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« Enseignement et apprentissage des kanji à l’ère numérique » - Table ronde - Participants (ordre alphabétique) : Tomoko Higashi, MCF (Université Grenoble-Alpes) Lionel Seelenbinder- Mérand, Professeur agrégé (Lycée La Fontaine) Makoto Saito, Enseignant titulaire (MCJP) Naoko Sakurai, Enseignant titulaire (Université de Leuven) Sumie Terada, PU émérite (INaLCO) Modérateur : Jean Bazantay, MCF (INaLCO) En offrant de nouveaux supports de diffusion de l’information ou d’échanges interpersonnels, l’innovation technologique modifie les rapports des utilisateurs avec la langue, et la classe de LV n’échappe pas à ces bouleversements. Comme, en leurs temps, la diffusion du magnétophone puis l’arrivée du film lent ont permis le développement de méthodes audio- visuelles ou, plus récemment, l’introduction des TICE (Technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement) a favorisé la mise en place de pratiques interactives, les nouvelles technologies ont un impact réel sur les pratiques pédagogiques et les méthodes d’enseignement. Dans l’apprentissage du japonais, le rapport aux idéogrammes a considérablement évolué ces dernières décennies. A partir du milieu des années 80, les enseignants se sont habitués à voir apparaître un nombre croissant d’étudiants utiliser des dictionnaires électroniques sans trop savoir comment évaluer l’impact de cet outil sur les pratiques d’apprentissage et l’acquisition. Dans les années 2000, l’essor d’Internet et de la téléphonie mobile a apporté une nouvelle vague d’outils numériques : dictionnaires sous forme d’applications pour téléphones ou tablettes, outils de traduction en ligne, sites d’entraînement, etc. Par rapport aux dictionnaires papier traditionnels, ces outils proposent de nouvelles fonctionnalités telle que la recherche du caractère inconnu par reconnaissance du tracé à l’aide d’un stylet sur un écran tactile. Ce sont également des outils hybrides qui offrent nombreuses passerelles entre dictionnaires de caractères et dictionnaires de langues (touche “jump”, etc.). Sur Internet, de petits logiciels tels que Reading tutor permettent aussi d’obtenir immédiatement la lecture ou la traduction d’un mot en plaçant la souris sur celui-ci. Et, dans les prochaines années, le développement d’applications de traduction automatique par reconnaissance visuelle, va peut-être apporter encore d’autres changements. Tous ces outils très souples d’utilisation facilitent l’accès au contenu informatif du fait de la disparition progressive de l’étape intermédiaire de recherche du caractère inconnu avec un dictionnaire de caractères. Il y a donc un gain de temps sur le plan métalinguistique au profit de l’activité langagière elle-même. Par ailleurs, leurs fonctionnalités permettant bien souvent de suppléer à certaines imprécisions d’écriture du scripteur (Bazantay : 2011), ils rendent également moins nécessaire la maîtrise précise des règles de tracé. On peut donc légitimement redouter une diminution du niveau de connaissance des règles d’écriture (connaissance des clés, ordre et nombre de traits, types de trait, respect des proportions), voire l’acquisition de connaissances erronées ou approximatives. A terme, cela pose la question de la dépendance technologique et de l’incapacité progressive à tracer correctement les caractères manuellement.

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« Enseignement et apprentissage des kanji à l’ère numérique » - Table ronde -

Participants (ordre alphabétique) :

− Tomoko Higashi, MCF (Université Grenoble-Alpes) − Lionel Seelenbinder- Mérand, Professeur agrégé (Lycée La Fontaine) − Makoto Saito, Enseignant titulaire (MCJP) − Naoko Sakurai, Enseignant titulaire (Université de Leuven) − Sumie Terada, PU émérite (INaLCO)

Modérateur :

− Jean Bazantay, MCF (INaLCO)

En offrant de nouveaux supports de diffusion de l’information ou d’échanges interpersonnels, l’innovation technologique modifie les rapports des utilisateurs avec la langue, et la classe de LV n’échappe pas à ces bouleversements. Comme, en leurs temps, la diffusion du magnétophone puis l’arrivée du film lent ont permis le développement de méthodes audio-visuelles ou, plus récemment, l’introduction des TICE (Technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement) a favorisé la mise en place de pratiques interactives, les nouvelles technologies ont un impact réel sur les pratiques pédagogiques et les méthodes d’enseignement.

Dans l’apprentissage du japonais, le rapport aux idéogrammes a considérablement évolué ces dernières décennies. A partir du milieu des années 80, les enseignants se sont habitués à voir apparaître un nombre croissant d’étudiants utiliser des dictionnaires électroniques sans trop savoir comment évaluer l’impact de cet outil sur les pratiques d’apprentissage et l’acquisition. Dans les années 2000, l’essor d’Internet et de la téléphonie mobile a apporté une nouvelle vague d’outils numériques : dictionnaires sous forme d’applications pour téléphones ou tablettes, outils de traduction en ligne, sites d’entraînement, etc. Par rapport aux dictionnaires papier traditionnels, ces outils proposent de nouvelles fonctionnalités telle que la recherche du caractère inconnu par reconnaissance du tracé à l’aide d’un stylet sur un écran tactile. Ce sont également des outils hybrides qui offrent nombreuses passerelles entre dictionnaires de caractères et dictionnaires de langues (touche “jump”, etc.). Sur Internet, de petits logiciels tels que Reading tutor permettent aussi d’obtenir immédiatement la lecture ou la traduction d’un mot en plaçant la souris sur celui-ci. Et, dans les prochaines années, le développement d’applications de traduction automatique par reconnaissance visuelle, va peut-être apporter encore d’autres changements.

Tous ces outils très souples d’utilisation facilitent l’accès au contenu informatif du fait de la disparition progressive de l’étape intermédiaire de recherche du caractère inconnu avec un dictionnaire de caractères. Il y a donc un gain de temps sur le plan métalinguistique au profit de l’activité langagière elle-même.

Par ailleurs, leurs fonctionnalités permettant bien souvent de suppléer à certaines imprécisions d’écriture du scripteur (Bazantay : 2011), ils rendent également moins nécessaire la maîtrise précise des règles de tracé. On peut donc légitimement redouter une diminution du niveau de connaissance des règles d’écriture (connaissance des clés, ordre et nombre de traits, types de trait, respect des proportions), voire l’acquisition de connaissances erronées ou approximatives. A terme, cela pose la question de la dépendance technologique et de l’incapacité progressive à tracer correctement les caractères manuellement.

Ce revers pourrait être préoccupant du point de vue de la compétence de production écrite s’il ne s’accompagnait pas d’un « cantonnement » progressif de l’écriture manuscrite à des activités d’ordre privé (notes, rédaction d’une carte postale, renseignement d’un formulaire, examen, etc.), elles-mêmes de plus en plus limitées du fait de la concurrence du courrier électronique, des messageries en ligne et des réseaux sociaux. Ainsi aujourd’hui, la plupart des tâches se font par la médiation d’un logiciel de conversion et la mémoire et les connaissances du scripteur sont donc sollicitées. On pourra également s’inquiéter d’une capacité réduite à utiliser un dictionnaire de caractère sous format papier, voire même un dictionnaire de langue, du fait d’une pratique insuffisante de cet exercice ayant pour conséquence une maîtrise approximative des clés ou du système d’entrées suivant le gojûon-zu.

Le débat entre partisans et détracteurs de ces nouvelles technologies ne sera sans doute pas clos de sitôt chez les enseignants. Mais celui-ci a-t-il vraiment un sens ? Il est incontestable que ces nouveaux outils facilitent les activités de réception et de production et permettent de diminuer la barrière linguistique que constituait la connaissance des kanji. A terme on peut légitimement penser que cela contribuera à une diffusion plus large de la langue et de la culture japonaises. Mais, il s’agit probablement d’une évolution inéluctable sur laquelle il est vain de se lamenter. Pour les enseignants, la question qui se pose est plutôt celle de la prise en compte de ce nouvel environnement dans leur enseignement. Comment en optimiser les possibilités tout en prévenant les risques potentiels ?

Si les pratiques pédagogiques restent figées sans intégrer ce nouvel environnement, le discours ou les activités proposées par l’enseignant risquent de se trouver déconnectés des pratiques effectives des étudiants. Inversement leur adoption aveugle risquerait d’avoir des conséquences fâcheuses sur la qualité de l’acquisition. En prenant en compte les progrès de la connaissance en neurosciences (qui a notamment établi le rôle de la mémoire kinésique dans l’acquisition et la mémorisation des kanji), Il semble nécessaire de réfléchir au sens de chacune des activités proposées pour faire des choix pertinents au regard des objectifs pédagogiques de la formation. En définitive, cela revient à s’interroger sur l’objectif de l’enseignement des kanji du point de vue des compétences langagières visées.

Dans cette table ronde, nous interrogerons les participants, tous acteurs de terrain auprès de différents publics, sur la manière dont ils perçoivent et prennent en compte ce nouvel environnement. Ont-ils intégré ce nouvel environnement dans leurs pratiques pédagogiques ? Quelle place accordent-ils aux exercices d’écriture dans l’apprentissage des kanji ? Ces nouveaux facilitateurs favorisent-ils la mise en œuvre de l’approche actionnelle ? Permettent-ils d’étudier un nombre plus important de caractères ?

Présentation des intervenants

Tomoko Higashi, Maître de conférences (LIDILEM), Responsable de la sous-section de japonais de l’Université Grenoble-Alpes, enseigne le japonais dans les filières LEA (Langues étrangères appliquées) et LANSAD (Langues pour spécialistes d’autres disciplines). Ses recherches portent sur l’analyse du discours et de l’interaction, la pragmatique interculturelle et l’enseignement du japonais. Référent scientifique pour le japonais du Système d’Evaluation en Langues à visée Formative (SELF) du projet national IDEFI Innovalangues (2012-2019), elle est également l’auteur d’une méthode de japonais rééditée en 2016 « Parlons japonais » (éd. PUG).

Lionel Seelenbinder-Mérand, agrégé de langue et civilisation japonaises, enseigne actuellement le japonais LV1 et LV2 au Lycée La Fontaine (Paris). Membre du Comité d’experts pour l’élaboration des programmes de japonais du ministère de l’éducation nationale

depuis 2005, il est l’auteur d’un manuel d’apprentissage des kanji (Kanji kakitai, éd. Ellipses) et d’un cahier d’activités et d’écriture (en collaboration avec Junko Miura).

Makoto Saito, Professeur titulaire à la MCJP (Maison de la culture du Japon à Paris) est spécialiste des questions de didactique du japonais langue étrangère. Il enseigne actuellement le japonais auprès d’un public varié en utilisant la méthode Marugoto développée par la Fondation du Japon.

Naoko Sakurai est professeur de japonais à l’Institut des langues (ILT) de l’université de Louvain (Belgique). Spécialiste de didactique du japonais, elle est également Présidente de la Belgian Association of Japanese Language Teachers. Ses recherches récentes portent sur l’adaptation du CECRL au japonais. Elle a notamment publié Nihongo kyôshi no tame no CEFR [Le CECRL pour les enseignants de japonais›](éd. Kuroshio, 2016).

Sumie Terada, Professeure émérite, chercheure au Centre d’études japonaises (CEJ) est spécialiste de la poétique de la littérature japonaise classique. Elle est actuellement responsable du Projet Genji du CEJ. Forte d’une longue expérience d’enseignement du japonais dans la filière LLCE de l’INaLCO (elle a notamment coordonné l’enseignement des kanji en première année), elle présentera les raisons qui ont présidé aux choix pédagogiques relatifs à l’enseignement des kanji dans cette filière spécialisée.

デジタル時代の漢字教育

今、漢字教育は必要か

- パネルディスカッション -

参加者 (アルファベット順)

− 東伴子 :(グルノーブル・アルプ大学准教授)

− リオネル・ゼーレンビンダー=メラン (ラ・フォンテーヌ校・アグレジェ)

− 斎藤誠(パリ日本文化会館日本語専門家)

− 櫻井直子(ルーヴァン大学専任講師)

− 寺田澄江(イナルコ名誉教授)

進行役 : ジャン・バザンテ(イナルコ准教授)

科学技術の進歩は常に新しいメディアの誕生や対人コミュニケーション方法に変化

をもたらし、その普及によって人間の言語行動が少しずつ変わっていく。外国語の授

業でも 1960 年代からテープレコーダーの普及とともにオーディオ・リンガル・アプロ

ーチが導入され、そして 90 年代からはコンピューターが入り、教室を超えたインター

アクティブな活動の可能性を広げた。このように、新しい技術が外国語教育に及ぼす

影響は明らかである。

日本語教育の世界ではデジタル時代に入ってから、漢字学習を取り巻く環境が大き

く変わってきた。その静かな革命は電子辞書の出現と共に始まった。そして、21世

紀に入って、IT技術の急激な発展によってスマートフォンやタブレット向けの辞書ア

プリ、無料翻訳サービス、日本語学習サイトなども現れ、新しいITツールや教材の波

が押し寄せてきた。IT辞書では従来の紙の辞書でできなかった新たな検索機能が利用

できるようになった。とりわけ電子辞書やタブレットなどの「手書き認識パッド」の

登場は革新的だったと言えるだろう。タッチペン一本で調べたい熟語の漢字を、大ま

かに描いただけで、即座にその読みや意味が出てくるという機能は、従来の紙の辞書

を使った検索過程で欠かせなかった部首や画数の索引から漢字を探す手続きを無用に

したのである。そして、その利便性により学生の間でたちまち愛用されるようになっ

た。今も漢和辞典の存在は欠かせないが、少なくともその位置づけや使い方が変わっ

てしまった。

このようにデジタル化は新しい学習方法を生み、文字教育全体に大きな影響を与え

ている。そして、これらIT技術が書き手の不正確な点をある程度カバーできるため、

以前ほど書き方の規則を守る必要がなくなり、部首、書き順などの教育意義が問われ

てきている。他方、漢字に関する基礎的な知識(書き順、画数、部首など)が十分で

なければ、漢字の書き方が大雑把になるという懸念もあり、筆記能力から言えば大変

気がかりだが、同時に今日の日常生活では手書きによる記述の機会が激減してきてい

るのも事実である。そして文字で打っているかぎり、変換キーを押すだけで候補の単

語の選択肢が自動的に現れ、たとえ書き方を正確に知らなくても支障がない。そうな

ると、学習者のコンピューターやスマートフォンへの依存、手書き能力の低下が問題

となってくるだろうが、日本語のネイティブでさえ手書きの機会が少なくなったので、

外国人のための日本語教育ではどこまで手書き文字に拘る必要があるかという問いも

ある。なお、従来の紙の漢和辞典を使う機会が減れば、その五十音図順の音訓索引に

よることばの引き方も身につかなくなることも予想される(国語辞典にも同様のこと

が言える)。

また、これらのIT教材の多くは「ジャンプキー」を押したり、ハイパーリンクをクリ

ックしたりするだけで、様々な辞典への切り替えを可能にする機能も備えて、ハイブ

リッド教材だと言えよう。さらにインターネット上では「リーディングチュウ太」の

ようなテキストの読解支援サービスも登場し、分からない漢字のところにマウスを動

かすだけで自動的にその読み方と意味が様々な外国語で出てくる。そうした新しいシ

ステムの機能は漢字学習の負担を軽くし、より早く読解活動に取り組むことを可能に

する。つまり、文字レベルのミクロ的な学習の負担が減り、いちはやくテキストの読

み書きといった言語活動に集中できるようになってきたといえるだろう。

日本語教師の間でも、IT技術やリソースについて、様々な議論があるだろう。それら

に利点も弊害もあることは否定できないが、IT技術やリソースの普及は今現に起こっ

ている不可避な流れであり、日本語教育においてもその対応が迫られている。そうし

たIT リソースの可能性をどう大きく活用できるか、そしてそれらに伴う不都合にどの

ように対処していけるのかを議論することが差し迫った課題だと思われる。

教師がこの新しい環境を考慮しなければ、教師による授業と学習者の実際の漢字使用

との間に大きな溝ができる恐れがある。その際、神経科学や認知科学の研究成果、特

に漢字学習におけるワーキングメモリの働きを参考にしながら、課題や練習の目的を

考える必要がある。そして各教育機関の日本語教育の目的に照らしながら、無意味な

練習を省いて適切な練習を残し、漢字学習に有効だと思われる新しいタイプの活動の

導入も考えるべきだ。機械的に同じ練習を繰り返させるだけではなく、最終的日本語

教育の目的にあった漢字教育を考えるべきだ。

このパネルディスカッションでは日本語教育の第一線で活躍する参加者にこの問題に

対する意見を尋ねる。そして、授業ではどのようにこの新しい環境に対応しているか

また、学習漢字や学習語彙の総数、教授法などに変化があったか、さらに、漢字の手

書きの練習の意義をどのように考えているかなどについて問いかける。

参加者紹介

東伴子:グルノーブル・アルプ大学・准教授,日本語科責任者。LEA(応用外国語)コ

ースとLANSAD(日本語以外の専攻学生)コースの学生対象に教鞭を取る。LIDILEM研究員。主な研究分野は応用言語学(談話・相互行為分析、異文化間語用論)と日本

語教育学。フランス国立研究機構(ANR)「革新的教育を目指した先駆的研究」

(IDEFI)で採択されたInnovalagues (2012-19)の一環として進められているコンピュー

ターベース診断付テスト(SELF)開発の日本語部門学術責任者。2016 年に改訂された

日本語教科書「Parlons japonais」(PUG)の著者。

リオネル・ゼーレンビンダー=メラン :日本語日本文化中等教育教授資格(アグレガ

シオン)取得者。パリ・ラ・フォンテーヌ高等学校において日本語を第一・第二外国

語として教える。2005 年以来、文部科学省の中等教育機関日本語教育の指導要領の委

員会会員。中高生の学習者を主な対象とした漢字学習の教材『漢字書きたい!』(エ

リップス出版社)の著者、及び三浦順子との共著で『漢字書きたい!練習帳1』も出

版。

斎藤誠:国際交流基金派遣日本語専門家。パリ日本文化会館(MCJP)日本語講座運営

担当。MCJPでは 2011 年より「まるごと」を使用した一般向け日本語講座を展開して

おり、年齢・職業など多様な学習者が学んでいる。

櫻井直子:ルーヴァン大学文学部文学部、ルーヴァン言語研究所専任講師。ベルギー

日本語教師会設立、現会長。言語教育、日本語教育を専門とし、近年はCEFRの理念を

取り入れた日本語教育に関し研究をしている。近著に『日本語教育のためのCEFR』(編.2016,くろしお出版)がある。

寺田澄江:日本学研究センター(CEJ)所属、イナルコ名誉教授。専門は日本古典文学

における詩学。現在CEJの源氏物語プロジェクトの責任者。イナルコ日本学部におけ

る漢字教育の経験に基づき、イナルコにおいて要請されている漢字教育の諸要件につ

いて概略する。

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«  Enseignement  et  apprentissage  des  kanji  à  l’ère  numérique  »  

Table  ronde  :  la  suite…..      

Durant  cette  table  ronde,  par  manque  de  temps,  nous  n’avons  pu  entendre  les  participants  sur  la  manière  dont  ils  perçoivent  et  prennent  en  compte  l’environnement  numérique  dans  leur  enseignement.   Comment   l’ont-­‐ils   intégré   dans   leurs   pratiques   pédagogiques  ?   Quelle   place  accordent-­‐ils   aux   exercices   d’écriture   dans   l’apprentissage   des   kanji  ?   Ces   nouveaux   outils  favorisent-­‐ils  la  mise  en  œuvre  de  l’approche  actionnelle  ?  Permettent-­‐ils  d’étudier  un  nombre  plus  important  de  caractères  ?  Pour  combler  cette  lacune,  nous  avons  décidé  de  leur  donner  la  parole  et  de  prolonger   les  débats  dans  cette  tribune  en   leur  demandant  de  répondre  à  trois  questions.  

 Question  1  :  Comment  enseignez  vous  les  kanji  ?    Tomoko  Higashi  (Université  de  Grenoble-­‐Alpes)  :      

Nous   sommes   aujourd’hui   presque   tous   d’accord   pour   dire   que   le   nombre   de   kanji  mémorisés  n’est  pas  un  indicateur  de  la  compétence  communicative  en  japonais  comme  le  pensent  encore  nombreux  étudiants  qui  évaluent  leur  niveau  en  nombre  de  caractères  («  Je   connais   100   kanji.»,   etc.).   Cependant,   à   l’heure   de   l’approche   actionnelle,  paradoxalement,   la   «  compétence   idéographique  »   me   semble   de   plus   en   plus  conditionner  la  performance  des  étudiants  face  aux  activités  langagières  reposant  sur  des  ressources  authentiques.  Une  nouvelle  approche  adaptée  à  ces  situations  me  semble  donc  nécessaire.  L’apparition  de  différents  outils  numériques  peut  faire  penser  que  la  mémorisation  n’est  plus   nécessaire,   mais   je   voudrais   insister   sur   l’importance   des   connaissances   et   méta-­‐connaissances   sur   «  les   kanji   de   base  »   pour   devenir   un   utilisateur   indépendant   de   la  langue  japonaise.  Il  est  important  que  les  étudiants  s’approprient  les  règles  de  base  de  la  composition  des  kanji,  telles  que  les  clés  et  les  composantes,  les  principes  régissant  l’ordre  de  trait…  Cette  formation,  qui  est  plutôt  classique,  me  semble  plus  que  jamais  importante  et  utile  aujourd’hui  pour  soutenir  l’autonomie  des  élèves  (capacité  à  inférer  le  sens  ou  la  lecture   d’un   kanji   inconnu   présentant   une   composante   identifiée,   capacité   à   tracer   un  kanji   sur   un   écran   tactile,   …).   Il   est   important   de   prendre   du   temps   pour   éveiller   la  conscience  des  apprenants  à  ces  aspects  des  kanji  pour  qu’ils   les  mettent  en  œuvre  tout  au   long   de   leur   apprentissage.   Il   est   également   essentiel   que   les   étudiants   prennent  conscience  que   les  stratégies   liées  au  kanji   favorisent  grandement   la  compréhension  du  texte  écrit  ou  oral.  Dans  mes  cours,  nous  sélectionnons  systématiquement  des  mots  clés  pour   chaque   texte   utilisé   en   cours   ou   pour   chaque   leçon,   puis   les   kanji   sont   abordés   à  partir   de   ces   mots.   Dans   la   classe   d’A1/A2,   les   étudiants   sont   encouragés   à   lire   des  phrases/textes   en  présence  des   kanji   inconnus   et   sans   furigana.  En   cas   de  difficulté,   ils  peuvent   toujours   consulter   la   liste.   Ils   sont   invités   à   se   rendre   en   compte   que   la  connaissance  de  kanji  favorise  la  compréhension/apprentissage  des  mots,  même  les  plus  élémentaires  (ex.  raishû  s’écrit  avec来 et週).    Dans  la  classe  de  B1,  le  travail  se  focalise  sur   les   mots   composés   de   kanji   (輸出 ,   外国人観光客 )     et   sur   les   stratégies   de  redéploiement  des  connaissances  censées  être  acquises.  Je   constate   qu’il   y   a   encore   beaucoup   d’étudiants   qui   n’ont   pas   acquis   ces   stratégies  malgré  plusieurs  années  d’apprentissage  du  japonais.  Mais  rien  n’est  trop  tard.  Je  pense  que  ce   travail  en  amont  est   important   si  nous  voulons  que  nos  étudiants  deviennent  de  bons  utilisateurs  du  japonais  en  bénéficiant  des  outils  numériques  divers.  

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 Lionel  Seelenbinder-­‐Mérand  (Lycée  La  Fontaine)  :  

Au  lycée  la  Fontaine,  comme  dans  tous  les  établissements  du  secondaire  proposant  l’étude  de   langue   japonaise,   nous   suivons   «  à   la   lettre  »   le   programme   officiel   du   MEN   de  compétences   graphiques1  qui   fixe   des   compétences   communes   à   toutes   les   classes.   Ce  programme  établit,  avec  une  différenciation  des  statuts  «  actifs  »  et  «  passifs  »  des  kanji  en  cours  de  formation  dans  le  cadre  des  évaluations,  un  seuil  de  145  kanji  en  reconnaissance  pour  la  LV3,  385  en  LV2,  dont  235  actifs  et  505  en  LV1,  dont  385  actifs.  Afin  de  travailler  au  mieux   l’acquisition   du   geste   et   la   mémorisation,   les   programmes   préconisent   un  enseignement   de   l’écriture,   notamment   des   kanji,   découplée   des   autres   compétences,   en  particulier   celles   de   l’oral,   même   s’ils   peuvent   et   doivent   même   être   introduits   ou  réintroduits   dans   les   autres   activités   langagières,   par   le   biais   du   travail   par   tâche.  Quoi  qu’il   en   soit,   dans   le   secondaire,   nous   nous   efforçons   d’enseigner   les   kanji   de   manière  progressive,  par  palier,  et  de  manière  la  plus  motivante  qui  soit.  C’est  ainsi  que  nous  nous  posons   la   question   de   la   place   que   les   outils   numériques   peuvent   avoir   au   cours   de  l’apprentissage  de  l’écriture.    Nous  sommes  conscients  de  l’ambivalence  de  l’usage  de  ces  nouveaux  outils,  et  nous  avons  eu,  comme  beaucoup  d’entre  nous,  dès  le  début  une  certaine  réticence  vis-­‐à-­‐vis  de  ceux-­‐ci,  même  si  nous  nous  efforçons  de  les  inclure  le  plus  possible  dans  notre  pratique.  Néanmoins,  comme  nous  veillons  en  priorité  à  entraîner  le  geste  graphique  de  manière  traditionnelle,  en   formant   nos   élèves,   collégiens   et   lycéens,   à   écrire   avec   un   instrument   «  classique  »   :  crayon,   stylo,   feutre,   etc.,   en   variant   les   supports,   et   en   étant   très   attentif   à   l’ordre   des  traits,  afin  que  l’acquisition  du  geste  soit   la  plus  harmonieuse  et   la  plus  stable  possible,   il  paraît  difficile  d’envisager  au  premier  abord  l’outil  numérique.  Nous  savons  que  l’écriture  est  quelque  chose  de  complexe,  qu’elle  associe  aussi  bien  la  vision  que  le  geste,  le  sens  et  la  prononciation.  En  cela,  elle  se  différencie  sans  doute  de  l’oral  qui  repose  sur  une  capacité  plus  naturelle  à  articuler  les  sons  que  celle  de  «  tracer  »  à  la  main  un  signe  pour  écrire.      

Naoko  Sakurai  (Université  de  Louvain)  :  

Je  considère  que  l’apprentissage  de  kanji  équivaut  à  l’apprentissage  de  vocabulaire  et  que  l’apprentissage  du  vocabulaire  est  un  des  apprentissages   les  plus  cruciaux  pour  que   les  étudiants   puissent   prendre   part   à   la   vie   de   leurs   communautés   en   utilisant   la   langue  apprise.  Afin  de  mémoriser  les  Kanji  et  le  vocabulaire  de  manière  solide  et  certaine,  nous  avons  besoin  d’écrire.    Selon  les  études  de  Naka  (1997),  les  participants  qui  étudiaient  des  Kanji  en  les  écrivant  à  la   main   avaient   une   mémorisation   plus   solide   que   les   participants   qui   apprenaient  seulement  de  manière  visuelle.  De  plus  Misaki  et  Naka  (2006)  affirment  qu’écrire  le  mots  plus  de  cinq  fois  est  plus  efficace  pour  la  mémorisation  que  l’écrire  moins  de  cinq  fois.    Par   mes   observations   des   étudiants,   j’ai   remarqué   que   les   étudiants   ayant   acquis   une  bonne  connaissance  de  Kanji  et  de  vocabulaire,  étaient  très  souvent  des  étudiants  qui  ont  construit   leur  propre   cahier  de  Kanji   écrit   à   la  main.  En   somme,   je  peux   constater  que  dans  l’apprentissage  des  kanji,  les  activités  qui  requièrent  de  les  écrire  sont  essentielles  et  nous  pouvons,  ou  plus,  nous  devons  proposer  aux  étudiants  de  continuer  à  écrire,  même  s’il  y  existe  aujourd’hui  des  outils  utiles  comme  les  smartphones  ou  les  tablettes.    

 

                                                                                                               1  Programmes  fixant  l’acquisition  de  la  compétence  graphique  au  collège  :  ressources  pour  les  langues  vivantes  au  cycle  4  en  japonais,  sur  eduscol.eduction.fr  (mars  2016),  et  au  lycée  :  enseignements  des  langues  chinoise  et  japonaise  au  lycée  -­‐  acquisition  de  la  compétence  graphique  BOEN  n°  32  du  08.09.2011,  pages  8  à  11.  

  3  

Makoto  Saitô  (Maison  de  la  culture  du  Japon  à  Paris)  :  

Les   cours   de   japonais   pour   adultes   comme   ceux   que   nous   dispensons   à   la  MCJP,   ont  pour  vocation  d’enseigner  la  langue  de  manière  pratique  et  utilitaire  et  sont  guidés  par  le  souci  de  ne  pas  surcharger  de  travail  les  apprenants.  Dans  cet  esprit,  les  kanji  sont  traités  comme  du  lexique  ;  ils  sont  lus  et  compris  en  contexte  et  l’on  considère  que  c’est  suffisant  ainsi.   Nous   n’imposons   pas   d’exercices   d’écriture   aux   apprenants   pour   lesquels   cet  exercice  est  une  charge  et  nous  proposons  des  activités  en  ayant  à  l’esprit  les  possibilités  de  saisie  par  ordinateur  ou  tablette.  D’autre  part,  quand  nous  introduisons  un  caractère,  nous  n’enseignons  pas  toutes  ses  lectures  mais  seulement  celle  qui  est  nécessaire  dans  la  situation.    Lors  d’une  enquête  que  nous  avons  conduite  auprès  de  nos  apprenants,   les  deux  tiers  

des  personnes  ont   répondu  que  «  l’apprentissage  n’était  pas  /  ou  n’était  quasiment  pas  une   charge  »   et   «  qu’ils   souhaitaient   en   apprendre   davantage.  »   Ces   résultats  montrent  une  curiosité  intellectuelle  et  un  certain  plaisir  lié  à  l’apprentissage  des  caractères.    Nous  devons   réfléchir  à  plusieurs  points.  En  effet,  notre  approche  actuelle  ne   répond  

pas  au  souhait  de  certains  apprenants  de  connaître  l’ensemble  des  emplois  d’un  kanji.  Les  explications   sur   les   clés   et   le   sens   des   caractères   ne   sont   pas   suffisantes   non   plus.   Par  ailleurs,   les   exercices   d’écriture   n’étant   pas   obligatoires,   des   écarts   importants  apparaissent   entre   les   apprenants   suivant   leur   intérêt   et   leur   investissement   dans   ce  travail.  Pour  palier  cette  situation,  nous  présentons  des  applications  d’apprentissage  des  caractères   et   nous   réfléchissons   à   d’autres   stratégies   telle   que   l’ouverture   d’un   cours  optionnel  de  soutien  en  kanji  etc.    

 Question  2  :  Utilisez-­‐vous  les  outils  numériques  dans  vos  cours  ?  Encouragez-­‐vous  leur  utilisation   par   les   apprenants   ou   recommandez-­‐vous   toujours   l’utilisation   des  dictionnaires  «  papier  »  ?    Lionel  Seelenbinder-­‐Mérand  (Cité  scolaire  La  Fontaine,  Paris)  :  

Il  convient  de  préciser  d’emblée  que  notre  établissement  est  plutôt  mal  équipé,  et  le  peu  de  matériels,  installés  dans  un  nombre  limité  de  classes  ne  bénéficient  pas  de  la  maintenance  requise.   Nous   sommes   donc   réduits   à   une   utilisation   des   plus   rudimentaires   de   l’outil  informatique   en   classe  :   un   ordinateur   relié   à   un   projecteur,   qui   sert   essentiellement   à  l’affichage  devant  les  élèves,  et  si  parfois  nous  pouvons  effectuer  en  direct  des  recherches,  ces   derniers   n’ont   presque   jamais   l’occasion   de   le   manipuler.   En   outre,   nous   disposons  d’une  salle  dite  «  informatique  »,  mais,  presque  inadaptée,  aussi  sommes-­‐nous  peu  enclin  à  l’utiliser,  d’autant  qu’il  nous  faudrait  dédier  une  heure  entière  à  cela  sur  les  deux  ou  deux  heures   et   demie   d’enseignement   dont   nous   bénéficions   en  moyenne   actuellement,   ce   qui  paraît  difficile  à  envisager.    

Lorsque  nous  avons  la  possibilité  de  le  faire  nous  essayons  d’abord  d’initier  nos  élèves  à   la  saisie   informatique  en   japonais,  comme  le  préconisent   les  programmes.  Elle  vient  en  complément  de  l’acquisition  du  geste,  permettant  d’acquérir  d’autres  automatismes,  et  de  découvrir   d’autres   règles,   comme   celles   de   la   typographie   japonaise.   Cependant,   ce   que  nous   demandons   aux   élèves,   c’est   d’abord   qu’ils   rédigent   à   la   main   la   plupart   de   leurs  productions.  A  contrario,  ceux-­‐ci  possèdent  presque  tous  un  smartphone,  et  un  ordinateur  à   leur  domicile,  avec  un  accès  qui  semble   illimité  à  ces  nombreuses  possibilités,  quand  ils  les  connaissent.   Ils  s’exposent  donc  assez  naturellement  d’eux-­‐mêmes  à  ces  outils,  et  nous  en  font  part  régulièrement.  

C’est   la   raison   pour   laquelle   notre   rôle   le   plus   important   à   long   terme   auprès   des  élèves   est   certainement   de   les   faire   entrer   dans   un   cercle   vertueux,   en   les   aidant   à   se  repérer   dans   ce   trop   plein   d’informations,   afin   qu’ils   puissent   discerner   l’essentiel   du  

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secondaire,  mais  aussi  les  différents  niveaux  de  langages,  et  ne  deviennent  pas  dépendant  de   la   machine.   Nous   devons   pour   cela   tout   faire   pour   qu’ils   sachent   utiliser   le   plus  judicieusement  possible  les  outils  numériques  et  les  rendre  parfaitement  autonomes.  Mais  avant  cela,  pour  y  parvenir,  nous  devons  aussi  leur  faire  acquérir  une  véritable  compétence  graphique.   Cela   implique   de   posséder   la   capacité   de   lire   et   écrire   un   signe   sans   aide.   Si  l’élève   n’en   est   pas   capable   sans   modèle,   il   n’y   a   pas   d’autonomie,   donc   pas   de   réelle  maîtrise  ou  de  compétence.  

Les   élèves   nous   disent   qu’ils   utilisent   en   priorité   sur   leur   smartphone,   ou   sur   leur  ordinateur,   des   logiciels   de   reconnaissance   de   kanji   et   des   dictionnaires   avec   des   liens  interactifs,  mais   aussi   parfois   une   zone   tactile   réservée   à   l’écriture  manuscrite,   que   l’on  peut   effectuer   avec   un   stylet,   ou   un   doigt.   Ces   logiciels   de   reconnaissance   sont   plus   ou  moins  contraignants,  et  obligent  pour  certains  à  bien  connaître  l’ordre  des  traits.  Quand  il  y   a   un   doute,   plusieurs   propositions   apparaissent   et   obligent   à   sélectionner   le   bon  caractère,   c’est   aussi   une   capacité   qui   mérite   d’être   développée.   Pour   certains   travaux  d’expression  écrite,  mais  pas  la  majorité,  nous  autorisons  les  élèves  à  utiliser  le  dictionnaire  électronique,   le  plus  souvent  intégré  à  leur  smartphone,  et   les   logiciels  de  reconnaissance  de  caractères  auxquels  ils  ont  accès.  Il  faut  noter  que  ces  logiciels  peuvent  prendre  aussi  en  charge  les  progrès  des  élèves  en  gérant  ce  qui  est  acquis  et  ce  qui  ne  l’est  pas,  dans  le  cadre  d’un  apprentissage  par  la  répétition  ou  la  remémoration  qu’ils  effectuent  chez  eux.      

Naoko  Sakurai  (Université  de  Louvain)  :  A  propos  du  dictionnaire  en  soi,  personnellement,  je  n’impose  pas  aux  étudiants  d’utiliser  le   dictionnaire   papier   car   l’utilisation   des   dictionnaires   est   considérée   comme   une   des  stratégies  fonctionnelles  propre  à  l’utilisateur  de  la  langue.  Aussi,  les  étudiants  sont  libres  de  choisir  le  type  de  dictionnaire  qui  leur  convient  le  plus.  Ma  préoccupation  est  plutôt  la  manière   dont   on   utilise   le   dictionnaire.   Certains   étudiants   tentent   de   chercher   tous   les  mots  dans  le  dictionnaire  lors  de  lectures  ou  d’écriture  d’un  texte.  Il  est  certain  qu’il  est  très  important  de  s’assurer  de  l’utilisation  des  mots  afin  de  trouver  le  mot  le  plus  approprié  pour  s’exprimer.  Mais,  en  même  temps,  l’utilisateur  de  la  langue  doit   pouvoir   «  se   débrouiller  »   avec   les  mots   dont   il   dispose.   Lors   des   lectures,   pouvoir  inférer  le  sens  d’un  mot  à  partir  du  texte  est  également  une  compétence  très  importante.  Ainsi,  dans  notre  établissement,  lors  d’un  examen  de  rédaction  de  3  heures,  les  étudiants  sont  autorisés  à  utiliser   le   dictionnaire  durant   la  dernière  heure.   Cependant,   je   dis   aux  étudiants  de  ne  pas  croire  toutes  les  choses  qui  se  trouvent  dans  les  dictionnaires  gratuits  en  ligne  et  leur  propose  de  consulter  plusieurs  dictionnaires.  Par  contre,  pour  encourager   les  étudiants  à  pratiquer   l’auto-­‐apprentissage  de  kanji,   les  applications   ou   les   sites   pour   smartphone  ou  ordinateur,   comme  ANKI   ou  Weblio,   sont  d’une  grande  aide  pour  les  étudiants.  Les  étudiants  ont  très  souvent  plus  d’informations  à  partir  de   ces  applications  qu’à  partir  des   enseignants.  C’est  pourquoi  dans  notre   cours,  nous   organisons   plusieurs   sessions   où   les   étudiants   peuvent   présenter   des   sites   et   des  applications  utiles  pour  eux.    

Makoto  Saitô  (Maison  de  la  culture  du  Japon  à  Paris)  :  

Le  site  d’auto-­‐apprentissage  en   ligne  «  Marugoto  Plus  »   (http://marugotoweb.jp/)  de  notre  méthode  «  Marugoto  :   langue  et  culture  japonaise  »  propose  des  pages  d’exercices  pour  les  trois  niveaux  débutant  (A1),  élémentaire  1  (A2.1)  et  élémentaire  2(A2.2).  Ce  site  propose  pour  chaque   leçon   le  sens  des  nouveaux  caractères,   l’ordre  des   traits,    

des   feuilles   d’exercices   à   imprimer,   des   exercices   de   lecture   et   l’on   encourage   les  apprenants  à  les  utiliser  dans  le  cadre  de  leur  auto-­‐apprentissage.  Nous  avons  également  sorti  le  «  Memory  Hint  »  de  ce  site  sous  forme  d’une  application  nommée  «  Kanji  Memory  

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Hint  »   pour   proposer   un   outil   souple   et   facile   pour   un   travail   de   mémorisation   de  caractères.  Nous  ne  recommandons  pas  de    dictionnaire  papier  partir  car  il  nous  semble  qu’il  n’y  a  

pas  encore  en  France  de  dictionnaire  d’apprentissage  adapté  aux  apprenants  débutants.  Nous  laissons  à  chaque  apprenant  la  liberté  de  tester  et  de  choisir  les  sites  et  applications  qui   leur   conviennent.  Nous  attendons   la  publication  d’un  dictionnaire  de   japonais  pour  les   apprenants   de   langue  maternelle   française   qui   propose   des   le   sens   et   des   exemples  adaptés.    

Tomoko  Higashi  (Université  de  Grenoble-­‐Alpes)  :      Aujourd’hui,  je  constate  que  les  compétences  et  les  attitudes  des  étudiants  face  aux  kanji  sont   plus   diversifiées   qu’autrefois,   ce   qui   est   sans   doute   lié   à   l’existence   de   nombreux  outils   et   ressources   numériques   en   accès   libre.   Il   y   a   des   étudiants   qui   ont   renoncé   à  apprendre/mémoriser   les  kanji,  à   réfléchir   s’ils   les   connaissent  déjà  ou  non,   et  qui   sont  complètement   dépendants   de   l’outil   indiquant   la   lecture.   Même   si,   d’un   point   de   vue  purement  fonctionnel,  ces  étudiants  ont  finalement  accès  au  sens  du  texte,  je  ne  considère  pas   qu’ils   soient   autonomes   car   ils   ne   mettent   pas   en   œuvre   la   moindre   stratégie  d’inférence  et  surtout  je  vois  qu’ils  sont  mal  à  aise  devant  un  texte  s’ils  ne  disposent  pas  d’outil  pour  leur  indiquer  les  furigana.  D’un  autre  côté,  Il  y  a  des  étudiants  qui  recourent  très  habilement  aux  différents  outils  numériques  selon  leurs  besoins  pour  accomplir  des  tâches   communicatives   données   (par   exemple   «  lire   le   site   d’une   entreprise  »).    L’utilisation   des   outils   numériques   doit   être   un   bon   complément   de   leur   compétence  d’inférence  (graphique,  lexique,  grammaticale  et  textuelle).  C’est  pourquoi  j’ai  insisté  sur  l’importance  de  la  connaissance  et  de  la  méta-­‐connaissance  des  kanji  de  base  ainsi  que  la  formation  pour  éveiller  la  conscience  et  les  stratégies  mentionnées  plus  haut.    En  ce  qui  concerne  le  dictionnaire,  la  majorité  de  mes  étudiants  utilisent  un  dictionnaire  sur  leur  smartphone.  Selon  moi,  trouver  un  outil  pratique  et  adapté  à  leur  portée  est  une  condition  première  pour  assurer  l’autonomie  des  étudiants.    Et   le  problème  n’est  pas  de  savoir  s’il   faut  choisir  le  dictionnaire  papier,  électronique  ou  en  ligne,  etc.  Il   faut  choisir  un  bon  dictionnaire  adapté  au  but.  Pour  choisir  un  mot  japonais,  par  exemple  pour  une  activité  de  rédaction  ou  une  traduction  français-­‐japonais,  il  faut  un  dictionnaire  riche  en  exemples,   et   la   majorité   des   dictionnaires   proposés   sur   smartphone   s’avèrent   trop  sommaires.   Pour   chercher   la   prononciation/le   sens   d’un   kanji   dans   le   texte   le   plus  rapidement  possible,  une  application  avec  écran  tactile  serait  très  utile.  Mais  pour  cela,  il  est   nécessaire   que   l’étudiant   ait   acquis   la   règle   de   base   des   kanji.   Pour   le   travail  d’apprentissage   individuel   des   kanji,   il   y   aurait   des   dispositifs   intéressants   permettant  aux  étudiants  de  percevoir  simultanément  la  prononciation,  le  tracé  avec  animation,  et  le  sens,   etc.   Il   y   aurait   des   jeux   pour   apprendre   de   façon   ludique.     Cependant,   nous   ne  connaissons   pas   tous   ces   outils…   C’est   pourquoi   il   me   semble   important   que   les  enseignants   inspectent   ces   outils   (comme   ils   font   l’analyse   de  manuel)   et   prévoient   un  travail  de  mise  en  commun  sur  les    pratiques  de  chaque  étudiant  dans  la  classe,  quel  que  soit  le  niveau  et  l’objectif  de  la  formation.  Aujourd’hui,  cela  me  semble  faire  partie  du  rôle  de  l’enseignant…      Faut-­‐il   écrire   à   la  main   ou   au   clavier  ?   Il   est   vrai   que   c’est   inquiétant   si   des   étudiants  débutants   utilisent   exclusivement   l’ordinateur   mais   il   est   aussi   inquiétant   que   des  étudiants  B1  ne  sachent  pas  écrire  un  texte  correctement  sur   l’ordinateur  (un  mail,  par  exemple).  A  mon  avis,  écrire  sur  l’outil  «  numérique  »  est  une  compétence  indispensable  à  former  à  l’université.  Quant  à  l’écrit  à  la  main,  je  ne  pense  pas  que  l’écriture  manuscrite  

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doive  être  imposée  à  tous  les  étudiants  durant  tout  leur  apprentissage  (mais  la  majorité  des   étudiants   en   licence   écrivent   à   la   main   dans   mes   cours).   Toutefois,   la   notion   du  mouvement  de  traits  des  kanji  et  des  kana,  et   les  gestes  associés  doivent  être  acquis  au  début  de   l’apprentissage.   Je  peux  citer   le  cas  d’un  étudiant  qui  était  dans  mon  cours  de  B1-­‐2  qui  a  apparemment  appris   le   japonais  en  autodidacte  avant  d’intégrer  ce  groupe.  Au  fil  du  temps,  j’ai  découvert  qu’il  recopiait  tous  les  textes  distribués  en  cours  à  la  main  chez  lui  et  il  a  une  belle  écriture  (C’est  un  étudiant  en  informatique  !).  J’ai  alors  compris  que  cela  était  sa  méthode  pour  apprendre  une  langue  en  autonomie.  Chacun  peut  choisir  sa   stratégie   d’apprentissage   et   la  mettre   en  œuvre.   Cet   étudiant   a   trouvé   tout   seul   la  sienne  mais,  en  général,  c’est  le  rôle  de  l’enseignant  d’aider  à  en  prendre  conscience,  me  semble-­‐t-­‐il.  Si   les  étudiants  sont  plus  à  l’aise  avec  les  claviers,   je  ne  pense  pas  qu’il   faille  l’interdire.      

Pour  conclure,  souhaitez-­‐vous  ajouter  quelque  chose  sur  la  question  ?    Lionel  Seelenbinder-­‐Mérand  (Cité  scolaire  La  Fontaine,  Paris)  :  

Il  est  un  autre  aspect  de  l’informatique  que  l’on  ne  doit  pas  négliger  non  plus,  c’est  celui  des  multimédias.  Même  si  elle  concerne  essentiellement  la  capacité  à  lire,  de  manière  passive,  c’est   une   fonction   très   efficace   pour   associer   le   signe   graphique   aux   sons,   et   donc   à   la  prononciation,  par   le  biais  des   fichiers  audio,  ou  de   la  vocalisation  numérique  des   textes.  C’est  la  raison  pour  laquelle,  nous  encourageons  toujours  les  élèves  à  pratiquer  le  karaoke,  ou  à  voir  des  films,  des  anime  et  des  séries  sous-­‐titrés  en  japonais,  sans  qu’ils  en  abusent,  ou  a  écouter  tout  en  les  lisant  des  textes  enregistrés  divers  et  variés.    Si   l’outil   informatique   est   indéniablement   une   aide   et   un  moyen   de  motiver   les   élèves,   il  peut  être  aussi,  pour  finir,  une  stratégie  de  remédiation.  Les  élèves  viennent  encore  souvent  nous   voir,   en   affirmant   qu’ils   ont   du  mal   à   assimiler   à   long   terme   les   kanji.   En   plus   des  conseils   classiques   que   nous   pouvons   leur   prodiguer,   comme   les   inciter   à   jouer   avec   les  associations   formelles   ou   sémantiques,   en   se   constituant   par   exemple   des   collections   de  kanji  sur  fiches,  ou  de  les  transformant  en  objets  artistiques,  nous  proposons  de  plus  en  plus  souvent   l’outil   informatique,   comme   moyen   de   remédiation,   qui   prend   déjà   en   charge  toutes   ces   possibilités,   mais   en   les   aiguillant   également   sur   les   logiciels   d’écritures  manuscrites   qui   leur   permettent   de   répéter   le   geste   graphique,   avec   un   aspect   plus  motivant,  comme  une  ardoise  interactive  [intelligente]  qui  peut  s’avérer  très  efficace  pour  l’acquisition  du  geste,  et  une  bonne  mémorisation.  Malgré   tout,   nous   constatons   depuis   plusieurs   années   progressivement   la   perte   du   geste  graphique,  ainsi  qu’une  baisse  générale  de   connaissances   en   ce  qui   concerne   l’utilisation  des  clefs,  de  l’ordre  des  traits  et  de  leur  particularité  graphique,  car,  avec  l’utilisation  des  dictionnaires   électroniques,   entre   autre,   les   élèves  mobilisent   toujours  moins   ces   savoirs  pour   écrire.   Un   autre   déficit   se   fait   peut-­‐être   plus   inquiétant   encore,   c’est   celui   de   la  maîtrise   du   tsukaiwake   [l’usage   correct   d’un   caractère   en   fonction   du   contexte],   elle   est  pourtant   nécessaire   aussi   bien   lorsqu’on   choisit   ses   kanji   en   écrivant   de   manière  manuscrite,   mais   aussi   pendant   leur   saisie.   Dans   ce   deuxième   cas,   une   aide   directe   est  toujours   envisageable   lors   de   la   frappe,   grâce   à   une   petite   fenêtre   qui   fournit   une  explication  sur  les  différentes  nuances  existantes.  Si  l’outil  informatique  vient  en  aide  -­‐  c’est  son  rôle   -­‐,   il  ne  doit  pas  se  substituer  à   l’intelligence  humaine.  Notre  plus  grande  crainte  reste   donc   que   élèves   ne   comprennent   pas   qu’en   étant   toujours   plus   passifs,   leurs  connaissances   seront  moins   riches,   qu’elles   se   nourriront  moins   les   unes   et   les   autres,   et  qu’ils   deviendront   dépendants   de   la   machine,   et   ne   pourront   que   difficilement   acquérir  l’autonomie   nécessaire,   ou   qu’ils   aient   une   utilisation   naïve   de   l’informatique,   un   peu  comme  l’usage  abusif  d’un  dictionnaire,  peut  être  un  frein  à  l’apprentissage.    

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Notre  pratique  passera  sans  doute  à   l’avenir  par   l’emploi  de   tablettes  connectées  à  l’ordinateur  principal  de  la  classe,  ce  qui  nous  permettra  d’être  tous  en  interaction  écrite,  en  plus  de  celle  de  l’oral.  Cette  possibilité  nous  est  déjà  offerte,  de  manière  embryonnaire,  grâce  aux  TBI  [Tableau  Blanc  Interactif],  elle  se  développera  sans  doute  davantage.  Notre  rôle  continuera  nécessairement  d’évoluer  auprès  des  élèves,  puisqu’ils  ont  un  accès  de  plus  en  plus  direct  aux  savoirs,  sans  passer  par  le  professeur,  il  ne  nous  reste  plus  qu’à  les  guider  au   milieu   de   cette   surabondance   d’informations   et   de   signes,   de   leur   donner   les   outils  nécessaires  pour  développer  leur  sens  critique  et  leur  autonomie.  Cela  nécessitera  un  gros  investissement   financier   de   la   part   des   autorités,  mais   aussi   de   temps   pour   nous   afin   de  réinvestir  notre  métier.    

Naoko  Sakurai  (Université  de  Louvain)  :  

Pour  résumer  mon  avis  sur  l’apprentissage  des  kanji,  je  considère  qu’il  y  a  trois  objectifs  et   que   des   méthodes   différentes   peuvent   être   proposées   selon   les   objectifs.   Le   premier  objectif   est   de   constituer   un   stock   de   connaissances   idéographiques.   Pour   cela,   la  méthode  traditionnelle,  c’est-­‐à-­‐dire  les  exercices  d’écriture,  sont  toujours  très  efficaces.  Le  deuxième   objectif   est   d’aider   à   développer   les   stratégies   de   compréhension   de   kanji.    L’acquisition   des   stratégies   langagières   est   une   clé   pour   pouvoir   utiliser   la   langue   de  manière  indépendante.  De  plus,  chaque  stratégie,  comme  la  stratégie  de  compréhension  de   kanjis   ou   la   stratégie   de   lecture   sont   fortement   liées   entre   elles.   Nous   devons   les  développer   tout   au   long   du   cursus   par   des   activités   variées.   Il   faut   enfin   aider   les  étudiants   à   trouver   leur   propre   manière   d’étudier   les   Kanji.   Apprendre   les   kanji   est  finalement   un   travail   constant   et   individuel.   Les   enseignants   proposent   le   plus   de  manières  possibles  afin  que  chacun  puisse  trouver  une  façon  qui  lui  convient  le  plus.  Pour  cela,  j’organise  des  sessions  dans  lesquelles  les  étudiants  peuvent  partager  entre  eux  leurs  expériences  et  leurs  opinions  sur  l’apprentissage  des  kanjis.  

 Tomoko  Higashi  (Université  de  Grenoble-­‐Alpes)  :    

Pour   résumer,   je   voudrais   insister   sur   les   points   suivants.   Le   kanji   n’est   pas   un   objet   à  étudier   à   part,   mais   fait   bel   et   bien   partie   de   la   compétence   linguistique,   qui   est   une  composante  de  la  compétence  communicative.  L’innovation  technologique  et  numérique  favorisera  cet  apprentissage.  Cependant,  pour  exploiter  pleinement  ces  possibilités,  il  faut  un   travail  d’inspection,  d’évaluation  et  de  mise  en  commun  des  pratiques  en  amont…   il  nous   manque   encore   des   informations.   Les   étudiants   peuvent   bénéficier   des   supports  numériques  pour  accomplir  leur  tâche  langagière  aussi.  Mais  la  connaissance  et  la  méta-­‐connaissance   sur   les   kanji,   les   règles   fondamentales   sur   les   kanji   me   semblent  primordiales   si   les   étudiants   veulent   être   au   moins   utilisateurs   indépendants   de   cette  langue  (CECRL  B1)  et  souhaitent  profiter  pleinement  des  dispositifs  numériques.      

(Propos  rassemblés  par  Jean  Bazantay)  

 

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Enseignement des kanji à l’INALCO

Sumie Terada, CEJ

1. Le programme de Kanji à l’INALCO

L’objectif des études japonaises chez nous est de former des spécialistes de la langue et de la culture japonaises, capables de jouer le rôle d’interface entre les deux cultures dans des domaines variés, que ce soit dans le domaine la recherche ou dans diverses voies professionnelles. Pour cette raison, le poids de l’écrit chez nous peut être plus important qu’ailleurs. Nous avons fixé à 1500 le nombre de kanji à apprendre sur 3 ans, qui se répartissent actuellement de la manière suivante :

Niveau Nombre par période A la fin de la période 1ère année 400 400 Vacances 86 2e année 387 873 Vacances 92 3e année 535 1500

Bien qu’on ne demande que la lecture pour les kanji appris après la 2e année (un peu plus de

600), le programme est lourd. Or, le volume horaire des cours n’est pas très important. L’apprentissage des kanji représente pour la première année 2 heures hebdomadaires, soit environ 15 % de l’ensemble des cours de langues et environ 10 % de la totalité du volume horaire de l’année. En 2e année, le volume horaire diminue (1h30 par semaine), et en 3e année, il n’y a pas de cours dédiés au kanji. Autrement dit, le travail individuel des étudiants joue un rôle capital. Les manuels sont conçus pour répondre à cette condition, et nous encadrons le travail des étudiants à l’aide de matériels pédagogiques, un accompagnement indispensable des manuels. Sur ce plan, la 2e année a pris un retard que nos collègues sont en train de rattraper.

Notre enseignement est donné dans un cadre universitaire dont une mission importante, sinon principale ces derniers temps, est de former l’esprit des étudiants, de développer leur capacité de réflexion. Dans un établissement comme le nôtre, où la part de l’apprentissage de la langue est importante (2/3 des cours pour la première année), les cours de langue doivent également répondre à cette exigence. Pour cette raison, le cours de kanji de la première année n’adopte pas une approche purement scolaire centrée sur le seul effort d’assimilation. Nous demandons aux étudiants de combiner deux manières de travailler : une approche analytique et synthétique, et l’apprentissage patient et répétitif, seule façon de maîtriser dans un court délai un nombre important de kanji. 2. Environnement et approche de l’enseignement Nous avons plus de 300 étudiants à la fin de la 1ère année et il y a donc une diversité de profils plus importante par rapport aux petites structures. Les manuels de kanji sont conçus pour répondre aussi bien aux besoins des étudiants qui demandent ou nécessitent le strict minimum et de ceux qui sont intéressés par des études approfondies. Des repères sont donnés pour indiquer les éléments prioritaires ou moins importants, et cette distinction devient plus importante à mesure que les étudiants progressent. Ils sont invités à structurer eux-mêmes leur apprentissage. Les manuels de kanji de la 1ère

à la 3e année sont dotés de repères afin de les aider à maîtriser le strict minimum sans les y enfermer. Ainsi, pour les kanji de la première année, les éléments précédés d’un triangle ne font pas

l’objet de contrôle. Ils sont donnés simplement par souci pédagogique. Ceux qui sont indiqués en-dessous d’une ligne pointillée ne font l’objet ni d’explication en cours ni de contrôles. Ces éléments sont néanmoins intégrés dans le manuel dans la perspective de l’apprentissage de la licence sur 3 ans. Nous présentons à la page suivante un extrait de la première leçon :

 

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Les manuels de la 2e et de la 3e années sont conçus selon le même principe, d’une manière

visuelle pour la 2e année, et avec un choix de mots précédés d’un astérisque pour le vocabulaire de la 3e année.

3. Principes de base

Dans l’enseignement des kanji, nous insistons sur deux principes fondamentaux, qui sont sans doute appliqués partout ailleurs. Il s’agit de ne jamais dissocier la forme, le son et le sens, en mettant l’accent sur le dernier élément, le sens, car celui-ci pose le plus de problèmes aux étudiants qui n’ont connu que l’écriture phonétique, et qui n’ont donc pas dans leur système d’écriture cette dernière case. Dans l’apprentissage des kanji, on a tendance à insister sur le côté graphique qui fascine les étudiants et qui est facilement intégrable à un programme informatisé. Mais à privilégier à l’excès cet aspect graphique, on risque d’éclipser la composante la plus intéressante et la plus difficile à assimiler des kanji, qui est leur sens.

Le 2e point important sur lequel nous insistons pour que les étudiants partent sur une bonne base, c’est de leur faire comprendre la différence qui existe entre les kanji tels quels et les kanji qui font partie des mots. Pour cela, nous utilisons un cahier.

 

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La partie en haut avec les cases de lecture grisées est réservée aux kanji tels quels. On demande aux étudiants de ne pas mettre la lecture à ce niveau, mais uniquement au niveau des mots, pour qu’ils comprennent que les kanji seuls sont des signes amorphes, avec un contour imprécis qui se précise seulement quand ils sont combinés avec d’autres éléments. Dans ce tableau, seuls font exception les kanji dont la case de lecture est signalée par une lettre suivie des signes prime ou double prime. Comprendre la différence entre 何 (d : sans lecture), un pur signe graphique, d’un côté, et 何 (d’ : nani) et 何 (d” : nan), notant des mots entiers, de l’autre, est le premier pas indispensable pour bien progresser dans l’apprentissage des kanji.

Pour sensibiliser les étudiants à l’importance de l’association de la forme, du son, et du sens, nous exploitons des mots qui ont une forme identique mais donnent des lectures différentes afin d’aiguiser l’intérêt pour le sens et pour les contextes. On utilise ce type d’exercice également pour la prise de conscience des problèmes de lecture, ce qui est en fin de compte la composante la plus difficile de l’apprentissage des kanji.

Suivant ce principe, on fait apprendre les kanji dans les mots qui ne contiennent pas d’éléments inconnus à la fin des leçons.

 

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La lecture « bun » à la leçon 4 est donnée avec indication (L 10). Cette lecture sera donc apprise dans la leçon 10 avec l’apprentissage du kanji 新. Et l’introduction décalée de cette lecture par rapport aux autres étudiées dans la leçon 4 est signalée dans la liste récapitulative donnée à la fin de la leçon 10, avec le kanji encadré pour le mettre en évidence. Les lectures hors programme comme « ka » pour 何, présenté plus haut, ne figurent pas dans la liste.

Sans entrer dans les détails sur l’approche analytique concernant les formes, signalons simplement que les types d’erreurs faites par les étudiants montrent qu’ils procèdent par un apprentissage synthétique, par combinaison des éléments qu’ils ont appris.

Nous signalons aux étudiants que la maîtrise des formes proches devient l’objectif premier du

2e semestre. Pour ce qui est du sens, nous encourageons également des approches raisonnées en nous

focalisant sur des points qui risquent de produire le plus d’erreurs étant donné le système de la langue française sur lequel les étudiants s’appuient intuitivement.

 

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Le premier mot 山国 est un cas typique. Beaucoup le traduisent par « montagne du pays » sur la base de la construction standard de la détermination en français, qui est la postposition du déterminant. Nous insistons que dans les composé, ce dont on parle occupe la dernière position du mot, autrement dit, quand on dit 山国, on ne parle pas de « montagne » 山, mais de « pays » 国. De même, pour les composés comme 動物園, on demande aux étudiants de découper correctement le mot, en insistant sur le fait que là aussi, on parle d’un type de « jardin » 園, et non d’« animaux » 動物.

Même si cela provoque des erreurs, nous encourageons les étudiants à chercher à comprendre les mots en activant les connaissances qu’ils ont acquises, tout en leur montrant les limites, et insistant sur la nécessité d’une vérification.

• Exemples des erreurs :

長男 : homme grand 水道 : voie navigable

• Exemples des sujets 人間は水力や火力で電力を作ります。

Voici des erreurs qu’on rencontre. Les étudiants savent dire correctement « homme grand » « 大きい男の人», donc forcément « 長男 » a un sens différent. Ils ont appris d’un autre côté que « 長 » a le sens de « chef », le premier d’un groupe, parmi les membres masculins à cause du second kanji 男, mais rien ne dit qu’il s’agit d’une famille. La formation du sens n’est donc pas si évidente, mais ce type de raisonnement aide à mémoriser les mots. Pour ce qui est de 水道 (canalisation), le contexte aide : on ne pensera pas aux bateaux quand il s’agit d’une installation dans un appartement ou dans une ville. Pour inciter des approches raisonnées, suite à la proposition de Mme Konuma, actuelle responsable de l’apprentissage des kanji de la première année, nous demandons lors des examens, que les étudiants sachent lire et traduire correctement quelques mots qu’ils n’ont pas appris. Dans la phrase donnée comme exemple, les étudiants n’ont appris ni 水力 ni 火力. La lecture ne pose pas de problème puisqu’ils savent que la modalité la plus fréquente des composés est la lecture on. Quant au sens, nous sommes exigeants pour le choix des mots, et par souci pédagogique nous n’acceptons que les traductions qui correspondent au contenu de la phrase : énergies hydraulique et thermique, et nous rejetons la réponse comme « force de feu » etc. qui pourraient être valables dans une histoire de la sorcellerie. 4. Formation des étudiants universitaires Le rôle d’interface entre deux cultures que les étudiants devront jouer après l’obtention du diplôme demande une compétence en français. Jusqu’aux années 90, les étudiants avaient un bon niveau de français, et il suffisait de leur enseigner seulement le japonais. Maintenant ce n’est malheureusement plus le cas. La remise au niveau du français n’est pas notre rôle, cependant nous tâchons d’améliorer leur capacité à trouver en français des mots équivalents en japonais, un travail de nature différente de la rédaction spontanée en français.

 

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Cela demande qu’on soit exigeant sur des choses simples et qu’on n’accepte pas la traduction d’un phrase comme : あの店でお茶を飲みましょう par « Allons boire un thé dans ce magasin » ou « dans cette boutique ». C’est pour cela que nous combinons exercices d’écriture, de lecture et de traduction, trois compétences qui correspondent aux trois composantes interdépendantes de l’apprentissage des kanji. 5. Kanji et nouvelle technologie • Dictionnaires électroniques et autres outils informatisés

Lorsqu’on apprend le français, après une année ou deux de cours, on peut commencer à lire Madame Bovary, en consultant beaucoup le dictionnaire et en s’aidant au besoin de la traduction pour les passages les plus difficiles. Avant l’ère des dictionnaires électroniques, c’était un rêve irréalisable pour l’apprentissage du japonais. Comme la lecture est le versant le plus difficile du kanji, chercher dans un dictionnaire l’entrée d’un mot comprenant des kanji pour en trouver le sens était un parcours du combattant. Ainsi les étudiants disaient qu’ils avaient bien travaillé quand ils avaient recherché les mots d’un texte dans leur dictionnaire. Grâce aux dictionnaires électroniques, ils peuvent maintenant se consacrer à un travail intellectuellement plus rémunérateur. Vive le dictionnaire électronique ! pourrait-on dire. Mais se pose inévitablement une question : à partir de quand faut-il l’introduire comme outil de travail ?

D’après ce que nous avons observé depuis quelques années, son utilisation dès la première année n’a que des effets néfastes. Car des erreurs que nous ne rencontrions pas précédemment sont en augmentation à cause de l’utilisation erronée de cet appareil. Voici deux exemples :

この町は公園も多いし → 大石

歯が痛みます。 → 葉が傷みます。 Il s’agit d’exercices d’écriture et de compréhension qui demandent de réécrire avec des kanji des phrases données entièrement en hiragana. Ces deux réponses présentent un même problème: elles comportent des kanji qui ne sont pas au programme : 石 et 傷み. Les étudiants ont dû rédiger leur réponse en recopiant l’écran de leur dictionnaire électronique sans bien comprendre ce qu’ils ont écrit. La suite incohérente de caractères « 公園も大石 » le suggère. Autrement dit, l’emploi sauvage des dictionnaires électroniques favorise un comportement désastreux pour ceux qui commencent à apprendre une langue. Ce geste dépourvu de sens donne aux étudiants l’illusion d’avoir fait quelque chose mais en réalité sape les bases d’un apprentissage progressif et raisonné des kanji. Si les étudiants vont au gré de ce qu’affiche l’écran, ils se noieront très vite dans l’océan des kanji étant donné le grand nombre d’homophones. Pour pouvoir se servir avec intelligence d’un dictionnaire électronique, il faut avoir atteint un niveau de base solide permettant de faire des choix appropriés, niveau qu’on pourrait situer par exemple au 2e semestre de L2. • Usage de l’écran

C’est naturellement très utile d’enseigner avec un système comme PPT, qui permet de structurer visuellement les cours, de les enrichir de données variées, comme les formes étymologiques de kanji intéressantes à montrer, de concentrer l’attention des élèves... Il ne faudrait cependant pas considérer cet outil comme une panacée. On n’a pas vu de différence dans le résultat final de première année entre les groupes qui ont appris les kanji avec PPT et ceux qui l’on fait sans PPT, sans doute parce qu’une clarté visuelle moindre est compensée par la démonstration corporelle des enseignants. Or pour les étudiants, cette dimension corporelle est primordiale dans l’apprentissage des kanji. On peut dire oui à l’écran dans la mesure où celui-ci ne chasse pas l’appropriation des kanji par la main.

Toutes ces considérations révèlent une richesse de domaines qu’embrasse l’apprentissage des kanji qui mobilise d’une manière équilibrée le corps et l’intellect. L’enseignement à l’INALCO qui évoluera avec les étudiants est un exemple de tentative qui cherche à associer ces divers aspects