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Comment faire en sorte que le Christianisme ait un impact visible sur la vie quotidienne des chrétiens africains.
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Introduction
Depuis le début de l’époque moderne, l’histoire du christianisme en Afrique est restée
étroitement liée à celle de la rencontre et des relations entre l’Afrique et l’Occident. Déjà, dès
les premiers siècles de l’ère chrétienne, le christianisme a été très florissant en Afrique du
nord et dans la corne de l’Afrique. Cependant, à partir du VIIe siècle, l’Islam, après avoir
freiné la croissance de l’Eglise, a fini par réduire l’Eglise au silence dans ces régions de
l’Afrique. Seuls quelques rares foyers dans ces régions ont pu conserver la ferveur chrétienne.
Il faudra attendre le XVe siècle, période du contact de l’Afrique au sud du Sahara avec
l’Occident, pour voir des germes du message chrétiens être rependu diversement à travers
l’Afrique au sud du Sahara. Et depuis cette date, l’Eglise ne fait que croître en Afrique.
L’histoire récente nous indique que cette croissance de l’Eglise en terre africaine est encore
plus vertigineuse. En termes de statiques, Bruno Chenu nous fournit les données suivantes :
En 1900, la population de l’Afrique est estimée à 133 millions, 9 millions (soit 7 %) sont chrétiens. En 1960, l’Afrique compte 300 millions d’habitants dont 86 millions de chrétiens. En 1980, 456 millions d’habitants et 203 millions de chrétiens, dont 56 millions de catholiques (12,4 % de la population). Le taux de croissance du nombre de chrétiens est de l’ordre de 4 % par an…1
Il ne faudrait pas se réjouir hâtivement de cette croissance de l’Eglise en Afrique, car
en dépit de cela, l’Afrique est toujours en proie à des crises sans précédents. Sur le plan
politique, les brouilles dans les règles de conservation et de transmission du pouvoir
occasionnent des guerres de part et d’autres sur le continent. Sur le plan économique,
l’Afrique est comme livrée à la pauvreté ; plusieurs pays africains n’arrivent même pas encore
à nourrir suffisamment leurs fils. Sur le plan éthique, la corruption et l’injustice sociale sont
toujours des habitudes très rependues en Afrique. Malgré le fait que plusieurs africains
1 Bruno Chenu, Théologies chrétiennes des tiers mondes, Paris : Editions du Centurion, 1987, p. 126 (213 p.)
3
confessent la foi chrétienne, force est de constater que le message de chrétien n’a pas encore
une assise considérable dans la vie au quotidien et dans les cultures africaines.
Face à ce bilan sombre du continent Africain, on est poussé de se demander quel est
l’impact du message de l’Evangile en Afrique. Ou mieux, quel devrait être l’impact du
message chrétien en Afrique ? Nous croyons que l’inculturation de l’Evangile dans les
cultures africaines est le moyen qui permettra à l’Eglise d’avoir un impact visible en Afrique.
Et le constat que nous avons fait ci-dessus est la preuve de l’urgence de cette tâche
d’inculturation de l’Evangile en Afrique. Notre objectif dans ce présent travail sera de
montrer, comment l’inculturation de l’Evangile peut être un moyen de transformation
véritable des conditions actuelles de l’Afrique.
Dans la première partie de ce présent travail, nous présenterons quelques généralités
sur les théologies africaines, en faisant ressortir les faiblesses de la théologie de l’adaptation et
en mettant un accent particulier sur les mérites de la théologie de l’inculturation. Dans la
deuxième partie, nous présenterons les préalables pour une théologie de l’inculturation en
Afrique. Dans la troisième partie, il sera simultanément question des défis et des résultats de
la théologie de l’inculturation en Afrique. Dans la dernière partie du travail, nous
présenterons quelques avantages de l’inculturation de l’Evangile pour le bien être des peuples
africains.
I. Généralités sur les théologies africaines
Nous préférons parler des théologies africaines ou lieu d’une théologie africaine, car si
en 1956 des jeunes étudiants africains plaident, dans : Des prêtres noirs s’interrogent, en
faveur de l’éclosion d’une théologie africaine, la réalité de cette éclosion nous mettra en face
d’une pluralité de théologies africaines.
4
D’abord, nous avons trois tendances principales qui se dessinent : d’un côté nous
avons des théologiens qui enrichissent leurs discours théologiques d’éléments puisés dans les
cultures africaines. De l’autre côté, il y a des théologiens qui orientent leurs discours
théologiques dans le cadre du combat politique. Il y a enfin des théologiens qui se soucient
plus du message divin. Le défi que ceux-ci cherchent à lever, c’est celui de pouvoir dire de
façon compréhensible aux hommes, comment pouvoir mieux transmettre la parole de Dieu
dans une culture donnée
Ensuite, au sein de ces deux tendances plusieurs thèmes théologiques se développent
avec des accents particuliers qui les distinguent les uns des autres. C’est ainsi que nous avons
par exemple : la théologie de la libération, la théologie de féministe, la théologie noire, la
théologie de l’adaptation, la théologie de l’inculturation… Ces différents développements
font de l’Afrique, une terre de fécondité et de pluralité théologique. Arrêtons-nous un instant
sur les deux derniers thèmes et jetons un regard critique sur eux.
a) La théologie de l’adaptation
C’est un courant théologique qui s’est développé à partir des années 50 et dont les
tenants « rêvent d’une église à couleur africaine, un christianisme à visage africain ».2 Parmi
ceux qui ont élevé l’étendard de cette théologie, citons : Vincent Mulago et Placide Tempels.
La théologie de l’adaptation cherche donc à dépouiller le message chrétien de son vêtement
Occidental pour le revêtir d’un vêtement africain. Les dogmes tels que définis par les
occidentaux dans leur mode de pensée restent inchangés, ce qui change ce sont les moyens
par lesquels ces dogmes sont communiqués. Une telle préoccupation, loin d’apporter un
changement en profondeur dans la culture d’accueil se limite seulement à adapter le message
de l’Evangile à certains éléments rituels des cultures d’accueil. Ainsi, la théologie de
2 Ngindu Mushete, L’histoire de la théologie en Afrique. De la polémique à l’irénisme critique, in K. APPIAH-KUBI et al., « Libération ou adaptation ? La théologie africaine s’interroge. Le Colloque d’Accra », Paris : Editions l’Harmattan, 1979, p. 36
5
l’adaptation ne vise pas à apporter des réponses aux préoccupations africaines, mais à vouloir
appliquer en l’Afrique les réponses proposées par les occidentaux aux préoccupations des
occidentaux ; c’est là que se trouve sa faiblesse. La compréhension de cette faiblesse par les
évêques d’Afrique et de Madagascar a poussés ceux-ci, lors de leur Synode en 1974, à
considérer la théologie de l’adaptation comme étant dépassée.3
b) La théologie de l’inculturation
Le mot inculturation que nous utilisons ici est d’origine catholique, il a son équivalent
que certains protestants préfèrent ; c’est le mot enracinement. Les deux mots « inculturation »
et « enracinement » véhiculent un même message. Pour Bruno Chenu, la définition de
l’inculturation qui recueille le maximum de suffrages est celle que le Père Arrupe propose en
ces termes :
L’inculturation est l’incarnation de la vie et du message chrétiens dans une aire culturelle concrète, en sorte que non seulement cette expérience s’exprime avec les éléments propres à la culture en question (ce ne serait alors qu’une adaptation superficielle), mais encore que cette même expérience se transforme en un principe d’inspiration, à la fois norme et force d’unification, qui transforme et recrée cette culture, étant ainsi à l’origine d’une ‘’nouvelle création’’.4
A la lumière de cette définition, nous voyons que l’inculturation est la pénétration ou
l’enracinement du message de l’Evangile au sein d’une culture bien déterminée, dans le but de
la transformer ou de la recréer, la rendant ainsi conforme à l’Evangile. Quand on sait que les
comportements et les habitudes d’une personne sont principalement déterminés par sa culture,
on comprend alors qu’il est nécessaire pour un chrétien d’avoir une culture façonnée par
l’Evangile et rendu conforme à elle.
Dans son livre la Philosophie Bantoue, Placide Tempels constatait que face à des
problèmes de la souffrance et de la mort, les Bantous évolués (ceux qui ont abandonnés leur
culture), et même les chrétiens bantous retournent toujours à leur culture pour suivre les 3 Bruno Chenu, Op. cit., p. 1414 Bruno Chenu, Op. cit., p. 142
6
solutions proposées par celle-ci. Pour Tempels, chaque homme est tellement influencé par sa
culture que tous ses comportements sont régis par un ensemble de principes déterminés par
celle-ci.5
Prenant appui sur ce que Tempels développe, nous disons qu’il est nécessaire pour les
églises africaines d’inculturer ou d’enraciner le message de l’Evangile au sein des cultures
africaine. De cet enracinement jaillira des communautés chrétiennes profondément enracinées
dans le message de la Parole de Dieu. Dans les années 1960 on constatait que : « le
christianisme en Afrique mesurait un kilomètre de long et un centimètre de profondeur ».6 Si
ce constat amer est à certains égards encore vrai de nos jours, la raison est que l’Evangile n’a
pas encore trouvé une assise considérable au sein des cultures africaines. L’inculturation du
message chrétien est alors une urgence qui s’impose à nous chrétiens, mais surtout
théologiens africains. Cependant, des conditions préalables doivent être réunies pour que
l’inculturation devienne une réalité.
II. Deux conditions préalables à l’inculturation de l’Evangile en Afrique
Dans la tâche d’inculturation du message chrétien en Afrique, le théologien a un
grand rôle à jouer. C’est celui de s’approprier, en premier lieu, la pensée de Dieu. Son travail
consiste à communiquer de façon compréhensible, cette pensée aux hommes et aux femmes
de sa génération et de son milieu. Pour que cette communication soit possible et efficace, le
théologien doit réunir dans sa personne et dans son discours deux conditions. Par rapport à sa
personne, il doit être intégré à une communauté. Par rapport à son discours, il doit l’élaborer
dans la langue et selon le mode de pensée de sa communauté. 5 Placide Tempels, Bantu philosophy, Paris : Présence Africaine, 1969, p. 18-25. (189 p.)6 Loïs Semenye, L’Education Chrétienne en Afrique, in Tokunboh Adeyemo (Sous dir.), Commentaire Biblique Contemporain, Marne la Vallée/Abidjan : Editions Farel/Centre de Publication Evangélique, p.1591.
7
a) L’intégration communautaire du théologien, préalable à l’inculturation
Le théologien qui veut travailler à l’inculturation de l’Evangile doit quitter sa tour
d’ivoire pour se rapprocher à son peuple, à sa communauté, et se confondre à elle. Si on a
souvent taxé le discours théologique d’être abstrait, et incapable de répondre aux besoins et
aux questionnements concrets des chrétiens, la raison est bien simple. C’est que les
théologiens sont bien souvent restés déconnectés des réalités de leur milieu et de leur
communauté. La Conséquence de cette situation, c’est qu’il y a eu un déphasage entre le
discours et le quotidien. Pour Emmanuel Vangu Vangu :
Le théologien africain doit commencer par s’engager dans une communauté précise [pour ensuite chercher] à clarifier la structure d’intelligibilité du message chrétien, à découvrir sa cohérence intrinsèque et à expliquer la relation entre le contenu immuable des axiomes de la foi et le contexte culturel changeant dans lequel le message est proclamé et prêché.7
L’intégration du théologien à une communauté, n’est pas forcément synonyme à son
appartenance à la dite communauté, il peut ne pas appartenir à celle-ci et pourtant être intégré
à elle. Cette intégration suppose son engagement au sein de la communauté. Il doit se sentir
concerné par tous les aspects de la vie communautaire. Dans cet engagement, le théologien
cherchera à très bien observer les phénomènes vitaux et identitaires de sa communauté. Il
devra chercher à les comprendre à la lumière de la philosophie ou de la vision du monde de sa
communauté. C’est alors, et seulement alors qu’il sera à mesure de confronter cette
compréhension tirée de ses observations et de ses expériences à l’éclairage de la parole de
Dieu. Cette confrontation lui permettra de dégager des principes de vie ou des réponses aux
questionnements de la communauté qui sont à la fois conformes à la Bible et si possible à la
culture du milieu, principes qu’il proposera à sa communauté.
b) Un discours théologique dans les langues et selon le mode de pensée des 7 Emmanuel Vangu Vangu, Théologie africaine et calvaire des peuples. La spiritualité africaine en question, Paris : L’Harmattan, 2008, p.134
8
cultures africaines
L’élaboration d’une théologie dans les langues locales africaines est un préalable majeur
à l’inculturation de l’Evangile dans les cultures africaines. La langue est l’un des éléments
majeurs pour la détermination de l’identité culturelle d’un peuple. L’histoire nous apprend que
l’une des raisons de la disparition du christianisme en Afrique du nord au VIII e siècle était
qu’il avait toujours été perçu comme étant une religion étrangère du fait de son expression
dans des langues étrangères. Des foyers chrétiens existaient dans cette partie de l’Afrique
depuis des siècles. Pourtant, à l’avènement de l’islam, les autochtones n’ont pas tardés à
embrasser la nouvelle religion simplement parce que le christianisme était toujours resté
étranger à eux. Pour que cette fâcheuse histoire ne se répète pas en Afrique noire, il est temps
pour les théologiens africains de formuler oralement et par écrit leurs théologies dans les
langues locales.
Pourquoi forcément les langues locales africaines, si on veut que le message de
l’Evangile s’enracine en Afrique ? Dira-t-on ? Parce que comme le dit A. Hampate Bâ, les
langues africaines « seules peuvent permettre, en tant qu’instruments de méditation, de
pénétrer l’âme réelle de l’Afrique ».8 Autrement dit, si nous voulons que l’Evangile trouve un
enracinement solide dans les âmes africaines, il faudrait qu’il soit enseigné dans les langues
africaines. Ainsi, pour l’émergence en Afrique d’un christianisme à la fois africaine et
biblique, en d’autres termes, pour l’émergence d’un christianisme profondément enraciné
dans les cultures africaines, nous plaidons pour l’éclosion de discours théologique dans les
langues africaines. Car « l’abandon de nos langues nous couperait tôt ou tard de nos traditions
et modifierait tôt ou tard la structure même de notre esprit ».9 Le Dieu de qui nous parlons
dans notre théologie et que nous adorons dans nos culte est le Dieu de toutes les cultures. Il
veut être adoré par toutes les cultures du monde. (cf. Apocalypse 7. 9). Pour cela, loin du fait
8 Amadou Hampaté Bâ, Aspects de la civilisation africaine, Paris : Présence Africaine, p. 339 Ibid., p. 32
9
que notre discours théologique et notre culte à Dieu soient à la base de la mort de notre
culture, ils doivent au contraire être les promoteurs de son éclosion et de son développement.
III. Défis et résultats de la théologie de l’inculturation en Afrique
La réunion des deux conditions dont nous venons de parler dans la deuxième partie
ouvrira la voie à l’inculturation du message de l’Evangile. Ici encore, le théologien est
l’acteur principal. Les défis que nous présentons dans cette partie sont donc des défis qui
s’imposent à lui. Dans sa tâche théologique, il devra chercher à lever ces défis pour que
l’inculturation de l’Evangile devienne une réalité en Afrique. La formation et l’appropriation
de l’Evangile sont les deux défis que nous présentons dans les lignes qui suivent.
a) Le défi de la formation
L’ignorance est serve, c’est la connaissance qui libère, dit-t-on souvent. Le travail du
théologien africain consiste à réfléchir en vue de trouver des solutions pour éclairer le peuple.
De notre point de vue, le défaut de profondeur que l’on constate dans le christianisme africain
est principalement dû à une léthargie dans laquelle elle s’est plongée pendant longtemps.
Pendant des années, les chrétiens africains se sont contentés de laisser les chrétiens
occidentaux réfléchir à leur place, et d’appliquer les réponses européennes aux situations
africaines. Cet état de fait a été à la base du déphasage qu’il y avait entre les réalités africaines
et le message de l’église en Afrique. C’est par l’enseignement seulement que ce décalage
pourra être sensiblement réduit.
Un exemple tiré de l’histoire nous permettra de monter comment, par un enseignement
systématique de la Bible, on peut parvenir à une inculturation profonde de l’Evangile. Dans
son livre : Le livre qui transforme les nations, Loren Cunningham nous apprend qu’en 1530,
10
la ville de Genève était la ville la plus pestilentielle. Et non seulement cette ville était sale,
mais elle était aussi très corrompue et dangereuse. Pourtant ses habitants se disaient chrétiens
depuis des siècles. Cunningham pose cette question : Comment une ville en aussi piteux état
est-elle devenue si prospère ? Il donne la réponse un peu plus bas : c’est parce que des
théologiens comme Jean Calvin et autres ont eu à cœur de donner à ses habitants un
enseignement biblique systématique, intégrant tous les aspects de la vie.10
Cet exemple de la ville de Genève est pour nous une preuve de la possibilité de
l’inculturation de l’Evangile par l’enseignement. Dans les habitudes des chrétiens africains,
on peut observer une dichotomie entre la vie vécue durant les six jours de la semaine et celle
vécu le dimanche. La tâche du théologien consistera à enseigner que cette dichotomie n’a pas
sa place et que l’application du message biblique implique non seulement tout l’être, mais
aussi la vie toute entière. Il faudrait que le chrétien africain soit enseigné sur le fait que sa vie
privée, sa vie familiale et sa vie professionnelle doivent toutes être orientées vers la gloire du
Seigneur. Pour cela, il devrait vivre l’Evangile à n’importe quel endroit ou il se trouve. Quel
peut-être le but de cet enseignement ?
b) Le défi de l’appropriation de l’Evangile par les Africains
Le but de l’enseignement systématique que la Parole de Dieu en Afrique est unique :
c’est l’appropriation par les chrétiens africains du message biblique. Nous avons là à la fois
un résultat mais aussi un défi de l’inculturation. En quoi consiste l’appropriation de
l’Evangile ? Comme le dit John Mary Waliggo, l’inculturation consiste en un mariage
indissoluble entre la chrétienté [ou plus particulièrement l’Evangile] et chaque culture
locale.11 Ce mariage ne consiste pas en une sélection et en une purification de certains rites ou
certaines coutumes des cultures concernées pour les introduire dans la liturgie chrétienne.
10 Loren Cunningham et Janice Rogers, Le livre qui transforme les nations. La puissance de la Bible pour changer un pays, Yverdon-les-Bains : Editions Jeunesse en Mission, 2008, p. 81-84.11 John Mary Waliggo, Ary Roest Crollius, Théoneste Nkéramihigo et al., Inculturation: its meaning and urgency, Kampala: St Paul Publications-Africa, 1986, p. 11
11
Mais elle consiste en une acceptation du message de l’Ecriture comme étant la norme à la
lumière de laquelle la culture se construit. S’il y a des concessions à faire pour que ce mariage
devienne possible, ce n’est pas au message biblique de renoncer à certains de ces principes au
profit de ceux de la culture, mais c’est à la culture de renoncer à tous ses éléments ou
principes contraires à la Bible, ou tout au moins de les conformer au message biblique. Le but
d’un tel processus c’est d’aboutir, comme dégagé dans la définition de l’inculturation que
donne le P. Arrupe, à une transformation à une « nouvelle création » de la culture concernée.
Pour les membres de la communauté rattachée à cette culture, l’appropriation de
l’Evangile implique une redéfinition de leurs valeurs éthiques et morales. Ainsi toutes les
pratiques culturelles qui étaient jadis considérées comme acceptées de tous devront être
revues à la lumière de l’Evangile, pour juger de leur conformité ou de leur non-conformité. Si
ce travail est celui de tous les chrétiens, il pèse plus lourdement sur les théologiens. Ceux-ci
ont la lourde responsabilité d’observer les pratiques culturelles, de vérifier leur conformité à
la lumière de la Bible, et de décider enfin si au regard du message de l’Evangile, telle ou telle
pratique doit être rejetée, modifiée ou préservée. Ce qui se passe dans la rencontre et dans
l’appropriation de l’Evangile avec les Africains est clairement résumé dans cette parole
d’Oscar Bimwenyi Kweshi , citée par Bruno Chenu :
L’Evangile est alors force de salut, puissance novatrice, ré-créatrice, levain qui, sans détruire la pâte préexistante, s’y mêle intimement et lui permet de lever selon toutes ses possibilités. Il est cette parole qui, accueillie librement par un peuple, une communauté humaine donnée, devient pour elle comme une nouvelle chance, une nouvelle possibilité de renouvellement, de remaniement, de remembrement, qui l’amène, de l’intérieur, à se situer dans une nouvelle proximité des autres, du cosmos et de l’Invisible.12
Une fois ces objectifs atteints, l’Afrique ne manquera pas de bénéficier des résultats de
l’inculturation.
12 Bruno Chenu et Marcel Neusch, Théologiens d’aujourd’hui. Vingt portraits, Paris : Bayard/Centurion, 1995, p. 131
12
IV. Quelques avantages de l’inculturation de l’Evangile en Afrique
Nous déplorons le fait que plusieurs chrétiens en Afrique aient toujours considéré le
christianisme comme étant une somme de doctrines religieuses auxquelles l’on est appelé à
adhérer intellectuellement. Cette mauvaise compréhension du christianisme ne peut changer
que par l’inculturation de l’Evangile. Car l’inculturation peut aussi se définir comme étant la
pratique de l’Evangile dans tous les aspects de la vie quotidienne du chrétien. Cette pratique
de l’Evangile en paroles et en actes ne sera pas seulement bénéfique pour un plus grand
rayonnement du christianisme en terre africaine, mais elle sera aussi bénéfique pour
l’amélioration des conditions de vie des peuples africains. Dans cette dernière partie, nous
dégagerons quelques avantages de l’inculturation sur le plan social et sur le plan politique.
a) Avantages de l’inculturation sur le plan social
Le projet de Jésus pour notre l’humanité est le suivant : Guérir ceux qui ont le cœur
brisé, proclamer la délivrance aux captifs et aux aveugles le recouvrement de la vue, renvoyer
libre les opprimés et publier une année de grâce du Seigneur (cf. Luc 4. 18 - 19). Nous
croyons que ce projet est aussi celui de l’Eglise. En l’analysant dans le but de faire ressortir sa
signification concrète, on se rend compte que c’est le projet social de tous les temps et de tous
les lieux. Il comporte non seulement des aspects individuels mais également des aspects
communautaires. Son exécution touche non seulement la vie physique mais aussi la vie
spirituelle de l’homme. C’est par l’inculturation de l’Evangile que l’Eglise africaine
parviendra à exécuter ce projet.
La pratique de l’Evangile dans la vie quotidienne des chrétiens africains fera de
l’Afrique une terre où la justice sociale est mise en œuvre et est respectée. L’amour du
prochain, la recherche de son bien être économique, matériel et même spirituel ne sera
possible que lorsque les chrétiens africains commenceront à vivre l’Evangile quotidiennement
13
et à être des exemples et des modèles pour les non chrétiens. Dans une Afrique en proie aux
inégalités, où la richesse extrême et la pauvreté extrême se côtoient du jour au jour.
Comment réduire ces inégalités ? C’est lorsque les riches chrétiens commenceront à mettre
l’Evangile en pratique en partageant leurs biens avec les pauvres.
Les défis sociaux de l’Afrique sont entre autres : la solidarité, la justice, le travail, la
liberté et la vérité. Pour KÄ MANA, le défi actuel de l’Eglise à l’échelle de toute l’Afrique
c’est de « faire triompher ces valeurs dans des espaces de vie concrète capables de faire tache
d’huile au cœur de notre continent ».13 L’Eglise parviendra à relever ces défis si elle chaque
communauté chrétienne accepte de récréer sa culture à la lumière de l’Evangile.
b) Avantages de l’inculturation sur le plan politique
Quand on parlait de la corruption ou de l’injustice sociale en Afrique en présence de
John Stott, il disait toujours ceci : mais où sont les chrétiens ?14 Une façon de dire que la
corruption à grande échelle, l’injustice sociale, le manque d’intégrité dans la gestion des
biens, les détournements des deniers publics… sont des pratiques inadmissibles dans des pays
à forte densité chrétienne. L’histoire nous révèle les grands principes d’éthique et de morale
dans le domaine de la bonne gouvernance ont été mis au point par grâce à l’influence des
chrétiens dans les pays où la majeure partie de la population était chrétienne. Car comme
Cunningham le dit : « La liberté n’est pas arrivée par accident en Europe occidentale et en
Amérique du Nord. Elle a jailli des enseignements de croyants ayant sondé la parole de Dieu à
la recherche de principe de gouvernement ».15
Nos pays et nos nations ont besoin que les chrétiens vivent dans réellement la ferveur du
message chrétiens pour transformer nos cultures. Les hauts fonctionnaires guinéens sont
13 KÄ MANA, Christ d’Afrique. Enjeux éthiques de la foi africaine en Jésus-Christ, Paris/Nairobi/Yaoundé/Lomé : Editions Karthala/CETA/C.L.E./HAHO, 1994, p. 60. 14 Témoignage du Professeur Solomon Andria, donné lors d’un des cours d’initiative théologique en Afrique ( au derniers trimestre de 2011).15 Loren Cunningham et Janice Rogers, Op. cit., p. 87
14
tellement habitués à détourner des sommes faramineuses que le détournement des deniers
publics semble être comme un fait accepté de tous. Un fait qui nous a toujours intrigués dans
ce pays qui est d’ailleurs notre patrie, c’est que si la population constate qu’un haut
fonctionnaire a été démis de ses fonctions avant qu’il n’ait détourné une très grande somme
d’argent, on dit de lui qu’il est maudit et qu’il ne sera plus jamais riche. Nous croyons qu’il
est possible que cette conception culturelle de la population guinéenne au sujet du
détournement change. Mais cela ne sera possible que par la pratique de l’Evangile.
L’une des excuses que certains chrétiens africains avancent souvent pour se déroger de
la lutte contre les dérapages en matière de gouvernance est celle-ci : « cela n’a pas commencé
par nous et ne s’arrêtera pas à nous. Et après tout, nous sommes si peu nombreux que notre
engagement contre ces maux ne pourra rien changer à ce que tout le monde fait ». Ces
excuses ne sont pas valables à partir du moment où le chrétien est appelé à ne pas se
conformer au siècle présent, mais à vivre l’Evangile en dehors de tout compromis. Aussi le
changement ne vient toujours pas avec un grand nombre. Dieu a très souvent apporté des
grands changements en commençant par un petit nombre de personnes. L’Eglise peut donc
être principale agent du changement dans le domaine de gestion publique si elle se met à vivre
et à incarner le message de l’Evangile.
Conclusion
L’inculturation se présente aujourd’hui comme une voie à suivre pour l’élaboration du
discours théologique en Afrique. Il a le d’abord mérite de contribuer à garder allumée la
flamme des cultures africaines. Son deuxième mérite, c’est qu’il pousse le théologien à se
rapprocher encore plus de son peuple, à s’enquérir des problèmes de celui-ci et à apporter à
ces problèmes des réponses bibliques adéquates et susceptibles d’être pris en compte comme
étant des valeurs culturelles.
15
Il ne serait pas malaisé de reprendre à notre compte la prédiction de KÄ MANA :
« nous risquons de couler à pic tout en ayant des églises et des temples archicombles. Nos
sociétés peuvent mourir pendant que nos églises chantent et dansent ».16 Pour nous le danger
dont KÄ MANA prévient peut arriver si dans notre discours théologique, nous nous écartons
de la voie de l’inculturation. Mais si l’Eglise africaine s’oriente obstinément dans le cadre de
l’inculturation de l’Evangile, elle parviendra à n’en pas douter à être l’agent de grands espoirs
et de grands changements pour l’Afrique.
16 KÄ MANA, Op. cit., p. 52
16
Bibliographie
BÂ, Amadou Hampaté, Aspects de la civilisation africaine, Paris : Présence Africaine, p. 33.
CHENU, Bruno, Théologies chrétiennes des tiers mondes, Paris : Editions du Centurion, 1987, p. 126.
CHENU, Bruno et NEUSCH, Marcel, Théologiens d’aujourd’hui. Vingt portraits, Paris : Bayard/Centurion, 1995, p. 131.
CUNNINGHAM, Loren, et ROGERS, Janice, Le livre qui transforme les nations. La puissance de la Bible pour changer un pays, Yverdon-les-Bains : Editions Jeunesse en Mission, 2008, p. 81-84.
KÄ MANA, Christ d’Afrique. Enjeux éthiques de la foi africaine en Jésus-Christ, Paris/Nairobi/Yaoundé/Lomé : Editions Karthala/CETA/C.L.E./HAHO, 1994, p. 60.
MUSHETE, Ngindu, L’histoire de la théologie en Afrique. De la polémique à l’irénisme critique, in K. APPIAH-KUBI et al., « Libération ou adaptation ? La théologie africaine s’interroge. Le Colloque d’Accra », Paris : Editions l’Harmattan, 1979, p. 36.
SEMENYE, Loïs, L’Education Chrétienne en Afrique, in Tokunboh Adeyemo (Sous dir.), Commentaire Biblique Contemporain, Marne la Vallée/Abidjan : Editions Farel/Centre de Publication Evangélique, p.1591.
TEMPELS, Placide, La Philosophie Bantoue, Paris : Présence Africaine, 1949, p. 18-25.
VANGU VANGU, Emmanuel, Théologie africaine et calvaire des peuples. La spiritualité africaine en question, Paris : L’Harmattan, 2008, p.134.
WAKUGGO, John Mary, Ary Roest Crollius, Théoneste Nkéramihigo et al., Inculturation: its meaning and urgency, Kampala: St Paul Publications-Africa, 1986, p. 11.
17
Sommaire
Introduction.................................................................................................................................2
I. Généralités sur les théologies africaines..........................................................................3
a) La théologie de l’adaptation........................................................................................4
b) La théologie de l’inculturation.....................................................................................5
II. Deux conditions préalables à l’inculturation de l’Evangile en Afrique....................6
a) L’intégration communautaire du théologien, préalable à l’inculturation...................7
b) Un discours théologique dans les langues et selon le mode de pensée des cultures africaines.................................................................................................................................8
III. Défis et résultats de la théologie de l’inculturation en Afrique.................................9
a) Le défi de la formation.................................................................................................9
b) Le défi de l’appropriation de l’Evangile par les Africains........................................10
IV. Quelques avantages de l’inculturation de l’Evangile en Afrique............................12
a) Avantages de l’inculturation sur le plan social..........................................................12
b) Avantages de l’inculturation sur le plan politique.....................................................13
Conclusion...............................................................................................................................15
Bibliographie.............................................................................................................................16
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