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David Bélanger MÉTA STASES ROMAN

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Page 1: 100573 001-236 int NB Ok-Proofs 2014-03-04 10:11:22 K PG 2 · 2018-04-13 · accoudoirs – qu’est-ce qu’on pourrait y accouder? –, et le regard, voyez ça, il est de moins

Il rugit, il grogne, il crache, elle a beau se débattre, on connaîttous le dénouement, on est là précisément parce qu’on saitcomment ça va finir – elle pourrait bien sûr le pousser etlui, il ferait une mauvaise chute, la tête contre le crochetdressé d’un tisonnier oublié malencontreusement – fortmalencontreusement, car pas l’ombre d’un foyer ici –, la tigepourrait lui traverser le menton, le mou du menton jusqu’à lacervelle, et elle, se sauver plutôt que d’appeler les secours, et ontenterait de l’attraper, durant des pages ce serait une chasse,mais voilà, ce roman propose une enquête et, en vertu decertains ressorts logiques, il vaut mieux qu’il la tue maintenant.

Par un soir de pluie, Éva Burns est assassinée, son corps, brûlé. La jeunefemme n’avait pas la meilleure réputation qui soit, c’est-à-dire qu’elleétait belle et que cela se voyait. Sont chargés de traquer le meurtrier :Norman Petitroux, vieux flic solitaire qui tâte de la bouteille, et GuyDescars, un jeunot lesté d’un douloureux passé, fraîchement largué parsa femme. Sur eux et sur leurs collègues qui se mêlent de l’affaire planel’ombre du cancer. Les métastases embrouillent la pensée et barbouillentl’estomac. Elles prolifèrent, semblant affecter le récit lui-même, toujoursà s’interroger.

De fausses pistes en raisonnements biscornus, David Bélangerprend les lecteurs à témoin d’une enquête truffée des clichés et figuresimposées du polar, jusqu’à son dénouement explosif.

MÉTASTASE

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DavidBélanger

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DAVID BÉLANGER

Métastases

roman

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Maquette de la couverture : Anne-Marie JacquesIllustration de la couverture : Hat storm,Yann FauconPhotocomposition : CompoMagny enr.

Distribution pour le Québec : Diffusion Dimedia539, boulevard LebeauMontréal (Québec) H4N 1S2

Distribution pour la France : DNM – Distribution du Nouveau Monde

© Les éditions de L’instant même, 2014

L’instant même865, avenue MonctonQuébec (Québec) G1S [email protected]

Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2014

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québecet Bibliothèque et Archives Canada

Bélanger, David, 1989MétastasesISBN imprimé 978-2-89502-346-3 ISBN PDF 978-2-89502-849-9I. Titre.

PS8603.E429M47 2014 C843’.6 C2014-940113-2PS9603.E429M47 2014

L’instant même remercie le Conseil des Arts du Canada, le gouvernement du Canada(Fonds du livre du Canada), le gouvernement du Québec (Programme de créditd’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC) et la Société de développementdes entreprises culturelles du Québec.

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À Cassie, lectrice modèle

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Huit doigts gras et courts passent et repassentdélicatement les uns contre les autres, le dosdes quatre droits contre l’intérieur des quatregauches. Le pouce gauche caresse l’ongle dudroit doucement d’abord, puis en appuyantde plus en plus. Les autres doigts échangentleur position, le dos des quatre gauches venantfrotter l’intérieur des quatre droits, avecvigueur. Ils s’imbriquent les uns dans les autres,s’enchevêtrent, se tordent ; le mouvements’accélère, se complique, perd peu à peu sarégularité, devient bientôt si confus qu’on nedistingue plus rien dans le grouillement desphalanges et des paumes.

Alain ROBBE-GRILLET, Les gommes.

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ON A TUÉ ÉVA BURNS

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Comment les gestes s’agencent

ON Y EST. La première scène. Certains la tronquent. Pas nous.On commence au début : le crime.

Il pleut, soit dit en passant. Il faut songer à se couvrir.Rester sur le trottoir, par ailleurs, nous condamnerait à ne

percevoir que des ombres, une pointe de couteau, la forme d’unsein : du crime, que des bribes, les morceaux choisis par le cadrageétroit de la fenêtre voilée d’un quatrième étage.

Vaut mieux se rassurer, en effet. En bon sceptique, constaterde visu.

Ouvrir la lourde porte du 304, avenue Maillard et être frappéaussitôt par un pesant parfum de tabac – on dit tabac, mais on ycroise plutôt l’odeur entêtante des cigarettes consumées, de leursuie et des graisses et alcools qui les accompagnent –, puis grimperl’escalier, faire fi des portes de gauche et de droite, le numéro deux,le numéro trois, et le quatre, grimper encore et atteindre cette entrée– la porte close comme toutes les autres portes –, le numéro cinq.Ne pas frapper surtout. S’il savait, si l’on surprenait le crimineldans son crime, ça gâcherait tout : les effets, l’intrigue, l’enquête.Il n’y aurait plus lieu, dès lors, de parler de roman, il ne s’agiraitque d’une anecdote ou d’un drame, à ranger dans la triste catégoriedes crimes résolus dont nous mitraillent les manchettes.

Non. On entre sans frapper, sans bruit, sans même tournerla poignée, on entre le plus simplement du monde sans porte nifenêtre, entrez, voilà.

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Métastases

Les bottes sur le tapis, on pourrait les compter, prendre lamesure de chacune des marques de semelles et, pourquoi pas, desempreintes digitales sur les lacets, de chaque lacet de chacune desbottes empilées, mais on pratiquerait là des méthodes propres àl’enquête et on n’en est encore qu’au crime, ne sautons pas les étapes.On avance, plutôt : un long corridor, beaucoup trop long, le corridor,et des pièces dans l’ombre de part et d’autre, sauf la dernière, au bout,habitée par une lueur vacillante de bougie. Les formes dansanteslèchent jusqu’aux lattes du couloir et meurent dans l’encre d’un salonéteint. Il est possible néanmoins d’apercevoir le dessin précis d’uneicône accrochée au mur, là, presque nulle part, tout près, une Marieen larmes avec, devant elle, on l’imagine, le Golgotha dressé de sescroix et Jésus pourfendu – on ne voit que Marie, sainte Marie, dontle visage emplit les dix centimètres de l’icône, bleu poudre, rose depeau et noir profond pour le regard. Vaut mieux ne pas s’attarder.

On avance. Doucement, on joue de prudence – peut-être pouréchapper à l’attention du criminel, sans doute pour faire durer lesuspense –, on retarde la seconde, le pas qui nous sépare de la scène,là où des yeux pourraient, non sans curiosité, apercevoir le corpsarqué d’une belle, nue, et celui, fauve, d’un damoiseau, n’importelequel, cette chair qui ce soir-là passait, et longuement passait, etrepassait, langoureuse – on ne se fera pas de dessin pour comprendre.Ils sont là, elle crie, il grogne.

À chaque coup de boutoir on se dit que ça y est, il va – il vaquoi ? on ne sait trop. On aperçoit un fauteuil, un vieux truc develours recouvert de vêtements, des pantalons, des chaussettes etdes petites culottes, les dentelles de toutes les couleurs, puis uncaleçon, un grand caleçon qu’on placerait avec difficulté sur legarçon callipyge qui, dans l’action, montre un galbe ferme et unmuscle dessiné : le caleçon est beaucoup trop grand, ça ne feraitpas du tout, même avec une ceinture – d’ailleurs on ne met pas deceinture aux caleçons. Sur le blanc du tissu, on remarque des lettrescapitales tracées à l’endroit où des fesses obèses – qu’on imagineobèses – devraient s’insérer, The Best Dad. On ne demande pas quise pavanerait avec une telle inscription sur le cul – outre un papa,évidemment, mais de papa, on le constate, il n’y a pas dans la pièce,que des jeunes gens nus, souples, imberbes, de véritables gamins.

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On a tué Éva Burns

Le vêtement doit reposer là depuis des nuits, et quelque part, dansles fanges de ce jadis hypothétique, un homme aux fortes cuissesest reparti, les jeans frottant contre sa peau nue, mais qu’importe,laissons cela. On peut s’asseoir dans le fauteuil, regarder maintenantla scène, la scène longue, le damoiseau et sa belle, bien longue lascène. Ça fait envie.

Le crime tarde à venir. Jusqu’au moment où. Enfin, jusqu’àun moment : il grogne de plus belle, elle gémit derechef, on setient au bord du coussin, on ne veut rien perdre, juste au cas ; onécoute, on observe, et lui, holà, lui, il tourne un regard vide versnous, un long regard vide sur le fauteuil et tout le bataclan, lecontenu de la garde-robe renversé sur le sol, sur le dossier et lesaccoudoirs – qu’est-ce qu’on pourrait y accouder ? –, et le regard,voyez ça, il est de moins en moins vide, il glisse sans doute sur lefil d’une petite culotte, aperçoit l’ombre d’un pull, une ceinture, unesilhouette. Il s’accroche, elle hurle. Voyez, elle écarte les orteils,ses talons s’élèvent, et cric et cric fait le lit, cric encore, oui, encore.Tremblements, halètements, calme plat : elle retombe, il s’arrête, lesilence. Puis. Puis rien.

Il est assis. Sur le lit, il est tout penché vers l’avant, sondos forme une arche sur laquelle on découvre les saillies desdorsales comme autant de défauts de construction. Les bougiesabandonnent leurs lueurs sur la tapisserie. Entre les rideaux, deséclats de lampadaire donnent à la pièce sa lumière ambrée. Il soupire,une sorte de plainte ; elle se redresse, on sent que ça va venir, onsent que ça y est, après l’amour, le meurtre – un esprit sadiquetrouverait là matière à dicton. Il ferme les yeux. Ils se ferment sifort que se forment au bout des paupières de petites étoiles. Ellemiaule :

– Ça va ?Il regarde vers nous, il regarde le fauteuil, fixement, et on peut

deviner cette sorte de sourire, de ceux qui se cisaillent une placedans un visage âpre, amer, abattu.

– Si ça va ? Si ça va ? Si ça va ?La répétition cadence son mouvement, parce qu’il s’est mis

debout et que ses paroles ponctuent ses gestes, de grands gestes.– Si ça va ?

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Métastases

Son sexe clapote contre ses cuisses, ses talons n’émettent surle tapis que des bruits sourds, les voisins ne peuvent se douter dequoi que ce soit.

– Si ça va ?Elle se lève et s’approche, le pas flageolant, que se passe-

t-il, demandent ses yeux – interloquée de toute sa personne –, ill’empoigne, par la gorge d’abord, mais elle s’écarte, par le bras,alors, il la tient.

– Qu’est-ce que tu fous ?Il rugit, il grogne, il crache, elle a beau se débattre, on connaît

tous le dénouement, on est là précisément parce qu’on sait commentça va finir – elle pourrait bien sûr le pousser et lui, il ferait unemauvaise chute, la tête contre le crochet dressé d’un tisonnier oubliémalencontreusement – fort malencontreusement, car pas l’ombre d’unfoyer ici –, la tige pourrait lui traverser le menton, le mou du mentonjusqu’à la cervelle, et elle, se sauver plutôt que d’appeler les secours,et on tenterait de l’attraper, durant des pages ce serait une chasse,mais voilà, ce roman propose une enquête et, en vertu de certainsressorts logiques, il vaut mieux qu’il la tue maintenant, que dansl’empoignade il agrippe un couteau posé sur une assiette, un largecouteau encore sale du gras d’un steak dont les restes, saillants sur lafaïence blanche, dégagent une odeur froide de viande et de poivre.On connaît tous le dénouement. Elle tente un pas de reculons, voyezle sein, son mamelon dardant frémit. Le couteau, oblong dans le noir,s’élance alors, la gorge est découverte, l’arme plonge. Et plonge. Etplonge encore. Les dessins, une fois de plus, sont inutiles.

On y était. Juste au bon moment. Par la fenêtre, malgré lesrideaux de tulle tirés, on peut apercevoir sur le trottoir la silhouettevoûtée d’un homme sur une chaise de toile. Le bout rougeoyantde sa cigarette indique l’enplacement de sa bouche. Peut-être a-t-ilvu ce meurtre en ombres chinoises : au bon endroit, lui aussi, justeau bon moment. Qu’importe, ne nous attardons pas. Pour l’heure,extirpons-nous plutôt des profondeurs du fauteuil et partons sansnous retourner – c’est qu’il faudra nous garder d’indiquer notreimplication dans tout cela. À ce stade, faire comme si. Il seraitmalséant, en effet, d’avouer qu’on assistait nonchalamment aumeurtre de la belle Éva Burns.

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Guimauves et vodka

Cette première étape franchie, arrêtons notre regard sur unefenêtre entrouverte, sans rideau, éclairée faiblement par une lampebasse. Avec la légèreté d’un oiseau, on peut voler jusqu’à cettelucarne du troisième étage, s’approcher à la manière d’une brise,avancer sans avancer, traverser la fenêtre comme l’enjamberaitun cambrioleur, se tourner doucement vers la droite et se figer surcette masse assise, les jambes sous les couvertures, le dos au mur,le lit sous elle.

Le téléviseur crachote les petits cataclysmes d’une série B, etbang, et « Brenda ! », et rebang, un cafouillis indistinct que n’écoutepas, d’ailleurs, la masse assise sur le lit, les yeux mi-clos, la mainoubliée sur un chevet où verre d’eau, flasque de vodka et boîte deguimauves se disputent l’espace. L’abat-jour de la lampe est toutdéformé. Des chaussettes composent, sur le sol, une haie d’honneurjusqu’au petit salon, pièce que l’on devine avec quelque imagination– un fauteuil de cuir suranné, sans doute, un tapis gris et une baievitrée bien large sur la ville.

Norman Petitroux dort tout à fait maintenant.Le babil du téléviseur a eu raison de lui – ou est-ce notre

description, certes soporifique ? Mais qu’y peut-on s’il ne se passerien ? Il dort. Il s’éveillera dans un instant, sa jambe gauche fera uneembardée hors du lit et Norman Petitroux redressera tout son corps,surpris par la noirceur, par le silence. La lampe éteinte, le téléviseurredevenu ce cadre gris et mat, sans luminosité aucune, abandonnéau bout de la pièce. Voilà. Il s’éveille en sursaut.

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Métastases

Maladroitement, il tente de remettre de l’ordre : rallumer lalampe, trouver la télécommande. On ne voit que la forme de sesmouvements, on entend le criquet lorsqu’il tourne le commutateur,sa main qui rampe sur le chevet, mais rien. Rien ne se passe, la nuitnoire. Il se lève. Regarde à la fenêtre la pénombre des trottoirs etprend un moment avant de comprendre que les lampadaires fontla grève. Une foule d’autres petits mouvements l’occupent, il serécure le nez, se frotte les paupières, qui est-ce que ça intéresserait ?Il se rassoit. Son téléphone vibre. On n’attendait que ça. On pourracommencer.

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ON A TUÉ ÉVA BURNS

Comment les gestes s’agencent 11Guimauves et vodka 15Pourquoi pas ? 17Ne sautons pas aux conclusions 23La radio 26Sadaski, etc. 29S’égarer encore un peu 32Revenons sur le droit chemin 36Feu de brousse 38Éva brûle 40Sapin 44Au pied, dans les plats 48Monsieur Burns 51C’est Albin, oui 54Albin, encore 57Le nom des fleurs 60Apéritif 66Là où nous voulions offrir un titre métaphorique

sur le repas afin d’assurer une étrange continuité 70Méthodologie 74L’agneau pleure dans une assiette 76La nuit au grand jour 79

SANS ITINÉRAIRE FIXE

Ellipsons 87Ce matin-là 88

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Là où l’enquête achoppe 91Le voyage du père 97Minerve, la sagesse du verre 101Assassin sur papier 106Albine 109Le chemin des toilettes 112Parce que les suspects 116Adam, donc 120Des avec plusieurs s 123Autre chose 127Attention la marche, ça pourrait débouler 129Ces moules qu’on ne cuit plus 138La vie selon Lévi Burns 140Entre chien et loup 150

L’ORACLE ET AUTRES SILENCES

Épargnons-nous l’ellipse 157Le goût du tapis 158Coup de poignet 161Battue 165Numéro quatre 169L’enquête sans l’enquête 172Déjà-vu 175En banlieue de Delphes 179Interroger l’oracle, s’arracher les yeux, etc. 182Mourir souvent 185Avoir survécu, être survivant 189Petitroux, suite et fin 193Souvenir 197Le retour inattendu de Norman Petitroux 201Le retour encore plus inattendu de Guy Descars 205Les questions aux réponses 213Au commencement était un policier blond 221L’explosion et le sens 227

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Il rugit, il grogne, il crache, elle a beau se débattre, on connaîttous le dénouement, on est là précisément parce qu’on saitcomment ça va finir – elle pourrait bien sûr le pousser etlui, il ferait une mauvaise chute, la tête contre le crochetdressé d’un tisonnier oublié malencontreusement – fortmalencontreusement, car pas l’ombre d’un foyer ici –, la tigepourrait lui traverser le menton, le mou du menton jusqu’à lacervelle, et elle, se sauver plutôt que d’appeler les secours, et ontenterait de l’attraper, durant des pages ce serait une chasse,mais voilà, ce roman propose une enquête et, en vertu decertains ressorts logiques, il vaut mieux qu’il la tue maintenant.

Par un soir de pluie, Éva Burns est assassinée, son corps, brûlé. La jeunefemme n’avait pas la meilleure réputation qui soit, c’est-à-dire qu’elleétait belle et que cela se voyait. Sont chargés de traquer le meurtrier :Norman Petitroux, vieux flic solitaire qui tâte de la bouteille, et GuyDescars, un jeunot lesté d’un douloureux passé, fraîchement largué parsa femme. Sur eux et sur leurs collègues qui se mêlent de l’affaire planel’ombre du cancer. Les métastases embrouillent la pensée et barbouillentl’estomac. Elles prolifèrent, semblant affecter le récit lui-même, toujoursà s’interroger.

De fausses pistes en raisonnements biscornus, David Bélangerprend les lecteurs à témoin d’une enquête truffée des clichés et figuresimposées du polar, jusqu’à son dénouement explosif.

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