Etre toujours aux entraînements, à
travailler. Gravir les échelons pour arriver au plus haut niveau.
Mais par rapport aux autres sports ?
Bah euh...(il réfléchit) je sais pas.
Est-ce que tu trouves que dans le basket, il y a une grande mixité sociale ? (je lui
explique le terme)
Bah ouais, je pense qu’il y a un peu de tous les milieux.
Mais au niveau professionnel comme au niveau amateur ?
206
Ouais, je pense. Tout le monde peut y arriver, en se donnant les moyens tout ça.
Est-ce que c’est un sport qui fait rêver aujourd’hui ?
Ouais parce que...quand on regarde la télé, les matchs et tout ça, même en vrai ou comme ça,
quand on voit les basketteurs...je sais pas, on a envie d’être comme eux.
Qu’est-ce qui fait envie chez eux ?
(nous sommes encore interrompus)
Bah déjà leur taille, leur physique...ouais quand ils sont au plus haut niveau et dans...comment
dire ? les salles, elles sont remplies et de jouer devant tout le monde et tout, c’est...ça fait
quelque chose.
C’est qui tes modèles dans le basket ou dans le sport en général ?
Ben le début de carrière de Antoine Diot, et voilà...comme (...) et tout et tout. Dans les matchs
qu’on voit à la télé et tout, ouais les joueurs comme ça, ça fait...ça fait rêver quoi.
Et pourquoi ?
Ben parce qu’ils ont...ouais parce qu’ils ont dû travailler et tout, pour arriver à ce niveau là. Je
me dis que si... on essaye de faire pareil, si on essaye de travailler comme eux ben, tous les
jours, ben qu’on pourra essayer un jour d’être comme eux.
Et pour Antoine Diot, pourquoi ?
Ben parce que...comme il est sur le terrain, vu que c’est un meneur de jeu, comme il est avec
les autres sur le terrain, moi j’aime bien comme il est.
Donc c’est dans sa façon de jouer que c’est un exemple ?
Ouais dans sa façon de jouer, son caractère, tout ça.
Ok. Est-ce qu’il y a d’autres choses qui t’attirent dans la façon de jouer de ces gens-là ou
c’est ça surtout ?
(il réfléchit)
Non, c’est plus ça ouais.
Ok. Est-ce que tu peux m’expliquer le fonctionnement de la JL, comment est organisé le
club ?
(il réfléchit un long moment)
207
(je lui explique la question)
Bah y’a M. Fauchelevent, le directeur du centre de formation. C’est lui un peu qui prend les
décisions des cadets France tout ça, avec M. Madeleine. Après voilà, on est bien encadré tout
ça, avec...fin ouais, c’est tout bien encadré.
Et comment il fonctionne le centre de formation ?
Ben on est presque tous au lycée Saint-Pierre. C’est un bon lycée, avec des bons profs, tout
ça. Et euh...bah on s’entraîne tous les jours...voilà.
Tu sais que dans le club, il y a une section amateur et une section professionnelle ? Tu
appartiens à laquelle ?
A l’amateur. Fin...un peu des deux parce qu’on joue avec des pros.
Comment se fait le lien entre les amateurs et les pros ? (je lui précise la question)
Ben ouais, après les années cadets France, on peut aller intégrer directement l’équipe pro ou
alors jouer dans la section amateur pour encore après être en pro.
Est-ce qu’il y a des joueurs du centre de formation qui intègrent l’équipe pro ?
En France, y’a peu de jeunes qui sortent du centre de formation et qui deviennent pros.
Du coup, que font ceux qui n’y arrivent pas ?
Je sais pas...soit ils continuent leurs études ou alors ils jouent toujours au basket mais pas
forcément en pro ou...
Toi, qu’est-ce que tu espères de la fin de ces années au centre de formation ?
Ben j’espère intégrer une équipe pro à la fin de mes années Cadet France, continuer de
m’entraîner de temps en temps avec eux...
Et ton but, c’est de devenir professionnel à la fin ?
Oui.
Et si tu n’y arrives pas, tu pas pensé à faire quelque chose d’autre ou est-ce que tu
penses vraiment que tu vas y arriver ?
Bah je sais pas trop quoi faire plus tard quoi. Je sais pas encore...
A part basketteur ?
Ouais, j’ai pas encore trop d’idées là-dessus.
208
Tu penses que c’est possible ou pas ?
Bah...ouais je pense. Il faut que je travaille, tout ça. Faut que je continue à travailler à l’école
et toujours au basket.
Qu’est-ce qui est le plus important pour toi, c’est l’école ou le basket ?
Ben les deux, ils sont aussi importants.
Pourquoi ?
Bah, parce que si j’arrive pas au basket, faut quand même que je vive bien. Faut que je
continue mes études, tout ça. mais bon si je peux arriver à être pro, ce sera mieux.
C’est quand même ton but ?
Ouais.
D’où est-ce que viennent principalement les joueurs qui sont recrutés en centre de
formation ?
Oh ben ils peuvent être recrutés...ben déjà des Minimes, du club déjà. Sinon bah...tout dépend
s’ils ont des demandes et tout ça. ça dépend de leurs demandes et de leurs choix.
A ton avis, de quel milieu social ils sont issus ?
Oh ben ça peut être de tout...
Dans ton équipe ?
Oh ben ils ont pas, fin ouais ils sont normaux. Je sais pas, ils ont...je pense qu’ils sont pas en
manque de sous mais ils en ont pas trop.
Ici, à la JL, quelle est la politique de formation des joueurs, qu’est-ce qu’on recherche en
particulier ?
Bah former le joueur déjà, et puis voilà, apprendre à vivre avec les autres. Voilà devenir des
bons basketteurs et des gens biens quoi.
Est-ce que le but, c’est de former que des pros à la sortie, ou est-ce qu’il y a autre
chose ?
(il réfléchit) Euh...ben ouais ils essayent, ils essayent quoi. Après tout dépend du joueur, s’il y
arrive ou pas.
Tu penses qu’il y en a beaucoup qui vont y arriver dans ton équipe ?
Bah je pense qu’il y en a deux trois oui, qui peuvent.
209
A ton avis, comment se situe le club sur l’ensemble des clubs de basket, il est bien placé ?
Moi j’ai toujours trouvé qu’on en parlait pas assez du centre de formation de Bourg. Parce
que...on est bien, y’a du basket tous les jours, on est bien encadré...et puis voilà.
Tu penses qu’il est bien placé en fait ?
Y’a toujours des centres de formation qui sont au-dessus, parce qu’ils attirent plus de joueurs,
les clubs de pro A, des choses comme ça.
Et si un autre club plus « prestigieux » t’avait proposé ?
Bah honnêtement, tout dépend ce qu’ils m’auraient proposé.
C’est-à-dire ?
Ben s’ils m’auraient permis de jouer en cadet France tous les week-ends, m’entraîner avec les
cadets France tous les week-ends... Fin surtout pour ma première année quoi. Parce que moi,
ce que je voulais, c’était jouer en cadet France.
(Nous sommes à nouveau interrompus et je choisis d’arrêter l’entretien, qui n’a plus vraiment
de sens et qui, je le sens, met très mal à l’aise le joueur)
210
Entretien avec Ronny, Réalisé le 17 avril 2012
Ronny vient me rejoindre dans une salle d’étude du lycée Saint Pierre à la suite de François,
à la demande de M. Fauchelevent. J’ai entraîné Ronny quand il était jeune et il est surpris de
me voir là. Je lui explique la raison de ma venue, les modalités de l’entretien et nous
commençons. L’entretien a perdu beaucoup de sa valeur car Ronny ne m’a pas complètement
pris au sérieux. Un ami à moi l’a donc recontacté par la suite en se faisant passer pour un
collègue à moi afin d’avoir des réponses plus vraies, qu’il n’a pas retranscrites entièrement
mais qui ont pu m’aider à intégrer Ronny à une des catégories. C’est pourquoi cet entretien
n’est pas entièrement révélateur de la posture de Ronny.
Question : Est-ce que tu peux te présenter ?
Réponse : Je m'appelle Ronny, je suis joueur de basket à la JL – en centre de formation à la
JL, en cadet France. J'suis en terminale littéraire au lycée Saint Pierre à Bourg et j'ai 17 ans et
bientôt 18.
Comment tu es arrivé à la JL ?
Je suis arrivé... en fait avant j'étais dans un petit club près de la JL, dans le département et j'ai
fait des sélections départementales et j'ai été accepté au pôle ce qui fait que je devais choisir
un club qui jouais au niveau national. Et la JL m'ont proposé alors j'ai accepté. Et depuis je
suis à la JL.
Tu as toujours été dans le milieu du basket ?
Heu... ouais. Et j'étais dans le foot aussi en parallèle.
Et pourquoi tu as choisi le basket ?
Bah, mon grand-père en faisait, mon père en faisait, mon frère en faisait et... et voilà.
Quelque chose t'attirait particulièrement, ou c'était juste parce qu'eux le faisaient ?
(silence) Ben, au début je me voyais pas faire autre chose vu que j'allais souvent voir mon
frère ou mon père jouer, donc j'me suis jamais vu... heu... faire autre chose, donc ça a été
naturel de choisir le basket.
Est-ce qu'à ton avis le basket est un sport porteur de valeurs ?
Ouais.
Lesquelles ?
Ben déjà j'pense, l'esprit d'équipe. Heu, la combativité souvent. Y'a beaucoup de scénarios de
match qui nécessitent de la combativité. Heu, l'intelligence aussi au niveau des systèmes. Pis
211
c'est tout. Enfin, doit y'en avoir d'autres...
Et par rapport aux autres sports ?
Au niveau des valeurs ? (acquiescement) Ben, ça dépend le sport. Un sport collectif y'a
toujours les mêmes valeurs. Mais par exemple, si je ferais... si je faisais du tennis ce serait
plus au niveau individuel, des valeurs individuelles que collectives.
A ton avis, qu'est-ce qui attirant pour un jeune dans le basket ?
Bonne question !
(Explications)
Ben un enfant, tu lui parles de basket, le premier truc qu'il va te sortir c'est les dunks, c'est
Tony Parker,ou alors Michael Jordan.
Pourquoi à ton avis ? Parce qu'il dunk ! P't'être pas Tony Parker, Tony Parker c'est plus parce que c'est le fanion de
l'équipe de France depuis longtemps donc c'est un des principaux représentants du basket en
France. Et Michaël Jordan c'est parce que c'est une légende. Enfin, il dunk, tout le monde le
connaît pour ça à la base. Après pour ceux qui sont plus connaisseurs en basket il peut faire
d'autres choses, mais pour un enfant je pense que c'est surtout les dunks.
Et qu'est-ce qui attire là-dedans ?
Ben, c'est beau ! C'est impressionnant à voir un dunk, donc j'pense que c'est plutôt ça, ils sont
impressionnés, ils sont émerveillés devant le dunk, devant des actions spectaculaires.
Est-ce que tu penses que le basket est un sport avec une grande mixité sociale ?
Ouais. Une des plus grandes... non ! Ah mon avis c'est le deuxième sport où il y a le plus de
mixité sociale... après le foot.
Et comment ça se caractérise, comment tu t'en rends compte ?
Par exemple dans les villes, au niveau des... ben dans les villes au niveau des city stades – tu
vois c'que c'est ? - bah dans un city stade t'as le terrain de foot et les paniers de basket au
dessus pis voilà. Mais t'as pas de truc de rugby, ni de truc de hand. Après c'est au niveau des
ballons aussi...
Donc tu penses qu'il y a des gens de tous horizons qui jouent au basket ?
Ben ouais j'pense.
Et à ton niveau, c'est à dire en centre de formation, il y a toujours cette mixité ?
Non. Non non. Pour moi, les centres de formation ils sont plus intéressés par les qualités
212
athlétiques des joueurs. Surtout en France. A mon avis, on essaye beaucoup trop de
ressembler aux Etats-Unis c'est à dire qu'on base les qualités d'un joueur sur ses qualités
athlétiques ou alors sur sa taille.
(Explicitation de mixité sociale)
Ah ok. J'pense qu'il y en a ouais. Ouais....
Pourquoi ?
Parce que c'est un sport qui touche un tas de classes sociales.
Et donc en centre de formation ou quand on s'élève dans les catégories ?
Ouais toujours. J'pense c'est ouvert à tout le monde. Après ça dépend du centre de formation.
Si le centre est capable de te payer l'hébergement, oui, après pour quelqu'un qui est pauvre et
que le centre de formation prend pas en charge l'hébergement ou l'école...
Qui sont tes modèles, en basket ou dans le sport en général ?
Tu veux des noms ?
A priori oui...
Y'en a beaucoup.... Antoine Rigaudot, j'sais pas moi. (Hésitations)
Pourquoi ?
J'en ai plein. Rigaudot parce qu'il est français, parce qu'il a réussi dans le basket, en équipe de
France, il a été champion olympique. C'est la première fois que ça arrivait j'crois...
(Hésitation) Parce que j'aime bien le voir jouer. (Hésitation) Y'en a plein.
Qu'est-ce qui t'attire chez ces joueurs ?
Au niveau du style de jeu. Ben, t'es beaucoup plus attiré par un joueur qui est beau à voir
jouer que par un joueur qui prend des rebonds et qui met des coups de coude. J'sais pas...
Et est-ce que tu te vois modélisé par des joueurs qui sont pas basketteurs ?
Zizou. (rires)
Pourquoi ?
Parce que c'est Zidane. Il a marqué deux buts en finale de la coupe du monde en 98. J'sais pas
fin. Parce qu'il a... c'est un des meilleurs joueurs de tous les temps au foot.
Et ça t'évoque quoi Zidane ?
213
La classe. La classe. Il a la classe quand il joue. Il est beau à voir jouer. C'est comme Antoine
Rigaudot.
Maintenant, est-ce que tu peux m'expliquer le fonctionnement du club. (Explications)
Ben y'a deux sections à la JL. Une section amateur qui regroupe les amateurs et une section
pro qui regroupe... je sais pas comment expliquer. Une section amateur et une section pro. Et
je crois que le centre de formation fait partie de la section (hésitation) amateur. Et puis
l'équipe pro, et l'équipe Espoir si jamais on montait en Pro A ce serait la section Pro.
Est-ce qu'il y a un lien entre les deux ?
Des passerelles, ouais, évidemment. Ben on sait que la plupart du temps, quand il y a des
blessés, enfin, des petites blessures chez les pro, le staff technique ils font plus appel à des
joueurs cadets de la section amateur pour venir s’entraîner avec eux. Donc là déjà ça fait des
liens, enfin, déjà ça. Et puis il peut y avoir un joueur de formation qui finit son cursus de cadet
et qui signe Pro. Donc ui passe d'une section à l'autre.
Et ça arrive régulièrement ?
Ouais. (hésitation) Ouais, dans les dernières années c'est arrivé régulièrement y'a eu Grégory
Filet. Heu... heu... Grégory filet (rires). Mais peut y'en avoir l'année prochaine aussi. Je crois
que Pierre (?) est intéressé par le senior pro, je sais pas.
Donc, c'est un gros pourcentage qui intègre l'équipe pro ?
Un tous les cinq ans. Ou tous les trois ans.
Et ceux qui n'intègrent pas l'équipe pro, que font-ils à la fin de la formation ?
Ben, ils peuvent trouver un autre centre de formation. Rien ne les empêche d'aller jouer en
Espoir. Ou de trouver un autre club Pro B pour signer pro aussi. Sinon y'en a qui vont jouer
dans les championnats amateurs. Y'a de bons championnats amateurs comme la N2... N1, je
sais pas si c'est pro... ouais N1, N2... ou y'en a qui reste »nt dans la région, qui trouvent un
p'tit club sur le côté et qui se concentrent sur les études.
Est-ce que beaucoup deviennent pro ?
Ben, y'en a déjà deux. Jérome Sanchez et Octavio ils ont joué là en cadet. Après ils sont partis
à l'ASVEL donc on sait pas s'ils ont été formés là ou... Depuis que je suis là j'ai l'impression,
la philosophie du club, ils choisissent un joueur par année, par génération cadet, et en fait sur
les trois ans, ils ont plus tendance à faire progresser celui là – bon, sans délaisser les autres
joueurs sur le côté mais ils sont plus focalisés plus sur un joueur par génération et essayer de
le faire devenir pro que de faire tout un ensemble.
Et qu'est-ce qui est prévu pour ceux qui ne deviennent pas pro ?
Ben, l'équipe R1.
214
Et pour vivre ?
Entraîneur ou arbitre.
Est-ce qu'on vous pousse à faire autre chose que du basket ou... ?
Bah ouais, c'est le principe d'un centre de formation un peu. De pouvoir faire du basket tous
les jours en continuant nos études. Donc après ils nous empêchent pas de tout mettre sur le
côté pour le basket, ou de mettre le basket de côté pour les études. C'est vraiment une
cohabitation des deux.
Et est-ce que les études c'est important ?
Ben ouais. Ouais. C'est super important.
Parce que ?
Au cas où on devienne pro, on n'est jamais à l'abri d'une blessure. Ou alors on peut vite
changer d'avis, arrêter d'être pro parce que ça nous plait pas, on s'épanouit pas, pour reprendre
un travail.
Qu'est-ce que tu espères toi, à la fin du centre de formation ?
… Je sais pas...
Honnêtement ?
Honnêtement ce que j'espère ? Ben qu'un club va m'appeler. Parce que je me sens pas d'aller
voir ailleurs. Ouais, j'espère qu'un bon club.
C'est quoi, un bon club ?
Pour moi, un bon club ? Après moi c'que j'espère, N1, N2 ou Pro A. Après je pense que c'est
pas possible. Même si c'est un club de N2, ça me va.
Et si c'est pas le cas ?
Je resterai à la JL.
Tu penses vivre du basket un jour ?
Ouais. Mais p't'être pas en tant que joueur.
En tant que quoi ?
En tant qu'entraîneur ou... par exemple, entraîneur, manager, des trucs comme ça...
215
D'où viennent principalement les joueurs recrutés au centre de formation ?
De la région. La plupart ils ont fait le pôle. Si on regarde bien, la plupart ils ont soit fait le
pôle soit des sélections région.
Et à ton avis de quel milieu social ils sont issus ? (explication)
N'importe. Je sais pas. J'peux me tromper.
A ton avis ?
Mais ça dépend... Mais ça se fait pas de poser des questions comme ça.
Pourquoi ?
Ben, parce que... y'a plein de facteurs qui font que je peux penser ...
Qu'est-ce qui te gêne dans cette question ?
Ben je sais pas, de différencier heu...
Je ne te demande pas des noms, en particulier, mais en général, de quel milieu ils
viennent ?
Ah. La majorité de classe moyenne. Mais certains pas. Un peu en dessous. Et d'autres en
dessus, l'autre grosse majorité.
Et ici, c'est quoi la politique de formation des joueurs ? (explications)
Pas la performance, je pense pas... je crois que ce n'est pas dans la mentalité du club de faire
progresser un joueur juste... après c'est dur aussi, parce qu'il y a forcément la performance
quand même... je pense qu'ici ils cherchent plus à faire progresser le joueur pour qu'il obtienne
des performances lui tout seul mais pas l'inverse, pas chercher à obtenir des performances
pour qu'ils viennent dire...
Et à ton avis comment se situe le club ici sur l'ensemble des clubs en France, au niveau
de la formation ?
Il y a 16 clubs de Pro B. Il y a 16 clubs de Pro A. Moi je dirais dans le 25 premiers.
Et au niveau de la formation ?
Ouais, on a déjà sorti plusieurs pros. Philippe Baquet, qui joue en Pro B. Philippe Baquet il a
fait le centre de formation. Y'a qui d'autre. Jérome Sanchez, Da Silvera... Vu que le centre de
formation il est quand même jeune, une dizaine d'années, les pros ils vont pas forcément sortir
maintenant, ils peuvent sortir après. Si ça se trouve ils sont dans une classe intermédiaire
entre cadet et pros.
216
Et pourquoi tu es venu ici ?
Que je sais pas. Parce que c'est la JL. Je sais pas. C'est le département de l'Ain, et je me
voyais pas...
Et si un autre club « plus prestigieux » t'avait proposé, tu aurais accepté ?
Non, je pense pas.
Est-ce que tu crois aujourd'hui en tes chances de devenir pro un jour ?
Non. Non, je pense pas que je finirai pro.
Et dans l'équipe, tu penses qu'il y en a beaucoup qui y croient ?
Ouais, j'pense qu'y'en a beaucoup qui y croient, ouais.
Tu penses que beaucoup vont y arriver ?
Non mais ils y croivent, c'est bien...
A ton avis, pourquoi, ils y croient ?
Parce qu'ils ont la grosse tête. Parce qu'ils croivent que ça y est, ils sont au centre formation,
ils jouent un peu alors...
Qu'est-ce qui les attire dans le monde professionnel, tu penses ?
L'argent ? Pas forcément... Je sais pas, plein de trucs.
Et toi, qu'est-ce qui t'attirerait dans ce monde ?
Dans le monde pro ?
Oui.
Faire du basket tous les jours et en plus gagner de l'argent pour, je sais pas, moi je trouve ça
parfait. T'as du temps de libre. Bon pas le week-end quand t'es en déplacement, mais t'as du
temps libre, les seules fois où... les seules fois où tu te lèves la semaine, où tu sors de chez toi
c'est pour aller t'entraîner, pas pour aller au travail, vraiment au travail... C'est pas un travail
comme un autre, à la base c'est une passion, alors si en plus t'es payé pour faire c'te passion, je
trouve ça bien.
A quel moment tu t'es dit que tu pourrais éventuellement y arriver un jour ?
Un moment de ma vie où j'ai pensé pouvoir y arriver ?
Oui.
217
Hum... Ma première année de pôle je crois.
Pourquoi ?
Je venais d'être surclassé. Je venais d'être pris pour un stage de sélection région 93. Je me suis
dit que... j'avais pas forcément cet objectif là en tête. Fin j'avais pas la prétention d'avoir cet
objectif-là. Et en fait, bah, je me suis rendu... Quand ils m'ont pris, j'ai trouvé ça cool. Et je me
suis dit « Pourquoi pas faire pro ? »
Et pourquoi aujourd'hui tu n'y crois plus ?
Ben... Parce que... Parce que en fait j'ai pas envie. Ben déjà, parce que je pense que j'ai pas ce
qu'il faut pour et après parce que j'ai pas envie.
Qu'est-ce qui te fait pas envie ?
Parce que c'est un monde de merde.
Pourquoi ?
Parce qu'y a que des cons.
(…)
Parce que, parce que y'a qu'des cons. Je sais pas c'est un monde de merde.
Qu'est-ce qui est « merdique » dans ce monde-là ?
Ben tu vois bien. Y'a certains clubs ils gardent des joueurs un an et puis, 'fin, un joueur il peut
faire le tour de la France en dix ans. Y'a plus la stabilité qu'y'avait avant. Et aussi parce que
y'a qu'des cons.
Selon toi, qu'est-ce qui caractérise le sport professionnel aujourd'hui, de manière
générale ?
C'est à dire ?
Si on parle de sport professionnel à quoi tu penses ? (explication)
Ouais, non. Je vois pas ce que tu demandes.
(explications)
Ben, ça dépend le niveau de pro. Je verrais ça plutôt comme du prestige. Du prestige. C’est du
prestige le sport pro. Les gens te reconnaissent, t’aiment même sans te connaître. Y a pas de
boulot où t’as ça. Forcément c’est cool. Enfin ça fait partie du métier mais c’est bien quand
même, que les gens te reconnaissent comme ça. Je trouve en tout cas.
218
Est-ce qu'il y a des différences entre le basket et les autres sports au niveau
professionnel ?
Ouais. Il y a des différences... La rémunération, les structures, y'a plein de trucs...
Et qu'est-ce qui attire à ton avis ?
L'argent, on est tous attirés par l'argent.
Est-ce que tu penses que ta vie sera plus facile si tu deviens professionnel ?
Ouais.
Pourquoi ?
Parce que professionnel, généralement, t'es recruté dans un club, déjà ils te fournissent
l'appartement généralement donc t'as pas à t'occuper de ça. C'est plein de trucs comme ça.
Après, je sais pas. Je sais pas si je peux dire que c'est facile parce que j'y connais rien, je sais
pas comment c'est vraiment à l'intérieur. Je dis ça, c'est-ce que je vois de l'extérieur. J'pense.
Est-ce que tu penses que, si tu devenais pro, tu changerais de classe sociale.
Ouais.
Est-ce que c'est le cas pour tout le monde ?
Ouais.
Est-ce que tu penses que beaucoup de gens jouent pour ça ?
Ben, ça dépend le niveau de pro. Ça dépend de la rémunération encore. Y'a certains joueurs ils
préfèrent aller dans une équipe au niveau en dessous de la leur. Je sais pas comment
t'expliquer. Y'a certains joueurs ils préfèrent jouer dans un niveau bas pour gagner plus, que
jouer au plus haut niveau pour gagner un peu moins. Tu vois.
A ton avis, c'est un des rôles du sport de permettre cette ascension sociale ?
Non.
Ce serait quoi le rôle du sport ?
En général ? Ben, déjà, c'est de faire une activité sportive. Ben, je sais pas. (hésitation) Avoir
des valeurs. S'inculquer des valeurs en pratiquant un sport.
Et le rôle du sport professionnel ?
Y'en a pas. C'est du business. C'est un travail... C'est une classe de travail comme une autre.
219
Est-ce que tu penses qu'il y a quand même des gens qui évoluent socialement par le
sport ?
Ouais. Ben oui.
Comment tu le vois ?
Ben déjà le foot. Même le basket en NBA. En NBA, d'façon c'est toujours la même histoire :
le jeune gangster qui vient de banlieue qui arrive en fac, qui se fait drafter en NBA et qui
roule en Mercedes. C'est toujours le même truc, non ? C'est la caricature type.
Et ça existe vraiment ?
Oui. Ben oui. Même en France. Y'a des joueurs qui font du foot qui partent d'une classe
moyenne et qui arrivent à sauter plusieurs classes grâce à la rémunération qu'ils ont grâce au
foot.
Qu'est-ce qui te fait voir ça ?
Ben, la publicité. Les journaux, la télé, la radio,...
A ton avis, qu'est-ce qui t'a permis de réussir dans le basket ?
On peut pas dire que j'ai réussi.
Tu es déjà arrivé en centre de formation...
Ce qui m'a permis d'y arriver ? Heu... c'est d'la chance. De la chance. Déjà j'ai été pris en
section départementale parce que j'étais grand. J'étais pas forcément le meilleur de mon
équipe. Enfin à Belley, si. Mais j'étais pas le meilleur de ma génération. J'étais un des plus
grands. Et après, après, ben... ce qui fait que j'ai eu la chance d'intégrer le pôle... c'est là que
j'ai commencé à faire du basket tous les jours. Après, même si t'as pas forcément de talent, à
partir du moment où t'en fais tous les jours, tu progresses un minimum. Après moi j'ai eu la
chance de pouvoir essayer beaucoup. Ouais beaucoup. Ce qui fait que j'en suis là maintenant.
Donc, ouais c'est de la chance.
Quel rôle a eu ton entourage là-dedans ?
Ben. Un rôle primordial, forcément, ils auraient pu m'empêcher de le faire.
Est-ce que tu penses que ça leur coûte plus financièrement que si tu ne faisais pas ça ?
Je pense que ça leur a plus coûté qu'une scolarité normale.
Est-ce que tu penses qu'on a plus de chance de réussir dans le sport si on a plus d'argent
à la base ?
Ouais. Y'a du piston, y'a du piston... y'a du piston. Tout est plus facile quand t'as plus d'argent
220
de toute façon ! Donc réussir dans la sport aussi. Direct, tu connais plus de monde et tout.
Bien sûr ! Plus t’as d’argent plus c’est simple.
Et est-ce que tu penses que la méritocratie existe dans le sport ? (explications)
Y'en a mais pas beaucoup. Non ça existe pas. Pas dans le sport professionnel. Pas dans le
basket. Faut de l’argent. C’est pas du mérite ça l’argent !
Pourquoi ?
Parce que dans le basket c'est que du piston. C'est pour ça que je te disais que c'étaient que des
cons. Ou alors si. Quand y'en a un qui y arrive au mérite, il va y avoir une sorte de bagarre
d'entraîneurs pour savoir qui c'est qui l'a formé ou des trucs comme ça. Donc ouais, non.
Pour réussir dans le basket qu'est-ce qu'il faut ?
Être au bon endroit au bon moment. Et faire les bons matchs au bon moment.
(Le directeur du centre de formation nous interrompt)
Quelle place tu penses avoir dans la réussite du groupe ?
Ca dépend des matchs. Ca dépend des matchs que je fais. C'est aléatoire.
Est-ce qu'il y aurait quelque chose à changer dans le sport pro en général ?
Ouais, les mentalités.
De qui ?
De ceux qui décident, de ceux qu'on met en place dans les clubs, des coachs, de tout le
monde. Et même des joueurs.
Il faudrait faire quoi alors ?
Tu peux rien faire. Il faudrait un exemple en fait. Il faudrait que quelqu'un, qu'une exception
le fasse et...
Qui fasse quoi ?
Qui arrive à... Il faudrait, 'fin, faudrait la création d'un personnage du basket qui ait une
mentalité différente de celle de l'opinion commune qui réussisse en fait.
Quelques questions pour finir. Tu as 17 ans ?
Oui.
Quel est le métier de ton père ?
221
Je sais pas. J'te jure, je comprends pas son métier...
Un intitulé ?
Il est conseiller technique régional agricole. En gros, il vend des pesticides. C'est un cadre.
Et la profession de ta mère ?
Prof de français.
En lycée ? En collège ?
Les deux, là où elle travaille ça fait collège et lycée.
Comment tu considères ton niveau de vie par rapport à l'ensemble de la population ?
Dans la moyenne.
Merci.
222
Entretien avec M. Fauchelevent, Réalisé le 23 avril 2012
M. Fauchelevent était mon tuteur de stage en août-septembre 2011 et est donc au fait de mon
travail. C’est lui qui a accepté d’organiser les rencontres avec les joueurs et de me donner
accès au centre de formation. Je le rejoins dans son bureau et lui réexplique brièvement les
modalités de l’entretien puis nous commençons.
Est-ce que tu peux te présenter ?
M. Fauchelevent, j'ai quarante ans. Je suis marié. J'ai deux enfants. Je suis directeur des
opérations basket de la JL Bourg Basket.
Comment tu es arrivé à la JL ?
J'y ai joué pendant douze ans. Puis j'ai été président pendant deux ans. Directeur sportif
pendant deux autres années avant de faire un break et de revenir cet été, enfin juillet 2011
pour reprendre un poste de direction sportive.
Est-ce que le basket est un sport porteur de valeurs, à ton avis ?
Ouais. Heu... Est-ce que c'est le sport lui-même qui est porteur de valeurs ou est-ce les gens
qui forment les groupes et les équipes qui les portent ? Moi j'pense que c'est plutôt les
personnes, pas le sport en lui-même.
Quelles valeurs alors ?
Toutes les valeurs qui peuvent être chères à certains individus. Valeurs d'humilité, de partage,
de travail, de patience, de respect, de combativité, de goût de l'effort.
Est-ce que c'est un sport qui fait rêver les jeunes aujourd'hui ?
Oui, j'pense que c'est un sport qui fait rêver les jeunes par la médiatisation qui en est faite
notamment du sport américain et de certaines réussites sportives de français aux Etats-Unis. A
mon avis elle fait surtout rêver par rapport à ça. (hésitation) C'est à mon avis l'axe principal.
Est-ce que tu penses que le basket est un sport où il y a une grande mixité sociale ?
Ça c'est sûr. A mon sens oui. Parce que déjà, si on balaye tous les niveaux, si on balaye tous
les niveaux c'est un sport qui est plutôt accessible financièrement donc ça permet aux
catégories sociales de venir pratiquer ce sport. Si on remonte un peu après dans les niveaux,
on mélange les cultures et les nationalités donc ça mélange encore plus, ça amène encore plus
de différence, d'ouverture et de mixité donc ouais je pense que vraiment... Bon déjà c'est un
sport co aussi où ça nécessite une dizaine de joueurs donc ça fait plus de monde. Encore une
fois, je pense que c'est un sport qui est pas cher, et donc qui est ouvert.
Et chez les joueurs français, est-ce qu'il y a finalement une grande différence dans les
223
milieux d'origine ?
Dans le haut niveau ?
Oui.
Je vais répondre sur un a priori. Non je pense que non qu'il n'y a pas de grande différence de
niveau. Aujourd'hui, les critères de détection font qu'on s’intéresse à une certaine population.
Et cette population là elle aussi socialement assez ressemblante.
Autour de quel niveau ?
Plutôt bas.
Des milieux défavorisés, moyens ?
On va dire entre défavorisé et moyen, dans cette sphère là. En France, hein.
Quels sont tes modèles dans le basket et dans le sport, au niveau des personnalités ?
(silence) Ce qu'on peut déjà dire c'est qu'on se rend compte que quand on traverse un peu les
années pratiques, on passe de l'autre côté de la barrière, entraîneur voire dirigeant, les modèles
changent. Voilà. Donc moi j'ai toujours été assez fan de Michaël Jordan quand j'étais
pratiquant aujourd'hui que je suis un peu entraîneur dirigeant je suis assez fan d'entraîneurs
aussi, dont j'entends les discours et qui m'interpellent quoi. Qui me font dire « ah ouais, ça ça
me fait vibrer, ça ça me fait pas vibrer ». Des mecs comme Jean-Louis Borgues par exemple.
J'le dis sinon j'vais m'faire virer : des mecs comme Fred Sarre. (rires) Si je dépasse le cadre du
basket, heu, voilà, il y a beaucoup d'entraîneurs de foot qui ont un rôle un rôle un peu de
manager, avec un vision un peu globale, heu, des mecs comme Arsène Wenger, des Ferguson,
des mecs comme ça, des mecs qui durent avec des résultats, avec un club au très haut niveau.
Alors, il font pas tout tous seuls, hein. Tu vois un Popovich aux Spurs, ce genre de
personnages qui ont plus d'une facette.
Recentrons sur le club. Est-ce que des joueurs du centre de formation intègrent l'équipe
pro ?
Ah oui. Là, aujourd'hui dans l'équipe pro y'a deux joueurs qui ont été formés en partie ici
Octavio Da Silvera et Jérôme Sanchez. D'autres joueurs aussi qui ont fait un parcours « centre
de formation » et qui ont éclot dans d'autres équipes pro comme Charles Bronchard ; Y'en a
p't'être un ou deux encore. Si on cherche encore plus loin, Jérome Monnet qui est un pur
produit du centre de formation. Aujourd'hui les passerelles elles existent parce que toute
l'année les cadets France, au moins pour cinq ou six d'entre eux, se sont entraînés avec les Pro.
N'avaient pas malheureusement la possibilité de jouer, d'être sur la feuille, parce que heu –
c'est une aberration réglementaire-pas de contrat pas de chocolat. C'est con mais c'est comme
ça. Et l'intégration continue puisque Tony va faire partie du groupe des douze l'année
prochaine, on l'espère peut-être dans deux ou trois ans du groupe des dix. Nicolas qui en
équipe de France en ce moment on espère aussi le conserver pour le rentrer dans les pros.
Donc oui, c'est quelque chose qui existe et qu'on veut faire perdurer parce que de toutes
façons c'est l'objectif d'un club aussi de former. En tout cas c'est le mien, c'est ma vision du
224
sport. On aura jamais assez de dollars pour faire du Chelsea ou du Manchester city ou de tout
ce qu'on veut. Donc former, c'est plus long, c'est sûr. Mais c'est plus gratifiant.
Aujourd'hui combien de joueurs du centre de formation ont des chances de devenir
pro ?
Aujourd'hui ? Un ou deux.
Lesquels ?
Nicolas et Dorian. Sans compter Tony qui sort des cadets France, qui reste dans le centre de
formation, donc ça fait trois.
Tu peux me donner un classement par chances de devenir professionnel un jour ?
Oui. Alors dans l’ordre : Nicolas, Tony, Dorian. Après je vois même pas comment faire un
classement, ils ont aucune chance…Bon on va dire François, Luc, Quentin, Ronny, Steed,
Chris. Ca c’est dans l’ordre mais c’est des joueurs moyens, ils peuvent pas être pro un jour. Et
puis les trois derniers…Non il en reste deux c’est ça ? Yven et Marius. Là c’est
catastrophique.
Est-ce qu'ils sont conscients de ça, ceux qui ont des chances de réussir et ceux qui en ont
moins ?
Oui. Ceux qui ont peu de chance de réussir le savent très vite. Et ils se recentrent aussi très
vite sur l'essentiel, c'est à dire le scolaire. Et ceux qui ont une chance de réussir le savent mais
le matérialisent pas, il s'en doutent pas. Aujourd'hui, p'têtre qu'un Nicolas commence à s'en
douter parce que l'équipe de France, parce que si, parce que là. Mais même un Tony à qui on
parle de conditions de contrat, c'est dur à matérialiser pour lui, il se rend pas compte. C'est
peut-être une mentalité franco-française.
Et quelle place vous accordez aux études ici ?
La première. La première, parce que c'est un discours qu'on tient... mais que beaucoup
d'autres doivent tenir. C'est à dire qu'il y a plusieurs choses qui peuvent arriver. Une carrière
ça peut être court, une carrière ça peut être brisé en une blessure, et une carrière ça peut durer
juste le temps de gagner correctement sa vie mais pas de devenir rentier donc derrière... Y' a
un gouvernement de gauche maintenant donc peut-être que l'âge de la retraite va revenir à des
âges raisonnables mais il faudra bosser derrière. Qui dit bosser dit avoir une situation donc...
au moins avoir une compétence ou deux autres que savoir jouer au ballon.
Est-ce que pour les joueurs aussi le lycée tient la première place ?
Je pense qu'en général ils sont assez conscient qu'il faut obtenir son bac, ça c'est un premier
pas qui paraît bien acquis dans leur tête ; Au-delà, après, c'est difficile à dire parce que le bac,
c'est à la fin de l'année cadet, donc derrière on bascule soit sur espoir ou pro, ça peut être un
choix à faire à ce moment-là, ou en tout cas au début des études secondaires. Donc j'pense
225
malgré tout jusqu'au bac y'a aucun souci à se faire, la priorité on sait où elle est. Après, heu,
c'est un petit peu difficile à dire. Et j'pense qu'après le rêve basket prend plus de place que
l'obligation scolaire.
Comme il n'y a pas d'espoir ici, vous êtes peu concernés...
Non, mais l'exemple de Tony, où il a décidé de faire un BTS en trois ans, tout en intégrant le
groupe pro pour les entraînements etc... donc heu c'est une forme d'après bac et de poursuite
sportive au sein du club même si y'a pas d'espoir et puis de toutes façons ça dure encore un an
puisqu'à la fin de
la saison prochaine y'aura soit les juniors, soit les espoirs, donc une continuité de la formation
jusqu'à 21 ans.
Et pour ceux qui ne deviendront pas pro, vous prévoyez une reconversion ou c'est le
lycée qui s'en occupe ?
On fait un accompagnement léger. Mais, non on prévoit pas de reconversion. C'est eux qui
tracent leur chemin. Ils obtiennent leur bac. Ils font leurs vœux en terminale comme tous les
terminales. Et puis après ils essaient d'associer au mieux les deux projets. Si c'est un projet qui
peut se faire entre nationale 3 et fac et bien très bien. Si c'est fac de médecine et qu'il faut faire
du loisir en basket, très bien aussi. Après, le club heu... Nous notre démarche... On a pas les
moyens d'aller jusque là quoi. En terme de temps, d'investissement humain... voilà c'est... on
les encadre du temps qu'ils sont là mais quand leur parcours se termine en centre de
formation , si le bac a été obtenu, bon bah derrière c'est une nouvelle vie quoi. Sans nous.
D'où ils viennent principalement, les joueurs recrutés ?
Région lyonnaise, 'fin, région Rhône-Alpes. On instaure pas de quota parce qu'après c'est le
genre de choses qui revient comme un boomerang dans la gueule de gens, les quotas. Mais
bon, voilà, on essaye de recruter localement, même si localement on passera toujours derrière
des gros clubs comme Chalon, l'ASVEL, Roanne, etc, que le cercle restera toujours à 3m05.
Si on doit aller chercher des grands, on doit aller chercher dans des viviers plus étoffés
comme la région parisienne ou après une expérience qui a été tentée ici aussi... l'Afrique quoi.
Mais là c'est une autre organisation, c'est d'autres compétences, c'est un autre accueil, donc
voilà. Mais en général, là sur l'équipe de l'année prochaine, 85/ 90% de l'équipe sera Rhône-
Alpes.
À ton avis, de quel milieu social sont issus principalement les joueurs ?
Et ben on va dire que là, sur cette équipe encore une fois de l'année prochaine... bon y'en a je
connais pas trop pour les nouveaux là parce que j'ai pas encore forcément rencontré sur le
plan familial mais je dirais moitié moitié entre la catégorie dont on parlait tout à l'heure là –
défavorisée,... - et une autre moitié confortable.
A ton avis dans les autres centres de formation c'est comment ?
C'est par le bas.
226
Comment ça se fait ?
Moi, à mon avis, c'est à cause effectivement de ces critères de sélection et de détection qui
sont essentiellement physiques, athlétiques. Et voilà, on parle beaucoup d'intelligence de jeu à
développer mais on parle peu d'intelligence tout court à la base. Donc bon, je suis pas en train
de dire qu'on recrute que des abrutis mais à priori, faut courir vite et sauter haut. Et puis
surtout être sûr qu'on soit bien grand à un moment donné quoi. Bah du coup, ça se concentre
sur un morphotype qui existe dans certaines catégories sociales. C'est pour ça qu'a priori on
est plutôt sur des morphotypes de black, de grands, des mecs qu'on voit beaucoup en région
parisienne, dans les centres de formation, y'a beaucoup d'africains aussi tous les centres de
formation, et donc plutôt des catégories pas aisées.
Quel est le but du centre de formation ?
C'est que quand ils sortent d'ici, qu'il y aient passé un an, deux ans ou trois ans, ils soient
premièrement meilleurs hommes que quand ils sont rentrés, meilleurs basketteurs que quand
ils sont rentrés, qu'ils aient progressé sur le plan scolaire. Et qu'on les ait fait s'épanouir un peu
et se responsabiliser un peu. Voilà. Et après s'il peut y avoir une réussite sportive par dessus
tout ça, je dirais tant mieux. Mais pour moi, c'est ma vision personnelle des choses, c'est pas
la réussite principale que j'attends au centre de formation. C'est à dire que quand ils sortent de
là, ils savent s'acheter un truc sans demander à leur mère, ils savent passer un coup de fil sans
faire « hum han hin », se tenir à peu près bien, tu vois, être des gens quoi. Des gens.. Ecrire
des textos sans 8000 fautes.
Et pour eux que représente la JL, à ton avis ?
Aujourd'hui... (silence) un tremplin. Ni plus ni moins. C'est à dire qu'aujourd'hui y'a pas
forcément une attache affective pour la plupart des joueurs avec le club parce qu'au départ ils
ont pas fait poussin, benjamin, minime ici. Ils arrivent en général ici en minime ou un cadet.
Ils voient d'abord ici un centre de formation. Qui s'appelle JL Bourg Basket. Mais un centre de
formation. Après ce qu'on va y mettre dedans pendant les années pendant lesquelles il vont
fréquenter le centre, c'est p't'être ce qui va rester après dans cinq, dix, quinze ans. On a fait des
bilans hier avec ceux qui sortent là, avec les cadets qui sortent et effectivement ils nous ont
dit avoir passé de belles années sur le plan humain. Après, ce sera pas des pros au basket, ça
ils le savaient, il s'en doutaient mais en tout cas voilà, ils... ils auront un petit réseau de
copains, d'amis, qu'ils comptent bien garder dans le futur quoi.
Dernière partie sur le sport pro. Qu'est-ce qui caractérise le sport professionnel à ton
avis ?
Gagner de la thune. Aujourd'hui, voilà, c'est ça. Bon, y'a le foot bien entendu mais bon...
maintenant c'est essayer de se mettre à l'abri le plus vite possible, pour soi et sa famille en
gagnant des sommes incroyables rapidement en faisant un sport.
Est-ce qu'il y a une différence entre le basket et les autres sports ?
Non. Non parce que même ceux qui aujourd'hui gagnent très peu ont le rêve d'aller gagner
beaucoup parce que tous n'ont pas les pieds posés sur terre donc voilà, ils espèrent. A tort
227
souvent mais ils espèrent. Donc voilà je pense pas qu'il y ait une différence aujourd'hui entre
le basket et les autres sports.
A ton avis les joueurs du centre de formation qui aspirent à devenir pro, c'est dans ce
but là ?
Pour l'instant ceux à qui on pense, dont on a parlé, non. Non. Par contre l'aspect financier,
aujourd'hui, a déjà une place dans la discussion. Même s'il est très très... il est mineur. Il y a
forcément un accompagnement financier à faire et les parents ou les joueurs ne voient pas
d'autre façon de faire que de les accompagner sur le plan financier. On a beau mettre des
structures, des entraîneurs, des entraînements de qualité, tout ça c'est bien. Mais combien ça
va me rapporter quand même ? Même si c'est 200€ par mois, mais si c'est 400, même si c'est
la moitié d'un appart. Donc voilà, aujourd'hui pour certain j'pense que c'est encore quelque
chose de flou. Mais derrière aussi, y'a quand même, devenir pro c'est gagner de l'argent.
Est-ce que les jeunes qui rentrent au centre de formation aspirent à devenir pro ?
Oui.
Qu'est-ce qui les attire ?
Je pense que c'est une forme de reconnaissance individuelle, sociale, médiatique, l'image d'un
Parker. Devenir quelqu'un. Devenir quelqu'un de représentatif, qui compte, qui pèse. Voilà.
Très peu me disent aujourd'hui c'est vivre des aventures humaines avec un groupe, c'est
gagner des titres, c'est faire des concours de qui pisse le plus loin sous la douche. Non. Pas ça.
Est-ce que tu penses que les joueurs espèrent que leur vie sera plus facile s'ils deviennent
pro ou pas ?
A coup sur oui. Encore une fois en relation avec l'argent, en relation avec l'image que les
autres ont d'un sportif ; aujourd'hui les pros ils pensent que tout leur est du : ils doivent gagner
beaucoup d'argent, quand ils arrivent quelque part des fois ils ne comprennent pas pourquoi ils
doivent payer quand ils vont au restaurant alors que... « mais on est de la JL, on est pro » Oui,
ben oui, mais tu payes ta part. Donc oui, oui.
Est-ce qu 'à ton avis le sport permet aujourd'hui une ascension dans la vie sociale ?
C'est-ce que tous recherchent. Est-ce que ça la permet ? Oui. Sport pro, oui. Ah oui, oui, sans
aucun problème.
Pourquoi ?
Pourquoi ça la permet ? Parce qu'il y a une exposition, aujourd'hui le sport pro c'est une bulle
qui a l'air de vivre un peu en marge de toute forme de crise parce qu'aujourd'hui on parle de la
crise partout mais dans le sport on signe toujours de gros contrats à gros coups de millions, on
fait des pubs avec des sportifs, on utilise les images des mecs à droite et à gauche. Le
discours, et moi, là je l’expérimente moi même qui ai été ancien sportif, c'est qu'aujourd'hui je
fais passer des choses avec des entraîneurs, alors d'autres entraîneurs encore meilleur que moi
228
avant ont essayé, mais comme ils ont pas cette image d'ancien sportif etc, et ben ça avait
moins de poids. Donc voilà, moi je pense que toute cette exposition là, ça permet une
ascension sociale.
Là, on parle d'ascension en terme de reconnaissance. Est-ce que c'est aussi financier ?
Dans la réalité des faits pas pour tout le monde. Elle est extraordinaire pour certains mecs.
Encore une fois ceux qui traversent l'Atlantique. Mais ceux qui restent en France. Elle est pas
extraordinaire mais elle reste bien au delà de ce que gagne un travailleur lambda en France.
Aujourd'hui des joueurs de rotation en Pro A gagnent plus de 10 000 euros par mois. Même
des cadres avec beaucoup de responsabilités dans des boites, qui font beaucoup beaucoup
plus d'heures gagnent pas 10 000 euros par mois. Donc malgré tout ça reste dans le basket
comme dans d'autres sports, comme dans presque tous les sports -le hand, le rugby- des
sommes hors normes quoi.
Est-ce que tu penses que c'est un rôle du sport, de permettre cette ascension ?
Non, en puriste je pense que c'est pas la première ascension que le sport doit permettre. La
première ascension c'est-celle dont je te parlais tout à l'heure, quand les joueurs sortent du
centre de formation. Voilà, c'est-cette ascension humaine, cette progression de l'individu dans
toutes ses composantes. Après, encore une fois, si ce mec là, qui est bien dans ses pompes, qui
est respectueux, humble, travailleur, il peut gagner de l'argent par son activité, je dirais, voilà,
c'est la deuxième ascension. Mais c'est pas l'ascension prioritaire. Et c'est là aujourd'hui qu'on
se trompe, que les familles se trompent en inscrivant leurs gamins dans les centres de
formation, en inscrivant plutôt leurs gamins au foot qu'au rugby, même si les gamins
préféreraient faire du rugby. C'est comme si on dit à nos enfants « Va plutôt passer ton bac
parce que t'aura l'air moins con que si tu veux apprendre à être boulanger » alors que si le
gamin il aime être boulanger, il gagnera bien sa vie en étant boulanger parce qu'il le fera avec
passion. Donc, non, je pense pas que ce soit la première ascension que le sport doit permettre.
Est-ce que la méritocratie existe dans le sport ?
Non, il y a aussi les notions de critères physiques : par exemple, un mec qui fait deux mètres
dix mais qui arrive pas à mettre un tir, bah on a quand même besoin d'un mec de deux mètres
dix, parce qu'il fait deux mètres dix on va le prendre. Et un gamin plus petit qui va être joueur
banal, qui va être noyé dans une forme de masse on le prendra pas même si c'est un gros
bosseur, même si... donc c'est pas forcément le plus méritant.
Est-ce que tout le monde peut réussir à percer dans le sport ?
Non. Ben non. Il faut déjà soit c'que je viens de te dire, un minimum de... soit un critère que
les autres ont pas, soit du talent, ça tout le monde n'en a pas. Si t'as pas de physique, pas de
talent, mais que t'es un gros bosseur, tu n'y arriveras pas quand même parce que les exigences
du jeu et du haut niveau font qu'aujourd'hui faut avoir du physique, du talent et être bosseur.
Donc tout le monde ne peut pas y arriver.
Et à ton avis, qu'est-ce qui a permis aux joueurs du centre de réussir dans le basket en
règle générale ?
229
Il y a une place primordiale de l’entourage parce que si l’entourage voit trop trop vite, trop tot
ça brise une carrière. L’inverse c’est pareil. Il faut que l’entourage s’organise dans l’équilibre
autour de la vie du pro. C’est-ce qui fait qu’une carrière est bonne ou non, voire même
possible ou non.
Est-ce que c’est plus facile de réussir quand on a plus d’argent ?
Pas du tout, ce n’est pas une question d’argent. C’est de la volonté. L’argent n’a rien à voir là-
dedans. Je suis désolé mais je dois y aller, j’ai une réunion. On s’appelle pour compléter si tu
veux.
230
Entretien avec M. Madeleine, Réalisé le 23 avril 2012
J’ai déjà rencontré M. Madeleine pour une précédente recherche. Je lui explique la raison de
ma venue cette fois-ci et nous parlons un peu des résultats de ma dernière enquête. Je sais
qu’il est très occupé et a déjà confiance en moi, je décide de ne pas lui poser les questions
censées le mettre à l’aise et me faire gagner sa confiance. M. Madeleine est professeur d’EPS
dans un collège privé de Bourg-en-Bresse à mi-temps et est entraîneur du centre de formation
de la JL Bourg depuis 10 ans. Nous commençons immédiatement.
Question : Est-ce que vous pensez que le basket est un sport où il y a une grande mixité
sociale ?
Réponse : Une grande mixité sociale ?le basket avec une grande mixité sociale ? bah c’est un
essentiellement tourné vers les aspects masculins je pense
hum hum
Euh la preuve en est que ce soit dans les ligues ou que ce soit dans les fédérations, on essaie
de plus en plus de développer la mixité, donc non je ne pense pas que soit un sport euh
réellement mixte quoi
Et au niveau des provenances on va dire de classes sociales, en termes d’origine…
Je pense que ouais, ça touche plus, je pense que c’est assez uniforme…
Ok, d’accord et est-ce que c’est un sport qui fait rêver aujourd’hui, les jeunes ou pas, le
basket ?
Non je pense que le sport en général fait rêver les gamins, ça c’est sûr. Après je suis pas sûr
que le basket aujourd’hui fasse plus rêver que le foot, plus rêver que le tennis, j’en suis
persuadé on va dire. Voilà, moi pour avoir beaucoup de gamins dans mes classes en tant
qu’enseignant, peu de gamins pratiquent le basket de manière générale, dans la tranche 15-17-
20 ans, la tranche que moi j’ai, y’a peu de basketteurs, je suis pas sûr que ça fasse rêver
beaucoup de gamins. Par contre ceux qui ont mis les pieds dedans, qui rêvent un jour ouais de
faire du basket de haut niveau ouais ça sûrement, mais je suis pas sûr que le basket d’une
manière globale fasse rêver les jeunes
Et à quoi c’est dû à votre avis que… ça fait peut-être pas plus rêver les jeunes, voire
même moins a priori?
Chez un gamin ?
Ouais
Oh parce que déjà y’a peu de connaissances de ce sport là, parce que médiatiquement y’a peu,
y’a peu de relais donc voilà, c’est un sport qui est compliqué aussi, alors peut-être que les
gamins, les gamins qui se mettent dedans pour une partie, ne poursuivent pas dans cette
direction voilà, voilà, après… je ne sais pas y’a peut-être, ça a peut-être changé, y’a peut-être
peu d’identification des jeunes vers certains joueurs, il y a quelques années en arrière… euh…
internationalement vous aviez pas forcément, pas forcément de gros exploits donc forcément
un peu moins de médiatisation. Ce qui changera peut-être
231
Ok et est-ce que vous avez des modèles dans le basket ?
Moi personnellement ? Des modèles de joueurs ?
En général…
Des structures ?
Ouais plutôt de personnalités, ouais, de joueurs…
Personnalité de joueur euh… ouais quelqu’un dont je fais souvent référence parce que j’ai eu
la chance de l’avoir et à qui on a tendu une perche pour être le parrain du centre de formation,
c’est Antoine Diot qui véhicule des valeurs qui me sont proches voilà, qui a de l’intelligence
qui a su allier à la fois une carrière sportive et mener à terme tout ça d’une manière judicieuse
avec des vraies valeurs, ouais pour moi lui, c’est quelqu’un qui représente quelque chose
d’intéressant… après euh je suis pas quelqu’un qui m’identifie à des gens donc voilà
Ok et les jeunes actuels du centre de formation, vous pensez, vous pensez que c’est qui
plutôt leur modèle, s’ils en ont ?
Ouais s’ils en ont… alors là je vais peut-être complètement me planter par rapport notamment
à ce qu’ils ont pu te répondre, ce sont des gamins qui sont beaucoup axés quand même je
pense sur les championnats américains… donc pour la plupart soit bah peut-être des Français
mais je vais pas trier j’ai envie de dire, soit carrément des joueurs, des joueurs NBA quoi, je
suis pas sûr qu’ils aient cité beaucoup de joueurs français comme modèle, je peux me tromper
mais…
Non pas beaucoup… pas beaucoup… et donc on va revenir plutôt sur le centre de
formation. Est-ce qu’il y a des joueurs qui intègrent l’équipe pro ?
Alors qui intègre l’équipe pro, alors oui dans le sens où c’est une vraie volonté en fait pour
nous de pouvoir intégrer les jeunes du centre, notamment sur les séquences d’entraînement
hebdomadaires, ça c’est s’est, ça c’est énormément fait cette année de part les différents petits
pépins qu’il y a pu avoir à l’équipe, l’équipe professionnelle, beaucoup de gamins ont pu
intégrer par chance durant la semaine l’entraînement des équipes pro euh deux, voire trois
gamins par séance, ce qui est quand même énorme… euh après bah ma foi toute la difficulté
est de trouver la passerelle entre le joueur du centre de formation, qui est un joueur
essentiellement cadet, donc sur une tranche d’âge 15-18, donc la, le pallier il est hyper
important, autant il peut être fait sur la séance d’entraînement autant après sur la partie
intégrer l’équipe professionnelle et être sur le banc samedi soir, ça, c’est encore autre chose,
parce que la tranche d’âge et puis l’expérience, et euh… et le cursus de formation fait que les
gamins sont encore pas assez aboutis je pense pour pouvoir franchir ce cap, alors après ça
dépend aussi des jeunes… on a eu le cas l’année précédente de Jérôme Sanchez qui était
encore cadet et qui a réussi à intégrer le banc chez les pros dès les weekends puis je pense
qu’on a un ou deux gamins qui peuvent le faire maintenant, après ça dépend de la volonté, à la
fois des dirigeants et du staff, de construire une équipe dans laquelle on peut déjà imaginé
intégrer des jeunes en 9è place, 10ème
place, 12ème
place…
D’accord et est-ce qu’il y a une majorité de joueurs, là actuellement au centre, qui vont
finir professionnel ou pas
Une majorité non, je crois que dans aucun centre de formation les gens peuvent se targuer de,
enfin, d’avoir des joueurs capables, en majorité d’avoir… des potentiels pour évoluer en pro,
maintenant qu’on est ait quelques jeunes sur lesquels on puisse entre guillemets jeter une
232
pièce comme je dis souvent, euh je pense qu’il y en a, bon je ne les citerai pas, mais je pense
qu’à Bourg, on a la chance, depuis trois ans, d’avoir quelques gamins, sur qui on pourra peut-
être compter, pour l’équipe pro j’entends
D’accord et quelle place vous mettez sur les études, dans le centre de formation ?
Ça c’est souvent la question que posent les parents quand ils veulent, quand ils viennent
rendre visite : « quelle place on accorde aux études »… nous, moi depuis que je suis là, la
volonté elle a toujours été de mettre les études au premier plan et de mettre le basket au
second plan, c’est-à-dire bah greffer du basket sur les études, ce qui sera peut-être d’ailleurs
une volonté différente après le passage du bac, donc après le cursus cadet qui sera pour
certains gamins euh… de réussir la démarche inverse, c’est-à-dire de basculer un petit peu on
va dire dans le monde pro mais toujours essayer d’y greffer quelques parties d’études, donc,
avec, pourquoi pas des cours, soit des cours dans des structures qui acceptent ça, c’est-à-dire,
beaucoup d’absentéisme et en fait des cours par module quoi ou alors des cours avec le
CNED et là en fait, on renverse la volonté, nous depuis que je suis ici, c’est 100% de la
volonté sur la réussite du bac pour les gamins, la première de nos réussites et le premier de
nos arguments qu’on met en avant quand on reçoit les gens, c’est de dire que depuis des
années on a 100% de réussite au bac et que 100% des gamins qui ont entamé une démarche
scolaire chez nous l’ont réussie, que ce soit un bac, un bac pro et pour certains qui étaient
vraiment en difficulté, notamment des étrangers, des passages de diplômes, des passages de
brevet du collège, tout ça, ça a été à chaque fois validé, donc voilà, pour nous c’est la
première des missions : poursuivre correctement la scolarité des gamins. Et si les résultats ne
suivent plus ou chutent, on peut priver les joueurs d’entraînement jusqu’à ce que les résultats
remontent. On ne leur laisse pas le choix. Et même pire, on les emmerde tout le temps avec
les cours, on leur rabâche que c’est important, qu’ils doivent avoir leur bac. C’est la priorité
du centre de formation.
Et est-ce qu’à votre avis, pour les joueurs c’est important, est-ce qu’ils se rendent
compte de cette hiérarchie, on va dire, ou pas ?
Je pense parce que sans arrêt ça leur est rabâché… le fait aussi que les joueurs participent à
tous les conseils de classe, des jeunes, le fait qu’ils soient aussi toujours présents à l’étude,
montre bien qu’on a un regard permanent sur ce qu’ils font, donc je pense qu’ils en sont
conscients de ça… ils en sont conscients aussi au travers le fait que parfois ils sont punis
parce que scolairement, ils ont pas donné, ils se sont pas donnés les moyens de pouvoir réussir
donc ça que du coup les gamins, ouais, je pense qu’ils sont conscients de ça, enfin je l’espère.
Les gamins qui jouent ici sont tous au lycée. Et depuis que le centre de formation existe, tous
les joueurs qui sont passés ici sont sortis avec leur cursus entamé réussi. C’est un bac général
pour certain, un bac technique pour d’autres ou bien un engagement en terminal pour ceux qui
dont déjà redoublé. Quand on avait des joueurs étrangers, c’était même un brevet français.
Mais dans tous les cas, ils réussissent. L’école est pour nous une priorité. Mais ils s’entraînent
tous les jours ou presque et forcément, le basket, c’est très très important. Leur vie se partage
entre le basket et les études pendant trois ans. Ils ont peu de temps libre, et on exige qu’ils
fassent les deux à fond. Mais la première priorité c’est les études.
Donc le basket ne peut pas, enfin, selon vous, ne doit pas être perçu selon vous comme
une échappatoire au milieu scolaire ?
Non en aucun cas
Ok
233
Par contre que ce soit un échappatoire dans le sens positif du terme, c’est-à-dire, c’est un
endroit où je vais venir, quelque part, me ressourcer, ça oui c’est un exutoire. C’est la passion
des joueurs qui sont là, le basket et j’espère que jouer au basket leur vide la tête, leur permet
d’être bien. Qu’ils se ressourcent avec le basket mais en aucun cas c’est quelque chose qui va
devenir primordial et qui peut être en remplacement du basket, oui de l’école, oui, ça s’est pas
possible, enfin pas chez nous
Est-ce que c’est le cas dans tous les centres de formation à votre avis, enfin de ce que
vous pouvez en voir ?
Oh je crois que de plus en plus les centre de formation privilégient les aspects scolaires parce
que c’est une demande permanente des parents donc ça c’est une vrai volonté après toutes les
formations ne fonctionnent pas pareil, y’a des structures qui proposent le bac en 4 ans, à
l’entrée de cadet 1ère
année, nous c’est pas notre cas euh donc ils poussent encore plus loin, ils
ont réaménagé mais ça les oblige par contre à avoir une année de plus dans leur cursus, nous
c’est pas du tout la volonté, c’était de greffer la scolarité, seconde-1ère
-terminale, qui
correspondent aux années cadet et ensuite de privilégier l’aspect scolaire et après d’y greffer
le basket, après… je pense que honnêtement les centres de formations, du moins ceux que je
connais sont moins, on un regard important sur les aspects scolaires, parce contre tous ne sont
pas gérés de la même manière
Est-ce que l’aspect scolaire entre en compte dans la sélection des joueurs au début ou
est-ce que vous les corrigez après si ça ne va pas ?
On a un regard d’abord sur les bulletins des gamins, voilà, scolaires, après on un regard sur
les aspects basket, si dans les deux cas tout va bien, pas de souci, si on se trouve face à
quelqu’un baskettement parlant intéressant mais qui est en forte dérive scolaire, c’est clair
qu’on ne le prendra pas, quel que soit le type de joueur, si maintenant on a un basketteur qui
est intéressant, qui est en difficulté scolaire au moment où on va le rencontrer, on va essayer
de prendre des garanties sur sa volonté de s’investir dans ces aspects, si on ressent qu’il y a la
réelle volonté, à ce moment-là on le prendra et on essaiera de mettre en place dans choses
pour que le gamin soit dans les meilleures conditions pour réussir, voilà un petit peu comment
ça va être gérer, tout en sachant que le partenariat qui est fait scolaire est un établissement qui
est quand même on va dire très exigeant au niveau des des gamins, pour nous ça nous met
entre guillemets une pression supplémentaire et des difficultés supplémentaires on va dire
pour intégrer les gamins dans les classes surtout les gamins qui sont en difficulté, alors on
essaie d’allier tout ça mais ce qui est sûr c’est qu’un gamin qui est à la dérive, qui est en
pleine dérive scolaire, surtout comportementale, lui il a aucune chance de venir au centre de
formation. Quand même, On ne prend que des joueurs qui ont dossier scolaire sans problème.
On est très attentif à ça. C’est-à-dire qu’un joueur, même si il est excellent au basket, s’il pose
des problèmes en classe, qu’il a redoublé et qu’il n’a pas corrigé sa façon de travailler ou bien
qu’il a un dossier trop faible, on ne le prendra pas. Pour nous, la première priorité c’est que les
élèves complètent leur cursus. Donc oui, on a déjà refusé des joueurs qui étaient peut être
meilleurs techniquement, qui avaient un plus gros potentiel basket, mais on savait qu’on allait
avoir des problèmes. Et puis pour le contrat avec le lycée St Pierre, si on veut que ça continue,
on doit faire en sorte que les joueurs soient sérieux au lycée. C’est pour ça qu’ils ont un temps
d’étude obligatoire chaque soir. Après, ça dépend des années, des joueurs qui viennent. On
laisse aussi des chances à certains joueurs qui n’ont pas forcément un dossier excellent après
les avoir rencontrer. Mais des fois, comme cette année, ça ne marche pas.
D’accord et d’où viennent principalement les gars qui sont recrutés ?
234
On a entre guillemets aucune aucune limite on va dire de frontière, si ce n’est entre guillemets
la barrière de la langue… on a accueilli des joueurs de tout territoire français, on a accueilli
des joueurs des DOM-TOM, on a accueilli des joueurs du Mali, on a accueilli des joueurs du
Sénégal… on n’a pas de limite et encore, et encore plus nous entre guillemets que les autres,
aussi paradoxal que ça puisse paraître. La bonne et simple raison, c’est que nous on n’a pas…
l’attractivité des grands clubs… euh Villeurbanne, Le Mans, Cholet, Nancy, etc., ce qui fait
que sur le territoire français, on n’est jamais privilégié par rapport aux volontés des jeunes, on
va dire aujourd’hui qu’un gamin qui fait, qui sort de minime qui fait 2m, qui est français, sur
le territoire, qui a un peu de ballon, même s’il en a pas beaucoup, il ne sera jamais pour nous
donc nous si on veut pouvoir lutter par rapport à ces clubs là on n’a pas le choix que d’aller
chercher des gamins d’encore plus loin qui sont après face à des difficultés différentes mais si
on veut pouvoir lutter, faut qu’on puisse recruter ailleurs que sur le territoire français
Et c’est quoi le premier but du centre de formation aujourd’hui ?
Le premier but du centre de formation chez nous ça va être de construire une équipe qui va
correspondre à l’image qu’on veut véhiculer du centre de formation, c’est le premier truc,
deuxième truc, ça va être de former des ados, de construire de hommes, les emmener comme
je l’ai dit tout à l’heure vers la réussite scolaire qui devait être la leur, ce pour quoi ils sont
destinés et petit à petit idéalement d’y intégrer le basket et d’amener chaque gamin à son plus
haut potentiel individuel voilà, ils finiront pas tous pro parce qu’ils en ont pas tous la capacité.
Que le gamin qui en a les capacités, c’est de ne pas le rater voilà et puis le gamin qui avait un
niveau qui était plus proche d’un championnat régional ou national, qu’on puisse l’amener là
où il mérite d’aller et si on a atteint cet objectif à la fois scolaire, d’identité, de construction
d’un ado avec des valeurs qu’on veut véhiculer, de l’amener à son plus haut niveau de basket,
j’estime qu’on a rempli notre mission. Mais dans l’ensemble, les joueurs jouent vraiment le
jeu. On a eu un problème avec un joueur cette année qui n’a pas fait assez d’efforts, et qui n’a
jamais été assez investi. Mais tous les autres bossent beaucoup et font vraiment ce qu’on leur
demande. Ils ont complètement compris ce qu’on attendait d’eux.
A votre avis est-ce qu’ils ont une conscience qu’ils ne seront pas tous pro un jour ?
Ouais je pense qu’ils en ont conscience… même s’ils en ont tous envie je pense qu’au fond
d’eux bah la plupart, j’espère sont conscients que de toute façon… la marche est haute quoi et
comme l’a dit… un gamin lors d’un entretien, c’est vraiment quand on va se mouiller à
l’entraînement des pros la semaine qu’on se rend vraiment compte de toutes les dimensions,
l’écart qu’il peut y avoir entre un mec qui vont faire son métier et un jeune qui est par
forcément prêt.
D’accord, et à votre avis, de quel milieu social ils sont issus principalement, enfin, de
quelle classe, les joueurs que vous avez accueilli ?
En même temps je réfléchis… aujourd’hui dans l’équipe qu’on a…. je dirai d’une classe
euh… moyenne +, d’une classe plutôt correcte tout en sachant que les dés sont pipés, c’est pas
représentatif en fait, c’est pas représentatif, le centre de formation est pas représentatif je
pense de comme on disait tout à l’heure de la mixité sociale pour la bonne et simple raison
que venir au centre de formation de Bourg, pour certaines personnes, ça coûte de l’argent
donc à partir de ce moment-là si les gens peuvent déjà pas financièrement subvenir à ça,
forcément ils seront pas au centre de formation chez nous donc…
Et c’est différent dans les autres centres de formation, vous pensez ?
235
Ouais c’est différent, y’en a pour qui c’est beaucoup plus cher, euh, y’en pour d’autres pour
qui c’est… pour qui c’est pas du tout chez du tout parce qu’ils vont avoir de la gratuité et c’est
le cas chez nous, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne chez nous donc voilà je suis
pas… je peux pas dire grand-chose de plus. En fait chaque centre fonctionne comme il en a
envie, et je sais que certains, surtout dans les niveaux inférieurs, ne donnent pas d’importance
aux études. Chez nous les joueurs sont tous logés au même endroit et on contrôle. A d’autres
endroits, ce n’est pas la même chose.
A votre avis en règle générale, dans les autres équipes que vous rencontrez, dans les
autres centres de formation est-ce que y’a des grands écarts de classe sociale au sein
d’une même équipe ou est-ce qu’on se rapproche quand même souvent d’une classe
moyenne ?
Je pense qu’on se rapproche d’une classe moyenne malgré tout parce que si c’est pas le centre
de formation qui coûte de l’argent ça va être autre chose le gamin il vient de loin bah ça va
être des trajets, ça va être plein de trucs qui font, c’est un état d’esprit, après par contre, les…
les profils de gamins dans les centres de formation en France sont vraiment différents selon
leur lieu géographique et leur niveau quoi, aujourd’hui le centre de formation de Paris il
ressemble en rien du tout à celui de Bourg… celui d’Antibes ressemble pas à celui de… de
Paris… voilà, c’est… c’est pas les mêmes personnes, tout en sachant que si on prend un
compas et qu’on fait un rayon de tant de kilomètres autour de la région parisienne, là on va
trouver des profils qui vont être identiques… à mon sens
D’accord et pour les joueurs qui sont ici à votre avis, qu’est-ce que représente la JL
Bourg ?
Ah ca représente pour eux je pense, ça a représenté l’opportunité pour eux de rentrer dans un
centre de formation, c’est une réelle opportunité pour certains… euh ça ca serait curieux de
savoir, ce que ça représente réellement pour eux… j’en sais rien ce que ça représente pour
eux… toutes les valeurs que nous on voudrait faire passer, je suis pas sûre du tout, je suis pas
sûr de ça, ça représente peut-être l’appartenance à une certaine forme d’élitisme, ça représente
peut-être la possibilité pour eux de s’épanouir dans le sport qu’ils aiment, ça représente
beaucoup d’investissement, beaucoup de contraintes, beaucoup de trucs comme ça, j’imagine
ouais, les ados de 15-18ans, même si on les côtoie tous les jours, on ne sait pas forcément ce
qu’ils pensent
Ouais
On a un rapport en plus qui est… pas qui est compliqué au contraire, qui est simple et qui est
sain et par contre ils ont toujours ce rapport de coach, de coach à joueur sur lequel ils créent
une certaine barrière, y’a des conversations qu’on a pas, parce que je sais pas moi, parce
qu’ils parlent beaucoup plus entre eux qu’ils parlent au coach
Ouais ouais… et vous m’avez dit qu’il y en a beaucoup qui auraient voulu être pro en
tous cas…
Beaucoup je sais pas… je pense qu’au fond d’eux chaque gamin si on lui demande « est-ce
que tu veux être pro » le gamin dit oui…
Oui mais qu’est-ce qui les attire dans ce milieu professionnel à votre avis ?
Je pense que c’est pratiquer, vraiment, le sport qu’ils aiment, être sous le feu de la rampe, une
certaine forme de reconnaissance et je suis même pas sûr que ce soit une question d’argent…
en tous cas aujourd’hui, le gamin, et puis je pense que c’est là qu’ils se mettent le doigt dans
236
l’œil c’est qu’aujourd’hui, des, entre guillemets, des smicards au basket, ça existe… y’a des
gamins, je suis même pas sûr, je suis même pas sûr que les gamins ils le sachent, aujourd’hui,
il vaut mieux être, il vaut mieux avoir un boulot et jouer dans un club de nationale 2 de la
région lyonnaise que d’être premier contrat pro à Bourg le gamin il gagne plus d’argent,
aujourd’hui un très bon joueur de nationale 2, un joueur reconnu de nationale 2, un poste 4-5,
ça coûte 2000 euros par mois mais il peut bosser à côté et il va enquiller 4000 euros par mois,
un joueur de nationale 3, à un poste 3, un bon poste 3, va falloir commencer à lui balancer
800-1000 euros, donc le gars qui va toucher entre 800 et 1000 euros par mois, avec son boulot
à côté, il gagne plus qu’un premier contrat pro quoi
J’ai une anecdote, quelqu’un qui gagne 3000 euros par mois en N3
Oui c’est possible
A côté de Lyon là
Moi je suis, j’ai été effaré, je dis ça parce que je suis tombé sur une pub, j’ai envoyé un gamin
faire un essai dans l’ouest lyonnais donc qui se maintiennent en N2 bon lui c’est un poste… et
ils me disaient « ouais tu connais pas un poste 5, machin » euh des jeunes qui sont passés chez
nous, si j’en connais, je leur ai dit, « ouais parce qu’on est prêt à leur donner 2000-2500 euros
par mois »… putain ! pour jouer en nationale 2, c’est un truc de fou, c’est… nan c’est
incroyable, j’étais tombé sur le cul, j’avais quitté un peu les championnats seniors on va
dire… pfff c’est impressionnant, nan mais c’est vrai je pense qu’il vaut mieux être dans un
championnat fédéral, avoir son boulot à côté, gagner 3…, qu’être premier contrat pro dans un
club comme nous
D’accord, donc au fond ce qui guide leur passion, c’est vraiment une chose basket
Je pense ouais, et d’être sous le feu de la rampe, tout ce qui va avec quoi
D’accord et donc ils pensent…enfin, je vais vous la poser quand même…ils pensent pas
que leur vie sera plus facile s’ils deviennent pro, à votre avis ou est-ce qu’ils pensent
quand même ?
Etre pro, être pro basket, c’est pas un métier ça, c’est pas la vraie vie quoi, ouais ils sont pas
tous comme ça, j’en ai eu un chez moi pendant… pendant bah il était, il est au chômage
pendant deux mois, le mec il est pas dans la vraie vie… je me lève tard le matin, je commence
à déjeuner, je vais faire un tour à la muscu puis je fais ma petite sieste, j’ai mon entraînement
du soir, je rentre, je suis un peu fatigué mais pas trop, je reste sur le net parce que je discute
avec un mec à l’autre bout d’un autre pays jusqu’à 2h du mat’… c’est pas la vraie vie, genre
ouais pour eux je pense que c’est plus facile que d’aller au turbin chaque jour, ça je pense que
oui…
Et est-ce qu’ils ont quand même ça dans la tête ou pas ?
De quoi ? d’être pro ?
Bah non justement, ça de…
J’en sais rien du tout… honnêtement je pense pas, je pense pas qu’ils choisissent ça en se
disant ‘putain on va se la couler douce », je pense pas, on leur dit tellement que c’est dur,
qu’il y a peu d’élus, que c’est dur d’y arriver que ouais, sans doute, à mon avis, ils pensent
pas, attention je dis pas que c’est facile, je dis simplement que c’est pas la vraie vie…
Ca marche et est-ce qu’aujourd’hui vous pensez que le sport permet une ascension dans
la hiérarchie sociale ou pas ?
237
Une ascension je sais pas, une reconnaissance sûrement… euh une ascension… tout dépend
ce qu’on entend par ascension
En gros un changement de classe sociale, en tous cas au moins, parce que là, on va
laisser la reconnaissance de côté, mais au moins en terme de salaire
Bah je pense qu’il y a vraiment honnêtement y’a vraiment de tout, pour certaines personnes,
pour certains joueurs, y’a pas, ça va être une vraie, une vraie ascension sociale, ça, c’est sûr,
pour d’autres honnêtement, je sais pas… j’en suis pas persuadé
Mais est-ce que les gens pour qui ça représente une ascension, pour eux, à votre avis, ils
sont quand même nombreux ou est-ce que c’est un petit nombre ?
Ça c’est la question qu’il faut aller poser au mec d’à-côté, qui est en plein dans les chiffres en
ce moment, boah je pense qu’il y en a quand même une bonne partie qui, pour qui c’est une
ascension sociale, voilà, ça maintenant on voit la partie… la partie émergée de l’iceberg, on
voit pas la partie immergée, après je pense qu’il y a aussi un paquet de mecs pour qui aussi
c’est compliqué, y’a aussi des mecs qui sont au chômage, comme dans tous les jobs, donc
voilà, je pense que ça représente quand même… peut-être ouais une ascension sociale,
attention sur une durée qui est limitée, on est pas en NBA quoi
Ouais
Et encore plus quand on est à Bourg, quoi, c’est pas des salaires qui sont phénoménaux même
si ça représente de l’argent hein pour jouer au basket
Et est-ce que cette ascension possible, c’est un des rôles du sport à votre avis ou est-ce
que ça devrait en être un ?
Est-ce que c’est un rôle du sport ? bah c’est une résultante, est-ce que ça a un rôle, dès
l’instant où on va rentrer dans une volonté de développer un sport professionnel, ça a un
rôle… maintenant est-ce que c’est le rôle premier du sport, non… c’est là toute la différence
entre ce côté-là et puis celui-là, voilà.. c’est pour ça quand on entend des trucs comme des
mecs de nationale 3 à 3000 euros par mois…y’a un truc qui va pas là-dedans, ça c’est pas du
sport pro, c’est du championnat amateur quoi
Et est-ce que la méritocratie existe dans le sport ?
Bah intrinsèquement ouais… je pense que y’a des facteurs limitants mais quand je dis ça
j’essaie de trouver des raisons pour lesquelles y’en a qui pourrait pas… pas percer, dès
l’instant où la personne à toutes les aptitudes physiques… bah on m’a même parlé d’un jeune
qui a fait le tournoi inter-comité, qui est champion de France avec une équipe benjamin et qui
joue avec un bras, au basket… donc voilà… donc je pense pas qu’au départ il y ait un mec qui
soit plus prédestiné à réussir qu’un autre, je dirais même qu’il y en a pour qui ça sera pas, on
mettra plus facilement une pièce sur un que sur un autre, ça je pense que c’est dans tous les
métiers pareils, que ce soit au basket ou dans un autre job… quand on s’appelle fils de ou
voilà, je pense qu’on a forcément un petit avantage au départ voilà, ou sur internet on regarde
le gamin Tchicamboud, s’il s’appelait pas Tchicamboud y’aura pas 50 vidéos sur youtube
voilà même si le gamin il tripote la balle, des gamins comme lui y’en a des centaines en
France, seulement c’est le fils de Steed Tchicamboud, il met une vidéo sur le net et tout le
monde jette un œil dessus… voilà donc après je pense pas qu’il y ait de facteurs limitant.
Et est-ce que c’est plus facile de réussir quand même dans le sport si on a plus d’argent
ou pas, à votre avis ?
238
Bah j’ose espérer que non, de toute façon y’a des sports pour lesquels… là on parle du
basket ?
En général
En général c’est pas forcément vrai, moi je parle d’un sport que je connais parce que ma fille
elle est pratique ça, c’est l’équitation, dans l’équitation y’a un facteur déterminant, c’est
l’argent, ça c’est, ça c’est déterminant on en discutait avec son entraîneur qui est quelqu’un de
reconnu, lui il hésite pas à le dire que demain, c’est jamais, enfin, c’est pas jamais, c’est pas
forcément les meilleurs cavaliers qui gagnent les titres les plus importants, aujourd’hui, un
cavalier qui va gagner les JO, c’est pas forcément les meilleurs cavaliers, c’est-celui qui aura
eu la capacité financière à avoir les meilleurs chevaux, la meilleure préparation ou qui arrivent
à un moment où ça fait de l’argent, si y’a pas l’investissement possible et même dans les
petits niveaux, c’est déjà ça, quand je dis les petits niveaux, c’est déjà dans les niveaux
départementaux et régionaux, quand vous avez une gamine de 14 ans qui monte un cheval qui
coûte déjà euh… 20-30-40 000 euros bah elle monte pas forcément mieux que votre fille mais
vous vous pouvez pas payer un cheval qui coûte 20-30-40 000 boules quoi donc du coup,
dans certains sports ouais, ça c’est sûr que l’argent peut être un vecteur de réussite, dans
d’autres sports, j’y crois pas du tout
Et dans le basket par exemple ?
Bah j’espère pas non, ou alors je sais pas tout mais je pense je pense pas aujourd’hui
quelqu’un qui ait de l’argent puisse réussir une carrière joueur par contre que quelqu’un qui a
de l’argent puisse faire réussir un club oui, ça c’est possible, si on regarde les deux sens
investissements en cours
A votre avis, qu’est-ce qui leur a permis de réussir, réussir au moins à rentrer, à venir
jusqu’à là ?
Hum alors dire un déjà c’est que… chaque gamin qu’on a choisi cette année et depuis des
années comme ça au centre de formation est un gamin qui peut rentrer dans des, dans un
cursus scolaire qu’on pouvait lui proposer par rapport à ce que je disais tout à l’heure ça veut
dire se donner les moyens scolairement de pouvoir réussir, ça c’était le premier critère,
deuxième critère, ça a été que nous par rapport à la construction de l’équipe qu’on veut faire,
chaque gamin pourra avoir un projet, on va dire, dans son, dans son profil, voilà chez nous et
puis pour certains parce qu’on a senti que le gamin il avait non seulement de la motivation et
qu’il avait un truc, donc euh… sur lesquels on essaye de se projeter et de se dire ce gamin là
dans 3 ans, ouais comment on pourrait essayer de le faire évoluer et ce vers quoi il peut tendre
donc on se lance voilà, des fois on se plante, on s’en rend compte tout de suite, des fois on se
plante, on s’en rend compte au bout de 3 ans parce qu’on a pas réussi à l’emmener là où on
avait imaginé pouvoir l’emmener, des fois, c’est le gamin qui se trompe…
Quelle place occupe l’entourage des joueurs dans leur réussite au basket ? Sans famille
qui accompagne, est-ce possible ?
Une place immense. Ils ont un très très grand rôle. Pour moi c’est-ce qui fait toute la
différence entre des joueurs qui ont à la base, a priori, le même niveau. Parce que si les
parents mettent une trop grande pression, s’ils parlent tout le temps de professionnalisme, de
résultat, d’argent et tout ça, le gamin il explose au bout d’un moment. Y a des parents, ils
voient leur gamin en centre de formation ils pensent que ça y est c’est bon, ils sont pros et
riches. C’est pas le cas du tout, on essaye de leur expliquer. Mais y en a qui vivent leur rêve
par procuration avec leurs enfants. Enfin quand t’entends ce que te disent les parents et la
239
passion qu’ils mettent à chaque match c’est fou. Vraiment c’est fou. Donc forcément, le
gamin qui a toujours entendu parler de sa réussite, qui voit tout le monde derrière lui, il
choppe un boulard énorme. Et même s’il était très fort, parce que très technique ou très
athlétique, en étant jeune, quand il arrive à ce niveau il se casse la gueule. Et même des
joueurs qui intègrent l’INSEP282
ou qui sont en équipe de France jeune ça leur arrive. Parce
que la réussite, à moins d’être un champion hors norme, ce qui arrive des fois, c’est avant tout
de l’humilité. Et l’humilité c’est tes parents qui te l’apprennent, dans leur façon d’éduquer.
Alors bien sûr à l’inverse, les parents qui s’en foutent et qui ne poussent pas leur gamin, ou
bien qui ne voient jamais rien et qui suivent ça de loin parce que comme ça il est plus chez
eux, c’est pas mieux. Puisque à un moment il manque l’effort, l’aide qui permet d’aller tout au
bout du projet. Nous on essaye de l’apporter, bien sûr, mais on remplacera jamais le boulot
des parents. Et tu vois pour Antoine Diot, dont je te parlais tout à l’heure. Et bien je suis, mais
alors persuadé que sa réussite il l’a doit énormément à ses parents. Son père c’est mon
collègue donc je le connais très bien et sa mère aussi. Du coup j’ai vu tout le travail qu’ils ont
fait avec lui. Ils lui ont toujours montré l’importance des études, que le sport ne suffisait pas
pour être bien dans sa tête. Ils ont toujours voulu qu’il garde quelque chose à côté pour
s’ouvrir, pour ne pas se fermer sur le sport. Les joueurs qui se ferment et qui oublient qu’il y a
autre chose à côté, une vie réelle, ils font rarement une grande carrière. En France en tout cas.
Les parents d’Antoine lui ont toujours appris ça. A prendre étape par étape, à pas se brûler les
ailes. A voir d’abord le sport comme un jeu. A insister sur la possibilité de blessure et donc
que tout peut s’arrêter d’un coup. Et pas à réfléchir en termes d’argent qu’il pourrait y avoir à
la sortie. Tout le temps, tout le temps, tout le temps, ils ont fait en sorte qu’il garde la tête
froide. Et qu’il gagne peut être moins d’argent très vite, ça c’est sûr, mais que sa carrière soit
une grande carrière. Et le résultat c’est qu’il était en équipe de France à 20 ans, à côté des
meilleurs joueurs. Il a su garder la tête froide. Et c’est-ce qui manque à beaucoup aujourd’hui.
Parce que les parents ils voient les même choses que leurs enfants, donc ils rêvent de la
même chose. Et quand rêve des enfants et des parents se confondent, généralement, c’est pas
bon du tout. Sportivement en tout cas.
C’est tout pour moi ! Merci beaucoup.
282
Ndlr : Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance, le lieu de rassemblement des meilleurs
jeunes sportifs français.
240
Documents Licences sportives en 2010 en France
241
« Hiérarchies » sociales de disciplines sportives et cotation de leur
dimension énergétique par rapport à leur dimension technique
242
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