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01 - Evolution du goût, les musées 1 Pendant le demi siècle correspondant aux dates du musée d’Orsay (1848/1914), la sculpture connaît en France une faveur triomphale qui n’aura d’égal que son rejet au XXè siècle. Pourquoi ce rôle majeur ? Ce cours de spécialité est un cycle de trois ans destiné à répondre à la question : qu’est-ce qu’une sculpture au XIXè siècle ? Chaque année de ce cycle abordera une sous question, celle de son utilité, celle de sa nature, enfin celle de son génie. Le XIXè siècle est le « siècle de la ville sculptée » (Maurice Agulhon). Liée à la commande, la sculpture appartient à l’histoire, liée au temps, elle n’est pas éphémère, et a, au XIXè, une relation privilégiée avec le portrait. Art de dépendance aux mains des pouvoirs successifs, elle est un langage que l’on peut observer sur l’architecture de Paris. L’un des buts de ce cours étant d’apprendre à voir, les observations en direct seront souhaitées. Apprendre à voir est un processus lent. Il faut apprendre à dessiner, à décrire, à utiliser la photographie, et in fine à assembler des matériaux ... car on ne voit que ce que l’on sait, un regard implique un savoir. Lorsqu’Anne Pingeot passe son concours de conservateur en 1970, on lui attribue le XIXè siècle ... qui est alors considéré comme un siècle de pastiche, sans invention, laid et lourd, destiné uniquement aux bourgeois ignares. A cette époque, on n’hésite pas à détruire et les collections sont au fond des caves ... Ce premier cours va éclairer l’évolution des goûts à travers l’histoire des musées. 1.1 Le Louvre 1 Ce cours est donné par Anne Pingeot, Conservatrice Générale honoraire du Patrimoine au Musée d’Orsay 01 - Evolution du goût, les musées - 1

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Pendant le demi siècle correspondant aux dates du musée d’Orsay (1848/1914), la sculpture connaît en France une faveur triomphale qui n’aura d’égal que son rejet au XXè siècle. Pourquoi ce rôle majeur ?

Ce cours de spécialité est un cycle de trois ans destiné à répondre à la question : qu’est-ce qu’une sculpture au XIXè siècle ? Chaque année de ce cycle abordera une sous question, celle de son utilité, celle de sa nature, enfin celle de son génie.

Le XIXè siècle est le « siècle de la ville sculptée » (Maurice Agulhon). Liée à la commande, la sculpture appartient à l’histoire, liée au temps, elle n’est pas éphémère, et a, au XIXè, une relation privilégiée avec le portrait. Art de dépendance aux mains des pouvoirs successifs, elle est un langage que l’on peut observer sur l’architecture de Paris. L’un des buts de ce cours étant d’apprendre à voir, les observations en direct seront souhaitées.

Apprendre à voir est un processus lent. Il faut apprendre à dessiner, à décrire, à utiliser la photographie, et in fine à assembler des matériaux ... car on ne voit que ce que l’on sait, un regard implique un savoir.

Lorsqu’Anne Pingeot passe son concours de conservateur en 1970, on lui attribue le XIXè siècle ... qui est alors considéré comme un siècle de pastiche, sans invention, laid et lourd, destiné uniquement aux bourgeois ignares. A cette époque, on n’hésite pas à détruire et les collections sont au fond des caves ...

Ce premier cours va éclairer l’évolution des goûts à travers l’histoire des musées.

1.1 Le Louvre

En 1824 est inauguré le « musée de Sculpture moderne » au rez-de-chaussée de l’aile ouest de la cour carrée, dans ce qu’on appela la « Galerie d’Angoulême ». Le premier conservateur en est le Comte Frédéric de Clarac, dont le buste, réalisé par CA Arnaud est toujours au Louvre.

Cinq salles furent peuplées de près d’une centaine de sculptures présentées dans un élégant mélange de styles et d’époques. Le Moyen-Âge, la Renaissance et l’époque moderne dépendant alors du Département des antiques. Le Comte de Clarac décrit les 94 n° de ces 5 salles dans un document de 1824.

La liste civile des souverains acquit par la suite peu de sculptures. Sous Louis-Philippe, le gouvernement se préoccupe surtout du nouveau musée historique de Versailles.

1 Ce cours est donné par Anne Pingeot, Conservatrice Générale honoraire du Patrimoine au Musée d’Orsay

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Mais, à partir de 1847, Léon, marquis de Laborde (1863, buste par Carpeaux) qui au sein du département antique est plus spécialement chargé des époques récentes, cherche à donner de la vigueur à la galerie. Sa politique est poursuivie par le nouveau directeur Jeanron, secondé par Longpérier. Ils rapportent de Versailles les morceaux de réception, les oeuvres de Pilon et de Puget. Trois salles de la galerie d’Angoulême sont remaniées selon des critères historiques. Les collections de la Renaissance sont transférées dans l’aile sud de la cour carrée, à l’est du pavillon des Arts tandis que la sculpture moderne peut occuper toute l’ancienne galerie d’Angoulême. Une politique d’acquisition volontariste est menée.

En 1871 les collections sont détachées de celles des Antiques pour être réunies à celles des Objets d’art, sous l'autorité de JH Barbet de Jouy.

En 1875, H Lefuel, architecte de Napoléon III, commence les travaux de réaménagement de l’aile Nord du Louvre, dans l’appartement Lepic. On y ouvre la salle Rude (25 ans après la mort du sculpteur) dans laquelle se trouve son Napoléon s’éveillant à l’immortalité et la salle Carpeaux avec, au centre, les Quatre parties du monde, achetée à sa veuve et au fond, la Danse. L’organisation des salles est alors du style accumulation.

En 1893, les Sculptures deviennent une entité séparée des Objets d’art, sous la houlette de Courajod. Ce dernier acquiert les premières oeuvres romanes, fait entrer les plus importantes sculptures italiennes et obtient de nombreux dons. En 1900, le catalogue publié par son successeur Michel recense 867 numéros. Michel et Vitry poursuivent l'oeuvre de Courajod. Les legs et dons de collectionneurs se font de plus en plus nombreux et la Société des amis du Louvre offre des oeuvres prestigieuses.

Vitry publie le catalogue de 1922 des sculptures qui se trouvent dans les salles Rude, Carpeaux, Guillaume, Chapu, David d’Angers, Barye et Dalou... Dans le noms de ces salles, beaucoup d’inconnus ..

Le plan de Verne assigne au département les salles du rez-de-chaussée du pavillon des Etats et de l’aile de Flore. Vitry réalise le programme des nouvelles salles inaugurées en 1934 (salles romanes) et en 1936 (salles du XVIIè).

Les clés du pavillon de Flore avaient été confiées au ministère des finances en 1910. Le pavillon de Flore n’est confié au musée du Louvre qu’en 1961. Les sculptures des XVIIIe et XIXe siècle ne sont déployées dans ce pavillon, qu'après 1968, sous la direction de Pradel.

On y inaugure la salle Carpeaux en 1969. Le style de cette salle est désormais le style clinique. On aime le vide. Au centre de la salle triomphe la

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France impériale, modèle en ½ grandeur de la sculpture qui a été commandée par Lefuel à Carpeaux pour le fronton du pavillon.

L’état de ruine dans lequel se trouve alors la sculpture extérieure donne au plâtre une valeur d’original.

Le plâtre avait été acquis en 1892 à la veuve de Carpeaux pour le musée des monuments français sur la colline de Chaillot. Il est désormais à Orsay.

Par contre à la même époque, il faut noter que l’Âge d’airain de Rodin reste quant à lui dans les réserves ...

En 1855, pour la première exposition universelle de Paris, le Pavillon de l’industrie abrite la modèle en plâtre des Quatre parties du monde.

Cette sculpture sera pendant un moment au centre de l’aile Denon, puis rejoindra le musée d’Orsay.

A noter, qu’à Orsay, la sculpture est finalement chassée petit à petit de tous les endroits où la climatisation et la lumière sont stables ... pour rejoindre les endroits sans climatisation et là où la lumière est variable.

Les Quatre parties du Monde font partie de la fontaine éponyme en bronze conçue par Gabriel Davioud et qui est située prés de

l’observatoire dans la jardin Marco Polo.

Les personnages représentés par Carpeaux sont l’Afrique, symbolisée par un homme noir, l’Amérique, symbolisée par un Indien, l’Asie, symbolisée par un Chinois, et l’Europe, symbolisée par un homme blanc. Le Globe, orné des signes du Zodiaque, a été sculpté par Legrain, les huit chevaux, les dauphins et les tortues par Emmanuel Frémiet, les guirlandes qui

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entourent le piédestal par Luis Vuillemot. L’ensemble des sculptures a été fondu par Matifat en 1873 et le groupe placé en 1874.

1.2 Le musée du Luxembourg

Le musée avait été créé en 1750 pour permettre l’accès des artistes aux collections royales entassées à Versailles.

En 1815, les alliés réclamèrent le butin que le Directoire avait arraché à leur patrimoine. Le Louvre fut alors vidé et les tableaux du Luxembourg vinrent le combler partiellement, essentiellement avec les grandes séries comme la Galerie de Médicis de Rubens. En 1818, les galeries du palais deviennent le Musée des artistes vivants.

En 1886, le Sénat revient au palais du Luxembourg. Il pousse le musée vers l’Orangerie. Le musée compte alors 95 n° et pas de plâtres, le tout sur 700 m2 (à comparer aux 15000 m2

d’Orsay). A l’époque, les murs sont tapissés de gobelins assez sombres et la muséographie est du type accumulation.

En 1929, P Ladoué et L Hautecoeur, conservateurs, vont moderniser le musée du Luxembourg. Hautecoeur veut en faire un musée vivant, « sans concession à perpétuité » ... Sur ses catalogues,

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Hautecoeur note les œuvres « médiocre » voire « mauvaise » ... Les œuvres ainsi désignées sont alors envoyées dans les musées de province où nombre d’entre elles seront laissées à l’abandon, voire détruites.

La Martyre de AL Bloch est ainsi envoyée à Roubaix.

Le Combat de panthères de G Gardet subira lui aussi la critique d’Hautecoeur et sera abandonné aux intempéries à Nantes.

Toutes les références symbolistes et littéraires sont en général bannies.

Lors de cette modernisation, les tapisseries des Gobelins sont renvoyées et les murs deviennent blancs.

1.3 Les municipalitésElles sont encore plus expéditives ...

La troisième Exposition universelle de Paris a lieu en 1878. C’est la première de Napoléon III. A cette occasion le Trocadéro est réalisé par Davioud. Sur le balcon, face à la Seine, six statues, allégories féminines assises représentant une version extensible des continents.

En 1937, « l’ornement est un crime » 2. Donc on enlève et on démolit ... y compris le Trocadéro. Les six continents partent à Nantes. Ils resteront à la décharge jusqu’en 1970. Réalisés en fonte de fer, ils vont malheureusement être attaqués par la rouille.

2 A Loss

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En 1970, le conservateur du musée d’Orsay écrit au maire de Nantes pour les récupérer. Du coup, leur valeur s’en trouve soudain retrouvée et on crie « au pillage des provinces par Paris... » La transaction est finalement réalisée sous forme d’échange, le musée d’Orsay devant céder un tableau de Sisley.

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Les six sculptures ont été restaurées aux ateliers Coubertin à Saint - Rémy - lès - Chevreuse. Elles ont rejoint ensuite le parvis du musée d’Orsay.

L’Asie (à gauche) a été sculptée par Jean - Joseph - Alexandre Falguière.

L’Amérique du Nord (à droite, telle que vue par les français du XIXè siècle) est de Ernest-Eugène Hiolle.

1.4 En guise de conclusionCes exemples de changements de goût montrent qu’il faut aussi apprendre à regarder en se dégageant de ce que l’on sait.

La création du musée d’Orsay a relancé l’intérêt pour la sculpture. Mais cet intérêt est retombé.

A titre d’exemple, on peut citer une récente émission télévisée sur Vercingétorix, dans laquelle fut présentée la

sculpture commandée à Aimé Millet par Napoléon III et érigée à Alésia. Il est surprenant que dans cette émission, ne soient cités ni l’auteur, ni le commanditaire, ni même la phrase de la main même de Napoléon III qui est sur le socle.

A noter que Frédéric-Auguste Bartholdi, le sculpteur du Lion de Belfort et de la Statue de la liberté, avait imaginé pour le site de Gergovie, un Vercingétorix galopant de plus de 45 m de long. A la place de ce projet non réalisé, il a réalisé la statue de Vercingétorix qui se trouve sur l’arc de Clermont-Ferrand.

1.5 L’équipeL’équipe est constituée de Amélie Simier, conservatrice au département de sculpture, qui travaille à un catalogue raisonné des œuvres de Jules Dalou et assure le cours de synthèse, Guillaume Peigné (qui a réalisé une thèse sur le néobaroque de la IIIè république) et Ophélie Ferlier qui assurent les TD’s.

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