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1
L’Institut Dauphine d’Ostéopathie
en partenariat avec le
Federal European Register of Osteopaths
Promotion 2014
MEMOIRE n°40
présenté et soutenu publiquement le ……………………. à Paris par
M/Mlle Marion HARY, né(e) le 27 Septembre 1989 à Nemours (77).
Pour l’obtention du
DIPLÔME d’OSTÉOPATHE (D.O.)
Titre La main ostéopathique : outil et interface.
Membres du jury : Président : Assesseurs : Directeur du mémoire : ROBERT Céline ( Ostéopathe DO MROF)
2
LA MAIN OSTEOPATHIQUE : OUTIL ET INTERFACE.
Mémoire présenté en vue de l’obtention du Diplôme d’Ostéopathie
par
MARION HARY
Directeurs de recherche
CELINE ROBERT
EMMANUEL PAYEN DE LA GARANDERIE
Paris Mai 2014
3
NOTE AUX LECTEURS :
Ce travail personnel a été effectué en vue de l’obtention du Diplôme
d’Ostéopathie au sein de l’Institut Dauphine d’Ostéopathie, promotion
2014.
Il ne peut faire l’objet d’une publication en tout ou pour partie sans
l’accord de son auteur.
4
REMERCIEMENTS :
Merci à ma tutrice, Céline ROBERT d'avoir accepté de devenir mon maître de
mémoire ainsi que pour ses encouragements.
Merci à M. le Docteur Emmanuel PAYEN DE LA GARANDRIE, pour ses
corrections exhaustives, ses suggestions bibliographiques et ses encouragements.
Merci à M. Gregor SCHULTZE, pour avoir été mon maître ostéopathique.
Merci à M. François BEL de m'avoir aiguillée vers les mémoires de l'Académie
d'Ostéopathie, de m'avoir transmis un mémoire et mise en relation avec M.
DUCOUX.
Merci à M. Bruno DUCOUX de m'avoir transmis son texte La Main.
Merci à M. Renan BAIN de m'avoir transmis ses ouvrages numérisés concernant
la main.
Merci à M. Lucas VERGNETTES pour m'avoir permis de comprendre les rouages
de l'Académie d’Ostéopathie et d’accéder à leur bibliothèque.
Merci à Philippine TRAMOND, pour tout et plus encore.
Merci à Émmeline MARCE et Laure BORTUZZO pour m'avoir supportée
pendant toute une semaine.
Merci a Éliane BEAUFILS et Pierre-Louis CHOUKROUN qui m'ont ouvert les
portes de la Clinique de l'ALMA ainsi que pour leurs références bibliographiques
et leurs encouragements.
Enfin merci à mes parents pour leurs relectures et leur soutien.
A Guillaume pour l'indicible.
5
TABLE DES MATIERES REMERCIEMENTS : ............................................................................................................... 4
Table des matières ...................................................................................................................... 5
Table des Illustrations ................................................................................................................. 6
INTRODUCTION : ......................................................................................................................... 7
CHAPITRE I : Étude pluridisciplinaire de la main : ........................................................................ 9
I.1. Symbole, étymologie, interprétations : ................................................................................... 9
I.2. La place de la main dans la culture Antique : ........................................................................ 12
I.3. La main au premier plan des expressions populaires : ......................................................... 14
I.4. La main et l'Orient : ............................................................................................................... 17
I.5. La main chez les philosophes du XIXe et XXe siècle : le siège de l'esprit créateur : .............. 19
I.6. La main et l'ostéopathie. ....................................................................................................... 22
CHAPITRE II : La main outil organe du possible et de la manifestation de la pensée. ................... 24
I. La main objet : organe du toucher et de l'inné. ....................................................................... 24
I.1. Anthropologie : la genèse du lien entre la main et le cerveau. ......................................... 25
II.2. Rappels anatomiques : ..................................................................................................... 26
I.3. Neuro-physiologie : à la découverte des systèmes perceptifs et moteurs : ..................... 29
II. Organisation anatomo-physiologique de la perception cutanée et haptique : ...................... 32
II-1 Fonction des récepteurs et organisation des afférences .................................................. 32
II-2 Les propriétés générales des aires somesthésiques : ....................................................... 34
II.3. Étude des aires corticales impliquées dans la perception cutanée et haptique : ............ 35
III. Caractéristiques de la perception haptique et intérêt de sa compréhension dans la prise en
charge ostéopathique : ............................................................................................................... 40
CHAPITRE III : La main interface de transition entre la structure et la fonction, le matériel et le
spirituel. .................................................................................................................................... 44
I. Les principes du traitement ostéopathique : ........................................................................... 45
I.1. Implications du toucher : .................................................................................................. 46
I.2. La conscience serait-elle le « cogito » ostéopathique ?: ................................................... 48
II. Le geste, la technique et le soin : ............................................................................................ 50
II.1. Dimensions du traitement : .............................................................................................. 50
II.2. La représentation mentale : ............................................................................................ 52
III.3. Le geste et la technique : ................................................................................................ 54
II.4. L'interface et le soin: ........................................................................................................ 55
CONCLUSION ............................................................................................................................. 58
BIBLIOGRAPHIE : ....................................................................................................................... 60
6
Bibliographie ............................................................................................................................. 60
Résume ..................................................................................................................................... 63
ABSTRACT : ............................................................................................................................... 63
TABLE DES ILLUSTRATIONS Figure 1: Main négative ..................................................................................................................... 9
Figure 2: Main positive .................................................................................................................... 10
Figure 3: Les récepteurs sensoriels de la pulpe digital .................................................................... 28
Figure 4:representation des champs de recepteurs de la face palmaire de la main ...................... 28
Figure 5:voies des colonnes dorsales-lemnisque median ............................................................... 34
Figure 6 : position et numérotation des aires de la somesthésie (source e-anatomy, 18 juin 2014,
16h30)………………………………………………………………………………………………………………………………………..36
7
INTRODUCTION : Un sujet de mémoire est souvent lié à l’histoire de son auteur, à sa
mémoire. Confrontée à l'impossibilité d'exercer suite à un accident en début de
pratique clinique, la main si évidente dans notre profession est devenue une
préoccupation centrale : les problématiques que posent la main méritent d’être
approfondies.
Abordée au cours de nos études au travers des études anatomo-
physiologiques nécessaires à son traitement, leur indispensable apport pour le
praticien se devaient d’être explorées, tant au niveau de leurs propriétés
sensorielles que des extraordinaires réactions qu'elles peuvent provoquer :
rougeurs, chaleur, étourdissement pour les plus anodines mais parfois pleurs, peur,
réactions de colère ou d'angoisse.
Comment apprend-on à palper puis discriminer pour ressentir ? Quels
mécanismes entrent en jeu lorsque l'on touche le patient ? Comment se fait-il que
la palpation des ostéopathes soit aussi précise par rapport à aux ressentis? Nos
mains seraient-elles plus qu'un outil de détection ou de diagnostic et de
traitement? Peut-on envisager nos consultations comme un échange de
subjectivité ? Serait-ce la particularité de notre profession ? Car les mains
illustrent parfaitement cette part de subjectivité dans l’ostéopathie, cette part
corrélée à l'expérience, à la vie, à l'interprétation qui nous oblige à des fins de
rigueur sur la voie de la recherche bibliographique.
Il nous est paru pertinent de traiter la main au travers de l'intentionnalité du
soin en la considérant comme une entité à part entière. La structure de ce que nous
osons appeler une entité est bien douée de deux fonctions motrice et sensitive :
elle perçoit, recherche, transmet et agit.
Nous avons construit ce mémoire en commençant par analyser la
représentation symbolique de la main, nous nous sommes ensuite penchés sur
l'étude de l'haptique, ou science du toucher, pour en saisir l'apport de sa
compréhension dans la pratique ostéopathique : puis nous évoquerons la prise de
8
conscience de l’outil qu'elle représente et la place de l’investissement personnel
dans sa pratique.
Cet exposé se centre sur une problématique qui soulève plus qu'une
dualité, une complémentarité : la main ostéopathique, outil et interface, peut-elle
nous trahir ?
9
CHAPITRE I : ÉTUDE
PLURIDISCIPLINAIRE DE LA MAIN :
« Lorsque tu ne sais pas où tu vas, regardes d'où tu viens »
Proverbe Sud-Africain
I.1. SYMBOLE , ETYMOLOGIE , INTERPRETATIONS :
Les premières manifestations artistiques humaines remontent au
Paléolithique soit 3 millions d'années avant notre ère. Les éléments
majoritairement représentés sont des animaux, des scènes de la vie quotidienne,
de chasse surtout, mais aussi des éléments du corps humain dont le plus répandu
est la main.
Les mains y sont figurées de deux façons. Les deux techniques picturales
les plus usitées en art pariétal sont les mains négatives obtenues par projection de
pigments par-dessus la main posée sur la roche : son contour apparait alors, ou par
empreinte après avoir trempé les paumes dans les colorants, comme un tampon
encreur : les mains positives.
10
FIGURE 1: MAIN NEGATIVE
FIGURE 2: MAIN POSITIVE
C’est une illustration que nous proposons de l’ambivalence de nos mains
thérapeutiques qui expriment à l’extérieur et utilisent l’intérieur pour s’exprimer,
elles traitent et adressent un message, elles reçoivent, et perçoivent un message…
. Les spécialistes ne s'accordent pas quant à la signification de ces
peintures dans leur finalité, il semblerait néanmoins que la théorie la plus
vraisemblable soit la représentation d'un pouvoir créateur, la main deviendrait
alors signe de «toute puissance»1.
L'association de la notion de puissance à la main est très présente dans les
écrits religieux. Dans la chrétienté et la tradition biblique, dans les textes de
l'Ancien Testament notamment2. De plus, une représentation iconographique de
1 (Chevalier & Gheerbrant, 1982)
2 (De Souzenelle, 1984)
11
Dieu est une main sortant des nuages, le corps reste caché dans le ciel afin de
manifester sa divinité. La main devient alors symbole de puissance et de
suprématie. Les mains de Dieu prennent un double sens aussi bien destructeur
que créateur. Selon Annick de Souzenelle, le Christ est représenté avec des
mains «démesurément longues», pour l'expliquer, revenons à l'étymologie
hébraïque du mot «main».
Plusieurs étymologies nous ont semblées intéressantes. En hébreu, main
s'écrit «YAD», terme lié à la connaissance «YADA» ; pour les hébreux cette
connaissance est expérimentale et non intellectuelle : c’est bien le côté
expérientiel de la main de l’enfant qui manipule et touche pour découvrir et
apprendre, et stocker des informations.
Le verbe connaître «YADA» construit à partir de la racine «YAD» (la
main) à laquelle s'ajoute «AYIN», l’œil. Nous pourrions dire que, selon
l'étymologie la main est douée de vision et réciproquement, que l’œil se
caractérise par une certaine qualité de toucher.
En faisant le chemin inverse l’œil et la main ne mèneraient-ils pas vers la
connaissance? L’association des activités perceptives est déterminante pour
l’apprentissage ostéopathique, elles se complètent et s’associent, les limites de
l’une rejaillissant sur l’autre, en un apprentissage commun : lorsque l’on voit de
la fourrure la main s’attend à un toucher soyeux, n’y a-t-il pas là de possibles
erreurs de pilotage mental ? « Si mon œil percevait l’infra-rouge, ma main
n’aurait-elle pas appris à toucher le corps différemment…et pourrait détecter la
limite du rayonnement infra-rouge du corps. » 3
Nous pouvons considérer dès ce premier paragraphe que l’existence d’une
des limites peut éloigner le thérapeute de la vérité de ce qu'il touche.
L'iconographie christique fait donc référence à l'Homme connaissant. A
cette image, partant du postulat que la connaissance participe à l'action manuelle,
on peut associer les mains structurantes, façonnantes, modelantes. L'une n'est rien
sans l'autre, les deux activités, mécanique et de connaissance, se rencontrent et e
répondent.
3 Docteur Payen de La Garanderie, cours clinique IDO avec son aimable
autorisation.
12
La racine latine du mot «main», vient de «MANUS» ce terme utilise la
racine indo-européenne «MAN/MEN». «MENS» qui se réfère à l'Intelligence et
«MAN» signifie Homme en langues nordiques. Le Professeur Philippe
SERINGUE voie aussi en la main le symbole de l'Intelligence et l'organe qui
différencie l'Homme et l'animal, le singe en particulier.
En un sens cette main «connaissante» et «intelligente» ne trouverait-elle
pas son expression ultime, la plus magnifique, dans la guérison par les mains? Cet
acte sacré d'imposition des mains à visée thérapeutique, des écritures saintes,
semblerait un intermédiaire entre les forces humaines et surnaturelles. Cette
interprétation sous-tend une main «salvatrice», un certain agent de puissance qui
dépasserait les Forces de la Nature.
I.2. LA PLACE DE LA MAIN DANS LA CULTURE
ANTIQUE :
Salvatrice ou mortelle lors des jeux du cirque, elle décidait en fonction de
l'orientation du pouce, vers le haut ou vers le bas, du sort des gladiateurs, elle
occupe une place toute particulière dans la tragédie « Antigone » de Sophocle (-
496; -406).
Dans le texte original, Sophocle utilise le terme «autokheir» que l'on
traduit par la forme pronominale «soi-même» et «avec ses propres mains», cette
appellation désigne surtout la main qui donne la mort mais aussi la main
d'Antigone qui offre une sépulture à son frère : la main honore le défunt.
On peut alors considérer la main comme un personnage à part entière dans
cette tragédie. Mise en lumière sous différents aspects, au point d'y jouer un rôle;
elle condamne, tue, ensevelit, se révolte, se suicide et se sanctifie.
Elle fut également sujette à controverses chez les philosophes grecs. Le
débat le plus célèbre fut la réponse d'Aristote (-384; -322 av JC) à Anaxagore (-
500; - 428 av JC), dans son texte «La Main et l'Intelligence» [1]. Ils opposèrent
deux postulats. Pour Anaxagore l'homme possède une main car il est le plus
13
intelligent des êtres vivants. Aristote lui répond «Ce n'est pas parce qu'il a des
mains que l'Homme est le plus intelligent des êtres mais c'est parce qu'il est le
plus intelligent des êtres qu'il a des mains»4, il justifie sa position, en définissant
ce qui témoigne de l'intelligence d'un être : « l'être le plus intelligent est celui qui
est capable de bien utiliser plusieurs outils : or la main ne semble pas être un
outil mais plusieurs. Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des
autres »5. Outil souverain car elle est pour ainsi dire, l'outil qui tient lieu des
autres et permet à l'homme d'acquérir le degré « d'être le plus intelligent » par son
intermédiaire.
Nous satisfaisons là une motivation de ce travail : une réflexion sur la
pédagogie du toucher qui est le moteur de l’enseignement ostéopathique, la main
est aussi pédagogue du cerveau par la mise en place d’engrammes de position
(pour réaliser les techniques) et des engrammes tactiles (pour apprécier la texture
rencontrée).
Nous ne pouvons parler de l'Antiquité sans aborder les travaux de Galien.
Né en 131 après Jésus Christ à Pergame ville d'Asie Mineure et capitale du
royaume des Ponts en Mysie (actuelle Turquie). Il étudie les belles lettres et la
philosophie avant d'embrasser la médecine à 17ans. Ses voyages l'amenèrent à
étudier à l'Ecole d'Alexandrie, ce qui lui permit de se former en anatomie
humaine, les dissections cadavériques n'étant pas autorisées par le droit romain. Il
passa ensuite le reste de son existence à Rome où il exerça la médecine et donna
des conférences à propos de ces découvertes anatomiques. Plus qu'un anatomiste,
Galien passe pour être un des premiers anthropologues de notre Histoire. En effet,
il s'est attaché à étudier l'anthropologie des peuples de son époque (IIe – IIIe
siècle). Ses travaux ont servis de base de recherches à nombre de scientifiques des
siècles plus tard (Vésale, Cuvier...).La base de son travail anthropologique a été la
vivisection et les dissections des singes, qui lui ont permis de mettre en avant une
anatomie similaire mais non identique en travaillant notamment sur les tendons de
la main. Et c'est en réfutant la thèse des sectateurs d'Aristote et d'Asclépiade qui
admettent que l'usage développe les organes qu'il va introduire la notion de
phylogénie. «La main du singe n'est pas identique à celle de l'homme, bien que,
4 (Sophocle,)
5 (Aristote)
14
par imitation grossière elle remplisse à peu près les même fonctions, par
conséquent les tendons sont tels qu'on les voit non par accident mais
primitivement». Il désigne alors la main comme «l'organe le plus propre de
l'homme» [2], soit l’essence même de notre pratique.
I.3. LA MAIN AU PREMIER PLAN DES
EXPRESSIONS POPULAIRES :
Combien d'expressions relatives à la main connaissons-nous dans le
langage courant?
Avoir deux mains gauches
Avoir la main heureuse
Mettre la main à la pâte
Avoir la main sure
Avoir la main verte
La main de justice
Mettre sa main au feu ou à couper
Morceau à quatre mains
Gagner haut la main
Être entre de bonnes mains
Passer la main
Prendre (quelqu’un la main dans le sac)
Une main courante
Un coup de main
Venir manger dans la main de quelqu'un...
Et tellement d'autres...
15
On retrouve la main dans nombres de domaines juridiques, jardinage,
diplomatique, musique... Notons que la plupart de ces expressions sont introduites
par un verbe : la main est associée à l'action, au Faire. La plupart de ces
expressions sont relatives à des notions de service, d'amabilité, de courtoisie mais
aussi de consentement Demander la main d'une jeune femme ou même de secours
Prêter main forte. La main est donc associée au relationnel, à l’accueil de l’autre :
on se dit bonjour en se serrant les mains, on reconnait et on salue par un signe de
la main. Une consultation commence toujours par une poignée de mains, puis on
se lave les mains, bien entendu pour se les désinfecter et non pas pour se
dédouaner de ce que l’on vient de faire dans une manœuvre d’hygiène à la Ponce
Pilate après le soin.
De manière générale, dans la culture populaire, la main est liée aux
activités courantes de la vie, mettant en avant une main utile plus qu'une main
connaissante. L'utilité de la main est liée à la tradition agricole et des bâtisseurs :
en premier lieu, elle servait d'unité de mesure aux artisans pour évaluer de petites
distances. On parlait de l'EMPAN qui correspond à la distance paume ouverte
séparant la pouce de l'auriculaire, les doigts étant écartés au maximum (environ
20cm) Et la PALME petite unité de mesure couvrant 12,4 cm qui représente la
distance entre l'index et l'auriculaire.
Après la Révolution Française, le mètre est devenu l'unité de mesure
nationale et ces unités désuètes ont été abandonnées. Mais elles persistent dans
l’enseignement des compagnons du devoir afin de se référer à l’harmonie des
divines proportions puisque la longueur d’une main correspond à la longueur du
visage. La main est outil et mesure.
La France est un pays agricole depuis le Moyen Age (Ve siècle au XVe
siècle). De la chute de l'Empire Romain à la Renaissance et aux Grandes
Découvertes, le pays a connu une forte croissance démographique. Administré
selon un système féodal, la population, majoritairement paysanne se répartissait
dans des seigneuries. Ces petites communautés dépendaient de l'autorité du
seigneur. L'esclavage de l'Empire Romain s'est transformé en servage qui désigne
la condition des paysans attachés à une manse servile, terre qu'ils cultivent et ne
peuvent quitter. En découle une mesure féodale : la mainmorte. Cette mesure
16
s'applique à des personnes physiques, les serfs et à leurs biens matériels et
correspond à une incapacité. L'objectif étant d'éviter que les biens des serfs
passent à des personnes extérieures à la seigneurie. Durant sa vie le serf jouissait
de ses biens personnels et pouvait disposer de son manse selon la permission de
son seigneur. Il était cependant privé de la faculté de faire son testament et à sa
mort ses biens revenaient à son seigneur. La mainmorte devient alors le symbole
qui reflète l'impuissance du serf à transmettre son patrimoine. Pour échapper à la
rigueur de cet édit, on a imaginé des sociétés ou communautés taisibles. Les
membres de la famille formaient une société entre eux en partageant le même toit,
le même pot, le même pain.... De ce fait quand le père ou la mère mourait il n'y
avait pas lieu d'exercice de la mainmorte. La communauté continuait à fonctionner
la part du défunt augmentant celle des survivants. Cependant, pour pouvoir former
une communauté taisible, deux conditions devaient être remplies : les héritiers
devaient être serfs comme le défunt et se devaient de rester en société. Le seigneur
ne pouvait exercer son droit de mainmorte que lorsque la société était entièrement
dissoute. La mainmorte s'allégea au XIIe siècle et fut définitivement abolie par
décret en 1790. Ainsi cette notion nous renseigne sur une symbolique historique
retrouvant la puissance divine évoquée, la main morte fait perdre de la puissance.
La latéralité tient également une place prépondérante. En effet, les mains
gauches et droites n'ont pas la même signification. En Occident, la main droite est
associée au Bien et au sacré, aux activités honnêtes, elle donne, bénit
contrairement à la main gauche qui se rapporte au Mal, elle maudit, reçoit, est liée
à la maladresse et aux activités frauduleuses.... Cette association d'idée est due à la
transcription latine des mots «droite» et «gauche». En effet au Moyen Age et
jusqu'au milieu du XXe siècle, la religion possède un grand ascendant sur la
majorité de la population et l'ensemble des textes sacrés sont lus en latin lors des
messes. Il se trouve qu'en latin la droite se dit «DEXTRA» et se rapporte aux
valeurs de droitures et d’honnêteté. La gauche quant à elle tire son étymologie du
terme «SINISTRA» qui trouve écho dans le mot «sinistre». On prêtait également
aux gauchers des pouvoirs maléfiques et, jusqu'en 1970 les gauchers ont été
«rééduqués» pour pouvoir écrire de la main droite. On a ainsi contrarié les
priorités de quantité d’écoliers, et « être gauche » est toujours synonyme de
maladresse.
17
Au contraire d’aujourd’hui où le gaucher manifesterait certaines capacités
puisque cet organe effecteur gauche prioritaire est relié au cerveau droit innovant,
on retrouve de nombreux génies sportifs :
Laura FLESSEL-COLOVIC : escrimeuse française Jean-Philippe GATIEN :
pongiste français Henri LECONTE : tennisman français Sébastien LOEB :
coureur automobile français Diego MARADONA : footballeur argentin Len
MATTIACE : golfeur américain John McENROE : tennisman américain :
gaucher avéré Lionel MESSI : footballeur argentin Raphaël NADAL : tennisman
espagnol Franck RIBERY : footballeur français Ayrton SENNA : pilote
automobile brésilien Thomas VOECKLER : coureur cycliste français Johnny
WILKINSON : rugbyman anglais ..
Nous pouvons proposer une étude originale sur les capacités des deux
mains : notre pratique pourrait s’inspirer des particularités de la latéralisation et
qu'’il existe peut-être des « propriétés différentes de chaque main thérapeutique».5
En d’autres termes la main qui synthétise serait préférentiellement la gauche qui
synthétise, la droite permettant de réaliser une analyse.
I.4. LA MAIN ET L 'ORIENT :
La philosophie bouddhique se fonde sur la polarité droite / gauche de nos
mains. Elle met en parallèle l'action à droite et le non agir ainsi que la sagesse à
gauche. L'iconographie orientale utilise en particulier les mûdhras. Mûdhra est un
terme sanskrit qui signifie sceau ou signe, relatif à la position codifiée et
symbolique des mains d'une personne ils traduisent un état de conscience et pour
certains, signifieraient mouvement conscients. Fréquemment représentés en
sculpture aux abords des temples et représentent des épisodes de la vie de
Bouddha ou certains de ses enseignements, les principaux sont :
- l'abbaya-mûdhra qui signifie l'absence de crainte
La main droite est élevée à hauteur de l'épaule, le bras droit légèrement replié la
paume regarde vers l'avant et les doigts sont tendus vers le ciel.
- le varada-mûdra qui symbolise le don, la charité, la compassion
18
Le bras gauche repose le long du corps, la paume gauche est ouverts, les doigts
sont tendus et orientés vers le bas.
- le tarjani-mûdra qui représente la menace ou la vigilance.
Le poing est fermé et l'index tendu.
Ses émotions, ses états intérieurs sont extériorisés par ces mûdras qui sont
des mots désignant à la fois le geste et l'attitude spirituelle. Leurs pratiques
régulières auraient des vertus curatives pour certaines pathologies comme les
affections respiratoires ou l'asthme.
Les danses rituelles de l'Asie du Sud ou «danses des mains » ne se
résument pas aux mouvements qu'elles inscrivent dans l'espace mais à la position
des mains et des doigts par rapport au corps à haute valeur significatives. La plus
connue d'entre elle est la Saman ou « danse des milles mains » originaire de
Sumatra et inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO.
Traductrice d'un état de conscience en Asie elle devient symbole de
protection voire objet de superstition au Moyen Orient, dans la région nord-
africaine et en Phénicie (actuel Liban et une portion d'Israël et de la Syrie). La
main de Fatma (en l'honneur de Fatma Zahra la fille du prophète Mohammed) est
considérée comme une main protectrice contre le Mauvais Œil car elle représente
la pouvoir, la force et la bénédiction Portée comme un bijou ou peinte sur les
façades des maisons elle devient un talisman.
Le terme arabe, Hamsa ou Khamsa signifie cinq. Certains associent les
cinq doigts de la main aux cinq piliers de l'Islam et se réfèrent aux cinq versets de
la sourate Al Falak du Coran qui auraient un effet de protection. De par sa
popularité en Phénicie la Hamsa aurait gagné la culture juive séfarade on parle de
« main de Miriam » en l'honneur de la sœur de Moïse et Aaron dans la Bible. Le
chiffre cinq s'écrit « HAMESH » en Hébreu et symbolise les cinq livres de la
Torah. Il représente aussi la cinquième lettre de l'alphabet « HEH » qui figure un
des saints noms de Dieu. Plusieurs auteurs juifs pensent que les cinq doigts de la
Hamsa leur rappellent d'utiliser leurs cinq sens pour louer et prier Dieu.
Elle est souvent comparée en Occident aux pattes de lapins porte bonheur.
19
Née en Asie et pratiquée depuis plus de 2OOOans en Inde et en Chine la
chiromancie est une pratique divinatoire qui consiste à interpréter les lignes de la
main. Chaque élément étudié (forme, monts, sillons...) est rattaché à un aspect de
la personnalité. Cette discipline est introduite en Europe au XIIe siècle et est
considéré comme un « art nouveau » par les intellectuels de l'époque Jean de
Salisbury la mentionne dans son Polacritus en 1159. Considérée comme une
science au XVIe et XVIIe siècle elle est associée à la physionomie dont nombres
de traités font écho Chiromanciae ac physionomie Anastasis de Bartolomeo
Cocclès, La chiromancie et physiognomonie par le regard des membres des
hommes de Jean d'Indaigne. Aucune étude scientifique n'a pu étayer la thèse de la
chiromancie, actuellement désuète elle a connu son âge d'or au Moyen Age avec
les diseuses de bonne aventure, en cachette de l’Église qui voyait dans ces
pratiques un culte du malin. La plus célèbre des chiromanciennes Marie Anne Le
Normand était consultée par Napoléon Bonaparte l'époque montrant un fort intérêt
pour la chiromancie et autres arts divinatoires.
En conclusion, sous forme de boutade on pourrait écrire que l’étude de la
main est une œuvre d’avenir.
I.5. LA MAIN CHEZ LES PHILOSOPHES DU XIXE ET XXE SIECLE : LE
SIEGE DE L 'ESPRIT CREATEUR :
Comment aborder la main d'un point de vue philosophique ? Pour les
philosophes de tous temps, la main a intrigué, fasciné... Pour eux, plus qu'un
simple organe, elle constitue le prolongement de l'esprit l'acte de l'intelligence, en
effet elle projette la pensée par les actes. Nous devons ce cheminement aux
penseurs du XIXe et XXe siècle ils se sont appuyés sur des raisonnements mais
aussi sur des données scientifiques. Paul Valéry (1871-1945) poète mais aussi
essayiste et penseur a passé une grande partie de sa vie à réfléchir sur le thème de
la main. Lors de son Discours aux Chirurgiens, prononcé le 17 Octobre 1938 à la
Faculté de Médecine de Paris, Valéry avoue « Je me suis étonné parfois qu'il
n'existât pas un « Traité de la main », une étude approfondie des virtualités
innombrables de cette machine prodigieuse qui assemble la sensibilité la plus
nuancée aux forces les plus déliées » [3]. Avant de conclure son intervention par
20
cette phrase «Ne pourrait t’ont la qualifier d'organe du possible ? ». La main rend
possible notre pratique, sa dextérité magnifiée par Paul Valery rend possible la
virtuosité artistique, si notre pratique est un art alors exercer sa main au toucher
pourrait nous rendre des virtuoses de l’ostéopathie ? Plus qu'un simple instrument
préhensile, il tente de démontrer que la main est un « organe extraordinaire en
quoi réside presque toute la puissance de l'humanité » pour lui, elle est autant
capable de Faire que de Penser. Pour expliciter cette faculté «à penser» il fonde
son raisonnement sur des découvertes embryologiques. En effet, la peau et le
système nerveux dérivent du même tissu embryologique : l'ectoderme. La
connexion entre la main et l'intellect lui semble évidente : « C'est grâce aux
informations transmises par la peau que le cerveau creuse ce qu'il y a de plus
profond en l'homme : sa pensée ». La main apparaît alors capitale au cerveau c'est
elle qui permet son fonctionnement et non l'inverse. « La main enrichit l'esprit
comme l'esclave enrichit son maître ».
Cette thèse sera reprise par Henri Bergson (1859-1941), philosophe
français qui écrira dans La pensée et le mouvant en 1934 « on oublie que
l'intelligence est essentiellement la faculté de manipuler la matière, qu'elle
commença du moins ainsi que telle était l'intention de la nature. Comment alors
l'intelligence ne profiterait elle pas de l'éducation de la main ? »6. Il rejoint dans ce
postulat Valéry en présupposant que la main est souveraine à l'intelligence car elle
semble l'ordonner. Pour Bergson l'intelligence passe forcément par la main avant
d'atteindre la tête.
Contemporain de Valéry et Bergson, Henri Focillon (1881-1943) est
historien, critique d'art et penseur. Dans son œuvre Éloge de la main 1934, il
considère que la main sollicite autant qu'elle entraîne l'esprit, «entre l'esprit et la
main les relations ne sont pas aussi simples que celle d'un chef obéît et du docile
serviteur.» [4] Il met en avant l'interaction entre ces deux entités, la main est
certes, au service de l'intelligence, mais c'est parce que cette dernière sait et est
capable de s'en servir. Les mains sont pour lui de véritables personnages avec
lesquelles nous entretenons une relation. Extérieures à l'esprit, elles peuvent agir
sur lui et contiguës au cerveau, elles le conditionnent. Ainsi, la pédagogie du
6 (Bergson, 2002)
21
toucher devrait être comprise à l’identique d’une pédagogie générale, et nous
verrons que la pédagogie des gestes mentaux s’applique à notre apprentissage de
la main.
Pour Martin Heidegger (1889-1976), philosophe allemand, sans la main il
n'y a pas d'intelligence car cette dernière permet le développement de l'intellect
grâce à la maîtrise technique du monde. Plus qu'un outil pour faite telle ou telle
chose, elle devient un outil de l'intelligence, elle donne du sens de l’être. Avec sa
main, l'Homme modèle, construit sa réflexion, et se structure ? Pouvons-nous y
voir un lien avec l'étymologie latine de « main » évoquée précédemment ?
Rappelons que « MENS » signifiant intelligence, partage la même racine
que « MANUS » la main. Célèbre pour sa théorie de l'Handwerk, (travail de la
main littéralement), il explique, que la spécificité de la main n'est pas organique.
Elle ne serait dans ce cas pas caractérisée par la préhension mais, par sa liaison
avec la pensée. En plus d'effectuer des opérations techniques (prendre, repousser,
attraper...) elle exprime la pensée dans ce qu'elle a de plus intime, la relation
d'intersubjectivité (elle offre, reçoit...) soit l'expression de notre « être avec ». Elle
manifeste autant par ses œuvres que par elle-même l'affectivité et l'intelligence qui
animent l'être humain.
L'homme construit son rapport au monde par la main, elle est son privilège
ontologique. Privilège ontologique, formule intéressante. L'homme va tirer sa
supériorité de son infériorité originelle (né nu, sans crocs, ni griffes pour se
défendre), il va devoir utiliser ce qui l'entoure et s'adapter contrairement à
l'animal. L'animal nous parait moins perfectible qui l'homme en s’adaptant à des
situations inédites, manifeste son inventivité et sa créativité pour ne pas
disparaître. La main, parce que sans fonctions prédéterminées est prête à toutes les
subtilités. L'invention de moyens pour se nourrir, s'abriter, assurer sa sécurité mais
aussi se divertir tout cela doit être de son propre ouvrage. Nous rejoignons ainsi la
théorie de l'évolution de Charles Darwin (1809-1882) naturaliste anglais dont les
travaux, sont exposés dans son œuvre De l'origine des espèces paru en 1859. Pour
lui, la clé de l'évolution est l'adaptation permanente des espèces à environnement,
et selon ses dires « L'homme n'aurait jamais atteint sa position prépondérante
dans le monde sans l'usage de ses mains. » [5]
22
En prenant en compte le contexte culturel de l'époque de ces théories,
(industrialisation massive de l'Europe, remplacement progressif de la main par la
machine, nouvelles techniques artistiques marquées par l'absence de la main dans
la création, chez Yves Klein notamment...), les penseurs de l’époque commencent
à opposer la conception et la réalisation, les dimensions intellectuelles et
manuelles.
Ces différentes analyses, paraissent montrer que nous ne pouvons
apprendre à penser sans nos mains…Sans nos mains l’évolution de l’espèce
humaine n’aurait sans doute pas eu la même destinée : le cerveau conçoit ce que la
main exécute et le cerveau apprend de l’expérience manuelle. C‘est la dualité
théorie-pratique des études ostéopathiques.
I.6. LA MAIN ET L 'OSTEOPATHIE .
«Qui a découvert l'ostéopathie ? Il y a 24 ans, le vingt deuxième jours de juin, à
dix heures, je vis une petite lumière à l'horizon de la vérité. D 'après ce que j'ai
compris, elle fut placée dans ma main par le Dieu de la nature.»
Extrait de : Autobiographie d'Andrew Taylor Still7.
Notre discipline fut créée aux États Unis à la fin du XIXe siècle par un
médecin, le Dr Andrew Taylor Still (1828-1917). Suite à une épidémie de
méningite, et en dépit de ses connaissances médicales quatre membres de sa
famille décèdent en 1864. De ce sentiment d'impuissance naîtra une profonde
réflexion sur le fonctionnement du corps humain. Et le 22 Juin 1874 une certitude
le frappe, la certitude d'être sur une piste celle d'une nouvelle façon de soigner. De
cette réflexion naîtra une rupture définitive avec la médecine traditionnelle pour se
consacrer à cette nouvelle méthode de soins qui deviendra l'ostéopathie. Grâce à
cette nouvelle thérapeutique manuelle s'appuyant sur la connaissance la plus
précise de l'anatomie humaine, il obtient ses premiers résultats cliniques
reproductibles, sur des cas de dysenterie. L'ostéopathie devient alors une réponse
7 (Still, 2008)
23
thérapeutique aux infections profitant du manque de moyens médicaux. A.T.Still
décède en 1917 à l'âge de 89 ans. Croisons ce bref rappel historique sur la genèse
de notre profession avec la définition de l'ostéopathie par les « instances » de
notre profession.
« L'ostéopathie est l'art de diagnostiquer et de traiter par la main les
dysfonctions de micro-mobilités des tissus du corps qui entraînent des troubles
fonctionnels pouvant altérer l'état de santé. (Référentiel profession ostéopathe),
(Registre des Ostéopathes de France, Syndicat Français des Ostéopathes,
Académies Ostéopathiques). Nous sommes donc face une définition d’une science
qui s'exprime dans une discipline diagnostique et thérapeutique qui utilise comme
unique instrument : la main. Cependant à la lecture de nombreux écrits
ostéopathiques, nous nous apercevons que la main décrite initiée à l’ostéopathie
diffère en bien des points de la main profane. Il est d'abord très difficile de se
procurer des textes ne traitant que de la main seulement, elle est abordée avec
d'autres notions telles que la conscience, la mémoire et l'esprit y sont souvent
associés.
La main initiée parait être un simple prolongement du cerveau, alors que
son éducation en tant que vecteur essentiel lui permet par des allers retours avec
les engrammes de décider de PALPER et non plus de toucher presque comme si
elle usait de réflexes monosynaptiques. Nous refermons alors le cercle de cette
étude pluridisciplinaire sur la notion de main connaissante, intelligente, qui nous
semble un des fondements de l'ostéopathie.
24
CHAPITRE II : LA MAIN OUTIL
ORGANE DU POSSIBLE ET DE LA
MANIFESTATION DE LA PENSEE .
« Je ne sépare la main ni du corps ni de l'esprit »
Henri Focillon in Éloge de la main 1934
Dans le but d’analyser la relation entre la main et le cerveau nous avons
choisi de l’illustrer par la thèse du philosophe allemand Emmanuel Kant « La
main est le deuxième cerveau »8. Nous vous proposons aussi un voyage
intellectuel à la croisée de différentes disciplines scientifiques dans le but.
I. LA MAIN OBJET : ORGANE DU TOUCHER ET DE
L'INNE .
I.1. ANT HRO POLOGI E : LA GEN ESE DU LI EN EN TR E LA
MAIN ET LE CERV EAU .
L'acquisition de la bipédie chez l'Homme est un phénomène
scientifiquement daté à 3.5 millions d'années avant notre ère. La transition d'une
position quadrupédique à une station verticale est multifactorielle et de
nombreuses thèses anthropologiques s'affrontent sans pour autant s'accorder sur la
primauté de l’événement qui a déclenché cette perturbation. Cependant, il existe
un consensus : la mise en place d'une pince poly indexielle permise grâce au
mouvement d'opposition du pouce. Elle permet de rapprocher la surface pulpaire
du pouce des surfaces pulpaires distales des quatre autres doigts de la main. Les
mouvements combinés de flexion, abduction et rotation interne sont permis par
une musculature très développée du pouce. Elle permet des mouvements de
précision tels que la saisie d'objets de très petite taille.
8 (Kant, 1990)
25
L'étude d'articles d'anatomie comparée9 entre l'anatomie de la main des
grands singes capables d'opposition (gibbons, orangs outangs et gorilles) et de
l'Homme nous ont conduits à l'observation suivante : l'opposition est permise par
la différence de longueur entre le pouce et les autres doigts. En effet le pouce
humain est plus court ce qui entraîne une préhension et une manipulation des
objets par l'extrémité de l'index et non avec la face latérale de la phalange,
augmentant l'aire de contact entre les pulpes digitales du pouce et de l'index. Cette
caractéristique anatomique est strictement humaine.
La main capable de précision devient un organe de préhension et de
palpation, elle se libère de sa fonction sustentatrice et locomotrice en cessant
d'être une « patte ». Parallèlement on observe une augmentation du volume de la
boîte crânienne qui coïncide avec l’apparition des premiers outils. Il nous faut
noter que l'évolution de la main est intervenue plus tôt que celle des structures
cérébrales requises pour profiter de cet avantage, la main a donc précédé le
cerveau.
Initialement, l’homme utilise les objets de son environnement non
modifiés (pierres, bois...), ils les ont perfectionné et transformé en outils dans un
but précis (les pierres sont taillées et polies permettant un meilleur tranchant).
Cette étape de l’évolution nécessite une idée, un concept, permis par une capacité
cérébrale suffisante, car la réalisation technique dépend d'une activité
intellectuelle préalable qui parait avoir besoin de la main pour optimiser le
concept imaginé. Nous sommes donc en présence de deux structures organiques
corporelles créatrices d'intelligence. Dans ces conditions nous ne saurons rattacher
l'intelligence à la spiritualité mais au lien de solidarité réciproque entre ces deux
structures par l'intermédiaire de modifications circulatoires d'origine nerveuses.
II.2. RAPP ELS AN ATO MIQUES :
9 (Oberlin, 2006)
26
Quelques prérequis anatomiques nous semblent essentiels à présenter
avant de développer les imbrications physiologiques des voies motrices et
sensorielles. La main est constituée de 27 os répartis en 3 régions distinctes [6].
LES OS CARPI EN S au nombre de huit sont répartis en deux rangées
superposées constituant le poignet. C'est une zone rétrécie, formant une rotule
autour de laquelle la main peut s'orienter dans les trois plans de l'espace, peu
mobile, il constitue le lieu de passage des tendons extrinsèques de la main et des
troncs vasculaires et nerveux.
Une région MET ACARPI ENN E formée de 5 os, reliés entre eux par un
ensemble fibreux transversal (sauf pour le premier), constituant une zone large et
plane servant de support et assurant la transition entre le poignet et les doigts.
C'est un secteur de semi-mobilité intercalé entre une zone raide (le carpe) et une
zone souple (les phalanges) sur le plan vasculo-nerveux, il constitue la région des
anastomoses.
Les 14 P HALAN GES sont un ensemble tentaculaire de cinq rayons,
composés de trois segments articulés (2 pour le pouce), capable d'adapter leurs
formes aux différentes prises. C'est la voie finale des tendons extrinsèques et
intrinsèques de la main et la zone des terminales vasculo-nerveuses.
Il existe 29 MUS CLES à l'origine des mouvements de la main. La plupart
d'entre eux ont une insertion extrinsèque à la main, au niveau de l'avant-bras,
responsables des mouvements de force et de grande amplitudes et les muscles à
insertions intrinsèques sollicités lors des mouvements fins et précis.
Ils reçoivent leur INN ER VATION par trois nerfs sensitivo-moteurs: radial,
médian et ulnaire. La topographie exacte de l'innervation sensitive et motrice varie
d'un individu à l'autre, cependant dans la littérature anatomique et d’un point de
vue fonctionnel, le nerf médian est le plus important car il permet la transmission
de l'information nerveuse de la plus grande zone de peau palmaire et innerve les
muscles intrinsèques responsables de la mobilité du pouce.
L'ensemble de la main est recouverte de PEAU qui est glabre à sa face
palmaire, relativement épaisse et capable de se courber le long des plis de flexion
du poignet lors des mouvements de prise. Ces plis délimitent les aires de mobilités
27
de la peau en comparaison avec d'autres espaces peauciers solidement liés aux
tissus sous-jacents et dotés d'une mobilité moins importante.
H ISTO LO GIQUEMENT [7] la peau est divisée trois couches d'épaisseur
variable.
Un épiderme (couche externe protectrice), c’est un épithélium constitué de
cinq sous couches de cellules posées sur une basale, accueillant les disques
de Merckel dans sa couche la plus profonde, et responsable de l'apparence et de la
santé de la peau, il constitue également une barrière protectrice contre la
déshydratation, les attaques bactériennes et assure la conduction nerveuse
thermique en protégeant les terminaisons nerveuses libres.
Un derme qui ne comporte que deux sous couches, cinq à sept fois plus
épais que l’épiderme et représente 15-20 % du poids total du corps. Le derme
permet de nourrir l'épiderme grâce à un vaste réseau de capillaires et vaisseaux
sanguins mais aussi de le soutenir grâce à sa composition de fibres de collagène,
d'élastine et de fibres réticulaires. A l'intérieur du réseau fibrillaire du derme, on
retrouve des terminaisons nerveuses encapsulées comme les corpuscules de
Ruffini et de Meissner.
La troisième couche de tissus sous cutanés est l'hypoderme : c’est une
couche graisseuse située sous le derme et accueillant les corpuscules de Paccini.
Considérée scientifiquement comme appartenant à la peau elle permet la
thermorégulation du corps, elle protège les tissus sous-jacents des traumatismes
mécaniques et constitue une source d'énergie.
Les récepteurs sont organisés en champs plus ou moins étendus et classés
selon leur rapidité d'adaptation. Les mécanorécepteurs sont en lien permanent
avec le cerveau et participent à l’établissement des schémas sensori-moteurs que
nous développerons plus tard.
28
FIGURE 3: LES RECEPTEURS SENSOR IELS DE LA PULPE DIGITAL
FIGURE 4:REPRESENTATION DES CHAMPS DE RECEPTEURS DE LA FACE PALMAIRE DE
LA MAIN
29
I.3. NEURO-P HY SIO LO GIE : A LA DECO UV ERT E DES
SY ST EMES P ER CEPTI FS ET MOT EUR S :
« Percevoir, c’est se rendre quelque chose de présent à l’aide du corps »
Maurice Merleau-Ponty in Phénoménologie de la
perception 1945.
Il est d’usage d’expliquer la découverte de l’environnement chez l‘Homme
par l’interaction de ses cinq sens cette classification sensorielle constitue une
première approche de la perception du monde qui nous entoure. Les images
mentales, les sons mentaux, les potentiels d’actions liés au tact au gout ou à
l’odorat simultanément sur les aires sensorielles créent des liens cognitifs entre les
informations : voir une fourrure déclenche et fournit au cerveau les évocations
issues de l’apprentissage : non seulement le mot soyeux apparait mais la sensation
préalable du mot peut exister en pré ressenti. Cela nous permet de comprendre
qu'un diagnostic qui parait s’imposer peut, peut-être, influencer notre palpation.
La main alors peut trahir la thérapeutique.
Yvette Hatwell, professeur émérite de psychologie expérimentale à
l'université Pierre Mendès France à Grenoble, aborde l’importance de chaque sens
dans la perception des informations sensorielles. Selon elle, les stimuli sont perçus
à 83% par la vision, à 11% par l’audition, 3.5% par l’odorat, 1.5% par le toucher
et 1% par le goût10
.
Ainsi, sans négliger les autres sens, nous avons centré notre étude sur la
perception tactile manuelle liée aux mouvements volontaires de la main décidés
consciemment ou non. Afin d'illustrer la relation de réciprocité entre l'action et la
perception, nous avons choisi de centrer notre étude sur l’haptique (du grec
Haptomai « je touche ») et des phénomènes kinesthésiques liés à la main.
La main se présente à la façon d'un système double, comprenant «une
fonction motrice » capable de saisir, façonner les objets de notre environnement et
« une fonction perceptive » nous permettant de s'approprier le monde selon
Édouard GENTAZ.
10
(Hatwell, et al., 2000)
30
Tâchons de définir LA P ER CEP TION . Selon les travaux de Mrs DELION,
RICHIEUX et GICQUEL, la perception correspond : « à l'aboutissement du
processus d'analyse à partir du stimulus initial, au moment où notre main, mais
aussi l'ensemble de notre corps vont à la rencontre de « l'objet » étudié.
Complétons cette définition par la vision d'Alain Berthoz professeur au Collège de
France, qui évoque que la perception n’est pas seulement une interprétation des
messages sensoriels elle est également contrainte par l’action, le jugement, la
prise de décision et l’anticipation des conséquences de l’action (ce qui sous-tend
l'intervention de processus cognitifs) [8].
Clé de voûte de la perception, le sens du toucher se détache des quatre
autres en étant un sens de contact dont la particularité est de posséder ses
récepteurs sensoriels dans les différentes couches de notre peau. Bien que
l'ensemble du corps participe au sens du toucher, la bouche et les mains sont les
organes les plus performants en raison du grand nombre de récepteurs sensoriels
qu'ils possèdent.
En tant qu'ostéopathe, la perception manuelle est la plus utilisée. Il est
d'usage de distinguer deux types de perceptions tactiles manuelles: la perception
cutanée et la perception haptique (ou tactilo-kinesthésique). La première résulte de
la stimulation d'une partie de la peau alors que la main est totalement immobile,
ne faisant intervenir que des déformations mécaniques de la couche superficielle
de la peau. La seconde résulte de la stimulation de la peau provenant des
mouvements actifs d'exploration manuelle entrant en contact avec des « objets ».
Nous observons alors en plus de la déformation mécanique de la peau celle des
muscles, tendons et articulations liés aux mouvements d'exploration. La
perception haptique est formée de l'intégration par les centres supérieurs des
informations cutanées, motrices et proprioceptives dans le but de former un
ensemble indissociable.
Cette analyse a priori paradoxale de la perception opposant une sensation
passive à une exploration active et volontaire fait écho totalement à notre vécu
d'étudiant ostéopathe. Tout en respectant le principe de globalité notre
enseignement a été subdivisé en deux pratiques. L' apprentissage des techniques
structurelles, nous permettant d'éduquer notre main comme une entité active,
31
traitante mais aussi exploratrice, impliquant le ressenti de dysfonctions articulaires
par des paramètres objectifs ( restriction de mobilité, modification des rapports
articulaires traduits par des paramètres de densité, tension, inertie) et
l'apprentissage de techniques fonctionnelles centrées sur l'éducation de la main et
l'étude des sensations tactiles fines ajoutant à nos paramètres objectifs, l'approche
de la subjectivité ( prise en compte de l'état de conscience du praticien mais aussi
sa qualité de présence, son intention et son attention).
Nos émettrons cependant une réserve quant à la palpation passive cutanée
exprimée lors de notre présentation. La palpation fonctionnelle n'est JAMAIS
passive le seul point commun est la présence d'une main immobile, cette main qui
plus qu'un outil deviendra vecteur de soin par l'ajout de notre subjectivité que
nous vous présenterons dans le chapitre suivant. En guise d'introduction à notre
étude de l'haptique en tant qu'outil de compréhension de notre pratique, nous
avons choisi de reprendre le texte du Dr Rollin Becker Le toucher diagnostic, ses
principes et son application 1963 pour qui, seul « un esprit éveillé et ouvert à
toutes les approches permet (tait) d'améliorer ses aptitudes » et par « le
développement de ses propres outils subjectifs notamment un toucher pensant et
perceptif ». La pratique d’un art suppose l’exécution de gammes afin de
comprendre les nuances et d’oublier la technique : apprendre l’ostéopathie
suppose les mêmes degrés d’apprentissage. En répétant on inscrit des engrammes
de position mais aussi de vitesse puis d’appréciation des diverses qualités
tissulaires permettant de rendre la main plus experte. L’idée force devrait être
d’arriver à nuancer ce que l’on ressent et à ne pas l induire.
La main, outil de communication,, est entrée en apprentissage de la
mesure, de l’appréciation, du modelage, elle appréhende au sens strict l’autre, et
manipule sous le contrôle du ressenti et peut faire. La main accompagne et guérit
les deux pôles du mot grec « thérapein ».
II. ORGANISATION ANATOMO-PHYSIOLOGIQUE DE
LA PERCEPTION CUTANEE ET HAPTIQUE :
32
Le système somesthésique ne constitue pas une entité homogène, car ses
récepteurs présentent une grande dispersion et une grande diversité fonctionnelle.
Il est cependant, le substrat neuronal commun aux deux formes de perception
tactile manuelle. Dans la perception cutanée, les informations issues de la
déformation mécanique de la partie de la peau stimulée sont codées par les
mécanorécepteurs cutanés. Il en existe plusieurs types qui se différencient par leur
façon de répondre à la stimulation de la peau, en conséquence, chacun possède un
rôle spécifique.
II-1 FON CTION DES R ECEPT EU R S ET OR GANIS ATION
DES AFFER EN CES
Décrits dans le sous chapitre « Pré requis anatomiques » nous nous
attachons, ici, à développer leurs fonctions. Ainsi les récepteurs de Merckel
coderaient principalement les informations sur la forme et la texture des objets
alors que les corpuscules de Meissner coderaient surtout les mouvements sur la
surface de la peau. Dans la perception haptique, aux informations cutanées
s'ajoutent les informations issues de la déformation mécanique des récepteurs
proprioceptifs issus des mouvements d'exploration de la main. Ceux-ci sont situés
au niveau des muscles, des tendons et des articulations. Les récepteurs
musculaires renseignent sur la longueur des muscles et la vitesse de changement
de cette longueur. Les récepteurs tendineux informent sur le niveau de tension des
muscles et ses variations dans le temps. Les récepteurs articulaires auraient un
rôle de régulation et/ou de facilitation de la proprioception musculaire.
L'ensemble des informations codées par les mécanorécepteurs cutanés et
proprioceptifs sont transmises au système nerveux central par deux voies
ascendantes majeures :
- la voie extra lemniscale non traitée dans notre exposé, responsable d'une
transmission lente (les axones de petits diamètres transmettent les signaux à une
vitesse de 8à 40m/s) d'informations thermiques, douloureuses et tactiles grossière.
- la voie lemniscale qui transmet rapidement (les axones de grand diamètre
transmettent les signaux à une vitesse de 30 à 110m/s) et précisément (au niveau
33
temporel et topographique) les informations relevant de la sensibilité tactile fine et
de la proprioception consciente.
Les fibres de la sensibilité épicritique monte au bulbe sans faire de relais
dans les neurones de la corne postérieure elles croisent ensuite le plan médian au
niveau du bulbe et montent dans le tronc cérébral du côté opposé pour rejoindre
les noyaux spécifiques du thalamus (le groupe ventro-postérieur) qui projettent
l'information vers les aires somesthésiques primaires mais aussi vers les aires
associatives et le cortex moteur.
FIGURE 5:VOIES DES COLONNES D ORSALES-LEMNISQUE MEDIAN
II-2 LES P ROPRI ETES GEN ER A LES DES AIR ES
SO MEST HESI QUES :
La transmission des informations sensorielles périphériques suit une
répartition précise sur le cortex en fonction de la zone qui perçoit : la somatotopie.
Les informations qui arrivent de l'aire somesthésique primaire S1 (située dans la
partie antérieure du cortex pariétal), se distribuent dans cette aire en fonction de
leur origine.
34
La totalité de l'hémicorps controlatéral est représenté dans S1. Pour chaque
neurone de S1, il existe une région spécifique de la peau qui constitue le champ
récepteur de la cellule. La taille et la densité des champs récepteurs varient selon
l'importance fonctionnelle des différentes parties du corps. Les régions les plus
sensibles et les plus représentées au niveau cortical (doigts, lèvres et langue)
possèdent les champs récepteurs les plus petits mais la plus grande densité de
récepteurs par unité de surface cutanée.
Chaque champ récepteur est constitué d'une région centrale excitatrice et
d'une région périphérique inhibitrice de sorte que la stimulation d'un point de la
peau provoque l'activation d'un groupe de neurones corticaux et simultanément
l'inhibition des neurones avoisinant permettant d'augmenter le contraste. On parle
de précision perceptive.
Les informations sensorielles demeurent relativement indépendantes les
unes des autres, jusqu'au niveau cortical. Ceci est encore vrai au niveau de S1,
mais de façon légèrement différente. Le module de base du fonctionnement
cortical est celui de la colonne vertébrale. Selon les travaux de Vernon
Mountcastle neurophysiologiste américain, les cellules qui répondent au même
type de stimulation forment des colonnes traversant l'ensemble des couches
corticales. Chaque colonne traite les signaux de différentes provenances en
fonction des propriétés générales de l'aire et de ses connexions intrinsèques.
L'organisation de chaque colonne est perpendiculaire à la surface corticale. La
sortie de chaque colonne est multiple et agit sur de nombreuses aires corticales et
sous corticales. Cette organisation en colonnes permet l'existence de traitements
parallèles et/ou simultanés des informations.
Ainsi non comprend l’utilité de croiser les informations perceptives et
l’importance de proposer aux étudiants thérapeutes les liens qui sont pour eux
inédits dans leur apprentissage.
II.3. Étude des aires corticales impliquées dans la perception cutanée et haptique :
35
Les travaux d'Yvette Hatwell et d’Édouard Gentaz montrent qu'il existe
des aires corticales plus spécialisées que d'autres dans les perceptions cutanées et
haptiques11
.
L E S A I R E S S O M E S T H E S I Q U E S P R I M A I R E S E T S E C O N D A I R E S :
Situées dans la partie antérieure du cortex pariétal, les aires
somesthésiques primaire et secondaire dites S1 et S2, sont responsables du
traitement des afférences cutanées et proprioceptives.
FIGURE 6: POSITION ET NUMEROTATION DES AIRES D E L A SOMESTHESIE ( SOURCE E-
ANATOMY, 18 JUIN 2014 16H30)
L'aire S1 st située entre la scissure de Rolando et la scissure post centrale.
Elle est organisée en colonnes verticales et en six couches horizontales. Certaines
colonnes sont spécialisées dans la proprioception et d'autre dans la sensibilité
tactile. La répartition en couches horizontales des cellules d'une même colonne
permet (selon la couche à laquelle la cellule appartient) de réceptionner ou de
transférer les informations vers d'autres structures. L'aire S1 se subdivise en
quatre sous-aires selon la nature des stimuli traités (1-2-3a et 3b). Les neurones de
11
(Hatwell, et al., 2000)
36
l'aire 3b et1 répondent aux stimulations cutanées légères. Les neurones de l'aire 3b
permettent les traitements neuronaux de la perception tactile de la forme et de la
texture. Les neurones de l'aire 3a reçoivent les afférences proprioceptives
musculaires. Les neurones de l'aire 2, les afférences proprioceptives articulaires.
Sur chacune de ces aires l'hémicorps controlatéral est représenté, par conséquent,
il existe quatre représentations juxtaposées de l'hémicorps controlatéral. L'aire
S2, située à la base du gyrus post central présente une organisation fonctionnelle
proche de celle de S1 mais, à la différence de S1 elle reçoit les afférences en
provenance de tout le corps.
L'A I R E M O T R I C E P R I M A I R E :
Située dans la région adjacente au sillon de Rolando dont elle constitue la
berge antérieure, elle est organisée de manière somatotopique et des cartes de la
représentation musculaire sont établies. Les aires correspondant à la main et à la
face sont les plus étendues. La principale efférence du cortex moteur est la voie
pyramidale. Entièrement croisée pour la musculature distale (mains, bras, jambe,
pieds) et bilatérale pour la musculature proximale (tête, cou, épaule). Les
terminaisons pyramidales au niveau de la moelle font synapse avec différents
types de neurones afin d'exercer (le plus souvent) une action excitatrice et parfois
inhibitrice.
L'aire motrice primaire contrôle les mouvements élémentaires. La
représentation corticale de la commande d'un même mouvement peut être
multiple. Les neurones de l'aire motrice primaire sont fortement liés aux
informations somesthésiques. En effet, une anesthésie locale des zones de la peau
entrant en contact avec un « objet » à saisir perturbe la force initiale.
Réciproquement, l’exécution d'un mouvement actif peut réduire voire supprimer
la transmission d'afférences cutanées.
En conclusion, les neurones de l'aire motrice primaire forment, avec leurs
afférences sensorielles des modules sensori-moteurs. Ces modules sont sous
dépendance d'autres structures comme les noyaux de la base, les aires associatives
pariétales, prémotrices et préfrontales.
37
Cette organisation explique parfaitement comment la perception active
peu s’organiser au niveau cérébral et qu'une conscientisation de la perception
n’est pas forcément utile : l’apprentissage par l’expérience montrera à la main
apprentie qu’un tissus épais riche en adipocytes nécessite un déploiement plus
important de pression. Si l’apprentissage est conscientisé l’expérience installera
la réponse musculaire adaptée à la qualité tissulaire rencontrée, grâce aux liens des
neurones de l’aire motrice primaire avec les informations somesthésiques.
L E S A I R E S P A R I E T A L E S P O S T E R I E U R E S E T P R E M O T R I C E S :
Elles correspondent aux aires 5 et 7 organisées en sous-ensembles
spécialisés dans le traitement d'un type d'information. L'aire 7 est subdivisée en
aire 7a spécialisée dans la représentation de l'espace et en aire 7b composée de
neurones moteurs et somesthésiques (dont certains sont visuo-tactiles et répondent
à la même localisation spatiale du stimulus). Pour l'aire 5, les neurones
somesthésiques répondent à la mobilisation de plusieurs articulations ou là la mise
en jeu simultanée d'afférences articulaires et de champs de récepteurs cutanés. Les
neurones moteurs sont actifs lors de mouvements de projection du bras ou de
manipulations.
Les aires prémotrices se composent de l'aire prémotrice à proprement parlé
et de l'AMS ou aire motrice supplémentaire. L'aire prémotrice est située sur la
face externe du cortex et est en relation avec le cervelet. Elles jouent un rôle
prépondérant dans l'organisation des mouvements déclenchés et contrôlés par des
signaux extérieurs (visuels, tactiles), tels que la préhension et les manipulations.
L'AMS est située sur la face médiane de l'aire 6. Elle est en relation avec les
noyaux de la base et intervient dans les activités auto initiées, dans la préparation
et l'exécution de séquences temporelles et dans les activités ambidextres non
symétriques. Il s'agit pour la plupart de ses actions, d'actions mémorisées.
L E C O R T E X P R E F R O N T A L E T L E S Y S T E M E L I M B I Q U E :
Le cortex préfrontal représente un quart de la surface du cortex humain, il
est situé juste en avant des aires motrices, prémotrices et motrices supplémentaire.
Il possède des connexions réciproques avec toutes les aires impliquées dans le
traitement des informations sensorielles. Par ses afférences avec le cortex
prémoteur, il participe au contrôle moteur. Grâce à ses connexions avec le
38
thalamus et le complexe amygdalo-hippocampique, il intervient dans la
mémorisation et dans la motivation (par l'intermédiaire du complexe limbique). Il
joue un rôle important dans le processus d'attention au stimulus et dans la
mémorisation à court terme des séquences d'évènements sensoriels. Un des
enjeux est de comprendre comment toutes ces structures s'organisent pour
produire une réponse adaptée. Il existe de très fortes interconnexions entre elles,
organisées selon une règle fondamentale de réciprocité.
A la fois horizontales et verticales avec des liaisons directes (sans
synapses) elles peuvent franchir plusieurs niveaux ; leur nombre très important à
l'avantage d'assouplir le fonctionnement du système. Cependant, il n'existe pas de
consensus entre les auteurs quant à la réalisation de coordination des structures
cérébrales impliquées dans la réalisation d'une action précise.
Une théorie semble cependant se détacher : face à une tâche donnée, les
structures cérébrales seraient sélectionnées et se lieraient transitoirement les unes
aux autres par synchronisation de leur activité électrique. En émergerait
momentanément une sorte de réseau, dans lequel seraient concentrées les
ressources cognitives dont l'individu dispose pour effectuer cette tâche.
Considérons la palpation ostéopathique comme une tâche donnée, tout en
s'appuyant sur la théorie précédente nous en déduisons l'intervention des mêmes
structures corticales et l'apparition récurrente des mêmes réseaux cognitifs.
L’apprentissage doit permettre de rester maître du déclenchement musculaire, si la
réponse automatisée est souhaitable (par exemple lors de la réalisation du toucher
adapté au nourrisson) les gestes mentaux d’attention doivent rester en éveil et une
des priorités pourrait être de rester dans l’intention de la perception : est-ce que je
ressens comme ce que je sais ou pas comme ce que je sais ? Sinon la main
automatisée par l’apprentissage pourrait devenir dangereuse. Nous avons donc fait
évoluer notre approche de la main consciente, elle doit pour devenir virtuose
rester en éveil des informations perceptives et que le thérapeute soit conscient
qu'’il induit une réponse tissulaire peut être différente de ce qui se produit sans sa
main.
Nous savons depuis longtemps que l'organisation corticale se caractérise
par une grande plasticité. Ainsi, le fait de modifier l'importance relative des
39
connexions synaptiques en augmentant la stimulation ou en désactivant une voie
nerveuse modifie l'organisation des aires corticales impliquées. Il semble donc
que l'usage intensif d'un ou plusieurs segments du corps entraîne une
augmentation de sa ou de ses représentation(s) corticale(s) dans les aires
somesthésiques, augmentant la rapidité de traitement des informations perceptives
et à terme les capacités tactiles de l'individu. Le danger étant de ne pas rester en
éveil et en vigilance des biais induits par l’automatisme créé et par l’induction sur
le tissu observé.
III. CARACTERISTIQUES DE L A PERCEPTION
HAPTIQUE ET INTERET DE SA COMPREHENSION
DANS LA PRISE EN CHARGE OSTEOPATHIQUE :
Nous savons que les sens fonctionnent rarement isolément, par exemple
chez le visuel, vision et toucher sont intimement liés. Ces deux sens apportent en
grande partie des données sur les même propriétés de notre environnement
(localisation, forme, taille, orientation, texture...), ils doivent donc être coordonnés
pour que se forme une image cohérente et unifiées des « objets ».
Chez l'adulte, chaque sens possède un domaine d'excellence dans lequel il
est dominant, alors qu'il est dominé dans un autre. En haptique les chercheurs
distinguent les propriétés spatiales de forme et de taille des propriétés matérielles
texture et dureté inhérente à chaque « objet ». Ainsi la vision est spécialisée dans
le traitement des données spatiales. Le sens haptique serait spécialisé dans les
propriétés matérielles de texture, de dureté et d'élasticité. (Rappelons que les
différents procédés haptiques ont été étudiés grâce aux interactions entre un sujet
vivant et un objet inanimé.) Cette meilleure adaptation du toucher aux propriétés
de substance serait due à la grande densité de récepteurs cutanés permettant
d'accéder à ces propriétés et à la simplicité des mouvements
exploratoires nécessaires à la perception de ces propriétés.
Ces mouvements sont appelés : procédures exploratoires et ont été décrites
par Susan Lederman [9] et Roberta Klatzky Toutes deux professeurs de
psychologie à la Queens University d'Ontario (Canada) et à la Carnegie-Mellon
40
University de Pittsburg (USA). Elles correspondent à un ensemble de
mouvements spécifiques qui se caractérisent par la quantité d'informations qu'ils
peuvent apporter et donc par l'éventail de propriétés auxquelles ils sont adaptés.
Certaines procédures sont extrêmement spécialisées, d'autres plus générales.
Nous distinguons ainsi:
- le mouvement latéral par frottements latéraux répétitifs pour identifier la texture,
- le mouvement de pression pendant lequel les forces du sujet ont appliquées à la
surface de l'objet afin d'en extraire les informations relatives sa dureté,
- le mouvement de soupesage permettant au sujet d'évaluer les poids de l'objet,
- le mouvement d'enveloppement qui implique des mouvements de la paume et
des doigts sur l'objet pour en extraire des propriétés volumétriques et en déduire
sa forme ; ce que l’on nomme la stéréognosie.
- le contact statique informe sur la température et plus approximativement sur la
forme, la taille, la texture et la dureté,
-le mouvement de suivi de contours qui permet de connaître précisément la taille
et la forme de l'objet.
L'identification haptique est un traitement parallèle et interactif des
informations consistant en une boucle entre une séquence de procédures
exploratoires et l'extraction des propriétés de l'objet analysé. Lederman et Klatzky
(1993) ont observé chez les adultes des stratégies d'exploration en deux temps :
- une première approche globale au cours de laquelle des procédures non
spécifiques sont mises en place elles mobilisent toute la main et apportent des
informations peu précises sur plusieurs propriétés et permettent une connaissance
globale.
- une seconde approche mettant en place des procédures spécifiques, par exemple
pour la forme les adultes commencent par une procédure d'enveloppement puis
passent au suivi des contours.
Le choix de ces procédures exploratoires dépend du contexte et du sujet ;
selon ses hypothèses sur la forme à percevoir et sur les éléments qui lui manquent.
De plus, le système haptique est le seul à modifier volontairement la taille de son
41
champ perceptif tactile utilisé pendant l'exploration : il passe du doigt immobile à
la sollicitation de la surface entière des deux mains en mouvement.
Concernant les propriétés spatiales, comme la localisation l'étroitesse
neurologique des champs perceptifs tactiles a des effets marqués ; pour y pallier,
le sujet doit effectuer intentionnellement des mouvements d'exploration dans
l'espace de travail pour chercher (s'ils existent) des repères extérieurs.
Chez les visuels, les données spatiales en provenance du toucher seraient
systématiquement « retraduites » dans le format d’images pour les faire bénéficier
des représentations visuelles acquises antérieurement. Inversement, les données
visuelles relatives aux textures pourraient à leur tour être recodées dans le format
haptique.
On voit ainsi que les différentes modalités fonctionnent de manière
complémentaire. L'analyse de ces données scientifiques permet d'associer une
valeur diagnostique aux gestes usuels de nos consultations.
Mais nous verrons que les types de traitement de l’information passent par
un geste mental qui s’appelle l’évocation. Le visuel préférentiel que nous venons
de décrire peut très bien se trouver être un verbal dans sa manière d’évoquer ;
ainsi cet individu en perception visuelle voit l’aire motrice cérébrale motrice du
langage stimulée. Les travaux du Professeur Paul Laget cités dans les travaux
d’Antoine de La Garanderie présentent une onde cérébrale en l’absence de
l’objet de perception; ils ont appelé cette onde : l’onde de l’évocation. Parfois, des
sujets se parlent leurs perceptions, d’autres les visualisent, les derniers
enregistrent le mouvement. Ainsi de multiples profils de thérapeutes se dessinent
ce qui obligerait à une expertise individualisée permettant de dégager des
méthodes d’apprentissage adaptées au plus grand nombre.
Une difficulté persiste dans la pratique ostéopathique, elle été soulevée
dans l'ouvrage de Paul R Lee Interface12
: comment percevoir à l'intérieur du
corps alors que nos mains se trouvent à la surface ? L'analyse et la compréhension
des procédures exploratoires nous semblent être un des éléments de réponse à
cette problématique. En effet, inconsciemment, nous utilisons ces procédures
12
(R.Lee, 2011)
42
exploratoires lors de nos consultations et nous « retraduisons » grâce à nos
évocations les données spatiales du corps humain.
Cependant, les consultations sont davantage qu'un enchaînement de
procédures exploratoires, grâce à la main nous établissons une relation
thérapeutique perceptible qui évolue. Lors de notre première prise de contact avec
notre patient, nous effectuons, par l'intermédiaire de nos tests un suivi de contour
et une procédure d'enveloppement. Nous référant à des propriétés de taille, forme
mais aussi de volume par des mouvements de la paume et des doigts, nous
évaluons l'intégrité des reliefs osseux, la qualité de trophicité musculaire et la
tonicité viscérale. Cette procédure de « scanner ostéopathique » mise en place lors
de notre consultation nous permet de cerner et comprendre au mieux la plainte de
notre patient.
Contrairement au mouvement de soupesage peu utilisé, les contacts
statiques nécessaires à l'évaluation calorifique des tissus, les pressions appliquées
qui nous transmettent les différences de densité et les frottements latéraux qui
nous renseignent sur la texture de la peau du patient sont des gestes très exploités.
L'enchaînement de ces gestes de moins en moins conscientisés au fur et à
mesure de notre apprentissage permet de rechercher les algies, les différences de
textures, les pertes de repères osseux et les restrictions de mobilité qui établissent
les lésions ostéopathiques. Le recrutement de nos acquis par le retour sur les
expériences cliniques, sur les figures d’apprentissages ou les textes permet une
confrontation avec ce qui est observé. L’apprentissage guide la main par la
connaissance des liens étio-pathogéniques : la procédure mentale pour réaliser un
diagnostic est aussi un véritable apprentissage de la main consciente et vigilante.
Les procédures exploratoires permettent à la main de chercher de manière
autonome les paramètres dysfonctionnels, parce que ces gestes ne sont pas
intellectualisés nous avons parlé d’une possible intelligence manuelle en intégrant
les voies afférentes et efférentes directes.
A la manière des hommes préhistoriques nous avions un outil mais sans
comprendre son fonctionnement, décoder les procédures d’apprentissage nous
43
ouvre l’esprit à une main qui peut tromper ou qui peut sur traiter par habitude. La
limite de la « main intelligente » se trouve sans doute là.
CHAPITRE III : LA MAIN INTERFACE DE
TRANSITION ENTRE LA STRUCTURE ET LA
FONCTION , LE MATERIEL ET LE SPIRITUEL . « Une tête intelligente apprendra vite qu'une main légère et un mouvement délicat
font le geste et l'esprit qui obtiennent le résultat désiré»
Andrew Taylor Still
44
Nous nous proposons, au cours de cette troisième partie, d'expliciter la
phase de traitement lors d'une consultation d'ostéopathie; ses implications
cognitives et ses critères de réussite.
Notre travail a été construit en trois chapitres, ce plan fait écho aux trois temps
de nos consultations l'anamnèse, les tests et le traitement :
L'anamnèse ou temps interrogatoire correspond à l'étude du motif de
consultation, la compréhension de son patient, de son histoire et de
l’environnement dans lequel il évolue. Cette phase orale fait intervenir une
part symbolique, de l'ordre de l'inconscient, il concerne la capacité de
représentation et, est lié à l'acte de parole.
La phase de tests qui, par une recherche manuelle précise (utilisant les
procédures exploratoires décrites) mettent en évidence des dysfonctions
articulaires, viscérales, musculaires et crâniennes.
Enfin, le traitement ostéopathique.
I. LES PRINCIPES DU TRAITEMENT
OSTEOPATHIQUE :
Quelle est la définition de l'Homme au sens ostéopathique ? L’intérêt
d’une telle question au début de cette partie réside dans l’étymologie du mot
thérapein on ne peut bien accompagner et traiter que ce que l’on connait.
Une des définitions les plus parlantes est une citation d'Andrew Taylor
Still, « … et après toutes ces explications, nous devons décider que l'homme,
lorsqu'il est complet est trinitaire. En premier, le corps matériel, en second, l'être
spirituel, en troisième, un être de pensée de loin supérieur à tous les mouvements
vitaux et aux formes matérielles, dont le devoir est de diriger sagement ce grand
mécanisme de vie » Andrew Taylor Still in Philosophie de l'ostéopathie édition
2003, p.220.
La compréhension de cette description trinitaire est essentielle au bon
déroulement de notre soin. En effet, l'étude de la philosophie d'Andrew Taylor
Still nous montre que l'Esprit (synonyme de Vie) est organisateur de la Matière (
synonyme de structure) et du Mouvement ( synonyme de fonction). En intégrant
cette vision à notre philosophie de travail, nous élevons notre traitement au-dessus
45
d'une simple thérapie manuelle ou d'un enchaînement de technique. Plus qu'un
« mécanicien ou ingénieur du corps humain », nous devenons ostéopathe en
ajoutant à notre connaissance anatomique, physiologique et sémiologique, des
principes.
«Pour un ostéopathe, le mot principe signifie un plan et des caractéristiques
parfaits pour construire une maison, un mécanisme, un homme un monde ou
n'importe quoi ayant un objet ou un dessein. Pour comprendre ce mécanisme de
vie -ou homme- si élaboré, et toutes ses possibilités pour lesquelles il fut conçu, il
est nécessaire de conserver constamment à l'esprit le plan et les caractéristiques
afin qu'il n'y ait pas de lacune dans la connaissance des relations et de
l'utilisation de toutes les parties.» Andrew Taylor Still in Philosophie de
l'ostéopathie édition 2003, p.42-43.
Le mot «principe» est à comprendre au sens «idée», «commencement»,
«début», du principe découlent les lois ou «concepts» ces derniers impliquent et
réglementent les «faits».
Il existe trois concepts à la base de notre philosophie, ils réglementent la
vision ostéopathique de son patient et donc plus ou moins directement, le
traitement de chaque praticien :
- LA GLOBALITE
- L'INTER RELATION STRUCTURE-FONCTION
- L'HOMEOSTASIE
Ils établissent le postulat suivant : le corps est une unité, structure et
fonction sont en relation mutuelle, le corps possède des mécanismes
d'autorégulation. Empruntant cette description à son article, Un profond océan
d'étude, selon le Dr Rollin BECKER13
, nous nous occupons d'un corps vivant en
le considérant comme une unité, un mécanisme vivant autorégulé de structures et
de fonctions reliées entre elles, et évoquer une thérapeutique vivante fondée sur
cette compréhension. Le DR Rollin BECKER établit que l'état de santé est une
liberté totale de mouvement à l'intérieur d'un être et ce, à tous les niveaux. Le
praticien doit être capable de mettre en œuvre les mécanismes de maintien de la
13
(Becker, 2012)
46
santé inhérents au corps de son patient pour lui permettre de retrouver sa liberté de
mouvement. L'action permet l'opérationnalisation c'est à dire une mise en
application des concepts; le praticien apprenant doit non seulement acquérir des
savoirs et des savoir-faire mais aussi les opérationnaliser dans le cadre d'actions
concrètes.
Or «l'Agir» ostéopathique possède un médiateur privilégié: le sens du
toucher.
I.1. IMP LI CATI ONS DU TOUCH ER :
Chez les mammifères, les systèmes sensoriels se mettent en place
embryologiquement selon un ordre invariant: TOUCHER, puis
EQUILIBRATION, puis OLFACTION et GUSTATION précédant l'AUDITION
et la VISION. En effet, la peau du fœtus devient sensible à la 7e semaine
d’aménorrhée. Les travaux de Roger LEVOYER Directeur du Laboratoire de
Cognition et de Développement à l'Institut de Psychologie au CNRS montrent que
les capacités tactiles du fœtus lui permettent de faire la distinction entre son
propre corps (contact de la main du fœtus avec son ventre...) et le placenta. Le
toucher est nécessaire lors des premiers instants de la vie il permet d'organiser à
la naissance la notion d'intégration corporelle qui permet au nouveau-né de faire la
distinction entre son propre corps et celui de sa mère. Le toucher est donc l’un des
éléments fondateurs de la psyché par la différence qu'’il met en place dans les
processus d’individuation. Enfin, selon Ashley Montagu14
, anthropologue et
humaniste anglais, les stimuli tactiles jouent un rôle essentiel dans
l'épanouissement affectif de l'enfant (il est preuve d'amour, de reconnaissance, de
sollicitude et d'attentions, sentiments nécessaires pour développer le sens de notre
propre importance) et plus fondamentalement dans sa croissance physique.
Dans notre société, le toucher est extrêmement codifié, réservé à des
circonstances privilégiées: la poignée de main sociale, les relations intimes, le
soin...Ces circonstances définissent le cadre dans lequel le toucher peut s'exercer,
ainsi que son degré d'implication. L’éthique professionnelle est pour nous
évidente, elle ne devrait pas être en question pour un soignant qui respecte
14
(Montagu, 1979)
47
l’autre dans son intégrité et plus subtilement dans l’intentionnalité du traitement
qu'’il choisit.
Le toucher est aussi significatif de notre territoire, de la plus ou moins
juste distance que nous établissons dans nos relations aux autres. Mis en place au
cours de notre soin, le toucher, par l'intermédiaire de notre palpation, se manifeste
par l’unité « main-cerveau » décrite. La main ostéopathique va à la découverte
d’informations des tissus, contrairement à la vue qui permet de s'en détacher, la
main est dans un rapport unique avec la matière, avec ce qu’elle touche : elle
écoute, intime avec le corps. En un sens, la main perçoit (matière et différences de
textures) ce que l’œil néglige ou ne peut appréhender. L’œil est spécialisé dans le
domaine spatial de la perception il lui est impossible d'appréhender
qualitativement le mouvement tissulaire, la densité, la motilité et la mobilité ; il
décèle des solutions de continuité de couleur et de symétrie mais pas nos éléments
diagnostics ostéopathiques que seul le toucher nous permet d’appréhender.
Parce que toucher implique une réduction des distances, mais aussi un
accès à son intimité certains garde-fous sont alors nécessaires à l'efficacité de
notre soin: le principal à notre sens, est de garder à l'esprit que nous sommes dans
une recherche d'informations et non dans une implication émotionnelle et/ou dans
une relation de transfert. De plus, lorsque nous touchons, nous instaurons une
relation duale centrée sur le touchant et le touché. Ce caractère réflexif du toucher
(nous touchons ET sommes touchés en retour) fait également ressortir l'un des
traits les plus importants de l'intelligence humaine : la conscience.
S’il nous est permis de proposer des axes pour réguler la profession ce que
nous venons d’exposer devrait terminer de convaincre de la nécessite de
supervision des thérapeutes, pour évoquer leur pratique et leur implication
émotionnelle, ce serait en faveur d’une éthique responsable.
I .2. LA CO NS CI EN CE S ERAIT -ELLE LE « CO GITO »
OST EOP AT HIQUE ? :
La première utilisation du terme « conscience », remonte à l'Antiquité pour
Cicéron et Quintilien, elle est liée à la moralité, ce terme restera sans occurrence
dans la langue française jusqu'au XVIIe siècle. A cette époque, plus qu'un sens
48
moral, et conformément à son étymologie, elle prend le sens de « connaissance
partagée ». C'est Descartes qui lui donnera son sens moderne grâce à son postulat
« cogito ergo sum ». Autrement dit, le sujet capable de dire « JE » exprime une
conscience de lui-même « EGO » en termes de savoir. Ce « JE » nécessite la
conscience de soi pour être exprimé. La conclusion de ce postulat exprime donc
l'état ET la relation sensitive et peut alors se décliner en : « Je sais que je ressens
donc je suis ».Biologiquement, la conscience correspond au sens de l'éveil, à la
connaissance de soi et à la perception de son environnement.
En ce début de XXIe siècle il n'existe pas encore de consensus scientifique
quant aux fonctionnements cérébraux à l'origine de la conscience. Il est cependant
admis qu'elle apparaît progressivement pendant l'enfance, au cours du
développement des réseaux de neurones connectant entre elles les régions le plus
complexes du cerveau. Ces réseaux neuronaux, seraient majoritairement localisés
dans les aires frontales et les aires associatives postérieures de l'hémisphère
dominant ou langagier.
Il existe plusieurs niveaux de conscience :
- la conscience primaire : commune à tous les êtres vivants, elle permet une
représentation consciente de son environnement et du corps du sujet.
- la conscience introspective ou réflexive : elle permet une représentation
consciente de ses représentations (soit être conscient d'être conscient).
- la conscience de soi : uniquement propre aux hominidés et aux dauphins, elle
permet au psychisme d'accéder à une connaissance claire et immédiate non
seulement de son activité, mais en plus, de son identité propre et singulière.
Nombreux sont les scientifiques à s'être penchés sur l'étude de la
conscience, seulement, un seul s'est intéressés aux phénomènes cérébraux
conscients lors du toucher.
Sir John C. ECCLES, Prix de Nobel de physiologie en 1963, s'est intéressé
aux processus impliqués dans l'excitation et l'inhibition des cellules nerveuses
ainsi qu'à la notion de signal pré et post synaptique. Dans son ouvrage, Comment
la conscience contrôle le cerveau15
en 1994, il tente de répondre à la question
15
(Eccles, 1997)
49
comment la pensée, la conscience peut-elle agir en induisant des signaux
nerveux ? Au cours de ses études, il subodore que les événements mentaux,
entrent en interaction avec les événements neuraux en suivant le mode d'activité
spatio-temporel du cortex cérébral en état de veille. L'expérience la plus parlante
est celle d'un sujet plongé dans le noir et protégé de toute sensation. Il doit
détecter un attouchement à peine perceptible sur l'un de ses doigts, il suffit qu'il se
prépare à la détection de ce stimulus, pour que l'aire cérébrale correspondant au
doigt en question, s'active, alors que ce dernier n'a pas encore été touché. Ces
recherches mettent en avant le rôle de l'attention dirigée sur la perception. En
conséquence, dans l'attente d'une stimulation tactile, notre attention, dirigée vers
cette activité neuronale n'influencerait elle pas notre perception ? La focalisation
sur un phénomène implique tacitement, une suspension du temps, une
immobilisation momentanée de l'espace et du corps saisissant ce phénomène.
Cette constatation scientifique fait écho au principe de raisonnement des
philosophes sceptiques grecs : l'EPOCHE. L'épochè correspond à une suspension
momentanée du jugement sa traduction littérale pourrait être arrêt ou interruption.
Ce concept semble être le rempart à l'interprétation, le but de tout praticien est
aussi de garder l'information obtenue grâce à ses mains la plus pure possible, la
garder parfois comme pure sensation et éviter de percevoir pour entrer dans le jeu
de l'interprétation. Notre épochè ostéopathique est de savoir faire confiance à nos
mains afin de suspendre notre jugement consciemment.
Il correspond à la notion de FULCRUM ; il nous permet de nous focaliser ;
ce qui permet de faire le tri entre les nombreuses informations lorsque nous
apportons de la conscience dans notre corps dans le but de se lier a son savoir
intérieur.
Suite à l'analyse de ces différents travaux, tentons une définition
ostéopathique de la conscience et plus précisément de la conscience de soi, de sa
main : Une phrase tirée des travaux de M. Bruno DUCOUX ostéopathe D.O.,
semble correspondre à merveille : « Nous sommes nos pensées, accompagnées
d'impulsions, conscience, sentiments, émotions, désirs et rêves. A partir de cette
conscience corporelle le corps physique est manifesté ; ce que nous appelons
50
notre corps matériel est peut être juste un lieu que notre mémoire appelle « chez
nous » pour le temps actuel. »
Nous ne pouvons conclure suite à l'étude de ces différents travaux que la
conscience serait le cogito ostéopathique, à la lumière de ces travaux, elle
représente au contraire, la négation de la philosophie dualiste qui tente de séparer
le corps et l'esprit. Elle fait partie de nous en tant qu'être humain et participe donc
à notre prise en charge. A notre sens, nous ne devons pas l'écarter de notre soin,
juste se servir d'elle comme la suspension de jugement nécessaire à l'interprétation
de nos perceptions. Le cogito ostéopathique devrait conduite à une vigilance sur
ses ressentis et ses évocations, une réflexion intime : « En somme : qu'ai-je
modifié à ma perception par mon toucher par mes connaissances qui s’attendaient
à trouver ou à ne pas trouver et par mon émotionnel ? »
II. LE GESTE , LA TECHNIQUE ET LE S OIN :
Ces termes sont quotidiennement utilisés au cours de notre enseignement.
Trop usuels ils perdent leur sens, nous allons tenter de leur rendre leur
signification afin de mettre en place ce qui nous semble être des critères de
réussite de notre soin.
II.1. D I MEN SION S DU T RAIT EM EN T :
Il est essentiel de situer son traitement en fonction des notions de temps,
d'espace et de matière. Ces éléments appartenant au domaine de la physique
contemporaine sont les piliers de l'organisation du monde physique. En effet, en
tant qu'ostéopathe, nous agissons avec notre corps sur celui de patient. Un
« corps » ou « soma » en grec correspond à une structure mécanique créée et
animée par la vie, destinée à permettre à l’Être de communiquer avec d'autres
êtres et avec son environnement. Le corps, vu sous un angle matériel, appartient à
un univers physique qui se compose de trois éléments fondamentaux :
- ESPACE : qui sous-tend une notion de distance, de dimension et c'est la
différenciation entre la notion de « MOI » et « NON-MOI » qui engendre l'espace.
- TEMPS : qui sous-tend une notion de durée, de persistance qui correspond à la
succession de manifestations.
51
- ENERGIE : qui détermine une force en action ou une information en
mouvement. Elle peut exister sous forme potentielle ou manifestée dans la
communication entre le « MOI » et le « NON-MOI » se traduit par des échanges
énergétiques.
Ce corps physique est composé de matière, en se référant aux définitions
citées, la matière doit apparaître comme étant : « ordonnée, stabilisée, concentrée
et organisée dans le temps et l'espace. » Gardons en tête que, « Toute matière est
substance vivante » Andrew Taylor Still Ces trois dimensions physiques sont en
perpétuelles interactions et nous permettent de déterminer des paramètres de
lésions :
- LA DENSITE: qui correspond au rapport Énergie / Espace phénomène palpable
et ressenti par le praticien comme « une sensation de masse compacte qui indique
une imprégnation d'énergie » Majoritairement retrouvé dans le cadre
d'évènements traumatiques.
- LA TENSION : qui correspond au rapport Énergie / Temps et qui manifeste un
stress tissulaire.
- LA VITESSE : qui correspond au rapport Espace / Temps et qui traduit
l'aptitude au mouvement ou la vitesse tissulaire absente en cas de lésion
ostéopathique, on parle alors d'inertie.
Nous venons de définir les paramètres objectifs ; palpables, d'une lésion
ostéopathique.
En 1953, l'ECOP (Educational Council of Osteopathic Principles) a
précisé la notion de «lésion ostéopathique » en « dysfonction somatique », qui est
«une fonction empêchée ou altérée dans les composants interdépendants du
système somatique (charpente corporelle): structures squelettiques, arthrodiales
et myofaciales ainsi que des éléments vasculaires, lymphatiques et nerveux
associés». Ces éléments de dysfonctions somatiques se manifestent au toucher par
des changements de texture tissulaire, de modification de symétrie, de restriction
de mobilité et sensibilité. La correction d'une dysfonction ostéopathique dépend
du ressenti des trois items précédents mais aussi de l'implication du thérapeute au
travers de paramètres subjectifs qui sont : la présence, l'attention et l'intention.
Ces derniers permettent de créer un « canal de communication » palpatoire et
52
perceptif entre le patient et son praticien ; entre la main et la structure anatomique
souffrante. Cette mise en relation est majorée par l'intervention mentale du
praticien : la représentation mentale des structures anatomiques le recrutement
mental des acquis médicaux.
II.2. LA REPR ES ENT ATI ON ME NT ALE :
Littéralement, une représentation mentale est, une représentation que l'on
se fait, par la pensée d'une projection sensorielle, d'un concept ou d'une situation.
C’est une « présentation à nouveau » de ce que l’on a perçu.
Selon Michel DENIS, directeur de recherches au CNRS, la formation
d'images mentales, permet la conservation de l'information mais, transformée sous
forme de schématisation ou réduction. Marquées par des propriétés d'analogie,
elles permettent de refléter les structures des objets sous une forme qui ressemble
à de la perception.
Les représentations mentales sont propres à chaque individu et peuvent
être modifiées en fonction de nouveaux apprentissages, nouvelles expériences ou
sensations. La seule propriété d’analogie n’est apparemment pas suffisante pour
marquer les liens de l’information perçue ou évoquée selon Antoine de La
Garanderie, outre l’analogie, la sériation et l’attribution sont les liens logiques que
réalisent le cerveau dans ses procédures mentales. On comprend que ces
représentations ne peuvent pas exister sans avoir l’intention de les acquérir ; cette
intention est le résultat d’une motivation ou d’un projet.
En poussant la réflexion, il apparaît, que l'intention (paramètre subjectif de
la palpation précédemment évoqué) constitue une représentation mentale. En
effet, les recherches de Franz Brentano, philosophe et psychologue allemand
montrent que l'intention est une représentation mentale qui joue un rôle particulier
dans l'explicitation de ses actions. Elle correspondrait au pouvoir de l'esprit, de
viser des objets et de se représenter les états des choses.
Contrairement à l'intention, l'attention n'est pas une représentation mentale,
mais un geste mental. En nous appuyant sur les travaux d'Antoine de la
Garanderie, l'attention apparaît comme un des cinq piliers de la Gestion Mentale,
théorie de l'action pédagogique, qui explore, décrit, étudie les gestes mentaux de
la connaissance dans leur diversité. Un geste mental correspond au projet de faire
53
exister le monde réel dans son propre univers mental perçu grâce à nos sens. Cette
discipline pédagogique se fonde sur la différence entre la perception et
l'évocation. L'évocation est à comprendre comme un processus mental qui
mobilise les images (ou représentations) visuelle, auditives, tactiles et verbales par
lesquelles le sujet se rend mentalement présent le monde qui l'entoure.
Contrairement à la perception qui correspond à la transcription immédiate faite
par le cerveau des données fournies par les organes des sens en présence de l'objet
perçu. Antoine de La Garanderie différencie les deux en expliquant que la
perception se fait en présence de l’objet de perception, l’évocation se fait en
l’absence de l’objet de perception.
En tant qu'ostéopathe, nous appliquons quotidiennement notre
enseignement et donc, ces paramètres sans soupçonner leur portée. Ces éléments
se trouvent dans la philosophie d'Andrew Taylor Still et de William Gardner
Sutherland, en prenant la forme de « mentalisation » des structures ou de
« capacité à sa projeter dans le crâne ». En effet, la connaissance parfaite de
l'anatomie leur permettait de se représenter la structure anatomique normale, cette
connaissance de l'original leur concédait le pouvoir de réordonner la déformation.
Les images deviennent les clés de la réussite du praticien, elles seraient
réfléchies par notre système nerveux permettant ainsi au patient de les recevoir à
travers nos mains. Le praticien trouve les effecteurs de la santé dans les corps
individuels et en favorise leur expression. C'est par la compréhension de ses
propres représentations et gestes mentaux, que nous éduquons notre pouvoir de
connaître, suivant le principe que chaque être humain s'édifie quel que soit
l'activité qu'il exerce.
III.3. LE GES TE ET LA TECHNI Q UE :
« L'ostéopathie, c'est la connaissance scientifique de l'anatomie et de la
physiologie dans les mains d'une personne intelligente et habile.» Andrew Taylor
Still.
En reprenant les écrits du Dr Rollin Becker dans son ouvrage, l'Immobilité
de la Vie16
, nous apprenons que, ce qu’A.T. Still, appelait « traitement
ostéopathique », c'était sa manière d'approcher le problème consistant à apprendre
16
(Becker, 2013)
54
au corps à répondre à ses besoins. « Si vous voulez guérir quoi que ce soit dans le
corps humain, la seule chose dont vous devez vous préoccuper, c'est d'augmenter
les énergies et d'inciter les substances chimiques de la vie à agir comme elles le
doivent ». Nous comprenons donc, que nos gestes ostéopathiques doivent être
guidés par l'idée conductrice de rétablir l'homéostasie, la vie inhérente au corps de
notre patient. Selon Still, La Vie est une substance matérielle, finement divisée,
individualisée à partir des forces de la Nature, origine de tout mouvement et à
laquelle une forme est donnée à partir de causes parentes.
Nous nous servons d’avantage du mot « manipulation » que du mot
« geste ». Or, la manipulation se rapporte uniquement à l'action de la main qui
mobilise, ce terme apparaît bien pauvre face aux concepts de notre discipline. Le
geste se distingue du mouvement en ce qu'il témoigne d'une intention, d'une
volonté proprement humaine. Il renvoie à l'activité, ouvre à la singularité (geste à
soi) ainsi qu'à la subjectivité (beau geste) et à la communication. Lié à l'habilité
construite à travers la formation, la connaissance du geste et sa maîtrise. Il est
aussi situé dans le temps (l'Homme est acteur de sa situation au moment où il se
mobilise pour trouver une solution à une situation précise), organisé ( structuré en
« savoir-faire » ou « technique ») et investi ( il participe à la construction de la
personne et est porteur d'intention). L'ensemble de ces caractéristiques implique
une reconnaissance une prise de conscience de l'utilité ou de la beauté (sentiment
que le travail est réalisé dans les règles de l'art). Son apprentissage peut provoquer
une certaine automatisation sans pour autant qu'il perde sens ou idéalité. Et c'est
l'expérience qui suppose un rapport conscient à son activité, et agit sur le schéma
corporel, les régulations qu'assurent la fonction tonique et de fait construit un
geste professionnel qui s'affine et s'ajuste au fil du temps.
« La question est de savoir, si vous en tant que praticien êtes désireux
d'apprendre l'art et non de la manipulation mais de la palpation de la vie qui se
manifeste dans vos mains et à travailler avec les deux déjà disponibles. »
Dr Rollin BECKER.
C'est par le geste qu'est permit l'avènement de la technique par laquelle,
l'Homme peut agir sur le monde qui l'entoure et transformer la matière. Issue du
terme grec « technè » qui selon Aristote, est une disposition à produire
55
accompagnée de règles vraies. La réglementation est une disposition
indispensable à l'exercice technique, qu'elle soit interne à notre formation, notre
profession ou liée aux dispositions légales, elle est garante de notre et de notre
crédibilité professionnelle. Nos techniques ostéopathiques sont fondées sur des
connaissances scientifiques et constituent par l'intermédiaire de nos mains nos
outils. Elles découlent de la mise en relation pratique de divers éléments du
contexte de notre consultation nous menant à une construction de repères et de
solutions possibles.
Leur enchaînement suit un raisonnement logique qui s'attache à travailler
les différents systèmes du corps de nos patients dans le but de rééquilibrer « leur
état de vie », «son potentiel inhérent qui est santé», tout en gardant à l'esprit que
notre soin consiste à « permettre à la fonction physiologique inhérente de
manifester son potentiel infaillible plutôt que d'utiliser une force aveugle venant
de l'extérieur. »
II.4. L' INT ERFACE ET LE SOI N :
A quel moment de nos consultations commençons-nous notre soin? Dès
l'ouverture de la porte du cabinet? Lors de l'anamnèse, des tests, du traitement? A
moins que ce soit au moment où le patient nous quitte? Quoi qu'il en soit nos
mains accompagnent tous ses moments de notre prise en charge (l'accueil, la
communication, le soin), mais que représentent-elles vraiment ? Il peut sembler
curieux de poser cette ultime question à la fin de notre exposé.
Envisager la main sous forme d'interface (à l'origine structure
informatique, technologique très loin du domaine organique) prend tout son sens à
la lecture de sa définition.
Interface n.f: - limite commune à deux systèmes permettant des échanges entre
ceux-ci.
- plan ou surface de discontinuité formant une frontière commune à deux
domaines aux propriétés différentes et unis par des rapports d'échange et
interactions réciproques.
- dispositif permettant la liaison.
56
Notre intérêt a été attiré par cette notion de dualité centrée sur le rapport
limite/liaison qui illustre à notre sens la relation d'inter subjectivité établie lors de
nos soins. Les mains établissent le contact avec le corps de nos patients, nous
commençons ensuite à palper. C'est par la mise en place des paramètres subjectifs
(attention, intention mais surtout présence) que nous établissons une relation
patient-thérapeute, qui est cet « espace entre », notre véritable interface.
La présence est le préalable à l'acte ostéopathique, elle correspond à une
interaction entre le FAIRE et l'ETRE entre l’exécution de la technique et la
manière d'être du thérapeute. Il s’agit de la présence à soi et la présence à l’autre.
Selon Bruno DUCOUX, elle constitue « une ouverture vers des possibilités
émergentes, en référence avec nos expériences passées même si ce ne sont que des
expériences symboliques ». Plus qu'un paramètre elle correspond à un état
intérieur celui de « se centrer dans un sens de la connaissance interne »
GENDLIN. Pierre TRICOT la définit comme « le fait d'être là, d'occuper le temps
et l'espace présent », elle l'élément nécessaire à toute communication. « La
présence est plus importante que la technique » Hugh MILNE D.O. Hugh MILNE
parlait de « passer en glamour », pour lui c'était rejoindre un état de conscience
particulier, élargi, une sorte de transe consciente au cours de laquelle le thérapeute
est complètement immergé dans son activité, où le praticien est uniquement et
simplement là. Cet état de présence a été nommé différemment en fonction des
auteurs, Partenaire Silencieux pour Rollin BECKER, Conscience, Grand
Architecte pour A.T. STILL...
Tous considèrent le corps comme un système communicant et auquel il
faut s'accorder, et par l'intermédiaire de cet état, réconcilie l'ostéopathie avec sa
dimension spirituelle. Rappelons que selon David BOHM, la conscience est ce qui
sous-tend la matière et la mobilise, et constitue la « matière non manifestée joue
un rôle similaire à ce que nous pensons être l'esprit ». Dans le but de s'accorder au
mieux à ce système, tous ces thérapeutes insistent aussi sur l'importance du travail
que chaque praticien doit effectuer pour se connaître, reconnaître ses limites, sa
part d'ombre.
«Projetez votre sens du toucher du cerveau vers vos mains, puis de vos
doigts et de toute votre main vers le cerveau, puis utilisez votre « silent partner »
57
et sentez de votre tête vers vos mains, puis connectez-vous sur leur « silent
partner » et continuez à sentir de votre cerveau vers vos mains. Ce sont vos
outils. » Dr Rollin BECKER [10].
C'est la relation triptyque main-cerveau-silent partner qui se manifeste lors
de l'état de présence. L'établissement de cette relation marque le commencement
du soin, ce moment précis au cours duquel l'interface est créé et qui nous permet
d'exister, au sens être au monde, dans sa compréhension implicite en tant
qu'ostéopathe.
« Les hommes en général jugent plus selon leurs yeux que selon leurs
mains ; car chacun à la capacité de voir, mais peu celle de ressentir. Chacun voit
ce que vous paraissez, peu ce que vous êtes. » Nicolas Machiavel, in Le Prince.
153217
.
17
(Machiavel, 1962)
58
CONCLUSION
Notre profession d'ostéopathe permet d'établir un contact relationnel et
soignant grâce à une palpation consciente et éclairée permise par l'éducation de
nos mains. Le développement d'une habileté provoque un changement global et
profond chez l'individu. Cet apprentissage exigeant nécessite un investissement de
longue haleine aussi bien en termes d'énergie que de temps puisque en définitive
la main reste en éternelle apprentie.
En effet, la pratique intensive, la répétition des gestes, passe par une
certaine introspection, l'efficacité de nos soins est rendue possible par la
compréhension de ce que nous faisons, ce que nous sommes à l'instant où nous
posons les mains sur le corps de notre patient. Cette introspection, ce « creux »
qui se loge entre nous et ce que nous percevons établit une distance par rapport à
ce qui est fait : nous prenons conscience de nos mains. Mais aussi, en prenant
conscience de gestes mentaux et de ses propres procédures on les perfectionne, on
devient plus efficace. On rend la main thérapeutique moins traitresse par une
vigilance accrue à ses possibilités.
A la manière d'un artiste, nous nous dévouons à notre pratique, c'est en
exerçant que l'on acquiert la maîtrise de son art, mais comment comprenons-nous
l'Art ? L'Art est une habileté acquise par l'apprentissage et reposant sur des
connaissances liées à l'expérience, empiriques ; c'est le moyen par lequel la
conscience devient conscience de soi, et correspond à la façon dont l'esprit
s'approprie la Nature.
C'est cette conscience plus aiguë de notre corps, de nos mains et de leurs
interactions avec le corps des patients qui favorise l'intériorisation des gestes,
l'acquisition de nos compétences. Cela nous permet de prendre conscience de
notre aptitude à modifier les choses. Eugène MICHEL18
, médecin psychiatre
définit l'artiste « par une exigence d'exploration individuelle permanente, un refus
que les adaptations ne se produisent que lentement, d'une génération à la suivante.
L'être humain moderne est en train d'inventer progressivement la possibilité de
18
(Michel, 2003)
59
connaître plusieurs modalités conceptuelles au cours d'une même vie et cela non
pour souffrir mais pour s'épanouir ».
Notre époque se caractérise par des avancées techniques qui repoussent les
limites du soin et de la performance médicale. Séparant la profession en
spécialités, le corps déjà séparé de l'esprit depuis Descartes apparaît comme
profondément morcelé ; en valorisant la tête par rapport aux mains, la conception
et non l’exécution, l'organisation sociale actuelle tend à dévaloriser le sens du
travail, et de l’excellence. Notre modernité ne pense plus la technique comme un
ensemble de règles nécessaire à un art, elle perd sa définition d'instrument pour
devenir un mode de pensée, nous en venons à penser les choses qu'en terme de
« technique ». L'Homme lui-même ne pense plus qu'à gérer, prévoir ne laissant
aucune place à l'inattendu, à l'inexplicable, à l'intuition.
Il ne se pense lui-même qu'en termes techniques, en objet manipulable ou
en ressource à exploiter de la manière la plus productive possible. La technique
n'est plus un projet dont l'Homme moderne serait encore maître mais la façon dont
il se comprend lui-même et dont il comprend le monde de telle sorte qu'il se soit
spontanément mis au service de la technique et non l'inverse.
L'ostéopathie, par son abord global de l'individu, et l'utilisation comme
unique outil de ses mains, propose une réconciliation entre le corps et l'esprit. Au
lieu de chercher à dominer, à assouvir la Nature, nous lui redonnons ses droits et
nous appuyons sur elle pour rééquilibrer les différents systèmes qui font de nous
des êtres humains. Nous considérons la maladie comme une perturbation de l'état
de fonctionnement naturel donc idéal du corps. Nous travaillons sur la structure
pour améliorer la fonction, sans se mettre en quête de guérir le processus maladif,
nous améliorons le niveau de fonctionnement de l'organisme, suffisamment pour
l'amener vers un nouvel équilibre avec la perturbation. Ce nouvel équilibre peut
améliorer voire dissiper les symptômes et les signes de la maladie.
D'une certaine façon, nos traitements ostéopathiques permettent une
négociation avec les forces de guérison et non celles de la maladie. Conscients de
l'étendue de notre sujet, certaines pistes n'ont été qu'effleurées ; nous espérons
cependant avoir ouvert un espace de réflexion quant à l'introspection nécessaire à
chaque thérapeute, notre profession offre un champ de possibilités si vaste qu'il
60
serait regrettable de ne pas essayer de prendre en compte nos outils de travail et en
un certain sens, donner raison aux théoriciens de « la société des compétences »
qui sépare la main de l'esprit.
Empêchons-nous de tomber dans la simple thérapie manuelle par des
efforts de recherche, de curiosité et d'ouverture et par cette vigilance permanente
de notre exercice de raison et de libre arbitre.
« Entre la main et le cerveau, le médiateur doit être le cœur »
Fritz LANG, in Metropolis 1927
61
BIBLIOGRAPHIE
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Still, A. T., Autobiographie. 3e édition, éd. Vannes: Sully, 2008.
62
RESUME
Cette évidence à tendance à être oubliée, cependant liées à l’histoire du praticien,
à son expérience, à sa sensibilité elle prend la dimension d’une entité à part
entière. Comment apprend-on à palper ? Comment se fait-il que la palpation des
ostéopathes soit plus fine ? Existe-t-il un lien de réciprocité entre la main et le
cerveau ? Nous tenterons de répondre à toutes ces interrogations au cours de notre
exposé et nous pencherons sur l’importance de la connaissance de ses outils
thérapeutiques. L’emploi de technique et la répétition qui nous conduisent à
développer notre habileté palpatoire ne nous rapprocheraient-ils pas d’un artiste ?
La symbolique de la main, son utilisation, le développement d’une habilité et la
reconnaissance d’un corps en tant qu’unité seront le sujet de cette réflexion.
Mots-clés : main, haptique, pluridisciplinaire, outil, interface, conscience.
Abstract:
Hand is the osteopath’s tool. Such an obvious point, however too often forgotten,
hands are closely related to the therapist personal history, his sensitivity, his ex-
pertise and takes size of a full-fledged entity. What is the way the learn how to
palpate properly? Why osteopaths’ palpation does seem to be more delicate? Is
there a reciprocal relationship between hand and brain?
We will answer all these questions during our presentation and will look at the
importance of its therapeutics tools’ knowledge. Does the use of techniques and
repetition of them which allow us to increase our skills assimilate us to artists?
Symbolism of the hand, its use, and development of skills as well as recognition
of the body as unit will be the subjects of our reflection.
Key words: hand, haptic, multidisciplinary, awareness and brain.
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