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Défi alimentaire : Agriculture 3 DIMENSION 3 • LE JOURNAL DE LA COOPÉRATION BELGE 3/2008 Les ODM prévoyaient la diminution de moitié des personnes qui souffrent de la faim d’ici 2015. La faim concernait 824 millions d'in- dividus en 1990, soit 20% de la population mondiale. En 2002, elle était encore une réalité quotidienne pour 814 millions d'individus. En 2006, la FAO constatait que Dix ans plus tard, nous sommes confrontés à une triste réalité : aucun progrès n’a été réellement accom- pli depuis la période 1990-1992. (Rapport 2006) Pour le dire autrement, “Toutes les 5 minutes, un enfant meurt de faim”. Pourtant, le droit de s’alimenter correctement semble le plus basique et le plus simple des droits. Jean Ziegler, ancien Rapporteur du Droit à l’alimentation auprès de l’ONU affirmait : “Etant donné l’état actuel de l’agriculture dans le monde, on sait qu’elle pourrait nour- rir 12 milliards d’individus sans difficulté. Pour le dire autrement : tout enfant qui meurt actuellement de faim est, en réalité, assassiné.” Quel est alors le problème ? Un problème mondial Sur le banc des responsables de la crise : la flambée des prix du pétrole entrainant la hausse des prix des transports, les biocar- burants qui occupent les terres cultivables, l’augmentation de la consommation en Chine et en Inde ; la spéculation sur les matières premières et enfin les changements climatiques. Autant de sujets qui posent question au système de la consommation effrénée de l’énergie ; de promotion des exportations au détriment de la souve- raineté alimentaire ; de la négligence des effets de l’industrialisation sur l’environnement naturel. Face à ce problème, pour certains, le seul remède à long terme passe par une remise en question du sys- tème économique actuel. Mais en attendant, c’est à la production agricole et aux paysans qu’il faut accorder plus d’attention. Ce sont précisément les zones rurales qui souffrent le plus de la faim. Sécurité alimentaire : l’agriculture et l’élevage remis au goût du jour La “sécurité alimentaire” définie par la FAO, désigne une situation dans laquelle “chacun peut accéder en toute circonstance à une alimentation sûre et nutritive, lui permettant de mener une vie saine et active”. Pour certains, ce principe serait indissociable de celui de “souveraineté alimentaire” : “le droit des populations, et des pays de définir leurs propres politiques alimentaires et agricoles. Ces politiques doivent être écologiquement, socia- lement, économiquement et culturellement adaptées à chaque contexte spécifique et ne pas menacer la souveraineté alimentaire d’autres pays” (Oxfam). Après avoir été incités à délaisser leurs cultures nationales au profit des exportations soumises aux caprices du marché, les pays du Sud, devenus dépendant des importations, ne sont plus capables de nourrir leurs propres citoyens. Par déni de “souveraineté alimen- taire”, ils se retrouvent en situation d’“insécurité alimentaire”. C’est une Crise et sécurité alimentaire : l’agriculture et l’élevage remis à l’honneur © CE/Guy Stubbs C’est dans un monde secoué par les émeutes de la faim consécutives à la crise alimentaire mondiale que s’ouvre ce dossier sur la “sécurité alimentaire” Un sujet brûlant et fondamental, qui touche tout le monde ; les portefeuilles des Occidentaux et la ration alimentaire quotidienne déjà maigre des pays du Sud. On estime en effet que, suite à cette crise, 100 millions de personnes seraient menacées d’insécurité alimentaire en plus des 860 millions de personnes qui en souffrent déjà. Dès lors, l’agriculture et l’élevage local, longtemps négligés par les politiques internationales, sont réappréciés. Objectif du Millénaire n°1 : Réduire l'extrême pauvreté et la faim

© CE/Guy Stubbs Crise et sécurité alimentaire : …...Afrique (de 288 à 512 millions EUR). la réponse belge Traditionnellement, l’agriculture et la sécurité alimentaire sont

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Défi alimentaire : Agriculture

3DIMENSION 3 • LE JOURNAL DE LA COOPÉRATION BELGE • 3/2008

Les ODM prévoyaient la diminution de moitié des personnes qui souffrent de la faim d’ici 2015. La faim concernait 824 millions d'in-dividus en 1990, soit 20% de la population mondiale. En 2002, elle était encore une réalité quotidienne pour 814 millions d'individus. En 2006, la FAO constatait que “Dix ans plus tard, nous sommes confrontés à une triste réalité : aucun progrès n’a été réellement accom-pli depuis la période 1990-1992.” (Rapport 2006)

Pour le dire autrement, “Toutes les 5 minutes, un enfant meurt de faim”. Pourtant, le droit de s’alimenter correctement semble le plus basique et le plus simple des droits. Jean Ziegler, ancien Rapporteur du Droit à l’alimentation auprès de l’ONU affirmait : “Etant donné l’état actuel de l’agriculture dans le monde, on sait qu’elle pourrait nour-rir 12 milliards d’individus sans diff iculté. Pour le dire autrement : tout enfant qui meurt actuellement de faim est, en réalité, assassiné.” Quel est alors le problème ?

un problème mondial

Sur le banc des responsables de la crise : la flambée des prix du pétrole entrainant la hausse des prix des transports, les biocar-burants qui occupent les terres cultivables, l’augmentation de la consommation en Chine et en Inde ; la spéculation sur les matières

premières et enfin les changements climatiques. Autant de sujets qui posent question au système de la consommation effrénée de l’énergie ; de promotion des exportations au détriment de la souve-raineté alimentaire ; de la négligence des effets de l’industrialisation sur l’environnement naturel. Face à ce problème, pour certains, le seul remède à long terme passe par une remise en question du sys-tème économique actuel. Mais en attendant, c’est à la production agricole et aux paysans qu’il faut accorder plus d’attention. Ce sont précisément les zones rurales qui souffrent le plus de la faim.

Sécurité alimentaire : l’agriculture et l’élevage remis au goût du jour

La “sécurité alimentaire” définie par la FAO, désigne une situation dans laquelle “chacun peut accéder en toute circonstance à une alimentation sûre et nutritive, lui permettant de mener une vie saine et active”. Pour certains, ce principe serait indissociable de celui de “souveraineté alimentaire” : “le droit des populations, et des pays de définir leurs propres politiques alimentaires et agricoles. Ces politiques doivent être écologiquement, socia-lement, économiquement et culturellement adaptées à chaque contexte spécifique et ne pas menacer la souveraineté alimentaire d’autres pays” (Oxfam). Après avoir été incités à délaisser leurs cultures nationales au profit des exportations soumises aux caprices du marché, les pays du Sud, devenus dépendant des importations, ne sont plus capables de nourrir leurs propres citoyens. Par déni de “souveraineté alimen-taire”, ils se retrouvent en situation d’“insécurité alimentaire”. C’est une

Crise et sécurité alimentaire : l’agriculture et l’élevage remis à l’honneur

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C’est dans un monde secoué par les émeutes de la faim consécutives à la crise alimentaire mondiale que s’ouvre ce dossier sur la “sécurité alimentaire” Un sujet brûlant et fondamental, qui touche tout le monde ; les portefeuilles des Occidentaux et la ration alimentaire quotidienne déjà maigre des pays du Sud. On estime en effet que, suite à cette crise, 100 millions de personnes seraient menacées d’insécurité alimentaire en plus des 860 millions de personnes qui en souffrent déjà. Dès lors, l’agriculture et l’élevage local, longtemps négligés par les politiques internationales, sont réappréciés.

Objectif du Millénaire n°1 :Réduire l'extrême pauvreté et la faim

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logique très résumée car bien sûr, d’autres éléments entrent en ligne de compte, comme les aléas climatiques.

Mais il y a autre chose. Longtemps, l’agriculture a été oubliée des politiques de développement. On estime en effet que seulement 4% de l’aide publique au développement allait à l’agriculture alors que dans certains pays en développement jusqu’à 80 % de la population vit de la production agricole.

Dans son Rapport 2008 (voir Dimension 3 n°2/2008), la Banque Mondiale a reconnu qu’elle avait négligé l’agriculture. En 20 ans, la part de ses prêts au secteur agricole est passée de 30% à 12%. Ce mea culpa était suivi d’une augmentation substantielle de crédits pour la production agricole en Afrique (de 288 à 512 millions EUR).

la réponse belge

Traditionnellement, l’agriculture et la sécurité alimentaire sont l’un des cinq secteurs d’actions prioritaires de la coopé-ration belge au développement. Mais la Belgique reconnaît ne pas avoir suffisamment soutenu ce secteur essentiel aux pays du Sud. Depuis quelques mois, le Ministre de la coopération belge a décidé d’accorder plus d’attention et d’augmenter ses contributions au secteur productif (voir p.17). Un acteur important est le Fonds belge de survie dont les objectifs sont d'assurer les chances de survie de personnes menacées par la faim, la pauvreté et l'exclusion dans des pays africains confrontés de manière chronique à un déficit alimentaire. Le Fonds verra son budget s’élever à 32,5 millions EUR en 2008. De même, le soutien à la recherche agricole et vétérinaire via le CGIAR va en s’accroissant vers 6,4 millions EUR en 2008.

La Belgique joue aussi un rôle de moteur international via son plaidoyer pour une aide alimentaire non liée* et payée en cash et l’achat de l’aide alimentaire sur les marchés locaux (voir encadré). Le Ministre de la coopération incite également la présidence slovène de l’Union européenne à mettre la problématique du prix de la nourri-ture à son agenda. Il compte également prendre une part active à la Conférence de Haut Niveau de la FAO qui se tiendra en juin à Rome sur les défis de la bio-énergie et des changements climatiques face à la sécurité alimentaire mondiale.

les aides alimentaires d’urgence

Loin de la coopération structurelle qui travaille sur le long terme, l’aide d’urgence répond à des besoins immédiats qui sont la conséquence de situations de crise humanitaire comme une famine ou une catastrophe naturelle, par des dons directs et concrets : nourriture de base qui permet de faire face aux besoins immédiats, ou le cas échéant des semences et des outils qui permettent aux sinistrés de redémarrer leurs activités agricoles. En 2008, la Belgique consacrera environ 18 millions EUR à l’aide alimentaire humanitaire (contre 17 millions en 2007) via le PAM, la FAO et l’UNRWA (United Nation Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East). Le Programme Alimentaire Mondial (PAM) subvient aux besoins alimentaires de 73 millions de per-sonnes, dans près de 80 pays. L’agence recevra au minimum 11,5 millions EUR et son budget pourrait augmenter jusqu’à presque 13 millions.

D’une manière générale, face à la crise alimentaire mondiale et la montée des prix des denrées de base, les agences d’aide alimentaire d’urgence tirent la sonnette d’alarme : leur pouvoir d’achat est réduit de moitié tandis que la population affamée augmente. C’est pourquoi la Belgique examine la possibilité d’augmenter encore sa contribution pour 2009. n

elise Pirsoul

Achats locaux de maïs en République démocratique du Congo (PAM)Depuis plusieurs années, la Belgique plaide au niveau international auprès du Programme alimentaire mondial (PAM) pour que la famine soit soulagée grâce à l’achat d’aliments sur les marchés locaux. Ces opérations doivent de la sorte permettre également d’encourager et de renforcer le développement du marché agricole local, le dumping de surplus alimentaires occidentaux perturbant encore trop souvent les marchés locaux. Une première étude du marché local en RD Congo devait s’intéresser aux procédures d’achat. Grâce aux efforts belges, le PAM a élaboré de nouvelles directives pour les achats de vivres locaux. Les Iles de Paix ont du dispenser aux organisations paysannes congolaises une formation destinée à leur permettre d’ap-pliquer les procédures d’achat du PAM.

En 2007, au Nord Kivu et en Ituri, les premiers achats locaux de maïs et d’haricots ont été réalisés avec succès par le PAM. Les achats pour cette année se montent déjà à 800 tonnes de nourriture produite localement. Une prestation exceptionnelle, compte tenu du conflit meurtrier dans la région et de la mauvaise infrastructure routière.

Le directeur de l’organisation paysanne congolaise Coocenki, est très enthousiaste :“Grâce à l’achat de vivres locaux du PAM sur nos marchés, nos paysans vont pouvoir remplir un rôle social et économique. Mais l’orga-nisation de la livraison de 150 tonnes de farine de maïs a bien évidemment représenté un défi de taille.”

La DGCD a financé via les Iles de Paix l’achat de deux nouveaux mou-lins dans le Nord Kivu, ce qui a permis de réduire le prix de revient de la transformation du maïs dans la province et par conséquent, le prix de vente de la farine de maïs sur les marchés locaux. Un point capital car la farine de maïs est l’aliment de base dans la préparation du foufou par la population congolaise. n

r. van vaerenbergh

* Aide conditionnée à l’achat de produits dans le pays donateur.

La crise alimentaire mondiale

Source : Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture/FAO, National Agriculture Marketing Council (NAMC)La Libre Belgique

Pays ayant connu des émeutes liées à l'alimentation ou des épisodes climatiques ayant réduitl'offre alimentaireDéfi alimentaire : Agriculture

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les émeutes de la faim ne feraient que commencer. montrent-elles que le système mondial de production alimentaire vient d'atteindre une limite ?Une quarantaine de pays ont connu ces dernières semaines des émeutes liées à l’augmentation des prix des denrées alimentaires. Au Pakistan et en Thaïlande, l’armée a dû être déployée pour éviter le pillage des lieux de stockage des produits alimentaires ou des champs. En outre, cette évolution met en danger la capacité des agences internationales à faire face aux demandes qui leur sont adressées, puisque les coûts de l’aide alimentaire qu’elles prodi-guent ont considérablement augmenté. Or, cette crise n’est pas uni-quement conjoncturelle : les mauvaises récoltes de 2006 et 2007, notamment de blé en Australie et en Europe ou de riz au Vietnam, ne constituent pas l’explication-clé. Les causes de cette crise sont bien structurelles ; et l’augmentation des prix – aboutissant à un quasi doublement des prix des denrées alimentaires de base depuis 2000 – est donc là pour durer. En ce sens, oui, le système mondial de production alimentaire atteint ses limites. L’offre ne parvient plus à répondre à la demande, elle-même liée à l’évolution des habitudes alimentaires dans un contexte d’urbanisation croissante et d’émergence d’une classe moyenne dans les pays en transition tels que la Chine ou l’Inde, mais aussi à l’encouragement aux agro-carburants. Ceci a généré les comportements spéculatifs. En raison des résultats décevants des marchés financiers, les investisseurs se

sont tournés vers les matières premières à partir de 2002, d’abord vers le pétrole, puis vers les métaux, et à présent vers les céréales. Ceci a poussé vers le haut les prix des denrées alimentaires sur les bourses spécialisées, telles que le Chicago Board of Trade. Ces investissements, motivés par des fins purement spéculatives, sont - faut-il le préciser - totalement indifférents à leurs impacts sociaux.

la communauté internationale, dont en particulier ses institutions financières, a-t-elle donc failli ?Oui, et c'est inexcusable. Beaucoup criaient dans le désert depuis des années pour qu'on soutienne l'agriculture dans les pays en développement. Pendant vingt ans, les institutions financières ont gravement sous-estimé la nécessité d'investir dans l'agriculture - la Banque mondiale l'a reconnu fin 2007. Et les plans d'ajustement structurel du Fonds monétaire international ont poussé les pays les plus endettés, notamment dans l'Afrique subsaharienne, à développer des cultures d'exportation et à importer la nourriture qu'ils consommaient. Cette libéralisation les a rendus vulnérables à la volatilité des prix. En même temps, rien n'a été fait contre la spéculation sur les matières premières, depuis qu'avec la chute de la bourse, les investisseurs se sont repliés sur ces marchés. Avec l'augmentation de la demande alimentaire, l'offre ne suit plus. L'agriculture industrielle, fondée sur des intrants coûteux, montre ses limites.

Le belge Olivier De Schutter occupe le poste de Rapporteur Spécial pour le Droit à l'Alimentation auprès des Nations Unies depuis le 1er mai 2008. Spécialiste des droits de l'homme à l'Université Catholique de Louvain et au Collège d'Europe, il a également été Secrétaire général de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'Homme pour les questions liées à la mondialisation économique. En début de mandat dans un contexte mondial plus que jamais agité, il a répondu à nos questions…

Manger tous les jours est un droitInterview avec Olivier De Schutter

"Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer son alimentation."

Déclaration universelle des droits de l'homme, article 25 (10 décembre 1948).

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Défi alimentaire : Interview

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comme vous l'avez souligné à l'instant, les carburants de substitution élaborés à partir de végétaux - éthanol, biodiesel -, sont accusés d'être l'une des causes de la crise alimentaire actuelle. ainsi, votre prédécesseur, le suisse Jean Ziegler, n'hésite pas à parler de "crime contre l'humanité". Selon vous, qu'est-il urgent de prendre comme décision à ce propos ?Un consensus se fait jour sur deux points : le recours accru aux agrocarburants constitue une des causes principales de l’augmentation actuelle des prix des denrées alimentaires ; les bénéfices que représente le recours aux agrocarburants pour l’environnement ont été largement surestimés. Depuis 2004, la totalité de l’augmentation de la production de maïs aux Etats-Unis a été consacrée à la production de bioéthanol. Pour 2008, près de 25% des 13,1 milliards de boisseaux des maïs produits aux Etats-Unis seront consacrés à la production de bioétha-nol, l’objectif étant d'en produire 9 milliards de gallons (34,02 milliards de litres), et 10 milliards en 2009 (37,8 milliards de litres). Ceci conduit sans conteste à mettre en concurrence la production de maïs à des fins d’alimentation et la production d’agrocarburants.

Je constate que le Secrétaire à l’énergie de l’administration Bush, M. Samuel Bodman, reconnaît la nécessité de progressivement abandonner le recours au maïs pour la production d’agrocar-burants. Je note également que la Commission européenne, et plusieurs dirigeants européens, expriment leurs doutes quant à l’objectif de 5,75 % d’agrocarburants dans le transport pour 2010, et 10% pour 2020. Une prise de conscience se fait jour, et la mise en œuvre du moratoire réclamé par Jean Ziegler n’est plus, aujourd’hui, irréaliste.

un lien évident semble donc avoir conduit de la crise énergétique - la raréfaction des combustibles fossiles, le réchauffement climatique - à la crise alimentaire qui survient à présent. les agrocarburants auraient ainsi amorcé la spéculation sur certaines céréales, mais aussi sur une série d'autres produits alimentaires de base. Quelles pistes suivre pour, simultanément sur les deux plans, affronter cette crise à présent globale ?En effet, le changement climatique constitue une menace consi-dérable pour la sécurité alimentaire. Nous savons bien que les pays en développement à déficit vivrier, qui sont déjà les plus fragilisés par la volatilité des prix des produits alimentaires, subiront les conséquences les plus graves du changement climatique. Celui-ci affectera les pluies, la température et la disponibilité en eau douce pour les besoins de la production agricole. Dans son Rapport sur le développement humain 2007-2008, le PNUD estime qu’en Afrique sub-saharienne, de 60 à 90 millions d’hectares de terrain, jusqu’à présent épargnés, seront atteints par la sécheresse en raison du changement climatique. Le Panel intergouvernemental sur le changement climatique (GIEC) estime qu’en Afrique sub-saharienne, entre 2000 et 2020, la production agricole pourrait chuter de près de 50%, car trop peu d’investissements y ont été réalisés pour l’irrigation des cultures.

Mais la réponse à ce défi passe par des investissements dans l’irrigation, pour protéger les paysans des conséquences de la sécheresse ; par des transferts de technologies propres ; et par une révolution dans les habitudes de vie des pays industrialisés.

Les agrocarburants de la première génération sont une mauvaise réponse au défi du changement climatique. Je n’exclus pas que les agrocarburants de la seconde génération, produits à partir de déchets de plantes, et n’entrant donc pas en concurrence avec l’alimentation, puissent offrir des solutions. La recherche doit se poursuivre sur ce plan.

l’agriculture, et l'élevage, auront comme immense défi de nourrir 9 milliards d'êtres humains en 2050. cependant, l’agriculture et l'élevage sont eux-mêmes l'une des causes des changements climatiques. comment réduire le taux des émissions de gaz à effet de serre tout en produisant plus d’alimentation ?Oui, le temps est venu de repenser notre manière de pratiquer l’agriculture. La “révolution verte” – qui n’a d’ailleurs qu’assez fai-blement touché l’Afrique, mais qui a tant bénéficié à l’Inde et à la Chine – a été nécessaire. A présent un autre modèle doit être conçu, moins dépendant du prix de l’énergie, moins coûteux en pesticides et en engrais chimiques, plus soucieux d’économiser les sols. Il faut financer les recherches agronomiques qui per-mettront de progresser.

de plus en plus de voix se font entendre pour attribuer un rôle plus important à l'agriculture familiale durable, au petit maraîchage, et à sa distribution locale, en vue d'atteindre la souveraineté alimentaire des populations. comment va-t-on les développer et les améliorer, les diversifier et les garantir ?Beaucoup de pistes intéressantes ont été ouvertes dans le rap-port de l’Evaluation internationale des sciences et technologies agricoles au service du développement (EISTAD, ou IAASTD en anglais - voir p.13). Or, que préconisent ces experts ? Une réorientation des sciences et technologies agricoles vers les besoins des plus petits producteurs, par exemple pour limiter les pertes suivant les récoltes ou les aider à faire face à l’épuise-ment des sols ; l’encouragement à des techniques agricoles plus respectueuses de l’environnement et qui tiennent compte des nouvelles contraintes qu’entraîne le changement climatique ; et des investissements dans l’infrastructure de communication des zones rurales, ainsi que dans l’agriculture familiale.

vous avez souligné la nécessité d'investir dans l'irrigation. mais l'agriculture consomme déjà d'énormes quantités d'eau – dans certains pays jusqu'à 85 % de l'eau disponible. comment résoudre ce problème ?Votre diagnostic est absolument exact. De plus, dans plusieurs pays, les nappes aquifères sont en train d’être épuisées, et les techniques agricoles actuellement en vigueur, fortement consommatrices d’eau, ne sont plus soutenables même à relati-vement court terme. Il faut d’urgence développer et diffuser des technologies d’irrigation plus économes en eau.

comment se fait-il que les paysans, les premiers producteurs de nourriture dans les pays en développement, soient les plus touchés par la faim et ses conséquences ? Quelle est à cet égard l'incidence du "dumping" occasionné par les subventions européennes ou américaines sur leurs productions agricoles, dont les excédents se retrouvent sur les marchés locaux des pays en développement ?

Défi alimentaire : Interview

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Les paysans gardent en général une partie de leur récolte pour leur consommation personnelle, vendant le reste pour complé-ter leur diète et rencontrer leurs autres besoins. Trop souvent, les prix qu’ils en obtiennent sont insuffisants. Ici, les subsides des pays industrialisés à leurs agriculteurs – estimés à près de 350 milliards USD annuels – jouent un rôle important : ils sont une source de concurrence déloyale pour les agriculteurs des pays en développement. Mais leur abolition pure et simple aurait un impact négatif sur le pouvoir d’achat des familles qui, dans les pays en développement, sont des acheteurs nets de nourriture, puisque mettre fin aux subsides, c’est accepter une montée des prix. Donc, il faut mettre fin à ces subventions, mais en les accompagnant de deux mesures : un, des programmes sociaux permettant aux populations des pays en développement de faire face au choc ; deux, un réinvestissement massif dans l’agricul-ture, notamment par une amélioration des infrastructures de communication, un meilleur accès aux technologies, aux engrais, ainsi qu’au crédit.

Comme je le disais, on paie aujourd’hui le prix de vingt ans de mépris de l’agriculture : la Banque mondiale le reconnaît. D'autre part, l'OCDE paie chaque année à ses agriculteurs 370 milliards USD, contre 1 milliard d'aide à l'agriculture pour les pays en développement. C'est une honte. Mais, comme je l'ai indiqué, si on supprime les subventions immédiatement, les pays en développement, qui importent ces produits, devront les payer plus cher.

Avant, les Etats-Unis et l'UE déversaient l'aide alimentaire quand il y avait des surplus. Les prix baissaient, mettant en difficulté les producteurs locaux. Il faut au contraire les encourager à produire, acheter leurs produits sur les marchés locaux et les donner aux plus pauvres. Au lieu des cargos de blé qui traver-sent l'Atlantique, il faut une aide financière.

Qu'y a-t-il à changer d'urgence pour faire face à la crise alimentaire ? au niveau des programmes d'aide et de coopération au développement, au niveau des méthodes de production, au niveau économique, que doit-on dès à présent reconsidérer, et quel est l'ordre des priorités ? A court terme, il faut aider les agences internationales à remplir leur mission. Avec l’augmentation des prix, 755 millions USD supplémentaires sont requis. Les Etats commencent à se mobi-liser, soit en versant une aide supplémentaire au PAM soit en fournissant une aide directe.

Ces aides sont urgentes. On estime que 100 millions de per-sonnes supplémentaires sont menacées d’insécurité alimentaire dans le contexte actuel. En même temps, il faut être attentif à deux choses. Un, si elle se prolonge, l’aide internationale crée une dépendance qui n’est pas souhaitable. Deux, l’aide – si elle prend la forme de l’envoi de produits alimentaires, donc “en nature” – peut être dommageable pour les producteurs locaux, qui, en raison de cette concurrence, ne pourront plus écouler leur production sur les marchés. Idéalement, l’aide devrait prendre la forme d’achats locaux et de redistribution aux plus nécessiteux, ou d’allocations aux plus nécessiteux que ceux-ci peuvent dépenser en achats sur les marchés locaux.

A moyen terme, il faut réinvestir massivement dans l’agriculture.

A long terme, en effet, il faudra réfléchir aux moyens de garantir une stabilité des prix agricoles. C’est dans l’intérêt de tous : des producteurs, qui peuvent mieux prévoir leurs rentrées dans le temps, ce qui rendra le crédit moins cher ; des consommateurs, qui seront mieux à l’abri de spirales comme celle qu’on voit aujourd’hui ; et des Etats, dont les stratégies de sécurité alimen-taire seront plus aisées à conduire. Des pistes sont explorées. Parmi elles figurent le retour à des accords de stabilisation, tels qu’ils étaient en vigueur au cours des années 1970 ; la taxation des mouvements spéculatifs sur les produits agricoles, dont l’Inde vient de donner l'exemple ; ou encore, la constitution de stocks de produits alimentaires, permettant de faire baisser les cours internationaux lorsque naît une spirale “agf lationniste”*. Une des tâches que je me suis fixées, en tant que Rapporteur spécial, est d’explorer ces pistes avec des experts, et de faire des recommandations sur cette question.

dans le cadre économique actuel, le marché alimentaire ne serait plus en mesure, selon vous, de s'autoréguler ?La "main invisible" n'est pas la solution, c'est le problème. J'étudie des mécanismes de taxation des mouvements spéculatifs, que l'Inde entend mettre en place. Dans le domaine agricole, l'offre est relativement inélastique et les terres arables ne sont pas extensibles à l'infini. Par ailleurs, un petit nombre d'entrepri-ses - Monsanto, Dow Chemicals, Mosaic -, détiennent les brevets sur des semences, des pesticides, des engrais, qu'elles peuvent vendre à des prix élevés pour les petits producteurs. Il faut aussi réfléchir à une modification des règles de la propriété intellec-tuelle de ces entreprises, dont les profits explosent.

l'augmentation de la consommation de produits carnés, au nord comme au Sud, est aussi mentionnée comme cause de la crise. comment voyez-vous cette tendance ? Il faut 4,5 calories de céréales pour une calorie de produits laitiers ; et 9 calories de céréales pour une calorie de viande. Donc oui, le changement des habitudes alimentaires dans les économies émergentes, le recours à des menus plus riches en protéines animales, cela conduit à une transformation structu-relle de la demande de produits alimentaires. Mais s’il faut appe-ler à réduire la consommation de viande, ce sont surtout nos habitudes alimentaires qu’il faudrait revoir. La consommation per capita de viande représente encore, aux Etats-Unis, près du double de ce qu’elle est en Chine…

Quel devrait être, selon vous, le rôle des "biotechnologies" (au sens large), dans la quête d’une maîtrise de la crise alimentaire actuelle ?C’est une question que j’instruis encore. Je constate que le recours aux plantes transgéniques, notamment, a parfois donné des résultats spectaculaires, mais dans d’autres cas leurs pro-messes ont été déçues. C’est une question centrale dans le choix du type d’agriculture que nous voulons. n

Propos recueillis par Jean-michel corhay & chris Simoens

Défi alimentaire : Interview

* agflation : inflation causée par la hausse des prix agricoles.

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Défi alimentaire : Un projet laitier

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La qualité assure l'avenir des petits éleveurs de bétail laitier au Vietnam

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Accroître de façon durable le revenu des producteurs de lait demande bien plus qu'une simple augmentation de la production laitière. Un projet développé dans le Nord du Vietnam a permis l'installation d'un système entièrement neuf de contrôle du lait et de paiement, dans lequel tout le monde trouve son compte : les éleveurs de bétail laitier, les collecteurs de lait, l'industrie laitière et les consommateurs.

Si l’on revient quatre ans en arrière, il était clair que la situa-tion du secteur laitier dans cinq provinces du Nord-Vietnam (Bac Ninh, Hanoï, Vinh Phuc, Hatay, Hanam, toutes situées autour de Hanoi) était loin d'être rose : la production lai-

tière ne répondait pas aux attentes, sa qualité était décevante et son prix sous la norme. Le revenu des éleveurs de bétail laitier se situait donc à un niveau désespérément bas. Aujourd'hui, la CTB (Coopération technique belge) a opté pour une approche inno-vante, en mettant en place le projet "Développement et expansion de l'élevage laitier dans les environs de Hanoi" : le développement d'un système entièrement neuf de contrôle du lait et de paiement. Elle collabore dans ce cadre avec l'industrie laitière; des appareils de mesure ont été installés aux points de collecte. De plus, les éle-veurs et les techniciens reçoivent des conseils professionnels sur la façon d'améliorer la qualité du lait. L'analyse transparente du lait fait que cette qualité est également récompensée financièrement. Il va de soi que les améliorations au niveau des entreprises ont, elles aussi, une influence positive sur la productivité.

l'ancien système

Au Vietnam, la collecte du lait se fait via les points ad hoc. Le lait des éleveurs est rassemblé dans un réservoir réfrigéré au point de

collecte, avant d'être transporté vers l'entreprise de traitement du lait. La qualité du lait est ensuite soumise à des contrôles aléatoires dans les laiteries. Si le lait ne satisfait pas aux normes de qualité fixées par l'usine, la totalité du lait est frappée d'une amende. Ceci implique que tous les éleveurs sont punis, même si la plupart de ces éleveurs ont livré un produit de bonne qualité. En d'autres termes, la responsabilité de la qualité du lait retombait toujours sur le grou-pe des éleveurs, celle des collecteurs de lait n'étant jamais remise en question. Ces derniers jouent cependant un rôle important dans le processus de conservation du lait. En outre, les collecteurs de lait détenaient trop de pouvoir dans l'ancien système. L'argent provenant des laiteries et destiné aux éleveurs transitait toujours par les collecteurs de lait. Par conséquent, ces derniers pouvaient décider selon leur bon plaisir lesquels des agriculteurs seraient sanctionnés et lesquels ne le seraient pas, sans tenir compte de la qualité du lait au départ de la ferme, mais plutôt sur la base de suspicions ou de griefs personnels.

"Mesurer, c'est savoir" : le système de collecte rénové

Pour remédier au manque de données disponibles constaté dans les fermes, le projet a installé en dix points de collecte un appareillage électronique destiné à tester le lait. Ces machines sont conviviales,

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Défi alimentaire : Un projet laitier

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précises, rapides, fiables et ont été conçues pour répondre aux besoins du terrain. La teneur en matière grasse et en matière sèche, de même que la pré-sence éventuelle d'eau ajoutée au lait, sont analysées pour chaque éleveur. En plaçant l'appareillage aux points de col-lecte, on a assuré la visibilité concrète du système de contrôle. En outre, les résultats des analyses sont directe-ment accessibles aux éleveurs. Tout ceci rehausse la transparence, la crédibilité et l'honnêteté du système. Outre ces analyses de base, des échantillons sup-plémentaires de lait sont prélevés tou-tes les deux semaines en vue d'analyses complémentaires dans un laboratoire indépendant.

la qualité est récompensée !

D'autre part, le système de paiement a été optimalisé et complètement refon-du. Le projet collabore avec l'industrie de traitement du lait pour rémunérer les éleveurs sur la base de la qualité du lait produit par chaque éleveur, à titre individuel. Chaque agriculteur obtient ainsi le prix dû pour le lait fourni. C'était un choix délibéré du projet de maintenir les collecteurs de lait au sein du système, et de leur confier un autre rôle. Désormais, ils ne participent plus activement au paiement des éleveurs, mais perçoivent uniquement une com-mission. Bien qu'amoindris dans leur position de force, les collecteurs de lait sont très satisfaits. Le nouveau système évite en effet les tensions avec les éle-veurs. Leur paiement se fait maintenant via leurs comptes bancaires personnels. Ceci a comme autre avan-tage de rendre la banque plus proche et de permettre à celle-ci de se faire une idée de la solvabilité de tel ou tel éleveur.

des conseils individualisés pour chaque éleveur

Facteur important du système de paiement, le "bonus" favorise les éleveurs disposés à suivre les directives en matière de "Good Dairy Farming Practices" (Bonnes pratiques de l'élevage laitier). Les éleveurs sont évalués tous les deux mois par une équipe d'experts qui donnent aussi, outre l'évaluation, des conseils sur la façon d'améliorer la situation à la ferme. Cette évaluation est en fait considérée comme une formation à part entière, et reprend les diverses facettes des "Good Dairy Farming Practices" qui ont été mises en lumière au cours de ce projet. Cette évaluation fait le lien entre les différentes activités du projet - comme la formation des éleveurs, l'optimalisation de la production d'herbe, l'amélioration des services vétérinaires - et le paiement du lait.

impact et durabilité

Le nouveau système de paiement du lait est très apprécié et est défendu par toutes les parties concernées. Le succès de ce nouveau système repose sur une situation où tout le monde gagne ("win-win"). Tant les éleveurs, les collecteurs de lait, l'industrie de transformation du lait que le consommateur y trouvent leur avantage. Le contrôle de qualité a démarré en août 2007. La qualité s'en est trouvée spectaculairement améliorée, et l'effet sur la produc-tion est nettement sensible.

De toutes les activités du projet, ce sont surtout le contrôle de qualité et le paiement du lait qui détermi-neront la durabilité dudit projet. L'amélioration de la productivité en soi ne garantit en effet ni la qua-lité ni un revenu décent. Mais la garantie d'un contrôle et d'un paie-ment transparents constituent un élément de confiance.

le nouveau système en tant qu'instrument

Toute la mise en place du nouveau système de paiement du lait doit être considérée comme un instru-ment. D'abord comme un instru-ment permettant de renforcer la position de négociation des éleveurs au sein du marché vietnamien et d'obtenir un meilleur prix pour leur produit de qualité; ensuite commue un instrument de sensibilisation du gouvernement vietnamien et de l'in-

dustrie transformatrice à la nécessité d'utiliser des normes de qualité, et de mettre en place un système transparent de contrôle de qualité. Le projet examine enfin la faisabilité économique du système afin de rendre un avis aussi productif que possible sur une application éventuelle à l'ensemble du Vietnam. Car le marché est vaste pour un lait de bonne qualité ! n

raf Somers et didier tiberghien

La deuxième phase du projet "Développement et expansion de l'éle-vage laitier dans les environs de Hanoi" est f inancée par les autorités belges et vietnamiennes. Le projet est mis en oeuvre par le Ministère de l'agriculture et du développement rural du Vietnam, avec les conseils techniques de la Coopération technique belge.

Pour plus d'information : [email protected]

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Défi alimentaire : Santé du bétail

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le projet Proxel

VSF-Belgique est intervenu au Niger à la demande du projet "Appui à l’élevage des bovins de la race Azawak", un projet bilatéral entre le Ministère des Ressources animales du Niger et la Coopération Technique Belge. L'objectif spécifique du PROXEL est d’amélio-rer les productions du cheptel par la vulgarisation de nouvelles techniques d’élevage adaptées au contexte local. Dans la pratique, cela s'est traduit entre autre par la mise en place d’un Service Vétérinaire Privé de Proximité (SVPP).

Le PROXEL - la contraction des termes Proximité et Elevage -, c’est l’histoire d’un partenariat équilibré entre VSF-Belgique et Karkara : toutes les activités du projet sont le fruit de larges collaborations et synergies avec les partenaires au développement, les organisa-tions de base, et les autres structures existantes qui valorisent les aptitudes et expériences de chacun et permettent une meilleure

Un service vétérinaire de proximité au Niger

Le Niger, vaste pays enclavé d'Afrique de l'Ouest, est régulièrement exposé à des périodes de sécheresse et de crises alimentaires. 88 % de sa population y vit de l'élevage, mais ce secteur est confronté à une santé animale précaire, à un faible investissement de l'Etat, et à une prépondérance des circuits informels : la santé alimentaire et économique y est inévitablement liée à la santé animale.

Afin d’améliorer le revenu et la sécurité alimentaire des pasteurs et des agro-éleveurs, une ONG belge, Vétérinaires Sans Frontières, et une ONG nigérienne, Karkara, ont uni leurs savoir-faire afin de mettre en place le PROXEL, un réseau de santé animale et de conseils de proximité en élevage.

efficacité sur le terrain. Sa zone d’intervention couvre une super-ficie supérieure à celle de la Belgique, avec une population de près de 550.000 personnes constituée d’ethnies Haoussa, Touareg, Peuhl et Arabe. Le projet y a d'abord ciblé les zones défavorisées souvent délaissées des interventions humanitaires. Pour un nom-bre important de bénéficiaires, l’élevage est l’unique source de subsistance et, pour les autres, l’élevage représente une source d’épargne, d’alimentation du ménage et de revenus complémen-taires à la production agricole, souvent dérisoire. Une attention toute particulière est accordée à la couche la plus vulnérable de la population rurale.

une clinique à la tête du réseau

C’est dans le département de Dakoro que le SVPP est le plus abouti. La clinique privée PROXIVET, dirigée par le Dr vétérinaire Hamidou Issoufou, y encadre un réseau d'auxiliaires d'élevage répartis à

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Défi alimentaire : Santé du bétail

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Prix d'alphabétisationEn 2007, VSF-Belgique fut lauréat du prix d'alphabétisation du Fonds 8 Septembre géré par la Fondation Roi Baudouin. Ce prix de 25.000 EUR récompense des initiatives innovantes en matière de lutte contre l’analphabétisme dans un pays en développement. L’analphabétisme est un sérieux handicap pour les éleveurs: le programme d’alphabétisation de VSF-Belgique s’adresse dès lors aux personnes qui prennent des décisions dans le processus de pro-duction – il s'agit souvent d'auxiliaires ou de femmes qui font partie d’un groupement ou d’un comité d’administration. Les formations sont données en langue locale, une méthode novatrice par rapport aux formations d’alphabétisation courantes en français, qui souvent ne tiennent pas compte du vocabulaire professionnel. VSF-Belgique espère à présent pouvoir atteindre 13.000 familles d’éleveurs grâce au prix du Fonds 8 Septembre.

travers tout le département. Elle est le départ des campagnes de vaccination massive du bétail et le dispensaire du circuit de commercialisation des pro-duits vétérinaires dans la zone. Elle répond également aux différentes sollicitations d’urgence sanitaire pour limiter la propagation des maladies animales. Dans l’enceinte de la clinique, outre les éleveurs, on croise les auxiliaires du Dr Hamidou : ils viennent se réappro-visionner en produits vétérinaires ou demander l'appui du vétérinaire ou de son adjoint. Ce réseau, fort d’une soixantaine d’auxiliaires d'élevage à Dakoro, permet d'étendre l’action de la clinique et de rapprocher les soins de qualité des éleveurs. Les auxiliaires sont issus des communautés, ce qui leur confère l'ancrage et la reconnaissance sociale indispensables à la pérennisa-tion des activités.

les appuis du Proxel au SvPP

Outre les soins, le SVPP assure également la formation et la sensibilisation des éleveurs. Avec les associations d’éleveurs, les services techniques déconcentrés, les élus communaux et les chefs traditionnels, tous les moyens sont déployés pour toucher un maximum d’hommes et de femmes. Ainsi, tout le monde entend parler de l’importance de la santé des animaux et adhère petit à petit à la vaccination de son bétail.

Par ailleurs, plusieurs appuis (remboursables partiellement ou tota-lement) ont été apportés en équipements vétérinaires et zootech-niques pour installer le réseau et permettre son essor. Tous ces appuis ont contribué à dynamiser le SVPP et à le rendre autonome. Le PROXEL tente maintenant d’impliquer les communes, nouvel-lement créées et déjà théoriquement responsables, ainsi que les services techniques déconcentrés, souvent délaissés. La réussite de cette étape ultime marquera l’aboutissement des appuis et permet-tra une meilleure cohérence et fonctionnalité à tous les niveaux.

dix fois plus de vaccinations

A Dakoro, il y a un "avant" et un "après" PROXEL. En 2003, 25.000 vaccinations étaient réalisées, un chiffre multiplié par 10 en quatre

ans: en 2007, la barre des 250.000 vaccinations a été atteinte ! Autre indicateur du succès, le nombre d’éleveurs adhérant au réseau : ils sont aujourd'hui plusieurs milliers. Qu’en pensent-ils ? "– Grâce à la vaccination, mes animaux ont moins de maladies et produi-sent beaucoup de lait. – Nous remercions beaucoup le projet à la tête de zébu : depuis son arrivée, les maladies animales ont beaucoup diminué et nous avons moins de diff icultés. – J’ai pu améliorer la rentabilité de mon élevage. J’ai fait des vaccinations et il me restait encore de l’argent pour acheter un cheval et une charrette". n

vétérinaires Sans Frontières - belgiquewww.vsf-belgium.org

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Défi alimentaire : Santé du bétail

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Les races trypanotolérantes : une solution pour la maladie du sommeil qui frappe le bétail en Afrique

La maladie du sommeil, ou trypanosomiase, continue de poser un problème majeur à l'élevage en Afrique subsaharienne. Les pertes directes et indirectes sont estimées à 5 milliards d'USD par an. Mais la nature elle-même a trouvé une solution : des races de bétail trypanotolérantes.

Dans de nombreux pays africains, la survie des bovidés et des petits ruminants est conditionnée à des traitements réguliers contre la maladie du sommeil au moyen de produits trypanocides et/ou par des applications d'in-

secticides contre la mouche tsé-tsé qui transmet la trypanosomiase à l'animal et à l'homme. La plupart des produits destinés à traiter la maladie du sommeil du bétail sont présents sur le marché depuis 40 à 50 ans déjà, et la résistance des trypanosomes à ces produits se développe de manière inquiétante. En outre, la lutte durable contre la mouche tsé-tsé n'est pas chose aisée. Elle demande une organisation rigoureuse et des moyens financiers importants, et ceux-ci ne sont pas toujours disponibles dans les pays où la trypa-nosomiase animale sévit.

La nature a toutefois trouvé une solution simple que sont les races de bétail trypanotolérantes, comme les bovidés N'Dama, et les moutons et chèvres naines Djallonke. Ceux-ci ont en effet déve-loppé, par un processus de sélection naturelle qui dure depuis des milliers d'années, un niveau de résistance aux trypanosomes qui leur permet de survivre et de se reproduire sans traitement, ce que d'autres races comme le zébu ne peuvent faire. Bien que les races de bétail trypanotolérantes soient le plus souvent de taille plus petite que les autres races, cela ne signifie pas nécessairement que leur productivité soit inférieure. Les bovidés trypanotolérants constituent quelque 6% de l'ensemble du cheptel en Afrique. Pour ce qui est des moutons et des chèvres, la proportion des races trypanotolérantes est respectivement de 41% et 43%.

Au Centre international sur la Trypanotolérance (ITC) à Banjul (Gambie), la trypanotolérance est étudiée sous toutes ses facettes. Depuis sa fondation en 1984, l'ITC reçoit une aide de la DGCD et collabore étroitement avec l'Institut de médecine tropicale d'An-vers (IMT).Des résultats intéressants ont déjà été enregistrés, à savoir:

• Les bovidés N'Dama sont non seulement résistants à la maladie du sommeil, mais présentent aussi un certain degré de résistance à certaines tiques et à certaines maladies transmises par les tiques.

• Les moutons Djallonke sont moins résistants à la maladie du som-meil que les bovidés N'Dama; le degré de trypanotolérance des chèvres naines Djallonke est encore plus bas que celui des mou-tons. Les chèvres naines Djallonke ont en effet déjà perdu par-tiellement leur trypanotolérance par croisement incontrôlé avec d'autres races de chèvres (entre autres les chèvres du Sahel).

• Les techniques moléculaires permettent de réaliser un meilleur diagnostic de la maladie du sommeil et d'une autre maladie grave chez les petits ruminants (cowdriose ou heartwater).

• Des kits destinés aux éleveurs ont été développés; ils contien-nent des directives permettant de mieux lutter contre la mala-die chez les moutons et les chèvres. Le stress et les infections peuvent en effet affaiblir les animaux trypanotolérants à un point tel qu'ils finissent malgré tout par succomber à la maladie du sommeil.

L'impact des activités de l'ITC sur le niveau de vie des éleveurs locaux est considérable ! Les familles qui ont bénéficié des inter-ventions de l'ITC enregistrent environ trois fois plus de revenu par unité de bétail (= TLU ou Tropical Livestock Unit) que les familles où aucune intervention n'a eu lieu. n

S. geerts et P. van den bosscheIMT, Anvers

Plus d'informations au sujet de l'ITC :www.itc.gm

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Défi alimentaire : Agriculture durable

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Après le climat, l’agriculture fait l’objet d’un bilan scientifique global. Les méthodes de production actuelles menacent l’environnement et risquent d’aggraver les famines, selon un rapport présenté le 15 avril dernier.

A u moment où l’explosion des prix menace de famine des dizaines de pays pauvres, le rapport des 400 scientifi-ques de l’IAASTD* - comparable au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – aboutit

après quatre ans de travaux à une conclusion sans appel: la pro-duction alimentaire actuelle n’est pas durable. Co-présidé par l’agronome suisse Hans Rudolf Herren, ce travail a été approuvé à Johannesburg par 60 pays représentatifs de toutes régions ainsi que par la Banque mondiale. Seules des multinationales de l’agro-chimie comme Monsanto ou Syngenta s’en distancient.

“Nous grignotons notre capital-terre”

Et la mauvaise ? “Les crises alimentaires vont augmenter tant qu’on pour-suit sur la lancée actuelle, prédit l’agronome. Nos méthodes épuisent les sols et consomment trop de pétrole. Le changement climatique accentue les sécheresses et les inondations. Les politiques agricoles, le commerce mondial libéralisé et les agro-carburants défavorisent l’alimentation des plus pauvres. Aujourd’hui, l’humanité grignote son capital-terre.”

Paradoxe frappant. Depuis trente ans, la Banque mondiale incite lourdement les pays pauvres à développer des cultures d’expor-tations – pour rembourser leur dette – au détriment des cultures vivrières. Aujourd’hui on voit que ces cultures intensives (coton, café, soja, palme…) ont dégradé l’environnement et ruiné les petits paysans. Et la même Banque mondiale préconise maintenant de réinvestir dans l’agriculture de subsistance.

Un autre protagoniste du rappport, Achim Steiner, directeur du Programme des Nations Unies pour l’environnement, estime que nous allons dans le mur d’ici 30 ans si l’agro-industrie poursuit “la maximisation de la production au coût le plus bas. (…) Il y a une ignorance collective sur l’interaction entre l’agriculture et les systèmes naturels, et ceci doit changer.”

“Augmenter massivement les rendements n’est pas une solution, reprend Herren. D’abord, cela réclame trop d’énergie fossile et d’argent. Au niveau global, le problème principal n’est pas la productivité, mais la distribution. Et le génie génétique n’a pas fait preuve de miracles jusqu’ici. De même que la chimie, ces techniques ne font que traiter – temporairement – les symptômes mais pas les causes du problème alimentaire. Le rapport ne les exclut pas, mais elles ne formeront qu’une petite partie des solutions. Les semences à haut rendement ne servent à rien si les sols, les mar-chés, la santé, les savoirs et les structures sociales ne s’améliorent pas!” Seul bémol, donc : l’agro-chimie n’a pas trop apprécié...

Le rapport propose aux décideurs 21 constats-clé pour une agri-culture plus humaine et en harmonie avec la nature, la régénération des sols, l’aide aux paysans, la diffusion de méthodes à la fois pro-ductives et écologiques, l’emplacement et la distribution de stocks lors de famines, la lutte contre la spéculation sur les céréales, une production moins énergivore, etc. n

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Pour une agriculture mondiale durable

Une vision réellement globaleQuatre ans de travaux, 2000 pages, 400 scientifiques creusant l’agriculture sous tous ses aspects – agronomiques, sociaux, écologiques, économiques, commerciaux, politiques, législatifs, culturels. Le rapport de l’IAASTD a intégré à tous les stades les milieux paysans et consommateurs, la société civile, les secteurs public et privé. Ce processus innovateur pour définir les dan-gers et les solutions pour l’humanité d’ici 2050 reste une feuille de route non contraignante.

* International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development - www.agassessment.org