View
2
Download
0
Category
Preview:
Citation preview
1
Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne Master 2 Recherche
Gisela LUJAN ANDRADE
Le rapport entre le scandale politique médiatique et la « libération » de la
presse écrite et télévisée durant le régime péruvien post-transition
d’Alejandro Toledo (2001-2006) : une contribution à l’analyse de la
transformation du champ journalistique dans les périodes post-transition.
Mémoire Master 2 Recherche Sciences Politiques
Sociologie et Institutions de la Politique
Directeurs de Mémoire
M. Damien de Blic, Université Paris VIII
Directeur Administratif.
M. Paul Zawadski, Université Paris I
Paris, septembre 2009
2
Je tiens à remercier tout particulièrement Monsieur Damien de Blic et
Monsieur Paul Zawadski sans qui ce travail n’aurait pu voir le jour.
J’ai fait le choix d’écrire ce mémoire en français et je vous remercie de le
lire avec indulgence, à propos de quelques erreurs de syntaxe ou d’orthographe
que je n’ai pas vu et qu’il reste dans ce mémoire.
Je souhaite par ailleurs exprimer ma profonde gratitude et
reconnaissance à mon père Carlos, mon frère Carlos et à Jean-Claude, pour
leur grand soutien. Merci enfin aux amis qui ont été toujours là.
3
INTRODUCTION ........................................................................................................................... 5 I. Le gouvernement d‟Alejandro Toledo (2001-2006) ............................................................. 6 II. Le panorama politique péruvien avant le régime d‟Alejandro Toledo ................................. 9
- Le régime d‟Alberto Fujimori, la décennie de l‟antipolitique (1990-2000) et la résistance « pacifique » d‟Alejandro Toledo, lors d‟élections 2000. ........................................................ 9 - Le scandale politique des « vidéos de la corruption », la chute d‟Alberto Fujimori et la transition politique ................................................................................................................. 12 - Le climat politique durant le régime de transition de Valentin Paniagua (2000-2001). ..... 13
III. La recherche : le scandale comme porte d‟entrée de l‟analyse de la transformation de l‟autonomie du champ médiatique dans la période de post - transition ............................ 15
- Les hypothèses de départ ................................................................................................. 17 - Justification de la recherche .............................................................................................. 19 - Terrain d‟enquête et corpus documentaire ........................................................................ 23 - Le plan de la recherche ..................................................................................................... 27
IV. Etat des lieux de l‟étude du scandale politique et la centralité des médias dans son déclenchement .................................................................................................................. 29
1. LES DENONCIATIONS JOURNALISTIQUES DURANT LE REGIME D’ALEJANDRO
TOLEDO (2001-2005) ......................................................................................................... 40 2. BILAN DES SCANDALES POLITIQUES DECLENCHES DURANT LE REGIME
D’ALEJANDRO TOLEDO .................................................................................................... 67 2.1. Quelques aspects théoriques ......................................................................................... 67 2.2. Bilan des scandales politiques durant le régime d‟Alejandro Toledo 2001-2005 .......... 71
- Le scandale de la falsification des signatures du parti politique Perú Posible : ................ 83 3. LA RELATION ETABLIE ENTRE LE JOURNALISME PERUVIEN ET LE
GOUVERNEMENT : LES ANTECEDENTS RECENTS ET LES CONSEQUENCES SUR LA RELATION LORS DE TOLEDO. .................................................................................... 90
3.1. Parcours historique de la relation établie entre la presse péruvienne et le
gouvernement : 1960 - 2000 .......................................................................................... 91 a. La relation presse-régime : 1960-1980 ......................................................................... 92 b. La relation presse-régime : 1990-1995. ......................................................................... 93 c. La relation presse-régime : 1996- 2000 ……………………………………………………95
- Les mécanismes de pression institutionnels utilisés par le gouvernement contre les médias péruviens : 1992-2000 ....................................................................................... 96
- L‟état de situation des médias lors de la campagne électorale 2000 (en faveur de la ré-réélection d‟Alberto Fujimori) .......................................................................................... 98
- Le rôle des médias lors de la campagne électorale 2000 ............................................ 104
3.2. Du silence à l‟ouverture informative. Les médias lors de la transition politique (le
gouvernement de Valentin Paniagua) .......................................................................... 109 3.2.1. La structure médiatique lors du régime de transition de Valentin Paniagua ............ 112
3.3. La structure médiatique et la situation judiciaire et économique des médias péruviens
lors du régime d‟Alejandro Toledo : ............................................................................. 116 4. LE JOURNALISME ET LE DECLENCHEMENT DES SCANDALES POLITIQUES LORS
DU REGIME D’ALEJANDRO TOLEDO : UNE ANALYSE DE LA PRATIQUE JOURNALISTIQUE DANS LA CONSTRUCTION DES SCANDALES, ET LES FACTEURS « EXTERNES » AYANT Y INFLUENCE. ........................................................................... 120
4.1. Les « facteurs externes » du champ politique ayant influencé sur le champ journalistique de la post-transition. ............................................................................... 122
4.1.1. L‟héritage du réseau de corruption lors du régime d‟Alberto Fujimori : la crédibilité du journalisme mise en question. ............................................................................................ 122
4
4.1.2. Le poids de l‟intérêt politique des opposants et dissidents du régime d‟Alejandro Toledo : l‟opposition politique, et les dissidents du parti politique gouvernemental comme principal source des médias ............................................................................................... 124
a. L‟opposition politique................................................................................................. 128 b. Les dissidents du parti gouvernemental ................................................................... 131
4.1.3. Le facteur « Toledo » : son image détériorée ........................................................... 135 4.1.4. Le facteur de « la famille » et les « proches » d‟Alejandro Toledo. .......................... 141
4.2. Explorant le champ journalistique de la post-transition : les « facteurs internes » étant
résultat de l‟influence du climat politique sur la pratique journalistique .............................. 142 4.2.1. Un président et un gouvernement « mal aimé » et « non respecté » par le journalisme .......................................................................................................................... 142 4.2.2. De défauts dans la communication présidentielle. ................................................... 146 4.2.3. Le climat d‟hypersensibilité dans l‟opinion publique vers la corruption gouvernementale n‟était pas étrange aux médias. ............................................................. 148 4.2.4. Le climat politique de surveillance du pouvoir a influencé sur la pratique journalistique : Le journalisme d‟investigation est devenu une mode ................................ 151 4.2.5. La dénonciation journalistique contre le Président et son gouvernement vendait. .. 153 4.2.6. Le cas de la source unique : le conflit journalistique de « sources intéressés » ...... 157 4.2.7. La fonction du journalisme: le contrôle social du gouvernement .............................. 161
5. CONCLUSIONS. CENTRALITE DU SCANDALE POLITIQUE DANS LE JEU POLITIQUE
ETABLI DURANT LA PERIODE GOUVERNEMENTALE D’ALEJANDRO TOLEDO. .... 167 BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................................... 173
5
Introduction
Le gouvernement d‟Alejandro Toledo (juillet 2001 – juillet 2006) est né au milieu
du scandale. Alejandro Toledo arrive au pouvoir le 28 juillet 20011, possédant
une image politique détériorée, en raison des dénonciations journalistiques
déclenchées durant les campagnes électorales 2000 et 2001. Les
dénonciations contre le nouveau Président, sa femme la Première Dame Eliane
Karp, son entourage politique et personnel, son parti politique Perú Posible
(Pérou Possible), se sont intensifiées durant les trois premières années de son
mandat, en faisant du scandale politique un élément central du jeu politique
configuré durant son régime.
En effet, certaines dénonciations déclenchées durant les élections 2000 contre
Alejandro Toledo, qui avait été le candidat de l‟opposition portant les espoirs de
vaincre le candidat-Président Alberto Fujimori (1990-2000), ont été reprises lors
de la campagne de 2001. Ceci fut le cas par exemple des dénonciations
mettant en question son intégrité morale et politique, tel que « le scandale
Zarai Toledo» (l‟enfant non reconnu par Alejandro Toledo) ou « le jour perdu de
Toledo » (un kidnapping pendant lequel, il aurait commis des actes « contre la
pudeur » après avoir été drogué), ont été reprises par ses opposants et les
médias péruviens. De même, d‟autres dénonciations concernant des actes de
corruption, d‟abus de pouvoir et de népotisme, impliquant son entourage
personnel, et politique, son parti, et le même le régime.
Ces dénonciations n‟ont pas arrêté après la victoire de Toledo. Au contraire,
elles ont augmenté en intensité, en enregistrant la fréquence la plus haute
durant les années 2003 et 2004. La fréquence ? Deux ou trois dénonciations
hebdomadaires publiées par les médias péruviens. Les sources ? Les
politiciens de l‟opposition et les membres mêmes du parti politique du
Président. Tout ce qui s‟est produit au milieu des démissions permanentes de
membres du parti politique d‟Alejandro Toledo, et de ses anciens
collaborateurs, des conflits au sein du parti politique de Toledo
1 L’installation d’un nouvel gouvernement s’effectue les 28 juillet. C’est la date de la Fête Nationale du
Pérou, en commémorant l’anniversaire de l’Indépendance nationale (28 juillet 1821).
6
La crise politique arriva bientôt au gouvernement d‟Alejandro Toledo. Et le
fantôme d'un probable « changement de Président» en raison de son
« insuffisance morale »2 commencé à s‟installer et son omniprésence,
s‟introduit de plus en plus souvent dans l‟agenda public péruvien.
I.
Le gouvernement d’Alejandro Toledo (2001-2006)
Alejandro Celestino Toledo Manrique gagna les premières élections
démocratiques célébrées après la finalisation forcée de la décennie autoritaire
d‟Alberto Fujimori (juillet 1990 – novembre 2000). Ces élections, effectuées
entre avril et juin 2001, furent organisées par le gouvernement de transition
politique de Valentin Paniagua installé les 22 novembre 2000, après que le
Parlement est refusé la démission du Président Alberto Fujimori –envoyée par
fax, depuis le Japon, le 20 novembre 2000 - et en envoyant comme réponse sa
destitution pour « insuffisance morale ».
Alejandro Toledo gagna les élections après un ballotage au premier tour (juin
2001). Il fut élu au deuxième tour en obtenant 53.1%, face aux 46,92% obtenu
par son adversaire. En effet, le soutien que Toledo avait obtenu lors du premier
tour était insuffisant : 36.6% des voix en faveur de sa candidature, et 26,3% en
faveur de son parti politique Perú Posible. Les possibilités de Toledo de
devenir Président de la République étaient presque nulles jusqu‟en février
2000. Cependant, et parmi d‟autres raisons, l‟image discréditée, et détériorée
d‟autres candidats plus forts -à cause des attaques directes effectués par la
« machine électorale » gouvernementale de Fujimori- ont rendu possible la
victoire de Toledo. Alors qu‟en janvier 2000, il n‟obtenait que 6% des intentions
de vote. Le jour des élections de 2000, il obtint 37% des voix.
Alejandro Toledo et son parti politique Perú Posible assumera le pouvoir le 28
juillet 2001, après une campagne depuis plus d'un an, et suite à trois
2 Un mécanisme constitutionnel utilisé pour la première fois par le Parlement péruvien en novembre
2000 pour destituer le Président Alberto Fujimori.
7
campagnes successives: durant la période électorale 1999-2000, durant la
résistance contre la troisième élection consécutive d‟Alberto Fujimori (juin-
novembre 2000), et durant la période électorale 2001. C‟est un élément
important à prendre en compte afin de comprendre les facteurs ayant porter le
discrédit sur l‟image d‟Alejandro Toledo.
Son parti politique, Perú Posible obtint 45 sièges sur 120 (26.3%) au Parlement
National (une seule chambre, depuis 1993). Cette situation a contraint le parti
Perú Posible créé des alliances au sein du parlement, dont la principale, et la
plus controversé fut celle avec le Frente Independiente Moralizador –Front
Indépendant Moralisateur- (11%, 11 sièges). C‟est ce parti qui avait présenté
aux médias, la première des 200 « vidéos de la corruption », celle qui avait
déclenché le plus grand scandale de l‟histoire politique péruvien contemporain,
et qui avait signé la fin du régime d‟Alberto Fujimori (voir point II de
l’Introduction, p. 8)
La désorganisation à l‟intérieur du Perú Posible, ainsi que le manque d‟un
programme gouvernemental bien structuré avec des objectifs précis, ont obligé
le nouveau gouvernement à ne pas dépendre principalement de lui. Au
contraire. Toledo décida de donner le 80% de Ministères (le Cabinet de
Ministres et formée par 15 ministres et un Premier Ministre) aux professionnels
indépendants (sans aucune filiation politique) de prestige, et provenant de
différents secteurs.3 A ce propos, le Président Alejandro Toledo déclara le jour
de la présentation du Cabinet : « Il s‟agit d‟un Cabinet ministériel possédant de
la solvabilité morale et professionnelle, où plus de 80% de ses membres
n‟appartiennent pas à Perú Posible… le message de ce Cabinet est de
chercher le consensus afin de rendre viable la gouvernabilité… « C‟est
pourquoi, on le fait réussir tous ensemble ou personne le fera, c‟est énorme
comme défi, mais on est décidé à faire face tous ensemble ». 4 Ces
3 Ce Cabinet de Ministres fut présidé par Roberto Dañino, un avocat qui jusqu’à ce moment-là avait
développé sa métier aux Etats-Unis et qui rentrait pour le Pérou pour assumer cette position 4 PRENSA WEB: Toledo anuncia los miembros de su Gabinete (Toledo annonce les noms des membres
de son Cabinet), Prensa Web [en ligne]. 2001, Lima, 21 juillet Disponible sur:
<http://mensual.prensa.com/mensual/contenido/2001/07/27/hoy/mundo/205741.html > (consulté le
03/05/2009)
8
nominations créeraient de l‟insatisfaction au sein du parti Perú Posible, un
sentiment qui a été exprimé publiquement au travers les médias.
L‟opposition politique fut présidée par l‟APRA (parti de centre-droit, Alliance
Populaire Révolutionnaire Américaine – Alianza Popular Revolucionaria
Americana), le parti politique du principal adversaire lors d‟élections 2001, Alan
García Pérez. Ce parti-là, le plus ancien, et le plus solide du Pérou (fondé en
1930 par Victor Raúl Haya de la Torre), acquit 19.7% des voix au Parlement
soit 28 sièges. L‟APRA, est devenu la deuxième force politique au sein du
Parlement, d‟obtenant ainsi, la présidence des principales commissions
parlementaires de surveillance, et contrôle de l‟action gouvernementale : la
commission de Fiscalisation, et la commission anti-corruption. Alan Garcia,
leader de l‟APRA, et ancien Président du Pérou (1985-1990) est devint le
leader de l‟opposition. Son retour dans la sphère politique s‟explique pour les
raisons suivantes : « tout d‟abord, la manière dont le gouvernement de Fujimori
est tombé a fait que, pour certains, le gouvernement de Garcia était apprécié
comme étant « moins mauvais » … ; ensuite, García a réussi, d‟une manière ou
d‟une autre, à se libérer des procès judiciaires ; finalement, la consistance de
son leadership, et le soutien de son parti ont constitué un avantage dans un
contexte de partis et de leaderships alternatifs mais précaires ».5 Le premier
gouvernement d‟Alan García (réélu en 2006) a finit sur une hyperinflation de
2,178.00% ; il fut accusé de corruption, et de violation des Droits de l‟Homme.
En 1992, il quitte le pays pour se réfugier en France, puis en Colombie; García
revient au Pérou en 2001, et se présente aux les élections présidentielles. Les
autres partis politiques conformant l‟opposition furent: Unidad Nacional –centre-
droit- (13.8%, 17 sièges) ; Somos Perú –centre-droit- (5.8%, 4 sièges) et
Cambio 90 –centre-droit- (4.8%, 3 sièges).
5 TANAKA, Martín, “El gobierno de Alejandro Toledo, o cómo funciona una democracia sin partidos”
(“Le gouvernement d’Alejandro Toledo, ou comment marche une démocratie sans partis) [en ligne]. In:
Política, 2004, Lima, no. 42, p. 144. Disponible sur:
< http://redalyc.uaemex.mx/pdf/645/64504207.pdf> (consulté le 30 juillet 2008)
9
II.
Le panorama politique péruvien avant le régime d’Alejandro Toledo
La période démocratique du Pérou commence dans les années 80, avec la
finalisation de plus de vingt ans de régimes militaires et l‟installation, en juillet
1980, du régime de Fernando Belaunde Terry6 (parti de centre-droit Acción
Popular –Action Populaire-). Cette décennie s‟est développée au milieu d‟une
crise économique qui s‟aggravait de plus en plus, tandis que la violence interne
menée par les guérillas Sentier Lumineux et MRTA (Mouvement
Révolutionnaire Tupac Amar) acquéraient plus de force. Au milieu de cette
scène-là, les partis politiques affrontaient une crise de représentativité, causée
principalement par leur incapacité à résoudre ces deux problèmes majeurs.
- Le régime d’Alberto Fujimori, la décennie de l’antipolitique (1990-2000) et
la résistance « pacifique » d’Alejandro Toledo, lors d’élections 2000.
Alberto Fujimori (nouvel parti politique, Changement 90 – Cambio 90-), un
ingénieur fils d‟immigrés japonais, sans parcours politique et partisan connu,
gagna les élections de 1990 avec le 56.5% des voix, après un ballotage. Son
principal opposant fut l‟écrivain Mario Vargas Glosa, qui représentait le
FREDEMO, une alliance électorale composée par un nouveau parti politique -le
Mouvement Liberté (Modifient Libertad)- et deux partis politiques traditionnels -
Action Populaire et le PPC (Parti Populaire Chrétien -Partido Popular Cristiano).
Dans ces élections, Fujimori s‟est présenté publiquement comme un bon
professionnel, honnête et travailleur, tout le contraire aux concepts associés à
la politique, et les politiciens péruviens (inefficacité, corruption, bureaucratie,
désorganisation, etc.) Ce discours a été présent non seulement durant la
campagne électorale mais aussi durant tout son régime; c‟est pourquoi, certains
analystes politiques, tel que le sociologue péruvien Carlos Ivan Degregori,
6 Fernando Belaúnde Terri gouverna jusqu’à 1985. Au Pérou, la période présidentielle dure 5 ans.
10
qualifient les dix ans du régime de Fujimori comme « la décennie de
l‟antipolitique ». 7
Les deux premières années du régime de Fujimori se sont caractérisées par la
présence d‟une forte opposition au Parlement (composé à ce moment-là par
deux chambres, le Sénat et la Chambre de Députés), qui ne lui permettait pas
d‟appliquer des politiques économiques et de défense interne. Fujimori, ayant
le soutien de l‟Armée, a fermé le Parlement le 5 avril 1992, et fait appel à de
nouvelles élections parlementaires. Cette action, considérée comme un auto-
coup d‟État, a marqué le commencement d‟un processus gouvernemental ayant
pour objectif principal, le contrôle total de l‟État. Au moment de l‟auto coup
d‟Etat, la côte de popularité de Fujimori atteignait 80%. En 1993, Fujimori
installa le nouveau Parlement, cette fois-ci d‟une seule Chambre (120
députées). Il obtiendra la majorité absolue, ce qui lui a permis d‟adopter une
nouvelle Constitution qui lui permettait une réélection présidentielle consécutive
(interdite par la Constitution de 1979. Ce mécanisme constitutionnel légitima sa
candidature durant les élections de 1995, dont il obtiendra la victoire, et une
ample majorité dans le Parlement.
Durant ses dix ans de mandat Fujimori a eu deux grandes victoires :
l‟application des reformes économiques néolibérales en réponse à la grande
crise économique de cette période (ces mesures ont arrêté l‟hyperinflation des
années 90, et elles ont amélioré la perception publique de la fonction
administrative, notamment, grâce à la privatisation des entreprises publiques) ;
mais aussi, sa victoire contre la subversion, et la violence politique interne.
Fujimori avait comme principaux alliés dans cette victoire, les Forces Armées
et policières (ex : la capture du leader de Sentier Lumineux, Abimael Guzman,
in 1992, et le massacre des subversifs du MRTA, qui avaient pris des otages
dans la maison de l‟ambassadeur de Japon en 1996. Ces actions ont été les
plus remarquées). Ces victoires ont contribué non seulement, à augmenter la
popularité du Président. Elles ont suscité un rejet général par rapport des
7 Pour plus de détails, lire: DEGREGORI, Carlos Ivan. La década de la antipolítica . Auge y huida de
Alberto Fujimori y Vladimiro Montesinos (La décennie de l’antipolitique. La chute et la fuite d’Alberto
Fujimori et Vladimiro Montesinos), Lima, IEP, 2000
11
dénonciations de corruption commises dans l‟Armée, et la Police en installant
une tolérance implicite envers les actes irréguliers du gouvernement.
L‟efficacité démontrée par le régime tant au niveau économique qu‟administratif
a effacé les questionnements concernant la corruption politique du régime, les
actes autoritaires et les violations des principes démocratiques. Donc, il
s‟installait un climat de tolérance généralisée de la corruption publique (inclus le
Pouvoir Judiciaire, et les Mairies). De même, le contrôle gouvernemental des
médias (voir chapitre 3) –rendu possible grâce à l‟utilisation d‟institutions
étatiques, telles que le Pouvoir Judiciaire, la Superintendance Nationale de
l‟Administration Tributaire SUNAT, et le service des renseignements nationaux
le SIN (Servicio de Inteligencia Nacional ; Service d‟Intelligence Nationale)- a
empêché que les dénonciations à propos de la corruption gouvernementale, et
les violations des Droits de l‟Homme trouvent un impact publique suffisant
pour devenir des scandales capables de faire reculer le gouvernement.
Malgré l‟impossibilité constitutionnelle de briguer un troisième mandat
présidentiel, Fujimori se présenta comme candidat dans les élections 2000. La
campagne électorale s‟est effectuée au milieu des critiques nationales, et
internationales, par rapport au manque de transparence. Le régime a entrepris
une campagne médiatique de discrédit et de diffamation contre les opposants
d‟Alberto Fujimori. Dans ces conditions, et après le premier tour (avril 2000), le
principal candidat de l‟opposition Alejandro Toledo, annonça de ne pas se
porter candidat dans au deuxième tour. L‟annonce de Toledo fut présentée
comme un signe de protestation face au manque de garanties, que ces
élections soient démocratiques, transparentes et ouvertes. Malgré cela, le
deuxième tour eu lieu en juin 2000. Alberto Fujimori obtint la victoire avec
74, 33% des voix, alors qu‟Alejandro Toledo n‟obtenait que 25,6%. Les votes en
blanc et nul atteignaient 31%.
Après ces résultats, l‟installation du troisième gouvernement consécutif
d‟Alberto Fujimori, devint inévitable. En juillet 2000, Alejandro Toledo, et les
dirigeants de l‟opposition ont initié une « résistance pacifique » contre ce
régime. Toledo et ses supporteurs ont appelé le peuple à se mobiliser dans
12
toutes les parties du pays pour rejoindre Lima, la capitale, et participer à une
protestation nationale contre le gouvernement « La Marche du 4 Suyos8 ».
Cette protestation à la base pacifique a mobilisé 10 000 personnes, et arriva à
Lima le 28 juillet 2000. De violents affrontements ont eu lieu avec la Police
Nationale qui a empêché les manifestants d‟arriver au Parlement. C‟est au
Parlement, que devait se dérouler la cérémonie d‟investiture présidentielle. (le
but était de protester contre l‟installation du gouvernement d‟Alejandro
Fujimori) : l‟incendie du bâtiment de la Banque de la Nation (BN) a provoqué la
morte de six vigiles. 9
Le troisième gouvernement d‟Alberto Fujimori a pu s‟installer, malgré les
critiques et les protestations. Toutefois, un mois et demi après, un événement
inattendu changea le cours de l‟histoire politique péruvienne.
- Le scandale politique des « vidéos de la corruption », la chute d’Alberto
Fujimori et la transition politique.
Le 14 septembre 2000, une chaine de câble appartenant au groupe commercial
du journal El Comercio (centre-gauche), Canal N, transmettait en direct la vidéo
qui déclencha un scandale politique et médiatique sans précédent. Il fut le plus
important de ces deux dernières décennies dans l‟histoire politique péruvienne.
Vladimiro Montesinos, le numéro deux du régime péruvien, présidé par Alberto
Fujimori (1990-2000), et chef du Service d‟Intelligence Nationale SIN (Servicio
de Inteligencia Nacional) remettaient en espèces la somme de 15,000 dollars à
un parlementaire de l‟opposition, Alberto Kouri, élu en avril sur la liste de Perú
Posible, celle d‟Alejandro Toledo, en échange de sa démission du parti.10 Le but
8 Le nom de cette manifestation faisait allusion aux quatre régions de l’Empire Inca : Tawantinsuyo. En
quechua, Tawa signifie quatre et Suyo, coté ou coin. 9 D’après des enquêtes ayant suivi cet événement, le déclenchement de la violence aurait été provoqué par
les actions des membres infiltrés du régime, voire du Service d’Intelligence Nationale. Voir aussi :
UGARTECHE, Oscar : La Marcha de Cuatro Suyos (La marche du Quatre suyos) [en ligne] Agencia
Latinoamericana de Información, no. 318, 2008. Disponible sur: <http://alainet.org/active/944&lang=es > (consulté le 01/05/2009) 10
Il faudrait rappeler que le Pérou est un régime présidentiel où le Président de la République est le chef
de l’État et du gouvernement, qui est élu tous les cinq ans. D’après la Constitution de 1993, élaborée
durant le régime d’Alberto Fujimori, le Président de la République peut être réélu de manière consécutive
seulement pour une période gouvernementale en plus. Les parlementaires sont élus au même temps que le
Président et leur mandat est aussi de cinq ans. À partir de la fermeture du Parlement, le 5 avril 1992, par
13
de Montesinos était d‟assurer une majorité parlementaire à Fujimori. L‟alliance
soutenant Fujimori, Cambio 90-Nueva Mayoría n‟avait obtenu que cinquante-
deux parlementaires sur cent vingt.
Cette vidéo fut présentée en conférence de presse par les membres du parti
politique d‟opposition FIM (Front Indépendant Moralisateur, Frente
Independiente Moralizador). Quarante-huit heures après sa diffusion, le 16
septembre 2000, Fujimori annonça dans un message à la nation sa décision de
désactiver le SIN, et de convoquer de nouvelles élections générales en 2001,
auxquelles il ne se présenterait pas. Cette vidéo fut la première de presque 200
vidéos trouvées dans le bâtiment du SIN, toutes ont été enregistrées par
Vladimiro Montesinos, toutes avaient été filmées dans une petite salle où
Montesinos recevait ses invités.
A partir de cette date, et durant deux mois, s‟ouvrit une période d‟incertitude
dans l‟espace politique péruvien : les critiques des partis de l‟opposition contre
la légitimité du régime de Fujimori ne se sont pas fait attendre. Montesinos
quitta le pays vers fin septembre. Fujimori profita d‟un voyage officiel au Japon
pour démissionner, étant conscient que son projet de diriger la transition
politique, et de rester au pouvoir jusqu‟au juillet 2001 devenait impossible. Le
Congrès n‟accepta pas sa démission (envoyée par fax), et il le déclara
«moralement incapable » d‟assumer la présidence de l‟état. Le 22 novembre,
le Parlement décide d‟installer un nouveau gouvernement de transition, présidé
par le Président du Congrès de l‟époque, Valentin Paniagua (Action Populaire,
Acción Popular –parti ayant 2 sièges, de centre-droit).
- Le climat politique durant le régime de transition de Valentin Paniagua
(2000-2001).
Au-delà de l‟organisation de nouvelles élections en 2001, les deux objectifs
principaux du gouvernement de transition politique furent le commencement
des enquêtes judiciaires lancées contre la corruption existante lors du régime
le régime d’Alberto Fujimori, le Législatif est composé d’une Chambre, formée par 120 députées. Le
Premier Ministre et Cabinet de Ministres composé par 15 membres sont élus par le Président de la
République. Après la finalisation du régime de dix ans d’Alberto Fujimori, le Congres a appliqué une
reforme constitutionnelle en interdisant la réélection successive du Chef d’État interdite depuis 2006.
14
d‟Alberto Fujimori, et la reconstruction institutionnelle. Le consensus fut maître
du climat politique de cette période. Il permit le développement d‟un processus
de transition transparente. La figure démocratique et non controversé de
Valentin Paniagua y a beaucoup contribué. De même, la conformation de son
Cabinet de Ministres (« non politisé »), dirigé par l‟ancien Secrétaire Général
des Nations Unis, Javier Pérez de Cuellar, lui a permit d‟avoir le soutien des
acteurs politiques et de l‟opinion publique.
Le consensus atteint par ce régime a pu contenir la convulsion générée par la
révélation de la grande corruption existante durant le régime de Fujimori. Cette
convulsion alimentée par la diffusion médiatique et quotidienne de presque 200
vidéos (d‟un total de plus de 2500 récupérées dans le bâtiment du SIN par la
justice péruvienne). Ces vidéos furent diffusées dans le cadre de l‟enquête
parlementaire, et judiciaire initiée contre le régime de Fujimori. Ce soutien du
processus de transition s‟est manifesté aussi par le climat de rejet contre
n‟importe quelle action aperçue comme pouvant déstabiliser le processus de
transition. Cette situation a provoqué que –au moins au niveau du discours
publique- les acteurs politiques, et sociaux fassent certains concessions au
gouvernement de transition –cela veut dire, pas de la confrontation ouverte ou
de la fiscalisation- pour « le bien de la gouvernabilité ». Les médias n‟ont pas
été étrangers à cette tendance, même si la plupart de leurs propriétaires
devaient affronter des questionnements pour avoir négocié les lignes éditoriales
de leurs médias avec le régime de Fujimori.
En effet, la corruption organisée depuis les plus hautes sphères du pouvoir a
intensifiée la méfiance de la société civile envers la classe politique.
L‟exposition quotidienne des « vidéos sur la corruption » a renforcé encore plus
ce sentiment, en réveillant un intérêt public croissant pour savoir qui (des
candidats) s‟était réuni avec Montesinos pour négocier leurs « consciences
politiques » en échange de l‟argent, ou d‟autres faveurs politiques ou
judiciaires.
La révélation des acteurs politiques ayant négocié avec l‟ancien régime a
conditionné les règles du jeu électoral : il existait une campagne de
15
confrontation permanente, basée sur la « condition morale » des candidats.
Cette tendance omniprésente a sans doute eu de l‟influence sur la
hiérarchisation des contenus informatifs de l‟agenda médiatique. Les candidats
ont opté pour mener une campagne basée sur la dénonciation, et la mise en
question de la qualité morale de leurs adversaires. En outre, la corruption fut
aussi un sujet central dans les contenus informatifs, mais le traitement
informatif utilisé dépendait du degré de participation de certains médias dans le
réseau de corruption du régime d‟Alberto Fujimori.
Parmi d‟autres conséquences politiques (dont l‟affaiblissement du binôme de
pouvoir Fujimori-Montesinos en rendant possible la chute du régime autoritaire
de Fujimori11), ces vidéos ont mis en question non seulement la qualité morale
des différents acteurs politiques (ce qui devait être évalués par l‟opinion
publique dans les élections de 2001) mais aussi le type de proximité établie
entre le gouvernement de Fujimori et les différents médias. Surtout lors des
élections de 2000, quand le régime avait implémenté une campagne de
discrédit de l‟opposition politique.
III.
La recherche : le scandale comme porte d’entrée de l’analyse de la
transformation de l’autonomie du champ médiatique dans la période de
post - transition
La victoire des élections 2001 fut pour Alejandro Toledo, mais aussi la
« tolérance zéro » s‟installa lors de la transition politique contre n‟importe quel
acte de corruption gouvernementale, et contraire aux principes démocratiques.
Toledo arriva au pouvoir au milieu de ce climat politique, bouleversé par les
enquêtes judiciaires des alliés du régime de Fujimori. Il allait découvrir les
complices de la plupart des médias dans sa campagne de réélection. De cette
11
D’après les analystes politiques péruviens, la chute de Fujimori se serait produite principalement par la
rupture entre Fujimori et Montesinos à cause des pressions externes, principalement celle des États-Unis,
après la découverte du trafic d’armes de l’Armée péruvienne aux FARC, en Colombie, une opération où
Montesinos était impliqué. Fujimori aurait essayé un éloignement négocié de Vladimiro Montesinos, ce
que n’est pas pu se produire, en lui obligeant à fuir du pays et de démissionner depuis l’étranger.
16
façon, le nouveau gouvernement s‟est installé au milieu d‟un climat politique en
tension permanente, où les dénonciations contre le Président, et son entourage
se manifestèrent dès le début, en augmentant en fréquence, au fur et à mesure
que sa gestion avançait.
Prenant en compte que le régime de post-transition d‟Alejandro Toledo s‟est
développé dans une étape d‟ouverture démocratique, et de recomposition de la
distribution des forces politiques, la présente recherche se centrera sur
l‟identification des facteurs politiques qui ont favorisé le déclenchement fréquent
des scandales politiques impliquant le Président, et son entourage politique et
personnel.
L‟objectif principal sera d‟analyser la scène politique existant au moment de
l‟arrivé au pouvoir d‟Alejandro Toledo, afin d‟identifier le climat politique, et la
conséquente redistribution des rôles politiques, et publiques enregistrée après
la chute du régime autoritaire d‟Alberto Fujimori. Dans ce contexte, il sera aussi
important d‟identifier la situation politique et judiciaire des médias. On verra que
la redistribution de la scène politique lors de la post-transition a renforcé
l‟opposition politique et, conséquemment, n‟importe quelle position publique
contraire au régime. Le journalisme péruvien ne sera pas étranger à cette
tendance, et dans la coïncidence des positions de certains acteurs politiques et
journalistes. On y trouvera l‟une de principales raisons du déclenchement
fréquent des scandales politiques lors de la gestion présidentielle d‟Alejandro
Toledo.
C‟est précisément sur cet aspect que réside l‟objectif principal de cette
recherche : la détermination de la relation existant entre la fréquence des
scandales politiques, et la recomposition politique expérimentée durant la post-
transition. Prenant en compte que, durant le gouvernement de transition
(Valentin Paniagua) et la post-transition (Alejandro Toledo), les médias étaient
interrogés sur la participation de plusieurs propriétaires des médias et
journalistes dans le réseau de corruption du gouvernement d‟Alberto Fujimori,
et reconnaissant la centralité des médias dans le déclenchement des scandales
politiques lors du régime de Toledo, la présente recherche essaiera de montrer
17
a quel point, le déclenchement permanent des scandales politiques a contribué
à la « libération » de la presse écrite, et télévisée durant le régime de post-
transition d‟Alejandro Toledo (2001-2006) . De même, on déterminera les
avantages politiques obtenus par les acteurs médiatiques, et politiques ayant
participé à la dénonciation des scandales. Est-ce que ces dénonciations leur
ont permis de récupérer la crédibilité perdue suite à la révélation du réseau de
corruption lors du gouvernement de Fujimori ? Est-ce que la participation du
journalisme dans le déclenchement des scandales fut active ou centrale ?
A cet égard, la présente recherche se centrera durant les trois premières
années du gouvernement, de 2001 jusqu‟à fin 2004. Durant cette période
(principalement à partir de 2000), les scandales impliquant le Président
Alejandro Toledo, son entourage politique, et personnel, son régime et son parti
politique, furent dévoilés plus fréquemment, en provoquant des crises à
l‟intérieur du gouvernement : la démission du premier Vice Président en 2002,
le remplacement de tout le Cabinet de Ministres en 2003 et 2004, la démission
d‟hautes fonctionnaires de l‟État en 2003 et 2004, la sollicitude auprès le
Parlement de le remplacement du Président en 2004.
- Les hypothèses de départ
Pour nous, tant l‟histoire politique récente que le processus d‟enquêtes
judiciaires contre les acteurs politiques et médiatiques ayant reçu de manière
illicite de l‟argent de l‟État afin d‟assurer la prise du pouvoir de Fujimori pour
une troisième fois consécutive, ont créé un contexte propice nécessaire pour le
déclenchement de nombreux scandales.
Même si l‟installation du gouvernement d‟Alejandro Toledo a été une période de
recomposition et de changement politique, il est vrai que certains acteurs
politiques et médiatiques -ayant négocié avec le conseiller politique Vladimiro
Montesinos- ont continué à participer au jeu politique. Dans les cas de médias,
durant les deux premières années, il ne s‟est pas effectué une restructuration
complète de l‟administration des médias ayant négocié leurs lignes éditoriales.
Sans vouloir dire que la haute fréquence des dénonciations journalistiques
18
contre le nouveau régime peut s‟expliquer pour telle raison, l‟intérêt particulier
de certains d‟entre eux a pu faciliter la dynamique de publication de ces
dénonciations.
Toutefois, et tel qu‟on le signalera dans les chapitres III et IV, la structure
politique et médiatique installée pendant le gouvernement d‟Alberto Fujimori n‟a
pas été complètement démontée durant la transition politique et le
gouvernement d‟Alejandro Toledo. Donc, au moment de l‟arrivé au pouvoir de
Toledo, on verra qu‟une bonne partie des acteurs politiques et journalistiques
ayant participé au nouvel espace politique avaient été de l‟opposition politique
au régime d‟Alberto Fujimori, principalement durant la campagne électorale
2000, ou, avaient été alliés d‟Alejandro Toledo lors d‟élections 2000 et 2001.
Ceci fut principalement le cas de certains journalistes qui ont publié des
dénonciations politiques ayant déclenché de véritables scandales contre
Toledo, et son régime, tels que les scandales concernant le Premier Vice-
président Raúl Diez Canseco, et la Première Ministre Beatriz Merino (des
scandales de népotisme et sexuel), le scandale de la falsification des
signatures de son parti politique (Perú Posible), le scandale César Almeyda
(corruption et abus du pouvoir), etc. (voir chapitres I et II)
A priori, on pouvait dire que, grâce à l‟installation d‟un nouveau régime
démocratique, tant les anciens alliés du régime de Fujimori que leurs anciens
opposants ont trouvé de nouvelles conditions politiques pour retrouver leur
place dans le jeu politique configuré.
Dans le cas des médias, la nouvelle époque politique a offert une ouverture
informative permettant aux médias de trouver de nouveaux espaces pour
informer. Cela fut le cas de nouveaux journaux populaires, des émissions
télévisées d‟investigation journalistique, des journaux d‟informations présentant
les affaires politiques en priorité, etc.; tous ayant enregistré leur première
parution durant le régime d‟Alejandro Toledo. Cependant, à cause de l‟image
détériorée du nouveau Président, et du climat de confrontation, et de
dénonciation initiée durant la campagne électorale 2001, la cible de ces acteurs
19
n‟a pas été le jugement contre le régime précédant, mais surtout contre les
actions du nouvel gouvernement.
- Justification de la recherche
Pourquoi considérer le scandale comme l‟instrument permettant de démontrer
le développement d‟un processus de « libération » de la presse péruvienne
durant la période gouvernementale d‟Alejandro Toledo.
Tout d‟abord, cette recherche montre que l‟étude des scandales politiques
permet d‟analyser la dynamique du jeu politique. Certes, l‟étude des scandales
peut permettre non seulement l‟identification de la relation des forces
s‟établissant entre les acteurs qui participent au jeu politique, mais aussi sur les
changements les entrées et les sorties des acteurs y participant.
A ce propos, récupérer la notion de « l‟autonomie relative du champ politique »
de Pierre Bourdieu devient fondamental. D‟après Bourdieu, l‟autonomie du
champ politique se manifeste à travers l‟existence des règles de
fonctionnement déterminées, propres de ce champ, dont le respect encadre la
participation de certains acteurs. Dans cette logique, Bourdieu explique que le
scandale se constitue comme la sanction publique déterminant l‟exclusion des
acteurs ayant transigée les règles du champ politique. 12
En outre, la relativisation de l‟autonomie du champ politique implique la
participation dans le champ politique d‟autres acteurs auparavant restant
comme des spectateurs, voire les journalistes et les sondages. Donc, prenant
compte que les scandales politiques se produisent à partir d‟une sanction
publique provoquée par la révélation d‟une transgression, on peut affirmer que
les scandales peuvent être analysés comme « des indices » de l‟autonomie du
champ politique en obligeant ses acteur à respecter ses règles, afin de ne pas
être objet d‟exclusion.
12
BOURDIEU, Pierre, Propos sur le Champ Politique, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2000, p.
52.
20
Afin de compléter la proposition de Bourdieu, sur la relativisation de l‟autonomie
de champ politique, on a retrouvé le travail de John B. Thompson sur les
scandales politico médiatiques. Reconnaissant le rôle central des médias dans
la configuration de la politique contemporaine, Thompson affirme que les
scandales politiques sont, à l‟heure actuelle, des événements médiatiques. De
cette sorte, le journalisme effectue un rôle déterminant dans le déclenchement
des scandales politiques actuelles : il possède le pouvoir de visibilité et
publication nécessaires pour faire d‟un acte transgresseur et auparavant secret,
un autre publique et capable de motiver la sanction publique. 13
En outre, cette recherche s‟est aussi inspiré les propositions des auteurs tels
qu‟Andrei Markovits et Mark Silverstein, qui considèrent que les scandales ont
la capacité de renverser les gouvernements, de défier les élites établies et de
créer la polémique contre les principes des partis politiques14. De cette façon,
les scandales politiques peuvent avoir la capacité d‟influencer, et de
transformer le jeu politique.
Dans le cas de cette recherche, même si on reconnaît que dans la chute du
régime d‟Alberto Fujimori. Le déclenchement du scandale des « vidéos de la
corruption » fut décisif pour la finalisation du régime autoritaire mais, il ne fut
pas l‟unique facteur de sa chute. . Ce scandale a mis sur l‟agenda de la
transition politique la lutte contre la corruption, et la vigilance permanente de
l‟exercice du pouvoir. Le climat créé continua et s‟intensifia durant le régime
d‟Alejandro Toledo. De même, la dénonciation politique permanente devient le
synonyme de la surveillance et de la vigilance publique du pouvoir. L‟opposition
politique et le journalisme furent les principaux responsables de cette tendance,
en leur permettant d‟exercer du pouvoir sur le nouveau gouvernement.
D‟après les analyses de Markovits et Silverstein15, Jiménez16 et Thompson17, les
scandales politiques trouvent plus possibilités d‟exister sur la scène
13
THOMPSON, John. Political Scandal: Power and Visibility in the Media Age (Scandale politique:
pouvoir et visibilité dans l’ère des médias), Malden, Blacwell, 2000, p 150 , 153. 14
MARKOVITS, Andrei et SILVERSTEIN, Mark, The Politics of Scandal. Power and Process in
Liberal Democracies (La politique du scandale. Pouvoir et processus dans les démocraties libérales).
New York, Holmes and Meier, 1998, p.1-2. 15
MARKOVITS et SILVERSTEIN, Ibid, p. 133-134
21
démocratique, offrant plus de liberté pour surveiller le pouvoir et pour faire
effective la « rendu compte » des actes publiques.
D‟ailleurs, afin d‟identifier les caractéristiques propres de la période politique
initiée avec l‟installation du régime d‟Alejandro Toledo, on a décidé de proposer
le concept de « post-transition ». Cette dénomination part du significat de
transition politique. Pour cette recherche, on a choisit la définition proposée par
le politologue chilien Manuel Garreton, pour les cas des transitions latino-
américaines : « (La transition) est le processus qui va depuis la crise terminale
du régime militaire jusqu‟aux premières élections démocratiques, même si ceci
(cette définition) laisse de coté des aspects de la démocratisation politique ».18
La post-transition a comme principal propos la mise en oeuvre des bases
démocratiques installées par le gouvernement de transition politique. L‟objectif
central est l‟installation formelle de la démocratisation19 et la consécution des
enquêtes judiciaires contre le régime autoritaire précédent. Concernant le
climat politique, on considère que la post-transition est attachée à la transition
en ce qui concerne la continuation de la recomposition politique initiée après la
chute du régime autoritaire.
D‟autre lieu, la post-transition se développe au milieu d‟un processus
d‟ouverture information, et liberté d‟expression, permettant l‟accès au jeu
politique des médias. Ce contexte a favorisé leur participation dans la
surveillance de l‟exercice du pouvoir du nouveau gouvernement et, par
conséquent, dans la dénonciation fréquente des actes de corruption, et d‟abus
du pouvoir du nouveau gouvernement. Les médias ont essayé de récupérer
leur crédibilité perdue à cause de l‟implication pénale de plusieurs propriétaires
16
JIMÉNEZ, Fernando, Detrás del escándalo político: Opinión Pública, dinero y poder en la España del
siglo XX (Derrière le scandale politique: L’opinion publique, l’argent et le pouvoir en Espagne du siècle
XX), Madrid, Tusquet ed., 1995, p. 1109. 17
MARKOVITS et SILVERSTEIN, Op.cit, p. 1-2. 18
GARRETON, Manuel, Reconstruir la política: transición y consolidación democrática en Chile
(Reconstruire la politique: la transition et la consolidation démocratique au Chili), Santiago, Andante,
1987, 1987, p. 36-37 19
D’après Garreton, la démocratisation est un “processus de changement social global” et fait référence à
l’idée d’une société démocratique. Dans le cas de la transition politique, celle-ci fait référence seulement
au changement du régime, au pas d’un type de régime à un autre, « sans que ceci signifie nécessairement
un changement social global ».
22
des médias, et journalistes dans le réseau de corruption du régime d‟Alberto
Fujimori. De cette façon, en raison du fait que le scandale politique devienne
centrale dans le jeu politique de la post-transition, l‟identification des facteurs
conditionnant le déclenchement des scandales politiques, tant que
l‟identification des acteurs médiatiques, et politiques participant dans leur
déclenchement, peuvent permettre d‟identifier la transformation du champ
politique par rapport aux années d‟autoritarisme et de recomposition de la
scène politique durant la post-transition.
En troisième lieu, la recomposition politique offerte par la période de post-
transition ont fait que la dénonciation politique et particulièrement les scandales
politiques deviennent des armes de pression politique pour plusieurs acteurs.
De cette manière, on peut affirmer que le scandale politique est devenu une
arme de pression politique de la presse contre le gouvernement en cours, en lui
permettant de rendre évident auprès l‟opinion publique, de l‟accomplissement
de son rôle de vigilance et de surveillance du pouvoir. Un rôle qui s‟est vu
renforcé par la tendance des acteurs politiques à utiliser le scandale comme
arme politique contre le régime en cours, en permettant que les politiciens
deviennent aussi comme les principales sources des dénonciations contre le
gouvernement. Cet intérêt particulier des médias de surveiller le pouvoir
gouvernemental s‟explique, parce que les médias étaient confrontés au
discrédit de leur image, et de leur objectivité, à cause des implications de leurs
propriétaires et de plusieurs journalistes dans le réseau de la corruption existant
durant le gouvernement d‟Alberto Fujimori.
Cette tendance des médias s‟est intensifiée au fur et à mesure que les
différents acteurs politiques et médiatiques ont commencé à se rendre compte
que la réponse du gouvernement était désordonnée, désorganisée et tardive
(une caractéristique appartenant non seulement à la nature du nouveau régime,
mais surtout au climat politique de consensus vers le respect des principes
démocratiques, propres à la transition, et de la post-transition politique). Cette
reconnaissance a permis aux journaux et aux acteurs politiques de trouver un
mécanisme de pression politique permanent, en créant un climat de tension
politique (exprimé par la diminution permanente du niveau d‟approbation de
23
l‟image présidentielle) et en rendant possible que les demandes de « destitution
présidentielle » apparaissent dans le discours politique de plusieurs acteurs
politiques, et médiatiques dans différents moments du gouvernement
d‟Alejandro Toledo.
Tel qu‟on le démontrera dans la présente recherche, ce fait nous a permis
d‟affirmer que c‟est à partir de l‟utilisation des scandales politiques impliquant le
Président, et son entourage politique, et personnel, que les différents acteurs
politiques et médiatiques ont trouvé le moyen de récupérer leur crédibilité
auprès de l‟opinion publique (mise en question à cause de la révélation du
grand réseau de corruption ), une capacité aussi renforcée par la tendance
généralisée du public/électorat de surveiller l‟exercice du pouvoir.
- Terrain d’enquête et corpus documentaire
Pour mener notre recherche, on a consulté des archives journalistiques de
l‟époque du régime d‟Alejandro Toledo (trois premières années de son mandat,
2001-2004), consultés sur place (Lima, Pérou) et par Internet. De même, on a
consulté des travaux associés aux relations de pouvoir entre les médias et les
régimes d‟Alberto Fujimori (lors de la campagne électorale 2000), Valentin
Paniagua et Alejandro Toledo, réalisées par différents politologues, sociologues
et journalistes péruviens. Aussi, on a repris quelques éléments des travaux sur
le même sujet, où l‟auteur de la présente recherche à participé comme
chercheuse (principal ou adjointe) en 2000, 2003 et 2004.
Également, afin de réaliser le travail sur le terrain, on s‟est rendu à deux
reprises à Lima, Pérou. Le premier de ces séjours a duré presque un mois, en
mai 2008, et fut l‟occasion de prendre contact de recueillir l‟information
d‟archive, et de concrétiser les entretiens avec quelques journalistes péruviens
(rédacteurs, chefs de section, directeurs journalistiques, directeurs généraux).
Le deuxième n‟a duré qu‟une semaine et demi, vers début de novembre 2008,
afin de culminer la consultation d‟archives des journaux locaux dans la
bibliothèque de l‟Université Pontificale Catholique du Pérou (PUCP).
24
Les journalistes interviewés ont été sélectionné pour avoir eu un rôle central
dans la production des dénonciations journalistiques, devenant des scandales
politiques durant le régime d‟Alejandro Toledo. Par contre, pour leur sélection,
on a omis des ressemblances ou des « équivalences » dans leur position, et
dans le genre des médias pour lequel il a travaillé. La « centralité » de leur rôle
est déterminée par la proximité qu‟il avait dans la production d‟une dénonciation
(si celui est l‟enquêteur principal ou si celui a appartenu à l‟équipe de
journalistes responsables d‟amener la dénonciation), par leur responsabilité au
moment de prendre une décision concernant la publication d‟une dénonciation,
par leur niveau de connaissance de la relation établie entre le Président
Alejandro Toledo et le journalisme.
De cette manière, on a interviewé once journalistes des journaux Perú 21
(gauche), Correo (gauche), La República (centre-gauche), El Comercio (centre-
gauche), de la chaines de télévision América Télévision (chaine 4) et des
revues politiques, l‟hebdomadaire Caretas et le mensuel Ideele :
- Dans le cas du journal Perú 21, un nouveau journal sortie en 2002, en format
standard et à prix bon-marché20, appartenant au groupe commercial El
Comercio , on a interviewé à: A) Augusto Alvarez Rodrich21, le directeur du
journal Perú 21, économiste de profession. Alvarez Rodrich fut le premier
directeur du Perú 21 (depuis sa fondation en 2002) jusqu‟à novembre 2008,
quand il fut « invité » à démissionner de la direction de Perú 21. D‟après les
critiques, et sa propre version, sa démission s‟est produit après la publication
des enregistrements-audio ayant déclenché le plus grand scandale politique du
régime d‟Alan García (2006-2011), le scandale des « petro-audio » : un cas de
corruption dans la concession étatique des lots pétroliers à l‟entreprise privée
Discover Petroleum, impliquant des fonctionnaires du régime de García, si
proches au Président et son parti politique, l‟APRA. B) Alejandra Acosta,
20
Il faut se rappeler qu’au Pérou les journaux ne sont pas gratuits. 21
Alvarez Rodrich, avant de devenir directeur de Perú 21, il avait travaillé comme directeur d’Apoyo
Comunicaciones –Soutien Communications- et Apoyo Opinión y Mercado -Soutien, Opinion et Marché-
(deux organisations appartenant au Grupo Apoyo –Groupe Soutien-, spécialisée dans les sondages au
niveau national) et Rédacteur en chef des hebdomadaires économiques « Perú Económico » -Pérou
Économique-, « Semana Económica » -Semaine Économique- et « Debate » -Débat-. Depuis sa
démission, il est devenu analyste du journal La República et la station de radio spécialisée en
informations, Radio Programas del Perú.
25
rédactrice de l‟Unité d‟Investigation de Perú 21, ayant participé dans
l‟investigation de la falsification des signatures du parti politique d‟Alejandro
Toledo Perú Posible (permettant son inscription légale comme parti politique).
Au moment de l‟entretien, Acosta n‟est travaillait plus pour l‟Unité
d‟Investigation de Perú 21 mais pour la section Économie.
- Concernant le journal Correo, un nouveau journal sortie en 2001, en format
standard et aussi à prix bon-marché, on a interviewé à Orazio Potestá,
rédacteur-en-chef de l‟Unité d‟Investigation de ce journal jusqu‟à 2004. Le
journal Correo fut l‟un de principaux journaux ayant publié des principales
dénonciations contre le régime d‟Alejandro Toledo, parmi eux, ceux concernant
le scandale de corruption du Premier Vice-président Raúl Diez Canseco, ayant
déclenché la première grande crise du gouvernement.
- Dans le cas du journal El Comercio : Afin de faire un premier repérage sur la
relation presse – régime d‟Alejandro Toledo, et initier le contact avec les
journalistes interviewés, on a tenu des dialogues informels avec les journalistes
et professeurs universitaires Jacqueline Fowks (ayant travaillé dans ce journal
jusqu‟à 2000 et étant une spécialiste dans le domaine de la relation
gouvernement et presse) et María Mendoza (rédactrice de la section Editorial et
Opinion). De même, on a effectué une interview avec le journaliste Jorge
Saldaña, rédacteur de la section Politique du journal « El Comercio ». Saldaña
était l‟un de principaux journalistes chargé d‟accompagner le Président
Alejandro Toledo dans les voyages officiels.
- Dans le cas du journal La República, on a interviewé Angel Páez, Rédacteur-
en-chef de l‟Unité d‟Investigation et l‟un de principaux journalistes
d‟investigation du pays, ayant publié nombreux articles dénonçant les actes de
violation de Droits de l‟Homme de la part du régime d‟Alberto Fujimori (parmi
d‟autres, les cas de la massacre de La Cantuta et Barrios Altos, dont la justice
péruvien a trouvé coupable à Fujimori en 2009, en lui condamnant à 30 ans de
prison).
26
- Dans les cas de chaînes de télévision, on a interviewé Roxana Cueva, et
Mavila Huertas, toutes les deux ayant travaillé dans América Télévision (chaine
4). Rosana Cueva fut l‟une de principales journalistes de l‟émission
d‟investigation « Contrapunto » (Frecuencia Latina, chaine 2) jusqu‟à 1996, à
l‟époque où cette émission dénonçait les crimes contre les Droits de l‟Homme
lors du régime d‟Alberto Fujimori. Elle a dû démissionner quand le régime a
exproprié la chaîne à Baruch Ivcher, en bénéfice des associés minoritaires
Samuel et Mendel Winter, qui sont devenus alliés du régime de Fujimori, et qui
ont été condamné pour la justice péruvienne en 2002 pour les délits de
corruption (voir chapitre II). Elle fut la directrice journalistique de l‟émission
d‟investigation « Cuarto Poder » (América Télévision) en 2004, devant
démissionner de son poste après les fortes critiques surgies pendant la
diffusion d‟un reportage impliquant –sans preuves évidentes- le Président
Alejandro Toledo dans la falsification des signatures de son parti Perú Posible.
D‟ailleurs, on a interviewé Mávila Huertas, journaliste et présentatrice du journal
informative d‟América Télévision, durant l‟administration de José Enrique, et
José Francisco Crousillat (proches au régime d‟Alberto Fujimori, ayant
collaboré dans la campagne de diffamation de l‟opposition lors de la campagne
électoral 2000, et condamnés à cinq ans de prison pour le délit de corruption
par la justice péruvienne) et aussi durant l‟administration suivante, celle du
groupe Plural TV (composé par les journaux El Comercio et La República).
- Concernant les journalistes ayant eu une liaison politique proche avec
Alejandro Toledo et son régime, on a interviewé Gustavo Gorriti, collaborateur
d‟Alejandro Toledo en 2000 (lors du mouvement de résistance politique contre
Alberto Fujimori) et co-directeur de La República en 2005. Gorriti –ayant été un
journaliste critique du régime d‟Alberto Fujimori- il fut kidnappé et torturé par
des membres du SIN lors de l‟auto coup de 1992 (l‟ex Président Alberto
Fujimori, aujourd‟hui en prison, fut considéré responsable de son kidnapping en
2009). Au moment de l‟entretien, Gorriti travaillait dans la publication mensuelle
Ideele (de défense des Droits de l‟Homme) et il était l‟un des membres
principaux du conseil directif de la Société Interaméricaine de la Presse, SIP.
De même, on a interviewé Fernando Rospigliosi, ancien collaborateur
d‟Alejandro Toledo dans les campagnes électorales de 2000 et 2001, et
27
Ministre de l‟Intérieur (en 2002 et en 2004), devant laisser sa position à cause
de pressions politiques et sociales.
L‟objectif de ces entretiens fut de compléter l‟information recueillie à travers des
archives journalistiques et des travaux d‟analyse effectués par les spécialistes
et journalistes péruviens. Ce qu‟on désirait montrer à travers les discours des
journalistes, c‟est la centralité acquise par le scandale politique médiatique
dans le jeu politique établit durant la période post-autoritaire, se caractérisant
par la révélation des secrets politiques, et la dénonciation des actes de
corruption politique, et de violation des Droits de l‟Homme, par le rendu des
comptes, par la fragilité des institutions politiques et la crise de la représentation
politique.
- Le plan de la recherche
Après avoir identifié, dans l‟Introduction (parti II) les antécédents politiques
récents et après avoir déterminé l‟influence des facteurs politiques et judiciaires
surgis après la chute du régime autoritaire d‟Alberto Fujimori (la période de la
transition politique incluse) sur le climat politique existant au moment de
l‟installation du régime d‟Alejandro Toledo (parti I), on a effectué un compte-
rendu des dénonciations politiques contre le Président, sa famille et son régime,
diffusées entre 2001 et 2005, en les mettant en contexte avec les principaux
événements politiques et sociaux, mais aussi en identifiant les conséquences
politiques et judiciaires déclenchés par ces dénonciations (Chapitre I). Ensuite,
on a récupéré quelques aspects théoriques sur l‟étude des scandales
politiques, déjà mentionnés dans la partie introduction (points IV et V), afin de
réaliser un bilan analytique du type de scandales politiques déclenchés durant
le régime d‟Alejandro Toledo. En réparant que les scandales pour corruption,
népotisme (abus de l‟exercice de pouvoir) et d‟ordre sexuel, furent les plus
fréquentes, l‟objectif de ce chapitre fut de démontrer que le climat de vigilance
d‟actes de corruption gouvernementale et de permanente questionnement de la
qualité morale des politiciens installé durant la transition politique (à cause de
la révélation du réseau de corruption durant le gouvernement d‟Alberto
Fujimori) s‟est intensifié lors de la gestion présidentielle de Toledo (Chapitre II).
28
Dans la troisième partie de cette recherche, on a centré notre attention sur la
relation de pouvoir établie entre les médias péruviens, particulièrement, le
journalisme, et le gouvernement. Après avoir effectué une révision analytique
des régimes précédents, on s‟est arrêté quelques instants dans la période
gouvernementale d‟Alberto Fujimori, étant donné que ce régime a fait des
médias l‟un de ses principaux alliés dans la campagne de discrédit et de
diffamation d‟opposants de Fujimori, lors des élections présidentielles 2000. De
même, puisque le régime de Fujimori a utilisé des institutions étatiques pour
soumettre les médias à leur volonté, en les impliquant directement dans le
grand réseau de corruption élaboré durant son administration. Cette situation a
influencé notamment dans la relation de pouvoir établie entre les médias et le
gouvernement de post-transition d‟Alejandro Toledo. Après la chute de Fujimori,
un procès s‟est initié contre les complices de la corruption enquêtée, parmi
d‟autres, certains médias. Le régime de Toledo a du maintenir ce processus
d‟enquête judiciaire, en marquant décidément la relation à s‟établir entre celui-ci
et les médias en générale.
Dans le chapitre IV, on complétera l‟analyse initiée dans la partie précédente en
se centrant sur la participation spécifique du journalisme dans le
déclenchement des scandales politiques. En utilisant de l‟information d‟archive,
tels que les travaux d‟analyse de sociologues et politicologues péruviens, on
mettra en contexte les déclarations, les avis et les analyses, réalisés par les
journalistes interviewés. Le propos ? Identifier les facteurs externes et internes
au champ journalistique existant lors de la post-transition, qui ont conditionné la
tendance informative des journaux vers la dénonciation politique permanente,
contre le Président et son entourage politique et personnel. L‟analyse réalisée
par les journalistes interviewés, sur la pratique journalistique, résultera
fondamental pour ce propos.
Dans la dernière partie de la recherche (Conclusions), on récupérera les
principaux éléments d‟analyse identifiés dans les différents chapitres de cette
recherche afin de démontrer que, en effet, la fréquence élevée des scandales
politiques impliquant le pouvoir gouvernemental peut servir comme une porte
29
d‟analyse de la transformation expérimentée par le champ politique lors de la
post-transition. De même, dans cette partie finale, on essaiera de formuler une
réponse à la principale question de la recherche : les caractéristiques politiques
et sociales de la post-transition offrit au journalisme péruvien l‟opportunité
politique de récupérer leur place dans l‟espace politique (perdu à cause du rôle
joué lors de la période autoritaire de Fujimori) et libérer son dépendance du
pouvoir gouvernementale (intensifiée durant les années de Fujimori) à travers
son participation dans le déclenchement fréquent des scandales impliquant le
nouveau régime.
IV.
Etat des lieux de l’étude du scandale politique et la centralité des médias
dans son déclenchement
La bibliographie française, anglaise et américaine donne un lieu particulier à
l‟étude du scandale, en précisant sa condition de « phénomène social »
capable de se constituer comme un indice de l‟état de tolérance du public par
rapport aux transgressions des valeurs existantes et ayant une « dimension
instituant » car il peut avoir la capacité de valider certains principes, et de
confirmer l‟inutilité de certains d‟autres.
Certaines de ces études ont porté plus d‟attention aux processus de
construction du scandale, en se centrant principalement, tant sur les facteurs
qui rendent sa conformation possible (en incluant les intérêts y impliqués, plutôt
dans le cas des scandales politiques) que sur les acteurs y participant.
Certaines études prêtant plus d‟attention au processus de la conformation des
scandales se centrent plutôt dans leur dimension publique, en donnant une
importance particulière à la participation des médias dans la constitution des
scandales, voire les scandales politiques. Dans le cas des scandales politiques,
certaines études ont accordé une attention spéciale aux conditions des
systèmes politiques où ceux-ci peuvent avoir plus de possibilités de se
constituer. De même, certaines autres se sont centrées sur les conséquences
30
créées par le déclenchement des scandales politiques, en évaluant s‟ils
pouvaient contribuer d‟une manière constructive au maintien des valeurs du
système politique, et à empêcher l‟abus du pouvoir de la part des gouvernants.
Ou si au contraire, les scandales provoquaient la déstabilisation du système
existant.
La dimension sociale ou publique du scandale (au-delà de l‟élément
« politique ») est un élément fondamental pour étudier ce phénomène. Au
moment de définir le scandale, plusieurs auteurs ont souligné cet aspect afin de
montrer la relation essentielle qui existe entre le scandale et l‟opinion publique.
De cette façon, le scandale sera interprété comme une « bataille permanente
pour l‟opinion publique » et, par conséquence son arène d‟action est la sphère
publique (médiatique)22.
La reconnaissance des scandales comme des processus sociaux, permet de
comprendre que dans leur construction, il est impliqué une ample variété de
facteurs et de circonstances qui déterminent les raisons pour lesquelles
certaines dénonciations ou révélations deviendront des scandales. De cette
manière, on peut analyser le scandale comme un phénomène permettant
d‟identifier non seulement, les valeurs et les principes acceptés par un groupe
social en particulier, dans un moment spécifique de son histoire, mais aussi les
niveaux de la tolérance sociale existante vers certaines transgressions. En
effet, toutes les transgressions révélées ne seront pas objet d‟une sanction
publique.23
On a aussi trouvé des analyses centrées sur les conséquences que son
déclenchement peut produire sur le champ où il s‟est produit, voire, le champ
politique pour les cas des scandales politiques. Ces études évaluent si les
scandales peuvent contribuer d‟une manière constructive à maintenir les
valeurs du système politique, et à empêcher l‟abus du pouvoir de la part des
gouvernants ou si, au contraire, les scandales provoquent la déstabilisation du
système existant.
22
JIMÉNEZ, Fernando, Op. cit, p. 1111. 23
THOMPSON, John, Op.cit, p.28.
31
Précisément, c‟est le travail de Pierre Bourdieu, sur l‟autonomie relative du
champ politique, qui a en partie inspiré cette recherche. D‟après Bourdieu,
l‟autonomie du champ politique implique l‟existence des règles de
fonctionnement déterminées et seulement concernées à ce champ et aux
acteurs y participant. De cette façon, en prenant en compte que les scandales
politiques se produisent à partir d‟une sanction publique provoquée par la
révélation d‟une transgression, Bourdieu affirme que les scandales pourraient
être analysés comme « des indices » de l‟obligation de respecter ses règles,
afin de ne pas être objet d‟exclusion :
« Ce qui entre en politique… doit opérer une transformation, une conversion et
même si celle-ci ne lui apparaît pas comme telle, même s‟il n‟en n‟a pas
conscience, elle lui est tacitement imposée ». Par conséquence, ne pas
accomplir ces règles peut provoquer la sanction des acteurs ayant contrevenu
les règles garantissant l‟autonomie du champ politique : « celui qui entre en
politique s‟engage tacitement à s‟interdire certains actes incompatibles avec sa
dignité, sous peine de scandale ». 24
En outre, la condition de sanction ou punition publique des scandales politiques
trouve des points en commun avec les travaux des sociologues françaises Max
Gluckman et Eric de Dampierre.
D‟un côté, la perspective fonctionnaliste de Max Gluckman affirme que
« l‟hantise du scandale opère…comme une instance centrale dans le maintien
des valeurs du groupe.25 Cette conception –qui est suivie par l‟anthropologie
fonctionnaliste- qualifiant le scandale comme possédant une fonction de
contrôle social, d‟hiérarchisation et de régénération du groupe, part de l‟idée
que les scandales peuvent être des phénomènes capables de révéler un ordre
préexistant. Cela signifie que les scandales se produisent quand l‟indice de
tolérance sociale par rapport à une transgression (des normes et de valeurs
24
BOURDIEU, Pierre, Op.cit, p. 52. 25
GLUCKMAN, Max, “Gossip and Scandal”, Current Anthropology, IV, no. 3, p. 312; cfr. par De BLIC,
Damien et LEMIEUX, Ciryl, « Le scandale comme épreuve. Éléments de sociologie pragmatique »,
Politix, 2005, Vol 18, no. 71, p. 13.
32
socialement acceptés) est surpassé, et provoque une réaction publique
négative (de rejet).26
De l‟autre côté, c‟est de De Dampierre qui propose que le scandale peut être
considéré comme « un test sur les valeurs transgressées qui permet à la
communauté concernée de déterminer si elles lui sont ou non, devenues
indifférentes ».27 Cette fonction instituante du scandale se trouve immergée
dans le rôle social des scandales. Selon Damien De Blic et Cyril Lemieux,
l‟anthropologie fonctionnaliste (comme celle suivie par De Dampierre) a tenté
d‟attribuer au scandale une fonction de contrôle social, de hiérarchisation, de
régénération du groupe).28 De cette façon, on peut interpréter le scandale
comme un moment de transformation sociale, car il possède la capacité d‟avoir
des répercutions externes capables de provoquer un changement dans le
comportement publique.
Avant de continuer, il semble utile de préciser un élément définissant les
scandales : la « visibilité de la sanction ». Cette condition implique la présence
d‟un public étant capable de réagir à la révélation des actes transgresseurs et,
par conséquent, ayant la capacité de déterminer si une dénonciation peut
devenir un scandale ou pas. Dans cette dimension on trouve les travaux
réalisés par Luc Boltanski et Elisabeth Claverie.
Boltanski considère que c‟est le public qui possède le pouvoir de déterminer si
le scandale dénoncé en est « réellement » un. Pour lui, étant d‟accord avec De
Dampierre, c‟est le public qui évalue (ou « teste », selon les termes de De
26
D’après Gluckman, le scandale accomplit trois fonctions sociales (en suivant la tendance de
l’anthropologie fonctionnaliste): la sélection des leaders (« dans la mesure où l’élaboration du jugements
sur l’honneur des personnes contribue largement à les classer le long d’une échelle de prestige »; le
contrôle social (dénomination proposé par De Blic et Dimeaux en interprétant les définitions de
Gluckman) si l’hantise du scandale opère comme une instance centrale dans le maintien des valeurs du
groupe ; et, la « fonction d’exclusion à usage externe », c’est-à-dire, ce qui n’est pas inséré au système
social –ou politique- ne peut pas participer du scandale (« the outsider cannot join in gossip »). 27
DAMPIERRE, Eric, « Thèmes pour l’étude du scandale », Annales ESC, IX, no. 3, 1954 ; cfr. par De
BLIC, Damien et LEMIEUX, Ciryl, « Le scandale comme épreuve. Éléments de sociologie
pragmatique », Politix, 2005, Vol 18, no. 71, p 13. 28
DE BLIC, Damien et LEMIEUX, Ciryl, Ibid. p. 13.
33
Dampierre) s„il est capable d‟accepter la transgression révélée. C‟est le public
qui va mettre à l‟épreuve son sens commun du juste et de l‟injuste.29
Concernant la position de Claverie, la présence du public est aussi importante
au moment de décider le destin « scandaleux » d‟une dénonciation publique.
Selon Clavière, la façon comme le public reçoit la révélation d‟un acte
transgresseur déterminera au moins trois destins: a) sa confirmation comme un
scandale « avéré » (à travers de la demande unanime que le coupable désigné
soit châtié) ; b) sa reconnaissance implicite comme un non-scandale (à travers
de la relativisation généralisée de la faute dénoncée) ; sa transformation en une
affaire (à travers du retournement de l‟accusation scandaleuse en direction de
l‟accusateur).30 A ce propos, on trouve l‟analyse de Fernando Jiménez. Son
travail identifie aussi trois critères –nommés par lui « zones »- à prendre en
compte au moment de déterminer si on est en face d‟un « véritable » scandale :
a) la zone « clairement noire » où il existe un consensus général qui considère
qu‟un fait est « vraiment » scandaleux ; b) la zone « blanche » où les
comportements sont tolérés par la société ; c) la zone « gris » comprenant les
comportements dont il n‟existe pas un consensus par rapport à leur jugement. 31
D‟ailleurs, revenant au concept d‟autonomie du champ politique, on récupérera
l‟affirmation de Bourdieu par rapport aux limitations de l‟autonomie du champ
politique. D‟après Bourdieu, il est inévitable que les acteurs y participant ne
prennent pas en compte les expectatives, les nécessités et l‟approbation de
« ceux au nom desquels ils s‟expriment et devant qui, ils doivent,
périodiquement, rendre des comptes plus ou moins fictivement ».32 Donc,
l‟autonomie du « champ politique » n‟est pas absolue, au contraire, elle se
montre flexible, ouverte et peut être influencée par ceux qui ont élu les
gouvernants ou ceux qui le feront. Le « champ politique » dépend aussi de
l‟opinion, approbation, demandes de ceux qui sont « spectateurs » du jeu
29
BOLTANSKY, Luc, La souffrance à distance. Morale humanitaire, médias et politique, Paris,
Métailié, 1993, p. 215-219. 30
Cfr. par DE BLIC et LEMIEUX, Op. cit, p. 17-19. 31
Classification apparue dans le site web du Center for Advanced Study in the Social Sciences de la
Fondation Juan March. Disponible sur <http://www.march.es/ceacs/ingles/Publicaciones/tesis/tesis6.asp> 32
BOURDIEU, Pierre, Op. cit, p. 60.
34
politique, parce que de leurs actions et décisions dépendra, l‟inclusion ou
l‟exclusion de ce champ de ses acteurs.33
Par conséquent, à l‟heure actuelle, on peut affirmer que la relativisation de
l‟autonomie du champ politique se produit par l‟importance croissante des
médias dans la dynamique politique: « Une des transformations les plus
importantes de la politique depuis une vingtaine d‟années est liée au fait que
des agents qui pouvaient se considérer ou être considérés comme des
spectateurs du champ politique, sont devenus des agents en première ligne. Je
veux parler des journalistes, et en particulier des journalistes de télévision, mais
aussi des spécialistes de sondages. Si nous devions décrire le champ politique
aujourd‟hui, il faudrait y inclure ces catégories d‟agents pour la simple raison,
qu‟ils y produisent des effets ».34
Concernant le concept de champ journalistique, l‟étude de Bourdieu nous a
invité à analyser le niveau d‟influence expérimenté par ce champ en ce qui
concerne son autonomie par rapport au champ politique, et d‟autres champs.
Bourdieu : « Actuellement, un des facteurs déterminants de l‟existence dans le
champ politique c‟est la reconnaissance par les journalistes. Les journalistes –il
faudrait dire le champ journalistique, avec ses concurrences, ses luttes, ses
hiérarchies, ses conflits pour le monopole de l‟information, etc.- sont
déterminants dans la détermination de l‟importance politique. Aujourd‟hui, si
j‟inclus les journalistes dans le champ politique, ce qu‟ils sont, comme disent les
Anglo-saxons, les gate keepers, les gardiens du but, qui contrôlent grandement
l‟entrée dans le champ politique. Toutefois, les partis sont aussi très importants,
évidemment : ce sont eux qui, en donnant l‟investiture, disent d‟un homme
justiciable du jeu politique ».35
Afin d‟analyser l‟influence permanente existant entre les champs politique, et
journalistique, on a révisé les travaux la sociologie, de production, de
l‟information pour analyser la relation existant entre le champ politique et celui
33
BOURDIEU, Pierre, Op. cit, p. 63. 34
BOURDIEU, Ibid, p. 38. 35
Ibid, p. 38.
35
du journalisme. Dans cette sorte, on a récupéré les analyses de Patrick
Champagne et Dominique Marchetti. D‟après le premier, l‟univers journalistique
est « fortement dominé ou contrôlé dans son fonctionnement par d‟autres
champs (économique et politique notamment) ».36 Dans le cas de Marchetti,
celui considère que « l'exemple de la montée médiatique récente de certaines
“affaires” montre bien que pour qu'un problème émerge dans les médias, il faut
qu'il soit constitué en enjeu politique, économique, scientifique et/ou
judiciaire.»37
D‟ailleurs, les scandales politiques peuvent être étudiés à partir de l‟importance
centrale des dans leur configuration. Par exemple, c‟est le cas de l‟étude de
John B. Thompson, sur le scandale politique médiatique. D‟après lui, les
médias ont créé un nouveau type de visibilité dans la politique contemporaine,
en promouvant que les relations établies entre les dirigeants politiques, et les
citoyens ordinaires soient configurés à partir de la logique de la communication
médiatique.38
La reconnaissance de cette capacité a motivé le travail de Thompson sur la
centralité des médias dans le déclenchement des scandales politiques
contemporain: « A travers la gestion permanente de sa visibilité, et une
soigneuse présentation auprès du public, les dirigeants politiques utilisent les
médias pour accumuler une bonne provision du capital symbolique auprès
l‟électorat… Cependant, le scandale politique peut détruire rapidement tout
cela. »39. En effet, le scandale a la capacité de détruire la réputation des
acteurs politiques.
En outre, l‟omniprésence du scandale dans le jeu politique, et l‟intérêt des
acteurs politiques de les utiliser, ou de les diffuser, a motivé que certaines
recherches se centrant sur la manière comme les acteurs accomplissent des
stratégies afin de « mettre en scène » des phénomènes scandaleux. Au-delà
36
CHAMPAGNE, Patrick, « La double dépendance. Quelques remarques sur les rapports entre les
champs politique, économique et journalistique », Hermès, 1995, n° 17-18, p. 216. 37
MARCHETTI, Dominique, « Sociologie de la production de l’information. Retour sur quelques
expériences de recherche », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, 2002, n°1, pp. 17-32. 38
THOMPSON, John, Op. Cit, p. 153. 39
Ibid, p.150.
36
des limitations existantes dans la tendance d‟analyser les phénomènes
scandaleux à partir de sa configuration stratégique, il faut reconnaître que les
résultats donnés par ces recherches ont permis d‟identifier à quel point les
acteurs de la politique participent dans la construction des scandales au
moment de faire la politique. De même, ces études ont contribué à identifier le
rôle des médias dans la politique et dans la « mise en valeur » du scandale
politique.
Les études centrées sur les stratégies scandaleuses analysent non seulement
des stratégies de dissimulation, de conservation et de contrôle institutionnel,
mais aussi des stratégies de dévoilement, de subversion ou de provocation, en
permettant non seulement d‟identifier les facteurs, et les acteurs participants de
sa configuration, mais aussi de développer des tactiques pour le faire possible,
en prenant en compte les éléments exogènes propres du système, histoire,
culture, contexte, etc.
De cette sorte, on trouve par exemple, que le travail d‟Alain Garrigou40 analyse
le scandale comme une stratégie envisageant le discrédit de l‟adversaire à
travers de l‟émission des « coups informatifs ». Ce modèle d‟analyse utilise
comme base le lexique de la stratégie et de la théorie des jeux. De même,
Michel Offerlé parle des « stratégies scandaleuses » ou des « stratégies de
scandalisations», lesquelles peuvent correspondre aux actions qui cherchent à
« faire scandale » , mais aussi, à celles qui consistent à « énoncer qu‟il y a
scandale » en prenant la « parole indignée » au nom de la cause que l‟on
défend, « en la décrivant, en la montrant, en la photographiant, en la diffusant à
la télévision» ; à celles, enfin, qui visent à trouver les moyens de « faire dire et
de faire croire que le fait, la situation sont bien scandaleux ».41
D‟ailleurs, Fernando Jiménez, en étant d‟accord avec l‟analyse de John
Thompson, considère que le scandale est une « mise en scène » et, par
conséquence, il faudra l‟étudier en déterminant non seulement tant le sujet ou
40
GARRIGOU, Alain, Le scandale politique comme mobilisation. In : CHAZEL, François dir., Action
collective et mouvements sociaux, Paris, PUF, 1993, p. 185. 41
OFFERLÉ, Michel, Sociologie des groupes d’intérêt, Paris, Montchrestien, 1998, p. 122-123.
37
les sujets responsables de l‟avoir provoqué que ceux étant responsables de
l‟avoir dénoncé, mais aussi de la culture politique existante, le contexte
historique et ceci étant expressément associé aux relations établies entre les
élites politiques et les élites des médias, les phases du scandale (dans cet
aspect, on a trouvé aussi l‟analyse réalisée par Lawrence Sherman sur la
corruption de la Police dans plusieurs villes aux États-Unis42) et les institutions
du système politique.
En réponse à l‟approche stratégie du scandale, on a étudié la sociologie dite
pragmatique, qui nous fait remarquer que l‟analyse des fait scandaleux ne peut
pas se centrer uniquement sur l‟action stratégique (voir propos du travail de
Max Garrigou, par exemple) mais aussi sur les caractéristiques, et le niveau de
complexité des systèmes sociaux que le scandale affecte. Ce modèle d‟analyse
du scandale reconnaît ainsi que les scandales sont des phénomènes sociaux
qui ne peuvent pas être analysés uniquement à partir des actions ou des
stratégies formulées par les acteurs d‟une sphère déterminée, mais aussi à
partir des facteurs sociaux, culturelles et politiques externes (structures et
routines, « ancrage situationnel » des acteurs).
Le travail de Véronique Pujas43, par exemple, reconnaît aussi que le scandale
est une « construction sociale » et, alors, il est impossible qu‟il soit uniquement
définit et analysé comme un instrument. D‟après elle, l‟action d‟acteurs est sans
doute importante, mais elle est toujours conditionnée aux ressources offertes
par le système dans une certaine conjoncture favorable au scandale. Donc,
selon cet auteur, il est possible d‟identifier tant « les pré-conditions nécessaires
à un contexte favorable à la dénonciation des élites politiques » que « les
ressources nécessaires pour faire scandale». Cette position donne un certain
degré de « liberté d‟action » aux acteurs intéressés à « mettre » dans le
42
SHERMAN, Lawrence, « The Mobilization of Scandal ». In: HEIDENHEIMER, Arnold, dir.,
Political corruption, readings in comparative analysis, New Brunswick, Transaction books, 1978, p. 887-
911; cfr. par DE BLIC Damien et LEMIEUX Cyril, « Le scandale comme épreuve. Éléments de
sociologie pragmatique », Politix, Revue des sciences sociales du politique, Vol. No 18, no. 71, 2005, p.
16. 43
PUJAS, Véronique, Les scandales politiques en France, en Italie et en Espagne : constructions, usages
et conflits de légitimité, thèse, European UN Institue, Paris, 1999.
38
scénario publique un scandale, c‟est-à-dire, faire de sa création une action
stratégique.
D‟ailleurs, concernant la nature politique des scandales, leurs répercussions sur
l‟espace politique et leurs relations avec le système politique, on a récupéré
les travaux proposés par les américains Andrei Markovits et Mark Silverstein,
l‟anglais John Thompson et l‟espagnol Fernando Jiménez.
D‟après le travail de Markovits et Silverstein, « The Politics of Scandal. Power
and process in liberal democracies »44, le scandale politique ne se caractérise
pas seulement pour la position sociale des individus impliqués mais pour la
nature de la transgression. De cette manière, un scandale politique implique
nécessairement une violation des normes, et des procédures légalement
contraignantes, régulant l‟exercice du pouvoir politique. Selon ces auteurs, ces
normes et procédures sont publiques et universelles. Elles définissent le jeu
politique d‟une manière ouverte et accessible. Cependant, l‟exercice du pouvoir
a la tendance d‟être privé et exclusif ; le pouvoir est exercé d‟une manière
secrète et cachée aux yeux du public. Donc, selon cette logique, les scandales
politiques émergent dans l‟instant où la logique du pouvoir est plus importante
que la logique de la procédure légale45.
Pour Thompson, la définition du scandale politique étant limitée aux faits du
pouvoir seulement concerne un type de scandale politique, « le scandale du
pouvoir ». D‟après Thompson, les phénomènes scandaleux peuvent inclure
dans leur origine des abus du pouvoir, cependant, ceux-ci ne sont pas les seuls
motifs des scandales politiques. De cette façon, les scandales politiques
peuvent être proprement politiques (quand il s‟agit d‟une dénonciation pour
abus du pouvoir) mais aussi d‟ordre financier (des actes de corruption, par
exemple) et sexuels (qui met en question la qualité morale du gouvernant). 46
44
MARKOVITS et SILVERSTEIN, Op. cit, p.1-2. 45
THOMPSON, Op. Cit, p.133. 46
THOMPSON, Op. Cit, p. 135.
39
Finalement, comme on l‟a expliqué dans le point III de cette introduction, la
présente recherche a aussi pris en compte les travaux concernant les systèmes
politiques facilitant le déclenchement des scandales politiques. A ce propos, on
a révisé les travaux de Thompson47, Markovits et Silverstein et Jiménez. De ces
analyses, on retient que ce sont les systèmes démocratiques, ceux qui peuvent
offrir les conditions les plus favorables à la configuration des scandales : il y a
plus de liberté pour s‟exprimer et, par conséquent, pour critiquer le pouvoir,
pour le surveiller ou pour faire effectivement « rendre compte » d‟actes
publiques.48
47
THOMPSON, John, Op.cit, p. 136-137. 48
D’après Markovits et Silverstein, les scandales politiques peuvent se produire seulement dans les
démocraties libérales parce que celles-ci cherchent à résoudre du conflit potentiel entre l’individualisme
et la liberté personnelle en les conjuguant avec la nécessité de l’État d’exercer un certain degré du pouvoir
impersonnel (Markovits et Silverstein). Jiménez complète cette position en affirmant que dans les
systèmes politiques démocratiques, la représentation se base sur la « rendu compte » des actions des
politiciens ; de ce fait, cette idée de représentation réside sur la notion de responsabilité, sur l’obligation
de la part de gouvernants, de rendre compte de leurs actions aux citoyens.
40
1. Les dénonciations journalistiques durant le régime d’Alejandro Toledo
(2001-2005)
“Je crois que 2004 a été une année féroce de dénonciations, c’était
incroyable !, C’était ma première expérience comme directeur d’un journal
et, en effet, 2004 a été une année terrible. Je me suis demandé si ce climat
de délation était habituel. On me répondit que non. C’était donc une année
exceptionnelle. Une situation inédite. Tous les trois jours nous publions une
nouvelle dénonciation. Elles étaient rapidement oubliées masquée par la
suivante. C’était étonnant… Cela a changé en 2005. Les gens avaient en
marre … ». (Augusto Alvarez Rodrich, directeur, journal Pérou 21)49
Le gouvernement d‟Alejandro Toledo (juillet 2001 – juillet 2006) est né au milieu
du scandale. L‟héritage des scandales politiques était au centre de la
campagne électorale de 2000. Il a été lourd pour le nouvel régime d‟Alejandro
Toledo. Les dénonciations journalistiques contre Toledo et son parti politique,
durant les campagnes électorales 2000 et 2001, ont détérioré significativement
l‟image politique d‟Alejandro Toledo, provocant la suspicion, le doute et la
surveillance des politiciens, des médias et des citoyens, depuis le début de son
mandat.
« Plutôt tôt que tard, la presse était particulièrement attentive aux actions et
aux propos du candidat et prochain Président, Alejandro Toledo. Elle s’est
centrée sur son entourage, ses amis, sa femme, la fille reniée, ses neveux,
son conseiller César Almeyda, et ses excès : ses « escapades nocturnes »
en direction de l’hôtel Melody ses grands repas dans les restaurants cinq
étoiles, ses dépenses de whisky étiquette bleu, son heure Cabana50 et bien
d’autres choses encore. La presse s’est régalée dans les mille et une
erreurs commises par Toledo. Elle ne lui a rien pardonné et d’’autre part elle
gagnait de l’audience, même quand elle montrait à la télévision en plein
49
Entretien effectué le 19 mai de 2008 à Lima, Pérou. 50
Cabana (département d’Ancash) est le nom du village où il est né. Ce village appartient à la sierra
péruvienne. L’expression « l’heure Cabana » (la hora Cabana) a été crée par la presse en faisant allusion
à l’habitude du nouvel Président d’arriver trop tard à ses rendez-vous avec la presse ou de commencer à
travailler trop tard, vers 11am.
41
prime time un dimanche , le frère du président , Luis, en train de lancer une
pierre à un reporteur, ou lorsque elle évoquait les scandales autour de ses
neveux, l’augmentation du salaire présidentiel, les rides de sa sœur
Margarita, les crises de colère de sa femme, madame Karp, les virements
vers la compte bancaire « au cas où » de son neveu Coqui, lors de la
campagne de 2001, sa négation têtue à reconnaître la paternité de Zaraí,
ses « fuites » vers la plage Punta Sal, ou ses conseillers »51
Depuis août 200152, les protestations sociales (organisées par les syndicats
des travailleurs, les municipalités, les membres des communautés régionales)
contre le gouvernement d‟Alejandro Toledo se multiplient dans différentes
régions du pays. Pendant ce mois d‟août, les critiques à propos du salaire du
salaire du Président se font entendre avec une grande ferveur, et pourtant, les
sondages donnent encore au Président un indice de satisfaction de l‟exercice
de son mandat de 45%. Néanmoins, cette côte diminuera au fur et à mesure
des mois qui passent. Les différentes protestations et des dénonciations contre
lui et son entourage, ainsi que la dispute publique entre les membres du parti
politique gouvernemental, commencent à prendre de l‟ampleur. A partir du
mois d‟octobre, les analystes politiques, et les principaux opposants
commencent à parler d‟une crise politique « qui pourrait probablement
déboucher vers un changement de Président ».53
Le premier scandale durant le régime d’Alejandro Toledo commence en
août 2001, en se prolonge jusqu’au novembre 2001. Un mois après avoir
mis en place son gouvernement, la presse dénonce le salaire du Chef d‟État
d‟un montant de 18 000 dollars mensuel. Il est le Président le mieux payé de
51
PAREDES, Martín, “Nos habíamos peleado tanto: Alejandro Toledo, la prensa y un largo adiós” (“On
s’avait disputé beaucoup: Alejandro Toledo, la presse et à longue adieu”) [en ligne]. In : Perú Hoy (Pérou
Aujourdhui), DESCO, Centro de Estudios y Promoción del Desarrollo), 2005, no.5. Disponible sur :
<http://desco.cepes.org.pe/apc-aa-files/d38fb34df77ec8a36839f7aad10def69/PH_jul06.zip> (consulté le
15 juillet 2008) 52
La première protestation contre le régime d’Alejandro Toledo s’est enregistrée le 25 août à Cuzco,
quand les habitants de cette région ont bloqué l’aéroport de la ville. 53
TOCHE, Eduardo, “Cronologia de un largo y ardiente bienio” (“Cronologie des deux ans longs et
chauds » [en ligne]. In: Peru Hoy, DESCO, Centro de Estudios y Promocion del Desarrollo, 2003, no. 3.
Disponible sur : <http://www.desco.org.pe/publicaciones/PERUHOY/pdfs/peruhoy3.zip> (consulté le 15
juillet 2008)
42
toute l‟Amérique Latine. Son salaire est supérieur aux présidents de l‟époque,
José María Aznar (L‟Espagne), Tony Blair (Royaume Uni), Silvio Berlusconi
(l‟Italie).
C‟est l‟hebdomadaire politique Caretas qui a dénoncé pour la première fois en
août 2001 le salaire du président. A partir de cette première annonce, différents
médias prendront la relève, puis les différents acteurs de l‟opposition se
manifestent à leur tour. Ils réclamèrent la diminution de ce salaire exorbitant. En
Novembre 2001, le Président annonça une diminution de son salaire en le
portant à 12 000 dollars. Il déclara que l‟excédant versé depuis juillet serait
attribué à un projet indépendant appelé « A étudier ».54
En septembre 2001, une nouvelle dénonciation fût publiée. Elle mettait en
question, la qualité morale et démocratique du régime d‟Alejandro Toledo.
Ernesto Schutz, président de la chaine de télévision Panamericana Télévision
était à ce moment-là recherché par la justice pour avoir fait des négociations
illicites avec Vladimiro Montesinos. Il dénonçait le Président de la République
Alejandro Toledo de lui faire pression concernant à la situation judiciaire de
Panamericana Télévision. Ce chantage serait intervenu quelques jours avant la
diffusion de la vidéo montrant la réunion entre Schutz et Montesinos. Cette
dénonciation, basée sur le témoignage d‟Ernesto Schutz, démontrait que le
comportement du nouveau président ne serait pas si différent comparé à celui
du président du régime précédant, qui avait fait des médias ses principaux
serveurs et alliés.
Le mois suivant, une nouvelle dénonciation journalistique posait la question de
la transparence du nouveau régime. En octobre 2001, cette nouvelle
dénonciation accusait le nouveau gouvernement du délit de népotisme en
démontrant, qu‟une nièce du Président, Jessica Toledo, qui était alors,
étudiante dans une université privée, avait été embauchée en août 2001 pour
54
CARETAS, “El recuento de los 100 días” (“Le rapport dex 100 jours”) [en ligne]. In: Caretas, Lima, 8
novembre 2001. Disponible sur:< http://www.caretas.com.pe/2001/1695/articulos/toledo.phtml >
(consulté le 22 juillet 2009)
43
travailler à la Présidence du Parlement. Son salaire était supérieur à 4 000
soles.
Ce mois-ci, la dénonciation concernant le voyage du Président Alejandro
Toledo et de ses 43 membres du gouvernement pour l‟Equateur, la Chine et
l‟Espagne, démontrait les excès d‟un régime dépensier (la dénonciation faisant
un rapprochement ave le salaire du Président. Malgré la situation économique
précaire demeurant depuis 10 ans d‟autoritarisme, et les fortes pressions
sociales provenant de différents secteurs du pays). En octobre 2001, une
nouvelle dénonciation d‟un journaliste dévoilait que le Président et son
entourage politique avaient dépensé près de $700,000 lors de ce voyage.
Parmi les membres de l‟entourage présidentiel était nommé son neveu, Jorge
Toledo (dénoncé durant la campagne électorale 2001 pour corruption par des
anciens alliés d‟Alejandro Toledo), la fiancée du ministre des relations
extérieures, Diego García Sayan, et les conseillères de la Première Dame,
Eliane Karp.
De cette façon, on observe que les scandales politiques contre le régime
d‟Alejandro Toledo ont eu une centralité dans la quotidienneté du jeu politique,
en remplissant les agendas médiatiques et politiques, depuis la première année
de son gouvernement.
A la fin d‟octobre de 2001, Alejandro Toledo donne un message à la nation via
la télévision en annonçant au public, l‟obtention de 1,866 millions de dollars
grâce à un voyage présidentiel récent à l‟étranger. D‟après les analystes, le
gouvernement décida de faire cette annonce, afin de réduire l‟effet négatif de
différentes dénonciations de corruption apparues dans les médias contre le
régime, spécialement en ce qui concernait l‟embauche de son neveu comme
conseiller politique qui démontre les actions de népotisme et favoritisme, mais
encore la nomination d‟un ami personnel du Président pour la position de
Contrôleur Général de la République (Gerardo Matute) ;
En décembre 2001, après le déclenchement du scandale du salaire du
Président, qui lui a obligé à le réduire, et d‟autres dénonciations concernant les
44
dépenses excessives du gouvernement et les cas de népotisme, les niveaux
d‟approbation du Président ont été sérieusement touchés, en motivant leur
descente permanente. De cette façon, pour la fin de l‟année 2001, l‟approbation
de la gestion du Président était tombée dès 51% (en juillet 2001) à 32% en
novembre et 30 % en décembre et janvier 2002.
La deuxième année (2002) du gouvernement d‟Alejandro Toledo a commencé
au milieu de protestations violentes et des grèves régionales. En février 2002,
la popularité du Président continua à descendre, en arrivant à 27% selon les
sondages. Parmi les raisons expliquant l„augmentation de la désapprobation
présidentielle étaient : le non accomplissement des promesses faites par
Alejandro Toledo durant la campagne électorale, manque de leadership, le
problème du chômage non résolu.
Durant les quatre premiers mois de 2002, les confrontations entre certains
Ministres et le Parlement s‟intensifient (spécialement, entre les Ministres
« indépendantes » tel que Fernando Rospigliosi –Intérieur-, Pedro Pablo
Kuczynski –Economie- et Fernando Villarán –Travail- et le Président du
Parlement et membre du parti Perú Posible, Carlos Ferrero, et les
parlementaires de la Commission de Fiscalisation / Surveillance). Et en mars
2002, deux dénonciations journalistiques montreront encore une fois le manque
de transparence et d‟économie du régime dans l‟acquisition et vente de biens.
Ceci est le cas par exemple de la vente d‟avions Tucano au gouvernement
d‟Angola à travers d‟un Décret Suprême qui ne comptait pas avec l‟approbation
du Conseil de Ministres. Les avions étaient dans le 50% de leur capacité et il
n‟était pas de la ferraille, comme le gouvernement l‟avait affirmé au moment de
les vendre.
Le scandale du « Cholocóptero », cela veut dire, l‟hélicoptère du Président (le
nom cité est le résultat d‟un jeu de mots entre helicñptero (hélicoptère) et cholo
(mot familier pour appeler les indiens, en allusion au Président Toledo).
Mars 2002: Le scandale de l’hélicoptère Présidentiel (le
Cholocóptero)
45
- Le journal La República dénonce l‟intention du gouvernement d‟acquérir
deux hélicoptères afin d‟être utilisés pour le Président. Chaque hélicoptère
valait 6 millions de dollars, et d‟après la presse, cette acquisition ne
comptait pas avec de la licitation internationale publique et de l‟intervention
du Contrôleur Général de la République.
- Réaction aux dénonciations : Le Président Toledo a répondu à la presse
sur cette acquisition en la confirmant mais aussi en la justifiant car les
avions jusqu‟à ce moment-là utilisés par le gouvernement ont dû atterrir
d‟urgence quatre fois.
En avril 2002, la presse dénoncera le régime d‟Alejandro Toledo concernant
les travaux de réfection du palais Gouvernemental en utilisant des ressources
financières d‟une institution de l‟État, Petroperú. D‟après cette dénonciation,
entre juin de 2001 et avril de 2002, il avait été détourné de Petroperú, et afin de
les injecter dans le financement de la réfection du palais, un montant total de 7
millions 683 mil 950 soles.
De même, lors d’avril 2002, les affrontements entre le gouvernement et les
chaines de télévision continuent. L‟avocat d‟América Télévision déclare qu‟ils
dénonceront le gouvernement de violation indirecte de la liberté d‟expression
auprès la Commission Interaméricaine de Droits de l‟Homme concernant les
intentions de l‟État d‟instaurer une nouvelle administration comme punition de
ne pas avoir payé ses dettes à l‟État ( 80 millions de dollars).
Deux mois plus tard, juin 2002, il se produit la première crise politique du
gouvernement de Toledo, à cause des protestations violentes durant depuis
mai à Arequipa et supportées par des fronts régionaux de Cusco, Moquegua,
Ancash, Cajamarca, Puno, Huanuco, Loreto, etc. Les autorités et le peuple
d‟Arequipa s‟opposaient aux intentions du gouvernement de privatiser les
entreprises d‟électricité régionales Edegel et Egasa. Malgré les promesses
électorales d‟Alejandro Toledo de faire le contraire.
46
La violence augmentait au fur et à mesure que le gouvernement maintenait sa
politique tout en essayant de les convaincre en annonçant les bénéfices
économiques obtenus pour la région. A la fin, le gouvernement dû mettre fin au
processus de privatisation et signer une déclaration avec le peuple d‟Arequipa.
Le gouvernement pris la décision de cesser les privatisations. De ce fait, le
Ministre de l‟Intérieur, Fernando Rospigliosi, chargé d‟organiser les forces
policières et devant faire face aux protestations, démissionna de sa position.
Rospigliosi fut le premier ministre de Toledo à quitter le Cabinet de Ministres de
Toledo.
A ce moment-là, les sondages donnaient à Toledo une popularité de 25.4%,
alors que l‟ancien Président Alberto Fujimori avait une côte de 31.5% à Lima.
Cependant, le régime d‟Alejandro Toledo continuait à maintenir un certain
pouvoir au Parlement : le parti d‟opposition, APRA, ne réussit à interpeller le
Ministre d‟Economie, Pedro Pablo Kuczynski ; la proposition d‟un autre parti
d‟opposition Unidad Nacional ne parvient pas à donner plus de prérogatives au
Premier Ministre (ceci faisait aussi partie des demandes d‟autres partis
d‟opposition) ; malgré l‟appel des syndicats de travailleurs, l‟organisation d‟une
grève nationale échoue.
La crise gouvernementale déclenchée en juin de 2002 pour les protestations au
sud du pays et la démission du Ministre de l‟Intérieur, s‟intensifie pour obtenir la
démission de trois autres ministres : le Président du Cabinet de Ministres,
Roberto Daðino, et les Ministres d‟Économie –Pedro Pablo Kuscinsky- et celui
des Relations Extérieures –Diego García Sayán. Ces trois ministres
démissionneront le 8 juillet, 20 jours avant le jour où traditionnellement, le
Président procède au changement du Cabinet des Ministres ou à sa ratification.
D‟après les déclarations médiatiques des anciens ministres, des différences
politiques avec le régime motivèrent leurs démissions.
En effet, durant ce mois (juin 2002), s‟étend la rumeur d‟une crise ministérielle
parce que les membres de Perú Posible commencent à faire pression sur le
régime pour obtenir plus de Ministères. A cause de ces conflits et des
47
dénonciations fréquentes, les partis d‟opposition discutent avec les différents
les médias sur l‟éventualité que le Président de la République ne finisse pas
son mandat, et démissionne avant juillet 2003. En août, le Président crée un
Cabinet de crise ou « Cabinet parallèle des Ministres ». Pendant ce mois
d‟août, les sondages indiquent que la côte du Président continue de chuter:
18%.
En juin 2002, les médias dénoncent le cas Lerner – Wolfenson. La presse
transcrit un enregistrement audio de la réunion privée effectuée un mois et demi
au paravent, entre Salomon Lerner Ghitis, ami personnel du Président de la
République et à l‟époque, président de la Corporation Financière du
Développement COFIDE, ainsi que les frères Alex et Moises Wolfenson,
propriétaires du journal d‟opposition, La Razñn. Dans le dialogue, Lerner exerce
de la pression sur Moises Wolfenson et lui demande de changer la ligne
éditoriale de son journal, ce qui serait récompensé par des bénéfices dans ses
procès judiciaires.
L‟enregistrement audio fut diffusée trois semaines, le jugement fut rendu, et la
détention à domicile requise pour Alex et Moises Wolfenson reconnu coupable
d‟avoir reçu des mains de Vladimiro Montesinos de l‟argent afin de soutenir la
campagne électorale de Fujimori et d‟attaquer, à travers de leurs journaux –El
Chino et El Men- à l‟opposition politique.
Aout 2002: La relation de travail entre Eliane Karp et la Banque Wiese
- La femme du Président, Eliane Karp, a reçu 431,834.59 soles entre
janvier et août 2002, au titre de Chef des Projets Agraires de la Banque
Wiese Sudameris. Cette banque a été dénoncée par les médias comme
l‟entité financière où Montesinos avait des comptes crédités de plusieurs
milliards. De même, le gérant de la banque, Eugenio Bertini, apparaissait
dans une « vladividéo » prodiguant des conseils à Montesinos pour faire
sortir son argent du pays. Karp elle aussi a été mise en question, parce
qu‟elle avait affirmé qu‟elle n‟était plus une professionnelle rémunérée en
raison de sa position de Première Dame.
48
En novembre de 2002, la Préfecture de Lima registra 24 protestations durant
une seule journée (11 novembre) et 235 protestations durant tout le mois. Elle
autorisa 2002,802 protestations entre janvier et novembre.
Les conflits du gouvernement avec certains médias dont l‟administration est
restée encore aux mains de directeurs qui eurent une liaison avec le régime
d‟Alberto Fujimori, s‟intensifient lors du premier trimestre de 2003, quand le
PDG d‟une chaîne de télévision, Panamericana Télévision dénonce la pression
que le gouvernement d‟Alejandro Toledo exerce sur son entreprise. …
Lors du mois d’avril 2003, une autre dénonciation est rendue publique dans
les journaux et déclenche un nouvel scandale : le conseiller et ami du
Président, César Almeyda, à l‟époque président du Conseil National
d‟Intelligence (CNI) et avocat de Toledo durant le « cas Zaraí », fut accusé
d‟avoir fait installé un réseau d‟écoutes téléphoniques (25 avril 2003).
Avril 2003 : Le scandale Almeyda et l’écoutes téléphoniques:
- Une émission télévisée de Frecuencia Latina, « Entre líneas », révèle
que le Président du CNI, César Almeyda, aurait pratiqué de l‟espionnage
téléphonique en se servant des ressources logistiques que l‟ancien
directeur du Service National d‟Intelligence, Vladimiro Montesinos avait
utilisées durant son mandat. Dans cette émission, il fut présenté deux
enregistrements d‟audio aux membres de l‟Armée Péruvienne
emprisonnés pour leurs liaisons avec le régime d‟Alberto Fujimori.
- De même, Almeyda fut aussi accusé d‟avoir mis en oeuvre le « Plan
Andino » (le plan indien) dont l‟objectif était d‟embaucher les militants de
son parti politique, Perú Posible, dans les postes de confiance du CNI, en
ayant pour but les élections de 2006.
49
- Le CNI émit un communiqué de presse en niant ces accusations.
Cependant, quelques jours après, César Almeyda du démissionner de la
présidence du CNI.
Durant mai 2003, des nouvelles disputes publiques entre les parlementaires du
parti du Président, Perú Posible, se sont manifestées en intensifiant l‟image de
désordre gouvernemental et le manque de leadership du Président. De même,
les protestations sociales à l‟intérieur du pays augmentent, et le Président du
diffusé un autre message télévisé à la nation afin de déclarer l‟État d‟urgence
dans tout le pays.
En juin 2003, le sujet du salaire présidentiel est repris par les médias et les
acteurs politiques en raison des demandes des revendications des professeurs
pour de meilleurs salaires. Le Conseil de Ministres accorda de réduire le salaire
à 12 000 dollars et un programme d‟austérité est initié. La côte de popularité du
Président tombe à moins de 15% et l‟approbation de sa gestion diminua à 11%.
Vers la fin de juin, les Ministres présentent leur démission, et, durant six jours le
Président ne parvient pas à les remplacer. Les pressions de différents secteurs
politiques vers le Président pour qu‟il laisse d‟autres forces politiques gouverner
s‟intensifient. A la fin juin, Alejandro Toledo choisit comme Premier Ministre à
une autre figure indépendante, Beatriz Merino, malgré les pressions de son
parti politique.
En novembre 2003, une nouvelle crise politique ministérielle se produisit avec
la démission des nouveaux Ministres à cause de nouvelles dénonciations. La
première est celle d‟une Ministre de la Femme , et du Développement Social
qui est restée au pouvoir seulement 4 jours. Le Président Toledo demanda la
démission de la Ministre Nidia Puelles (de Perú Posible), après avoir été
dénoncée par une autre parlementaire appartenant au même parti politique,
Enith Chuquival. Elle est accusée d‟avoir commis des irrégularités dans postes
publiques antérieurs. Le Contrôleur Général de la République ordonna une
enquête.
50
La deuxième crise fut déclenchée par une dénonciation journalistique
contre le vice-président et Ministre de Tourisme et Commerce Extérieur, Raul
Diez Canseco :
Novembre 2003: Le cas du vice-président Raul Diez Canseco et du
trafic d’influences
- Le journal Correo dénonça que le vice-président et aussi Ministre de
Tourisme et Commerce Extérieur, Raul Diez Canseco (53) –formellement
marié- , avait utilisé sa position de Ministre pour emboucher une jeune
femme (26) et ses deux frères, à ce moment-là supposée sa maîtresse,
dans Prompex, une entité dépendant du Ministère.
- Deux jours après, Diez Canseco nie le contenu de cette annonce, et
déclare que Luciana Léon n‟était qu‟une amie. Toutefois, ce même jour,
une émission de télévision diffuse des photos d‟un voyage « romantique »
que tous les deux avaient fait à Cuzco.
- Une nouvelle dénonciation paraît immédiatement dans le même journal :
on lit l‟émission du Décret Suprême 047, qui exonère du paiement des
impôts aux entreprises qui vendent des aliments dans la zone
internationale de l‟aéroport Jorge Chavez. Ce dispositif légal fut considéré
anticonstitutionnel car toutes les exonérations doivent être ordonnées par
le Parlement soit par une loi ou un décret législatif. D‟après la
dénonciation de Correo, la promulgation du décret aurait été effectuée
pour aider le père de sa maîtresse.
- Le Ministre niera plusieurs fois entretenir une relation sentimentale avec
Luciana Léon durant un entretien à la télévision, mais aussi, dans ses
déclarations auprès la Commission de Fiscalisation / Surveillance du
Parlement qui menait une enquête. Diez Canseco accusa aussi les
intérêts de la « mafia fujimorista » évoquant la bassesse de cette
révélation, et demanda si « avoir des sentiments, aimer ou être aimer était
désormais un péché ? ». Encore une fois, les journaux éditèrent des
51
nouvelles photographies du Ministre et Luciana sur une plage aux Etats-
Unis.
- En décembre 2003, Le ministre démissionne et présente ses excuses au
pays pour avoir menti : « Je regrette profondément de ne pas avoir dit la
vérité sur mes sentiments, cette grave erreur est devenue aujourd‟hui un
cauchemar et fut motivée par une attitude incorrecte de ma part pour
protéger les personnes impliquées ».
- En Janvier 2004, Raul Diez Canseco démissionne irrévocablement de
son poste de premier vice Président de la République à cause des
pressions politiques et médiatiques permanentes. Sa démission s‟effectue
quelques jours après la révélation du « scandale Almeyda ». Diez
Canseco déclara aux médias que sa décision avait été prise afin de
« fortifier le régime démocratique du pays et fortifier la gestion du
Président Alejandro Toledo ».
Crise politique en Décembre 2003: La démission de tout le Cabinet
Ministériel et le cas de la Première Ministre Beatriz Merino.
- Une émission de télévision, « La Boca del Lobo», dénonça la Première
Ministre pour avoir utilisé sa position de fonctionnaire publique (quand elle
était Présidente de la Super intendance d‟Administration Tributaire
SUNAT) pour embaucher à une amie de l‟enfance, Irma Chonati, en
omettant la procédure de concours publique pour occuper ce type de
poste, (3 décembre). De même, dans cette émission, on apprend que la
Ministre Merino Irma Chonati habitaient en collocation depuis 12 ans.
- Le lendemain, la Premier Ministre dénonça la campagne de discrédit qui
s‟acharnait sur elle depuis une semaine. D‟autre part, elle expliqua que la
décision d‟embauche de Chonati dépendait d‟une autre institution –CIAT-
dont la gestion était de responsabilité d‟autres autorités.
52
- Immédiatement, des rumeurs circulèrent à propos d‟une probable
relation sentimentale entre Merino et Chonati.
- En réponse aux questions des médias, le Président de la République
déclara aux médias que la campagne de discrédit dénoncée par la
Ministre Merino ne provenait pas de son parti politique, Perú Posible.
- Une semaine plus tard, la Première Ministre Beatriz Merino ignora la
sollicitude du Président et annonça aux médias, qu‟elle avait été avertie
d‟une attaque politique contre elle, 8 mois au paravent.
- Les médias affirmèrent que, derrière de ces manœuvres se cachait
l‟ancien Premier Ministre, Luis Solari, membre du parti Perú Posible (le
parti politique de Toledo). C‟était un journaliste de télévision –à ce
moment-là critiqué pour ses liaisons avec le régime de Fujimori-, Alejandro
Guerrero, qui avait affirmé que cette dénonciation avait été faite par
Merino elle même,et avait ajouté que Solari l‟avait accusé d‟être
homosexuelle auprès de l‟Archevêque de Lima, Juan Luis Cipriani et le
Nonce Apostolique au Pérou, Rino Passigato. Cipriani a nié ces
allégations. L‟ancien ministre Solari a qualifié ces dénonciations de
mensonges, et il accusa le conseiller présidentiel, Guillermo Gonzalez
Arica. Après la démission de Merino, l‟ancien Ministre Solarie, membre du
parti du Président annonça dans une émission de télévision, qu‟il avait
rompu ses relations avec le Palais du Gouvernement parce qu‟il était
atterré, et fatigué des dénonciations fréquentes le concernant.
- Le Président Toledo demanda aussi la démission de tous les Ministres et
des conseillers présidentiels.
- Les médias confirment que la Ministre a perdu la confiance du Président
pour avoir rendu public sa rivalité avec l‟ancien Ministre Solari.
Il en résulte, et il est important de remarquer qu‟à ce moment-là, l‟indice de
satisfaction de la gestion du Président Toledo est de 10.3%, alors que celui de
53
la Ministre Merino atteint 54.1% (Sondage de l‟Université de Lima, cité par
Tanaka). Les raisons de l‟éloignement de Merino ne furent jamais
complètement clarifiées, mais, en général, elles furent la conséquence des
pressions du parti du gouvernement, et du Président en personne, étant jaloux
de la popularité de la Ministre, qui lui fait de l‟ombre.
De même, en décembre 2003, il s‟est produit une autre démission ministérielle
comme le résultat des dénonciations journalistiques. Le journal Correo dénonça
que le Ministre de Travail, Fausto Alvarado, avait commis le délit de népotisme
pour avoir embauché huit de ses proches. Alvarado renonça, et le Parlement
réclama une enquête pour vérifier ce délit.
Tel qu‟il est souligné par le sociologue péruvien Martin Tanaka, en 2003, les
Ministres du parti politique du Président furent sévèrement critiqués et
surveillés. Ils devront démissionner et seront remplacés par de ministres
indépendants. « Quelques exemples illustratifs de ministres de Perú Posible qui
ont du sortir pour incompétence, ou en raison de divers scandales : Doris
Sánchez et Nidia Puelles, au Ministère de la Femme et du Développement
Social, accusées d‟incompétence et de népotisme ; Jesús Alvarado et Juan de
Dios Ramírez, au Ministère du Travail, le premier fût accusé de népotisme,
tandis que le deuxième fût impliqué dans un scandale pour un cas de paternité
non reconnue ; le cas d‟Alberto Sanabria, accusé pour corruption au Ministère
de l‟Intérieur. Tous ceux-ci ont dû être remplacés par des acteurs
indépendantes (non politiques) ».
Vers la fin de 2003, les dénonciations et les démissions fréquentes dans
le régime de Toledo touche sérieusement la popularité du Président
Alejandro Toledo. L‟institut de sondage de l‟Université de Lima attribua au
Président un indice de satisfaction de 10.3%, après avoir eu 18%, durant le
mois de novembre. En commentant cette diminution le conseiller présidentiel
Juan Sheput déclara : « Il y a eu un scandale politique qui a saturé à l‟opinion
publique, une série des rumeurs de très bas niveau, et ceci, dans un régime
présidentialiste, a sapé l‟image de Toledo ».
54
Au début de 2004, une nouvelle dénonciation contre l‟ancien Président du CNI
et avocat personnel du Président, César Almeyda, déclenche un nouveau
scandale politique mettant en question la gouvernance du pays.
Janvier-Février 2004: Le scandale du conseiller présidentiel César
Almeyda :
- Les journaux Perú 21 et Correo font paraître des extraits d‟un des
dialogues entre César Almeyda, à l‟époque de l‟enregistrement étant le
président du Conseil National d‟Intelligence, et le général Oscar Villanueva
-en retrait au moment de l‟enregistrement. Le général décéda avant la
dénonciation (29 février 2004).
- D‟après les transcriptions, dans cette conversation –qui se serait
effectuée le 10 de décembre de 2001- Almeyda offrait à Villanueva –qui a
ce moment-là se cachait de la justice - des bénéfices pénitentiaires et lui
affirmait qu‟il avait de l‟influence sur le Ministre de la Justice, Fernando
Olivera, l‟Institut National Pénitentiaire et la juge chargée de son procès,
Inés Villa Bonilla.
- Quelques jours avant de cette révélation, la revue Caretas publia un
entretien de Almeyda. Dans cet entretien, Almeyda affirmait qu‟il avait
seulement parlé avec Villanueva, sans évoquer l‟idée d‟une quelconque
faveur judiciaire.
- Le Journal Perú 21 donna plus de détails sur cette rencontre, en mettant
en question l‟information donnée par Almeyda dans l‟entretien publié par
Caretas. Par exemple, il se mentionne que le général Villanueva avait
donné quelques conseils à Almeyda afin d‟obtenir un meilleur contrôle des
médias, via l‟INDECOPI (l‟Institut de Défense des Consommateurs et de la
Propriété Intellectuelle) ; d‟autre part, il fut démontré que d‟autres réunions
avaient été tenu, par conséquent, Almeyda Villanueva alors qu‟il avait
déclaré dans un entretien journalistique de ne pas connaître son visage,
etc. (BBC, 1 Février 2004)
55
- La justice accusa César Almeyda d‟avoir commis le délit de
recouvrement personnel (« encubrimiento personal ») pour s‟être réuni
avec un homme recherché par la justice, et ne pas avoir informé aux
autorités.
- Quelques semaines avant cette révélation, Miguel Salas –connu comme
« l‟agent Sun », un ancien collaborateur du général décédé Villanueva-
avait tenté de vendre cet enregistrement audio. Il distribua aux médias,
des extraits de ce dialogue. A ce moment-là, César Almeyda reconnut
avoir rencontré Villanueva, mais il se justifia en affirmant que l‟ancien
Ministre de Justice, Fernando Olivera (membre du parti politique allié du
régime, FIM), était au courant.55
La crise politique déclenchée par la vulgarisation de cet enregistrement
d’audio, ainsi que les dénonciations réalisées par « l‟agent Sun », impliquent
aussi un membre de la famille du Président, et affecte sérieusement le régime.
- L‟opposition politique réclama une enquête sur Fernando Olivera, et la
démission du Ministre de Justice Fausto Alvarado, aussi membre du FIM.
L‟opposition demanda aussi la démission de tout le Cabinet Ministériel, afin
d‟en former un autre, composé par des personnalités de divers secteurs
sociaux et politiques. L‟opposition exiga la réalisation de nouvelles élections
présidentielles le plus rapidement possible. De cette manière, commence le
débat sur la possibilité de déclarer le Président Alejandro Toledo comme
« incapable moral » et anticiper les élections. Elles devrait avoir lieu en 2006.
Le parti politique qui dirigeait cette demande était l‟APRA.
- En février 2004, le Président Alejandro Toledo, accompagné de ses Ministres
fait une annonce télévisée pour montrer la distance qu‟il prend face à la
corruption de César Almeyda : « J‟exprime ma déception pour la mauvaise
55
ORTUZAR, Ximena, “Enfrenta Toledo la peor crisis política desde que asumió la presidencia
peruana” (“Toledo fait face à la pire crise politique depuis son arrivé au pouvoir au Pérou ») [en ligne].
In: Jornada, Mexico, 04 février 2004. Disponible sur :
<http://www.jornada.unam.mx/2004/feb04/040209/030n1mun.php?origen=mundo.php&fly=1> (consulté
le 12 avril 2008)
56
utilisation du pouvoir à travers d‟actes étant dehors de la loi. Je regrette
profondément que le docteur César Almeyda ait agit sans me tenir au courant,
je regrette d‟avoir accordé ma confiance à celui qui a démontré qu‟il ne la
méritait pas ». Le Président Toledo déclara avoir décidé d‟écarter César
Almeyda du régime, et de son parti politique.
- Le gouvernement annonce la réforme du Cabinet de Ministres: sept des 15
ministres sont remplacés (c‟était le cinquième Cabinet en deux ans, et demi de
régime). Au moment de faire l‟annonce publique de cette décision, le Premier
Ministre, Carlos Ferrero Costa, affirma : « Dans le nouveau Cabinet, le nombre
de (ministres) indépendants est plus élevé qu‟il ne l‟a jamais été », en montrant
que cette décision répondait aux demandes politiques de l‟opposition.
- Cette crise a aussi affecté sérieusement l‟alliance politique existant entre Perú
Posible et le Frente Independiente Moralizador. Grâce à cette alliance, le
régime comptait avec une majorité au Parlement. Cependant, cette
dénonciation provoquant la démission de plusieurs militants du FIM, a minoré
cet avantage au Parlement : le régime restait avec seulement 39 votes au
Législatif, presque la troisième partie du total de votes.
- César Almeyda fut emprisonné en avril de 2004, accusé de trafic
d’influences et usurpation de fonction. La révélation de l‟enregistrement
d‟audio de la conversation entre Almeyda et le général Villaneuva à travers les
médias fut déterminante pour l‟ouverture d‟un procès, et pour son incarcération,
deux ans après des dénonciations journalistiques contre lui.
Crise politique Avril-Mai 2004: D‟ailleurs, le parlement a rejeté la position du
ministre de l‟intérieur Fernando Rospigliosi, affaiblissant ainsi le pouvoir du
régime. Il devra démissionner sur décision du parlement. Un an auparavant,
Fernando Rospigliosi avait déjà démissionné en manifestant son désaccord
avec le régime (lors de fortes protestations au sud du pays).
- En avril 2004, le peuple d‟Ilave, une province du département de Puno, initia
une grève régionale pour demander la révocation du maire, et d‟autres
autorités, accusés de corruption et de népotisme. Les protestations sont
57
devenues chaque jour plus violentes, en arrêtant toutes les activités de la zone,
au point de bloquer les échanges commerciaux entre le Pérou et la Bolivie. Le
point le plus critique arriva 24 jours après le début de la grève, quand le maire
d‟Ilave, Cirilo Galvez fut lynché en public, jusqu‟à la mort par le peuple (27 avril
2004).
- Cette action fut sévèrement condamnée par le Parlement qui censura le
Ministre de l‟Intérieur, Fernando Rospigliosi, pour ne pas avoir été capable de
contrôler la situation. Cette censure fut votée par 62 parlementaires dont 5 voix
provenaient du parti d‟Alejandro Toledo et 3 voix du Frente Independiente
Moralizador, groupe politique allié au gouvernement.
- La censure obligea Rospigliosi à démissionner. Cette censure était la
première qui se produisait depuis 13 ans et peut être interprétée comme un
sévère avertissement au Président Toledo, dont la popularité arrivait à 8%.
- Cette censure s‟est produite quand le pays affrontait de nombreuses
protestations sociales à Lima et d‟autres départements du pays.
Avril 2004 : Dénonciation contre la Première Dame, et le conseiller du
Président. Le cas CONAPA.
- Le 11 avril 2004, l‟émission de télévision « La Ventana Indiscreta » et
l‟Agencia Perú ont dénoncé que les 5 millions de dollars donnés par la
Banque Mondiale en qualité de prêt à la CONAPA (Commission national
des communautés indiennes, amazoniennes et afro-péruviennes) n‟étaient
pas en train d‟être utilisés en travaux sociaux, mais en payaient les hauts
salaires (entre 17 mil et 20 mil dollars) de professionnels embauchés dans
des projets non-prioritaires, mais qui étaient proches de l‟épouse du
Président, Eliane Karp. Karp, étant Présidente ad honorem de la
CONAPA. L‟une des sources principales de cette dénonciation fut un
ancien employé de la Conapa.
- Cette dénonciation fut prise en compte par la Commission de
Fiscalisation / Surveillance du Parlement. En juillet 2004, cette
58
commission, à l‟époque présidée par le parlementaire de l‟APRA, Javier
Velasquez Quesquén, considéra Karp comme responsable des
irrégularités à l‟intérieur de la CONAPA. Le Parlement donna son rapport
au Contrôleur Général de la République, afin de lui réclamer une enquête.
- Réaction politique aux dénonciations : Le Président de la République
essayait de répondre aux accusations, en les discréditant, et en les
qualifiant de «suspectes » et de faire partie du « bruit politique » ; de
même, il expliquait que les salaires avaient été fixés par la Banque
Mondiale et non par Karp. Eliane Karp répondra à cette dénonciation
seulement 15 jours après en faisant une bref déclaration à la presse: « Je
n‟ai jamais eu aucun pouvoir sur aucune compte, j‟ai seulement fait un
travail de coordination, et d‟appel en concordance avec mon métier
(anthropologue). Le Ministère Public décida d‟initier une enquête sur cette
dénonciation.
En août 2002, une autre dénonciation journalistique –parut dans le journal
Correo- elle évoquait la corruption et la mauvaise gestion des ressources
de l’État et elle impliquait Eliane Karp de la Fondation Pacha pour le
Changement, une ONG inscrite au nom de la Première Dame, crée en octobre
2001, cela veut dire, trois mois après la prise de pouvoir de son mari, Alejandro
Toledo. Dans cette dénonciation, on révèle que le domicile fiscal de la
Fondation Pacha était inscrite au nom d‟une entreprise privée « off-shore »
appelé Bluebay Investments, et dont le siège était au Panama. L‟un des
fonctionnaires principal était César Almeyda, à l‟époque Président d‟INDECOPI
et, tel qu‟on l‟a déjà mentionné, avocat personnel du Président, et ancien
Président du Centre National d‟Intelligence. Il sera emprisonné en avril 2004,
pour le délit de trafic d‟influences et usurpation des fonctions. D‟après cette
dénonciation, la fondation de la Première Dame avait reçu d‟importantes
donations de la France et de l‟Espagne en déclarant qu‟il s‟agissait d‟un
organisme sans objectifs lucratifs.
- En mars 2004, Agencia Peru reprend cette affaire et dénonce la relation de
l‟ancien collaborateur du Président, impliqué dans d‟autres cas de corruption,
59
César Almeyda, avec l‟ONG d‟Eliane Karp. Cette agence journalistique a rendu
public, des documents montrant cette liaison, lesquels avaient été fournis par
des anciens membres du Bureau de la Première Dame. En mai 2004, des
témoignages d‟anciens collaborateurs de la Fondation créditent la liaison
existant entre Karp, Almeyda et la Fondation Pacha.
- En juillet 2004, Almeyda –en prison depuis avril 2004- déclara que lui et
l‟épouse du Président, Eliane Karp, avaient conseillé la Banque Wiese en
représentation de l‟entreprise off shore Blue Bay et qu‟ils avaient reçu de
l‟argent pour ce travail, lequel avait été déposé sur le compte bancaire privée
de Karp.
En avril 2004, une très grave dénonciation contre le parti politique Perú
Posible et contre le même Président, remettra sur l‟agenda public le débat
sur la possibilité d‟un départ du président pour incapacité morale: la probable
falsification des signatures délivrées pour le parti du Président, à l‟époque
appelé País Posible (Pays possible), afin de l‟inscrire en 1998 auprès le Bureau
National de Processus Électoraux:
Avril-Octobre 2004 / mars-juillet 2005: Le scandale de la falsification
de signatures pour inscrire en 1998 le parti politique d’Alejandro
Toledo, à l’époque appelé País Posible :
- Dans la conférence de presse du 28 avril 2004, les parlementaires du
groupe d‟opposition Unidad Nacional, Rafael Rey, Xavier Barron et
Fabiola Montes, ont accusé le parti politique du Président, Perú Posible,
d‟avoir falsifié le 85% des signatures présentées au Bureau National du
Processus Electoral (ONPE, Oficina Nacional de Procesos Electorales) en
1998, afin de procéder à son inscription.
Les parlementaires ont présenté dans une conférence de presse 35 boîtes
portant les copies de plus de 70 mil feuilles de l‟ONPE ayant été falsifiées
par Perú Posible pour s‟inscrire.
60
- La Commission de Fiscalisation / Surveillance du Parlement décida
d‟ouvrir une enquête, et le 31 mai le Ministère Public ordonna la réalisation
d‟une investigation graphologique des signatures. Après deux semaines
d‟évaluation, le 52 Bureau d‟Accusation Provinciale de Lima a initié une
enquête.
- En juillet 2004, le journal Peru 21, et l‟émission de télévision, « Cuarto
Poder », d‟América Télévision, présentent les déclarations du premier
témoin de la probable falsification des signatures. (4 juillet). Ce témoin,
dont l‟identité est restée secrète au moment de la diffusion, avait déclaré
auprès du 52 Bureau d‟Accusation Pénale de Lima que, tant le Président
que sa sœur, Margarita Toledo, étaient impliqués dans ce délit. Ces
médias ont rendu public ce témoignage qui avait été enregistré le 15 juin,
mais qui n‟avait pas été diffusé par le ministère chargé de l‟enquête. De
nouveau, le parlementaire Rafael Rey sera celui par qui l‟information sera
rendue publique. Toutefois, il sera nommé plus tard, à la diffusion des
reportages. Rey donnera son avis sur ce sujet.
Une semaine après cette dénonciation, l‟identité du témoin sera révélée –
Carmen Burga- et elle déclara qu‟elle n‟était pas la témoin et accusa le
parlementaire Rey de l‟avoir obligée de faire cette déclaration. Le jour
même de sa déclaration, elle pris la fuite du pays vers l‟Equateur. Le 17
juillet, le Président Alejandro Toledo donna un message à la nation, il niait
avoir été impliqué dans la falsification des signatures. (Il niera aussi son
implication dans un autre scandale déclenché en juillet: le cas Bavaria).
Durant les mois de juillet et août, différents médias –tel que El Comercio,
La República, Caretas, Correo- ont continué à révéler le nom d‟autres
personnes impliquées dans ce délit.
- Le 22 août, on annonce l‟existence d‟un autre témoin (Gladys Alvarez)
qui ratifie l‟accusation de Burga. Elle ajouta que le Président avait organisé
un déjeuné pour fêter l‟inscription illicite de son parti en 1998. Le 25 août,
le Président Alejandro Toledo répondit à ces accusations, en affirmant qu‟il
61
porterait plainte contre Rafael Rey pour diffamation. Quelques jours avant,
Rey l‟avait qualifié de délinquant.
- Le 3 octobre, l‟émission Cuarto Poder diffuse la vidéo, sur laquelle le
Président Toledo fête l‟inscription de son parti, et Toledo prononce ce jour-
là, une phrase qui met en évidence sa connaissance de l‟opération de
falsification. Le même jour, le Président Alejandro Toledo appelle le
responsable de cette émission télévisée, et il s‟affronte en direct avec le
présentateur, en le traitant de lâche, et en précisant le « caractère vilain»
(canalla) du reportage. Quelques instants après, Toledo appela
Panamericana Télévision, et affirme que la vidéo est truquée « afin de
semer des mensonges ».
- Le 5 octobre, l‟équipe journalistique, et de production de « Cuarto
Poder » démissionne, elle dénonce le gouvernement pour avoir exercer
une pression sur la chaîne de télévision, afin d‟exiger la présentation de
ses excuses envers le Président. Un sondage d‟APOYO, réalisé le
dimanche 17 octobre, montra que 57% des personnes interrogées
pensaient que les journalistes avaient démissionné sous la pression
gouvernementale faite à leur directeur.
- Les journaux La República (centre gauche) et El Comercio (centre droit),
dont les corporations sont propriétaires d‟América Télévision, ont critiqué
dans leurs éditoriaux cette émission de télévision en remarquant « la
faiblesse et la partialité politique du reportage ». D‟après la revue Caretas,
le Conseil Consultatif de Plural s‟est réuni avec le chef de rédaction
d‟América Télévision, Julio Aliaga, afin de formuler ses critiques. Aliaga
s‟est réuni avec le Président Alejandro Toledo afin de chercher une
« sortie à l‟impasse ».
- Le 7 octobre, l‟hebdomadaire politique Caretas analysa cet incident en
manifestant son désaccord avec le traitement journalistique de cette
dénonciation en affirmant que : « il n’y a pas plusieurs occasions où on
constate de manière très claire, les contradictions existant entre la presse,
62
et le pouvoir, mais aussi, et il faut le reconnaître, dans la presse-même.
Cette fois-ci, l’une des habituelles dénonciations stridentes du dimanche
soir a terminé pour mettre dans l’Une à l’émission « Cuarto Poder »
d’América Télévision, étant attrapée entre la stratégie de démolition
fujimorista et le mauvais calcul politique du régime…. (Le reportage) ne
montrait pas les preuves du délit et, en plus, il avait une édition partialisée
qui le restait crédibilité. De plus, le reportage fut accompagné par des
déclarations offensives du parlementaire fujimorista Rafael Rey, fer de
lance de la campagne pour faire chuter le régime, et ensuite commentée
favorablement par son collègue Mauricio Mulder (parlementaire
d’opposition, APRA). …
Il faudrait être très naïf pour adhérer à une dénonciation provenant d’une
enveloppe, et étant commentée par Rafael Rey, et tentant de
compromettre le Président de la République dans des actes criminels. Le
hasard voudrait que quelqu’un travaillant dans cette émission télévisée
connaissait l’ancienne position politique de Rey concernant à ce sujet ?
(en référence à la dénonciation journalistique du million de signatures,
pour procéder à l’inscription du parti politique de l’ancien président Alberto
Fujimori, délit qui fut confirmé après par la justice… »56
- Le 17 octobre, l‟émission de télévision « La Ventana Indiscreta »
reprendra ce sujet en présentant des enregistrements d‟audio révélant
qu‟un avocat du Président –Marcelo Allemant- avait essayé d‟acheter des
preuves afin de discréditer cette dénonciation.
- En mars 2005, la Commission du Parlement chargée de diriger une
enquête demanda la présence au Parlement du Président Alejandro
Toledo, mais celle-ci n‟a pas pu se concrétiser, parce que l‟Exécutif
n‟accepta pas les termes de cette rencontre.
56
CARETAS, “El tuerto es el Rey” (“Le borgne est le roi”) [en ligne]. In : Caretas, , Lima, 7 octobre
2004. Disponible sur: <http://www.caretas.com.pe/2004/1843/articulos/cuartopoder.html> (consulté le 22
juillet 2009)
63
- Quelques jours avant la date prévue pour la présentation du Président au
Parlement –toujours refusé par l‟Exécutif-, le parlementaire Rafael Rey,
responsable de la dénonciation, présenta en conférence de presse un
software élaboré à cette occasion pour identifier les signatures falsifiées.
Le résultat qu‟il fut divulgé devant en les caméras prouva que 89.3% des
signatures du parti politique Perú Posible, étaient fausses,et démontrant
que sur 1 million de signatures, seulement 60 mil étaient valides. Cette
dénonciation montra que les signatures du Président Alejandro Toledo, et
l‟ancien Président Fernando Belaúnde étaient également fausses.
- Le Premier Ministre, Carlos Ferrero, a démenti cette annonce et exigea
que le software soit aussi utilisé pour vérifier les signatures de Renovation,
parti politique de Rafael Rey, lui aussi dénoncé par le journal La República
pour avoir falsifié des signatures.
- Vers fin de mars, le Président Alejandro Toledo réunit en privé, une
commission de parlementaires, au Palais du gouvernement, Toledo nia
avoir participé à la supposée falsification des signatures, et affirma qu‟il ne
connaissait pas Carmen Burga, la principale témoin.
- Après la réunion, les rumeurs d‟enregistrement de la réunion apparurent ;
les dénonciateurs furent les parlementaires proches du régime.
- Agencia Peru publia les accusations d‟Alberto Nieves, connu pour être
l‟auteur de la fraude électorale en faveur d‟Alberto Fujimori en Huanuco,
lors des élections de 1995 (Huanucazo), qui affirmait qu‟il fut contacté par
le Président Alejandro Toledo en 1997 afin de solliciter ses contacts, et
son expérience permettant d‟inscrire son parti politique País Posible.
Nieves affirma aussi que Toledo avait à ce moment-là l‟intention d‟installer
une « fabrique des signatures ». D‟après cette publication, Nieves avait
aussi travaillé dans le bureau du Parlementaire de Perú Posible, Doris
Sánchez.
64
- En avril 2005, Agencia Peru publia des témoignages affirmant que le
Président Toledo avait rencontré en privé avec Oscar Medelius, accusé
d‟avoir organisé la « massive falsification des signatures » de Cambio 90,
le parti politique d‟Alberto Fujimori.
En juin 2004, une autre dénonciation journalistique provoque la
démission du Ministre d’Agriculture:
- le 4 juin, une émission de télévision d‟América Televisiñn, Cuarto Poder,
dénonça que le fils du Ministre d‟Agriculture, José Leñn Rivera, un jeune
homme de 25 ans, possédait une boite de prostitution en province (Trujillo,
La Libertad) fonctionnant dans un hôtel dont il était le propriétaire.
- Le 5 juin , le ministre démissionna le lendemain suivant la dénonciation .
Lors d‟une déclaration à la presse, le ministre accusa les travailleurs de
l‟hôtel d‟être les responsables de ce délit, et remercia les médias « de
l‟avoir alerté de cette situation ». Il présenta sa démission, et déclara à la
presse qu‟il souhaitait que sa décision contribue à la gouvernance du
Président Alejandro Toledo. Le même jour, le Premier Ministre, Carlos
Ferrero, annoncera à la presse, que le Président avait accepté la
démission de Leñn afin d‟éviter que le scandale médiatique généré pour
cette dénonciation ni affaiblisse, ni ne nuise à l‟image et à l‟action du
gouvernement.
Juin 2004 : le scandale Bavaria (corruption du régime)
- En juin 2004, une autre dénonciation impliquant l’ancien conseiller
du Président, César Almeyda, est rendue publique. C‟est le cas :
Bavaria. Le journal El Comercio publie le témoignage de l‟ancien
chauffeur, et assistant d‟un collaborateur d‟Almeyda, qui lui dénonce
d‟avoir reçu de manière illicite 2 millions de dollar de l‟entreprise
colombienne Bavaria, afin que la Commission Nationale de Valeurs,
Conasev, autorise l‟achète de la plupart de l‟actionnariat de l‟entreprise de
65
bières Backus & Jhonston. Almeyda –déjà en prison- nia ces accusations,
Bavaria a fait pareil. Le 13 juillet, le Contrôleur Général de la République
initia une investigation afin de déterminer s‟il avait existé des irrégularités
dans les opérations d‟achats des actions de Backus de la partie de
l‟entreprise Bavaria.
- Entre juin et octobre 2004, d’autres dénonciations
journalistiques impliquant la famille du Président continuaient à
paraître. Parmi elles, publié par « La Ventana Indiscreta », affirmait que
le Ministère de Transport et Communications avait délivré de manière
irrégulière une concession de téléphonie fixe : Telecomunicaciones
Hemisféricas S.A.C., entreprise avec laquelle Pedro Toledo, le frère du
Président, entrenait une liaison commerciale. Le 19 juin, le Ministère du
Transport et des Communications a décidé de suspendre la concession
de ce service. En août, un autre frère du Président, Luis Toledo, fut
dénoncé pour avoir obtenu le titre de propriété d‟un terrain dans Lurin.
De même, le 19 septembre, l‟émission « Cuarto Poder » révéla
l‟existence d‟un groupe de travailleurs du Gouvernement, dirigé par un
neveu du Président (Fernando Toledo) était chargé d‟effrayer les
opposants du régime.
- Le 13 Octobre, la belle sœur du Président (Juana Rodríguez) est
arrêtée alors qu‟elle négociait des postes de travail au Parlement, pour
d‟autres personnes.
D‟ailleurs, les fréquents scandales politiques déclenchés par les médias, et par
l‟opposition au cours de l‟année 2004, ont affecté sérieusement le pouvoir
politique du régime. C‟est pour cette raison que le parti Perú Posible a perdu la
Présidence du Congrès en juillet 2004 en faveur d‟Unidad Nacional (le
président élu fut le parlementaires UN Antero Flores Araoz).
Tant cette situation, que les nombreuses dénonciations pour corruption contre
lui, sa famille et son parti politique, a pesé énormément sur la décision du
Président de rendre publique son compte bancaire privé. Toledo a annoncé sa
décision lors son discours annuel de juillet auprès le Corps Législatif (en raison
66
du fête nationale, le 28 juillet), étant transmis par les médias au niveau
national.57
L‟année 2005 commença aussi par de vives protestations sociales dans
différents départements du pays, s‟ajoutant à cela et dès le mois de janvier, la
grande crise politique qui surgit suite à une révolte militaire violente présidée
par un ancien militaire, Antauro Humala (ancien participant d‟un essai de coup
d‟État contre Alberto Fujimori en 2000). Cet événement a provoqué la mort de
quatre policiers, et la démission du Ministre de l‟Intérieur, Javier Réategui. Les
partis d‟opposition, APRA et Unidad Nacional, ont essayé de censurer le
Premier Ministre, Carlos Ferrero, et le Ministre de la Défense, Roberto Chiabra ,
mais cette demande n‟a pas connu de suite. 58 La pression continua, et le
Président Toledo du renouveler quatre des ministères, cependant, les
changements –ayant favorisé les membres du Perú Posible- ont provoqué des
critiques, non seulement de l‟opposition, mais surtout de certains membres du
parti politique du Président. Cela a intensifié encore une fois le débat à propos
du manque de gouvernance, de discipline et d‟ordre dans le parti du Président.
Jusqu‟en juillet 2005, 19 membres de la famille d‟Alejandro Toledo étaient mis
en examen pour le délit de corruption. César Almeyda, était déjà en prison,
accusé pour avoir suborné des juges. De même, sept ministres ont dû
démissionner de leurs fonctions pour trafic d‟influences..
57
PAGINA 12 , Santiago, 29 juillet 2004. 58
En janvier 2005, l’émission télévisée La Ventana Indiscreta, de Frecuencia Latina (chaine 2) présenta
des déclarations et des documents révélant qu’Alejandro Toledo n’avait pas été kidnappé et drogué, en
octobre de 1998, par des membres du SIN, afin de discréditer ultérieurement son image publique –tel
qu’il l’avait dénoncé lors des élections de 2000. De plus, la revue Caretas critiqua l’attitude journalistique
de ces émissions pour ne pas mentionner que cette publication avait dénoncé pour la première fois la fauté
de ce kidnapping en mars 2001.
67
2. Bilan des scandales politiques déclenchés durant le régime
d’Alejandro Toledo
«On avait une dénonciation hebdomadaire. Une révélation et sa suite…
quand quelqu’un disait que l’on mettait en risque la démocratie, on répondait
que ce n’était pas vrai, que ceux qui mettaient en risque la démocratie
étaient les politiciens… ». (Orazio Potestá, Editor en Chef, Unité
d’Investigation, journal Correo)59
“Le public était plus nombreux… à cause de la campagne de (Vladimiro)
Montesinos, à 2000, ce qui n’a pas été bien résolu par Toledo, et qui a aussi
été renforcé par les erreurs de Toledo lui-même… ». (Fernando Rospigliosi,
ancien Ministre de l’Intérieur, 2001, et journaliste de la revue Caretas)60
2.1. Quelques aspects théoriques.
Tel qu‟il est signalé par les différentes recherches sur le scandale comme
phénomène social, le scandale se produit à partir de la révélation publique
d‟une transgression aux normes socialement et politiquement acceptées (la
dénonciation devient publique principalement grâce aux annonces faites dans
les différents médias et notamment par le net). L‟existence et le contenu de
l‟annonce qui provoque le scandale sont généralement et initialement connus
par un groupe déterminé de personnes. Après divulgation, le scandale
provoque des réactions publiques de désapprobation (la sanction publique). En
effet, le scandale est un processus où une publicité des actions transgressives,
il a la capacité et le potentiel de provoquer non seulement l‟impact social mais
surtout la sanction publique.
En effet, on peut affirmer que la notion du scandale implique l‟identification de
quatre aspects: a) l‟existence d‟un acte transgressif qui a été produit dans une
dimension secrète ou cachée aux yeux du public mais qui est connu par un
groupe réduit ayant intérêt à le maintenir dans cette condition-là; b) cet acte
59
Entretien effectué le 9 mai 2008, Lima, Pérou. 60
Entretien effectué le 14 mai 2008, Lima, Pérou.
68
transgressif va contre les principes socialement établis et par conséquent
possède la capacité d‟impacter négativement le public ; c) la révélation ou
« mise en visibilité » de l‟acte transgressif au travers d‟une dénonciation
publique (Thompson); d) la manifestation publique de la sanction de cette
transgression et les sanctions elles-mêmes. (Thompson ; Becker61)
La révélation ou la dénonciation de la transgression commise provoque non
seulement la désapprobation initiale, mais surtout la négation ou la contre-
dénonciation (counter-allegations) proférée par les individus impliqués
augmentant les enquêtes et les révélations et, par conséquent, montrant un
deuxième niveau des transgressions.62
Ainsi, transgression, révélation d‟un secret, impact publique, sanction publique,
sont les éléments à prendre en compte dans l‟étude du phénomène du
scandale et le processus qu‟il doit affronter pour exister.
a. Premièrement, en ce qui concerne la déviation de la norme instituée. On peut
affirmer que la reconnaissance des scandales comme des processus sociaux,
permet de comprendre que dans leur construction est impliquée une ample
variété de facteurs et de circonstances qui déterminent les raisons pour
lesquelles certaines dénonciations ou révélations deviendront des scandales.
De cette manière, on peut analyser le scandale comme un phénomène
permettant d‟identifier non seulement, les valeurs et les principes acceptés par
un groupe social en particulier, dans un moment spécifique de son histoire,
mais aussi les niveaux de la tolérance sociale existante envers certaines
transgressions. En effet, toutes les transgressions révélées ne seront pas
forcément objet d‟une sanction publique, comme celle qui se produit dans les
cas de corruption politique et financière.63
Tel qu‟on l‟a déjà signalé, même si Pierre Bourdieu ne développe pas une
analyse spécifique sur la fonction instituant des scandales dans le jeu politique,
61
BECKER, Howard, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985, p. 35. 62
THOMPSON, John, Political Scandal: Power and Visibility in the Media Age, Malden, Blacwell, 2000,
p. 24 63
Ibid, p.28.
69
on peut constater que son travail sur l‟autonomie du champ politique reconnaît
le scandale comme un indice d‟évaluation ou d‟exclusion éventuelle quand un
principe propre du champ politique est transgressé. Bourdieu signale à ce sujet
que « celui qui entre en politique s‟engage tacitement à s‟interdire certains
actes incompatibles avec sa dignité, sous peine de scandale ».64
b. Deuxièmement, le déclanchement d‟un scandale s‟explique car l‟action
révélée contredit les normes socialement établies et acceptées. Cette
contradiction des normes et des valeurs socialement acceptées motivent une
réaction d‟indignation et de désapprobation (pas par tous les indignés)
publiquement manifestée, provoquée par ce qui est interprété comme une
violation de la confiance sociale.
A ce sujet, Fernando Jiménez explique qu‟au moment d‟établir une relation
entre l‟opinion publique et le scandale, il se produit une réaction d‟indignation
de l‟opinion publique contre un agent politique considéré responsable d‟un
comportement pointé comme un abus de pouvoir ou une trahison de la
confiance sociale. Jiménez met en relief cette relation pour analyser les
scandales politiques produits dans les démocraties libérales contemporaines.
Selon cet auteur, dans ces systèmes politiques, l‟autorité politique se fond sur
la représentation et le fondement de celle-ci se base sur le « rendu de compte »
de ses actions vers les citoyens (les électeurs). De ce fait, cette idée de
représentation réside sur la notion de responsabilité, sur l‟obligation de la part
des gouvernants, de rendre compte de leurs actions envers les citoyens.
Quand les gouvernants rompent cette confiance, il se produit une déception
sociale. En effet, tel qu‟il est signalé par Sartori (1977) ou Thompson, la nature
du scandale politique est fortement associée aux fondements de l‟autorité
politique basée sur le concept de la confiance sociale.65
64
BOURDIEU, Pierre, Propos sur le Champ Politique, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2000, p. 52 65
JIMENEZ, Fernando, Detrás del escándalo político: Opinión Pública, dinero y poder en la España del
siglo XX, Madrid, Tusquet editores, 1995, p. 1100.
70
La crise idéologique affrontée par les partis politiques, la complexité des
sociétés contemporaines, l‟incapacité des partis politiques de satisfaire les
demandes des sociétés et la centralité ou concentration des médias au
moment de configurer le jeu politique ont institué une manière de pratiquer la
politique basée sur la confiance des politiciens. 66
D‟ailleurs, cette condition d‟indignation et de désapprobation publiquement
manifestée essentiellement dans les scandales souligne un autre élément
composant de la dimension publique du scandale. C‟est le public qui détermine
si un scandale dénoncé en est « réellement » un ou pas. Luc Boltanski67 affirme
que, en étant d‟accord avec Dampierre, c‟est le public qui évalue (ou « teste »,
selon les termes de Dampierre) s‟il est capable d‟accepter la transgression des
valeurs ou non. C‟est le public qui va mettre à l‟épreuve son sens commun du
juste et de l‟injuste.
c. Troisièmement, en ce qui concerne la révélation et la « mise en visibilité» des
transgressions, on pourra mentionner que le scandale se produit à partir de la
révélation ou de la publication d‟une transgression qui jusqu‟à ce moment-là
demeurait dans le secret (on approfondira cet aspect dans le prochain
chapitre).
La publication ou « mise en visibilité » d‟une transgression implique un parcours
qui va du « sens caché » au « sens publique ». C‟est John B. Thompson qui a
développé ce concept en l‟identifiant comme l‟un des éléments les plus
centraux dans l‟étude du scandale. D‟après lui, le scandale émerge quand le
fait caché devient public. A partir de la dénonciation et de la révélation publique,
il génère des réactions de désapprobation. Thompson souligne cette
caractéristique essentielle du scandale en expliquant que, à l‟époque actuelle,
ce sont les médias qui rendent possible ce processus de « mise en visibilité ».
De cette manière, c‟est ce même auteur qui propose qu‟à ce moment, tout
scandale politique soit médiatisé, parce que la politique évolue de nos jours
66
THOMPSON, John, Op. cit, p. 113. 67
BOLTANSKY, Luc, La souffrance à distance. Morale humanitaire, médias et politique, Paris,
Métailié, 1993, p. 215-219.
71
dans la sphère médiatique, en utilisant des moyens de communication
médiatique.
d. Quatrièmement, en ce qui concerne la manifestation publique de la
désapprobation, on reprend la position de Thompson qui affirme qu‟afin que le
scandale se produise, il faut une révélation publique capable de créer un impact
social, mais surtout une sanction exprimée publiquement. Certes, les
scandales n‟impliquent pas seulement que la transgression provoque un impact
négatif sur la société à cause de sa nature contrevenante des normes et
valeurs acceptées mais faut-il aussi que cette désapprobation soit
publiquement manifestée.
Quand on analyse le phénomène scandaleux à partir de la nécessité d‟une
manifestation publique de désapprobation, il ne faut pas se limiter à la
désapprobation manifestée par le public qui n‟était pas au courant de cette
transgression. En effet, cette désapprobation trouve une phase antérieure
surgissant entre ceux qui sont impliqués dans le processus de dénonciation.
John B. Thompson les appelle les « non-participants », cela veut dire, les
acteurs qui connaissent la transgression avant qu‟elle devienne publique et qui
s‟estiment offensés : selon Thompson, certains d‟entre eux exprimeront
publiquement leur désapprobation à travers la dénonciation de ces actions ;
cette révélation et condamnation publique peuvent endommager la réputation
des responsables de ces actions (même si cela n‟arrive pas toujours).68
2.2. Bilan des scandales politiques durant le régime d’Alejandro Toledo :
2001-2005
La reconnaissance des éléments théoriques mentionnés permet de comprendre
qu‟un scandale politique est, tout d‟abord, une construction sociale dont la
configuration dépend de différents acteurs et facteurs exogènes à la nature de
la transgression elle-même (le contexte politique ou social, le public, les acteurs
intéressés au déclenchement des scandales et ceux qui réagissent pour l‟éviter
68
THOMPSON, John, Op. cit, p. 14-15.
72
ou pour dévier sa cible). Comprendre cet aspect des scandales résulte
essentiel au moment d‟initier une analyse sur les facteurs participant à la
configuration des scandales, car il les situe comme des phénomènes
autonomes par rapport à la volonté ou à l‟intérêt d‟un seul acteur (ou groupe
d‟acteurs) étant impliqué dans la révélation de la transgression commise ou
dans les actions publiques de négation ou de discrédit de la dénonciation.
D‟ailleurs, le déclanchement d‟un scandale s‟explique car l‟action révélée
contredit les normes socialement établies et acceptées. Cette contradiction des
normes et des valeurs socialement acceptées motivent des réactions
d‟indignation et de désapprobation (pas par tous les indignés) publiquement
manifestées, provoquées par ce qui est interprété comme une violation de la
confiance sociale. Et dans ce processus, c‟est le public qui détermine si un
scandale dénoncé en est « réellement » un ou pas. Luc Boltanski69 affirme que,
en étant d‟accord avec Dampierre, c‟est le public qui évalue (ou « teste », selon
les termes de Dampierre) s‟il est capable d‟accepter ou de tolérer la
transgression des valeurs ou non. C‟est le public qui va mettre à l‟épreuve son
sens commun du juste et de l‟injuste.
La susceptibilité du public face à la dénonciation publique d‟un délit ou d‟une
transgression dépend de différents facteurs, non seulement culturels mais aussi
des facteurs politiques du moment où la révélation d‟une transgression est
réalisée.
Dans le cas du régime d‟Alejandro Toledo, soit durant les années qui ont suivi
la fin du régime d‟Alberto Fujimori, le sujet de la corruption et de l‟abus du
pouvoir étaient de fait à haute sensibilité pour l‟opinion publique péruvienne.
« La corruption dans le régime de Toledo était un sujet sensible pour la
population. Les gens reconnaissait que celle-ci n’était pas la corruption de
celle du régime de Fujimori mais elle touchait une point sensible du
pays… je me souviens que des employés de la banque, des managers,
69
BOLTANSKY, Luc, Op. cit, p. 215-219.
73
tous avaient perdu leur travail… beaucoup de monde a du déménager
vers d’autres quartiers moins riches. Mais, le Président ne se montrait pas
touché par cette situation ayant frappée la plupart des gens. Il prenait des
vacances de manière permanente… Donc, tout cela, même si ce n’était
pas la persécution gouvernementale ou la grande escroquerie bancaire
existant durant le régime de Fujimori, tout cela a provoqué de l’indignation
parmi les gens ».
(Roxana Cueva, directrice journalistique, « Cuarto Poder » (émission
télévisée), América Télévision)70
L‟autoritarisme existant durant les années de Fujimori, l‟abus de pouvoir, la
corruption à grande échelle organisée depuis le cœur du régime même, étaient
des comportements politiques qui ne seraient pas acceptés durant la période
de transition et surtout durant le premier gouvernement élu démocratiquement
après la démission d‟Alberto Fujimori et l‟emprisonnement de son principal
conseiller, Vladimiro Montesinos. Donc, le nouveau régime devait montrer une
attitude radicalement opposée à celle du gouvernement sortant. Les exigences
seraient pareilles pour l‟opposition politique et les médias, les deux étant aussi
mis en question durant la période post-autoritarisme à cause de leur relation
avec la corruption lors du régime de Fujimori. Cette situation explique, par
conséquence, tant l‟attitude de permanente surveillance du pouvoir, provenant
de tous les secteurs politiques et sociaux, que le haut degré de susceptibilité
par rapport aux dénonciations d‟abus de pouvoir gouvernemental, des actes de
corruption, etc.
C‟est pour cette raison, que la décision du régime de fixer un salaire élevé pour
le Président, depuis le début de l‟installation du régime, a été rapidement
remarquée et critiquée par les médias : un mois après avoir initié son régime, la
presse dénonça le fait qu‟Alejandro Toledo gagnait un salaire de 18 000 dollars,
dépassant les salaires d‟autres présidents de la région. Différents médias ont
suivit ce sujet à tel point qu‟en novembre 2001, le Président Alejandro Toledo a
du annoncer la diminution de son salaire à 12 000 dollars.
70
Entretien effectué le 14 mai 2008, Lima, Pérou.
74
“ Toledo commence son premier mois comme Président en augmentant
son salaire. Il prévoit 18 000 dollars et après il le réduit à 12 000, à cause
de tout le scandale provoqué. Au même moment, toutes les dénonciations
contre sa famille, commencent à sortir. Les médias montraient sans cesse
cette ambiance de frivolité. Un autre cas a été le remodelage du Palais du
Gouvernement, quand ceci n’était pas nécessaire, quand il existait des
problèmes économiques…». (Roxana Cueva, directrice journalistique,
« Cuarto Poder » (émission télévisée), América Télévision)71
“(Toledo) lui-même a provoqué les scandales… L’un des scandales qu’il a
provoqué et qui a motivé une série de critiques a été l’augmentation de
son salaire. Il gagnait plus que le président américain de l’époque, Bill
Clinton. C’était facile pour les journalistes de dénoncer cela car le salaire
avait été approuvé par un Décret suprême. Et quand on a demandé à
Toledo, il ne nous a pas répondu. Il fuyait la presse, il se mettait en colère.
.. Cela provoquait aussi un autre effet, on insistait davantage ». (Jorge
Saldaña, rédacteur, Politique, journal El Comercio)72
L‟image du régime dépensier allait contre l‟esprit d‟austérité que le
gouvernement de transition de Valentin Paniagua (2000-2001) avait installé en
raison de la corruption à grande échelle existant durant le régime de Fujimori et
sous lequel avait été basé le discours électoral d‟Alejandro Toledo afin de
gagner les élections de 2001.
Tel que déjà signalé, durant le premier semestre du régime d‟Alejandro Toledo
(juillet 2001-décembre 2001), les médias ont dénoncé des actes de dépense
excessive de la part du régime et de son entourage (en octobre 2001, une autre
dénonciation journalistique montrait que le Président et son entourage politique
avaient dépensé $700,000 dans un voyage en Equateur, Chine et Espagne),
des actes de népotisme (en octobre de 2001 une nièce du Président –Jessica
71
Entretien effectué le 14 mai 2008, Lima, Pérou. 72
Entretien effectué le 14 mai 2008, Lima, Perou.
75
Toledo- avait été embauchée comme professionnelle au Parlement alors qu‟elle
n‟était encore qu‟une étudiante ; Mlle Toledo a du démissionner).
D‟ailleurs, durant ce premier trimestre du régime de Toledo, les médias se sont
montrés critiques contre certains aspects du comportement du nouveau
Président : il n‟était jamais à l‟heure à ses rendez-vous avec la presse, sa
journée de travail commençait très tard, il était frivole, il déjeunait dans les
restaurants « chics », il ne savait pas parler, etc. Par exemple, la revue Caretas
(l‟un des médias supporteurs de Toledo lors de la campagne électorale 2000)
commentait dans son éditorial sur les 100 premiers jours du régime de Toledo :
« Ce sont des facteurs qui portent un caractère symbolique, un effet négatif de
démonstration, surtout dans un pays qui affronte une crise prolongée et où la
plupart des gens lutte contre la pauvreté, saisie par des salaires infimes. »73
Ces critiques et dénonciations pour corruption et gaspillage, ou pour le salaire
élevé du Président, unies aux protestations sociales enregistrées dans
différentes régions du pays, montraient l‟ambiance de surveillance permanente
de la part des acteurs politiques particulièrement à un moment où il existait une
sensibilité particulière à propos de la corruption gouvernementale ou du profit
de la part du pouvoir des ressources de l‟État.
Afin d‟effecteur l‟identification de certains scandales politiques déclenchés
durant le régime d‟Alejandro Toledo et de comprendre pourquoi certains
dénonciations ont abouti à la sanction publique contre les actions du régime,
spécialement lors des trois premiers années du régime, on voudrait s‟arrêter un
instant sur les aspects théoriques et reprendre ce que John Markovits et Mark
Silverstein expliquaient autour de la « nature politique » des scandales. D‟après
ces auteurs, un scandale politique se produit quand la logique de la procédure
légale (due process, en anglais) est dépassée par la logique de l‟exercice du
pouvoir, c‟est-à-dire, quand les transgressions sont le résultat de l‟exercice du
pouvoir sans prendre en compte les limitations et les régulations pourvues par
73
CARETAS (novembre 2009), Op. cit. Disponible sur:
<http://www.caretas.com.pe/2001/1695/articulos/toledo.phtml > (consulté le 22 juillet 2009)
76
les normes.74 De cette façon, d‟après Markovits et Silverstein, le point du conflit
entre la logique de la procédure légale et celle de l‟exercice du pouvoir réside
sur le fait que la procédure légale implique une dimension publique et inclusive
(la procédure légale établie des règles et des normes avec lesquelles le pouvoir
politique est exercé), tandis que l‟exercice du pouvoir implique une dimension
privé et exclusive (le pouvoir est habituellement exercé d‟une façon plutôt
secrète et cachée auprès du public). Donc, les scandales politiques impliquent
un degré déterminé d‟abus du pouvoir, aux dépens des procédures légales.75
Par exemple, les allégations de tentatives d‟intervention de la part du régime
dans les procès judiciaires contre le Président Alejandro Toledo (l‟affaire Zaraí)
ou dans les procès judiciaires contre les entreprises de télévision ayant eu une
liaison avec les actes de corruption du régime d‟Alberto Fujimori, enregistrées
durant les trois premières années de son gouvernement, sont associées aux
dénonciations associées à l‟abus du pouvoir du régime.
De même, les apports de Markovits et Silverstein font référence à un aspect
fondamental des scandales politiques : la base de l‟exercice du pouvoir
politique se trouve dans la confiance donnée par les citoyens au moment d‟élire
leurs représentants, cette confiance est donnée en échange de l‟engagement
des représentants élus à utiliser le pouvoir politique pour maintenir l‟ordre public
et pour poursuivre la satisfaction de leurs demandes. Afin de contrôler
l‟accomplissement de cet engagement s‟établit la logique du respect à la
procédure légale, celle qui norme aussi l‟élection des représentants. Donc,
quand la transgression est commise par un acteur politique en exerçant le
pouvoir politique mais en ignorant ce qui est établit par la procédure légale on
devrait être face à un scandale de nature politique.
Cet autre élément des scandales politiques explique la raison pour laquelle le
gouvernement d‟Alejandro Toledo a montré une susceptibilité auparavant pas
enregistrée vers les dénonciations journalistiques.
74
MARKOVITS, Andrei et SILVERSTEIN, Mark, The Politics of Scandal. Power and Process in
Liberal Democracies, New York, Holmes and Meier, 1988, p.1-2.; THOMPSON, John, Op. cit, p. 133. 75
THOMPSON, JohN, Op. cit, p. 134.
77
En effet, quand Alejandro Toledo et son équipe sont arrivés au pouvoir, il
atteignait un indice d‟approbation de 55%. L‟équipe gouvernementale se
targuait d‟avoir comme propos l‟établissement d‟un « gouvernement de
reconstruction » : « Sous Fujimori, la corruption a ravagé le pays… Toutes les
institutions ont été touchées, les partis, les syndicats, l‟Eglise, la justice… Nous
devons maintenant relever ce pays, prendre le virage de la moralité, mais les
dégâts sont tels que nous n‟aurons pas trop d‟un mandat de cinq ans »76. Ce
propos faisait partie du message que le gouvernement voulait proposer à
l‟opinion publique : devenir un régime transparent et démocratique qui lutterait
contre le système de corruption implanté durant le régime d‟Alberto Fujimori et
qui ferait appel aux meilleurs professionnels afin de résoudre les problèmes les
plus importants du pays.
Toutefois, les expectatives créées autour du nouveau régime, mais aussi les
demandes de différents acteurs politiques qui pensaient avaient contribué à la
chute de Fujimori et à l‟arrivée au pouvoir d‟Alejandro Toledo, étaient si
nombreuses, que cela a contribué à installer une ambiance politique
désordonnée et de confrontation permanente, où ces expectatives ont été
rapidement frustrées.
Cette fragilité politique a aussi été alimentée tant par l‟incapacité du
gouvernement de réagir efficacement à ces demandes, et par la
désorganisation et la lutte pour le pouvoir à l‟intérieur du parti Perú Posible, que
par les facteurs politiques déjà indiqués et les antécédents récents de
corruption du régime sortant : « l‟héritage de la destruction institutionnelle et la
méfiance léguée par le fujimorismo (dénomination du système politique installé
par Alberto Fujimori), les résistances des intérêts mafieux liés à Vladimiro
Montesinos conspirant contre le régime démocratique, les erreurs du Président
Toledo, le développement de stratégies peu collaborationnistes ou de
confrontation de la part de l‟opposition », mais aussi, «la profonde crise de
76
Déclarations de Alvaro Quijandria, l’un des conseillers politiques d’Alejandro Toledo :
ARMENGAUD, Jean-Hébert, “Pérou: Toledo tourne la page Fujimori”. [en ligne]. In : Libération, 5 juin
2001. Disponible sur: <http://www.liberation.fr/monde/0101376367-perou-toledo-tourne-la-page-
fujimori> (consulté le 20 juillet 2008)
78
légitimité de l‟ensemble des institutions du régime politique. Ceci parce que, tel
que les sondages le montrent, la citoyenneté se défit non seulement du
Président mais aussi des institutions démocratiques en général : le Congrès, le
Pouvoir Judiciaire et les partis politiques, tant du gouvernement que de
l‟opposition »77
Néanmoins, les scandales politiques ne se limitent pas uniquement aux actions
liées à l‟abus de l‟exercice du pouvoir. La définition de champ politique proposé
par Bourdieu et récupérée par Thompson dans son étude sur les scandales
politiques médiatiques nous donnera les éléments nécessaires pour identifier
les scandales de nature politique dans un sens plus ample.
D‟après cette conception, un scandale politique est un scandale impliquant des
individus et des actions qui sont situés dans un champ politique et qui ont un
impact sur les relations établies dans ce champ. Thompson reprend les
réflexions faites par Pierre Bourdieu autour de la notion du champ politique pour
proposer cette définition de scandale.
D‟après Bourdieu, le champ politique est le champ qui concerne les institutions
de l‟État lorsque celles-ci sont chargées principalement de l‟organisation des
normes, en étant de ce fait, les principaux détenteurs du pouvoir politique, c‟est-
à-dire, le pouvoir qui s‟occupe tant de la coordination parmi les individus que de
la régulation de leurs règles d‟interaction. Le champ politique est un « champ de
forces, et un champ de luttes pour transformer les rapports de forces. »78
De cette façon, les scandales peuvent être proprement politiques ou associés à
l‟exercice du pouvoir (en suivant la proposition de Markowitz et Silverstein),
mais aussi, quand le gouvernement est impliqué dans des actes transgressifs
d‟ordre financier (des actes de corruption, par exemple) et sexuels (mettant en
question la qualité morale du gouvernant). Cette définition ample du scandale
77
TANAKA, Martín, “El gobierno de Alejandro Toledo, o cómo funciona una democracia sin partidos”
(“Le gouvernement d’Alejandro Toledo, ou comment marche une démocratie sans partis) [en ligne]. In:
Política, 2004, Lima, no. 42, p. 130. Disponible sur:
< http://redalyc.uaemex.mx/pdf/645/64504207.pdf> (consulté le 30 juillet 2008) 78
BOURDIEU, Pierre, Op. cit, p. 61.
79
politique, impliquant ces trois types d‟actes transgressifs étant capables de
déclencher les scandales, a été proposée par John Thompson, qui propose sa
définition des scandales politiques à partir du concept de champ politique de
Pierre Bourdieu.79
Dans les cas des scandales sexuels ayant plus d‟impact et affectant le
Président Alejandro Toledo, on trouve le scandale Zaraí, celui de l‟enfant non
reconnue par le Président Alejandro Toledo, conçue durant l‟époque où il était
séparé temporairement de sa femme, Eliane Karp, et dont la bataille légale
datait de 1984. Ce scandale a affecté sérieusement l‟image de Toledo
concernant son intégrité morale. Ce scandale ainsi qu‟une autre dénonciation
rendue publique durant les campagnes électorales de 2000 et 2001, concernant
« le jour perdu de Toledo » (où il a été accusé d‟avoir eu une nuit folle d‟alcool,
sexe et drogues), ont mis en question depuis la période électorale l‟intégrité
morale de celui qui serait le prochain Président du Pérou. Une fois au pouvoir,
cette image, et plus spécifiquement, le « cas Zarai » continuerait à le
tourmenter en l‟obligeant, finalement, en 2003, à reconnaître la paternité de
Zarai Toledo sans se soumettre à l‟examen ADN, récemment ordonné par un
tribunal judiciaire.
Les scandales de corruption et de népotisme (abus de pouvoir) à l‟intérieur du
régime, de la part de son entourage politique le plus proche, tel que sa propre
famille, ont aussi fait partie du répertoire des dénonciations contre le régime
d‟Alejandro Toledo.
Tel qu‟on l‟a mentionné, c‟est la réaction publique face à une dénonciation et le
niveau et l‟efficacité de la pression sociale exercée contre les acteurs impliqués,
qui déterminent si la dénonciation déclenchée pourra devenir un scandale ou si
celle-ci suivra un autre destin : soit elle est mésestimée par le public, soit elle se
tourne contre les acteurs politiques ayant contribué au rendu public.80
79
THOMPSON, John, Op. cit, p. 135. 80
CLAVERIE, Elisabeth, « La naissance d’une forme politique : l’affaire du Chevalier de la
Barre », in Roussin (P.), dir., Critique et affaires de blasphème à l’époque des Lumières,
80
Dans le cas péruvien, on peut affirmer que la plupart des dénonciations
politiques se sont achevées en vrais scandales, en provoquant des crises
politiques au sein du gouvernement (tel que la démission des Ministres ou la
rénovation complète de tout le Cabinet de Ministres) et en obligeant le
Président lui-même a donner des explications sur chaque dénonciation faite,
non seulement contre lui, mais aussi contre le régime, son parti politique et sa
famille.
C‟était par exemple le cas des dénonciations journalistiques contre César
Almeyda, à l‟époque Président du Conseil National d‟Intelligence (CNI),
conseiller politique et avocat du Président Alejandro Toledo lors du « Cas
Zarai . En avril 2003, est déclenché le premier scandale l‟impliquant, le
« scandale Almeyda et l‟espionnage téléphonique », quand une émission
télévisée de Frecuencia Latina révélé qu‟Almeyda avait pratiqué l‟espionnage
téléphonique sur des opposants du régime, en utilisant les ressources
logistiques installées durant la gestion de Vladimiro Montesinos, déjà en prison.
Cette émission l‟accusait aussi d‟avoir initié un plan de répartition des postes
publiques aux membres du parti politique Perú Posible. Quelques jours après
cette dénonciation, et même si le CNI avait émit un communiqué de presse en
rejetant ces accusations, César Almeyda a du démissionner de la présidence
du CNI.
Au début de 2004, une nouvelle dénonciation contre Almeyda était rendue
publique. Cette fois-là, en l‟accusant d‟avoir négocié avec un général de
l‟ancien régime, Oscar Villanueva, à l‟époque recherché par la justice, et alors
que Almeyda était encore chef du CNI. Dans les transcriptions des
conversations tenues entre Almeyda et Villanueva, publiées par deux journaux
locaux, l‟ancien chef du CNI lui offrait des bénéfices pénitentiaires car il avait de
l‟influence sur le Ministre de la Justice de l‟époque, Fernando Olivera. A ces
accusations, il s‟est ajouté le témoignage d‟un ancien collaborateur de
Honoré Champion, 1998. Cfr. Par DE BLIC, Damien et LEMIEUX, Cyril, « Le scandale comme épreuve.
Éléments de sociologie pragmatique », Politix, Revue des sciences sociales du politique, Vol. no. 18, No
71, 2005, p. 72-73.
81
Villanueva, « l‟agent Sun », qui impliquait quelques membres de la famille du
Président.
Le Parlement, présidé par l‟opposition politique, demanda une enquête sur le
Ministre de la Justice et la démission de tout le Cabinet Ministériel, composé
dans sa majorité par des membres du parti gouvernemental. Le Président,
accompagné de ses Ministres, fit un message télévisé à la nation afin de
montrer ses distances avec Almeyda. Dans cette émission télévisée, le
Président annonçait aussi le remaniement du Cabinet des Ministres : 7 de 15
ministres ont été changés. La justice a initié une enquête sur ce sujet et en avril
2004, Almeyda a été emprisonné, accusé du délit de trafic d‟influences et
usurpation des fonctions.
Ce cas est significatif parce que la détention pénale d‟Almeyda est la première
impliquant un haut fonctionnaire d‟un régime en cours et si proche au Chef
d‟État. Les dénonciations l‟impliquant dans ces cas de corruption (une autre
dénonciation sortie en avril 2004 a été celle qui l‟impliquait avec la femme du
Président dans un cas de corruption – « le cas Conapa ») et d‟abus de pouvoir
ont motivé une pression si forte de la part de l‟opposition politique, de la presse
et de l‟opinion publique car les caractéristiques de ces délits gardaient des
relations si proches avec le modus operandi du conseiller présidentiel de
Fujimori et ancien chef du Service d‟Intelligence Nationale, Vladimiro
Montesinos, qui avait la capacité de faire pression sur les différents institutions
de l‟État, voire le Pouvoir Judiciaire, et qui avait implanté un système de
vigilance et de persécution des acteurs politiques opposants au régime.
Le fait qu‟un personnage proche du nouveau régime, ayant été élu de manière
démocratique, après un processus difficile de transition politique, utilisât le
pouvoir obtenu démocratiquement pour obtenir des bénéfices particuliers et
essayât d‟appliquer les mêmes mécanismes de pression utilisés par le régime
antérieur, a provoqué l‟indignation publique immédiate, laquelle a obligé le
régime à prendre des décisions immédiates : écarter du gouvernement et du
parti politique César Almeida, remanier le Cabinet minsitériel en remplaçant 7
82
ministres (sur un total de 15) par 7 professionnels « indépendants » (sans
liaison politique avec « Perú Posible).
* D‟autres scandales politiques ayant provoqué la sortie de hauts fonctionnaires
du régime et, par conséquence, ayant remis en question la transparence de sa
gestion ont été ceux qui impliquaient le Premier Vice Président et Ministre de
Tourisme et Commerce Extérieur, Raul Diez Canseco, et la Première Ministre
Beatriz Merino.
Le vice président Diez Canseco a été accusé par un journal local, en
novembre 2003, non seulement de maintenir une relation sentimentale avec
une jeune fille 30 ans plus jeune que lui, en étant formellement marié, qui
travaillait aussi dans son cabinet, mais surtout d‟avoir utilisé sa position de vice
président et ministre d‟État pour émettre un Décret suprême sans l‟approbation
du Parlement. Ce décret exonérait du paiement des impôts les entreprises
vendant des aliments dans la zone internationale de l‟aéroport Jorge Chavez ;
or, ledit décret, d‟après les accusations, aurait été émis pour aider le père de sa
maitresse. Cette dénonciation, ayant comme axes le questionnement de
l‟honnêteté, le bon exercice du pouvoir et la qualité moral de Diez Canseco, a
provoqué la réaction immédiate tant de l‟opposition politique que de l‟opinion
publique. Diez Canseco a tenté de nier ces accusations mais les médias ont
continué à faire pression en se centrant plutôt sur son affaire amoureuse. En
décembre 2003, Diez Canseco a du démissionner du Ministère et il a du
s‟excuser auprès du Parlement et des citoyens pour «n‟avoir pas dit la vérité
par rapport à ses sentiments », par contre, il a continué de nier d‟avoir commis
un délit d‟abus dans l‟exercice du pouvoir. Les pressions publiques se sont
poursuivies et en janvier 2004, après que le « scandale Almeida » ait été
déclenché, Diez Canseco a du lui aussi démissionner de sa position de Vice
Président. Sa démission a été la première démission « à haut niveau » produite
au sein du régime d‟Alejandro Toledo.
Le « scandale Merino » est également déclenché en novembre 2003,
provoqué par une dénonciation journalistique (une émission télévisée) qui
affirmait que Beatriz Merino, à l‟époque Première Ministre du régime, avait joué
83
de ses influences politiques pour le bénéfice d‟une amie personnelle, Irma
Chonati, et l‟engager dans l‟institution publique où elle était Présidente à
l‟époque (la Superintendance d‟Administration Tributaire, Sunat). Cette
dénonciation a été entourée de rumeurs affirmant que la Ministre Merino
maintenait une relation sentimentale avec Chonati, lesquelles ont provoqué la
réaction de Merino qui, en étant une figure politique « indépendante » du parti
gouvernemental, avait déclaré à la presse que ces dénonciations faisaient
partie d‟une campagne de diffamation provenant de certains membres du parti
Perú Posible. Après quelques semaines de questionnements, la Ministre
Merino a toutefois du présenter sa démission et le Président Alejandro Toledo
annoncé un remaniement ministériel complet.
Parmi les dénonciations les plus scandaleuses qui ont mis en risque la
gouvernance du pays et en question la légitimité du gouvernement d‟Alejandro
Toledo, mais qui à la fin ont été mésestimées, non seulement pour le manque
de preuves données mais aussi pour les conséquences politiques qu‟une telle
dénonciation aurait engendrées, fut celle de la falsification de signatures pour
rendre possible l‟inscription du parti politique du gouvernement, Perú Posible.
- Le scandale de la falsification des signatures du parti politique Perú
Posible :
Le scandale de la falsification des signatures de Perú Posible a également été
déclenché par une dénonciation politique et journalistique. Il a été facilité par
une source principale en la personne d‟un parlementaire de l‟opposition, Rafael
Rey, qui avait été proche du régime d‟Alberto Fujimori. La première accusation
a été effectuée en avril de 2004, lors d‟une conférence de presse présidée par
Rey et d‟autres parlementaires d‟Unidad Nacional. Un mois après, une enquête
judiciaire a été initiée. En juillet 2004, les médias présentent la déclaration du
premier témoin du cas. C‟était encore une fois Rey qui avait offert à deux
médias -América Télévision et le journal Perú 21- la transcription du
témoignage d‟une femme ayant dénoncé le Président de la République auprès
du Ministère Public pour avoir présidé la falsification de 85% des signatures
présentées au Bureau National de Processus Electoraux (ONPE, Oficina
84
Nacional de Procesos Electorales) en 1998, afin d‟inscrire Perú Posible comme
parti politique. Rafael Rey a aussi facilité le contact avec le témoin, Carmen
Burga ; de même, c‟est lui qui à l‟époque avait commandé l‟élaboration d‟un
software capable d‟identifier les signatures falsifiées. Différents médias ont suivi
le sujet et deux autres personnes ont témoigné auprès des caméras, en
accusant le Président et certains membres de sa famille non seulement d‟être
au courant de cette situation mais surtout de l‟avoir encouragée.
Durant quatre semaines le sujet a été suivi par la presse, tandis que le
Parlementaire accusateur, Rafael Rey, et d‟autres membres de l‟opposition
politique occupant des postes au Parlement, exigeaient la réalisation d‟une
enquête et demandaient auprès du Parlement la « vacance Présidentielle » : le
parti politique soutenant le régime aurait été inscrit de manière illégitime et le
Président aurait participé directement à ce processus de falsification.
Cette dénonciation, n‟ayant pas été étayée par des preuves définitives de la
falsification et ayant comme principal acteur intéressé Rafael Rey, a divisé les
secteurs habituellement critiques envers le régime. C‟est pour cette raison que
certains médias, tels que les journaux El Comercio, La República et Caretas,
ont pris leurs distance vis-à-vis des réclamations du secteur plus critique du
régime qui lui, demandait la « vacance Présidentielle ».
La vulgarisation d‟une vidéo montrant le Président Alejandro Toledo dans un
dîner avec les membres de son parti politique arrêterait avec ce scandale. Le 3
octobre, « Cuarto Poder » diffusait cette vidéo et « interprétait » le discours du
Président, qui félicitait ses camarades pour la réussite de l‟inscription auprès de
l„ONPE, comme une évidence de sa participation directe dans la falsification
des signatures.
« … Ceci fut le quatrième reportage sur le sujet. Dans notre premier
reportage on voulait présenter les déclarations de cette femme devant nos
caméras mais le même jour où elle devait parler elle a disparue, elle avait
été kidnappée mais de la manière qu’on connaît déjà, avec son approbation
car elle serait payée… Donc, on a vulgarisé le reportage sans elle. Dans le
85
deuxième reportage on a du informer sur sa disparition car on pensait que
celle-ci était si étrange. Dans le troisième reportage on a aussi parlé d’elle
mais on a ajouté quelques nouvelles informations d’après les résultats des
analyses graphologiques des signatures falsifiées… Le quatrième est celle-
ci sur le diner… ». (Roxana Cueva, directrice journalistique, « Cuarto
Poder » (émission télévisée), América Télévision)81
Cette émission a alors provoqué la réaction immédiate du Président qui a
téléphoné à l‟émission télévisée et « en direct » a discrédité la véracité de ces
accusations. Le lendemain, la presse a critiqué le manque de partialité de
l‟émission. D‟après les médias, le régime aurait exigé du directeur journalistique
d‟América Télévision que l‟équipe journalistique présente ses excuses au
Président de manière publique, mais les journalistes s‟y sont refusés et ont
présenté leur démission.
Le traitement journalistique utilisé, n‟étant pas arrivé à montrer la véracité de la
dénonciation, et le fait que les sources utilisées provenaient d‟un secteur
d‟opposition, ayant eu des liaisons proches avec le régime de Fujimori, a
discrédité la véracité de la dénonciation et le scandale s‟est arrêté. De même,
malgré les critiques au régime, il y avait un secteur politique, économique et
médiatique, qui ne désirait pas le changement de régime. C‟est précisément ce
secteur qui a défendu le régime et qui a critiqué sérieusement le comportement
journalistique utilisé dans ce sujet, même si les journalistes impliqués
possédaient le respect et la crédibilité de l‟opinion publique (c‟est le cas
principalement de Roxana Cueva).
“… Après la dénonciation, le Président nous appelle et affirme qu’on n’avait
pas respecté son droit à répondre à la dénonciation. Mais nous l’avons
appelé… moi, j’ai demandé de montrer la liste d’appels téléphoniques
depuis mon portable… et j’ai pu montrer que j’ai eu des conversations avec
ses proches – Doris Sanchez, Hugo Garavito, le Chef de Presse du Palais
81
Entretien effectué le 14 mai 2008, Lima, Pérou.
86
du Gouvernement et quelques autres… Le jour même de la diffusion de la
vidéo, Toledo appelle l’émission et se montre gentil « off line » avec le
présentateur, Carlos Spá, mais une fois « en air », il se montre indigné et en
colère. Il accroche et quelques minutes après on le voyait dans l’émission
concurrente –Panorama (chaine 5)- en train de manifester son désaccord et
en qualifiant que le problème était avec les journalistes, pas avec les
propriétaires de médias. Quand je l’ai entendu dire ça, je me suis aperçue
qu’il s’agissait d’un coup préparé… Toledo appelle notre émission et off line,
il est gentil avec Spá, mais une fois en direct, il se montre indigné et en
colère. Donc, je crois que tout a été préparé…Il a demandé au directeur
général, Julio Aliaga, de nous faire virer… tout cela n’a pas été vérifié mais
à la fin Aliaga s’est engagé a faire présenter publiquement nos excuses au
Président, mais nous n’avons pas accepté et nous avons démissionné ».
(Roxana Cueva, directrice journalistique, « Cuarto Poder » (émission
télévisée), América Télévision)82
« Dans ce cas-là il y a eu trois témoins principaux. La première, Carmen
Burga, a été contactée au travers de Rafael Rey, c‟est elle qui a du quitter le
pays… les deux autres ont pris contact avec les médias… une a contacté le
journal Perú 21 mais la deuxième a contacté la chaine de télévision
Frecuencia Latina, son émission « Reporte Semanal ». Comme cette
chaine-ci n‟avait pas suivi le sujet comme nous, Perú 21 s‟est approprié
cette source… Rafael Rey avait dans son bureau toutes les feuilles des
signatures du parti politique Perú Posible. C‟était incroyable, il avait des
boites et des boites, pleines de feuilles. C‟était lui qui centralisait toute
l‟information… » (Alejandra Costa, rédactrice, Unité d‟Investigation, journal
Perú 21).83
D‟ailleurs, on peut affirmer aussi que dans ce cas-là, la réaction immédiate et
opportune du régime face à cette dénonciation s‟est constituée comme un
82
Entretien effectué le 14 mai 2008, Lima, Pérou. 83
Entretien effectué le 9 mai 2008, Lima, Pérou.
87
« bon réflexe politique » du gouvernement, ayant été capable d‟empêcher le
déclenchement de ce qui aurait pu devenir un vrai scandale politique.
Sur la dénonciation de Daniel Borobbio (ancien publiciste d‟Alberto Fujimori,
en fuite de la justice au moment de la dénonciation): « Il a été fabriqué une
dénonciation impliquant le publiciste et ancien conseiller d’image de Fujimori
et le Président Toledo… Borobio était si proche de Montesinos et il était
réfugié au Chili… Il avait dit qu’il avait donné des conseils professionnels à
Toledo, à travers deux ou trois personnes…. Une dénonciation qui n’a
jamais été prouvée… cependant, certains médias ont publié sa dénonciation
mais tout cela n’a pas eu de conséquences…” (Angel Paez, La República)
“…Au début, on prenait beaucoup plus de risques au moment de faire des
dénonciations, mais quand on jouit déjà d’un prestige assez grand, on
devient plus précautionneux. Pour moi, la dénonciation de Borobbio n’était
pas suffisante. Le chef de l’Unité d’Investigation, Pedro Tenorio, est parti
pour Santiago, au Chili, afin de parler avec Borobbio, mais il est revenu sans
rien de plus que les éléments (mails et copies d’appels téléphoniques) déjà
montrés par Borobio. Ce dernier demandait fréquemment la date de la
publication de sa dénonciation...Si une source insiste trop, il faut s’en méfier.
Je lui ai expliqué qu’on n’avait pas de preuves suffisantes pour publier. Pour
moi, nous les journalistes pouvons savoir beaucoup de choses mais on peut
publier ce qu’on peut démontrer. … Il m’a répondu : je m’en fous, publies et
après on verra… Montesinos agissait comme ça. Je lui ai dit que sa
dénonciation ne m’intéressait pas… Deux jours après, la dénonciation a été
publiée par Correo et La Razón, en même temps… Après, tous sont sortis
nous critiquer, j’ai expliqué aux lecteurs les raisons pour lesquelles on avait
décidé de ne pas publier cette dénonciation…. » (Augusto Alvarez Rodrich,
Perú 21)
« Un autre cas a été celui des déclarations du délinquant et assassin,
membre du groupe paramilitaire Colina, Carlos Pichilingue Guevara, qui a
eu deux ou trois pages, aussi des Unes, durant plusieurs jours, en disant
qu’il avait vu des vidéos où on pouvait apprécier Toledo en état alcoolisé et
88
drogué, accompagné de prostitués, une dénonciation qui n’a jamais été
vérifiée. Si la vidéo existait, je crois qu’il y avait longtemps qu’on l’aurait vu.
… Ceci a été publié par Correo et la justification du directeur a été qu’il était
un journaliste et que son devoir était d’informer le public, qu’il n’avait pas
l’obligation de prouver cette information… mais je me demande, si un autre
délinquant fait un série de dénonciations contre lui… ce n’est pas mon
devoir de vérifier la véracité de cette dénonciation ?... » (Angel Paez, La
República)
Tel qu‟on a pu apprécier, les dénonciations politiques qui sont déclenchées
comme de vrais scandales, ont rendu possible l‟exclusion de certains acteurs
politiques qui ont été accusés d‟avoir commis une transgression. C‟était la
réaction de l‟opinion publique qui a déterminé le déclenchement du scandale
après avoir qualifié un acte comme abus de pouvoir ou comme trahison de la
confiance sociale.84 C‟est pour cette raison que les scandales sont considérés
comme des phénomènes sociaux, en dépendant du niveau de tolérance sociale
existant envers les actes transgresseurs. Le moment politique de post-
autoritarisme s‟est caractérisé pour avoir un haut niveau de susceptibilité par
rapport aux actes d‟abus de pouvoir et de corruption, ce qui est déterminé par
l‟existence d‟un public sanctionnant.
Donc, on peut interpréter les scandales comme des indices capables de rendre
possible l‟exclusion du champ politique (en suivant Pierre Bourdieu), lequel est
organisé à partir de certaines règles de fonctionnement, de certains acteurs
accusés de les avoir transgressées. Dan ce sens-là, Pierre Bourdieu affirme
que « quelqu‟un qui entre en politique… doit opérer une transformation, une
conversion et même si celle-ci ne lui apparaît pas comme telle, même s‟il n‟en a
pas conscience, elle lui est tacitement imposée »85. Par conséquence, ne pas
accomplir ces règles peut provoquer la sanction des acteurs ayant contrevenu
aux règles garantissant l‟autonomie du champ politique. Tel qu‟il est signalé par
Bourdieu, la sanction en cas de transgression est l‟échec ou l‟exclusion: «…
celui qui entre en politique s‟engage tacitement à s‟interdire certains actes
84
JIMENEZ, Fernando, Op. cit, p. 1110. 85
BOURDIEU, Pierre, Op. cit. p. 60.
89
incompatibles avec sa dignité (c‟est-à-dire à respecter les règles du champ
politique afin de ne pas être objet d‟exclusion ou échec), sous peine de
scandale »86.
Toutefois, même si on est parti avec le prémisse que les scandales sont des
phénomènes sociaux dont le déclenchement dépend de plusieurs facteurs
politiques, culturels et sociaux, la reconnaissance de cette capacité des
scandales politiques à discréditer les adversaires et les exclure du jeu politique,
explique la raison pour laquelle il existera toujours des acteurs intéressés à
déclencher des scandales. La reconnaissance de cette capacité stratégique
des scandales nous permet d‟affirmer que les scandales peuvent constituer des
armes politiques clés, tel que ce qui s‟est produit lors du régime d‟Alejandro
Toledo.
86
BOURDIEU, Ibid, p. 52.
90
3. La relation établie entre le journalisme péruvien et le gouvernement :
Les antécédents récents et les conséquences sur la relation lors de
Toledo.
3.1.. Parcours historique de la relation établie entre la presse péruvienne
et le gouvernement : 1960 - 2000
Pour analyser les raisons de l‟augmentation des scandales politiques dans la
politique contemporaine, il ne suffit pas d‟identifier les conditions favorisant le
délit, mais surtout les conditions permettant sa publication. Dans ce propos,
c‟est l‟étude de la participation des médias dans le déclenchement des
scandales qui devient importante, car c‟est la visibilité de la transgression
rendue possible à travers les médias qui devient la caractéristique principale
des scandales politiques contemporains.87
Dans le cas du régime d‟Alejandro Toledo, on peut affirmer que les médias ont
énormément contribué à la divulgation des scandales politiques déclenchés
durant son gouvernement et principalement dans la diffusion massive et rapide
des dénonciations des actions transgressives concernant les membres du
pouvoir, ou du secteur politique en général. Au-delà des facteurs politiques
ayant une influence sur le climat politique de surveillance de l‟exercice du
pouvoir (afin que l‟abus et la corruption enregistrés durant le régime de Fujimori
ne se répètent pas) et l‟exigence de la transparence, et du respect des
principes démocratiques hérités de la période de transition de Valentin
Paniagua, le rôle que les médias péruviens avaient joué durant le régime
d‟Alberto Fujimori, non seulement en ne surveillant pas le respect des principes
démocratiques et surtout en participant activement à la campagne de discrédit
gouvernementale de l‟opposition politique lors de la campagne électorale 2000,
et en établissant des négociations illicites avec ce régime, tel que cela a été
démontré par les « vidéos de la corruption ».
87
WAISBORD et SILVERSTEIN, Op. cit, p.1077; THOMPSON, John, Op. cit, p. 35.
91
En effet, la diffusion de ces vidéos a mis en question la crédibilité des médias,
et leur indépendance par rapport aux délits de corruption, et abus du pouvoir du
régime d‟Alberto Fujimori. Tant le degré de proximité avec le régime sortant que
leurs dettes avec l‟État, et les conflits judiciaires encore existants, ont
déterminé l‟attitude des médias par rapport à une nouvelle période politique
(soit de la transition politique, soit durant le régime de post-transition
d‟Alejandro Toledo) d‟ouverture démocratique. Certes, dans ce nouveau
contexte politique de recomposition démocratique, les médias en général
devaient récupérer leur place, et leur audience, basée surtout sur la
reconstruction de leur crédibilité. La surveillance permanente de l‟exercice du
pouvoir est devenue, par conséquent, la devise de la plupart des médias durant
les années du régime d‟Alejandro Toledo. Cette prédisposition a été alimentée
par d‟autres facteurs qui, on le mentionnera dans les paragraphes suivants,
permettaient que la configuration des conditions étant favorables au
déclenchement fréquent des scandales durant le régime de Toledo.
Afin de comprendre la relation établie entre la presse, et le régime d‟Alejandro
Toledo, il est important de comprendre non seulement, la relation qui existait
pendant le régime d‟Alberto Fujimori et les conséquences sur leur rôle dans le
jeu politique de la transition démocratique (initié par le gouvernement de
transition de Valentin Paniagua, 2000-2001), mais aussi de faire une rapide
description historique de la tendance informative de la presse péruvienne, et les
relations du pouvoir établies entre celle-ci, et les différents régimes depuis les
années 60 (années de la dictature militaire). Dans cette période, la présence
des médias s‟intensifie dans la configuration politique péruvienne.
À l'instar des déclarations de l'académicienne canadienne Catherine Conaghan,
l‟histoire des relations entre la presse et l‟Etat péruvien se base essentiellement
sur des liens établis « derrière la scène » (« en coulisses ») entre les
propriétaires des médias, les journalistes et les autorités publiques.
Compte tenu de cette relation, Conaghan identifie trois étapes dans la relation
qui s‟est établie entre l‟Etat, et la presse jusqu‟en 1999, date qui correspond à
l‟année électorale où le Président Fujimori (1990 – 2000) a entamé ouvertement
92
une campagne de discrédit de l‟opposition politique, et de manipulation de
l‟information afin de se faire réélire pour une deuxième fois consécutive (ce qui
constitutionnellement, n‟était pas autorisé) :
a) Une première étape, qui va de 1968, avec le gouvernement militaire de
Velasco Alvarado jusqu‟en 1990 (date à laquelle prend fin le deuxième
gouvernement démocratique qui a suivi la chute de la dictature du Général
Juan Velasco Alvarado) ; b) une deuxième étape qui s‟étend de 1990 à 1995 ;
et enfin c) une troisième étape de 1996 à 2000. Comme nous le verrons plus
loin, l‟historien, et journaliste péruvien Juan Gargurevich s‟accorde avec
Conaghan dans l‟identification de ces étapes.
a. La relation presse-régime : 1960-1980.
La première phase de la relation Etat – presse au Pérou identifiée par
Conaghan, qui débute en 1968 avec le coup d‟Etat militaire du général Velasco
Alvarado et qui se maintient durant les régimes démocratiques de Fernando
Belaúnde Terry (1980-1985) et Alan García Pérez (1985-1990), est appelée par
Conaghan « culture de la peur et du harcèlement » car elle correspond, non
seulement au gouvernement militaire, aux déportations, ou à la fermeture de
quotidiens de presse, mais également aux politiques expansives qui ont
favorisé l‟industrie des médias, les procès en diffamation, les permis spéciaux
destinés à voyager dans les zones d‟urgence, les réglementations pour accéder
aux informations relatives aux officiels travaillant dans les zones d‟urgence, etc.
Tous ces états de fait se poursuivent durant les différents régimes
démocratiques.88
Le historien péruvien Juan Gargurevich89 précise à ce sujet que, d‟un côté, le
gouvernement militaire « a projeté l‟utilisation active et contrôlée des médias,
dans un premier temps au niveau de l‟Etat, et par la suite en incorporant tout le
système commercial privé ». Au cours de ce régime, a débuté un processus
88
FOWKS, Jacqueline, Suma y resta de la realidad: medios de comunicación y elecciones generales
2000 en el Perú (Assistante de recherche: Gisela LUJAN ANDRADE), Lima, Friedrich Ebert Stiftung,
2000, p. 48. 89
GARGUREVICH, Juan, Historia de la prensa peruana: 1594 – 1990, Lima, La Voz, 1991.
93
rapide d‟expropriations qui a culminé avec la création du Système national
d‟Information, le SINADI (Sistema Nacional de Información). Dans le cas des
médias, leur administration a été confiée aux « Secteurs organisés de la
Société » c‟est-à-dire les Syndicats. Malgré la fin du gouvernement militaire de
Velasco Alvarado, et au début du régime démocratique de Fernando Belaunde,
le grand appareil étatique regroupant les médias d‟Etat (une chaîne de
télévision – avec de nombreuses filiales en province -, trois quotidiens, une
radio et une agence d‟information) n‟a pas été désactivé, mais est devenu le
bras politique du parti et son nom a été changé pour devenir le « Système
national de Communication sociale » (SINACOSO, Sistema Nacional de
Comunicación Social). Durant le gouvernement du Parti APRA (Alliance
Populaire Révolutionnaire Américaine : en espagnol, Alianza Popular
Revolucionaria Americana) d‟Alan García (1985-1990), le système de diffusion
gouvernementale a été maintenu comme tel.90
b. La relation presse-régime : 1990-1995.
La deuxième phase identifiée par Conaghan est qualifiée par elle comme celle
du « gouvernement du manque d‟information » qui se caractérise comme étant
une étape au cours de laquelle le journalisme d‟investigation est devenu « un
moyen limité pour forcer une majorité à rendre des comptes ». Au cours de
cette deuxième phase, deux autres sous-étapes ont pu être identifiées, comme
l‟indique Juan Gargurevich : la première qui va de 1990 à 1992, c‟est-à-dire les
deux premières années du gouvernement de Fujimori et la seconde, de 1993 à
1995, qui débute avec l‟« Autocoup » et culmine avant la réélection de Fujimori.
Durant la période électorale de 1989-1990, la polarisation politique s‟est
installée sur la scène publique, et s‟est déplacée vers les lignes éditoriales des
médias, conséquence des préférences politiques de leurs propriétaires
respectifs. On a donc pu constater clairement qu‟il y avait, d‟un côté, une
presse favorable au vainqueur et Président élu, M. Alberto Fujimori – un
90
GARGUREVICH, Juan, Ibid, p. 5
94
« outsider » de la politique péruvienne sans parti politique ni programme
gouvernemental - et, de l‟autre côté, une presse favorable à l‟autre candidat à la
présidentielle, l‟écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, qui avait bénéficié du
soutien de la plupart des partis politiques traditionnels.91
Les deux premières années du gouvernement de Fujimori (1990-1992) ont été
le témoin d‟une forte opposition au régime en place mais également d‟une
« grande vigueur de la démocratie » : le gouvernement élu n‟avait pas réussi à
constituer une majorité parlementaire qui lui aurait permis d‟avaliser les
politiques économiques et de lutte contre le terrorisme (les principales
exigences politiques du moment, comme nous le verrons plus loin). Le
gouvernement se voyait donc confronté à de sérieux problèmes de
gouvernabilité. Cette étape fut interrompue par l‟« Autocoup », qui eut lieu le 5
avril 1992 lorsque le gouvernement de Fujimori décida de fermer le Congrès de
la République. Lors de cette étape, et selon Conaghan, le gouvernement de
Fujimori a fait preuve d‟un manque d‟intérêt extraordinaire pour la diffusion
systématique de l‟information. Conaghan ajoute que Fujimori a développé "un
mode de relation sélective avec les journalistes qui lui étaient favorables et se
montraient dociles". Tout cela s‟est accompagné d‟un contrôle strict des
dissidences internes (au sein de son mouvement Cambio 90).
C‟est ainsi que commence la deuxième sous-étape, qui s‟étend de 1993 à
1995, caractérisée par le transfert de dépendance à la relation entre le Service
d‟Intelligence Nationale (SIN) et la presse qui commençait à se renforcer entre
le SIN et le gouvernement. Comme le mentionne Gargurevich, c‟est
précisément à ce moment qu‟a vu le jour le concept d‟un système basé sur
l‟utilisation de la presse populaire bon marché destinée à soutenir le
gouvernement et dévaloriser considérablement l‟opposition.92
91
FOWKS, Jacqueline, Op. Cit, p. 256 92
GARGUREVICH, Juan, Op. Cit, p. 5.
95
c. La relation presse-régime :1996-2000.
La troisième étape se déroule entre 1996 et 2000 (bien que Conaghan stipule
que cette étape ne s‟est étendue que jusqu‟en 1998, qui correspond au début
de l‟étape pré-électorale et au moment où le régime en place a renforcé le
scenario politique qui lui permettrait ensuite d‟être réélu pour la deuxième fois
consécutive, ce qui allait à l‟encontre de la constitution –anticonstitutionnelle?-).
Il s‟agit de l‟étape où l‟utilisation des médias (principalement la télévision) par le
gouvernement et le Service d‟Intelligence Nationale (SIN) à des fins de
manipulation de l‟information, de désinformation et d‟attaque ouverte des
opposants au régime a été la plus évidente et la plus coordonnée.
Ainsi, on assiste à une étape où prévaut une presse objet des scandales
produits par les services d‟intelligence (« la presse et les scandales des
services d‟intelligence »). Au cours de cette étape, le SIN et le gouvernement
ont développé des mécanismes ponctuels pour attaquer certains médias et
journalistes peu favorables aux idéologies soutenant le gouvernement. Comme
l‟indique Conaghan, le premier cas fut l‟éviction du propriétaire de la chaîne de
télévision en signal ouvert Frecuencia Latina (Canal 2), Baruch Ivcher – « après
les dénonciations pendant deux années consécutives (1996 et 1997) des
relations entre le narcotrafiquant « Vaticano » et le conseiller présidentiel
Vladimir Montesinos et du plan « Bermuda » mis au point par le Service
d‟Intelligence Nationale, dans ce moment-là dirigé par Montesinos. Le plan
"Bermuda" faisait allusion à la nécessité de faire taire la presse (jeu de mots en
espagnol sur la prononciation de « ver muda » -"faire taire"- et « bermuda »). Le
harcèlement se traduit par des agressions physiques, des enlèvements de
courte durée, des campagnes de harcèlement dans la presse à scandale
(dénommée au Pérou « presse chicha »), l‟espionnage téléphonique et la
création de conflits entre les actionnaires pour affecter la partie de l‟actionnariat
défavorable au gouvernement (Baruch Ivhcher, Genaro Delgado Parker –
Panamericana Televisión, Canal 5-; Alejandro Miró Quesada –diario El
Comercio-). 93
93
FOWKS, Jacqueline, Op. cit, p. 5
96
À ce sujet, le chapitre sur les médias inclus dans le Rapport final de la
Commission pour la Vérité et la Réconciliation (CVR) qualifie cette période qui
va de 1993 à 2000 comme une période au cours de laquelle « un secteur de la
presse a succombé aux diverses formes de pression et a sacrifié son
indépendance pour servir les intérêts d‟un régime corrompu qui n‟a eu de cesse
de faire taire toutes les dénonciations de violations des droits de l‟homme.
- Les mécanismes de pression institutionnels utilisés par le
gouvernement contre les médias péruviens : 1992-2000
L‟Institute Presse et Société, IPYS (Instituto de Prensa y Sociedad), dans son
Rapport de Fiscalisation Journalistique au Pérou 2000-2002, affirme que depuis
le coup d‟État du 5 avril de 1992, « la liberté de presse au Pérou a été
sérieusement affectée ». Cette situation est devenue plus compliquée à partir
de 1995, quand se produit la deuxième réélection d‟Alberto Fujimori.
En effet, à partir de ce moment-là, il s‟enregistre un « appui » évolutif du régime
par les différents médias. Cet appui évolutif sera le résultat des pressions et
des prébendes extrajudiciaires organisées par le Service d‟Intelligence National
(SIN) et, plus précisément, par son chef et conseiller présidentiel, Vladimiro
Montesinos Torres. En effet, d‟après le rapport mentionné, durant la deuxième
période gouvernementale d‟Alberto Fujimori, il s‟est complété le contrôle total
du Service d‟Intelligence Nationale (SIN) sur le Pouvoir Judiciaire, le Pouvoir
Électoral et les Forces Armées. De même, le gouvernement s‟est éloigné du
système judiciaire interaméricain afin de maintenir le système de violation des
droits des citoyens. Aussi, il a maintenu un soutien populaire grâce aux
manœuvres psychosociales, le contrôle des médias et l‟assistancialisme».
Le régime d‟Alberto Fujimori utilisait différentes manières pour exercer de la
pression sur les journalistes et les propriétaires des médias. Même si les plus
courantes étaient les menaces –par téléphone ou par écrit- et les actes
d‟intimidation soit par des persécutions en voiture, visites au domicile,
interceptions des appels téléphoniques, ce régime avait utilisé des institutions
de l‟État pour exercer une pression plus efficace : la SUNAT, le SIN et le
Pouvoir Judiciaire :
97
* À travers d‟un ordre la Superintendance Nationale de l‟Administration
Tributaire (SUNAT), le journal d‟opposition Libération a affronté une tentative
d‟embargo de ses imprimantes en décembre de 1999, quelques jours après
que ce journal ait vulgarisé une l‟information sur les comptes bancaires de
Vladimiro Montesinos.
* À travers du Service d‟Intelligence Nationale, qui au-delà d‟exécuter les
persécutions directes aux journalistes, avait créé un système de presse
populaire (les journaux « chicha ») chargé de discréditer les médias
d‟opposition tels que les journaux La República et El Comercio. C‟est par
exemple le cas du directeur de La República, Gustavo Mohme, qui fut objet
d‟une diffamation permanente à travers des journaux « chicha » mais aussi des
« brochures diffamatoires » appelés La Repúdica et Repudio (en faisant le jeu
de mots avec le mot en espagnol, « repudio », en français « répudie »), dont les
couleurs, et la mise en page étaient similaires à celles de « La República ».
* À travers du Pouvoir Judiciaire, contrôlé par le SIN, qui a été la principale
entité pour exercer de la pression sur les chaînes de télévision, dont le cas de
Frecuencia Latina fut le plus emblématique (le gouvernement a annulé les
droits de propriété de son actionnaire principal, Baruch Ivcher, et les a donné,
de manière arbitraire, aux actionistes minoritaires Samuel et Mendel Winter).
Un autre cas fut ceci de Red Global qui durant le premier trimestre de 1999 a
laissé de fonctionner. Selon le rapport d‟IPYS, « les autres propriétaires des
chaînes de télévision ont préféré de se passer aux rangs du gouvernement
avant de subir des damages majeurs, tandis que les derniers vestiges du
journalisme informatif indépendant étaient en train de disparaître de la
télévision ».
Le Pouvoir Judicaire a aussi exercé de la pression sur les autres médias : c‟est
le cas, par exemple de la Radio 1160 (quelques jours après le commencement
d‟une émission radio du journaliste César Hildebrandt, les antennes de
transmission de la radio ont été confisqués par ordre judiciaire) et du journal El
Comercio (à travers des pressions judiciaires pour favoriser un groupe
minoritaire d‟actionistes proches au régime de Fujimori).
98
* Finalement, le gouvernement a pu contrôler les différents médias à travers de
l‟investissement de publicité de l‟Etat, l‟une des manières à travers desquelles
le gouvernement « payait » aux médias leur « engagement ».
De cette façon, « le gouvernement a obtenu le contrôle total de la télévision de
signale ouvert et de partie de la presse écrite, et a organisé des offensives
judiciaires contre les propriétaires des médias rebelles à la soumission. Les
campagnes d‟attaques à la presse indépendante se sont approfondies et la
désinformation s‟est épandue, un presque complet manque de transparence
dans la gestion d‟affaires publiques. Durant l‟étape précédente aux élections de
2000, ce contrôle gouvernemental des médias a atteint des niveaux
comparables à ceux d‟un régime dictatorial ».
- L’état de situation des médias lors de la campagne électorale 2000 (en
faveur de la ré-réélection d’Alberto Fujimori)
C‟est à la fin de 1999 que la manipulation et le contrôle des médias –
particulièrement de la télévision- deviennent plus évidents, pour atteindre leur
paroxysme lors du processus électoral de 2000. « Pour les chaînes de
télévision de signal ouvert et certains quotidiens, la campagne électorale était
quasi inexistante et ils n‟ont donc en rien contribué à une meilleure information
relative aux élections de 2000 ».94
Le rapport d‟IPYS a identifié les tendances suivantes dans la relation médias-
gouvernement d‟Alberto Fujimori durant la période 1995-2000 :
- « Le gouvernement a éradiqué tout espace critique dans la télévision
hertzienne. Le seul espace informatif indépendant dans la télévision était
une chaîne de câble du groupe El Comercio, Canal N.
- La presse indépendante a été principalement représentée par les
journaux El Comercio, La República et Gestion, la revue Caretas et Canal
N.
94
FOWKS, Jacqueline, Op. cit, p. 65.
99
- Malgré les dénonciations, la presse « chicha » financée par le
gouvernement continuait à attaquer à l’opposition et à défendre à Fujimori.
- Le gouvernement, à travers du SIN, entreprenait des manœuvres afin de
fermer plus le contrôle sur les médias, en participant indirectement dans
les mouvements de l’actionnariat (des médias) et dans les conflits entre
les entreprises, à travers du Pouvoir Judiciaire.
- L’apparition de la « vidéo Kouri-Montesinos » a rompu toutes les
alliances du gouvernement dans la presse, mais pas dans la presse
« chicha », qui continue à défendre agressivement le régime.
- Au fur et à mesure que les dénonciations les plus graves continuent à
apparaître, et que Fujimori prend de la distance de Montesinos, l’ancienne
presse » favorable au régime, « change de position en le laissant seul.
D’ailleurs, la presse « chicha » a oublié les contenus politiques ».
Le contexte pré-électoral des élections générales de 2000 a débuté en
décembre 1999 lorsque les candidats au Congrès, et à la Présidence ont
commencé à se présenter et, de fait, le régime et le Service d‟Intelligence
Nationale (SIN) ont intensifié leurs stratégies de discrédit, et de diffamation
contre toute personne pouvant se présenter comme un opposant au Président
Fujimori, et l‟empêcher d‟être réélu pour la deuxième fois consécutive. Depuis
1998 l‟organisation Freedom House comparait les limites de liberté de la presse
au Pérou à celles de Cuba ».95
Comme le rappelle la journaliste péruvienne Sonia Luz Carrillo « Fujimori est
arrivé en 2000 avec une forte approbation du peuple péruvien » suite à la
signature en 1993 d‟une nouvelle Constitution dont la principale nouveauté
consistait à inclure le principe de réélection tout en indiquant expressément que
cela se limitait à un second mandat. Afin de rester au pouvoir, la majorité
parlementaire avait approuvé en 1996 la loi appelée «loi d‟interprétation
authentique » et avait destitué en 1997 trois magistrats du Tribunal
constitutionnel ayant dénoncé l‟anticonstitutionnalité de cette loi. Le Pouvoir
95
FOWKS, Jacqueline, Op. cit, p. 50.
100
judiciaire, les universités publiques et les secteurs les plus informés de la
société ont donc initié une campagne de protestations. En 1998, suffisamment
de signatures ont été recueillies pour exiger l‟organisation d‟un référendum,
requête qui fut rejetée par le Parlement.96
Lors des élections de 2000, alors que l‟ex-président Fujimori occupait la
présidence, la presse se montra tout à fait partiale. Le parti du gouvernement,
Perú 2000, monopolisa pratiquement tout l‟espace destiné à la propagande
électorale, et en restreignit l‟accès aux autres candidats. Au cours du second
tour, suite aux pressions exercées par les leaders d‟opinion, et les organismes
internationaux de supervision électorale, le régime relâcha quelque peu la
pression exercée sur les médias et en ouvrit timidement l‟accès mais dans des
plages horaires à faible audience et à des coûts exorbitants. De plus, les
programmes d‟information des différentes chaînes de télévision et,
principalement, de la chaîne d‟Etat, choisirent de privilégier les activités
électorales du candidat président.97
Le soutien du régime de la part de la plupart des médias fut rendu possible
grâce à trois mécanismes de manipulation, et de pressions exercées par le
Gouvernement : les dettes fiscales, les litiges judiciaires et l‟attribution de la
publicité d‟Etat. En effet, d‟après le rapport “Country Report on the National
Integrity System in Peru”, publié par l'Association Civile Transparence
Internationale, la manipulation des médias “fut facilitée par les importants
problèmes financiers et dettes fiscales” qui affectaient les chaînes de télévision.
Toujours selon ce rapport, « les propriétaires de ces médias ont demandé ou
ont reçu des propositions de réduction de leur passif en échange de l‟ingérence
du régime dans leur politique d‟information. »98 De même, le report de
Transparence Internationale souligne que la manipulation des médias de
96
CARRILLO, Sonia Luz, “Actuación política de los medios de comunicación peruanos. Elecciones
generales del 2000 y 2001” (“Rôle politique des médias péruviens. Les élections générales du 2000 et
2001”) [en ligne]. In: Razón y Palabra, México DF., 2001, no. 26. Disponible sur:
<http://www.cem.itesm.mx/dacs/publicaciones/logos/anteriores/n26/sluz.html> (consulté le 15 mai 2009) 97
ASOCIACIÓN CIVIL TRANSPARENCIA, Una historia que no debe repetirse. Perú: elecciones
generales 2000. Informe de observación electoral (Une histoire qui ne doit se répéter. Le Pérou : les
élections générales 2000. Rapport d’observation électorale), Lima, Asociación Civil Transparencia,
2000, p. 51. 98
Ibid. p.49.
101
manière générale, mais principalement la télévision, fut rendue possible par
l‟attribution de la publicité d‟Etat : «… la deuxième période du gouvernement de
Fujimori a vu la promulgation d‟une règle juridique réglementant l‟échange des
dettes fiscales contre de la publicité ; règle qui favorisait surtout les chaînes de
télévision, les radios et les journaux mauvais payeurs tout en portant préjudice,
de manière relative, à ceux qui s‟acquittaient de leurs dettes de manière
ponctuelle. »99
Le moment où l‟utilisation des médias pour le régime de Fujimori a atteint son
moment le plus critique durant la campagne électorale 2000. Les
questionnements internationaux contre le gouvernement de Fujimori par rapport
à la liberté de presse au Pérou n‟ont pas tardé à arriver. Le Comité pour la
Protection des Journalistes le 3 mai 2000, incluait « pour la deuxième année le
président Alberto Fujimori sur la liste des 10 principaux ennemis de la liberté de
la presse dans le monde ».100
Bien que le Service d‟Intelligence Nationale ait conçu et mis en place ces
stratégies de contrôle de tous les médias, c‟est la télévision hertzienne qui en
fut la plus affectée. En effet, « en raison de la récession économique, et de la
structure des coûts de production », les chaînes de télévision ont été
confrontées jusqu‟au milieu de 2000 à une situation financière très critique étant
donné que la somme de leurs dettes équivalait à celle du total des recettes
perçues en 1999.101 Selon Jacqueline Fowks, « l‟absence d‟une situation
financière saine chez certains médias » fut précisément la « condition la plus
grave » qui a permis « l‟ingérence, et la pression de mécanismes indirects liés
au gouvernement».102
Ainsi, selon le rapport publié par l‟Institut de la Presse et de la Société (Instituto
Prensa y Sociedad –IPYS-) à la fin de 1999, « des sept chaînes hertziennes,
quatre se trouvaient sous l‟administration désignée par le Pouvoir Judiciaire. La
cinquième chaîne étant la propriété de l‟Etat. Quant à la sixième, Frecuencia
99
ASOCIACIÓN CIVIL TRANSPARENCIA, Op. Cit, p. 49. 100
FOWKS, Jacqueline, Op. cit, p. 50. 101
Ibid, p. 185-186. 102
Ibid, p. 51
102
Latina, son principal actionnaire, l‟homme d‟affaires d‟origine israélienne Baruch
Ivcher, s‟était vu déposséder de sa nationalité péruvienne, et donc de son droit
à gérer la chaîne. Pour finir, la septième chaîne avait été louée à un ancien
ministre du régime. Cette situation eut pour effet de mettre la télévision
péruvienne dans une situation juridique extrêmement vulnérable à laquelle se
sont ajoutées la récession économique et l‟absence d‟éthique des
administrateurs (comme on le verra plus tard avec les « vidéos de la
corruption ») qui ont bénéficié à cette époque d‟importantes sommes d‟argent
en échange de leur participation dans la lutte contre toute tentative de
résistance au pouvoir dictatorial. »103
Certes, le régime de Fujimori a profité de l‟état financier faible des chaînes de
télévision, et des conflits existants à l‟intérieur des entreprises entres les
différents actionnaires, pour exercer la pression, et réussir en avoir des chaînes
de télévision sous contrôle et au service de ses intérêts, soit en informant avec
partialité, soit en exerçant une « autocensure ».
Dans le cas de la télévision, le régime a pu gérer des « changements forcés »
dans les administrations des chaînes de télévision en rendant possible, que les
gestions de ces entreprises soient « proches de ses intérêts » pour le
commencement de la campagne électoral. Ci-dessous, les cas les plus
remarqués :
- América Télévision (Chaîne 4) : La famille Crousillat a assumé l‟administration
d‟América Televisiñn en 1994 à partir d‟un accord signé avec l‟entreprise
mexicaine Televisa, qui deux ans en avant était devenue l‟actionnaire
majoritaire. A ce moment-là, América Television avait une dette avec la
Superintendance Nationale d‟Assurance Tributaire Sunat de vers 30 millions de
soles. Toutefois, grâce à un décret promulgué par le Ministre d‟Economie Jorge
Camet (durant le régime de Fujimori), il a été possible que cette entreprise
échange sa dette tributaire contre de la publicité de l‟État. C‟est à ce moment-
là, que le gouvernement a initié l‟application d‟une série de « faveurs
103
CARRILLO, Sonia Luz, Op. Cit.
103
tributaires » en le permettant d‟ignorer les 37 notifications des avis d‟exécution
que cette chaîne de télévision avait jusqu‟à 2000.
- Frecuencia Latina (Chaîne 2) : Les actionnaires majoritaires de cette chaîne
de télévision était les frères Samuel et Mendel Winter, qui ont commencé leur
gestion le 19 septembre 1997. Les frères Winter étaient les actionnaires
minoritaires de cette entreprise qui ont pu avoir le contrôle après avoir fait
valider leur 46% des actions comme le 100%, en argumentant que les 54%
appartenant à Baruch Ivcher ne devait pas être pris en compte parce que la
nationalité péruvienne de son propriétaire avait été suspendue. Baruch Ivcher
avait perdu l‟administration de la chaîne de télévision après avoir été dénoncé
par l‟État de trafic d‟armes vers la fin de 1997, on lui avait retirée la nationalité
péruvienne (obtenue en 1984). Durant les six premiers mois de l‟année 1997,
l‟émission journalistique Contrapunto a diffusé une série de dénonciations
contre le gouvernement de Fujimori associés aux délits de torture commise par
les membres du SIN.
L‟augmentation du capital de la part des frères Winter (concrétisée entre août
1998, et décembre 1999) leur a assuré le contrôle total de la chaîne, même si la
provenance de cet argent n‟était pas claire à ce moment-là. En février 2001, les
enquêtes judiciaires ont montré que les frères Winter avaient reçu des mains de
Montesinos la somme de 3 millions 73,407 dollars. Le 24 mars 2004, les frères
Winter ont été condamnés à cinq ans de prison pour les délits de détournement
de fonds, et de complot afin de commettre un crime. Après leur arrestation, les
frères Winters se sont soumis à la « collaboration efficace », afin de donner
toute l‟information concernant leurs négociations avec Vladimiro Montesinos. Ils
ont été libérés en 2007.
- Panamericana Télévision (Chaîne 5): Ernesto Schutz Landázuri assume la
direction de Panamericana Televisión en 1997, après avoir acquis les 71% des
actions de cette entreprise grâce à la gestion de Manuel Delgado Parker, l‟un
des actionnaires de cette chaîne de télévision. De cette façon, Schutz obtenait
la majorité de l‟actionnariat en retirant le pouvoir de direction à Genaro Delgado
Parker. Les disputes entre les deux actionnaires se sont intensifiées à partir de
104
ce moment-là. En février 1999, l‟administration de Panamericana Télévision et
Genardo Delgado Parker ont initié un procès ; Genaro Delgado Parker a dû
quitter le pays en septembre 1999 en raison de ce procèdure. En décembre
1999 il a été déclaré comme « Reo contumaz » (prisonnier en fuite) par le
Pouvoir Judiciaire, ce qui s‟est produit quelques mois après que Delgado
Parker eut publié un communiqué de presse en dénonçant que les médias
étaient contrôlés par le gouvernement.104
- Le rôle des médias lors de la campagne électorale 2000 :
La campagne médiatique ouvertement agressive contre les candidats
d‟opposition, a été entreprise de manière conjointe par les chaînes de télévision
hertziennes (principalement, América Télévision –chaîne 4, de propriété de la
famille Crousillat- et Frecuencia Latina –chaîne 2, gérée par les frères Samuel
et Mendel Winter après la défenestration de l‟actionnaire majoritaire Baruch
Ivher- et la presse « chicha » (aussi appelé « presse orange », en allusion à la
couleur utilisée par le symbole électoral du parti du gouvernement, Pérou
2000). Celle-ci a été efficace parce qu‟elle a pu affecter le niveau de popularité
enregistré par ces candidats, en les poussant à renoncer de présenter leurs
candidatures ; celle-ci a été le cas de l‟ancien Maire de Lima, Alberto Andrade,
et de l‟ancien président de la Sécurité Sociale Luis Castañeda Lossio, qui ont
dû annuler leurs candidatures en faveur du dernier candidat Alejandro Toledo.
Selon la l‟Association Civile Transparence, les différentes, diffamations,
attaques médiatiques contre les candidats de l‟opposition se sont concentrées
sur les aspects suivants : la présence directe ou indirecte de l‟ancien Président
M. Alan Garcia Perez (1985-1990) dans leurs passé ou présent ; leur tolérance
vers l‟extrémisme terroriste ou, leur relation avec le terrorisme ; leur relation
avec les partis politiques traditionnels ayant été synonyme de « l‟échec
présidentiel » durant la dernière décennie : le gouvernement de M. Alan Garcia
–APRA- et ceci de M. Fernando Belaunde –ACCION POPULAR-. De même, ils
104
FOWKS, Jacqueline, Op. cit, p. 54.
105
ont été accusés d‟être corrompus, ou inefficaces en tant que fonctionnaires
publiques.105
Il faut rappeler que ces deux médias ont aussi attaqué d‟autres acteurs
publiques qui contestaient les actions du régime de M. Fujimori, tels que les
entreprises de sondage, l‟Association civil Transparencia, la Defensoría del
Pueblo (Ombudsman) et le journal El Comercio (qui avait dénoncé la
falsification des signatures commise par le parti politique de M. Fujimori, Pérou
2000, et afin de se présenter aux élections de cette même année).
De cette façon, le régime s‟assurait le soutien des chaînes de télévision les plus
populaires, América Télévision, et Frecuencia Latina, chaînes qui présentaient
une ligne éditoriale plus évidente contre les personnages de l‟opposition. Les
deux chaînes ont appliqué « l‟autocensure » en ne présentant aucune
information qui pouvait contrarier le régime, et elles leurs émissions télévisées
ont présenté des dénonciations contre les adversaires de Fujimori, et quelques
institutions de la société civile critiques au régime, tel que l‟Association Civile
Transparencia.
La ligne éditoriale présentée par ces chaînes de télévision avait des
coïncidences avec celle de la presse « chicha ». Les enquêtes menées
postérieurement, et les dénonciations journalistiques présentées durant le
régime de transition ont montré que le SIN coordonnait les contenus tant des
émissions télévisées des chaînes mentionnés que des journaux « chicha ».
soulignaient celles qui lui étaient favorables. De même,
Dans le cas de Panamericana Télévision, la stratégie informative de soutien au
régime était différente parce que, même si elle n‟incluait pas des attaques
directes contre l‟opposition, l‟information favorable au régime occupait la plupart
de l‟agenda de Panamericana en faisant « écho » des dénonciations
journalistiques des autres chaînes de télévision, en ignorant l‟information sur
les délits commis pour le régime de Fujimori.106 107 D‟après le journaliste
105
FOWKS, Jacqueline. Op. cit, p. 192. 106
ASOCIACIÓN CIVIL TRANSPARENCIA, Op. cit, p. 77 - 79.
106
Fernando Vivas Ce qui intéressait le régime de fujimori, c‟était de contrôler les
questions pendant les interviews et l‟opinion. L‟idée était de créer un espace, où
les alliés du gouvernement pouvaient s‟exprimer librement sans être soumis
aux questionnements ou aux critiques. 108
Quant à la presse écrite, le Rapport Annuel 1999 de l‟IPYS signale que celle-ci
ne fut pas exempte des pressions économiques et judiciaires exercées par le
gouvernement. Ainsi, les médias d‟opposition, tels que La República (quotidien)
et Caretas (hebdomadaire), ont dû faire face à la diminution de leurs revenus
publicitaires en raison de la pression gouvernementale exercée sur les agences
de publicité, et sur les annonceurs. Un petit quotidien d‟opposition, Liberaciñn,
n‟a jamais eu accès à la publicité, et le quotidien El Comercio, le plus ancien du
Pérou, fut confronté à la réouverture d‟un procès suite à une accusation portée
dix ans plus tôt, et annulé à l‟époque pour manque de preuves. »
L‟évidence la plus claire de l‟utilisation de la presse écrite par le gouvernement
fut l‟apparition de journaux populaires à sensations connus au Pérou sous le
nom de « journaux chicha »109. Ces journaux ont été crées en utilisant des
ressources données par le Service d‟Intelligence Nationale. Ces journaux
étaient utilisés non seulement pour diffamer les candidats de l‟opposition, et
vanter les actions du gouvernement, mais aussi pour détourner l‟attention des
lecteurs sur des faits de peu d‟importance comme les « people » ou les potins.
L‟apparition de ces journaux “chicha” a marqué une différence par rapport à la
presse populaire à sensations existante au Pérou depuis 1950. Au jargon, et
aux informations policières et au spectacle, il a été ajouté l‟utilisation des
éléments visuels très particuliers : des photos remplissant la une de jeunes
femmes presque nues.
107
FOWKS, Jacqueline, Op. Cit, p. 110. 108
VIVAS, Fernando, “¡Qué pena que da Mirarte! El canal 5, su papel en el fujimorato y las angustias de
Ernesto Schutz” (“Ca me fait pitié de te regarder! La chaîne 5, son rôle dans le fujimorato et les angoïses
d’Ernesto Schutz”), Caretas, Lima, 8 février 2001. 109
Le terme « chicha » est attribué aux expressions culturels, principalement la musique, des migrants de
la montagne péruvienne installés dans la capital, Lima ; cette dénomination fait allusion à la mélange des
cultures
107
Cette presse était très bon marché en avait comme principal public les secteurs
économiques les plus démunis du pays. Cependant, l‟objet de cette presse était
de fonctionner comme un affichage. Pour des raisons culturelles et financières,
la plupart des péruviens n‟ont pas l‟habitude d‟acheter de manière quotidienne
les journaux (il n‟y a pas encore de la presse gratuite), cependant, il est très
habituel de les voir débout en face aux devantures des kiosques, lisant les
journaux qui y sont affichés. De cette manière, la technique utilisée par cette
presse était une véritable « propagande dans à la une » : les titres placés
étaient courts, mais directs, toujours insultant pour les opposants de M.
Fujimori.
Selon les enquêtes judiciaires réalisées après la chute du régime de M.
Fujimori, cette presse recevait tous les jours des indications précises de la part
du Service d‟Intelligence Nationale concernant les titres à mettre en place à la
une, ou le membre de l‟opposition qui devait être « agressé » le lendemain.
Dans l‟avis de l‟Association Civile Transparence Internationale, cette presse « a
été utilisée pour blesser l‟image publique des membres de l‟opposition politique
en restant impunie grâce à l‟inaction du Pouvoir Judiciaire » contrôlé par le
régime.
Parmi les journaux « chicha » qui sont apparus durant le régime de Fujimori, il y
avait : El Mañanero (1993), Ajá (1994), El Chino (1995), La Chuchi (1996), El
Chato (1998), El Tío (1998). Ce dernier journal a initié en décembre de 1998
une campagne d‟attaque directe contre les candidats de l'opposition au régime,
en suivant la tendance du journal El Chino existant depuis 1997. Avant de
commencer la campagne électorale, les cibles de ces journaux étaient non
seulement les politiciens opposants à Fujimori, mais aussi les journalistes
opposants (César Hildebrandt –directeur du journal Libération-, Gustavo
Mohme –directeur du journal La República-, Fernando Rospigliosi –analyste
politique et rédacteur de la revue politique Caretas-, Angel Paez –chef de
l‟Unité d‟Investigation de La República-, etc.)
Entre 1998 et 1999, tous les journaux « chicha » présentaient dans leurs Unes
des attaques frontales contre les opposants au régime. En 1999 trois journaux
108
« chicha » sont aussi apparus : Diario Más, El Men et Conclusión. A partir de ce
moment-là tous ces journaux ont initié une campagne de diffamation contre les
candidats présidentiels qui avaient des indices d‟approbation les plus élevées,
après Alberto Fujimori : Alberto Andrade Carmona (Somos Perú) et Luis
Castañeda Lossio (Solidaridad Nacional). Cette campagne a continué jusqu‟à
mars 2000, quand le candidat de Perú Posible, Alejandro Toledo, commence à
occuper la deuxième place dans les sondages électorales. (Fowks : p. 69-79).
En 2000, deux nouveaux journaux « chicha » se sont unis à cette campagne :
La Yuca et Vistazo.
Des 17 journaux populaires existant jusqu‟à mai de 2000, 15 maintenaient une
ligne éditoriale de claire opposition aux autres candidats en mettant en
évidence qu‟il y avait toute un machine politique derrière, étant intéressé à
discréditer tous les opposants à Fujimori. La relation entre le Service
d‟Intelligence Nationale et ces médias a été prouvée par les enquêtes
judiciaires ouvertes après la chute de Fujimori. La stratégie utilisée par ces
médias, qui avaient un petit tirage (tiraje), était plutôt de fonctionner comme des
affiches, ou des brochures (panfleto), en étant accrochés dans les kiosques, et
en possédant des couleurs et des photographies attractives (principalement des
femmes à moitié nues).
Donc, la stratégie du régime d‟Alberto Fujimori, coordonné par le conseiller du
Service Nationale d‟Intelligence Vladimiro Montesinos, a utilisé une machine de
propagande politique qui devait non seulement mettre en évidence les réussites
du régime mais aussi discréditer ses adversaires (d‟autres candidates,
d‟institutions ou d‟organismes critiques au régime -tels que la Defensoría del
Pueblo ou l‟Association Civile Transparencia-, des médias de l‟opposition, etc.).
La pression exercée par le gouvernement, en profitant surtout des problèmes
financiers et judiciaires des médias, a permis l‟installation d‟une campagne
médiatique en faveur de la troisième élection consécutive d‟Alberto Fujimori.
Cette campagne allait de l‟attaque direct contre les opposants du régime, en
présentant des dénonciations journalistiques partiales (en utilisant seulement
une source toujours favorable au régime), contenant des propos insultants
109
discréditant les adversaires de Fujimori (tels que ceux-ci entrepris par América
Télévision et Frecuencia Latina, en accord avec d‟autres médias tels que le
journal Expreso -de claire soutien au régime- et les journaux « chicha »
(fonctionnant principalement comme des affiches de propagande
gouvernementale et de diffamation de l‟opposition) ; jusqu‟à la présentation des
lignes éditoriales caractérisant par une « partialité atténuée » -à travers de la
hiérarchisation dans l‟agenda informatif (dans le temps donnée à la
présentation de l‟information, dans la place occupée dans l‟agenda).
3.2. Du silence à l’ouverture informative110. Les médias lors de la
transition politique (le gouvernement de Valentin Paniagua)
Les nouvelles conditions politiques, résultat de l‟installation du gouvernement
de transition de Valentin Paniagua, ont marqué la recomposition de la scène
politique. En effet, ces conditions ont permis, aussi bien aux acteurs politiques
qu‟aux acteurs médiatiques, (auparavant discrédités ou opprimés par le régime
d‟Alberto Fujimori) d‟essayer de retrouver leur place dans le jeu politique ainsi
que d‟expliquer s‟ils avaient eu une liaison de proximité ou complicité avec ce
régime-là.
Cette tendance, qui permettait de déterminer le rôle des politiciens et des
médias péruviens au moment de la transition politique, a été entourée d‟une
ambiance politique de soutien vers le régime de transition de Paniagua ; et
d‟hypersensibilité sociale à tout fait qui pourrait être perçu par l‟opinion
publique comme un effort de déstabilisation du processus de transition. Cela,
surtout à cause des probables conséquences (sanctions, critique publique…)
qui pouvaient se présenter, et dont les médias n‟ont pas été étrangers.
110
LUJAN ANDRADE, Gisela, ¿Del silencio a la apertura informativa ? El papel de los medios de
comunicación televisivos durante el gobierno de transición democrática de Valentín Paniagua (2000-
2001) (Du silence à l’ouverture informative? Le rôle joué par la télévision péruvienne lors du régime de
transition démocratique de Valentin Paniagua (2000-2001), mémoire de Licence en Communication,
Lima, Universidad de Lima, 2003, 195 pages.
110
En effet, même si pendant la transition a commencé une grande étape pour la
liberté la de presse, la situation particulière de chaque média au moment de la
chute du régime d‟Alberto Fujimori a influencé leur comportement lors de la
transition 2000-2001. Les principaux facteurs qui conditionnaient la capacité
informative et de fiscalisation des médias pendant le gouvernement de
transition dépendaient, d´une part, du niveau de participation des médias, leurs
propriétaires et leurs journalistes dans le réseau de corruption établie pendant
le gouvernement de Fujimori ; et d‟autre part, de la diffusion publique des
preuves qui pouvaient confirmer cette participation.
« (A l’époque de Fujimori) on pouvait détecter des groupes dans le monde
journalistique péruvien: certains groupes essayaient de rester neutres ;
d’autres n’avaient pas honte de se vendre et de suivre le mandat de la
chaîne. Il y avait d’autres journalistes qui démissionnaient mais ils restaient
au chômage, sans aucune possibilité de travailler dans une autre chaine de
télévision parce que tous les médias télévisés appartenaient au pouvoir.
Tous. Dans la chaine 2 (« Frecuencia Latina »), les frères Winter avaient le
pouvoir, après avoir mis de côté Baruch (Ivcher) ; la chaine 4 était contrôlée
par les Crousillat ; la chaine 5 par (Ernest) Schutz ; la chaine 9 par Angel
Gonzalez.. C’est-à-dire, toutes les chaines de télévision étaient dans les
mains de Fujimori…. Mais, ca serait une chaîne de câble, Canal N, qui
transmettrait le connu « vladividéo » qui ferait tomber le régime (celle
montrant Vladimiro Montesinos en train de donner 15 mil dollars à un
parlementaire de Perú Posible, Alberto Kouri, pour qu’il démissionne de son
parti politique). A ce moment-là, ce n’était plus possible de cacher la vérité,
et la crise est arrivée aux chaînes de télévision... »
(Mávila Huertas, journaliste et présentatrice de télévision, « América
Noticias », América Télévision)
C‟est ainsi qu‟on a vu les médias qui avaient eu une participation active et
évidente dans la défense du gouvernement d‟Alberto Fujimori, et celles qui
avaient confronté les opposants du régime, élaborer des agendas médiatiques
de défense ou de justification par rapport á leur participation dans cette période-
là. De même, la continuation ou non continuation des Conseils
111
d‟administrations ayant eu des négociations avec Vladimiro Montesinos
pendant le régime de transition politique, mais surtout, l‟existence et la
postérieure diffusion des vidéos impliquant les propriétaires des médias ou les
journalistes, ont été des facteurs centraux pour déterminer le contenu de
l‟agenda de ces médias et leur position éditoriale pendant cette époque-là.
* Les enquêtes judiciaires ont impliqué dans des pratiques supposément
illicites pratiquement tous les propriétaires des médias qui avaient soutenu
Fujimori.
* Les propriétaires des médias en procès judiciaire continuaient à gérer
leurs médias et leurs contenus informatifs, étant les cas les plus relevants
ceux des chaines 4 et 5 et celui du journal Expreso.
* Les médias qui avaient une liaison avec la corruption ont adopté une
ligne éditoriale progressivement adverse aux procès d’investigation et
judiciaires. ...
* La crise économique est apparue dans presque toutes les chaines de
télévision. Il augmentait le nombre des journaux. La voracité des
informations alarmantes et sensationnaliste est accrue dans les médias.
Pendant la période de la transition politique, on a observé que les chaines de
télévision América Televisión et Frecuencia Latina et les journaux Expreso, El
Chino, et d‟autres journaux populaires appelés « chicha », dont leur
administration avaient une proximité évidente avec le régime d‟Alberto Fujimori
et dont leur agenda médiatique pendant la campagne électorale de 2000 a été
d‟attaque flagrante contre les candidats de l‟opposition, ont utilisé la plupart de
leur agenda médiatique soit pour justifier leurs actions, soit pour donner de
l‟espace de défense à leurs propriétaires et d‟autres acteurs politiques liés au
régime antérieur, soit pour critiquer de manière ouverte aux candidats de la
campagne électoral de 2001. Au début du processus, certains médias ont
essayé de discréditer le régime de transition (le cas de l‟émission télévisée
« Tiempo Nuevo », d‟América Televisiñn) mais, tel qu‟on l‟a mentionné
auparavant, l‟opinion publique se montrait contraire à n‟importe quel essai de
mettre en question le processus de transition et la qualité morale du Président
de la République et leur Cabinet de Ministres. La confrontation et l‟instabilité
112
des médias impliquées dans le réseau de corruption du régime de Fujimori sont
devenues plus critiques quand les vidéos impliquant leurs propriétaires,
spécialement ceux qui les montraient en train de recevoir de l‟argent des mains
de Montesinos en lui assurant l‟adaptation de leurs agendas aux intérêts
électoraux du régime, commençaient à être diffusées.
Le changement d‟administration dans les cas des chaînes de télévision qui,
d‟après les enquêtes judiciaires et des vidéos montrées, avaient encourut dans
le délit de manipulation informative et diffamation, et de négociation illicite, ont
marqué un changement dans le traitement de leurs agendas, cependant, du à
leur proximité du régime de Fujimori, soit comme complice ou allié, soit comme
victime ou centre de ses attaques, les médias ont montré un comportement
journalistique très attachés à la conjoncture, avec la claire intention d‟avoir une
présence active dans le jeu politique de la transition. La nécessité de répondre
aux demandes d‟information et à l‟ambiance de rendu des comptes installés
pendant la période de transition a fait que les médias se voient obligés à
marquer une distance par rapport aux actions de leurs propriétaires et leur
relation du régime antérieur, soient en soulignant leur position critique pendant
les années de Montesinos et Fujimori (ce qui est arrivé à la nouvelle
administration de Frecuencia Latina ou du journal écrit La República).
L‟état des médias au cours du gouvernement de transition politique de six mois
de Valentin Paniagua s‟est maintenu –dans la plupart des cas- pendant les
premières années du régime d‟Alejandro Toledo, en ayant une influence clé
grâce á leur rôle de pression vers le nouveau gouvernement. Celui-ci été
chargé de continuer les enquêtes judiciaires contre le régime antérieur et contre
et les acteurs politiques et médiatiques qui ont été leurs complices- enquêtes
démarrées par le régime de Paniagua.
3.2.1. La structure médiatique lors du régime de transition de Valentin
Paniagua :
Frecuencia Latina (Chaine 2) : Dans le cas de Frecuencia Latina, l‟actioniste
majoritaire Baruch Ivcher, qui avait perdu le contrôle de la chaîne en 1999, l‟a
113
récupérée le 6 décembre 2000, deux semaines après l‟installation du
gouvernement de Valentin Paniagua, en faisant accomplir un mandat de justice.
Ce jour la signale de transmission de Frecuencia Latina s‟est éteint pour revenir
quelques jours après.
La couverture journalistique de cette chaîne de télévision a changé
radicalement au cours de la gestion de Baruch Ivcher. Sa priorité était non
seulement de marquer une distance avec la gestion des frères Winter, qui
étaient au service du régime de Fujimori, mais aussi de dénoncer les actes de
corruption commise pendant le régime de Fujimori et de montrer la complicité
illicite existant entre les Winter et Vladimiro Montesinos. Baruch Ivcher est
retourné à Frecuencia Latina accompagné des journalistes qui avaient dû partir
après sa destitution, qui étaient partis vers la presse écrite d‟opposition (tel que
les journaux La República et Liberación) ou la télévision par câble (dans le
cadre des élections de 2000, le groupe El Comercio avait crée une chaîne de
télévision dédiée exclusivement à l‟information journalistique).
América Télévision (Chaine 4) : Dans le cas d‟América Télévision, même si la
famille Crousillat est restée dans la gestion d‟América Télévision pendant les
six mois du régime de transition, la gestion de José Enrique Crousillat et José
Francisco Crousillat, père et fils, a du être remplacé par celle de sa fille, Marisol
Crousillat, en mars 2001. Cette décision a été prise par les deux premiers en
prévenant les probables conséquences produites pour l‟évidente proximité
existante enter les Crousillat et le régime de Fujimori. Toutefois, les révélations
de documents et des vidéos impliquant ces chefs d‟entreprise diffusés pendant
la période de transition, et leur postérieur fuite pour l‟ordre de capture émis en
leur contre, ont crée une sérieuse instabilité dans cette chaîne de télévision en
faisant possible sa restructuration et le changement d‟administration en 2004,
lors du régime d‟Alejandro Toledo.
Le 30 janvier de 2001, Frecuencia Latina a rendue publique une conversation
téléphonique entre José Francisco Crousillat et Vladimiro Montesinos, dans
laquelle ils coordonnaient la transmission d‟un reportage à apparaître dans la
chaîne des Crousillat, América Télévision. Le 18 février, Frecuencia Latina et le
114
journal La República ont dénonce la signature d‟un contrat de location entre
José Francisco Crousillat et Vladimiro Montesinos, á travers lequel Crousillat
avait reçu 9 millions de dollars pour soumettre la ligne journalistique d‟América
Télévision aux intérêts du régime d‟Alberto Fujimori. Les Crousillat
reconnaissaient publiquement la vérité de ce contrat en justifiant leur décision
par les « chantages» entrepris par le gouvernement. Le 21 février le journal El
Comercio dénonce l‟existence d‟une vidéo où le père et le fils (Croussilat ?)
recevaient des mains de Montesinos plus d‟un million de dollars. Le 2 mars, le
Parlement montre trois vidéos qui impliquaient, eux aussi, les propriétaires de
cette chaîne de télévision. Le 10 avril, les Croussillat sollicitent à la justice d‟être
bénéficiaires de la Loi de Collaboration Efficace. Le 16 avril la Justice a
ordonné leur capture après leur fuite du pays. Tous les deux sont restés fugitifs
jusqu‟en mai 2006, quand la justice argentine (pays où ils demeuraient depuis
2002) a décidé de les extrader vers le Pérou. Ils ont été condamnés à 8 ans de
prison en aout 2006, pour avoir reçu de l‟argent de manière illicite du conseiller
présidentiel Vladimiro Montesinos afin de mettre la ligne éditoriale d‟América
Télévision en faveur du régime d‟Alberto Fujimori.
Panamericana Télévision (Chaine 5) : Pendant la période de transition, les
dénonciations journalistiques sur de probables accords économiques ont
montré que l‟actioniste majoritaire de Panamericana Télévision, Ernesto Schutz
Landazuri, avait aussi reçu de l‟argent des mains de Montesinos – et ce, même
si aucune vidéo montrant Schutz en train de recevoir de l‟argent des mains de
Vladimiro Montesinos est apparue. Cette situation a sans aucun doute affecté
l‟agenda de Panamericana Télévision, qui incluait dans son agenda médiatique
la transmission des communiqués de presse et la présentation des reportages
soit en défendant Schutz, soit en expliquant que les liens existant entre Schutz
et le régime n‟avaient jamais affecté le contenu de Panamericana Télévision.
Les premières dénonciations journalistiques contre Schutz et Vladimiro
Montesinos sont apparues en mars de 2001 : le 7 mars, le journal Libération
publiait des transcriptions informelles de deux vidéos enregistrant une réunion
entre Montesinos, Schutz et Manuel Delgado Parker (actioniste majoritaire de
Radio Programas del Perú). Le 8 mars, l‟agence informative Agencia Perú
115
(dirigée par la journaliste Cecilia Valenzuela -qui en 1993 avait dénonce que
Alberto Fujimori était de nationalité japonaise- et ayant des liens probables avec
Baruch Ivcher) révélait l‟acte judiciaire des deux vidéos mentionnées
auparavant. Dans cette vidéo Schutz explique à Montesinos : « Il faut préparer
le schéma de l‟émission-télé Pulso Electoral et que chaque invité fasse un
script à être donné à la présentatrice, afin qu‟elle sache quoi dire. Par exemple,
si on invite à un petit coq ou à un autre qui sait lutter afin qu‟elle le batte. Je dis
toujours à Monica (la présentatrice) de ne pas faire de questions malines sur toi
ou sur le gouvernement »111.
Les dénonciations journalistiques ont continué à apparaître dans les mois
suivants. En octobre 2001 (étant déjà au pouvoir Alejandro Toledo), est
apparue la vidéo qui démontrait que Schutz avait lui aussi reçu de l‟argent en
liquide (350 mil dollars) des mains de Montesinos. Schutz, déjà en Argentine, a
été capturé par l‟Interpol le 4 octobre. Schutz est sorti de prison le 28
décembre, après avoir payé une caution de 600 mil dollars.
Red Global (Chaine 13) et radio 1160: Vers la fin du gouvernement de
transition, le principal actionnaire de ces entreprises, Genaro Delgado Parker,
attendait la résolution judiciaire nécessaire pour récupérer leur control
administratif. En novembre 2000, la Corte Interaméricaine de Droits de
l‟Homme (CIDH) a sollicité que le gouvernement péruvien applique les mesures
nécessaires afin de garantir la dévolution de l‟administration de ces médias à
Delgado Parker.112
Journal Expreso: En janvier 2001, deux vidéos impliquant le directeur de ce
journal, Eduardo Calmell del Solar, ont été diffusées. La première montrait à
Calmell en train de recevoir, des mains de Vladimiro Montesinos, deux millions
de dollars comme résultat de la vente des actions d‟une chaine télévisée de
câble, CCN (Cable Canal de Noticias); la deuxième montrait Calmell del Solar
en train de recevoir un million des dollars, comme paiement pour les
111
Déclarations publiées dans le journal péruvien La República, le 12 march 2001. 112
SOCIÉTÉ INTÉRAMÉRICAINE DE PRESSE, Rapport de la moitié d’année : 2001. Pérou [en
ligne]. Disponible sur: http://www.sipiapa.org/espanol/pulications/mid3-peru.cfm (consulté le 26 mai
2009)
116
« compromis de collaboration » signés par Calmell, dans sa condition de
directeur de l‟Expreso. Après cette révélation, le directeur du journal, Calmell,
fut invité à démissionner. Calmell est devenu fugitif de la justice mais il a été
incarcéré dans son domicile.
Andina de Televisión ATV (Chaine 9): Le président du Conseil
d‟Administration, Julio Vera Abad, affrontait aussi un procès judiciaire pour avoir
reçu 50 mil dollars de Vladimiro Montesinos comme paiement pour la fermeture
de l‟émission journalistique de Cecilia Valenzuela et la dénonciation d‟une autre
journaliste critique du régime, César Hildebrandt. Jusqu‟à la fin du régime de
transition, Vera Abad était fugitif de la justice. Une ordre de capture a son
encontre a été émise par l‟Interpol.
Les journaux « chicha » : Pendant la transition politique de Valentin Paniagua,
les propriétaires de ces journaux affrontaient aussi des enquêtes judiciaires
pour les délits de diffamation et pour avoir reçu de l‟argent de l‟État à ces fins :
Moisés et Alex Wolfenson (El Chino), José Olaya (El Tío), Pablo Documet Silva
(El Chato, La Yuca et Conclusión) ; Alejandro Estenos et Ricardo Oliveri (El
Mañanero).
3.3. La structure médiatique et la situation judiciaire et économique des
médias péruviens lors du régime d’Alejandro Toledo :
Au moment de l‟arrivée au pouvoir d‟Alejandro Toledo, le Pérou comptait avec
environs 73 journaux, dont 25 était basés a Lima (la capital, avec 8 millions
d‟habitants). Parmi les journaux « sérieux » on trouve le journal El Comercio -le
seule en format standard, considéré comme le journal le plus ancien et le plus
sérieux (appelé le « doyen de la presse national »)-, La República, El Peruano
(le journal de l‟État), Expreso (dont le propriétaire, José Calmell del Solar
affrontait un procès judiciaire pour ses liaisons avec le régime d‟Alberto
Fujimori), Gestión, Correo (crée en 2001, après la chute du régime de Fujimori)
et Perú 21 (crée en 2003). Parmi les journaux « chicha » qui continuaient à
publier au début du gouvernement de Toledo et dont leurs propriétaires
117
affrontaient aussi des procès judiciaires étaient : Aja, El Chino, Extra, El
Popular, et Trome.
Concernant les médias télévisées et radiophoniques qui affrontaient des procès
judiciaires pour leur liaison avec le régime d‟Alberto Fujimori au moment de
l‟arrivé au pouvoir d‟Alejandro Toledo, on peut identifier :
- América Télévision : dont l‟administration appartenaient à la famille Crousillat
à cause de la fuite de ses principaux directeurs, José Francisco et José Enrique
Crousillat ; l‟administration de cette entreprise est restée en mains de la famille
Crousillat jusqu‟à février 2003, quand le groupe de télévision Plural TV,
conformé par les directoires des journaux El Comercio et La República, et
l‟entreprise colombienne Caracol TV, ont assumé son administration, après
avoir acheté le 55% des dettes leurs principaux créanciers (la banque Wiese
Sudameris, Televisa et Interbank).
- Panamericana Télévisión : dont le principal administrateur, Ernesto Schutz,
avait été impliqué dans les négociations illicites avec Vladimiro Montesinos.
Schutz a du affronter un procès judiciaire durant le régime d‟Alejandro Toledo.
L‟administration de l‟entreprise fut de responsabilité de Schutz jusqu‟à 2003,
quand la justice péruvienne ordonna la restitution de Genaro Delgado Parker,
comme l‟un d‟actionnaires principaux de la chaine télévisée ;
- Frecuencia Latina : dont les frères Samuel et Mendel Winter, anciens
propriétaires de la chaine télévisée, étaient en prison. En 2001, la chaine avait
retourné au pouvoir du principal actionnaire de l‟entreprise, Baruch Ivcher, qui
avait perdu son control en 1999.
- Radio Programas del Perú : dont le principal actionnaire, Manuel Delgado
Parker, avait vendu leurs actions de Panamericana Télévision afin de favoriser
l‟actionnariat d‟Ernesto Schutz, et affrontait aussi un procès judiciaire pour ses
liaisons avec Vladimiro Montesinos).
De cette manière, on peut voir que depuis le début du régime d‟Alejandro
Toledo, certaines administrations ayant eu une relation illicite avec le
gouvernement d‟Alberto Fujimori sont restées actives, tout en affrontant des
118
procès judiciaires pour corruption et mauvaise utilisation des ressources de
l‟État.
« Il faut se rappeler que le gouvernement de Toledo fut le premier avec une
durée constitutionnelle après la chute de la dictature de Fujimori... il a été
mis en évidence que les propriétaires des médias avaient reçu de l’argent
pour mettre à disposition du régime leur ligne éditoriale. Le control… fut
effectué depuis le Service d’Intelligence Nationale… (à travers la) guerre
psychologique plus ou moins constante… basée sur des information
fausses ou sur la mi-vérité … Tout cela a crée une sorte de structure… qui
au moment de la chûte de la dictature ne fut pas ni suffisamment exposée,
ni correctement défaite. »
(Gustavo Gorriti, journaliste et ancien collaborateur d’Alejandro Toledo)
Afin de prendre distance des investigations de leurs propriétaires, la stratégie
de ces médias a été de transférer l‟actionnariat à d‟autres membres des
conseils d‟administration. Les enquêtes ont duré presque deux ans (jusqu‟à
2002). Dans la plupart de cas, il s‟est produit un changement total de ces
conseils.
Les deux ans de procès judiciaire des médias télévisées, radiophoniques, et
écrites, dont leurs propriétaires étaient en train d‟affronter des procès judiciaires
pour les délits de détournement de fonds et de complot pour commettre un
crime ont, sans doute, influencé la relation d‟une bonne partie de la presse
péruvienne et du régime d‟Alejandro Toledo.
D‟ailleurs, ces médias affrontaient d‟énormes dettes des médias, acquises mais
aussi « pardonnées » pendant le régime d‟Alberto Fujimori. Cette situation a
aussi crée un climat de tension permanente entre ces entreprises et
l‟organisme étatique chargé de la récollection des impôts, le « Sunat ».
Donc, on peut affirmer que la structure médiatique héritée des années du
régime de Fujimori, et la présence des nouveaux journaux et d‟espaces
télévisées ayant comme devise la vigilance de l‟exercice du pouvoir, ont
119
contribué à dessiner le panorama politico-médiatique lors du régime d‟Alejandro
Toledo, surtout au cours des trois premières années, à partir du moment où les
procès judiciaires contre les propriétaires des médias complices du régime
d‟Alberto Fujimori aboutaient en résultats concrets, et que les administrations
de certains médias commençaient à changer.
120
IV. Le journalisme et le déclenchement des scandales politiques lors du
régime d’Alejandro Toledo : Une analyse de la pratique journalistique
dans la construction des scandales, et les facteurs « externes » ayant y
influencé.
Suite à la révélation du grand réseau de corruption gouvernementale du régime
précédent d‟Alberto Fujimori, il s‟est installé un climat de surveillance
permanente de l‟exercice du pouvoir, et d‟intolérance envers n‟importe quel
acte de corruption gouvernementale. Cette prédisposition publique, initiée
durant le gouvernement de transition politique, s‟est intensifiée durant le
gouvernement d‟Alejandro Toledo. Toutefois, la cible de cette surveillance ne
fut plus le régime d‟Alberto Fujimori (dont le procès était en cours), mais le
gouvernement d‟Alejandro Toledo. Une tendance à laquelle les médias n‟ont
pas été étrangers.
Les scandales politiques sont principalement des événements médiatiques,
dans toute analyse expliquant leur fréquence élevée, était liée à la participation
des médias dans leur déclenchement. Le cas péruvien ne fut pas étranger à
cette étroite relation. Surtout à l‟époque du gouvernement d‟Alejandro Toledo,
un Président dont l‟exercice s‟est vu sérieusement affecté par les fréquentes
dénonciations déclenchées par les médias: Toledo initia sa gestion avec un
indice de satisfaction de 55%, lequel est tombé jusqu‟à 8%, puis 7%, entre
2003 et 2004, à raison des fréquentes dénonciations contre lui, et son
gouvernement (toutes entourées de protestations sociales fréquentes113).
A quel point les actions du régime, de son Président, et son entourage le plus
proche ont été un facteur d‟influence ? Est-ce que le niveau de corruption
enregistrée lors du régime d‟Alejandro Toledo était si significatif, au point de
déclencher des scandales si fréquents ? Ou est-ce que cette haute fréquence
113
Parmi les protestations sociales les plus importantes on peut mentionner: entre juin et juillet 2002, des
protestations dans le sud du pays, principalement à Arequipa, contre la privatisation des entreprises
d’électricité Egasa et Egesur. Les membres de cette communauté protestaient contre la décision du
régime, en contrevenant la promesse électorale d’Alejandro Toledo de ne pas vendre ces entreprises. Ces
protestations ont provoqué la destitution du premier Cabinet de Ministres de Toledo et l’installation d’un
État d’Urgence dans cette région-là. 113
En 2003, une grève générale des professeurs, médecines,
infermières, fonctionnaires du pouvoir judiciaires, agricultures, créa un climat de tension politique en
provoquant la démission de plusieurs ministres.
121
peut s‟expliquer à cause de la situation « particulière » pendant laquelle les
médias péruviens se trouvaient durant –au moins- les trois premières années
de son mandat : les enquêtes judiciaires initiées contre les acteurs ayant
participé de ce réseau de corruption continuaient, impliquant –parmi d‟autres-
les médias qui avait négocié leurs lignes éditoriales afin de les rendre
favorables au régime de Fujimori.
La révélation de la participation des médias dans la corruption « fujimorista » a
eu un impact négatif sur l‟image des médias en général, lesquels possédaient
une faible crédibilité dont l‟indice était de 8% en 2001. Cependant, cette
conséquence sur le journalisme péruvien peut expliquer la fréquence des
dénonciations politiques contre le nouveau régime ? Est-ce qu‟on peut affirmer
que les médias ont obtenu des avantages « politiques, commerciaux,
économiques » dans la surveillance permanente des actions du Président, de
son entourage politique, et personnel, jouant un rôle central dans le
déclenchement des scandales politiques l‟ impliquant?
Les probables réponses à ces questions trouve leur source dans l‟histoire
politique récente du pays : la révélation d‟un grand réseau de corruption
impliquant les médias péruviens, l‟intérêt de certains médias à faire pression
sur le nouveau gouvernement chargé de faire les enquêtes judiciaires contre ce
réseau de corruption, la présence encore forte des acteurs politiques impliqués.
Et le climat de surveillance du pouvoir, ajouté à l‟intolérance contre la
corruption ou l‟abus de pouvoir installé après la chute d‟Alberto Fuijmori.
On a déjà parlé des facteurs dans l‟introduction, et la troisième partie de cette
recherche. Dans ce chapitre on va reprendre ces facteurs, afin de les utiliser
pour mettre en contexte les facteurs « touchant directement » le champ
journalistique existant lors de la post-transition, cela signifie, ayant une
influence directe sur la pratique journalistique.
Les déclarations des journalistes interviewés –déjà inclues dans les chapitres
précédents-, à propos de leur participation dans les principales dénonciations
impliquant le gouvernement d‟Alejandro Toledo (identifiées et analysées dans le
122
chapitre II), nous ont servi à identifier les facteurs influençant directement le
champ journalistique.
D‟après leurs déclarations, on a qualifié comme de « facteurs externes » ceux
qui font référence, plutôt que les acteurs appartenant au champ politique de la
post-transition : le Président, son entourage personnel, son gouvernement, son
parti politique ; de même qu‟aux valeurs politiques, sociales ou morales
installées dans la période de post-transition (intolérance vers la corruption,
surveillance de l‟exercice du pouvoir, transparence informative, respect de la
liberté de presse) ; toutes ayant influencé le champ journalistique de la post-
transition. Concernant les « facteurs internes », on a considéré comme tels,
ceux qui résultaient de l‟influence du climat politique sur la pratique
journalistique : la renaissance du journalisme d‟investigation, le fait d‟être
d‟opposition comme un facteur « différentiel », justification du rôle journalistique
de contrôle du pouvoir, etc.
4.1. Les « facteurs externes » du champ politique ayant influencé sur le
champ journalistique de la post-transition.
4.1.1. L’héritage du réseau de corruption lors du régime d’Alberto
Fujimori : la crédibilité du journalisme mise en question.
La diffusion des vidéos (entre 2000 et 2002) montrant que les propriétaires des
médias avaient reçu de l‟argent des mains de Vladimiro Montesinos afin de
soumettre leur ligne éditoriale aux intérêts du régime (ayant pour but de gagner
les élections 2000), a mise en question la crédibilité des médias, et leur
indépendance par rapport aux délits de corruption, et abus du pouvoir du
régime d‟Alberto Fujimori.
La participation de certains médias dans le réseau de corruption du
gouvernement de Fujimori n‟a pas seulement touché les médias impliqués –
dont les administrations n‟ont pas changé durant les deux premières années du
régime d‟Alejandro Toledo- mais la situation du journalisme péruvien en
123
générale. Cette situation a conditionné leur ligne éditoriale d‟une manière ou
d‟une autre. L‟option fut, donc, d‟exercer un rôle plus actif dans la surveillance
de la vie politique. L‟exigence du contexte vécue l‟exigeait, et les médias ne
pouvaient pas être y étrangers.
« La plupart voulait effacer de la mémoire du public leur relation avec le
régime de Fujimori... ils voulaient récupérer leur crédibilité, et pour telle raison,
ils ont commencé à attaquer le régime et son Président. Leur propos était la
récupération de la confiance de la population. Mais aussi de dire que c’était
leur rôle aujourd’hui… Par contre, le cas de Perú 21 était différent parce qu’on
n’avait pas le même passé. On n’avait pas commis les erreurs des années 90.
Perú 21 arrivait comme une nouvelle presse, du siècle 21. Elle promettait aux
lecteurs une information sur les actions du régime… Je crois que Perú 21
avait conscience de son rôle social, de son rôle de contrôle, et de
surveillance. Conscience d’être une sorte de mur au pouvoir illimité du régime
antérieur… afin d’envoyer un message au régime actuel : « Cholo , tu ne
pourras pas faire ce que tu veux parce qu’on est ici … Il ne s’agissait pas de
« tuer »Toledo pour rien, non plus de publier des scandales sur lui pour le
simple désir de le faire.. Ou de vendre… je crois qu’on était conscient de
notre rôle de surveillance…et à la fin, on l’a fait vraiment… » (Alejandra
Costa, Perú 21)
Différents facteurs peuvent expliquer cette tendance généralisée parmi le
journalisme péruvien. L‟un d‟eux fut le poids historique-politique du régime
d‟Alberto Fujimori (possédant l‟hégémonie du pouvoir pour dix ans), de la
révélation du grand réseau de corruption existant durant ce régime-là (dont la
participation de plusieurs propriétaires de médias a mis en question la
crédibilité des médias), elle a été déterminante pour faire de la médiatisation
en général, une question importante provenant du public après le mandat de
Fujimori.
Ce climat de d‟interrogations et d‟enquêtes sur sa corruption lors du régime
d‟Alberto Fujimori a été prioritaire durant la transition politique (présidé par
124
Valentin Paniagua, de novembre 2000 à juillet 2001). De même, il a marqué
l‟agenda électoral lors des élections de 2001 (voir Introduction). L‟évaluation du
passé politique des candidats, leur qualité morale, et politique, leur relation
avec la corruption du régime de Fujimori, prenant naissance au travers de
discours politiques, et d‟agendas informatifs des médias. Cette tendance a
créé un climat de tension politique, lequel a perduré, et s‟est intensifié durant le
régime démocratique d‟Alejandro Toledo.
La structure médiatique existant durant le gouvernement d‟Alberto Fujimori ne
fut pas démantelé durant les premières années du régime d‟Alejandro Toledo,
plusieurs propriétaires,s et journalistes étaient suspectés d‟avoir reçu de
l‟argent de l‟État afin d‟engager les lignes éditoriales des médias au service de
la campagne de réélection d‟Alberto Fujimori.
« … Des groupes ayant des liaisons avec le régime de Fujimori avaient
décidé de pratiquer le journalisme d’investigation… Pour eux, le plus
important était le déclenchement des scandales. » (Gustavo Gorriti, Idéele)
“C’est vrai aussi qu’il y avait des montesinistas devenus journalistes, ceux qui
travaillaient pour des journaux tels que Expreso et La Razñn… Ils voulaient
faire tomber Toledo, et de cette manière, autoriser l’impunité de Fujimori, et
de Montesinos.... Je me suis posé la question et , si : Correo faisait parti de
cette machination cherchant la chute de Toledo (à cause du passé politique
du directeur, Carlos Tafur)... En tout cas, mon travail s’est jamais vu affecté
pour cette raison » (Orazio Potestá, Correo)
4.1.2. Le poids de l’intérêt politique des opposants et dissidents du
régime d’Alejandro Toledo : l’opposition politique, et les dissidents du
parti politique gouvernemental comme principal source des médias
« C’est très rare de trouver la source qui donne l’information mettant à l’
honneur la liberté d’expression… la plupart des gens intéressés, qu’il s’agisse
d’un homme politique qui veut rendre public une information qui peut
discréditer son opposant…; soit un personnage provenant du parti du
125
régime… les sources recherchent habituellement le soutien des médias
parce qu’ils pensent que leur dénonciation aura beaucoup plus d’impact”.
(Augusto Alvarez Rodrich, Perú 21)
« L’opposition, l’APRA, profitaient souvent des opportunités …. Les
parlementaires restaient d excellentes sources… si une dénonciation n’avait
pas l’impact attendue, ils essayaient une nouvelle fois avec une autre… La
commission de Fiscalisation du Parlement est devenue une source majeure.
Si le régime avait une majorité dans le Congrès, elle n’avait pas l’expérience
politique, ce qui était différent dans le cas de l’Apra, qui avait la présidence de
cette commission et, par conséquent, avait la capacité de solliciter
l’information, et appeler le Premier Ministre afin de se présenter auprès du
Parlement… » (Jorge Saldaña, El Comercio)
Au Pérou, la crise de partis politiques existant depuis les années 80, le système
antipolitique installé durant les années 90 lorsque le régime d‟Alberto Fujimori,
la perte de confiance des citoyens par rapport à la capacité des partis
politiques traditionnels de satisfaire leurs demandes, et de résoudre les
principaux problèmes du pays (le chômage, la pauvreté, la violence interne),
ont affaiblie sérieusement la crédibilité des politiciens, et leur capacité de
représentation.
La « démocradure » ou « autocratie » de Fujimori –aussi qualifiée comme un
régime d‟autoritarisme compétitif (Tanaka) parce qu‟il s‟agissait d‟un régime
démocratique au niveau formel qui a fonctionné avec une logique autoritaire- a
imposé une « logique anti-institutionnelle » et « anti-partisane » formalisée
dans la Constitution Politique de 1993, instaurant « des mécanismes de
démocratie participative et directe projetés comme des alternatives à la
démocratie représentative des partis, supposément caduques ».114 De cette
façon, durant la décennie de Fujimori s‟est installé au Pérou un système sans
partis politiques: la politique est réalisée par des acteurs marqués par la
114
TANAKA, Martín, “El gobierno de Alejandro Toledo, o cómo funciona una democracia sin partidos”
(“Le gouvernement d’Alejandro Toledo, ou comment marche une démocratie sans partis) [en ligne]. In:
Política, 2004, Lima, no. 42, p. 132-133. Disponible sur:
< http://redalyc.uaemex.mx/pdf/645/64504207.pdf> (consulté le 30 juillet 2008)
126
désidéologisation, le personnalisme, la volatilité, l‟improvisation, et la précarité
des leaderships, le « cortoplacismo » (le délais court) de leur rationalité, leur
pragmatisme excessif, a eu pour conséquence, l‟impossibilité pratique de faire
des calculs à moyen ou long terme, et a rendu difficile le développement de
comportements coopératifs.
La crise du système des partis politiques péruviens a pu être évidente dans la
volatilité des voix enregistrées durant les élections de 2000 et 2001. Lors des
élections 2000, x groupes politiques se sont présentés. La plupart de ces
groupes était des nouveaux partis politiques formés pour les élections, Ils
appartenaient à d‟anciens membres des partis traditionnels possédant d‟infimes
intentions de voix: Perú Posible (le parti d‟Alejandro Toledo) ; Solidaridad
Nacional (représenté par l‟ancien maire de Lima Luis Castaðeda Lossio, et
formé par d‟anciens membres d‟Izquierda Unida et Acciñn Popular) ; Somos
Perú (représenté par l‟ancien maire de Lima Alberto Andrade Carmona, et
formé par d‟anciens membres du PPC), etc. Les partis traditionnels se sont
aussi présentés dans les élections, mais dans quelques cas, en faisant partie
de nouvelles alliances électorales : PPC, Acciñn Popular, dans l‟alliance Unidad
Nacional. Le seul parti politique traditionnel qui s‟est présenté comme tel était
l‟APRA, le parti d‟actuel président du Pérou (2006-2011), Alan García Pérez.
Le poids politique de la corruption gouvernementale du régime d‟Alberto
Fujimori a sérieusement touché les différents acteurs politiques aspirant
d‟obtenir une place dans la nouvelle scène politique péruvienne. Une fois
installé le nouveau régime démocratique d‟Alejandro Toledo, ses acteurs on
trouvé de nouvelles conditions pour retrouvers leurs places, et récupérer la
confiance de l‟opinion publique.
On a déjà expliqué que depuis la transition politique, il existait un climat
généralisé de surveillance de l‟exercice du pouvoir, et d‟hypersensibilité contre
n‟importe quel acte politique considéré comme corrompu. Ce climat s‟est
intensifié durant les élections 2001. Il continuait au régime d‟Alejandro Toledo.
127
« Durant l’époque de Toledo, il y avait les procès contre la corruption, contre
Montesinos. On était à la chasse de Fujimori, etc. .. Et il est vrai qu a ce
moment-là il avait commencé un essai concret pour faire tomber le
gouvernement… Dans un moment donné, García lui-même était impliqué… il
existait une coalition étrange entre la gauche, et tous ces groupes…
Quelques groupes, tel que la CGTP (syndicat des travailleurs) et d’autres on
constaté les conséquences, et ils ont arrêté. Dans ce contexte, il commence
l’essaie de déstabiliser le régime à travers le scandale quotidien, surtout de la
part de quelques groupes liés à la mafia. Leur propos était de créer une
impression d’instabilité qui indiquait incompétence élémentaire pour
gouverner. C’est à partir de ce moment-là que la dénonciation des signatures
falsifiées est sortie » (Gustavo Gorriti, Idéele)
Afin de récupérer la confiance des électeurs par rapport à leur capacité de les
représenter, les partis politiques ont contribué de manière décisive à installer
un climat de surveillance, et de critique permanente de la part des politiciens
contre le nouveau régime d‟Alejandro Toledo. Il était plus faible que celui de
Fujimori sur le plan politique et stratégique. Comment ? A travers la production
permanente des dénonciations capables de déclencher des scandales. C‟était
la stratégie utilisée par la plupart des acteurs politiques afin de récupérer leur
crédibilité, mise en question par leur participation au régime d‟Alberto Fujimori.
En effet, les scandales politiques représentent la mise en œuvre de « la
politique de la honte » (the politics of embarrassment), c‟est-à-dire, des
moments où les acteurs politiques envisagent la publication d‟informations
ayant la capacité de miner la crédibilité, et la réputation de leurs adversaires
politiques. Cette capacité était plus visible et plus efficace dans une époque où
le succès d‟un politicien dépendait plus de « leurs titres personnelles » et des
sympathies déclenchées par les électeurs.115
C‟est pour cette raison que le pouvoir des scandales comme celui des
stratégies implémentées dans le jeu politique résident dans la capacité de
115
TUMBER, Howard, et WAISBORD, Silvio, “Political Scandals and Media across Democracies”.
American Behavioral Scientist, no. 47 (7-8), 2004, p.1036.
128
miner le capital symbolique sur lequel l‟exercice du pouvoir politique dépend. La
destruction, ou la détérioration de la crédibilité des politiciens implique
l‟affaiblissement des sources du pouvoir politique, puisqu‟il a la capacité de
détruire, ou de détériorer la réputation des politiciens. Par conséquent, détruire
leur crédibilité, et affaiblir leur capacité de persuader, et d‟influencer l‟opinion.116
Selon cette perception, le scandale devient une tentative pour influencer
l‟opinion publique. Elle est principalement utilisée par des groupes intéressés
par le pouvoir.
Les acteurs politiques de l‟opposition politique du gouvernement de Toledo ont
accomplit un rôle fondamental dans la configuration de cette sensibilité publique
de surveillance de l‟exercice de la politique, et de la sanction publique contre
les actes de corruption. Le fait que les partis politiques opposant au régime
possèdent une majorité parlementaire, et qu‟ils obtiennent la présidence des
principaux commissions parlementaires, telles que la commission de
fiscalisation, et celle de l‟anti-corruption leur ont donné une position centrale
dans la production des dénonciations contre le nouvel régime.
a. L’opposition politique.
C‟était le cas du principal parti politique d‟opposition, l‟APRA (Alliance Populaire
Révolutionnaire Américaine), dont le leader était Alan García Pérez –ancien
Président du pays (1985-1990), exilé du Pérou lors du régime d‟Alberto Fujimori
et principal opposant d‟Alejandro Toledo lors des élections 2001 ; García Pérez
est Président du Pérou depuis 2006.
« L’opposition politique était principalement l’APRA. (Le parlementaire
Javier) Velásquez Quesquén était le Président de la Commission de
Fiscalisation du Parlement. Donc, on avait aussi le Parlement qui enquêtait
sur le gouvernement et qui donnait des informations aux journalistes. Cette
commission était extrêmement importante. » (Alejandra Costa, Perú 21)
116
THOMPSON, John. Political Scandal: Power and Visibility in the Media Age (Scandale politique:
pouvoir et visibilité dans l’ère des médias), Malden, Blacwell, 2000, p. 103.
129
La centralité de l‟APRA dans la fiscalisation permanente de l‟exercice du
pouvoir s‟est vue aussi renforcée du fait qu‟il s‟agissait d‟un parti politique
possédant d‟une organisation interne plus solide que celle du parti du
Président. Cette caractéristique lui permettait aussi d‟appliquer des stratégies
de communication avec la presse plus efficaces que celles du régime.
« L’Apra a été un acteur politique très important… et l’Apra est un parti
politique qui a beaucoup d’années d’existence, à la différence du parti
politique de Toledo … Pour l’Apra, être dans l’opposition était facile, parce
que le parti de Toledo n’était pas organisé, et il n’avait pas de réels
supporteurs … Toledo ne comptait pas sur une structure partisane qui
pouvait le protéger de certaines dénonciations. Donc, pour l’opposition
pouvait le critiquer facilement… Par exemple, dans le cas de la relation
avec les médias, les gens de l’Apra avaient beaucoup plus d’expérience,
parce qu’il s’agissait de gens qui travaillaient au Parlement depuis des
années… donc, les journalistes les connaissaient très bien. L’équipe de
Toledo était constituée par des inconnus… ». (Mávila Huertas, América
Televisión)
Mais l‟APRA n‟était pas seulement le parti politique d‟opposition pour devenir
une source clé dans la production des dénonciations journalistiques impliquant
le Président, son entourage politique, et personnel ainsi que son parti politique.
Ce fut le cas par exemple du parti Unidad National (centre-droit), dont le
parlementaire Rafael Rey –qui avait eu une relation de proximité avec l‟ancien
Président Alberto Fujimori- s‟est constitué comme l‟un des sources principales
des dénonciations contre le Président Alejandro Toledo. Le scandale de la
falsification massive des signatures du parti politique Perú Posible, dont Rey a
été le principal dénonciateur, est l‟un d‟exemples les plus remarquables.
“L’Apra, tout d’abord... Rafael Rey, en deuxième place… Rey n’a jamais été
notre source, mais je sais qu’il donnait beaucoup d’information aux médias.
L’Armée aussi, qui était Montesinista. Ainsi que la Marine. De même
quelques ex-alliés du Perú Posible, tel qu’Alvaro Vargas Llosa, étaient des
sources très importantes pour nous, je n’ai aucun problème pour l’affirmer. Je
130
pense qu’entre Alvaro, l’Apra et les montesinistas, mais aussi Rey, et les « ex
alliés » dans un deuxième cas, « les veuves du pouvoir », ont été les sources
qui concentraient la plupart de l’information qui était à la disposition des
journalistes » (Orazio Potestá, Correo)
« Au-delà de (Rafael) Rey, on avait aussi à (Javier) Velasquez Quesquén
(Apra), qui était une source très importante pour tous les médias…. Il était
bien informé et,en plus, il avait l’information provenant de la commission de
fiscalisation, qui était aussi une espèce d’Unité d’Investigation… Il y avait
aussi beaucoup de sources militaires qui tentaient de redorer l’image de
l’Armée… » (Alejandra Costa, Perú 21)
- L‟opposition politique était aussi composée par des gens provenant du secteur
directement impliqué dans la corruption existant durant le régime d‟Alberto
Fujimori, et par des gens qui avaient perdu les privilèges politiques, et
économiques obtenus grâce à leur proximité avec le gouvernement précédent.
«... Les alliés de Fujimori le détestaient parce que durant son régime il
commença la lutte contre la corruption…. » (Roxana Cueva, América
Télévision)
« Je crois qu’il s’agissait principalement de ceux qui avaient perdu du
pouvoir. Ils n’étaient pas nécessairement des fujimoristas, mais il s’agissait
des gens qui avaient eu un quota important de pouvoir durant le régime de
Fujimori…» - Roxana Cueva, América Télévision)
D‟après les journalistes ayant manipulé ces informations, consulter ces sources
n‟impliquait pas un conflit déontologique, car la vérification de la légitimité de
ces dénonciations dépendait du travail journalistique. Pour certains journalistes,
le but d‟informer, et d‟arriver à la vérité dépassait les intérêts politiques des
sources, même si ces objectifs envisageaient un changement de régime.117
117
« C’est claire qu’il y avait de permanents essaies de faire chuter (Toledo), provenant de différents
secteurs. L’APRA l’avait fait dans un moment donné ; de même, les fujimoristas… Mais, malgré tout,
depuis 2002 et 2003, l’économie a commencé à améliorer, ce qui a été un facteur important, et on
131
« (Il y avait beaucoup de dénonciations parce) qu’il y avait beaucoup de gens
intéressés au retour de Fujimori, et Montesinos. Jusqu’à ce moment-là, aucun
militaire n’avait été emprisonné. La plupart des collègues étaient en liberté.
Donc, ces personnes voulaient que Toledo parte, parce que le système
anticorruption fonctionnait plus ou moins bien… (Concernant) notre travail
journalistique durant le gouvernement de Toledo, contre le Président. On a dû
être consulté par les gens liés à (Vladimiro) Montesinos. Mais, dites-moi si en
journalisme d’investigation, on trouve des sources pures. C’est impossible !
On a eu des sources provenant du montesinismo, de l’APRA… on a eu des
sources provenant de différents secteurs. … Mais la chose la plus importante,
est que cette consultation des sources nous a emmenés à une conclusion :
enquêter et publier …» (Orazio Potestá, Correo)
« Tous les jours il y avait quelqu’un qui frappait la porte, afin de te donner une
cassette, un enregistrement audio,… c’est pour telle ou telle raison qu’il était
difficile de travailler. Il y avait trop des dénonciations qui semblaient être
parfaites, mais cette perfection était suspecte… Donc, il fallait être méticuleux,
et étudier l’information qu’on recevait… » (Roxana Cueva, América
Télévision)
b. Les dissidents du parti gouvernemental :
« Les dénonciations venaient parfois du régime parce qu’il affrontait de
vraies luttes intérieures.. Il y avait beaucoup de gens qui se battaient pour
obtenir un poste dans le régime, ou pour obtenir un budget plus important
pour leur administration… je pense que les tensions existant à l’intérieur du
gouvernement de Toledo étaient plus fortes que celles qui existaient entre
l’opposition, et le régime » (Augusto Alvarez Rodrich, Perú 21)
commençait à s’en sortir de la récession étant résultat du régime de Fujimori… tout cela a aidé à que
cette intention ne réussisse pas… Les gens ne voulaient pas non plus une situation de chaos
permanente… » (Fernando Rospigliosi, entretien fait à Lima le14 mai 2008, Lima, Pérou).
132
La crise de représentation des partis politiques péruviens a motivé la
conformation des nouvelles alliances électorales ou des partis conformés pour
les élections. Cette situation a motivé l‟installation des relations contractuelles
entre les acteurs politiques, qui se rencontrent en suivant des intérêts
particuliers.118 Cette situation n‟a pas semblé étrange au parti politique du
régime, Perú Posible.
Le manque d‟engagement politique de la plupart de ses membres a facilité les
disputes entre eux, elles ont été diffusées dans l‟espace médiatique. Leur
insatisfaction au moment de la répartition du pouvoir, duquel ils ont été écartés,
ils s‟expriment de manière fréquente à travers la filtration d‟information aux
médias. Ils révèlent des secrets politiques existant dans l‟entourage (familier et
politique) du Président, et de la dénonciation publique contre certains membres
du régime ; en laissant au Président « en total abandon à l‟intérieur du parti du
régime, tant au niveau éthique, qu‟au niveau moral ».
“.. L’un des principaux problèmes de Toledo était que son parti politique
était le résultat de la somme des individualités, il n’y avait pas
nécessairement une pensée idéologique le soutenant et unifiant… son
régime avait des techniciens, oui, des gens qui voulait faire tomber aux
mains du « chinois » (Fujimori), ce qui les approchait de Toledo d’une
manière ou d’une autre… cependant, il ne s’agissait pas de la pensée
d’Haya de la Torre, qui se passait dans l’Apra, un parti plus organisé
portant des bases politiques décentralisées dans tout le pays… » (Mávila
Huertas, América Télévision)
“ (Lors du régime de Toledo), un ministre, ou un fonctionnaire était plus
concentré à se protéger et, par conséquent, s’il y avait un problème
compliqué, il ne s’en mêlait pas, car il avait peur de se brûler, et de perdre
son poste. Donc, généralement, la plupart ne sortait pas pour faire face
aux problèmes difficiles … Toledo n’avait pas un parti politique, il n’avait
118
La relation entre clientélisme, corruption et scandale est aussi signalée par Theodore Lowi (1988) au
moment de qualifier les scandales comment des cas de « corruption révélées » (« scandals are corruption
revealed »).
133
que des amis, et des alliés. Cela soulignait un véritable problème... chaque
un des membres du régime se dirigeait vers de leur propre coté. Chacun
d’entre eux avait son propre business. Il se moquait du gouvernement. … Donc,
il n’y avait ni cohérence, ni solidarité face aux problèmes politiques. .. Il n’y avait
réellement aucune chance de trouver une réponse aux problèmes politiques de
façon cohérente et organisée... » (Fernando Rospigliosi, Caretas)
Le risque et la fragilité politique de ces partis n‟ont été remarqués par le parti du
gouvernement. Le manque de liaisons solides dans le parti politique du régime
d‟Alejandro Toledo, Perú Posible, et la désorganisation y existant ont été
rendues publiques à travers les médias, par la révélation d‟une dispute
permanente au sein de ses membres et du gouvernement. Cette situation a
créé une perception non seulement de désordre, et d‟indiscipline du parti
gouvernant, mais aussi du manque de leadership de la part du Président. Cette
indiscipline et le manque de cohésion à l‟intérieur du parti a continué jusqu‟à la
moitié de 2004, le parti a du souffrir la démission de six parlementaires.119
En effet, la probabilité de rupture des accords établis entre les politiciens, du
même parti, et entre les partis adversaires, s‟est révélée plus importante à
l‟heure actuelle car les liens contractuels étant établis entre eux sont si
éphémères, et changeants. La crise actuelle affrontée par les partis politiques a
motivé la formation de coalitions électorales et, que l‟élection de
gouvernements de coalition (sans majorité parlementaire), soient plus pratiquée
dans la politique moderne. Ces coalitions sont généralement temporaires. Elles
ont dans la plupart des cas pour seul objectif, d‟obtenir une victoire électorale.
Ces coalitions sont aussi le résultat de faibles liens, lesquels sont -au même
temps- résultat des pratiques clientélistes, et d‟échanges de faveurs, et
d‟investissements qui devront être récupérées une fois le but soit atteint.
Toutefois, on ne veut pas dire que la pratique de corruption se soit plus
intensifiée aujourd‟hui qu‟auparavant. Par contre, il est vrai que grâce à la
centralité des médias (ayant été stimulée, entre autres raisons, par les
119
TANAKA, Martín, Op.cit, p. 39.
134
conditions des systèmes démocratiques : la transparence informative, le rendu
des comptes (accountability) et la liberté d‟information et de presse y existant)
dans la configuration du jeu politique contemporaine les actes de corruption
sont aujourd‟hui plus visibles. Les caractéristiques des démocraties
contemporaines permettent de l‟existence de plus de liberté pour s‟exprimer et,
par conséquent, pour critiquer le pouvoir, pour le surveiller ou pour rendre
effectif le « compte rendu » des actes publics. De cette façon, puisque les
libertés d‟information, et de critique sont respectées par le système
démocratique, il en résulte une facilité à dénoncer les transgressions commises
à l‟intérieur publiquement de manière plus fréquente.
Les conflits existants au sein du parti du régime, Perú Posible, et au sein du
même gouvernement ont aussi forcé le Président à agir comme étant
« l‟arbitre » des disputes, en s‟inclinant parfois vers le côté technocratique, et
parfois vers le côté populiste, ce qui a généré rapidement l‟image d‟un
Président incohérent, et erratique qui prenait des décisions sur une base de
concessions face à ceux qui lui faisaient de la pression.
En outre, la décision du Président de conformer, depuis le début de son régime,
un Cabinet de Ministres formé principalement par des acteurs non politiques,
« des techniciens indépendants » du parti Perú Posible, a généré un sentiment
généralisée d‟insatisfaction parmi les membres de son parti politique.
On a déjà mentionné les raisons de telle décision : le manque d‟organisation
politique de son parti politique, absence d‟un plan de gouvernement car les
probabilités de gagner les élections étaient minimales. Les demandes de
participation de différentes organisations politiques ayant soutenu la
candidature de Toledo dans les élections de 2000, et ayant participant dans les
processus de transition politique, etc. -
L‟imagination de ses coreligionnaires, et les reformes impulsées par le Conseil
de Ministres ont provoqué une distanciation entre le Pouvoir Exécutif, et le parti
officiel qui s‟est exprimé comme lors de conflits parfois compliqués et pour la
plupart publics. Perú Posible a essayé de saboter, ou de limiter les initiatives
135
des ministres indépendants, qui ont souvent manifesté. C‟était les
parlementaires, et d‟autres acteurs appartenant au parti du régime qui étaient
les principaux obstacles de leur gestion et du même gouvernement.120
Le centralisme de l‟opposition politique, et des dissidents du parti politique Perú
Posible ainsi que du régime, impliquait le régime d‟Alejandro Toledo dans la
production des dénonciations journalistiques, et le déclenchement des
scandales politiques. Cela montre la reconnaissance de la part de ces acteurs
politiques de l‟utilisation du scandale comme une stratégie politique de discrédit
du régime, en suivant le climat politique de surveillance permanente de
l‟exercice du pouvoir du nouveau gouvernement. Cette centralité montre que
dans le cas péruvien, la révélation des secrets politiques étant capables de
déclencher des scandales politiques n‟ont pas été toujours des événements
gratuits, ou accidentels. Ils impliquaient la présence des acteurs rendant
possible ces révélations.
Cette « stratégie scandaleuse » a été mise en marche à travers de la
production des « coups informatifs ». C‟est le travail d‟Alain Garrigou qui
explique cette stratégie. D‟après lui, ces coups informatifs ayant comme propos
le discrédit de l‟adversaire à cause du déclenchement d‟un scandale, se dirigent
vers les électeurs et impliquent nécessairement la prise en compte des
stratégies spécifiques envisageant le déclenchement des scandales, mais sans
les impliquer directement.
4.1.3. Le facteur « Toledo » : son image détériorée.
Le gouvernement d‟Alejandro Toledo est né dans un contexte favorisant le
déclenchement des scandales. Un contexte qui s‟est vu renforcé au long de
tout son mandat, en affectant non seulement son niveau d‟approbation mais
surtout en provoquant de crises politiques au sein de son régime (changements
fréquents des Ministres, démissions forcés de fonctionnaires proches au
Président et son parti politique, etc.).
120
TANAKA, Martín, Op. cit, p. 138.
136
Au moment d‟arrivé au pouvoir, l‟image d‟Alejandro Toledo était déjà détériorée,
comme le résultat des scandales surgis autour de lui durant les élections 2000
et 2001: «Toledo avait été très affecté par la propagande négative entreprise
par Montesinos durant la campagne électorale de 2000… en effet, durant la
dernière étape des élections… il fut qualifié de menteur, drogué, d’avoir une fille
non reconnue, etc.. En 2001, ses adversaires ont utilisé ces messages pour lui
attaquer, même si Montesinos ou Fujimori n’y étaient plus présents. … Toledo
était très sensible à ces attaques même s’il s’agissait d’une campagne sale et
immonde mais elle était construite sur la base de faits réels, tel que le cas de la
fille non reconnue. Malheureusement, tout cela a crée une ambiance hostile
contre Toledo » (Fernando Rospigliosi, Caretas)
Durant la campagne de 2000, Toledo avait comme de principaux supporteurs,
les médias de l‟opposition à Fujimori, El Comercio, La República, Caretas.
Cependant, cette situation change en 2001. Ces médias adoptent une position
plus critique par rapport à Toledo (le « seul ennemie» des élections 2000,
Alberto Fujimori, avait chuté, et un nouveau moment politique commençait) et
de nouvelles dénonciations contre lui commencent à être publiés dans leurs
pages. Donc, la fixation constante des médias contre Alejandro Toledo
commencent durant cette période-là, une tendance qui s‟intensifiera durant les
années de son mandat.
- La campagne électoral 2000. Lors des élections 2000, les dénonciations
journalistiques contre Alejandro Toledo mettaient en questionnement leur
capacité professionnel (à cause de ses liaisons avec l‟entité financière disparue
CLAE et son ex président Carlos Manrique –à ce moment-là en prison pour le
délit de fraude, de sa relation avec le régime d‟Alan Garcia, de ses propositions
électorales changeantes et propres d‟un régime populiste) et leur capacité
morale en tant qu‟individu (ses attitudes violentes, de ses déclarations
contradictoires, de ne pas dire la vérité, etc.).
L‟un de cas déclenchés durant cette campagne, qui accompagnera Toledo
même durant les trois premières années de son mandat, fut le « scandale
137
Zaraí », le cas de la fille non reconnue par Alejandro Toledo. La révélation fut
déclenchée en mai 2000 (lors du deuxième tour) par la mère de Zaraí Toledo,
Lucrecia Orozco, et la fille elle-même, dans une émission télévisée d‟entretiens
(le reality show conduit par une avocate défenseur des droits des femmes qui
était très proche au régime de Fujimori et qui durant la campagne électorale de
2000 a fait exprès sa sympathie pour la candidature du Président). Cette
émission télévisée a suivi le sujet durant trois semaines, en présentant tant les
témoignages de la mère et de la fille, que les documents prouvant les examens
médicaux réalisés à Alejandro Toledo et Zarai Toledo, que les documents
montrant le procès judiciaire établi contre Toledo depuis la naissance de Zarai,
à l‟époque âgée de 13 ans.
“…. Le cas Zaraí était trop pour Toledo... les gens ne lui pardonnerait pas
une chose pareille. Ils pouvaient lui pardonner la fête, la vulgarité,
l’informalité, mais le fait de ne pas reconnaître la paternité d’un enfant ?,
Non... et bon, cette dénonciation a été bien profitée durant la campagne de
2000 par le régime de Fujimori ». (Mávila Huertas, América Télévision)
Cette dénonciation a pu provoquer un vrai scandale politique capable de miner
tout espoir de victoire du candidat Toledo. Cependant, les critiques
permanentes au manque des conditions nécessaires pour assurer un
processus électoral transparent, égalitaire et démocratique, ont stimulé une
ambiance de mise en question de la légitimité de cette révélation. De cette
façon, certains médias d‟opposition à Fujimori ont manifesté leur soutien. Le
soutien médiatique provenait principalement des journaux de centre-gauche tel
que La República, Libération, la revue politique Caretas, parmi d‟autres.
“Je n’ai pas voté pour Toledo (dans les élections 2000) mais il était le
meilleur parmi les mauvais. Lors de la candidature de Toledo… il aurait été
un contresens d’attaquer Toledo. On savait qu’il était corrompu mais on
n’avait pas une autre alternative. Ceux qui dénonçaient à Toledo en 2000
étaient les médias pro Fujimori, Gente, Expreso, Panamericana Télévision,
América Télévision, tous les médias de la mafia. Mais, quand Fujimori
138
chute, tous les médias ont commencé à dénoncer, car la menace n’existait
plus. » (Orazio Potestá, Correo)
Toutefois, cette « tolérance » finira durant les élections 2001, lors de la
transition politique.
- La campagne électorale 2001. Étant les premières élections après 10 ans du
régime autoritaire, elles se sont caractérisées par une dynamique électorale
très agitée et de grande multipolarité. Ce nouvel contexte politique post-
autoritarisme a intensifié la confrontation entre les candidats, en reprenant des
dénonciations surgis durant la campagne électorale de 2000. Alejandro Toledo
laissait d‟être le leader de l‟opposition démocratique, pour devenir le centre des
critiques des secteurs qui, lors de la campagne de 2000, avaient été plus
« tolérantes » avec son passé et présent politique.
C‟est de cette façon que des dénonciations surgis lors d‟élections 2000 ont
réapparues. Parmi d‟autres : le scandale de la fille non reconnue « Zaraí », le
kidnappe du candidat par le SIN de Fujimori –« le jour perdu de Toledo »121. De
même, de nouvelles dénonciations de corruption et malversation d‟argent, de
la part du candidat Toledo et son entourage personnel, ont surgis.
- Le « scandale Zaraí ». L‟émission de télévision qui a déclenché la reprise
médiatique du scandale Zaraí lors des élections 2001 fut l‟émission télévisée
d‟entretiens « El Francotirador », Frecuencia Latina. A différence de la période
électorale précédente –ou le cas est déclenché pour la première fois, cette
dénonciation fut aussi reprise par les médias qui auparavant l‟avaient qualifié
121
Tel fut le cas, par exemple, de la revue politique Caretas, qui, au moment de présenter ce sujet à ses
lecteurs, affirma que les conditions politiques de 2001 étaient différentes à celles de la campagne de
2000 et, par conséquent, c’était le moment pour arriver à la vérité du cas. Durant cette période il a été
aussi vulgarisé des nouvelles informations sur le cas du « kidnapping à Toledo», dénoncé par lui-même
durant les élections de 2000, en attribuant comme les responsables de cet attentat au régime et aux agents
du SIN. C’était la revue Caretas la première à mettre en question la vérité de ces dénonciations. D’après
cette revue, Toledo n’aurait pas été kidnappé en 1998 par des agents du SIN. Selon Caretas, il y avait des
épreuves, tels que des certifications médiales, des rapports policières, qui montreraient que Toledo n’avait
pas été objet d’une piège du régime afin de discréditer sa candidature (cette année-là, Toledo annonçait
ses intentions de participer dans les élections de 2000) mais qu’il s’agissait d’un jour de fête du candidat
(Caretas, 29 mars 2001)
139
de « diffamatoire ». De cette façon, lors de la conjoncture politique de 2001, où
la période électorale se déroulait au milieu d‟un climat d‟ouverte concurrence,
ce sujet récupérait sa légitimité, en motivant que les médias auparavant
supporteurs de la candidature de Toledo se montrent critiques et demandent au
candidat une réponse immédiate.
Au milieu d‟un courant d‟opinion publique contraire, Alejandro Toledo promet
aux électeurs de se soumettre aux examens d‟ADN une fois que les élections
aient été finalisées. Toutefois, malgré la pression publique et la continuation du
procès en cours (repris lors de la campagne électorale 2000), Toledo refusa
d‟accomplir sa promesse.
Alejandro Toledo assume la Présidence de la République et se nie à
reconnaître la paternité de Zaraí Toledo. Cependant, les pressions
journalistiques et politiques continuèrent. La pression publique provenait cette
fois-là de différents secteurs sociaux et politiques. Ses détracteurs (politiques et
journalistiques) ont en profité et ont utilisé ce cas pour demander sa destitution
pour « insuffisance morale » (une figure constitutionnelle utilisée pour la
première fois en novembre 2000, lors de la destitution présidentielle d‟Alberto
Fujimori). De cette façon, y à cause de ce scandale, le sujet de la « destitution
présidentielle » entre dans l‟agenda publique en juillet 2002. Il sera seulement
en 2003 quand Toledo assume sa paternité, mais sans se soumettre à un
examen médical.
« Je crois que la pression médiatique sur ce sujet-là a obligé à Toledo a
admettre finalement la paternité de Zaraí (2002)… pour lui ceci a été mieux
que se faire l’examen de l’ADN et se voir forcé à reconnaître sa paternité ».
(Mávila Huertas, América Télévision)
“ Toledo avait dit qu’il se soumettrait à l’examen de l’ADN si la justice
l’ordonnait, mais quand ceci est arrivé, ses avocats ont su empêcher
l’application de l’ordre judiciaire (2002)… Cependant, les pressions et les
dénonciations journalistiques continuèrent… Il a du signer la paternité de
Zaraí en 2002 mais sans se soumettre à l’examen ADN... ce qui a surpris le
140
peuple... Les gens ont dit : on a déjà été trichés durant 10 ans, on ne laissera
pas que cela se produise encore une fois… Je crois que ce cas-là a fait que
tout le monde perd la confiance en Toledo. Ce type-là n’avait plus l’autorité
morale ». (Alejandra Costa, Perú 21)
Le « scandale Zarai » affecta l‟image du nouveau Président Alejandro Toledo,
en condamnant son niveau d‟approbation à la décroissance permanente et en
affectant son rapport avec les citoyens et l‟opinion publique durant les deux
premières années de son mandat : “Il y a eu un sujet qui a miné à Toledo et qui
lui a mené vers la dépression et par conséquent, à la plus grand indiscipline,
c’était le cas de Zarai. On avait un Président qui ne gouvernait pas à cause de
ce scandale..” -Orazio Potestá, Correo.
Lors de la campagne de 2001, il y a eu aussi d‟autres dénonciations impliquant
Alejandro Toledo et en affectant son image et celle de son parti politique et son
entourage personnelle. On remarque, par exemple, la dénonciation de
malversation des fondes commise par l‟un de ses neveux et conseiller politique,
Jorge Toledo, qui aurait déposée 600 mil dollars dans une compte personnelle
du candidat pour des propos électoraux, une somme qui faisait partie d‟une
donation internationale faite dans le cadre de la campagne démocratique contre
le régime d‟Alberto Fujimori (produite durant la campagne antérieure)122. Cette
dénonciation fut effectuée par son conseiller Alvaro Vargas Llosa - fils du
célèbre écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, qui au même temps,
démissionnerais au parti politique en annonçant publiquement - dans l‟émission
télévisée « El Francotirador »- sa déception par rapport à l‟intégrité morale du
candidat. « Je ne veux pas continuer à tromper les électeurs » lança Vargas
Llosa le jour de l‟émission, en accusant le candidat d‟être une « deuxième
Fujimori » pour « corrompu » et « menteur ». Vargas Llosa déclenche ainsi un
122
Cette dénonciation, faite par une émission télévisée ( « El Francotirador », Frecuencia Latina) et
reprise par plusieurs médias télévisées et écrites, mettait en question l’intégrité de sa famille et son
entourage politique. De probables actes de corruption dans l’entourage de Toledo était une autre valeur
négative mise en évidence durant cette période, des dénonciations qui venaient accompagnées d’autres
associés aux attitudes frivoles du candidat et sa femme Eiane Karp.
141
autre scandale autour de l‟image d‟Alejandro Toledo, et initie une campagne
invitant au vote blanc.123
Les dénonciations contre Alejandro Toledo continueront jusqu‟à la fin du
deuxième tour et, même si les conséquences crées par celles-ci sur le résultat
des élections n‟ont pas empêché sa victoire, elles affectèrent sérieusement son
image. Il arrive au pouvoir au milieu d‟un climat politique avec une forte
adversité.
4.1.4. Le facteur de « la famille » et les « proches » d’Alejandro Toledo.
« Chaque frère ou sœur, chaque oncle ou tante, chaque neveu ou nièce,
tous les médias parlaient d’eux. Le neveu violeur, un autre qui faisait la
fête tous les soirs, un autre qui volait des voitures... mais tous étaient des
petits voleurs en comparaison avec le régime précédent… Donc, je crois
que les grands cas de corruption liés aux investissements étranger dans
d’importants projets ont été ignorés par la presse ».(Angel Paez, La
República)124
D‟après les journalistes interviewés, la femme du Président Eliane Karp, son
neveu Jorge Toledo, sa sœur Margarita Toledo, son meilleur ami César
Almeyda ont donné un matériel suffisant pour remplir les Unes des journaux, et
demeurer au centre du scandale durant les cinq ans du régime d‟Alejandro
Toledo. Les dénonciations fréquentes contre l‟entourage personnel du
Président, pour avoir commis d‟actes de corruption, et de népotisme, mais
aussi des délits pénaux souvent associés à leurs activités privées (commerce
123
La revue Caretas a écrit le 26 avril 2001 : « les affirmations d’Alvaro Vargas Llosa constituent un
coup furibonde à la campagne de Toledo car elles donnent des notions claires sur la fragilité de son
entourage et de sa faible capacité pour supporter ses propre contradictions » 123
. Cette revue précisera
quelques jours avant des élections du deuxième tour : « Toledo charge une lourde croix de mensonges et
de silences. Il a été capable d’inventer de circonstances tragiques autour de la morte de sa mère… il n’a
pas fait un bilan transparent sur les 700 mil dollars envoyés à l’étranger par son neveu Coqui (Jorge
Toledo), et il doit donner une explication sur le million de dollars donnés par George Soros (un
milliardaire américain). Il peut être que Toledo lui a rendu des comptes. Est-ce que Toledo pourra faire
pareille auprès les citoyens péruviens ?, une fois qu’il s’assoit dans le sillon présidentiel ? (Caretas, 24
mai 2001) 124
Entretien effectué le 12 mai 2008, Lima, Pérou.
142
de la prostitution, actes de violation, vol, etc.) furent aussi des facteurs qui ont
influencé et détérioré l‟image du président et celle de sa politique.
Dans ce dernier aspect, on signalera que cette tendance à la surveillance
permanente du pouvoir a provoqué un risque de confusion: la difficulté de faire
la distinction entre les secrets concernant l‟exercice du pouvoir politique, et
associés aux comportements privés des gouvernants. 125 4.2. Explorant le champ journalistique de la post-transition : les « facteurs
internes » étant résultat de l’influence du climat politique sur la pratique
journalistique
4.2.1. Un président et un gouvernement « mal aimé » et « non respecté »
par le journalisme
Le fait que certaines dénonciations déclenchées lors d‟élections 2001 aient été
faites par ses propres collaborateurs, a mis en question la solidité de son
leadership. Une image qui s‟est renforcé durant les années de sa gestion
présidentielle. En effet, depuis le début de son mandat, on a enregistré des
conflits permanents à l‟intérieur de son parti politique, Perú Posible. De même,
la démission permanente de ses coreligionnaires, les dénonciations contre lui,
et son entourage provenant des dissidents de son parti politique, ont contribué
à la création d‟un courant critiquant ses capacités à être le leader de l‟État.
« La maladresse de Toledo dans la maîtrise des affaires du régime, son
manque de concentration, et le défaut d’une utilisation rationnelle du
pouvoir, le fait de ne pas avoir annulé les concessions de télévision à ceux
qui ont été des complices de Fujimori » (Gustavo Gorriti, Idéele).
« … Toledo faisait des erreurs fréquemment. Le scandale d’Almeyda n’a
pas été inventé par nous, celui de la falsification des signatures non plus,
l’habitude de sa famille pour agir de manière népotiste, et donner du travail
125
THOMPSON, John. Political Scandal: Power and Visibility in the Media Age (Scandale politique:
pouvoir et visibilité dans l’ère des médias), Malden, Blacwell, 2000, p. 110-111.
143
dans le gouvernement à ses proches n’était pas un mensonge… donc, il
s’agissait d’un régime qui faisait beaucoup d’erreurs (gobierno mete
pata) ». (Augusto Alvarez Rodrich, Perú 21)
L’image du Président : sans autorité. La désorganisation existante à
l‟intérieur du régime, et de son parti politique a mis en évidence l‟incapacité du
Président de gérer cette situation, et a motivé les journalistes dans le sens
d‟une remise en question de sa capacité à être le leader. D‟ailleurs, l‟image
d‟un Président « sans autorité » a renforcé la possibilité pour les journalistes de
dénoncer le Président sans craindre d‟être punis (une liberté de presse
absolue).
« La personnalité de Toledo est erratique et ambigüe, et n’amène aucun
respect… » (Orazio Potestá, Correo)
« Lors du gouvernement de Toledo, il état possible de présenter le Président
à l’Une et d’exiger de lui des explications sur un sujet qui parfois ne
concernait pas le pouvoir Exécutif… Ni les journalistes, ni le peuple ne le
respectaient. Mais ce n’était pas une situation produite uniquement par les
journalistes, mais elle était aussi une conséquence de l’incapacité de Toledo
de gérer la situation » (Alejandra Costa, Perú 21).
« La relation que Toledo avait avec la presse était compliquée, car la presse
ne le craignait pas. García (le Président du Pérou depuis 2006) est craint,
on sait qu’il est un homme méchant, capable de faire mal, mais Toledo en
était incapable. Ce qui faisait que la presse était plus dure avec lui. Parfois
en ayant raison, mais aussi de manière injuste…Donc, il y a eu une sorte
d’accord tacite entre quelques médias, surtout les plus puissants, de
critiquer sans répit Toledo. Ils le faisaient en totale impunité (parce qu’ils se
sont rendus compte qu’ils le pouvaient faire, qu’ils avaient pas élu un
président, mais un (jouet) piðata… … » (Fernando Rospigliosi, Caretas)
144
« (Toledo) était un président qui ne provoquait la peur de personne… il ne
possédait pas les éléments fondamentaux du macho alfa du troupeau
politique, il n’inspirait pas le respect.» (Gustavo Gorriti, Idéele)
Dans les années 80, il existait une relation de grand respect envers la figure
présidentielle, « il y avait une espèce d‟auto censure de la part des médias.
Ceux-ci ne parlaient jamais de la vie privée du Président de la République. Les
journalistes ne voulaient pas le faire. Le Président représentait la nation, et la
nation est immaculée, pure, virginale. » (Hugo Coya, América Télévisée, dans
un entretien donnée à l‟auteur en 2004, dans le cadre d‟une recherche sur les
stratégies de communication politique lors du régime d‟Alejandro Toledo).
Toutefois, tout cela changea dans les années 90, avec Alberto Fujimori, qui, en
se présentant comme un « homme non politique », a installé un style plus
populaire. Une proximité non seulement avec le peuple, mais aussi avec les
journalistes. Cependant, cette relation de proximité avec les journalistes fut
entourée de l‟appareil de pression gouvernementale, et de poursuites faites
contre les médias critiques au régime, en motivant ainsi les critiques et les
dénonciations journalistiques contre le Président. (voir chapitre III).
Le cas d‟Alejandro Toledo fut complètement différent. Alejandro Toledo, avait
eu pour alliés certains médias d‟opposition durant les élections de 2000, et il
avait réussit à construire une relation de proximité avec les journalistes.
Cependant, l‟installation de la transition politique, et l‟ouverture démocratique
initiée a changé ce rapport. Les médias sont devenus plus critiques face au
candidat. Cette situation s‟est intensifiée durant son mandat de Président. « La
campagne électorale de 2000 lui a permis d‟obtenir le soutien de journalistes
importants, mais pas grâce aux engagements militants mais parce qu‟il
s‟agissait d‟un moment de lutte contre Fujimori et l‟autoritarisme ». (Hugo Coya,
América Télévision)
Toutefois, Alejandro Toledo ne s‟est pas rendu compte du changement de la
situation. Il continuait à s‟adresser aux journaliste de manière familière, ce qui a
provoqué un rapport de confrontation entre ceux-ci et le chef de l‟Etat. « Les
145
liaisons de Toledo avec les médias ont été d‟une grande complexité. Il pensait
que s‟il buvait des verres avec un journaliste, celui-ci lui le défendrait. Ce qui est
passé fut l‟inverse ». (Hugo Coya, América Télévision). Donc, cette proximité
avec les journalistes créa un effet contraire à ses propos politiques, une fois
qu‟il fut élu Président de la République.
En effet, cette proximité entre Alejandro Toledo et les journalistes, lors
d‟élections 2000 s‟est altérée dans le contexte politique des élections 2001. Le
nouveau Président se sentait libre de leur demander des explications pour leur
attitudes critiques, il provoquait des affrontements directs entre le Chef de l‟État
et la presse :
« .. Lors de sa première visite officielle à l’étranger, Alejandro Toledo dit aux
journalistes : Vous les journalistes, vous savez beaucoup de choses, n’est-
ce pas ?, vous pensez savoir tout, n’est-ce pas ?... car quand vous me
posez une question qui démontre que la plupart de gens acceptent telle ou
telle chose… mais qui êtes-vous pour affirmer cela ? » Nous lui avons
répondu, Monsieur le Président, excusez-nous, mais il ne s’agit pas de
prétendre que les journalistes savent tout, notre rôle est de transcrire le
sentiment du peuple. Pour cela on se déplace dans différentes régions….
Et on obtient une image du sentiment général. Nous, les journalistes
sommes les intermédiaires entre l’autorité et le peuple… Il nous a répondu
et la discussion a continué. Pour nous, c’était une opportunité pour réfuter
ses affirmations… Plusieurs journalistes lui ont expliqué qu’ils avaient le
droit de lui poser des questions, mais que lui, comme Président, avait aussi
le droit de répondre ou pas… il a maintenu une attitude de rejet de la
presse, ce qui m’a surpris. Dans le premier mois du régime, avec cette
attitude-là ? ». (Jorge Saldaña, El Comercio)
« Une fois, durant un voyage à Chile, le Président, assis, a parler : il affirma
qu’il y avait un journal qui ne lui foutait pas la paix, tout le temps, et qu’il ne
savait pas quoi faire avec ce journal-là, sans doute fujimontesinista, un
journal que ne le laissait pas gouverner. Je lui ai dit : fermez-le. Il m’a
regardé et m’a dit : tu crois que je suis un imbécile ? Moi, je ne lui ai pas
146
répondu mais en fait, je pensais qu’il était un imbécile. Mais regarde à ce
niveau-là, je peux dire au Président, taisez-vous, avec tout le droit, et
j’écrirais dans mon article : Le président menace la liberté de la presse, mais
je ne pouvais pas faire cela, c’était pas de mon ressort ». (Orazio Potestá,
Correo)
On considère que ce type de « rencontres tendues » entre le Président et les
journalistes a eu une influence sur la perception subjective, et personnelle des
journalistes du chef de l‟état :
« Je pense qu’Alejandro Toledo n’aurait jamais du être Président du Pérou,
car il est un type sans morale. Il n’avait jamais fait quelque chose de
gratifiant, même pas au niveau académique. Il s’est présenté comme un
académicien d’Harvard, puis on a découvert qu’il n’était pas diplômé
d’Harvard mais de Standford et dans un cursus d’éducation et non
d’économie » (Orazio Potestá, Correo)
« (Toledo) était grossier, maladroit… il changeait de porte-parole
fréquemment, il ne prenait pas soin de son image… Donc, il nous offrait la
une des journaux… ce phénomène se répétait dans tous les médias et tous
les journalistes, s’accordaient d’accord à « battre » Toledo, car les gens
avaient déjà constaté que personne ne l’avait fait lors du mandat de
Fujimori, alors, ce fut presqu’une obligation. On a vécu comme ça presque
cinq ans du régime de Toledo, en le battant…. En le surveillant jusqu’au
moindre détail de son activité… » (Mávila Huertas, América Télévision)
4.2.2. De défauts dans la communication présidentielle.
La relation tendue entre la presse, et le régime était aussi alimentée par le
conflit existant entre les nécessités d‟information de la presse et l‟accès aux
réponses immédiates de la part du régime. Les médias critiquaient le régime ne
pas satisfaire leurs demandes d‟information, et de ne pas savoir gérer le
désordre argumentaire existant à l‟intérieur du gouvernement à cause d‟un
manque de cohérence entre les déclarations publiques des différents acteurs
147
du régime (la Première Dame, le Premier Ministre, un Ministre, un
parlementaire du Perú Posible).
Le gouvernement d‟Alejandro Toledo fut sensible à cette situation. Et afin de
répondre aux critiques permanentes des médias, il décida d‟installer un
Secrétariat de Communication gouvernementale en 2001, réunissant toute
l‟information du gouvernement. Toutefois, cette décision fut mal vue par les
journalistes, non seulement concernant les dépenses impliquées (le Président
avait aussi convoqué le consulting des spécialistes en communication politique
étrangères), mais surtout parce que ce système de communication a affecté le
flux informatif, en le ralentissant pour le besoin des journalistes, ce qui a fait
qu‟ils n‟ont plus eu besoin du gouvernement pour obtenir des l‟informations.
« … Le propos du Secrétariat des Communications était d’analyser le
contenu des médias et de faire des propositions de communication…
Toledo s’est entouré des gens qu’on ne connaissait pas, des théoriciens qui
élaboraient des projets et qui gagnaient beaucoup d’argent… Ses
conseillers présidentiels, même s’ils étaient aussi des sources, ils ne
parlaient pas… ils fuyaient la presse. Donc, on avait seulement le
Secrétariat de Presse, qui n’était pas bien informée… Le Président ?, il avait
une sorte de préjugé sur la presse… donc, qu’est-ce qu’on pouvait faire ?,
on restait avec une information confirmée à moitié… ou c’était le Parlement
qui parlait… » (Jorge Saldaña, El Comercio)
“..On dépendait si peu de l’information gouvernementale, parce que celle-ci
venait des quatre côtés, de telle façon que le régime restait sans aucune
possibilité de faire peur, de menacer, ou de négocier avec les médias. Donc,
pour moi, cette époque-là a été plus ou moins bénite, car on pouvait
enquêter sur n’importe qui. » (Alejandra Costa, Perú 21)
148
4.2.3. Le climat d’hypersensibilité dans l’opinion publique vers la
corruption gouvernementale n’était pas étrange aux médias.
Tel que l‟on a déjà expliqué, tant le consensus politique que la « tolérance »
sociale et politique existant lors de la transition politique s‟acheva avec
l‟installation du gouvernement de Toledo. Il s‟est y installé au pouvoir dans un
climat de surveillance et d‟exigence de rendu de comptes gouvernemental,
accompagné de la demande d‟accomplissement des promesses électorales.
Les demandes provenaient de tous les secteurs politiques et sociaux.
« Les gens avaient besoin de faire une transition vers le régime de Fujimori,
de calmer un peu le trauma. Mais au fur et à mesure que les scandales
apparaissaient, les gens s’intéressaient et désiraient en savoir davantage,
ils achetaient des journaux, et ils cherchaient l’information, ils regardaient, ils
lisaient, tout avec pour objectif comprendre ce que le régime faisait, et de
voir comment ceci leur décevait…» (Alejandra Costa, Perú 21)
« Il y avait une énorme concurrence pour voir qui était le plus opposant, qui
faisait le plus de dénonciations. Le public ne voulait plus d’investigations. Le
gens avait dit : Après Fujimori, ça suffit !… Je ne peux pas dire comment
cette tendance avait été gérée par les directeurs des chaines de télévision.
Cependant, on ne peut pas nier que cette concurrence existait … » (Roxana
Cueva, América Télévision)
De même, la découverte du réseau de corruption durant le régime d‟Alberto
Fujimori, était rappelé de manière fréquente durant la transition politique à
travers de la diffusion médiatique presque quotidienne des « vidéos de la
corruption », cela a créé une sensibilité générale contre les actes de corruption
politique. Une sensibilité qui n‟existait pas durant le régime de Fujimori. En
effet, d‟après le Rapport par Pays du Système National d‟Intégrité au Pérou
(2001) de l‟Association Civile Transparence Internationale, même si depuis
1998 il y avait des évidences à propos de la corruption gouvernementale au
sein du régime d‟Alberto Fujimori -associée à l‟utilisation de l‟appareil étatique
pour soutenir la réélection du Président de la République, et pour exercer la
149
pression sur la presse-, ce n‟est qu‟à partir de la diffusion de la première des
vidéos enregistrées par le SIN que la société péruvienne constata la dimension
réelle de la corruption : le Pérou occupait la place numéro 41 sur les 90 pays
enquêtés entre 1998 et 2000. Cette « tolérance » envers la corruption,
changea après la diffusion des « vidéos de la corruption » 126, en se
transformant en une hypersensibilité généralisée contre les actes de corruption
du nouvel régime.
Cette intolérance envers la corruption fut institutionnalisée à travers
l‟installation, depuis 2000, d‟une cour judiciaire anti-corruption (Procuradoría
Anti-corrupción) et des commissions parlementaires anti-corruption. La devise
du régime de transition politique fut l‟engagement du gouvernement dans la
lutte anti-corruption, ce qui a été aussi le cheval de bataille des candidats, dont
Alejandro Toledo, durant les élections de 2001.
« … La presse était trop susceptible aux actes de corruption parce qu’on
venait d’affronter 10 ans du régime autoritaire où beaucoup de choses
étaient maintenues en secret… Cela a influencé notre attitude, qui devint
plus critique. Peut-être, trop critique... Donc, n’importe quelle erreur devenait
le motif d’une dénonciation journalistique, d’un scandale, soit lié à lui, soit lié
à son entourage… ». (Jorge Saldaña, El Comercio)
“On a accepté d’enquêter le cas de la falsification des signatures de ce parti
afin de rendre possible son inscription comme parti politique… parce qu’une
citoyenne péruvienne avait dénonçait le Président de la République auprès
du Ministère Public.. Il s’agissait d’un sujet sérieux, et difficile pour un Chef
d’État, qui en plus, avait comme « drapeau » la lutte contre la corruption… »
(Roxana Cueva, América Télévision)127
Grâce à ce contexte, les médias péruviens trouvaient les éléments nécessaires
pour exercer un rôle qui leur permettrait de récupérer leur crédibilité, et
126
LUZZANI, Telma, Sudamérica, Global Corruption Report 2001 [en ligne]. In : Transparency
International, 2001, p. 4. Disponible sur:
<http://www.transparency.org/publications/gcr/gcr_2001#download> (consulté le 30 aout 2008) 127
Entretien effectué le 14 mai 2008, Lima, Pérou.
150
d‟obtenir une audience assurant leur existence, la surveillance de l‟exercice du
pouvoir, mais aussi de la pression contre le nouveau régime, étant donné que
la plupart d‟entre eux été confrontés à des procès judiciaires, et avaient
accumulés d‟énormes dettes avec l‟État.
« Les gens ne voulaient plus subir ce qu’ils avaient affronté en 2000, ils
voulaient croire de nouveau en leurs médias. Les gens nous envoyaient des
dénonciations, et si on ne dénonçait pas, on était considéré comme vendu à
la mafia. Donc, il fallait dénoncer, soit pour la pression sociale, soit parce
qu’on devait être propre, ou parce qu’on devait obtenir la sympathie du
public » (Orazio Potestá, Correo)
« … Quand l’année 2000 arriva, plusieurs médias se sont rendu compte que
personne ne voulait être identifié comme un média proche au régime de
Fujimori, au risque d’avoir l’opinion publique contre eux. C’est pourquoi ils
décidèrent de faire des enquêtes, afin de récupérer le respect perdu. Ils
commencèrent par attaquer Toledo, et enquêter sur lui, ce qui était facile à
faire… Le cas de Correo fut différent… Notre logique était de ne pas laisser
respirer le prochain Président, à cause de l’expérience de Fujimori et
Montesinos. On a jamais dit qu’on voulait le faire tomber, ceci a été le
discours des journalistes de la mafia. Pour nous la logique était la
suivante :… il fallait que le Président sache qu’on était si proche… pour ne
pas faire cela, Fujimori et Montesinos ont faillit à rester au pouvoir… »
(Orazio Potestá, Correo)
“À cause de tout ce qui s’est passé durant le régime de Fujimori (l’achat des
journalistes, des lignes éditoriales des chaînes de télévision, etc.), le
journalisme en général sentait la nécessité de marquer son indépendance
du pouvoir. Et bon, ceci impliquait que Toledo payât les conséquences de
cette envie des médias de devenir indépendants » (Augusto Alvarez
Rodrich, Perú 21)
- « Tout le monde le dénonçait ». La fréquence élevée des dénonciations fut
aussi possible grâce à la grande quantité de sources intéressées à dénoncer
151
son régime. Ces sources provenaient principalement du secteur politique (tel
qu‟on l‟a déjà mentionné) mais aussi du secteur social, de travailleurs du
secteur public ou de simples citoyens ayant des informations concernant
l‟entourage politique et, personnel du Président. Quelques uns provenaient de
sources anonymes.
« Le flux d’information anonyme qui arrivait au journal, à travers le courriel,
parfois provenant des lecteurs, était écrasante. Toutes les semaines, on
recevait des informations par courriel, soit d’un lecteur, soit d’une source
intéressée, qui ne révélait pas son identité… Il fallait seulement prendre un
ou deux jours pour les vérifier… A cette époque-là il y avait beaucoup de
dynamisme dans le processus de publication d’une dénonciation … on
pouvait prendre deux ou trois jours pour un sujet simple…» (Alejandra
Costa, Perú 21)
4.2.4. Le climat politique de surveillance du pouvoir a influencé sur la
pratique journalistique : Le journalisme d’investigation est devenu une
mode
Le climat de surveillance du pouvoir s‟est aussi exprimé par l‟existence d‟un
public attentif aux actions du nouveau régime. Ce fait a contribué à ce que la
tendance journalistique de surveiller le régime s‟est fortifiée par l‟impulsion d‟un
sentiment que les journalistes qualifiaient de : la « renaissance » du
journalisme d‟investigation, qui avait été objet de pressions gouvernementales
lors du régime d‟Alberto Fujimori.
Durant cette période d‟enquêtes judiciaires, et de changement des
administrations des médias, on a enregistré l‟apparition de nouveaux journaux
(Perú 21 et Correo) et de nouvelles émissions télévisées (Cuarto Poder, La
Ventana Indiscreta, Periodistas), dont l‟objectif central était de présenter des
reportages d‟investigation.
152
«Il est vrai qu’à cette époque-là, le journalisme d’investigation était devenu
une mode. C’est pourquoi il y a eu plusieurs scandales, mais aussi
d’investigations sans aucun sens ou fondement… C’est une spécialité qui te
donne du prestige… parce qu’il s’agit de se confronter au pouvoir… ». (Orazio
Potestá, Correo)
La révélation de la corruption pendant le régime d‟Alberto Fujimori avait installé
durant la transition politique un climat de surveillance publique par rapport à
l‟exercice du pouvoir. Toutefois, ce propos médiatique, de suivre le procès
contre le gouvernement d‟Alberto Fujimori a changé avec l‟installation du
nouveau gouvernement d‟Alejandro Toledo. L‟attention publique se portait sur
le nouveau Président, le premier élu démocratiquement après la destitution de
Fujimori.
« À ce moment-là, on voulait positionner notre émission comme une
émission d’investigation journalistique, à la différence d’autres émissions du
dimanche qui étaient plutôt « light » et centrées sur le spectacle et la
société… On a pu inverser cette tendance et on a gagné une audience plus
ample, on a commencé à gagner pour la première fois… » (Roxana Cueva,
« Cuarto Poder », América Télévision)
« La même année de sa création, Correo inaugura l’Unité d’investigation.
C’était son but…” (Orazio Potestá, Correo)
« (Perú 21 a atteint des indices de lecture très hautes… surtout parce qu’il
était un journal neuf, donc, on partait de rien… Depuis le début, Perú 21 a
pu se positionner comme un journal de confrontation, de révélation des
scandales sur les Unes. Les gens ont aimé, cette stratégie qui était très
utilisée à l’époque par Correo… » (Alejandra Costa, Perú 21)
153
4.2.5. La dénonciation journalistique contre le Président et son
gouvernement vendait.
Les dénonciations apparues dans la chaleur des élections 2001 (le scandale
Zaraí, les virements de millions de dollars vers son compte personnel, et celle
de son neveu et conseiller politique Jorge Toledo, etc.) et les autres
dénonciations surgies après la déclaration officielle de sa victoire, ont motivé
les médias à suivre, pas à pas, les actions du Président et celles de son
entourage personnel et politique. C‟est une tendance informative qui restera
jusqu‟à la fin de son mandat.128
“Au Pérou il y a 25 journaux, donc, la concurrence est grande.. il faut avoir un
élément pour se différencier des autres pour rester concurrentiel. Le fait de
trouver des dénonciations sur le gouvernement, par exemple… Donc, je peux
affirmer que qu’il est vrai que Toledo fut très surveillé… ». (Augusto Alvarez
Rodrich, Perú 21)
L‟impact public généré par les dénonciations journalistiques a offert aux médias
les éléments nécessaires pour une augmentation de son lectorat. Ainsi, les
scandales politiques journalistiques avaient la capacité d‟offrir aux medias la
possibilité d‟améliorer leurs ventes. A l‟époque d‟Alejandro Toledo, les médias
péruviens n‟ont pas été étrangers à cette tendance. Il s‟agissait d‟un nouveau
moment politique, d‟ouverture informative, et de liberté de presse, qui se
reconstruisait après dix ans d‟autoritarisme, et de pression gouvernementale
contre les médias.
« … des journaux de format populaire mais sérieux sont apparus, tels que
Perú 21 et Correo… Ceux-ci étaient des journaux plus modernes et plus
directs, moins classiques qu’El Comercio. Ils pouvaient mettre dans leurs
Unes de grandes photos et de grands titres… je pense que les médias se
sont rendu compte que critiquer sans répit le Président était non seulement
128
Un exemple de la surveillance de promesses électorales d’Alejandro Toledo fut la section « Feu
rouge » (semáforo), de Perú 21, dont le but fut de suivre jour à jour l’accomplissement (feu vert) ou non
(feu rouge) de toutes les promesses électorales de Toledo.
154
facile, mais les récompensait aussi au niveau de leur image médiatique…
Peu un peu, des individualités sont devenues un chorus critique contre le
Président… » (Mávila Huertas, América Télévision)
Les dénonciations contre le président, sa femme, sa famille, son principal
conseilleur politique, son premier vice-président, son parti politique, etc.
vendaient. Les actes de corruption au niveau gouvernemental (ou, au niveau
des « proches » du pouvoir gouvernemental) fournissaient les agendas
informatifs des médias. Mais pour les médias, il ne serait plus les grands cas de
corruption impliquant le régime sortant d‟Alberto Fujimori (à ce moment, les
enquêtes judiciaires étaient en cours) le principal centre de leur attention, mais
les actes impliquant le nouveau Président.
Toutefois, l‟attention fréquente des médias ne se centraient pas sur de grands
cas de corruption, suivit d‟un procès condamnant les responsables (une
exception, cependant, fut l‟emprisonnement en 2004 du conseilleur présidentiel
César Almeyda, durant le régime d‟Alejandro Toledo ; un autre cas dont le
Ministère Public avait initié le procès contre le Président fut celui des signatures
falsifiées du parti politique d‟Alejandro Toledo Perú Posible, toutefois, jusqu‟à
aujourd‟hui, on n‟a pas pu démontrer la véracité de cette dénonciation).
L‟attention journalistique demeurait principalement autour des « petits »
scandales impliquant son entourage politique et personnelle, la plupart étant
résultat de la filtration d‟information et de documentation provenant de différents
sources.
« Les investigations faites durant le régime de Fujimori et Montesinos ont pu
être vérifiés ultérieurement à travers des enquêtes judiciaires, c’est la
principale différence avec les enquêtes journalistiques de l’époque de
Toledo. Il a été révélé l’achat des avions MIG 29 et Sukoi 25 à des prix
« gonflés »… il a été révélé que le SIN avait financé la campagne électorale
de Fujimori. Il a été révélé que Fujimori avait donné 15 millions de dollars
d’indemnisation à Montesinos… tout cela a été enquêté et prouvé
judiciairement… Il y a des gens qui ont été condamnés, et qui sont
155
maintenant en prison. Mais dans le cas des dénonciations contre Toledo,
jusqu’à aujourd’hui, il ne s’est rien passé… » (Angel Paez, La República).
« Il n’y a pas eu de grands cas de corruption (durant le régime de Toledo),
au moins, ayant été détectés, dénoncés,et portant à conséquences. Il y a eu
des petits cas de corruption… On disait que les dénonciations étaient le
résultat du journalisme d’investigation, mais ces dénonciations étaient le
résultat de luttes à l’intérieur du régime… C’était très difficile que les médias
investissent leurs ressources dans l’approfondissement des
dénonciations… » (Fernando Rospigliosi, Caretas).
La crise économique affrontée par les médias, ayant accumulé de grandes
dettes avec l‟État durant le régime d‟Alberto Fujimori (ceci fut le cas
principalement de la télévision privée), a sérieusement affecté les ressources
qui leur permettraient de recomposer leur staff journalistique (la plupart de
journalistes ayant joué un rôle en faveur du gouvernement d‟Alberto Fujimori
ont du partir avec sa chute et la révélation des « vidéos de corruption impliquant
leurs médias) et d‟implanter des Unités d‟Investigation Journalistique. Dans
certains cas, par exemple, l‟option fut l‟engagement de jeunes journalistes
(comme dans les cas de Perú 21 –dont l‟âge moyen fut de 24 ans129- et Correo)
et l‟économie des ressources de la production journalistique (la recherche de
documentation approfondissant le sujet de dénonciation).
« J’étais chargé de sept journalistes, des jeunes âgés moins de 24 ans, à
l’époque j’avais 26….». (Orazio Potestá, Correo)
«La situation économique des médias a provoqué la démission forcée des
meilleurs journalistes, surtout dans la télévision, en échange, ils recrutaient
des gens « pas cher »… on en paie les conséquences maintenant… » (Mávila
Huertas, América Télévision)
129
Déclarations dr la journaliste Alejandra Costa, Perú 21, à l’auteur de cette mémoire (Lima, le 9 mai
2008).
156
Même si faire du journalisme dans de conditions adverses a pu être considéré
pour certains comme positif (« nous ont presque réussit à faire tomber El
Comercio, c’est pourquoi que son groupe éditorial a publié Perú 21, afin de
concourir avec Correo »- Orazio Potestá, Correo), l‟utilisation de la simple
vérification d‟une information filtrée ou le manque d’équilibre de sources dans
le traitement journalistique des reportages présentés :
« Il fallait seulement de prendre quelques jours pour vérifier une
dénonciation, car il s’agissait d’information telle que : la cousine de
Margarita Toledo (la sœur du Président) vient de commencer à travailler à
Editora Perú (la maison d’édition du régime). On devait seulement
téléphoner Editora Perú et confirmer cette information…. On utilisait
différents techniques, mais tout était plus rapide… On vérifiait et d’un coup
on avait une nouvelle dénonciation de népotisme gouvernemental»
(Alejandra Acosta, Perú 21)
« … On commençait à avoir les salles de rédaction sans ressources…
Donc, il n’était pas possible d’exiger de l’Unité d’Investigation, la production
de reportages tous les 3 ou 4 jours, si on ne le donnait pas des ressources
nécessaires pour mener des enquêtes… C’est pour cela qu’il y a eu une
tendance d’engager des jeunes journalistes, sans expérience, qui avaient la
capacité de faire de gossips… Et bon, les résultats, on les connaît...”
(Gustavo Gorriti, Idéele)
«Des journaux dont le coût de production n’était pas cher sont apparus… Ils
avaient l’habitude de publier les dénonciations sans mener de grosses
enquêtes ou de vérifier l’information reçue, car ceci signifierait une dépense
de temps et d’argent. Donc, à cause de la réduction des coûts de la
production informative, l’information vulgarisée devint de mauvaise qualité…
et comment réparer ce manque de qualité ? À travers l’exagération, et la
spéculation… Ce sont les cas de médias tels que La Razñn et Correo, par
exemple » (Angel Paez, La República)
157
Toutefois, cette tendance informative fut critiquée par les journalistes eux
même, surtout à partir du moment où un grand scandale impliquant le Président
se retourne contre les journalistes de l'émission de télévision « Cuarto Poder »
(América Télévision) et la principal source de la dénonciation (le parlementaire
d‟opposition, Rafael Rey), le cas des signatures falsifiées de Perú Posible (voir
chapitre II):
4.2.6. Le cas de la source unique : le conflit journalistique de « sources
intéressés »
« Quand la source n’est pas l’idéale, on ne peut pas la citer, non seulement
parce que la personne ne le veut pas, mais aussi parce qu’on ne veut pas le
faire… alors, ce qu’on fait, c’est publier l’information pure et dure, c’est-à-
dire, l’information qu’on a et qu’on a pu vérifier… pas des rumeurs mais des
données… C’est cela qu’on faisait dans le journal… peut-être on aurait du
être plus honnêtes, afin que les lecteurs soient capables de juger la qualité
de l’information mais bon, on l’a fait parce qu’il s’agissait d’une exigence de
la source, et parce qu’on sentait que l’information justifiait l’action »
(Alejandra Costa, Perú 21).
Le cas des « signatures falsifiées de Perú Posible » fut l‟un de ces cas, où la
source principale était un acteur politique intéressé dans l‟accélération pour le
changement du gouvernement. Tel que l‟on a déjà mentionné dans le chapitre
II, le parlementaire d‟opposition Rafael Rey (Unidad Nacional) avait procuré les
médias de toute l‟information concernant ce cas, en installant dans son bureau
parlementaire une « espèce d‟unité d‟investigation » dédiée à ce sujet :
« Je travaillais directement avec Rey. Il avait une Unité d’Investigation dans
son bureau. Il avait 3 ou 4 personnes dédiées à la cherche de l’information
sur les signatures falsifiées… Ils ont désigné un logiciel spécifique pour
détecter les signatures falsifiées, similaire à ceci de l’ONPE …. Aucun média
ne se serait donné le temps d’élaborer un logiciel capable de vérifier
l’authenticité de ces signatures… » (Alejandra Costa, Perú 21)
158
Tel qu‟on l‟a déjà mentionné, en 2004, Rafael Rey convoqua les journalistes
Roxana Cueva (América Télévision) et Pedro Tenorio (journal Perú 21), pour
une réunion privée, afin de leur offrir l‟exclusivité du témoignage d‟une femme
qui avait accusé le Président de la République d‟avoir dirigé la campagne de
falsification des signatures de son parti Perú Posible et ainsi concrétiser son
inscription électorale. De cette manière, il offre à ces deux médias le
témoignage de Carmen Burga, une citoyenne qui avait dénoncé le Président de
la République auprès du Ministère Public, dans le cadre d‟une enquête sur ce
cas initiée l‟année précédente (à ce moment-là, c‟était aussi le parlementaire
Rey l‟auteur de la dénonciation auprès le Ministère Public). Le témoignage
n‟avait pas été encore fait public mais Rey possédait la transcription du
témoignage. Les deux médias ont publié l‟information donné par Rey et ont
suivit le sujet durant plusieurs semaines, en déclenchant l‟un des scandales
ayant la capacité de faire trembler le régime car la dénonciation mettait en
question la légitimité de l‟inscription du parti gouvernemental et, par
conséquent, déclarerait illégitime la Présidence.
« Quand l’information est arrivée à la chaîne de télévision… je m’en doutais
parce que je ne faisais pas confiance à Rafael Rey, tout au contraire. J’ai
parlé avec lui et je me suis rendu compte immédiatement que ce qu’il
affirmait était la vérité… il avait environ 20 boites remplies des feuilles
contenant les signatures soutenant l’inscription de Perú Posible. On pouvait
prendre n’importe quelle feuille, et on trouvait, en les regardant simplement,
que sur 100 signatures, 20 avaient été falsifiées… Donc, même si Rey
n’était pas sympathique (à cette époque-là, maintenant c’est différent), je
pensais qu’il fallait vérifier, si ce qu’il disait était vrai... On a payé un
graphologue afin de faire plusieurs études… et on a pu vérifier la véracité de
cette dénonciation… Après, on a connu l’histoire de cette femme, qui même
si son témoignage avait quelques points contradictoires, était capable
d’accréditer la véracité de quelques autres… en plus, elle avait donné son
témoignage à un fiscaliste… Donc, on avait tous les éléments nécessaires
pour permettre la vulgarisation du reportage » ((Roxana Cueva, « Cuarto
Poder », América Télévision)
159
Il s’agissait d’un sujet qui… mettait en question la qualité morale tant de la
famille (de Toledo) que de son entourage politique (les parlementaires, les
militants de son parti politique) ; tous auraient participé à la falsification des
signatures…. Nos avons travaillé le sujet pour l’émission télévisée « Cuarto
Poder ». .. On a travaillé ensemble, afin d’économiser du temps, mais aussi
parce que la source (un parlementaire d’opposition, Rafael Rey) voulait
donner à cette dénonciation la plus grande force possible. (Rey) a cherché
les médias, à ce moment-là c’était Roxana Cueva qui était la directrice
journalistique de « Cuarto Poder », et elle était une amie proche de Pedro
(Tenorio ; chef de l’Unité d’Investigation de Perú 21). Rey a convoqué à tous
les deux et leur a dit qu’il leur offrait ce sujet-là à condition que tant Perú 21
que América Télévision la vulgarisent au même temps. Ce qu’il voulait
c’était que tout le monde sachent sur cette dénonciation… Ceci a été, donc,
un sujet de la source. C’est la source qui propose le sujet, qui donne les
documents et qui établit des conditions pour la délivrance de l’information….
Or, c’est vrai qu’une fois le sujet avait été fait publique chaque média le
développé librement sans aucune coordination. » (Alejandra Costa, Perú
21).130
Toutefois, les questionnements sur la véracité de la dénonciation et sur les
intérêts politiques existant derrière, n‟ont pas tardé, quand la diffusion d‟une
vidéo montrant le Président Toledo lors un diner, après avoir réussit à présenter
les 300 mil signatures rendant possible l‟inscription légale du Perú Posible,
faisait allusion à la complicité directe de Toledo dans la falsification de ces
signatures. Ce reportage, dont la principale preuve était cette vidéo, qui, non
seulement montrait Alejandro Toledo en train de fêter l‟inscription de son parti
politique, fut durement critiqué par le Président, qui le jour même de la diffusion
de la vidéo a manifesté son rejet des accusations dans l‟émission de télévision
dénonciatrice –Cuarto Poder, América Télévision- et l‟émission concurrente –
Panorama, Panamericana Télévision- (voir aussi le chapitre II).
130
Entretien effectué le 9 mai 2008, Lima, Pérou.
160
« … C’était un de rares moments où Toledo a su comment se défendre…
Cette dénonciation s’est produite juste quand on pensait qu’on pouvait dire
n’importe quoi et que les gens le croiraient, parce que c’est ça l’objectif du
journalisme, ça ne veut pas dire que l’on ment aux gens, mais parfois on
doit faire semblant qu’on a toute l’information même si on ne l’a pas…. La
vulgarisation de la vidéo présentée dans le dernier reportage sur ce sujet de
Cuarto Poder montre que parfois, il s’agissait d’insister sur le sujet, même si
on n‟avait pas toutes les preuves nécessaires ou la confirmation du délit.
Dans cette vidéo, Toledo était réunit avec ses coreligionnaires dans un diner
où tous fêtaient la « saisie » des signatures... Toledo utilisait l‟expression,
« digitation », et le reportage affirmait que ce discours confirmait que Toledo
était au courant de la falsification. Cependant, le mot « digitation » pourrait
aussi signifier l‟insertion de toutes les signatures dans une base de données
qui devait être délivrée à l‟ONPE afin de concrétiser l‟inscription du parti
politique Perú Posible… » (Alejandra Costa, rédactrice, Unité
d‟Investigation, journal Perú 21).131
En outre, la diffusion de ce reportage a motivé aussi certains acteurs, ayant
aussi montré une position critique et dénonçant le gouvernement, de mise à
distance avec le principal argument résultant de cette dénonciation : l‟illégitimité
de l‟inscription du parti politique gouvernemental et, par conséquent, la mise en
question de la légitimité de l‟élection du Président. Ce fut le cas des médias, et
des journalistes critiques au régime, qui ont manifesté leur désaccord avec un
probable changement de Président avant de finir les cinq ans de période
gouvernementale: El Comercio, La República, Perú 21, Caretas ont fait exprès
cet avis dans leurs éditoriales respectives.
“Le cas des signatures falsifiées est très intéressant parce que l’émission
télévisée qui a dénoncé le cas était dirigé par une journaliste indépendante
ayant lutté contre le régime de Fujimori, Roxana Cueva.. Cependant, pour
tous les propos pratiques, le directeur journalistique dans cette enquête fut le
parlementaire Rafael Rey. C’était lui qui avait toute l’information, et qui
produisait l’investigation. Il se faisait interviewer en faisant semblant qu’il était
131
Entretien effectué le 9 mai 2008, Lima, Pérou.
161
une source indépendante. Je crois que ça été une erreur de Roxana
Cueva…». (Gustavo Gorriti, Idéele)132
4.2.7. La fonction du journalisme: le contrôle social du gouvernement
En accord avec le climat politique existant, la tendance informative des médias
péruviens, durant l‟étape de post-transition, fut de surveiller le pouvoir
gouvernemental et de dénoncer de manière systématique les actes de
corruption, tant du régime que de l‟entourage personnel et politique du
Président. Cette tendance, ayant influencé sur la « renaissance » du
journalisme d‟investigation, fut interprété pour les journalistes que l‟on exercé
comme de contrôle publique de l‟exercice du pouvoir.
“ (Toledo) m’a téléphone il y a un an… et il m’a dit pour se retrouver à sa
maison, j’y suis jamais allé… il m’a dit : hey Augusto, je voudrais te
remercier parce que, je pense que grâce à la presse mon gouvernement a
pu s’améliorer…vous m’avez frappé durement, mais je dois vous remercier
parce qu’il s’agit d’un control démocratique et qu’aujourd’hui je le vois de
manière différente…. Donc, je pense que Toledo a raison quand il dit que la
presse a beaucoup aidé afin que le régime ne se perde pas. Je crois que si
la presse avait fait pareil avec Fujimori depuis le début, et non quand son
mandat fut déjà terminé, on aurait pu éviter que tout se termine mal… »
(Augusto Alvarez Rodrich, Perú 21)
« Je pense que le rôle de la presse a été très important durant le
gouvernement de Toledo, en mettant à frein, en permettant qu’il soit mieux
et, parfois, en le faisant reculer… » (Fernando Rospigliosi, Caretas)
En effet, face à une politique basée sur le principe de la confiance, en face
d‟une crise idéologique, et de représentation affrontée par les partis politiques,
les journalistes deviennent l‟une des entités sociales de surveillance et de
contrôle du pouvoir politique. Par exemple, dans le cas péruvien, les
132
Entretien effectué le 8 mai 2008, Lima, Pérou.
162
dénonciations journalistiques ont contrôlé l‟exercice gouvernemental depuis le
début, en motivant la sortie et l‟incarcération d‟un ami personnel et conseiller
politique du Président, César Almeyda, accusé d‟avoir commis des actes de
corruption et des trafics d‟influence (voir chapitres I et II).
De même, le gouvernement fut surveillé par les médias en tout ce qui concerne
les actes de corruption au cours des acquisitions de l‟État, et la transparence
dans l‟engagement du personnel dans différentes institutions de l‟État.
« Les scandales journalistiques ont forcé la démission des fonctionnaires.
Par exemple, plusieurs chefs du Centre National d’Intelligence ont
démissionné en 2002, 2003 et 2004, à cause des scandales journalistiques.
Parce qu’il y avait de la filtration d’information. L’un d’entre eux est
seulement resté (dans le poste) une journée, en 2004 : il avait été désigné
pour ce poste après un scandale impliquant son prédécesseur, mais un
autre scandale l’impliquant l’ a obligé à partir… (Ceci n’a pas été vu durant
le régime de Fujimori).. Ni dans le régime de García. Par exemple, le
Ministre de l’Intérieur Alva Castro, est entouré d’une série de scandales
depuis sa nomination, il a le niveau d’approbation le plus réduit, mais, il se
maintient dans son poste » (Fernando Rospigliosi, Caretas)
“… Nous (La República) avons publié plusieurs dénonciations mais bien
vérifiées. Par exemple, on a révélé que Toledo désirait acheter un
hélicoptère MI17 VIP alors que le budget de l’Armée n’était pas suffisant
pour réhabiliter ses avions… Quand cette dénonciation est faite publique le
scandale a déclenché et l’achat a du être annulé… De plus, cette acquisition
devrait être faite par Salomon Lerner, qui était son conseiller, et qui avait
une entreprise des hélicoptères… on a publié cela même si on savait que
Lerner était membre du directoire du journal. Suite à cette dénonciation, il a
du démissionner. Plus tard, on a publié la transcription d’un enregistrement
audio sur lequel on entendait Lerner négocier avec (Moises Wolfenson)… »
(Angel Paez, La República)
163
En raison des résultats obtenus (voir les chapitres I et II), ces dénonciations
permanentes ont empêché les actes de népotisme au sein du gouvernement,
impliquant principalement l‟engagement de familiers du Président, et de son
entourage politique le plus proche.
Toutefois, même si ce climat politique de surveillance du pouvoir
gouvernemental a pu renforcer le champ d‟action du journalisme, d‟autres
facteurs concernant le champ journalistique configuré dans la période de
transition ont conditionné une production journalistique d‟investigation critiquée
par ses propres acteurs. Cela signifie par les journalistes : Il dénonçait le
manque de ressources pour mener des reportages d‟investigation plus riches
en contenus, les Unités d‟investigation composées par de jeunes
professionnels sans expérience, un flux informatif dynamique favorisant la
publication des dénonciations journalistiques manquant d‟un équilibre de
sources ou d‟une vérification de la documentation, ou les témoignages
présentés comme preuves des dénonciations.
“Une partie importante des dénonciations contre Toledo, tel que le cas des
signatures falsifiées, avait été construite de manière artificielle, sans une
gestion journalistique responsable ou transparente… » - Gustavo Gorriti,
Idéele).
De cette manière, on peut aussi affirmer que durant cette période de post-
transition, le fait d‟être de l‟opposition fut considéré comme une valeur
« différentielle » parmi les journalistes :
« En face du doute personnel de si Correo fut un instrument du
montesinismo pour faire tomber Toledo, je réponds pour moi et pour mon
équipe. Moi, j’ai toujours été dans l’opposition... depuis l’âge de 21 ans, j’ai
commencé à travailler dans une ONG pro les Droits de L’homme
(Aprodeh)… Dans ce journal, j’ai continué à faire ce que je faisais depuis le
début. Je faisais partie de l’opposition à Toledo. Peut-être, qu’elle n’était pas
une opposition très constructive, peut-être que cela a été le résultat de ma
jeunesse, très proche du scandale, mais à la fin, je continuais à être
164
d’opposition. Je ne me suis pas converti à partir 2000…. Je faisais mon
travail d’investigation, mais les charges émotives des Unes ne faisaient pas
parties de mon responsabilité... c’était de la responsabilité du directeur…
cependant, lui, il ne touchait jamais le contenu des investigations menées
par l’Unité d’Investigation. » (Orazio Potestá, Correo)
« Les politiciens sont élus pour faire un travail, le travail des journalistes est
de leur rappeler. Perú 21 n’est pas un journal permissif, ou proche du
pouvoir, mais on essaie d’arriver à un équilibre… Perú 21 est un journal
combatif… Heureusement, Peru 21 a su se placer depuis sa première
parution comme un journal politique… il a pu s’ériger rapidement une ligne
éditoriale du journalisme politique. Celle-ci lui a permis d’acquérir de
nombreux lecteurs, permettant à nos journalistes de chercher les sources
avant les autres médias…. L’autre avantage de Perú 21… c’était qu’il ne se
mariait avec personne. Au Perú 21, on trouvait des dénonciations contre
tous. C’était le journal le plus intègre, le moins engagé avec un parti
politique en particulier… » (Augusto Alvarez Rodrich, Perú 21)
Toutefois, le fait que cette tendance allant de dénonciations en dénonciations
du gouvernement coïncidait avec le climat politique prédominant. Certains
aspects propres du champ journalistique de l‟époque mettaient en débat les
limites du rôle journalistique comme contrôle social du pouvoir dans la période
de post-transition, présidée par Alejandro Toledo :
- De fait, certaines de ces dénonciations ont été le résultat de la filtration
d‟information donnée par des acteurs politiques ayant eu une liaison avec le
régime d‟Alberto Fujimori, car ils étaient intéressés à déstabiliser le
gouvernement (par exemple, le cas des signatures falsifiées de Perú Posible,
ayant comme principale source le parlementaire Rafael Rey, qui en utilisant
cette dénonciation a demandé en plusieurs occasions la destitution du
Présidant pour « insuffisance morale » 133),
133
CARETAS, “La Silla Voladora. El intento de desalojar a Toledo del sillón presidencial puede, después
de escándalos y filtraciones, acabar en nada” (« La siège volante. Les essaies pour faire que Toledo quite
la siège présidentielle, après les scandales et les rumeurs, ont échoué ») [en ligne]. In: Caretas, no. 1870.
165
« Il y avait trois types d’information ayant pour but la révélation de probables
cas de corruption impliquant Alejandro Toledo et son entourage. D’abord,
celle d’inspiration fujimontesinista, où participait des gens ayant la claire
volonté de détruire le régime, et avec lui, le système anti-corruption installé.
Ensuite, les cas étant dénoncés par des gens devenant ennemis du régime
(de Toledo) et qui avait d’une façon ou l’autre une liaison avec le régime
précédant, mais dont l’objectif était la destitution de Toledo afin de mettre en
place un nouveau processus électoral et d’en faire bénéficier les groupes
qui avaient perdu les élections de 2000. De même, il y avait un troisième
groupe d’information qui était alimenté par les médias qui durant le régime
de Fujimori, n’avait rien fait et qui cherchait un nouveau type de public. Il
cherchait à démontrer que la véritable corruption existait dans le régime de
Toledo... Finalement, à ces groupes, se sont ajoutés ceux qui n’existaient
pas durant le régime de Fujimori et qui cherchaient aussi un public… c’est
trois types d’information sur la corruption a généré la chute radicale de
l’approbation de Toledo en risquant à plusieurs reprises de mettre la
démocratie »… (Angel Paez, La República)
- le fait que la structure médiatique existante lors du régime d‟Alberto Fujimori
n‟a pas été démontée durant le régime d‟Alejandro Toledo, a permis que
certains propriétaires, journalistes et directeurs, négocie illicitement leurs lignes
éditoriales avec le régime d‟Alberto Fujimori ,
« … A partir de 2000, tous les journalistes étant cachés sous leurs lits, ou
recevant de l’argent des mains de Fujimori… commençaient à réfléchir et à se
laver le visage. Durant le régime de Toledo, ils sont devenu l’opposition.
Après avoir étés, durant 10 ans, alliés de la mafia. Je parle des journaux tels
qu’Expreso, une partie importante d’El Comercio, etc… » (Orazio Potestá,
Correo)
Lima, 28 Avril 2005. Disponible sur:
<http://www.caretas.com.pe/Main.asp?T=3082&S=&id=12&idE=617&idSTo=233&idA=14403>
(consulté le 16 de mai de 2009)
166
« Il y avait aussi des organisations informelles de journalistes et de lobbistes,
des gens qui travaillaient pour différents organisations, qui agissaient comme
des groupes de soutien, et d’échange d’informations…par exemple, ce fut le
cas de la « Confrérie » (Cofradía), qui possédait de l’influence dans plusieurs
médias à la fois… Dans ce groupe, il y avait beaucoup de gens qui avaient
travaillé dans les journaux proches de Fujimori… et durant le régime de
Toledo possédaient leur bureaux aux relations publiques. Des gens qui
travaillaient comme journalistes, tel que Chacho Hidalgo ou Juan Carlos
Valdivia, mais pour qui le véritable salaire provenait de leur travail comme
conseilleurs d’imag,e et des relations publiques de politiciens. Cela n’avait
jamais été rendu public … Ces gens-là échangeaient des l’information et
parfois déclenchaient des dénonciations… » (Gustavo Gorriti, Idéele)
- de fait certaines de ces dénonciations ont provoqué des crises ministérielles
permanentes et ont été parfois publiées sans la vérification indispensable des
preuves utilisée…. Etc.
167
V. Conclusions. Centralité du scandale politique dans le jeu politique
établi durant la période gouvernementale d’Alejandro Toledo.
1. L‟installation d‟un nouvel régime démocratique a changé les règles du jeu
politique pour les différents acteurs politiques en leur poussant à reprendre
leurs positions « originales » (d‟ouvert défense de leurs groupes politiques)
mises à côté durant la campagne électorale de 2002 afin de donner leur soutien
à Alejandro Toledo (comme leader du mouvement contre la ré-réélection
d‟Alberto Fujimori). En effet, cette période-là a signifié le pas d‟un affrontement
« bipolaire » (régime de Fujimori vs. L‟opposition politique) vers un autre plus
démocratique, divers et ouvert. De cette manière, l‟objectif en commun des
différents acteurs politiques durant cette première phase de la démocratisation
était la (ré)construction d‟un espace (pour se forger un rôle actif) dans le nouvel
jeu politique et démocratique.
2. Dans cette nouvelle période, d‟ouverture démocratique post révélation de la
corruption existant durant le régime autoritaire d‟Alberto Fujimori, tant les
médias que les acteurs politiques ont du chercher leur « nouvelle» place dans
l‟espace politique en essayant de marquer une distance non seulement avec le
régime de Fujimori mais surtout avec le régime en vigueur, ceci d‟Alejandro
Toledo.
3. La classe politique et journalistique a été sévèrement frappée parce que,
grâce à la vulgarisation des « vladividéos », il a été possible de voir non
seulement que l‟opposition politique et les médias avaient des relations avec le
chef du Service National d‟Intelligence et conseilleur du Président Fujimori,
Vladimiro Montesinos, mais surtout qu‟ils avaient reçu de l‟argent de manière
illicite de la part du régime.
4. Le propos du régime d‟Alberto Fujimori fut de mettre les médias
(particulièrement la télévision) à leur disposition : il s‟agissait d‟une période
d‟essaie d‟absorption du champ médiatique par le champ politique
gouvernemental. Quand la transition politique commence il est mis en évidence
168
l‟utilisation des médias de la part de régime autoritaire de Fujimori, en
provoquant la mise en question de l‟indépendance des médias et, par
conséquent, en mettant en risque leur crédibilité.
5. En face à cette situation, durant la transition politique, les médias essaieront
de récupérer leur image en face de l‟opinion publique en adoptant des positions
dépendant non seulement de la relation établie avec le régime de Fujimori mais
aussi du moment politique (soit la transition politique, soit la première étape de
la démocratisation). De cette manière, durant le gouvernement de transition il a
été possible de distinguer trois types d‟acteurs médiatiques possédant de trois
types d‟agenda journalistique : a. les médias généralement écrites qui ont
maintenu une position « de critique modéré » ou de « dénonciation ouverte et
de confrontation» contre le gouvernement de Fujimori donnaient la priorité aux
actes de corruptions durant cette période au niveau de contenu et de la place
occupé dans l‟agenda quotidienne; b. les médias qui ont maintenu une position
« neutre ou d‟absence de critique » contre ce régime parlaient sur ces actes de
corruption et les enquêtes judiciaires réalisées à ce moment-là mais de manière
bref ou sans avoir une priorité dans l‟agenda ; c. les médias qui ont été
clairement proches du gouvernement de Fujimori et qui ont participé
ouvertement dans la campagne de destruction des opposants de Fujimori
informaient sur « l‟autre côté » des dénonciations en mettant en relief les
raisons des acteurs dénonciations ou en donnant espace à « l‟avis éditorial »
ou « l‟argument de défense » des médias avant de présenter l‟information.
6. En général, chaque média a essayé de marquer une distance avec le
régime de Fujimori, soit en mettant en évidence leur rôle journalistique durant
ce régime ou en dénonçant les actes de corruption de tel régime, soit en
justifiant leur proximité mais non complicité avec ce gouvernement mais en
marquant di stance des actes de corruption. Néanmoins, d‟une manière ou de
l‟autre, tous les médias en général se sont vus affectés par cette proximité avec
le gouvernement de Fujimori .
7. Concernant à l‟influence de ces deux moments politiques (2000 et 2001) sur
les facteurs influençant la centralité du scandale politique dans le jeu politique
169
lors le régime d‟Alejandro Toledo, on a vu que tant la proximité des médias
dans la corruption existante durant le gouvernement de Fujimori que leur
affaiblissement économique et politique résultant de cette période-là, se sont
constitués comme des aspects centraux ayant déterminé leur rôle informatif et
politique durant le régime d‟Alejandro Toledo, mais aussi leur proximité vers
l‟opposition politique et les dissidents du parti du régime, devenant les
principales sources des dénonciations contre le Président Toledo, le régime,
son parti politique et sa famille.
8. A cause de la révélation de la proximité existant entre plusieurs journalistes
et propriétaires des médias, et le régime de Fujimori, la crédibilité des médias et
des acteurs politiques fut sérieusement affectée.
9. La chute du gouvernement d‟Alberto Fujimori s‟est produite pour le
déclanchement d‟un scandale médiatique révélant le grand système de
corruption existant dans ce régime-là, qui incluait aux propriétaires de médias et
aux journalistes. Une fois la révélation avait été faite, un processus d‟enquêtes
judicaires et morales ont commencé : donc, il s‟est initié une période de
« rendre des comptes » (accountability).
La réaction immédiate des acteurs médiatiques et politiques fut de se
« distancier » de ce système de corruption. Cette situation a fait possible une
coïncidence d‟intérêts entre les opposants du régime et la presse en facilitant la
production des dénonciations, la filtration d‟information et le déclenchement des
scandales politiques médiatiques.
10. Pour les médias et les politiciens, le but était de ne pas répéter ce qui s‟est
passé durant le gouvernement de Fujimori et de mettre en évidence leur
opposition et leur indépendance. De cette manière, les médias trouveront que
durant la période gouvernementale d‟Alejandro Toledo la récupération de leur
crédibilité reposera sur la configuration d‟une position de dénonciation et
d‟opposition au Président Toledo, son régime et son entourage (politique et
personnel), tendance que s‟affirmait aussi sur l‟ambiance politique existant
durant cette première étape de la démocratisation.
170
11. Leur propos était de ne pas répéter les « erreurs du passé » (une étape de
révision publique du passé s‟avait installé de manière officielle avec le
commencement des procès judiciaires contre les cas de corruption politique,
des violations contre le Droits de l‟Homme et la création de la Commission de la
Vérité et la Réconciliation – CVR) et d‟avoir une attitude plus vigilante et
attentive du pouvoir gouvernemental. Toute cela en raison des demandes du
« peuple » (soit comme le public consommateur des nouvelles journalistiques,
soit comme l‟électorat qui exige à ses dirigeants d‟accomplir leur promesses
électorales) qui leur mettaient en question après avoir été des témoins du grand
réseau de corruption existant durant le régime d‟Alberto Fujimori –impliquant
plusieurs acteurs politiques et médiatiques autrefois dits « indépendants »- à
travers de la diffusion des « vidéos de la corruption ».
12. Durant la première période gouvernementale démocratique après la chute
de l‟autoritarisme, les acteurs politiques de l‟opposition se sont rendu compte
que le rôle de surveillance permanente de l‟utilisation du pouvoir et de la
dénonciation des actes de corruption commis durant le régime en cours –ce
d‟Alejandro Toledo- se constitueraient comme les moyens principaux pour
récupérer la crédibilité « perdue » ou pour la construire. Le poids de la lutte
sociale et politique lors des élections de 2000 et ceci constitué par l‟ambiance
de critique et dénonciation permanente installée durant la campagne électorale
de 2001, a été déterminant pour l‟installation de cette tendance.
13. On a pu constater que dans une phase post autoritaire où les secrets
impliquant des différents acteurs politiques et médiatiques sont révélés, qui
possède une grande fragilité institutionnelle et qui se caractérise pour affronter
une crise de partis politiques, le scandale politique se constitue pour ces
acteurs comme l‟outil central pour récupérer leur crédibilité (la base du pouvoir
symbolique et politique contemporaine) et exercer un rôle effectif de
« contrepoids » politique.
Durant cette période, les dénonciations journalistiques contre le
gouvernement ont souvent déclenché en scandales politiques en faisant que le
régime recule ou il entreprenne des changements radicaux dans son
administration. Cette capacité, faite possible grâce à divers facteurs qu‟on
171
mentionnera dans les paragraphes suivants, a fait que le scandale politique ne
soit pas seulement une arme de la presse pour récupérer leur crédibilité mais
aussi pour faire sentir leur poids au régime.
14. Pour les journalistes interviewés, la façon la plus évidente ou assurée de
récupérer/regagner leur crédibilité s‟effectuait à travers de la dénonciation du
régime, de la supervision/suivi permanente du comportement gouvernemental.
Ils considèrent que l‟exercice du contrepoids s‟effectue à travers de la vigilance
du régime en lui dénonçant de manière régulière.
15. L‟intérêt des médias pour se distancier du comportement des médias durant
le régime d‟Alberto Fujimori, a contribué à que ceux-ci centrent leur attention
sur la vigilance du pouvoir et plus spécifiquement sur les actes de corruption
commis pour le régime en cours. Le propos était de dire que la presse de 2001
(celle qui existait durant le régime d‟Alejandro Toledo) était différente à celle
existant durant les années 90 (durant le gouvernement de Fujimori).
16. D‟ailleurs, les médias journalistiques arrivent à la période post- Fujimori
profondément affaiblies tant au niveau économique qu‟au niveau moral (de
crédibilité) -comme résultat des négociations établies entre ceux-ci et le régime
corrompu et autoritaire d‟Alberto Fujimori-. Cette fragilité a contribué à que la
constitution du champ médiatique passe d‟une dépendance du pouvoir officiel
(gouvernemental) à une dépendance du « contre pouvoir politique » commandé
par les opposants du régime.
On constate une fréquence plus élevée des dénonciations journalistiques
contre le Président et le régime en comparaison aux périodes
gouvernementales antérieures.
17. Durant cette période-là, on a pu observer que les acteurs politiques de
l‟opposition et les membres dissidents du parti politique Perú Posible, se sont
constitués comme les principales sources des dénonciations politiques contre le
régime, en ayant une participation active dans la construction des scandales
politiques médiatiques.
172
Les dénonciations journalistiques ne se construisaient pas à partir du
contraste des informations obtenues à partir des différentes sources. Les
contenus des dénonciations sont légers car ils se basent sur une source (ou un
groupe de sources) intéressée(s), en général, étant opposées aux intérêts du
gouvernement.
18. Durant le régime d‟Alejandro Toledo était plus facile de produire des
dénonciations journalistiques : La production de dénonciations contre Toledo
était plus facile, tant parce qu‟il y avait plus de sources intéressées à dénoncer
le gouvernement (le fluxe d‟information était plus élevé que dans les années
antérieures) mais aussi parce que la capacité du gouvernement pour répondre
faux dénonciations était plus faible:
19. D‟ailleurs, le manque de leadership du Président Alejandro Toledo et la
lenteur ou l‟absence de réponses du régime aux dénonciations, ont contribué
largement à faciliter la génération des scandales.
20. Il y avait un public intéressé aux dénonciations, qui était plus attentif aux
actions du gouvernement. Les journaux écrits et télévisuelles se sont rendus
compte que dans la dénonciation fréquente contre Toledo et son entourage
politique et familier ils pouvaient trouver un « avantage » (ou « un plus ») pour
leur permettre d‟augmenter leur audience et la quantité des lecteurs.
En effet, après la diffusion médiatique des « Vladi vidéos » qui mettaient
en évidence le niveau élevé de corruption au sein du régime de Fujimori, la
société péruvienne et la politique en générale sont devenues plus sensibles aux
n‟importe quelle acte de corruption commis au niveau gouvernemental. Cette
sensibilité plus marqué vers la corruption, ainsi que l‟attention permanente de la
société péruvienne aux révélations des actes de corruption au sein du
gouvernement (alimentée pour la diffusion quotidienne des vidéos de la
corruption durant la période de Transition), a permis l‟existence d‟un public pour
ces « dénonciations journalistiques ».
173
Bibliographie
BOLTANSKY Luc, La souffrance à distance. Morale humanitaire, médias et
politique, Paris, Métailié, 1993, 287 pages.
BOURDIEU Pierre, Propos sur le Champ Politique, Lyon, Presses
Universitaires de Lyon, 2000, 110 pages.
CARRILLO, Sonia Luz, “Actuaciñn política de los medios de comunicación
peruanos. Elecciones generales del 2000 y 2001” (“Rôle politique des médias
péruviens. Les élections générales du 2000 et 2001”) [en ligne]. In: Razón y
Palabra, México DF., 2001, no. 26. Disponible sur:
<http://www.cem.itesm.mx/dacs/publicaciones/logos/anteriores/n26/sluz.html>
(consulté le 15 mai 2009)
CHAMPAGNE, Patrick, «La double dépendance. Quelques remarques sur les
rapports entre les champs politique, économique et journalistique», Hermès,
Paris, 1995, n° 17-18, pp. 215-229.
DE DAMPIERRE, Eric, « Thèmes pour l‟étude du scandale », Annales ESC,
Paris, IX, no. 3, 1954, pp. 328-336.
De BLIC, Damien et LEMIEUX, Ciryl, « Le scandale comme épreuve. Éléments
de sociologie pragmatique », Politix, 2005, Vol 18, no. 71, pp. 9-38.
DEGREGORI, Carlos Iván La década de la antipolítica . Auge y huida de
Alberto Fujimori y Vladimiro Montesinos, Lima, IEP, 2000, 393 pages.
FOWKS, Jacqueline, Suma y resta de la realidad: medios de comunicación y
elecciones generales 2000 en el Perú, (assistante de recherche: Gisela LUJAN
ANDRADE), Lima, Friedrich Ebert Stiftung, 2000 280 pages.
GARGUREVICH, Juan, Historia de la prensa peruana: 1594 – 1990, Lima, La
Voz, 1991, 286 pages.
174
GARRETON, Manuel A., Reconstruir la política: transición y consolidación democrática
en Chile, Santiago, Ed. Andante, 1987, 293 pages.
GARRIGOU, Alain, « Le scandale politique comme mobilisation ». In : CHAZEL,
François, dir., Action collective et mouvements sociaux, Paris, PUF, 1993, pp. 183-191.
GLUCKMAN, Max, « Gossip and Scandal », Current Anthropology, IV, no. 3, 1963, pp.
307-316.
JIMENEZ, Fernando, Detrás del escándalo político: Opinión Pública, dinero y poder en
la España del siglo XX, Madrid, Tusquet editores, 1995, 280 pages.
LUJAN ANDRADE, Gisela, ¿Del silencio a la apertura informativa ? El papel de
los medios de comunicación televisivos durante el gobierno de transición
democrática de Valentín Paniagua (2000-2001) (Du silence à l’ouverture
informative? Le rôle joué par la télévision péruvienne lors du régime de
transition démocratique de Valentin Paniagua (2000-2001), mémoire de
Licence en Communication, Lima, Universidad de Lima, 2003, 195 pages.
LUZZANI, Telma, Sudamérica [en ligne]. In: Global Corruption Report 2001,
Transparency International, 2001. Disponible sur:
<http://www.transparency.org/publications/gcr/gcr_2001#download> (consulté le 30
aout 2008)
MARCHETTI, Dominique, « Sociologie de la production de l‟information. Retour sur
quelques expériences de recherche », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les
savoirs, no. 1, 2002, pp. 17-32
MARKOVITS, Andrei, et SILVERSTEIN, Mark, The Politics of Scandal. Power and
Process in Liberal Democracies, New York, Holmes and Meier, 1998, 275 pages.
OFFERLÉ, Michel, Sociologie des groupes d’intérêt, Paris, Montchrestien, 1998, 145
pages.
PAREDES, Martín, “Nos habíamos peleado tanto: Alejandro Toledo, la prensa y un
175
largo adiós » [en ligne]. In: Perú Hoy, no. 9, DESCO, Centro de Estudios y Promoción
del Desarrollo, Lima, juillet 2005. Disponible sur : <http://desco.cepes.org.pe/apc-aa-
files/d38fb34df77ec8a36839f7aad10def69/PH_jul06.zip> (Consulté le 15 juillet 2008)
PUJAS, Véronique, Les scandales politiques en France, en Italie et en Espagne :
constructions, usages et conflits de légitimité, thèse, European UN Institue, Paris,
1999.
SHERMAN, Lawrence, « The Mobilization of Scandal ». In: HEIDENHEIMER, Arnold,
dir., Political corruption, readings in comparative analysis, New Brunswick, Transaction
books, 1978, pp. 887-911.
TANAKA, Martín, “El gobierno de Alejandro Toledo, o cómo funciona una democracia
sin partidos” [en ligne]. In: Política, 2004, Lima, no. 42. Disponible sur
<http://redalyc.uaemex.mx/pdf/645/64504207.pdf> (consulté le 30 juillet 2008)
THOMPSON John B., Political Scandal: Power and Visibility in the Media Age, Malden,
Blacwell, 2000, 324 pages.
TOCHE, Eduardo, “Cronologia de un largo y ardiente bienio” (“Cronologie des deux
ans longs et chauds » [en ligne]. In: Peru Hoy, DESCO, Centro de Estudios y
Promocion del Desarrollo, 2003, no. 3. Disponible sur :
<http://www.desco.org.pe/publicaciones/PERUHOY/pdfs/peruhoy3.zip> (consulté le 15
juillet 2008)
TUMBER, Howard et WAISBORD, Silvio, “Political Scandals and Media across
Democracies”. American Behavioral Scientist, no. 47 (7-8), 2004, p.1031-1039.
176
Recommended