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LA JUSTICE - QUELLE REDISTRIBUTION POLITIQUE DES BIENS PEUT ETRE JUSTE ? Vendredi 20 mai 2016 par Serge Durand - Philosophie Sommaire Quelle redistribution politiqu , p1 INTRODUCTION , p1 A - Le salaire exorbitant (...) , p1 B - Le voile d’ignorance (...) , p1 C - Le retour du problème (...) , p1 D - Le problème de la corruptio , p1 E - Pour éviter la dérive (...) , p1 Annexe : ANTHOLOGIE de (...) , p2 A - LA PARABOLE DES PORCS-EPIC , p2 B - LE LOUP ET L’AGNEAU, (...) , p2 C - SPINOZA : quand les (...) , p2 D - HOBBES : le léviathan , p2 E - Blaise Pascal, Pensées , p2 F - Rousseau, Du Contrat (...) , p2 G - RAWLS VS NOZICK , p2 H - JOHN RAWLS [philosophe , p2 I - ARISTOTE ET LE FLUTISTE , p2 J - Esprit : L’esprit vrai , p2 K - Antigone de Sophocle (...) , p2 ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION SUR LA JUSTICE POLITIQUE COUP D’ŒIL SUR LA JUSTICE ATTENTION CETTE LEÇON EST EN PRÉPARATION !!!!! QUELLE REDISTRIBUTION POLITIQUE DE BIENS PEUT ETRE JUSTE ?

 · Web viewB - Le voile d’ignorance (...), p1 C - Le retour du problème (...), p1 D - Le problème de la corruptio, p1 E - Pour éviter la dérive (...), p1

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LA JUSTICE - QUELLE REDISTRIBUTION POLITIQUE DES BIENS PEUT ETRE JUSTE ?

Vendredi 20 mai 2016 par Serge Durand - Philosophie

Sommaire

Quelle redistribution politiqu , p1

INTRODUCTION , p1

A - Le salaire exorbitant (...) , p1

B - Le voile d’ignorance (...) , p1

C - Le retour du problème (...) , p1

D - Le problème de la corruptio , p1

E - Pour éviter la dérive (...) , p1

Annexe : ANTHOLOGIE de (...) , p2

A - LA PARABOLE DES PORCS-EPIC , p2

B - LE LOUP ET L’AGNEAU, (...) , p2

C - SPINOZA : quand les (...) , p2

D - HOBBES : le léviathan , p2

E - Blaise Pascal, Pensées , p2

F - Rousseau, Du Contrat (...) , p2

G - RAWLS VS NOZICK , p2

H - JOHN RAWLS [philosophe , p2

I - ARISTOTE ET LE FLUTISTE , p2

J - Esprit : L’esprit vrai , p2

K - Antigone de Sophocle (...) , p2

ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION SUR LA JUSTICE POLITIQUE

COUP D’ŒIL SUR LA JUSTICE

ATTENTION CETTE LEÇON EST EN PRÉPARATION !!!!!

QUELLE REDISTRIBUTION POLITIQUE DE BIENS PEUT ETRE JUSTE ?

INTRODUCTION

La justice politique doit rétablir par le biais du judiciaire un certain équilibre entre celui qui a été lésé et celui ou ceux qui l’ont lésé. La justice est exercée alors en aval des lois qu’il s’agit alors d’interpréter pour en faire respecter l’esprit. La question qui nous occupe ici est plutôt une question en amont. Comment fonder la justice politique ? Nos constitutions modernes démocratiques devraient être dans l’idéal au service des droits de l’homme de la déclaration de 1948. Les catastrophes totalitaires ont mis en cause à l’évidence les droits libertés. Les droits de l’homme de 1948 comportent des droits créances qui offrent de satisfaire un principe de sécurité d’ordre sociale. De nombreux libéraux pensent qu’ils ont été concédés aux États communistes qui n’ont guère respecté les droits libertés. D’autres considèrent au contraire que la sociale démocratie qui s’est imposée après la seconde guerre mondiale et qui satisfaisait ces droits créances tout en préservant les droits libertés est aujourd’hui menacée dans ses fondements. Ils sont clairement antilibéraux en affirmant la nécessité de contrôler de nouveau davantage la vie économique du point de vue politique dans l’optique de défendre des biens communs. Enfin le libéralisme politique en condamnant tout idéal moral qui contraindrait les individus et signifierait une atteinte à leurs libertés ne condamne-t-il pas tout républicanisme qui invite à une fraternité outre l’égalité de droit et la liberté individuelle ?

 A - Le salaire exorbitant de la star de foot ou de basket est-il juste ?

Dans l’actualité revient souvent l’idée que certains salaires sont indécents.

Certes on peut regretter que certaines personnes comme telle star de la téléréalité gagnent plus d’argent en se montrant juste à la TV que d’autres qui aident les personnes âgées ou entretiennent nos espaces verts. C’est même souvent la banalité voire la bêtise de ces stars de la téléréalité qui est leur gagne-pain en passant sur l’écran. D’un point de vue moral, il est affligeant de donner en spectacle la misère psychospirituelle. On comprend mieux notre indignité spirituelle face à un être humain évolué psychospirituellement. Face à ces personnes on se sent juste plus intelligent ou du moins on sent soudain la possibilité de la réussite sociale dans une société marchande. Cependant la politique ne peut pas faire coïncider justice, loi et morale d’après ceux qui font de la liberté individuelle la valeur politique suprême. Les libertariens affirment que l’État juste est celui qui limite égalitairement les sphères de libertés de chaque individu.

Toutefois les droits de l’homme eux-mêmes proposent un idéal alliant ces principes d’égalité de droits, de liberté, de propriété et de sécurité civile avec des droits donnant une sécurité sociale.

Les libertariens suggèrent donc que ces droits donnant une sécurité sociale au sens large menacent nos libertés fondamentales. Pour eux les droits de l’homme de 1948 sont un compromis bancal avec les États communistes liberticides.

Prenons un autre exemple où la dimension morale du gain salariale et financier est moins sujette à caution du point de vue moral. Une star du sport est rémunérée en fonction de son talent sportif. Être un sportif de haut niveau nécessite un entrainement intensif, le respect d’un régime alimentaire strict, aucun excès d’alcool, pas de tabac et bien sûr aucune drogue. Bien entendu il y a des sportifs qui se dopent. Mais certaines stars semblent bien irréprochables à ce niveau.

La star de foot n’appauvrit personne en extorquant son argent et les valeurs que sa réussite promeut sont le travail, la volonté, la persévérance, le sens du collectif (football, basket). Les publicitaires le paie car on aime le voir. Les spectateurs amateurs de ce sport font de ses prestations un événement.

Ainsi les stars sportives semblent jouir d’une redistribution de le richesse parfaitement honnête et donc juste.

En utilisant ce raisonnement Robert Nozick dans son livre Anarchie, État et Utopie justifie les différences de revenu.

Certes du point de vue de cette redistribution sociale de la richesse l’idée que des salaires soient indécents ne paraît pas fondée. D’ailleurs un salaire échappe moins facilement à l’impôt que d’autres types de biens. Qui aurait l’idée de surtaxer un capital santé lié à une bonne hygiène de vie et un corps particulièrement sain ? Qui aurait l’idée d’imposer à ceux qui ont un capital culturel important de le partager avec d’autres ?

Pour un libertarien comme Nozick qui pense que la solidarité imposée étatiquement est injustifiable, le débat sur la redistribution des biens porte en fait sur cette deuxième redistribution étatique des revenus salariaux et financiers par le biais de l’impôt.

A vrai dire si l’État reprend en impôt une grande part du salaire de cette star, n’est-il pas injuste ? n’est-ce pas cette force qui extorque l’argent que les particuliers avaient donné à cette personne ?

Revenons d’ailleurs à la star de téléréalité, pourquoi devrions-nous juger moralement le motif qui a amené des gens à regarder une émission qui générant des téléspectateurs et des internautes a attiré dès lors annonceurs et publicitaires ? Si cette personne a exploité son image à grande échelle et qu’elle devient une star sans autre raison que par l’exposition de sa personne peut-on trouver cela injuste ? D’un point de vue moral on peut trouver dommage et dommageable qu’on admire une telle personne plutôt qu’une personne témoignant de la sagesse. Mais si on prend au sérieux le danger totalitaire d’imposer une morale en politique, il faut admettre avec les libertariens que la justice ne consiste que dans la protection mutuelle de nos sphères de libertés.

On peut donc dès lors selon cette perspective se contenter d’une justice qui trace des limites entre des sphères de liberté mais qui ne se mêle pas des contrats économiques et des solidarités qui lient ces sphères de liberté sans porter atteinte à leurs libertés fondamentales.

Transition : Les salaires et revenus même exorbitants des stars ou peut-être même de certains PDG est en soi juste dans la mesure où ils ne sont pas le fruit d’une extorsion ou d’une exploitation injuste des autres. Mais faut-il ou non en redistribuer une partie par le biais de l’impôt ? Autrement dit des systèmes politiques ayant constitué un État providence sont-ils justes malgré la critique libertarienne des droits créances comme l’assurance maladie, l’assurance chômage, le droit à l’éducation, le droit au travail, etc. qu’on trouve dans les droits de l’homme de 1948 ? L’altruisme institué politiquement induit-il toujours le totalitarisme ?

 B - Le voile d’ignorance et les deux principes de justice selon John Rawls.Le philosophe John Rawls propose une expérience de pensée non altruiste pour fonder un principe de redistribution étatique donnant des droits créances. Un défenseur de l’altruisme tel que Matthieu Ricard, le moine bouddhiste connus pour ses best-sellers sur la sagesse, s’étonne qu’on puisse fonder une pensée politique en présupposant un sujet humain égoïste par nature. Il attaque clairement dans son livre sur l’altruisme ce présupposé anthropologique.

Certes la science cognitive appuyée par la neurologie montre que l’homme n’est pas foncièrement un loup pour l’homme : il y a en nous des processus cognitifs d’identification à l’autre fondés sur une capacité mimétique, ils permettent l’empathie et donc une culture de la compassion (la pitié diraient Schopenhauer). Matthieu Ricard s’en prend nommément à la personne de John Rawls en racontant le narcissisme de ce dernier qui consistait à collectionner tous les articles de presse sur son œuvre de philosophie politique.

Mais par son antilibéralisme économique au nom de l’altruisme, Matthieu Ricard, ce faisant, rate l’intérêt de la pensée sociale-libérale de Rawls.

Premièrement, l’expérience de pensée qu’il propose n’est pas fondée sur un point de vue anthropologique d’un être humain par essence égoïste.

Deuxièmement cette expérience de pensée peut s’adresser à un libertarien qui au fond exige que nos solidarités ressortent d’un libre choix donc cette expérience de pensée s’adresse à quelqu’un qui même s’il refuse une politique étatique altruiste n’en est pas moins altruiste. Elle vise à interroger son point de vue négatif sur une procédure politique de redistribution des biens.

Premier point : Les deux principes émergents sous le voile d’ignoranceImaginons que j’ignore ma position sociale et que j’ai à défendre des principes de justice, quels principes me sembleraient alors évidents ? Rawls propose d’imaginer un voile d’ignorance sur ma personne et sa position sociale, pour rendre évident les principes de justice.

Creusons cette expérience de pensée : si je mets de côté tout ce qui me constitue, fermer les yeux peut m’aider à effacer des sensations me donnant des indications sur ma personne et sa position sociale, car il est plus simple alors de poser un voile d’ignorance sur ce qui apparaît dans ma mémoire, c’est-à-dire revenus, niveau d’études, etc. mais aussi couleur de peau, âge, sexe et état de santé (une douleur à l’instant ne dit rien d’un état de santé globale mettant forcément en jeu la mémoire). Dans cette position intérieure, si je raisonne sur une éventuelle redistribution politique des biens comprenant l’individu que je suis avec l’identité et les caractéristiques que j’ignore [version rawlsienne de voile d’ignorance], quels principes de justice émergent alors ?

Le caractère fictif d’un tel voile d’ignorance peut sembler encore fort abstrait, car essentiellement mental et donc effectivement bien loin de tout altruisme. On peut toutefois parvenir à un détachement de notre identité et de nos caractéristiques beaucoup effectif et concret en observant que les yeux fermés et en mettant de côté la mémoire on peut facilement s’identifier avec toutes les identités ou caractéristiques possibles même les plus égoïstes sans en préférer aucune. Ici l’altruisme est libéral, il laisse une place raisonnable à une identité égocentrique qui estime que la part que la distribution économique lui a conférée est méritée. L’altruisme libéral accueille et entend alors une revendication égocentrique d’un droit à l’appropriation et il composé avec l’existence de ces mentalités qui exigent le pouvoir de redistribuer éventuellement leurs biens suivant leurs préférences. Cette version véritablement altruiste de l’expérience de pensée que Rawls propose si elle est bien menée dans une pratique méditative consiste bien à ignorer ou à mettre entre parenthèse mon attachement égocentrique à mon identité personnelle et ses caractéristiques et à considérer les autres et moi-même comme personnes avec leurs desiderata sur le même plan.

Faisons plus simple encore. Identifions nous à une femme de couleur, invalide physiquement et de faibles revenus (le comique Coluche remarquait qu’on est tous égaux en démocratie mais qu’on l’est moins quand même quand on est une femme, noire, laide et naine) puis identifions nous à quelqu’un qui travaille plus de 70 heures par semaine dans une start-up qui voit ses parts de marché croître et qui embauche... Quels sens de la redistribution politiquement juste émergent alors dans la mesure où je puis m’identifier à ces deux personnes ?

Dans des exercices mentaux bouddhistes de compassion, on projette celle-ci personne après personne ou d’un coup sur tous les êtres vivants à la fois à la fois. Comme le remarque Emmanuel Levinas, la justice commence quand il y a un point de vue tiers où le moi de ce point de vue tiers n’est pas impliqué dans le problème de justice qui implique les deux autres.

Dès lors, les deux principes suivants d’une justice politique ne seraient-ils pas évidents ?

1°]

Les droits libertés (égalité de droit, liberté de conscience, d’association et d’expression, droit à la sécurité civile ainsi que le droit à la propriété (l’incessibilité de son corps et des avoirs produits par la liberté d’entreprendre) seraient évidemment vus comme essentiels à une justice politique ;

2°]

Les droits créances (droit à une assurance maladie, une allocation handicap, une assurance chômage, à l’éducation élémentaire pour tous) seraient aussi évidents ; il faut envisager une redistribution juste de telle sorte que l’accroissement des biens des plus pourvus ne conduisent pas à l’amoindrissement des biens des moins bien pourvus. Au contraire il semblerait juste que l’accroissement des biens du plus pourvu entraîne un accroissement des biens de ceux qui en sont le moins pourvus.

Transition : ce second principe se base sur une autre conception de la loi :

Pour les libertariens la loi limite les sphères de liberté. La justice politique est ici entendue comme redistribution seconde des biens à une échelle plus vaste que celle des contrats économiques ou des solidarités sociales communautaristes, de classe socioculturelle ou choisies mais elle ne s’arrête pas à une simple redistribution de revenus assurant à tous logement, vêtements et nourriture. Ici la loi vise à créer une force commune démultipliée, pour partager des biens comme l’éducation, la santé, etc., ou même la possibilité de voyager.

Deuxième point : ceci n’est pas aussi irréaliste qu’on le croit : le partage d’une tarte est une procédure de justiceOn peut ensuite contester la translation de cette expérience de pensée dans une politique efficace.

Certes une procédure de pensée, ici le voile d’ignorance, entraîne chez Rawls une fondation d’une conception politique de la justice distributive. Mais nous savons malheureusement que la pensée politique n’est souvent qu’un masque idéologique des intérêts plus ou moins conscients qui animent les actes politiques.

En France, le social-libéralisme ou le libéral-socialisme qui peuvent se réclamer de Rawls sont-ils convaincants dans la mise en place d’une société juste ? Les deux principes de la justice de Rawls dont le social libéral peut se réclamer ne ressortent-ils pas encore d’une idéologie masquant le développement apparemment inexorable d’une ploutocratie [le pouvoir des plus riches] qui cherche à se doter d’un visage plus ou moins humain ? Il est temps de prendre la mesure politique de la non participation des plus riches à la redistribution politique des richesses matérielles. Elle est criante, quand, au niveau mondial, 1% des plus riches possède autant que 3,9 milliards de personnes. Le social libéralisme (ou libéral socialisme) sera convaincant le jour où il y aura une véritable criminalisation des non paiements de l’impôt proportionnel à l’impayé. On observe une criminalisation des actes de piratages des œuvres culturelles mais moins de leurs producteurs, auteurs ou acteurs quand ils contournent le fisc. L’optimisation fiscale est un « métier » (cf. Les scandales divers récents à ce sujet sur nos politiques et les paradis fiscaux) que de nombreux politiciens au discours social libéral pratiquent même en tant que métiers d’affaires (avocat fiscaliste, etc.).

Par ailleurs le social libéralisme actuel est de moins en moins convaincant en ce qui concerne le partage des biens éducatifs ou les biens de santé [nous creusons ce point plus loin].

Faut-il dès lors être antilibéral autant économiquement que politiquement et estimer que la valeur infinie de l’amour des prochains ne peut tolérer de telles injustices au nom d’une liberté dévouée et illusoire (du point de vue spirituel) ?

Quoi qu’il en soit nous connaissons tous des mécanismes de justice procédurale. La procédure de partage garantit alors la justesse du partage. Les illusions du social-libéralisme en faveur d’une ploutocratie à peine masquée

n’empêchent pas d’envisager de nouvelles procédures de redistributions empêchant ceux qui en ont la charge d’en être juge et partie pour le bénéfice de leurs propres solidarités choisies et socioculturelles. Sans risquer de retomber dans un totalitarisme sous couvert d’altruisme mais sans non plus cautionner les injustices de plus en plus insupportables pour notre regard de plus en plus conscient de la valeur infinie de l’amour des prochains, réinventer des procédures sociales-démocrates de justice dans le domaine de l’éducation, de la santé, etc. empêcheraient la dérive ploutocrate du social libéralisme.

Voici un exemple simple de justice procédurale concrète que tout le monde a déjà expérimenté.

Comment imposer à celui qui découpe une tarte de tirer parti de son intervention dans le partage ? Cette procédure doit faire face à 3 cas.

1er cas : celui qui découpe la tarte a la vertu de justice.

2e cas : celui qui découpe la tarte est gourmand.

3e cas : celui qui découpe la tarte veut manger une part pour le symbole mais veut limiter les calories ingérées

Tout le monde ou presque connaît la procédure : celui qui découpe la tarte devra se servir en dernier et la pelle à tarte ne sera pas placée sous une part.

Celui qui fait un régime calorique ou le gourmand ne pourront pas prendre le risque de faire des petites ou des grosses parts car l’un risque de se retrouver avec une grosse part et l’autre une petite. Bien sûr l’adepte du régime peut toujours redistribuer une part de sa part non consommée mais on peut rajouter une règle pour éviter une éventuelle perversion qui consisterait à tirer parti de ce surplus vis-à-vis des autres.

Troisième point : la critique spiritualiste du mérite personnel avec lequel les libertariens justifient le rejet des droits créances.Revenons sur les affirmations concernant le mérite qui sont là base du raisonnement libertarien. La répartition sociale des biens serait juste dès lors qu’elle est méritée. Or l’État, en redistribuant les biens, entache forcément le mérite social et déconsidère la liberté des gens concernant leur sens du partage et de l’échange des biens.

Remarquons d’abord que cet argument libertarien ne permet guère de justifier comme mérite l’héritage de fortune économique. On peut certes justifier de façon libertarienne ce choix de confier sa fortune à qui on le souhaite. Mais l’héritier se retrouvant ainsi positionné socialement aussi favorablement a-t-il un quelconque mérite personnel ? La rareté des changements favorables de positions sociales ne relativise-t-elle pas l’argument du mérite. L’économiste Piketty a montré que dans une économie à croissance faible, l’héritage devenait l’atout majeur dans les positions sociales économiques.

Il y a un poncif libéral (et libertarien) assez pauvre réflexivement qui doit ici être déconstruit : par l’égalité des droits ou l’accès égal à l’éducation chacun pourrait avoir la position sociale qu’il mérite par son travail, sa persévérance, ses qualités relationnelles, etc. Bourdieu a montré statistiquement le poids de ce qu’il a désigné comme capital culturel. Même si une politique limitait drastiquement les héritages pour vraiment en finir avec le clanisme et les castes, nous savons que nous ne pouvons pas et ne devons pas retirer ce capital culturel (ce qui est contraire aux conséquences que certains tirent de l’existence d’un capital culturel). Autant une concentration de richesses en une seule main est désastreuse du point de vue du bien commun, autant la présence d’un capital culturel ou spirituel élevé au main d’une personne ne peut qu’enrichir la société entière et la nation. À vrai dire c’est la seule chose qui peut se partager sans se perdre. Ici l’influence du matérialisme marxiste qui a inspiré Bourdieu et surtout ses épigones voulant la destruction d’une culture humaniste ne favorisant selon eux que les plus aisés a produit l’oubli de cette évidence spirituelle : la notion de capital culturel est biaisée à cause du terme même de « capital » qui donne l’impression qu’il s’agit d’un bien matériel ou du moins d’un avoir à partager. Or l’éducation met en jeu la transmission d’une manière d’être. Reste que certains savoirs ne sont pas transmis hors d’initiations selon des critères qui peuvent faire l’objet de discussion. Ces savoirs ont vraiment alors quelque chose de l’avoir. Dans quel mesure le savoir lié à un brevet peut-il être un monopole surtout s’il s’agit d’un médicament ou d’un vaccin à produire urgemment et en grande quantité.

Dans son livre Justice tiré de son cours qu’on trouve ici et qui nous inspire ici dans cette leçon pour penser la justice distributive, Michael Sandel aux étudiants de Harvard qui seraient les aînés dans leur famille de lever la main : plus de 80% le sont. Cette question met en jeu dans les familles américaines une attention et une exigence éducative qui est donnée davantage aux aînés. Et il n’est pas certain que les parents en aient pleinement conscience. Qu’on le veuille ou non, même si par nos choix et nos prises de conscience nous avons une part de liberté, il y a des déterminations sociales, culturelles, psychologiques, biologiques, etc. Ces déterminations affectent même notre transmission des capacités intellectuelles, culturelles et spirituelles.

Reprenons l’exemple de nos stars du sport. Leur mérite est-il si personnel que cela ? Premièrement leur corps a des qualités propres d’ordre physiologique et génétique dont ces stars ne peuvent revendiquer un mérite personnel. Deuxièmement leur milieu social et familial a fait que leur corps et leur intelligence corporelle a pu croître de la manière la plus appropriée à leur réussite. Troisièmement nul ne peut nier qu’un sportif de haut niveau est devenu ce qu’il est grâce à des rencontres, des transmissions de connaissances, etc.

Plus globalement mon ego ne peut agir indépendamment du tout de l’univers. Je ne suis rien sans la société humaine, rien sans l’écosystème, sans la planète, sans le soleil, la galaxie, l’univers et plus près de moi, mon ego ne peut rien sans une organisation organique précise, sans les processus cellulaires, moléculaires, atomiques, corpusculaires, etc. Enfin celui qui touche à la perfection agissante sait que son ego n’est pas l’auteur de son intuition créatrice qu’elle soit mentale, émotionnelle ou physique : il témoigne d’un soudain élargissement de sa conscience, comme d’une participation à un élan créateur transcendant la réalité immanente.

L’humilité c’est-à-dire le sens de soi personne comme créature (ou entité, si l’on veut éviter ce terme à connotation théologique) impuissante en soi manque beaucoup à ceux qui jugent mériter ce qu’ils ont et qui veulent réduire la politique de justice distributive aux seuls droits libertés et trouvent injustes les contraintes imposées par les droits créances.

Bien entendu il est certain que notre star de la téléréalité ignore ces faits spirituels et qu’elle soit encline à valoriser son ego comme auteur de ses actes. Et même si elle a conscience d’être favorisée sans aucun mérite personnel, les téléspectateurs eux sont dans l’illusion d’un monde d’égos seuls auteurs de leurs actes.

Ainsi il semble que la simple justice distributive envisagée à la façon de Rawls ne puisse se défendre complètement sans une conception du bien sous-jacente. Rawls estime que dans une société libérale la pluralité des conceptions du bien nous invite à chercher une conception du juste indépendante du bien.

Cependant notre réinterprétation du voile d’ignorance de Rawls pour vraiment porter à dû d’un argument se transformer en un exercice spirituel. Si pour authentiquement réfléchir sur la justice nous devons transformer notre manière d’être, il y a une prise en compte du bien et de la morale pour concevoir collectivement une justice plus juste. Il y a qu’on le veuille ou non un cercle vertueux à faire croître et évoluer au niveau des mentalités entre sens de la justice distributive politique et vertus spirituelles.

 C - Le retour du problème du mérite comme vertu favorable à la vie collective.

1 - L’absence de mérite de l’ego n’obère pas la valorisation dans la justice distributive des dimensions personnelles servant le bien commun.

À vrai dire dans l’idéal, quand on partage une tarte, on pourrait chercher une distribution qui augmente directement le contentement de celui qui mène un régime amaigrissant s’il le mène pour améliorer sa santé et on devrait satisfaire celui qui par son physique et ses activités doit être le plus nourri. Cette distribution met en avant la finalité de la santé dans l’absorption de nourriture.

Il y a une nuance subtile entre un partage qui serait injuste si on le basait sur les mérites d’un ego dans la mesure où tout mérite de l’ego est illusoire et un partage qui serait injuste parce qu’on ne tient pas compte des vertus des personnes en fonction de leur importance pour le bien commun.

Prenons l’exemple de l’éducation et de la réussite des études. On admettra facilement qu’une nation dont le niveau éducatif est le plus développé possible disposera là d’un bien commun essentiel.

En Australie à un moment donné les études de médecine étaient les plus coûteuses sans aucun système de bourse étatique. Dès lors cette nation prend le risque de ne pas recruter en médecine les gens de milieu modeste qui aurait des capacités supérieures à celles issues de milieu modeste. Enfin si le milieu médical est issu d’une classe aisée, l’accès aux soins des classes modestes sera forcément impacté puisque plus ou moins inconsciemment sauf altruisme, les solidarités les plus fortes sont celles de classe sociale.

En France la question de la mixité sociale en ce qui concerne se pose aujourd’hui avec beaucoup d’acuité quand on sait que quasiment toute la jeunesse des classes supérieures passe par des établissements privés tandis que celle des classes sociales les plus modestes est concentrée dans des établissements publics. Or on sait que les classes sociales valorisant le plus et surtout le mieux la réussite scolaire sont les classes sociales supérieures et les classes moyennes supérieures hormis par exemple dans les classes moyennes intermédiaires les enfants de professeurs ou d’instituteurs. Une mixité entre classes sociales moyennes intermédiaires ou basses et classe sociale défavorisée imposée par manque d’argent pour mettre ses enfants avec les classes privilégiées dans le privé a-t-elle du sens si l’objectif est d’aider à la réussite scolaire les enfants des classes sociales les moins disposés socialement ? Par ailleurs en France nul n’a une réelle idée de l’impact des cours privés sur la réussite scolaire et sociale à capacité égale. Or en médecine ces cours privés en complément du cycle universitaire sont monnaie courante. Notre santé ne risque-t-elle pas de perdre de sa justice à long terme ? Des médecins en médecine libérale dont la réussite est issue de ces cursus privés auront-ils des tarifs libéraux accessibles aux classes moyennes basses et intermédiaires (les classes défavorisées ayant un accès protégé par la CMU) ?

La justice distributive consiste donc à prendre en compte et à valoriser aussi des vertus utiles au bien commun.

2 - Un modèle de justice distributive téléologique : comment distribuer la flûte ?« Prenons comme exemple, la parabole de la flûte et des 3 enfants. Trois enfants revendiquent chacun de s’approprier une flûte. Ils argumentent tous trois fort honnêtement.

Le premier dit que la flûte doit lui revenir car il est le seul à savoir en jouer. Les autres le reconnaissent.

Le second dit que la flûte doit lui revenir parce qu’il est pauvre et n’a jamais eu les moyens d’avoir un jouet. Les autres le reconnaissent.

Le troisième dit que la flûte doit lui revenir parce que c’est lui qui l’a fabriquée. Les autres le reconnaissent.

Alors, à qui est-il le plus juste d’attribuer la flûte ? »,

http://genevievebrichet.blogspot.fr/2013/08/justice-juste-ciel.html

Réponse d’Aristote : la téléologie est première donc la flûte revient à celui qui sait en jouer.

Un libéral affirmerait que la flûte appartient évidemment à celui qui l’a produite. Aristote n’est pas de cet avis : une flûte qui n’est pas jouée n’a guère de sens. Par ailleurs donner à celui qui n’a rien quelque bien dont il n’aura aucune vertu pour en tirer parti serait absurde. Parfois nos programmes d’aides sociales ont malheureusement ce défaut. Il nous manque un assistanat intelligent.

Téléologique signifie science des fins. La vie politique concerne effectivement les fins que nous nous donnons collectivement. Les libertariens qui font des droits libertés le seul objet du politique et de la justice distributive étatique ont des fins. Rawls entendait privilégier dans sa Théorie de la justice le juste sur le bien au sens où une norme déontologique (qui dit donc ce qui doit être) n’est pas forcément liée à une valeur morale qui défend une conception du bien. La procédure de fondation de la justice distributive qu’il propose se devait être compatible avec un pluralisme moral comportant donc des conceptions du bien diverses.

Il est clair que l’éducation met en jeu des fins. La justice distributive ne saurait donc en ce qui concerne ce bien se détacher de la vie bonne et donc demeurer procédurale afin d’éviter les dissensions téléologiques. Il nous faudra bien assumer un débat politique sur ce point et prendre en compte les experts et les recherches scientifiques qui ont des connaissances cognitives de plus en plus fines sur le développement cognitif humain, le développement de ses capacités ou son accès au bonheur.

3 - Application politique de l’approche aristotélicienne de la justice distributive relativement à une conception de la vie bonne et donc du bien commun.Aristote a enquêté sur les différents régimes et constitutions politiques :

Il y a une certaine connexion entre notre conte sur l’attribution de la flûte et les 3 régimes politiques qu’Aristote voit au fondement de toutes les constitutions. Ces trois espèces de régimes sont : 1) les régimes dont le pouvoir est à un seul, 2) les régimes dont le pouvoir est à quelques-uns et enfin 3) les régimes dont le pouvoir est à tous.

Premièrement, l’enfant pauvre qui réclame la flûte sans en avoir la vertu de savoir en jouer n’est pas sans évoquer la démocratie où les moins biens pourvus sont tentés d’élire les démagogues pour mener une tyrannie contre des minorités afin de se venger de leur frustration d’avoir.

Deuxièmement, l’enfant qui a fabriqué la flûte ressemble à nos libéraux qui placent le libre échange économique au dessus du bien commun. Que dirons-nous si quelqu’un muni d’un médicament guérissant une maladie très contagieuse en voulait un profit tel que la plupart des gens ne pourraient pas l’acheter et seraient condamnés ? Il symbolise bien la déviance oligarchique et ploutocratique de nos sociétés où les plus riches dictent plus ou moins la raison d’État.

Cet enfant qui par sa fabrication a un monopole est en position de royauté car il peut arrêter sa production pour contrôler sa relation avec les autres. Et bien sûr il peut dès lors tyranniser les deux autres.

Troisièmement même s’il semble que la solution d’Aristote soit au profit d’un régime politique qui distribue aussi et surtout en fonction des vertus qui servent le bien commun, ce régime aristocratique n’est pas pour autant à l’abri des critiques. On retrouve le risque d’un savoir comme celui ici de jouer de la flûte capté par une caste ou une classe sociale fermée. L’aristocratie peut donc dégénérer en une forme l’oligarchie.

A partir de cette vision téléologique de la justice on peut envisager les dérives politiques :

Reprise de l’objection sur le mérite personnel à l’encontre d’une dérive oligarchique : le mérite de jouer de la flûte n’étant pas dû à celui qui sait jouer de la flûte, comment éviter qu’il fasse de son pouvoir une forme de domination ?

Réponse centrée sur la coopération maximale :

« Il s’avère que la réponse dépend de chaque personnalité. Pour ma part, j’ai trouvé une solution différente, celle du partage :l’enfant qui sait jouer de la flûte l’apprend aux autres, celui qui a su la fabriquer fait de même, et l’enfant pauvre donne aux deux autres le sentiment d’avoir fait le bien. On appelle ça la coopération, ou encore la fraternité ! », http://genevievebrichet.blogspot.fr/2013/08/justice-juste-ciel.html

Cet idéal est peut-être impraticable mais un régime politique mixte peut s’en rapprocher en ce qui concerne la redistribution politique des biens.

Dans l’idéal la séparation de l’exécutif, du judiciaire et du législatif permet d’allier la volonté du peuple propre au régime démocratique avec des éléments de pouvoir exécutif typique du régime monarchique dans le respect des autorités judiciaires dont le fonctionnement est de régime aristocratique.

Or ce n’est pas le cas aujourd’hui. Puisque l’exécutif est formé à partir de la représentation nationale de ce qui devrait être la volonté du peuple. La représentation nationale est dès lors contaminée par une oligarchie. Parlement et gouvernement sont en fait dans notre république au service de l’ambition politique d’un président sensé être à la tête de l’exécutif... Quant aux autorités judiciaires, l’indépendance en a été longtemps compromise. Un gouvernement peut proposer au parti majoritaire au parlement dont ses membres sont issus une loi d’amnistie qui le concerne... Il y a là des faiblesses constitutionnelles favorisant la corruption de la justice politique. Notre régime politique à été trop pensé aux mains d’une élite vertueuse...

4 - La vision téléologique du bien commun fait de l’altruisme une vertu politique fondement de la vertu de justice.

La science psychologique et cognitive aujourd’hui renouvelle notre approche des vertus à commencer par celle de l’altruisme. Il semble désormais scientifiquement faux de fonder une politique sur une anthropologie fondée sur l’idée que l’homme est d’abord égoïste. L’ouvrage de Matthieu Ricard, Plaidoyer sur l’altruisme fait le point sur ces découvertes majeures.

Le bien n’est donc pas tout à fait indiscutable. Nous pouvons certainement fonder une éthique laïque à nouveau frais pour remettre la vertu au premier plan sans retomber pour autant dans des formes de moralismes politiques théocratiques, fascistes ou totalitaires gauchistes.

Dans son Plaidoyer sur l’altruisme Matthieu Ricard écrit p.628 :

« La société ne peut prétendre imposer à tous un bonheur sur mesure. Elle a, en revanche, le devoir de ne pas délaisser ceux qui souffrent. Nous ne pouvons empêcher les inégalités de se produire, néanmoins nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter qu’elles ne perdurent. Une société individualiste fera peu d’efforts dans ce sens, tandis qu’une société qui attache de la valeur à l’altruisme et place le sort d’autrui au cœur de ses préoccupations veillera à corriger les inégalités qui sont source de souffrances, de discriminations, de difficulté à s’épanouir dans l’existence et d’accès réduit à l’éducation et à la santé. »

Le droit n’est rien sans les mœurs vertueuses. Nous savons que le droit peut être utilisé à l’encontre de l’esprit des droits de l’homme et du citoyen et même à l’encontre de tout altruisme. Connaître les lois sert pour beaucoup à les contourner. On assiste ainsi à de nombreux faits immoraux en politique qui échappent aux filets de la justice.

 D - Le problème de la corruption des forces de justice nécessite de radicaliser la démocratie.

Ainsi Pascal dans ses Pensées démontre que la justice ne peut pas aller sans la force mais dès lors le fait nécessaire de la force conduit à la corruption de la justice car la force risque d’agir sous le couvert de la justice à son seul avantage.

Ici l’organisation hiérarchique de la force tourne souvent à une forme de tyrannie qui divise pour mieux régner et interdit toute horizontalité et donc égalité réelle entre les personnes.

Pour rendre le peuple vertueux en tant que peuple soucieux d’intégrer les volontés de chaque citoyen, il nous faut renouveler le sens collectif et donc l’art de prendre des décisions collectives.

E - Pour éviter la dérive hiérarchique injuste de l’État, il faut radicaliser la démocratie comme mode de décision démocratique juste.

1 - Les faiblesses de la représentation politique par votes majoritaires des votes exprimés et plus globalement les dangers de la tyrannie de la majorité.

Premier point, critique de la représentation politique selon RousseauOn trouvera ici la critique de la représentation politique selon Rousseau.

Tout le monde constate que le pouvoir politique n'appartient plus au peuple mais à des financiers auxquels se soumettent ses représentants. Les partis politiques qui en France se partagent le pouvoir grâce au vote du peuple ont chacun des membres qui ne paient pas d'impôt en France mais à qui ces partis tendent les bras. Ce symptôme indique bien que ces partis sont soumis à la finance au sens du désir égocentrique d'appropriation et que par conséquent ses principaux acteurs sont liés aux plus puissants financièrement. D'ailleurs l’État finance telle filière économique, l’exécutif se fait représentant de commerce pour vendre des avions, des centrales nucléaires, etc.

Mais cette ploutocratie est due malgré tout à la tyrannie pulsionnelle de la majorité qui ne veut pas par son vote se donner les politiques qui lui donneront un pouvoir direct. Elle attend de ses représentants une solution au lieu de prendre soi-même son destin en main.

Rousseau décrit dans le Contrat Social précisément les limites de notre démocratie représentative :

Chapitre 3.15 Des députés ou représentants

Sitôt que le service public cesse d’être la principale affaire des citoyens, et qu’ils aiment mieux servir de leur bourse que de leur personne, l’État est déjà près de sa ruine. Faut-il marcher au combat ? ils payent des troupes et restent chez eux ; faut-il aller au conseil ? ils nomment des députés et restent chez eux. À force de paresse et d’argent, ils ont enfin des soldats pour asservir la patrie, et des représentants pour la vendre.

C’est le tracas du commerce et des arts, c’est l’avide intérêt du gain, c’est la mollesse et l’amour des commodités, qui changent les services personnels en argent.

On cède une partie de son profit pour l’augmenter à son aise. Donnez de l’argent, et bientôt vous aurez des fers. Ce mot de finance est un mot d’esclave, il est inconnu dans la cité.

Dans un pays vraiment libre, les citoyens font tout avec leurs bras, et rien avec de l’argent ; loin de payer pour s’exempter de leurs devoirs, ils payeraient pour les remplir eux-mêmes. Je suis bien loin des idées communes ; je crois les corvées moins contraires à la liberté que les taxes.

Mieux l’État est constitué, plus les affaires publiques l’emportent sur les privées, dans l’esprit des citoyens. Il y a même beaucoup moins d’affaires privées, parce que la somme du bonheur commun fournissant une portion plus considérable à celui de chaque individu, il lui en reste moins à chercher dans les soins particuliers. Dans une cité bien conduite, chacun vole aux assemblées ; sous un mauvais gouvernement, nul n’aime à faire un pas pour s’y rendre, parce que nul ne prend intérêt à ce qui s’y fait, qu’on prévoit que la volonté générale n’y dominera pas, et qu’enfin les soins domestiques absorbent tout. Les bonnes lois en font faire de meilleures, les mauvaises en amènent de pires. Sitôt que quelqu’un dit des affaires de l’État : Que m’importe ? on doit compter que l’État est perdu.

L’attiédissement de l’amour de la patrie, l’activité de l’intérêt privé, l’immensité des États, les conquêtes, l’abus du gouvernement, ont fait imaginer la voie des députés ou représentants du peuple dans les assemblées de la nation. C’est ce qu’en certain pays on ose appeler le tiers état. Ainsi l’intérêt particulier de deux ordres est mis au premier et second rang ; l’intérêt public n’est qu’au troisième.

La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu’elle peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point : elle est la même, ou elle est autre ; il n’y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi. Le peuple Anglais pense être libre, il se trompe fort ; il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement : sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. Dans les courts moments de sa liberté, l’usage qu’il en fait mérite bien qu’il la perde.

L’idée des représentants est moderne : elle nous vient du gouvernement féodal, de cet inique et absurde gouvernement dans lequel l’espèce humaine est dégradée, et où le nom d’homme est en déshonneur. Dans les anciennes républiques, et même dans les monarchies, jamais le peuple n’eut des représentants ; en ne connaissait pas ce mot-là. Il est très singulier qu’à Rome, où les tribuns étaient si sacrés, on n’ait pas même imaginé qu’ils pussent usurper les fonctions du peuple, et qu’au milieu d’une si grande multitude ils n’aient jamais tenté de passer de leur chef un seul plébiscite. Qu’on juge cependant de l’embarras que causait quelquefois la foule par ce qui arriva du temps des Gracques, où une partie des citoyens donnait son suffrage de dessus les toits.

Pour Rousseau les modernes regarde comme impossible l'assemblée de tout le peuple alors que c'est précisément la condition pour que le gouvernement n'usurpe pas la

volonté générale du peuple. Certes les Romains ou les Grecs qui s'assemblaient excluaient tout un ensemble de personnes de la citoyenneté. En fait, il ne s'agissait pas d'une République mais d'une aristocratie ou d'une oligarchie mais on peut y voir une préfiguration :

Chapitre 3.12 Comment se maintient l’autorité souveraine

Le souverain, n’ayant d’autre force que la puissance législative, n’agit que par des lois ; et les lois n’étant que des actes authentiques de la volonté générale, le souverain ne saurait agir que quand le peuple est assemblé. Le peuple assemblé, dira-t-on, quelle chimère ! C’est une chimère aujourd’hui ; mais ce n’en était pas une il y a deux mille ans. Les hommes ont-ils changé de nature ?

Les bornes du possible, dans les choses morales, sont moins étroites que nous ne pensons ; ce sont nos faiblesses, nos vices, nos préjugés, qui les rétrécissent. Les âmes basses ne croient point aux grands hommes : de vils esclaves sourient d’un air moqueur à ce mot de liberté.

Par ce qui s’est fait, considérons ce qui peut se faire. Je ne parlerai pas des anciennes républiques de la Grèce ; mais la république romaine était, ce me semble, un grand État et la ville de Rome une grande ville. Le dernier cens donna dans Rome quatre cent mille citoyens portant armes, et le dernier dénombrement de l’empire plus de quatre millions de citoyens, sans compter les sujets, les étrangers, les femmes, les enfants, les esclaves.Quelle difficulté n’imaginerait-on pas d’assembler fréquemment le peuple immense de cette capitale et de ces environs ! Cependant, il se passait peu de semaines que le peuple romain ne fût assemblé, et même plusieurs fois.

Et plus loin, il ajoute :

Chapitre 3.14 Suite

A l’instant que le peuple est légitimement assemblé en corps souverain, toute juridiction du gouvernement cesse, la puissance exécutive est suspendue, et la personne du dernier citoyen est aussi sacrée et inviolable que celle du premier magistrat, parce qu’où se trouve le représenté il n’y a plus de représentants. La plupart des tumultes qui s’élevèrent à Rome dans les comices vinrent d’avoir ignoré ou négligé cette règle. [...]Ces intervalles de suspension où le prince reconnaît ou doit reconnaître un supérieur actuel, lui ont toujours été redoutables ; et ces assemblées du peuple, qui sont l’égide du corps politique et le frein du gouvernement, ont été de tout temps l’horreur des chefs : aussi n’épargnent-ils jamais ni soins, ni objections, mi difficultés, ni promesses, pour en rebuter les citoyens. Quand ceux-ci sont avares, lâches, pusillanimes, plus amoureux du repos que de la liberté, ils ne tiennent pas longtemps contre les efforts redoublés du gouvernement : c’est ainsi que, la force résistante augmentant sans cesse, l’autorité souveraine s’évanouit à la fin, et que la plupart des cités tombent et périssent avant le temps.

Deuxième point critique de la tyrannie de la majoritéOn trouvera sur cet article Wikipédia des aspects nombreux d’une critique de la tyrannie de la majorité :

La tyrannie de la majorité est une conséquence indésirable de la démocratie par laquelle une majorité peut opprimer une minorité si la démocratie n'est pas accompagnée de la reconnaissance de certains droits pour protéger les minorités. Ces risques ont en particulier été évoqués par les penseurs libéraux.

Sommaire

1 Fondements philosophiques

o 1.1 Benjamin Constant

o 1.2 Alexis de Tocqueville

o 1.3 Herbert Spencer

o 1.4 John Stuart Mill

o 1.5 Isaiah Berlin

o 1.6 Friedrich Hayek

2 Fondements juridiques

o 2.1 Au Canada

3 Notes et références

4 Voir aussi

o 4.1 Articles connexes

o 4.2 Liens externes

Fondements philosophiques

Benjamin Constant

Le philosophe franco-suisse Benjamin Constant est l'un des premiers à mettre en avant ce risque dans ses Principes de politique (1806), tout en défendant la nécessité d'un régime représentatif :

« L'erreur de ceux qui, de bonne foi dans leur amour de la liberté, ont accordé à la souveraineté du peuple un pouvoir sans bornes, vient de la manière dont se sont formées leurs idées en politique. Ils ont vu dans l'histoire un petit nombre d'hommes, ou même un seul, en possession d'un pouvoir immense, qui faisait beaucoup de mal ; mais leur courroux s'est dirigé contre les possesseurs du pouvoir, et non contre le pouvoir même. Au lieu de le détruire, ils n'ont songé qu'à le déplacer1. »

Alexis de Tocqueville

Dans son ouvrage De la démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville traite du risque de la tyrannie de la majorité (ou « despotisme de la majorité »)2. Il affirme :

« Les démocraties sont naturellement portées à concentrer toute la force sociale dans les mains du corps législatif. Celui-ci étant le pouvoir qui émane le plus directement du peuple, est aussi celui qui participe le plus de sa toute-puissance. On remarque donc en lui une tendance habituelle qui le porte à réunir toute espèce d’autorité dans son sein. Cette concentration des pouvoirs, en même temps qu’elle nuit singulièrement à la bonne conduite des affaires, fonde “le despotisme de la majorité”2. »

Il ajoute :

« Mais la majorité elle-même n’est pas toute-puissante. Au-dessus d’elle, dans le monde moral, se trouvent l’humanité, la justice et la raison ; dans le monde politique, les droits acquis. La majorité reconnaît ces deux barrières, et s’il lui arrive de les franchir, c’est qu’elle a des passions, comme chaque homme, et que, semblable à eux, elle peut faire le mal en discernant le bien3. »

« Le pouvoir accordé aux tribunaux de se prononcer sur l’inconstitutionnalité des lois, forme encore une des plus puissantes barrières qu’on ait jamais élevée contre la tyrannie des assemblées politiques4 »

Pour conclure :

« Qu’est-ce donc qu’une majorité prise collectivement, sinon un individu qui a des opinions et le plus souvent des intérêts contraires à un autre individu qu’on nomme la minorité ? Or, si vous admettez qu’un homme revêtu de la toute-puissance peut en abuser contre ses adversaires, pourquoi n’admettez-vous pas la même chose pour une majorité ? Les hommes en se réunissant, ont-ils changé de caractère ? Sont-ils devenus plus patients dans les obstacles en devenant plus forts ? Pour moi, je ne saurais le croire ; et le pouvoir de tout faire, que je refuse à un seul de mes semblables, je ne l’accorderai jamais à plusieurs5. »

Herbert Spencer

Dans Le Droit d'ignorer l'État, Herbert Spencer pointe également ce problème :

« Des superstitions politiques auxquelles il a été fait allusion précédemment, aucune n'est aussi universellement répandue que l'idée selon laquelle les majorités seraient toutes-puissantes. »

Il développe ainsi à travers des exemples :

« Supposez un instant que, frappée de quelque panique malthusienne, une puissance législative représentant dûment l'opinion publique projetât d'ordonner que tous le enfants à naître durant les dix années futures soient noyés. Personne pense-t-il qu'un tel acte législatif serait défendable ? Sinon, il y a évidemment une limite au pouvoir d'une majorité. Supposez encore que deux races vivant ensemble — Celtes et Saxons, par exemple, — le plus nombreuse décidât de faire des individus de l'autre race ses esclaves. L'autorité du plus grand nombre, en un tel cas, serait-elle valide ? Sinon, il y a quelque chose à quoi son autorité doit être subordonnée. Supposez, une fois encore, que tous les hommes ayant un revenu annuel de moins de 50 livres sterling résolussent de réduire à deux chiffres tous les revenus qui le dépassent et d'affecter l'excédent à des usages publics. Leur résolution pourrait-elle être justifiée ? Sinon, il doit être une troisième fois reconnu qu'il est une loi à laquelle la voix populaire doit déférer. Qu'est-ce donc que cette loi, sinon la loi de la pure équité, — la loi d'égale liberté ? Ces limitations, que tous voudraient mettre à la volonté de la majorité, sont exactement le droit d'une majorité d'assassiner, d'asservir et de voler, simplement parce que l'assassinat, l'asservissement et le vol sont des violations de cette loi, — violations trop flagrantes pour être négligées. Mais si de grandes violations de cette loi sont iniques, de plus petites le sont aussi. Si la volonté du grand nombre ne peut annuler le premier principe de moralité en ces cas-là, non plus elle ne le peut en aucun autre. De sorte que, quelque insignifiante que soit la minorité et minime la transgression de ses droits qu'on se propose d'accomplir, aucune transgression de ce genre ne peut-être permise. »

Puis d'affirmer clairement :

« La domination du grand nombre par le petit nombre, nous l'appelons tyrannie : la domination du petit nombre par le grand nombre est tyrannie aussi, mais d'une nature moins intense. »

John Stuart Mill

Influencé par Tocqueville, John Stuart Mill affirme dans son ouvrage De la liberté, que « la tyrannie de la majorité » est l'un des maux contre lesquels la société doit se protéger. Il affirme : « La volonté du peuple signifie en pratique la volonté du plus grand nombre [...] Il est donc possible que les « gens du peuple » soient tentés d'opprimer une partie des leurs ; aussi est-ce un abus de pouvoir dont il faut se prémunir au même titre qu'un autre. C'est pourquoi il demeure primordial de limiter le pouvoir du gouvernement sur les individus [...] Ainsi range-t-on aujourd'hui, dans les spéculations politiques, la tyrannie de la majorité au nombre de ces maux contre lesquels la société doit se protéger »6.

Isaiah Berlin

Dans l'introduction d’Éloge de la liberté d'Isaiah Berlin (ouvrage dans lequel se trouve la distinction de l'auteur entre la « liberté positive » et la « liberté négative ») :

« Certains de mes critiques protestent avec indignation à l'idée qu'un homme puisse, en ce sens, avoir une plus grande liberté "négative" sous la férule d'un despote tolérant ou inefficace que sous une intraitable démocratie égalitariste. Mais assurément, Socrate aurait eu plus de liberté — d'expression et même d'action — si, comme Aristote, il avait fui Athènes et sa démocratie, au lieu d'en accepter les lois, bonnes et mauvaises, édictées et appliquées par lui et ses concitoyens. De même, un homme peut se sentir étouffé dans une démocratie authentiquement et vigoureusement "participative" à cause des pressions sociales ou politiques qu'elle engendre et choisir de vivre sous un climat où il y a peut-être moins de participation à la vie publique, mais plus de place pour la vie privée, des formes d'organisation sociale moins dynamiques, moins grégaires, mais aussi moins de surveillance. Cela peut paraître inadmissible pour ceux qui considèrent qu'avoir peu de goût pour la chose publique ou la société est le signe d'un malaise ou d'une profonde aliénation, mais les tempéraments diffèrent, et trop d'enthousiasme pour des normes collectives peut conduire à l'intolérance et au mépris de la vie intérieure de chacun. »

Friedrich Hayek

Ces remarques ont été reprises ultérieurement par le philosophe Friedrich Hayek, en particulier dans La Constitution de la liberté 7 .

Fondements juridiques

Au Canada

Dans une démocratie, le peuple est souverain (suprématie ou souveraineté parlementaire)8 et les décisions politiques (telles que l'adoption des lois) sont prises à la majorité conformément au principe démocratique9. Les lois promulguées par le Parlement sont de portée générale et s'appliquent à tous sans exception10.

Mais, dans les démocraties libérales (démocraties constitutionnelles), le Parlement (représentant le peuple) n'est pas omnipotent. La Constitution (considérée comme la loi suprême du pays) limite ses pouvoirs afin d'éviter qu'il en abuse (éviter « la tyrannie de la majorité ») et afin que soit préservées les valeurs constitutionnelles. La Cour suprême du Canada précise :

« La légitimité de nos lois repose aussi sur un appel aux valeurs morales dont beaucoup sont enchâssées dans notre structure constitutionnelle. Ce serait une grave erreur d'assimiler la légitimité à la seule « volonté souveraine » ou à la seule règle de la majorité, à l'exclusion d'autres valeurs constitutionnelles11. »

Elle ajoute :

« L'essence du constitutionnalisme au Canada est exprimée dans le par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 : « La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada ; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit ». En d'autres mots, le principe du constitutionnalisme exige que les actes de gouvernement soient conformes à la Constitution. Le principe de la primauté du droit exige que les actes de gouvernement soient conformes au droit, dont la Constitution. Notre Cour a souligné plusieurs fois que, dans une large mesure, l'adoption de la Charte (Charte canadienne des droits et libertés) avait fait passer le système canadien de gouvernement de la suprématie parlementaire à la suprématie constitutionnelle. La Constitution lie tous les gouvernements, tant fédéral que provinciaux, y compris l'exécutif (Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, à la p. 455). Ils ne sauraient en transgresser les dispositions : en effet, leur seul droit à l'autorité qu'ils exercent réside dans les pouvoirs que leur confère la Constitution. Cette autorité ne peut avoir d'autre source. Pour bien comprendre l'étendue et l'importance des principes de la primauté du droit et du constitutionnalisme, il est utile de reconnaître explicitement les raisons pour lesquelles une constitution est placée hors de la portée de la règle de la simple majorité. Trois raisons se chevauchent. Premièrement, une constitution peut fournir une protection supplémentaire à des droits et libertés fondamentaux qui, sans elle, ne seraient pas hors d'atteinte de l'action gouvernementale. Malgré la déférence dont font généralement preuve les gouvernements démocratiques envers ces droits, il survient des occasions où la majorité peut être tentée de passer outre à des droits fondamentaux en vue d'accomplir plus efficacement et plus facilement certains objectifs collectifs. La constitutionnalisation de ces droits sert à garantir le respect et la protection qui leur sont dus. Deuxièmement, une constitution peut chercher à garantir que des groupes minoritaires vulnérables bénéficient des institutions et des droits nécessaires pour préserver et promouvoir leur identité propre face aux tendances assimilatrices de la majorité »12. »

Dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd. (1985), le juge Dickson de la Cour suprême du Canada affirme (pour la majorité) :

« Une majorité religieuse, ou l'état à sa demande, ne peut, pour des motifs religieux, imposer sa propre conception de ce qui est bon et vrai aux citoyens qui ne partagent pas le même point de vue. La Charte protège les minorités religieuses contre la menace de "tyrannie de la majorité" »13. »

Notes et références

1. ↑ Benjamin Constant, Principes de politique, Édition Guillaumin, édition 1872, p.9

2. ↑ a et b Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, t. 1, Paris, Flammarion, 1981 à la p. 230.

3. ↑ Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, t. 1, Paris, Éditions Flammarion, 1981 à la p. 518.

4. ↑ Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, t. 1, partie 2, ch. 7 ; Paris, Éditions Flammarion, 1981, à la p. 172.

5. ↑ Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, t. 1, Paris, Flammarion, 1981 à la p. 349.

6. ↑ John Stuart Mill, De la liberté, trad. par Laurence Lenglet, Paris, Éditions Gallimard, 1990 aux pp. 65-66.

7. ↑ Friedrich Hayek, La Constitution de la liberté, Litec, 1994 (ISBN 978-2-7111-2410-7)

8. ↑ Renvoi relatif à la sécession du Québec,[1998] 2 R.C.S. 217 au para.66

9. ↑ Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217 au para. 63

10. ↑ Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217 au para. 71

11. ↑ Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217 au para. 67.

12. ↑ Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217 aux paras.72-74.

13. ↑ R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295 au para. 96.

Mais ces critiques aboutissent à revenir au libéralisme où on renonce aux solidarités ou bien de revenir au droit et ses faiblesses.Nous verrons ici une façon d’échapper à ces dérives démocratiques en radicalisant la vie démocratique et les vertus favorisant la solidarité collective.

2 - La volonté générale selon Rousseau.

L’idéal de la volonté générale de Rousseau guidera ici notre idée d’une radicalisation de la vie démocratique.

On peut prendre un modèle musical assez pertinent d’ailleurs puisque Rousseau a certainement murit cet idéal à l’aide ses connaissances de l’harmonie musicale dont il est un théoricien majeur du 18 e siècle. En musique improvisée chaque musicien contribue à l’harmonie d’ensemble en apportant ses notes les plus singulières et individuelles possibles. Plus la musique jouée permet d’exprimer le style individuel de chaque musicien dans une harmonie collective forte, plus l’ensemble est original. En quelque sorte la volonté générale doit intégrer les volontés des citoyens dans une représentation d’ensemble la plus harmonieuse possible.

Un accord harmonieux n’est pas une simple somme de notes sonores, il y a dans un accord une dimension supplémentaire apportée par le jeu des notes entre elles. Semblablement la volonté générale n’est pas une somme des volontés individuelles des citoyens.

La volonté générale selon Rousseau doit en outre ne pas traiter des volontés liées à des objets particuliers mais bien s’en tenir à des lois générales. Cependant on peut en approcher l’esprit avec des exemples mettant en jeu des objets particuliers de volonté.

Par exemple, quand la Volonté de tous est à l’œuvre, au sein d’un groupe d’amis on veut organiser une soirée. Plusieurs sous-groupes de personnes veulent organiser la soirée dans des endroits différents, donc plusieurs solutions entrent en lice. La volonté de tous est liée à la découverte d’un compromis : un soir on organisera la soirée ici, le lendemain ou un autre soir, on organisera la soirée là-bas. Dans l’établissement de la volonté de tous les factions, les sous-groupes, les manœuvres d’alliance et d’opposition sont déterminantes pour imposer telle version d’un compromis plutôt que tel autre. Là où un vote à bulletin secret et à la majorité aurait donné tel type de choix, ici par le jeu des négociations un choix tout à fait différent aurait pu avoir lieu.

Quand on met en œuvre la volonté générale, on peut permettre l’individualisation authentique de toutes les volontés individuelles et envisager des systèmes de décision qui les intègre toutes tant que ça ne porte pas préjudice aux droits collectifs et individuels : un groupe d’ami qui organiserait une soirée en appliquant ce schéma décisionnel devrait intégrer dans une représentation satisfaisante de sa volonté générale toutes les exigences individuelles qui ne nuisent pas au bien commun du groupe. Si certains veulent aller passer la soirée au cinéma, si d’autres veulent la passer à la piscine et enfin d’autres en boîtes de nuit, il faut trouver dans l’idéal une représentation qui intègre toutes ces possibilités qui ne nuisent pas au collectif. On pourrait imaginer, par exemple, en vue de satisfaire dans une Volonté Générale toutes ces volontés individuelles, un lieu et une soirée qui réunissent piscine, écran de cinéma au bord de la piscine et film musical dansant.

La volonté générale est donc non seulement une procédure de décision démocratique mais aussi clairement un principe de justice.

on trouvera ici une discussion autour de Rousseau et sa façon d’envisager les institutions favorisant la réalisation de cet idéal de la volonté générale.

Alain Renaut dans Découvrir la philosophie, 4. La Politique écrit p.125-126 :

« Cette distinction entre volonté de tous et volonté générale, où se joue la conception Rousseauiste de l’État, est complexe. Elle a donné lieu à de très vives discussions entre les lecteurs et les interprètes du Contrat social. Du moins est-il clair que ce que vise Rousseau en considérant que « la souveraineté n'est que l'exercice de la volonté générale » [...] Chaque volonté se trouve mise en accord avec toutes les autres dès lors qu'elle veut l'intérêt commun qu'expriment les lois, dans les divers secteurs où elles permettent aux libertés, en leur prescrivant des limites, de coexister pacifiquement. Rousseau tire ainsi à sa façon les conséquences mêmes du principe démocratique selon lequel c'est l'ensemble des citoyens (le peuple) qui exerce la souveraineté.

Ce principe contient en lui, de toute évidence, l'exigence que tous les citoyens ayant choisi d'accepter le contrat social doivent au minimum donner leur consentement unanime à la règle de la majorité. Faute d'un tel consentement unanime accordé à la règle de la majorité, si l'un des citoyens n'accordait pas ce consentement, une loi émanant de la majorité, mais avec laquelle il ne se trouverait pas en accord, lui serait prescrite par

quelque chose d'autre que sa volonté. En aucun cas il ne pourrait alors, en se soumettant à la loi, conserver en même temps son entière liberté. La loi de la majorité, qui suppose donc, pour fonctionner efficacement, "au moins une fois l'unanimité" (Du contrat social, I, 5), peut ensuite s'appliquer sans encombre : "Pour qu'une volonté soit générale, il n'est pas toujours nécessaire, accorde en effet Rousseau (Du contrat social, II, 2), qu'elle soit unanime, mais il est nécessaire que toutes les voix soient comptées", puisque l'exclusion des voix de certains romprait la généralité de la volonté se déclarant en faveur d'une loi. Le moment fondateur d'unanimité coïncide par conséquent, autour de la reconnaissance de la règle de la majorité, avec le contrat social lui-même. »

Cette interprétation qu'elle le veuille ou non a tendance à réduire le temps de l'unanimité à une prémisse de la légitimité du suffrage. Cependant Rousseau dans Le contrat social, IV, 2, écrit :

« Plus le concert règne dans les assemblées, c’est-à-dire plus les avis approchent de l’unanimité, plus aussi la volonté générale est dominante ; mais les longs débats, les dissensions, le tumulte, annoncent l’ascendant des intérêts particuliers et le déclin de l’État. »

Et plus loin il écrit :

« Deux maximes générales peuvent servir à régler ces rapports « l’une que, plus les délibérations sont importantes et graves, plus l’avis qui l’emporte doit approcher de l’unanimité ; l’autre, que, plus l’affaire agitée exige de célérité, plus on doit resserrer la différence prescrite dans le partage des avis : dans les délibérations qu’il faut terminer sur-le-champ, l’excédant d’une seule voix doit suffire. La première de ces

maximes paraît plus convenable aux lois, et la seconde aux affaires. Quoi qu’il en soit, c’est sur leur combinaison que s’établissent les meilleurs rapports qu’on peut donner à la pluralité pour prononcer. »

Donc Rousseau nous enjoint de trouver les moyens de trouver l'unanimité autant que cela nous est possible. La souveraineté du peuple sera plus forte et la République plus radicale dès lors que nos décisions s'approcheront de l'unanimité.

On prolongera notre réflexion sur la démocratisation de nos décisions collectives en allant ici sur notre blog Carnet philosophique pour voir comment la sociocratie rend cet idéal de la volonté générale réaliste.

ANNEXE : ANTHOLOGIE DE TEXTES PHILOSOPHIQUES SUR LA JUSTICE

A - LA PARABOLE DES PORCS-EPICS ET LA SOCIABILITE selon SCHOPENHAUER« Par une froide journée d’hiver un troupeau de porcs-épics s’était mis en groupe serré pour se garantir mutuellement contre la gelée par leur propre chaleur. Mais tout aussitôt ils ressentirent les atteintes de leurs piquants, ce qui les fit s’écarter les uns des autres. Quand le besoin de se réchauffer les eut rapprochés de nouveau, le même inconvénient se renouvela, de sorte qu’ils étaient ballottés de çà et de là entre les deux maux jusqu’à ce qu’ils eussent fini par trouver une distance moyenne qui leur rendît la situation supportable. Ainsi, le besoin de société, né du vide et de la monotonie de leur vie intérieure, pousse les hommes les uns vers les autres ; mais leurs nombreuses manières d’être antipathiques et leurs insupportables défauts les dispersent de nouveau. La distance moyenne qu’ils finissent par découvrir et à laquelle la vie en commun devient possible, c’est la politesse et les belles manières. En Angleterre on crie à celui qui ne se tient pas à cette distance : Keep your distance ! Par ce moyen le besoin de se réchauffer n’est, à la vérité, satisfait qu’à moitié, mais, en revanche, on ne ressent pas la blessure des piquants. Cependant celui qui possède assez de chaleur intérieure propre préfère rester en dehors de la société pour ne pas éprouver de désagréments, ni en causer. », Schopenhauer, Parerga & Paralipomena, Aphorisme sur la sagesse dans la vie.

« La conséquence de tout cela est que la sociabilité de chacun est inversement proportionnelle à sa valeur intellectuelle, et dire de quelqu’un : Il est sauvage signifie déjà presque : C’est un homme de qualité... », Parerga & Paralipomena, Aphorisme sur la sagesse dans la vie.

« La politesse est déni conventionnel et systématique de l’égoïsme dans les petites choses qui font le commerce quotidien, et elle passe à juste titre pour une forme d’hypocrisie ; ce qui n’empêche pas qu’on la recommande et qu’on la loue. Car ce qu’elle cache, l’égoïsme, est si vilain que, sans l’ignorer, on préfère ne pas le voir, comme on veille à mettre au moins un rideau devant des objets répugnants. », « Les deux problèmes fondamentaux de l’éthique ».

« Comme la cire est naturellement dure et sèche, mais qu’il suffit d’un peu de chaleur pour qu’elle s’amollisse et prenne toutes les formes que l’on voudra, il ne faut qu’un peu de politesse et de bonne manière pour que des gens même revêches et hostiles s’adoucissent et se fassent aimables. La politesse est donc aux hommes ce que la chaleur est à la cire », « Parerga & Paralipomena », Aphorisme sur la sagesse dans la vie.

B - LE LOUP ET L’AGNEAU, JEAN DE LA FONTAINE, FABLES DE LA FONTAINE,

Lito, illust. Serge Hochain

La raison du plus fort est toujours la meilleure :Nous l’allons montrer tout à l’heure.Un agneau se désaltéraitDans le courant d’une onde pure.Un loup survient à jeun qui cherchait aventure,Et que la faim en ces lieux attirait.Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?Dit cet animal plein de rageTu seras châtié de ta témérité.

+ Sire, répond l’agneau, que Votre Majesté -Ne se mette pas en colère ;Mais plutôt qu’elle considèreQue je me vas désaltérantDans le courant, Plus de vingt pas au-dessous d’elle,Et que par conséquent, en aucune façonJe ne puis troubler sa boisson.+ Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,Et je sais que de moi tu médis l’an passé.+ Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?Reprit l’agneau, je tète encor ma mère.+ Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.

+ Je n’en ai point.+ C’est donc quelqu’un des tiens :Car vous ne m’épargnez guère.Vous, vos bergers, et vos chiens.On me l’a dit : il faut que je me venge.

Là-dessus au fond des forêtsLe loup l’emporte et puis le mange,Sans autre forme de procès.

C - SPINOZA : QUAND LES PETITS POISSONS PRENNENT LE POUVOIR SUR LES GROS.

« Par Droit et Institution de la Nature, je n’entends autre chose que les règles de la nature de chaque individu, règles suivant lesquelles nous concevons chaque être comme déterminé à exister et à se comporter d’une certaine manière. Par exemple les poissons sont déterminés par la Nature à nager, les grands poissons à manger les petits ; par suite les poissons jouissent de l’eau, et les grands mangent les petits, en vertu d’un droit naturel souverain. Il est certain en effet que la Nature considérée absolument a un droit souverain sur tout ce qui est en son pouvoir, c’est-à-dire que le Droit de la Nature s’étend aussi loin que s’étend sa puissance ; car la puissance de la Nature est la puissance même de Dieu qui a sur toutes choses un droit souverain. Mais la puissance universelle de la Nature entière n’étant rien en dehors de la puissance de tous les individus pris ensemble, il suit de là que chaque individu a un droit souverain sur tout ce qui est en son pouvoir, autrement dit que le droit de chacun s’étend jusqu’où s’étend la puissance déterminée qui lui appartient.

Et la loi suprême de la Nature étant que chaque chose s’efforce de persévérer dans son état, autant qu’il est en elle, et cela sans tenir aucun compte d’aucune autre chose, mais seulement d’elle-même, il suit que chaque individu a un droit souverain de persévérer dans son état, c’est-à-dire (comme je l’ai dit) d’exister et de se comporter comme il est naturellement déterminé à le faire. Nous ne reconnaissons ici nulle différence entre les hommes et les autres individus de la Nature, non plus qu’entre les hommes doués de Raison et les autres qui ignorent la vraie Raison ; entre les imbéciles, les déments et les gens sains d’esprit. Tout ce que fait une chose agissant suivant les lois de la nature, en effet, elle le fait d’un droit souverain, puisqu’elle agit comme elle y est déterminée par la Nature et ne peut agir autrement.C’est pourquoi, parmi les hommes, aussi longtemps qu’on les considère comme vivant sous l’empire de la Nature seule, aussi bien celui qui n’a pas encore connaissance de la Raison, ou qui n’a pas encore l’état de vertu, vit en vertu d’un droit souverain, soumis aux seules lois de l’Appétit, que celui qui dirige sa vie suivant les lois de la Raison. C’est-à-dire, de même que le sage a un droit souverain de faire tout ce que la Raison commande, autrement dit de vivre suivant les lois de la Raison, de même l’ignorant, et celui qui n’a aucune force morale, a un droit souverain de faire tout ce que persuade l’Appétit, autrement dit de vivre suivant les lois de l’Appétit. C’est la doctrine même de Paul qui ne reconnaît pas de péché avant la loi, c’est-à-dire tant que les hommes sont considérés comme vivant sous l’emprise de la Nature. »

SPINOZA, Traité théologico-politique, Chapitre XVI

D - HOBBES : LE LEVIATHAN.

« La cause finale, le but, le dessein, que poursuivirent les hommes, eux qui par nature aiment la liberté‚ et l’empire exercé‚ sur autrui, lorsqu’ils se sont imposé‚ des restrictions au sein desquelles on les voit vivre dans les Républiques, c’est le souci de pourvoir à leur propre préservation et de vivre plus heureusement par ce moyen : autrement dit, de s’arracher à ce misérable état de guerre qui est, je l’ai montre, la conséquence nécessaire des passions naturelles des hommes, quand il n’existe pas de pouvoir visible pour les tenir en respect, et de les lier, par la crainte des châtiments, tant à l’exécution de leurs conventions qu’à l’observation des lois de nature.

La seule façon d’ériger un tel pouvoir commun, apte à défendre les gens de l’attaque des étrangers, et des torts qu’ils pourraient se faire les uns aux autres, et ainsi à les protéger de telle sorte que par leur industrie et par les productions de la terre, ils puissent se nourrir et vivre satisfaits, c’est de confier tout leur pouvoir et toute leur force a un seul homme, ou à une seule assemblée qui puisse réduire toutes leurs volontés, par la règle de la majorité‚ en une seule volonté‚. Cela revient à dire : désigner un homme, ou une assemblé‚ pour assumer leur personnalité‚ et que chacun s’avoue et se reconnaisse comme l’auteur de tout ce qu’aura fait ou fait faire, quant aux choses qui concernent la paix et la sécurité‚ commune, celui qui a ainsi assumé‚ leur personnalité, que chacun par conséquent soumette sa volonté‚ et son jugement à la volonté‚ et au jugement de cet homme ou de cette assemblée. Cela va plus loin que le consensus, ou concorde : il s’agit d’une unité réelle de tous en une seule et même personne, unité réalisée par une convention de chacun avec chacun passe de telle sorte que c’est comme si chacun disait à chacun : j’autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, a cette condition que tu lui abandonnes ton droit et que tu autorises toutes ses actions de la même manière. Cela fait, ta multitude ainsi unie en une seule personne est appelée une REPUBLIQUE, en latin CIVITAS. Telle est la génération de ce grand LEVIATHAN, ou plutôt pour en parler avec plus de révérence, de ce dieu mortel, auquel nous devons, sous le Dieu immortel, notre paix et notre protection. »

T. Hobbes, Léviathan, Philosophie politique, Ed. Sirey, 1971.

E - BLAISE PASCAL, PENSEES, 298, 299, JUSTICE, FORCE.« Justice, force. Il est juste que ce qui est juste soit suivi, il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi. La justice sans la force est impuissante : la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite, parce qu’il y a toujours des méchants ; la force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force ; et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste.

La justice est sujette à dispute, la force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n’a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice et a dit qu’elle était injuste, et a dit que c’était elle qui était juste. Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.

Les seules règles universelles sont les lois du pays aux (pour les) choses ordinaires, et la pluralité aux autres. D’où vient cela ? De la force qui y est. Et de là vient que les rois, qui ont la force d’ailleurs, ne suivent pas la pluralité de leurs ministres.Sans doute, l’égalité des biens est juste ; mais, ne pouvant faire qu’il soit force d’obéir à la justice, on a fait qu’il soit juste d’obéir à la force ; ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que le juste et le fort fussent ensemble et que la paix fût, qui est le souverain bien. »

F - ROUSSEAU, DU CONTRAT SOCIAL, L. I, CH. III, DU DROIT DU PLUS FORT.« Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit, et l’obéissance en devoir. De là le droit du plus fort ; droit pris ironiquement en apparence, et réellement établi en principe. Mais ne nous expliquera-t-on jamais ce mot ? La force est une puissance physique ; je ne vols point quelle moralité peut résulter de ses effets. Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté ; c’est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir ?

Supposons un moment ce prétendu droit. Je dis qu’il n’en résulte qu’un galimatias inexplicable ; car, sitôt que c’est la force qui fait le droit, l’effet change avec la cause : toute force qui surmonte la première succède à son droit. Sitôt qu’on peut désobéir impunément, on le peut légitimement ; et, puisque le plus fort à toujours raison, il ne s’agit que de faire en sorte qu’on soit le plus fort. Or, qu’est-ce qu’un droit qui périt quand la force cesse ? S’il faut obéir par force, on n’a pas besoin d’obéir par devoir ; et si l’on n’est plus forcé d’obéir, on n’y est plus obligé. On voit donc que ce mot de droit n’ajoute rien à la force ; il ne signifie ici rien du tout.

Obéissez aux puissances. Si cela veut dire : Cédez à la force, le précepte est bon, mais superflu ; je réponds qu’il ne sera jamais violé. Toute puissance vient de Dieu, je l’avoue ; mais toute maladie en vient aussi : est-ce à dire qu’il soit défendu d’appeler un médecin ? Qu’un brigand me surprenne au coin d’un bois, non seulement il faut par force donner sa bourse ; mais quand je pourrais la soustraire, suis-je en conscience obligé de la donner ? Car enfin, le pistolet qu’il tient est une puissance ; Convenons donc que force ne fait pas droit, et qu’on n’est obligé d’obéir qu’aux puissances légitimes. »

G - RAWLS VS NOZICKOn justifie souvent l’extension de l’État à toutes les sphères de la société par le fait qu’il serait le meilleur instrument pour atteindre une justice distributive. C’est notamment l’argument de John Rawls, professeur de philosophie à Harvard et auteur d’un livre qui a fait l’objet d’un large débat parmi les philosophes, économistes et sociologues : Théorie de la justice.

Nous avons vu dans un premier temps comment Nozick avait entrepris de réfuter cette justification en montrant qu’il s’agissait d’une forme de condamnation aux travaux forcés, ce que Bastiat avait appelé « spoliation légale ». Il reste à voir comment :

1° il établit une nouvelle théorie de la justice distributive ;

2° il plaide pour un État minimal, celui dont les pouvoirs plus étendus ne peuvent être justifiés.

1° La justice comme légitimité

Selon Nozick, traiter les individus comme des « fins en soi » consiste à reconnaître en chacun le seul propriétaire légitime de lui-même, de ses capacités, ainsi que des biens qu’il possède grâce à ses capacités et à son travail. La répartition des choses produites par le moyen de nos talents constitue une violation de notre personne. Cela ne

signifie pas que la redistribution est impossible par principe, mais qu’elle est subordonnée au primat de la volonté individuelle.Ainsi, nous ne sommes pas dans la position d’enfants à qui des parts de gâteau ont été données par quelqu’un qui, au dernier moment, réajuste le découpage du gâteau pour corriger un découpage approximatif. Il n’y a pas de distribution centrale, il n’existe personne ni aucun groupe habilité à contrôler toutes les ressources et décidant de façon conjointe de la façon dont ces ressources doivent être distribuées. La question centrale, au cœur du débat avec Rawls est donc la suivante : Peut-on redistribuer un bien sans tenir compte de qui l’a produit ?

En réalité les ressources appartiennent déjà toujours à quelqu’un et elles sont issues d’une distribution antérieure dont on peut juger la légitimité. C’est pourquoi, pour juger de la légitimité d’une possession, il faut faire son histoire et se demander dans quelles conditions elle a été acquise. De même, la pauvreté doit être jugée en fonction de son origine : spoliation, imprévoyance, incapacité ?

Ce que chacun possède, il l’a obtenu à la suite d’une transaction. Une distribution est juste si elle naît d’une autre distribution juste grâce à des moyens légitimes. Le principe achevé de la justice distributive dirait simplement qu’une distribution est juste si tout le monde est habilité à la possession des objets qu’il possède. Cette théorie de la justice s’énonce à travers trois principes :

• Principe de justice dans les acquisitions : le fait de posséder un bien est juste si ce bien a été acquis par le travail, par un don ou par un échange marchand.

• Principe de la justice dans les transferts : un échange est juste s’il est libre et s’il est fondé sur des règles connues et admises par tous.

• Principe de correction des injustices passées : ce principe s’applique quand un des deux principes de base a été violé. Par exemple, l’indemnisation des victimes d’actes criminels.

Pour savoir à qui appartient légitimement un bien, il suffit de s’intéresser aux modalités de son acquisition. La répartition des biens est juste si chaque personne a droit aux siens.

Une illustration : la fortune de la star du baskett Wilt Chamberlain est-elle injuste ?

Dans Anarchie, État et Utopie, Nozick imagine que Wilt Chamberlain (star américaine de la NBA dans les années 1970, mort en 1999) négocie un contrat tel que chaque personne donne 25 cents de plus pour assister à ses matchs. Si un million de spectateurs se déplacent pour le voir jouer, Chamberlain aura donc gagné 250 000$ de plus que n’importe quel autre joueur de la NBA. La nouvelle répartition des biens qui fait de Chamberlain un homme riche est-elle injuste ? Non, répond Nozick, car elle résulte de transferts librement consentis. « La question de savoir si une distribution est juste dépend de la façon dont elle née. »

La justice ne réside donc pas dans le résultat de l’échange, mais dans le respect des droits de propriétés et des contrats librement passés entre les individus. « Toute chose qui naît d’une situation juste, à laquelle on est arrivé par des démarches justes, est elle-même juste ».

Soit D1 : une distribution égalitaire de biens et D2 : une nouvelle distribution qui résulte d’un échange de biens. Si D1 est juste et si D2 est le produit d’un consentement, alors D2 est juste.

Ce qui fait la justice dans la possession d’un bien, c’est la manière dont il a été acquis au cours d’une histoire. « Quiconque a fabriqué un objet, écrit Nozick, l’a acheté ou a établi un contrat pour toute autre ressource (…) a des droits sur lui. Les choses viennent au monde déjà rattachées à des gens ayant des droits sur elles. »

2° Plaidoyer pour l’État minimal

Quelle place les droits de l’individu laissent-ils à l’État ? Un État d’anarchie, un État de nature, un État minimal, ou un État redistributeur ?

Si les individus ont des droits, et s’il est des choses qu’aucune personne, ni aucun groupe, ne peut leur faire (sans enfreindre leurs droits), il faut logiquement soutenir l’idée d’un État minimal « qui se limite à des fonctions étroites

de protection contre la force, le vol, la fraude, à l’application des contrats, et ainsi de suite. » L’État n’est justifié, selon Nozick, que s’il est strictement limité à ses fonctions essentielles de protection des droits individuels et des contrats. Toute activité plus étendue, démontre l’auteur, viole inéluctablement les droits de l’individu. Et ce constat a une conséquence fondamentale : « L’État ne peut employer son appareil de contrainte afin d’amener certains citoyens à aider les autres ni pour interdire des activités à certaines personnes, dans leur bien ou afin de les protéger ».

Se fondant sur la philosophie aristotélicienne, les penseurs dits « communautariens », Alasdair MacIntyre ou Michael Sandel, ont contribué au débat critique autour de l’œuvre de Rawls. Selon eux, l’individu n’est pas un "soi" vide et indéterminé, une pure liberté. Il est incarné dans un certain nombre de structures biologiques, sociales et morales, il a une nature qui se manifeste par des dispositions spécifiques. Il leur paraît donc nécessaire de réactiver la conception aristotélicienne de l’homme comme animal politique, qui ne peut réaliser sa nature humaine qu’au sein de la société. Par ailleurs, les communautariens rappellent justement, contre Rawls, que la société ne peut reposer uniquement sur des principes juridiques et contractuels mais qu’elle a besoin pour vivre de valeurs morales partagées et de traditions culturelles communes.

De son côté, Nozick a souligné que sa vision de l’État minimal était compatible avec l’existence de petites communautés fondées sur différentes théories de la justice. Un groupe qui souhaiterait former une communauté socialiste régie par une théorie égalitaire serait libre de le faire, tant qu’il ne force pas les autres à rejoindre sa communauté. En effet, chaque groupe a la même liberté de réaliser sa propre idée d’une bonne société. De cette façon, selon Nozick, l’État minimal constitue un « cadre d’utopie ».

H - JOHN RAWLS, THEORIE DE LA JUSTICE :En premier lieu : chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales pour tous qui soit compatible avec le même système pour les autres. En second lieu : les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce que, à la fois l’on puisse raisonnablement s’attendre à ce qu’elles soient à l’avantage de chacun et qu’elles soient attachées à des positions ouvertes à tous.Ces principes s’appliquent, en premier lieu, comme je l’ai dit, à la structure sociale de base ; ils commandent l’attribution des droits et des devoirs et déterminent la répartition des avantages économiques et sociaux. Leur formulation présuppose que, dans la perspective d’une théorie de la justice, on divise la structure sociale en deux parties plus ou moins distinctes, le premier principe s’appliquant à l’une, le second à l’autre. Ainsi, nous distinguons entre les aspects du système social qui définissent et garantissent l’égalité des libertés de base pour chacun et les aspects qui spécifient et établissent des inégalités sociales et économiques. Or, il est essentiel d’observer que l’on peut établir une liste de ces libertés de base. Parmi elles, les plus importantes sont les libertés politiques (droit de vote et d’occuper un poste public), la liberté d’expression, de réunion, la liberté de pensée et de conscience ; la liberté de la personne qui comporte la protection à l’égard de l’arrestation et de l’emprisonnement arbitraires, tels qu’ils sont définis par le concept de l’autorité de la loi. Ces libertés doivent être égales pour tous d’après le premier principe.Le second principe s’applique, dans la première approximation, à la répartition des revenus et de la richesse et aux grandes lignes des organisations qui utilisent des différences d’autorité et de responsabilité. Si la répartition de la richesse et des revenus n’a pas besoin d’être égale, elle doit être à l’avantage de chacun et, en même temps, les positions d’autorité et de responsabilité doivent être accessibles à tus. On applique le second principe en gardant les positions ouvertes, puis, tout en respectant cette contrainte, on organise les inégalités économiques et sociales de manière à ce que chacun en bénéficie.

H - JOHN RAWLS [PHILOSOPHE AMERICAIN, 1921-2002], THEORIE DE LA JUSTICE, CHAPITRE 3, « LA POSITION ORIGINELLE ».Nous devons, d’une façon ou d’une autre, invalider les effets des contingences particulières qui opposent les hommes les uns aux autres et leur inspirent la tentation d’utiliser les circonstances sociales et naturelles à leur avantage personnel. C’est pourquoi je pose que les partenaires sont situés derrière un voile d’ignorance. Ils ne

savent pas comment les différentes possibilités affecteront leur propre cas particulier et ils sont obligés de juger les principes sur la seule base de considérations générales.

Je pose ensuite que les partenaires ignorent certains types de faits particuliers. Tout d’abord, personne ne connaît sa place dans la société, sa position de classe ou son statut social ; personne ne connaît non plus ce qui lui échoit dans la répartition des atouts naturels et des capacités, c’est-à-dire son intelligence et sa force, et ainsi de suite. Chacun ignore sa propre conception du bien, les particularités de son projet rationnel de vie, ou même les traits particuliers de sa psychologie comme son aversion pour le risque ou sa propension à l’optimisme ou au pessimisme. En outre, je pose que les partenaires ne connaissent pas ce qui constitue le contexte particulier de leur propre société. C’est-à-dire qu’ils ignorent sa situation économique ou politique, ainsi que le niveau de civilisation et de culture qu’elle a pu atteindre. Les personnes dans la position originelle n’ont pas d’information qui leur permette de savoir à quelle génération elles appartiennent. Ces restrictions assez larges de l’information sont justifiées en partie par le fait que les questions dé justice sociale se posent entre les générations autant que dans leur cadre, ainsi, par exemple, la question du juste taux d’épargne et celle de la préservation des ressources naturelles et de l’environnement. Il y a aussi, en théorie du moins, la question d’une politique génétique raisonnable. Dans ces cas-là aussi, afin de mener à bien l’idée de la position originelle, les partenaires doivent ignorer les contingences qui les mettent en conflit. En choisissant des principes, ils doivent être prêts à vivre avec leurs conséquences, quelle que soit la génération à laquelle ils appartiennent.Prenons maintenant le point de vue de quelqu’un placé dans la position originelle. Il n’y a pas moyen pour lui de se procurer des avantages particuliers. Il n’y a pas non plus de raisons pour qu’il accepte des désavantages particuliers. Etant donné qu’il ne peut raisonnablement obtenir plus qu’une part égale à celle des autres dans la répartition des biens sociaux premiers et qu’il ne peut, d’un point de vue rationnel, accepter moins, le bon sens commande en premier lieu d’admettre un principe de justice qui exige une répartition égale pour tous. En fait, ce principe est si évident, étant donné la symétrie des partenaires, qu’il viendrait immédiatement à l’esprit de tout le monde. Ainsi les partenaires débutent avec un principe qui exige des libertés de base égales pour tous ainsi qu’une juste égalité des chances et un partage égal des revenus et de la fortune.

Mais, même en insistant bien sur la priorité des libertés de base et de la juste égalité des chances, il n’y a pas de raison pour que cette reconnaissance initiale soit définitive. La société doit prendre en considération l’efficacité économique et les exigences de l’organisation et de la technologie. S’il y a des inégalités de revenus et de fortune, des différences d’autorité et des degrés de responsabilité qui tendent à améliorer la situation de tous par rapport à la situation d’égalité, pourquoi ne pas les autoriser ? [...]. La structure de base devrait autoriser les inégalités aussi longtemps qu’elles améliorent la situation de tous, y compris des plus désavantagés, et à condition qu’elles soient compatibles avec la liberté égale pour tous et une juste égalité des chances. [...]. Nous arrivons ainsi au principe de différence.

 I - ARISTOTE ET LE FLUTISTE.« Si, en effet, quelqu’un est supérieur dans l’art de la flûte, mais de beaucoup inférieur en noblesse et en beauté, si même chacune de ces deux qualités (je veux dire la noblesse et la beauté) est un bien plus grand que l’art du flûtiste et que, de plus, elles surpassent proportionnellement l’art de la flûte que notre flûtiste surpasse les autres dans son art, c’est néanmoins à lui qu’on doit donner les meilleurs flûtes. Car c’est à l’accomplissement de la tâche que doit servir la supériorité, et dans le cas de la flûte, la supériorité en richesse et celle de la naissance n’y contribuent en rien. »,

ARISTOTE, Les Politiques, trad. par Pierre Pellegrin, Garnier-Flammarion, Paris, 1990, p. 247

 J - ESPRIT : L’ESPRIT VRAI, L’ETHICITE (SITTLICHKEIT) Explication et commentaire de la « Phénoménologie de l’esprit » de G.W.F

Hegel/Esprit/L’esprit vrai, l’éthicité (Sittlichkeit)< Explication et commentaire de la « Phénoménologie de l’esprit » de G.W.F Hegel | EspritL’esprit vrai, l’éthicité (Sittlichkeit)

Icône de la facultéChapitre no2Leçon : La « Phénoménologie de l’esprit » de G.W.F Hegel : L’espritChap. préc. : Annonce du planChap. suiv. : L’esprit aliéné de soi, la culture

Sommaire

1 - Introduction2 - Le monde éthique, la loi humaine et la loi divine, l’homme et la femme3 - L’opération éthique, le savoir humain et divin, la faute et le destin4 L’état du droit

1 - Introduction(à l’expérience dont on verra dans le développement qu’elle fonctionne réellement). L’éthicité immédiate se donne comme unité en deça de toute disjonction entre substance et conscience, comme un ethos (lois, coutumes, mœurs, …) L’opération sépare l’esprit en conscience et substance. L’autoconscience, moyen terme en soi unifiant conscience (substance universelle) et substance (substance effective singulière) le devient pour soi (c’est-à-dire consciemment) et élève la substance singulière effective à l’essence universelle en opérant éthiquement, tout en abaissant l’essence à l’effectivité en exécutant la fin, comme œuvre. On a vu la substance éthique simple se différencier de soi-même dans ses masses, elle se scinde selon l’opposition précédente en loi humaine et loi divine. L’autoconscience individuelle se donne en partage dans un marché de dupes et expérimente cette contradiction aussi bien dans ses actes que dans son savoir. Elle y trouve son propre déclin comme conscience éthique immédiate.

2 - Le monde éthique, la loi humaine et la loi divine, l’homme et la femmeAinsi l’opposition essentielle est la dualité de la singularité et de l’universel. La singularité est l’autoconscience en général, l’essence commune spirituelle qui est pour soi en se maintenant dans la contre-apparence des individus. Comme substance effective, elle est un peuple, comme conscience effective, citoyen d’un peuple. Son essence est l’esprit d’un peuple, où loi humaine. Comme individualité simple, il est le gouvernement. À cette puissance fait face la loi divine, universalité éthique effective violente à l’encontre de l’être pour soi individuel. Chacun des modes d’existence de la substance éthique la contient toute (c’est la définition de l’esprit). Si donc l’essence commune est substance en tant que l’agir effectif conscient de soi, la loi divine a la forme de la substance simple et immédiate, essence commune éthique naturelle, la famille. Elle se tient, sans conscience, face au peuple. Il faut voir en quoi consiste l’éthicité caractéristique de la famille. Le singulier n’y peut pas entrer en scène selon une contingence. Or l’opération effective n’a qu’un contenu borné, elle accède à l’universalité en concernant non plus le singulier vivant, mais le mort, l’ombre ineffective sans moelle. Le devoir du membre de la famille est d’arracher le parent à la destruction en le mariant au sein de la terre, individualité universelle. Ce devoir ultime constitue la loi divine parfaite, ou l’opération éthique positive à l’égard du singulier. Toute autre relation en regard de lui qui ne s’en tient pas à l’amour, mais est éthique, relève de la loi humaine et a la signification d’élever le singulier. Tant dans une loi que dans l’autre, il y a des degrés ou différences : ces lois ont en elles-mêmes le moment de la conscience. L’essence-commune a sa vitalité effective dans le gouvernement (là où elle est individu), soi simple de la substance éthique totale, et la famille est l’élément de cette réalité, ayant par là le sentiment de son inautostance. L’essence –commune peut s’organiser dans les systèmes de la propriété, du droit, rendre autostants les modes du travailler pour des fins singulières. Pour ne pas les laisser se durcir dans cet acte de s’isoler, le gouvernement les ébranle de temps en temps par des guerres, leur donne à ressentir leur maître, la mort. L’esprit y prévient l’acte de sombrer hors de l’être-là éthique et élève le soi de sa conscience dans la liberté, puissance de l’essence –commune, celle-ci ayant donc le renforcement de sa puissance de ans la loi divine de la mort. La loi divine a également les différences dans soi. Des trois relations de l’homme et de la femme, des parents et des enfants, du frère et de la sœur, c’est d’abord la relation de l’homme et de la femme qui est l’acte immédiat, naturel et non éthique, représentation de l’esprit qui a son effectivité en un autre, l’échange des générations. De même la pitié de l’homme et de la femme a dans la relation des parents aux enfants la conscience de son effectivité. Ces deux relations en restent à l’inégalité des côtés, mais la relation sans mélange a lieu entre frères et sœurs, libres l’un en regard de l’autre, ni donnés ni reçus. Le féminin a comme sœur le pressentiment suprême de l’essence éthique, à l’effectivité de laquelle elle ne parvient pas, parce que la loi de la famille est l’essence intérieure. La différence de son éthicité avec celle de

l’homme consiste ne ce qu’elle demeure étrangère à la singularité du désir (ce n’est pas cet homme, ces enfants, mais un homme, des enfants). Dans l’homme par contre, ces deux côtés se séparent en tant que comme citoyen il possède la force autoconsciente de l’universalité. Il s’achète par là le droit au désir, et se garde la liberté par rapport à ce même désir. Quant au frère, il est pour la sœur l’essence dépourvue de désir, sa perte est irremplaçable et son devoir à son égard le devoir suprême. Le frère est le côté selon lequel l’esprit de la famille se tourne vers quelque chose d’autre et passe dans la conscience de son universalité. Le frère abandonne l’éthicité familiale immédiate afin d’acquérir l’éthicité effective pour soi de la loi humaine. La sœur demeure la gardienne de la loi divine. Ces deux essences universelles du monde éthique sont naturellement différentes car l’esprit éthique est l’unité immédiate de la substance et de l’autoconscience, il est maintenant l’opposition déterminée des deux sexes.

Aucun des deux n’est seul en et pour soi. La loi humaine sort de la loi divine, le conscient de ce qui est dépourvu de conscience, la médiation de l’immédiateté. Dans ce contenu, ce que la conscience saisissait seulement comme objet est devenu autoconscience. Le singulier, cherchant le plaisir de la jouissance de sa singularité, le trouve dans la famille, et la nécessité dans laquelle disparaît le plaisir est son autoconscience propre comme citoyen d’un peuple. L’autoconscience est : savoir la loi d’un cœur comme celle de tous les cœurs, la vertu qui jouit des fruits de son sacrifice. La conscience de la chose même se trouve satisfaite. La chose a en les puissances éthiques un contenu véritable à la place des commandements. Cet équilibre n’est vivant que parce qu’une inégalité surgit dans lui, et, par la justice, se trouve ramenée à l’égalité. Mais la justice n’est pas une essence étrangère mais comme justice de droit humain, elle ramène à l’universel l’être pour soi s’écartant de l’équilibre. Mais la justice est pareillement l’esprit simple de celui qui a enduré l’injustice, dans son sang. La puissance qui inflige cette injustice de faire d’elle une pure chose est la nature, non l’essence commune. La justice se tourne donc contre l’être, de telle façon que se qui est arrivé soit plutôt une œuvre. Le royaume éthique est un monde immaculé qui n’a été souillé par aucune scission, son mouvement est un calme parvenir de l’une des puissances à l’autre. L’union de l’homme et de la femme constitue le moyen terme actif du tout.

3 - L’opération éthique, le savoir humain et divin, la faute et le destinIntervention de la singularité agissante (expérience) L’autoconscience n’a pas encore fait son entrée dans son droit comme individualité singulière, mais seulement comme volonté universelle ou comme sang de la famille. Aucun acte n’a encore été commis. Or l’acte est le soi effectif, il dérange la calme organisation et le mouvement du monde éthique, sous la forme du destin (que l’on provoque comme Antigone). Le terrain sur lequel se déploie ce mouvement est le royaume de l’éthicité. L’autoconscience éthique est l’orientation vers le devoir, immédiat et dépourvu de contradiction. La conscience éthique sait ce qu’elle a à faire et est décidée à appartenir soit à la loi divine, soit à la loi humaine. Pour elle, l’opposition entre les deux lois apparaît comme la collision malheureuse du devoir avec l’effectivité dépourvue de droit. Celle des deux qui relève de la loi divine perçoit de l’autre côté l’entêtement et la violence, quant à celle qui est impartie à la loi humaine, elle perçoit l’entêtement et la désobéissance de l’être pour soi intérieur. Surgit par là l’opposition de l’autoconscience éthique avec le droit divin de l’essence. L’objet, en tant qu’opposé à l’autoconscience, a de ce fait totalement perdu la signification d’avoir pour soi l’essence. Contre une unilatéralité, l’effectivité a une force propre elle se tient en lien avec la vérité. Le droit absolu de la conscience éthique est par conséquent que l’acte, la figure de l’effectivité, n’est rien d’autre que ce qu’elle sait. Chaque conscience est certaine de son agir éthique, dont elle ne relève que par une contingence naturelle. L’effondrement vient de cette opposition entre nécessité et contingence. Mais l’essence éthique s’est scindée elle-même en deux lois, par l’acte, elle en vient donc à la faute et le crime contre l’autre loi, son agir. Mais l’agir est lui-même ce dédoublement qui consiste à se poser pour soi, et, face à cela, à poser une effectivité étrangère. L’opération éthique a le moment du crime en elle. Il apert également que ce n’est pas ce singulier qui opère et est fautif, mais son état.

L’essence est l’unité des deux, mais l’acte n’est exécuté que l’une contre l’autre. Pour l’opérer, n’est maintenant exposé au jour que l’un des côtés de la décision, au fils, elle ne montre pas le père dans l’offenseur qu’elle abat, pas la mère dans la reine qu’il prend pour femme. L’acte est ceci, mouvoir l’immobile, et produire au jour ce qui n’est d’abord qu’enfermé dans la possibilité, et par là rattacher l’inconscient au conscient, le non-étant à l’être. Comme Antigone commet le crime, l’accomplissement énonce lui-même que ce qui est éthique doit nécessairement être effectif. En raison de son agir, c’est comme la sienne qu’il lui faut reconnaître sa faute, parce que nous pâtisson, nous reconnaissons avoir failli. Ce qui est allé au gouffre, c’est l’effectivité elle-même : son êtres est d’appartenir à la loi éthique comme à sa substance. C’est seulement dans l’égale soumission des deux côtes qu’est accompli le droit

absolu et q’est entré en scène la substance éthique comme puissance négative qui engloutit les deux côtés, ou le destin tout-puissant et juste. L’adolescent sort de l’essence dépourvue de conscience, de l’esprit de la famille et devient l’individualité de l’essence commune, il vient au jour dans la contingence de deux frères qui, avec un droit égal, s’emparent de cette même essence commune. Mais le gouvernement, comme l’âme simple ne supporte pas une dualité de l’individualité. Ces deux, pour cette raison, se brouillent. L’un évince l’autre, mais tous deux trouvent l’un par l’autre leur ruine réciproque. Celui qui en vient à profaner l’esprit suprême de la conscience, l’arrogant, doit nécessairement être spolié de l’honneur dû à son essence, l’honneur de l’esprit décédé. Seulement, l’effectif a consumé son essence, L’esprit manifeste a la racine de sa force dans le monde d’en bas, la certitude du peuple, sûre d’elle-même et s’assurant n’a la vérité de son serment que dans les eaux de l’oubli. La mort, dont le droit est lésé, sait trouver les outils de sa vengeance. Ils se mettent en branle de façon hostile et détruisent l’essence commune qui a brisé la piété de la famille. La loi humaine se maintient par le fait qu’elle consume dans soi la particularisation des pénates auxquelles préside la féminité. Celle-ci change par l’intrigue la fin universelle du gouvernement en une fin privée. Elle est le peuple pour qui sont les individus. La guerre est l’esprit et la forme où le moment essentiel de la substance éthique, la liberté absolue de l’auto essence éthique par rapport à tout être-là, est présente dans son effectivité. En tant qu’elle fait sentir la force du négatif aux systèmes singuliers de la propriété et de l’autostance personnelle, l’essence commune y va au gouffre universellement. La figure éthique de l’esprit a disparu, et c’est une autre qui entre à sa place, déterminée par le fait que la conscience éthique est dirigée vers la loi de façon immédiate. En raison de cette naturalité, ce peuple éthique est une individualité déterminée par la nature et bornée, elle trouve sa sursomption dans une autre, une universalité formelle éclaté (en individus)

4 - L’état du droitL’universel éclaté en individus multiples est cet esprit sans vie égalitaire où tous ont la même valeur, en tant que personnes. La loi divine est ainsi extériorisée dans l’effectivité. Là où les puissances éthiques tombent dans le destin vide, la nécessité de ce destin n’est rien d’autre que le Je de l’autoconscience. La personnalité est extraite de la substance éthique universelle abstraite. Elle est sortie de l’esprit immédiat comme volonté universelle de tous et obéissance dans le service. Le droit de la personne n’est attaché ni à sa puissance ni à sa richesse, mais au pur un de son effectivité abstraite, en tant qu’autoconscience en général qui vaut ici comme l’essence absolue. Cette personne est en réalité contingente, le formalisme du droit trouve déjà là un subsister pluriel, la propriété, qui relève du hasard et de l’arbitraire ; Ainsi désigner un individu comme personne est l’expression du mépris. La puissance libre du contenu des personnes est donc rassemblée en un point qui leur est étranger, puissance universelle et effectivité absolue, maître du monde (l’empereur romain). Se sachant comme concept intégratif, ce maître est autoconscience monstrueuse se prenant pour le dieu effectif de jouissance et de débauche. La personnalité de droit expérimente plutôt en tant que le contenu qui lui est étranger se fait valoir dans elle, son absence de substance. Le valoir universel de l’autoconscience est la réalité aliénée d’elle, qui lui est devenue étrangère, sans possibilité de retour comme dans l’extérioration.

K - ANTIGONE DE SOPHOCLE DANS LE DEBAT LEGALITE ET LEGITIMITE« CRÉON : Connaissais-tu la défense que j’avais fait proclamer ?

ANTIGONE : Oui, je la connaissais ; pouvais-je l’ignorer ? Elle était des plus claires.

CRÉON : Ainsi tu as osé passer outre : à ma loi ?

ANTIGONE : Oui, car ce n’est pas Zeus qui l’avait proclamée ! Ce n’est pas la Justice, assise aux côtés des dieux infernaux ; non, ce ne sont pas là les lois qu’ils ont jamais fixées aux hommes, et je ne pensais pas que tes défenses à toi fussent assez puissantes pour permettre à un mortel de passer outre à d’autres lois, aux lois non écrites, inébranlables, des dieux ! Elles ne datent, celles-là, ni d’aujourd’hui ni d’hier, et nul ne sait le jour où elles ont paru. Ces lois-là, pouvais-je donc, par crainte de qui que ce fût, m’exposer à leur vengeance chez les dieux ? Que je dusse mourir, ne le savais-je pas ? et cela, quand bien même tu n’aurais rien défendu. Mais mourir avant l’heure, je le dis bien haut, pour moi, c’est tout profit : lorsqu’on vit comme moi, au milieu des malheurs sans nombre, comment ne pas trouver de profit à mourir ? Subir la mort, pour moi n’est pas une souffrance. C’en eût été une, au contraire, si j’avais toléré que le corps d’un fils de ma mère n’eût pas, après sa mort, obtenu un tombeau. De cela, oui, j’eusse souffert ; de ceci je ne souffre pas. Je te parais sans doute agir comme une folle. Mais le fou pourrait bien être celui même qui me traite de folle. »,

Sophocle, Antigone, env. 442 av. J.-C., Éd. Les Belles Lettres, trad. R Mason.