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1914 – le carnage était-il inéluctable ?

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«Le 4 août (1914) n’est pas tombé du ciel par hasard.» Rosa LUXEMBURG

«C’est avec les pauvres que les riches se font la guerre.»Louis BLANC

«S’il m’était prouvé qu’en faisant la guerre mon idéal avait des chances de prendre corps, je dirais quand même non à la guerre car on n’élabore pas une société humaine sur des monceaux de cadavres.» Louis LECOIN

«Ceux qui voteront non au parlement devront dire au pays que nos soldats sont morts pour rien.» SARKOZY à propos de l’Afghanistan

A partir de la charnière du XIXe et XXe siècle, l’impérialisme belliciste crée l’escalade vers le conflit majeur afin d’assurer l’expansion mondiale indis-pensable à la survie de son système. Pendant les quinze jours précédant l’hé-catombe, les forces populaires émancipées européennes vont se convertir en va-t-en guerre et se révéler incapables d’enrayer l’engrenage funeste vers la guerre. Y avait-il des difficultés insurmontables à s’opposer au militarisme  ? Les figures emblématiques de la non-violence n’affichant pas une fidélité constante et inconditionnelle à leur idéal, les temps ont-ils changé ?

La der des ders ? Pouvait-on l’empêcher ? Pouvait-on surtout empêcher plus de 8 millions de morts, la plupart accoutrés en soldats, dont 6000 enfants d’Iparralde enrôlés pour défendre la France ?

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En marge des «messes laïques» censées commémorer la «grande» guerre et célébrer Jaurès promu au rang de «symbole du pacifisme», il y a lieu de se démarquer des explications commodes qui masquent les causes véritables du conflit. Il faut aussi évoquer le naufrage de l’Internationale prolétarienne qui ne put endiguer patriotisme et jusqu’au-boutisme du mouvement ouvrier. Découragement et désespérance entraînèrent la population, majoritairement rurale, dans la boucherie.

Deux échantillons de «l’air du temps» : -A l’époque, «la guerre, l’histoire des guerres est une affaire d’hommes.» Est-ce toujours d’actualité ? -En 1913, un ouvrier du Livre fut exclu de la CGT pour avoir laissé travailler et se syndiquer son épouse.

I.  15 ans de montée vers le massacre

La version qui prédomine attribue à l’assassinat de l’héritier du trône d’Autriche-Hongrie le 28 juin 1914 le déclenchement du «domino d’alliances» qui provoque le conflit. La logique funèbre des rivalités impériales centrée sur les événements européens oublie tout un pan de l’histoire du conflit : la colonisation. La déconstruction politique de l’«ancien monde» est indispensable. Il faut substituer de nouveaux états-nations organisés aux espaces étriqués euro-péens et pour cela l’expansion économique doit aller de pair avec les conquêtes coloniales.

Rapide tour d’horizon -Fachoda (1899)Un accident diplomatique au Soudan au tournant du siècle et un simulacre d’affrontement entre Anglais et Français aboutissent à un traité qui va servir de base ultérieure à la Triple Entente (dorénavant tournée vers l’Allemagne). -Engrenage chinois (1900)On retrouve paradoxalement soldats français et allemands luttant ensemble contre les Boxers et les Chinois chrétiens qui périssent en défendant des por-tions de territoires accaparés, des comptoirs annexés afin de combler l’appétit de commerce et de profit des Occidentaux. -Engrenage anglo-boer (1902) La guerre est inévitable entre deux strates de colonisateurs. L’enjeu : l’or

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du Transvaal ; mais par delà l’appât notoire du lucre, la confusion règne entre esclavagistes et abolitionnistes. A la fin, l’esclavage est remplacé par…l’apar-theid. Où l’on voit apparaître la figure de Gandhi qui réside en Afrique du Sud et qui espère (par tactique ?) séduire les Anglais et obtenir l’indépendance. Il ignorera la violence infligée par les belligérants aux indigènes opprimés. «…Lorsque la guerre a effectivement éclaté, notre devoir est de prêter main-forte dans la mesure de nos moyens…» -Engrenage marocain Crise à Tanger en 1905, tension entre l’Allemagne (le « Maroc libre ») et la France (déjà dans son «pré carré»). L’arrivée des Yankees en médiateurs en 1911 consolida l’avantage français alors qu’on était au bord de la guerre. Ce fut l’occasion d’immenses manifestations pacifiques à Paris pour «saboter la mobi-lisation». Ce mouvement de masse ne pourra se renouveler en 1914. -Engrenage lybien Dans cette guerre italo-turque pour le contrôle de la Lybie, la victoire aisée de l’Italie exacerbe dans la péninsule une vague patriotique qui sert à la constitution du mythe national. -Engrenage balkanique En 1913, affaibli par sa défaite en Lybie, l’empire ottoman se voit dis-puter le contrôle de la Macédoine. Entrent dans la compétition Bulgarie, Serbie, Grèce, Montenegro soutenus par Paris et Saint-Petersbourg. Cette fois, c’est la tension austro-russe qui mène l’Europe au bord de la guerre. S’ensuit une course effrénée aux armements accélérant dans les esprits la gangrène du culte de la guerre. -Engrenage austro-serbe Le 28 juin 1914, après l’assassinat de François-Ferdinand, à Vienne, les «faucons» voient l’occasion de mettre au pas la monarchie serbe.

La guerre est là, ce sera un règlement de compte entre États enferrés dans des alliances ou ententes, dans le flux et le reflux d’oppositions, de ten-sions, de détentes.

Stefan Zweig a fait l’exposé de cette période : «L’essor (économique et social) avait peut-être été trop rapide, les Etats, les villes avaient toujours trop vite acquis la puissance […] La volonté de consolidations intérieures commen-çait partout, en même temps, comme s’il s’agissait d’une infection bacillaire à se transformer en désir d’expansion […] la conjoncture les avait rendus enragés de gagner toujours plus dans la concurrence sauvage.»

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Mais il faut laisser la conclusion de cette période délétère à Karl Lieb-knecht devant le Reichstag : «Cette guerre qu’aucun des peuples intéressés n’a voulu…est une guerre pour la domination du capitalisme en marche et pour la domination politique de contrées importantes où pourrait s’installer le capital industriel et bancaire. »

II. 15 jours d’action, de reculade, d’effondrement

Si l’issue vers le conflit global paraît logique après les guerres longues et massacrantes qui l’ont précédé, il est moins évident d’interpréter le compor-tement des protagonistes révolutionnaires lors des derniers jours avant l’«union sacrée». Tout semble très confus mais en tout cas bien orchestré – en France – par le gouvernement surtout soucieux de maintenir l’ordre et de souder la population derrière lui. Les forces progressistes, libertaires, internationalistes ont trop peu de temps pour endiguer la marche en avant…la guerre est probable.

Déroulé complexe des événements Même si les dirigeants ouvriers avaient appelé à une grève générale synonyme d’insurrection, elle n’aurait pas été suivie. C’était rapidement l’effon-drement brutal de positions pacifiques, le ralliement à la défense nationale  : manque de temps, manque de discernement et affaiblissement du syndica-lisme en plein marasme, habileté du gouvernement «socialiste». L’assassinat de Sarajevo n’avait pas eu suffisamment de retentissement pour inciter à la guerre. Après une journée d’initiatives, de pacifisme, suivit, le lendemain, une reculade par «enfumage» du gouvernement (population amadouée, syndicats menacés), succédèrent, le surlendemain, protestations, arrestations, avec toujours en fili-grane la possibilité d’insurrection sociale. Mais à partir de l’assassinat de Jaurès le 31 juillet, ce fut presque ins-tantanément la mobilisation générale. Prétexte ? « Ils ont assassiné Jaurès, nous ne laisserons pas assassiner la France. » (La Guerre sociale, hebdomadaire « antiparlementariste », « antipatriotique »).

Jaurès Il n’est pas question de démystifier Jaurès mais indiquer que s’il fut affublé du statut d’ «athlète de l’idée», de «martyr sublime de la paix», il avait en

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son temps récusé le fameux «les prolétaires n’ont pas de patrie.» Il n’avait jamais appelé à l’insurrection ou à la grève générale. Il sut brillamment cultiver l’am-biguïté des formules, se laissant convaincre que la crise européenne allait être courte, sachant persuader les cégétistes de repousser une grande manifestation populaire qui eût pu changer le cours des choses. Il sera pour la postérité «le clairon de la patrie».

La déprime Le mouvement ouvrier n’a pas pu inquiéter la bourgeoisie belliciste ; même s’il avait la volonté d’empêcher la boucherie, il n’en avait pas la force ; pas de sursaut, pas de révolte, donc pas d’affrontements. Les craintes de troubles étaient infondées, surtout que la presse n’annonça pas sur le champ l’assassinat de Jaurès, nouvelle flanquée d’un communiqué du gouvernement censé désa-morcer une révolte. Il n’y eut que la presse libertaire pour parler de «paix entre nous, guerre aux tyrans.» Le décret de mobilisation («la mobilisation n’est pas la guerre») est affiché partout sur les murs.

Le 4 août, la paix est enterrée Aux obsèques de Jaurès, L. Jouhaux leader de la CGT peut déclarer «ce n’est pas la haine du peuple allemand qui nous pousse à la bataille, c’est la haine de l’impérialisme allemand»…le ton est donné. Le fond du problème est la faillite ou la trahison des dirigeants ou-vriers, les succès du militarisme sur le pacifisme et de la guerre sur la révolu-tion. Comme P. Monatte en démissionnant de la CGT le confie à ses cama-rades, «la faute en incombe peut-être aux masses restées à l’écart qui n’ont pas compris les devoirs de l’Internationale (…) qui ont accepté comme article de foi les déclarations gouvernementales. Mais les militants syndicaux n’ont pas montré plus de clairvoyance qu’ils n’ont apporté de critiques aux allégations du pouvoir.» D’autres perspectives Malgré K. Liebknecht, malgré R. Luxemburg, malgré une minorité de pacifistes qui se ressaisissent, le mythe de l’engouement patriotique unanime reste toujours embarrassant à tailler en pièces. Mais entre les hésitations des uns, les renoncements des autres, il y aura des tentatives de résistance ; pendant que les opinions sont sollicitées et

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manipulées, de jeunes déserteurs et insoumis cherchent une voie de sortie, ten-tant de franchir la frontière. Ces jeunes, pour lesquels les paroles doivent être en accord avec les actes, ne comprennent pas le «suicide doctrinal» forgé par leurs représentants. N’écoutant que leur scepticisme ils fuient ou soutiennent des efforts anti-bellicistes. Près de 100000 insoumis en 1912 et de nombreux déserteurs dès le début du conflit, particulièrement en Euskal Herria. La paysannerie paiera un lourd tribut aux intérêts supérieurs des capi-talistes dont elle est tant éloignée. Il faut aussi mettre en évidence que cette guerre «mondiale» vue avec des lunettes d’Européen de l’ouest a dépassé les lieux «sanctifiés» de Verdun et du Chemin des Dames pour essaimer au Levant. On ne peut passer sous silence les immenses cimetières français du front d’Orient, par exemple à Bitola en Ma-cédoine où la moitié des tombes sont celles de combattants indigènes racolés comme soldats sous la bannière française. 600000 sont enrôlés sur tous les fronts. 80000 n’ont pas survécu.

Comme le dit J. Prévert avec son esprit caustique : «La guerre serait un bienfait des dieux, si elle ne tuait que les profes sionnels.»

III. les zones grises du pacifisme

Pacifisme, non-violence, antimilitarisme, désobéissance civile, sous ces vocables la philosophie du XXe siècle a engagé la critique de la violence, même quand celle-ci prétend être un moyen pour de justes fins. «La fin est dans les moyens comme l’arbre est dans les graines.» Gandhi

Le pacifisme touche le fond En 1914, l’incohérence entre fin et moyens émise par de nombreux acteurs du mouvement pacifiste a démontré qu’il n’y avait pas de critère qui soit une garantie de résultat. Cet échec illustre-t-il qu’il n’y a pas de solution pour s’opposer à la guerre  ? Les animateurs du pacifisme ont été assaillis de doute ; trop perturbés, ils ont tergiversé quand ils se sont trouvés éloignés de leur conviction, quand leurs principes et leurs stratégies ont été maltraités. C’est la non-violence à géométrie variable et qui se disperse dans toutes les directions.

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Faut-il blâmer ces figures de proue d’avoir reculé ? Faut-il les blâmer d’avoir suivi le courant général du socialisme dé voyé ? Même si elles ont des références communes, toutes ces consciences qui ont émergé devant l’ampleur du conflit ont chacune un coefficient person-nel. Elles peuvent se sentir pures sur le plan individuel mais comment modifier le cours de l’histoire sans une part de violence ? Le terrorisme intellectuel est tel que les bellicistes ont vite fait d’éliminer par appel au sacrifice ceux qui disent non et que l’on traitera indifféremment de défaitistes, de lâches, de capitulards. Quand ils furent contraints à une certaine forme de violence, celle-ci était bien pâle par rapport à celle perpétuée par les Etats. Il faut rappeler que c’est le pouvoir qui juge si cet acte est violent ou non…D’un côté ils ont des terroristes (à ne pas confondre avec résistants  !), de l’autre ils appliquent des frappes chirurgicales. Au tournant des siècles, l’Occident libéral ne fit pas honneur à la tra-dition de pensée qu’il avait derrière lui. Les pays dits démocratiques continuent à faire toujours la guerre, flanqués de leur orgueil national démesuré, de leur patriotisme irritable, de leur chauvinisme prompt à défendre le patrimoine. La société a tant magnifié la guerre comme manifestation de la dignité de la nation que le citoyen se trouve culturellement en phase avec la «gouvernance» de son pays.

Louis LECOIN, un pacifisme exemplaire « La guerre (14-18) fomentée par le capitalisme mondial est le pire des forfaits, je proteste contre lui en ne répondant pas à l’ordre de mobilisation. En n’obéissant pas aux ordres de la soldatesque […] je suis logique avec mes idées et reste d’accord avec mon cœur qui souffre au spectacle de ces laideurs, et avec ma conscience qui s’indigne que des individus accumulent tant de misère.» Pour ces propos, L. LECOIN fut condamné en 1914 à cinq ans de pri-son. On n’en finirait pas d’énumérer les causes auxquelles il se dévouera (dé-fense de Durruti, puis de Makhno, etc.). Interné au camp de Gurs en 1939, il défendra par la suite «les porteurs de valises» pour l’Algérie et clôturera son parcours édifiant avec l’hommage de De Gaulle (à «Monsieur LECOIN») qui l’assura de son respect après la grève de la faim qui permit de faire adopter un statut d’objecteur de conscience.

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Mais des zones d’ombre Gandhi : en Afrique du Sud où il résidait, dès 1900 il incite les Indiens à rejoindre les troupes britanniques en proclamant : «la passivité aurait été cri-minelle». Ne l’appela-t-on pas le sergent recruteur ? Plus tard, sera-t-il pacifiste, anticolonialiste, conscience critique  ? N’est-ce pas ambigu de refuser «d’être considéré comme un peuple lâche ; si nous voulons faire mentir ce reproche, il nous faut apprendre l’usage des armes […] nous avons un sens plus profond du devoir [que les athées], et de ce fait il devrait nous être plus facile de nous enrôler comme volontaires. » ? (Gandhi. Sa véritable histoire par son petit fils, Buchet Chastel, 2008 et The collected works of Mahatma Gandhi, Ministery of Information, New Delhi). Plus tard, en Inde en 1940, il poussera des paysans incultes à par-ticiper au conflit à des milliers de kilomètres. «Ne partons pas tuer des Al-lemands […] partons et mourons pour la cause de l’Inde». Il aura donc une position équivoque, et si de son vivant il fut considéré comme le chantre de l’anticolonialisme, il fut honni des musulmans, et il détruisit les idéaux d’unité du peuple indien. Ce n’est que par la suite qu’on en fit un apôtre de la non-vio-lence, sûrement une antithèse à Mao, Ho Chi Minh, Castro et Arafat. Martin Luther King  : le «Gandhi noir» est resté sur ses positions radicales mais son désir d’absolu fut vain, ses déclarations courageuses furent insaisissables pour le peuple, mais interprétées comme une déclaration de guerre aux oreilles de la classe dominante. Le vide se creusa autour de lui et le danger encouru amena l’assassinat. Il mena une vie de «pacifiste réaliste» n’ignorant pas que son combat bénéficiait de la violence des autres. «Je crois fermement à la non-violence, mais en même temps je ne suis pas anarchiste. Je crois qu’on peut utiliser la police de façon intelligente.»Et aussi «la guerre, si horrible qu’elle soit, peut être préférable face à la capitula-tion face à un régime totalitaire fasciste ou communiste.» ( The Autobiography, Abacus – Londres, 1998). Simone Weil : elle fut une personnalité totalement imprégnée par le pacifisme qui décida, par solidarité avec les anarchistes espagnols, de s’engager auprès de Durruti. Mais là-bas, elle fait une expérience terrible, elle est partie faire la révolution, elle s’aperçoit qu’elle fait la guerre. Dans sa lettre célèbre à Bernanos, elle témoigne : «je ne sentais plus aucune nécessité de participer à une guerre qui n’était plus comme elle m’avait paru au début, la guerre des paysans affamés contre des propriétaires terriens et le clergé complice mais une guerre entre Russie, Allemagne et Italie.» Il lui semble que ses amis – qu’elle aime toujours – renient leur idéal par la pratique de la violence.

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Karl Liebknecht, qui professait qu’il ne tirerait «pas même si on or-donnait de tirer» et qu’on pourrait pour cela «(le) fusiller», saluera pourtant la Révolution d’Octobre en Russie. L. Senghor au Sénégal dut se résoudre à intervenir violemment contre les étudiants en 1968. F. Fanon toujours en Afrique fit preuve de «réalisme» ; ainsi il clarifia sa pensée : «au niveau des individus, la violence désintoxique. Elle débarrasse le colonisé de son complexe d’infériorité.» H. Arendt prend acte de la violence du IIIe Reich et traduit «la liber-té pour un peuple qui par sa lutte préfère la mort à l’esclavage». Elle conçoit qu’«inévitablement la lutte armée est la seule issue morale et politique.» (Thoughts on politics and Revolution, 1970). Dalaï Lama : enfin de la « realpolitik », le legs de Gandhi est remis au XIVe dalaï-lama, chantre de la non-violence dans sa lutte pour l’indépendance du Tibet. Il déclare adhérer comme tout bouddhiste au principe de la «nature sacrée de la vie». Mais que sait-on réellement derrière l’écran qui entoure sa personne et son pays ? Services secrets américains à la fois exploiteurs et exploités, Tibet ma-gnifié (endroit magique d’où les médias occidentaux font disparaître le servage ou la servitude, la violence de la classe dominante avec ses castes et la théocratie instaurée par l’ordre monastique) : tout là-bas n’est pas enchantement. Le da-laï-lama éprouvera de l’amertume quand Washington cessera son soutien au vu des résultats décevants et des leçons de guérilla apprises et utilisées plus tard au Laos et au Vietnam, malgré l’appel lancé pendant la marche du Tibet vers l’Inde, « livrez-nous des armes pour 30000 hommes » ; ces mêmes guérilleros tibétains combattront avec les Indiens lors du conflit sino-indien et de la guerre indo-pakistanaise. Foin du programme nucléaire indien ! Le militant non-violent va guider son peuple vers la rébellion en par-tie responsable de la violence de l’adversaire. « Do or die » TENZIN GYATSO (XIVe dalaï-lama). On trouvera la véritable histoire du dalaï-lama dans deux livres écrits par K. Knaus : Orphans of the Cold War (éditions Public Affairs) , K. Conboy et J. Morrison dans CIA’s secret war in Tibet (University Press of Kansas, 2002). B. Netanyahou ? Une digression sur Israël sioniste et sa conception «originale» de la paix, dont le leitmotiv est aujourd’hui «Foutez-nous la paix !» trente ans après l’opération bien nommée «paix en Galilée» engagée pour pacifier ! Etrange conception du pacifisme quand on sait que la situation dans les territoires occupés est telle que les paysans expropriés essaient simplement

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de contrer l’abus de pouvoir que colons et soldats conduisent en toute impunité. En Israël sioniste, on décompte officiellement un «jet de pierre comme attaque terroriste hostile.»

IV. comment faire face ?

Ouvrir des pistes La non-violence à l’origine, c’est renoncer naturellement à nuire à au-trui. Le pacifisme, c’est la paix à tout prix. La désobéissance civile, c’est être réfractaire, refuser la coopération, son degré ultime étant le pacifisme intégral. L’antimilitarisme, ce n’est pas simplement la lutte contre l’armée et sa tendance à empiéter sur d’autres domaines, c’est l’attaque frontale sur tout ce qui se rattache aux notions de gloire, de vertu, d’éthique, d’esprit de caste, de tendance à constituer un Etat dans l’Etat. La seule attitude de riposte à ces «chapelles» serait l’insoumission ou la désertion. Mais plus souvent se font des concessions. Quelle que soit l’atti-tude adoptée (ces concepts étant sujets à interprétation aléatoire), l’Histoire a montré que les mouvements contestataires se sont toujours appuyés sur la force du nombre organisée face à la puissance injuste ou illégitime. Quelle sera l’approche la plus efficace pour s’opposer à un désir de justice, à la violence, au carnage ? Les partisans célèbres de l’action directe non-violente, à qui on attri-bue une grande sagesse morale et politique, n’ont pas lutté seuls  ; ils étaient engagés dans un vaste mouvement maintes fois récupéré par des acteurs plus agressifs. D’ailleurs, seraient-ils arrivés seuls à leur fin ? Et y a-t-il dans ces cas là des résultats palpables ? La guerre est toujours autant barbare sans possibilité de la moraliser car tous ceux qui y prennent part pensent qu’elle est juste ; le pacifisme n’a ja-mais empêché les conflits de proliférer. De surcroît les contempteurs de chair à canon tirent parti sans vergogne de ressorts psychologiques insensés, activés par les médias aux ordres et par des pratiques religieuses dévoyées.

Utopie d’une paix perpétuelle La Boétie luttera contre le despotisme et contre l’oppression, plus tard H.D. Thoreau théorisera le concept de « désobéissance civile » accompagné par l’exigence de construire une alternative.

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V.H. Ziegler, F. Turati, W. Benjamin et tant d’autres ont compris que la violence se retournait complètement contre l’idéal qu’ils voulaient mettre en œuvre. Tou(te)s se proclament pacifistes (y compris les militants de «la Paix Maintenant» qui ont soutenu l’opération «Plomb durci» à Gaza). Domenico Losurdo dans La non-violence, une histoire démystifiée (Delga, 2014) conclut qu’ «il ne s’agit toujours que d’un armistice […] tant que ne seront pas arrachées les racines de la politique de conquête, de domination, le fléau de la guerre pourra être contenu, limité par une institution (ONU)  ; mais l’attente confiante de Tolstoï et autres grands interprètes de la non-vio-lence qui verraient le phénomène de la guerre disparaître de la scène de l’His-toire est vouée à rester lettre morte. »

Il est difficile de rester fidèle à ses convictions. Rester solidaire ? Faire valoir une clause de conscience  ? La plupart du temps les défenseurs de la non-violence ne se rallient pas à la pensée dominante, ils « ne tournent pas casaque », mais le pouvoir corrompu déstabilise et provoque atermoiements et controverses. La remise en question permanente construit et déconstruit le scenario de l’engagement. Il faut une certaine force d’âme pour continuer à pen-ser comme Platon que «nul n’est méchant volontairement» et essayer de rester fidèle à soi-même et à ses idées. Mais l’appui de valeurs permet de franchir l’épreuve du découragement et de faire face à l’injustice…chacun à sa façon.

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annexe 1

Chanson antimilitariste publiée dans le Chansonnier de la Révolution sous le titre Les Conscrits affranchis (anonyme, 1902) pour déjouer la Censure (sur l’air d’un hymne connu composé par Rouget de Lisle).

Allons, enfants des prolétaires,On nous appelle au régiment ; On veut nous faire militairesPour servir le gouvernement.Nos pères furent très docilesA des règlements incompris ![Les insoumis (bis),Nous, nous serons moins imbéciles, [Les insoumis (bis).

On nous dit d’avoir de la hainePour les Germains envahisseurs,De tirer Alsace et LorraineD’entre les mains des oppresseurs ;Que nous font les luttes guerrièresDes affameurs de tous pays ?Nous ne voulons plus de frontières,[Les insoumis (bis),Nous ne voulons plus de frontières,[Les insoumis (bis).

On nous parle en vain de patrie,Nous aimons les peuples divers ;Nous allons porter l’anarchieSur tous les points de l’univers.Au jour de la lutte finale,Les réfractaires, tous unis,Feront l’internationale[Des insoumis (bis).

Spoliés par la Bourgeoisie,De nos produits, de tous nos biens, Elle veut, suprême ironie, Que nous en soyons les gardiens.Le soldat est sa sauvegarde,

Elle le paye de mépris.Nous ne sommes pas des chiens de garde,[Les insoumis (bis),Nous ne sommes pas des chiens de garde,[Les insoumis (bis).

Quand nous allons dans les casernes, Où l’on cherche à nous abrutirAvec un tas de balivernesAuxquelles il faut obéir,Parlant de grève généraleA tous les frères endormis,Nous préparons la Sociale,[Les insoumis (bis).

Les soldats répriment la grèveEt font du tort aux travailleurs,Et, quand le peuple se soulève, On en fait de bons fusilleurs ;Nous devons leur faire comprendreLa sottise qu’ils ont commise…Ils passeront, sans plus attendre, [Aux insoumis (bis).

Si les bourgeois font la revanche, Ce jour les peuples révoltésS’élanceront en avalanche :Les bourgeois seront emportés.Si le soldat est notre frère,Les gradés sont nos ennemis, Car ils ont déclaré la guerre[Aux insoumis (bis),Car ils ont déclaré la guerre[Aux insoumis (bis).

Page 18: 1914 – le carnage était-il inéluctable ?ekladata.com/hau.eklablog.com/perso/hau-3/3alain.pdf · «Ceux qui voteront non au parlement devront dire au pays ... (le « Maroc libre

691914 – le carnage était-il inélutable ?comment faire face 

Nora zoaz, eskual semea,Harma hori eskutan?Harmen hartzera deitzen nauteFrantsen aldera.Eskualerritik urrunduz,Ta atzerrira joanak,A ze negarra entzunen duzu

Eskualerrietan !A ze negarra entzunen duzuEskualerrietan !

Morts pour la patrie,Morts pour la patrie,Eskuara baizik etzakiten haiek, Morts pour la patrie,Morts pour la patrie,Morts pour la patrie,Eskuara baizik etzakiten haiek, Morts pour la patrie.

Gure historian zeharZenbat malko ta ezbehar;Landetaratu gindutenekilaDugu orai hil behar.Landetaratu gindutenekilaDugu orai hil behar.Bere ama agurtu duEtxolako atarian;Bere amak bisitatuko duAtzerriko hilobian.Bere amak bisitatuko duAtzerriko hilobian.

Morts pour la patrie,Morts pour la patrie,Eskuara baizik etzakiten haiek, Morts pour la patrie,Morts pour la patrie,Morts pour la patrie,Eskuara baizik etzakiten haiek, Morts pour la patrie.

annexe 2

AZKEN AGURRAREN NEGARRA (Gorka Knörr)Eüskaldünak sobera saldoan 14 ko gerlalat abiatü dira. Hanitxek ez zakien frantsesez mintzatzen. Hortako deüserentako “morts pour la patrie” dira.