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Ce livre a été publié sur www.bookelis.com
ISBN : 979-10-227-2896-6
© S-F. Cïmaiglon
Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.
L’auteur est seul propriétaire des droits et responsable du contenu de ce livre.
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CHAPITRE 1 L’introduction
Dans un instant ils vont apparaître. Nous saurons enfin à
quoi ressemblent les cinq plus puissants personnages de
l’Alliance, ceux qui nous ont choisis parmi la foultitude des
candidats pour sauver notre monde.
Autour de moi, la rage de se battre monte aux lèvres, les
yeux pétillent de courage, les muscles se bandent et les
thorax se gonflent de se savoir l’élite guerrière. Comme eux,
je devrais être fière d’être ici, mais il n’en est rien…
Partout ce ne sont que des corps impressionnants qui
respirent la force et la vaillance. Ma stature frêle dénote, et
je commence à douter…
C’est que je sais que je ne mérite pas ma place ici.
Comme eux, j’ai entendu l’appel des « cinq ». Comme
eux, je me suis portée volontaire. Mais cela n’a rien à voir
avec leur dévouement et leur bravoure : je n’avais pas le
choix. Et ce ne sont pas mes qualités guerrières qui m’ont
values d’être choisie.
C’est Trévor qui a joué d’influence pour que j’intègre
cette mission ici à bord du « Deus ex Machina ». Sa
motivation devait être grande pour trouver les arguments,
user de tous ses pouvoirs de persuasion pour m’envoyer ici.
Mais était-ce pour me sauver comme je l’ai cru d’abord ou
pour m’éliminer légalement et prendre ma place ?
Lui qui a reçu la formation que je n’ai pas eue pour
gouverner…
Lui qui a reçu l’affection que mon père ne me donnait
pas…
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Mon père… c’est à cause de lui que j’en suis arrivée là…
L’espace délimité par les cloisons de fer glacées de ce
vaisseau se rempli progressivement de ce mélange
d’exaltation, de détermination, d’orgueil et de sudation si
caractéristique de ceux qui partent volontaires au combat.
L’attente de l’arrivée des « cinq » parait interminable. La
tension monte de seconde en seconde.
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CHAPITRE 2 Aurore
Je suis née dans un cocon doré, et pourtant j’ai toujours
vécu dans la révolte.
Je suis originaire d’Aurore, une planète insignifiante,
reculée au fin fond de la zone de l’Alliance, une planète
pauvre aux maigres ressources. Eloignés de tous, négligés
par le pouvoir central du « Grand Conseil » de l’Alliance,
nous survivions dans des conditions dures et la famine avait
fait souvent partie de notre histoire, jusqu’à l’arrivée sur le
trône du roi Charles. Grace à son dévouement à sa patrie et
sa détermination sans limite, ces calamités n’existaient plus.
Il avait su défendre nos intérêts et donner de l’importance au
peuple d’Aurore. Il était rapidement devenu le plus aimé et
le plus écouté des rois.
C’était une force de la nature ; un colosse infatigable et
intransigeant à qui il était de toute façon impossible de dire
« non ». Ses colères monumentales faisaient trembler les
murs du palais et son esprit et ses yeux s’enflammaient.
Cela avait fait fuir plus d’un de ses conseillers. Il laissait
partir les faibles et s’arrangeait toujours pour récupérer les
meilleurs.
Aimé pour son dévouement, respecté pour sa droiture, et
craint pour ses colères, il était également un homme
extrêmement distant. Il ne s’approchait et ne touchait
personne et personne ne s’approchait de lui.
Il régnait depuis déjà quarante-sept ans, avec l’énergie
d’un jeune homme, lorsqu’enfin il céda à la pression du
peuple et de ses conseillers et se maria. Nul ne sait pourquoi
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il avait attendu si longtemps pour cela ni pourquoi son choix
s’était porté sur une jeune femme sans condition, issue
d’une planète éloignée aussi pauvre que la nôtre. Ses raisons
ne semblaient ni politiques ni sentimentales, bien qu’à la
veille de leurs noces, sa fiancée était, parait-il, une des plus
belles femmes qu’Aurore aie jamais vues.
Charles voulait un fils, un héritier. Elle tomba enceinte
rapidement. Et c’est ainsi que je suis née.
D’elle, j’ai le souvenir d’une ombre grise déambulant
dans les couloirs du palais, effacée, silencieuse, la démarche
claudicante et le visage à moitié déchiré de griffures – un
horrible accident juste après le mariage de mes parents, et
dont personne n’osait parler en notre présence. Je me
souviens également d’une odeur douce et de bras frêles. Puis
elle est partie ; j’avais cinq ans. C’était ma faute.
Se retrouvant seul à m’éduquer, mon père s’évertua à
faire de moi une poupée de porcelaine, de celles qu’on
expose seulement à travers une vitrine, et qui ont appris à
dodeliner de la tête à tout propos pour simuler leur
approbation. Bref mon père s’attendait à ce que je sois
comme ma mère, soumise, dévouée et fragile. Mais j’avais
hérité de son caractère à lui, indépendante et têtue. Sa
poigne à laquelle je ne pouvais me soustraire, m’étouffait,
me révoltait.
Puis Trévor débarqua dans notre vie et tout devint encore
plus difficile. Je sortais tout juste de ma crise d’adolescence,
quand ce jeune homme austère, arrivé tout droit de nulle
part, proposa à mon père de mettre ses mains fortes et son
esprit brillant entièrement à son service. Loyal,
incorruptible, dévoué à mon père et au royaume, ambitieux
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aussi, Gilles Trévor restait avant tout à mes yeux un homme
froid et sans passion. Son attitude avec moi était distante et
réservée, mais jamais dédaigneuse. Il devint rapidement le
bras droit puis le fils qui manquait tant à mon père. Et celui-
ci se mit à faire des projets pour nous deux, nous voyant
mariés, et Trévor roi après lui. Mon père, alors, redoubla
d’intensité ses efforts à vouloir contrôler ma vie.
Les robes qu’il choisissait pour moi, les professeurs de
chant et poésie qu’il m’attribuait me donnaient la nausée.
Dans le palais, j’étais entièrement sous son contrôle. Tout ce
que je faisais, disais, mangeait même, lui était rapporté et
tout écart à son modèle sévèrement réprimandé. Mais à
l’extérieur, je faisais les quatre cent coups avec une bande
de petits voyous. Et le peuple commençait à me connaitre
pour nos frasques et nos menus larcins. Jusqu’à ce fameux
soir où une bagarre avec une bande rivale a grandement
dégénéré. Il y a eu un mort dans le camp adverse. Puis la
police nous est tombée dessus. C’est le responsable de la
police qui m’a ramenée à mon père, les habits sales et
déchirés, la lèvre en sang, un œil au beurre noir, éméchée.
La nouvelle a rapidement fait le tour de la planète et mon
père n’a rien fait pour l’en empêcher. J’ai bien cru à un
moment qu’il allait me faire passer devant le tribunal et
juger pour crime en bande organisée. Finalement c’est dans
un camp de redressement militaire qu’il m’envoyait, sur une
base aérienne. Ce fut le premier tournant dans ma vie, dur
mais bénéfique.
Apprenti mécanicienne d’abord ; je franchissais
rapidement toutes les étapes jusqu’à devenir une pilote de
chasse émérite. J’avais trouvé ma voix.
Piloter me procurait tout ce qui me manquait sur terre.
J’étais aux commandes, ma vie entre mes seules mains, avec
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autour de moi du bleu à perte de vue. J’aimais à pousser les
moteurs à fond au décollage et sentir la pression de
l’accélération me plaquer contre mon siège, les oreilles
remplies de vrombissements, les vibrations du roulage dans
les jambes et les mains. Et puis il y avait l’instant magique
où les roues ne touchent plus le sol, où la vibration s’arrête
tout à coup, où l’air porte et élève. Et plus rien autour de
solide, plus aucun référentiel terrestre. Seulement le ciel et
moi ! Le palais de mon père devenait alors tout petit, vu
d’en haut, bien inoffensif, et les tracas de ma vie
quotidienne disparaissaient plus je montais. C’est ainsi que
j’ai voulu aller toujours plus haut, dans la stratosphère, là où
la rotondité de ma planète commence à être visible. Et j’ai
commencé à me griser de vitesse et d’adrénaline. Je
compensais le manque de tendresse par une overdose de
sensations fortes. Ainsi je pouvais me sentir vivante !
Alors je me suis mise à piloter des engins de plus en plus
puissants : le décollage ressemblait presque à un lancement
de fusée. Oh, quelle puissance dans cette course folle aux
accélérations presque douloureuses.
Mon père avait voulu m’envoyer dans l’armée pour me
dresser et me ramener dans ce qu’il considérait comme le
droit chemin, en jeune fille sage et soumise. Lorsqu’il
découvrit que je participais à la démonstration en vol des
chasseurs, le jour de notre fête nationale, quelle rage, quel
affrontement ce fut! Mais plus rien ni personne ne pouvait
m’empêcher de voler, pas même lui. Cette fois, ma tare me
servit à trouver les arguments pour le convaincre de me
laisser continuer. Enfin ma vie trouvait un équilibre et un
but.
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Puis tout bascula de nouveau : après soixante-sept ans de
règne et de dévouement à son peuple, le roi Charles mourut.
Ce jour-là le conseil au complet vint m’annoncer la
nouvelle dans ma chambre et me chercher pour me
soumettre à la loi de la succession. Dehors le tocsin sonnait
et la foule s’amassait sur la Grand place, découvrant la
nouvelle.
J’étais son héritière, mais pour pouvoir régner de fait, je
devais réunir une voix sur les trois possibles : celle de mon
père dans un testament, celle du peuple par une acclamation
lors de la cérémonie du Défilé blanc ou celle du Conseil du
roi. Le juriste fit son entrée et déclara que le Grand Roi
Charles n’avait fait aucun testament pour désigner son
successeur. Puis tout s’enchaina très vite, et ce n’est qu’en
fin de journée que je réalisais combien le geste de mon père,
cette absence de consigne, me mettait en péril - sans doute
une dernière vengeance à mes provocations.
On me conduisit à l’écurie pour me préparer à la
cérémonie du Défilé blanc.
Juchée sur une charrette, tirée par un maigre cheval,
couverte d’une simple tunique blanche, je traversais la
Grand Place, noire de monde. A mon passage, la foule
s’écartait. Les regards que je croisais étaient fermés,
hostiles. Et tout le temps que dura la traversée de cette
place, pas une seule voix ne s’éleva en ma faveur, pas un
bruit ne se fit entendre. Le peuple n’avait retenu de moi que
ces démêlés avec notre bande de voyous et cette bagarre
mortelle. Je payais le prix de mes frasques. Ebranlée, je
rentrais au palais pour affronter encore le Conseil.
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Ils se mirent tous en cercle autour de moi et, chacun à
leur tour, ils donnèrent leur avis. Un simple mot sortait de
leur bouche à chaque fois, intransigeant :
- non.
Tous ces vieux décatis conservateurs qui constituaient le
conseil de mon père, me considéraient comme une gamine
incontrôlable. Je le lisais clairement dans leurs esprits :
« vingt et un ans, et elle en parait seize. Une écervelée
kamikaze. Aucune formation politique. Irresponsable,
irrévérencieuse et inutile. Son père aurait dû l’envoyer
devant un tribunal et l’enfermer comme nous le lui avions
recommandé, plutôt que de l’envoyer dans l’armée. C’est
Gilles Trévor qui doit régner. Il a l’étoffe d’un grand roi. Il
l’a déjà prouvé.»
Puis Trévor pris la parole en dernier, et je compris enfin
quels dangers me guettaient :
- Gabrielle, que je me prononce ou pas ne changera
rien au résultat du vote. Tu as été écarté du trône par
trois fois. Es-tu consciente de ce que cela signifie ?
J’attendais la suite, inquiète.
- Tu vas être conduite au domaine où ta mère s’était
enfermée, et tu y resteras recluse jusqu’à la fin de tes
jours. Le Conseil pourvoira à tous tes besoins et tu ne manqueras de rien. En contrepartie, tu ne sortiras
plus de cette demeure, n’auras plus aucun droit
citoyen et t’engages à ne fomenter aucune révolte
sous peine de mort.
Tout d’abord, je le regardais sans comprendre,
impassible. Puis un mot fit écho et me percuta tout à coup :
recluse !
- NON ! Vous n’avez pas le droit de m’emprisonner !
Je me suis mal conduite par le passé, mais je n’ai tué
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personne. Vous n’avez pas le droit de me
condamner, vous n’avez pas le pouvoir d’un
tribunal !
Le plus âgé des conseillers se campa devant moi, fier et
arrogant :
- Fille de Charles, je te déclare déchue de la couronne.
Tu seras gardée prisonnière jusqu’à la fin de tes
jours. C’est la loi de succession d’Aurore. Elle nous
protège de toute instabilité politique. Et en tant que
Conseillers nous nous devons de faire respecter la
loi. Gardes, emmenez-la. - Attendez !
Sous le choc, je dévisageais Trévor, espérant que son
intervention pourrait encore me sauver. Je cherchais un
indice sur son visage et dans son esprit, qui explique ses
intentions profondes. Mais avec lui, cela ne marchais
jamais ; il était bien trop secret.
- Messieurs, la loi stipule que tous les conseillers
donnent d’abord leur avis. Or, je n’ai pas encore
donné le mien. Oui, elle a un passé scabreux ; et
aucune expérience politique comme Charles au
début de son règne. Elle n’a jamais géré de situations
difficiles, jamais eu à faire preuve de courage et de
sang-froid lors d’un « conseil ». Parce qu’elle n’a
participé à aucun. Mettons-la à l’épreuve. Elle est
pilote de chasse après tout. Qu’on l’envoie en
mission ; qu’elle nous montre ce qu’elle vaut.
Ensuite, je prendrais ma décision et donnerais mon
avis. Vous pourrez alors vous prononcer de nouveau
et changer, ou pas, votre vote. Etes-vous d’accord ?
Ils étaient indécis. Avant qu’aucun d’eux n’ouvre la
bouche, je pris vite la parole :
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- Je suis d’accord ! Tout plutôt que rester enfermée à
tout jamais dans la maison maudite de ma mère.
Trevor me dévisageait intensément et je ne déchiffrais
toujours rien de ses intentions :
- Même si tu risques la mort ?
- Même la mort.
Alors quelques conseillers commencèrent à hocher
doucement de la tête en signe d’approbation.
- Mais quelle mission allons-nous lui confier ?
La réponse arriva peu de jours après : l’Alliance venait
d’entrer en guerre.
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CHAPITRE 3 Center et Cristal
Toute l’Alliance venait d’entrer en guerre! Pour la
première fois depuis sa création il y a bien longtemps, notre
unité était menacée. Les Mercenaires s’apprêtaient à
attaquer la plus stratégique des planètes qui composent notre
système politique : la planète noire, notre unique source de
carburant !
Ils étaient en route. Les espions de l’Alliance l’avaient
découvert. A moins que ce ne soit les Mercenaires eux-
mêmes, si sûrs d’eux, qui avaient laissé filtrer cette
information…
La nouvelle était arrivée deux jours après la mort de mon
père. Le Grand Conseil de l’Alliance avait convoqué tous
les chefs d’état de chaque planète pour s’accorder sur les
décisions à prendre face à l’envahisseur.
Trévor avait été nommé Premier conseiller d’Aurore afin
de pouvoir nous représenter. Comme la plupart des chefs
d’état présents, il avait voté l’engagement de toutes les
armées de l’Alliance. Le Grand Conseil proposait également
d’attribuer les pleins pouvoirs à nos cinq Vénérables Sages,
et de les nommer généraux de cette guerre. Trévor n’avait
jamais rencontré les Sages. Tout ce qu’il savait d’eux de
réputation concernait leurs immenses connaissances et leur
aura quasi divine. Comme tous les participants, il valida la
proposition.
Des jours sombres commençaient pour Aurore avec le
deuil de son roi, l’incertitude sur sa succession et cette
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guerre pour laquelle il fallait quitter ses champs, se
mobiliser, partir loin de sa terre natale.
L’Appel des Sages passa inaperçu auprès de tout le
peuple, mais pas de Trevor.
Contre les Mercenaires, il fallait une élite guerrière, des
volontaires prêts à tout pour chasser l’ennemi. Sexe, couleur
de peau, casier judiciaire, tout cela importait peu. Les Sages
recrutaient des cœurs vaillants prêts à résister « autrement »,
et à qui ils promettaient en retour (si retour il y avait) de
gagner une dignité de héros de légende. Toutes les fautes
passées seraient effacées…C’est ainsi que je fus enrôlée
dans l’aventure.
Après avoir frôlé l’emprisonnement à vie, après ces
jours d’incertitudes, enfin j’entrevoyais un chemin à
prendre. Je n’avais jamais fait la guerre et j’y risquerai ma
vie mais je tenais mon sort entre mes mains, ce serait le prix
à payer pour mes frasques passées. Le cœur plus léger, je
rassemblais mes maigres effets dans mon sac à dos et
m’envolais vers les Sages. Pour la première fois, je quittais
cette planète qui m’avait vu naitre. J’étais libre.
La planète du centre était le point de ralliement que
m’avaient attribué les Sages. Je devais y rejoindre un camp
militaire top secret, et de là embarquer avec d’autres « élus »
dans un convoi de transporteurs pour rallier le vaisseau mère
surnommé « Le Deus ex Machina ».
Cette planète a la particularité de marquer
approximativement le centre géographique de la zone de
l’Alliance. C’est aussi la planète de nos origines, à nous tous
les Humains de ce système. Elle est célèbre pour ses
habitants cultivés et extrêmement charmeurs : les
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« Center ». Elle est également célèbre pour ses robots
intelligents apparus il y a quelques dizaines d’années et
appelés les Vaucans, du nom de leur inventeur.
J’avais glané ces informations au cours des visites
d’émissaires étrangers que nous recevions. On m’avait vanté
les mérites de cette société modèle réputée comme la plus
évoluée de l’Alliance.
En débarquant dans sa capitale Xaris, ma curiosité était
déjà bien aiguisée. Le temps y était radieux ; en l’air, des
avions aspirateurs de nuages cherchaient la perfection d’un
ciel d’ozone. La ville était immense, luxueuse et il y régnait
l’ordre. Le long des rues tracées au cordeau, s’élevaient des
bâtiments imposants, aux façades agrémentées de motifs
savamment étudiés donnant l’illusion de proportions encore
plus gigantesques. Des places au carré parfait, défilaient les
ribambelles de monomobiles, au rythme régulier et alterné
des feux tricolores. Dans un ballet parfaitement synchronisé,
les piétons traversaient en suivant le rythme inverse. La
population était dense. Et tout ce fourmillement semblait
réglé comme du papier à musique, comme si tout était écrit
d’avance. Je ne saurais dire pourquoi j’en éprouvais un
certain malaise.
Au gris clair des façades, s’accordaient les tons pastel des
passants. Devant moi, une jeune femme, les voiles légers de
sa robe longue flottant à la brise, un petit enfant paisible
contre ses jambes, flânait devant les vitrines bien ordonnées.
Partout sur les visages et dans les attitudes se lisaient la
grâce et la beauté. Malgré moi, les hommes attiraient mon
regard avec leur physique de statue grecque. Un groupe de
jeunes gens charmants me croisa. L’un d’eux en me frôlant,
me regarda avec insistance. Je profitais de ce bref contact
visuel pour sonder plus facilement son esprit : d’abord ce
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qui me choqua le plus fut le mépris qu’il manifestait pour
moi. D’où lui venait cette arrogance à se considérer d’office
comme supérieur à une inconnue croisée dans la rue ? Je
trouvais pourtant en lui beaucoup d’intelligence et de
culture. C’est alors que je touchais enfin à ce qui m’avait
mise mal à l’aise en traversant cette ville : un manque
profond d’humanité. Je venais de le ressentir dans l’esprit de
ce jeune Center, dans la beauté physique et l’élégance des
habitants, mais aussi dans l’ordre de toute cette ville : la
perfection poussée à son paroxysme.
L’autre surprise concernait les Vaucans. Leur technologie
me fascinait : certes leur corps était constitué de métal, mais
tout dans leurs gestes imitait l’allure et la grâce des Center,
comme s’ils voulaient mettre une volonté étrange et
malsaine à ressembler à leurs maîtres. Et ils étaient
extrêmement nombreux. En parcourant la ville, je crois bien
en avoir vu en plus grande quantité que les Humains!
Partout, c’étaient les seuls à s’affairer.
Là un épicier vendait ses fruits et légumes sur le marché,
ici un agent de la circulation réglait le trafic et faisait
traverser des petits écoliers Center ; le livreur, l’éboueur, le
chauffeur de taxi, la nounou, tous des robots. Ce qui était le
plus remarquable, c’était que dans la rue, seuls les robots
s’activaient à leurs besognes, contrôlant la vie de toute la
planète. Que faisaient donc les Humains ici à part flâner ?
Moi qui vient d’une planète pauvre, peuplée
essentiellement d’agriculteurs, à la vie dure et au sens
pratique, j’étais choquée de constater combien la vie des
Centers était douce et facile, axée uniquement sur des
activités intellectuelles et les plaisirs. Je comprenais mieux
maintenant pourquoi on comptait parmi eux les plus grands
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chercheurs, architectes, médecins…de toute l’Alliance. Et
j’en éprouvais une certaine jalousie.
C’est donc avec un certain soulagement que je
franchissais le mur d’enceinte du camp militaire, lieu de
rendez-vous. Une sentinelle m’ouvrit la seule petite porte
creusée dans ce mur, et je me retrouvais comme sur une
autre planète, au milieu d’un flot bigarré stupéfiant : des
guerriers Zouloudou aux pagnes en bambou tressé et aux
coiffes immenses croisaient des géants des grottes de
« Trevas » en combinaisons intégrales ; les voix haut
perchées des femmes oiseaux se mêlaient aux vibrations
graves des marins de « Trisquelle » ; les prêtres et prêtresses
de la planète « Petite nuit » perdus dans les sobres drapés de
leurs toges anthracite contrastant au milieu d’un groupe
d’ « Aron » couverts de bijoux ; la petite taille des gens de
« Béliste » ; l’allure d’athlète de ceux de « Cristal », les
éclats de rires expressifs de ceux de « Mistral » et le
recueillement de ceux de « Grande nuit ». Toutes les races
humaines étaient là. Tous ces visages, fins pâles, ou roses et
ronds, noirs, aux pommettes saillantes ; toutes ces figures
aux expressions si variées, ces sourires, ou ces mines graves,
ces airs de guerriers farouches, tous ces yeux aux couleurs si
différentes, tous avaient pourtant un point en commun : la
même fierté et la même excitation de se savoir « élu ».
Je reconnaissais ces peuples par les descriptions qu’on
m’en avait faites, mais je n’avais croisé que très peu d’entre
eux, depuis ma planète reculée. Des Vaucans embarquèrent
avec nous. Et beaucoup de « Center » également. Je suppose
que ces derniers ne pouvaient pas se passer de leurs « robots
à tout faire »…
On nous avait regroupés par douze et entassés dans des
transporteurs, ces appareils militaires légers, rapides, et très
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inconfortables, afin d’atteindre le vaisseau des Sages en
attente dans une zone de l’espace tenue secrète. D’autres
transporteurs avaient décollé d’autres points de ralliement
sur d’autres planètes, mais nous n’en savions rien. Les
transporteurs décollaient un par un, le plus discrètement
possible pour éviter d’ébruiter l’opération.
Puis ce fut l’espace. La traversée jusqu’au vaisseau du
Deus ex Machina dura quarante minutes. L’appareil vibrait
fortement. Les corps ballottaient, les sourires s’étaient
effacés. Les visages palissaient à vue d’œil, malmenés par
les soubresauts du transporteur. Ceux qui n’étaient pas
malades scrutaient l’espace à la recherche de leur planète
d’origine. Comme eux, je mesurais la distance qui me
séparait de chez moi, l’esprit rêveur.
Puis un objet sombre apparut. Derrière, l’espace
disparaissait progressivement, planète après planète, étoile
après étoile, comme si tout était gobé. Le corps noir
occupait maintenant tout notre champ de vision. On ne
distinguait presque rien de ses formes furtives, hormis un
point blanc qui grossissait rapidement : le pavillon de
l’Alliance. Nous étions en approche du « Deus ex
Machina ». Le transporteur ralenti, semblant contourner le
vaisseau, puis s’immobilisa. Alors, d’un coup, deux yeux
blancs puissants s’allumèrent comme des phares et il nous
apparut : une gueule immense de bête d’Apocalypse sortit
de l’obscurité, la bouche tordue de rage, des motifs tribaux
sur les bas-joues. La figure de proue au regard féroce et
plein de défi, semblait nous dire : « Que ceux qui veulent
me servir y songent à deux fois avant d’entrer ! Et que ceux
qui veulent m’attaquer s’enfuient immédiatement ! ». Dans
le transporteur, tous les visages étaient maintenant pâles, les
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dos courbés, muets de stupéfaction. Alors le mécanisme
d’ouverture se mis en marche. La bouche de la bête se fendit
en deux, et les dents s’écartèrent pour laisser apparaître une
langue rouge : la piste d’atterrissage. Elle nous engloutit…
Dès l’arrivée, un gros balaise posté à une intersection de
corridor nous orientait dans le vaisseau. J’observais son
manège : les musclés aptes au combat à droite, les autres à
gauche vers l’intendance. C’est à peine s’il écoutait lorsque
chacun déclinait son identité. Je n’aurais finalement peut-
être pas à me battre. Trevor se serait-il entendu avec les
Sages pour m’éviter de grands dangers ?
Je souriais en pensant à la tête horrible que feraient au
repas tous ces « élus » si j’étais affectée aux cuisines. Arrivé
à mon tour, le gros balaise avait commencé à lever le bras à
gauche, mais son geste s’était figé en entendant mon nom,
ses yeux avaient cherché dans une liste, puis il m’avait
montré le couloir de droite.
Au début, il me sembla qu’on nous guidait vers la proue,
en file indienne, longeant les bords courbes du vaisseau dont
on voyait l’ossature métallique. La coursive était faite de
grillages aux mailles larges, au travers desquelles un vide
profond en disait long sur la taille du vaisseau.
Puis il y eu de nombreux changement de direction ; les
bruits internes s’amplifiaient, les passages se rétrécissaient
et s’encombraient de tuyaux qui s’entrecroisaient prés de
nos têtes, de nos jambes, rendant la progression difficile. Il
faisait de plus en plus sombre. Même l’air semblait plus
lourd. Bien vite, je perdis le sens de l’orientation dans ce
dédale de boyaux métalliques. La seule impression qui me
restait était celle d’arpenter l’intérieur du ventre de la bête
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de fer, obscur, avec son lot de gargouillements sourds et de
vibrations sous nos pieds. Enfin, il fallut grimper aux
barreaux d’une succession de tubes verticaux pour rejoindre
ce que je devinais être le pont supérieur. Là les couloirs
étaient larges, les murs et le sol en tôles boulonnées. Des
flèches lumineuses indiquaient le chemin jusqu’à ce que
nous arrivions à cette salle.
Elle était grande, baignée dans une lumière forte et vide
de tout objet, lieu irréel au sein de la bête de fer. Au fur et à
mesure qu’elle se remplissait, j’observais les nouveaux
venus. Après le vol qui en avait rendu plus d’un malade,
après ce périple à l’intérieur de la bête qui avait de quoi
nous surprendre, les visages reprenaient maintenant leurs
couleurs, les dos s’étaient redressés, et certains osaient
échanger quelques phrases avec ses voisins, dans notre
langue commune, l’Alienca. Maintenant qu’on nous avait
séparés de ceux de l’intendance, la population était
beaucoup plus homogène et beaucoup plus impressionnante.
Tous des guerriers jeunes, fiers, rompus à la discipline, le
regard haut rempli de courage et d’orgueil. Mais ce qui
frappait le plus, c’était la stature de ceux qui m’entouraient.
Partout autour de moi, je devais lever la tête pour observer
leurs épaules : des charpentes lourdes et puissantes. Et
comme si ce n’étais pas suffisant, chacun avait voulu en
imposer encore par des tenues de combattant aguerri :
armures étincelantes, peintures de guerre dissuasives,
pantalons cloutés, cuirasses lustrées, tenues d’apparat
militaires. Si les armes personnelles avaient été autorisées,
je crois bien qu’il y en aurait eu à profusion.
Instinctivement, je jetais un œil à ma tunique et mon
pantalon unis, à mes mains nues si fines. J’imaginais les
entrainements martiaux intenses qu’il avait fallu pour
modeler tous ces corps bodybuildés. J’avais suivi des
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entrainements militaires. Pourtant, en regardant mes bras
frêles, vraiment rien ne permettait de l’imaginer.
Non vraiment, Trevor n’avait pas voulu me sauver.
A côté de moi, un grand balaise me fixait avec ironie.
Mentalement, il se targuait d’être le plus musclé de cette
salle et se moquait intérieurement de mon jeune âge et mon
aspect qu’il qualifiait de « petite peste ». Mon sang ne fit
qu’un tour. Ignorant qu’il était entouré de quatre autres
camarades bâtis comme lui, je lui sautais au cou et enfonçais
mes ongles dans sa carotide. A la seconde, il me plaqua au
sol et me menaça de son poing. Mais une autre main s’était
mise en travers de la trajectoire et arrêta net son
mouvement :
- Stop ! On n’est pas là pour s’entre-tuer. Elle a été
élue, elle aussi. Qu’est-ce que tu lui as fait pour
qu’elle se jette sur toi ?
Et pendant qu’elle lui parlait, elle me tendit la main pour
me relever.
- Je m’appelle Clar, et le gros ballot qui t’a sauté
dessus, c’est mon frère Rog.
Tout en disant cela, elle lui sourit et, comme sous l’effet
d’une douche glacée, le cerveau du fameux Rog s’apaisa
d’un coup. Quand il s’adressa à moi, ce fut avec un grand
calme :
- Qu’est-ce qui t’a pris de m’attaquer ?
- Je n’aime pas qu’on se moque de moi. - Tu es sensible ! On ne peut pas dire que tu sois d’un
gabarit…disons, standard dans cette assemblée.
C’est quoi ta spécialité ?
Il se frottait le cou à l’endroit où je l’avais profondément
griffé mais cette fois, son ton était plus amical qu’ironique.
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- Ca va s’arrêter de saigner si tu continues à appuyer
dessus. Je suis pilote de chasse.
- Et tu attaques toujours avec tes griffes ?
- Si la cible est un boxeur puissant qui a le réflexe de
se protéger le visage, alors oui, c’est la meilleure
attaque possible. Enfin, quand je n’ai pas de chasseur
sous la main bien sûr.
- Comment tu as su que j’étais un…
- La position de tes pieds, les poings que tu remontes, paumes vers le haut, la forme de ta musculature.
Et contre toute attente, il me tendit une poignée de main :
- Tu es une drôle de maline toi. Tu t’appelles
comment ?
- Gabrielle.
Clar continua les présentations :
- Voici Freyj, Tom et Jarl, nos amis. Nous avons
répondu à l’appel des Sages tous ensembles et nous
avons tous été recrutés ! Nous sommes les
inséparables de Cristal !
De cette planète et de ses habitants, je connaissais peu de
choses : des êtres à la réputation chaleureuse perdus dans un
milieu hostile en permanence glacé. Je remarquais
maintenant que tous les cinq étaient à très faibles distances
les uns des autres, se touchant souvent le bras ou l’épaule, et
se parlant de très près. Leur peau pâle qui n’avait pas
beaucoup vu le soleil était parsemée de taches de rousseur.
Les mains de Clar et tout son corps accompagnaient ses
paroles dans des gestes vifs, débordant d’entrain et
d’assurance. Elle dégageait une impression de solidité
physique et mentale enviables, avec la même stature de
géante et les mêmes pommettes roses de poupée que son
frère. Et la même couleur d’âme aussi : du blanc, lumineux.
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Dans ses souvenirs, elle était dans un paysage lunaire,
luttant contre un blizzard de neige, son nez rouge pointant à
peine de sa capuche en fourrure, son frère et ses amis autour
d’elle. Les pieds bien ancrés au sol, les pensées aussi solides
que leurs jambes, ils étaient campés devant un petit groupe
compact de personnes qui criaient et semblaient les défier.
Et on aurait dit qu’ils jouaient à celui qui tiendrait le plus
longtemps debout face au vent. C’était à ce moment-là
qu’ils avaient reçu la réponse des Sages et que leur vie avait
radicalement changée, leur permettant de sortir de ce que
dans son esprit elle nomma « le Koulak ».
- Vous avez l’air de vous connaître depuis longtemps!
- Nous sommes tous les cinq originaires du même
village. Nous avons grandis ensemble.
- C’est amusant, vous avez tous des prénoms très
courts, comme s’ils étaient coupés ! Est-ce le cas
pour tous les habitants de votre planète ?
Elle rit :
- C’est effectivement une tradition qui perdure ! Chez
nous la nature est hostile. Le givre et la glace
recouvrent toujours le sol. Les températures ne
montent jamais au-dessus de zéro degré et le vent
souffle très souvent. On raconte que les mamans des
temps reculés avaient donné des noms plus longs à
leurs enfants. Régulièrement des enfants se perdaient
dans le brouillard givrant. Et leurs parents les
cherchaient longtemps en criant leur prénom. La
légende veut que seuls les enfants qui avaient un
prénom court étaient retrouvés, car le vent sifflant ne
laissait passer qu’une syllabe ou deux. Les autres
prénoms se perdaient dans les bourrasques et les
enfants avec. Ce ne sont que des légendes bien sûr,
et à vrai dire, seuls survivent les plus forts chez nous.
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Mais cela fait partie de notre culture. Et toi d’où
viens-tu ?
- Je viens de la planète Aurore. Pour ceux qui ne
connaissent pas, c’est une planète chaude semi-
désertique, perdue au fin fond de l’Alliance, à l’aube
de l’humanité en quelque sorte…et bien que le vent
puisse y être très bruyant, nos enfants portent des
prénoms de toutes les longueurs possibles. J’en
connais même un qui s’appelle Maximoritolizec…
- Tu devrais lui conseiller de ne jamais venir sur notre
planète un jour de blizzard !
- Je transmettrai !
- Aurore…j’ai entendu dire que vous veniez de perdre
votre roi et qu’en guise de successeur, il n’a laissé
que sa fille, une gamine écervelée et vindicative…En
plein début de guerre. Les temps doivent être durs
sur ta planète !
Oui, Clar, les temps sont durs…Heureusement, elle
enchaine sans que j’ai besoin de répondre.
- Sais-tu que ce sont nos Vénérables Sages qui vont
nous guider tout au long de ce voyage et même lors
de l’affrontement ! Leur présence transforme ce
vaisseau en véritable sanctuaire. Ce sont les apôtres
de la Déesse. Peu de monde a comme nous la chance
de les rencontrer, et encore moins d’être instruit par
eux. Attention, je crois qu’ils arrivent…
La salle s’obscurcit lentement et les discutions stoppent.
Dans un bruit de fer, les portes se ferment sur les derniers
guerriers arrivés, sur cette salle d’un blanc immaculé,
comme un sas entre deux mondes ou deux espaces temps.
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Quand tout à coup les esprits autour de moi s’animent :
« Les voilà » !
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CHAPITRE 4 L’arrivée des Sages
Le seul espace qui jusqu’ici était resté dans l’ombre,
s’éclaire maintenant d’une lumière crue, en même temps
que le reste de la salle baigne brusquement dans l’obscurité.
Dans la lumière, une estrade et cinq chaises : cinq carrés
blancs parfaitement espacés posés sur un rectangle blanc.
Leur pureté de ligne, leur austérité marque nos rétines
dans cette saturation de lumière. Puis, le rythme lent d’une
cloche de fer fait cesser les chuchotements. Un personnage
en aube et en cagoule carillonne d’un tintement monocorde,
marquant le pas lent des cinq ombres qui le suivent. Encore
quelques pas puis leurs frêles silhouettes entrent dans le halo
de lumière.
Les Vénérables Sages s’avancent : cinq vieillards au
visage fripé, sans âge et sans race distincte, enveloppés dans
leur robe de bure de pénitents.
Voilà à quoi ressemblent ceux dont le nom évoque
partout dans l’Alliance la puissance et la connaissance
absolue ; ceux que toutes les nations Humaines regroupées
dans l’Alliance redoutent et écoutent! Nos maîtres à tous!
Ceux qui nous ont choisis pour intégrer « le Deus ex
Machina »…
La salle est maintenant dans le noir total, hormis
l’estrade. On ne voit plus qu’eux dans cette lumière
éblouissante. Ils sont venus se placer devant leur chaise dans
un mouvement d’une précision militaire et se sont
immobilisés en même temps, leurs corps décharnés dans la
même position.
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Dans le silence de la salle, le personnage en aube et
cagoule s’est posté devant nous pour ordonner :
- Un genou en terre devant nos Vénérables Sages !
Aussitôt tous s’exécutent dans un brouhaha de bottes, de
rangers qui raclent le sol, d’articulations et de tissu froissé.
Quand nous sommes tous à genoux et que le silence revient,
l’homme à l’aube et cagoule reprend :
- Debout !
Alors, nous croisons enfin leur regard : cinq paires
d’yeux sournois et rusés. Leurs pupilles perçantes semblent
scanner toutes les âmes qui rentrent dans leur champ de
vision au fur et à mesure qu’elles balayent l’assistance.
Malgré leur grand âge, il se dégage d’eux une aura
extraordinaire. Et aussi un malaise : cinq répliques
identiques de vrais quintuplés, aux gestes toujours en phase.
Dans un ballet parfaitement orchestré, leurs bras se sont
levés en croix. Puis ils prennent la parole tous ensemble. Et
c’est comme si une seule voix sortait de leurs cinq bouches.
Lente. Puissante :
- Oh, les cœurs courageux ! Soyez fiers car vous êtes
les « Elus », les guerriers de l’Alliance ! Au milieu
des tourmentés, des faibles, des lâches, des
indifférents, vous avez entendu notre appel ! Le désir
a mûri en vous, malgré les craintes, malgré les
souffrances à venir. Et vous avez répondu à notre
appel, vous avez parcouru un long chemin pour
arriver jusqu’à nous et faire front contre
l’envahisseur qui menace notre Alliance. « Elus »,
vos noms vont rentrer dans l’histoire ! Vos cœurs
purs et vos âmes généreuses gagneront le paradis !
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Pourtant, je le sais, c’est d’abord à l’enfer qu’il faut se
préparer.
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CHAPITRE 5 Les Mercenaires
Qui dans toute l’Alliance n’a jamais entendu parler des
Mercenaires ? Même au fin fond du plus éloigné de nos
systèmes planétaires, tout le monde connait cette bande
d’assoiffés de sang et de pouvoirs, cette horde hétéroclite de
forçats évadés, d’anciens soldats rebelles, d’hommes avides
de pouvoir et de richesses, et de diables errants à qui il ne
reste que la violence pour survivre !
Mon père m’avait élevée loin des préoccupations de
notre planète et de la scène politique. Et pourtant, je connais
leur histoire. Je l’avais entendue au cours d’une de ces
visites d’émissaires étrangers à laquelle je devais, selon les
ordres de mon père, jouer le rôle de la présence féminine
agréable à regarder et à entendre du moment que je ne me
mêlais pas des affaires en cours…
Leur faction était apparue il y a cinq ans lors de la
« Horde sanglante ». Ils n’étaient alors qu’une poignée de
voyous qui avaient projeté d’enlever le président du conseil
de l’Alliance pour obtenir une rançon. Ça se passait sur la
planète Béliste et ses habitants s’en souviendront encore
longtemps. Le Président enlevé, l’Alliance avait envoyé un
commando plutôt que la rançon, ne prenant pas au sérieux la
menace. Pendant tout un mois, les Mercenaires avaient mis
le pays à feu et à sang, se protégeant des armées derrière
leur prestigieux otage. Certains villages et même une petite
ville avaient été rayés de la carte. Les viols, meurtres et
habitations dévastées furent incessants pendant toute cette
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 33
période. On raconte que leur chef, un certain Arius, un
homme à l’esprit follement sanguinaire, aimait garder un
souvenir de chaque meurtre : un bijou, une dent, un
ongle !... Lorsqu’enfin l’Alliance les pris au sérieux après
l’échec du commando et qu’ils reçurent leur rançon, le
Président fut rendu au Conseil…en morceaux !
Aujourd’hui, ils sont de retour, infiniment plus riches,
plus armés et plus nombreux. Et leur objectif est bien plus
ambitieux : prendre le contrôle de la planète noire, notre
base pétrolière qui alimente toute l’Alliance, notre unique
source d’or noir ; et tenir tout notre système sous leur
coupe ! Evidemment, ce point névralgique est protégé : si
cette planète n’est pas à proprement parler habitée, elle
dispose en revanche de nombreuses bases militaires qui
entourent tous les puits. Mais la rançon d’il y a cinq ans
représente une colossale somme d’argent.
Depuis la nouvelle de leur arrivée, l’Alliance tremble en
imaginant ce que cette horde assoiffée de sang, de violence
et de pouvoir pourrait faire, maintenant qu’elle est riche et
puissante !
Cette fois, notre liberté à tous est menacée.
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 34
CHAPITRE 6 L’intronisation
Un silence de cathédrale règne maintenant malgré le
nombre, comme si la salle était remplie de coton. Mais pour
moi, elle est remplie de petits bruits de pensées qui
jaillissent de toute part, s’entremêlant en arabesques tordues
au-dessus des têtes. Un concert, non, une cacophonie de
pensées : « J’affronterai les ténèbres pour que triomphe la
lumière », « …libérer les tensions du corps, happer l’énergie
cosmique, transformer mon âme en pure émotion, atteindre
le satori…et tuer ! », « Mon nom va entrer dans la
légende », « Pas de survivant. Ils ne le méritent pas, ces
parias… », « Que mon bras porte le Verbe », « bientôt je
retournerai chez moi couvert de gloire et je me vengerai de
vous… », « Qu’est-ce qu’on ressent quand on tue pour la
première fois ? », « Que tous ces morts lavent mes péchés».
Sang, vengeance, peur, destruction, bravoure, prière, toutes
ces pensées se mélangent dans un tourbillon de fumeroles
folles à donner la nausée.
Brusquement, les cinq Sages brisent le silence de leur
voix unique et pénétrante. La mer de fumeroles se fige
instantanément :
- Notre Alliance, le symbole de notre entente entre
Humains, est menacée ! Tous les efforts passés pour
s’unir, tout ce que nous avons construit, planète
après planète, depuis tant d’années pourrait être
anéanti dans cette guerre et perdu à tout jamais !
Arius et ses Mercenaires veulent notre plus grande
richesse : la planète noire.
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Au fur et à mesure qu’ils prononcent leur discours, des
images défilent derrière eux sur le mur. Une carte de
l’espace avec les positions de chacun : l’ennemi est à dix-
sept jours de l’objectif. Des photos de la planète noire : cette
planète sans soleil, plongée en permanence dans le noir
complet, ses bases d’extraction de pétrole recouvrant
pratiquement toute sa surface, et ses camps de surveillance
armés. Mais ces défenses apparaissent dérisoires en
comparaison des forces déployées par l’ennemi.
Des informations sur la légion des Mercenaires
s’affichent en surimpression : cent mille hommes, une
armada de vaisseaux spatiaux de toutes tailles, des
transporteurs, et des chasseurs ! Et à sa tête, son fleuron en
matière d’armement : le nouveau vaisseau « Drakkar Noir »,
sa base de commandement.
- Qu’adviendrait-il de nous si ces hordes de sauvages
s’emparaient de notre unique source de pétrole ?
Plus aucun vaisseau de l’Alliance ne pourrait les
combattre faute de carburant ! Et toute l’Alliance
serait à genoux devant ces immondes hors la loi !
Voulez-vous qu’Arius s’empare de la planète noire
et devienne l’homme le plus puissant de toute la race
Humaine ?
- NON !
- Voulez-vous que les Mercenaires envahissent
impunément vos planètes et vos foyers ?
- NON !
- Voulez-vous que vos amis, vos proches deviennent
les esclaves de cette horde sanguinaire ?
- NON !
- Alors, nous allons nous battre ! Pour la planète
Noire, pour la liberté, pour l’Alliance !
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- Pour la planète noire, pour la liberté, pour
l’Alliance !
Les esprits s’échauffent. Des poings impatients se lèvent
et des cris fusent. Il faut un moment pour que l’assistance se
calme et que les Sages puissent reprendre leur discours :
- Selon les traités intergalactiques, nous ne pouvons
attaquer l’ennemi que lorsqu’il aura pénétré dans la
zone de l’Alliance. Toute infraction à cette règle
serait considérée par nos voisins comme une
déclaration de guerre et nous n’avons pas besoin
d’ennemis supplémentaires. Selon nos calculs les
Mercenaires devraient l’atteindre dans dix-sept jours.
C’est le temps que nous avons pour nous préparer.
Toute l’Alliance s’est mobilisée ! Partout, de chaque
planète, des troupes de soldats sont en route. Ils
viendront se poster entre la planète noire et l’ennemi.
Leurs mouvements de troupe massifs ne passeront
pas inaperçu. Ils impressionneront par leur nombre
mais leur position en dira déjà long à l’adversaire sur
notre stratégie d’attaque. Un seul élément leur sera
totalement inconnu : le « Deus ex Machina ». Jamais
les Mercenaires ne devront en connaitre l’existence.
Aucun radar visuel, infrarouge, sonore ne devra
pouvoir le détecter. Pour cela, les consignes à bord
sont très strictes : aucune communication avec le
monde extérieur pendant toute la durée de la
mission. Quand à vous, vous ne devrez jamais
exister aux yeux de l’ennemi, jusqu’à ce que vous
ayez frappé, et détruit ! Vous êtes les « Elus »,
l’arme secrète de l’Alliance. Vous interviendrez en
plein cœur de l’ennemi ; rapides, précis, et furtifs ;
pendant que le gros de la troupe frappera de front. La
plupart d’entre vous ont des amis, des frères ou des
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sœurs, un père ou une mère parmi eux. Souvenez-
vous bien de ceci : sans eux, vous ne pourrez pas
agir ; sans vous, ils ne pourront pas vaincre. Ce
vaisseau spatial est la base de commandement de
notre armée, et c’est aussi votre camp
d’entrainement. Nous avons dix-sept jours pour faire
de vous une équipe soudée et en parfaite
coordination. De vous dépend l’avenir de tout notre
système.
Et la salle enthousiaste répond : « A mort les
Mercenaires ! On va leur faire manger leurs vaisseaux ! »
Puis la voix des Sages change brusquement, et prend un
ton d’église :
- Elus, toute l’œuvre à accomplir ici est en vous,
entretenue, chérie pour certains, ou bien couvée,
cachée, pour d’autres ; mais encore à l’état de larve,
sans raison profonde, sans guide. Elus, entrez dans
ce vaisseau comme on entre dans les ordres : le cœur
pur, l’âme pleine d’ardeur, le bien de l’Humanité
comme étendard. Faites un pas dans la lumière ;
déposez tous vos fardeaux, tous vos doutes, tous vos
freins et prononcez votre prénom. Confessez nous
vos âmes faibles, faites acte d’allégeance, remettez-
vous en à nous, vos Vénérables Sages, en toutes
choses. Ici plus de nom de famille ; votre famille est
ici. Regardez votre voisin : c’est votre frère d’armes.
Plus de grade ni de hiérarchie ; vous êtes tous les
bras d’un même corps ; nous sommes la tête.
Oubliez ce que vous avez été, ce que vous avez
appris et ouvrez vos yeux et vos oreilles sur ce
monde nouveau que nous allons vous
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 38
enseigner. Ainsi seulement vous pourrez suivre le
chemin que nous vous tracerons pour vous révéler.
Ainsi seulement vous pourrez arracher les Hommes
à leurs ténèbres. Ainsi vous pourrez racheter vos
âmes impures.
Dans le silence, leurs voix vibrent encore au fond de nos
cerveaux. Je les entends résonner en écho dans chacun des
esprits autour de moi, comme les notes puissantes d’un
orgue d’église envahissant la nef puis chaque transept,
vibrant encore longtemps après avoir joué sur le clavier.
L’air semble en suspens. Plus personne ne bouge.
Puis cinq bras se tendent vers un des « Elus », l’invitant à
avancer :
- Présentez-vous à vos frères. Donnez votre prénom et
votre planète d’origine. Pas de nom de famille, il
doit rester secret. Plus encore, vous devez l’oublier !
Inclinez-vous devant vos Sages et prononcez votre
engagement plein et définitif.
Alors commence le rituel d’intronisation qu’ils ont
ordonné. L’homme sort de l’ombre de la salle et s’avance
lentement dans le halo de lumière qui entoure l’estrade.
C’est une sorte de colosse dont je peux distinguer le dos
noué de muscles et les épaules puissantes qui dépassent de
la foule. Conformément aux instructions des Sages, il se
tourne vers nous, ses « frères d’armes » pour se présenter.
- Je suis Adam de la planète « Petite nuit ».
Puis, avec déférence, il s’agenouille devant les Sages, et
prête serment d’obéissance, répétant les paroles qu’ils lui
dictent :
- Je jure de défendre l’Alliance et m’en remets aux
Vénérables Sages en toutes choses.
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Son corps massif s’est plié au pied de l’estrade. A ras de
terre, il reste plus corpulent que les cinq maigres aïeuls qui
lui font face. Pourtant c’est bien des cinq vieillards que
semble émaner toute la force qui électrise cette salle. Il
règne un silence de recueillement ; même les esprits se sont
tus. Les Sages reprennent avec cette fois une voix suave :
- Préparez votre âme ; videz-la de tous vos péchés…
Alors l’esprit de l’ « Elu» s’anime. Ses souvenirs aigres
remontent à la surface par flashs violents : des coups de
poings contre un ami ; des insultes à sa mère ; une sœur
mourante qu’il a tuée. Il se répète en boucle : « elle était un
fardeau pour notre pauvre famille. On serait tous morts de
faim à vouloir la sauver. » Il est chassé à coups de pierres.
« On serait tous mort », « on serait tous morts », « fardeau ».
Puis les mots s’estompent avec les regrets et disparaissent
comme si tous ses crimes pouvaient s’effacer en un clin
d’œil. Sous le choc, je regarde les Sages : yeux fermés,
mains tendues vers l’homme, ils sourient !
Quand l’« Elu » se relève, son visage parait transformé,
éclairé et grave, son esprit exalté au service des cinq.
Longtemps le rituel se répète : les Sages pointent du
doigt dans la foule ; l’Elu entre dans la lumière ; se présente
à nous ; puis jure obéissance aux cinq Vénérables, avec
respect et ferveur. Et dans ce simulacre d’absolution, son
âme se vide de toutes ses exactions, son cœur se relève en
paix.
Et à chaque fois, je découvre avec horreurs ces âmes
cassées, hors standard, rejetées des autres par leurs crimes
ou leurs différences, qui se libèrent si facilement de leurs
troubles par le pouvoir éphémère de la confession. Au bord
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 40
de la nausée, j’ai cessé rapidement de sonder leurs âmes et
ne suis plus la cérémonie.
C’est mon tour !
Des Sages, cinq bras se sont tendus vers moi, cinq paires
d’yeux me scrutent. L’assistance s’est distendue, m’ouvrant
le passage jusqu’à eux.
Encore quelques pas et l’engagement sera définitif. Mon
cœur bat d’excitation, mes pieds hésitent. Dans ma tête
défilent à toute vitesse les petits bouts de ma vie qui ont fait
que je suis ici aujourd’hui. Le halo lumineux est juste
devant moi. Plus qu’un pas pour le franchir.
J’entre.
Tout devient blanc. D’abord je ne vois plus rien. Puis
mes yeux s’accommodent. Je me tourne vers la salle
plongée dans la pénombre ; je ne distingue plus personne. Et
je dis mon nom :
- Je suis Gabrielle de la planète Aurore.
Pas de réaction dans les esprits alentour. Personne ne m’a
reconnue. Il vaut mieux. Je me tourne vers les cinq
Vénérables, et m’agenouille pour prêter serment :
- Je jure de défendre l’Alliance et m’en remets aux
Vénérables Sages en toutes choses.
Les Sages murmurent à nouveau leur phrase rituelle :
- Préparez votre âme ; videz-la de tous vos pêchés…
Je n’ai aucune intention de ressasser mes souvenirs. Je ne
cherche qu’à les oublier. Je penche la tête en avant, simulant
une introspection rapide et me mets à sonder leurs esprits.
Du noir ! Rien que du noir, intense comme un puits sans
fond, non comme cinq puits sans fond. J’ai le vertige et tout
à coup, une voix intérieure sort du noir :
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 41
« Confie-toi à nous, Gabrielle MagnusMens ».
Les Sages connaissent ma tare ! Les Sages lisent eux
aussi dans les pensées ! Et ils s’adressent à moi tous les cinq
de façon totalement synchrone. En proie à la panique, je clos
violement mon esprit comme on claquerait une porte. Je me
redresse brusquement ; la colère fait battre le sang dans mes
tempes et m’enhardie jusqu’à m’adresser à eux de la même
façon : d’esprit à esprit !
« - NON ! Je n’ai pas l’intention de vous laisser vous
délecter de mes fautes et jouer à m’absoudre. Si vous voulez
les connaitre, il va falloir venir les chercher par vous-même
au fond de mon cerveau ! »
« - Ce n’est pas ainsi que cela doit se faire. Veux-tu
garder au fond de toi tout ce qui te ronge et t’entraves ou
faire la paix avec toi-même, libérer ton esprit de ses chaînes
et te révéler ? N’oublie pas que seuls les plus forts pourront
accomplir leur mission…et que tu es venue à nous de ton
plein gré ! »
« - Je ne suis pas venue de mon plein gré. Je n’ai pas eu
le choix. Et vous, pourquoi m’avez-vous acceptée ? A cause
de ma tare ?»
« - Jeune Gabrielle, ôte tes doutes de ton esprit ; crois en
toi. Car nous t’avons choisie en toute connaissance de
cause. »
« - Vous ne me connaissez pas ! Comment avez-vous su
que je lisais dans les pensées ? Qui vous a renseigné sur
moi ?»
« - Toutes les questions finissent par rencontrer leur
réponse. Ouvre ton esprit. Aie foi en nous et nous te
montreront comment avoir foi en toi. C’est tout ce que tu
dois savoir pour le moment. Retourne dans les rangs. »
« - Je… »
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 42
Je n’ai pas le temps de terminer ma pensée. Je suis
coupée net par leur voix intérieure cinglante et violente :
« -Tu as prêté serment !»
Sans savoir trop comment, je me retrouve quelques pas
en arrière, dans la pénombre, au milieu des autres ; sonnée.
Puis j’ai peur : ils sont entrés et ont lu dans mon esprit ;
moi qui me croyais unique et impénétrable. Et ils sont entrés
avec force. Alors l’écœurement m’envahi ; comme l’effet
d’un étranger qui aurait en cachette visité une chambre,
touché aux draps. Mes os se glacent, mon esprit s’est clos
comme une huitre.
Le défilé des Elus continu. Chacun égrène ses fautes en
pensées sans aucune pudeur, et exhibe ses méfaits se croyant
seul, ne sachant pas que ce sont les Sages qui les y incitent
et accèdent à leurs moindres secrets. Tout cet étalage
malsain me donne la nausée. Pourtant, après chaque serment
prononcé avec conviction, après chaque flot de souvenirs
plus ou moins lugubres, les esprits libérés de leurs poids
repartent tous plus sereins, regonflés et endoctrinés ; tous
sauf moi.
C’est alors qu’une seconde vague de peur m’assaille :
quelqu’un d’autre que Trevor est intervenu auprès des
Sages, quelqu’un d’Aurore qui connait mon secret et le leur
a révélé – un secret que j’avais pris soin de ne jamais
montrer à personne. Mais qui ?
J’ai toujours eu cette faculté de lire dans les esprits.
Je ne saurais dire exactement à quel âge j’ai compris que
j’étais différente. Ma mère, bien entendu, fut la première à
s’en rendre compte…
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 43
Petite, je voyais bien qu’il arrivait que j’entende les voix
des personnes sans que leur bouche ne s’ouvre. Et je voulais
faire comme elles : communiquer sans ouvrir la bouche.
Mais lorsque j’utilisais cette façon de faire, ou bien lorsque
je pleurais par la pensée, sans verser de larmes, ou lorsque je
criais sans un bruit, personne ne réagissait. Dans ma famille
on m’a considérée longtemps comme une enfant au
développement intellectuel « tardif ». Il faut dire qu’en plus
de mon comportement étrange, j’ai toujours eu une
apparence plus jeune que je n’étais réellement. J’ai fini par
me résoudre à communiquer en faisant du bruit avec ma
bouche, comme eux. Et quand j’ai commencé à dialoguer
avec les autres, puisant dans ce que j’« entendais » de leurs
pensées, leur gêne envers moi se mis à grandir et à se
transformer au fur et à mesure en rejet.
A l’adolescence j’étais une jeune fille renfermée. Mon
physique me donnait des airs de gamine qui me
complexaient ; ma tare était lourde à porter. J’avais en
permanence les bruits de ces cerveaux qui résonnaient dans
ma tête. C’étaient des pensées sans aucun intérêt la plupart
du temps ; mesquines ou nombrilistes souvent ; parfois
malsaines ou carrément infâmes ; rarement des bontés et de
l’amour.
Il m’a fallu du temps avant de mieux me maîtriser et
avant de comprendre que ce fléau pouvait m’être utile.
Ensuite tout est devenu plus simple. Avec la pratique,
j’arrivais à ne lire dans les esprits que lorsque je le
souhaitais ; si j’en voyais l’intérêt ou si la curiosité me
démangeait !
Alors, j’ai pris soin de cacher cette capacité, sans jamais
en parler à quiconque. Et je me suis efforcée de paraître la
plus normale possible.
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 44
CHAPITRE 7 L’Immortel
La cérémonie des présentations semble terminée ; la salle
s’agite à nouveau, quand les Sages tendent leur cinq bras,
pointant vers le recoin le plus obscur de la salle. Paraissant
sortie de nulle part, une cape noire se matérialise soudain au
bord du halo de lumière. La silhouette glisse sans bruit
jusque devant les Vénérables pour se présenter à nous. Un
froid s’installe dans la salle et me fait sortir de ma torpeur.
Pas de main, pas de visage, pas même de regard qui ne
dépasse de ce spectre qui nous fait face. Juste une masse de
tissu noir qui parait encore plus sombre dans cette lumière
crue. Une sorte d’onde de peur, dont le centre est cette
chose, commence à s’étendre dans la salle. Je la sens
envahir petit à petit les esprits autour de moi. Une voix
grave et sourde, presque inaudible sort du trou noir du
capuchon :
- Je suis Faustus de la planète Valdenfer. Nos
Vénérables Sages ont bien voulu accepter ma
présence parmi vous…
A ces mots, toute l’assistance se crispe et retient son
souffle. Des murmures courent dans la foule des Elus : « la
planète Valdenfer, la planète des Immortels… » ! Au
premier rang, tous se sont reculés instinctivement. Comme
les autres guerriers avant elle, la silhouette noire se retourne
vers les cinq vieillards et s’incline, toujours sans un bruit,
comme si le tissu s’était mu seul sans personne dessous. Sur
son dos, tranchant sur le noir de sa cape, le fameux « I »
rouge, que doivent porter tous les Immortels lorsqu’ils sont
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en présence d’Humains. A nouveau, la voix d’outre-tombe
vibre :
- …je jure de défendre l’Alliance et m’en remets aux
Vénérables Sages en toutes choses.
La tension dans l’air est palpable, un flot de pensées
effrayantes court et envahi la salle. Je n’ai presque pas
besoin de mes capacités pour lire l’agitation et l’indignation
dans les esprits : « Comment nos Vénérables peuvent-ils
permettre la présence d’un de ces violents anthropophages
parmi nous ! ».
Voilà donc l’un de ces terribles Immortels dont certains
ambassadeurs me racontaient parfois l’histoire chez moi,
comme on raconte des légendes aux enfants. C’étaient
parait-il, des surhommes, capables d’une immense force et
d’une immense rapidité contre lesquelles aucun humain ne
pouvait se mesurer. Si les témoignages concordaient en ce
qui concerne leur capacités physiques, en revanche les
descriptions qu’on m’en avait faites me paraissaient pour le
moins saugrenues : loup-garou, mélange d’ours et d’homme
ou spectres informes…Bref, je n’avais aucune idée de ce à
quoi ils pouvaient bien ressembler. Dommage que la cape
intégrale de celui-ci ne puisse révéler d’indice.
A la surprise générale, les Sages font preuve d’une
grande sérénité et même de déférence envers lui :
- Faustus, sois le bienvenu parmi nous. Nous
connaissons ton abnégation. Comme tous ceux de ta
famille, tu as signé le pacte de paix avec les
Humains. Comme ton père avant toi, tu viens à nous
mettre ta force à notre service et défendre notre juste
cause. Sois digne de lui ! Que chacun ici t’accueille
avec honneur !
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Cette fois, les Sages n’ont pas demandé de confession,
pas d’incitation à libérer son âme, ni à leur confier ses
péchés. Pas de souvenir à faire remonter à la surface. Aucun
indice sur le mode de vie et l’apparence de cet énergumène.
J’en viendrais presque à regretter l’absence de ce rituel qui
m’écœurait tant quelques instants auparavant. Pourquoi un
tel traitement de faveur ?
Quand l’Immortel retourne dans le fond de la salle, la
foule s’écarte puis se referme sur son passage, comme
l’effet d’aimants en répulsion. Et je sens déjà dans les
esprits échauffés gonfler des vagues de haines et de révoltes
comme seule la peur panique peut en générer. Mais
l’autorité des Sages les muselle provisoirement :
- Elus défenseurs de l’Alliance, vous venez d’intégrer
la communauté la plus fermée de toute notre
organisation. Tout ici doit rester secret. Vous ne
devrez jamais donner votre identité, vous devez
même l’effacer de votre mémoire ! Votre sécurité en
dépend. Vous vous entrainerez selon nos ordres.
Mais la nature de votre mission ne vous sera révélée
qu’au tout dernier moment, pour éviter toute fuite
d’information. Ainsi seulement nous pourrons
prendre l’ennemi par surprise. Nous vous
enseignerons comment lutter contre les Mercenaires
mais nous ne vous communiquerons rien de nos
connaissances sur eux. Vous devrez être aveugle sur
tous nos plans et garder une confiance absolue en
nous. La réussite de cette mission en dépend. Le
devenir de l’Alliance toute entière en dépend ! Elus
défenseurs de l’Alliance, nous avons reçus vos
serments avec beaucoup de considération. Nous vous
guiderons vers la lumière, nous ferons de vous les
membres d’une même communauté soudée dans les
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tempêtes. Ensemble, vous révèlerez et ferez croître
vos forces. Ce vaisseau est désormais votre temple,
votre foyer et votre camp d’entraînement.
En se rasseyant, les Sages tendent le bras vers un groupe
d’hommes et de femmes montés près d’eux sur l’estrade ;
une sorte d’armoire à glaces pleine de muscles à leur tête. Il
a une figure de boxeur avec une arcade sourcilière défoncée,
le crâne un peu aplati sur le dessus. Il fait largement plus de
deux mètres de haut et ses mâchoires en avant lui donnent
un air de « Cro-Magnon » ! Tout dans son allure empeste la
suffisance : son marcel moulant compressant les muscles de
son torse, les bras repliés aux veines saillantes et les jambes
écartés, pieds encrés dans le sol pour nous en imposer :
- Je m’appelle Ruddy. Je suis votre chef instructeur
dans le Deus ex Machina : vous devrez vous
présenter devant moi au garde à vous et m’appeler
« chef Ruddy ».
Il scrute la salle avec un air narquois, le regard plein de
défi :
- Garde à vous !
Tout le monde s’exécute.
- Repos. Comment nos Vénérables Sages vous
appellent-ils ? Elus guerriers ? Défenseurs de
l’Alliance ? Et vous êtes fiers comme des papes avec
ça !...J’ai beau chercher, je ne vois aucun guerrier
parmi vous ! Une bande de vieilles femmes aux
jambes flasques tout au plus ! Répétez après moi :
« je suis une vieille femme flasque »…
Dans la foule, certains ont suivi les ordres avec mollesse
et des échos de cette phrase sont repris sans ardeur :
- Je suis une vieille femme flasque…
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- Mais ce ne sont pas que les jambes que vous avez
d’une vieille femme ! Ce sont aussi les cordes
vocales ! Plus fort : « je suis une vieille
femme flasque» !
Cette fois plus de voix s’élèvent et retentissent :
- Je suis une vieille femme flasque.
- Regardez-vous bandes d’ignares ! Remplis
d’orgueil ! Vous pensez que vous allez pouvoir partir
en commando dans le camp ennemi ! Vous êtes
vraiment des bleus comparés à eux ! Vous ne seriez
même pas capable de faire du mal à leur chien ! Ma
parole, vous êtes tous venus vous suicider ici !
Il parcourt encore la foule du regard, enfonçant ses
pupilles dans chaque paire d’yeux qu’il croise.
Lorsqu’il arrive sur moi, il s’arrête quelques instants,
surpris. « Gamine » et « petits bras » lui traversent l’esprit,
comme si souvent lorsque je croise une personne inconnue.
Ses yeux se sont accrochés sur moi comme un vautour sur
sa proie, puis un autre mot se forme : « marionnette ». Je
soutiens son regard, impassible, le dos droit, le visage sans
expression. Mais, contre mes jambes, mes poings serrés
tremblent d’impatience. Puis ses pupilles s’élargissent et un
sourire monte tout doucement et fend son visage sadique :
- Vous voulez sortir vivant de cet enfer ?
Son regard s’est détaché de moi pour nous englober tous.
Il semble attendre une réponse qui ne vient pas. Alors il la
formule lui-même :
- « Oui, chef »
Les élus ont compris et répètent :
- Oui, chef.
Je reste muette. Il semble satisfait de la puissance de la
réponse du groupe et continue :
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- Alors vous avez vraiment besoin de nous. Mon
équipe et moi, on est là pour vous entraîner. Et faire
de vous des vrais guerriers ; des vrais « Elus » ; des
vrais « défenseurs de l’Alliance » ! Vous voulez
vraiment être des défenseurs de l’Alliance ?
- Oui chef !
- Alors vous allez trimez ! On va vous faire suer du
sang et pousser des muscles ! Et en premier on va
évaluer vos aptitudes au combat et votre pourcentage
de chance de rester en vie. Chacun d’entre vous va y
passer ! Moins de dix pourcents de chance de survie
et vous serez écartés d’office des combats : on n’est
pas là pour envoyer de la chair à canon nourrir les
Mercenaires !
Et il émet une sorte de rire gras qui lui tord la bouche.
- Mais, entre nous, si j’avais un bon conseil à vous
donner, en dessous de vingt pour cent, je prendrais
mes jambes à mon coup et je partirais d’ici fissa !
Plus de sourire. Le silence est maintenant pesant. Il
continue :
- Pour ceux qui auront la CHANCE de rester, on vous
regroupera en fonction de vos prédispositions.
Rendez-vous demain matin six heures. Vos noms
seront affichés ici pour savoir où vous rendre.
Repos !
Ruddy et son équipe s’en vont. Les Vénérables se lèvent
à nouveau pour prendre la parole :
- Elus, défenseurs de l’Alliance, vous êtes tous
uniques, tous doués, tous motivés à vous battre. Mais
vos forces sont endormies et l’ennemi est puissant.
Pour gagner cette guerre, vous allez vous entraîner
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durement et booster vos capacités. Pour gagner cette
guerre, chaque don sera nécessaire. Chacun sera un
maillon fort de la chaîne qui étranglera l’ennemi.
Nous vous confierons des missions en fonction de
ces dons. Mais la somme de vos dons pris un par un
ne suffirait pas. Pour gagner cette guerre, vous
devrez donner encore plus. Vous devrez former une
équipe soudée aux capacités qui se multiplient en se
regroupant. Nous voulons une symbiose parfaite ! Ce
n’est qu’en franchissant ce stade que nous vaincrons.
Des regards s’échangent dans la salle. Chacun observe
ses voisins avec plus d’attention maintenant.
- Pour cela, nous allons vous regrouper en binômes.
Les Sages laissent cette phrase pénétrer nos cerveaux et
lui donner du poids.
- Vous apprendrez à vous connaître et à vous faire
confiance. Vous vous entraînerez ensemble ; vous
deviendrez complémentaires et inséparables.
Ensemble, tout deviendra clair ; vous marcherez
d’un même pas, vous vous sentirez forts, vous ne
douterez plus jamais. Alors seulement, vous serez
prêts à réaliser la mission que nous vous confierons.
Dans trois jours nous serons aux abords de la planète
noire. Nous allons mettre à profit le temps de ce
voyage pour vous observer. Dans trois jours, nous
nommerons ces binômes. A partir de ce moment,
vous ne vous séparerez plus jusqu’à la fin de cette
guerre : vous direz « mon double » en parlant de
votre coéquipier et il dira de même de vous. Vous
serez les armes de l’Alliance ! Soyez prêts à donner
toute votre motivation, vos forces, votre courage et
votre vie. Et en premier lieu, soyez prêts à suivre nos
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ordres à la lettre. La parfaite coordination des actions
de chaque binôme, la discipline au sein de tout le
groupe, seront le gage de notre réussite. Toutes nos
planètes en dépendent. Pour la planète noire, pour la
liberté, pour l’Alliance !
- Pour la planète noire, pour la liberté, pour
l’Alliance !
L’exaltation est à son comble. Chacun jure de tuer le
maximum de Mercenaires et certains parient déjà sur leurs
exploits futurs.
Les cinq robes de bure se lèvent alors et quittent la salle.
Déjà les portes de la salle se sont ouvertes. La foule des Elus
se disperse peu à peu. L’excitation retombe. Rog à côté de
moi est dubitatif :
- « Mon double » ? Qu’est-ce qu’ils veulent dire
exactement ?
Une très belle femme s’est retournée pour lui répondre,
faisant virevolter ses boucles brunes et je ressens comme un
apaisement son âme douce et rose :
- C’est une vieille tradition guerrière. Nos Vénérables
Sages ont été eux-mêmes entrainés de cette façon. Ils
regroupent les gens par deux selon le caractère et les
aptitudes. Tu connais l’adage « à deux on est plus
fort ». Ils cherchent l’entente parfaite.
- Je veux être avec toi, Chérie !
- Non, tu n’as pas compris, ces binômes n’ont rien à
voir. En général ils évitent même qu’ils soient
mixtes. C’est une entente spirituelle : on est sur la
même longueur d’onde, soudés. Un peu comme de
vrais jumeaux. L’efficacité au combat est bien plus
grande. L’attaque est synchrone et chacun protège
l’autre.
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- J’en connais un qui ne risque pas d’avoir « son
double » !
Et il fait signe en direction de l’Immortel. Tous restent
silencieux.
- Franchement, ce s… me fout les jetons !
- Rog, surveille ton langage…les Sages…
- Clar, je suis peut-être familier, mais lui, il est
particulièrement dangereux. Tu sais ce qu’ils font
aux Humains, les Immortels ?
Il s’est tourné vers moi comme pour me prendre à
témoin :
- J’ai entendu plusieurs légendes à leur sujet, mais
c’est le premier que je rencontre, et c’est vrai qu’il
est…impressionnant.
- Je vais te dire ce qu’ils font aux Humains : ces
espèces d’e… les bouffent !
- Rog…
- Oh ça va Clar. Ouais, bon, ils les mangent. En fait,
les Immortels sont des êtres supérieurs. Du moins
c’est ainsi qu’ils se définissent. Ils sont
immensément plus forts et rapides que nous. C’est
même tous leurs sens qui sont extrêmement plus
développés que les nôtres. Je vous conseille de
n’engager aucune rixe contre lui, même à dix contre
un. Moi-même je ne m’approcherais pas à moins de
dix mètres de lui. Mais s’il voulait vraiment ma
peau, je ne pourrais pas faire grand-chose. Ils
détestent les Humains. Ils n’ont pas de raison
particulière de nous détester, hormis qu’ils se sentent
infiniment supérieurs à nous. Non, ce n’est pas un
sentiment, c’est bien plus fort que cela, c’est un
instinct animal. Ils nous détestent au point d’avoir
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instinctivement envie de nous tuer. Une sorte
d’atavisme.
La jolie brune qui l’écoutait tranquillement, réagit
soudain :
- Il n’y a que les fanfarons comme toi pour parler
aussi haut et fort de choses qu’ils ne connaissent pas.
Rog s’est figé, bouche ouverte, apparemment très touché
par son opinion sur lui. La brune a tourné le dos et disparu.
Je tente une pensée positive pour faire diversion :
- S’il est si fort, il pourra nous défendre contre
l’ennemi…
- S’il ne t’a pas dévorée avant ! Tu n’as pas compris
Gabrielle. Sa seule présence ici nous met tous en
danger. Méfie-toi de leur calme apparent. Ils sont en
fait animés de rages d’une folle violence. Un
Immortel au milieu d’Humains, c’est comme un lion
affamé au milieu d’un troupeau de moutons. Non,
c’est pire qu’un fauve…un monstre incontrôlable…
- Mais alors pourquoi les Sages l’ont-ils accepté ?
Au lieu de répondre à ma question, Rog se lance dans des
récits bizarres et plutôt farfelus, mêlant dangers et
interdictions de les côtoyer.
Je ne l’écoute plus. La silhouette noire est à quelques pas
de nous, isolée, ombre dans l’obscurité. Que pense un
Immortel…Serait-ce dangereux voire même interdit de
tenter de le savoir ? Je me concentre, sonde son
esprit…et…rien. Un tel monstre n’aurait-il pas de pensées,
ou du moins pas structurées de la même façon que nous ?
C’est l’expérience scientifique de ma vie ! Il faut que je
sonde d’une autre façon ce cerveau si particulier…peut-être
une question de vitesse, s’ils sont si rapides, leurs pensées se
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déroulent sûrement plus vite. Je fais des efforts pour capter
plus vite…rien. Je suis intriguée malgré le danger. C’est
alors que lentement, le capuchon noir se tourne vers moi.
Une seconde je sens comme un regard s’accrocher au mien
dans l’ombre de son visage et mon sang se fige…
- Eh, Gabrielle, tu viens avec nous ? On nous emmène
dans nos quartiers, histoire qu’on trouve nos
marques et qu’on se repose avant les évaluations de
demain. Cherche ton nom dans la liste…
- Heu, ok Rog. Et lui, il ne bouge pas ?
- Un Immortel ça ne dort pas…
Nous descendons de nouveau ces longs tuyaux verticaux
pour retrouver nos chambres. Aux échelles se succèdent des
couloirs encombrés de machinerie et de tuyaux entremêlés,
une passerelle, un sas, puis de nouveau une échelle verticale,
un boyau, un sas ; toujours plus bas, toujours plus étroits.
Certains passages recouverts d’écailles de tôles brutes
donnent l’impression de descendre dans les entrailles d’un
monstre sous-marin, un monstre dont le sang-froid a l’odeur
aldéhydée du fer. Nos bruits de pas martèlent, nos voix
résonnent, et au fur et à mesure de la descente, des
vibrations régulières se font de plus en plus présentes
comme les palpitations d’un cœur lointain.
Les chambres sont pour la plupart regroupées à proximité
des vestiaires et des salles d’eau communes. Il y a du monde
qui grouille et cherche ; on ne se croise pas dans cet espace
confiné, on se bouscule. Ca chahute et parle fort. Ceux qui
ont trouvé rangent leurs affaires dans leurs vestiaires. Au fur
et à mesure que nous avançons, mes nouveaux camarades
atteignent leurs chambres et me laissent continuer seule ma
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progression. Ma destination est inscrite sur une petite fiche
suspendue à ma clé : P0C27p2. Je dois encore descendre.
J’emprunte un dédale de passerelles en treillis de métal,
mon sac sur le dos, guidée uniquement par de petites
plaques indiquant les numéros des ponts et des conduits. Et
je m’enfonce un peu plus jusqu’au pont zéro. Maintenant,
les bruits de voix se sont estompés jusqu’à disparaitre; ici il
n’y a plus personne. Les boyaux se rétrécissent et
descendent. L’air est chaud. Seul le battement sourd des
machineries palpite et résonne dans ma poitrine.
Enfin, au détour d’un virage, en bas d’une volée de
marches d’acier, j’atteins mon but : couloir vingt-sept -
porte deux. Il n’y a que deux portes dans ce cul-de-sac, la
mienne est juste en bas de l’escalier. J’ouvre. Ma chambre
ressemble plus à une cabine tant l’espace y est petit. Mais
j’y suis seule, ce qui représente un luxe pour un camp
d’entraînement militaire. Le lit très spartiate occupe presque
la moitié de l’espace, et au fond, on a réussi à caser une
petite table et deux chaises. Du côté du lit, le plancher se
relève dans une courbe identique à celle de la coque du
vaisseau : je suis à fond de cale. Je pose ma main sur la
tôle : de l’autre côté de cette paroi c’est le vide spatial.
Tout est calme alentour, hormis le sourd martellement
des machines. Aucun signe de vie du côté de la chambre
voisine. D’ici les pensées de tous les habitants de ce
vaisseau ne sont plus qu’un vague murmure.
Allongée sur ce lit étroit, je scrute le plafond à la
recherche de réponses…Qu’est-ce que je fais ici, au milieu
de ces athlètes de combat, moi qui ne me suis jamais
vraiment battu ? Oui, bien sûr, j’ai participé à des rixes, j’en
ai provoqué pas mal lorsque je trainais dans les rues sur ma
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planète à la recherche de mauvais coups à faire, des rixes de
gangs… Mais de là à faire la guerre. Et contre les
Mercenaires !
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CHAPITRE 8 Les entraineurs
Ce matin, en arpentant ces boyaux étroits et
interminables vers les ponts supérieurs, je croise de
nombreux panneaux d’affichage. Et partout le même
message en lettres jaunes sur fond noir : « Aujourd’hui,
évaluations avec vos entraîneurs. J-16 avant
l’affrontement ».
Le parcours du combattant : ce sera mon premier test à
bord du Deus ex Machina. Le lieu est des plus insolites.
Comme beaucoup d’ « élus » ici, j’ai souvent pratiqué ce
genre d’exercice. Et ce que je découvre devant mes yeux ne
ressemble en rien à ce que je connaissais : on se croirait
dans une sorte de parc d’attraction ou un jardin d’enfants !
D’un coté de cet immense gymnase, est balisé une sorte de
chemin en matière synthétique avec des murs, des fosses,
des haies, des cordes, dans des matériaux colorés, mais aussi
des structures gonflables, des piscines à balles, et même un
tas de sables et de galets ! L’autre partie du gymnase est
fermée par un mur noir qui le coupe en deux, et sur ce mur,
est écrit : « labyrinthe » ! Tout cet attirail nous donne envie
de sourire et dans mon petit groupe, certains rient de se voir
traités comme des enfants. Tom et Jarl, qui sont à mes côtés
lorsque je découvre ces installations, s’amusent :
- Regarde, Jarl, ça ressemble au « parcours santé » de
notre village, avec la neige en moins bien sûr ! On va
bien se défouler…
En une fraction de seconde, Tom s’est projeté dans ses
souvenirs d’enfance, des images sépia et blanches. Il court à
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 58
l’instant dans une forêt enneigée, ses parents à ses côtés. Je
peux sentir leur admiration pour leur petit garçon. Cette
reconnaissance envahit les pensées de Tom d’une vague de
bonheur familial qui blesse mon cœur…
Mon père. Je cours jusqu’à lui…je suis toute petite. Il
s’est fortement penché, ses bras en avant prêts à m’attraper
et m’enlacer…ses yeux animés de petites flammes
cherchent dans les miens. Brusquement le feu s’éteint, son
regard s’endurci ; son esprit s’assombri en pensant « Une si
frêle enfant ! Décidément, elle me ressemble si peu! ». Et il
s’écarte…
Il n’a jamais plus eu d’élan vers moi. Et pendant
longtemps, je n’ai plus lu dans ses pensées.
Une voix derrière moi me tire de mes songes :
- Approchez mes enfants ! Vous allez être au paradis
ici ! Je m’appelle Edith et je vous ai concocté
quelques jeux dont vous me direz des nouvelles !
Ces paroles ironiques susurrées sur un ton mielleux
sortent de la bouche d’une sorte de géante qui se tenait à
côté de la porte et admirait l’effet de ses « jouets » sur notre
groupe. Elle se frotte les mains et en guise de sourire,
montre des dents qui partent en avant, à la mode Cro-
Magnon ; une version de Ruddy au féminin en quelque
sorte ! Cela a pour effet de faire tomber net la bonne humeur
ambiante ! Edith jubile. Elle sait qu’elle a semé le doute
dans tous les esprits. Ses pensées forment des spirales
violettes empoisonnées et son sourire devient sadique
lorsqu’elle nous invective :
- Allez les petits ! Chacun un sac à dos, rose pour les
filles, bleu pour les garçons. Servez-vous ici. Vous
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les remplissez de cailloux, et quand vous n’arrivez
plus à en ajouter, vous complétez les interstices avec
du sable. Allez, on se dépêche, hop, hop,
hop…Ensuite vous courrez le plus vite possible, et
votre temps de parcours va s’afficher à la sortie.
Sans faire de bruit, les Sages sont apparus au fond de la
salle et la tension est montée.
Même avec un sac à dos rose, qui a, en fait, une
contenance plus faible que les bleus, j’ai bien du mal à
avancer. Le ton ironiquement maternel d’Edith a le don de
nous porter sur les nerfs. Le parcours se révèle extrêmement
épuisant. Très peu s’en sortent. Beaucoup comme moi
n’arrivent qu’à marcher. A ma grande surprise, je ne suis
pas la dernière sur la ligne de course. Puis j’arrive à la fosse.
En sautant au fond, je me rends compte qu’elle est remplie
de boue. J’en ai jusqu’aux cuisses, et arrive à peine à la
traverser. Mais remonter le mur lisse, la boue collée sur moi,
s’avère totalement impossible avec mon sac à dos. Je
l’enlève et tente de l’envoyer en haut du mur, comme j’ai vu
faire mes prédécesseurs. Mais je n’ai pas appris à lancer un
sac plein de cailloux à cette hauteur ! Manque de forces :
c’était la conclusion de tous mes rapports d’évaluation sur
Aurore. Auquel était juxtaposé : querelleuse et têtue. Rien
qui ne puisse me servir à sortir de ce trou.
Je suis encore en train de lancer ce sac avec rage
lorsqu’Edith s’allonge devant la fosse pour venir me
récupérer :
- Nos Vénérables Sages t’auraient-ils recrutée
uniquement sur tes beaux yeux?
Et elle me tend une main, que j’agrippe. Cela lui suffit
pour me faire remonter tout le mur de fosse que je finis par
enjamber. Je veux lâcher sa main ; elle resserre et écrase
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mes doigts à me faire mal. Lorsque je croise son regard, un
mot se forme dans son esprit : « marionnette ». Et elle me
tire le bras pour m’entrainer devant mes camarades, un
sourire immense aux lèvres :
- Regardez tous. Voici la perdante du jour !
Soudain, les volutes de ses pensées se mettent à
tourbillonner violement ; des arabesques violettes dans une
fumée noire qui s’emmêlent à toute vitesse, puis forment
petit à petit une image : mon visage, crispé de douleur,
hurlant d’effroi ! Elle croise le regard des Sages et se fige,
comme prise en flagrant délit d’envies coupables.
Alors, lentement, les Sages font oui de la tête ; son
sourire remonte sur ses lèvres, sa main broie la mienne à
m’arracher des larmes, et elle me tire violement jusqu’à une
paroi noire et immense qui coupe cette salle.
De très près, on peut distinguer une petite porte à battant
à ras du sol, pas plus haute qu’une chatière. Edith est au
sommet de sa jubilation, ma main tremblante toujours serrée
dans la sienne.
- Laissez-moi vous présenter mon labyrinthe. Ce n’est
pas à proprement parler une épreuve d’entrainement.
Ce serait plutôt une sorte de « cachot moderne »
pour têtes brulées…Regarde bien Gabrielle. Pour
ceux qui ont l’habitude d’aller « au trou », sachez
qu’ici, ce qui est plus amusant, c’est que la durée de
« détention » dépend de vous, et que si on y a
beaucoup moins de place que dans un cachot, en
revanche on peut se déplacer plus…Le labyrinthe,
c’est mon joujou préféré, alors j’espère que vous
viendrez le tester…cela me ferait très plaisir !
Edith s’arrête, me regarde, regarde les autres. Silence
complet et stupeur.
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- Ruddy vous attend pour le test suivant, même pont,
couloir quatre, porte cinq. Rompez !
Il est campé au milieu de la salle, prêt à se battre. Il me
fait signe d’approcher. Pas besoin de lire dans son esprit !
Son corps parle de lui-même et dégage une espèce de
brutalité primaire qui déclenche chez moi le degré de rage
maximum. Je le déteste d’instinct. Il lit mon nom sur une
grande liste :
- Gabrielle d’Aurore ; pilote de chasse…c’est exact ?
- Oui.
- « Oui, chef Ruddy».
- …
- Tu dois dire « oui, chef Ruddy».
Rien ne sort de ma bouche. Pas possible. Pas tant que je
n’ai pas canalisé ma rage. Ses yeux s’allument. Il y règne
une étrange confusion qui me glace.
- Une forte tête…Ça ne m’étonne pas d’une pilote.
Vous vous croyez toujours au-dessus du lot !
Il tourne maintenant autour de moi, le sourire aux lèvres,
me regarde de haut en bas, comme s’il allait prendre mes
mesures pour un costume. Je ralenti ma respiration pour me
calmer et reste stoïque, prête à encaisser des paroles et des
coups.
- Tu me parais bien fluette, même pour une pilote…tu
as des tout petits bras sans muscle.
En disant cela, il me pince les coudes. Puis, il se met à
sourire à l’évocation d’un de ses souvenirs qui s’allume
dans son esprit : des images sporadiques de champ de
bataille…de bagarres sanglantes en noir et blanc…Une
horde sauvage a pris en chasse un groupe d’hommes ivres
de peur, qui s’enfuient vers un village. Un visage fou, crispé
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par la haine, poing levé, le chef de la horde, hurle de charger
et saccager…j’ai l’impression de connaître ce visage,
pourtant je n’arrive pas à y mettre un nom…Ruddy obéi à la
voix de violence et lâche ses impulsions sanglantes sur les
villageois…Une fille soudain fait irruption dans son champ
de vision, le teint blême, les yeux pleins d’effroi, le corps
frêle. Elle sait qu’elle est à sa merci…Une onde de joie
sauvage parcours son cerveau. Puis une voix derrière
Ruddy : « C’est moi qui décide. Celle-là, tu ne l’auras pas ».
Une lame traverse son champ de vision, tranche le cou de la
fille. Une gerbe de sang noir. Plus rien que du noir.
Le Ruddy qui est devant moi aujourd’hui rumine encore
sa frustration et me regarde comme s’il venait tout à coup de
trouver une compensation à la perte de son précédent
« jouet ». Il sourit comme lorsqu’il avait attrapé cette fille et
je suis soulagée qu’il y ait du monde dans cette salle :
- P’tits bras…Est-ce qu’on t’a dit « P’tits bras » qu’il
fallait beaucoup de résistance physique pour piloter
et tenir au combat. Tu connais le chiffre fétiche des
pilotes : cinquante pour cent de chance de survie en
mission. Mais dans ton cas…
Son sourire est resté figé.
- Tu es déjà partie en mission, P’tits bras ?
- Non.
- Non, chef ! Ha, ha, c’est évident que non ! Tu ne
serais pas là pour en parler. Tu feras moins la fière
dans quelques jours. Aujourd’hui, on va faire un
petit jeu : je vais évaluer tes chances de survie. Ça te
dit de savoir à l’avance… Et si ton score est faible, je pourrais peut-être faire quelque chose pour t’aider à
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le remonter. Qu’est-ce que tu en dis ? Allez, montre
tes muscles, vas-y. Les biceps.
Sa tentative d’intimidation ne risque pas de marcher avec
moi ! D’accord, il n’y a rien d’impressionnant entre mon
coude et mon épaule. Mais il n’y a pas que les muscles…Il
aime se défouler sur les autres…Je crois que je vais me faire
plaisir et énerver un peu Monsieur Gonflette. Alors, je ne
bouge pas d’un millimètre, muette.
- Ok, tu veux jouer les imbéciles avec moi. Défends-
toi.
Et il fonce immédiatement sur moi. Il est tellement
prévisible ! Et je suis extrêmement rapide. Son esprit me
livre ses attaques, que j’esquive facilement avant qu’il les
exécute. J’ose même amorcer un demi-sourire ; juste un
petit pli au coin des lèvres. « Gonflette » me rate encore et
s’excite. Plus il insiste, plus mon sourire s’affirme. Ses
attaques se font plus lourdes et mes esquives de plus en plus
souples. Il est sur le point d’exploser : lui le colosse n’arrive
pas à écraser le microbe que je suis. Les autres élus, son
équipe, tous ont les yeux sur nous : il se sent humilié. Ca y
est, il perd tous ses moyens et se met à hurler, poings en
l’air :
- Incapable de toucher l’adversaire : est-ce que tu crois
que tu peux tuer du regard ? Qu’est-ce qui leur a pris
aux Vénérables de te choisir ? Tu n’es bonne à rien,
ici ! Tu vas voir comment on les mate les filles de
ton genre…Une bonne dose d’entrainement…
Sa haine est tellement montée. Il jette violement son bras
sur le bureau et du plat de la main assène une énorme claque
sur la liste de nos noms. Le bruit a fait sursauter les
camarades qui sont derrière moi. Le bureau a craqué, sauté,
et finalement est retombé sur ses pieds, miraculeusement
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 64
entier. Gonflette n’a pas l’habitude qu’on lui résiste ; moi
non plus. Il s’est retourné vers ses acolytes et les regarde
tout en m’adressant la parole, le doigt tendu vers un petit
trapu qui écrit sur une liste :
- Prescription pour P’tits bras : le matin, parcours du
combattant chez Edith. Puis boxe, je m’occuperais
personnellement de toi ! Nous devrions rapidement
nous entendre…Je saurais comment m’y prendre
avec toi…Cet après-midi tu iras te pointer au hangar
des chasseurs pour faire un essai. Autant te prévenir
tout de suite, si tu n’es pas géniale en pilotage, je te
colle un zéro pour cent de chance de survies et tu
rentres immédiatement chez toi. Je m’en chargerais !
Entre nous, il vaudrait peut-être mieux pour
toi…Parce que si tu restes, je ferais en sorte que tu
n’aies pas la vie facile…
Je souris toujours, impassible. Il a appuyé ses deux mains
à plat sur le petit bureau, les yeux fermés. Une tempête noire
a envahie son esprit et il a des envies meurtrières
incontrôlables. Pour ne pas exploser, il ne cesse de se
répéter en lui-même « Je ne peux pas jouer avec elle ici, pas
maintenant. Patience.»
Dans ses souvenirs, il se revoit à genoux devant Les
Sages, Edith et tous ceux de son équipe autour de lui, dans
la même posture. Les cinq Sages les invectivent :
- Vous avez trop longtemps fait fausse route. Vous
avez commencé à payer pour tous vos crimes.
Maintenant que vous avez conscience de vos fautes,
vous allez vous racheter et nous prouver votre
dévouement : vous entrainerez ceux qui vont se
battre contre votre ancien « Maitre » !
Ils répondent tous :
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- Je jure de défendre l’Alliance et m’en remets aux
Vénérables Sages en toutes choses…
Ruddy a toujours les yeux fermés et se répète : « Les
Sages non plus ne me le permettraient pas. Changer de camp
ne change pas grand-chose. Je trouverais comment. Ils ne
sont pas plus malins qu’Arius ».
Puis il se retourne une dernière fois vers moi, le regard
vicieux, la voix soudainement posée :
- Ah, j’oubliais P’tits bras, demain tu iras faire un tour
dans le labyrinthe d’Edith…tu verras, ça calme…
Une seconde j’ai cru voir une drôle d’ombre danser dans
ses pupilles, comme si elles étaient habitées…
Les Sages ont recrutés nos entraineurs parmi les proches
d’Arius ! L’ennemi est à bord et nos vies sont entre leurs
mains ! Hors de moi, la peur et la rage au ventre, je fonce
droit devant, à la recherche des Sages.
Mais je me perds vite dans le dédale de ce vaisseau.
J’ouvre des portes à toute volée et ne tombe que sur des
salles de musculation ou d’entrainement à la boxe. Il y en a
même une grande qui comporte un ring. Et partout, dans les
couloirs, comme s’il fallait tout le temps nous rappeler le
danger, des écrans suspendus au-dessus de nos têtes
affichent la position de l’ennemi dans l’espace : flèches
rouges pointant sur nous dans le fond noir étoilé du ciel.
Mensonge : les Mercenaires sont ici !
Dans mon énervement, j’ai dû tourner en rond, car je me
retrouve à nouveau près du gymnase. Inhibée par ma colère,
j’interpelle rudement Edith, qui me sourit, impassible :
- Où sont les Sages ?
- Dans leurs quartiers, même pont, couloir cinquante-
cinq, après l’auditorium, la grande salle d’hier, …
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 66
Je fonce à nouveau.
Ils sont tous les cinq assis autour d’une table ronde,
paraissant m’attendre :
- Approche Gabrielle d’Aurore. Il semble que tu
n’apprécies pas notre équipe d’entraîneurs…
- Vous appelez ça nos entraineurs ! Ruddy est…
- Un genou en terre d’abord !
Leur voix a grondée et j’ai sursauté. J’esquive une rapide
génuflexion, et me redresse vivement, la rage au ventre :
- Comment pouvons-nous gagner cette guerre quand
l’ennemi nous commande ! Je refuse de me laisser
guider par ce malade et toute sa clique ! Vous savez
lire dans les esprits. Vous avez vu que son sermon ne
vaut rien!
- Nul n’est mieux placé que lui pour vous préparer à
combattre Arius. Ruddy vous enseignera ses
méthodes, ses stratégies ; et vous imprégnera de son
état d’esprit.
- S’il ne nous vend pas à l’ennemi… Vous cultivez le
culte du secret au point de ne pas nous dire ce que
vous attendez de nous et vous embauchez
directement parmi les Mercenaires ! Et pour corser le
tout vous introduisez parmi nous un Immortel
maléfique et dangereux. Vous voulez notre peau !
- Tel est notre choix. C’est tout ce que tu as à savoir !
- Je me suis portée volontaire pour cette mission ;
j’irai jusqu’au bout. Mais ne me demandez pas de
respecter et de saluer Ruddy et sa clique! Jamais je
ne pourrai! Tout le sang qu’il a sur les mains fait de
lui un paria pour plusieurs générations ! Telles sont
nos coutumes. Il ne devrait plus côtoyer aucun
Humain !
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 67
Un des Sages s’est levé brusquement, l’indignation lui
crispe le visage. Et il me crache ses paroles au visage :
- Et toi, Gabrielle as-tu les mains aussi propres pour
juger les autres ? Qui es-tu pour oser défier notre
autorité ? Tu t’es déjà mis à dos tes entraineurs.
Veux-tu continuer avec nous…Tes provocations
pourraient bien t’être fatales ici…
Un de ses frères lui agrippe le bras pour l’assoir et prend
la parole :
- Tu pourras intégrer provisoirement le groupe
d’entraînement de …
Le Sage le plus énervé s’est relevé de nouveau pour le
couper, le visage rouge de colère :
- Non, on ne change rien, débrouille-toi ! Obéis à nos
ordres et à ceux de tes instructeurs. Autant te
prévenir, nous leur avons donné quartier libre pour
vous entrainer. Nous n’interviendrons pas dans leurs
façons de faire ; c’est le marché que nous avons
conclu avec eux. A toi de t’arranger pour ne pas
attiser leurs foudres si tu veux rester en vie. Ni les
nôtres !
Son regard plonge dans mes pupilles et me glace. Je me
sens hypnotisée. J’y lis le serment que j’ai prêté, et sa
détermination à me le faire respecter : forte. Violente. Si je
ne cède pas, il va me sauter au visage. Son jumeau se met
alors debout entre lui et moi en pointant la porte du doigt :
- Que ta bouche reste celée sur tout ceci ! Patience,
nous te donnerons prochainement un autre
entraîneur…
J’ai tourné les talons pour sortir quand j’« entends » le
murmure de leurs esprits échauffés :
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 68
- Elle a osé nous défier ! De ma vie cela n’était jamais
arrivé ! Et tu voulais céder à ses demandes !
- Elle est en danger avec Ruddy ; tu sais bien ce qu’il
en fera.
- Qu’elle se débrouille ! Et nous verrons bien si elle
est ce que tu crois.
- En tout cas, j’avais vu juste : grand potentiel mais
tête dure…Elle aura vraiment beaucoup de points en
commun avec « son double »!...Tout se déroulera
comme prévu…
- Non, nous faisons fausse route...Elle ne fera que
semer le trouble ici. Il faut la renvoyer chez elle et
qu’ils l’enferment.
- Calme-toi…cette fois, ça devrait marcher…Pour
cette mission, et après…
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 69
Défouloir de pensées – Cabine personnelle de Melchior
Je confesse mes péchés à cette machine, afin qu’elle
absorbe tel un trou noir ce qu’il y a de plus sombre en moi,
qu’elle le broie et le fasse disparaitre à jamais. Que personne
n’accède à ces pensées, pas même la Déesse, qui est bonté.
Qu’elle me purifie et que le bien seul reste en moi. Ainsi
soit-il.
Ah, mon frère, parfois, je te déteste. De plus en plus
souvent. Tes airs condescendants de miel et de poison
mêlés. Ta façon de pointer du doigt mes erreurs sans les
nommer : « cette fois » ! Que de non-dits dans « cette fois ».
Quelle manière de rappeler qu’il y a eu un avant, que j’en
étais l’instigateur, que mes plans se sont effondrés, que par
ma faute, nous sommes en guerre ! Juste deux mots pour
faire encore peser sur moi toute la faute, et te positionner en
sauveur avec ta candidate. « Cette fois » !
Et les autres t’ont approuvé en silence, les fourbes. Vous
étiez pourtant tous avec moi auparavant, emballés par ma
proposition. Il était tout ce que nous recherchions : l’esprit
brillant d’intelligence, la force physique, et même un peu de
notre don de lumière ! Mais la Déesse l’a rejeté! C’est d’elle
que viennent tous nos ennuis, pas de moi !
Que d’investissements dans ton plan, mon frère, que de
manipulations tu nous as fait faire. C’en est écœurant. Tu les
as mariés comme on choisit un couple de chevaux pour
engendrer une bête de course. Sans parler des risques. Et
pour quel résultat ? Tu imaginais un enfant vif, à l’écoute de
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 70
nos préceptes; devenant plus tard un homme à poigne, bon
et juste. Et la voilà, aussi frêle que sa mère, têtue comme un
âne bâté, et revendicative avec ça.
Ah, mon frère, nous ne risquons pas une guerre avec ta
candidate, au pire une révolte, au mieux sa fin tragique lors
de l’assaut final. Je vous le prouverai. Je te ferai avaler ton
« cette fois » !
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CHAPITRE 9 Premier vol
En rage, je déambule de nouveau dans ce labyrinthe de
couloirs en bousculant tout le monde. La colère coule le
long de mes veines comme du feu. Descendre vers les ponts
« chambrées » pour trouver une salle d’eau. Plonger ma tête
sous le robinet pour me calmer…
Au centre, deux rangées de lavabos se font face, des
miroirs suspendus entre eux ; contre les murs, les douches.
La pièce exigüe est saturée de filles agitées, en pleine
toilette, de cris qui résonnent, d’odeur de savonnette, de
chaleur humide. Je fonce vers un robinet d’eau froide et
plonge mon visage. Le froid mordille ma peau. Mais sous
les tempes, le sang bout toujours. Je me redresse. Mon reflet
dans le miroir fait la moue, deux yeux bleus pleins de défi
me fixent avec intensité. L’eau dégouline de mon visage
mince. Mes cheveux bruns, en bataille comme toujours, sont
un peu mouillés sur les bords et frisottent. Les visages qui
impressionnent ne frisottent pas sur les côtés ! Pas étonnant
que les Sages me traitent de façon puérile : ils ont déjà
choisi mon coéquipier et me laissent attendre trois jours. Ils
ont des plans pour moi maintenant et après. Quel après ?
Pour eux aussi je ne suis qu’une marionnette entre leurs
mains. Et je dois leur obéir ou me retrouver enfermée à vie!
Je replonge la tête sous l’eau froide. Longtemps.
La petite bande de la planète Cristal est déjà au mess, en
pleine discussion, quand j’en franchis le seuil. Cette fois,
j’ai moins tourné en rond pour trouver mon chemin. Le plan
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 72
de ce vaisseau commence à se préciser dans mon esprit. J’ai
repéré que le pont numéro trois est celui des salles
d’entrainement. Juste en dessous, se trouve le mess avec une
partie des chambrées. Je commence à comprendre
maintenant pourquoi il est si difficile de se repérer dans ce
vaisseau : chaque pont s’étend en réalité sur plusieurs
niveaux différents souvent séparés de quelques marches. De
plus le pont trois a la particularité d’avoir des couloirs
zigzagant entre les chambres, rarement linéaires sur plus de
quelques mètres de long. Cependant, la largeur des couloirs
donne une indication sur le numéro du pont : les couloirs
très larges correspondent au pont quatre, celui des salles
d’entrainement et des quartiers des Sages. Le pont trois a
des couloirs où l’on peut être trois de front. En revanche au
pont deux et un, on se croise avec difficulté. Et puis il y a le
fond de cale, où le mot couloir n’a plus vraiment de sens,
tant le parcours est semé d’embuches. Enfin, en ce qui
concerne le mess, un indice supplémentaire m’a guidée :
l’odeur de la nourriture.
J’entre et me dirige vers mes camarades. Instinctivement,
je balaye les tables du regard, de longues rangées entourées
de bancs, animées par les conversations et les bruits de
vaisselle. Il y règne une ambiance de camp militaire avec
son lot de gros bras en treillis et de voix fortes. Mon binôme
est peut-être là…une tête dure comme moi… enfin si
j’arrive à rester ici… Clar m’interpelle :
- Hé Gabrielle, tu étais dans quel groupe de test ce
matin ?
- Celui d’Edith et de Ruddy.
- Viens t’asseoir avec nous et raconte !
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 73
J’enjambe le banc pour m’installer avec eux. Mais avant
que j’aie pu ouvrir la bouche, Rog fait éclater sa colère. Il a
la mâchoire abimée et le poignet bandé.
- Nous aussi on vient de passer avec lui ! Quelle
espèce de tortionnaire ont-ils engagé ? Non mais
c’est un vrai malade ce type ! Il a décidé de casser
des os ! Comme si on avait besoin de blessures avant
nos missions ! On est là pour tuer du Mercenaire, pas
pour se faire massacrer par nos entraîneurs ! Tu as
vu ce qu’il m’a fait.
Il me tend son poignet bandé, et en écho à son
mouvement, Clar se frotte le sien. Derrière lui un dos a
frissonné, des oreilles se sont tendues. Des oreilles entourées
de jolies boucles brunes.
- J’ai dû aller visiter l’infirmerie pour ça. Enfin, ça ce
n’était pas le plus désagréable : l’infirmière est un
ange…
- Rog…
- Et Clar ! Il l’a aplatie par terre, cet espèce de taré!
Il lui prend tendrement la main :
- Pendant une minute, elle ne respirait plus ; j’ai dû lui
faire du bouche à bouche ! Tu te rends compte ! Et
s’il n’y avait que lui ! Comment ont-ils pu
embaucher ici cette espèce de malade d’Edith ! Nos
Vénérables Sages sont censés être les plus…les plus
sages de nous tous. Et ce sont nos chefs. Mais tout
de même ! Je me demande s’ils ne sont pas en train
de devenir séniles…
- Rog, tu blasphèmes !
Amusée par l’intervention de Clar, j’enchaîne avec
malice :
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 74
- Moi non plus, Rog, je n’ai pas trop apprécié le
parcours du combattant à la façon « Edith ». Quant à
Ruddy, lorsqu’il m’a testé à la boxe, je l’ai
effectivement trouvé un peu à cran…
Il glisse sur le banc pour se rapprocher de moi :
- Toi ? La boxe avec Ruddy ...Et tu es encore entière
devant nous ? Avec tes petits bras et ton allure toute
frêle ? Comment se fait-il que tu n’aies que ce gros
bleu au poignet !
L’ironie dans sa voix m’amuse et me fait jubiler. Je lui
décoche un sourire provocateur :
- Oh, le bleu au poignet, c’est Edith. Elle m’adore et
ne voulait plus me lâcher. Et oui, j’ai combattu avec
Ruddy. Et si j’avais su qu’il vous avait maltraités, je
lui aurais fait mal !
- Allez, arrête tes blagues, super woman ! Où est-ce
qu’il t’a blessée ?
- Bon, j’avoue, je n’ai jamais tenté de le cogner, il
n’aurait rien senti. Mais je peux t’assurer que je ne
l’ai pas laissé me toucher !
Rog s’est figé, la mâchoire pendante, le regard admiratif
et un peu incrédule. Clar me sourit. Jarl et Tom restent
muets.
- Faudra me montrer ça…
- Quand tu veux, Rog. Ou quand ton poignet sera
rétabli…
- Oh, le poignet, ça ne m’empêchera pas de me
battre…
- Hum, et vous allez vous entraîner dans quel groupe ?
- Parcours du combattant pour tout le monde. Puis
Tom et Jarl vont boxer avec Luis, Freyj et Clar avec
Ruddy. Et moi je serai avec Rocky. Il parait que
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 75
c’est un stakhanoviste de la boxe ! Et l’après-midi on
s’entrainera tous au tir avec Max. Et toi ?
- Ruddy, Edith, puis l’entrainement en vol l’après-
midi.
- Woua ! C’est beaucoup plus que les autres pilotes. Il
ne t’a pas fait de cadeau, Ruddy !
- Je crois que j’ai un peu énervé « Gonflette »…mais
si vous aviez vu la tête qu’il faisait quand il me
courait après sans jamais pouvoir me toucher ! Ça en
valait la peine !
Rog est emballé par ce sobriquet :
- Au nom de la Déesse Mère, tu t’appelleras
« gonflette » ! Regardez, je marche comme lui !
Et il se met à déambuler jambes et bras écartés, le torse
bombé, la tête rentrée dans les épaules, la lèvre inférieure
pendante. J’avoue que la ressemblance est plutôt bonne et le
fou rire nous prend. Il imite sa voix :
- Vous devez m’appeler « chef Gonflette ». Allez
Gabrielle !
- D’abord il ne m’appellerait pas par mon prénom : il
m’a surnommée P’tits bras. Ensuite, je ne saluerai
jamais ce porc.
- Pourquoi?
- J’ai mes raisons…C’est un malade, un fou, une
espèce de… Je n’ai aucun respect pour les personnes
de son genre. Et s’il croit me mater ou me faire peur,
il tombe mal ! Il n’a pas aimé, ce matin, quand je lui
ai résisté. Je suis de corvée labyrinthe demain…
Rog me regarde ahuri :
- Le labyrinthe ! Alors, c’est toi qui vas y passer la
première ! Clar, tu entends ça !
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- Ma parole, tu as décidé de provoquer tout le monde
ici, Gabrielle ! Ça ne fait pas vingt-quatre heures
qu’on est arrivés et tu es déjà envoyée « au trou » !
- Peut-être, mais ça en valait le coup ! Si vous aviez
vu la tête qu’il faisait…
- Si tu es aussi buttée que lui, ça promet ! On a deux
têtes dures dans ce vaisseau!
Je reçois la phrase de Clar comme un soufflet. Pas
Ruddy, pas lui comme coéquipier ; ce serait l’enfer ! J’ai dû
pâlir. Clar s’est penchée vers moi, croyant comprendre mes
inquiétudes :
- Les Vénérables ne t’ont pas choisie pour rien.
Si elle les avait entendus comme moi dire « nous faisons
fausse route »…
- Je crois en l’immense sagesse de nos Vénérables. Ils
sont mes guides, je ne crains rien. Et puis, tu es
certainement un très bon pilote.
- A quoi vois-tu cela ?
- Pour arriver à éviter les coups de Ruddy, tu dois
avoir de très bons réflexes…
L’assurance de Clar me fait du bien. A lire dans son
esprit, tout est simple, et sûr. Je la vois partir en rêve au
cœur de son enfance. Des petits flashs, des réminiscences :
le frère et la sœur sur les genoux de leur mère, sautant au
rythme d’une comptine, devant son père après sa première
victoire en course à pied, avec son frère dans des luttes
« pour rire » ou en ballade main dans la main…Et à chaque
fois la même fierté brille dans les yeux de ses parents pour
leurs « forces de la nature » ! Je ferme mon esprit, étourdie
par ces images.
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 77
Soudain, toutes les conversations s’arrêtent dans la salle,
et tous les regards convergent vers un seul point : dans
l’encadrement de la porte d’entrée se découpe la silhouette
noire de l’Immortel. Il marque un temps d’arrêt puis
s’avance vers un coin en retrait, son « I » rouge placardé sur
son dos. Aussitôt les tables alentour se dépeuplent. La
crainte se lit sur tous les visages. Comme lors de la
présentation aux Sages, une vague de peur progresse et
s’empare de tous les esprits qui entourent l’Immortel. Ils se
sont figés, pétrifiés. Puis chez certains apparaît la révolte.
Alors ces sentiments laissent la place à une nouvelle vague
aux couleurs de haine et de rejet total. Elle enfle jusqu’à
éclater. Un des hommes se lève tout à coup et l’invective de
loin :
- Que fais-tu là, monstre ! Ici on ne sert pas de
l’homme à manger ! Et nous n’avons pas l’intention
de te servir de repas ! Alors tu vas te tirer d’ici vite
fait avant qu’on te tombe tous dessus !
Comparée à l’Immortel, sa stature est ridiculement petite.
Il est resté bien en retrait, derrière des tables. Ce que je lis
dans ses yeux d’eau transparente est d’une violence qui me
glace encore plus que l’Immortel lui-même. Sa harangue a
fait se dresser d’autres personnes un peu partout dans la
salle, poings serrés levés contre l’Immortel.
Alors une voix caverneuse, semblant sortie du fin fond de
la terre se met à gronder :
- N’attise pas ma colère, Homme, ou tu pourrais le
payer cher !
Instinctivement, tous ceux qui le défiaient ont reculé d’un
pas. L’homme aux yeux d’eau glacée s’est mis à bouger ses
bras pour faire se lever tout le monde, le regard plein de défi
et de haine :
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- Regarde bien autour de toi. Nous sommes toute une
armée ici ! Si tu nous touches, tu es mort !
Et pour appuyer son discours, la foule amassée derrière
lui reprend en leitmotiv :
- A mort ! A mort ! A mort !
A ces mots, le spectre noir de l’Immortel se redresse d’un
bloc ; des envies de meurtre emplissent la salle.
Brusquement, il s’empare de la table devant lui, pousse un
cri de terreur, et la jette avec véhémence sur le groupe
debout. La table s’écrase avec fracas juste devant eux
semant la panique. Beaucoup se précipitent sur le groupe
pour vérifier que personne n’est blessé et venir en aide. Je
regarde dans le coin de la salle, là où se trouvait l’Immortel
une seconde auparavant : il a disparu.
- C’est quoi ce cirque ici ? Garde à vous !
A cette injonction, tout le monde se met au garde à vous
et répond :
- Oui, chef Ruddy!
- Repos !
Ruddy s’avance, royal, roulant des mécaniques, avec son
équipe derrière lui, jusqu’au centre de la pièce. Je me suis
cachée derrière Rog, muette. Ruddy a croisé les bras
balayant l’assemblée du regard, et je sais qu’il me cherche.
Puis il finit par s’assoir et fait signe aux autres de rompre.
Rog se penche vers moi pour me chuchoter :
- Dis, Gabrielle, comment s’est passé ton
recrutement ?
- Eh bien, c’est un proche qui a envoyé une lettre de
candidature pour moi. Et aussi étrange que cela
puisse te paraître, je ne sais même pas quel était le
contenu exact de cette lettre.
- Et tu n’as pas cherché à savoir ?
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- Pas au début, non. Je n’y croyais pas.
- Et après la lettre, tu as passé des tests ? As-tu
rencontré des personnes qui ont pu évaluer tes
aptitudes ?
- Non…
Il reste un moment silencieux, puis se lance :
- Comme moi. Pour Clar et Freyj tout est clair. Elles
participent très souvent à des concours sur notre
planète. Freyj est célèbre chez nous. Mais Tom, Jarl
et moi, on se pose beaucoup de questions. Nos
dossiers à l’armée ne se distinguaient en rien des
autres. Pourquoi nous ?
Il hésite à continuer et je reste silencieuse, sachant déjà
ce qu’il a en tête. Alors il continue :
- Pourquoi toi ? Franchement, il suffit de te voir en
photo pour deviner que tu n’es pas une « tueuse ». - Ils savent beaucoup de choses sur nous, plus même
que nos proches.
- Tu crois qu’ils ont un réseau de renseignements ? A
l’échelle de toute l’Alliance ? C’est difficilement
imaginable !
- Je ne vois pas d’autre explication.
- Tu sais quoi ? Je crois que je vais mener ma petite
enquête sur eux, discrètement…
- Oublie !
- Quoi ?
- « discrètement » !... Tu peux oublier. Rien ne peut
leur échapper. Ils doivent savoir déjà…
Puisqu’ils lisent dans les esprits, ils nous ont
probablement déjà « entendus », voire même ils nous
« écoutent »…
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 80
L’après-midi je suis excitée à l’idée de rejoindre le
hangar de pont avec ses chasseurs et ses bombardiers !
Enfin, je vais retrouver mon domaine de prédilection.
Ma fiche d’instruction m’indique de me rendre pont
numéro un, couloir numéro un. Après mes longues marches
dans les entrailles de la bête, je crois pouvoir me repérer
facilement. Mais le monstre s’avère difficile à apprivoiser
car il me faut beaucoup de temps avant d’y arriver.
Ce n’est pas à proprement parler un hangar, puisque nous
sommes dans un vaisseau spatial, disons qu’il s’agit d’un
immense cube, aussi haut que long, équipé pour parquer,
préparer, maintenir et réparer tous les engins de combats du
« Deus ex Machina ». C’est une ruche au travail, qui
grouille de monde, d’odeurs de graisse et de métal neuf, de
vrombissements de moteurs et de voix qui s’interpellent. Un
fourmillement désordonné des hommes dans cet alignement
d’établis : à droite la zone de révision et réparation des
moteurs avec ses machines à fraiser et ses palans en rang
d’oignons. Derrière, la zone de réglages avec ses bancs de
contrôle en carré. A gauche, le parc des chasseurs, flambant
neufs, prêts à décoller, tous disposés en épis le long du
« taxi way » central.
Je suis juste en dessous du nez du premier chasseur de la
rangée. Impressionnée tel un vermisseau, je contemple
l’énorme oiseau au corps effilé et aux ailes de rapace
monumentales. Je me suis penchée en arrière pour
l’embrasser du regard. Bientôt, je serai dans son ventre…
- Géniaux ces engins, tu ne trouves pas !
Je sors de mes rêves. A côté de moi, un blond fixe
l’appareil devant nous, les yeux pétillants d’excitation,
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comme Ali baba découvrant la caverne des voleurs. Son
enthousiasme déborde :
- De vraies bombes ! Quelle capacité ! Je crois que je
vais adorer mon nouveau jouet !
Par réflexe, comme à chaque fois que je croise une
personne qui m’est inconnue, je sonde son esprit : des
images en gros plan de morceaux de chasseur défilent à
toute vitesse. Un radôme, une prise d’air, un volet, un
aileron … comme s’il passait au scanner de ses yeux
l’appareil qui est devant nous.
- Je ne reconnais pas cette catégorie d’engins.
- Ce sont des Migaster revus et rééquipés par les
ingénieurs de la planète Center spécialement pour les
missions du Deus ex Machina. On reconnaît leur
queue en V bien que le reste de la carlingue ait été
affiné. Ils doivent avoir une aérodynamique
époustouflante ; à vue d’œil, je dirais que leur Cx est
de 0.01, et leur finesse de cinquante. Mais je ne
pourrai te donner la puissance de leurs moteurs que
lorsque j’en aurais essayé un.
- Sur ma planète, j’ai appris à piloter avec de vieux
coucous. Rien à voir avec ceux-là ! Autant comparer
un fer à repasser avec une hirondelle !
Il se retourne vers moi, le visage illuminé :
- Alors tu vas devoir oublier tout ce que tu as appris!
On essaye ?
La salle d’opérations se trouve juste à l’entrée du hangar.
En parcourant le tableau d’ordre, je découvre que Luc (c’est
le nom du blond) et moi sommes dans le premier escadron
qui sortira dans l’espace aujourd’hui. Tout excités par cette
nouvelle, nous nous précipitons vers la salle de briefing.
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Elle est déjà pleine à notre arrivée : douze sièges dans
lesquels les pilotes de cet escadron ont déjà pris place,
hormis les deux nôtres que nous rejoignons rapidement. Un
homme est sur l’estrade, grand, les tempes grises, la mine
sévère, les doigts tapant impatiemment sur le pupitre devant
lui, en attendant que nous soyons assis.
- Je suis le Commandant Délanaux, votre instructeur.
Vous êtes l’escadron numéro un. Vous avez
dorénavant rendez-vous ici tous les jours à treize
heures très précisément pour recevoir votre plan de
vol, la météo spatiale, l’état des machines et les
prouesses que j’attends de vous ! Aujourd’hui le
briefing pré-vol sera relativement long car, en tant
que « bleus » sur ce vaisseau, vous allez devoir
emmagasiner une somme importante d’informations.
Pendant un moment, il pose son regard sur chacun de
nous, l’un après l’autre, lentement. Un regard dur et
sceptique.
- Vous vous êtes tous portés volontaires pour intégrer
cette mission. Bienvenu en enfer ! Je ne vais pas
vous faire un beau discours sur la force de
l’ennemi et sur le secret de toutes nos stratégies ; je
crois qu’on vous a déjà expliqué tout ça.
Une pause. Encore un regard circulaire. Et dans son
esprit, il met en place une barrière, comme une protection
entre lui et nous pour ne pas nous connaitre intimement,
rester détaché, seulement professionnel. Et il se répète le
chiffre des pilotes : cinquante pour cent.
- Je serais bref. L’ennemi du pilote : le chasseur
Mercenaire. La technologie de ces chasseurs : total
inconnu. Alors pour sauver votre peau, vous n’aurez
pas le choix : il va falloir faire preuve de ruse… et de
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génie…J’espère que nos Vénérables ont recrutés les
meilleurs des meilleurs pilotes…
Puis il baisse les yeux sur le bouton de son pupitre et
l’actionne. Derrière lui, de grands écrans s’allument.
Délanaux se lance dans des explications détaillées sur le
fonctionnement du hangar, la présentation du personnel de
pont et des mécaniciens, puis plus longuement sur les
spécificités des chasseurs que nous allons piloter.
- Ces chasseurs sont les plus puissants que l’homme a
jamais conçus. Un summum de technologie :
rapides, d’une grande finesse, extrêmement sensibles
à la manœuvre, et donc aussi extrêmement difficiles
à piloter. Rien de ce que vous avez pu piloter
jusqu’ici ne peut ressembler à ces Migaster !
L’objectif aujourd’hui sera très limité : vous
familiariser avec vos nouveaux appareils avec un
décollage, un vol en formation autour du vaisseau et
un atterrissage ! Ceux qui n’ont jamais fait de
décollage par catapultage ou d’appontage sur piste
réduite lèvent la main…
Dans la salle, aucune main ne se lève.
- Bien. Pas d’erreur de casting jusqu’ici... Je vais vous
faire circuler un registre sur lequel vous allez me
noter vos heures de vol sur chaque type d’engin, et le
nombre de décollages et atterrissages que vous avez
effectués dans les conditions d’aujourd’hui. Je
désignerais le leader pour ce vol. C’est lui qui
définira le rôle de chacun dans le plan de vol et qui
vous remettra vos notes au débriefing. Vous serez
notés à chaque sortie. Aujourd’hui, vous serez à
deux par chasseur, et ce jusqu’à ce que vous obteniez
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un minimum de onze sur vingt. Météorologue, c’est
à vous.
- Voici la carte météo pour la mission d’aujourd’hui.
Vents électromagnétiques : nuls. Vents solaires :
nuls. Présences de météorites ou corps étrangers
alentour : nul. Pour votre premier vol, vous avez de
la chance !
Le registre a circulé dans les rangs et il est maintenant
dans les mains de Délanaux, qui le scrute à la loupe :
- Hum…Merci Météorologue. Bien, il semble que le
plus expérimenté de votre groupe soit Luc de la
planète Aron. Luc, vous serez le leader d’escadron
aujourd’hui. Venez avec moi pour analyser le plan
de vol.
Au bout d’un moment, Luc passe à l’estrade répartir les
tâches et organiser le vol en détail. Nous allons réaliser une
formation en V dans laquelle Luc fera la pointe, je serais sa
coéquipière. Le commandant reprend alors la parole :
- Messieurs, bon vol ! Les vestiaires se trouvent juste
à votre droite en sortant. Vos combinaisons anti-G et
vos casques vous y attendent…
Le premier décollage sur un nouveau système de
catapultage est toujours un événement à haut risque. Dans le
cockpit, je me suis placée devant, Luc est dans mon dos.
Nous venons de positionner notre appareil sur la plateforme
de lancement automatique. La procédure de décollage
s’égrène et les messages s’allument sur le tableau de bord au
fur et à mesure que la tension augmente : « descente launch
bar », « fixation hold back ». Ca y est, l’avion est
maintenant accroché à la catapulte qui va nous propulser
hors du vaisseau et tout en étant maintenu provisoirement en
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place par l’arrière. Puis le message « catapulte armée ;
freins lâchés » apparait, indiquant que les pistons du
système de lancement sont sous pression et le décollage
imminent.
C’est alors que toute la plateforme bascule violement à la
verticale. Mon corps soudain est propulsé vers l’avant ; seul
le harnais me retient de tomber sur la verrière maintenant
sous moi. Et à travers la verrière, apparait une sorte de puits
sans fond éclairé seulement par une ligne discontinue de
lumière montrant la direction de la sortie. De surprise, Luc a
lâché un :
- Mais qu’est-ce que c’est que cette procédure ! Ils ont
suspendu notre avion comme un saucisson à son
crochet !
Un feu rouge vient de passer au vert.
- J’ai plutôt l’impression d’être une torpille dans un
sous-marin !
C’est alors que la radio grésille :
- Tour de contrôle Deus ex Machina à chasseur « L et
G » : tube de lancement numéro cinq prêt pour
décollage. Levez les bras et tapez votre casque pour
le lancement.
- Chasseur « L et G » à tour de contrôle : prêt pour le
lancement.
Machinalement, je tape de ma main droite sur mon
casque pour signaler que je suis prête, puis tend mes bras
devant moi pour ne pas toucher au manche pendant la
manœuvre, comme on me l’a appris. Le feu vert s’éteint et
soudain c’est l’explosion. La catapulte nous pousse dans le
vide et nous tombons à une vitesse vertigineuse pendant ce
qui me semble un temps infini. L’accélération nous écrase
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 86
contre nos sièges et déforme nos visages. Puis tout à coup,
c’est l’espace. Je suis sonnée.
- Tour de contrôle Deus ex Machina à chasseur « L et
G » : mettez en marche vos propulseurs ! Je répète :
mettez en marche vos propulseurs ! « L et G » :
qu’est-ce vous attendez ?
J’ai sursauté et Luc a répondu :
- Propulseurs en marche. Prêt pour manœuvre. A tous
les chasseurs, je suis votre leader. Suivez mes
instructions pour exécution des figures.
Il me laisse les commandes et tout se complique. Les
trajectoires définies dans le plan de vol sont simples et
pourtant je n’arrive pas à les exécuter correctement ; la
sensibilité de l’appareil dépassant de loin tout ce que j’ai pu
piloter jusqu’ici. A de nombreuses reprises, Luc doit
reprendre la main pour éviter des collisions. Quand vient la
phase la plus délicate et dangereuse, l’appontage, je n’arrive
toujours pas à stabiliser l’appareil. La piste est trop courte.
Le chasseur est trop puissant. Et sans les réflexes de Luc,
nous aurions terminés notre course sur le mur du fond.
De retour au vaisseau, nous déchargeons nos
enregistreurs de vol pour analyser nos performances. Le débriefing du commandant est rude : « affligeant ! Une
équipe de bras cassé à qui on ne confierait pas une
bicyclette ». Nos notes sont sans équivoque : deux sur vingt
pour à peu près tout le monde, hormis Luc qui s’en tire à dix
sur vingt. Piloter est censé être ce que je sais faire de mieux.
Je suis effondrée.
En sortant du débriefing, nous croisons le groupe de
pilotes suivants. Ils parlent fort, excités à l’idée de débuter
leur entrainement. D’une voix joviale, ils nous interpellent :
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- Alors les gars, ne faites pas cette tête !
- On dirait que vous sortez de chez Méphisto !
Et ils se mettent à rire niaisement. Un autre, intrigué, se
penche vers son copain pour lui glisser à l’oreille :
- C’est peut-être plus dur qu’on ne l’imagine de piloter
ces Migaster…
- T’inquiète ! Ceux-là, ce sont sûrement des bleus en
pilotage. Nos instructeurs doivent vouloir garder les
meilleurs pour après !
L’un des nôtres s’est arrêté pour les regarder entrer dans
la salle de briefing, songeur, le sourire en coin :
- Tas de trous du … On verra bien la tête que vous
ferez en sortant…
Puis il se tourne vers nous, le ton badin :
- Bon les gars, je sais pas vous, mais moi j’adore nos
nouveaux engins : maniables,
ergonomiques…dommage qu’ils n’aient pas inclus
la notice dans la boite à gants…
Son coéquipier lui donne une grande claque dans le dos,
en riant nerveusement :
- Ah houai, Stephen. Pour la notice, il faudrait
vraiment que tu la lises ! Tu as broyé le train
d’atterrissage et tu t’es écrasé comme une crêpe !
J’ai cru que tu allais nous tuer !
- Et toi, le blond à côté de la fille. Comment fais-tu
pour arriver à piloter ces appareils. C’est pas
possible tu es venu t’entraîner avant ! Vous l’avez vu
en vol ? Un colibri !
- Non, je m’appelle Luc. Salut. Et toi ?
- Yourri.
- Ce sont les performances exceptionnelles de nos
nouveaux chasseurs qui sont troublantes…Difficile
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d’affiner sa trajectoire quand on est propulsé à une
vitesse de Mach douze. Sans parler des tirs qu’on n’a
pas encore essayés…et, non, je ne suis pas venu
avant…
- Tu comprends mieux les Migaster que l’humour toi.
Bon sang, sur quel chasseur as-tu appris, Colibri,
pour être aussi doué ?
Luc sourit, flatté par son nouveau nom de code. Il
s’embarque dans une description détaillée des chasseurs de
ses classes, à grand renfort de termes techniques. Je les
observe tous un par un. J’écoute aussi leurs pensées : des
chics types, des passionnés d’aviation, avec leur courage et
leurs doutes.
- Sur quoi peuvent bien voler les Mercenaires ?
- Pour sûr, ils ne peuvent pas avoir de chasseurs aussi
puissants que les nôtres. On va les rétamer !
- Houai, à condition qu’on arrive à piloter ces engins
du diable…
Quand les autres s’écartent, Luc me prend à part :
- Gabrielle, si on doit voler encore ensemble, il va
falloir que tu progresses rapidement parce que je
tiens à ma vie !
J’ai dû franchement pâlir, car il reprend sur un ton plus
doux :
- il faut absolument que je te montre quelques trucs
pour que tu sentes comment tu dois t’y prendre. Il
faut faire corps avec ta machine. Elle est rapide,
alors tu dois être rapide. Elle est précise, alors tu dois la piloter avec finesse. Le secret c’est de faire le
moins de mouvements possibles avec ton manche, et
les plus petits possibles. Tes « fers à repasser »
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devaient avoir un temps de réponse extrêmement
long. C’est ce qui te perturbe.
Je l’écoute me donner ses conseils avec passion, et
espoir. N’importe qui saurait piloter rapidement avec lui, du
moins je voudrais le croire.
- Si tu veux vraiment piloter, il faut que tu te projettes
dans l’espace, comme si tu volais toi-même. Tout est
dans la concentration. Viens avec moi, je vais te
montrer.
Nous nous isolons dans une petite salle de sport.
- Assis-toi par terre. Je vais être ton chasseur.
Et il se calle derrière moi, attrape ma taille pour faire
coller mon dos à son torse, puis se penche et forme le
manche de pilotage avec ses deux poings serrés et relevés.
- Tu ne dois pas seulement tenir le manche avec tes mains ; tu dois sentir tes bras se prolonger dans les
ailes, tout ton corps faire partie de la carlingue. Tu es
le chasseur ; l’énergie des moteurs c’est la tienne.
Montres-moi ce que tu sais faire. On va décoller.
Amusée, j’attrape le manche formé par ses mains et me
connecte à son esprit. Dans une lumière jaune, je le vois
mettre ses mains sur les poignées de commande comme
moi. Il aime la sensation du plastique noir qui épouse la
forme des doigts et le caresse du pouce. Sans que j’y fasse
attention, mes pouces se sont mis à caresser les siens. Je
sursaute : ouf, il n’a rien remarqué. Puis c’est le décollage :
nos dos s’écrasent à l’unisson au fond d’un dossier
imaginaire. Une fois dans l’espace, je suis totalement
connectée à son esprit ; et je suis un chasseur. Il a mis un
obstacle sur ma route. Pour virer, je tire le manche. Mes
ailes se penchent. La météorite est évitée. D’autres
obstacles, des chasseurs viennent à ma rencontre. Ce n’est
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 90
même plus moi qui pilote, c’est son esprit qui m’impose les
gestes. Non, je suis lui ! Mais cette connexion m’épuise.
L’atterrissage se termine dans un crash contre le mur du
hangar. Dans le choc, nous sommes tombés tous les deux à
la renverse, et tout est noir. J’ouvre les yeux : il est allongé
sous moi, immobile.
- ça va ?
- je crois que tu as brisé ton Migaster !
Puis un sourire monte à ses lèvres et son esprit s’illumine
de ce jaune rayonnant qui le caractérise.
- Qu’en pense mon professeur ?
- On arrête. Assez de matériel cassé pour aujourd’hui !
Tu as de bons réflexes mais tu fatigues vite. Un bon
pilote est un pilote endurant.
Un flash de souvenir traverse son esprit : il est campé
devant son instructeur, passionné, admiratif devant la seule
personne qui ne le prenne pas pour un débile. Et il est enfin
heureux.
Le soir au mess, les discussions vont bon train sur les
performances de chacun et les pourcentages de survie.
Comme toujours, la bande de ceux de Cristal s’est resserrée
pour discuter. Rog m’attrape par le bras pour m’inclure dans
leur groupe :
- Gabrielle, regarde bien devant toi : tu as le groupe qui a probablement les chances de survie les plus
élevées avec ma sœur et Frej ! Elles se sont battues
comme des lionnes ! Et toi, championne de Sumo, à
combien évalues-tu tes chances de survie, après tes
exploits auprès de Ruddy ?
- Hum, énervé comme il était, je ne suis pas certaine
qu’il me notera de façon favorable.
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Clar me dévisage, l’œil sévère :
- Ce n’est vraiment pas malin : dès le premier jour tu
te mets à dos un de nos entraineurs. Soit il fera tout
pour te virer, soit il va te mener la vie dure jusqu’au
bout. Je ne sais pas ce qu’il faut te souhaiter le
plus… Enfin, j’espère pour toi que les Sages
pourront calmer le jeu. En voilà que tu ne pourras
pas provoquer.
- Hum…
- Non ! Les Sages aussi !
Clar a pali et son inquiétude pour moi me touche. Rog est
tout sourire :
- Toi alors, tu as un sacré toupet !
- Et tes performances en pilotage ? s’inquiète encore
Clar.
- Pas d’exploit à l’horizon…
S’en suit un silence pesant que Rog s’empresse de
rompre :
- Ce ne sont pas quelques chiffres jetés au hasard qui
me feront changer d’avis ! Je suis venu pour casser
du Mercenaire. J’irais jusqu’au bout !
Je lui souris :
- Je n’ai jamais fait marche arrière.
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CHAPITRE 10 Onze pour cent
« Aujourd’hui premier jour d’entraînement pour tous les
Elus. Jour J-15 avant l’affrontement ».
Ce message laconique inscrit sur tous les panneaux
lumineux du Deus ex Machina est repris en leitmotiv par
tous les esprits que je croise. Le décompte à rebours a
commencé. Quinze jours pour faire de nous des tueurs de
Mercenaires, quinze jours pour s’infiltrer dans leurs
vaisseaux et les détruire. Enfin, si je reste…Et le sort de
l’Alliance est entre nos mains. Instinctivement j’ai regardé
les miennes : fines et petites…
Il y a un attroupement devant un des panneaux :
l’affichage des pourcentages de survie. J’approche
lentement. J’ai du mal à voir par-dessus les épaules hautes
qui m’entourent. Puis je me faufile et cherche mon nom. La
liste est longue. Les premiers noms sont ceux qui ont le plus
de chance de rester en vie jusqu’au bout. Au début, je lis
consciencieusement chaque nom et chaque performance.
Freyj est classée parmi les premiers avec quatre-vingt-neuf
pour cent de chances de survie. Clar et Rog sont à soixante
et dix-sept pour cent, Tom et Jarl à soixante-cinq pour cent.
Toujours pas mon nom. Tiens, voilà Luc à quarante-neuf
pour cent. Puis suivent la plupart des pilotes…métier à
risque…Toujours rien pour moi…Encore beaucoup de noms
qui ne me disent rien. Tous ceux qui se sont trouvés dans la
liste se sont écartés. Nous sommes peu nombreux
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 93
maintenant devant cette liste. Luc s’est rendu compte que je
cherchais toujours, et il s’est joint à moi :
- Voilà ton nom, Gabrielle. Ici…
Sa voix s’est enrouée. Il me donne une tape amicale dans
le dos et s’éloigne, ne sachant quoi dire.
Je lis : onze pour cent.
La dernière de la liste.
Je sens une présence dans mon dos ; je me retourne.
Ruddy est à quelques pas, accoudé contre le mur, en train de
m’observer. Il arbore un franc sourire, le sourire de la
victoire, et prend son ton le plus mielleux :
- Tu n’es pas éliminée d’office. Mais, vu ton score, je
te conseillerais de…
- Même pas en rêve !
- J’espérais bien que tu dirais ça. Tu me plais, P’tits
bras …de plus en plus. Je t’en prie, avant toi…
Et il me fait entrer avant lui dans la salle de sport dans
laquelle nous allons nous entrainer. Pour nous débiter son
discours, Il monte sur le ring, bien au-dessus de nous, et me
regarde de biais :
- Je vois qu’on m’a confié les cas les plus désespérés.
Bon, il va falloir employer les grands moyens avec
vous. Il faut d’abord que vous sachiez à quoi vous
attendre sur le combat auquel vous vous préparez : il
sera rude, violent, impitoyable, parce que l’ennemi
est monstrueusement fort. J’ai étudié de près les
techniques des Mercenaires. Ce que je vais vous
montrer sera primordial pour que vous puissiez vous
en sortir !
Comment ose-t-il nous dire cela avec un tel sang froid ?
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- Il y a quelques basiques que vous devez absolument
savoir sur eux. Ils feront tout pour vous terroriser –
par leur aspect, leurs cris, leur comportement, leur
violence gratuite… Ils aiment la violence au point
d’y vouer un culte. C’est leur signature. C’est ce qui
fait que vous partirez au combat en ayant déjà peur
d’eux.
Il fait une pause et nous observe. Puis tout à coup sa voix
gronde :
- Vous ne devrez jamais entrer dans leur jeu. Parce
que vous allez apprendre à vous battre d’égal à égal,
avec les mêmes « armes » qu’eux. Et parce que je
vais vous indiquer leurs points faibles. Arius recrute
les siens sur des critères de forces physiques
uniquement. Vous aurez donc en face de vous des
brutes épaisses, peu douées pour la réflexion et trop
lourds pour la course. A vous de faire travailler vos
méninges pour les dominer. A vous de devenir des
coursiers souples et rapides pour les vaincre. Mais
d’abord, il vous faudra autant d’endurance et de
force qu’eux. C’est tout cela que nous allons
travailler pendant ces quinze jours.
- A quoi bon la boxe ? Vous croyez vraiment qu’on va
les affronter à mains nues ?
- Cette guerre ne se gagnera pas dans l’espace. Les
troupes régulières seules n’y suffiraient pas. Alors
les Sages ont décidé de former des « élus » - vous –
pour les prendre par surprise. Tout ce que je peux
vous dire pour l’instant, c’est que vous devrez vous
préparer à toute éventualité…
- Et pour cela nous devons être plus intelligents, plus
rapides, plus endurants et plus forts qu’eux…En
quinze jours…
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 95
Ruddy sourit cyniquement. Seuls ses yeux bougent de
l’un à l’autre.
- Vous pensiez que vous étiez venus pour faire quoi ?
Du tricot ?
Tous les regards se sont tournés vers le sol en silence.
- Bon, je crois que je vais avoir du boulot avec vous.
On va donc commencer par vous muscler un peu,
bande d’avortons. P’tits bras : lever de poids. Tu
t’installes sur la machine et tu nous montres.
En disant cela, il me pointe du doigt. Je ne bouge pas.
- Penses-tu ne pas avoir besoin de te muscler un peu
avant l’attaque ?
Et il tend sa main vers la banquette, comme une invite,
tout en me souriant.
Pendant que je m’allonge, il met en place les poids sur la
barre. Puis, avant que j’ai pu réagir il m’enjambe et se
penche au-dessus de moi, tout sourire. Il prend mes mains
dans les siennes, les enserre sur la barre et la soulève dans
un râle d’effort, les muscles bandés, son visage crispé. Puis
lentement il se penche tout près de moi, le regard lubrique et
descend la barre au-dessus de mon cou. Angoissée par son
contact, j’essaie de me libérer de ses mains et de son corps
au-dessus de moi. Je ne vois personne d’autre que lui, mais
dans son dos, je sens le silence gêné de mes camarades.
- Tu veux que je lâche tes mains, P’tits bras ? Regarde les poids : il y a cent kilos. Sauras-tu toute seule
empêcher cette barre de t’écraser la gorge ou bien
as-tu besoin de moi pour la tenir ?
Derrière lui, un gaillard a toussé avant de prendre la
parole :
- Je connais ces machines. Je peux commencer ?
Les yeux toujours dans les miens, Ruddy a souri :
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- Ah, un volontaire ! Lève-toi P’tits bras !
Alors, ses mains emprisonnant toujours les miennes, il
soulève la barre et la remet sur le reposoir. Puis il me tire
violement contre lui pour me relever.
- L’objectif aujourd’hui est que vous souleviez un
total de cinquante kilos. Au boulot.
Il change mes poids puis il part installer mes camarades
sur les autres machines disponibles. Il passe ensuite auprès
de chacun pour vérifier ses performances, en terminant par
moi. Je n’ai pas bougé, ne voulant pas me retrouver coincée
sous cette barre trop lourde pour moi.
- Alors P’tits bras, tu refuses de suivre mes ordres ?
Evidemment, il sait parfaitement que je suis incapable de
soulever un tel poids.
- Tu fais ta tête dure. Cinquante pompes !
Et il me pousse face contre terre. Au moment où je
m’apprête à commencer, il me stoppe :
- Attends, c’est trop facile comme ça. Tends les bras.
Ne bouge plus.
Alors il s’agenouille près de moi, sort de sa poche un
couteau au manche carré et le pose en équilibre, pointe en
l’air juste au niveau de mon cou. - Bien, maintenant, tu fais tes cinquante pompes. Et
pas de relâchement ; je ne voudrais pas voir ton petit
cou s’abimer sur mon couteau, n’est-ce pas !
Et il reste accroupi à côté de moi tout le temps que dure
cette épreuve. Quand j’ai fini, il se relève satisfait :
- Bien maintenant, nous allons passer à soixante kilos.
Et vous avez intérêt à réussir !
Mes bras tremblent. A bout de force, je m’assoie sur la
banquette. Il ne se passe pas cinq minutes avant que Ruddy
revienne vers moi, le sourire aux lèvres :
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- Alors P’tits bras, ces soixante kilos, ça vient ?
Comme je ne bouge pas, il se met à crier :
- Par terre. Cinquante pompes.
Et il me jette son couteau pour que je l’installe comme
tout à l’heure. Mes premières pompes sont lentes et
laborieuses. Alors il m’invective :
- Tu es nulle ! Tu vas voir comment on traite les
faignantes comme toi.
Et il écrase mon dos avec son pied. Je roule sur le côté
pour éviter la lame du couteau et me redresse d’un bond
devant lui, révoltée :
- Je suis pilote ! Je n’ai pas besoin de m’entrainer à
faire des pompes. Cela ne sert à rien, un manche
dans les mains !
- A bon ? Et tu es un bon pilote ? Dis-nous un peu, quel est ton pourcentage de survie ?
- Ces chiffres ne sont là que pour nous faire peur.
- Hum, je ne crois pas que Freyj dirait cela, n’est-ce
pas Freyj ?
La pauvre Freyj se demande ce qu’elle doit répondre
pour ne pas se mettre Ruddy à dos ni me vexer. Mais au
fond de son esprit, je sens bien à quel point elle croit en ces
chiffres et elle me regarde avec pitié. Ruddy s’est tourné
vers moi, prêt à me torturer de nouveau quand un de ses
acolytes passe la tête par la porte :
- Les Sages ont demandés que tu leur fasses faire le
tour du vaisseau maintenant.
Frustré, Ruddy nous apostrophe avec colère :
- Vous êtes tous des larves. Incapables d’endurance.
Je me demande ce que je fais avec vous ! Allez, ça
suffit pour aujourd’hui. Footing.
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Et il part à fond de train, six paires de jambes trainant
tant bien que mal à sa suite. Le pont quatre se prête
relativement bien à la course, à cause de la largeur des
couloirs. Et ceux que nous croisons se poussent sans
problème à notre passage. Nos pas résonnent sur le sol de
tôles et notre groupe fait beaucoup de bruit. Les salles
d’entrainement défilent de part et d’autres de ces couloirs :
salles de musculation, de boxe, de tir…Je n’ai jamais vu
d’équipements aussi nombreux dans un vaisseau de guerre.
Quand nous descendons vers le pont numéro trois, la course
devient plus difficile avec les couloirs plus resserrés. Au
détour d’un virage, nous tombons nez à nez avec trois
Vaucan en file indienne qui ont du mal à se serrer contre la
paroi de tôle pour nous laisser passer.
L’un d’entre nous proteste :
- Que diable font ces machines dans le « Deus ex
Machina » ?
Ruddy l’a entendu, et prend son ton cynique habituel :
- Ce sont nos gentils gardiens. Ils font des rondes pour
veiller à la sécurité à bord.
- La police ? Ces robots font la police à bord ? On
aura tout vu !
Ruddy ne répond pas. Vers les chambrées, il y a plus de
monde ; le rythme de la course devient chaotique, les
couloirs sont en zigzag et les changements de direction
nombreux. Il faut savoir gérer son souffle. Au détour d’un
croisement, je crois distinguer le bout du pont : un long
couloir rectiligne qui aboutit à un mur dans lequel se dessine
une sorte de porte ronde à volant façon coffre-fort. Nous
passons vite. J’ai juste le temps de voir deux robots postés
devant le « coffre-fort ». Intriguée, je provoque Ruddy : - Pourquoi est-ce qu’on ne continue pas par-là?
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- Tu veux visiter la chambrée des « Vaucans » ? Tu
aimes les tas de ferrailles ? Ils ne feraient qu’une
bouchée de toi, tu sais. Si tu veux des sensations
fortes, c’est dans ma chambre qu’il faut que tu
viennes…
- Qu’est-ce qu’il y a derrière cette porte ?
- L’autre moitié du vaisseau : la zone d’intendance.
Aucun intérêt.
- Alors pourquoi est-elle gardée ?
Pas de réponse.
- Et nous avons le droit de franchir cette porte ?
- Je te l’ai dit : aucun intérêt.
Pas de doute, ce coffre-fort est bien gardé…
Après ce footing dans les coursives, nous enchaînons
avec le parcours d’Edith. Bien plus que la veille, cette
épreuve nous casse le corps et nous sape le moral. Nous en
sortons lessivés de fatigue. Je me dirige vers le couloir avec
les autres, pressée de passer à la douche et de prendre un
peu de repos, quand la voix d’Edith retentie derrière moi :
- Tu as oublié fillette ! Ruddy t’a donné une nouvelle
épreuve aujourd’hui. Et il m’a demandé de prendre
tout particulièrement soin de toi. Approchez-
vous tous! Voici la première tête brulée à tester mon
tout nouveau jouet !
Non, non…je n’avais pas oublié, mais je n’allais pas
réclamer tout de même !
- Tu dois parcourir ce labyrinthe et ressortir par la
trappe qui est au-dessus. Attention, je chronomètre
tes performances devant tes petits camarades ! Je
crois qu’il devrait te plaire, j’y ai mis tout mon cœur.
Il y a beaucoup de surprises à l’intérieur, préparées
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spécialement pour toi…Certaines font peur…Alors
si jamais ces épreuves devenaient intolérables pour
toi, tu n’aurais qu’à appuyer sur le petit bouton de ce
bracelet et tu te retrouveras immédiatement dehors.
Je fixe son bracelet ridicule. Sa propension à tourner
toute épreuve en enfantillage m’irrite ! Il y a longtemps que
je ne porte plus ce genre de bracelets…
- Allez, ne fais pas ta fière, vas, mets-le, tu verras
bien…Je lance le chrono : nous avons hâte de savoir
combien de temps tu résisteras avant d’appuyer sur
ce bouton…Prête ?
Je hoche la tête, et tente de rester de marbre.
- Stop ! Encore un détail…Il faut tenir un laps de
temps minimum sinon l’épreuve n’est pas validée et
il faudra recommencer…Aujourd’hui Ruddy a été
généreux avec toi : tu dois tenir dix minutes
minimum. A moins que tu sois suffisamment forte
pour parcourir tout le labyrinthe, et en sortir
indemne…On a parié avec Ruddy…Alors ! Tu y
vas ?
Ils ont parié. Lequel des deux pense que je ne vais pas y
arriver ! Je m’allonge par terre pour rentrer dans le trou. J’ai
l’impression d’être Alice au pays des merveilles devant la
porte en bas du puits, mais pas de liqueur qui permette de
rapetisser ici !
Si la chatière est à ma taille, en revanche, le conduit qui
se trouve juste derrière se rétrécit immédiatement. L’air est
rare et chaud, et je progresse à plat ventre dans le noir
complet. Tout se fait au toucher. Les virages sont difficiles à
négocier, mais il n’y a jusqu’ici, rien qui puisse vraiment
m’inquiéter. J’essaye d’aller le plus vite possible, me
doutant que le moins de temps je passerai ici, le mieux ce
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 101
sera. Dix minutes au trou…c’est étrangement faible…Tout à
coup le sol se dérobe sous moi, me coupe le souffle, et je
tombe dans une sorte de glue qui remue sous mon corps. Ca
court le long de mes jambes, puis monte sous mes vêtements
et envahit rapidement mon torse, mes bras, ma tête…et ça
mord ! Ne pas chercher à comprendre…vite, trouver la
sortie… Edith est une cinglée ! Quel était son rôle au sein de
la horde d’Arius : tortionnaire ? Je nage dans cet
agglutinement d’insectes, les paupières verrouillées sur mes
yeux, la bouche scellée, les mains en avant, le front moite,
cherchant les parois à tâtons. Ne pas abandonner, pas
maintenant. Résister. Hai ! Ces « choses » piquent et
paralysent mes mains quand j’en écrase
malencontreusement sur le mur… Je m’affole…le bouton
du bracelet…non, ça y est, il y a du vide devant moi… je
m’engouffre dans un trou ... Ce nouveau conduit est rond et
si petit qu’il me débarrasse de tout ce qui recouvrait mon
corps, mais il est lisse et en pente, et la montée s’avère
difficile avec le manque d’air. J’élimine fébrilement les
dernières « choses » qui sont sur mon visage avec des gestes
de panique, et progresse en soufflant. Ces ténèbres me
coupent les jambes. Ne pas céder devant Edith ;
résister…Puis mes mains détectent trois conduits identiques
qui se présentent devant moi. J’en profite pour souffler un
peu. Au diable le chrono ! Je suis certaine d’être là depuis
au moins vingt minutes, mais je finirai ce parcours ! Je
m’engouffre ensuite dans le premier tuyau. Au bout de
quelques minutes, je tombe sur un cul de sac ! Voilà le
labyrinthe ! Satanée Edith ! J’ai de plus en plus hâte de
sortir. Dans ma fébrilité, j’ai bien des difficultés à négocier
la marche arrière et je rejoins le précédent carrefour à bout
de souffle, tremblante. Je n’ai jamais été claustrophobe,
mais ici l’angoisse serre ma gorge sèche. Je ne saurais dire
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 102
depuis combien de temps j’ère maintenant dans ce trou
quand, du fond des tuyaux, me parvient un grondement
sourd, lointain. Tout à coup, le bruit progresse à toute
vitesse…il va arriver sur moi…un des conduits se met à
vibrer, comme si de l’eau se déversait dedans !...Je
m’engouffre le plus vite possible dans le conduit restant : un
cul de sac ! L’eau qui déboule à toute vitesse, glaciale,
enserre mes jambes, mon torse, ma bouche…je vais me
noyer ! Dans un réflexe de panique, j’ai poussé fort au-
dessus de ma tête…et la paroi a cédée : une trappe. Au
moment où ma main en attrape le bord, un hachoir s’abat sur
mes doigts et les tranche dans un bruit d’horreur. J’hurle
d’effroi et appui sur le bouton du bracelet…Je suis
violement éjectée et m’effondre avec un bruit mou sur le sol
du gymnase, les yeux éblouis par la soudaine luminosité
ambiante.
Je suis par terre, à moitié inconsciente, terrorisée, et
lorsqu’enfin ma vue arrive à distinguer le décor, c’est le
visage d’Edith penchée au-dessus de moi que je découvre.
- Alors, ça t’a plu P’tits bras ?
Affolée, je regarde mes doigts, prête à compter ceux qui
manquent. Pas une égratignure. Pas de morsures d’insectes.
Je ne suis même pas mouillée ! Elle a suivi mon regard,
savourant ma réaction. Et son rire fuse à nouveau. Je me
sens vidée et la peur doit se lire sur mon visage car tous mes
camarades m’observent avec angoisse.
- Assez mauvais comme score : tu as tout juste tenu
les dix minutes! Et il semble que tu sois la
spécialiste des parcours non terminés !
Je cours dans les couloirs, poings serrés, tête baissée,
cognant ceux qui se trouvent sur mon passage, laissant
derrière moi des cris et des invectives que j’entends à peine.
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 103
Nos entraineurs sont des tortionnaires ennemis, nos Sages
ont perdu la tête et nous sommes surveillés et gardés
enfermés par des robots. Et moi, je dois réussir cette mission
ou me retrouver emprisonnée à vie. Est-ce ainsi que nous
avons été choisis : non pas sur nos compétences mais sur
nos motivations ? Comme on choisit des kamikazes.
Clar est déjà à table lorsque je la rejoins au mess, ainsi
que la petite bande de Cristal. Tous mangent dans un silence
presque religieux. Rog a le nez dans son assiette, bougon. Sa
première séance avec Rocky n’a pas dû lui plaire…Tom et
Jarl sont généralement très peu enclins au bavardage. Et
Clar est épuisée. Il n’y a que Freyj qui semble encore tenir
le coup et qui garde le sourire. Comme je la regarde avec
beaucoup de surprise, Clar intervient :
- Freyj est la plus physique de nous tous ! Increvable.
Et douée dans tous les sports ! Tu la verrais au
concours annuel de triathlon chez nous ! Elle les
remporte tous ! Ah, si j’avais sa forme…
Freyj sourit du compliment, et semble même sur le point
de rougir, ce qui est très amusant, vu son immense stature
d’athlète. Rog lève le nez de son assiette :
- Mais dans quelle galère veulent-ils nous embarquer
pour nous entrainer de cette façon ? Ma parole, on ne
va tout de même pas se battre à mains nues à dix
contre un avec ces Mercenaires ! S’ils sont tous aussi
forts que nos entraineurs, je me demande ce que je
fous là ! Et les parcours d’Edith ! C’est pour nous
préparer à quoi ? Gabrielle, j’espère au moins que toi
ils t’enverront en mission sur un chasseur, parce que
si je n’arrive pas à me battre alors j’imagine mal ce
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 104
que ça pourrait être pour toi, surtout vu ton
pourcentage de survie…
- Merci pour l’encouragement…
Clar que j’ai vue jusqu’ici toujours positive, a l’esprit
plus sombre et s’interroge aussi :
- On s’est tous engagés à bord du Deus ex Machina
pour sauver notre monde et parce que nous avons foi
en cette mission quelques soient les risques. Mais
nous savons si peu de choses sur ce que nous allons
devoir faire. Qu’est-ce que nos Vénérables Sages
voulaient dire par « vous allez frapper l’ennemi en
plein cœur » ? A quoi devons-nous nous entrainer ?
Je sais qu’ils ont des plans pour nous. J’ai une totale
confiance en eux, mais l’objectif est trop flou et
j’avoue que je suis un peu perdue…
Rog a senti le trouble de sa sœur, et comme elle, soudain
son esprit s’assombrit. Il a failli lui répliquer : « non, ce
n’est pas pour sauver notre monde » et une étrange
culpabilité l’a envahi. Il a échangé un regard furtif avec
Clar, puis il change de sujet :
- Et cette histoire de binômes…ça ressemble à quoi ?
Ça va encore pour moi qui interviens plutôt au sol.
Mais pour quelqu’un comme toi Gabrielle, qui vole,
ça ne rime à rien ! tu t’imagines avec des doubles
commandes dans ton chasseur ? Enfin, moi, s’ils me
mettent avec la grande brune de l’autre jour, je ne dis
pas non…
Clar est rouge de jalousie :
- Rog !
- Bon, bon, Clar, je veux bien rester avec ma gentille
sœur pour la protéger ! Et toi Gabrielle, un ou une
partenaire en vue ?
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 105
- Hum…un des pilotes de mon équipe est vraiment
très bon. J’aimerais bien être associée à lui.
- Ah, nous avons un joli début d’histoire de ce côté-
ci : est-ce que vous dessinez des cœurs dans l’espace
en volant ?
- Rog !
- Eh, Clar, arrête de toujours vouloir protéger tout le
monde. Si ton amie a quelque chose à dire pour sa
défense, laisse-la parler !
Le frère et la sœur me distraient avec leurs réactions de
vieux couple :
- Oui, Rog, j’ai des choses à dire pour ma défense :
C’est le pilote que j’admire en lui. Mais je ne pense
pas qu’il soit complètement Humain…il ne pense
que « chasseur » et ne vit que pour voler.
- Un peu comme Freyj avec ses triathlons.
Il a regardé Freyj et de nouveau l’ombre s’immisce dans
le cerveau de Rog. Cette fois, c’est Tom qui intervient pour
détourner la conversation :
- En parlant de rencontre, j’ai fait la connaissance de
Center charmants ! Il faudrait que je vous les
présente.
Clar fait la moue :
- Je les trouve un peu hautains. J’espère que je
n’aurais pas à faire équipe avec l’un d’eux…Je les
imagine mal dans la boue des parcours d’Edith, eux
qui sont toujours tirés à quatre épingles…Il y en a
encore parmi eux qui n’ont pas opté pour le treillis
kaki. Ils se baladent en survêtement blanc !
Pendant que Clar est distraite, Rog se penche vers moi :
- Eh, Gabrielle, j’ai commencé ma petite enquête. Tu
sais la grande brune mignonne qui avait l’air d’en
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 106
savoir un peu sur nos Vénérables Sages…je lui ai
parlé.
Et contre toute attente, le cerveau de Rog se rempli …de
rose tendre !
- Ah, c’est ça ton enquête…
- Gabrielle ! Tu te rappelles, elle nous avait expliqué
que les Vénérables avaient suivi de vieilles traditions
guerrières et s’étaient inspirés de leur expérience
pour nous regrouper par deux.
- Oui. Mais dans leur cas, il y a de fortes chances
qu’ils se soient regroupés par cinq !
- Est-ce que tu crois que c’est ce qu’ils attendent de
nous ? Je veux dire, que lorsqu’on sera par deux, on
se mette à parler et à bouger exactement de la même
façon que notre « double » !
- Non, je ne crois pas. Eux ce sont manifestement des
vrais quintuplés. Je suppose que c’est ce qui
explique leur osmose complète. As-tu appris quelque
chose de plus sur eux ?
- Non, hormis que le père de la brune les avait croisés
il y a fort longtemps lors d’un rassemblement du
conseil de l’Alliance et qu’ils étaient à cette époque
déjà des vieillards !
- Quel âge peuvent-ils bien avoir ? C’est vrai que j’ai
déjà connu cinq élections de Conseil pour présider
l’Alliance mais d’aussi loin que je me souvienne j’ai
toujours entendu parler des Sages. D’ailleurs je ne
suis pas certaine qu’ils n’aient jamais été élus. Ils
n’ont même pas de rôle officiel. Il semble qu’ils se
soient imposés petit à petit uniquement grâce à leur
sagesse. Ils sont aujourd’hui tout puissants ! Notre
Président Amidalou leur a donné tous les pouvoirs
pour mener à bien cette guerre au nom de toutes les
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 107
planètes de l’Alliance : nos super généraux ont plein
pouvoir pour commander notre groupe
d’intervention ainsi que l’armée que nous
rejoindrons sur la zone d’attaque ! Toutes les
puissances de l’Alliance sont dans leurs mains !
- Sais-tu que « le Deus ex Machina » est actuellement
totalement isolé ? Nos cinq Vénérables ont coupé
toutes les communications et notre position n’est
connue de personne jusqu’à notre approche de la
planète noire ! Pour raison de sécurité, disent-ils !
Tout est secret : qui nous sommes, la trajectoire de
notre vaisseau et même ce qu’on attend de nous. Et
nous ne savons même pas comment ils nous ont
choisis.
- Des kamikazes.
- Quoi ?
- Ils nous ont choisis comme on choisit des
kamikazes : uniquement sur nos motivations.
Il s’est tendu comme un animal sauvage qui se sent
menacé. De nouveau, il détourne la conversation :
- Pourquoi ont-ils engagés cet Immortel ? Et cette
bande de Vaucans pour faire la police à bord ?
Sans réfléchir, j’enchaine :
- Sans parler de cet accord passé avec nos
entraineurs…
- Que veux-tu dire ?
- Hum…Rien. As-tu vu cette sorte de porte blindée au
pont trois, au bout des chambrées des Vaucans ?
Ruddy dit qu’elle mène vers la zone d’intendance.
- Toi aussi tu as remarqué. Je suis allé courir par là-
bas, l’air de rien, pour voir si on pouvait passer. Les
Vaucans m’en ont dissuadé…
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- Comment ?
- Je n’avais même pas franchi la moitié du couloir
qu’ils étaient tous autour de moi à faire barrage. Je
leur ai dit : « Eh, les gars, laissez-moi passer, je ne
suis pas un Mercenaire ; juste un type qui s’échauffe
à la course ». Ils m’ont bousculé jusqu’à la sortie du
couloir. Ils n’ont aucun humour !
- Pourquoi la zone d’intendance est-elle fermée ?
- A moins que ce soit nous qui sommes enfermés…
Semblant sortir d’un rêve, Freyj se met à penser tout
haut :
- Tiens, il n’est pas venu l’Immortel aujourd’hui ! Il
doit se cacher dans un coin sombre du Deus ex
Machina ! Il a peut-être eu peur hier finalement…
J’échange un regard avec Rog : pas l’ombre d’un doute
dans l’esprit de Freyj, aucune interrogation sur son devenir.
Elle est dans sa bulle, détachée, sereine : un fleuve au long
court dont l’eau coule avec force et calme, imperturbable,
jusqu’à sa destination finale. Elle ne risque pas d’être mon
binôme !
Elle est la seule à remarquer l’absence prolongée de
l’Immortel…ce dont peu de monde en ce moment se soucie.
- Au fait, vous avez signé la pétition ?
- De quoi parles-tu Freyj ?
- La pétition sur l’Immortel. Anton, le gars de la
planète Trisquelle, celui qui a réussi à le faire sortir
du mess hier, c’est lui qui la fait circuler.
- Et qu’est-ce qu’il demande ?
- Que les Vénérables enferment cette bête sauvage au
fin fond du vaisseau jusqu’à ce qu’il puisse faire tout
seul sa mission !
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- Et tu l’as signée ?
- Ben oui. Et il a commencé à recueillir une grande
quantité de signatures. Ils sont maintenant un petit
groupe à circuler dans tout le vaisseau avec Anton
pour faire signer cette pétition. Il faut qu’on se
protège, tu sais, il n’est pas comme nous. Il est
vraiment très dangereux !
Et dans son esprit, je les vois défiler, poings levés, Anton
à leur tête, hurlant leur haine et invectivant tous ceux qui
croisent leur chemin :
- Signe ! C’est pour ton bien, frère.
Et ils crachent à la figure de tous ceux qui refusent :
- Espèce de lâche. Tu as peur de signer c’est ça ? A
moins que tu le défendes ? On te le fera payer,
raclure, tu verras…
Clar coupe court à ses songes, un peu agacée :
- L’Immortel est pour l’instant le cadet de mes soucis.
Si seulement je savais vraiment ce que veulent nos
Sages de nous ! Comment fais-tu pour ne pas t’en
préoccuper ?
- Rog, dis-moi, que sais-tu sur les Immortels ?
J’ai chuchoté à son oreille, consciente que ma curiosité
est déjà presque un tabou à elle seule.
- Ce sont les êtres les plus dangereux qui puissent
exister. Ils ont déjà voulu s’emparer du pouvoir et de
toutes nos richesses lors de la guerre des Monstres, il
y a fort longtemps ! Ils n’étaient qu’une poignée à
l’époque pourtant ils avaient fait des ravages auprès
des Humains. Heureusement, nous avons pu les
circonscrire. Et depuis, ils n’ont plus le droit de
sortir de leur planète sauf exception.
- A quand remonte cette guerre ?
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- A vrai dire, je n’en sais rien. Mais si tu veux en
savoir plus, je peux peut-être demander à
Emmanuelle. Son père qui était au conseil a pu en
rencontrer.
- Emmanuelle ?
- Oui, la brune qui m’a donné les informations sur les
Vénérables Sages. Pourquoi veux-tu te renseigner
sur les Immortels ? Tu as peur de lui, c’est ça ?
- Je me demande de quoi il faut avoir le plus peur : de
lui ou des haines qu’il suscite ?
Soudain, Ruddy débarque au mess avec fracas, sa
troupe accrochée à ses rangers. La mine grave, il se
campe dans l’entrée, jambes écartées, bras croisés :
- J’ai une information à vous transmettre. Nous avons
retrouvé un de vos camarades mort dans une salle
d’entrainement. Il s’agit de Ben de la planète Petite
Nuit.
- Je le connaissais un peu. Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Pendu à la corde d’un punchingball. Suicide. Je
suppose qu’il n’a pas supporté sa note : vingt pour
cent.
Il me regarde un long moment, la bouche tordue et
cynique ; puis il sort avec toute sa troupe.
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 111
CHAPITRE 11 Les Immortels
- Alors P’tits bras, ça t’a plus le labyrinthe ? Tu ne
perds pas de temps et nous ne sommes qu’à J-14 !
Ca fait encore de nombreuses occasions d’y
retourner, n’est-ce pas ?
Ce matin, au petit déjeuner, Ruddy est tombé sur moi. Il
sortait du mess avec toute sa bande d’entraineurs. Ma table
était sur leur chemin. J’étais seule. En arrivant à ma hauteur,
Ruddy s’est arrêté, fier et arrogant pour me provoquer. Je
serre les dents pour me retenir de lui cracher au visage. Il
s’approche tout près de ma chaise derrière moi et pose une
main sur la table à coté de mon bol, son corps courbé au-
dessus du mien :
- Un trou à rat pour une souris comme toi, ha, ha, ha !
Et maintenant la petite souris va me répondre avec
respect. Tu sais : le salut, le « oui chef »…On
recommence. Ça t’a plu le labyrinthe ?
Il s’est penché sur le côté, son visage tout près du mien,
un sourire de conquérant aux lèvres, le regard provocateur.
Son haleine lourde souffle sur mon nez des relents de café.
Et il me sniffe. Ce serait suicidaire de le gifler. J’ai tendu
tous mes muscles pour m’empêcher de bouger et fixé mes
yeux sur mon bol.
- Elle a peur de moi !
- Va au diable, Ruddy !
Et brusquement, son poing s’abat sur la table. En une
fraction de seconde, deux de ses acolytes sont sur lui, mains
apaisantes sur ses épaules. Il les regarde, se retient, récupère
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 112
son sang-froid, puis se tourne à nouveau vers moi, le sourire
narquois :
- Bien. Je constate à ton attitude que cela t’a beaucoup
plu ! Je vais avertir Edith qu’elle te prépare de
nouvelles surprises dans son labyrinthe ce
matin…quinze minutes…c’est peu…tu y arriveras,
tu crois ? Miss onze pour cent…
Et il part en riant. J’aurais juré qu’un fantôme dans ses
yeux s’était mis à rire lui aussi…
Edith doit avoir un faible pour moi, pour me laisser
courir sans mon sac à dos rempli de cailloux ! De sa part,
cela ne présage rien de bon. De toute façon, il ne me servait
à rien puisque je n’arrivais pas à terminer ce parcours.
Evidemment, dès que je franchis la ligne d’arrivée, elle
m’interpelle comme hier :
- Gabrielle et Stephen, au labyrinthe ! Alors P’tits
bras, tu as envie d’améliorer tes performances d’hier,
je suppose. J’ai dû me surpasser pour que tu ne
t’ennuies pas. Et puis Ruddy m’a demandé de te
faire un traitement de faveur. Tu es une habituée
maintenant. Tu n’as qu’à passer la première…
Le Stephen qu’elle a appelé est figé derrière moi, le
sourire aux lèvres. Mais dans son esprit, je sais qu’il n’en
mène pas large…
Ce parcours-là n’est pas réel. J’ai beau me le répéter sans
cesse, j’ai le cœur serré lorsque je m’allonge par terre pour
passer la « chatière ». Comment Edith fait-elle pour
provoquer toutes ces peurs et ces sensations ? Puisqu’il
semble que je sois condamnée à emprunter ce labyrinthe
aussi souvent que je rencontrerai Ruddy, autant trouver
rapidement la sortie ! Mais quelle est l’astuce à découvrir. Je
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 113
m’enfonce, plus attentive que jamais, à la recherche
d’indices, et plus motivée que jamais d’en finir !
Pour cette seconde tentative, je n’ai pas pris le chemin de
l’eau. Je suis restée plus longtemps dans le « bain
d’insectes » pour trouver un autre passage. Et cette fois j’ai
choisi le plus éloigné ! J’ai vaincu les « voix de charme » et
« les voix de peur », mais je n’ai pas réussi à passer le puits
sans fin. J’ai essayé de l’enjamber, puis j’ai rebroussé
chemin jusqu’au « bain d’insectes » dans l’espoir d’un autre
passage inexploré. En vain ! Je n’ai trouvé que des culs-de-
sac. Alors je suis retournée au puits. Après de longues
tentatives, j’ai fini par appuyer sur le bouton libérateur du
bracelet, en rage et épuisée.
Quand je me retrouve au sol sous la lumière vive du
gymnase, Edith, penchée sur moi, a encore ce sourire
sadique !
- Allez dégage ; au tour de Ruddy de s’occuper de toi.
Cette fois, il a changé de stratégie : durant tout
l’entrainement, il ne m’adresse plus la parole, ne me
demande plus de faire les démonstrations d’exercices, ne me
prend plus comme contre-exemple. Non, il ne me dit plus
rien. Mais il garde en permanence les yeux sur moi. Et au
fur et à mesure qu’il voit ma fatigue grossir, son sourire
grandit de plus en plus. Dès l’entrainement fini, je fonce la
première vers la salle de repos, vers le monde.
Au fond de la salle, Stephen s’est affalé sur une chaise, le
regard perdu. Je m’approche.
- Ça va ?
- Oui, oui…Dis-moi, qu’est-ce que tu as vu dans ce
labyrinthe ? C’était quoi ce truc de fou ! Tu as senti
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 114
les morsures toi aussi ? Tu as entendu ces voix
horribles qui glacent le sang et rendent fou? Et
l’inondation ? Et le hachoir !
- Oui, moi aussi, j’ai senti cela…Pourtant en sortant,
pas de doigt coupé, pas de marque de morsure, ni de
vêtement mouillé ! Tout ceci n’a rien de réel. Il faut
croire que derrière ce cerveau de Cro-Magnon se
cache une imagination débordante ! Je ne sais pas
comment elle fait, mais je te jure que je trouverais !
- Moi, je préfère ne pas retenter !
Ce qu’il ne me dit pas et que je lis dans son esprit, c’est
qu’il a paniqué plusieurs fois, plusieurs fois appuyé sur le
bracelet avant les quinze minutes réglementaires, et
plusieurs fois recommencé ! Il est claustrophobe !
- Ce labyrinthe, c’est le circuit de l’enfer !
Autour de nous, l’ambiance n’est pas au beau fixe.
Beaucoup sont muets. Il n’y a que quelques personnes qui
discutent sans entrain. Mais tous s’interrogent mentalement
sur les Sages, le choix de leurs entraîneurs, et ce que nous
faisons vraiment ici.
Grâce aux entrainements virtuels avec Luc à chaque fin
de journée, je commence à maitriser mon zinc et je suis
finalement « lâchée », ce qui signifie que je peux piloter
seule mon appareil. Nous allons pouvoir voler en formation
avec Luc et quelques autres as de la voltige, dont Stephen
fait partie. Luc, rebaptisé « colibri » a fait des émules et les
candidats se pressent pour suivre ses scénarios de vols sortis
tout droit de son cerveau créatif.
On frappe à la porte de ma chambre :
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 115
- Rog ! Eh, qu’est-ce que vous faites tous là ! Et cette
bouteille, c’est quoi ?
- C’est pour fêter ta performance aéronautique !
Combien as-tu dis que vous étiez à être « lâchés » ?
- Cinq sur quarante.
Derrière Rog, se sont agglutinés Clar, Freyj, Tom et Jarl.
Je ris, heureuse de leur reconnaissance et de leur fierté. Pour
moi, c’est un sentiment plutôt nouveau que je savoure avec
délice…Je me souviens de la réaction de mon père lorsque
j’avais été lâchée sur un supersonique : cela n’avait rien à
voir avec de la fierté…
- Entrez ! Ça va être difficile de vous caser tous les
cinq dans ma chambrette !
- T’inquiète, on a tous la même…On va s’asseoir par
terre !
Le niveau sonore augmente brusquement avec leur
joyeuse intrusion. Tom fait signe à Rog d’ouvrir la bouteille
et continue la conversation :
- Dis-donc, tu es logée au fin fond du vaisseau, et pas
beaucoup de voisins avec ça ! C’est qui la porte d’à
côté ?
- Je n’en sais rien. Je n’ai jamais vu personne entrer
ou sortir et je n’entends jamais aucun bruit !
- Au moins, tu es au calme pour dormir. Moi j’ai une
chambre tout près des vestiaires des filles. Qu’est-ce
que ça caquette dans les salles de bains.
- Tu ne te plaignais pas d’être à côté de la salle de bain
des filles quand je t’ai vu les mater, espèce de
dégoutant !
Tom rougit et tout le monde éclate de rire. Le bruit du
bouchon a attiré tous les regards :
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- Qu’est-ce que vous avez apporté ? Où avez-vous
bien pu dégotter ça ?
- C’est du vin, Mademoiselle notre pilote préférée ! A
toi l’honneur ! Quant à te dire où je l’ai trouvé, eh
bien, c’est un secret ! Saches seulement qu’on
m’appelle « Rog la débrouille » ou « Rog les bons
tuyaux »…
Et il me sert à boire :
- Alors je lève mon verre à Rog et ses bons tuyaux !
- Et nous on lève notre verre à tes exploits présents et
surtout futurs ! On compte sur toi !
- Merci pour la pression!
C’est à ce moment qu’on frappe à ma porte : Luc
accompagné des trois autres pilotes qui ont été lâchés
comme moi aujourd’hui !
- Laissez-moi deviner : on va fêter ensemble notre
promotion !
- Il y a du monde ici! Ne serions-nous pas les seuls à
avoir eu cette idée…Bonsoir à tous. Je vous présente
mes amis pilotes : Maruko, Stephen et Youri et moi-
même Luc ou « Colibri », mon nom de code de
pilote.
- Je déclare la chambre de Gabrielle QG de notre
équipe ! Je bois à notre nouveau QG !
L’enthousiasme de Rog est communicatif. Les
présentations terminées, les paroles et les rires fusent. Les
derniers venus débordent dans le couloir où ils s’assoient
par terre. La bouteille de vin circule rapidement, et s’avère
être bien trop petite pour tout ce monde. Freyj est intriguée :
- Dis, Luc, c’est quoi cette histoire de nom de code ?
- Oh, traditionnellement on baptise un pilote avec un
surnom qui correspond à son caractère.
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- Et celui de Luc lui va comme gant. Si vous voyiez sa
finesse de pilotage ! C’est le seul pour l’instant à
avoir été rebaptisé !
Freyj est soudain passionnée :
- Oh, oui, cherchons ensemble vos surnoms! Et
puisque nous avons déjà un colibri, nous devrions
chercher des noms d’oiseaux pour votre escadron !
Qu’est-ce qui est spécifique de ta façon de voler,
Stephen ?
Je ne lui laisse pas le temps de prendre la parole :
- Stephen est un très bon pilote en l’air, mais dès qu’il
touche le sol, c’est le spécialiste des atterrissages en
vrac !
- Un canard boiteux ! lance Rog.
Maruko se prend au jeu lui aussi :
- Il est également très bavard. Je propose : perroquet !
Mais l’intéressé proteste :
- Ça n’a rien à voir avec ma façon de piloter !
- Oui, je sais : un albatros !
- Bravo Freyj ! Oh, Stephen, il faut que je propose ça
aux autres ! Ils vont adorer…
- Ouai Gabrielle. A une condition : on va s’occuper de
toi maintenant !
Freyj m’interroge :
- Alors Gabrielle ! Quelle est ta spécialité ?
- Provocatrice et irrévérencieuse! lance Stephen.
- Mais ça, ce n’est vraiment pas spécifique à sa façon
de voler rajoute Clar, toute sérieuse.
Et ils rient tous.
Bien que ma chambrette soit devenue officiellement
notre QG, la chaleur et le bruit augmentant, nous décidons
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 118
de nous rabattre vers une des salles de sport que nous
transformons en salle de détente.
C’est au premier qui trouvera une table, des chaises pour
nous installer confortablement. Luc revient après un petit
moment brandissant un jeu de cartes, l’air victorieux :
- Qui veut faire une partie de "nébuleuse" avec moi!
Je vous préviens, je suis champion!
Notre installation a fait des émules et bientôt la salle se
remplie de tables et de jeux apportés par d’autres groupes.
Au milieu de cette bande, je découvre les joies simples
d’une franche camaraderie, et le plaisir de l’anonymat qui
permet tant de choses…
Emmanuelle, la brune qui plait tant à Rog, s’est assise
tout près de notre groupe, se mêlant petit à petit à notre
conversation. Une sorte de ballet s’est mis en place entre ces
deux-là; des mouvements anodins qui semblent sans but et
qui les rapprochent tout doucement, des échanges de
regards, l’air de rien. Stephen qui a retrouvé son sourire et
sa verve commente maintenant nos exploits chez Edith :
- Savez-vous que Gabrielle et moi sommes « frères de
labyrinthe » ! Un truc de fou cet endroit ! Il faut
avoir les nerfs sacrément accrochés pour s’y risquer.
Heureusement que Gabrielle et moi, on les a
solides !
Clar qui était de mauvaise humeur depuis l’approche
d’Emmanuelle, prend prétexte de mes exploits pour
s’indigner :
- Tu y es encore allé Gabrielle ! C’est pas possible !
Ne me dis pas que tu as encore refusé de saluer
Ruddy ?
Et Rog, amusé, me donne une tape dans le dos :
- Oh, la vilaine fille !
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- Ça va Rog ! Je vous ai déjà dit que c’est un vicieux,
et qu’il est hors de question que je montre du respect
à un malade de son espèce ! Il suffit que je ne le
rencontre pas…mais pour l’instant je n’ai pas eu
beaucoup de chance…
Alors, Stephen se lance dans la description de son
parcours, ajoutant des détails à son avantage, omettant sa
claustrophobie ; son auditoire suspendu à ses lèvres.
Lorsqu’Emmanuelle sort, je la rejoins dans le couloir :
- Dis-moi, je crois que ton père a siégé au Conseil,
m’a dit Rog…
- Il y a même rencontré le représentant de ta planète.
Un certain Gilles Trévor, un parvenu dont le roi
s’était entiché.
- Notre souverain évitait toujours les grandes
assemblées.
- On dit que le roi avait ce Trévor en grande estime et
qu’il le considérait comme son fils. Pourtant, ce n’est
finalement pas lui qui a accédé au trône.
- Oui, il parait…
- Comment s’appelle ta nouvelle reine ? Elle est si peu
connue que même son peuple a du mal à retenir son
nom ! Il parait que le roi Charles la considérait
comme incapable de régner et l’avait écartée de toute
instruction politique. On dit qu’elle se rebellait et lui
en faisait baver ! Des bruits ont même couru un
temps sur le fait qu’il voulait la tenir recluse. Est-ce
que c’est vrai ?
- Euh…en fait je voulais savoir…je me
demandais…Que sais-tu des Immortels ?
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 120
- Tiens, tu n’es pas la seule à te poser des questions à
son sujet. Il faut dire que ce sont des êtres que l’on
redoute et à juste titre !
- Sont-ils Humains ou animaux ?
- Ha ! Tu ne dois pas connaître leur histoire ! Ils n’ont
rien d’animal, du moins pas plus que nous ! Ils sont
issus d’une manipulation génétique. Leur histoire a
commencé il y a plusieurs centaines d’années. Un
savant brillant et fou, un de ces « Center » arrogants
qui croient pouvoir être les égaux de la Déesse elle-
même! Il a voulu créer une nouvelle race humaine
plus résistante et plus intelligente! Depuis, les
savants de Center n’ont plus le droit de faire aucune
manipulation génétique mais le mal était fait…
- Que veux-tu dire ?
- Il s’appelait Mhadès ; il était généticien. Il a conçu
deux bébés éprouvette aux capacités physiques
extraordinaires. Son expérience s’est avérée
parfaitement réussie sur ce point, et il a élevé ces
enfants comme les siens, les arborant dans des
séminaires spécialisés en montrant leur force
physique et leur grande résistance. Mais en
grandissant ils ont développé une étrange maladie :
ils étaient sujets à des crises d’une extrême violence
et totalement incontrôlables. Lorsqu’ils atteignirent
l’adolescence, âge des excès, Mhadès a dû se rendre
à l’évidence que ses « créatures », comme il les
appelait dans ses mémoires, représentaient un grave
danger pour les autres êtres humains et que son
expérience « d’Homme supérieur » avait échouée.
Un incident est venu bouleverser tous ses plans. Lors
d’un de ses colloques scientifiques, ses « enfants »
devaient montrer leur force en s’attaquant à un lion.
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 121
La bête s’est vite retrouvée à terre, bloquée par les
jumeaux juchés sur son dos. Mais l’un d’eux s’est
lancé dans une de ses crises de violences, frappant
l’animal, lui arrachant les membres, puis lui tordant
le cou. Lorsque le lion ne l’a plus intéressé, il a
commencé à s’en prendre aux scientifiques qui se
trouvaient dans la salle. Ce fut la débandade ; il y a
eu trois morts et dix blessés. Le frère et la sœur ont
été pris en chasse pendant plusieurs jours ; mais ils
ont réussi à s’enfuir. Mhadès a terminé sa vie en
prison pour avoir engendré des meurtriers. Ce n’est
que trois générations plus tard qu’on a retrouvé leur
trace : les deux adolescents s’étaient réfugiés sur la
planète Arodnap, où ils s’étaient multipliés.
- Arodnap, la planète aurifère ? Pourquoi sont-ils sur
Valdenfer maintenant ?
- Quand ils s’y sont installés, la planète était inhabitée.
Ce sont eux qui ont découvert l’or. Et lorsque le
bruit est venu jusqu’aux oreilles des Humains, il y a
eu la ruée vers Arodnap. Mais les nouveaux venus
ont été accueillis avec toute la violence à laquelle on
peut s’attendre d’un Immortel. Alors une guerre a
éclaté ; on l’a appelée la guerre des Monstres. C’est
à ce moment-là que la propagande contre eux a
commencé : c’était des êtres aux excès de violence
intenses, ponctuels et incontrôlés ; ils souffraient en
réalité d’une bien terrible maladie. On en a fait des
monstres hideux, volontairement sanguinaires,
avides de pouvoirs et de richesses et complotant
contre l’Humanité. C’est à ce moment-là aussi qu’on
leur a donné ce nom d’Immortels. De l’or était en
jeu…
- Et malgré leurs puissances ils ont perdu la guerre ?
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 122
- Ils avaient la force, mais ils étaient encore peu
nombreux. Après avoir fait beaucoup de carnages, ils
ont fini par se rendre. L’humiliation a été à la mesure
de leur violence : ils ont été privés de presque tous
leurs droits sociaux, politiques et militaires. Plus de
liberté de mouvement. Ils étaient isolés loin des
Humains sur Valdenfer sans possibilité de sortie,
hormis avec un sauf conduit signé de la main du
Président de l’Alliance en personne ! Et encore,
devaient-ils porter leur cape avec le « I » rouge sur le
dos pour signaler leur présence aux Humains ! Ils
n’avaient pas le droit de s’enrichir ni commercer
avec l’extérieur et leurs revenus étaient sous le
contrôle du Conseil. Enfin, bien entendu, ils ne
devaient toucher un Humain sous aucun prétexte !
- Et aujourd’hui ? L’immortel qui est ici a-t-il dû
obtenir un sauf conduit de notre Président ?
- Oui, ces lois ont perdurées jusqu’à ce jour. Les
Immortels souffrent toujours de cette maladie qui les
rend involontairement violents et dangereusement
incontrôlables. Cela ne fait pas obligatoirement
d’eux des assassins. Pourtant, ils sont considérés
comme des parias, comme n’importe quel assassin
chez nous : exclus à vie de nos planètes, ainsi que
tous leurs descendants directs. Alors pour se venger
des humiliations subies, ils ont décrété que
Valdenfer était interdite aux Humains ; ils se sont
mis à dévorer tout Homme qui mettait le pied sur
leur planète, comme un rite. Et leur haine des
Humains a été cultivée de génération en génération
au point qu’elle est devenue presque un instinct
primaire.
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 123
- Et cette cape intégrale qui camouffle l’Immortel du
Deus ex Machina ? Est-ce la loi qui lui dicte de la
porter ?
- Non. Je ne sais pas pourquoi celui-ci se cache. Sans
doute une infirmité…
- Comment sais-tu toutes ces choses ?
- Mon père m’a beaucoup appris…
- Il siégeait au Conseil, tu disais. Quel rôle avait-il ?
- Méfie-toi de cet Immortel, Gabrielle. Je ne sais pas
ce que les Sages ont en tête pour nous l’imposer,
mais il est clair qu’il représente un grand danger. Je
n’arrive pas à croire que les Sages pourraient le
laisser se mêler à nous. Il faut que j’aille me coucher
maintenant, il est tard et je t’en ai assez dit…
Quand je me retrouve seule dans ma chambre, je plonge
sur mon lit et m’endors immédiatement. Dans mes rêves, je
traverse le couloir des chambrées des Vaucans. Ils sont tous
alignés contre le mur, formant une haie d’honneur sinistre.
A mon passage ils se regroupent derrière moi, me poussant
vers la porte blindé. Je suis maintenant collée le dos à cette
porte. Les Vaucans avancent toujours ; je vais bientôt être
écrasée. Soudain la porte dans mon dos s’ouvre et je tombe
contre une cape noire immense. Des doigts griffus se jettent
sur moi…
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 124
Loin de là…
7ème
calende du mois de mars Trisquelien – 1310ème
année de la Déesse
Alléluia ! La Déesse mère est avec moi et me bénit ! J’ai
réussi ! Tant d’effort…mais le résultat est si beau ! Ta
vision est mienne mon fils, mon guide inconscient !
Maintenant, je vais être derrière chacun de tes gestes ! Tu vas rester très proche de moi…comme avant…
Ce jour restera gravé dans les mémoires comme les
premiers pas vers mon règne ! Je veux coucher ces
événements sur le papier afin qu’ils rentrent dans l’histoire.
Les petits écoliers les apprendront en classe. Tous
connaitront alors mes pouvoirs et s’inclineront devant moi.
Comme c’est merveilleux, mon fils ! Tu te déplaces dans ce
vaisseau, et c’est comme si tu étais moi ! Tu as écouté tes
« Vénérables Sages » faire leur discours. J’ai entendu ! Tu
as pris la parole ; j’ai vu la masse étalée devant toi, écoutant
tes harangues. Tu es toujours aussi doué pour invectiver les
foules !
Comme ils sont mignons tous ces éphèbes avec leurs
muscles de salle de danse et leurs jeunes sourires innocents !
A croquer ! Ce sera un plaisir…
Je suis fou de joie, mais tu oses gâcher mon bonheur !
Quel choc ça a été pour moi de découvrir ce que tu es
devenu, et tous les autres avec toi ! Tout ce que je t’ai
donné, tout ce que je t’ai appris…envolé ! Tu t’es perverti,
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 125
avili et tu as trahi ton Père. Oh ingrat, comme tu me fais
souffrir ! Vous me faites tous souffrir…
Tu connais les règles, n’est-ce pas…tu sais ce que tu
mérites pour tes péchés…Je saurais m’occuper de toi en
temps voulu. De vous tous…mes chers petits.
Non, non, ce n’est pas ta faute… Ils t’ont attrapé dans
leurs filets empoisonnés, les cinq maléfiques ! Ce sont les
rois de la manipulation. Je suis bien placé pour le dire. Et
toi, Ruddy, tu es tombé dans leur piège. Mais tu vas bien me servir, n’est-ce pas. Ils n’en sauront rien…et toi non plus !
Ce sera ma première vengeance…
La Déesse mère m’a inspiré ; c’est le plus beau des
présages ! Comme j’ai bien fait de penser si fort à toi !
Toutes ces choses auxquelles j’accède…
Tu m’as montré les cinq Sages ; ces vieux miteux
arrogants se donnent en spectacle et se croient les maîtres
avec leur prêchi-prêcha. Ils veulent les avoir tous sous leur
joug. Ils tremblent devant l’ennemi qui risque de les
« anéantir » (Ah quel bonheur !) et ils pensent encore à
respecter les traités intergalactiques. Je les entends ces vieux
gâteux : « nous ne pouvons pas attaquer tant que l’ennemi
n’est pas dans la zone de l’Alliance » !
Pauvre Alliance qui a des généraux si faibles et mous.
Comme c’est triste et dévalorisant pour moi.
Ah, mon fils, à quoi j’ai accès grâce à toi ! Tous ces
petits jeunes seraient donc des guerriers venus dans le Deus
ex Machina pour former des commandos d’infiltration de
l’ennemi ! Je rêve ! C’est le monde à l’envers ! Je les ai tous
vus se présenter un par un. J’ai tous leurs noms. Ce serait à
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 126
mourir de rire si ce n’était pas vous, mes enfants, qui allez
les entraîner ! Mettre vos talents à leur service : quel
avilissement ! Ah, mon fils, tu es pourtant conscient de ce
qu’ils valent. Tu le leur as bien dit avec tes tirades de
théâtre : « Vous êtes des vieilles femmes flasques ! Vous ne
seriez même pas capable de faire du mal à leurs chiens !» Ce
n’est pas un simple regroupement par binômes qui changera
les choses…Oui, tu as raison mon fils, ils sont venus se
suicider. D’ailleurs les Sages se soucient peu de les envoyer à la mort.
Tu m’as aussi montré l’Immortel. C’est bien. C’est
dangereux pour tout le monde. Très. Enfin un morceau de
choix pimenté, à me réserver. Quel plaisir intense ils vont
me faire. Il faut que je me prépare!
Mon fils, mon messager ambigu, je prie pour que tu me
donnes souvent des nouvelles de l’Immortel. Je veux
connaitre sa force…et ses faiblesses.
Car je suis le seul à avoir le génie nécessaire pour
m’attaquer à ce Mal !
Je vaincrai ! Et ma gloire n’en sera que plus grande.
La Déesse mère est toujours avec moi. J’en ai la preuve
maintenant. Disséquer des araignées vivantes n’est pas un
péché à ses yeux. Ils m’ont menti et se sont débarrassés de
moi avec une pirouette.
8ème
calende du mois de mars Trisquelien – 1310ème
année de la Déesse
Sacré fiston, tu es toujours le même : voilà une petite
jeune qui se présente, maigrelette et sans défense, et déjà tu
es attiré. Ah, je le sais, vas, je te connais bien pour ça aussi.
Et elle t’a provoqué en plus ! Tu vas aimer ça ! Comment
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s’appelle-t-elle déjà ? A oui, Gabrielle. Jeune fille, crains
pour toi, car mon fils n’a jamais été tendre avec celles qui
lui plaisent. Et je crois que tu lui plais déjà beaucoup…
Il n’a rien fait pour que tu retournes chez toi, non, il a
hâte de se charger « personnellement » de toi !
Je veux voir ça…
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CHAPITRE 12 Les « doubles »
Jour J-13 avant l’affrontement
Tôt le matin, on nous a tous convoqués dans
l’auditorium. Comme la première fois, les Sages sont
installés sur leur estrade. A leur signal, le silence se fait
soudain :
- Réjouissez-vous car le jour du regroupement est
arrivé. Vous allez connaître votre double ; vous ne
serez plus seul, vous n’aurez plus de doute.
Malgré ces paroles, chacun semble rester sur sa
défensive. Les Sages reprennent :
- Nous vous avons tous observés avec attention. Nous
avons décidés de ces binômes en fonction de vos
aptitudes complémentaires et en fonction de la
mission que nous allons confier à chaque équipe.
Rog s’est penché vers moi pour me glisser à l’oreille :
- Quand sont-ils venus observer mes aptitudes ? Je ne
les ai pas vus depuis l’intronisation ! Tu les as vus,
toi ?
- Chut…
Les Sages continuent :
- Vous en saurez peu aujourd’hui sur les raisons qui
nous ont poussés à ces choix. Il faut seulement que
vous suiviez nos ordres avec la plus grande rigueur.
Tout ce que vous apprendrez ensemble, tout ce que
nous avons décidé pour vous va vous servir lors de
votre intervention finale. Le secret sera gardé
jusqu’au bout. Il en va de la sécurité de cette
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 129
mission. Remettez-vous en à nous, et rappelez-vous
votre serment !
Le ton des Sages est tranchant et sans appel ; leur regard
scrute la salle et la tension dans l’air est palpable. Que se
passerait-il s’ils sentaient ou lisaient dans l’esprit de certains
l’envie de se rebeller ? Mais, à mon grand étonnement, il
n’y a aucune pensée de rébellion dans l’air, seulement
beaucoup d’inquiétude sur l’ennemi et de doutes sur les
forces à fournir. Rog chuchote entre ses dents :
- Suivre les ordres…suivre les ordres ! Alors qu’on
ne sait même pas ce qu’on doit faire ! Comment
veulent-ils qu’on s’entraine si on ne sait pas
pourquoi !
- Rog, arrête. Tu m’agaces…
Les Sages expliquent maintenant le rituel qu’ils ont prévu
pour appeler chaque binôme. Cette fois, l’attention de tous
est si concentrée que tous les esprits s’en trouvent calmés !
Quand les Sages annoncent qu’Emmanuelle de la planète
Beliste a pour coéquipière une de ses compatriotes, Rog
marmonne son mécontentement. Finalement il est avec sa
sœur, et Tom et Jarl sont ensemble, ce qui me semble un
choix facile. Puis les Sages tendent le bras vers Luc et mon
attention grandit encore :
- Luc de la planète « Aron » et Freyj de la planète
« Cristal ». Nous, vos Vénérables Sages avons
reconnus en vous un binôme parfait. Vos dons se
complètent à merveille et vos esprits sont à
l’unisson.
Je suis un peu déçue et je ne vois vraiment pas avec qui
d’autre je pourrais être associée. Petit à petit, les noms
tombent ; chacun découvre son coéquipier. A quelques
exceptions près, la surprise d’être ensemble domine.
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 130
L’entente annoncée n’est pas au rendez-vous. Les noms
s’égrènent et l’inquiétude monte sans que je sache vraiment
pourquoi. Il reste très peu de personnes qui n’ont pas été
appelées, quand ils prononcent mon nom :
- Gabrielle de la planète « Aurore » et Faustus de la
planète « Valdenfer ». Nous, vos Vénérables Sages
avons reconnus en vous un binôme parfait. Vos dons
se complètent à merveille et vos esprits sont à
l’unisson.
Une chape de plomb s’abat sur la salle. Le pire des
tabous vient d’être prononcé. Je m’attends à une révolte
immédiate. Je l’espère même. Rien ! Je suis pétrifiée.
Comment les Sages peuvent-ils faire une telle erreur ?
Avant que j’aie pu me remettre de mes émotions,
l’Immortel glisse vers la lumière devant les Sages comme
pour prendre la parole. Mais un des Sages bondit de son
siège, main levée, et cette unique intervention parmi les
quintuplés n’en est que plus impressionnante :
- Vous êtes venus à nous pour servir contre le mal.
Nous savons ce qui convient. Qu’aucun de vous ne
se permette de discuter nos ordres !
Alors le Sage debout sur son estrade foudroie du regard
l’Immortel. Ils sont figés tous les deux et semblent se défier.
Pourtant, il ne se passe rien, hormis des picotements que je
ressens dans mes oreilles comme si l’air s’électrisait autour
d’eux…puis c’est fini. L’Immortel a reculé dans la
pénombre, tête baissée. Le Sage s’est rassit, satisfait. Le
silence autour est total. Personne n’ose prendre la parole
mais les esprits s’échauffent, indignés et haineux.
Puis les cinq Sages nous invectivent avec ardeur, dans
une même voix :
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- Vous avez tous juré de servir l’Alliance et de nous
obéir. Si d’aventure certains d’entre vous
contestaient nos ordres, qu’ils quittent
immédiatement le Deus ex Machina, ou qu’ils se
taisent à jamais…
Silence de plomb. Les Sages reprennent :
- Nos plans sont fixés. Chaque binôme va apprendre et
progresser à l’unisson. Réjouissez-vous car
ensemble, vous serez puissants. Ensemble vous avez
un rôle important à tenir au sein de ces commandos.
Ensemble vous accomplirez de grands exploits.
Ensemble vous aurez la force nécessaire pour
vaincre !
Le rituel terminé, tout le monde se disperse. Faustus sort
le dernier de cette salle. A la fois terrifiée et à la fois
curieuse de voir sa réaction, c’est à peine si j’ose me
retourner. Son imposante silhouette noire fonce droit sur
moi et vient se camper devant moi. La voix caverneuse sort
du capuchon et me fait sursauter :
- Moi Faustus, j’en sais plus que tous vos maitres. Je
ne crains aucun de vos guerriers. Je peux prendre
possession de vos esprits et dévorer vos corps.
Pourtant, j’ai renoncé à vous dominer. J’ai renoncé à
tout bien, à toute richesse, j’ai fui la compagnie des
miens pour me libérer de mes instincts destructeurs.
Et je viens vers vous, faibles Humains, malgré vos
sarcasmes, pour défendre vos misérables âmes.
Crains-moi et fuis-moi !
Et son ombre disparaît, comme une flèche.
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Pétrifiée, je reste un moment au milieu du couloir. Puis la
révolte m’envahie. Je ne veux plus voir personne et fonce
vers ma chambre en ruminant.
« Vous ne serez plus seul ; vous n’aurez plus de doute »
Quel leurre ! Non, je n’ai plus de doute ; c’est ma mort que
veulent les Sages!
On frappe. De mon lit, j’invite à entrer. La silhouette
sombre apparaît soudain dans l’encadrement de la porte. Je
me suis levée d’un bond. Nous restons à bonne distance.
Puis lentement, il s’avance. Je recule, jusqu’à ma petite table
au fond de ma chambre. Il fait signe de la tête vers la chaise.
Nous nous asseyons, face à face, sur nos gardes. Il a la tête
baissée et je ne peux même pas distinguer ses yeux sous sa
capuche. Il incline la tête avec dédain. Son ton est dur et
froid :
- Les Sages m’ordonnent d’obéir. Je suis devant toi à
leur demande. Tu peux me poser les questions que tu
veux.
D’ordinaire j’aurais plutôt tendance à provoquer
quelqu’un qui s’adresserait à moi de façon aussi pédante. A
la place, je lui sors la première chose qu’il me vient à
l’esprit :
- Ton cerveau raisonne vite ?
J’ai pensé « trop vite pour que je puisse le lire ». Il a
bondit.
- Pourquoi ?
- Je ne sais pas… je suppose qu’il va vite parce que tu
es physiquement rapide…
- Pourquoi une telle question ?
La silhouette encapuchonnée s’est redressé ; je sens qu’il
me fixe. J’essaye de toutes mes forces de déchiffrer ses
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pensées, mais rien ! Ou plutôt une sorte de froid, comme si
je touchais de la glace. Le malaise que je ressens m’a rendue
complètement muette. Le capuchon s’est penché de
nouveau :
- Ecoute-moi bien ! Je ne comprends pas pourquoi les
Sages ont décidés de nous faire travailler ensemble.
Tu dois savoir que je suis extrêmement dangereux !
- Je le sais.
- Et tu dois certainement avoir peur de moi !
- Non.
Il a sursauté.
- Je vois. Tu es une sorte de tête brûlée qui se veut
plus forte que les autres, c’est ça ? Il faut absolument
que tu me craignes.
- Pourquoi ?
- Parce que je suis un monstre inhumain de violence.
Parce que je ne sais pas jusqu’à quand je me
maitriserai… Parce que je suis un solitaire qui fui les
Humains pour éviter de les tuer. Est-ce que cela te
suffit ?
Il s’est relevé lentement, tourne le dos et s’apprête à
partir. Sa masse noire s’étend dans le petit espace de ma
chambrette. Je tends tout mon corps pour ne pas trembler, et
fais mine de rester impassible, l’esprit clos.
- Si tu n’es pas un être humain, alors je suis
championne de sumo…
A ces mots il s’est retourné et je sens, à la tension dans
l’air, que, sous sa capuche, il me fixe intensément :
- As-tu l’esprit lent ?
- Pourquoi ?
- Les Humains sont lents à la course d’habitude… Tu
pensais que c’était lié tout à l’heure pour moi…
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 134
Il hésite ; la capuche se penche sur le côté, puis :
- Sais-tu te battre ?
- Ce n’est pas ma spécialité.
- Ha, ça se voit ! Qu’as-tu fait aux Sages pour qu’ils te
punissent à ce point ?
La voix d’outre-tombe est cynique et hautaine :
- Je suis un Immortel, bien plus fort et endurant que
n’importe quel humain ici. La mission que
j’accomplirai sera à la hauteur de mes capacités. Il
me faut un pilote qui pourra tenir le choc, pas une
midinette ! Je veux un guerrier, endurant et rapide.
Regarde-toi ! Tu ne fais vraiment pas l’affaire !
- Si tu montais avec moi dans mon chasseur, tu
pourrais bien me trouver sacrément inhumaine et violente. Un « pied accroché au sol » comme toi, au
premier looping tu vomirais ton quatre heures ! C’est
toi qui ne feras jamais l’affaire !
C’est alors qu’une violence extrême s’abat sur moi : des
objets volent et sifflent dans l’air à toute vitesse, me prenant
pour cible. Il attrape tout ce qu’il trouve à sa portée de main,
chaussure, sac, chaise et je ne sais trop comment je réussi à
les éviter, tant ses gestes sont vifs et ses intentions
meurtrières. Au bout d’un moment, il se trouve à cours de
munitions et se fige. Je suis recroquevillée contre un angle
du mur, au milieu de ce désordre, tremblante et soufflante.
Puis, la voix vibrante, il murmure :
- Pas blessée.
Question, constat, regret ; je ne sais pas. Il va partir. Je
me relève crânement et lui lance en colère :
- Non, tu m’as ratée.
Son bras levé vers la poignée de ma porte s’est figé, en
l’air. J’ai arrêté de respirer, mon regard accroché à ce bras
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 135
levé. Le capuchon se retourne très lentement. Je frissonne.
Sa voix d’outre-tombe est presque inaudible, caverneuse,
vibrante de rage de nouveau :
- Peut-être que de cette façon, je ne te raterais pas …
Et il se campe devant moi, jambes et bras écartés dans
une posture d’engagement de combat. Alors une main sort
de la cape et me fait signe d’avancer. Mes yeux restent
accrochés à cette main large, puissante, de celles qui ont
l’habitude de couper du bois ou frapper des poings sans
effort. Face à lui, mon passé d’entrainement militaire pèse
bien peu. Je gagnais mes bagarres parce que je savais lire
dans les pensées de l’adversaire, j’anticipais les coups et
j’étais la plus rapide. Mais l’Immortel est bien plus fort que
tout ce contre quoi j’ai pu me battre, il est rapide, et son
esprit est totalement imperméable. Cette fois, je suis piégée.
Puis tout va trop vite : je me sens soulevée, choquée,
projetée au sol. Et avant que j’aie pu réaliser ce qui se
passait, je me retrouve à terre. Le trou noir de son capuchon
est penché au-dessus de moi, menaçant, son poing crispé au-
dessus de ma figure, et sa voix explose :
- Tu voulais une leçon ! La voici : ne provoque pas
plus fort que toi, folle que tu es. Tu as le don de me
faire sortir de mes gonds et cela pourrait te coûter
cher…
Instinctivement j’ai fermé les yeux, attendant le coup.
Puis je les ouvre : il a disparu.
L’entrainement a déjà commencé lorsque j’arrive. Clar et
Freyj sont là, ainsi que Rog qui a rejoint notre groupe pour
être avec son équipière. Ruddy, un large sourire aux lèvres
en profite pour m’invectiver :
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- En retard P’tits bras ! Tu veux me donner des
prétextes pour t’envoyer encore au labyrinthe ? A
moins que tu préfères les pompes ? Entrainement de
boxe en binôme aujourd’hui. Je vais bien m’occuper
de toi, tu vas voir.
Et dans son esprit s’animent des intentions malsaines. Il
fait un pas vers moi. Rog s’interpose et s’approche de moi,
presque jusqu’au contact, comme il a l’habitude de le faire
avec ses amis.
- Je me porte volontaire pour faire équipe avec elle.
- Regardez tous. Voici un exemple parfait de ce qu’il
ne faut pas faire : choisir un partenaire d’entrainement très mauvais au risque de régresser.
Hé, P’tits bras, te rends-tu compte qu’il te reste un
ami, et tu vas être responsable de sa perte !
Ruddy s’est détourné et a repris ses démonstrations. Rog
s’est penché pour me murmurer :
- Tu as l’air toute pâle, Gabrielle. Un problème ?
- Non, non, je suis en pleine forme. Juste besoin d’un
bon entrainement…
Ce qui suit est sans parole. Je le regarde du coin de l’œil,
essayant tant bien que mal d’imiter ses mouvements, mon
attention à son maximum. Il est souple, puissant, et je ne le
bat que dans l’esquive. Rog et Clar me montrent leurs
« bottes secrètes » et je crois bien qu’ils seraient capables
d’abattre un ours de cette façon.
Puis le parcours du combattant nous sépare à nouveau.
Ce n’est qu’à la pause déjeuner que nous avons l’occasion
de vraiment discuter des événements de la matinée. Rog est
de mauvaise humeur :
- Décidément, je ne comprends rien aux choix des
Vénérables ; Ils ont mis Freyj avec ce petit
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blondinet, celui qui est venu faire la fête avec nous
hier soir…
- Luc ! Il est habité par les anges !
- Dis-donc Gabrielle, tu as l’air sacrément
enthousiaste !
- Quand tu le connaitras mieux tu penseras la même
chose que moi : il pilote comme s’il été né aux cieux
et aucun mal ne semble pouvoir l’atteindre.
Freyj intervient :
- Il est sympa mais ce n’est pas la question ; je ne me
sens aucun point commun avec lui. Difficile d’être
plus différents…
Soudain, l’Immortel apparait et le silence tombe net. Il
avance sa silhouette noire, totalement camouflée par cette
espèce de cape à capuchon. Il semble glisser sur le sol tel un
félin plutôt que marcher, ce qui lui donne une majesté
impressionnante. Mes camarades se taisent tout à coup et me
regardent. Ils n’osent pas me poser de question. Emmanuelle
s’est installée à la table juste derrière Rog. Un bref instant
leurs regards se sont croisés, comme un signal. Puis Rog se
penche vers moi en chuchotant, le ton inquiet :
- Il t’a parlé ?
- Oui, on s’est raconté quelques blagues et on a
beaucoup rit…
- C’est vrai… ?
- Idiot ! Bien sûr que non. Il est glacial et prétentieux.
Il ne veut de personne. Il m’a conseillée de le
craindre et de le fuir.
- Une vraie histoire d’amour. J’espère que tu ne lui
cherches pas des poux. Gare à toi si tu le provoquais,
il pourrait t’attaquer !
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S’il savait. Clar enchaîne, m’évitant une réponse
gênante :
- Moi je serais morte de peur à ta place !
L’Immortel s’est avancé jusqu’à la même place isolée
que le premier jour. Le silence se fait pesant. Les regards
sont braqués sur lui. Puis, de nouveau, les tables autour de
lui se vident. La bande d’Anton s’est regroupée, formant
une sorte de bulle de pensées violentes à son encontre. Ils
viennent de se lever pour l’invectiver, et avant qu’ils aient
pris la parole, je me lève brusquement pour leur faire face :
- Il est de notre côté. S’il avait voulu vous faire du
mal, il l’aurait déjà fait. Laissez-le…
La surprise est sur tous les visages. Alors, debout au
milieu de leurs regards désapprobateurs, je réalise combien
mon geste est lourd de tabous. Leurs yeux se sont
écarquillés, plein de dégout, leur tête pleine d’accusations.
Anton sort de leur groupe et vient se camper devant moi.
Ses yeux d’eau dure me fixent longuement. Sa main gauche
a glissé vers le couteau qu’il a à sa ceinture, lentement :
- C’est un paria Gabrielle. Tu connais la loi…Veux-tu
être une paria comme lui ?
Des relents d’embruns me parviennent, et des flashs de sa
vie sur Trisquelle : son bateau maison ; sa vie en solitaire
sur la mer infinie à pêcher et troquer avec les rares
navigateurs qu’il croise. Il n’aime pas le monde, les
étrangers ; il étouffe ici dans la promiscuité de ce vaisseau
clos, sec et sans vent. Il est sur les nerfs.
C’est Rog qui brise le silence et vient s’interposer entre
nous deux :
- Garde ton couteau pour les Mercenaires. Nous
sommes frères d’armes, Anton.
- Non pas avec celle-là ! Elle défend le monstre.
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- Tu as raison, moi aussi il me fout les jetons. Et je
vais te dire un truc : je vais tout faire pour l’éviter.
Tu vois, il est tout au fond dans un recoin de cette
salle. Et moi, je vais fissa m’installer à l’autre bout.
Il se tourne vers ses camarades de Cristal et moi :
- Vous venez vous autres ? Anton, si tu veux rester
seul près de lui, je te souhaite bon courage.
Puis il me prend par l’épaule pour nous éloigner. Il se
penche à mon oreille, tout en marchant :
- Si je compte bien, avec Ruddy et le Sage, Anton est
le troisième que tu te mets à dos en peu de jours.
- Quatre avec l’Immortel, et lui ne s’est pas gêné pour m’envoyer à terre…
- Tss,Tss… Je vois pourquoi tu as besoin d’un bon
entrainement !
Il a fait non de la tête en signe de désapprobation, mais la
malice brille dans son regard.
Un instant je me suis retournée vers l’immortel. Il baisse
puis relève la tête lentement dans ma direction, comme pour
me remercier.
Le silence est heureusement interrompu par Freyj qui
appelle un nouvel arrivé dans la pièce :
- Tiens, Luc, tu veux te joindre à nous ?
- Oui, volontiers. Il y a des têtes que je connais par ici.
Salut tout le monde. Hé, Gabrielle. J’ai appris pour
toi et l’Immortel…A-t-il été correct avec toi ?
- Disons que je suis toujours vivante…
Luc se tourne vers Freyj et je réalise pour la première fois
que les âmes ont un rythme, et que la leur bat à l’unisson. Ils
ne se connaissent pas et tout dans leur apparence semble les
éloigner : elle, géante toute en muscles, championne de
triathlon, et lui svelte et pas très grand. Pourtant, il y a cette
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pulsation si discrète mais bien présente ; et cette
insouciance, cette façon d’être un peu déconnectée de la
réalité, le regard qui rêve... D’instinct, Clar l’a ressenti elle
aussi, et elle s’est rendu compte du trouble que cela me
procure :
- Que vas-tu faire Gabrielle avec…comment dire…ce
monstre…
- Que veux-tu que je fasse : rien. Absolument rien !
- Bon, ok, maintenant chacun connait son « double ».
Mais ça ne nous dit pas ce qu’on va faire ensemble,
ni contre qui on va se battre. Une bataille de ce type
nécessite de nombreux renseignements sur l’ennemi
pour pouvoir aboutir. Il faut des stratèges, des
espions, des experts en vaisseau spatial…J’espère
qu’eux au moins savent.
- Détrompe-toi, Rog. Les chasseurs Mercenaire sont
totalement inconnus : forme, propulseurs, finesse,
puissance…rien. Nada. Nothing ! Les pilotes vont
partir au combat sans aucune information, dans
l’improvisation totale.
- Sans blagues ! ils sont fou ces…
Projetée dans mes souvenirs de mécanicienne, je revois
mes machines. Je les connaissais jusqu’au moindre boulon.
Je savais les capacités et les limites de chacune d’entre elles
sur le bout des doigts…mais tout à coup une présence
m’arrache à mes rêveries. Je sens un regard peser sur moi
depuis l’autre bout de la salle ou plutôt une ombre :
l’Immortel.
Il a disparu après le repas, et je continue ma journée sans
changer une seule virgule à mon emploi du temps, essuyant
les rabaissements de Ruddy et ses punitions. En soirée, nous
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sommes convoqués dans l’auditorium pour un nouveau
rituel orchestré par les Sages : la confirmation des binômes.
Près de moi, Tom a posé son coude sur l’épaule de son
ami Jarl. Clar et Rog ont une attitude en parfaite osmose.
Freyj, maternelle et protectrice, a sa main sur le bras de Luc.
Tous sont par deux à très faible distance l’un de l’autre, en
harmonie.
Le silence règne dans l’auditorium. Même les pensées
sont calmes et sereines. Les doutes des précédents jours sont
à cet instant complètement occultés par l’entente cordiale et
la plénitude qui s’installe en chaque doublon.
L’Immortel est à cinq mètres de moi au moins, dans le
coin le plus sombre de la pièce, les bras croisés comme une
barrière de plus entre nous. Sa capuche baissée ne regarde
personne et rien ne transparait de son esprit indéchiffrable.
Seule sa silhouette impressionnante semble vouloir ajouter
encore des distances. Je reste seule, les bras ballants, le
poids de mes doutes sur l’estomac.
Les Sages expliquent. Le rituel de consentement mutuel
consiste en deux phrases prononcées ensemble, main sur
l’épaule de son coéquipier. Dans la salle, une sorte de ballet
se met en place. Chacun se tourne vers son équipier, dans un
élan fraternel.
Il est resté dans l’ombre ; je n’ai pas bougé, le regard vers
le sol.
Alors, une invocation résonne en écho dans toute la salle
:
- Je reconnais en toi mon frère d’armes : je t’offre
mon bras et ma protection et suis honoré de recevoir
les tiens. Je suis ton double et tu es le mien.
Il a gardé le silence ; moi aussi.
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Les Sages ont balayé la salle du regard, hochant la tête en
guise d’approbation. Puis leurs yeux se posent sur moi, leur
tête se fige dans une expression de blâme. Et ils me
regardent sortir de la salle avec froideur.
J’ère ensuite dans les couloirs, les mains enfoncées dans
mes poches, les yeux sur mes chaussures, évitant tous ceux
qui marchent par deux.
Devant les écrans affichant la progression de l’ennemi,
les élus s’arrêtent maintenant par binômes. Le Drakkar Noir
et son équipage ne sont pas encore visibles dans l’espace
étoilé. Leur trajectoire est matérialisée par des points rouges
surplombés de flèches : une épaisse pour le vaisseau
principal, des dizaines pour le reste de l’armada ; des flèches
qui pointent vers nous depuis le haut du mur, comme des
épées de Damoclès au-dessus de nos têtes. Et tout autour,
des nuages de points symbolisent leurs chasseurs et leurs
transporteurs bourrés de Mercenaires. Une voix dans mon
dos se fait l’écho de mes interrogations :
- Moi, je crois que chaque binôme se verra affectée à
un vaisseau à infiltrer et saboter. Lequel choisirais-
tu, Jarl ?
Je me retourne ; Tom est près de moi, Jarl à ses côtés.
- Je ne suis pas pilote de chasse, je leur laisse les
chasseurs ennemis et les transporteurs. Il y a là de
nombreux vaisseaux de bases. Regarde, Jarl. Ça doit
être les grosses flèches qui entourent le Drakkar
Noir. Ils sont sûrement chargés jusqu’à la gueule
d’armes, de munitions et de vivre. Ça te dirait si on
s’en faisait un ?
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- Pas le genre de morceau facile. Cette horde de
sauvages ne nous laissera pas les saborder sans lever
le petit doigt. Il va y avoir du sang…Hum, ça me
plait.
- Et si c’était le Drakkar Noir qu’on attaquait ?
- Toi, tu as envie de rencontrer Arius…Vieux fou, va !
Non, ils n’enverront personne sur le Drakkar Noir.
Ce serait « mission impossible ».
Et il lui donne un grand coup de coude dans le ventre, ce
qui les fait rire tous les deux comme deux chiots.
- Et toi Gabrielle, fais ton choix !
- Seule, je n’arriverai à rien…
Alors ils haussent les épaules et s’en vont.
L’affichage n’a guère changé depuis le premier jour de
l’embarquement, la progression de l’ennemi n’étant pas
flagrante à cette distance. Et toujours pas la moindre image
ou information concernant les appareils ennemis. Ce qui a
changé, c’est le regard des autres sur cet écran, un regard à
deux, avec plus d’assurance et une envie plus structurée de
détruire l’ennemi. Oui, je me rends compte à quel point
l’idée des Sages était bonne de nous regrouper tous par
deux…tous sauf moi.
J’ai envie de fuir les autres, et m’engouffre dans les
coursives les moins fréquentées jusqu’à ma chambre. Peu à
peu les échos de voix s’estompent, mes pas sont maintenant
les seuls à résonner sur le métal du sol. Seul bat, plus
présent ici, le cœur de fer du vaisseau, dans un rythme
lancinant et sourd. J’ai totalement clos mon esprit, perdue
dans mes pensées. Je suis en bas des marches de mon
escalier lorsqu’une voix derrière moi me fait sursauter :
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- Tu suis toujours mes entraînements, P’tits bras! Ton
« double » ne t’apprend donc rien ? Ah, le duo que
vous faites ensemble ! Je crois que je sais maintenant
à quoi peut bien servir un petit agneau dans ton
genre : à servir de plat de résistance au monstre bien
sûr ! Tu dois être morte de peur ! Tu sais, ça me
ferait de la peine qu’il te fasse du mal. Si tu veux, je
pourrais te donner des cours particuliers de self
défense ? Allez, viens, je t’emmène essayer…
Ruddy est là, le sourire ironique, la démarche arrogante.
Dans son regard brille une étrange lueur, comme si plusieurs
paires d’yeux m’observaient. D’un bond il me barre la porte
de ma chambre :
- Non, je peux faire encore mieux que de te donner
des cours. Si tu restes avec moi, je peux te proposer
ma protection…Tu seras gentille…et en échange il
ne t’arrivera jamais rien de mal…Tu as ma parole !
Tout en parlant, il s’est approché de moi petit à petit. Il
commence à me caresser le bras. Apeurée, j’ai reculé dans
mon étroit couloir en cul-de-sac, consciente de l’inutilité de
ce geste. Je sonde son esprit pour y chercher une solution. Et
je découvre avec effroi ses intentions : soumission, violence,
et sexe se mêlent et lui procure une vive excitation. Mon
rythme cardiaque s’accélère et l’adrénaline file dans mes
veines. J’essaie d’identifier très vite mes échappatoires. Me
battre contre lui : même avec les enchainements appris à la
boxe, mes attaques manqueraient de puissance, je ne ferais
pas le poids ! Quand à imaginer le déstabiliser pour fuir,
autant essayer de déplacer un Migaster avec un doigt ! La
porte numéro un de mon voisin mystérieux est dans mon
dos. Je m’y précipite croyant y trouver refuge. Elle est
fermée à clé. Il s’est rapproché lentement, savourant déjà sa
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 145
victoire. Dans ses yeux, une ombre passe. Ma peur monte
d’un cran. Excité par ma panique, il me plaque tout à coup
contre le mur et me gifle violement. Je me débats. Ses bras
enserrent ma taille, et il plante ses ongles dans ma chair…
Puis soudain, une voix caverneuse gronde derrière Ruddy et
nous fait sursauter :
- Ote tes mains de là et va-t’en !
Ruddy se retourne brusquement et se fige, interloqué, se
demandant s’il serait de taille à affronter l’Immortel. Dans
son esprit, il fait ses calculs et renonce. L’immortel s’écarte
pour lui laisser un chemin, et Ruddy ne demande pas son
reste. En partant il se retourne soudain et me lance avec un
air fourbe :
- Choisis bien ton protecteur, P’tits bras. Les
Immortels ne sont pas réputés pour leur douceur…Si
tu changeais d’avis, tu sais où me trouver…
Encore collée au mur et tremblante, je relève les yeux
vers l’Immortel, pas très rassurée :
- Merci…
- Ne me remercie pas. Après ton intervention au mess,
j’avais hâte de ne plus rien te devoir !
Et il s’éclipse aussi vite qu’il était apparu.
Jour J -12 avant l’affrontement.
Il fait nuit. On frappe à la porte de ma chambre. J’ai du
mal à m’extirper de mon lit, les paupières encore lourdes de
sommeil, les cheveux en bataille. J’ai mis une veste sur ma
chemise de nuit. J’entrouvre la porte. Une espèce de masse
noire encapuchonnée me pousse et entre : c’est l’Immortel.
Comment ose-t-il venir ici ? Et à cette heure ?
- Savais-tu que les Humains dorment la nuit ?
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- J’ai parlé aux Sages. Mais ils ne veulent rien
entendre…
Il est furieux.
- Tu vas leur faire tes requêtes tous les jours ? Si tu
t’adresses à eux de la même façon qu’à moi, ce n’est
pas étonnant qu’ils ne veuillent pas t’écouter.
Il exulte :
- Cesse tes provocations ! Elles me donnent des envies
de meurtre ! Les Sages sont de vieux gâteux têtus !
Je suis allé leur demander de rompre notre binôme.
Et ils ont refusé ! Je suis venu apporter mon aide sur
ce vaisseau ; je n’ai pas l’âme d’un ange gardien. Tu
ne sais rien faire, je me suis renseignée sur toi. Onze
pour cent ! Il reste une solution : démissionne !
- Quoi ! C’est hors de question ! Mais comment oses-
tu venir me dire ça. Et sur ce ton ! Pas étonnant que
les Sages m’aient attribué un « onze pour cent » avec
un tel binôme ! Ne compte pas sur moi pour
abandonner !
- Au moins tu sauveras ta peau !
- S’il y a un mot qu’il ne faut pas prononcer devant
moi c’est bien « démission ». Tu n’es pas le premier
obstacle sur ma route, et je n’ai jamais renoncé à
aucun de mes plans. Trouve une autre solution ! Et
s’il te plait, joue ton personnage d’opéra à d’autres.
Ta voix d’outre-tombe et ton déguisement de
pénitent ne m’impressionnent pas !
Il siffle entre ses dents. Il n’a presque pas ouvert la
bouche pour me dire :
- Tu ne sais pas à qui tu t’adresses !
- Toi non plus !
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Il a reculé au fond de ma chambre ; glissé, je devrais dire
plutôt. Je m’attends à un déchainement de violence et
d’objets qui volent comme la dernière fois. Mais il se passe
un moment sans qu’un bruit ou un mouvement ne s’opère. Il
semble en proie à une lutte intérieure : l’air autour de lui est
comme électrisé par sa colère. Prise d’un frisson, je serre
plus fort les pans de ma veste contre moi et lui montre la
porte du doigt dans un geste déterminé, espérant qu’il saura
encore contenir sa furie. Mais il ne se passe rien.
Longtemps. Puis il semble s’être calmé et avoir pris une
décision :
- Les Sages ne nous ont pas laissé le choix. On va
devoir travailler ensemble. Tu ne sais pas te battre, et
il y a certaines choses que tu dois apprendre…
- Et c’est toi qui va m’entrainer ?
- Ce sont les ordres…Prépare-toi. Tout de suite.
Il sort. Je m’habille en vitesse, ma curiosité piquée au vif.
L’Immortel est très fort. Peut-être saura-t-il m’apprendre ce
que je n’arrive pas à faire avec Ruddy.
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 148
CHAPITRE 13 L’ampoule
Je déchante vite…L’entraînement n’a rien qui m’aide à
devenir une guerrière. Il s’agit de manipulation de petits
objets nécessitant beaucoup d’habileté et de rapidité dans les
doigts. Ma déception n’a d’égal que ma stupéfaction face à
des gestes aussi inutiles en pleine guerre ! J’ai l’impression
d’être au cirque ! Pourtant, ces exercices semblent capitaux
pour lui. Il est exigeant avec moi, dans les moindres détails
et ne me laisse aucun répit. Il reste à une bonne distance de
moi, toujours encapuchonné, la voix froide et tranchante. Je
m’abstiens de toute provocation, espérant passer rapidement
à un entrainement plus classique. Mais ma patience
s’émiette :
- Ecoute, je ne comprends pas à quoi peuvent bien me
servir ces mouvements.
- Contente-toi de faire ce que je te montre, et dis-toi
que c’est vital pour toi.
J’essaye de toutes mes forces de garder mon calme
malgré la stupidité de la situation :
- Il faut que je sache où tu veux en venir pour que ce
soit efficace.
- Tais-toi ! Je te donne jusqu’à demain pour enchainer
ces mouvements parfaitement. Si tu n’y arrives pas,
je me débrouillerais pour que tu ne fasses plus partie
du Deus ex Machina…Je ne vais pas perdre mon
temps avec une incapable…
Mon exaspération est à son comble. J’exulte :
- Je risque ma peau dans ce combat et je n’ai pas de
temps à perdre à apprendre des tours de passe-passe.
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 149
En quoi ces démonstrations d’illusionniste
pourraient-elles décider de mes aptitudes à rester à
bord du Deus ex Machina ? J’espère que tu as des
moyens de pression sur les Sages autrement plus
efficaces pour me faire renvoyer !
Cette fois, c’en est trop. Je m’apprête à partir quand sa
voix gronde derrière moi :
- Sur eux non, mais sur toi…
Monte alors de sa poitrine une sorte de râle animal à la
limite de l’audible, qui me donne des frissons. Puis un
énorme cri de fauve, qui me fait sauter d’un bond en arrière.
Il s’avance sur moi et sa masse sombre imposante me fait
reculer encore. Sa voix est maintenant caverneuse, presque
irréelle :
- N’oublie pas qui je suis, Gabrielle d’ « Aurore ». A
chaque instant, je lutte contre mes instincts violents
pour que tu restes vivante. Et je ne suis pas certain
de pouvoir résister encore longtemps…
Et j’accède enfin à son esprit. Des images
cauchemardesques se projettent : une forêt sombre. Une
chasse à l’Homme : je suis la proie. Je cours à perdre
haleine. Des images floues d’arbres noirs défilent à toute
allure, m’obligeant à changer constamment de direction.
Des racines noueuses qui me font obstacle. Des ombres
derrière moi…de plus en plus près. J’ai beau y mettre toutes
mes forces, mes jambes se dérobent. Comme dans un
cauchemar, mes pas ralentissent malgré moi. « Ça »
approche à toute vitesse. Soudain, une main accroche mon
épaule et me retourne violement ; Je crie. Des mâchoires se
jettent sur moi, crocs en avant ; je me débats, des mains
m’enserrent inexorablement. Les crocs s’abattent sur moi à
toute vitesse, déchirent ma chair. J’hurle d’effroi et de
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 150
douleur. Les mouvements s’accélèrent. Tout devient flou.
Du sang partout…du rouge sombre, presque noir…puis plus
rien.
Instinctivement, j’ai mis mes mains sur mes yeux pour
éviter ces images d’horreur, sans pouvoir simplement arrêter
de lire dans son cerveau, comme si ces visions m’étaient
imposées. J’ai dû m’appuyer sur le mur sans m’en rendre
compte, je tiens à peine sur mes jambes; et mon cœur bat à
cent à l’heure.
- Si tu veux rester en vie, tu as deux possibilités : on
s’entraîne ensemble et tu es capable de faire ce que
je t’ai montré, ou bien tu démissionnes. Décide-toi !
J’ai enfin réussi à refermer mon esprit. Mes jambes
tremblent. J’attends que mon cœur se calme un peu pour
enlever mes mains de mes yeux. Les murs de tôle me
renvoient une lumière froide qui fait plisser mes yeux.
Quand je reprends mes esprits, il n’est plus dans la pièce.
Je viens juste de mettre un pied dans ma chambre quand
les lumières s’éteignent pour l’extinction des feux. Je réalise
alors que nous avons passé la journée entière à cet
entrainement. Je m’effondre de fatigue et m’endors aussitôt.
Mon sommeil se rempli instantanément de sombres
cauchemars noir et sang…La cape sombre et son « I »
grandit jusqu’à envahir mon champ de vision. Et tout à
coup, elle se retourne : de ses plis sinueux bondit un loup-
garou…
Jour J-11 avant l’affrontement.
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 151
Je rejoins le mess tôt ce matin. Ma bande de camarades
est déjà là, toujours au même endroit ; même Emmanuelle
est à sa place habituelle, à la table d’à côté, dos à Rog. Mais
leurs visages sont tendu et leurs yeux cernés. Ont-ils du mal
à s’endormir eux aussi, en comptant leur chance de survie ?
- Qu’est-ce qui s’est passé ? On ne t’a pas vue de la
journée ! Tu n’es même pas allée voler !
- On a eu peur qu’il te soit arrivé quelque chose !
Je feins la désinvolture :
- Je m’entrainais.
- Avec lui !…
- Oui.
- …il ne t’a pas mangée…
- Pas encore. Tu sais, je ne suis pas très appétissante…
- Gabrielle, il ne faut pas plaisanter avec eux. Vous
vous entrainez à vous battre ? Est-ce qu’il…te fait
mal ?
- Non. Non…Tout va bien. Il ne me touche pas,
rassure-toi. Ce serait illégal !
- C’est déjà illégal que les Sages exigent de vous ce
rapprochement ! Mais, explique-moi un peu dans
quelle technique de combat on ne touche pas
l’adversaire ?
Comment se sortir de cette impasse ? Ce que j’ai fait hier
est impossible à raconter sans déclencher des fou-rires. Et
rien de ce qui s’est passé ne m’a donné envie de rire.
- Ben, je ne sais pas si sa technique a un nom. C’est un
peu spécial. Une sorte de technique de concentration,
…de yoga, je dirais…
- Ah oui ? Et c’est le yoga qui t’a épuisée à ce point ?
Tu as sacrément les traits tirés !
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 152
- Ecoute ce n’est pas facile. Et je ne sais pas où tout ça
va m’amener…
- Ben voyons ! Tiens, ton « double » vient d’arriver. Il
ne se joint pas à nous ?
- Il se doute que cela ne ferait plaisir à aucun d’entre
vous. Est-ce que je vous demande pourquoi
Emmanuelle ne se joint pas à nous ?
Clar a blêmi, au bord de la crise de jalousie. Rog a serré
les poings, honteux et tiraillé, et juste derrière eux j’ai senti
Emmanuelle rougir, confuse et triste. Pourtant aucun d’entre
eux n’a répondu.
- Vous me fatiguez !
Sur ce, je me lève et m’installe seule un peu plus loin, le
nez plongé profondément dans mon assiette. Malgré moi, je
les entends :
- Il commence à avoir une influence sur elle !
- J’espère bien que non !
- Regarde la réalité en face : elle ne dit plus qu’elle ne
veut pas être son binôme ; elle a commencé à
prendre son parti ; et elle vient maintenant d’accepter
de s’entrainer avec lui !
- Tu crois qu’elle est en danger ?
- A ton avis ? Tu crois qu’on peut « s’entrainer » à se
battre avec un Immortel ? Je sens que cette affaire va
mal tourner…
- De toute façon, ils ne pourront jamais être vraiment
un binôme parfait. Tu te vois faire confiance à un tel
énergumène? Alors établir un lien fort, d’osmose, ça
ne risque pas ! S’ils devaient partir en mission
ensemble, ce serait une catastrophe !
- Je suis certaine qu’elle est en danger. C’est une
provocatrice née, incapable de se retenir. Et lui une
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bombe à retardement. Un seul mot de travers et il
pourrait rentrer dans une de ces crises de violence
qui la tuerait !
Quelqu’un m’observe. Je relève les yeux. La tête
encapuchonnée est tournée vers moi. Il me fait signe de
le suivre. Lorsqu’il traverse la salle, sa silhouette noire
déplace comme un vent froid dans les esprits ; le « I »
rouge de sa cape s’est soulevé lorsqu’il a fait demi-tour.
Il est déjà dans la salle de sport lorsque j’arrive. Mais
cette fois, il a choisi une salle plus grande, avec du monde
autour de nous. Le message est clair, il ne veut pas me
mettre en danger mais je ne comprends pas pourquoi il
insiste tant à m’apprendre son drôle de jeu ! Il se tient
toujours loin de moi, sans rien me dire et nous
recommençons les mêmes gestes qu’hier. Inlassablement.
De plus en plus vite. Je suis rapide pour une Humaine. De
façon presque anormale. Pourtant cela ne semble pas lui
suffire. Par moment, il corrige mes mouvements, me fait
accélérer encore. Pour donner le change devant les autres,
nous effectuons aussi quelques mouvements de yoga, dans
lesquels les mains sont prépondérantes.
- Tu voulais que je démissionne hier, et aujourd’hui tu
veux qu’on s’entraine ensemble. Tu as l’habitude de
changer aussi souvent d’avis ?
- Je n’ai pas changé d’avis. Tu as décidé de me suivre.
Mais n’oublie pas ! Si tu n’arrives pas à ce que je
veux d’ici à ce soir, il faudra absolument que tu
partes. Je saurais t’en persuader…Maintenant, tais-
toi et bosse.
Et il s’écarte un peu plus de moi.
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 154
Lorsque la salle se vide pour la pause repas, il me fait
signe de partir rejoindre les autres. Puis tout recommence :
l’étrange ballet toujours plus rapide, sa froideur et sa
distance, les précautions qu’il prend pour que nous ne
soyons jamais seuls. Je m’applique, m’épuise. Jusque tard
dans la soirée. Petit à petit la salle commence tout de même
à se vider. Et lorsque la dernière personne s’en va. Il
s’arrête, face à moi. Je devine qu’il me regarde par-dessous
sa capuche.
Le défi qu’il m’a lancé prend fin maintenant. Est-il
satisfait ? Vais-je pouvoir lui résister s’il me menace ? Je
reste moi aussi campée sur mes jambes, prête à un éventuel
affrontement. Puis du capuchon sort un :
- Bonsoir.
Et il sort.
Je n’y comprends rien. Quelques instants plus tard, on
vient me chercher : les Sages m’attendent dans leur salle
d’audience.
- Gabrielle d’Aurore, votre double a voulu vous
enseigner un mouvement de défense très particulier.
Nous avons donné notre accord.
Ainsi les Sages savaient et approuvaient…Qu’est-ce que
L’Immortel a tramé derrière mon dos ?
- Il vient de nous informer que vous êtes prête. Nous
allons vous expliquer à quoi servent ces gestes.
Et ils me tendent un petit objet long en verre, une sorte
d’aiguille avec un renflement au centre contenant un liquide
transparent.
- Cette ampoule contient un puissant narcotique. Cette
dose est calibrée pour neutraliser un Immortel en cas
d’attaque. Bien entendu, il est impératif qu’elle ne
soit utilisée QUE pour un Immortel. Une telle dose
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 155
tuerait un Humain à coup sûr. Vos ordres sont de la
conserver toujours sur vous à portée de main. En cas
de danger, les gestes que vous avez pratiqués vous
permettront de planter rapidement cette ampoule
dans le corps de l’Immortel qui vous aura agressé.
Elle ne se cassera qu’avec les gestes qui vous ont été
montrés. L’habilité de vos gestes vous permettra de
surprendre votre adversaire et de faire mouche.
- Vais-je devoir me battre contre des Immortels ?
Un des Sages tente d’étouffer un rire cynique :
- Le seul Immortel que vous côtoierez est Faustus.
C’est lui qui a souhaité vous armer de cette ampoule
pour vous protéger de lui.
Je suis sous le choc de cette révélation.
- Je vous conseille néanmoins de faire en sorte de ne
jamais le provoquer. Rappelez-vous que votre
serment ne peut être rompu. Tels sont nos ordres. A
vous de faire le nécessaire pour vous entendre. Vous
n’avez pas le choix... Vous pouvez disposer.
Ce soir-là encore, je n’arrive pas à m’endormir. Bien des
« pourquoi » tournent en boucle dans mon esprit.
Un peu sonnée, un peu rêveuse, je pars errer à travers les
couloirs du vaisseau, à la recherche du sommeil que je
n’arrive pas à trouver. Sans m’en rendre compte, mes pas
m’emportent vers du bruit et de la musique. On s’amuse et
on danse par ici, sans doute pour chasser le stress de la
journée. Tout à coup, Je suis tirée par derrière. Ruddy
m’attrape violemment !
- Alors, P’tits bras, on se ballade sans son double ?
C’est dangereux pour une jeune fille sans défense
comme toi. Tu n’as pas peur de faire de mauvaises
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 156
rencontres ? A moins, que tu aies changé d’avis et
que tu quémandes mon aide ?
Dans ses yeux une ombre passe. Je commence
sérieusement à être intriguée par cette manifestation. Mais je
n’ai pas le temps de sonder son esprit que sa bande arrive
derrière lui. Je siffle entre mes dents :
- Ruddy, nous n’allons pas pouvoir rester seuls
longtemps. Regarde qui va là…Lâche mon bras
espèce de fumier !
Sa rage est montée d’un cran. Il est embarrassé devant les
siens. Mais au lieu de me laisser, il se met à parler fort en
me collant ma main sur le front :
- Tu vas me saluer, espèce de tête de mule ! Allez !
Et tout doucement pour que les autres n’entendent pas :
- Tu viendras à moi, P’tits bras. Tu ne pourras pas le
supporter longtemps. Alors tu auras besoin de ma
protection…
- Arrête de la secouer comme ça, Ruddy. Pas la peine
d’y passer tes nerfs. Tu n’as qu’à l’envoyer au
labyrinthe.
- Ca fait déjà deux fois qu’elle y va Rocky ! Et
regarde-moi cette entêtée !
- T’inquiète, elle finira par lâcher prise. Y en a jamais
aucune qui t’a résistée, n’est-ce
pas Gabrielle!…allez, laisse-là…
- P’tits bras : trente minutes demain…
J’ai envie de l’étrangler, mais je garde le sourire qui
l’agace tant et plonge mes yeux dans les siens :
- Tu n’as pas peur que je m’habitue, Ruddy ?
Son regard a tourné au vert. Qu’est-ce que c’est que cette
ombre ? Pas le temps d’en savoir plus ; ses acolytes
l’attrapent par le bras pour éviter qu’il me réduise en
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 157
bouillie et l’entrainent plus loin. Je crois que j’énerve bien
Gonflette : son esprit était en fusion ! Nous verrons bien qui
des deux lâche prise le premier…
Je viens juste de tourner dans le couloir, qu’une main à
nouveau agrippe mon bras. Je sursaute : Luc !
- Eh, Gabrielle ! Tu as une tête à avoir besoin de te
distraire. Un zombie a le teint plus frais. Allez !
Viens t’amuser avec nous. Tu nous raconteras ce que
tu as bien pu faire de plus important que
l’entrainement avec l’escadron ! Délanaux était en
rage après nos Vénérables Sages, tu sais !
- Les Sages ? Comment ça ?
- Oui, quand hier ils lui ont fait annoncer qu’ils te
retenaient pour un autre entrainement et que tu ne
pourrais pas te joindre à l’escadron ces deux jours; il
s’est mis à crier aux fous, en déclarant qu’il ne lui
était pas possible de mener à bien sa mission dans de
telles conditions et qu’on ne pouvait pas décider à la
dernière minute d’un tel changement dans
l’équipe…Bref il s’est défoulé. Et quand il a eu fini,
il a nommé Stephen pour voler à ta place !
L’escadron. J’ai oublié l’escadron et l’entrainement en
vol. Et tous les pilotes. Deux jours pratiquement en vase
clos avec l’Immortel m’ont fait oublier ce qui fait l’essentiel
de ma vie. Et les Sages ont couvert mes absences ! Tout à
coup je me vois dans les yeux de Luc : une folle
complètement déphasée. Il me tapote le dos gentiment :
- Allez, je t’emmène !
Je le suis sans rien dire, et m’enfonce un peu plus vers le
bruit.
- Regardez qui je vous amène…
Rog est enthousiaste :
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 158
- Une revenante ! Regarde, Gabrielle, ce qu’on a fait
de cette salle ! C’est fête ce soir. Des potes de
Zouloudou nous font un concert ! On a trouvé
quelques boissons pour improviser un bar. Et il y a
de belles filles partout. Reste plus que la déco qui
laisse à désirer…les murs en tôle, ce n’est pas
formidable pour la sono, et il manque quelques spots
pour l’ambiance. Mais on progresse, tu ne trouves
pas ?
La salle est bondée, la musique envahissante, et les
lumières font plisser mes yeux. Après deux jours de
concentration intense dans une salle presque vide et
silencieuse, je suis sonnée par toute cette agitation. Je force
un sourire pour être à la hauteur de son enthousiasme.
- Bravo.
Clar et Freyj sont déjà en pleine discussion avec Anton,
le gars de Trisquelle qui hait tant l’Immortel. Il me lance un
regard noir et se détourne de moi avec dégout.
Deux jeunes femmes et un homme que je ne connaissais
pas se sont joints à eux. Leur corps élancé et souple me fait
penser à des lianes, des lianes musclées tout de même. Je les
aurais bien vus dans un défilé de mode plutôt qu’ici.
Evidement les yeux des mâles environnants brillent pour les
deux demoiselles. Quant à l’homme qui les accompagne et
qui semble un peu plus âgé, j’avoue qu’il attire l’œil. L’une
des deux jeunes femmes m’observe avec curiosité :
- Ah, c’est toi le …la … disons l’équipière de
l’Immortel ?
Son ton est hautain, et dans son esprit je lis beaucoup
d’arrogance. J’ai l’impression de tremper dans un bain
d’acide. Mais je suis dans un tel état de fatigue que je ne
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 159
ressens aucune colère monter à ma gorge. Devant ma grise
mine, Rog intervient :
- Gabrielle, je te présente Lise et Eléanore. Un binôme
hors pair ! Elles viennent de la planète Center…
Il s’est tourné vers elles en disant cela, et ses yeux sont
restés accrochés sur l’une d’elles.
- Emmanuelle n’est pas avec toi…
J’ai laissé ma phrase en suspens, et Rog m’a fusillé du
regard.
L’homme à côté de Lise et Eléanore intervient, voyant
qu’on l’oublie :
- Et moi, je suis Raphael, un Center également.
Sa silhouette de mannequin baraqué, ses beaux yeux bleu
lagon, son visage fin et épuré, sa cicatrice sur la tempe façon
« loubar chic », tout dans son aspect est parfait. Parfait et
lisse. On sent qu’il prend soin de son apparence, du choix de
ses vêtements, fluides et entièrement blancs, pour faire
ressortir son bronzage. Une couverture de magazine : très
belle image sans épaisseur. Il me sourit, et son sourire
l’humanise, lui donne un peu de relief.
Eléanore semble vouloir faire connaissance à sa façon :
- Sais-tu que notre planète est celle qui est la plus
représentée dans « le Deus ex Machina ». Il faut dire
que nous suivons tous une formation de haut niveau.
Et toi, de quelle planète viens-tu ?
- La planète Aurore.
- Hum, connais pas…
- C’est aux portes de l’Alliance. Bien loin de chez
vous.
- As-tu eu l’occasion de visiter la planète du
centre ?...Chez nous on la surnomme « Center ».
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 160
Luc enthousiaste se mêle à la conversation, indifférent au
ton hautain de cette donzelle :
- Je n’y ai mis les pieds qu’une fois, mais je rêve d’y
retourner. Gabrielle, si tu voyais les engins spatiaux
qu’ils ont là-bas ! Sûrement rien à voir avec les
« fers à repasser » sur lesquels tu as appris à
piloter…
Les deux filles en forme de lianes rient à gorge déployée.
Rog est subjugué. S’il le pouvait il gouterait à leur sourire
de midinettes. Agacée, je tente pourtant de donner le change
dans la conversation mais le cœur n’y est pas. Quand la
discussion revient sur l’Immortel, mon état d’esprit
s’assombri encore.
Cette fois, c’est Lise qui se lance sur le même ton :
- Pourquoi ton Immortel couvre-t-il toujours son
visage ? Ce monstre est-il si laid ? L’as-tu vu
Gabrielle ? Ciel, cela doit être horrible d’être
l’équipière d’un tel spécimen !
Décidément, ces airs hautains et ses préjugés
m’exaspèrent et je crois bien que mon sang a commencé à
s’échauffer :
- C’est le combattant le plus compétent à bord du
Deus ex Machina. Pourtant, je ne crois pas qu’il se
soit formé sur ta planète...bien qu’il en soit
originaire, en quelque sorte…
Soudain, les « Centers » se sont tous figé, un mélange
d’outrage et de culpabilité dans le regard. Une chape de
plomb pèse sur nous. L’histoire que m’a racontée
Emmanuelle sur l’origine des Immortels est donc vraie. Lise
est la première à reprendre ses esprits :
- Comment peux-tu dire une chose pareille. Bien sûr
qu’il n’est pas venu chez nous et il n’y mettra jamais
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 161
les pieds ! Je commence à comprendre pourquoi
vous formez une équipe : deux acariâtres
ensembles !
Anton, qui était en pleine discussion avec Freyj, s’est
arrêté net de parler. Son regard d’acier s’est fixé sur moi. Il
connait visiblement cette histoire. Il se tait mais je sens sa
haine pour moi. Un mot s’est formé dans son esprit :
corrompue.
Clar ne semble pas avoir compris mon allusion. Elle
s’interroge sur l’emprise que son entrainement exerce sur
moi.
Et Rog en rajoute:
- C’est vrai que tu deviens un vrai dragon. Toujours de
mauvaise humeur, prête à cracher le feu…C’est
malsain que tu t’entraines avec lui…la preuve, tu
n’oses même pas en parler…Allez, Lise, laissons-la
et viens danser avec moi, cette chanson, c’est ma
préférée…
A quelques pas de là une silhouette aux belles boucles
brunes s’est éclipsée, blême. Rog n’a rien vu. Luc tend sa
main à l’autre fille en guise d’invitation à danser :
- Eléanore…
Je les observe, aigrie. Quels peuvent bien être les talents
de ces deux filles, à part le charme incontestable qu’elles
semblent exercer auprès de la gente masculine ? Je me sens
comme une provinciale qui découvre le monde.
Sur la piste, Rog est penché vers Lise, bien plus petite, le
corps dangereusement en déséquilibre. Après ces deux jours
à huis clos, ces mondanités m’exaspèrent et me choquent.
Non, c’est un peu faux. Ce n’est pas lié à ces deux derniers
jours. C’est vrai que sur ma planète, les distractions ne sont
pas nombreuses et la population peu boute en train. Et puis,
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 162
j’ai toujours été une solitaire. Mon statut ne me permettait
pas de me détendre librement, ma tare m’a isolée un peu
plus.
Freyj, fidèle à ses habitudes, est déconnectée de ce qui se
passe alentour et a suivi le fil de ses pensées. Elle me prend
à partie :
- Je suis certaine que toi aussi tu suis les cours de
pilotage de Luc ! Anton, elle pourra te confirmer ce
que je viens de te raconter ! C’est prodigieux ce qu’il
fait : il imagine un vol et le raconte aux autres. Et
chaque pilote doit faire la manœuvre appropriée. S’il
n’y arrive pas, Luc s’en rend compte et le corrige. Il
est incroyable ! Dis-lui Gabrielle !
- C’est vrai Luc est le meilleur de nous tous.
Avec les autres partis sur la piste de danse, Anton a pris
de l’assurance :
- Je croyais que c’était ton Immortel le plus fort…
- Chacun de nous a ses propres talents, l’Immortel a sa
force, Luc son adresse au pilotage. L’essentiel est
que ces talents soient bien exploités pour nous
permettre de gagner cette guerre ! Et toi, Anton,
quelle est ta spécialité ?
- Gardien de la morale et de l’intégrité…
- A ne pas confondre avec admonestation et
intolérance…Et au combat ?...
- Connaissez-vous les lois qui permettent aux
Humains de se protéger des Immortels ? Tout
contact physique est interdit. Tout manquement à
cette règle est puni d’un an de prison. Et le plus
surprenant dans tout cela, Gabrielle « les P’tits
bras », c’est que la peine s’applique non seulement à
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 163
l’Immortel mais également à la personne touchée.
C’est d’autant plus injuste que chacun sait que le
temps pour ces monstres ne s’écoule pas de la même
façon ! Un an pour eux, ce n’est rien, tandis que pour
une humaine…enfin si tu restes en vie bien sûr.
- C’est comment, la prison, Anton. Raconte-moi ton
expérience…
Le bleu clair de ses yeux a encore pali. Il se tourne vers
Freyj pour éviter de me répondre. Mais l’éclair de souvenirs
dans son esprit m’a suffi…la prison…quatre ans pour
piratage informatique, détournement de fonds et vol de
données ultraconfidentielles… C’est donc à cela qu’il
occupait ses journées de solitaire sur son bateau maison!
- C’est dangereux : on est enfermé en permanence
avec des personnes qui ne vous veulent pas
forcément du bien. Et quand on n’est pas très
costaud, il vaut mieux s’allier à des protecteurs
puissants pour survivre, sinon on craque comme
Justine ou bien on est aidé à craquer...
Je le regarde de biais ; Il a repris sa conversation avec
Freyj et sa physionomie a totalement changée, il parle à
nouveau avec animosité :
- Je sais ce qu’il manque à ton coéquipier : un
lecteur/enregistreur de pensées ! J’ai déjà réalisé
quelque chose de similaire...Voyons voir…Il me
faudrait un électro-encéphalogramme miniaturisé
connecté avec un décodeur…il suffirait ensuite de le
brancher à un projecteur…ouais, écoute, j’ai une
idée géniale. Si ça marche, ton Luc va devenir un
super instructeur ! Il faut tout de suite que j’aille
bricoler ça…on se voit demain.
Il se tourne vers moi, les yeux pleins de haine :
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 164
- Bonsoir onze pour cent…
Et il part comme une flèche, retrouver sa chambre
remplie d’électronique.
Freyj se tourne vers moi :
- Au fait Gabrielle, tu connaissais Justine ? La planète
Bories, c’est tout près de chez toi, non ?
- Pourquoi ?
- Tu n’es pas au courant ? Elle s’est suicidée – au
stand de tir. Pas beau à voir parait-il…
- Et…quel était son pourcentage ?
- Vingt-huit. Apparemment ce sont les derniers de la
liste qui ne supportent pas la pression…
Freyj se fige en voyant Clar pâlir et réalise tout à coup
quel est mon score. Gênées les deux amies s’éloignent, me
laissant seule face à Raphael. Il pose un regard bienveillant
sur moi :
- Un problème, Gabrielle ?
- Non.
Apparemment, il ne sait rien. Son attitude, son sourire de
publicité pour dentifrice n’a pas le charme qu’il escompte
sur moi. Et sa sollicitude, son air de confessionnal m’irritent
au plus haut point. Je le fixe, par provocation. Quel âge
peut-il avoir ? Des mèches blanches s’éparpillent dans ses
cheveux bruns, mais aucune trace de ride au coin des yeux.
Son visage est harmonieux, comme tous les Center. Puis
j’ose le regarder dans les yeux : intelligents, des reflets vert-
d’eau à se noyer si on n’y prend garde. Alors je plonge dans
son âme : un lac de montagne aux eaux profondes et calmes
dans lesquelles se reflète un ciel immense sans nuage. Je lui
souris, sur la défensive :
- C’est juste que je n’ai pas l’habitude de m’amuser de
cette façon. Sur ma planète, on accorde peu de place
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 165
aux activités ludiques et festives. On n’a pas à notre
disposition des robots pour faire notre boulot.
- Eh, bien, c’est l’occasion d’essayer. Je veux dire
pour t’amuser. Veux-tu danser avec moi ?
J’ai failli lui dire non. Il me regarde : le lac. Sa main est
tendue vers moi. Une balade en montagne me fera du bien
pour oublier. Je prends sa main.
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 166
Loin de là…
11ème calende du mois de mars Trisquelien –
1310ème année de la Déesse
Encore des rituels ridicules ! Quelle idée saugrenue
que ces binômes « ensemble vous aurez la force pour
vaincre ». Comme si c’était suffisant ! La plupart ne se
connaissent même pas. Pauvres guerriers, ils vous envoient à l’abattoir. Si seulement ces vieillards avaient
autant de créativité pour les stratégies militaires…Et
quelle erreur d’intégrer cet Immortel au rituel des
binômes. Ils vont se mettre tout le Deus ex Machina à
dos. Même le monstre ne semble pas trouver cela à son
goût !
12ème calende du mois de mars Trisquelien –
1310ème année de la Déesse
Mon fils, tu n’es qu’un faible ! Combien de fois faut-
il te répéter que les jeunes filles sont fragiles et qu’il faut
être poli avec elles ! Ah, je ris, imbécile ! Toi et ta
passion pour les donzelles ! Au fond tu es comme moi et
ma passion pour les araignées : tu aimes détruire dès que
tu possèdes. Et tu cours encore après ces êtres
insignifiants ; jamais rassasié. Je t’ai pourtant laissé attraper toutes celles que tu voulais quand tu étais avec
moi ! Mais cela ne t’a pas suffi. Crois-tu que ceux qui
ont mis la main sur toi seront aussi indulgents que moi ?
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 167
Enfin, amuse-toi si cela te chante ! Mais fais bien
attention à ne pas trop la regarder dans les yeux. J’ai
senti ses doutes. Elle ne doit pas me découvrir …
De toute façon, tu continues à bien me servir puisque
l’objet de tes désirs est l’équipière de l’Immortel. Tu ne
pouvais pas mieux choisir pour mes plans ! La chance
me sourit…
Tu la suis partout dans tes temps libres mais il semble que tu aies tout de même du mal à lui mettre la main
dessus ! C’est étonnant de ta part. Oui, elle s’est trouvé
un protecteur redoutable, la maligne. Et elle te résiste
toujours, parbleu ! Elle se sent forte maintenant. Mais tu
es comme moi, tu aimes quand il y a plus de piment...
Continue à la suivre…et tu me mèneras à lui.
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 168
CHAPITRE 14 1er entrainement
Jour J-10 avant l’affrontement.
Je suis à table pour le petit déjeuner, mes camarades
autour de moi. Toute la bande est là : Clar et Rog, Tom et
Jarl, Freyj et Luc, Lise et Eléanore, et Raphael. Mais je ne
les écoute pas, rêveuse. Déjà six jours se sont écoulés sans
que je sente le moindre progrès dans mes aptitudes au
combat. Je ne veux pas mourir. Je veux me préparer à cet
affrontement, de toutes mes forces. Il est déjà si tard.
Comment les Sages peuvent-ils me laisser perdre tout ce
temps ? Dans leurs plans, ont-ils prévu que je survive ?
Comment mes camarades peuvent-ils être aussi
désinvoltes ? Leur conversation est animée. Elle tourne
autour des robots intelligents créés par les habitants de la
planète du milieu. Lise vante bien entendu les qualités de
ces inventions comme si elle en avait elle-même conçu les
moindres boulons!
- Nos Vaucans sont issus d’une biotechnologie
extrêmement pointue. Savez-vous qu’ils sont dotés
de cerveaux humains ! Nos chercheurs ont réussi la
prouesse de cultiver des cellules de cerveau
d’hommes et de femmes et de les greffer sur des
circuits électroniques. Nous récupérons l’esprit des
morts à l’instant de leur dernier souffle et le
transférons dans le cerveau artificiel. Ainsi nos
robots pensent comme des Humains. C’est
l’imminent professeur Vaucan qui a le premier réussi
cet exploit …
Quelle suffisance. Je n’y résiste pas :
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 169
- Oui, bien sûr, vous ne pouviez plus créer de
nouvelles races par des manipulations génétiques…
Elle est choqué mais tente de ne rien laisser paraitre :
- Bien que ce ne soit que des machines, leur
raisonnement intellectuel est le même que le nôtre !
Et ils peuvent même ressentir des émotions ! Leur
cerveau est connecté à une puce électronique qui a
été programmée avec des valeurs de respect et
d’équité, ainsi qu’un code de protection des
Humains.
- Je me demande comment ils peuvent accepter dans
ces conditions d’être vos esclaves.
Elle me fusille du regard. Elle est sur le point de perdre
ses moyens :
- Ils ont l’avantage d’être physiquement très résistants.
Par exemple, Gabrielle, je doute qu’un Immortel
puisse s’attaquer à l’un d’eux. Notre planète a fait
don de nombreux exemplaires à bord du Deus ex
Machina pour assurer notre sécurité. Ils pourront le
moment venu partir en mission comme nous tous. Ce
sont toutes ces innovations technologiques qui font
de notre planète une des plus riches.
Malheureusement, d’après ce que tu nous as dit sur
la tienne, il semble que la population attardée
d’Aurore ne puisse atteindre ce degré de
développement.
Je saute de mon siège pour l’empoigner. Rog m’attrape
par les épaules et me bascule sur la chaise ; ses bras me
maintiennent fermement assise. Puis il tape sur la table avec
une main en guise d’avertissement : quatre doigts allongés
et le pouce replié. Et dans son regard le message est clair :
déjà quatre ennemis à bord ; ça suffit. Lise est figée, poings
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 170
serrés, prête à bondir. Autour de la table, chacun retient son
souffle. Seul Raphael est serein. Je plonge dans ses yeux
pour me calmer.
En arrière-plan, juste derrière lui, une ombre a bougé : la
silhouette sombre de mon binôme s’est levée. Et comme le
jour précédent, la tête encapuchonnée se tourne vers moi et
s’incline lentement pour que je le suive. Je frissonne.
J’entre. Il est seul au milieu de cette petite salle de sport,
à quelques pas du punching-ball, imposante masse noire,
immobile tel un spectre. J’avance un peu vers lui et m’arrête
à bonne distance. Il se met à parler bas et sa voix caverneuse
semble sortir de bien plus loin que du fond de son capuchon.
- Les Sages ont des plans pour toi. La mission qu’ils
veulent te confier est de la plus haute importance et à
très haut risque. Elle nécessite une force et un
courage hors du commun. Et tu n’en es pas digne.
Mais les Sages sont formels : ils exigent que je te
prépare à cette épreuve.
Sa voix me glace mais après l’altercation du petit-
déjeuner, mon sang boue encore dans mes veines. Je
contracte tous mes muscles pour me contenir.
- J’ai donc prévu un programme en conséquence. Je
doute que tu tiennes le coup mais saches que je m’en
moque éperdument. Tu vas devoir te surpasser en
permanence ; tu seras épuisée en permanence. Et tu
m’obéiras au doigt et à l’œil, même si tu dois en
mourir de fatigue.
Moi la fille d’un roi, courber le dos devant ce pariât ?
J’enrage !
- Tu découvriras bien vite qu’obéir n’est pas mon fort.
Il va falloir que tu me montres le bien-fondé de tes
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 171
« directives » ! Et pas la peine cette fois de me faire
le grand numéro de la bête féroce.
Il s’est penché vers moi, l’index en l’air ; je n’ai pas pu
m’empêcher de faire un pas en arrière. Sa voix glaciale
refroidi mes veines, comme s’il y faisait couler ses paroles :
- Que les choses soient claires : je ne partage pas
l’enthousiasme des Sages à ton sujet.
Personnellement, je pourrais passer mon temps à des
choses plus intéressantes. Alors, tu me suis ou tu
retournes avec Ruddy.
J’ai encore l’image des quatre doigts de Rog qui tapotent
sur la table, et celle des mains de Ruddy attrapant ma
taille…
L’Immortel a pris mon silence pour un acquiescement :
- On commencera tous les matins par des
échauffements. Puis on fera quelques exercices de
lutte, de boxe, …on verra plusieurs techniques de
combat. Il te faudra travailler aussi ton endurance
physique et mentale et ta rapidité. On fera des
courses à pieds, des…
- Mais ce que tu proposes n’a pas l’air très différent de
ce que je faisais avec Ruddy. Je ne vois pas
comment je pourrais progresser mieux avec toi
qu’avec lui.
- Mes connaissances sont grandes…et Ruddy n’est pas
assez dur avec toi. Assez discuté ! Début du
programme ce matin : boxe.
Il s’approche du punching-ball ; j’ai un peu reculé. Il sort
les bras de sa cape intégrale et sans toucher le sac de force,
il se met à enchaîner les mouvements, lentement, tout en les
expliquant à voix basse. De sa masse noire impressionnante
ne dépassent que ses mains. Ses gestes sont fluides et sans
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 172
aucun bruit. Ses poings. Tout ce que je vois de lui se résume
à ça : deux larges mains serrées jusqu’à en faire saillir les
veines. Une seule suffirait probablement à m’étrangler si
l’envie lui en prenait. Et je ne serais certainement pas assez
rapide pour l’en empêcher.
Il a fini ; il recule. Il me fait signe de la tête. Je suis
surprise, et déçue. Rien ne semble différent des
entraînements de Ruddy. A mon tour, je refais les mêmes
gestes. Et puis, bien vite, je déchante encore : rien ne lui
convient.
Vingt fois je refais le même enchaînement tantôt pour un
pied mal placé, tantôt pour un coude pas assez haut. Les
détails qu’il relève sont insignifiants ; les précisions qu’il
demande sont au millimètre. Et quand, à bout de nerfs,
j’arrive enfin à ce qu’il veut, il exige plus de rapidité.
Encore. Encore. Inlassablement. Voilà au moins cinq cent
fois que je refais ces mêmes gestes. J’ai les muscles
douloureux, le souffle court et je commence à tituber de
fatigue :
- Pause. Il faut que je reprenne des forces.
- Déjà ? Tu n’as que ça en réserve ?
Le ton de sa voix est violent comme un coup de pic à
glace.
- Tu n’as aucune endurance. On n’arrivera à rien de
cette façon…
Il tourne en rond, tête baissée, au bord de l’énervement,
remplissant la pièce de sa masse noire et de sa tension :
- Bon. Il va falloir employer des méthodes plus
radicales…Continue l’enchaînement que je t’ai
montré, le plus vite possible… Ne t’arrête que
lorsque tu seras vraiment au bord de l’épuisement,
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seulement quand tu ne pourras plus tenir sur tes
jambes…
- Je ne suis pas une immortelle !
- Continue, c’est un ordre ! Ou je ne donne pas cher de
ta peau !
Il a craché ces mots tout près de mon visage, comme des
boulets. L’air autour de lui est sous haute tension. Outrée,
j’ai stoppé mon entraînement, et le défi du regard. Nous
sommes face à face, le capuchon noir me dépasse presque
d’une tête. Je me campe sur mes jambes, j’enfonce mes
mains dans mes poches…et rencontre l’ampoule. Il a suivi
mon geste ; il a compris :
- C’est grâce à moi que tu détiens ce calmant.
Réfléchis : si j’avais voulu avoir de l’emprise sur toi,
je ne t’aurais pas appris à t’en servir !
Ses mots tranchent l’air ; ses poings aux veines saillantes
sont serrés le long de sa cape ; sa voix gronde toute sa colère
de me voir le menacer, et sa difficulté à la contenir. Je lui
lance encore un regard noir pour la forme :
- Immortel ou pas, je ne permettrai à personne de
m’avilir ! Compris ?
Il ne bouge pas et ne dit rien. Alors je lâche l’ampoule et
me replace lentement devant le punching-ball. A bout de
forces mais la rage au cœur, je reprends l’enchaînement. Je
frappe, frappe sans fin. D’abord les muscles de mes bras et
mes mains sont en feu. Mais il est hors de question de le lui
montrer. Puis petit à petit je ne sens plus rien, et mon corps
se ramollit, mes jambes commencent à vaciller et je rate des
pas. Il m’a défié ; je n’arrêterai pas. Au bout d’un moment,
ma vue se trouble et mon esprit s’embrouille. C’est alors
qu’il intervient à nouveau, la voix plus calme :
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- Ok, stop. Tu vas te mettre face à moi. Je vais te
montrer une technique de récupération rapide. Tu
vas fermer les yeux et faire le vide, comme au yoga.
Tu vois ce que je veux dire ?
Il s’est approché de moi. Il me dépasse presque d’une
tête. L’ombre de sa capuche plonge sur mon visage, à
quelques centimètres. Je me retiens de reculer et tente de
rester tant bien que mal debout sur mes jambes :
- Oui…
- Bon. Détends-toi… Je vais toucher ta nuque. Ne
bouge pas, je ne te ferais aucun mal. Tu as confiance
en moi ?
Je cherche un regard dans ce trou noir qui me parle : rien,
je ne vois rien.
- Tu ne me fais pas peur!
Pour le lui prouver, j’ai fermé les yeux. A bout de forces,
je dois lutter pour ne pas perdre l’équilibre. Ma main est
collée contre mon pantalon. A travers l’étoffe, je sens le
renflement de l’ampoule.
- Tu peux mettre ta main dans ta poche si ça te
rassures …
A ses propos narquois, j’écarte ma main de l’étoffe, et
dans un dernier effort, je lève mes bras en croix par défi :
- Je suis prête…
Il a dû encore s’approcher : même les yeux clos, je
ressens comme un froid près de moi. Sa main écarte
lentement mes cheveux pour passer autour de ma nuque ; je
frissonne à son contact. Malgré l’extrême fatigue, je reste
aux aguets, la main prête à plonger dans ma
poche…Brusquement, deux doigts font pression sur mon
cou dans une décharge électrique. J’ai sursauté.
- Ça ne va pas faire mal.
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Il me provoque. Je résiste. Ses doigts irradient une
énergie violente. Puis une vague immense cherche à se
répandre dans tout mon corps ; une déferlante. Tous mes
muscles se sont crispés, bloquant la vague ; ma main a déjà
agrippé l’ampoule.
- Ne lutte pas contre ce que tu ressens…
Pourquoi est-ce que je sais que je vais l’écouter ? A cause
de sa voix posée et pleine d’assurance ? Poussée par une
irrésistible curiosité ? Attirée par une expérience dangereuse
et excitante? Je respire à fond et ouvre le chemin à cette
onde qui m’envahie rapidement, comme un fluide qui
s’écoulerait dans toutes mes veines. Venin ou sève
nourricière ? L’onde enfle et devient tellement puissante
qu’elle en est effrayante.
Il retire sa main brusquement, incapable d’en contrôler la
force autrement. Mais même sans son contact, je sens
encore son énergie, comme une bulle qui se dégage de lui et
m’englobe. Rapidement pourtant, la bulle se rétrécie,
jusqu’à disparaître. J’ouvre les yeux et sursaute : le trou noir
du capuchon est penché tout près de moi et laisse échapper
d’une voix inquiète :
- Ça va ?
A mon sursaut, il a reculé.
- Pour aller plus vite, je t’ai transmis une partie de ma
force…Il faut que tu ailles toujours au-delà de tes
limites si tu veux vraiment progresser… surtout en si
peu de jours…
Puis il se tourne brusquement. Le « I » dans son dos a
virevolté. Sa voix a retrouvé un ton tranchant :
- Ne parle de ça à personne.
- C’est dangereux ?
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- Pas si je maîtrise le niveau d’énergie que je te
transmets. Pire que dangereux, c’est hors la loi…
Alors les paroles d’Anton me reviennent à l’esprit : un
statut de paria dans ce vaisseau, un an de prison. Pour moi,
cela signifie que je n’aurai plus aucune chance de pouvoir
me racheter, et serait emprisonnée à vie.
- On reprend l’entraînement.
Son contact n’a duré que quelques secondes, pourtant ma
fatigue s’est évaporée. Complètement. Je me sens capable
d’abattre des montagnes.
Je continu sur ce rythme toute la matinée : effort intense
jusqu’à épuisement puis sa main dans mon cou qui me
redonne toute l’énergie nécessaire pour recommencer.
Inlassablement. A chaque cycle, il tente de repousser plus
loin mes limites. A chaque décharge électrique qu’il me
transmet, il maitrise un peu plus ses gestes. Et je prends un
peu plus conscience de la puissance phénoménale qu’il est
capable d’emmagasiner. Je devrais en avoir peur ; je suis
fascinée. Je commence à ressentir les bénéfices de cet
entraînement extrême : mon endurance grandit, mes muscles
brulants se tendent et sa force deviendrait vite une drogue
comme un puissant dopant pour un athlète. Mais la fatigue
s’installe finalement jusqu’à envahir tout mon corps
endolori ; mon cerveau lui-même n’en peut plus et mon
ardeur s’effondre.
C’est le moment qu’il choisit pour me rappeler qu’Edith
m’attend !
Le parcours du combattant est un échec complet. Je
rentre à bout de forces dans le labyrinthe. Et je ne tiens pas
deux minutes avant d’appuyer sur le bouton fatidique et
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libérateur. Edith se moque de moi et veut m’infliger une
seconde tentative. C’est alors que l’Immortel fait irruption
dans le gymnase, apportant avec lui un silence pesant. Sa
masse sombre s’est arrêtée au seuil de la porte d’entrée,
main en l’air comme pour dire « stop ». Tous les regards
sont braqués sur lui. Edith elle-même est figée. Puis, sans le
lâcher des yeux, elle me fait signe de m’en aller. Il
disparaît…
Il est si tard lorsque je rejoins le mess que mes camarades
sont déjà repartis et il ne me reste que peu de temps avant de
retrouver mon escadron.
Comme m’avait averti Luc, Délanaux est furax et sa rage
s’est reportée sur moi. Il fait d’abord mine de ne plus
vouloir de moi dans l’escadron et je le laisse épancher sa
colère. Quand elle commence à s’épuiser, il me fait juste
signe de reprendre ma place sur le siège de la salle de
briefing, à mon grand soulagement. Mais la fatigue me joue
encore des tours, et je n’arrive pas à mettre à profit toute
seule la technique de récupération que l’Immortel m’a
montrée. J’ai beau chercher dans mon cou des ressources en
énergies enfouies, je ne trouve qu’un grand vide. Je suis
lasse et démoralisée : l’entrainement avec l’Immortel me
casse tout le reste de ma journée et je ne vois pas le bénéfice
que je pourrais en tirer si je n’ai plus tous mes moyens pour
piloter. Je commence à penser qu’un entrainement plus
classique avec les autres me conviendrait mieux…quand en
sortant des vestiaires en fin d’après-midi, je me retrouve nez
à nez avec lui.
- C’est l’heure du jogging.
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- Stop. On en a fait beaucoup trop pour aujourd’hui.
Ca attendra demain…
- Tu te souviens…Tu renonces ou tu me suis…si tu
peux…
Il a filé en un éclair. Pourquoi est-ce que je l’ai suivi ? Je
le cherche un bon moment, trainant la jambe dans les
couloirs tout en le maudissant, avant de retrouver sa masse
sombre dans un renfoncement, en train de m’attendre :
- Alors, tu prends le thé en route…
- Nous ne sommes pas de la même race ; je n’ai pas
tes capacités…
- Ah, tout de même tu reconnais ma supériorité !
Pourtant, tu es rapide…pour une Humaine…
Malgré son ton moqueur, il a ralenti. Suivre un Immortel
est impossible. Il s’est mis à adapter son rythme au mien. De
nouveau, il m’inonde de consignes sur les mouvements de
mes jambes, mes bras, ma respiration. Au ton de sa voix, je
sens qu’il s’efforce d’être moins autoritaire. A bout de
forces, je suis ses directives sans rébellion, mes pieds dans
ses traces.
Cela fait un petit moment que l’on court sans se parler
lorsqu’il brise le silence. D’une voix neutre, il m’explique le
fonctionnement du vaisseau et me décrit ses différentes
zones. L’ampoule dans ma poche se ballotte à chacune de
mes foulées, comme un message qu’il me répéterait sans
cesse : « je te donne les moyens d’être à égalité avec moi ».
Soudain, il tourne en direction de la chambrée des
Vaucans. Au fond du long couloir, apparaissent la porte
façon coffre-fort et ses deux Vaucans qui en gardent l’accès.
L’Immortel n’a pas ralenti. Sur notre passage, des Vaucans
sortent de leur pièce pour nous faire barrage. Mais à la vue
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de l’Immortel, ils reculent et nous laissent passer. Puis nous
atteignons les deux gardes du « coffre-fort »…et la porte
s’ouvre. Je me suis arrêtée. Il se retourne :
- Viens, on va faire un tour de l’autre côté.
- Mais la zone d’intendance est interdite.
- Tu n’es pas en prison, tu sais. Suis-moi.
Et je franchis la porte pour la première fois.
Rapidement, l’ambiance change. Tout d’abord la
population se densifie. Chacun marche vite, d’un pas rempli
d’intentions, d’une urgence à prendre en charge. Je constate
également que le mélange des races est bien plus accentué
ici, tout comme l’aspect physique, la carrure, la taille. Je
réalise à quel point la zone militaire est si homogène. Les
gens parlent plus fort, s’interpellent et s’invectivent. Un
groupe en bleu de travail, le pas rapide, fait irruption dans le
couloir, prenant toute la largeur. Deux des « blouses
bleues » pointent l’Immortel du doigt. Je lis dans leurs
pensées qu’ils raillent sa tenue noire en tentant d’imaginer à
quel corps de métier elle peut bien s’apparenter. C’est alors
que je constate que cette cape là ne comporte pas de « I »
rouge dans le dos !
Dans la cohue, les « blouses bleues » bousculent
intentionnellement l’Immortel qui se retrouve collé au mur,
dos à moi. Sa capuche est tombée et dans sa rage d’être
bousculé, il ne l’a pas remarqué. Sa colère électrise l’air.
Ceux qui l’ont heurté regardent maintenant son visage
découvert avec des airs apeurés. Je suis la seule à ne pas
voir ses traits. De dos, je ne vois que sa chevelure châtain
épaisse, sa nuque dégagée qui tranche sur le fond noir de la
cape. Et mes yeux ne peuvent plus le lâcher, rivés par la
curiosité.
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 180
Doucement, il se tourne vers moi, comme au ralenti.
Je retiens mon souffle, m’attendant à une apparition
difficile à soutenir du regard.
Les « blouses bleues » ont filé, disparaissant au détour
d’un couloir.
Nous sommes seuls.
C’est alors que pour la première fois, je croise son regard
et reste pétrifiée.
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De la part de l’auteur :
«Ami lecteur,
Vous venez de lire les 14 premiers chapitres de
MagnusMens.
J’espère de tout cœur que ce roman vous plait.
Tout a commencé un matin de décembre il y a quelques
années. Je venais de me réveiller avec un beau rêve dans la
tête que j’avais envie de prolonger. C’est vraiment comme
cela que j’ai commencé à écrire cette histoire, juste pour
moi, juste pour pouvoir lire le livre dont j’avais envie.
Au début, c’était un simple défi à moi-même ; un
« même pas cap d’écrire un livre » ; une réminiscence du
monde de l’enfance. Je venais de terminer de lire le diable
au corps qui est très court ; mon défi se résumait donc à
écrire 70 pages. Je n’avais vraiment pas prévu la suite :
- J’ai aimé écrire
- Arrivé au bout des 70 pages, je me suis rendue
compte que j’étais loin d’avoir fini de raconter mon
histoire
- C’est une fois le mot « FIN » apposé que j’ai réalisé
que j’avais un vrai roman devant moi. Je n’en
croyais pas mes yeux !
Alors après tout ce temps passé à écrire en secret, j’ai enfin
osé montrer le résultat et le faire lire. Et magie : il a plu !
C’est une drôle de sensation : ce roman a maintenant sa
propre vie, hors de moi, et les personnages s’animent dans
l’imagination d’autres que moi. Le cordon ombilical a été
coupé entre mon roman et moi.
Il me reste à faire une chose pour lui : le soutenir. Je crois de
tout cœur qu’il le mérite.
PasCeSoirJeLis.com en cadeau 182
Alors si vous avez aimé ces premiers chapitres, n’hésitez
pas : achetez-le, et parlez-en autour de vous.
Seul le bouche à oreille peut le faire connaitre. Ce grand
extrait que je vous ai confié est là pour vous inciter à le lire
en entier et lui donner une chance d’être aimé.
Merci de m’avoir lu jusqu’ici. Merci pour la confiance que
vous m’avez accordée.
A bientôt j’espère.
S-F. Cïmaiglon. »
Vous trouverez ce roman sur le site de Pas ce soir, je lis :
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