Les passeurs

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Les passeurs

Les passeurs

I - Suite blanche

II - Les chevaux du lac Ladoga

III - Panser

IV - Transis

V - L’homme du talus

“Le silence a une surface.”

Denis Roche

Sous le ciel d’hiver, opaque et dense comme une immense boîte à lumière, je suivais les traces de quelques êtres persistant miraculeuse-ment. Dans leurs empreintes, la vie s’estompait doucement sans disparaître toutefois. J’aurais voulu tendre la main pour retenir une apparition, effleurer un corps ou une portion de sol encore chaude... Je photographiais les reliquats de ce qui demeurait insaisissable, les formes dans lesquelles semblait s’accomplir le passage mystérieux du visible au caché, du solide au gazeux, du tangible au mental.

I - Suite blanche

II - Les chevaux du lac Ladoga

Dans les archives du musée de l’université de Helsinki, j’ai sélectionné, prélevé et re-photographié des fragments de tirages anciens, dont la matière granuleuse, imprécise et abîmée, entrait en résonance sourde avec la matière sensible qui recouvrait tout cet hiver là. Parmi les archives médicales, vétérinaires et militaire, il y avait un tiroir consacré à la présence des animaux sur le front de la Guerre d’hiver (conflit finno-soviétique qui éclata avec l’invasion de la Finlande par l’Union soviétique en 1939). Dans son roman Kaputt, Curzio Malaparte raconte un épisode de ce conflit, supposé ou légendaire, lors duquel des hordes de chevaux fuyant une forêt en flammes se seraient retrouvées piegées dans les eaux du lac Ladoga qui auraient gelé subitement. Il décrit la vision de centaines de têtes de chevaux morts émergeant d’une plaque d’albâtre s’étendant à perte de vue.

III - Panser

Dans les services des écoles vétérinaires de Maison-Alfort et de Helsinki, mon appareil photo devenait un appareil parmi d’autres, un dispositif de plus soumettant les corps à un régime de visibilité intégrale. Il apparaissait néanmoins qu’au terme de l’approche, de l’appui toujours plus fort de mon regard sur les corps, sur leurs parcelles délimités, circoncises, ouvertes, résidait la fuite inexorable de l’entendement. Je conservais une sensation haptique de ces surfaces pansées par d’immobilisantes caresses.

IV - Transis

P.Sundberg rassemblait les corps des animaux morts dans les fermes isolées du sud de la Finlande pour les porter au laboratoire des autopsies de l’école vétérinaire de Helsinki. Je l’ai accompagné lors de ses tournées hivernales. Dans chaque ferme nous attendaient sur la neige, quelques bêtes transies, dures comme du bois. P. fixait un câble à l’une de leurs extrémités puis activait le treuil qui les libérait de la pesanteur. Les corps ainsi envolés formaient quelques instants dans le ciel d’hiver, une statuaire organique puis sur la pellicule, une sorte d’accomplissement du froid lui même.

V - L’homme du talus

Après le passage des archéologues et de l’orage sur un chantier d’autoroute, j’ai ramassé quelques fragments d’os humains. J’ai déposé puis photographié ces restes sur de la neige fraîche. En circonvolutions tactiles, il s’agissait de trouver le pivot, de découvrir son centre, vide.

France - Finlande - Estonie

2009 - 2011

Julie Fischer © 2013

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