36
Revue de l’association des professeurs de sciences économiques et sociales APSES Info www.apses.org n°61 - Juillet i2013 Entretien avec Bernard LAHIRE Les SES en Espagne Le dossier : Eduquer aux médias

0 2 i t e l i APSES Info n...1999), Portraits sociologiques. Dispositions et variations individuel-les (Paris, Nathan, 2002), La Culture des individus. Dissonances culturel-les et

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

  • Revue de l’association des professeurs de sciences économiques et sociales

    APSES Info

    www.apses.org

    n°6

    1 -

    Ju

    ille

    t i2

    01

    3

    Entretien avec Bernard LAHIRE

    Les SES en Espagne

    Le dossier :

    Eduquer aux médias

  • SOMMAIRE

    2 - Apses Info n°61 - Juillet 2013

    Sommaire3 Editorial

    Nouvelles épreuves, nouveaux défauts –qui s'ajoutent aux anciens !

    4 Entretien avec Bernard LAHIRE

    12 Dossier « Education aux médias »

    13 Une année d’éducation aux médias

    15 Lorsque la classe devient une équipe

    de rédaction

    17 L’univers bien organisé des journaux

    lycéens

    20 Enregistrer un journal radio

    21 Les médias ont-ils du pouvoir ?

    23 Acrimed : porter un regard critique

    sur les médias

    25 Entretien avec Erik Neveu

    29 Quelle place pour les SES en

    Espagne ?

    31 Reprendre la main sur le métier :

    l’exemple des professeurs de SES

    35 Lu et relu...

    Lectures du jour

    Apses-Info est éditée par l’Association des Professeurs de Sciences Economiques et Sociales, association de loi 1901. Présidente :

    Marjorie GALY. Directeur de publication : Jean-Pierre GUIDONI. Rédacteur en chef : Thomas BLANCHET, 14 rue Alphonse TERRAY -

    38000 GRENOBLE - Mise en page et maquette : Thomas BLANCHET - Impression : HORIZON. Ce numéro a été imprimé en 1600 exem-

    plaires - Prix : 3€

    Sommaire

    Le mot de la rédaction

    Comment positionner Apses info face aux nombreuses autres sources d’information que possèdent les professeursde SES ? L’introduction d’un dossier de la rédaction qui vise à méler pédagogie et actualisation des connaissancesest une réponse à cette question. Nous réalisons ainsi un premier test avec un dossier sur la sociologie des médias.

    La maquette a aussi été soignée. Le maquettiste a aussi introduit quelques nouveautés, qui ne vous sauteront pasaux yeux. C’est le cas des lettrines et des phrases mises en exergue.

    Mais, tout ceci ne serait pas possible sans deux fidèles contributeurs, Stéphane Carré et Igor Martinache. Nos troisdessinateurs sont toujours présents : Thierry Rogel (académie d’Orléans -Tours), David Delagneau (académie deGrenoble) qui signe “D” et Sébastien Véry (académie de Créteil). Merci à tous pour le travail réalisé.

    Bonne lecture !

    Thomas BLANCHET - Rédacteur en chef

  • L’année 2012/2013 amarqué un clair change-ment de ton du Ministèrevis-à-vis des SES et del'APSES. Suite à notremobilisation, le cabinetde Vincent Peillon a sureconnaître qu’il étaitindispensable d’allégerles programmes du cycleterminal, en attendantqu’ils soient réécrits sous

    l’égide du Conseil Supérieur des Programmes (àpartir de la rentrée 2015 pour la seconde jusqu’à larentrée 2017 pour la terminale). Et le dialogue est denouveau possible avec l’inspection générale aveclaquelle nous avons échangé en novembre à proposde la place des SES en seconde, des nouvellesépreuves de bac en lien avec les nouveaux pro-grammes, puis en juin à propos de la nouvellemaquette du CAPES.

    Mais tout n'est pas réglé pour autant. Lasituation en seconde continue ainsi d’être préoccu-pante : peu de dédoublements, velléités rampantesde fusionner SES et PFEG, d’interdire d’évalueravec des notes ou de participer à l’orientation.L’inadéquation entre l’horaire et le statut d’une part,et le programme notionnel et contraignant d’autrepart, y rend l’exercice de notre métier souvent inte-nable. Face à ces difficultés, l’APSES continue dedemander l’entrée des SES dans la culture commu-ne des lycée(n)s et des conditions d’enseignementdécentes en seconde. Elle a été soutenue, à cesujet, dans une Lettre ouverte adressée à VincentPeillon en mai dernier (« Les SES méritent mieuxque l’exploration ») par un bel aréopage de cher-cheurs en économie, sociologie, science politique,anthropologie, histoire. Une demande d’entrevue aété adressée au cabinet à ce sujet. Ce mandat resteun axe principal pour l’APSES comme l’a confirméunanimement l’AG annuelle qui s’est tenue mi-juin àParis.

    Si l’AG a été le moment privilégié pour réca-

    pituler les difficultés de l’année écoulée, elle a éga-lement permis de tracer les orientations pour l’année2013/2014 : rétablir la 6ème heure en terminale,revoir l’offre de spécialités en série ES, obtenir uncadrage national de l’AP et des dédoublements, nepas séparer la confection des programmes des fina-lités et modalités de l’évaluation… C’est en effet l’é-valuation du baccalauréat qui pilote en grande partieles pratiques pédagogiques en classe ; le moinsqu’on puisse dire est que le couple nouveaux pro-grammes-nouvelles épreuves ne nous a pas faitaller dans la bonne direction ! Bachotage intensedès le 1er septembre pour en arriver aux sujets dejuin (en métropole surtout). « Tout ça pour ça » noussommes nous dit en les découvrant. Il est doncessentiel, dans un premier temps, de dresser unbilan des nouvelles épreuves, afin de clarifier d'ur-gence le cadrage des consignes données auxconcepteurs de sujets (qui nous avait dit qu’en EC1il ne pouvait y avoir de question de « pure » défini-tion ?) et de faciliter les pratiques pédagogiques desenseignants. A terme, ce bilan pourra égalementservir de base pour envisager un éventuel réaména-gement des épreuves. Si l’on en croit le retour inat-tendu des sujets type « Dans quelle mesure » en dis-sertation à la session 2013 (5 dissertations sur 9 soitbeaucoup plus que les années précédentes) il estpermis de penser que les critiques construites col-lectivement par l’APSES portent leurs fruits.

    A l’heure où nous corrigeons les copies, uneimpression inédite et très majoritaire remonte descollègues : les sujets de métropole n’ont pas permisde résoudre les difficultés récurrentes des anciennesépreuves tout en créant de nouveaux écueils ; lesorientations en 1ère ES semblent s’affaisser dansbeaucoup de lycées et les 2 spécialités de SESrésistent mal en terminale face à la « rentable » spé-cialité mathématiques.

    Les nouvelles structures du lycée semblentainsi révéler tous leurs effets, 3 ans après leur miseen œuvre. Dans un contexte où le Ministre parle ànouveau de rééquilibrer les séries, il va nous falloirrester particulièrement vigilants…

    EDITORIAL

    3 - Apses Info n°61 - Juillet 2013

    Editorial Nouvelles... épreuves

    Par Marjorie GALY,présidente de l’APSES

    [email protected]

  • LES ENTRETIENS D’APSES-INFO

    4 - Apses Info n°61 - Juillet 2013

    A l’occasion de la sortie de Dans les plis singuliers du social (La Découverte, 2013),

    Apses-info a souhaité s’entretenir avec Bernard Lahire pour revenir sur sa concep-

    tion de la sociologie et ses études des processus de socialisation.

    Entretien avec Bernard Lahire

    ernard Lahire est professeur desociologie à l'Ecole NormaleSupérieure de Lyon et dirige

    l'équipe de recherche « Dispositions,pouvoirs, cultures, socialisations » auCentre Max Weber, laboratoire duCNRS. CNRS dont il a reçu lamédaille d'argent en 2012. Il est l'au-teur de nombreux articles et ouvra-ges parmi lesquels : Culture écrite etinégalités scolaires. Sociologie de l'«échec scolaire » à l'école primaire(Lyon, Presses Universitaires deLyon, 1993), La Raison des plus fai-bles. Rapport au travail, écrituresdomestiques et lectures en milieuxpopulaires (Lille, PressesUniversitaires de Lille, 1993),Tableaux de familles. Heurs et mal-heurs scolaires en milieux populaires(Paris, Gallimard/Seuil, 1995),L'Homme pluriel. Les ressorts de l'ac-tion (Paris, Nathan, 1998),L'Invention de l'illettrisme. Rhétoriquepublique, éthique et stigmates, Paris,La Découverte (Paris, La Découverte,1999), Portraits sociologiques.Dispositions et variations individuel-

    les (Paris, Nathan, 2002), La Culturedes individus. Dissonances culturel-les et distinction de soi (Paris, LaDécouverte, 2004), La Condition litté-raire. La double vie des écrivains(Paris, La Découverte, 2006), FranzKafka. Éléments pour une théorie dela création littéraire (Paris, LaDécouverte, 2010), Monde pluriel.Penser l'unité des sciences sociales(Paris, Seuil, 2012).

    Dans son dernier ouvrage, Les Plissinguliers du social. Individus, institu-tions, socialisations (Paris, LaDécouverte, 2013), celui-ci proposeune sorte de bilan d'étape de ses tra-vaux, dont la question de la socialisa-tion, ou plus exactement des sociali-sations, constitue le fil rouge. Il s'ap-plique ainsi à y mettre en évidencecertaines de ses implications, et sur-tout à corriger certaines interpréta-tions erronées qui ont pu en être fai-tes. Il précise ainsi en quoi consiste leprogramme – exigeant - d'étude desmultiples processus de socialisationsdont chacun d'entre nous fait l'expé-

    rience et qui produit chez lui desdispositions plurielles, et parfoiscontradictoires, qui vont s'actualiserou non suivant les contextes. Ce fai-sant, il discute les analyses de PierreBourdieu, Emile Durkheim ou MaxWeber, non sans critique, ce qui estsans doute le meilleur hommage quel'on peut leur rendre. Mais surtout, ilremet en cause le mythe tenace d'unindividu autonome, hypothèse centra-le du modèle de l'homo economicusde la théorie néoclassique, maisaussi porteur d'une injonction para-doxale à « devenir soi-même », lour-de d'implications politiques. Ce fai-sant, l'ouvrage est susceptible derencontrer divers publics, aussi bienles connaisseurs de l'œuvre deBernard Lahire et des sociologues «classiques », que les férus d'écono-mie, mais aussi des sciences ditesdures, car l'auteur montre égalementcomment ce modèle de la socialisa-tion plurielle qu'il a développé trouveun certain nombre de confirmationsdans les développements des neuro-sciences actuelles.

    Présentation

    L’entretien

    u début de votre ouvrage,

    dans un « avertissement au

    lecteur », vous motivez son

    écriture par le souhait de répondre

    à certaines critiques et présenta-

    tions erronées de vos recherches.

    Pourriez-vous expliciter en quoi

    consistent principalement ces der-

    nières ?

    Tout d’abord, ces « mauvaises lectu-res » (mais on peut même se deman-der s’il y a lecture dans certains cas)devraient soulever l’indignation col-lective. Lectures approximatives,intéressées, fantasmatiques, qui sontdavantage guidées par des a priori,des rumeurs, des propos de couloirs

    ou de Facebook aujourd’hui, ellesfont perdre beaucoup de temps àtous : ceux qui croient les commenta-teurs pressés ou les faiseurs derumeurs et qui sont découragés d’al-ler directement aux textes ; ceux quisont obligés de rectifier en perma-nence ce qu’on dit de leur travail aulieu de consacrer leur énergie pourfaire avancer leur travail. Je ne suispas le seul à en subir les effets, maisayant « choisi » une voie qui est àcontre-pente d’un grand nombre decourants, les lectures erronées demon travail sont multiples. Pour allervite, j’opère un travail critique à l’inté-rieur de la tradition sociologique dont

    le dernier grand représentant a étéPierre Bourdieu (mais c’est celleaussi de Marx, de Weber, deDurkheim, de Mauss, d’Halbwachs,d’Elias, etc.), mais suis donc, logique-ment, bien plus critique encore descourants qui s’y opposent, cumulantainsi les oppositions et les adversai-res... À cela, s’ajoute la lecture défor-mante des journalistes lorsque descomptes rendus paraissent dans lapresse nationale.

    Concernant mon travail, on a parfoislaissé entendre ou écrit explicitementque j’étais du côté de la « liberté » del’acteur (un acteur « bricolant » son

    B

    A

  • LES ENTRETIENS D’APSES-INFO

    5 - Apses Info n°61 - Juillet 2013

    parcours, faisant des choix de pra-tiques ou de vie comme un consom-mateur est censé faire ses coursesdans un supermarché) et que je medistinguais ainsi du déterminisme dePierre Bourdieu ; que je faisais partiede ceux qui pensent que les classessociales n’existent pas ou plus ; quemon travail effaçait la question de ladomination ou, enfin, que j’accompa-gnais le courant qui soutient l’idéed’une « montée de l’individualisme ».Or, même si j’ai bien conscience d’a-voir soumis les lecteurs à rude épreu-ve en publiant de « gros » livres (troplongs sans doute pour l’époque quiencourage le short book et le fast-reading !), il suffit de lire mes travauxpour savoir que je suis totalementétranger à ces classements. Je n’aid’ailleurs jamais laissé planer aucundoute dans mes textes sur l’ensem-ble de ces questions.

    Afin de dissiper de tels malenten-

    dus, vous vous employez ainsi

    dans cet ouvrage à préciser le pro-

    gramme de recherche que vous

    avez commencé à mettre en œuvre

    dans vos ouvrages précédents,

    notamment dans L'homme pluriel,

    La culture des individus et Franz

    Kafka : à savoir la mise en éviden-

    ce des multiples – et fréquemment

    contradictoires - dispositions dont

    chaque individu est porteur et qui

    sont elles-mêmes le fruit des diver-

    ses formes de socialisation aux-

    quelles il a été exposé. Pourquoi

    l'attention à la formation de ces «

    clivages de l'habitus » vous appa-

    raît-elle particulièrement décisive

    ?

    Je ne parlerais pas personnellementde « clivages de l’habitus », ce quisupposerait une sorte de ligne defracture unique entre des systèmesde dispositions opposés, mais depatrimoines de dispositions hétérogè-nes et parfois contradictoires. Avantde répondre à la question de savoiren quoi cette prise en compte deshétérogénéités dispositionnelles estdécisive, il faut d’abord se demandersi elle est juste et pertinente par rap-port à la théorie de l’habitus dévelop-pée par Bourdieu. J’apporte en faitdes corrections importantes, et mesemble-t-il décisives, à la théorie del’habitus. En enquêtant sérieuse-ment, on observe que les patrimoinesde dispositions sont hétérogènes etqu’ils ne forment qu’assez rarementun système homogène (« une formu-

    le génératrice des pratiques » selonl’expression de Bourdieu) de disposi-tions mais un ensemble plus oumoins cohérent de dispositions quiont été fabriquées dans des cadressocialisateurs plus ou moins diversi-fiés selon le type d’acteur étudié et,notamment, le type de trajectoire qu’ila connu. Ces dispositions ne sont

    pas systématiquement générales ettransférables et peuvent donc êtrelocales et peu transférables au-delàdes domaines de pratiques ou destypes de situations dans lesquelselles ont été formées. Enfin, ellessont plus ou moins fortes ou faiblesselon le moment (plus ou moins pré-coce) où elles ont été constituées,selon le degré d’intensité avec lequelelles l’ont été et selon la durée de leurformation-renforcement-actualisation.Si l’on tient compte de la pluralité descadres socialisateurs et du temps(moment, durée, rythme) de sociali-sation, on est obligé de faire des dif-férences entre types de dispositions

    incorporées et entre types de patri-moines de dispositions.

    Tenir compte de la pluralité interne(dispositionnelle) et externe (contex-tuelle), c’est tout d’abord rendre pos-sible une analyse beaucoup plus finedes déterminismes sociaux quiconduisent les acteurs à faire ce

    qu’ils font. La prise en compte de cescomplexités internes et externes estcruciale lorsqu’on veut comprendredes trajectoires ou des situations aty-piques, des actes peu probables(actes criminels, suicide, etc.) ou dessingularités individuelles (qui font queFlaubert, Kafka, Mozart ou Wagnersont des êtres uniques saisis dansl’ordre de leur création littéraire oumusicale). Mais j’ai aussi montrédans La Culture des individus quel’hypothèse (empiriquement vérifiée)de la pluralité des goûts et des pra-tiques culturels au niveau individuelrenvoie à des phénomènes statisti-quement récurrents et à la structura-

  • LES ENTRETIENS D’APSES-INFO

    6 - Apses Info n°61 - Juillet 2013

    tion macrosociologique de nos forma-tions sociales : à la pluralité des cad-res de socialisation culturelle et à lapluralité des domaines ou des situa-tions dans lesquels les acteurs (cultu-rellement hétérogènes le plus sou-vent) sont amenés à « consommer »les œuvres culturelles. Si j’ai insisté

    dans L’Homme pluriel sur la pluralitédes dispositions incorporées parchaque individu, j’ai repris ce thèmedans Monde pluriel en insistant surles conditions structurelles de pro-duction de cette pluralité disposition-nelle à l’échelle des individus.

    Vous vous appliquez dans le pre-

    mier chapitre à déconstruire la

    thèse très répandue d'une montée

    de l'individualisme, reprise sous

    diverses formes par nombre d'es-

    sayistes mais aussi de sociolo-

    gues plus sérieux comme un pré-

    supposé qu'il serait inutile de

    démontrer. Peut-on selon vous

    rendre compte sociologiquement

    du succès de l'idée d'un avène-

    ment d'un individu « libre et auto-

    nome » ?

    Votre question est très pertinente etimportante. Une certaine sociologiecompréhensive aurait tendance à direque si les acteurs se croient libres etautonomes, alors cela a des effetssur leur manière de se comporter, etque, par conséquent, ces représenta-tions constituent l’essentiel de ce quele chercheur doit étudier. La sociolo-

    gie, telle que je la conçois, prend acteque des idéologies de l’autonomie etde la liberté individuelle circulentdans le monde social et peuvent avoirdes effets sociaux plus ou moins per-formatifs, mais elle rappelle aussi 1)que ces représentations sont inégale-ment distribuées dans l’espace social

    ; 2) qu’il ne s’agit que d’idées, dereprésentations et non de descrip-tions vraies de la situation socialeque vivent les individus ; 3) qu’il fauttoujours penser les représentationsen rapport avec ce que nous pouvonsapprendre de la situation objectivevécue par les individus par d’autresmoyens d’enquête que la simpleétude de leurs représentations dis-cursives (les acteurs sont caractéri-sables par des ressources culturelles,économiques, etc., par des positionsoccupées dans divers microcosmessociaux tels que la famille, l’école,l’espace professionnel, les diversesinstitutions qu’ils fréquentent, etc., etpar toutes les dispositions qu’ils ontincorporé au cours de leurs expérien-ces sociales).

    On trouve déjà chez Norbert Eliasdes explications concernant le suc-cès idéologique (et notamment philo-sophique) du thème de l’individu libreet autonome. Il avance plusieursexplications : la division du travail deplus en plus poussée ; le fait que,alors que les enfants et adolescentsdéveloppent de multiples compéten-

    ces et appétences, leur vie d’adultedans un monde hyper-spécialisé lescontraint à restreindre le champ deleurs activités, ce qui se traduit par unsentiment de coupure entre le moiintime et la société (hostile, oppres-sante, castratrice, etc.) ; ou encore lephénomène de l’auto-contrôle per-sonnel qui conduit à prendre davan-tage conscience de soi.

    On pourrait ajouter à cela des phéno-mènes aussi différents que le déve-loppement des sciences du psychis-me ou celui de la théorie libérale ounéo-libérale de l’acteur économique,le déploiement de certaines tech-niques de management très indivi-dualisantes dans les entreprises, ouencore le fonctionnement de certai-nes institutions (dont l’école) quienjoignent les individus à développerun comportement « autonome ». Lavolonté de comprendre le pourquoide ces représentations n’empêchecependant pas Elias de lutter contreces manières de voir les individus quilui paraissent scientifiquement faus-ses.

    Aujourd’hui, avec les thèses sur la «montée de l’individualisme » ou surnos « sociétés individualistes », cer-tains chercheurs tentent de réintro-duire l’idée selon laquelle les acteursseraient désormais moins déterminéssocialement, plus libres, moinscontraints qu’auparavant. Cela n’apourtant strictement aucun sens :quelle que soit la forme que prend lasociété, les individus n’existent entant que tels que parce qu’ils ont été,dès leur naissance, en relations avecd’autres et que parce qu’ils ont apprisà agir et à penser dans un environne-ment social donné. Certes, de plus enplus d’institutions (scolaires, écono-miques, culturelles, etc.) tiennent undiscours sur la nécessité pour lesindividus d’être « autonomes », «authentiques », « originaux », « maît-res de leur destin », etc. Il faut doncétudier ces phénomènes. Mais, d’unepart, il faut constater que tout lemonde n’a pas la même chance d’yparvenir (en fonction de ses ressour-ces économiques, culturelles etsociales) et, d’autre part, il faut pren-dre conscience que ces comporte-ments sont institutionnellementcontraints. C’est l’école qui force lesélèves à devenir autonomes ou à for-muler des « projets ». C’est le néo-management qui exige des tra-

  • LES ENTRETIENS D’APSES-INFO

    7 - Apses Info n°61 - Juillet 2013

    vailleurs « autonomes », « responsa-bilisés », etc.

    Les sociologues, à la suite notam-

    ment de Durkheim, semblent sou-

    vent avoir quelques difficultés à

    appréhender l'échelle individuelle,

    soit qu'ils surestiment la force de

    la volonté, soit au contraire qu'ils

    exagèrent les déterminismes de

    certaines appartenances et la

    cohérence des habitus qui en

    résultent. Vous reprenez pour

    votre part à votre compte la cri-

    tique, formulée déjà clairement par

    Norbert Elias (1), des catégories de

    « société » et d' « individu », qui

    font croire que chacune existerait

    séparément. Pourquoi ne peut-on

    pas cependant se passer de ces

    dernières ?

    Il est très difficile en effet de se pas-ser des termes d’« individu » et de «société » (ou d’équivalents du type «acteur » et « système », « individus »et « contextes sociaux », etc.) parceque tantôt nous considérons les indi-vidus en tant que tels, dans leursactions, leurs décisions, leurs percep-tions, etc., tantôt nous portons unregard sur les « tout » qu’ils formententre eux : la famille, l’entreprise, l’É-cole, l’État, l’Église, le monde littérai-re ou scientifique, etc. Mais on nedevrait jamais utiliser ces termessans préciser le point de vue qui estengagé : une plongée vers des casindividuels ou des plans d’ensemblequi permettent d’embrasser des col-lectifs. On a affaire à la même réalitésociale vue sous des angles, et sur-tout à des échelles, différents. Lamalédiction substantialiste du langa-ge, c’est qu’une fois que vous avezséparé l’individu de la société, vouspouvez donner l’impression que vousavez affaire à deux choses, deux sub-stances séparées. Le chercheur estdonc toujours obligé de rappeler cetteévidence qui fait que les sociétéssont composées d’individus (et desproduits objectivés de leurs activités)et que les individus n’existent quecomme produits d’expériences socia-lisatrices dans des institutions ou desgroupes. Pas d’individu (conscient,agissant, percevant, etc.) sans socié-té, pas de société sans individus.

    De même, vous expliquez que les

    sociologues gagneraient à s'inter-

    roger plus souvent sur la nécessi-

    té à employer certains concepts, et

    notamment à se demander s'ils ne

    peuvent pas exprimer le sens

    qu'ils portent avec des termes du

    langage courant. Quelles autres

    catégories devrait-on ainsi manier

    avec précaution selon vous ?

    Cela concerne tous nos concepts. Jepense que l’un des effets pervers dela posture savante consiste souvent àénoncer d’une manière très complexedes choses qui pourraient se dired’une façon extrêmement simple,sans perdre de leur intérêt scienti-fique ou de leur force d’éclairage. Leconcept ronflant ou la phrase abscon-se sont un peu comme les « tam-bours et trompettes » évoqués parPascal, qui marchent au-devant duroi et ont pour objectif de faire « trem-bler les plus fermes ». Souvent, jem’amuse à convertir des textes extrê-mement boursouflés, alambiqués,prétentieux, etc., en énoncés simpleset cela marche malheureusementtrès bien. Mon attitude n’a rien dupopulisme théorique qui pense queles concepts n’ajoutent rien à laconnaissance, mais elle a à voir avecune sorte de pragmatisme desconcepts. Il ne faut jamais perdre devue que ceux-ci doivent être utiles. Etil faudrait toujours dire les choses de

    telle manière à ce que notre proposne soit pas plus savant que nécessai-re. Cet esprit pratique a été renforcéau cours de mon parcours de recher-che par la lecture de philosophescomme Ludwig Wittgenstein ou, plusrécemment, Jacques Bouveresse. Cesont des philosophes qui cherchent laclarté, alors même qu’être obscur estsouvent pris pour un signe d’extrêmeprofondeur. Wittgenstein avait mêmeune conception hygiéniste de la philo-sophie : philosopher c’est faire leménage et nettoyer le langage desfaux problèmes ou des mauvaisesmanières de parler, et donc de pen-ser.

    Vous mettez en question la distinc-

    tion courante entre socialisation «

    primaire » et « secondaire ». Faut-

    il la conserver selon vous ?

    Je remets en cause ce découpagelorsqu’il donne lieu à des usages dis-cutables. L’utilité de cette distinctionrepose sur un fait évident mais néan-

    moins fondamental : nous vivons desexpériences dans un certain ordrechronologique et les expériences plustardives doivent toujours composeravec le fait qu’elles ont été précédéesd’expériences antérieures. Ce simplefait, banal, donne une importance etun poids particulier aux primes socia-lisations. C’est dans la famille que sevivent les expériences les plus fonda-mentales d’un être humain : on y app-rend à marcher, à parler, à manger, àpenser, à sentir, à aimer, à détester,etc. Et c’est toujours sur cette baseque la suite des événements biogra-phiques se déroulent. Or, comme lesfamilles sont objectivement très diffé-rentes et inégalement dotées en res-sources culturelles, morales, écono-miques, les tendances reproductricesdes sociétés viennent de là. Et puisles dispositions mentales et compor-tementales construites au cours despremières années de la vie restenttrès largement non-conscientes : onne peut à la fois se former et savoirce qui nous forme.

    Mais si on s’en tient là, on risque denégliger des faits importants. Toutd’abord, les primes socialisations nesont pas aussi cohérentes qu’on lelaisse entendre dans les raisonne-ments les plus courants : la famillen’est pas un bloc homogène, maiselle est composée de membres dontles propriétés sociales varient parfoisau point que l’héritage inter-généra-tionnel peut-être très hybride et pré-parer des contradictions, des orienta-tions ou des bifurcations futures.

    Ensuite, la concurrence socialisatricecommence très tôt et ce que l’on pla-çait à une époque du côté des socia-lisations secondaires peut faire partiedes expériences les plus précoces :l’institution de la crèche, l’écolematernelle et toutes les institutions ettous les agents chargés de la petiteenfance composent un monde quistructure les expériences enfantines.

    Enfin, il ne faut jamais négliger lepouvoir formateur et transformateurdes expériences relevant de la socia-lisation secondaire. Même si on nerentre dans une entreprise, une insti-tution religieuse, politique, culturelleou sportive que sur la base de pré-dispositions socialement constituées,ces institutions ont le pouvoir, unefois qu’on y est entré, de forger denouvelles dispositions ou de transfor-

    Pas d’individu (conscient,agissant, percevant, etc.)sans société, pas desociété sans individus.

  • LES ENTRETIENS D’APSES-INFO

    8 - Apses Info n°61 - Juillet 2013

    mer d’anciennes dispositions pour lesfaire fonctionner autrement.

    Vous affirmez que l'on présente

    souvent à tort les approches de

    Durkheim et de Weber comme

    opposées, « pour des raisons pré-

    tendument pédagogiques »

    (p.116). Pourquoi une telle opposi-

    tion (fréquente, il faut l'avouer,

    parmi les enseignants de SES) est-

    elle erronée selon vous ?

    Répondre sérieusement à cette ques-tion supposerait de longs développe-ments que je ne peux me permettre.Je vais donc essayer de résumer enquelques grands points. Avant d’op-poser ces deux auteurs, on devraitcommencer par rappeler qu’ils parta-gent de grands principes. Ils croientnotamment tous deux que le mondesocial est redevable d’une étudescientifique et qu’il existe des moyensrationnels de comprendre la réalité.Ensuite, alors qu’on place souventWeber du côté du subjectivisme et dela compréhension, et Durkheim ducôté de l’objectivisme, on se rendcompte que Weber comme Durkheimse méfie des pré-notions et romptavec les évidences, les illusions pre-mières, etc. Il explique notammentque l’on ne doit pas prendre les pro-pos des acteurs sociaux « pourargent comptant » : cette simpleremarque devrait inspirer les sociolo-gues compréhensifs contemporainsqui, au nom de Weber, font souventce que Weber ne souhaitait pas queles sociologues fassent. Il n’y ad’ailleurs pas plus objectivistes aufond que les études empiriques deWeber (sur les religions ou sur le lienentre l’éthique protestante et l’espritdu capitalisme). Weber et Durkheimveulent aussi tous deux éviter d’expli-quer le fonctionnement du mondesocial par de vagues sentimentsgénéraux : Weber refuse d’expliquerle développement du capitalisme parune vague auri sacra fames et traitemême ceux qui défendent ce genred’explication de « modernes roman-tiques pleins d’illusions », tandis queDurkheim ne veut pas expliquer lafamille ou la religion par des senti-ments qui, au contraire, s’expliquentpar le fonctionnement de ces entitéscollectives. Enfin, mais je pourraispoursuivre encore longtemps les rap-prochements, Durkheim et Webersont très méfiants à l’égard de lathéorie de l’homo œconomicus, ettous deux pensent que les individus

    sont le produit de leurs socialisationsdans des institutions sociales : Webercherche, par exemple, à voir com-ment les différentes religions façon-nent des « types d’hommes » diffé-rents ; et Durkheim insiste sur lasocialisation entre les générations, lasocialisation scolaire ou les effetssocialisateurs des milieux profession-nels.

    Il me semble que, surtout au lycée, ilserait particulièrement important d’é-viter les caricatures et de mettre l’ac-cent sur l’effort commun que cesdeux sociologues ont accompli pourfaire advenir des sciences socialesrigoureuses et autonomes.

    Vous expliquez que pour analyser

    rigoureusement un processus de

    socialisation, il faut en préciser les

    cadres, les modalités, les

    temps et les effets. Pouvez-

    vous préciser rapidement

    en quoi chacun de ces élé-

    ments consiste, et surtout

    pensez-vous qu'il soit pos-

    sible de les isoler pour

    chaque socialisation qu'ex-

    périmente un individu

    donné, et si oui comment ?

    Ce que je veux dire, en effet,c’est que l’on ne peut pas secontenter d’évoquer la «socialisation » primaire ousecondaire, familiale ou pro-fessionnelle, etc., l’existencede « corps socialisés » ou,dans le lexique de PierreBourdieu, des « habitus »,sans enquêter sur les proces-sus de socialisation. Et pourêtre un tant soit peu précis,nous devons décrire et analy-ser les cadres de socialisation (fami-lial, scolaire, professionnel, etc.) quisont des espaces où se déroulentdes activités particulières, des espa-ces avec des acteurs particuliers ; lesmodalités de la socialisation (implici-tes ou explicites, douces ou brutales,pratiques ou théoriques, par imitationdirecte des comportements ou pardes voies indirectes, etc.) à traverslesquelles se déroulent les processusde socialisation ; les temps de socia-lisation, ce qui inclut la durée de lasocialisation, l’intensité et le rythmede cette socialisation ainsi que lemoment où intervient cette socialisa-tion dans la vie des individus concer-nés ; et, enfin, les effets de socialisa-tion sous la forme de compétences

    ou de dispositions mentales et com-portementales plus ou moins fortes,plus ou moins durables et plus oumoins transférables-mobilisables au-delà de leurs cadres de constitution.Tous ces éléments sont évidemmentliés dans la réalité sociale et je ne lesdistingue que pour y voir plus clair etpointer les tâches descriptives etanalytiques. Selon les besoins de larecherche, on peut d’ailleurs mettrel’accent sur tel ou tel aspect de cettesocialisation. Mais l’idéal est de tenirl’ensemble de ces exigences.

    Pourquoi les traitements statis-

    tiques conduisent-ils souvent à

    surestimer la cohérence des habi-

    tus individuels ?

    C’est surtout que les données statis-tiques n’ont pas pour objectif de saisirdes « habitus individuels » ! Quand

    on mène des enquêtes quantitatives,on catégorise nécessairement lesenquêtés pour saisir des liens entrecertaines propriétés sociales et cer-tains traits de comportements ou cer-taines attitudes. Vient donc toujoursle moment où chaque individu qui aété interrogé est codé et rentre dansdes cases : il devient homme oufemme, membre de telle classed’âge, de telle catégorie socio-profes-sionnelle, de tel niveau de scolarité,etc. Grâce à ces opérations, les indi-vidus d’une même catégorie sont ren-dus équivalents, et l’on peut fairealors apparaître des régularités dansles pratiques en fonction des grou-pes, des classes ou des catégoriesque l’on a retenus. Cela permet d’ap-

  • LES ENTRETIENS D’APSES-INFO

    9 - Apses Info n°61 - Juillet 2013

    préhender des dispositions de classeou de groupe, mais il faut toujoursrappeler que ces récurrences auniveau des groupes ou des catégo-ries s’accompagnent de complexitésdispositionnelles à l’échelle des indi-vidus. Les patrimoines de disposi-tions des individus sont toujours pluscomplexes, hybrides et parfoiscontradictoires que les patrimoinesdispositionnels saisis à l’échelle desgroupes. L’analyse statistique a ten-dance à gommer les variations inter-individuelles à l’intérieur des mêmescatégories ou des mêmes groupes età empêcher de saisir les variationsintra-individuelles. Cela n’est, biensûr, pas une condamnation de l’en-quête statistique, mais appelle àdavantage de vigilance et de préci-sion dans l’interprétation des résul-tats. Et, surtout, cela conduit le cher-cheur à ne pas prêter aux individus lacohérence dispositionnelle que l’on aconstruite à l’échelle des groupes.

    L'analyse des processus de socia-

    lisation implique ainsi de privilé-

    gier les méthodes ethnogra-

    phiques – observations prolon-

    gées et entretiens, eux-mêmes de

    préférence répétées, à l'instar du

    protocole exigeant que vous avez

    mis en œuvre dans vos Portraits

    sociologiques (2002). Ceux-ci ne

    présentent-ils pas cependant cer-

    tains biais selon vous ? Et si oui,

    quelles précautions faut-il prendre

    pour les limiter ?

    Toute méthode a ses défauts spéci-fiques : l’observation directe ne vouspermet pas de voir des phénomènestrès larges puisque vous êtes rivé àl’ici et maintenant d’un terrain d’en-quête très limité ; l’entretien pose leproblème de la reconstruction, parl’interviewé, de son expérience pas-sée ; l’enquête par questionnairesempêche souvent de saisir les moda-lités des processus et rend difficiletoute saisie un peu singularisée desphénomènes. Mais toute limite peutêtre contrecarrée : l’observation peutse faire dans des lieux socialementcontrastés soigneusement choisispour introduire de la variation dansl’observation ; l’entretien peut se fairerécit de pratiques (plutôt que relevédes « valeurs » des interviewés),s’appuyer sur des déclencheurs demémoire (objets, lieux, thèmes) quifacilitent le travail de remémoration etse répéter dans la durée afin de gom-mer les effets de circonstances ou, au

    contraire, faire surgir des contradic-tions importantes ; le questionnairepeut introduire certaines questionsplus fines et son traitement peut intro-duire des retours aux questionnairesindividuels, avant agrégation desdonnées. C’est souvent le croisementdes méthodes (de plus en plus fré-quemment pratiqué dans les travauxsociologiques) qui est fécond, car lesdonnées obtenues par une voie vien-nent corriger ou nuancer celles pro-duites d’une autre manière.

    Dans Portraits sociologiques, lesentretiens répétés auprès de la

    même personne (huit enquêtés inter-viewés à six reprises) ont permisconcrètement de travailler sérieuse-ment la question de la transférabilité(et de la non-transférabilité) desdispositions (présu posée parBourdieu dans sa définition de l’habi-tus et jamais testée empiriquement).Mais je n’en fais pas une religion !Les méthodes doivent découler duprojet de connaissance qu’on sedonne à l’occasion de chaque nou-velle recherche. Ayant travaillé surdes objets scolaires et culturels sem-blables à partir de méthodes d'inves-tigation très différentes (de l'observa-tion en salles de classe à l'analysestatistique de données quantitativesen passant par l'usage d'entretienslongs et répétés auprès des mêmespersonnes où l’étude de documentsécrits), j'ai été assez rapidement sen-sibilisé aux effets de la variation deséchelles d'observation sur la repré-sentation scientifique que l'on peut sefaire des problèmes étudiés. Cetteprise de conscience a été particuliè-rement utile dans mon parcours.

    Ne faudrait-il pas de ce fait com-

    mencer par sa propre auto-analyse

    sociologique, comme y invitait

    notamment Pierre Bourdieu ?

    Il y a un mot de Paul Valéry que j’ai-me beaucoup. Il écrit dans Tel quelqu’« il n'est pas sûr que se connaîtreait un sens, ni qu'un homme ne puis-se connaître un autre homme mieuxque soi-même. » C’est exagéré, maiscela fonctionne comme un rappel dela difficulté consistant à se prendresoi-même pour objet. Je ne crois pasque l’auto-analyse soit un préalableimpératif. Je dirais même que c’est

    en enquêtant sur les autres que l’onse découvre soi-même petit à petit.On se rend compte tout d’abord de laraison « personnelle » qui fait qu’on aété attiré par tel objet plutôt que partel autre ; ou bien l’on découvre, eninterprétant des pratiques observées,des corrélations entre variables oudes discours (oraux ou écrits), desphénomènes qui nous gouvernaientnon-consciemment comme lesenquêtés étudiés. Bref, si auto-analy-se il y a, celle-ci se déroule par prisesde conscience successives tout aulong d’un parcours de recherche.

    L’auto-analyse que livre PierreBourdieu dans son Esquisse pourune auto-analyse est tellement lacu-naire (quid de la mère ? de sa femme? de ses collègues et concurrents ?pourquoi autant de pages surl’Algérie alors même que l’éducationparentale est quasiment inexistanteet que l’expérience scolaire est rame-née à très peu de choses ?) qu’on adu mal à en voir l’utilité dans le pro-cessus de recherche. Et l’on pourrait

    T. R

    og

    el

  • LES ENTRETIENS D’APSES-INFO

    10 - Apses Info n°61 - Juillet 2013

    même craindre une mode du retoursur soi-même qui flatte le narcissismedes intellectuels. Sauf exception, il nefaut pas les pousser beaucoup pourobtenir un Moi, ma vie, mon œuvre…

    On peut avoir l'impression à vous

    lire qu'un individu ne serait finale-

    ment que le résultat toujours provi-

    soire des formes de socialisation

    qu'il a expérimentées, et qu'il

    serait possible de rendre compte

    de ces comportements par l'exa-

    men des dispositions dont il est

    porteur et des contextes dans les-

    quelles ces dernières vont s'actua-

    liser ou non. Excluez-vous donc

    l'existence de facteurs « intérieurs

    » autres que du social intériorisé ?

    Et si oui, qualifieriez-vous votre

    approche de « déterministe » ?

    Votre impression est bonne ! Et je

    pense, en effet, que ce que l’onappelle parfois « facteur psycholo-gique » est essentiellement du socialintériorisé. Nos émotions, nos senti-ments, nos dialogues ou nos monolo-gues intérieurs, tout cela n’est que leproduit replié en nous-mêmes desrelations que nous avons entretenuesdans le passé et que nous continuonsà entretenir dans le présent avec lemonde, et donc avec autrui. Direcela, c’est tout simplement être lucidesur ce qui nous constitue. Cela a àvoir avec un certain déterminisme, ausens où cela ramène l’ensemble denos actions et réactions pratiques,émotionnelles, cognitives, etc., à descadres sociaux. Mais c’est une espè-ce de déterminisme qui n’a rien à voiravec celui qui faisait rager, à justetitre, Georges Canguilhem. Le déter-minisme mécanique à la Taine, déter-

    minisme par le milieu, la race ou lemoment, n’est évidemment pas legenre de déterminisme que je reven-dique ! Mais les individus ne sont faitsque des modelages sociaux succes-sifs ou parallèles qu’ils ont eu à subir.Leurs comportements (y compris lesplus intimes, les plus personnels) nese comprennent qu’au croisement deleur histoire sociale sédimentée sousla forme de dispositions mentales etcomportementales et des types decontextes dans lesquels ils sont ame-nés à agir, et qu’ils n’ont pas toujoursla possibilité de choisir ou de fuir. Ilssont multi-déterminés en permanen-ce, sans s’en rendre compte, y com-pris dans les moments où ils se sen-tent légers et « libres comme l’air »(qui ne l’est pas plus que ça…). C’estvisiblement désespérant pour cer-tains, y compris parmi les chercheursen sciences sociales qui cherchentparfois à réintroduire de la « liberté »dans leurs modèles explicatifs, alorsmême que cette « liberté » est unvéritable asile d’ignorance. On pour-rait tout aussi bien évoquer, à cemoment-là de l’explication, la petiteflamme qui est en chacun de nous,Dieu ou le hasard, que cela revien-drait au même.

    Peut-on notamment prévoir parmi

    les dispositions, parfois contrai-

    res, dont nous sommes porteurs,

    lesquelles vont s'activer en priorité

    dans un contexte donné ?

    Il est en général extrêmement difficilede prévoir des comportementshumains. Ceci dit, quand on connaîtbien une population (micro-groupe ougroupe), on est rarement surprisdevant les faits de comportementsque l’on observe. Il m’est parfois arri-vé, au cours d’une recherche, et je nepense pas être le seul dans ce cas,de prévoir des situations ou des typesde comportements qui pouvaient sedéduire de ce que je savais des per-sonnes en question et des circons-tances de leurs actions. Je pensequ’à l’échelle individuelle, quand on aune connaissance suffisammentdétaillée du patrimoine de disposi-tions d’une personne, on peutpresque prédire que certaines situa-tions vont faire souffrir ou donner lieuà tel ou tel type de comportement,etc. On touche là à l’une des utilitésde la sociologie qui est très peuexploitée professionnellement : lacapacité qu’elle peut donner à cha-cun de se connaître soi-même en vue

    d’éviter les situations les plus doulou-reuses ou afin de pouvoir affrontermoins naïvement les obstacles.

    Dans votre précédent ouvrage,

    Monde pluriel, vous critiquez

    notamment avec force la fragmen-

    tation croissante des sciences

    sociales. En quoi celle-ci vous

    apparaît-elle faire obstacle à la

    compréhension du monde social ?

    Le « monde social » disparaît pro-gressivement des publications. Entreles travaux monographiques qui relè-vent d’un secteur spécialisé d’unediscipline, et qui se contentent le plussouvent de décrire des micro-parcel-les de la société, et les essais qui par-lent d’autant plus facilement de lasociété en général que leurs auteursne s’appuient sur aucune donnéeempirique, il y a de moins en moinsd’espace où se pensent des proces-sus sociaux transversaux ou des

    mécanismes un tant soit peu géné-raux. L’hyper-spécialisation conduit àla perte des « totalités ». Or, les thè-ses de Marx sur le mode de produc-tion capitaliste, celles de Weber sur lelien entre l’ethos protestant et ledéveloppement du capitalisme, cellesd’Elias sur le long processus de civili-sation en lien avec le développementde l’État, celles de Bourdieu sur la dif-férenciation sociale des sociétés enmicrocosmes relativement autono-mes qu’il appelle les champs, etc.,supposent de penser large, grand etdans l’histoire et non de produire legenre de connaissances positivistesque produisent aujourd’hui des cher-cheurs enfermés dans un sous-champ spécialisé de leur disciplineautarcique. Comme le rappelaitBourdieu, si vous séparez la sociolo-gie de la culture de la sociologie del’école, vous ne comprenez pasgrand-chose aux pratiques culturel-les. De même, une partie de ce qui sepasse dans la famille ne se comprendque si l’on sort de la famille pour com-

    Il y a de moins en moinsd’espace où se pensentdes processus sociauxtransversaux ou desmécanismes un tant soitpeu généraux. L’hyper-spécialisation conduit à laperte des « totalités ».

  • LES ENTRETIENS D’APSES-INFO

    11 - Apses Info n°61 - Juillet 2013

    prendre l’école, l’État, l’entreprise,etc.

    J’ai bien conscience qu’on ne peutpas toujours travailler sur de « grosobjets » ou sur des « problèmesgénéraux », mais on pourrait aumoins s’efforcer d’étudier des objetsbien délimités en les constituant encas du possible ou comme des révé-lateurs de mécanismes ou de phéno-mènes plus larges. Par exemple,lorsque Foucault étudie la prison, ilne le fait pas en spécialiste de l’uni-vers carcéral, mais pour mettre enévidence des dispositifs de pouvoirqui caractérisent tout aussi bien lescasernes, l’école, l’entreprise, etc. Ouencore, quand Bourdieu étudie unpaquet de copies corrigées par unprofesseur de classes préparatoires,il publie un article sur « les catégoriesde l’entendement professoral ». Etcela n’a rien de la généralisation abu-sive. Ce sont simplement des pen-seurs cultivés, qui pensent large etsans se demander s’ils ne froissentpas tel ou tel corps de spécialistes.Dans son cours Sur l’État récemmentpublié, Bourdieu passe son temps àse défendre contre les spécialistesqui l’empêchent (et s’interdisent eux-mêmes) de penser ce qu’il veut pen-ser. Je pense aussi qu’il faut luttercontre les effets les plus contre-pro-ductifs de l’hyper-spécialisation.

    Quels types d'expériences ou de

    petites enquêtes peut-on mener

    avec des lycéen-ne-s pour les sen-

    sibiliser à votre démarche sociolo-

    gique ?

    Je ne sais pas si je suis le mieuxplacé pour développer ce type d’ima-gination pédagogique là. Une chosequi me semble relativement faisableconsisterait à faire faire aux élèvesdes entretiens biographiques de per-sonnes de leur entourage (grands-

    parents, amis, etc.), avec l’idée decomprendre des phénomènes d’héri-tages intergénérationnels, d’effets detrajectoires ascendantes ou déclinan-tes, etc. Ils verraient ainsi concrète-ment le poids des dispositions socia-les, des conditions sociales d’origineet des institutions sociales (familiales,scolaires, professionnelles...) dansles parcours individuels. De la mêmefaçon, on pourrait réaliser avec l’en-semble de la classe (une trentained’enquêteurs c’est déjà formidable !)un questionnaire sur tel ou tel sujetpour faire apparaître, après traite-ment statistiques simples, des régula-rités dans les pratiques en fonctiondes conditions de socialisation desuns et des autres. Ou encore, faire del’observation dans les cours derécréation des écoles primaires pourétudier les jeux pratiqués par les filleset les garçons, permettrait de saisirdes différences genrées, liées auxhabitudes différenciées que filles etgarçons ont contracté dans leursfamilles. Mais j’imagine que les pro-fesseurs de SES peuvent avoir desidées encore bien meilleures que cel-les qui me viennent à l’esprit enrépondant à votre question. Ce sont àeux, qui connaissent leurs élèves, d’i-maginer ce qu’il est possible de faire.Et il serait concevable de faire cela enlien avec des sociologues universitai-res qui pourraient suivre le travail, leguider, le commenter.

    Quels chantiers vous apparaissent

    aujourd'hui les plus féconds pour

    le programme sociologique que

    vous préconisez ?

    Je crois franchement qu’il y a despossibilités infinies d’avancée scienti-fique à partir d’un programme dispo-sitionnaliste et contextualiste. À l’é-chelle individuelle, on peut espérermieux comprendre des actes très sin-guliers (la tentative de suicide comme

    l’acte criminel) ou même des pansd’expérience abandonnés jusque-làaux psychologues (une sociologiedes émotions, de même qu’unesociologie des rêves ou une sociolo-gie du rire sont désormais possibles).J’ai montré de même à propos deKafka que cette sociologie pouvaitrenouveler les cadres de la sociologiedes créateurs et de leurs créations enentrant dans la fabrique des créa-teurs comme dans celle de leursœuvres. Mais il faudrait la poursuivredans des domaines encore plus rétifsà l’analyse sociologique (les créa-tions musicale, picturale, sculpturale,poétique, etc.).

    Mais, au risque de surprendre, je tra-vaille actuellement plutôt sur lescontraintes structurales de longuedurée qui déterminent les actionsprésentes, et à une échelle plusmacrosociologique qu’individuelle.J’en ai toujours appelé à faire varierl’échelle des observations et des ana-lyses et je ne m’en prive pas. Lescontraintes qu’il m’intéresse de mett-re au jour prennent la forme de gran-des croyances ininterrogées (donc dedispositions mentales, d’habitudes deperception, de représentation, declassification) et très largement parta-gées dans l’espace social (elles nesont pas propres à un groupe ou àune catégorie spécifiques), et d’insti-tutions. Le plaisir de la recherche estde pouvoir passer de l’étude de cassinguliers à l’analyse de processuspluri-séculaires, avec l’intime convic-tion que cela est profondément lié.

    (1) Notamment dans Qu'est-ce que lasociologie, Pocket, 1970 et La sociétédes individus, Fayard, 1991

    Propos receuillis par Igor MARTINA-CHE - Académie de Versailles

    http://sesame.apses.org/

  • LE DOSSIER DE LA REDACTION

    12 - Apses Info n°61 - Juillet 2013

    éducation aux médias n’appa-raît pas en tant que telle dansles nouveaux programmes deSES. Alors pourquoi consacrer

    un dossier à ce sujet ? En effet,même si ces programmes n’incitentpas à la lecture critique de l’informa-tion et de sa présentation, à l’étudede l’économie ou de la sociologie desmédias, des professeurs de SESs’emparent de cette question sousdifférentes formes comme vous pour-rez le voir.

    Ainsi, le rôle des médias peut être enpartie traité en première dans la par-tie portant sur la socialisation. Demême, en terminale, en enseigne-ment de spécialité « Sciences socia-les et politiques », la question desmédias apparaît de façon sous-jacen-

    te dans la partie deux « La participa-tion politique ». Les médias sont ainsiun moyen de faire évoluer le répertoi-re d’actions politiques et permettentd’expliquer, en partie, le comporte-ment électoral.

    En ECJS, le thème apparaît de façonexplicite. En première, un thème surla démocratie d’opinion est au pro-gramme. Autre moyen, pour faire del’éducation aux médias : l’accompa-gnement personnalisé. Son cadrerelativement souple permet de mettreen place des séquences courtes oud’entrer dans une démarche de péda-gogie de projet qui mènera les élèvesvers une production collective (ou letravail méthodologique a toute saplace). C’est ce que présente l’article« Une année d’éducation aux

    médias».

    Restent des projets plus transver-saux, comme construire un projet declasse « rédaction d’un journal lycéen» porté par plusieurs enseignants oualors créer un journal lycéen au seinde l’établissement (cf l’article «L’univers bien organisé des journauxlycéens »).

    Les articles présents dans ce dossieront donc pour objectif de vous inciterà développer de nouvelles pratiqueset de vous donner quelques pistespour vous aider.

    Thomas BLANCHET - Académie de

    Grenoble

    Ne pas oublier l’éducation auxmédias !

    Quelques ressources propres aux SES

    Elles sont peu nombreuses les médias étant peu présents dansles programmes.

    Dans l’espace adhérent de l’Apses :Il faut choisir dans le premier critère : Option sc po (archive)- Travail sur l’opinion publique : analyse de sondages divergentspar Marjorie Galy - 28 octobre 2010Un travail de groupe (évaluation) en Science Politique sur l’opi-nion publique à travers l’analyse de sondages divergents. Lesmodalités de comparaison et d’analyse des sondages ont été vuen classe au préalable.- Option sc po : Cours médias, sondages et opinion publique parErwan Le Nader – 30 septembre 2009Ce cours revient sur l’influence des médias sur l’opinionpublique, ce qui est un classique de la sociologie des médias.

    On notera qu’aucune ressource n’est présente parmi les 212articles trouvés dans la rubrique socialisation / culture.

    A partir du moteur de recherche SES présent sur Eduscol.Peu d’éléments présents, d’autant que le ménage parmi les res-sources a été fait après la réforme des programmes. On trouve-ra un texte expliquant le fonctionnement des sondages sur lesite d’Orléans-Tours.h t t p : / / s e s . a c - o r l e a n s -tours.fr/ressources_pedagogiques/pour_la_classe_de_termina-le/sciences_sociales_et_politiques/2_la_participation_politique/

    Parmi les documents d’accompagnement des programmes.Un document d’accompagnement sur la démocratie d’opinion(ECJS – Première).

    Autres ressources

    Le CLEMI

    www.clemi.org

    C’est « la Mecque » vers laquelle se tourne le regard des per-sonnes qui font de l’éducation aux médias. De nombreusesfiches sont disponibles dans la rubrique « Ressources pour laclasse ». Le site comporte un moteur de recherche efficace !!!!De nombreux scénarios pédagogiques sont proposés. Lesfiches sont extraites du livret réalisé chaque année pour lasemaine de la presse.De même, le site propose une bibliographie sélective sur lethème des médias et de l’éducation aux médias.

    Le CNDP

    On notera ainsi que le CNDP est un important producteur dedocuments pédagogiques avec cinq publications en trois ans(en association avec le CLEMI).- Faire de la radio à l'école : des ondes aux réseaux, EricBonneau, Gérard Colavecchio, CNDP, 2013 / Paris : CLEMI,2013.- La presse en classe : découvrir la presse quotidienne régiona-le, CNDP, 2011 / Paris : CLEMI, 2011.- La Liberté de la presse en France : héritage et actualité, SolennDuclos, CNDP, 2011 / Paris : CLEMI, 2011.- Regarder le monde : Le photojournalisme aujourd'hui,Marguerite Cros, Yves Soulé, CNDP, 2011 / Paris : CLEMI, 2011.- Du papier à l'Internet : Les Unes des quotidiens, Daniel Salles,Olivier Dufaut, CNDP, 2010 / Paris : CLEMI, 2010.

    Les Cahiers pédagogiques - n°450 – Images – Février 2007

    Livres

    Economie des médias – Nadine Toussaint-Desmoulins - PUF –2011Sociologie des médias – Rémy Rieffel – Ellipses – 2010Sociologie de la communication et des médias – Eric Maigret -Armand Colin – A venirOn pourra aussi regarder les livres de Jean-Marie Charon,grand spécialiste des médias (nombreux titres dans la collectionRepères – La Découverte).

    RESSOURCES DISPONIBLES

    L’

  • LE DOSSIER DE LA REDACTION

    13 - Apses Info n°61 - Juillet 2013

    Une année d’éducation auxmédiasNotre collègue, Catherine Obrecht, du lycée Simone Signoret à Vaux le Pénil (77),

    décrit comment elle favorise l’éducation aux médias en utilisant la pédagogie de pro-

    jet. Partez à la pêche aux bonnes idées : émission de radio et journal.

    u lycée Simone Signoret, mal-gré le nom prometteur, lesséries L et ES ont du mal à

    s’imposer face au « sérieux » des S.Heureusement notre proviseur, parun souci d’équilibre, a ouvert troisclasses de seconde avec l’enseigne-ment d’exploration Littérature etSociété. A nous ensuite de construiredes projets motivants pour les élèves.

    S’investir dans « Littérature et

    Société »

    Puisque dans Littérature et Société, ily a le mot société, je me suis tout desuite sentie légitime pour postulerpour cet enseignement. C’était pourmoi la possibilité de faire de la socio-logie et de l’ethnologie, de manièrebien plus satisfaisante que ce quenous permettent les programmes deSES. Trois ans plus tard, je ne regret-te pas cet investissement. Les deuxpremières années, j’ai travaillé avecun collègue d’histoire - géographieautour des thématiques de l’Inde etde l’alimentation ; voilà une bonneoccasion d’amener nos élèves auresto indien !Cette année avec ma collègued’espagnol, Alexandra Guez, nousavons décidé d’utiliser les heuresd’AP, qui jusque là ne nous satisfai-saient pas, et celles de Littérature etSociété pour faire de l’éducation auxmédias. Cela nous permet de voirnotre classe de seconde 3 h 30 parsemaine. Chez nous, ces heures sontquasiment toujours dédoublées ;mais au lieu de prendre un demi-groupe chacune de notre côté, nousavons préféré faire de la co-anima-tion en classe entière. Quel confort etquelle stimulation de travaillerensemble ! Et c’est bien plus pratiquepour faire de l’enseignement différen-cié.

    L’expérience radio

    De l’éducation aux médias classique,d’ailleurs de multiples exemples exis-tent sur le site du CLEMI(www.clemi.org ): étude de Une, com-ment rédiger un article etc. Mais sur-tout, nous avons souhaité faire pro-duire les élèves. Nous avons alorschoisi un fil directeur : « regards surl’autre », ce qui m’a permis de parlerde la notion de culture et de sa diver-sité.

    Dans un premier temps nous avonsmis l’accent sur le média radio.Première étape : observation àRadio France où nous assistons à

    l’enregistrement de l’émission deFréderic Lopez « On va tous y passer». Nous sommes particulièrementgâtés ce jour-là puisque l’invité princi-pal, Pierre Arditi, s’adresse directe-ment aux élèves au cours de l’émis-sion et nous avons la chance de voirles BB Brunes jouer en direct. Et dèsla sortie de l’émission voilà les élèvesréalisant leurs premières interviewsmultilingues sous la Tour Eiffel, avec

    pour fil conducteur « Paris rêvé parles touristes / Paris révélé ».

    Deuxième étape, de retour au lycée,nous écoutons et décortiquons desreportages radios podcastés. C’estl’occasion de s’entraîner à la prise denote, de découvrir que les journalis-tes suivent un plan qui s’articuleautour d’un grand axe (la notion deproblématique n’est pas loin), fontune introduction, une conclusion,argumentent en illustrant- ici surtoutde manière sonore. Mine de rien,nous voilà en plein dans la méthodo-logie – comme il est recommandé defaire en AP.

    Troisième étape : la classe réalise sapremière émission de radio. A partird’un fait divers révélant le racismelatent causé par de nombreux préju-gés, il s’agit de raconter les faits,réaliser un micro trottoir, interrogerdiverses personnes (sociologue, mili-tant de la LICRA…). Les élèvesjouent eux-mêmes tous les personna-ges, et se répartissent le travail pour

    A

  • LE DOSSIER DE LA REDACTION

    14 - Apses Info n°61 - Juillet 2013

    écrire des textes cohérents.L’enregistrement nécessite desefforts de diction et donne lieu à debeaux fous rires.

    Quatrième étape : trois journalistesde l’association « Fréquence School» viennent au lycée pour faire tra-vailler les élèves. Le but : élaborerdes reportages sur l’offre culturellepour les jeunes dans notre ville.Pendant deux jours, le travail estintense : choix d’un angle, prépara-tion de questions pertinentes, réalisa-tion des interviews, écriture et enre-gistrement de la présentation, destransitions, montage avec audacity…A la fin, nous terminons sur les rotu-les, mais quelle satisfaction d’écouterles reportages terminés !

    Vous pouvez découvrir certainesréalisations de cette association surle site : reporterdunjour.fr. Au passa-ge, je signale qu’ils ont réalisé unaudio guide sur le quartier de laGoutte d’Or. Il suffit de le téléchargersur un MP3 et de se laisser porterpour une visite originale de ce quar-tier multiculturel (www.lesvoixdela-ville.com ).

    Le passage à l’écrit

    Au deuxième trimestre, nous passonsà la presse écrite et réalisons un jour-nal mis en page avec Publisher quiprésente les métiers du lycée. Eninterrogeant les personnels du lycée,les élèves ont alors l’opportunité dedialoguer avec des adultes qui lesentourent et de découvrir un panel demétiers variés du chef de cuisine àl’agent comptable.

    Après une sortie au Louvre, nous

    demandons des comptes-rendus,cette fois sous forme libre : site inter-net, reportage radio, dossier papier.Nous avons réparti les élèves parsecteur et ils ont pour tâche derechercher les continuités entre lescultures antiques et le mondecontemporain.

    Afin d’évaluer les acquis individuelsde mise en page, d’élaboration detitre et de rédaction, nous deman-dons à chacun de créer une page detype journal papier. Le point de départ: des photos de Peter Menzel quireprésentent des familles du mondeentier avec la nourriture qu’ellesconsomment en une semaine. Iciencore les notions de culture, diversi-té et d’acculturation vont être mobili-sées.

    Nous terminons l’année avec unvoyage à Santander en Espagne oùnous visiterons les locaux d’un jour-nal local. Nous avons aussi l’intentiond’y mener une enquête ayant pourobjet la culture européenne (existe-t-elle ?) Et bien sûr de revenir avec de

    multiples reportages dont un film !

    Avant de me lancer dans cette aven-ture, en tant que professeure de SES,j’utilisais les médias comme sourced’information. Depuis, j’ai découvertque faire produire aux élèves desreportages, des articles ou un journal

    dans sa totalité est un bon moyenpour travailler des compétences tel-les que la rédaction et la problémati-sation de manière active et concrète.En particulier l’outil radio est assezléger à utiliser, peu onéreux (le logi-ciel de montage Audacity est gratuit)et décomplexe ceux qui n’aiment pasécrire.

    Si vous souhaitez voir d’autres facet-tes de la personnalité de vos élèves,découvrir des talents ignorés parl’enseignement traditionnel, je nepeux que vous conseiller de tenter cetype d’expérience, vous serez sur-pris.

    Catherine OBRECHT - Académie

    de Créteil

    Des ressources audio-visuelles

    Il faut souligner une ressource bien utile pour faire de l’éducation aux médias. Il s’agitdu DVD « Des écrits, des écrans » édité par le CNDP. Le livret d’accompagnement aété rédigé, en partie, par notre collègue Philippe Watrelot. L’intérêt est ici d’utiliser desressources vidéo pour travailler avec les élèves.Même si certains reportages commencent à dater (le DVD est sorti en 2009), on y trou-ve des éléments de sociologie et d’économe des médias. On citera ainsi un reportagesur l’économie des médias et un autre « Du marbre au web ». Il est aussi possible de mener tout un travail sur la fabrique de l’information à partir desreportages « L’AFP à la source de l’info », « L’événement à Libé », et « Le 13H de TF1».

    DVD « Des écrits, des écrans », CNDP, 2009, 35,00€, ISBN : 978-2-240-02657-6

  • LE DOSSIER DE LA REDACTION

    15 - Apses Info n°61 - Juillet 2013

    Lorsque la classe devient uneéquipe de rédactionVoilà plus de dix ans que j’anime un journal lycéen. Cette année, j’ai (enfin) décidé

    de sauter le pas…: provoquer dans une classe entière (une classe de seconde) l’é-

    mulation observée dans les petites équipes de journalistes. L’idée : métamorphoser

    sur une semaine complète une salle de classe en salle de rédaction et en tirer tout

    le bénéfice possible pour les élèves.

    es ingrédients

    Une seconde classique (34-35élèves), quelques professeurs

    et une documentaliste acceptant departager cette expérience avecvous… Le mieux est de sensibiliserdeux collègues en juin, au momentdes remontées de services. Une peti-te compétence dans la réalisationd’un journal de lycée n’est pas de troppour mieux anticiper les tâches àréaliser…mais ne dispense pas d’unebonne réflexion sur la coordinationdes activités de chacun. Entre ladizaine de jeunes volontaires d’unjournal lycéen et les 35 élèves d’uneseconde lambda… il y a un gouffre !Le projet nécessite, en outre, l’accèsprolongé à une salle informatiqueéquipée d’un logiciel de mise en pageet d’un espace collectif d’affichage(tableau blanc avec aimants, pan-neaux muraux avec punaises). Lereste ne se décrète pas : il s’agit d’ê-tre confiant dans les capacités d’ini-tiative des élèves. Le mieux est doncde leur laisser une latitude de créa-tion et de prise de décisions. Enfin, ceprojet a été mené sur deux fois unesemaine pour permettre une progres-sion des élèves dans la réalisation dujournal.

    Le dispositif retenu

    Un projet réduit dans la durée : seu-les les semaines précédant lesvacances d’automne et de printempssont concernées, même si, en plus,au cours de l’année, deux séancesde SES et deux heures de vie declasse ont été mises à contribution. Lors de ces semaines, les cours sontbanalisés. Il a été possible d’affecterpour chaque semaine 20 à 23 heuresà la semaine journal. Les enseignants

    responsables de ces heures sont pré-sents et systématiquement secondéspar un autre enseignant. Huit ensei-gnants ont accepté de mutualiserleurs horaires, notamment ceux quiavaient la classe entière. Les élèvesreçoivent un emploi du temps adaptéà la semaine précisant les courséventuellement maintenus (pourcause de groupes partagés avecd’autres classes par ex) et les sallesde travail (voir exemple à la fin). Afinde créer l’ambiance d’une salle derédaction, nous avons veillé à occu-per le CDI ou les salles informatiques

    sur une demi-journée minimum. Ainsi,les élèves ont pu s’approprier letemps et l’espace différemment quedans la succession habituelle dessalles de cours.

    Un travail crucial de préparation et

    de planification

    Diverses tâches permettent la bonneconduite du projet : - Présenter le dispositif à la direction

    de l’établissement de manière à anti-ciper les problèmes de responsabilité(ex : les circulations des élèves enreportage dans le lycée). Il est aussipossible d’obtenir quelques heuressupplémentaires (en cas de présenceplus importante lors de la semaine) ; - Réunir l’équipe pour expliquer lesétapes de la réalisation du journaltout en rassurant les collègues sur lamanière d’accompagner les élèves ;- Programmer l’emploi du temps surla semaine et la réservation des sal-les ;- Planifier le nombre de groupes et la

    manière de les composer (groupesde trois préférables) ;- Prévoir de former les élèves à laréflexion sur le droit d’auteur, lerespect des sources et de les initierau vocabulaire de la presse écrite : lechemin de fer, l’ours, la Une, lesencadrés ainsi que les différentes for-mes d’écrits que comprend un journal: reportage, interview, édito, brèves ;- Lister les différentes tâches à assi-

    L

  • LE DOSSIER DE LA REDACTION

    16 - Apses Info n°61 - Juillet 2013

    gner aux élèves : écrire des articles,réaliser des illustrations, mettre enpage, relire attentivement et avec unesprit critique, trouver un titre, prévoirun budget photocopies, tirer le jour-nal, animer la conférence de rédac-tion, gérer la question des droits liésaux photographies etc… ;- Préparer la charte graphique dujournal et les pages à réaliser par lesdifférents groupes.

    Une guidance qui évolue sur les

    deux semaines

    Pour préparer la semaine d’octobre,en heure de vie de classe, un premiertravail porte sur les rubriques quecomprendra le futur journal. Unerubrique est un « rendez vous »donné au lecteur, elle doit donc êtrestable d’un journal à l’autre. Lors decette première phase, les élèves sontdans l’ensemble totalement dans l’in-compréhension de ce qu’ils devrontréaliser par la suite. Il convient doncde guider sans tout décider et de leurassurer que de ces indispensables etfructueux tâtonnements dépend laréussite du projet.

    Le thème du journal n°1 « Le lycéenet son environnement » est alorsdonné à la classe pour la premièresemaine. Aucune excursion ou visiten’est organisée hors de l’établisse-ment mais en fonction de leurs pro-jets, les élèves sont autorisés à quit-ter la salle pour aller interviewer despersonnels ou élèves du lycée.Plusieurs temps de travail guidésstructurent cette première semaine :intervention de la documentaliste sur

    les sources, le droit d’auteur, le droit àl’image, intervention de l’enseignantede lettres sur les formes d’écrit et l’ar-gumentation, intervention du profes-seur de physique, également AIPRTdu lycée sur l’importance d’être rigou-reux pour enregistrer les articles etpages sur des espaces communs à laclasse, formation à la mise en pagedes informations.

    Le thème du journal n°2 « Cacher /découvrir » (formulation de type «TPE ») est choisi par l’équipe d’en-seignants et fait écho à la thématiqueretenue pour la journée de visites. Lecadrage est donné : la classe part enreportage à Grenoble le lundi. Lenuméro rendra compte de cette sor-tie. Aucun atelier n’est organisé pourbaliser la semaine. Au contraire, uneplus grande latitude est laissée à laclasse. Le comité de rédactiondevient le lieu de la concertation etdes décisions. Les élèves s’y inves-tissent volontiers et organisent l’avan-cée du projet. Ainsi, chaque matin, unreprésentant par groupe de travail serend à la réunion pour présenter l’a-vancée des recherches et les articlesmais aussi pour proposer des idées.Le comité de rédaction tranche etoriente. Animé pendant trois jours parun adulte, il est pris en main le vend-redi par une élève qui se prêtera avecénergie et délectation au rôle derédacteur en chef.

    Et le résultat ?

    Au final, les secondes G auront réali-sé deux journaux de 16 pages et leur

    travail aura été sérieux lors de cessemaines pourtant difficiles d’avantvacances. Les élèves qui acceptentde relire et modifier certaines pagesjusqu’à dix fois, la prise d’autonomiede la part d’un nombre non négligea-ble de filles et garçons de la classe,les visages rayonnants du groupechargé des premiers tirages, desrelations professeurs/ élèves pluschaleureuses et coopératives, l’enviede vivre une « troisième semaine »sont les multiples signes positifs dece projet. Enfin, les synthèses indivi-duelles redigées après la semaineont permis une justification parfoistrès personnelle des apports de lasemaine. Un plaisir à lire.

    Mes meilleurs souvenirs en

    quelques phrases d’élèves

    Un rappel : « Madame, vous avezoublié la conférence de rédaction ! »et une prise d’initiative de l’élève enquestion qui décide alors d’animer laréunion…Une demande : « Vous pourriez nousouvrir une salle, il faudrait qu’on soitau calme pour organiser la distribu-tion aux autres secondes »Une mise au point : « C’est bon pourl’impression des journaux, Madame,l’intendance nous autorise à tirer 150exemplaires de plus. Mais attention,c’est quand même 200 euros en toutpour imprimer ! »

    Laurence Maurin - Académie de

    Grenoble

    RUBRIQUES N°1 - Le lycéen etson environnement

    N°2 - Cacher /découvrir

    EDITORIALLe projet journal,qu’est ce qu’on enpense ?

    La visite d’un lieu déjàconnu

    ACTUALITESElections présidentiel-les américaines

    Cachés mais décou-verts : les dessous del’IsèreLa fin d’Artaud ?

    ORIENTATION /

    AVENIR

    L’orientation à Beghin :S, ES, L, STMG

    Les filles ont-elles unchoix de métier impor-tant au 19ème et20ème siècle ?

    DEBATMoins de vacancespour moins de cours ?

    L’émancipation desfemmes

    Exemples de rubriques

  • LE DOSSIER DE LA REDACTION

    17 - Apses Info n°61 - Juillet 2013

    L’univers bien organisé des jour-naux lycéensLa production d’un journal peut être réalisée dans le cadre du cours ou hors de la

    classe. Cela reste une expérience unique de production pour les élèves. Quelques

    enseignants encadrent des journaux lycéens. Voici quelques pistes pour vous don-

    ner l’envie de vous lancer.

    réation de blogs de journauxlycéens, de blogs de journalis-tes, développement de jour-

    naux en ligne tel Médiapart, crise dela presse papier,… La sphère de l’in-formation connaît une mutationimportante, proche de celle de la findu XXème siècle qui avait vu la géné-ralisation de la presse écrite. Lesévolutions technologiques, telles queles smart-phones ou tablettes numé-riques encouragent autant ces muta-tions que les modifications des pra-tiques des lecteurs, qui consacrentmoins de temps à la lecture.

    Aussi, dans cet univers en mutation,pourquoi se lancer dans la créationd’un journal lycéen ? Pourquoi faire lechoix de « la culture de l’écrit » qui,de par son exigence, demande unréel effort aux lycéens ?

    Pour l’enseignant, la réponse estdans l’envie de rompre la monotonie,de participer à une aventure collecti-ve, de favoriser l’apprentissage del’autonomie, et de connaître uneautre relation à l’élève que celle pré-sente en classe. Pour les élèves, cedoit être des motivations analogues :

    travail d’équipe, prise de responsabi-lité, expression de ses opinions etcoups de cœur,…

    Cependant, contrairement à ce quel’on pourrait penser, les journauxlycéens ne relèvent pas d’un amateu-risme bon enfant et de simples initia-tives locales. C’est un univers bienorganisé !

    Un cadre légal et national

    En effet, depuis 1990, les lycéenspossèdent un droit d’opinion et d’ex-pression garantis par des textes juri-

    C

  • LE DOSSIER DE LA REDACTION

    18 - Apses Info n°61 - Juillet 2013

    diques (1). L’Education nationale acouché sur le papier des règles enca-drant l’activité des journaux lycéens.Elle est, de plus, encouragée pardivers organismes : le CLEMI (centrede liaison pour l’éducation auxmédias et à l’information) ou l’asso-ciation ultra-dynamique de journalis-tes lycéens, Jets d’encre. Cela donnelieu à un concours national, trèscouru, de journaux lycéens, co-orga-nisé par l’Education nationale et laFondation Varenne. Ainsi, au sein dechaque académie, sont sélectionnés

    trois journaux dans chacune descatégories (école primaire, collègueet lycée). Et ceux-ci peuvent partici-per à la phase finale. Sont alors dési-gnés des lauréats, des nominés etdes encouragés ! Mais, ce n’est pastout ! Jets d’encre est aussi à lamanœuvre. Animée par des étu-diants, anciens journalistes lycéens,elle propose des formations auniveau académique (académies deParis et Lyon, où existent un réseaude journalistes lycéens) et surtout unfabuleux festival national de journauxconçus en une nuit dans un mêmelieu, c’est « Expresso » ! Les 24Hsont rythmées par la dizaine d’articlesà écrire, le bouclage du journal, unconcours de une mais aussi par uneambiance festive hors du commun.C’est véritablement une expérienceunique et ultra-motivante pour lesélèves.

    Mais, derrière ces structures, derrièrel’inventivité et la débrouille, c’est uneorganisation bien rodée qui rythme la

    vie de la presse lycéenne.

    La vie au quotidien : Comment

    s’organise la vie d’un journal

    lycéen ?

    Deux mois avant la publication dunuméro : 1er tour de table pour savoirquelles sont les inspirations dumoment. Le départ de Gérard D pourMoscou ? La production textile auBangladesh ? Les évolutions de lamode ? Chacun en fonction de sescentres d’intérêt, de l’actualité dumoment et des goûts supposés dulectorat choisit un thème, sous leregard bienveillant du rédac’chef.Car, l’équipe peut être dirigée par unélève. Le journal a forcément undirecteur de publication (majeur).Mais, il peut aussi se choisir unrédacteur en chef, l’idéal étant que cesoit un élève. En effet, l’adulte n’estici qu’une personne ressource, quidoit savoir s’effacer pour que les élè-ves deviennent autonomes (2). Maisderrière ces choix, se cache la défini-tion d’une ligné éditoriale: à qui s’a-dresse t-on ? Que veut-on leur dire ?Sous quelle forme ? C’est là que laplus value de l’enseignant apparaît.

    La seconde phase est plus solitaire :la recherche d’informations et l’écritu-re. Car, l’expérience prouve que leslycéens font un réel effort de rigueurquant aux informations fournies. Lavérification des sources et la citationde celles-ci sont réelles. La différenceavec la presse quotidienne est quel’équipe dispose de temps pour écri-re, ce qui nous permet aussi d’éviterl’emballement médiatique. Mais larédaction d’un article de presse sedoit de respecter des régles : uneaccroche, un style captivant, desparagraphes, une chute.L’enseignant intervient de nouveaupour guider l’élève.

    Au bout de trois semaines, si tout vabien, ce sont les premières relectures:mises à la trappe des fautes d’ortho-graphes, traque des imprécisions,…Et l’apprenti-journaliste doit souventreprendre une partie de son article.Cependant, le compte à rebours acommencé. Le maquettiste est dansles starting blocks. Son travail estessentiel : donner envie de lire lejournal ! Il se met donc d’accord avecle redac’chef pour déterminer l’ordredes articles et surtout ce qui fera laUne. Faire une maquette est un tra-vail qui prend du temps et qui deman-

    de de la patience. Ce travail estessentiel car il donne envie d‘ouvrir lejournal. Là encore, un travail de fondest à faire avec les élèves.

    A j-8, les illustrations restent à trou-ver. Il est aussi utile de se constituerun pool d’illustrateurs maison ! Sinon,il reste à faire appel à « Saint Google», en respectant les règles du copy-right.

    A j-3, le maquettiste et le rédac’cheffont trois fois le tour du lycée pour col-lecter les articles et les illustrationsmanquants. C’est le côté qui ressem-ble à la presse écrite. Le bouclage sefait souvent dans l’urgence.

    A j +1, les premières réactions tom-bent : « Génial, ce dessin ! », « Alors,cet article, c’est non ! » Le numéroatteint son but. Faire réagir le lecto-rat.

    Réaliser un journal lycéen est un véri-table engagement et induit de s’expo-ser aux regards des autres. Mais,c’est aussi un formidable vecteur dela démocratie, favorisant les débatset l’information des lycéens. Derrièreune initiative de potaches, se cachentune réelle organisation et de vérita-bles défis à relever.

    Thomas BLANCHET - Académie de

    Grenoble

    Pour la petite histoire, il se trouve queje co-anime un journal lycéen avecune collègue de lettres. C’estLaurence Maurin qui nous a donné l’i-dée de cette aventure. Je croyais lachose facile. Mais non, c’est un vraimétier !Ce journal participe chaque année auconcours national des journauxlycéens et est adhérent à l’associa-tion Jets d’encre. L’équipe du journalse rend aussi chaque année à Parisau Festival Expresso (fabuleux !!!).

    (1) Circulaire n°02-026 du 1er février2002. Il faut rappeler que le proviseurne dispose pas d’un droit de censure.Mais tout journal lycéen est tenu aurespect d’autrui, au refus du prosély-tisme.(2) Il existe des journaux lycéenssans aucune intervention des ensei-gnants. Il est clair que c’est la situa-tion la plus favorable à l’apprentissa-ge de l’autonomie.

    Le journal arrivé premier au concoursnational des journaux lycéens.

  • LE DOSSIER DE LA REDACTION

    19 - Apses Info n°61 - Juillet 2013

    Journaux lycéens :

    Pour aller plus loin, quelques sites internet

    Le CLEMI

    www.clemi.orgC’est la référence en matière d’éducation aux médias. Son site est une mine. Et des équipes académiques relaientl’action nationale (en fonction des priorités du Recteur....)

    Association Jets d’encre

    http://www.jetsdencre.asso.fr/C’est une dynamique association de journalistes lycéens, animée par des étudiants, anciens journalistes lycéens. Ony croit ! L’association est subventionnée par le Ministère de l’Education nationale.On y trouve un kit pour créer son journal et de nombreux guides.

    Observatoire des pratiques de presse lycéenne

    http://www.obs-presse-lyceenne.org/presentation.htmlUn problème de censure au lycée. Voici l’organisme à contacter.

    Festival Expresso

    http://www.festival-expresso.org/Organisé par l’association Jets d’encre, c’est LE concours de journaux collégiens et lycéens, qui se déroulent en unenuit. Les thèmes à traiter sont annoncés au fur et à mesure, tout cela dans une ambiance festive hors du commun.

    Concours national de journaux lycéens

    http://www.cnjs-varenne.org/242 journaux lycéens ont concouru cette année ! C’est le grand concours annuel qui comprend une phase acadé-mique, puis une phase nationale. Le CLEMI et Jets d’encre sont parties prenantes.

    Les logiciels de mise en page

    Scribus est gratuit. Il y a aussi Publisher (suite microsoft – les fichiers sont de taille importante dès que l’on insèredes images), et deux logiciels pro : indesign et quarkxpress (ils ont l’avantage de produire des fichiers relativementlégers et facilement transférables).

    LA BNF : LE TOP DES RESSOURCES EN LIGNE !

    Un site à ne pas manquer pour tous ceux qui sont à la recher-che d’images d’archives pour illustrer leur propos. La BNF meten ligne des expositions virtuelles. En 2012, a été produite « Lapresse à la Une ». Son principe : présenter l’historique de lapresse et les différentes manières de traiter l’information enune page avec des illustrations très riches (images, des-sins,...). On pourra ainsi découvrir la naissance de la presseécrite et les enjeux en terme de liberté d’expression, maisaussi comprendre comment sont traités les faits divers, quelest le rôle du dessin de presse grâce à la richesse de la docu-mentation de la BNF. Quelques entretiens sont aussi disponi-bles : Serge July témoigne de la naissance de Libé ; desgrands reporters et photo journalistes expliquent leru métier.

    Ce site est vraiment fait pour nos élèves. Il laisse une grande liberté d’utilisation à l’enseignant. Il propose aussi desfiches pédagogiques.

    http://expositions.bnf.fr/presse/

  • LE DOSSIER DE LA REDACTION

    20 - Apses Info n°61 - Juillet 2013

    Enregistrer un journal radio : latechnique du pied dans la porteDécortiquer un journal radio est une première étape pour favoriser l’étude des

    médias. Mais les moyens techniques actuels permettent d’aller plus loin et d’enre-

    gistrer son propre journal.

    idée est toujours la même :comment amener les élèves àfournir un travail d’argumenta-tion et d’écriture sans que cela

    ne soit répétitif ou toujours sous lamême forme ? Voici une réponsesimple et efficace : faire un journalradio ! En effet, la proposition faitesaux élèves a de quoi être alléchanteet les motiver. C’est la technique dupied dans la porte. Une fois que l’ons’est engagé, on est obligé d’avancer.Car, réaliser un petit reportage radioreste une tâche complexe. Petit des-criptif de mon expérience.

    J’ai utilisé les heures d’AP pour réali-ser ce journal. Mon objectif premierétait que mes élèves peu informés «mettent le nez » dans la presse et lesmédias pour découvrir ce qu’ils peu-vent nous apporter. Aussi le travails’est organisé en deux temps : unedécouverte des journaux radio et untravail d’écriture.

    1ère étape : Découvrir le style «

    radio-journalistique » (durée : 2H)L’objectif va être de découvrir plu-sieurs styles radiodiffusés en écou-tant le début de différents journauxradio. Trois radios généralistes natio-nales ont été étudiées (les premièresminutes de chaque journal) : FranceInter, Europe 1 et RTL. Voici les ques-tions posées aux élèves :- Y a-t-il un générique ? Le présenta-teur parle-t-il sur le générique ?- Combien de titres sont annoncés ?- Comment est introduit le 1er repor-tage ?- Combien de temps dure le 1erreportage ?- Comment passe-t-on au secondreportage ?- Quel est le ton du présentateur ?Comment s’y prend-il pour que l’audi-teur écoute ?- Pour le 1er reportage : quelle est sa

    durée ? Comment le journaliste s’yprend-il pour que l’auditeur écoute ?

    L’objectif est ici double : Voir s’il y aun agenda commun à ces troismédias ? Si le ton et le vocabulaireadoptés sont les mêmes ? Et de com-mencer à se familiariser avec le styledes journalistes audio qui doiventcapter l’attention de l’auditeur etaussi lui faire imaginer les scènesqu’ils ont entrevu.

    Puis, il faut réduire la cible étudiée :un journal d’une seule radio et aufinal un seul reportage. Voici une pro-position de questions pour décorti-quer un reportage :- Quelle est l’information fournie ?- Y a-t-il une accroche ? Y a-t-il unechute ?- Comment s’y prend le journalistepour capter son auditoire ?- Quel est le type de vocabulaireemployé ? Les phrases sont-ellescourtes ? longues ?

    2ème étape : Trouver un thème de

    reportage (durée : 2H)Les élèves doivent se répartir engroupe, car ce dispositif repose aussisur les bienfaits du travail de groupe(la mise en place de celui-ci deman-derait un autre article). Le mieux estici de réserver le CDI et de sortir lapresse quotidienne et les newsmagazines afin qu’ils trouvent unsujet intéressant. Une fois collectéesdes informations sur un thème, cel-les-ci devront être traitées (résu-mées, comprises). Une premièreconférence de rédaction pourra avoirlieu afin de vérifier si les thèmes desgroupes ne sont pas identiques etpas trop larges non plus (car il y a unfort risque de se perdre dans unthème trop large ou compliqué).

    3ème étape : L’écriture (durée : 2H)

    Le style radio mérite d’être explicité.Mais, les élèves doivent dans un pre-mier temps choisir un angle d’attaquepar rapport au sujet traité, c’est à direpréciser ce qu’ils veulent montrer.Puis, vient l’accroche, la façon dedécrire les choses et la chute. C’estce travail d’écriture, fait en groupe quipermet de progresser en terme d’ar-gumentation. Le site du Clemi propo-se une fiche à ce sujet.

    4ème étape : L’enregistrement

    (durée : 2H)Ce travail ne mobilise pas la classetout le temps. Il faut se faire a