View
229
Download
0
Category
Preview:
Citation preview
Sandrine Bgue
La Fin de Goa et delEstado da ndia :Dcolonisation et Guerre Froide
dans le Sous-Continent Indien(1945-1962)
Volume II
709coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
710 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA
Biblioteca Diplomtica
Srie D: Teses
Conselho Editorial
Presidente: Professor Doutor Armando Marques Guedes
Professor Doutor Joo Amador
Embaixador Leonardo Mathias
Professor Doutor Nuno Piarra
General Jos Lus Pinto Ramalho
Professor Doutor Antnio de Vasconcelos Saldanha
711coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
Sandrine Bgue
Directeur de thse : Monsieur Jacques Weber
Volume II
La Fin de Goa et de lEstado da ndia :Dcolonisation et Guerre Froide
dans le Sous-Continent Indien
(1945-1962)
JuryM. Singaravelou
M. A. Dias FarinhaM. M.-J. Zins
Mme D. CoutoM. M. Catala
712 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA
Ficha tcnica
Ttulo
La Fin de Goa et de lEstado da ndia : Dcolonisation et Guerre Froide
dans le Sous-Continent Indien (1945-1962) Volume II
Autor
Sandrine Bgue
Coordenao Editorial
IDI - MNE
Edio
Coleco Biblioteca Diplomtica do MNE Srie D
Ministrio dos Negcios Estrangeiros, Portugal
Design Grfico
Risco, S.A.
Paginao, Impresso e Acabamento
Europress, Lda.
Tiragem
1000 exemplares
Data
Maio de 2007
Depsito Legal
257988/07
ISBN
978-972-9245-55-8
713coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
Table des Matires
VOLUME II
Chapitre VIII : Une Autogestion Fragile 721
1. Lintgration renforce de lEstado da ndia dansla communaut lusotropicale 721
Le nouveau statut de Goa selon Salazar 721Les efforts dinvestissements portugais pour le
dveloppement de Goa 740Les mesures de contournement du blocus indien 743La bataille de lducation : empcher lexode de la jeunesse
goanaise vers lInde 756
2. Une dangereuse insularit 761Le nouveau souffle de lopposition bourgeoise Goa 762Le mcontentement de lmigration goanaise dAfrique 770Le ralliement lInde des Goanais du Kenya 773Laccentuation des pressions sur lmigration goanaise
de Bombay 785Les rseaux despionnage 797Un gouverneur de lEstado da ndia quasi-autonome 803
3. Le satyagraha du 15 aot 1955 806Les ambiguts de Nehru 806Les faiblesses de la dfense portugaise 818Lbullition mdiatique 826Les pressions internationales sur Nehru : Bandung et la Chine 833Un bilan sanglant 838Une crise du Parti du Congrs 846
Chapitre IX : Le Dclin des Positions Portugaises 853
1. Une tribune internationale pour Goa 853Lembarras anglais et amricain 853Le Portugal lONU : impralisme contre colonialisme 861Les prises de position dans la guerre froide 866Le Cachemire et Goa, mme combat ? 875Ennemis, par nations interposes 881
714 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA
2. Une situation interne chaotique 885Le mcontentement croissant de la population goanaise 885Les provinces du Nord aprs Dadra et Nagar Aveli :
une lente dcomposition 893Des forces armes en droute 901La question des prisonniers politiques Goa 907Le travail dinspection Goa du reprsentant gyptien,
Abdul Khader Khalil 912A Bombay, une communaut goanaise sans protection
diplomatique 920Le dclin de lEglise goanaise 922
3. Entre exaspration et impatience 924Un colonialisme portugais de moins en moins frquentable 924Une opposition indienne dsoriente 928Nehru et lopposition goanaise de Bombay : lheure des
comptes 932Lintensification de laction terroriste 936Le durcissement du blocus 939La poursuite raisonnable dune solution pacifique 946
Conclusion : Goa, rpublique des aldeias 951
Troisime Partie : Goa dans la Tourmente de la Dcolonisation(1958-1962)
Introduction 957
Chapitre X : Une Pression Nationaliste Resserre (1958-1960) 959
1. Goa sous tat durgence 959Laffaire Casimiro Monteiro 959Vassalo e Silva, chef militaire aux ambitions civiles pour Goa 966Une colonie divise 978Linquitante rouverture des frontires goanaises 987
2. Goa et lAfrique 989Le Dr Gaitonde, la tribune des nations afro-asiatiques 989Le dclin de la politique coloniale portugaise en Afrique 991Le rapport de force entre le Portugal et les Nations unies 995
3. Le procs de La Haye, arbitre du conflit luso-indien ? 997Dadra et Nagar Aveli : tat des lieux 997Prliminaires du procs et principaux acteurs 1003La dfense portugaise et la lgitimation de lHistoire 1010
715coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
La dfense indienne et les nouvelles rgles dun Etatindpendant 1016
Un jugement sans vainqueur ni vaincu 1029
Chapitre XI : LIsolement Progressif du Portugal sur la ScneInternationale 1041
1. 1961, anne de crise pour la politique coloniale portugaise 1041Le rgime salazariste branl 1041La condamnation amricaine du colonialisme 1048
2. Les pressions sur Nehru pour une intervention militaire 1058Nehru, un obstacle la rsolution du cas goanais ? 1058La confrence de Belgrade (septembre 1961) et le
sminaire sur les coloniesportugaises (Delhi-Bombay, octobre 1961) 1063
Le conflit sino-indien (1959-1962), un dfi aunon-alignement 1070
3. Laction diplomatique portugaise de la dernire chance 1073Le Portugal tente de mobiliser lONU 1073Trouver le soutien amricain 1081Goa, rejete par le Saint-Sige 1089
Chapitre XII : La Chute de Goa 1093
1. Loffensive militaire indienne 1093Prvoir ses otages 1093Une colonie dmilitarise, livre la grce de Dieu 1096Lappel au sacrifice de Salazar 1112Opration Vijay contre opration Sentinelle 1123Une capitulation portugaise invitable 1136Une dmonstration de force 1143
2. Les ractions internationales 1146Le veto sovitique et la crise de lONU 1146La condamnation unanime de la presse occidentale 1155Les applaudissements du monde afro-asiatique 1161
3. Orgueilleusement seuls 1168Une chute rcrite par la censure portugaise 1168La trahison des allis et de lONU 1171Lhonneur prserv du Portugal 1178Une souverainet indienne renie 1180Lincorrigible constance du salazarisme 1183
716 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA
Chapitre XIII : Laprs 18 Dcembre 1961 1189
1. Lamertume de lintgration 1189Un rveil douloureux pour les Goanais 1189Lintgration administrative et conomique 1195Mgr Alvernaz, dernier reprsentant du Portugal Goa 1198Lutter contre labsorption 1207Le refus de la dfaite 1213
2. La rpression salazariste 1216Une attente prouvante 1216Un rapatriement presque marchand 1222Punir et rcompenser 1230
Conclusion 1239
Conclusion Gnrale 1245Une rsistance portugaise organise 1245Une affirmation identitaire goanaise touffe par les enjeux
internationaux 1249La force du pragmatisme politique 1252
Postface 1257
Chronologie 1259
Biographies Slectives 1269
AnnexesAnnexe I : Liste des gouverneurs gnraux de lEstado da
ndia sous le rgime salazariste 1275Annexe II : Liste des ministres de lEstado Novo 1276Annexe III : Liste des ambassadeurs et consuls portugais 1278Annexe IV : Liste des principaux partis goanais dopposition 1281Annexe V : Publication de lActe colonial en 1933 1283
Etat des Sources 1285Les archives 1285Les sources publies 1353
Bibliographie 1367Instruments de travail 1367Colonisation et dcolonisation 1370Le Portugal salazariste et son Empire colonial 1372LInde 1376LEstado da ndia 1378Biographies 1386
Glossaire 1389
717coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
VOLUME I
Table des Cartes et Illustrations 13
Table des Sigles 15
Prefcio 17
Remerciements 21
Introduction Gnrale 25Principales problmatiques 25Articulation du sujet 30Traits principaux de lhistoriographie portugaise et des archives 34
Premire Partie : LEmergence de la Question Goanaise (1945-1953)
Introduction 41
Chapitre I : LEstado da ndia la Veille de lIndpendance Indienne(1945-1947) 45
1. Le milieu 45Cadre historique, gographique et administratif 45Lconomie goanaise 51
2. Les hommes 55Dmographie et peuplement 55Socits et identits goanaises : le respect des castes 57Les ralits de lhritage portugais Goa 66La diaspora goanaise 76Religion : la restauration du Padroado dOrient 80
3. Ladministration de lEstado da ndia en 1945 100LActe colonial et la centralisation mtropolitaine 100Linadaptation du ministre des Colonies 104Le gouverneur gnral 111Les diffrents organes 116La rforme administrative de Jos Bossa 122Larme et la police 125
Chapitre II : Les Faiblesses de LEstado da ndia 129
1. Les revendications des lites goanaises 129Une opposition aux racines librales 129Peut-on parler dune opposition goanaise ? 136
718 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA
Les opposants de Bombay 150Pour la dcentralisation 153Une demande de statut 158Entre mfiance et prudence 162
2. La timidit des rformes 171Une politique coloniale impriale 171Lviction de Jos Bossa 175Limpossible dcentralisation 184Une conomie souterraine 192
3. La dfense de Goa 198La militarisation de la colonie 198Ses insuffisances 206
Chapitre III : Les Origines du Conflit Luso-Indien (1947-1950) 219
1. Lindpendance indienne et ses consquences 219Rester cote que cote : position et arguments du Portugal 219Lavertissement de Krishna Menon 228Les manuvres portugaises : Hyderabad 234Le calme relatif de lEstado da ndia 242
2. Les premiers litiges 246Mendona Dias, un gouverneur gnral contest 246Lexposition Goa Bombay 255Les coups dpingle des Indiens : Mrs Pandit Goa 264La question du plbiscite 267La revendication indienne du 27 fvrier 1950 278
3. La position des puissances 285Le Portugal, un pion essentiel pour lAlliance atlantique 285Lalliance anglaise 287Le Pakistan au secours du Portugal ? 294
Chapitre IV : La Lutte contre le Padroado (1950-1953) 301
1. La chute du Padroado 301Le spectre de lanti-catholicisme en Inde 301Rome et le Padroado : une vieille rivalit 306Un Padroado contest 314Ralit de linfluence politique et religieuse du Padroado
dans ses diocses indiens 341Laccord de redlimitation du Padroado et de larchidiocse
de Goa 351
719coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
2. Goa de laprs-Padroado : sauvegarder la prsence religieusedu Portugal en Estado da ndia 360
Un dpart au got amer 360Saint Franois-Xavier, au secours du prestige religieux
du Portugal en Inde 370La contre-attaque romaine : Mgr Valriano Gracias,
premier archevque goanais de Bombay 378La rvrence force du Vatican au Padroado 386Entre prudence et immobilisme : la difficile application
du trait de 1950 389
Chapitre V : La Reconstruction dun Mythe Colonial :Lisbonne la Reconqute des Goanais 397
1. Le redploiement de la stratgie salazariste 397La rvision constitutionnelle de 1951 399Le lusotropicalisme lhonneur 406La presse censure 412La guerre des missions diplomatiques 415
2. Les fissures du mythe 438La relance conomique de Goa au cur dune lutte financire 438Sarmento Rodrigues la rencontre des Goanais ? 448Une unit portugaise bien fragile 458Lopposition interne 472
Conclusion 483
Deuxime Partie : A la Recherche dun Nationalisme Goanais (1954-1957)
Introduction 493
Chapitre VI : 1954, Quel Avenir pour la Non-Violence ? 495
1. Les nuances dune solution pacifiste Goa 495Les provocations portugaises 495Le maintien de la ligne pacifiste 501En Inde, les partisans dune paix culturelle 505Lopposition dmocratique portugaise pour un rglement
pacifique 511
2. Vers une marginalisation croissante de Goa dansle sous-continent indien 517
Nehru promet lautonomie 517Le blocus conomique indien : couper Goa de son migration 525
720 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA
La prise de Dadra et Nagar Aveli 535Libration goanaise ou agression indienne ? 538Une diplomatie de la porte close 547
3. La fin du colonialisme portugais Goa ? : la riposte portugaise 553Lisbonne alerte le Royaume-Uni et la communaut
internationale 553La communaut indienne du Mozambique, otage du Portugal 582Le satyagraha du 15 aot 1954 : tempte dans un verre deau 585
4. Goa, une affaire empoisonne 599Le regard de la presse occidentale sur le conflit en 1954 599Un bilan embarrassant pour Nehru 610Dadra et Nagar Aveli sous rgime indien : des lendemains
difficiles 621Lisbonne rorganise et intensifie sa propagande 623
Chapitre VII : La Neutralit Color de lEglise 641
1. A la recherche dun arbitrage catholique 642La dette romaine selon Salazar 642Un travail missionnaire affaibli en Inde par la question
goanaise 652Un clerg goanais brim par la discrimination religieuse
du Portugal 665Le retrait de Pie XII 672
2. En Inde, un clerg catholique de plus en plus favorable lintgration 684
Laction des jsuites espagnols de lInde du Sud contre lePortugal 684
Le clerg politis de Bombay 692Le cardinal Gracias, figure de lopposition clricale
goanaise contre le Portugal 698Rome, foyer de dissidence pour le clerg goanais
partisan de lintgration 703
721coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
Une Autogestion FragileChapitre VIII
Lchec politique de Nehru, aprs les vnements de juillet-aot 1954,
tout comme lchec de Salazar mobiliser lopinion catholique mondiale
autour de Goa baissent le rideau de la scne du conflit sur la prparation
de nouvelles stratgies. Le Pandit, dsabus par lopposition goanaise,
concentre dsormais ses efforts sur le blocus conomique contre Goa
alors que Lisbonne, forte de la survie miraculeuse de la souverainet
portugaise au lendemain du 15 aot 1954, sorganise tant bien que mal
pour lutter contre la pauvret grandissante de la population goanaise, en
renforant son intgration au sein de lEmpire portugais.
1. Lintgration renforce de lEstado da ndia dansla communaut lusotropicale
Le nouveau statut de Goa selon Salazar
Depuis 1947, la question du statut de lEstado da ndia na jamais cess
dtre pose et dbattue parmi llite goanaise, prenant une importance
croissante au cours de la premire moiti des annes 1950. La promul-
gation tant attendue dun nouveau statut est aussi lacte de foi dun
gouvernement qui a promis une certaine forme dautonomie des gn-
rations de Goanais se demandant si le colonialisme portugais tait encore
une solution politique viable dans le monde prsent. Mais le rgime
salazariste considre le changement comme la reconnaissance dune
dfaillance, le dbut de troubles. On prfre, comme toujours, arrondir les
722 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA
angles, rorienter, englober dans lEmpire. Un espoir stait pourtant fait
jour en 1946, lorsque le ministre des Colonies de lpoque avait annonc
la promulgation dun nouveau statut concrtisant les aspirations du
peuple goanais. Le gouverneur gnral de lEstado da ndia dalors, Jos
Ferreira Bossa, avait lui-mme encourag cette dcision en soulignant au
Conseil du gouvernement la ncessit de donner Goa un statut politico-
-administratif compatible avec son degr de civilisation. Mais deux
commissions composes pour loccasion de membres de ce mme
Conseil, et charges de prsenter le projet, avaient t tour tour dissou-
tes au cours du mois daot 1947. Une promesse de statut est finalement
ratifie le 25 novembre 1947, le texte se rsumant une vague rponse du
gouvernement au dsir dautonomie de la population goanaise formule
en ces termes : Si les nouvelles circonstances et lardent dsir de la
population daccrotre ses responsabilits justifient des modifications du
statut ou du rgime administratif, ceci est un problme qui concerne lInde
portugaise et nous-mmes et qui, tant dj ltude, aura sa solution
opportune394. Au mois de mai 1949, Goa reoit un nouveau statut sembla-
ble au prcdent. Salazar fait accepter ce statu quo la colonie en
promettant sa rvision dici cinq ans395.
En 1954, le ministre de lOutre-mer hsite toujours sur lorientation
donner un statut bien redout par le rgime et qui soulve tant de
divisions au sein de llite goanaise. A lAssemble nationale portugaise, le
projet oppose les deux dputs de lEstado da ndia, lun, Scrates da
Costa, voulant une intgration administrative renforce de Goa dans la
mtropole, le second, Cnego Castilho, rclamant une autonomie vrita-
ble pour la colonie. En vrit, lenjeu principal dun tel projet est surtout de
394 Se novas circunstncias ou anseios da populao que deseja aumentar as suas
responsabilidades justificam modificaes no Estatuto ou regime administrativo, isso problema
que ndia Portuguesa e a ns prprios respeita e que, estando j em estudo, ter oportuna
soluo ANTT-AOS/CO/UL- 24, Pt 3, 4a Subdiv : note du sous-secrtaire dEtat du MOM sur
le statut de lEDI. (s.d.). Sur ce point, se reporter la Premire Partie de notre tude.395 Voir notre Premire Partie ce sujet.
723coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
dterminer, pour le rgime salazariste, si lon peut reconnatre lInde
portugaise un statut particulier, plutt que de la doter dun texte lgislatif
qui, comme son habitude, sera commun ceux des autres colonies de
lEmpire, quelques articles prs. De ce point de vue, le ministre de
lOutre-mer a vritablement hsit et dbattu avec Salazar sur une telle
question. Une priode de flottement a rellement exist, situant lEstado
da ndia au seuil dune autonomie de ses institutions, anxieusement
observ par le reste de lEmpire colonial qui ne manquerait pas de
sengouffrer dans la brche ouverte par lexemple goanais. A Lisbonne, on
analyse les possibilits dun statut qui resterait cependant exceptionnel,
refusant denvisager un mme travail de rvision lgislative pour les autres
colonies. La Chambre corporative du gouvernement reconnat pourtant
les failles dune telle uniformisation des statuts coloniaux, plus ou moins
adapts selon chaque territoire et lorigine de leur malaise politique396
persistant. Elle dconseille pourtant au ministre de lOutre-mer daccor-
der un tel statut, politiquement prjudiciable pour le rgime. Redoutant
une porte ouverte lautonomie des colonies, la Chambre refuse un statut
exceptionnel pour Goa au nom du principe dgalit entre les colonies
dun Empire portugais unitaire et indivisible. Scrates da Costa, quant lui,
tente de sortir le gouvernement portugais de ses craintes ractionnaires et
dfend lAssemble nationale, ds le 23 janvier 1953, la reconnaissance
des spcificits de sa colonie justifiant un statut exceptionnel, mme si ce
dernier doit raffirmer par ailleurs lintgration du territoire dans loutre-
396 Expression employe dans le rapport du sous-secrtaire du MOM voquant []
un certain malaise politique subsistant dans lune ou dans lautre province, des critiques ou
des plaintes qui surgissent dun ct ou de lautre, venant du systme de gouvernement et
de ladministration taill uniformment pour tous et auquel les conditions de certaines
correspondent alors quil est plus ou moins inadapt pour les autres ([] um certo mal
estar poltico subsistente numa ou noutra Provncia, das crticas e representaes que de certa
ou certas delas intermitentemente tm partido, originados no sistema do Governo e de
administrao talhada uniformemente para todos, o qual, se quadra com as condies de
algumas, mais ou menos inadequado para essas outras [] ) ANTT-AOS/CO/UL- 24, Pt 3,
4a Subdiv : note du sous-secrtaire dEtat du MOM sur le statut de lEDI. (s.d.)
724 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA
-mer portugais. Il est rejoint sur ce point par Cnego Castilho, par ailleurs
favorable la solution autonomiste.
Finalement, Salazar tranchera, sans surprise, en faveur du maintien du
statu quo et du conservatisme. Il refuse ainsi de reconnatre lEstado da
ndia tout particularisme ou personnalit qui puisse le diffrencier des
autres colonies dun point de vue lgislatif. Goa sera loge la mme
enseigne. Le ministre de lOutre-mer reprend donc comme rfrence,
pour rdiger ce statut suppos changer le destin politique de la colonie, la
Constitution de la Rpublique portugaise dans sa forme en vigueur en
1953 et la loi organique de loutre-mer du 27 juin 1953. Larticle 4 de ce
nouveau texte affirme, derrire ses formules ambigus, la centralisation de
la mtropole : LEtat de lInde constitue une personnalit collective de
droit public, dote dune dcentralisation administrative et dune autono-
mie financire, en harmonie avec la Constitution et le prsent statut397.
Naturellement, le projet publi ne soulve gure lenthousiasme dans la
colonie, o les avis sont plutt partags. Au ministre de lOutre-mer, on
tente de se convaincre du bon accueil fait au texte, suite la raction positive
des membres du Conseil lgislatif au gouvernement de Panjim398 : on ne
peut pas dire que cette approbation traduit lopinion officielle de la popula-
tion de lEtat de lInde, vu quun tel conseil na pas de caractre reprsentatif,
mais lon doit reconnatre quelle semble en constituer un lment impor-
tant399. Cest oublier que le texte envenime galement des rapports tendus
entre le gouverneur et une partie de llite goanaise. Dj mcontents de la
397 O Estado da ndia constitui uma pessoa colectiva de direito pblico, dotada de
descentralizao administrativa e autonomia financeira, de harmonia com a Constituio e o
presente Estatuto ANTT-AOS/CO/UL- 24, Pt 3, 4a Subdiv : note du sous-secrtaire dEtat du
MOM sur le statut de lEDI. (s.d.)398 Voir notre Premire Partie, Chapitre I, sur la dfinition et les attributions de ce
conseil.399 No se pode dizer que esta aprovao manifesta a opinio oficial da populao do
Estado da ndia, visto que tal Conselho no tem carcter representativo, mas deve reconhecer-
-se que esse parecer constitui elemento importante dela ANTT-AOS/CO/UL- 24, Pt 3, 4a
Subdiv : note du sous-secrtaire dEtat du MOM sur le statut de lEDI. (s.d.)
725coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
loi organique sur loutre-mer de 1953 qui raffirme la centralisation de lActe
colonial, les Goanais font prsent sentir, avec la publication du projet de
statut en 1954, leur dception ou leur colre pour les plus courageux.
Frustre dans ses espoirs, llite goanaise sagite en dbats sur les modalits
dune plus grande autonomie du pouvoir local russissant contourner les
principes centralisateurs de la Constitution portugaise.
Deux principaux courants de penses se dessinent, que lon retrouve
chacun rsum par les articles de deux avocats goanais, Amadeu Prazeres
da Costa et Vinaica Sinai Coissoro, loccasion de leurs commentaires sur
le nouveau projet de statut politico-administratif pour Goa. Leurs textes,
devant paratre respectivement dans le O heraldo et lHeraldo, sont bien
videmment censurs par le gouverneur gnral. Amadeu Prazeres da
Costa dmontrait, en effet, que le nouveau statut, bas sur la Loi organi-
que, ne concdait pas, en vrit lautonomie financire et administrative
promise par Lisbonne. Partisan dune dcentralisation au profit de lexcu-
tif, la gestion du budget de la colonie doit revenir, pour lui, au
gouvernement central de lEstado da ndia, sans que le Conseil lgislatif ait
un droit de regard. Da Costa aurait toutefois voulu que ce conseil ait plus
dautonomie par rapport au gouvernement central. Vinaica Sinai Coissoro,
pour sa part, prne la dcentralisation au profit des lus du Conseil
lgislatif quil aurait souhait voir muni des pleins pouvoirs. Dans les deux
cas, les Goanais souhaitent dtacher leur gouvernement de Lisbonne,
avec ou sans laide du Conseil lgislatif.
Mais Salazar reste inflexible. Dans son discours du 30 novembre
1954 sur Goa, lAssemble nationale, il rpond aux partisans de lauto-
nomie au sein dune confdration portugaise ou indienne de ne pas
esprer un statut de dominion, mme sil admet que leur mconten-
tement lgard de la doctrine de lActe colonial de 1930 doit tre pris
en considration, comme tant lorigine de la crise400, ceci en rfrence
400 La question de Goa, Lisboa : Secretariado Nacional da Informao, 1954 [version
franaise du discours prononc par son excellence le prsident du Conseil, professeur Dr.
Oliveira Salazar, le 30 novembre 1954, lAssemble nationale].
726 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA
aux craintes de llite goanaise de voir reculer sa culture et sa capacit
dintervention dans ladministration et dans la direction des affaires
publiques de lEtat. Mais si la proposition fdraliste, suivant le modle
britannique, pouvait enfin rsoudre le conflit entre lInde et le Portugal,
Le bon sens commun a reconnu [] que cette dernire solution tait
en-dehors non seulement de nos meilleures traditions, mais encore
des possibilits matrielles de lEtat de lInde, tant donn la petitesse
et la dispersion des territoires401. Salazar dnonce la solution autono-
miste comme la voie toute trace vers labsorption pure et simple de Goa
par lUnion indienne. Il avertit, en outre, que le statut reste une affaire
interne concernant lunit des Portugais et nest en aucun cas une tenta-
tive de solution un conflit cr par les ambitions annexionnistes de
lInde402.
Ce discours doit cruellement les autonomistes. En dsespoir de
cause, une partie dentre eux dcident denvoyer une ptition Salazar, le
28 dcembre 1954, appele le statut des 62 (du nombre de ses signatai-
res). Ils y exposent leur conception autonomiste du statut de lEstado da
ndia. Parmi les signataires, on retrouve Antnio Bruto da Costa, Antnio
Furtado, Vanaica Coissor, et dautres avocats, mdecins, pharmaciens,
commerants, propritaires, bref une grande majorit de Goanais appar-
tenant la classe aise de la colonie. Le document soppose au statut
voulu par le gouvernement de Lisbonne qui, par le vague de ses formules,
soulve de nombreuses interrogations et se caractrise par labsence
dinnovations. Pour les autonomistes, le projet de statut ne dit pas grand
chose en effet sur un point crucial : la reprsentation et les attributs du
401 ibidem.402 Que le nouveau statut que lon prpare en ce moment permette trs prochainement
dintensifier et de dvelopper la collaboration de toutes les valeurs de Goa, cest l lunique dsir
de tous les Portugais ; mais le problme naura pas fait un pas en avant en ce qui concerne
lUnion indienne, parce quau fond de son hostilit ne se trouvent pas nos problmes, mais
exclusivement ses problmes elle, le problme de son amour-propre et de ses ambitions
ibidem.
727coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
Conseil du gouvernement, organe suceptible de porter au pouvoir un plus
grand nombre de Goanais dmocratiquement lus. Sur ce point, le minis-
tre de lOutre-mer, Sarmento Rodrigues, est rest trs prudent. Les
autonomistes rclamaient une augmentation des pouvoirs politiques du
Conseil lgislatif de lEstado da ndia afin de raliser une dcentralisation
financire et administrative. Le ministre refuse car il voit (non sans
raison) dans la constitution dorganes pouvant mettre des dcrets, dci-
der de la composition, du recrutement, des attributions et des salaires des
cadres de ladministration coloniale, une porte ouverte linflation de
fonctionnaires403.
Mais les ptitionnaires dnoncent surtout le fait que le Conseil lgis-
latif, selon les dispositions de la loi organique, nest pas suffisamment
reprsentatif et ne correspond pas, en consquence, aux souhaits de la
partie libre de la population, pour reprendre leur expression dsignant
les lments autonomistes de la colonie. Ils rappellent Salazar que le
projet doit rpondre aux demandes formules en 1947 : Beaucoup de ces
signataires ont dj dbattu du sujet il y a sept ans de cela au moment o
une initiative de lAssemble nationale a cherch sonder lopinion publi-
que de la colonie, concluant son irritation vis--vis des lois votes au
Parlement et la dtrioration de la situation dj existante404. En dautres
termes, les signataires de la ptition rappellent Salazar sa part du
contrat, pass en 1947 : ladhsion des autonomistes au maintien du
drapeau portugais Goa, au moment de lIndpendance indienne, contre
la promesse dune autonomie financire et administrative pour la colonie,
tablie par un nouveau statut.
403 ANTT-AOS/CO/UL- 24, Pasta 3, sur le projet dun nouveau statut politique pour lEDI,
1a Subdiv : lettre du ministre de lOutre-mer, M.M. Sarmento Rodrigues, Salazar, le 20
octobre 1954.404 Muitos dos signatrios discutiram j assunto h longos sete anos quando iniciativa
Assembleia nacional se procurou auscultar opinio pblica Pas, vindo da estranhamento
enfado com que foram acolhidas Bases Orgnicas votadas Assembleia Nacional e deterioramento
situao j existente ANTT-AOS/CO/UL-24, Pt 3, 3a Subdiv : ptition goanaise adresse
Salazar, le 28 dcembre 1954.
728 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA
Concrtement et pour rsumer, le statut des 62 dfendait, contre les
dispositions de la loi organique de loutre-mer, les points suivants :
1. Une rforme du systme budgtaire qui affirme lautonomie finan-
cire complte des organes de lEstado da ndia disposant chacun
de leurs recettes.
2. Le renforcement des pouvoirs lgislatifs du conseil aux dpens de
ceux des organes mtropolitains et du gouverneur gnral.
3. La runion et laval du Conseil lgislatif pour appliquer la lgisla-
tion du gouvernement local dans lEstado da ndia.
4. La diminution des fonctions excutives du ministre de lOutre-
-mer.
5. Les fonctions dlibratives du Conseil excutif.
Lisbonne voit surtout dans cette ptition des arguments irrecevables
voire inconstitutionnels tels que le retrait aux organes mtropolitains de
leurs comptences lgislatives Goa pour une plus grande autonomie de
la lgislation locale. Admettre cela serait reconnatre un des plus impor-
tants lments de lindpendance politique. Bref, les 62 demandent
lautonomie administrative et la fin des prrogatives lgislatives mtropo-
litaines. Cela, le gouvernement portugais ne peut laccepter, craignant de
voir un tel statut faire basculer Goa vers lindpendance. Au ministre de
lOutre-mer, on ne manque pas de le souligner : il convient galement
dobserver que lassemble nationale tout comme certains dputs (par
exemple le Dr Scrates da Costa...) ont point du doigt le danger dune
autonomie administrative qui se transformerait en self-government et en
indpendance405.
Sarmento Rodrigues juge, pour sa part, avec ddain le groupe des
signataires qui ne reprsente pour lui quune petite poigne dhommes
405 Convm ainda observar que tanto a cmara corporativa como alguns deputados (por
exemplo, o Dr Scrates da Costa...) apontaram o perigo de a autonomia legislativa resvalar em
self-government e independncia ANTT-AOS/CO/UL-24, Pt 3, 4a Subdiv : note du sous-
-secrtaire dEtat du MOM sur le statut de lEDI. (s.d.).
729coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
non reprsentatifs de la colonie, cherchant montrer leur esprit dind-
pendance et prparer, concernant les avocats, leur avenir professionnel
dans une Goa indienne. En quelques mots expditifs, Rodrigues explique
Salazar quil sagit surtout de Goanais qui ne sont pas portugais, des
hindous, naturellement dtachs de la mtropole, ainsi que des chrtiens,
assez aveugles et mesquins pour sopposer ainsi au Portugal, bref des
conservateurs capitalistes. Au-del de lcrasant mpris du ministre pour
les ptitionniaires, trop peu nombreux pour tre pris au srieux, Rodrigues
prend surtout la mesure dun mouvement sans organisation ni idologie
ncessaires pour rsister au pouvoir colonial : Il leur manque ce quon
peut appeler de lopinitret et qui est simplement une fermet dans leurs
opinions, sans avoir un besoin quasi physiologique de changer dides406.
La ptition nest pas celle dun groupe politique mais le fait dune runion
de personnes ayant les mmes intrts conomiques et restant du ct
portugais pour la sauvegarde de leur patrimoine. Le ministre pense quils
ont tout perdre avec le merger : [...] plus par intuition quen vertu de la
raison, jai confiance dans leur patriotisme au bout du compte. Ils ont [...]
affirm leur dvouement. [] Eux risquent tout : leurs biens, leur terre,
leur foyer407.
Salazar ne cde pas aux demandes des 62. Par le nouveau statut,
lAssemble nationale portugaise et le gouvernement demeurent les orga-
nes centraux de ladministration de la colonie. LEstado da ndia reste men
par son gouverneur gnral et par le ministre de lOutre-mer en mtro-
406 Falta-lhes isto a que podem chamar teimosia, mas que simplesmente a firmeza nas
opinies, sem necessidade quase fisiolgica, de mudar de ideias ANTT-AOS/CO/UL-24, Pt 3,
3a Subdiv : note manuscrite de M.M. Sarmento Rodrigues, ministre portugais de lOutre-mer,
Salazar. (s.d. : probablement de janvier 1955).407 [...] mais por intuio do que em virtude de razes, tenho tido confiana no seu
patriotismo final. Eles tm [...] afirmado a sua dedicao. [] Eles arriscam tudo : os bens, a sua
terra, o seu lar ANTT-AOS/CO/UL-24, Pt 3, 3a Subdiv : note manuscrite de M.M. Sarmento
Rodrigues, ministre portugais de loutre-mer, Salazar. (s.d. : probablement de janvier 1955).
730 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA
pole. Les comptences lgislatives du mme ministre sexercent sur les
droits et les liberts. Il peut approuver, ratifier les accords et conventions
que le gouvernement de Panjim a ngocis avec dautres gouvernements
de provinces et de territoires nationaux ou trangers408. Le ministre de
lOutre-mer concde les amnisties et les grces, dfinit le rgime des biens
du domaine public, fixe les principes fondamentaux des institutions et
lorientation de lenseignement, organise les tribunaux, communs ou
spciaux, en accord avec la Constitution et le statut, soccupe des affaires
relatives la dfense de lInde portugaise, veille au respect des lois, annule
ou rvoque les dcrets manant des organes du gouvernement de Goa
sils sont contraires ceux venant de la mtropole concernant la colonie.
Bien sr, il revient au prsident du Conseil de prsenter lAssemble
nationale les propositions du ministre de lOutre-mer.
Salazar naccepte donc aucun compromis sur le statut de lEstado da
ndia. Il va mme plus loin, comme pour effacer ce moment dhsitation et
de flottement du gouvernement vis--vis des revendications goanaises, en
supprimant le seul article concdant quelque chose dans ce domaine. Il
sagissait de larticle 10, section I, du statut qui nonait : Quand le
ministre de lOutre-mer estimera que la lgislation quil aura publie ou
prtend publier pour les autres provinces doit sappliquer lEtat de lInde,
selon la comptence confre par la loi organique de lOutre-mer et en
dehors des cas prvus par larticle prcdent, il reviendra au gouverneur
gnral de la transformer en proposition de loi, conformment aux articles
40 et suivants de ce statut409. Une loi qui doit tre applique Goa
408 Concernant les tractations avec dautres pays (lUnion indienne en particulier), le
ministre de lOutre-mer est relev de cette comptence, toujours assure par lomniprsent
prsident du Conseil, A. de Oliveira Salazar.409 Quando o Ministro do Ultramar entenda que deve ser aplicada no Estado da ndia
legislao que publicou ou pretende publicar para outras provncias, no uso da competncia
conferida pela Lei Orgnica do Ultramar e fora dos casos previstos no artigo anterior, determinar
ao Governador Geral que a transforme em proposta de diploma legislativo, conforme os arts. 40
e seguintes deste Estatuto ANTT-AOS/CO/UL- 24, Pt 3, 4a Subdiv : note du sous-secrtaire
dEtat du MOM sur le statut de lEDI, (s.d.).
731coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
comme dans dautres colonies pouvait, en Inde portugaise, tre prsente
sous la forme de proposition de dcret lgislatif particulier du gouverneur.
Ce ntait certes pas une concession politique en soi mais du moins,
Lisbonne y mettait elle les formes et reconnaissait implicitement lorigina-
lit goanaise par cette dlicatesse lgislative. Aprs la ptition des 62,
Salazar supprime dfinitivement cet article. Le ministre de lOutre-mer
contrle, l encore, ladministration de lEstado da ndia et peut ordonner
inspections et enqutes dans ses services et corps administratifs. Il a la
comptence de nommer, dengager, de transfrer, de promouvoir, de
renvoyer tout fonctionnaire de la colonie.
Ladministration de Goa se compose toujours principalement du gou-
verneur gnral, du Conseil du gouvernement et du Conseil lgislatif. Le
gouverneur reste, selon larticle 16, section II, du statut de 1954 [...] le plus
haut agent et reprsentant du gouvernement de la nation portugaise,
lautorit suprieure toutes autres servant dans la province, aussi bien
civiles que militaires, et ladministrateur du Trsor public410. Assist dun
aide de camp, dun officier ses ordres et dun secrtaire, il ne peut
sabsenter du territoire de la colonie sans lautorisation pralable du
ministre de lOutre-mer, de mme quil ne doit pas sabsenter de Panjim
plus de 48 heures, en prenant la prcaution denvoyer, l encore, un
tlgramme au mme ministre (article 19, section II). Le statut impose
ainsi un tat dalerte permanent pour le gouverneur qui doit assurer la
continuit du pouvoir en restant prsent dans la capitale. Cette disposition
reste laveu de la fragilit du gouvernement de Panjim face une adminis-
tration tenue par llite brahmane, inspirant peu de confiance au
gouvernement salazariste. Le prsident du Conseil renforce galement les
pouvoirs de son gouverneur en le dispensant de publier dcrets et autres
articles lgislatifs pour une application plus immdiate et plus arbitraire
410 [...] o mais alto agente e representante do Governo da Nao Portuguesa, a autoridade
superior a todas as outras que na Provncia sirvam, tanto civis como militares, e o administrador
da Fazenda Pblica ANTT-AOS/CO/UL-24, Pt 3, 4a Subdiv : note du sous-secrtaire dEtat
du MOM sur le statut de lEDI, (s.d.).
732 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA
de ses dcisions411. Larticle 24 qui imposait au gouverneur de runir son
Conseil du gouvernement en cas dinvasion indienne de Goa, Daman et
Diu412, est galement supprim, laissant au gouverneur les pleins pouvoirs
pour lorganisation dun tat de sige. Mais celui-ci doit tre pralablement
dcrt par lAssemble nationale portugaise, en vertu de larticle 91 du
statut, ce qui reprsente une vritable perte de temps dans les faits.
Le Conseil du gouvernement se compose, quant lui, dun secrtaire
gnral, dun commandant militaire, dun procureur de la Rpublique,
dun directeur des services des Finances, de deux avocats lus du Conseil
lgislatif, choisis par le gouverneur gnral413. Ce conseil est prsid par le
gouverneur gnral et dlibre en sessions secrtes. Une copie des dbats
est transmise au ministre de lOutre-mer. Ce conseil assiste le gouverneur
dans lexercice de ses fonctions excutives en lui soumettant notamment
un rapport sur les affaires du gouvernement et de ladministration de la
colonie. Il doit tre entendu lors de la rpartition du budget gnral entre
districts et autres divisions administratives, pour lapprobation de statuts
et de rglements dorganismes corporatifs et dassociations, pour la sus-
pension de rglements et autres dcrets caractre administratif. Il peut
galement dissoudre tout organe administratif. Le conseil peut modifier,
tablir ou supprimer des taxes ou intervenir quand il sagit daccords
prservant les prrogatives de lEtat portugais sur les mines, les monopo-
411 Salazar supprime notamment le premier alina de larticle 22 :
1er : Pour la ralisation de ses attributions, le gouverneur gnral peut publier des
dcrets et des arrts ( Para a realizao das suas atribuies, pode o Governador Geral
publicar diplomas legislativos e portarias)412 Larticle 24, 1, noncait la loi suivante : Dclarer provisoirement ltat de sige
dans un ou plusieurs points du territoire, dans le cas dune agression effective ou imminente
des forces trangres ou dans le cas o la scurit et lordre publics seraient gravement
perturbs ou menacs, en informant le plus rapidement possible le ministre de lOutre-mer
(Declarar provisoriamente o estado de stio em um ou mais pontos do territrio, no caso de
agresso efectiva ou iminente por foras estrangeiras ou no de a segurana e a ordem pblicas
serem gravemente perturbadas ou ameaadas, dando imediato conhecimento ao Ministro do
Ultramar pela via mais rpida).413 Ces avocats taient trois lorigine, choisis par le Conseil lgislatif lui-mme.
733coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
les industriels, la construction et lexploitation de routes et de ponts, des
travaux dirrigation, de drainage, dassainissement, la pche, les transports
fluviaux, etc. Le conseil est galement sollicit pour rglementer les
sjours des Indiens et des trangers sur le territoire goanais ainsi que dans
la dfense de la souverainet portugaise. Autrement dit, le Conseil
du gouvernement donne en dernier ressort ses arrts pour tout ce qui
concerne la vie locale administrative et conomique de Goa.
Le Conseil lgislatif reste, quant lui, le principal champ daction des
notables goanais auprs du pouvoir, par sa composition plus large de
membres lus, censs reprsenter la socit goanaise dans son ensemble.
Le nouveau statut diminue stratgiquement de moiti leur nombre, qui
passe de trentre-trois seize membres rpartis de la manire suivante :
Le premier membre est lu par des personnes de nationalit portu-
gaise payant des impts, partir dun certain minimum.
1 membre est lu par les organismes corporatifs et associations
dintrts conomiques (nomms par le gouverneur gnral).
1 membre (contre deux auparavant) est lu par les institutions
religieuses.
1 membre (contre deux auparavant) est lu par les comunidades et
aldeias.
1 membre (contre deux auparavant) est lu par les corps adminis-
tratifs.
6 membres sont lus au suffrage direct des citoyens appartenant
aux collges des lecteurs inscrits au recensement gnral. Chaque
membre est lu dans son district soit 1 lu (au lieu de 2) Goa cest
dire pour les concelhos de Goa, Ponda, Sanguem ; 3 lus (au lieu
de 2) pour la zone de Mormugo (les concelhos de Bardez, Pernem,
Sanquelim, Satari) ; 1 lu Daman, 1 lu Diu.
Les cinq autres membres du Conseil lgislatif sont nomms par le
gouverneur gnral savoir, un magistrat de seconde instance, deux
directeurs de service et deux individus dintgrit morale reconnue par
734 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA
leurs mrites prouvs, [qui] offrent des garanties de bonne coopration
(article 30, c)414. Tous les candidats aux lections du Conseil lgislatif
doivent remplir les conditions suivantes :
Etre citoyen portugais dorigine.
Avoir la majorit.
Savoir lire ou crire portugais.
Habiter en Inde portugaise depuis plus de cinq ans.
Avoir un casier judiciaire vierge.
Ne pas tre fonctionnaire dEtat ou des corps administratifs,
lexception de lexercice de fonctions denseignement.
Pour les candidats lus Daman et Diu, ces derniers doivent avoir
rsid au moins un an dans ces districts.
Le Conseil lgislatif se runit en session ordinaire, du 1er mars au 1er
septembre, sous la prsidence du gouverneur gnral ou du charg du
gouvernement. Les actes des sessions publiques sont publis en annexe
du Bulletin officiel de lEstado da ndia. Le gouverneur peut dissoudre tout
moment le Conseil. Ce dernier doit discuter puis voter ou non le budget
que lui prsente le gouverneur. Il est cependant interdit au Conseil lgis-
latif de proposer tout dcret entranant de nouvelles dpenses ou une
diminution des recettes (art 39, 2), ce qui laisse entendre que seul le
gouverneur peut supprimer une taxe ou un impt dj en vigueur. Les
dlibrations sont prises lunanimit des votes. On comprend donc que
les nouvelles dispositions de Salazar neutralisent encore plus toute capa-
cit dinitiative ou dindpendance du Conseil lgislatif au profit dun
excutif renforc, en la personne du gouverneur gnral.
Pour une meilleure efficacit, le statut rorganise de manire plus
concentre les services de lEstado da ndia, lexception du bureau du
gouverneur toujours divis en deux organes :
414 Dois indivduos de reconhecida idoneidade moral que, pelos seus comprovados
mritos, dem garantia de boa cooperao
735coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
La rpartition du cabinet : supervise les affaires expdies et excute
les missions incombant au gouverneur. Font partie de ce cabinet,
laide de camp du gouverneur, des officiers et des secrtaires ses
ordres.
Le secrtariat gnral : expdie les affaires. La charge de secrtaire
gnral de lEstado da ndia correspond celle dinspecteur sup-
rieur de ladministration de loutre-mer. Gnralement, ce poste
revient des personnes ayant dj exerc la charge de gouverneur
de district, de directeur ou chef des services de lAdministration
civile ou des Finances ou diplms en outre-mer ou au ministre
Lisbonne.
Les autres services se prsentent comme suit : services de ladministra-
tion civile, services douaniers, de lconomie, des finances et de la comptabilit,
de linstruction, de la marine, des travaux publics et des communications.
Quant aux divisions administratives des territoires goanais, leur auto-
nomie nest tablie que sur le papier. Rappelons que lEstado da ndia
compte quatorze concelhos, regroups en trois districts (Goa, Daman et
Diu). Les concelhos se subdivisent en freguesias. Concelhos et freguesias
sont dfinis comme des autarcies locales de lInde portugaise, selon les
termes de larticle 63, section II : Les concelhos et freguesias sont des
entits autarciques locales de lEtat de lInde et constituent des personna-
lits collectives de droit public, avec une autonomie administrative et
financire que la loi leur attribue415. La chambre municipale (cmara
municipal) reprsente le corps administratif du concelho, de nature lec-
tive, avec sa tte un prsident. La Junte de freguesia est le corps
administratif de la freguesia. Quand laire dune freguesia concide avec
celle dune aldeia dote dune comunidade, la Junte administrative peut
avoir les attributions de la Junte dune freguesia. Mais la vie administrative
415 Os concelhos e as freguesias so as autarquias locais do Estado da ndia e constituem
pessoas colectivas de direito pblico, com a autonomia administrativa e financeira que a lei lhes
atribuir
736 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA
de ces autarcies locales est en ralit soumise au contrle direct du
gouvernement de Panjim, ou un contrle indirect par lintermdiaire du
gouverneur du district, Daman et Diu.
Concernant lautonomie financire rclame par une partie des Goanais,
Salazar ne cde rien non plus. Le ministre de lOutre-mer autorise les
concessions, dans le domaine public, de communications radiotlgra-
phiques et radiotlphoniques, de carrires, de voies ferres dintrt gnral.
Il permet lmission dactions de socits concessionnaires, lobtention de
permis pour le stockage de carburants destins la navigation maritime et
arienne, etc. Bref, le Gouvernement de Lisbonne a le contrle total de
lconomie goanaise, concentre entre les mains du ministre de lOutre-mer.
Larticle 68 du statut cultive une fois de plus lambigut en nonant que :
Lautonomie financire de lEtat de lInde est sujette la surintendance et
au contrle du gouvernement [local], mais le ministre de lOutre-mer peut
dcider de restrictions occasionnelles savrant indispensables en raison de
situations graves de ses finances ou cause des dangers que celles-ci
peuvent faire encourir la nation416. Le ministre de lOutre-mer peut tout
moment dcider de contrler directement les finances de lInde portugaise,
sil juge la situation critique. En temps normal, Le budget de lEtat de lInde
sera annuellement organis, vot et donn appliquer aux organes de
province417 (art 69, 1). Le gouverneur prsente au Conseil lgislatif dans la
seconde priode de chaque session lorganisation de ce budget. Le mme
conseil vote ensuite le dcret fixant ce budget qui sera approuv par le
Conseil du gouvernement et mis en place au dbut de lanne conomique.
Le gouvernement de lEstado da ndia dcide aussi des ouvertures de crdit,
transferts et soutiens financiers (Art 70).
416 A autonomia financeira do EDI sujeita superintendncia e fiscalizao do Governo,
pelo Ministro do Ultramar, que pode estabelecer-lhe restries ocasionais que sejam
indispensveis por situaes graves da sua fazenda ou pelos perigos que estas possam envolver
a Nao417 O oramento do EDI ser anualmente organizado, votado e mandado executar pelos
rgos da Provncia
737coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
Les finances de lEstado da ndia appartiennent malgr tout Lis-
bonne qui cherche alors crer lunion conomique de son Empire,
suivant la logique autarcique et nationaliste de sa politique coloniale et
conomique permettant au Portugal de tourner le dos la communaut
conomique europenne en 1957418 : Au-del des finalits conomiques
et financires gnrales, [] on cherchera surtout, toujours en prenant
compte des caractristiques particulires de lconomie de lEtat de lInde,
raliser une unification conomique de la nation portugaise, supprimant
ou rduisant les droits dans les relations entre ses parcelles et en tablis-
sant un systme appropri dans ses relations avec les pays trangers (art
73, 2)419. Goa est plus que jamais incluse dans un systme conomique
portugais intgrant solidement chaque colonie dans lensemble imprial
et qui rend par consquent impossible la moindre autonomie financire.
Enfin, il convient de relever, parmi les trop rares volutions apportes
par le nouveau statut de 1955, quelques mesures visant une plus grande
souplesse du systme ducatif portugais Goa, afin de le rendre plus
attractif. Salazar dcide ainsi dinstituer lenseignement du konkani en
primaire, paralllement celui de la langue portugaise (art 74, 1)420. Le
418 Annonce par la rvision constitutionnelle de 1951, la constitution dun march
unique portugais est officialise le 18 novembre 1961. Cette nouvelle zone conomique a
ainsi pour but le dveloppement et lintgration de ses colonies, ouvertes la libre circula-
tion des personnes, des capitaux et des marchandises.419 Alm das finalidades econmicas e financeiras gerais, [] procurar-se- especialmente,
tendo sempre em conta as caractersticas particulares da economia do Estado da ndia, realizar a
unificao econmica da Nao Portuguesa, suprimindo ou reduzindo os direitos nas relaes entre
parcelas desta e estabelecendo um sistema apropriado nas relaes com os pases estrangeiros.420 Cette mesure tait en effet demande de longue date, comme lvoque le gouver-
neur gnral dans le O Heraldo du 14 juillet 1955 : Os votos formulados em sucessivos
Congressos Provinciais, as sugestes repetidas feitas na imprensa, o desejo expresso por todas
as formas possveis tiveram fruio no art 69 do Estatuto do Estado da ndia promulgado por
Decreto n 42216 e publicado anteontem em suplemento ao Boletim Oficial o qual estatuto no
seu n 2 que nas escolas primrias poder haver ensino da lngua concani, sem prejuzo da
portuguesa, o qual ser tambm admitido na preparao para o magistrio primrio
738 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA
prsident du Conseil soutient en effet cette langue, majoritairement
parle par les Goanais afin de ne pas voir les coles portugaises dsertes
au profit des coles anglaises. Il maintient galement le rseau des coles
prives, soumises aux mmes contraintes que les tablissements publics.
Surveilles par lEtat, ces coles peuvent tre subventionnes par les
pouvoirs publics, si leurs programmes et le personnel enseignant ont un
niveau gal celui des coles publiques. Enfin, les parents ont le choix de
donner ou non une instruction catholique leurs enfants (art 74, 5). Sur
ce point, notons quil est difficile pour les enfants de familles hindoues
aises (brahmanes en particulier) dchapper un enseignement tenu en
grande majorit par des ordres religieux.
Le refus de Salazar de cder aux Goanais une partie des commandes
de leur gouvernement dans les domaines cls de ladministration et des
finances se rvle, dun autre ct, bnfique pour une socit dsorgani-
se par sa corruption et ses luttes dinfluence au point de se mfier des
institutions locales, prfrant sen remettre la juridiction mtropolitaine,
plus impartiale. Ainsi, les rivalits dintrts entre castes et propritaires
terriens Goa amnent parfois les intresss demander lenvoi de juges
du Portugal. Sur ce sujet, revenons sur la lettre, dj cite prcdemment,
dun Goanais de Guirdolim, fils de propritaire terrien, qui avait pris linitia-
tive dcrire au ministre de lOutre-mer, en octobre 1954, pour lui demander
de retirer un certain F. Mascarenhas le comt de Guirdolim pour le
redonner une caste qui voulait y constituer une comunidade. Il rclame
cet effet lenvoi dun juge impartial de Lisbonne, dune envergure suffi-
sante, pour rsoudre le conflit et entendre la population. Pour Gomes,
un mtropolitain doit venir affirmer lautorit de Lisbonne Goa, parce
que lheure est critique421. Laffaire du comt de Guirdolim rend assez
421 porque a hora crtica ANTT-AOS/CO/UL-22, Pt 16, problme de lInde portu-
gaise. 1954 : lettre manuscrite de Virginio F. Gomes, de Guirdolim, Salazar, du 11 octobre
1954.
739coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
perplexe Sarmento Rodrigues qui suppose que lauteur voque ici un des
ternels problmes de lexploitation des terres par des groupes dindi-
vidus, les comunidades422. Comme pour tout ce qui a trait la vie rurale
et aux conflits de castes, le ministre de lOutre-mer, ignorant ces probl-
matiques, sen remet comme toujours au gouverneur gnral. La requte
de Gomes ne fait pas exception, ce qui montre la fois la distance de
Lisbonne vis--vis de la socit goanaise et le peu de poids des principes
centralisateurs du statut.
Le statut de lEstado da ndia est publi le 1er juillet 1955, en mme
temps que ceux des autres provinces doutre-mer, contrairement la
promesse qui avait t faite par le ministre Sarmento Rodrigues aux
Goanais de faire paratre leur statut avant ceux des autres colonies. Son
successeur depuis le 7 juillet 1955, Raul Ventura, approuve le choix tacti-
que de Rodrigues, se mfiant de leffet dentranement quaurait pu
provoquer, dans lEmpire, la publication isole du statut dune colonie
portugaise. LAfrique portugaise avait dj prpar sa demande de statut
particulier le mme mois : Il y a dj eu, en Angola et au Mozambique,
ceux qui ont demand si ces provinces ne mritaient pas les faveurs
prodigues lInde423. Au final, la publication simultane des statuts de
toutes les colonies portugaises obit un prudent calcul politique de la
part de Rodrigues : La simultanit contribuera aussi montrer que le
statut de lInde correspond une orientation gnrale424. La presse
indienne ne manque pas, quant elle, dinterprter ce texte comme une
422 um dos eternos problemas a explorao de terras por grupos de indivduos, as
comunidades ANTT-AOS/CO/UL-22, Pt 16, problme de lInde portugaise. 1954 : note du
ministre de lOutre-mer, M.M. Sarmento Rodrigues, Salazar, le 15 octobre 1954.423 Houve j em Angola e em Moambique quem perguntasse se estas provncias no
mereciam os favores dispensados ndia ANTT-AOS/CP-277, 7.277.6, Raul Jorge Rodrigues
VENTURA, ministre portugais de lOutre-mer : note de Ventura sur le statut de lEDI pour
Salazar du 19 juillet 1955.424 A simultaneidade contribuir tambm para mostrar que o Estatuto da ndia corres-
ponde a uma orientao geral ANTT-AOS/CP-244, 7.244.8, Manuel M. Sarmento RODRIGUES,
1954-1968 : note de Sarmento Rodrigues, ministre de lOutre-mer, Salazar, le 23 mai 1955.
740 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA
mesure tardive et dsespre de la part de Salazar, renforant le repli de
la colonie et marginalisant encore plus Goa dans le sous-continent indien,
au risque de la faire apparatre comme un territoire paria au sein de
lUnion indienne, lorsque lheure sera venue de son incorporation. Le
Times of India du 12 juillet 1955 prdit, de ce point de vue, lchec de
lintgration de Goa qui risque de ne pas tre accepte en Inde, son statut
confortant dj la population dans ses particularismes. Mieux vaudrait,
pour le journal, un statut dEtat autonome pour Goa en Union indienne.
Les efforts dinvestissements portugais pour le dveloppement
de Goa
Exploits partir de 1949, les nombreux gisements de fer prsents
dans le sous-sol goanais ont reprsent un espoir de dveloppement
conomique pour la colonie et une porte de secours face au resserrement
croissant du blocus indien. Pourtant, lextrme fluctuation des cours
du minerai na pas pargn Goa une crise de son industrie minire vers
le dbut des annes 1950, entranant son conomie dans une profonde
dpression, lorigine dune grande partie des dettes de la colonie.
Cependant, les investissements considrables du gouvernement de
Panjim, au cours de lanne 1954, pour lexploitation des gisements et le
dveloppement de la mcanisation de cette industrie permettent, vers le
milieu de lanne 1955, lessor de cette production et des profits. En rsulte
une nette amlioration de la sant conomique de lInde portugaise. Une
tude du ministre de lOutre-mer en 1957425, permet de mesurer cet
effort : le solde budgtaire net de Goa pour lanne 1954 est de 2 787 000
escudos pour 134 903 000 escudos de recettes la mme anne.
425 ANTT-AOS/CO/UL-63, Pt 1 : tude de la Direction gnrale des Finances du MOM en
1957 sur la situation conomique et financire des provinces doutre-mer pour la seconde
phase du plan de dveloppement (1958-1964).
741coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
Mines de fer Goa Auteur : Chalbert
(Arquivo de Fotografia de Lisboa - CPF / MC SNI/DO/31-00/29474)
742 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA
Recettes ordinaires de lEstado da ndia : Solde budgtaire net aprs les dpenses faites :1951 = 114 607 (en milliers descudos) 1951 = 14 078 (en milliers descudos)1952 = 126 142 1952 = 15 6611953 = 149 034 1953 = 17 4481954 = 134 903 1954 = 2 7871955 = 150 037 1955 = 15 557
Le fer et le manganse continuent de bien sexporter, achets princi-
palement par le Japon et lAllemagne. La production ne souffre pas, en
outre, de lexpulsion de la main-duvre indienne dcide par le gouver-
nement portugais au mois daot 1954, afin de prvenir tout risque de
dbordement venu de lintrieur du territoire, la veille du satyagraha.
Passe la crise du 15 aot, les autorits portugaises se font moins strictes
sur les passeports dune partie de cette main-duvre, revenue travailler
dans le territoire goanais. Le transport des minerais reste cependant
ralenti par le nombre rduit de wagons autoriss Goa par la South Indian
Railway, contrainte de suivre les directives de Delhi sur le blocus des
communications.
Lessor de la production minire partir de 1954-1955 permet Goa
de vivre une certaine euphorie conomique qui ne fait pas cependant
oublier aux autorits la grande instabilit de ce secteur sur le march
mondial. Lisbonne envoie ainsi, paralllement, ses techniciens, partir de
janvier 1954, pour moderniser lagriculture goanaise et atteindre
lautosuffisance si ncessaire pour contrebalancer les effets du blocus. Par
ailleurs, les efforts dinvestissements du gouvernement se concentrent sur
lamlioration et le dveloppement de ses infrastructures de communica-
tions, sur les artres conomiques essentielles de Goa, menaces galement
par le blocus. Une tude du ministre de lOutre-mer prvoit ainsi, pour
lanne 1957, la rpartition suivante des investissements Goa, donnant la
priorit aux ports et transports maritimes et fluviaux426.
426 Goa se situe juste aprs lAngola, dans le tableau densemble des colonies portugai-
ses, pour limportance de ses investissements dans ses ports et ses transports maritimes et
fluviaux soit 70 000 escudos contre 246 000 en Angola et 50 000 pour Macao et le
743coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
(Chiffres donns en milliers descudos)
Ports et transports maritimes et fluviaux 70 000
Urbanisation, eaux et lassainissement 50 000
Routes et ponts 20 000
Aroport 20 000
Agriculture 15 000
Dveloppement minier 5000
TOTAL 180 000
Les autorits sattaquent galement au domaine prioritaire de lassai-
nissement et de lapprovisionnement en eau de la population. Panjim doit,
pour cela, contracter un prt de 8 775 000 escudos auprs de la BNU pour
faire face lampleur des travaux qui restent cependant circonscrits aux
principales villes du district de Goa. Dune manire gnrale, la mtropole
participe financirement au plan de dveloppement conomique de Goa.
En dcembre 1952, la somme totale destine la premire phase du plan
pour lEstado da ndia slve 180 000 000$, compos des recettes de la
colonie (72 000 000$) et de prts (108 000 000$). Ces prts viennent de
lEtat portugais soit 73 000 000$ ainsi que de la Caisse Economique Postale
de Goa (35 000 000$)427.
Les mesures de contournement du blocus indien
Les efforts dinvestissements du Portugal dans le dveloppement de
la colonie sont toutefois loin de permettre lensemble de la population
goanaise de bnficier de ces volutions. Les Goanais, isols, contraints au
silence par le gouvernement local, subissent ingalement les consquen-
Mozambique. Chiffres repris dans ANTT-AOS/CO/UL-63, Pt 1 : tude de la Direction gn-
rale des Finances du MOM en 1957 sur la situation conomique et financire des provinces
doutre-mer pour la seconde phase du plan de dveloppement (1958-1964).427 ANTT-AOS/CO/UL-63, Pt 1 : tude de la Direction gnrale des Finances du MOM en
1957 sur la situation conomique et financire des provinces doutre-mer pour la seconde
phase du plan de dveloppement (1958-1964).
744 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA
ces du blocus, qui profite classiquement aux classes commerantes et
affame la population. Lisbonne veut pourtant afficher dans sa presse, sa
parfaite matrise de la situation. Mgr Castilho de Noronha, dput de
lEstado da ndia, et le Dr Antnio Pinto Gonalves, mdecin inspecteur des
services de sant de Goa, parlent dans le Dirio da Manh du 24 dcembre
1954 dune situation de grand calme dans la colonie, mme sils reconnais-
sent, par ailleurs, que le blocus ne peut continuer. Car la mesure restrictive
la plus durement subie par la population de Goa reste le gel des tranferts
dargent envoys par lmigration. Cette source de revenu concerne en
effet une grande majorit de familles, au point que le gouvernement de
Delhi, lui-mme, permet, malgr tout, des envois de sommes limites,
pour des raisons humanitaires428.
Le gouvernement salazariste trouvera le salut de Goa dans deux
directions principales : le dveloppement de son commerce avec le
Pakistan et Ceylan et la collecte de fonds de solidarit des communauts
migrantes goanaises travers le monde. Dans le premier cas, laide
pakistanaise et ceylanaise intervient de manire inespre et dcisive
dans le maintien du Portugal Goa. Conscient de limportance de ce
soutien, Peter Alvares, nouveau prsident du CNG, lance un appel aux
gouvernements de Colombo et Karachi pour quils refusent lentre de
leurs ports aux navires portugais429. Sa requte reste sans effet. Mais
Ceylan ne collabore que trs timidement avec le Portugal, craignant de se
discrditer auprs du monde dcolonis, et prfre afficher une certaine
neutralit complaisante. Colombo refuse ainsi de simpliquer dans un
conflit international face sa puissante voisine indienne mais ne cherche
pas non plus faciliter le blocus en cooprant avec lUnion. Le Sculo
reprend ainsi les propos du capitaine du port de Colombo, un certain
428 Un correspondant Londres du Dirio da Manh, le 8 aot 1955, estime environ
100 000 sterlings par mois le montant des sommes encore verses Goa et venant dUnion
indienne.429 O Sculo du 23 dcembre 1954.
745coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
Chandrosoma, qui rappelait que les lignes maritimes ntaient soumises
aucun accord international et que les navires ne bnficiaient pas dauto-
risation spciale de la part des ports, du moment quils payaient les taxes
dusage.
Lisbonne entame, par ailleurs, une politique de rapprochement non
officielle avec lennemi de lInde, Karachi, et rorganise, suite au blocus
conomique indien, une bonne partie de son commerce et de ses liaisons
avec lextrieur, grce au Pakistan. Lisbonne ouvre ainsi sa premire ligne
arienne en 1954 entre Goa, Daman, Diu et Karachi430. Ses lignes maritimes
relient galement Karachi Goa, suite la fermeture du port de Bombay
ses navires. Sans le prcieux et discret soutien pakistanais, Goa aurait
probablement cd plus tt au blocus et rejoint lUnion indienne. Son
commerce reste toutefois mesur et non officiel avec le Pakistan qui craint,
comme Colombo, la mauvaise rputation du Portugal dans le monde
dcolonis. En outre, ce commerce profite surtout au Pakistan qui vend au
Portugal plus quil nachte Goa. Mais le Portugal na pas dautres choix
et investit dans ses relations avec le Pakistan avec une constance qui dfie
les conclusions ironiques sur le croissant de lislam venu porter secours
lancienne Rome de lOrient.
Limportante communaut pakistanaise du Mozambique constitue
un argument de poids dans le rapprochement des deux pays. Le rgime
salazariste met dailleurs contribution ses intellectuels pour voquer la
solidarit africano-pakistanaise et rsoudre les contradictions religieuses
dune alliance insolite entre Lisbonne et Karachi. Le Dirio da Manh du 29
dcembre 1954 reprend, par exemple, dans son ditorial, les grandes
lignes de lintervention du professeur Pina Martins, alors lecteur de portu-
gais lUniversit de Rome, qui sefforait de dmontrer, au cours dune
runion de lAcadmie du monde mditerranen sur le thme des rela-
tions historiques entre le Portugal et le monde islamique, lentente naturelle
430 Au moment de loccupation indienne de 1961, cette ligne servira au rapatriement
de nombreux rfugis portugais et goanais vers le Portugal.
746 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA
entre communauts goanaise et musulmane, en raison de leurs principes
universalistes et unitaires et de leur foi monothiste. Selon lui, Goa, par son
hritage latino-chrtien, devait tre en effet considre comme la capitale
dune nouvelle civilisation mditerranenne, permettant de la latinit de
contribuer de faon essentielle au dveloppement historique de lAsie. Les
relations entre le Portugal et lislam existaient bien avant larrive des
Portugais en Inde, au moment de la domination musulmane des routes
commerciales avec la Mditerrane et lAfrique. La comparaison avec les
relations luso-pakistanaises actuelles est bien vite enjambe : Le Portugal
actuel assiste ce fait intressant et peut-tre unique dans lHistoire : ce sont
les diverses communauts musulmanes des provinces portugaises dOutre-
-mer qui surgissent comme une force spirituelle unitaire pour dfendre les
intrts latino-mditerranens de Goa face la menace indienne. Ce nest
pas seulement le Portugal mais tout le monde latino-mditerranen, qui
doit manifester sa gratitude lislamisme pakistanais et africain parce quil
sest rvl tre, une fois de plus, sur la mme ligne historique des intrts
spirituels et civils du monde catholique occidental, du monde chrtien luso-
-mditerranen431. Lauteur prdit une entente catholico-musulmane qui
trouvera une base commune sprituelle et matrielle, une foi monothiste
qui inspire toute la vie sociale et civile et la ligne historique des forces
complmentaires dans le cadre gographique et gopolitique. [] Cette
entente pourra signaler un virage dcisif dans lhistoire contemporaine432.
Le Portugal et le Pakistan unis, face la menace indienne commune.
431 E o Portugal de hoje assiste a este facto interessante e talvez nico na histria : so as
vrias comunidades muulmanas das provncias portuguesas ultramarinas que surgem como
uma fora espiritual unitria a defender os interesses latino-mediterrneos de Goa, perante a
ameaa indiana. E no apenas Portugal, mas todo o mundo latino-mediterrneo, deve manifestar
a sua gratido ao islamismo paquistnico e africano porque mais uma vez demonstrou encontrar-
-se na mesma linha histrica dos interesses espirituais e civis do mundo catlico ocidental, do
mundo cristo luso-mediterrano Dirio da Manh du 29 dcembre 1954.432 uma f monoteista que inspira toda a vida social e civil e a linha histrica de foras
complementares no mbito geogrfico e geopoltico. [] Esta entente poder assinalar uma
viragem decisiva na histria contempornea Dirio da Manh du 29 dcembre 1954.
747coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
Lautre direction visant sortir lensemble de la population goanaise
de la prcarit provoque par le blocus indien est suggre par le trs
salazariste Jos Nosolini, alors ambassadeur Madrid. Nosolini souhaite
sappuyer sur la solidarit financire de la prospre communaut indienne
et goanaise du Mozambique pour crer un fonds daide travers le
prlvement dune partie de ses bnfices. Il justifie cette mesure explo-
sive, dans sa lettre du 15 aot 1955 Salazar433, par le fait que larme la plus
efficace selon lui pour gagner le cur des Goanais se situe sur le plan
conomique : la premire proccupation du gouvernement doit tre de
trouver une solution au gel des transferts des fonds montaires de Bom-
bay, principale cause dappauvrissement de la population de la colonie.
Avec linstitution de ce fonds de solidarit, les Goanais de lEstado da ndia
et de Bombay pourraient emprunter et rembourseraient sous forme de
taxe. La communaut du Mozambique a les moyens financiers de crer
cette aide, comme elle lavait dj fait elle-mme savoir en 1954, lorsque
les Goanais de Loureno Marques avaient propos denvoyer 50 000
escudos pour aider leurs frres.
Lide de Nosolini sduit et ne tarde pas inspirer le gouverneur
Guedes qui, par un dcret du 24 aot 1955, impose aux commerants
indiens tablis Goa depuis plus dune dizaine dannes, dont les enfants
sont portugais et qui sont pratiquement sans liens avec lInde, une taxa-
tion gale celle que subissent les Goanais en territoire indien434. Pour le
gouverneur, cest de bonne guerre au vu des exactions de mme nature
commises par Delhi auprs de la communaut goanaise de Bombay et qui
ne tarderont pas sintensifier aprs les restrictions portugaises : Il est
naturel quils prennent des mesures de reprsailles encore plus svres
que les ntres sur les revenus et salaires de nos compatriotes et les remises
433 ANTT-AOS/CD-9, Jos NOSOLINI, lettre manuscrite du 15 aot 1955434 Le gouverneur ne juge pas opportun dappliquer cette taxe la communaut
musulmane de Goa dont certains sont citoyens indiens, afin de ne pas jeter dombre sur les
bonnes et si ncessaires relations entre le Portugal et le Pakistan.
748 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA
dargent de lEtat qui slvent 2 000 000 de roupies et de la BNU ; en
dehors des migrants qui sont en Union indienne, il y a beaucoup de
rsidents goanais ici et dans les autres territoires qui ont des biens et des
rserves en Union indienne435. Le prlvement dun pourcentage raison-
nable sur les bnfices des commerants indiens Goa et pourquoi pas,
au Mozambique permettra de soulager les familles dmigrants goanais
qui ne reoivent plus de fonds, daider les Goanais rcemment expulss
dUnion indienne, de donner des subsides pour le voyage et linstallation
de beaucoup dans dautres territoires de loutre-mer portugais leur offrant
du travail. Ce fonds serait gr par une commission dlgue par le
ministre de lOutre-mer.
La proposition de Nosolini ne tient cependant pas compte des rali-
ts conomiques du Mozambique. Dun ct, pass le mois de septembre,
les restrictions portugaises finissent malgr tout par amliorer la situation
de ces nombreuses entreprises indiennes, moyennes et petites, qui, pri-
ves des crdits de la BNU, sont contraintes de liquider leurs stocks et donc
de rduire leurs emprunts tout en passant leurs commandes des firmes
trangres. Moins endettes, elles dveloppent de nouveaux secteurs
dactivit. Mais de lautre ct, cette amlioration ne leur fait pas oublier
la persistance du blocus portugais sur leur commerce, troitement li
lvolution de la question goanaise. Inquiets pour leur avenir au Mozam-
bique, les Indiens se proccupent surtout de la manire dexporter leurs
capitaux (en Afrique du Sud notamment) bien plus que de la recherche
de nouvelles activits commerciales. Cette fuite des capitaux profite
lactivit bancaire mais annonce une crise importante de lconomie
mozambicaine illustrant lexcs de confiance de Lisbonne dans sa propre
capacit dinvestissement au Mozambique.
435 Natural tomem medidas represlias ainda mais violentas que as nossas sobre bens,
rendimentos e at ordenados nossos nacionais e sobre depsitos Estado que oram 2 000 000
rupias e BNU ; alm dos emigrantes que esto Unio indiana, h muitos goeses residentes aqui
e noutros territrios que tm bens e depsitos na Unio indiana ANTT-AOS/CO/UL-8I, 1949-
-55 : tlgramme du GG au MOM, le 24 aot 1955.
749coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
Le fait est que cette migration indienne fuit massivement, partir
de 1954, le pays en raison de la rpression conomique grandissante du
Portugal son encontre. Un recensement de tous les citoyens indiens
rsidant dans ce pays, envoy quelque temps plus tt par le ministre
de lOutre-mer, Raul Ventura, Salazar436, fait alors tat, pour lanne
1955, de 2 461 citoyens indiens et de 2 245 indiens qui ont acquis la
citoyennet portugaise en naissant au Mozambique (leurs parents res-
tant de citoyennet indienne). 535 Indiens, qui avaient dclar avant
lIndpendance leur double nationalit indo-britannique, dtiennent
prsent un passeport anglais. Cette population est donc estime un
total de 5 241 personnes contre 10 175 lanne prcdente. Les tensions
amenes par le conflit luso-indien ont pouss au dpart nombre de ces
migrants si bien que le ministre de lOutre-mer relve, entre 1950 et
1955, un nombre de sorties du pays suprieur au nombre dentres soit
19 391 sorties pour 18 192 entres. Ce dficit migratoire indien est une
menace pour lconomie mozambicaine lorsque lon sait quen 1955, les
revenus fixes engendrs par les activits commerantes, industrielles et
agricoles de cette population slvent 56.500.061$, la valeur de ses
biens fonciers 145 975 754$ et le capital nominal des entreprises
indiennes au Mozambique 133 149 448$437. La menace est telle sur
leconomie mozambicaine que le gouvernement portugais prendra un
dcret, le 26 aot 1955, leur interdisant de sortir du pays et dexporter
leurs capitaux.
A Goa, la nouvelle taxation du gouverneur menace peu, en ralit,
lactivit commerciale indienne de la colonie. Seuls les commerants les
plus importants ont survcu Goa, en raison des juteux bnfices raliss
travers le commerce de liqueurs et autres produits de luxe et de contre-
436 ANTT-AOS/CP-277, 7.277.6, Raul Jorge Rodrigues VENTURA, 1954-1957 : note de Raul
Ventura, ministre de lOM, Salazar, du 19 dcembre 1955.437 ANTT-AOS/CP-277, 7.277.6, Raul Jorge Rodrigues VENTURA, 1954-1957 : note de Raul
Ventura, ministre de lOM, Salazar, du 19 dcembre 1955.
750 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA
bande, favoris par le blocus438. Le gouvernement local le sait. Un journa-
liste de la United Press voque, en 1955, le march anim de Panjim o se
vend une grande diversit de produits des prix plus bas quen Union
indienne : Les cigares et les allumettes goanais cotent le quart du prix
demand en Inde ; il existe une large varit de choix de produits textiles
et un talage stupfiant dautres marchandises. Les boissons alcooliques
sont si bon march que si un membre de Westminster souhaite encore
connatre le prix du gin avant la Grande guerre, il lui suffit de passer
quelques jours de vacances Goa439. La loi sche impose par Bombay
dans sa rgion est rgulirement transgresse par la contrebande goanaise,
avec la complicit de la police douanire. Beaucoup de bars sont gale-
ment tenus ouverts Panjim. Cette libert de commerce des vins et
spiritueux pse dans la rticence des Goanais au merger. Selon le mme
journaliste, Les Goanais, dans leur majorit, paraissent satisfaits de leur
vie, tout comme les nombreux indiens qui vivent ici440.
438 Pour illustrer la situation conomique paradoxale de lenclave portugaise en plein
blocus, on peut citer lanecdote suivante loccasion dun autre voyage de Sarmento
Rodrigues en outre-mer. Profitant de son passage Goa, le 15 novembre 1955, sur le chemin
du retour vers Lisbonne, le ministre envoie Salazar deux bouteilles dune liqueur anglaise
quil considre comme lune des meilleures et qui se trouve difficilement sur le march,
sauf Goa o elle se vend en abondance ANTT-AOS/CP- 244, 7.244.8, Manuel M. Sarmento
RODRIGUES, 1954-1968 : lettre manuscrite de Sarmento Rodrigues Salazar, du 5 novembre
1955. Une telle situation nest pas sans rappeler celle de Pondichry entre 1949 et 1954.439 Os cigarros e fsforos goeses custam um quarto dos preos pedidos na ndia ; existe
uma larga variedade de produtos textis por onde escolher e uma assombrosa exposio de
outras mercadorias. As bebidas alcolicas so to baratas que se algum membro de Westmins-
ter ainda desejar saber o preo do Gin antes da Grande Guerra, tem apenas de passar umas
frias em Goa ANTT-AOS/CO/UL-23D, Pasta 1 : Pasta 1, 2a Subdiv. : rapport des Services de
presse du MNE du 30 aot 1955, chronique de Stewart Hensley de la United Press, la fin du
mois daot 1955. 440 Os Goeses, na sua maioria, parecem satisfeitos com essa vida e assim tambm os
muitos indianos que ali vivem ANTT-AOS/CO/UL-23D, Pt 1, 2a Subdiv. : rapport des Services
de presse du MNE du 30 aot 1955, chronique de Stewart Hensley de la United Press, la fin
du mois daot 1955.
751coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
Nanmoins, cette relative prosprit ne touche que la classe commer-
ante de Panjim. Dans le reste du territoire, la population sappauvrit de
plus en plus. Le fonds propos par Nosolini visait surtout favoriser
linsertion des Goanais, pousss par le blocus rechercher du travail dans
les autres provinces doutre-mer, demandeuses de main-duvre, et vers
lesquelles le gouvernement portugais souhaiterait voir les Goanais se
diriger, spcialement vers le vaste territoire de lAngola, encore peu
exploit. Or, les tensions traditionnelles entre Africains et Indiens441 am-
nent souvent les Goanais privilgier dautres destinations telles que
Karachi ou le golfe Persique (Bahren, Kowet, Abadan). Au Mozambique,
les Africains ne font pas de distinction entre les Goanais, citoyens portu-
gais, et les citoyens indiens jalouss pour leurs richesses et has les uns
comme les autres. Nosolini souhaiterait, de ce point de vue, dvelopper
une propagande prsentant la communaut goanaise du Mozambique
comme la victime des Indiens de ce mme pays, afin daffirmer la protec-
tion officielle du gouvernement portugais sur les Goanais et de leur
confrer une immunit qui les mette labri de la population africaine.
Lmigration goanaise devrait tre prsente, selon lui, comme une dias-
pora de rfugis, victimes de lInde et protgs du gouvernement portugais.
Nosolini explique Salazar, dans une lettre du 22 septembre 1955, la faon
dont la propagande portugaise devrait victimiser lmigration goanaise :
Leur infortune actuelle, lmouvante exaltation patriotique et la compas-
441 Rappelons que Nehru lui-mme, dans son discours dinauguration du Dpartement
des Etudes africaines de lUniversit de New Delhi, demande aux Indiens vivant en Afrique
de ne pas compter sur laide de lInde sils exploitent les Africains. Citons encore, pour
illustrer les tensions entre les deux communauts sur le sol africain, la violente opposition
dclenche en Ouganda par la proposition britannique de nommer un Premier ministre
asiatique. De tels vnements font les choux gras de la presse portugaise (et sud-africaine)
qui dnonce la duplicit indienne et lhypocrisie de la notion de solidarit afro-asiatique
promue par le monde dcolonis. Le Dirio de Notcias du 18 aot 1955 voque ainsi la
tendance de certains de ces migrants indiens vouloir conforter leur position en aiguisant
la lutte entre Africains et Europens et faire croire que le gouvernement indien doit
promouvoir une croisade anticoloniale en Afrique.
752 LA FIN DE GOA ET DE LESTADO DA NDIA
sion du monde contribuent, en ce moment, attnuer certaines mauvai-
ses volonts ou craintes venant des autres parties de lEmpire. Puisquau
Mozambique, par exemple, la raction est contre lIndien, on peut montrer
que le Goanais est victime de lIndien : il est galement contre lui. Cest le
travail de la presse locale et des missions portugaises de crer un tel
climat. En Angola, il ny a pas de prjug aussi marqu et il y a, comme lon
sait, un manque de main-duvre []442. Nosolini pense aussi au Brsil
qui a fait preuve de solidarit avec le Portugal dans le cas de Goa et qui
serait une bonne terre daccueil pour les Goanais chrtiens ainsi que
lEthiopie o rside une communaut importante de Goanais qui mrite-
rait dtre renforce par de nouvelles arrives.
Mais le gouvernement portugais sefforce surtout de diriger lmigra-
tion de main-duvre goanaise cre par le blocus et risquant de dpeupler
lEstado da ndia, vers les autres territoires de son Empire, afin de crer
ou de renforcer de nouvelles connexions financires qui permettront de
faire vivre Goa travers lenvoi de ces nouveaux salaires. Lintgration
du Goanais reste cependant difficile dans ces rgions. Ils sont souvent
considrs comme des trangers, y compris aux yeux des Indiens eux-
-mmes. Antnio Gama Pinto, lune des plus grandes fortunes du Brsil et
descendant dune des plus vieilles familles de Goa (elle compte notam-
ment un gouverneur du Mozambique), en tmoigne. Dans une interview
accorde au journal brsilien O Dia du mois daot 1955443, il voque, titre
danecdote, son arrive de nuit Cape Town, la recherche dun htel.
Tous les tablissements sud-africains lui sont ferms en raison de sa
442 A sua desgraa actual, a exaltao patritica que nos move e a compaixo do mundo
contribuem, neste momento, para atenuar certas ms vontades ou receios das outras partes do
imprio. Depois, por exemplo, em Moambique a reaco contra o ndio, pode fazer-se mostrar
que o Gos vtima do ndio : tambm contra ele. trabalho da imprensa local e das misses
portuguesas fazer tal ambiente. Em Angola, no h to vivo prejuzo e h, como sabe, muita
falta de braos [] ANTT-AOS/CD-9, Jos NOSOLINI : lettre de Jos NOSOLINI Salazar, le 22
septembre 1955.443 Article repris par le Dirio da Notcias du 24 aot 1955.
753coleco BIBLIOTECA DIPLOMTICA
couleur de peau. Il va demander alors asile auprs de larme indienne en
poste dans la ville mais essuie le mme refus car il est vu non comme un
Indien mais comme un Portugais.
Autre consquence paradoxale du blocus indien, celui-ci aura permis,
malgr larrt du commerce avec lUnion indienne et le gel des transferts
bancaires, de relancer partiellement lconomie goanaise dans certains
secteurs, et notamment celui de la banque, travers un renouveau
dactivit pour la BNU de Goa. Telles sont les conclusions de Tefilo Duarte,
nouvel administrateur de la BNU, aprs avoir visit la colonie, au mois de
mars 1955. Selon son rapport444, lEstado da ndia serait mme dans une
position conomique meilleure quen 1947, tant pour ses exportations et
ses importations que pour lactivit locale de la BNU. Avant 1954, tout
sachetait en Union indienne, ce qui permettait le dveloppement de nom-
breuses firmes des deux cts de la frontire goanaise. Le commerce local
fleurissait, grce la venue hebdomadaire de milliers dIndiens se fournis-
sant Goa en produits dimportation europenne. Cette activit commerciale
a impuls elle seule le mouvement bancaire de la colonie mais surtout de
la banque indienne qui pratiquait une taxation moins leve que la banque
portugaise, laquelle exigeait des pargnants le paiement dintrts. A partir
de la fin de lanne 1954, plus rien ne simporte dUnion indienne ni ne
sexporte de Goa vers lInde. Le blocus empche le transfert annuel Goa
dun million de roupies des quelque 80 000 migrants goanais de Bombay.
Ce dernier lment inquite le plus Duarte qui craint des retombes politi-
ques et conomiques graves long terme. Les capitaux sont galement
immobiliss, obligeant lEtat portugais accorder des crdits parfois trs
larges aux concessionnaires miniers, privs dinvestisseurs trangers445.
444 ANTT-AOS/CO/UL-23, Pasta 18 : rapport de Tefilo Duarte sur sa visite en EDI et
surtout des agences de la BNU Goa, le 24 mars 1955 (crit de Dili-Timor).445 Tefilo Duarte constate quelques abus dans ce domaine et recommande de
diminuer progressivement ces prts, notamment la firme Timblo qui a bnfici de crd
Recommended