Les actions de groupe, ou « class actions

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Les actions de groupe, ou « class actions »

Yves DELAVALLADE

Pourquoi ce thème

• Il s’agit d’une procédure très en vogue outre atlantique,qui défraye la chronique depuis longtemps et que le législateur français n’a introduite que récemment dans notre droit, car elle heurtait une vielle régle de procédure qui veut que « nul ne plaide par procureur »

• Or une action de groupe peut être introduite par 2 personnes seulement,au nom de toutes les victimes potentielles du même fait, sans en connaitre l’identité.

Définition :

• Une action de groupe ou un recours collectif appelé « class action »en anglais, est une action en justice qui permet à un grand nombre depersonnes, souvent des consommateurs, avec ou sans leur accord, depoursuivre une personne ou une entreprise, afin d’obtenir unedéclaration de responsabilité seulement ou une déclaration deresponsabilité et une indemnisation financière, forfaitaire ou non,limitée à un certain type de préjudices ou non.

La raison d’être des actions de groupe

1° - La nécessité du traitement efficace des dommages de masse

• Selon le professeur Pierre-Claude LAFOND « la reconnaissance des droits reste sans valeur en l’absence de mécanismes de revendication efficaces ».

• On mesure bien que par exemple dans les affaires d’entente sur la téléphonie mobile, ou de manipulations des systèmes d’échappement des véhicules, de nombreuses victimes ne subissent qu’un dommage très faible, insuffisant à justifier les frais d’un procès.

• Sans une action appropriée, ces dommages demeureraient irréparables,

• C’est un peu ce que LA FONTAINE anticipait dans « L’Huître et les Plaideurs ».

• La morale de la fable est la suivante:

« Mettez ce qu’il en coûte à plaider aujourd’hui ;

Comptez ce qu’il en reste à beaucoup de familles ;

Vous verrez que PERRIN tire l’argent à lui, et ne laisse aux plaideurs quele sac et les quilles ».

Il fallait donc trouver un moyen pour qu’il reste aux plaideurs autrechose que »le sac et les quilles. »

• L’idée a donc été de leur permettre de se regrouper pour diviser les frais.

2° - Un instrument de moralisation de l’industrie et du commerce

• Dans un rapport de 2004, la Cour Supérieure du Québec considèreque les recours collectifs ont été un instrument de moralisation ducommerce et de l’industrie par la menace qu’ils font peser surl’économie des entreprises coupables de préjudices de masse.

• C’est précisément l’opinion en France, depuis longtemps du Conseil de la Concurrence et du Sénat.

• Pour justifier l’introduction de l’action de groupe en droit français, le rapport d’information du Sénat du 26 mai 2010, évoquait, pour certaines atteintes aux droits des consommateurs : »une régulation imparfaite de l’économie, faute de sanction adéquate . »

3° - Un intérêt pour les finances publiques

• Les actions de groupe permettent d’éviter la multiplication de recours individuels ayant la même cause et le même objet et de réduire par conséquent le coût de fonctionnement de la justice.

Histoire des actions de groupe

Une origine anglaise

Contrairement aux idées reçues, la « class action » est une action en justice d’origine anglaise et non américaine.

Elle provient de la procédure du « bill of peace » créée par les juges anglais statuant en équité au 17ème siècle,

une utilisation américaine

Cette procédure consistait à permettre à de nombreux demandeurs ou défendeurs de faire juger une question commune au cours d’une même instance.

Il s’agit donc d’une action d’origine prétorienne dont l’essor n’a eu lieu qu’aux Etats Unis et seulement au cours du 20ème siècle, en fait à partir de 1942 date de promulgation des règles fédérales d’équité, en particulier, de l’article 23 des règles fédérales de procédure civile.

Un développement international récentDepuis le milieu du 20ème siècle, ces actions de groupe ou « classactions » se sont développées dans de nombreux pays : le Québec àpartir de 1978, le Brésil, le Portugal, mais lentement et avec denombreuses réticences .

En 1991, un rapport établi au nom de la Commission des AffairesEconomiques du Sénat sur le projet de loi renforçant la protection desconsommateurs mentionnait que l’introduction d’une action de groupeen droit français « ferait de la France une exception parmi les autrespays européens ».

Les choses ont bien changé puisque des actions de groupe sous desformes diverses ont été introduites dans la plupart des législationseuropéennes : Portugal en 1995, Angleterre et Pays de Galles en 2000,Suède en 2002, Pays-Bas en 2005, Allemagne en 2005 et Italie en 2009,et ,sans doute en 2019, au Luxembourg .

La FRANCE

Ce n’est que par la Loi du 17 mars 2014 dite Loi Hamon que la France a pour la première fois mis en œuvre une action de groupe d’ailleurs initialement limitée au droit de la consommation et à la réparation des préjudices matériels, réservée aux associations de consommateurs et limitée à la réparation du préjudice matériel

Les « class actions » aux Etats Unis

Eléments caractéristiques

La « class action » américaine a été créée pour la première fois en 1938, danscertains Etats.

Cette action a fait l’objet d’une importante réforme en 1966.

Ce qui caractérise la « class action » américaine comme d’ailleurs « l’actioncollective » québécoise c’est le système dit de l’opt out.

Il postule que sont réputées incluses dans le groupe toutes les victimespotentielles d’une même action qui n’ont pas manifesté,avant une date ,fixéepar le juge, le désir exprès de ne pas être associées à la procédure collective.

Le droit français pratique le système de l’opt in qui exige au contraire un actede consentement personnel pour être inclus dans le groupe.

Pour admettre la « class action », le juge américain vérifie quatre choses :

Il vérifie

1/ que le groupe se compose d’un nombre suffisant de personnes, tel que la procédure de jonction des actions individuelles serait impossible à mettre en œuvre ;

En pratique les tribunaux s’ils ont jugé recevables des « class actions » pour des groupes comprenant 16 millions de personnes, n’ont toutefois pas accepté celles de 60 millions de personnes car trop délicates à mettre en œuvre,

• 2/ - que les actions des différents individus portent sur la même question de droit ou de fait.

L’office du juge américain

3/ - Il s’assure du caractère typique des réclamations.

4/ - Enfin, il vérifie que les représentants protègent équitablement etconvenablement les intérêts du groupe,

Après avoir vérifié les conditions de recevabilité de la « class action »l’article 23 du Code Fédéral de procédure civile prévoit que « le tribunaladresse aux membres du groupe la notification la mieux adaptée auxcirconstances, notamment, une notification individuelle à tous lesmembres du groupe qu’un effort raisonnable permet d’identifier. »

Ces notifications individuelles sont toujours assorties d’une notificationpar voie de presse ce qui coûte extrêmement cher.

Le rôle des avocats et les règles de procédure caractéristiques du système américain qui ont permis l’émergence des « class actions »

1/ - Les « contingency fees » qui permettent aux avocats américains depratiquer des honoraires de résultat exclusivement et corrélativementd’accepter les risques inhérents aux « class actions ».Il faut savoir qu’aux Etats Unis ou au Québec, ce sont les cabinetsd’avocats qui prennent le risque financier de la procédure : ils avancentles frais qui peuvent être énormes (expertise, etc.) et ne demandentd’honoraires qu’en cas de succès.L’affaire ENRON par exemple en 2008 a donné lieu au versement de688 millions de dollars d’honoraires aux avocats des plaignantscorrespondant à 9,52% du montant des dommages & intérêts attribuésà toutes les victimes potentielles.

2/ - La procédure de « discovery » qui impose aux parties decommuniquer à l’autre tous les éléments en sa possession sous peinede sanctions pénales et de sanctions financières très lourdes ;

3 – et son corollaire, les « punitive damages », autrement dit lesdommages & intérêts punitifs qui permettent au juge en cas demensonge d’une partie ou de rétention des preuves en sa possessionde prononcer des dommages & intérêts sans commune mesure avec lepréjudice subi mais en rapport avec le chiffre d’affaires de l’entreprise.C’est ce qui explique les sanctions extrêmement lourdes qui ont étéprononcées dans certaines « class actions » par la justice américaine.C’est un modèle qui est suivi par les tribunaux ou autoritéseuropéennes en matière de concurrence par exemple.

Une procédure contestée

• Aux Etats Unis, les « class actions » sont monnaie courante et hyper médiatisées mais présentent plusieurs travers, notamment celui d’inciter les avocats à accepter facilement des transactions pour obtenir rapidement le remboursement de leurs frais car très souvent, l’avocat travaille gratuitement et se rémunère au résultat.

• Elles sont diversement appréciées ; les milieux économiques les craignent et dénoncent le rôle des avocats

• Cette procédure a été décrite par un juge américain (le Juge LUMBARD) dans l’affaire EISEN contre CARLISLE en 1968 comme « le monstre de Frankenstein ».

• 90% des « class actions », bien que certifiées ne vont pas jusqu’à leur terme car elles se terminent par une transaction.

• Mais elles sont considérées globalement comme utiles pour les consommateurs (il suffit pour s’en convaincre de se souvenir de la notoriété de Ralph Nader)

Quelques exemples de « class actions » fameuses aux Etats Unis

1/ - Celle conduite par Erin BROCKOVICH.

• Cette autodidacte a révélé une affaire de pollution des eaux potables à HINKLEY en Californie. Elle découvre que des centaines de personnes ont été intoxiquées par une pollution des eaux.

• Elle obtient de la société Pacific Gas & Electric Company une indemnisation de 333 millions de dollars.

• Cette affaire a donné lieu à un film fameux avec Julia Roberts dans le rôle principal.

2/ - Les « class actions » contre l’industrie du tabac.

Les avocats ont obtenu au nom des « fumeurs cancéreux de Floride » l’équivalent de plus de 150 milliards d’euros dans les années 1990.

Au total, les industriels du tabac ont versé 368 milliards de dollars en l’espace de 25 ans.

3/ - Dans les litiges concernant l’industrie de l’amiante, plus de 160 milliards de dollars ont été versés aux victimes ou aux familles des victimes.

4/ - L’affaire NUTELLA est sans doute la plus étonnante. Les américains qui ont acheté un pot de nutella entre janvier 2008 et le 3 février 2012 peuvent obtenir 4 dollars de dédommagement car NUTELLA avait caché que sa pâte à tartiner comportait trop de calories.

Au total le coût de cette « class action » pour FERRERO, le fabricant, atteint 3,05 millions de dollars.

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5/ - Enfin une « class action » a marqué les Français et explique peut-être l’apparition de l’action de groupe dans le droit français : il s’agit de l’affaire VIVENDI.

Le 18 juillet 2002, une « class action » a été introduite devant le Tribunal de New York, reprochant à VIVENDI UNIVERSAL d’avoir masqué les difficultés financières de l’entreprise.

Les plaignants étaient les actionnaires individuels ayant acheté des actions de l’entreprise.

VIVENDI étant coté à la fois aux Etats Unis et en France, les petits porteurs français se sont joints aux plaignants américains et ont gagné en mars 2007 le droit de pouvoir participer à cette « class action » en se faisant représenter aux Etats Unis.

Le juge fédéral américain qui a accepté cette intervention d’actionnaires français s’est fondé sur le fait qu’il n’existait pas en France de procédure comparable leur permettant effectivement d’être indemnisés dans des conditions comparables à celles du droit américain.La société VIVENDI a essayé d’arrêter cette procédure américaine en saisissant la justice française pour contester la recevabilité des plaignants français devant le juge américain. Elle les accusait de faire du « forum shopping » constitutif d’une faute. La Cour d’appel de Paris par un arrêt du 28 avril 2010 a au contraire admis cette action extraterritoriale contre des sociétés françaises par des demandeurs français.Cette « class action » américaine a coûté globalement à VIVENDI 9 milliards de dollars.

Les actions de groupe ou actions en reconnaissance de droits en France

• Ce n’est qu’en 2014 que ces actions de groupe ont été introduites.

• Limitées initialement au droit de la consommation elles s’étendent aujourd’hui :

✓au droit de l’environnement,

✓au droit de la santé,

✓au droit du travail et en particulier à la lutte contre les discriminations,

✓au droit de la concurrence,et au droit boursier,bien entendu,

✓et depuis la récente loi du 20 juin 2018 qui adapte le droit français au droit de l’Union Européenne, à la protection des données personnelles notamment en matière informatique ;

• Enfin la loi de modernisation de la justice de novembre 2016 a permis d’introduire des actions collectives contre des personnes morales de droit public ou les organismes de droit privé chargés de la gestion d’un service public.

• Cela va-t-il nous rapprocher des justices nord américaines où des actions de groupe ont permis la condamnation d’Etats (la Californie ou la Floride) ou d’opérateurs publics en matière de distribution d’énergie électrique au Québec ?

• Il est trop tôt pour le dire

Le sort des actions de groupe à la Française

• Un article paru dans la revue Capital le 22 mai 2018 a évoqué « lebilan catastrophique des class actions à la française ».

• Il tient sans doute à ce que l’engagement de ces procédures en Franceest réservé à quelques associations agrées de consommateurs, quin’ont ni les moyens financiers ni les moyens techniques d’engager cegenre de procédures.

• Une des associations autorisées a évoqué un budget de 50 000 €uniquement pour le lancement de la procédure et ces associations,contrairement aux avocats américains, ne peuvent pas prélever sur lemontant des indemnités accordées par le juge.

• Monsieur MUSSO, directeur des relations institutionnelles au sein del’UFC (Union Fédérale des Consommateurs) s’est plaint de ce que lesactions de groupe dans le domaine de la consommation étaientlimitées au préjudice économique « cela exclut de réclamer unpréjudice moral, ce qui nous a empêché par exemple d’engager desprocédures contre VOLKSWAGEN ou LACTALIS ».

12 actions de groupe

• Il n’y aurait eu dans le secteur de la consommation que douze actions de groupe lancées depuis 2014, la première contre FONCIA pour des charges indues facturées à des locataires qui s’est terminée par un jugement d’irrecevabilité du Tribunal de Grande Instance de Nanterre.

• D’autres procédures ont été engagées contre AXA et AGIPI, SFR, L’IMMOBILIERE 3F, BMW, BNP PARIBAS, FREE ou NATIXIS.

• Enfin SANOFI est visée par une action collective dans le dossier DEPAKINE.

L’action de groupe européenne

• En avril 2018 la Commission a publié une proposition de Directive introduisant un mécanisme d’action de groupe à l’échelle de l’Union Européenne

• Cette proposition a reçu un avis favorable le 18/11/2018, de la Commision du Marché intérieur du Parlement européen.

• Systéme de l’Opt out

• Réservé aux Associations de consommateurs agrées

• Domaines :environnement, énergie, services financiers et santé

• Conséquence des affaires « diesel gate » et « Cambridge analytica »

• Forte opposition de Business Europe

Conclusion

Peut-on tirer une conclusion de tout cela ?

Peut-être est-on allé trop loin dans les restrictions pour éviter les excès des « class actions » américaines.

« Il n’est rien qui soit si souvent, si lourdement et largement faillible que les lois », écrivait Montaigne.

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