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0 GRAND SEMINAIRE SAINT JEAN-BAPTISTE DE WAYALGIN BURKINA FASO MEMOIRE DE THEOLOGIE 6 ème année « De la peur des dieux à la Crainte de Dieu » Approche des motifs de peur des chrétiens dans le milieu socioculturel dagara en vue d’une libération par l’Evangile Présenté par : Sous la direction de : Bienvenu D’Ela SOMDA Abbé Jean Marie SAWADOGO

« De la peur des dieux à la Crainte de Dieu · dudit secteur : le dieu du foyer s’occupe de la gestion de la vie conjugale (di-mwin), le dieu de la fécondité et de la procréation

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GRAND SEMINAIRE SAINT JEAN-BAPTISTE DE WAYALGIN

BURKINA FASO

MEMOIRE DE THEOLOGIE

6ème année

« De la peur des dieux à la Crainte de Dieu »

Approche des motifs de peur des chrétiens dans le milieu socioculturel

dagara en vue d’une libération par l’Evangile

Présenté par : Sous la direction de :

Bienvenu D’Ela SOMDA Abbé Jean Marie SAWADOGO

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REMERCIEMENTS

La recherche menée dont vous allez lire maintenant le résultat n’aurait pu aboutir sans de multiples concours amicaux. Aussi avons-nous tenu au début de ce travail à dire notre profonde gratitude à tous ceux qui ont, d’une manière ou d’une autre, contribué au parachèvement de ce document.

Notre reconnaissance particulière va à l’endroit de notre Modérateur M. l’abbé Jean-Marie Sawadogo qui, par ses suggestions, critiques et encouragements nous a beaucoup épaulé dans cette quête d’issues en vue de la libération des chrétiens dagara de l’emprise de "la peur des dieux".

Merci à Vous !

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DEDICACE

A tout homme

qui espère contre toute espérance la libération

des chaînes visibles et invisibles de la peur ;

A la Famille Âadôw

__________

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INTRODUCTION GENERALE

« On perçoit les Africains comme baignant dans une éternelle atmosphère de

superstitions : l’occulte est omniprésent, la sorcellerie florissante, les cérémonies rituelles,

tant de liens avec les ancêtres sont toujours aussi forts... »1. Voici un regard extérieur contre

lequel s’érigent bons nombres d’Africains. En effet, nos sociétés sont souvent mal présentées

parce que simplement mal connues ou incomprises. La société Dagara qui est la nôtre, n’est

pas exempte de telles critiques : sa "peur des dieux", cette peur issue des croyances

ancestrales, qui lui est souvent reprochée en est un exemple.

Mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt ; la peur est une réelle difficulté se heurtant à la

foi chrétienne dans nos sociétés africaines. Mais nous nous fixerons des barrières pour ne

poser cette question que dans le contexte socioculturel Dagara : Qu’est-ce qui explique que

malgré le baptême, nos fidèles partagent toujours les mêmes peurs que leurs frères de la

religion traditionnelle ? Faut-il dire aux Dagara de se détacher de ces croyances qu’ils

tiennent comme partie intégrante de leur patrimoine culturel ? Au fond, les aspirations

profondes des Dagara ont-elles eu des réponses satisfaisantes dans la Bonne Nouvelle ?

L’Evangile ne doit-elle pas adopter le langage culturel de la société dagara ? etc.

Pour répondre à toutes ces questions, nous nous baserons sur trois axes principaux. Une

approche phénoménologique de la peur (chapitre 1) nous amènera à interroger la société

dagara sur son organisation socioculturelle et sur ses croyances. Nous pourrons alors voir les

différentes peurs des Dagara et leur réaction ordinaire pour s’en libérer. Les conséquences du

phénomène viendront clore ce chapitre. Une seconde approche de la peur s’effectuera sur le

terrain biblico-théologique (chapitre 2). Nous tenterons d’appréhender la peur dans sa notion

et sa forme selon les textes sacrés. A l’occasion, nous dégagerons du nombre des remèdes, la

Crainte de Dieu et ses effets curatifs. Un bilan théologique mettra fin à cette approche.

Rien ne sert de présenter les effets néfastes de la peur et sa solution dans la Bible s’il

n’y a pas de répercutions sur le présent. Notre troisième chapitre, basé sur la pastorale,

dégagera des pistes pour un meilleur enracinement des vérités de foi dans la culture dagara en

vue de la libération des fidèles. Ce chapitre visera avant tout à inculturer la Crainte de Dieu

pour la guérison de la "peur des dieux" des chrétiens Dagara.

1 R. LUNEAU, Comprendre l’Afrique, Evangile, Modernité, Mangeurs d’âmes, éd. Karthala, Paris, 2002, p. 13

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PREMIER CHAPITRE PHENOMENOLOGIE DE LA PEUR DES CHRETIENS DAGARA

Dans le domaine religieux, « le sens d’une attitude dépend tout autant de l’assentiment

donné aux réalités de foi que des conditions subjectives, individuelles et sociales de cette

foi »2. C’est une telle conviction qui nous amène, dans ce premier chapitre à cerner le

phénomène de la peur des chrétiens dagara dans leur contexte socioculturel avant de dégager

son impact sur la vie de foi de ces derniers. Précisément, nous y découvrirons l’homme

dagara dans son organisation socioculturelle et religieuse (I), les peurs auxquelles il est

confronté (II) et les remèdes ordinaires qu’il utilise (III). Les conséquences (IV) de ces peurs

viendront clore ce chapitre.

I. L’HOMME DAGARA « L’homme contemporain se comprend mieux lorsqu’il peut se profiler sur l’horizon de

son passé »3. Dans la présentation de son organisation socioculturelle, nous découvrirons le

visage du Dagara traditionnel, son panthéon et l’avènement de l’Evangile.

1) L’organisation socioculturelle Emigrés du Ghana, les Dagara dans leur progression vers le Nord-Ouest, se sont

installés dans la vallée du Mouhoun (ex. Volta Noire) ; ils ont ainsi occupé le Sud-Ouest du

Burkina Faso (cf. ANNEXE I). La majeure partie des Dagara est encore au Ghana ; la

diaspora de la Côte d’Ivoire et des centres urbains du pays constituent aussi une part

importante de cette population. Mais nous nous pencherons particulièrement sur la vie des

paysans dagara résidant aux villages (daga-têw-dem). Les limites du diocèse de Diébougou

renferment bien cette société sur laquelle se sont basées nos recherches.

Organisés en clans et vivant regroupés en familles villageoises, les Dagara entretiennent

entre eux des rapports d’entraide socio-économique et culturelle. Le travail de la terre

représente pour cette population à majorité paysanne, le premier moyen de survie. Ils

pratiquent généralement une agriculture de subsistance ; c’est dans les dernières décennies

que la culture moderne (attelée, commerciale) a vu le jour.

2 A. VERGOTE, Psychologie religieuse, éd. Charles Dessart, Bruxelles, 1996, p.23 3 idem p. 35

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L’autorité parentale, même affectée parfois, a encore aujourd’hui une place primordiale

dans cette société : tout est mis sous le regard bienveillant du père de famille. Le double

principe de descendance, le patrilignage (yir-dçlù) et le matrilignage (mâyir ), en créant le

réseau de parenté de chaque Dagara, conditionne la "citoyenneté" de l’individu dans la

société4. La famille et la terre constituent deux réalités fondamentales dans la vie du Dagara.

Aussi s’empressera-t-il de défendre ses intérêts en cas de problèmes familiaux ou de litiges

concernant les propriétés foncières.

Les moments d’initiation traditionnelle (bawr), les funérailles (koe) et les marchés

(darù) sont les principales occasions de rencontres et d’échanges entre les populations

villageoises du territoire dagara. Les Dagara sont réputés solidaires et soudés, surtout lors des

épreuves (funérailles). Mais ce peuple n’est pas replié sur lui-même encore moins isolé, il

connaît des interférences culturelles et économiques avec les ethnies voisines : les Lobis, les

Birifors, les Pouglis, les Djans, les Gans et les Sissalas (Nord-Est du diocèse). La vie sociale

dagara est très marquée par ses croyances et ses pratiques religieuses que nous aborderons

dans les lignes qui suivent.

2) Les croyances traditionnelles « Le Dagara est l’un des hommes les plus religieux de l’humanité »5 écrit Mètuçlè

SOMDA Jean-Baptiste. Dans sa conception de l’univers et la représentation de son panthéon,

le Dagara croit qu’il participe à un ensemble de forces spirituelles et naturelles qu’il est

appelées à se concilier.

a) Une conception ambivalente du cosmos

La compréhension ambivalente que le Dagara a de l’univers (Tê-daa) explique son

panthéon. Pour le Dagara, il y a un monde invisible et un monde visible : le premier est celui

des esprits, le lieu où résident les âmes des enfants avant leur naissance (b$gbâmè-têw) et le

royaume des ancêtres où on retourne après la mort (kp$mè-têw). Le monde visible dans lequel

nous vivons n’est qu’une infime partie du cosmos. Le ciel (saa-zu, l’invisible) et la terre (têw-

zu) sont les reflets de ces deux mondes dont l’interaction des différents habitants assure le bon

équilibre de l’univers entier6 (cf. ANNEXES II et III).

4 cf. D.V. SOME, Les funérailles en pays dagara, in Eurêka n°35, Octobre-Décembre 2000, p. 31 5 J.B. M. SOMDA, Sagesse dagara , Anthroponymie dagara, tome 1, Koumi, 1977, p. 17 6 cf. G. C. DABIRE, Le visible et l’invisible, Koumi, 1978, p. 49 bis

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b) Un panthéon hiérarchique

Nâamwin (Dieu) est pour le Dagara, l’unique puissance incréée, le Pré-existant (Têw-

dâwnè), Créateur de tout (Ire). Son existence ne souffre d’aucun doute et son nom est connu

dès le bas âge. Les fréquents noms théophores dans l’anthroponymie dagara le soulignent

fortement : Mwin-be7 (Dieu existe), Mwin-n$-a-fâw (à Dieu la puissance), Mwin-n$-a-sâa

(Dieu est le Père), etc. Paradoxalement, aucun autel n’est dressé, aucun culte n’est destiné à la

vénération de ce Dieu apparemment proche de l’homme. En effet, le Dagara le conçoit si

transcendant, si éloigné qu’il s’adresse ordinairement à lui par des intermédiaires (ti-bè). Ces

derniers sont des puissances spirituelles que nous désignerons volontiers par "divinités" ou

"dieux," car en réalité, la religion traditionnelle dagara est monothéiste, avec pour seul Dieu

Nâamwin.

Dans le ciel, auprès de Nâamwin, siègent Saa-mwin et Tê-gân, les esprits tutélaires

respectifs de la pluie (Saa) et de la terre (Têw). Ce sont les deux premières puissances

surnaturelles émanant de Nâamwin. Etres sexués, ils sont établis gardiens du cosmos. La pluie

(le mâle), dans son rôle géniteur, féconde la terre pour le bien des hommes. Aussi le Dagara

leur voue-t-il des cultes périodiques ; il leur fera appel lors des catastrophes naturelles. Le

Dagara a aussi recours à Kötön.. C’est l’ancêtre des génies, « une intelligence cosmique, un

être spirituel omniprésent dans l’univers dagara »8. Près de Nâamwin et des deux premiers,

Kötön occupe la troisième place. Ces dieux sont considérés comme les enfants de Dieu ; après

eux vient une kyrielle de divinités.

Le Dagara attribue à la nature une conscience et des intentions de façon à l’invoquer, à

lui demander protection et satisfaction. C’est ainsi que les puissances cosmiques spirituelles

de la nature : la montagne (Tâw), la rivière (Baa), la brousse (Wiè), le fleuve (Man)... sont

toutes matérialisées et bénéficient de cultes particuliers. La nature est aussi le lieu d’habitation

des génies (Kötömè) que vénère le Dagara. Organisés en deux armées, bonne (Kötön-[aar) et

mauvaise (Kötön-tuo), les génies ont une grande influence sur la vie de l’homme. Les

premiers sont de bons guides pouvant aider à éviter les pièges des seconds qui ont opté de

nuire à l’homme.

Chaque secteur d’activité du Dagara est sous la protection d’une divinité, spécialiste

dudit secteur : le dieu du foyer s’occupe de la gestion de la vie conjugale (di-mwin), le dieu

de la fécondité et de la procréation (dçw-mwin), le dieu de l’agriculture (kakùçr-mwin)...

7 Mwin est le diminutif de Nâamwin 8 D. J-M. SOME, Formation en sociologie du développement en milieu dagara, Session, Diébougou, 1990, p. 7

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Le Dagara en pérégrination sur cette terre, est en lien étroit avec ses parents défunts, les

ancêtres. Les kp$mè ou esprits des êtres humains désincarnés, peuvent entrer dans le secret

divin, ils communiquent avec Lui par l’intermédiaire de ses trois enfants. Les ancêtres sont

matérialisés dans un sanctuaire familial par des fétiches (kpï$-daa). Le vivant leur doit

obéissance et vénération à travers les sacrifices et les invocations, et attend d’eux, comme en

retour, bénédictions, assistance et protection.

L’ancêtre des génies (Kötön) a une incarnation visible au milieu des vivants corporels :

les Kötön-bili (appelés par défaut génies). Le Dagara les considère comme une gente humaine

à part. Ils diffèrent de nous par leur intelligence et leur morphologie : nain, tête énorme,

cheveux roux, pieds à l’envers (cf. ANNEXE IV). Toutefois, ils sont prisés pour leur savoir et

leur pouvoir qu’ils détiennent de leur ancêtre Kötön. On raconte qu’ils seraient à la base de la

civilisation humaine : c’est d’eux que l’ancêtre Dagara aurait appris les divers métiers

(agriculture, élevage, médecine) et la sagesse (proverbes, oracles, contes).

c) Des intermédiaires humains

Le Dagara peut dans sa pratique religieuse s’adresser directement aux fétiches familiaux

(ex. ceux des secteurs d’activités et les ancêtres). Mais tout Dagara n’est pas habilité à

communiquer avec toutes les puissances. Les féticheurs (Bawr-bùwrè), les guérisseurs (Tï$-

$rbè) et les devins (ti-tiwlè dem) jouent un rôle capital en la matière. On leur reconnaît des

aptitudes, voire la mission de communiquer avec les forces invisibles pour le service des

humains. Ce sont de véritables maîtres des cultes occultes.

Pour le Dagara, se concilier les grâces des divinités est une garantie pour une réussite

dans la vie. Il sait, par ailleurs, toute l’importance de la volonté des divinités à qui il a affaire

et le risque qu’il peut courir en cas de désobéissance. D’où le grand respect des multiples

tabous ou totems observé dans cette société. C’est dans ce contexte socioculturel marqué par

l’animisme que l’Evangile voit le jour en territoire dagara.

3) L’Évangélisation du territoire Dagara La conversion des Dagara au Christianisme est partie d’un grand mouvement. Le diaire

de Bobo mentionne après Pâques de l’an 1932, le « début du mouvement de conversion

massive des Dagara »9. En l’espace de deux ans (1932-1933), plus de 60000 Dagara se sont

9 Diaire de Bobo (Le territoire des Dagara faisait encore partir de la Préfecture Apostolique de Bobo).

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mobilisés à la suite des Pères Blancs10, même si à cause des empêchements (matrimoniaux,

catéchèse non approfondie), tous ne furent pas baptisés.

Au nombre des explications que l’on pourrait donner à cet état de fait, nous remarquons

d’abord que les Dagara ont été isolés de l’influence islamique, ce qui les a rendus plus

réceptifs au Message du Christianisme. Ensuite les Missionnaires s’étaient montrés "plus

humains" que les colons qui ne faisaient peser sur les populations qu’impôts et travaux forcés.

Enfin et surtout, pour les Dagara, ces messagers de Dieu avaient fait preuve de pouvoirs

surhumains : guérisons, pouvoir d’appeler la pluie11. Pour beaucoup de Dagara encore

animistes, « adopter le Dieu des Blancs, c’était assurément accéder à la source de tous les

pouvoirs »12

C’est le propre des conversions de la première heure d’être parfois superficielles.

Toutefois, il y eut des hommes et des femmes de foi admirable sur qui la prédication des

Missionnaires a pris appui. La Bonne Nouvelle de Jésus Christ a gagné du terrain en pays

dagara grâce aux efforts conjugués des Missionnaires d’Afrique et des agents pastoraux

autochtones. On assiste encore aujourd’hui à des destructions de fétiches comme signes

palpables de conversion. Tout bien considéré, la conversion sérieuse et progressive observée

chez les uns n’a pas supprimé celle superficielle chez les autres. Somme toute, l’Evangile se

propage quotidiennement, mais au nombre des handicaps majeurs pour son épanouissement,

l’on peut citer la peur.

II. LA PEUR DU CHRETIEN DAGARA Ce point a pour tâche d’analyser les phénomènes qui effraient aujourd’hui les chrétiens

dagara. Dans un premier temps, nous verrons les motifs de peur tels qu’ils se présentent

devant le Dagara. Une seconde approche nous permettra, dans un essai de classification de ces

causes, de répondre à la question ‘‘pourquoi le Dagara a peur ?’’

A) Les motifs de peur des chrétiens dagara Malgré leur foi au Christ, nombreux sont les Dagara qui secouent difficilement le joug

de la peur à l’image de leurs frères "païens". Les motifs de peur sont nombreux et variés, ils

10 cf. M. SOME, Le grand mouvement de conversion des Dagara au Christianisme (1932-1933) in AAVV, La Haute Volta coloniale, éd. Karthala, Paris, 1995, p. 221 11 Allusions faites aux soins médicaux et à une pluie diluvienne qui s’était abattue sur une région dagara au Nord-Ouest du Ghana (Jirapa) après l’invocation des Missionnaires lors d’une grande sècheresse. 12 R. LUNEAU, op. cit. p. 153

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s’étendent des réalités palpables aux phénomènes invisibles issus des croyances ancestrales

bien partagées dans la société.

1) L’univers invisible et les êtres mystérieux Les éléments de l’univers invisible viennent en tête des motifs de peur. Les ancêtres

sont une cause de peur des chrétiens d’aujourd’hui. Il suffit d’entendre que ses parents défunts

sont fâchés pour que tel fidèle dagara se mette en route afin de calmer cette colère. Il en est de

même vis-à-vis des génies et des esprits maléfiques : le Dagara reconnaît particulièrement aux

mauvais génies (Kötön-tuo) un caprice asservissant. Beaucoup de baptisés, ne dorment pas à

l’idée qu’un esprit maléfique est à leur trousse.

Ensuite, la croyance à l’existence d’êtres mystérieux tels les fantômes ({âa-kpîin) et les

revenants (N$r-kp$-y$ra) trouble la quiétude des fidèles. Les premiers sont les esprits des

défunts ou des personnes devant mourir, qui attendent d’être purifiés pour accéder au

royaume des ancêtres (cf. ANNEXE III). Les seconds sont des morts (de sorciers ou de

personnes ensorcelées) qui ressortent de la tombe après leur enterrement. Capables de se

rendre invisibles (mùr), ces "réincarnés" émigrent loin du village natal pour mener une autre

vie. Certains d’entre eux errent en brousse et s’en prennent à tout passant dans le but de lui

ôter la vie. A la nouvelle qu’on a vu le fantôme ou le revenant d’un homme, une torpeur

inimaginable s’empare de l’entourage.

2) L’univers visible Il n’y a pas que le monde invisible qui apeure les chrétiens dagara, même les

phénomènes et situations naturels tourmentent et obsèdent leur conscience.

a) Les phénomènes naturels

L’un des phénomènes naturels le plus effrayant est la foudre. Le fétiche de la foudre

(Sadawèra ou Saa) pour le Dagara est très efficace en cas de malédiction contre un fautif.

« Saa peut donner la mort de la façon fulgurante dont on voit opérer la foudre... A ce titre, il

est invoqué comme le justicier dont le verdict est sans appel ».13 Les chrétiens sont dans la

frayeur en face de ce phénomène et observent une vénération qui en dit long.

Comme les collines, les fleuves, la brousse et autres lieux sont des habitats des esprits

et des génies, ils sont aussi craints que leurs locataires. Les objets utilisés pour

13 G. C. DABIRE, op. cit., p.43

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matérialiser ces êtres invisibles inspirent une "peur païenne" aux fidèles. Un silence de mort

s’empare souvent des chrétiens dagara lorsqu’ils traversent les zones dites sacrées. Les

tourbillons, les puits, les grands arbres, la croisée des chemins, les cimetières, les marchés,

sont autant de phénomènes ou lieux qui ébranlent la foi des chrétiens dagara du fait des

pensées mystiques véhiculées autour d’eux.

b) Les situations naturelles

- La mort est la première des réalités qui causent la terreur des chrétiens. Une catégorie

de mort est la plus redoutable (Têgan-kuu). C’est le cas de la mort par noyade, par morsure

d’un serpent, par chute d’une maison sur une personne, par pendaison… La mort de ce genre

est considérée comme une malédiction, une punition infligée par l’esprit de la terre au défunt

ou à ses proches. Un tel défunt risque des peines à perpétuité dans le Dazug-têg (barrière de

purification des défunts) si ses proches n’accomplissent pas ici-bas des rites de rachat.

- La maladie aussi inspire la crainte, non pour la douleur qu’elle comporte, mais pour le

sens que le Dagara lui donne souvent. Si elle n’est pas le châtiment d’un dieu, l’explication

est à rechercher du côté d’un ennemi (dömè ou dö-sob). La maladie prolongée ou incurable tel

le SIDA, a toujours troublé la conscience du malade et de son entourage.

- Les calamités naturelles (la famine, les épidémies, l’invasion de sauterelles, la

sécheresse) sont pour beaucoup de fidèles, des signaux d’un mécontentement des ancêtres ou

des esprits de la nature. La perte subite de biens d’un homme, la perte d’un emploi ou

l’enchaînement successif de malheurs sont autant de situations qui mettent les chrétiens dans

l’impasse. Ceux-ci se jettent le plus souvent dans les mêmes interprétations que tiennent leurs

frères païens au péril de la foi chrétienne.

3) L’homme, source de peur du Dagara L’être humain est une source de peur pour ses semblables. Dans la plupart des villages

dagara, on reconnaît à des personnes la puissance maléfique de la sorcellerie. Les sorciers et

les sorcières sont craints, car capables de "manger les âmes"14 ou d’ensorceler les personnes.

Les sorciers selon les Dagara peuvent se métamorphoser en des animaux. Mais plus

fréquemment, ils se transforment en "boule de feu" (sç-vuw ) se manifestant comme des feux

d’artifice et, organisés par équipes, ils opèrent habituellement la nuit. La mort ou la

14 Pour le Dagara, l’homme a deux types de corps : le corps visible (iâgan, l’ensemble de la peau et de la chair) et le "corps rouge" invisible (iâgan-ziè). Les sorciers s’en prennent généralement au "corps rouge " que nous appelons par défaut âme. L’âme (siè) correspond à une autre réalité dans la mentalité dagara : c’est l’essentiel de toute la personne humaine. Cf. G. C. DABIRE, op. cit. p. 42-43

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souffrance physique de leurs victimes en sont les signes. Quelle débandade alors, pour

nombre de chrétiens, quand ils rencontrent la nuit un chien noir, un chat, un oiseau de

mauvaise augure ou un sç-vuw !

Un fait ponctuel nous montre à quel point la foi à la sorcellerie est si partagée. Dans les

années 1991-1992, l’avènement d’un fétiche détecteur des sorciers (Jina-jugu) fit beaucoup de

victimes dans la région dagara. Ces mangeurs d’âmes que le fétiche dénichait devaient avouer

publiquement leurs actions et ce, à travers des tortures. Beaucoup d’innocents payèrent de leur

vie jusqu’à l’intervention musclée de la Gendarmerie contre les maîtres de cette pratique

occulte, au grand soulagement des populations.

Les personnes garantes des différents cultes des esprits sont aussi redoutées. Aux dires

de beaucoup de chrétiens, ils sont capables d’attirer la colère des esprits sur leurs ennemis ou

de leur jeter des sorts. Quelle insomnie pour nombre de chrétiens quand ils sentent leurs

relations brouiller avec de telles personnes ! On attribue même aux nouveau-nés des capacités

de sorciers pouvant faire du mal à leurs parents. Issus d’un autre monde, ils peuvent y

retourner (mourir) si la famille dans laquelle ils naissent n’est pas assez hospitalière. C’est

dire toute l’inquiétude avec laquelle les mamans dagara s’occupent de leurs bébés. Enfin,

certaines personnes de par leurs aspects particuliers ne jouissent pas d’une bonne presse : les

albinos, les rouquins, les triplets... L’inconnu est du nombre des personnes qui ne laissent pas

tranquille la conscience des chrétiens dagara.

C’est de façon non exhaustive que nous venions de parcourir les phénomènes et choses

qui troublent encore aujourd’hui la conscience des chrétiens dagara. Une classification de ces

motifs de peur permettra de mieux cerner le phénomène.

B. Une classification des motifs de peurs En passant d’une société à une autre, les mêmes phénomènes n’ont pas les mêmes effets

sur les personnes. Si les éléments sus-cités sont sources de peur pour le Dagara, il y a bien des

raisons profondes qui lui sont propres. Nous en livrons quelques-unes dans une classification

des causes de peur.

1) Les causes sociologiques Les peurs des chrétiens sont avant tout sociologiques. A la question de savoir pourquoi

tel phénomène est source de peur, bons nombres de chrétiens répondent l’avoir trouvé ainsi

(Koroza yelu !). C’est après coup qu’ils tentent des explications plus personnelles et plus

rationnelles quand ils le peuvent. Nous sommes donc en face de croyances collectives que la

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tradition ancestrale a comme codifiées dans toutes les mentalités. Le lieu n’est plus de voir la

véracité de ces motifs de peur. A l’exemple d’une foule en débande brusque, beaucoup fuient

sans savoir au juste pourquoi ils fuient. L’homme est fondamentalement un être social ; son

image s’élabore toujours en réponse à l’attente de sa société. C’est d’une telle réalité dont

parle Antoine VERGOTE : « L’homme naît dans une culture religieuse ; il fait partie d’une

communauté avant d’engager son opinion personnelle. On sait de quel poids l’appartenance

involontaire peut peser sur l’attitude »15.

L’Evangélisation a rencontré une société animiste pétrie dans le fétichisme. La

mentalité animiste, toujours présente et active, est la principale « génératrice du phénomène

des puissances occultes »16 dont la croyance est une véritable source de peur. Il s’agit d’un

domaine où la tradition ancestrale ne se laisse pas oublier malgré la conversion au

christianisme. L’ignorance générale de cette population à majorité analphabète vient aggraver

la situation. Par exemple, pendant longtemps la pandémie du SIDA a eu toutes les

explications (superstitieuses) possibles sauf celle d’une infection virale. Ayant foi aux

interprétations traditionnelles, le paysan dagara comprend difficilement les explications

scientifiques données à certains phénomènes telle la foudre (une décharge électrique).

Le Dagara chrétien se soustrait difficilement à la pression sociale qu’il ressent au niveau

familial, villageois et dans tout le territoire dagara.

2) Les causes psychologiques

Les causes de la peur se situent aussi au niveau psychologique. Ordinairement selon le

Dagara, les maladies et autres maux sont révélateurs d’une culpabilité de l’homme dans ses

devoirs envers les esprits ou ancêtres. Dans le cas échéant, la situation anormale est signe de

sortilèges humains. Les maîtres des cultes occultes, en fins psychologues traditionnels, ne

tarissent jamais en explications satisfaisantes. Face aux explications qu’il trouve dans la

société en cas de problèmes, le chrétien dagara fait une relecture de sa vie et observe

assurément des coïncidences. Il prête vite foi à ces dires ; ce qui ne fait qu’augmenter ses

tourments. Signalons aussi la part active de l’imagination en cas de peur : elle modifie

beaucoup la réalité. Avec une base socioculturelle prédisposée aux conceptions imaginaires,

les fidèles dagara ne peuvent que trembler face aux phénomènes les plus évidents pour le

commun des mortels.

15 A. VERGOTE, op. cit, p. 228 16 P. SOMDA, La peur dagara des puissances occultes et les voies de libération en Jésus-Christ, koumi, juin 2001, p. 11

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3) Les causes ontologiques Aux causes sociologiques et psychologiques s’ajoutent celles du mystère des réalités. Il

est de nature humaine de chercher des explications aux situations que l’on vit. Le Dagara dans

cette quête, prend conscience de sa situation dans le monde et saisit immédiatement qu’il

participe à une forme d’existence qui le dépasse. Le monde est une montagne de mystères aux

yeux de l’être fini qu’est l’homme. L’essence des réalités, est le fond de ses angoisses. Les

questions de l’existence, de la souffrance, de la mort, de l’au-delà menacent et traumatisent

les chrétiens dagara. Par exemple, plusieurs phénomènes sont effrayants parce que tout

simplement, ils provoquent la mort ; cette dernière étant un grand point d’interrogation pour

tous les Dagara.

Il y a des situations paranormales qui interrogent parfois fidèles comme pasteurs. Ces

faits inexpliqués ou même inexplicables renforcent et maintiennent les chrétiens dans leurs

peurs. Nous proposons ici une situation qui était à la une en 1999 dans la paroisse de Nyigbo :

Un agriculteur, en pleine saison pluvieuse fut victime du vol de ses deux paires de bœufs.

Celui-ci invoqua la foudre contre le voleur et se mit à la recherche des animaux. Peu de

temps après, la foudre décima une famille entière : un berger peul, sa femme, ses enfants, sa

case et quatre de ses taureaux. Les enquêtes révélèrent que ce peul était le voleur ; et que la

foudre avait agi exactement selon le vœu de l’agriculteur. Le rescapé de la famille carbonisée

était un chat : animal mystique selon la mentalité dagara. Quelques jours plus tard, tous les

peuls des environs quittèrent leurs lieux car ils n’avaient jamais vu pareilles choses.

Etroitement liés à un milieu animiste qui trouve explication à tout, les chrétiens ne se

donnent plus la peine d’aller chercher autres réponses ailleurs. Ils accueillent les

interprétations de la société traditionnelle avec toutes les conséquences.

4) L’insécurité comme cause principale Les analyses précédentes nous permettent d’affirmer que l’insécurité est la cause

principale de la peur des chrétiens dagara. Face aux problèmes qui lui sont posés et aux

explications mystiques qu’il trouve dans son milieu de vie, le Dagara se voit impuissant,

totalement dépendant des situations qui l’englobent. Il se sent insécurisé.

A cela s’ajoute sa pauvreté, la faiblesse de ses moyens économiques. Comme partout

ailleurs en Afrique, les lendemains ne sont pas garantis : les besoins primordiaux tels la

nourriture, la santé, le logement ne sont pas des acquis. Et quand le paysan dagara laboure son

champ, c’est tout ce dont il a pour vivre qu’il jette en terre, espérant des lendemains meilleurs.

A la différence de l’agriculteur occidental, il n’y a aucune garantie en cas de sécheresse. L’on

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comprend aisément pourquoi la pluie est si vite divinisée. Il en va de même pour les autres

aspects de sa vie.

L’introduction de l’économie de marché, en ce temps de globalisation, va jusqu’à

bouleverser toute l’organisation socioculturelle du Dagara. Une crise d’identité le menace

quotidiennement du fait des idées et techniques nouvelles non encore maîtrisées. La peur n’est

que trop naturelle dans un cadre socioculturel de pensée magique marqué par un contexte de

crise socio-économique.

Les chrétiens dagara sont en désarroi vis-à-vis de l’insécurité qu’ils ressentent de

partout. Mais comment réagissent-ils ordinairement en face du phénomène de la peur ?

III. LES MOYENS DE PROTECTION EN CAS DE PEUR

Naturellement, la soif de liberté a poussé les chrétiens dagara à des réactions

multiformes devant la peur. Se sentant en insécurité devant les divinités, les phénomènes

environnants et le prochain, les fidèles se procurent d’innombrables moyens de protections

tirés du milieu traditionnel comme du Christianisme.

1) Le recours aux objets protecteurs Devant la peur obsédante, beaucoup de chrétiens trouvent refuge dans le port d’objets

tirés de la culture traditionnelle. Les plus fréquents sont les amulettes, les bagues, les

bracelets, les queues d’animaux et les boucles d’oreilles (portées par des hommes). Ils

attribuent à ces objets des pouvoirs magiques de protection contre les esprits maléfiques et les

attaques des ennemis. Certains affirment avoir fait l’expérience de leur efficacité.17

L’histoire de ce jeune dagara montre toute la foi que les chrétiens attachent à ses

talismans : Lors d’une préparation au mariage, un curé constate un nombre important de

bagues aux doigts d’un jeune candidat. Le pasteur lui dit qu’il ne recevrait le sacrement

qu’après s’être débarrassé de ses bagues. Le jeune homme s’en débarrassa, resta une. Porter

ou ôter ladite bague était pour lui, une question de vie ou de mort, affirma-t-il au curé après

avoir opté de vivre avec sa conjointe sans sacrement.

On trouve par contre, des moyens de protection plus accessibles mais non moins

superstitieux. Une poignée de terre s’avère efficace contre les sorciers rencontrés la nuit ; des

feuilles de karité placées dans un champ chassent les esprits maléfiques. Trois cailloux, un

17 Enquête auprès d’un groupe de jeunes chrétiens du village de BOZO (paroisse de Nyigbo), 29 déc. 2004.

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brin de paille, l’invocation du nom des ancêtres, la fuite… tout est efficace et vise à libérer

l’homme menacé.

2) L’acquisition de puissances maléfiques Les chrétiens dagara ont bien compris la sagesse populaire qui dit que qui veut la paix

prépare la guerre. Ils vont même au-delà : il ne suffit pas pour la plupart d’entre eux, de se

"blinder" contre les attaques de l’ennemi. Il est bon de pouvoir riposter en cas d’attaque et

mieux de pouvoir neutraliser l’ennemi avant toute réaction de sa part.

De ce fait, beaucoup de chrétiens recourent aux puissances maléfiques, nuisibles pour

leurs ennemis potentiels. Le phénomène le plus répandu de nos jours est celui des lçbè. Il

s’agit aux dires des gens, d’aiguillons magiques qui obéissent aux ordres de ceux qui les

possèdent, à la manière de missiles invisibles et qui ont pour mission de nuire aux personnes

visées (la mort ou la maladie). Ce phénomène qui n’est plus l’apanage des féticheurs et des

personnes âgées, fait la fierté de beaucoup de jeunes chrétiens aujourd’hui. Ils s’en procurent

chez les maîtres des cultes occultes dans les villages mais surtout au Ghana, lors de leurs

multiples tournées.

3) Les vœux et les engagements Le recours aux objets protecteurs s’accompagne d’engagements auprès des donateurs et

des fétiches dont on tient la force. Pour leurs différents besoins, les chrétiens font des vœux

(kô-nuçr) auprès des lieux sacrés tels les collines, la roche ou l’arbre représentant l’esprit de

la terre. Les fidèles se font consulter par les féticheurs, les voyants, les marabouts et suivent

scrupuleusement leurs instructions. On le constate au niveau du régime alimentaire et du

comportement général de certains fidèles. Ils reviennent honorer leurs promesses lorsque le

vœu est exaucé.

Une espèce de "génie-parlants" (kö-tö-$èri) mobilise actuellement les chrétiens autour

d’eux dans les régions de Dissin, Maria-Tâw, Nyigbo, Ouessa,… On leur reconnaît la

capacité de communiquer directement avec les patients pour leur venir en aide. Auprès d’eux

des chrétiens tiennent d’énormes engagements qu’ils honorent fréquemment.

4) Le recours au Christ Il y a quelques fidèles qui, en cas de peur, ont recours au Christ. Ils ont foi au salut en

Jésus Christ leur seul refuge et ne laissent leur foi ébranlée par les situations pénibles qu’ils

traversent. Malheureusement, là encore, on en trouve qui s’égarent sérieusement, frisant

parfois l’idolâtrie. Marqués par la mentalité païenne, les uns se lancent dans des vénérations

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exagérées d’objets de piété auxquels ils attribuent des pouvoirs magiques : croix, chapelets,

médailles "miraculeuses", icônes, statuettes, eau bénite. Les autres multiplient les demandes de

messes et les diverses bénédictions, dans l’espoir d’une délivrance magique.

Aussi vrai que l’on puisse dire, c’est le propre des temps de crise que le meilleur y soit

mêlé au pire. Dans leur recherche de sécurité face à la peur ressentie de partout, les chrétiens

dagara mêlent l’occultisme au christianisme, amalgame dont les conséquences sont parfois

lourdes.

IV. LES CONSEQUENCES DE LA PEUR Comme tout phénomène actif, la peur a un impact sur la vie de l’homme. Cette partie

relatera dans le sort du Dagara, les multiples inconvénients de la peur, d’abord sur le plan

religieux, ensuite sur le plan social et enfin son impact sur l’économie.

1) Sur le plan religieux Le syncrétisme religieux et l’abandon de la foi chrétienne en faveur de la pratique

ancestrale constituent les conséquences majeures de la peur dans la vie de foi des Dagara.

a) Le syncrétisme religieux

Nous l’aurons déjà constaté à travers les pages précédentes, le syncrétisme religieux est

l’une des grandes conséquences de la peur des chrétiens dagara (cf. ANNEXE V). Dans leur

recherche de sécurité, ceux-ci recourent aux moyens de protections tirés d’une lointaine

tradition ; les moyens chrétiens venant comme compléments. C’est le cas des pratiques

occultes d’apaisement des âmes (siè-pirù) et d’accompagnement des défunts dans le domaine

des ancêtres. Nombreux sont les chrétiens qui consultent, féticheurs et autres "diseurs de

choses cachées", pour découvrir l’origine d’un mal ou pour calmer les dieux en colère...

Beaucoup participent aux célébrations eucharistiques, les gris-gris aux reins, les bagues au

doigt, les queues dans le sac et même les fétiches dans la chambre.

Ce syncrétisme se ressent aussi dans les interprétations païennes des situations qu’on

trouve de plus en plus chez les chrétiens. Manque de pot, ils en arrivent à trouver une telle

situation normale. La baisse de foi est une suite logique du syncrétisme : les notions

élémentaires de la catéchèse volent en éclats, la fréquentation des sacrements se trouve

ralentie, une paresse notoire s’installe vis-à-vis de la pratique religieuse. Cela conduit souvent

à l’abandon de la foi et à un retour aux pratiques ancestrales (les lapsi).

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b) Le néopaganisme (les lapsi)

Les "lapsi" proviennent d’un syncrétisme prolongé chez les chrétiens dagara. Pour peu

qu’ils trouvent une quelconque satisfaction auprès d’un fétiche, les chrétiens y auront toujours

recours. Ils finissent par des engagements qui leur font renier la foi en Jésus-Christ. On

compte aujourd’hui un nombre croissant de lapsi dans les paroisses du diocèse18. En plus des

chrétiens en situations irrégulières, les plus fréquents des lapsi sont ceux dont la conversion a

été superficielle, leur foi ayant vacillée devant la peur.

Notons cependant, le cas malheureux de certains fidèles. Baptisés dès l’enfance, ils

abandonnent, une fois adultes, la lumière du Christ pour reprendre la voie que déjà leurs

grands-pères avaient abandonnée. Ignorants dans ces pratiques ancestrales, ils sont à la merci

des connaisseurs pour qui l’aspect mercantile n’est plus à démontrer.

2) Sur le plan social Dans la société, la peur cause la détérioration des relations interpersonnelles et suscite

même des marginalisations entre chrétiens. Il suffit que tel homme soit indexé comme sorcier pour voir se rétrécir subitement le cercle de ses amis. En face de la catégorie des personnes de mauvaise réputation, la méfiance est la règle d’or. Que de fois, enfants, n’avons-nous pas fui devant les vieilles personnes étiquetées comme mangeuses d’âme ! En général, la société dagara ne va pas jusqu’à l’exclusion physique des ces personnes. Mais, se sentir seul au milieu d’une foule, n’est pas chose enviable.

L’interprétation des situations due à la peur pousse à des inimitiés individuelles, familiales et même villageoises. Savoir qu’un frère est mort par le sortilège de tel homme est cause de litige transmis de générations en générations. Beaucoup de familles chrétiennes sont aujourd’hui divisées pour des histoires d’ensorcellements réciproques. Par ailleurs, des tensions entre jeunes rivaux se sont souvent terminées par des démonstrations de puissances occultes. Les exemples ne manquent pas, même en milieu chrétien.

En somme, la peur a fait naître dans la société dagara, un climat de suspicion et de méfiance générale ; elle a fait d’elle un lieu où les personnes vivent aux aguets, inimitiés et marginalisations en sont les signes.

3) Sur le plan économique En dernière analyse, la peur contribue beaucoup au sous-développement de la société

chrétienne dagara. A un premier niveau, les consultations sont un frein au développement des

18 cf. F. MEDA, Le phénomène du néopaganisme en pays dagara, défi pour un renouveau pastoral dans le Diocèse de Diébougou, St Jean, juin 2001, p. 8

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populations. Pour une population paysanne aux conditions déjà précaires, être tout le temps sur la route en saison pluvieuse, pour quelque remède que ce soit, est un coup dur pour l’avenir de la société. En plus, le peu de moyens dont ils disposent est dispersé dans les familles des consultants. Ces garants de la tradition, il faut le dire, mettent de plus en plus l’accent sur les retombés économiques dans leur service.

En deuxième lieu, la peur est une barrière pour l’infiltration des nouvelles méthodes et techniques de productions. La culture attelée, les semis en lignes, l’agriculture commerciale sont connus mais leur adoption se fait péniblement. Et pour cause, la pratique traditionnelle se trouve submergée par la vague irrésistible de la mondialisation qui impose ses règles et ses valeurs. Le Dagara se voit bousculé par une civilisation étrangère qui ne mesure pas toutes les conséquences dans sa progression. Or dans cette société, tous savent qu’on ne brave pas impunément les fétiches et les esprits ; d’où la réticence ressentie.

A un troisième niveau, beaucoup de chrétiens (surtout les jeunes) hésitent encore à se lancer dans des secteurs autres que l’agriculture ; par exemple le commerce. S’ils ne craignent pas d’être l’objet d’agression d’ennemis jaloux, ils éviteront de s’attirer beaucoup d’ennuis avec les ancêtres en ne prêtant pas à un parent dans le besoin. L’argent apparaît comme un élément qui vient casser la communauté de bien selon les coutumes et les pratiques ancestrales. D’ailleurs, investir pour plus de gains selon la logique du commerce, est hors de question pour beaucoup.

La peur est loin d’être avantageuse pour les chrétiens, elle les maintient dans une pauvreté caractérisée par des besoins primordiaux insatisfaits : nourriture, santé, liberté.

Ce premier chapitre nous a révélé que la vie religieuse des Dagara est emprunte de traditions ancestrales où s’expriment les besoins immédiats de gens dont l’insécurité est le lot quotidien. Ces fidèles sont des paysans qui ne savent pas de quoi demain sera fait et qui concilient tant bien que mal toutes les forces, occultes ou chrétiennes, capables de leur venir en aide. Le réalisme tout court demande à voir dans les chrétiens dagara, des êtres imparfaits vivant dans une société pleine de travers et qui cherchent de tout leur cœur une issue favorable. Ils sont en quête de libération au milieu des chaînes externes et internes du phénomène de la peur et sont comme en attente de solutions qui tardent à venir.

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DEUXIEME CHAPITRE DE LA PEUR HUMAINE A LA CRAINTE DE DIEU DANS L’HISTOIRE DU SALUT

A coup sûr, la situation que vivent les chrétiens Dagara n’est pas une nouveauté. Les

auteurs sacrés n’en font-ils pas cas ? Quelles seraient les causes de la peur dans la Bible et

quelles pistes y trouve-t-on pour s’en libérer ? C’est à ces questions que nous tenterons de

donner une réponse dans cette investigation biblico-théologique qui se veut être un

cheminement de la peur humaine à la Crainte de Dieu. Nous partirons d’une approche

notionnelle (I) pour présenter le phénomène de la peur dans la Bible (II). Nous découvrirons

par la suite les effets curatifs de la Crainte de Dieu face à la peur (III) et nous nous arrêterons

sur des repères doctrinaux rassurants (IV).

I. APPROCHE NOTIONNELLE Cette partie vise à mieux appréhender la notion de la peur dans la Bible. Après quelques

statistiques nous nous pencherons sur le sens de la peur puis nous nous arrêterons sur

l’expression "Crainte de Dieu" pour en présenter la spécificité.

A. Quelques statistiques 19 En guise de statistiques, nous présentons dans le tableau ci-dessous les mots essentiels

constitutifs du champ lexical de la "peur" et leur fréquence dans la Bible.

LES MOTS Traduction A.T. N.T. Total En hebreu En grec Peur yire’ah, môra, goûr, pahad phobos, tremo 115 26 141 Crainte yire’ah, phobos, eulabeia 131 80 211 Craindre yare, yara, phobein, eulabeomain 279 44 323 Terreur eymâh, megorah Tromos 57 0 57 Trembler hared, pahad tremo, treo 98 02 100 Tremblement ra’ad, reâdâh tremo 10 03 13 Terrible pahad Demophoberos 31 02 33 Panique mehoûmah kinêma 16 0 16 Frayeur pahad, eymâh ekphobos, ekthambeo 20 0 20 Fuir noûs, nadad pheûgo, aposobeo 103 13 116 Crainte de Dieu yire’ah Elohim phobos tou Theou 87 11 98 Craindre Dieu yare Elohim phobeo ton Theon 156 17 173

19 Pour ce point nous nous sommes basé sur AAVV, La Concordance de la Traduction Oecuménique de la Bible, éd. Cerf, Paris, 1993

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B. Analyse sémantique Ordinairement, la peur se définit comme « un sentiment éprouvé en présence ou à la

pensée d’un danger réel ou supposé,... la crainte que quelque chose de dangereux ou de gênant

ne se produise »20. Dans la Bible, les termes utilisés pour traduire l’idée de peur font ressortir

deux compréhensions essentielles de cette réalité.

1) La peur, expression de la faiblesse humaine La peur apparaît nettement dans la Bible comme expression de la faiblesse humaine.

L’objet de la peur est souvent un mal futur que l’on fuit ou la réalité d’où peut provenir ce

mal. En face d’un danger, l’homme est envahi par la peur, il reconnaît sa faiblesse devant les

situations qui le dépassent. Le point culminant de la peur des fils d’Israël lors de la sortie

d’Egypte fut l’arrivée au rivage de la Mer Rouge. Poursuivis par les Egyptiens et bloqués par

l’eau de la mer, les Hébreux devant cette mort assurée, regrettèrent même leur libération de

l’esclavage (cf. Ex 14,10-12.20). L’apôtre Pierre qui a tenté de marcher sur les eaux à la

rencontre de Jésus, à la vue du vent, craignit automatiquement le naufrage et se mit à crier (cf.

Mt 14,28-31).. Par ce sentiment, l’homme confronté aux difficultés se protège parfois, même

si c’est par la fuite. A l’arrestation de Jésus, voyant aussi leur situation menacée, « les disciples

l’abandonnèrent tous et prirent la fuite. » (Mt 26,56). L’un d’entre eux, que l’on tentait de saisir,

s’échappa en laissant sa tunique (cf. Mc 14,52).

2) La peur, sentiment devant une autorité Dans la Bible, la peur est apparue comme le sentiment devant une autorité. Elle peut

être divine ou humaine, politique ou morale, menaçante ou non. Le respect dû au supérieur a

souvent pris la forme de la peur, cette crainte morbide. Adonias qui s’était autoproclamé roi

par ses agissements eut peur de son frère Salomon, le roi sacré devant tout le peuple (1R 1,49-

53). Devant Jésus, les démons se pliaient ou s’enfuyaient ; en effet, ils reconnaissaient en lui

une autorité divine. (cf. Lc 4,33-42).

De tout cela, la peur ou crainte morbide apparaît comme un sentiment négatif.

Cependant le psalmiste nous chante « heureux qui craint le Seigneur » (Ps 123,1). Marie, la

mère du Sauveur renchérit par : « l’amour du Seigneur s’étend d’âge en âge sur ceux qui le

craignent » (Lc 1,50). Une nuance n’est-elle pas à observer dans l’expression "Crainte de

Dieu" qui représente la moitié des emplois des mots crainte et craindre dans la Bible ?

20 AAVV, Grand dictionnaire encyclopédique Larousse, Tome 8, éd. Larousse, Paris, 1985, art. Peur, p. 8039

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C. Cas particulier de la "Crainte de Dieu" Pour mieux cerner la Crainte de Dieu nous commencerons par la distinguer de la peur et

de l’angoisse. C’est en second lieu que nous présenterons sa spécificité.

1) Fausses compréhensions de la Crainte de Dieu La Crainte de Dieu ne saurait être la peur de Dieu, ce sentiment pathologique, l’effroi

devant la divinité ou devant ses manifestations. L’une des confusions à éviter est l’angoisse,

une réalité autre que la peur. La Crainte divine n’est pas l’angoisse, ce « sentiment pénible

d’alerte psychique et de mobilisation somatique devant une menace ou un danger

indéterminé »21. L’angoisse est une détresse fondamentale qui trouble l’homme d’autant plus

qu’elle demeure, muette et sans raison avouable ; l’homme angoissé est comme confronté à

un ennemi à visage caché, ses mouvements de défense tâtonnent dans le vide. Ni la peur, ni

l’angoisse ne sont à confondre avec la Crainte de Dieu. Ces deux réalités font partie d’un

ensemble de sentiments pathologiques que les Pères de l’Eglise appelaient « Crainte-

Passion »22. La Crainte-Passion est l’ensemble d’une part de la peur, de la frayeur, de la

terreur et d’autre part de l’angoisse, de l’anxiété, de la détresse. Mais alors quelle définition

retenir de la Crainte de Dieu ?

2) Sens de la Crainte de Dieu Parlant de la Crainte de Dieu, Saint Clément d’Alexandrie précise bien : « Si la crainte

est une passion, toute crainte n’est pas une passion »23. Deux niveaux essentiels sont à

distinguer dans la compréhension de la Crainte de Dieu à la lumière de la Révélation.

a) La Crainte révérencielle de Dieu

C’est avec Israël que s’est développée la crainte révérencielle de Dieu comme premier

degré de la Crainte de Dieu. Elle comporte au niveau primaire la peur de Dieu. A ce niveau,

elle est négative même si elle pousse parfois les fidèles à rechercher la volonté de Dieu :

« Servez Yahvé avec crainte... qu’il s’irrite, et vous vous perdez en chemin » (Ps 2, 11s). Ici,

l’homme s’attache à Dieu à l’exemple d’un esclave à son maître. C’est la crainte de la colère

et du jugement de Dieu, la peur des peines infernales (cf. 2 Th 1,6-10) : « Oh ! Chose

effroyable que de tomber aux mains du Dieu vivant » (He 10,31).

21 idem, art. angoisse, p. 483 22 J-C LARCHET, Thérapeutique des maladies spirituelles, éd. Cerf, Paris, 1997, p.232 23 St Clément d’Alexandrie, Stromates, II, 8, 40 cité par J-C LARCHET, idem, p. 229

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Mais l’autorité souveraine et la transcendance de Dieu ont inspiré une juste crainte à

l’homme biblique. Dieu est si Parfait que les Hébreux se gardaient de prononcer son nom

personnel par respect, il est l’Innommable. Cette crainte est manifeste dans les théophanies

comme les scènes du buisson ardent (cf. Ex 3,7), de la Transfiguration de Jésus (cf. Mt 17, 6) et

de sa Résurrection (cf. Mt 28,4.8). L’émerveillement et la stupéfaction des foules devant les

merveilles accomplies et l’autorité de Jésus la soulignent bien (cf. Mc 2,12). Parlant des

anges, Saint Grégoire de Nazianze dit ceci : « les puissances mêmes des cieux, qui regardent

Dieu sans cesse, tremblent dans cette contemplation même. Mais ce tremblement, loin d’être

pour eux une peine, n’est pas un tremblement de crainte, mais d’admiration »24. Dieu se

présente parfois terrifiant mais surtout radieux, digne de respect et de considération. C’est

avec le Christ que s’éclairera mieux la relation d’amour de l’homme avec Dieu, sommet de la

Crainte de Dieu. b) L’amour filial envers Dieu

A la lumière de la Révélation en Jésus Christ, la Crainte de Dieu prend le nom d’amour

filial envers Dieu ; c’est la crainte parfaite. Déjà, Israël avait pris conscience qu’il est un

peuple mis à part (Dt 7,6) entouré de l’amour paternel de Dieu : « Mon fils premier-né, c’est

Israël » (Ex 4,22). C’est l’amour qui prévaut dans l’Alliance avec le Dieu plein de

Miséricorde (cf. Ex 34,5-9). Avec le prophète Isaïe, nous découvrirons que la Crainte de Dieu

est un don du Saint Esprit, un signe de reconnaissance du Messie : « L’Esprit de crainte du

Seigneur le remplira » (Is 11,3).

Le Christ Jésus sera la Révélation même tant de l’amour divin que de la piété filiale.

Toute son existence terrestre durant, il a manifesté sa soumission filiale au Père (cf. Mt

26,39b). Ses paroles sont celles de celui qui l’a envoyé (cf. Jn 7,16), ses actions sont

conformes à celles de son Père (cf. Jn 12,49-50), son jugement est juste car il se fait selon ce

que le Fils entend du Père (cf. Jn 5,30). Privilégiant en toute chose sa volonté à celle du Père

(cf. Jn 6,38), Jésus s’est offert en sacrifice pour le salut de l’humanité (cf. He 5,8). A la suite

du Christ, Saint Paul invite les chrétiens à passer de leur crainte d’esclave à l’esprit des fils

adoptifs de Dieu (cf. Rm 8, 15) : la Crainte de Dieu.

Il s’agit concrètement de faire la volonté de Dieu non par peur mais par amour de celui

qui, le premier, nous a aimé (cf.1 Jn 4,19). La Crainte de Dieu est donc l’attachement à la

volonté de Dieu dans le quotidien de la vie. Elle est la crainte d’être séparé de Dieu, la grâce

24 St Grégoire de Nazianze in St THOMAS D’AQUIN, Somme Théologique, IIa-IIae, q. XIX, "Le Don de la Crainte" art. 11, éd. Société St Jean l’Evangéliste, Desclée et Cie, Paris, 1927, p. 105

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de haïr le péché, ce désir ardent de ne faire que le bien et de rechercher prioritairement les

biens spirituels. St Thomas distingue bien la peur de Dieu (crainte servile) de la Crainte de

Dieu (crainte filiale) : « La crainte servile et la crainte filiale ne considèrent pas Dieu sous le

même aspect ; la crainte servile le voit comme le principe actif des peines, et la crainte filiale

le regarde, non comme le principe actif de la faute, mais plutôt comme un terme dont on

redoute de se séparer »25.

Les statistiques et la variance du vocabulaire utilisé nous montrent bien que la peur est

une réalité non négligeable dans la Sainte Ecriture. Mais quelles sont précisément les

différentes peurs qui peuvent accabler l’homme biblique et pourquoi ?

II. L’HOMME ET LA PEUR DANS LA BIBLE

Après avoir énuméré les différents phénomènes effrayants dans la Bible, nous tenterons

une meilleure explication du sentiment de la peur chez les croyants. Mais avant tout, nous

partirons de la cosmologie biblique qui semble être la porte ouverte pour une meilleure

compréhension des peurs.

1) La cosmologie biblique La cosmologie est marquée par la vision tripartite juive du monde. L’univers

entièrement créé par Dieu se subdivise en ciel, terre et shéol selon la mentalité juive. Ces trois

niveaux grouillent d’être visibles et invisibles. Israël considérait la voûte céleste comme une

tente dressée pour Dieu : le Ciel est la Demeure de Dieu, le lieu où il trône entouré de ses

armées. On peut y compter les archanges, les anges et les astres. « Le ciel est le ciel de Yahvé,

la terre il l’a donnée aux fils d’Adam » (Ps 115,16). La terre qui contient les animaux, les

oiseaux et les végétaux, est laissée à la gestion humaine dès sa création (cf. Gn 1,28). Le shéol

ou enfers (l’Hadès en grec) est le séjour de morts (cf. Job 7,9). Le judaïsme l’imagine comme

une tombe, un puits, le fond de la mer ; en somme, un gouffre au plus profond de la terre où

règne l’obscurité totale (cf. Ps 88, 11).

On note aussi une vision dualiste du monde, issue de la prise de conscience de

l’opposition tragique entre le Bien et le Mal. Le monde de la lumière, lieu du vrai

épanouissement de l’homme, jouit de la présence de Dieu. A son opposé, le monde des

ténèbres, celui de Satan, de ses démons et des forces méchantes, lutte contre le bien-être de

l’homme. L’Archange Michel et ses armées sont en combat perpétuel contre eux (cf.

25 St THOMAS D’AQUIN, idem, art. 5, p. 80

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Dn 10,13, Ap 12,7). En effet, les démons sont considérés comme des anges déchus, précipités

sur la terre à l’issue d’un combat originel.

Auteur du désordre sur la terre, Satan est personnalisé dans la Sainte Ecriture par des

bêtes féroces, des monstres marins, le Dragon, Rahab, Léviathan, le Serpent fuyard,

Babylone, la Bête26... (cf. Ap 12-13). Devant ce combat, l’homme est appelé à faire un choix

décisif : « Vois, je te propose aujourd’hui vie et bonheur, mort et malheur » (Dt 30,15 cf. Mt

7,13-14). La cosmologie biblique se révèle comme le lieu d’appréhension et de maintien de la

peur de l’homme dans la Bible. Quelles sont alors ces peurs ?

2) Les différentes peurs de l’homme biblique Les différentes peurs auxquelles l’homme est confronté dans la Bible sont de trois

ordres : la peur des ennemis, de l’Ennemi (et des forces maléfiques) et de Dieu.

a) La peur de l’agressivité des ennemis

L’homme a souvent été confronté à ses semblables dans la Bible. L’ennemi de guerre

vient en tête de liste. L’histoire d’Israël nous révèle souvent l’impasse dans laquelle les

Hébreux vivaient au milieu des grandes nations : Egypte, Babylone, Edom. La puissance de

ces entités et particulièrement la force de leur armée a plus d’une fois fait trembler Israël. (cf.Ex

14,6.10). L’autorité politique ou religieuse s’est souvent révélée comme une menace pour

l’homme. Source d’exactions, elle a mis en péril la foi de bon nombre de fidèles.

Pendant l’Exil ( cf. Dn 4,17) et plus tard lors des persécutions chrétiennes (Ac 4 ; 7),

l’autorité a été la terreur des fidèles. C’est le cas en période maccabéenne : Le roi helléniste

Antiochus Epiphane IV « marcha contre Israël et sur Jérusalem avec une armée imposante.

Beaucoup d’Israélites firent bon accueil à son culte, sacrifiant aux idoles et profanant le

sabbat » (1Ma 1,20.43). Le Christ Jésus dans son opposition contre "la royauté de ce monde"

y a payé de sa vie (cf. Jn 18,36 ; Ac 4,10). Avec ses ennemis qui l’éloignent visiblement de

son Dieu, l’homme en est arrivé à les identifier au monde de ténèbres, à Satan, l’Ennemi

principal.

b) La peur de l’Ennemi et des puissances invisibles

L’Ennemi est présenté suivant la cosmologie biblique comme celui qui s’oppose aux

actions de Dieu en faveur de l’homme. La prise de conscience de cette présence a souvent

causé des insomnies à l’homme. Les œuvres de l’Ennemi sont aussi redoutées que lui-même.

26 cf. AAVV, Vocabulaire de Théologie Biblique, éd. Cerf, Paris, 1999, art. Bêtes et Bête, col. 128

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Dès la genèse, le Tentateur est sur scène (cf. Gn 3) et se sert souvent des ennemis sus-cités. A

l’aide des démons et des esprits mauvais, il fait peser sur le monde la haine, la guerre et autres

maux. Le Christ au début de son activité apostolique a dû combattre l’Ennemi (cf. Lc 4, 1-13).

Ses appels soulignent l’urgence de la méfiance et la vigilance vis-à-vis de l’Ennemi :

« Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation » (Mt 26,41a). L’apôtre Pierre décrira le

démon « comme un lion rugissant, (qui) rôde, cherchant qui dévorer » (1 P 5,8). L’apôtre Jean

verra dans les persécutions contre l’Eglise naissante, l’action du Prince des ténèbres (cf. Ap

12,18).

A la crainte de l’Ennemi se greffe la peur des puissances invisibles se manifestant

souvent dans les éléments de la nature : ténèbres, vacarme de le mer... La croyance aux

fantômes, à la magie, à la divination est une réalité génératrice des peurs (cf. Ex 7,11 ; Ga

5,20). Nous pouvons le constater dans l’affolement des Douze dans le récit de la marche de

Jésus sur les eaux : « Ceux-ci, le voyant marcher sur la mer, crurent que c’était un fantôme et

poussèrent des cris... » (Mc 6,49). Un sentiment similaire les habitera quand, enfermés dans

une maison par peur des juifs après la mort de Jésus, les apôtres virent celui-ci se tenir au

milieu d’eux (cf. Lc 24,36-43). La prédication de Saint Paul s’est souvent heurtée à la position

des magiciens comme Bar-Jésus, Elymas (cf. Ac 13,6.8).

c) La peur de Dieu et des épreuves personnelles

La Bible a souvent présenté l’homme affolé devant son Dieu. La vision d’un Dieu

vengeur, celui qui punit les fautes commises, a été la base de la peur de Dieu. Celui qui met

en déroute les ennemis, peut se tourner contre son serviteur quand ce dernier l’offense. Si la

maladie, la mort et autres épreuves personnelles traumatisent l’homme biblique, c’est qu’elles

sont souvent perçues comme des châtiments divins. Pire, les juifs voyaient en ces épreuves,

les conséquences des fautes des ancêtres : « les pères ont mangé les raisins verts et les dents

des fils ont été agacées » (Jr 31,29// Ez 18,2)

Une maladie comme la lèpre était signe d’une grave souillure intérieure et se

sanctionnait par l’expulsion du sein de la communauté. La réinsertion du lépreux après

vérification de la guérison, nécessitait une purification rituelle (cf. Lv 14). La maladie

apparaît dès lors comme révélatrice d’une culpabilité de l’homme. Le Christ s’érigera contre

un tel regard à la suite des prophètes et des sages (cf. Job). Toutes ces sources de peurs

montrent l’inquiétude de l’homme dans la Bible. Mais qu’est-ce qui explique ce sentiment

pathologique malgré la présence de son Dieu ?

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3) L’explication de la peur dans la Bible La Bible nous enseigne que le manque de foi, la distance de Dieu et l’attachement aux

biens matériels sont à la base de la peur des fidèles.

a) Le manque de foi en Dieu

Dans la peur, Dieu est oublié comme le principe et la fin de toute chose, Il n’est plus

reconnu comme le sens et le centre de l’existence. La "peur originelle" du jardin d’Eden est

née d’une foi mise plus au Tentateur qu’au Créateur (cf. Gn 3,1ss). Le peuple que Dieu s’est

acquis a souvent oublié Yahvé comme son protecteur ; tremblant ainsi devant l’ennemi de

guerre (cf. 1S 12,12). L’homme par ce manque de foi, se livre à lui-même, compte sur ses

propres forces. C’est là qu’il expérimente ses limites, son incapacité à se dérober des

contraintes, cette "nudité" devant son Dieu. Il panique et se met à trembler face aux périls.

L’exemple de l’apôtre Pierre marchant sur les eaux est frappant : c’est au moment où il a

douté qu’il a commencé à se noyer (cf. Mt 14,28-31). A maintes reprises, dans les situations

périlleuses, le Christ reprochera à ses disciples ce manque de foi (cf. Mt 6,30 ; 8,26 ;

16,8 ; Mc 9,19 ; Lc 24,38...)

b) L’attachement aux biens matériels

L’homme tombe dans la peur quand il s’attache prioritairement aux réalités terrestres,

aux biens sensibles tels la vie, la santé, l’argent et les biens matériels. Soumis à la finitude

contrairement aux biens spirituels, ceux-ci sont continuellement menacés de disparition ; ils

échappent inéluctablement à qui met sa foi en eux. Un tel homme ne peut pas trouver du repos

« car où est ton trésor, là sera aussi ton cœur. » (Mt 6,21). C’est en mettant sa foi plus aux

œuvres de Dieu qu’à Dieu lui-même que l’homme est assiégé par la peur (cf. Mt 19,21ss)

c) La distance de Dieu

L’homme biblique a pris conscience de sa distance de Dieu : Dieu est infini, Saint mais

l’homme fragile, fini, pécheur (cf. Ps 8 ; 115). Cet éloignement ontologique, physique et

moral est source de peur pour l’homme. Une fausse idée de Dieu aggrave la situation : quand

la Pitié et le Pardon divins sont oubliés ou mis en arrière-plan devant une Justice vengeresse

attribuée à Dieu l’homme panique devant son Créateur.

En bref, la peur des ennemis, des forces maléfiques et même de Dieu est un signe

extérieur d’un manque de foi en Dieu, d’un attachement pathologique de l’homme aux biens

matériels et d’une distance reconnue entre l’homme et Dieu. Curieusement et contrairement à

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la peur, la Crainte de Dieu que soulignent les textes sacrés, semble une chose désirable.

Mieux, serait-ce un antidote que nos pères dans la foi avaient trouvé ?

III. LA CRAINTE DE DIEU COMME REMEDE A LA PEUR

La peur n’a pas été une barrière infranchissable. Selon la Sainte Ecriture et beaucoup de

Pères de l’Eglise : « la crainte de Dieu peut être considérée à bien des égards comme une

vertu fondamentale »27, un antidote, source de libération de la peur. L’homme qui craint le

Seigneur, retrouve une stabilité intérieure renforcée par un engagement résolu qui le situe au-

dessus des peurs.

1) La stabilité intérieure dans la Crainte de Dieu L’homme dont le cœur est imperturbable n’a pas peur des dangers environnants. La

Crainte de Dieu, par la foi-confiance et la maîtrise des passions qu’elle confère, est source de

cette stabilité intérieure.

a) La foi-confiante du craignant-Dieu28

La foi-confiante découle de la découverte de Dieu qui prend parti pour l’homme. La

libération de l’esclavage d’Egypte est pour le peuple élu le prototype de toutes les délivrances

futures (cf. Ex 14,13-15,21). Dans les guerres contre les nations païennes, Yahvé s’est érigé

comme le "Rocher d’Israël" (2 S 22,23). Les termes rempart, bouclier, forteresse ou citadelle

utilisés pour désigner le Seigneur soulignent sa stabilité (cf. Ps 3,25-26). Jésus sera donc la

pierre de fondation de l’Eglise (cf. 1P 2,4). Il est celui sur qui repose la confiance des

chrétiens : « Si Dieu est pour nous, qui peut être contre nous » (Rm 8,31). L’homme qui craint

le Seigneur est conscient de ses limites mais il sait que sa force est en Dieu qui s’est révélé

omnipotent et omniscient. Il n’a plus à craindre quelque péril que ce soit, il a, avec lui, le

meilleur protecteur. C’est une telle conviction qui fait dire à Saint Paul : « Je peux tout en

celui qui me fortifie » (Ph 4,13).

L’un des motifs de confiance est la Perfection morale du Seigneur : Dieu est Fidèle. Il

est le Dieu Vivant qui fait alliance avec l’homme. C’est le Dieu des pères, « le Dieu

d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » (Ex 3.6). Dans ce "marcher-ensemble", c’est Lui qui prend

l’initiative et oriente l’histoire tout en appelant l’être humain à une libre

27 J-C LARCHET, op. cit. p. 663 28 Dans notre travail, le terme craignant-Dieu est à prendre dans son sens littéral (l’homme qui craint Dieu) et non dans le sens de prosélyte cf. Dictionnaire encyclique de la Bible, art. Craignant-Dieu, p. 309

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collaboration. A cette perfection s’ajoute sa Tendresse et sa Pitié. Allant toujours au-delà des

caprices de la liberté humaine, Dieu reste fidèle à son Alliance et à ses promesses. Comme le

remarque Daniel FOUCHER, « Dieu emboîte le pas hésitant et capricieux des hommes pour

faire l’histoire avec eux, comme eux, parfois malgré lui »29. Le pardon divin a toujours été une

nouvelle vie accordée au bénéficiaire, une régénération (cf. Lc 12,24-30).

Dieu mène toute chose à son achèvement : « A travers les vicissitudes du temps et

l’interaction des libertés, le but arrêté par Dieu sera un jour pleinement atteint »30. Une telle

stabilité affermit la foi du fidèle. Son salut est entre les mains du Dieu Fidèle.

b) La maîtrise des passions

Toute l’histoire du Salut a révélé une Bienveillance de Dieu envers les hommes. Errant

dans les lieux arides, le peuple hébreu n’avait pour seul secours que Yahvé. La manne, la

caille, l’eau du rocher sont autant de bienfaits providentiellement accordés en temps voulus.

En présence de Jésus, les malades sont guéris, les foules affamées sont nourries et les

pécheurs pardonnés ; c’est lui le Bon Pasteur ( cf. Jn 10,12-15). Il réaffirme que Dieu est le

Père aimant qui veille sur ses enfants (cf. Lc 12,22ss).

Les passions naissent habituellement d’une mauvaise hiérarchisation des valeurs : quand

les besoins matériels, corporels et terrestres prennent le dessus sur les biens spirituels ou

quand ils sont l’unique inquiétude de l’homme. La Bienveillance divine rassure le craignant-

Dieu ; il a la ferme espérance que dans sa Providence, Dieu pourvoira à ses besoins. Ses

soucis terrestres sont remis au second plan et ses passions ainsi maîtrisées. Il n’est plus

ballotté par ses multiples penchants.

2) La Guérison par l’engagement « Heureux qui craint le Seigneur et marche en ses voies » (Ps 127,1), chante le

psalmiste. La stabilité intérieure, loin d’être un abandon oisif en Dieu, va de paire avec les

actes de charité ; car « la foi sans les oeuvres est morte » (Jc 2,26).

a) La vie de prière

La vie de prière est l’une des caractéristiques du craignant-Dieu. Acte d’amour envers

Dieu et le prochain, la prière reste déterminante dans la guérison des peurs. A travers elle, le

fidèle obtient le secours divin, il trouve des forces pour rester éveillé en face du péril (cf. Mt

29 D. FOUCHER, Pourquoi l’Enfer si Dieu est Amour ?, éd. Montligéon, Paris, 1986, p. 110 30 J. DUPUIS, Homme de Dieu, Dieu des hommes, éd. Cerf, Paris, 1993, p. 222

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26,41). La prière naît de la prise de conscience de Dieu qui écoute et exauce celui qui

l’appelle. Même au milieu des épreuves, le craignant-Dieu est assuré que son Dieu le sauvera,

il le loue par avance. Devant le scandale du mal, dans la souffrance du juste et de la prospérité

des impies, il reste convaincu que son Sauveur est capable de renverser les situations même

les plus désespérées (cf. Jb 42,10ss).

b) La vie vertueuse

Confronté aux épreuves de la vie, le craignant-Dieu s’appuie sur le Seigneur et se bât

consciencieusement pour s’en délivrer. Il satisfait ses besoins vitaux avec dignité : « Tu te

nourriras du travail de tes mains : heureux es-tu ! A toi le bonheur » (Ps 127,2). C’est dans

son engagement qu’il obtient la bénédiction du Seigneur, qu’il se guérit des situations

angoissantes. Eclairé par l’Esprit de Crainte, l’homme qui craint le Seigneur se remarque par

ses œuvres de lumière. Tout tendu vers les biens éternels, il se sacrifie en réponse à l’amour

de Dieu et n’est pas perturbé par les impasses inhérentes à toute vie de foi. « Par la pratique

des commandements, l’esprit se dépouille des passions et corrélativement acquiert les

vertus »31. Tout comme Tobie, le craignant-Dieu se distingue des autres par la rectitude

morale malgré les dangers auxquels il s’expose (cf. Tb 2,3-8). Sa vie entière est fortifiée par

les vertus telles la prudence, l’humilité, la tempérance, le courage, etc.

c) La charité libératrice

« La charité parfaite bannit la crainte » (1 Jn 4,18). Saint Maxime commente cet extrait

johannique ainsi : « la première sorte de crainte (crainte servile ou peur de Dieu), la charité

parfaite la chasse de l’âme qui, la possédant, ne craint plus le châtiment »32. Somme et

sommet de toutes les vertus, l’amour de Dieu et du prochain est le vrai culte du craignant-

Dieu. Dieu n’attend de l’homme qu’un amour filial qui s’exprime dans les préceptes

élémentaires de justice sociale et d’amour du prochain plutôt que dans un ritualisme formel

(cf. Am 5,21; Os 6,6; Mi 5,8). C’est dans les œuvres de charité à l’exemple du Bon

Samaritain (Lc 15,11-32) que le craignant-Dieu se libère de ses peurs. En effet, on n’a pas

peur de celui qu’on aime. Par le secours porté aux nécessiteux, par la défense des innocents et

des opprimés, le craignant-Dieu crée autour de lui une communauté de frères. Il vit son culte

dans le quotidien de sa vie, dans la construction du Royaume sur la terre.

31 J-C LARCHET, op. cit., p. 715 32 St Maxime, Centuries sur la charité in idem, p. 665

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3) Le témoignage des Anawîm (Les Pauvres de Yahvé) Les "Pauvres de Yahvé", désignent avant tout des individus ou groupe de personnes

ayant une disposition intérieure à se tourner vers Dieu en toute circonstance : dans le manque

comme dans l’abondance.

Les Anawîm témoignent d’une grande richesse spirituelle. Ils s’en remettent à l’amour

bienveillant de Dieu et ne redoutent pas les menaces d’où qu’elles viennent. C’est le cas des

messagers de Dieu comme Jérémie. Tiraillé par ses multiples ennemis, le prophète a su crier

son angoisse à Yahvé de qui il attend le secours, il « remet à Dieu sa cause » (Jr 20,12). Les

martyrs d’Israël et plus tard les chrétiens persécutés, avaient pour seul refuge et seule force le

Seigneur qui les rendait imperturbables dans leur vie de foi. Ils ont su renoncer aux biens

terrestres pour ne s’attacher qu’à Dieu et aux biens spirituels. Ils demeurent fermes dans leur

foi grâce à la Crainte de Dieu et ne se laissent pas ébranler par la crainte des hommes. C’est

ce témoignage que rendirent les apôtres Pierre et Jean devant le Sanhédrin (Ac 4,19-20).

Participer à la félicité divine était leur seul souci.

Le cri des Anawîm a toujours trouvé grâce aux yeux de Dieu : « Yahvé exauce les

pauvres » (Ps 69,34). Le Christ lui-même a manifesté sa prédilection pour les Pauvres. Ce

sont les héritiers privilégiés du Royaume : « Heureux les pauvres de cœurs, le Royaume des

Cieux est à eux » (Mt 5,3). La Vierge Marie, "l’humble servante", pourra entonner la louange

des Pauvres au Tout-Puissant « qui abaisse les puissants et relève le faible » (Lc 1,52). Le

Christ lui-même a été l’Archétype des Anawîm. De condition divine, il s’est abaissé et a

partagé les limites de la nature humaine. Il est resté attaché à la Volonté du Père jusqu’à offrir

sa vie sur la Croix pour le salut de toute l’humanité (cf. Ph 2,8). La Crainte de Dieu chez les

Anawîm part d’une attitude intérieure qui les dispose à une parfaite confiance en Dieu et qui

les engagent dans toutes les dimensions de leur être.

En somme, la Crainte de Dieu est un mouvement de confiance et d’abandon par lequel

l’homme renonce à compter sur ses pensées et sur ses forces, pour s’en remettre à la parole et

à la puissance de Celui en qui il croit. La guérison des peurs s’opère à la manière « du

processus de conversion spirituelle selon lequel l’homme détourne toutes ses facultés du

monde où elles s’étaient pathologiquement investies selon les passions et les retourne vers

Dieu par la pratique des vertus »33. En la matière, les Anawîm ont laissé un témoignage

exemplaire. L’Eglise à la suite du Christ invite ses fils à ne pas avoir peur. Quels sont donc les

fondements théologiques d’un tel appel ?

33 idem. p. 811

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IV. DES REPERES DOCTRINAUX RASSURANTS « N’ayez pas peur ! » (Mt 14,27), cet appel s’inscrit dans la droite ligne du Dessein

d’Amour de Dieu, de la victoire du Christ sur la peur, victoire qui est aussi celle de l’Eglise.

Ce sont ces thèmes que nous développerons à cette étape de notre réflexion.

1) Le Dessein d’Amour de Dieu « Dieu est Amour : celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure

en lui » (1 Jn 4,16). Dieu est Amour, c’est l’une des grandes révélations sur le Mystère de

Dieu : Il est amour en son être et en ses oeuvres. Du Mystère de la Sainte Trinité, se dégage

l’amour éternel au sein de Dieu. L’amour est le principe d’unité du Père, du Fils et du Saint

Esprit en une seule Nature divine. Fondement de la communion éternelle des Trois Personnes

de la Trinité, l’amour l’est aussi dans les oeuvres divines34. Toutes les actions divines au

cours de l’histoire convergent vers la réalisation de l’unique Dessein de salut. En effet, dès

avant la création du monde, Dieu a voulu par amour gratuit, sauver l’homme en le rendant

« participant de la nature divine » (2 P 1,4). Ainsi se résume le Bonheur éternel, le Bien

essentiel. Il a plu à Dieu, dans sa sagesse et bonté, de se révéler aux hommes et de faire

connaître son dessein de salut (cf. Ep 1,9)35. Depuis la création et à travers l’histoire du

peuple juif, il a préparé l’humanité à accueillir la Révélation Plénière de son Amour. Au

moment fixé, Dieu s’est révélé en Personne dans l’Incarnation de son Fils Jésus Christ.36.

Si c’est par amour que Dieu a créé le monde et oriente notre histoire, l’homme, l’être

créé « à l’image et à la ressemblance de Dieu » (Gn 1,23), ne doit plus douter de l’assistance

divine dans sa vie. Il n’a plus à paniquer devant des situations, car la main bienveillante de

Dieu est sur lui. Jésus qui est l’amour incarné ne nous appelle-t-il pas à la confiance ?

2) Jésus Christ, Vainqueur de la peur La christologie nous offre des raisons suffisantes de croire au Christ Jésus quand il nous

encourage en ces termes : « N’ayez pas peur !» (Mt 14,27). Nous nous arrêterons sur

l’Incarnation, la vie terrestre, la Mort-Résurrection et l’Ascension de notre Seigneur Jésus

pour découvrir ces raisons.

34 cf. AAVV, Catéchisme de l’Eglise Catholique, éd. Centurion/Cerf/Fleurus-Mame/Librairie EditriceVaticane, Paris, 1998, n°s 258 et 267 35 cf. PAUL VI, Documents pontificaux, Concile Vatican II (1963-1965), IV, éd. St Augustin St Maurice, suisse, 1967, Dei Verbum, n°2 36 cf. D.V. n°4

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a) Incarnation ou proximité de Dieu

Sous l’action du Saint Esprit, le Fils unique du Père est né d’une femme, Marie (cf. Lc

1,36). L’Evangéliste Jean atteste que Jésus, « le Verbe, s’est fait chair et a habité parmi nous »

(Jn 1,14). Il est l’Emmanuel c’est-à-dire "Dieu avec nous", accomplissant ainsi la prophétie

d’Isaïe : « Voici que la jeune femme est enceinte, elle enfantera un fils, et on l’appellera

Emmanuel » (Is 7,14). Vrai homme et vrai Dieu, Jésus rend Dieu proche des hommes. Le

Dieu que nos pères priaient en tremblant, les contemporains de Jésus l’ont vu, entendu et

même touché (cf. 1Jn 1,1). Avec Jésus, la divinité est d’une proximité inédite de l’humanité.

Dieu n’est plus l’être lointain, terrible et vengeur ; il est celui qui vit dans les mêmes

conditions humaines que nous. Le mystère de l’Incarnation est d’un enjeu capital pour la

Rédemption de l’homme : « si le verbe n’avait pas eu la condescendance de devenir chair

alors aucune chair non plus ne pourrait être sauvée »37.

b) Vie terrestre, inauguration du Royaume

L’un des motifs de l’Incarnation du Fils de Dieu est l’instauration du Règne de Dieu.

Jean le précurseur l’annonçait en ces termes : « repentez-vous car le Royaume de Dieu est

tout proche » (Mt 3,2). Le Christ présentera le Royaume de Dieu comme le bien essentiel, le

don de Dieu par excellence (cf. Mt 13,44s). Le sacrifice de l’avoir, même de l’être, vaut la

peine pour l’obtenir : « Si ton pied ou ta main sont pour toi une occasion de péché, coupe-les

et jette-les loin de toi : mieux vaut pour toi entrer dans la Vie manchot ou estropié... » (Mt

18,8). Il reconnaît qu’en lui s’accomplit les prophéties sur le règne de Dieu (cf. Is 61,1-2 //

Lc4,21). Ses œuvres témoignent qu’il est le Messie, celui qui vient instaurer le Royaume de

Dieu sur la terre. Médecin des corps et des âmes, il a guéri toute maladie, chassé des démons,

pardonné les péchés, multiplié du pain, ressuscité des morts (cf. Mt 11,5). Tous ces miracles

étaient signes du Royaume parmi les hommes. Et toute l’existence terrestre du Christ donne

du crédit à ses paroles : « sois sans crainte petit troupeau, car votre père s’est complu à vous

donner le Royaume » (Lc 12,32).

c) La grande victoire du Christ dans le mystère pascal

Dans la figure du Serviteur souffrant (cf. Is 53), le Christ s’est révélé comme l’Amour

de Dieu incarné qui ne recule jamais devant les péripéties de sa mission. Par amour pour Dieu

et pour les hommes ses frères, il prit sur lui nos péchés et va jusqu’à s’offrir en sacrifice sur la

37 K. H. OLIZ, Christologie II, Du Moyen Âge à l’époque contemporaine, éd. Cerf, Paris, 1996, p. 29

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croix. (cf. 1P 2,25). Il vit ainsi son propre enseignement : « Il n’y a pas de plus grand amour

que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,13).

Par grâce divine, l’amour manifesté dans la kénose du Christ a triomphé de la mort (cf.

Ph 2,7.9) : "le troisième jour il ressuscita". La Résurrection du Christ proclamée et confessée

est le fondement de la foi chrétienne : « Si le Christ n’est pas ressuscité, vaine est notre foi. »

(1 Co 15,17). La Résurrection est l’événement qui vient confirmer la messianité et le salut du

Christ. C’est la grande défaite du Prince de ténèbres et des puissances du mal. La Mort n’a

plus de pouvoir sur l’homme : « O mort où est ta victoire, où est ton dard venimeux ? » (1Co

15,55). L’abaissement du Christ a valu au genre humain, le relèvement du poids de péché,

l’espoir d’une nouvelle vie : celle des enfants de Dieu (Col 2,15 ; Ap. 19,11s; Rm 8,17).

d) Ascension, Seigneurie du Christ

Ressuscité d’entre les morts, le Christ est monté au Ciel. Par l’Ascension, la primauté

du Christ sur les êtres visibles et invisibles, sur toutes puissances et principautés (cf. Col 1,15-

20) est désormais consommée. Lui-même l’affirme en ses termes : « Tout pouvoir m’a été

donné au ciel et sur la terre » (Mt 28,18). Assis désormais à la droite du Père, il est l’unique

chemin du salut, « le Vrai et Unique Médiateur entre Dieu et les hommes » (1Tim 2,5). Nous

devenons en lui "fils adoptifs", bénéficiant de la vie divine, jouissant de la vie éternelle. (cf.

Ep 1,5). En Jésus s’accomplit la vocation humaine universelle car « tous les hommes jouissent

d’une même destinée divine »38. La Rédemption universelle du Christ est aussi concrète et

prend le nom de libération pour l’homme en proie à la peur : il a libéré l’humanité de toute

peur. Empruntant les termes de Paul VI nous affirmons que le salut en Jésus Christ concerne

« tout homme et tout l’homme. »39 Ce salut atteint donc l’Africain et particulièrement le

chrétien dagara embourbé dans ses peurs.

3) Eglise victorieuse de la peur La victoire du Christ sur les peurs est aujourd’hui actualisée par l’Eglise, le lieu où

Jésus continue d’enseigner et d’agir dans la vie des hommes.

a) La présence agissante du Christ dans l’Eglise

Monté près du Père, le Christ est toujours présent dans son Eglise. Il l’atteste ainsi : «

moi je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps » (Mt 28,20). La présence réelle

38 PAUL VI, op. cit., G.S., n°29 §1 39 PAUL VI, Lettre encyclique, Populorum progressio, 2ème éd., INADES, Abidjean, 1975, n°14, p. 26

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et agissante du Christ est manifeste dans les sacrements que l’Eglise célèbre : « là où deux où

trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt 18,20). Les sacrements, sous

l’action du Saint Esprit, actualisent le salut de l’homme opéré dans la Passion-Mort-

Résurrection du Christ. Par eux, la vie divine et de communion fraternelle se perpétuent.

L’Eucharistie fait mémoire du mystère pascal de façon particulière : Jésus, la victime

immolée, se donne en nourriture (Lc 22,14-17).

Le Christ est aussi présent dans l’Eglise à travers sa Parole ; c’est lui qui continue

d’enseigner de nous nourri de sa Parole de Vie. Enfin, à travers ses frères humains, Jésus

continue de guider le nouveau peuple qu’il a constitué : « Par les mains des apôtres il se

faisait de nombreux signes et prodiges parmi le peuple » (Ac 5,12). Le Christ est la tête du

corps qu’est l’Eglise (cf. Col 1,19 ; Ep 1,22). En son nom les fidèles sont à même de chasser

les esprits mauvais, de guérir les malades, de parler avec autorité, de traverser sans crainte les

dangers (Lc 10,8. 17ss). C’est ainsi que le prêtre peut célébrer la messe in persona Christi

Capitis (en la personne du Christ Tête). Malgré la tempête de ce monde, l’Eglise ne sombrera

pas car le Christ est en elle (cf. Mc 4,37ss). L’Eglise participe à la victoire du Christ glorifié

et de ce fait elle-même est victorieuse de toute peur. On peut alors affirmer avec Philippe

FERLAY que « le mystère de l’Eglise est celui d’une force assurée au milieu d’une

faiblesse »40.

b) La vie en Christ

Le Christ promet un retour dans la gloire en vue d’une récapitulation en Dieu (cf. Col

1,20) ; il a constitué l’Eglise, ce peuple des sauvés comme le signe visible du Royaume à

venir. Mais « entre ce déjà-là historique et ce pas encore eschatologique, il y a un tournant

décisif »41. L’homme est interpellé au combat de la foi, « cette guerre sans haine, la lutte

contre les puissances invisibles qui veulent arracher le monde et les hommes de la vocation

trinitaire »42. C’est cela s’efforcer d’entrer par la porte étroite du Royaume (cf. Lc 13,24).

La vie en Christ consiste en une confiance en son amour indéfectible malgré les

difficultés et les innombrables motifs de peurs. Jésus invite ainsi à ne pas craindre les hommes

sous lesquels lui le Maître a déjà souffert (cf. Jn 15,20) ; à ne pas craindre les éléments car il

est au-dessus d’eux (cf. Mt 14,29-31). L’incertitude de l’avenir non plus ne doit inquiéter les

disciples car Dieu le Père veille sur ses enfants, il les comble bien plus que les oiseaux du ciel

40 Ph. FERLAY, Les vertus théologales, Foi, Espérance, Charité, éd. Desclée, Paris, 1991, p. 94 41 F-M BRAUN, La foi chrétienne selon Saint Jean, éd. Gabalda, Paris, 1976, p. 35 42 Ph. FERLAY, op. cit, p. 60

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(cf. Mt 10, 9-31). Enfin, il ne faut pas craindre Dieu qui est amour et miséricorde (Lc 5,8-10).

C’est une invite à collaborer avec Lui par la foi, l’Espérance et la Charité. Ces vertus

théologales constituent, de concert, le principe même de la vie chrétienne. Elles conduisent à

s’accepter comme créature, à se découvrir fils adoptifs et à devenir fils dans le Fils. Ainsi se

résume la vraie Crainte de Dieu par laquelle le chrétien est assuré par cette voix du Christ :

« N’ayez pas peur, j’ai vaincu le monde » (Jn 16,33)

Nous venons d’analyser dans ce second chapitre le phénomène de la peur en face de

l’homme dans la Bible. Le semblable, les phénomènes visibles et invisibles et même Dieu,

constituent les motifs de peur. Tout cela s’explique par un manque de foi en Dieu et par un

attachement pathologique aux biens sensibles. Un remède sûr, repéré, a été la Crainte de

Dieu. Fortifiant la foi, cette disposition d’amour et de respect qui prend tout son sens dans la

piété filiale du Christ, apparaît comme un antidote efficace. Dans cette Crainte, l’homme

acquiert une stabilité intérieure qui fonde sa « confiance en toute circonstance, même dans

l’adversité »43. En Jésus-Christ, le chrétien retrouve le modèle parfait du craignant-Dieu et le

Libérateur véritable. Pour nous chrétiens, opter pour le Christ Sauveur n’est autre que

s’engager dans la Crainte de Dieu ; c’est le sens de son exhortation : « N’ayez pas peur ! ».

Mais comment "inculturer" cet idéal pour la libération sensible du Dagara peureux ?

43 C.E.C. n°227

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TROISIEME CHAPITRE LA CRAINTE DE DIEU, VOIE DE LIBERATION DU DAGARA PEUREUX

La meilleure manière de supprimer une réalité c’est de réussir à la substituer par une

autre. C’est suivant cette ligne directrice que nous irons dans ce chapitre à la quête de

solutions en vue d’une libération des chrétiens dagara vis à vis du phénomène de la peur.

Notre tâche sera moins de faire des propositions originales capables de supprimer ce mal que

d’aider ces chrétiens à passer de l’état de la peur à la Crainte de Dieu. N’est-ce pas dans cette

"transfiguration" de la peur que se trouve sa meilleure guérison ?

Nous partirons de la culture dagara où l’Evangile doit s’enraciner davantage (I) pour

découvrir les dépassements nécessaires que le chrétien dagara devra faire afin d’accéder à des

attitudes spirituelles constitutives de la "sainte" Crainte (II). Ce n’est qu’après cette étape que

la vie sacramentelle et les prières pourront trouver leur efficacité (III), si elles sont soutenues

par une pastorale de la promotion humaine (IV).

I. L’ENRACINEMENT DE L’EVANGILE DANS LA CULTURE DAGARA

Pour une libération efficace des peureux, le retour à la source est indispensable car, on

trouve la réponse là où une question se pose et dans les termes où elle se pose. Nous nous

arrêterons dans cette partie sur l’accueil du peureux, la prise en compte des thèmes culturels

dans l’annonce de l’Evangile et la formation continue des fidèles.

1) L’accueil du peureux Devant la peur, le danger est grand, sur la base de la foi au Christ ou du rationalisme, de

renvoyer au royaume de l’obscurantisme ou dans les dossiers de la superstition les récits ou

faits souvent relatés. Les bienfaits d’une telle attitude sont d’une rareté extrême. L’essentiel

pour nous n’est pas de croire ou non aux motifs de peur, mais d’aider les peureux à sortir

d’une situation de fait. Partageant les croyances de sa société, le Dagara peureux ressent

moralement et physiquement les souffrances qu’il relate. A cela, s’ajoutent les situations para-

normales devant lesquelles la raison reconnaît ses limites, faisant place à d’autres sources

d’explications. Nous situant même dans la foi chrétienne, nous notons le rôle de la perversité

dans le monde et l’action destructrice des forces du mal.

L’accueil du peureux se révèle la meilleure démarche en vue d’une libération. « Il s’agit

d’adhérer à la souffrance de la personne en acceptant la validité du langage qu’elle

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emploie »44. Ne pas nier avec naïveté les faits et prendre au sérieux l’incroyable est souvent

un exercice qui donne le vertige. Mais les conséquences néfastes de la peur ne doit laisser

personne indifférent : syncrétisme, inimitié, marginalisation et accentuation de la pauvreté

sont autant de signes visibles de la souffrance humaine. Cet accueil qui met le peureux en

confiance avec celui à qui il se confie et avec lui-même, est un chemin incontournable pour

une guérison. Dans la confiance, le peureux se dispose à écouter, comprendre et accepter

l’Evangile : la victoire du Christ sur les puissances visibles et invisibles, notre libération dans

la Passion-Mort-Résurrection de Jésus-Christ, etc.

C’est un avantage pour le peuple dagara d’avoir en général des pasteurs autochtones

capables de comprendre les phénomènes socioculturels en question. Mais le versant contraire

qui n’est pas meilleur, est la prise pour vrai de tout ce qui est raconté à l’occasion, au risque

de trembler avec le peureux. Trop argumenter en faveur de la peur et non compatir à la

situation du peureux, ne fera qu’empirer sa situation. Pendant longtemps, entre le XIIIème et le

XVIIIème siècle, l’Eglise a prôné une pastorale de la peur45. Les thèmes phares de l’époque

étaient l’Enfer, la Mort, le Péché, le Purgatoire, la vengeance divine... Une culpabilité

excessive s’était développée à travers sermons et cantiques, conduisant au dolorisme et au

mépris du corps (lamentations, flagellations, danses macabres, disciplines diverses... ). Sans

oublier la nécessité des exhortations en vue de la conversion des fidèles, les pasteurs éviteront

de tomber dans cette pastorale de la peur, en manifestant à qui est en proie aux chaînes de la

peur l’amour du Christ, Bon Pasteur.

Le juste milieu à rechercher dans l’attitude devant le peureux est une exigence de la

charité pastorale, car comme nous l’enseigne le Pape Jean-Paul II : « La charité pastorale est

la vertu par laquelle nous imitons le Christ dans son don de soi et dans son service. »46

2) Une re-évangélisation à base de thèmes culturels « Chaque culture est un horizon légitime d’expansion et de pénétration pour le

message »47. La peur des Dagara, située dans un contexte donné, exige pour sa guérison, une

prise en compte des autres aspects culturels dans l’Evangélisation. Bien souvent

l’enseignement de l’Eglise, tout comme le savoir à l’école, ressemble fort à une réponse

qu’aucune question n’aurait précédée. Une re-évangélisation à la base est une nécessité pour

44 R. LUNEAU op. cit. p. 172 45 cf. J. DELUMEAU, Le péché et la peur. La culpabilité en Occident (XIIIe-XVIIIe siècles), éd. Fayard, Paris, 1983, p. 10 46 JEAN-PAUL II, Exhortation pastorale, Pastores dabo vobis, Libreria Editrice Vaticana, 1992, n°23 47 J. DUPUIS, op. cit., p. 124

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mieux inculturer le salut du Christ libérateur. N’est-ce pas le rôle de l’Eglise en ce monde ?

« Elle veut purifier la culture et en faire le corps lumineux de son existence incarnée. Elle veut

faire de toute l’humanité culturelle un temple sanctifié par la présence du salut divin »48.

Sans ignorer les grands efforts qui se font déjà sur le terrain pastoral, nous revenons ici

sur quelques points. C’est en abordant par exemple les thèmes des funérailles, des cérémonies

mortuaires en vue d’un bon voyage de l’esprit dans le monde des ancêtres que l’on pourra

mieux parler du salut en Jésus Christ. La foi au féticheur et au guérisseur est à saisir pour

l’annonce du pouvoir salvifique et de guérison du Christ. C’est en partant du port des gris-gris

et des amulettes que l’on peut faire passer le message de la protection divine. Le message sur

l’unique médiation du Christ a pour terrain d’accueil la foi aux ancêtres, aux génies, aux

esprits tutélaires de la nature...

En outre, « l’Afrique est en train de perdre graduellement mais sûrement son identité

culturelle »49. L’exploitation des thèmes culturels dans l’annonce de l’Evangile peut être une

manière de récupérer la culture dagara afin de parer à la perte d’identité qui menace ledit

peuple. L’intégration des laïcs dans les choix des thèmes d’orientations pastorales peut être

d’un grand secours. Sans cette re-évangélisation à la base, des réalités obscures continueront

d’avoir un impact lourd sur la vie de foi des Dagara. Elle ouvrira davantage les yeux des

pasteurs sur ces réalités et contribuera à renforcer la foi des fidèles. Mgr ILUNGA soutient en

ces termes : « Le premier moyen d’éviter que certains quittent l’Eglise... ne peut être qu’une

évangélisation en profondeur, qui enracine solidement les chrétiens dans la foi et empêche

qu’ils se laissent emporter à tout vent »50.

En clair, il s’agit de confronter le message évangélique et la foi culturelle, non pour les

opposer, mais pour éclairer le second par le premier. Dans la culture, résident d’énormes valeurs

à quoi les fidèles sont attachées et qu’il faut dégager : apporter la lumière du Christ en tenant

compte de ce qu’il y a déjà dans la culture est un grand pas en avant.

3) La nécessité d’une formation continue Nombreux sont les chrétiens qui se contentent de la catéchèse d’enfance comme bagage

de leur éducation chrétienne. Cette formation embryonnaire ne saurait à elle seule parer aux

problèmes auxquels les fidèles sont confrontés au fur et à mesure qu’ils grandissent. Nous

reconnaissons la nécessité d’une formation des fidèles sur la doctrine chrétienne en rapport

48 J. H. WALGRAVE, Un salut aux dimensions du monde, coll. "Cogitatio fidei", éd. Cerf, Paris, 1970, p. 13 49 R. LUNEAU, op. cit., p. 170 50 B. W. ILUNGA, op. cit., p. 278

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avec leur préoccupation de l’heure. Les thèmes culturels abordés plus haut peuvent constituer

la toile de fond de l’initiation doctrinale des laïcs. On pourra exploiter les travaux de mémoire

ou de thèse qui ont habituellement trait à ces thèmes.

Les cadres de ces formations sont à créer ou à exploiter quand ils sont déjà là. C’est le

cas des prédications pascales, des conférences-débats, des sessions et retraites, de

l’accompagnement des Mouvements d’Action Catholique et Associations Spirituelles

(Renouveau Charismatique, Scout, Légion de Marie, CVAV, Groupe Samuel, Sant’Egidio,

JEC...). Les moyens de communication tels la Radio et les bulletins diocésains peuvent aussi

être exploités dans le sens de la formation chrétienne des laïcs (cf. Can 822).

Dans une pastorale basée sur l’amour et non sur la crainte, le message évangélique

pourra, à travers une formation doctrinale continue des laïcs, mieux s’enraciner dans la culture

dagara si l’on exploite davantage les thèmes culturels. Ce sera le lieu de purifier la culture de

ses aspects pernicieux et de pousser les chrétiens à certains dépassements.

II. EN VUE D’UNE CRAINTE DE DIEU LIBERATRICE DES DAGARA

« Le Christ est la lumière des peuples »51. Le chrétien Dagara de part son baptême

bénéficie de cette lumière. Dans cette partie, nous verrons les dépassements qu’il devra faire

sous l’éclairage du Christ, puis les attitudes spirituelles vers lesquelles il doit tendre pour sa

libération de la peur dans la Crainte de Dieu.

A) Des dépassements nécessaires La vision du salut, le problème du mal et l’image de l’Eglise-Famille sont souvent

faussés par la conception traditionnelle du Dagara. Ces trois thèmes qui seront le contenu de

cette partie, attendent du chrétien le saut de la foi s’il veut bien se libérer de la peur.

1) La nouvelle vision du salut en Jésus Christ L’Eglise proclame que « le Rédempteur de l’homme, Jésus Christ, est le centre du

cosmos et de l’histoire »52. Tout se joue en fonction du Christ : dans son Incarnation-

Rédemptrice toute l’humanité est déjà sauvée. Encore liée à la mentalité traditionnelle, la

conception dagara du bonheur, présente quelques limites. Pour parler du salut en Jésus-Christ,

le Dagara se sert des termes faafù (libération), $â[aarù (paix, absence de souffrance) ou piënù

51 PAUL VI, op. cit., L.G. n°1 52 JEAN-PAUL II, Lettre encyclique, Redemptores Hominis, n° 1, p. 11

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(repos). Il voit avant tout le bien-être moral et physique : la bonne procréation, la réussite

économique, la santé solide, l’absence d’épreuve dans la famille (décès); en somme, une

symbiose avec les divinités garantes de ses secteurs d’activités. Et partant, beaucoup attendent

du Christ des signes visibles "comme dans le passé"(cf. récits bibliques) : les miracles, la

solution concrète et immédiate au problème.

Pour mieux cerner le salut en Christ, nous partons de cette vérité : « Tous les biens

d’ici-bas, passés, présents ou futurs, réels ou imaginaires sont finis et limités, radicalement

incapables de satisfaire le désir d’un bien infini et parfait qui brûle perpétuellement en

nous »53. Le salut en Christ ne saurait se limiter à l’aspect concret, car « l’essentiel est

invisible pour les yeux, on ne le voit bien qu’avec le cœur »54. Le Dagara se doit de corriger

sa conception traditionnelle du salut en tenant compte de l’aspect spirituel et eschatologique

de notre Rédemption en Christ. C’est à la suite d’une profonde expérience que St Augustin a

pu affirmer : « Vous nous avez créés pour vous et notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il

repose en vous »55. Les miracles de Jésus étaient avant tout des signes du Royaume parmi

nous. Lui-même, s’adressant à son disciple Thomas, affirmera : « heureux ceux qui n’ont pas

vu et qui croient » (Jn 20,29).

La question soulevée par la conception du salut, nous conduira à l’analyse du problème

du mal. C’est une autre pierre d’achoppement entre la foi chrétienne et la culture dagara :

Pourquoi malgré le Salut, il y a encore le mal, la peur dans nos vies ?

2) Le problème du mal à la lumière de Jésus Christ Le mystère pascal est la lumière que l’humanité n’ait jamais connue vis à vis du

problème du mal dans le monde. Avec Jésus, la mort n’est plus la blessure la plus douloureuse

que la nature ait infligée à l’homme. Dans sa Mort-Résurrection, il a détruit la mort en la

rendant chemin d’accès à la Vie. La Croix comme chemin de notre rédemption interpelle

toujours par rapport au sens de la souffrance. Le Christ a lui-même ressenti effroi et angoisse

devant la souffrance et la mort imminente (cf. Mc 14,33), mais, il les accepte comme

couronnement de sa mission : « Ce sont nos souffrances qu’il portait et nos douleurs dont il

était chargé... dans ses blessures nous trouvons la guérison » (Is 53,4-5). Toute proportion

gardée, l’accueil de l’épreuve dans la foi, non comme punition divine, est source de libération.

L’expérience de beaucoup de saints nous révèle que la souffrance morale ou physique peut

53 J. H. WALGRAVE, op. cit., p. 81 54 St. Exupéry cité par D. FOUCHER op. cit. p. 11 55 St AUGUSTIN, Confessions, I, 1, éd. Garnier Flammarion, Paris, 1964, p. 15

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être une prière agréable à Dieu, quand on l’assume dans la foi. Le grand danger à éviter est

l’exaltation excessive de la souffrance ou de la douleur, au point de les rechercher.

Pour le chrétien dagara, le problème du mal réside plus dans les causes recherchées que

dans le mal lui-même. Selon la mentalité traditionnelle, « puisque le mal existe, il faut bien

qu’il vienne de quelque part »56. Se défaire d’une telle conviction est un remède sûr contre la

peur. Mais un tel pari est loin d’être gagné pour le Dagara car, même ses techniques et ses

idées changent plus rapidement que ses croyances. L’affirmation de base est que Dieu, dans

son amour éternel, n’a jamais créé ni voulu le mal. Etre créé, l’homme en tant que tel ne jouit

pas de la félicité divine vers laquelle il est appelé. Il est de ce fait marqué du mal physique :

fatigue, accident, maladie, mort... Il est aussi ouvert au mal moral : en l’homme réside la

possibilité de pécher, le fait de ne pas faire la volonté de Dieu. A ce niveau, il faut reconnaître

la responsabilité de l’homme.

L’acceptation des faiblesses et des limites a aussi son importance, pourvu qu’elle ne

nous conduise pas au découragement. Dieu a pris acte de la contingence de la nature

humaine ; le salut en Jésus Christ consistera entre autre, au relèvement de cette nature finie et

non seulement déchue. L’essentiel devant le problème du mal n’est pas tant la recherche des

causes (sorciers, ennemis, colère des ancêtres), mais la résolution du mal dans l’effort de

construction d’un monde plus juste, plus fraternel. L’Eglise-Famille n’est-elle pas une image

appropriée pour une libération du Dagara peureux ?

3) L’Eglise-Famille, refuge du peureux « L’Afrique affirme que la finalité de l’évangélisation est d’édifier l’Eglise-Famille de

Dieu, anticipation, bien qu’imparfaite du Royaume sur la terre »57. Une réalité rassurante de

l’Eglise-Famille est la Communion des Saints. L’Eglise en ses trois niveaux (Terre,

Purgatoire, Ciel), est unie par « un constant lien d’amour et un abondant échange de tous

biens »58. Etroitement lié à ses frères ensevelis, le chrétien, grâce à l’intercession des saints, se

sanctifie progressivement. Il assiste de ses prières ceux qui attendent la libération divine après

leur séjour terrestre. Cette vision positive des frères défunts doit corriger celle à l’endroit des

ancêtres dont les chrétiens dagara redoutent encore aujourd’hui le courroux.

L’Eglise visible doit être un signe de communion en son sein : en Jésus Christ le

semblable n’est plus à voir comme un ennemi ni un danger potentiel. Il est un prochain, un

56 R. LUNEAU, op. cit. p. 21 57 JEAN-PAUL II, Exhortation Apostolique post-synodale, Ecclesia in Africa,éd. Libreria Editrice Vaticana, Vatican, 1995, n°85, p. 95 58 C.E.C. n°1475

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frère appelé à la même vocation d’enfant de Dieu. « L’un des devoirs primordiaux, c’est de

fonder les relations des hommes et des peuples sur l’amour et non sur la crainte (peur) »59.

Une vraie vie chrétienne doit reposer sur trois lois de la Charité suivant l’enseignement du

Christ : Ne pas faire à autrui ce que l’on ne voudrait pas que les autres nous fassent, ensuite

aimer son prochain comme soi-même, enfin pardonner et aimer ses ennemis.

L’Eglise est une famille où le peureux doit se sentir entourés de frères et sœurs qui le

soutiennent dans ses angoisses. « Parce que, aujourd’hui, l’image de la famille chrétienne est

en danger, il faut donner une grande importance à la pastorale familiale »60. La vie de prière et

de partage en famille, en groupements spirituels, en Communauté Chrétienne de Base (CCB),

sont autant d’occasions de solidarité réelle des fidèles face à ce "fléau". Ce sont des cadres

d’échange et de gestion chrétienne de la peur. Les agents pastoraux y seront attendus comme

les guides éclairés. Par les tournées pastorales et les visites dans les familles, ils aideront les

fidèles à combattre la peur.

B) Des attitudes spirituelles recommandables Dans la foi au Christ, des attitudes spirituelles sont à rechercher comme conditions

d’une meilleure guérison des peurs. Ce sont principalement l’humilité, la constance

chrétienne et le risque.

1) L’humilité, la force du peureux L’humilité se révèle comme une attitude spirituelle avantageuse entrant dans la guérison

des peurs car « le Seigneur élève les humbles » (Lc 1,52). Dans l’acte de foi, il s’agit

d’accepter sa finitude mais sans la dévaloriser pour autant. « Le croyant est loin de tout savoir

et de tout comprendre »61 ; l’homme n’est ni omniscient ni omnipotent. Ce n’est donc pas de

la résignation que de s’avouer limité et de s’en remettre à Dieu devant certains phénomènes

inexpliqués et même inexplicables. L’humilité chrétienne à l’exemple de Marie (cf. Lc

1,46ss), est avant tout confiance et prise de conscience d’une assistance divine : « Ce n’est pas

vous qui parlerez, mais c’est l’Esprit » (Mc 13,11).

Contre la peur ressentie, des fidèles ont souvent eu recours à Dieu et n’ont pas eu gain

de cause selon eux, puisque visiblement leur situation, loin de s’améliorer s’empire parfois.

59 JEAN XXIII, Lettre encyclique, Pacem in terris, éd. Centurion, Paris, 1963, n°129, p. 88 60 JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique post-synodale, Pastores dabo vobis, éd. Libreria Editrice Vaticana, Vatican, 1992, n°41, p. 88 61 Ph. FERLAY, op. cit., p. 25

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Nous notons trois éléments majeurs comme toile de fond de la prière chrétienne62. D’abord, le

Christ nous garantit que le Père céleste écoute et exauce toutes nos prières : « Demandez et

vous recevrez, cherchez et vous trouverez... » (Mt 7,7ss). Ensuite, Dieu donne toujours ce qui

est bon à qui lui adresse la prière. Ainsi se définit le nerf de la guerre : Dieu connaît mieux

que nous ce qui est bon pour nous ; les grâces accordées peuvent donc ne pas correspondre à

nos requêtes. Par conséquent, et c’est le troisième élément, la meilleure prière est : « Que ta

volonté soit faite !» (Mt 6,10). Il s’agit de tout remettre entre les mains de Dieu à l’exemple de

son Fils Jésus à Gethsémani ( cf. Mt 26,42).

Aux motivations et aux requêtes humaines, Dieu semble opposer un silence. Mais un

discernement dans la foi permet de découvrir que ce silence n’est jamais vide puisque Dieu, le

Prototype de la paternité, écoute, exauce et donne toujours de bonnes choses à ses enfants.

2) La constance chrétienne Baptisé, le chrétien bénéficie de la lumière du Christ et doit du même coup abandonner

les autres voies de recherche de Dieu. Par le processus d’une conversion intérieure et

extérieure constante, le fidèle dagara peut se libérer de ses peurs.

Il n’est pas rare en milieu dagara, de rencontrer des païens convertis. Certains d’entre

eux se sont fait baptiser après une amère expérience de leurs idoles : torture ou poursuite par

un fétiche ou un mauvais génie (kötömè nâ pçb !). L’expérience a montré que pour ceux-là

qui ont trouvé refuge dans l’Eglise, lorsqu’ils continuent de participer aux pratiques occultes,

le problème finit par ressurgir et de façon plus dramatique. La conversion intérieure et la

rupture franche avec les dieux sont donc libératrices de la peur. Par le fait même de redouter

les forces occultes, l’esprit s’affaiblit et est déjà prédisposé à un envoûtement, aux sorciers ou

aux divinités...

Quand la confiance en Dieu atteint un niveau assez élevé, l’esprit humain se fortifie

davantage, la conscience devient moins soumise aux tourments qu’avant. Un tel fidèle se

révèle souvent insensible aux attaques vraies ou fausses des puissances occultes et apparaît

aux yeux des autres comme possédant des talismans invincibles. C’est la libération de la peur

dans la communion avec le Seigneur, dans la Crainte de Dieu. Nombreux sont les baptisés qui

cohabitent avec les adeptes de la religion traditionnelle et ne sont plus inquiétés par les

phénomènes qui jadis causaient leur tourment. Il s’agit, dans le respect de la croyance

62 cf. Ab. J. M. SAWADOGO, homélie du 17/02/2005 sur Mt 7,7-12

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d’autrui, de s’attacher franchement au Christ pour qui le chrétien a opté par le Baptême et

d’éviter de se mêler des pratiques occultes.

Une distance envers l’occultisme, est la condition sine qua non pour la guérison des

peurs en milieu dagara. Le premier pas vers la libération est d’arrêter de s’engager auprès des

fétiches, de ne plus rechercher la sécurité dans les pratiques ancestrales mais reconnaître dans

l’Eglise le moyen de salut. L’un des grands problèmes en milieu dagara est que les tradi-

praticiens, qui sont souvent les maîtres des pratiques occultes, traitent généralement leur

patient sans distinction de religion. Nul n’ignore les potentialités de la médecine traditionnelle

et, pour diverses raisons, beaucoup de fidèles y ont recours. Mais la meilleure manière

d’éviter la tentation de l’occultisme est de ne pas se faire soigner par les guérisseurs païens.

Dans le cas échéant, il faut avoir le courage de solliciter un traitement qui n’offense pas la foi

chrétienne quand, en toute conscience, on sent la présence du contraire. Des chrétiens se sont

ainsi tirés d’affaire63; la précision de la religion pourrait aider le guérisseur à tenir compte des

exigences de la foi chrétienne.

3) Le risque, chemin d’un témoignage chrétien Parmi les attitudes spirituelles recommandables, le risque est aussi libérateur des peurs.

Nous visons principalement la vertu de courage ou de force grâce à laquelle le chrétien doit

s’engager dans le combat de la foi. La foi est une certitude sans garantie et on a coutume de

dire qu’elle est un saut dans le vide. Déjà à ce niveau le chrétien apparaît comme celui qui a

osé. Pis encore, au milieu des multiples pièges des ennemis surnaturels ou humains, celui-ci

opte de vivre sans talismans. La vie des chrétiens semble insensée aux yeux du monde (cf.

1Co 4,9-13). Le Dagara qui a, dans sa religion traditionnelle une kyrielle d’aides, peut

ressentir amèrement ce vide.

Mettre sa foi en Jésus Christ semble un grand risque. Le courage est donc nécessaire

pour témoigner de sa foi et surtout pour se maintenir chrétien en cas de péril telle la peur. Il

faut oser espérer contre toute espérance. C’est dans le détachement du monde, la perception

de la supériorité des biens spirituels, la préférence de Dieu, la confiance en sa providence et

l’espérance d’une vie d’enfant de Dieu, que le Dagara pourra vaincre ses peurs. Nous le

63 « ...Quand il a commencé à citer le nom de ceux qui s’en prenaient à ma femme, après avoir jeté ses cauris à terre, je lui ai clairement dit : ‘‘Je vous remercie monsieur, mais je ne suis pas venu pour cela. Je veux simplement savoir si vous aviez du médicament pour soigner le mal que je viens de décrire ?’’. A cette intervention, il a arrêté ses inventions et est allé fouiller dans ses sacs pour me sortir des racines. Et c’est ainsi qu’on a pu la soigner.... » Propos recueillis auprès de Michel PODA (59 ans) après une grave maladie de sa femme soignée par un tradi-praticien.

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savons bien, aucune attitude humaine ne peut se structurer sans référence à des modèles :

notre modèle est le Christ lui-même.

Il s’agit maintenant pour chaque Dagara de prendre sa croix et de suivre le Christ,

chemin à l’issue bien connue : la pleine libération, la vision béatifique de Dieu. Au fond, le

vide dans la religion chrétienne n’est qu’apparent. Car on s’y perd pour tout gagner : il n’y a

pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que Dieu nous

révèlera au temps fixé (cf. Rm 8,18). « Celui qui aura tenu jusqu’au bout celui-là sera

sauvé »(Mt 24,13). Pour vaincre sa peur, le Dagara devra faire de la situation de peur un

moyen d’attachement au Christ, non par crainte mais par respect et amour pour Dieu. Ainsi la

Crainte de Dieu s’actualisera comme antidote de la peur.

Pour lutter contre la peur, le chrétien dagara doit se faire des convictions : Il est

réellement libéré en Jésus Christ, malgré la présence du mal, la tentation de la peur.

L’essentiel n’est pas de goûter sensiblement cette Rédemption, mais de l’accueillir dans la foi.

Pour se libérer de la peur, l’attachement confiante en Dieu dans l’humilité, la distance par

rapport aux idoles et le courage dans le combat de la foi sont les moyens. En plus des remèdes

spirituels, l’Eglise n’a-t-elle pas d’autres moyens contre la peur ?

III. DES AXES CENTRAUX D’UNE PASTORALE LIBERATRICE

L’Eglise qui est dans le monde et pour le monde a pour mission d’actualiser le salut du

Christ ; elle vient ainsi au secours de l’homme avec des moyens concrets. En vue d’une

libration du dagara peureux, une pastorale sacramentaire, d’exorcisme et de prière de guérison

sera d’un grand secours. 1) La vie sacramentaire pour une libération de la peur

Le Christ a voulu de l’Eglise un signe de salut des hommes, c’est dans cette logique

qu’il faut considérer les sacrements qu’il a institués. L’esprit chrétien dans l’approche des

sacrements et des sacramentaux est une exigence fondamentale.

a) Les sacrements comme moyens de libération

Au milieu de ses peurs le Dagara trouvera dans les sacrements des forces nouvelles pour

résister dans son combat spirituel contre les puissances occultes. Tous les sept sacrements, de

par l’Esprit Saint qu’ils procurent, sont efficaces dans la guérison des peurs. Mais nous nous

arrêterons sur les grâces particulières de l’Eucharistie, de la Pénitence et de l’Onction des

malades dans la cure de la peur.

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- « L’Eucharistie est le centre et le sommet de toute vie sacramentelle par laquelle le

Chrétien reçoit la force salvifique de la Rédemption »64. Par ce sacrement, nous célébrons de

façon particulière le mémorial du mystère pascal, actualisant ainsi le salut en Jésus Christ. Le

peureux retrouvera à la Table sacrée, la coupe de délivrance, s’il y communie avec foi, car

« le sacrement donne la grâce à ceux qui n’y mettent pas d’obstacle »65. Toutefois, il ne devra

pas attendre de l’Eucharistie une réaction magique ; il y va du mystère de Dieu de dispenser

les grâces nécessaires à qui s’en approche. Dans la communion au Corps et au Sang sacrés,

avant-goût du Banquet céleste, l’âme est nourrie et fortifiée dans la lutte contre les entraves

des ennemis.

- Quant au sacrement de la Réconciliation, nous reconnaissons avec Mgr ILUNGA, que

« le premier pas vers la libération est l’aveu de ses propres fautes »66. Au vu des multiples

égarements dus à la peur, l’un des moyens de guérison est la réconciliation avec Dieu et avec

le frère en Christ. L’Eglise met à la disposition de ses fils ce sacrement, qui est souvent

négligé ou même fui. Pourtant, il remplit une fonction de libération et de réintégration morale

des sujets. Une pastorale de redynamisation de ce sacrement veillera à le présenter avant tout

comme la célébration de la Miséricorde divine, du Pardon et de la Réconciliation plutôt

qu’une Confession, qu’une Pénitence...

- L’Onction des Malades est à revaloriser aussi. La majorité des chrétiens dagara ne voit

en elle que le viatique ou l’extrême onction, d’où la peur manifestée à propos. Or le but de ce

sacrement est à même de calmer les consciences : il fortifie le malade dans la souffrance en

l’unissant à la passion du Christ, il est aussi une prière adressée au Seigneur pour que le

malade recouvre la santé. Il n’en demeure pas moins une préparation au dernier passage et

doit être perçu comme une grâce : l’entrée dans la maison du Père (cf. Jn 13,1).

b) L’apport des sacramentaux dans la libération des peureux

Les sacramentaux, signes sensibles exprimant la présence de Dieu, requièrent du sujet

des dispositions conformes. Ces gestes engagent la foi et se vivent dans la prière et la

confiance au Seigneur. Bons en soi, ils procurent des effets surtout spirituels67. Les

sacramentaux pouvant entrer dans la libération de la peur sont nombreux : la célébration des

funérailles, les bénédictions des objets de piété, des personnes et des biens (maisons, engins,

attelage...). Les actes pieux tels la récitation du chapelet, les neuvaines de prière, le chemin de

64 Jean-Paul II, Redemptores Hominis, n°20 65 G. DUMEIGE, La Foi Catholique, éd. De l’Orante, Paris, 1975, n°668, p. 337 66 B. W. ILUNGA, Chemins de Libération, éd. Archidiocèse, Kananga, 1978, p.94 67 cf. Ab. A. TIENDREBEOGO, Cours des sacrements (SICO), St Jean, 2004-2005, p.80

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croix ont aussi leur apport positif. Tout cela nécessite une catéchèse afin d’initier les fidèles

aux sens véritables des signes célébrés.

2) L’exorcisme et la prière de guérison La prière en tant que telle est un moyen de libération de la peur. Mais l’Eglise reconnaît

des formes de prières pouvant aider de façon particulière les peureux : la prière de guérison et

l’exorcisme. Grâce à des dispositions disciplinaires, une pastorale structurée visant la

modération et la sensibilisation sera la bienvenue pour aider les Dagara à profiter de

l’exorcisme et des prières de guérison dans la libération de la peur.

a) Des dispositions disciplinaires

La Congrégation Pour la Doctrine de la Foi (C.P.D.F.) est très claire là-dessus : Il faut

des instructions pour aider les pasteurs « à mieux guider les fidèles dans ce domaine en

encourageant ce qu’il y a de bon et en corrigeant ce qui serait à éviter »68

L’exorcisme et les prières de guérison sont des domaines où l’hystérie, l’artificialité, la

théâtralité et le sensationnel sont monnaie courante. Nombreux sont les fidèles qui accourent

dans les groupes de prières, juste pour le fascinant qui y est relaté. La soif des signes, très

accentuée dans la foi populaire, semble y être étanchée. Malheureusement, nombreux sont

aussi les égarements constatés ça et là.

Des dispositions pastorales visant à créer une atmosphère de dévotion réelle sont

nécessaires. La prudence dans la gestion des témoignages recueillis (guérison, messages

divins reçus...) est capitale. Ces prières, il est clair, doivent garder leur seconde place devant

les célébrations de la Sainte Messe, des sacrements et de la Liturgie des Heures69. Elles ne

doivent pas les remplacer ni porter atteintes aux normes liturgiques et disciplinaires. Elles

doivent se dérouler sous l’accord et la vigilance de l’Evêque (cf. can. 823 et 839 §2).

b) L’exorcisme, un moyen de libération

Dans le combat contre les puissances du mal, l’Eglise vient en aide à ses fils possédés

avec le moyen d’exorcisme. Reconnu comme un ministère, l’exorcisme doit être exercé en

dépendance stricte de l’évêque diocésain (cf. Can 1172). Pour le Dagara qui aurait des liens

particuliers avec le diable ou les fétiches ancestraux, l’exorcisme lui sera d’un grand secours.

68 C.P.D.F., Instruction sur les prières pour obtenir de Dieu la guérison, éd. Libreria Editrice Vaticana, Rome, 2000, p. 3-4 69 cf. idem, art.7, p. 16

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On raconte que ceux que le Jina-jugu70 possédait étaient capables de faire des centaines de

kilomètres à pied à la poursuite d’un sorcier. Ils pouvaient marcher dans du feu sans se brûler,

grimper dans des arbres ou entrer et ressortir d’un puits à reculons. Autant d’exploits

surhumains accomplis en un tour de main. Le témoignage des assistants à des séances

d’exorcisme atteste que « ceux qui ont le diable en eux bénéficient d’étranges pouvoirs »71.

Dans la société dagara, il est conseillé de ne pas provoquer inconsidérablement les

pouvoirs mystiques que l’on ne connaisse ni ne domine. Cette sagesse est à christianiser ici :

vu la rudesse du combat qui se mène pendant l’exorcisme, une éducation de la foi et une

préparation spirituelle sont indispensables.

c) La prière de guérison

La maladie et la mort sont des réalités qui apeurent et affligent les fidèles. La prière de

guérison, loin de remplacer l’onction des malades, peut contribuer à la libération des

chrétiens. C’est l’occasion pour les fidèles, au cours des réunions de prière, d’exercer la

charité envers le malade, en l’aidant à s’unir davantage à Dieu et à se purifier spirituellement

dans sa maladie. Cela se fera dans une entière disposition à la volonté de Dieu : autrement dit,

le décès du malade après une telle prière ne doit en aucun cas être considéré comme un échec.

« Evidemment le recours à la prière n’exclut pas mais encourage à faire usage des moyens

naturels utiles pour conserver et recouvrer la santé »72

Il est important de revenir avec insistance sur la catéchèse qui doit accompagner la mise

en oeuvre des moyens de libération sus-cités. En effet, « le danger est grand de multiplier les

bénédictions et les exorcismes qui ne font que conforter les peuples dans ses peurs

ancestrales »73. Cela est dû au fait que de nombreux chrétiens dagara, affectés par la mentalité

animiste, ne réussissent pas toujours à faire la part des choses entre ces célébrations et les rites

occultes de la culture. On évitera ainsi les excès et les mauvaises interprétations au grand

bénéfice des fidèles et des pasteurs.

70 Le fétiche détecteur des sorciers (cf. le présent document, p. 10) 71 R. ARNANT, L’Afrique du jour et de la Nuit, éd. Presses de la Cité, Paris, 1976, p. 18 72 C.P.D.F. op. cit.,p. 9 73 R. LUNEAU, op. cit., p. 77

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IV. LA PROMOTION HUMAINE, CONDITION D’UNE GUERISON DE LA PEUR « Le processus de libération consiste en un ensemble d’interventions efficaces dans la

vie d’un individu et dans les structures et la marche de la société »74. Tant que les chrétiens

dagara manqueront du nécessaire, l’Evangile aura de la peine à les sortir de la peur,

expression de leurs besoins vitaux. Il est donc nécessaire et urgent de former et d’organiser les

fidèles pour des actions concrètes de développement.

1) Nécessité de formations et d’informations Le système de développement passe actuellement par les institutions financières et

bancaires. Le but global de la formation des chrétiens sera donc une initiation aux éléments de

base de l’économie du marché du monde contemporain : aider les chrétiens dagara à ne pas

être trop en marge du mouvement de mondialisation. Nous présenterons dans les lignes qui

suivent les principaux objectifs visés par la formation et les moyens pour les atteindre.

a) Les objectifs visés

- Viser le changement de mentalité. Nombreux sont encore les paysans qui doivent leur

vie quotidienne à des parents qui leur viennent régulièrement en aide. Beaucoup de fidèles

attendent toujours de l’Eglise locale, des secours "comme au temps des Pères Blancs". Tant

que la mentalité d’assisté ne sera pas effacée ou tout au moins affaiblie, les fidèles seront

toujours sous le joug de la pauvreté. La responsabilité des parents assistants est à souligner

aussi : il est plus économique et charitable d’aider un frère à se battre que de l’assister

indéfiniment. Pourvoir à ses propres besoins est une nécessité et une exigence de la charité

envers soi. Certaines mauvaises habitudes comme les feux de brousse, la divagation des

animaux, sont à proscrire. L’Exode rural est à signaler comme un handicap au progrès des

populations...

- Pousser à la prise de conscience de l’urgence d’une auto-prise en charge. Il s’agit

d’aider les fidèles à reconnaître leurs potentialités. Beaucoup d’entre eux prétextent le manque

de ressources pour un développement durable. Le Sud-Ouest pourtant contient des ressources

naturelles énormes : des pluviométries assez bonnes, des sols fertiles et des larges baffons

irrigables, des arbres fruitiers exploitables (manguiers, néré, karité). Une bonne exploitation

de ces potentialités peut profiter aux Dagara.

74 B. W. ILUNGA, op. cit., p. 208

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- Initier les paysans aux techniques de développement. Il s’agit de former les fidèles à

l’élaboration et à la mise en place de projets de développement. Faire entrer ces paysans dans

le réseau financier pour que leurs actions ne se limitent plus au système de production. Sans

cette formation, ils seront toujours sous le joug d’intermédiaires malhonnêtes entre les ONG

ou les partenaires étatiques et eux. Informés et formés, ces paysans pourront enfin bénéficier

pleinement du fruit de leur travail.

b) Les moyens

Les moyens entrant dans la sensibilisation et la formation des fidèles en vue du

développement sont nombreux. On pourra faire appel à des experts pour des conférences, des

ateliers ou sessions de formations. La Radio diocésaine (Unitas) a un grand rôle dans la

sensibilisation des populations. Elle a l’avantage d’utiliser souvent la langue accessible au

public-cible. L’alphabétisation est l’un des moyens pour ouvrir l’esprit des paysans à d’autres

réalités. Une revalorisation de ces moyens contribuera au progrès des fidèles. Il est heureux de

relever ici, des partenaires catholiques qui œuvrent pour la promotion humaine : l’OCADES

et la Fondation Jean-Paul II.

2) Des associations pour des actions communes « Légitime est le désir du nécessaire et le travail pour y parvenir est un devoir »75. Dans

l’esprit de l’Eglise-Famille, les chrétiens pourront s’associer pour des activités communes et

plus efficaces. La société dagara a déjà quelques balises culturelles. Nombreux sont les

proverbes dagara qui vont dans la droite ligne de l’adage populaire l’union fait la force : Nir

be-en bè daw bâ wçb è (une seule personne ne peut pas dépecer un éléphant) ou Nobir be-en

bè dâw wob zö è (un seul doigt ne peut pas ramasser de la farine). Suivant cette sagesse, les

paysans dans chaque village s’associent automatiquement par petits groupes pour venir au

bout des travaux champêtres.

C’est une opportunité à saisir pour la création des associations chrétiennes. Elles

peuvent prendre deux formes. La première est celle des Mouvements Spirituels. Ce sont des

groupes déjà constitués menant prioritairement des activités spirituelles et apostoliques

communes. Le danger ici est de négliger à la longue la visée spirituelle de ces groupes. Mais,

l’esprit chrétien doit être la lumière tant dans les activités spirituelles que celles économiques.

La seconde forme visera les couches sociales et les secteurs d’activités des chrétiens dans les

75 PAUL VI, Populorum Progressio, n°18, p. 30

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paroisses et les CCB. Les projets de tels groupes auront l’avantage de répondre mieux aux

besoins concrets des individus et des familles.

En général, l’effort d’auto-prise en charge des groupes déjà connus souffre d’une

routine lamentable : il se limite à des cotisations financières par membres ; la petite caisse

ainsi difficilement constituée est vite vidée après l’organisation de la première activité. En

ciblant ces groupes ou associations pour des formations sur les méthodes et les techniques de

développement, ils pourront mener des activités lucratives et mettre en oeuvre des projets

rentables. Ils pourront ainsi aboutir à une bonne autosuffisance matérielle et financière, chose

bénéfique pour les membres et pour toute l’Eglise locale. L’inconvénient dans la formation de

tout groupe est la menace de l’esprit sectaire : la tendance à privilégier les activités du groupe

par rapport à celles de toute la communauté, soutenue parfois par un esprit de rivalité entre

groupes constitués. Pour des activités coordonnées et charitables, un accompagnement

spirituel des groupes est une exigence.

« Le développement intégral se trouve au cœur de l’Evangélisation »76. Pour aider les

Dagara à se libérer de leur peur il est urgent de les aider sortir de leur pauvreté matérielle.

Ce troisième chapitre nous a montré que la guérison des peurs des Dagara, se trouve

dans un mouvement de conversion de la peur à la crainte de Dieu comme d’une maladie à la

santé. En partant de la culture Dagara, le message évangélique dans son enracinement pourra

l’éclairer et la purifier. Dépassant alors quelques attentes traditionnelles du salut, le Dagara

peut comprendre et mieux vivre sa libération en Jésus Christ. Les sacrements et les prières de

guérison lui viennent en aide dans son combat. Mais, l’effort d’auto-prise en charge

économique des fidèles demeure une condition pour mieux actualiser la libération en Christ.

Nous avons pu observer la part active de tous : pasteurs comme fidèles, victimes comme

accusés. La peur qui marque profondément les communautés chrétiennes dagara dans leur vie

socio-économique et religieuse ne saurait être uniquement une affaire des peureux.

76 JEAN-PAUL II, Ecclesia in Africa, op. cit, n°68

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CONCLUSION GENERALE

A la fin d’un tel parcours, force est de reconnaître notre petitesse devant le grand abîme

que constitue la peur. Même circonscrite dans la société dagara, elle s’est révélée complexe et

sa guérison bien latente. En fait, nous n’avons fait que lever une fois de plus un lièvre déjà

poursuivi par des devanciers. Kùö da-²en bè b$rè bèw è $ (c’est à force d’eau que l’on fini par

cuir le haricot). Loin d’avoir apporté des solutions magiques, nous avons exhibé le mal de la

peur et proposé une gestion positive.

La note particulière de notre travail a été l’approche de la Crainte de Dieu que nous

avons pu suggérer comme substitue à la peur, comme la "peur transfigurée". C’est dans le

retour aux sources, par le langage culturel, que l’Evangile peut transformer de l’intérieur les

Dagara. Le processus de guérison dans la Crainte de Dieu s’opérera à la manière silencieuse

du passage de maladie à la santé, quand la confiance en Dieu aura sa place primordiale en

face de la peur, quand le Dagara aura de quoi se nourrir, se vêtir.

De vrai, les mentalités ne changent pas aussi vite que le souhaiteraient ceux qui rêvent

d’un bond en avant. La peur des Dagara ne date pas d’aujourd’hui. Les croyances ancestrales

qu’elle véhicule renferment d’énormes valeurs humaines non encore examinées et à quoi ces

paysans sont attachés. Les balayer de revers de la main est à n’en pas douter une erreur lourde

de conséquences car elles constituent la pierre d’attente de l’Evangile. De ce fait, T$ kü tuö â

bèr è !77 (Nous ne pouvons pas les abandonner !), t$ na tùö â nâ l$èb$ ! (nous pouvons les

convertir !). Une pastorale africaine qui tient compte du "déjà-là" dans nos différentes cultures

reste encore à inventer. Fasse Dieu que l’effort conjugué des pasteurs, des fidèles et de toute

personne de bonne volonté puisse juguler la peur et d’autres maux du même genre qui minent

nos sociétés africaines !

77 C’est le titre du travail de l’Abbé Ferdinand sur les croyances ancestrales des Dagara, Koumi, 1997

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LES ANNEXES

ANNEXE I

La Carte du diocèse de Diébougou

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ANNEXE II

La vision ambivalente de l’univers selon le Dagara

clarté, lumière

(Appolon)

Compétence humaine,

responsabilité, courage

Zone du "moindrement étant" (me-on)

MONDE VISIBLE

MONDE INVISIBLE

Mystère, inconnu (Dionysos),

Incompétence humaine, peur, angoisse, fatalisme

Lieu de l’Etre authentique (ontos-on)

(forces, vie, intentions)

(Inspiré de C. G. DABIRE, Le visible et l’invisible, p.49 bis)

Brève explication du schéma :

Nota Bene : Les flèches indiquent le circuit vital de l’homme La naissance représente un premier passage : celui qui s’effectue du monde invisible au

monde visible sur la terre. Avant d’aborder l’îles des terriens, tout être humain connaît une existence prénatale au "pays des tout-petits" (B£-BGAM§-TÊG ou C§KU-TEG). C’est là que chacun choisit devant Dieu ses atouts humains (dons, talents, sexe, habilité, projets....). Entre 0 et 4 mois, c’est la période pendant laquelle l’enfant se décide à rester ou non sur terre. S’il meurt avant 4 mois (moment du rite de "consécration" au monde), le Dagara parlera d’un "retour". La vie humaine est une mise en exécution des projets déjà établis. La mort est le second passage : il s’effectue de la terre au royaume des ancêtres (Kp$mè-têg). C’est là aussi que résident Dieu et les esprits tutélaires du monde invisible (Saa-mwin) et visible (Têgan) et de leur frère Kötön (l’ancêtre des génies). On n’y parvient qu’après avoir traversé une zone de purification (cf. Annexe III, page suivante)

B£-BGAM§-TÊG (Lieu où résident les bébés avant la

naissance)

KP£M§-TÊG (Royaume des

ancêtres)

NAISSANCE MORT

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ANNEXE III

Le cycle vital selon le Dagara

Tem

ps

B£-BGAM§-TÊG

KP£M§-TÊG

DAZUGE-TÊG

70 ans

3-4 mois

(Inspiré C. G. DABIRE, Nisaal, l’homme comme relation, p. 297(bis)

Légende :

: Parcours du défunt : Le temps (âge) : L’espace (orienté d’Est en Ouest)

1= Naissance (dçwfù) 2= "Retour" (lèbrù): un bébé mort avant 3 à 4 mois retourne d’où il est venu. 3= Mort prématurée (pùö-kpi) : décès survenu entre le moment de la "consécration au monde"

et la vieillesse 4= Mort normale (Nâamw$n-kûu) Têgan-têg : face visible du monde, royaume de Têgan Têgan-têg : Le monde prénatal Dazuge-têg : Barrière de purification des défunts, lieu des fantômes et des revenants. Kp$mè-têg : Le séjour des morts et de Nâamwin

Espace (Est) 1 2 3 4 (Ouest)

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ANNEXE IV

Les Kötön-bili (petits des génies) dans la conception dagara

Le Dagara distingue bien Kötön, un être invisible, une puissance cosmique de son

prophète Kötön-bile, un être charnel disgracieux connaissant aussi tous les secrets de la

nature. Les Kötön-bili (singl : Kötön-bile) sont « des créatures corporelles en chair et en os à

taille naine mais à forme humaine, à la chevelure rousse et longue avec des pieds en l’envers

(les talons tournés vers l’avant). La verge des mâles est une pièce si longue et si lourde qu’ils

doivent la rabattre sur leurs épaules pour marcher et les femelles s’encombrent de seins de

plusieurs kilos démesurément volumineux retombant jusqu’aux genoux. Ces êtres

disgracieux, d’une intelligence et d’une habilité supérieure à celle de l’homme, fuient devant

ce dernier parce que complexé. Ils seraient les premiers occupants du pays dagara, mais se

seraient réfugiés dans les antres des collines et des forêts à l’approche de ces géants Dagara

armés d’arc et de gourdins ». Kötön-bile dans son rôle civilisateur de l’homme Dagara, parle

sous la dictée de ses ancêtres Kötömè invisibles…

(Extrait de B. J.M SOME, Session de formation, p.8)

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ANNEXE V En cas de maladie ou de tout autre motif de peur, les chrétiens dagara tapent à toutes les

portes dans l’espoir d’une libération. Nous proposons ici l’exemple d’un chauffeur de

taxi à Abidjan pour donner une idée sur les démarches thérapeutiques possibles

« Jean Komenan un chauffeur de taxi abidjanais (…) dans le quartier d’Abobo se sentait

mal : douleur au dos, migraines, amaigrissement. Un premier diagnostic avait été posé à

l’hôpital, mais, auparavant il avait déjà acheté des comprimés à des pharmaciens ambulants

qui quadrillent les rues de son quartier. Il avait pris aussi des médicaments traditionnels

qu’un parent lui avait recommandés. Il était allé voir une féticheuse qui lui avait révélé qu’un

parent de sa famille maternelle est en train de le "manger en sorcellerie" parce qu’il avait de

l’argent. Pour neutraliser la sorcellerie, la vieille femme lui avait demandé de sacrifier un coq

rouge et un mouton à pattes noires. Ne sentant aucun soulagement, il a acheté des

médicaments chinois sur les conseils d’un de ses collègues. Comme il souffrait toujours, un

de ses frères l’a amené chez un guérisseur. C’est finalement ce dernier qui l’a guéri en lui

administrant des potions à bases de plantes qui se sont révélées très efficaces. En signe de

reconnaissance, -en plus des 20.000 FCFA qu’a coûté le traitement- il lui a offert un grand

boubou brodé. La grande sœur de Komenan a-t-elle pris une part décisive dans la guérison de

son frère ? En tout cas elle lui avait remis dès les premiers symptômes une amulette

confectionnée tout particulièrement par le marabout qu’elle était allée consulter. »

(Extrait de C. Morand, "Devins, guérisseurs et contre-sorciers", in Jeune Afrique, n°1835 du

6-12 mars 1996, p.33)

N.B. Les mots en gras italique montrent les différentes étapes du parcours de ce patient.

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BIBLIOGRAPHIE

I. DICTIONNAIRES ET OUVRAGES GENERAUX

1) AAVV, Grand dictionnaire encyclopédique Larousse, t.8, éd. Larousse, Paris, 1985.

2) AAVV, La Bible de Jérusalem, éd. Cerf, Paris, 1995.

3) AAVV, La Concordance de la Traduction Œcuménique de la Bible, éd. Cerf, Paris, 1993.

4) AAVV, Vocabulaire de Théologie Biblique, éd. Cerf, Paris, 1999.

5) GEORGIN Ch., Dictionnaire grec-français, éd. Hâtier, Paris, 1961.

6) RAYMOND Ph., Dictionnaire d’hébreu et d’araméen biblique, éd. Cerf, Paris, 1991.

II. DOCUMENTS MAGISTERIELS ET PONTIFICAUX

1. AAVV, Catéchisme de l’Eglise Catholique, éd. Centurion/Cerf/Fleurus-Mame,

Librairie Editrice Vaticane, 1998, 844 pages.

2. CONGREGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Instruction sur les prières

pour obtenir de Dieu la guérison, éd. Libreria Editrice Vaticana, 2000, 18 pages.

3. CONGREGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Liberté chrétienne et

libération, éd. Cerf, Paris, 1986, 101 pages.

4. JEAN XXIII, Lettre encyclique, Pacem in terris, éd. Centurion, Paris, 1963, 125 pages.

5. JEAN-PAUL II, Code de Droit Canonique, éd. Centurion/Cerf/Tardy, Paris, 1984, 363

pages.

6. JEAN-PAUL II, Exhortation Apostolique post-synodale, Ecclesia in Africa, éd.

Libreria Editrice Vaticana, 1995, 155 pages.

7. JEAN-PAUL II, Exhortation pastorale post-synodale, Pastores dabo vobis, éd. Libreria

Editrice Vaticana, Rome, 1992, 182 pages.

8. JEAN-PAUL II, Lettre encyclique, Redemptor Hominis, éd. Centurion, Paris, 04 mars

1979, 119 pages.

9. PAUL VI, Documents pontificaux, Concile Vatican II (1963-1965), IV, éd. St Augustin

St Maurice, Suisse, 1967, 464 pages.

10. PAUL VI, Lettre encyclique, Populorum Progressio, éd. INADES, Abidjan, 1975, 117

pages.

III. LES LIVRES

1. AAVV, La Haute Volta coloniale, témoignages, recherches, regard, éd. Karthala,

Paris, 1995, 677 pages.

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2. ARNANT R., L’Afrique du jour et de la Nuit, éd. Presses de la Cité, Paris, 1976, 301

pages.

3. DELUMEAU J., Le péché et la peur. La culpabilité en Occident (XIIIe-XVIIIe siècles),

éd. Fayard, Paris, 1983, 741 pages.

4. DUMEIGE G., La Foi Catholique, éd. De L’Orante, Paris, 1975, 558 pages.

5. DUPUIS J., Homme de Dieu, Dieu des hommes, coll. "Cogitatio Fidei", éd. Cerf, Paris,

1993, 282 pages.

6. ELA J-M, Ma foi d’Africain, éd. Karthala, Paris, 1985, 227 pages

7. FERLAY Ph., Les vertus théologales, Foi, Espérance, Charité, éd. Desclée, Paris,

1991, 185 pages.

8. FEUILLET A., Le mystère de l’Amour Divin dans la théologie johannique, coll.

"Etudes Bibliques", éd. J. Gabalda et Cie Editeurs, Paris, 1972, 293 pages.

9. FOUCHER D., Pourquoi l’Enfer si Dieu est Amour ?, éd. De Montligéon, Paris, 1986,

223 pages.

10. GUTIERREZ G., La libération par la foi, éd. Cerf, Paris, 1988, 166 pages.

11. HARRINGTON W., Nouvelle Introduction à la Bible, éd. Seuil, Paris, 1971, 1125

pages.

12. ILUNGA B. W., Chemins de Libération, éd. Archidiocèse, Kananga, 1978, 350 pages.

13. LARCHET J-C, Thérapeutique des maladies spirituelles, éd. Cerf, Paris, 1997, 848

pages.

14. LUNEAU R., Comprendre l’Afrique, Evangile, Modernité, Mangeurs d’âmes, éd.

Karthala, Paris, 2002, 211 pages.

15. OLIZ K. H., Christologie II, Du Moyen Âge à l’époque contemporaine, éd. Cerf, Paris,

1996, 287 pages.

16. PEELMAN A., L’inculturation, l’Eglise et les cultures, éd. Desclée/Novalis,

Paris/Ottawa, 1988, 197 pages.

17. ST AUGUSTIN, Les confessions, éd. Garnier-Flammarion, Paris, 1964, 380 pages.

18. ST THOMAS D’AQUIN, Somme Théologique, IIa, IIae, q. XIX, "Le Don de Crainte",

éd. Société St Jean l’Evangéliste, Desclée et Cie, Paris, 1927, 264 pages.

1. VERGOTE A., Psychologie religieuse, éd. Charles Dessart, Bruxelles, 1996, 3

2.

3. RETOT P., "le culte des saints et le mystère pascal" in Maison Dieu, n°237, 1er trimestre

2004, pp. 143-165.

4. SOME V., "Les funérailles en pays dagara" in Eurêka, n°35, Oct-Déc 2000, pp. 22-38.

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5. WAINWRIGT G., "Les saints et les défunts" in Maison Dieu, n°237, 1er trimestre 2004,

pp. 85-128.

IV. TRAVAUX DE MEMOIRES ET THESES

1. F. MEDA, Le phénomène du néopaganisme en pays dagara, défi pour un renouveau

pastoral dans le Diocèse de Diébougou, Mémoire, St Jean, juin 2001, 61 pages.

2. G. DABIRE C., Le visible et l’invisible, Koumi, 1978, 88 pages.

3. G. DABIRE C., Nisaal, L’homme comme relation, tome 1, Thèse de doctorat, éd.

Laval, Janvier 1983, 324 pages.

4. OUATTARA C., La foi et l’épreuve de la peur dans le diocèse de Banfora, Mémoire,

St Jean, juin 2002, 62 pages.

5. SOMDA J-B. M., Sagesse dagara, Anthroponymie dagara, tome 1, Koumi, 1977, 59

pages.

6. SOMDA P., La peur dagara des puissances occultes et les voies de libération en Jésus-

Christ, Mémoire, Koumi, juin 2001, 65 pages.

V. CONFERENCES, COURS ET HOMELIES

1. Ab. Bruno MEDA78, Les motifs de peurs des chrétiens aujourd’hui, Conférence,

Gaoua, 10 décembre 2003.

2. Ab. Dèr Raphaël DABIRE, La reconnaissance des ressources pour une meilleure mise

en œuvre de nos projets de développement, Conférence, Broum-Broum, le 1er mai 2004.

3. Ab. TIENDREBEOGO Anatole, Cours de Sacrements, St Jean, 2004-2005

4. Ab. MALGO Pierre-Claver, Les Ecrits Sapientiaux, St Jean, 2004-2005

5. Ab. Anatole TIENDREBEOGO, Homélie du 27 février 2005, 3ème dim. Carême (A)

6. Ab. Jean-Marie SAWADOGO, Homélie du 17 février 2005 sur Mt 7,7-12

VI. DOCUMENTS NON EDITES

1. AAVV, Chronologie de l’Histoire de l’Evangélisation du Burkina (1868-1960), Bobo,

(non daté), 26 pages.

2. Ab. SOME D. J. M., Formation en sociologie du développement en milieu dagara,

Session, Diébougou, 03 au 13 avril 1990, 44 pages.

78 L’abbé Bruno a soutenu un mémoire en sociologie dont le thème portait sur la peur (à l’UCAO, Abidjan, 2002). Malheureusement nous ne sommes pas entré en possession de son travail, toutefois, sa conférence à Gaoua et l’échange avec lui nous ont beaucoup édifié.

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3. Agents pastoraux de l’Unité d’Opération Pastorale n°4 (U.O.P. 4), Connaître les motifs

de peur des chrétiens pour les en libérer par l’Evangile, Mise en commun des

enquêtes, Diocèse de Diébougou, 2002, 12 pages.

VII. SOURCES ORALES

1. Abbé Bruno MEDA (échange sur les motifs de peur), à Gaoua

2. Groupe de catéchumènes, candidats au Baptême à Gaoua, juin 2004

3. Groupe de jeunes chrétiens de Bozo (Paroisse de Nyigbo)

4. M. Jean Michel PODA et sa femme Justine SOMDA à Bozo

5. M. Rigobert PODA, Raoul PODA et Basile SOME (+) : trois vieux de Bozo

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TABLE DES MATIERES

REMERCIEMENTS ................................................................................................................ 1

DEDICACE ............................................................................................................................... 2

INTRODUCTION GENERALE ............................................................................................ 3

PREMIER CHAPITRE .................................................................................................. 4

PHENOMENOLOGIE DE LA PEUR DES CHRETIENS DAGARA ....................... 4

I. L’HOMME DAGARA ................................................................................... 4 1) L’organisation socioculturelle ................................................................ 4 2) Les croyances traditionnelles .................................................................. 5

a) Une conception ambivalente du cosmos ........................................................ 5 b) Un panthéon hiérarchique .............................................................................. 6 c) Des intermédiaires humains ........................................................................... 7

3) L’Évangélisation du territoire Dagara .................................................... 7 II. LA PEUR DU CHRETIEN DAGARA ....................................................... 8

A) Les motifs de peur des chrétiens dagara .......................................................... 8 1) L’univers invisible et les êtres mystérieux ............................................. 9 2) L’univers v isible ..................................................................................... 9

a) Les phénomènes naturels ................................................................................ 9 b) Les situations naturelles ............................................................................... 10

3) L’homme, source de peur du Dagara .................................................... 10 B. Une classification des motifs de peurs ............................................................. 11

1) Les c auses sociologiques ...................................................................... 11 2) Les c auses psychologiques ................................................................... 12 3) Les c auses ontologiques ....................................................................... 13 4) L’insécurité comme cause principale ................................................... 13

III. LES MOYENS DE PROTECTION EN CAS DE PEUR ...................... 14 1) Le recours aux objets protecteurs ......................................................... 14 2) L’acquisition de puissances maléfiques ............................................... 15 3) Les vœux et les engagements ............................................................... 15 4) Le recours au Christ .............................................................................. 15

IV. LES CONSEQUENCES DE LA PEUR .................................................. 16 1) Sur le plan religieux .............................................................................. 16

a) Le syncrétisme religieux............................................................................... 16 b) Le néopaganisme (les lapsi) ......................................................................... 17

2) Sur le plan social ................................................................................... 17 3) Sur le plan économique ........................................................................ 17

DEUXIEME CHAPITRE ............................................................................................. 19

DE LA PEUR HUMAINE A LA CRAINTE DE DIEU DANS L’HISTOIRE DU

SALUT ............................................................................................................................ 19

I. APPRO CHE NOTIONNELLE .................................................................. 19 A. Quelques statistiques ....................................................................................... 19

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B. Analyse sémantique .......................................................................................... 20 1) La peur, expression de la faiblesse humaine ........................................ 20 2) La peur, sentiment devant une autorité ................................................. 20

C. Cas particulier de la "Crainte de Dieu" ......................................................... 21 1) Fausses compréhensions de la Crainte de Dieu ................................... 21 2) Sens de la Crainte de Dieu .................................................................... 21

a) La Crainte révérencielle de Dieu .................................................................. 21 b) L’amour filial envers Dieu ........................................................................... 22

II. L’HOMME ET LA PEUR DANS LA BIBLE ......................................... 23 1) La cosmologie biblique ......................................................................... 23 2) Les différentes peurs de l’homme biblique .......................................... 24

a) La peur de l’agressivité des ennemis ............................................................ 24 b) La peur de l’Ennemi et des puissances invisibles ........................................ 24 c) La peur de Dieu et des épreuves personnelles .............................................. 25

3) L’explication de la peur dans la Bible .................................................. 26 a) Le manque de foi en Dieu ............................................................................ 26 b) L’attachement aux biens matériels ............................................................... 26 c) La distance de Dieu ...................................................................................... 26

III. LA CRAINTE DE DIEU COMME REMEDE A LA PEUR ................ 27 1) La stabilité intérieure dans la Crainte de Dieu ..................................... 27

a) La foi-confiante du craignant-Dieu .............................................................. 27 b) La maîtrise des passions ............................................................................... 28

2) La Guérison par l’engagement.............................................................. 28 a) La vie de prière ............................................................................................. 28 b) La vie vertueuse ........................................................................................... 29 c) La charité libératrice ..................................................................................... 29

3) Le témoignage des Anawîm (Les Pauvres de Yahvé)........................... 30 IV. DES REPERES DOCTRINAUX RASSURANTS ................................. 31

1) Le Dessein d’Amour de Dieu ............................................................... 31 2) Jésus Christ, Vainqueur de la peur ....................................................... 31

a) Incarnation ou proximité de Dieu ................................................................. 32 b) Vie terrestre, inauguration du Royaume ...................................................... 32 c) La grande victoire du Christ dans le mystère pascal .................................... 32 d) Ascension, Seigneurie du Christ .................................................................. 33

3) Eglise victorieuse de la peur ................................................................. 33 a) La présence agissante du Christ dans l’Eglise .............................................. 33 b) La vie en Christ ............................................................................................ 34

TROISIEME CHAPITRE ............................................................................................ 36

LA CRAINTE DE DIEU, VOIE DE LIBERATION DU DAGARA PEUREUX ..... 36

I. L’ENRACINEMENT DE L’EVANGILE DANS LA CULTURE DAGARA ........................................................................................................................... 36

1) L’accueil du peureux ............................................................................ 36 2) Une re-évangélisation à base de thèmes culturels ................................ 37 3) La nécessité d’une formation continue ................................................. 38

II. EN VUE D’UNE CRAINTE DE DIEU LIBERATRICE DES DAGARA39 A) Des dépassements nécessaires ......................................................................... 39

1) La nouvelle vision du salut en Jésus Christ .......................................... 39

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2) Le problème du mal à la lumière de Jésus Christ ................................. 40 3) L’Eglise-Famille, refuge du peureux .................................................... 41

B) Des attitudes spirituelles recommandables .................................................... 42 1) L’humilité, la force du peureux ............................................................ 42 2) La constance chrétienne ........................................................................ 43 3) Le risque, chemin d’un témoignage chrétien ........................................ 44

III. DES AXES CENTRAUX D’UNE PASTORALE LIBERATRICE ..... 45 1) La vie sacramentaire pour une libération de la peur ............................. 45

a) Les sacrements comme moyens de libération .............................................. 45 b) L’apport des sacramentaux dans la libération des peureux .......................... 46

2) L’exorcisme et la prière de guérison .................................................... 47 a) Des dispositions disciplinaires ..................................................................... 47 b) L’exorcisme, un moyen de libération ........................................................... 47 c) La prière de guérison .................................................................................... 48

IV. LA PROMOTION HUMAINE, CONDITION D’UNE GUERISON DE LA PE UR .......................................................................................................... 49

1) Nécessité de formations et d’informations ........................................... 49 a) Les objectifs visés......................................................................................... 49 b) Les moyens ................................................................................................... 50

2) Des associations pour des actions communes ...................................... 50

CONCLUSION GENERALE ............................................................................................... 52

LES ANNEXES ...................................................................................................................... 53

BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. 58

TABLE DES MATIERES ..................................................................................................... 62