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93 AVRIL 2018 81 PRATIQUES

tion, confidentialité, secret professionnel, impartialitéet respect de l’autonomie des personnes) 3.La commission « précarité » de l’URML Pays de laLoire, avec la présence de médecins généralistes deNantes, Angers, Cholet, Le Mans, la Roche sur Yon,continue à porter ces différents axes de réflexion enétant sensible et vigilante aux ressentis et besoins despatients concernés 3. Un guide à destination des pro-fessionnels de santé accueillant des personnes ensituation de précarité (concernant pour l’instant laLoire-Atlantique, le Maine et Loire et la Sarthe) a étéréalisé et mis en ligne sur le site de l’URML Pays de laLoire 4. Il est destiné à répondre aux nombreuses ques-tions d’ordre médico-social, à proposer un annuairelocal des partenaires sensibles à cette problématique età permettre un travail en collaboration autour des per-sonnes en situation de précarité. La commission arépondu à la consultation publique de l’HAS sur l’in-terprétariat professionnel et sur la médiation ensanté 5.

Janvier 2018À ce jour, au bout de six mois de fonctionnement surla région nantaise et de quatre sur celle d’Angers, 153médecins sont adhérents au réseau et celui-ci a reçu173 sollicitations d’interprétariatNous espérons que cette expérimentation se pérenni-

sera, qu’elle s’étendra à d’autres régions, aux autresprofessionnels paramédicaux et sociaux et qu’elle seracomplétée par des dispositifs de médiation en santé.Cela permettra aux patients, quels que soient leursparcours de vie et leurs origines, de se faire compren-dre, d’être mieux soignés et de devenir autonomes.

A1. Le recours aux interprètes dans les consultations médicales est-iljustifié ?, PASS international Joan Muela Ribera, Setats UnisnnaHausmann-Muela Koen Peeters Grietens & Elisabeth Toomer, 2008.

2. Usage et opportunité du recours à l’interprétariat professionnel dans ledomaine de la santé – Analyse des pratiques d’interprétariat enmatière de prévention et de prise en charge du Vih/sida, de latuberculose et du diabète, Direction Générale de la Santé, MichaëlSchwarzinge, décembre 2012.

3. « Ressenti des patients migrants allophones lors de leurs premièresconsultations médicales : entretiens semi-dirigé en Pays de la Loireavec des patients parlant désormais français », Anne Charlotte Gallon,Florence Le Quere, Thèse de médecine Nantes, janvier 2017.

4. Guide de l’accompagnement médico-psycho-social des personnes ensituation de grande précarité par les médecins généralistes en régionPays de la Loire.

5. Dr Marie-Ange Lecomte, « L’intérêt d’un médecin généraliste pour lamédiation en santé dans son cabinet et le quartier », ColloqueMédiateur(e) s en santé : une approche reconnue, un métier àpromouvoir, 12 décembre 2016, p. 61.

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La fièvre du clic, un nouvel ordreRené FioriPsychanalyste

Le livre d’Astra Taylor, documentariste, écri-vaine et militante canado-américaine, intitulé

Démocratie.com – Pouvoir, culture, et résistance – Àl’ère des géants de la Silicon Valley, est un balayageméthodique des effets du machinisme qui stimuleaujourd’hui la consommation médiatique dans ledomaine culturel, avec ses corollaires que sont l’usagecompulsif d’Internet et la pression qui pousse à plaireà un public toujours plus large. Les algorithmes sontdésormais nos nouveaux maîtres, et la liberté appa-rente de l’utilisateur masque les énormes massesfinancières avec les bénéfices non moins colossauxdégagés par les actionnaires des sociétés Internet.Ceux-ci deviennent l’objectif majeur au détriment de

l’usage participatif sur son versant citoyen. Ces deuxcent soixante-cinq pages, solidement informées, nousdressent aussi, dans le domaine juridique, les consé-quences de la mise à disposition quasi gratuite, oupiratée, d’œuvres de création autrefois protégées. Celas’étend à toute la sphère culturelle, du journalisme à lamusique, en passant par le cinéma. C’est ainsi l’ensem-ble de notre vie expressive qui passe sous la couperéglée du commerce numérique via les plateformes,dont le lien au consommateur/producteur est de plusen plus individué au moyen d’un marketing hyperci-blé. Loin qu’il s’agisse de démocratisation ou d’écono-mie de partage, comme le répercute un imaginaireidéalisé, c’est en commercialisant la sociabilité et l’art

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de la conversation que se sont ouverts ces nouveauxmarchés, via les réseaux dits sociaux et les retentisse-ments viraux qu’ils permettent sur le plan de la diffu-sion. Cette marchandisation de l’interaction sociale,relationnelle, fondée sur la dépendance au lien et à lareconnaissance par l’autre, transforme en fait chacundes utilisateurs en un pur produit pour l’autre.Toutes les lignes s’en trouvent brouillées comme lerépercute l’auteur : esprit collectif/audace capitaliste,loisirs/travail, production/consommation, création/misesur marché, opinion/publicité, participation/marketing,bien commun/commerce, public/privé. Et les sociétésInternet comptent aujourd’hui parmi les plus importantesentreprises américaines cotées en Bourse. Sur le planlogistique et technique, si tous les types de donnéesqui auparavant étaient diffusées sur des canaux distincts :téléphonie, télévision, radio, cinéma, le sont maintenantvia le canal unique du Web, la mutation de ce marchéest cependant loin d’être achevée, la bascule vers l’in-formatique mobile et l’Internet des objets (IoT) n’enétant qu’à son amorce.Sur le plan subjectif, cette économie de l’attentiondonne lieu à une culture de l’étalage dans le mêmetemps où, paradoxalement peut-être pour certains,elle corrode l’estime de soi, faisant de la sociabilité uncapital à exploiter, comme l’atteste par exemple l’im-portance phénoménale prise par les youtubeurs.ses.L’éclatement des cadres traditionnels où s’appuyait larelation à l’autre entraîne dans son sillage une altéra-tion du savoir-vivre quand la connexion par lesréseaux sociaux désolidarise, décorrèle, de touteempathie. Une connexion qui est un acide pour le lien.La promotion de ce qui devient alors « une image demarque personnelle » donne la mesure de l’enfluredémesurée du moi qu’occasionne le spectacle généra-lisé d’une intimité jusque-là privée. Comme souvent,lesdits progrès humains, scientifiques entre autres, icitechnologiques, se révèlent être les analyseurs de notresubjectivité. Ainsi ce moi dont l’auteur utilise leconcept, se révèle-t-il être, pour prolonger son propos,une instance psychique plutôt complexe. Ce spectacu-laire effeuillage intime qu’est la mise en scène numé-rique est un spectre aux multiples facettes. Et le lecteurse trouve en mesure de prolonger le texte de l’auteurpar les faits divers quotidiens qui essaiment son actua-lité. Comme ces cas de suicides d’adolescents, où l’onvoit se déchaîner l’agressivité gratuite de leurs alterego, révélant l’envers de mélancolisation de leur rela-tion. Ce moi qu’ils ont livré en pâture à l’autre, et qui

s’autonomise sur la toile en un véritable doubleméchant, revenant ainsi déposséder le sujet de touteinitiative dans son rapport à la vie. Le moi est « cetobjet par lequel l’immédiat de la sensation est mis entension » (J. Lacan, Séminaire II, Le moi dans la théoriede Freud et dans la technique de la psychanalyse, Éd.Seuil), et y trouvant donc en quelque sorte une néces-sité salutaire. Son prolongement, son extension sur latoile a pour effet une délocalisation qui échappe à toutcontrôle par l’intéressé. En s’objectalisant (ici pourdifférencier de l’objectivation) publiquement sur latoile, l’utilisateur, à son insu, porte à son maximum«  l’incidence mortelle du moi  » (J. Lacan, op.cit.,p. 311). On peut y voir aussi comme une autre versiondu Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde, dans lamesure où la vraie vie est rapidement confondue avecce qui se déroule sur le Web, avec ce moi qui revientdemander des comptes. Pour revenir à l’âme du livre –comme on dit l’âme d’un tronc d’arbre – , la confusionqui s’ensuit entre démocratie culturelle et concours à lavisibilité, étend ainsi l’empire de ce « spectaculaireconcentré », selon l’expression de Guy Debord. L’ex-pression « économie de l’attention » utilisée par AstraTaylor ouvrirait un autre chapitre sur la fonction de lafascination et au-delà, de l’hypnotisme, sa versionaccentuée, captation non pas imaginaire, mais del’imaginaire, où le désir se trouve aspiré, siphonné,avec pour effet de désolidariser le sujet de son proprecorps. Le fait est par exemple bien connu, que la fasci-nation de l’écran d’ordinateur fait oublier, et passeroutre, la limite de la faim autant que celle du sommeil.L’autre propos majeur de cet ouvrage est l’envers decette liberté numérique qui sont les féroces conditionsde travail des salariés des grandes plateformes numé-riques et la dégradation de l’environnement occasionnépar l’extraction de matériaux nécessaires à la réalisationdes machines. Lieux de travail où est entretenue demanière éhontée la confusion entre travail et loisir, assi-milant l’exploitation à l’expression de soi tout en met-tant la créativité au service de la profitabilité de l’entre-prise (p. 71). Ainsi le capitalisme, dans son alliance avecla science, ici dans ses applications technologiques,trouve-t-il une fois de plus occasion à se renouveler, àrebondir, dans une sophistication toujours croissantede sa contrainte sur la subjectivité, son autonomie, laliberté de son initiative. Jusqu’à quand ?

Astra Taylor, Démocratie.com, Montréal, Lux éditeur, 2014 – Traduction del’anglais par Nicolas Calvé.

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