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LA SIGNATURE : DU SIGNE À L'ACTE Béatrice Fraenkel Publications de la Sorbonne | Sociétés & Représentations 2008/1 - n° 25 pages 13 à 23 ISSN 1262-2966 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2008-1-page-13.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Fraenkel Béatrice, « La signature : du signe à l'acte », Sociétés & Représentations, 2008/1 n° 25, p. 13-23. DOI : 10.3917/sr.025.0013 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Publications de la Sorbonne. © Publications de la Sorbonne. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 76.118.39.223 - 08/03/2014 16h45. © Publications de la Sorbonne Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 76.118.39.223 - 08/03/2014 16h45. © Publications de la Sorbonne

2008 Fraenkel La Signature

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Book on the history of signature by Fraenkel.

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  • LA SIGNATURE : DU SIGNE L'ACTE

    Batrice Fraenkel

    Publications de la Sorbonne | Socits & Reprsentations

    2008/1 - n 25pages 13 23

    ISSN 1262-2966

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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    Fraenkel Batrice, La signature : du signe l'acte , Socits & Reprsentations, 2008/1 n 25, p. 13-23. DOI : 10.3917/sr.025.0013--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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    La signature : du signe lacte

    par Batrice FRAENKEL

    | Nouveau Monde ditions | Socits & Reprsentations2008/1 - n 25ISSN 1262-2966 | ISBN 2-84736-350-0 | pages 13 23

    Pour citer cet article : Fraenkel B., La signature : du signe lacte, Socits & Reprsentations 2008/1, n 25, p. 13-23.

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  • LA SIGNATURE : DU SIGNE LACTE

    Batrice Fraenkel

    Ill. Vitaly Komar et Alexander Melamid, Our Goal is Communism, 1972 (tempera sur toile),Rutgers, The State University of New Jersey.

    1. En visite lUniversit de Rutgers (New Brunswick, New Jersey), jai eu loccasion de visiter uneexposition singulire intitule : Du Goulag au Glasnost, lart non conformiste en Union sovitique,1956-1986 (From Goulag to Glasnost, The Jane Voorhees Zimmerli Art Museum, Rutgers University,New Jersey, 1995). Il sagit de la prsentation de quelques-unes des uvres dune immense collec-tion de plus de 100 000 pices runies par Norton et Nancy Dodge pendant quelque trente annes,dont ils ont fait don au Muse Jane Voorhees Zimmerli de lUniversit.

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    Partons dune uvre, celle de Komar et Melamid expose en 2006 auMuse Zimmerli1 de New Brunswick, aux tats-unis [ill.].

    Il sagit dune banderole en tissu rouge sur laquelle on lit un slogan criten russe que lon peut traduire en franais par : Notre but : le commu-nisme ! Les deux artistes ont simplement sign en bas droite cette toffede leurs deux noms, Komar et Melamid. Luvre sinscrit dans le mouve-

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  • 2. Tracts, banderoles, journaux clandestins sont dj archivs et exposs dans certains muses cl-brant les rsistances aux dictatures. Le muse de Varsovie qui commmore le soulvement de la ville,en 1941, a mme reconstitu des graffitis de lpoque sur de faux murs.

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    ment contestataire du Sots Art, qui sest attach dconstruire les sym-boles du socialisme, en sattaquant en particulier aux lments de propa-gande les plus connus : imagerie rvolutionnaire, portraits des hros, ettoute lemblmatique communiste (drapeau rouge, slogans peints, faucilleet marteau).

    En signant et en exposant cette banderole typique du matriel de pro-pagande sovitique, les deux artistes lont transforme en uvre dart. Legeste semble proche de celui de Marcel Duchamp apposant sa signature surun urinoir et linstallant dans une exposition. Il sen distingue aussi, carmettre une banderole au muse na rien de provocateur. Bien au contraire,cet acte est conforme au traitement respectueux accord aux drapeaux dansles muses militaires2 et peut sappliquer toutes sortes dobjets impliqusdans des luttes hroques. Cest donc bien la signature de Komar etMelamid qui non seulement transforme la banderole en uvre dart mais,surtout, en inverse la signification. La banderole, objet de propagande,devient un objet de contre-propagande

    Cest sur lacte mme de signer que je souhaiterais attirer lattention ici.Sur ce quil convoie de familier, de banal, mais aussi sur ce quil peut pro-duire dallusif, dinattendu, de transgressif. Ce faisant, je voudrais proposerune stratgie denqute passant de lanalyse du signe signature lanalysedes pratiques de signer, puis la mise en valeur de lacte dcriture proto-typique quest la signature

    APPROCHE SMIOTIQUE DU SIGNE SIGNATURE, SIGNE DIDENTITET DE VALIDATION

    Signe traditionnel, fait la main, manuscrite et autographe, la signatu-re demeure quasiment inchange depuis des sicles. Alphabtisation aidant,elle sest banalise tout en conservant une dimension exceptionnelle. Sesmodalits dexpression ne cessent de se renouveler : les projets de signatu-re lectronique semblent lui ouvrir une nouvelle carrire alors quon pou-vait la croire sacrifie sur lautel des nouvelles technologies, quant aux tags,ultimes avatars des pratiques officieuses et illgales de signatures, leur mon-dialisation constitue un phnomne dcriture part entire.

    Malgr ces volutions, on ne peut ignorer le fait quen signant on repro-duit des gestes anciens, faonns par une culture lettre plurisculaire mais

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    aussi des modes de pense solidaires de dispositifs dcriture impliquant lepapier, lencre, la main ainsi que des modalits darchivage et de conserva-tion. Tout un monde que lcriture lectronique modifie lentement maissrement. La longvit de la signature tient sans doute son conomiesmiotique. Signe remarquable, elle conjoint quatre lments : la fonctionindividualisante dun nom propre, leffet de prsence dun graphisme trac la main, la saillance visuelle dun signe personnel et la force dun acte delangage. Cette densit du signe correspond une longue histoire qui, duVIe au XVIe sicles, se droule dans les chancelleries royales et papales, dansles officines des notaires et dans diverses juridictions que ladministrationroyale va peu peu uniformiser.

    Une enqute historique, fonde sur lexamen dactes authentiques ma-nant de la chancellerie royale franaise, ma permis dtablir un premierconstat : la signature appartient deux sries distinctes de signes, dunepart celle des signes didentit noms propres, sceaux, armoiries et,dautre part, celle des signes de validation souscriptions, sceaux, bulles,signatures, seings.

    Cest le croisement de ces deux sries qui confre la signature leffica-cit pratique dun signe utilis par les professionnels de lcrit que sont lessecrtaires et les chanceliers, et la performativit spcifique, imprgnedune certaine solennit, quelle tire dune diplomatique pr-moderne,domine par de souverains auteurs. La consquence premire de cettedouble gense est que le signe signature introduit lintrieur des activitsdcriture une action particulire, celle de signer.

    Par ailleurs, tributaire de lhistoire des signes de lidentit, la signature ajou un rle important dans les transformations qui affectent les formes dunom propre. Elle a contribu fixer la formule actuelle du nom patrony-mique : prnom + nom de famille, qui remplace partir du XIe sicle lenom unique, en vigueur depuis le VIe sicle.

    Elle correspond aussi une sorte de basculement gnral des modalitssmiotiques dexpression de lidentit. Lorsque la signature est rendue obli-gatoire pour valider les actes, en 1554, lusage des sceaux et des signes gra-phiques est interdit. Le nom propre autographe simpose, au dtriment designes emblmatiques anciens, les armoiries, les croix, les dessins en toutgenre qui, jusque-l, servaient couramment de signatures. Lacte de signerse rduit alors lcriture autographe de son propre nom, mais il intgreune partie de liconicit des signes quil a supplants. Nombre dartisans,refusant de se plier au nouvel ordre graphique, signent dune main fermeen dessinant lemblme de leur mtier plutt que leur nom. Chez les pluslettrs, notamment les professionnels de lcrit, lusage des paraphestmoigne dune recherche de distinction : lcriture rgulire des textes,

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  • 3. Olivier Guyotjeannin, crire en chancellerie in Michel Zimmermann (dir.), Auctor etAuctoritas, Invention et conformisme dans lcriture mdivale, Actes du colloque de Saint-Quentin-en-Yvelines (14-16 juin 1999), Mmoires et documents de lcole des Chartes, n 59, 2001, p. 29.

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    leur signature oppose des formes personnelles, des traits singuliers. Signedidentit, la signature contribue forger lide que lcriture elle-mmepeut devenir ostension de soi.

    Lhistoire des signes de validation doit tre galement prise en comptecomme le suggrent les deux marques majeures, le sceau et la signature.Constamment lis lun lautre ds les premiers diplmes mrovingiens, ilssont tous deux signes didentit et signes de validation. Sur une longuepriode, cette association prospre. Quil sagisse des chartes mrovin-giennes, des diplmes carolingiens, des bulles papales, des ordonnancesroyales, etc., sceaux et signatures sont le plus souvent prsents au pied desactes solennels. Ces documents, en tant que monuments dots dune effi-cace, en tant quactes du pouvoir, inscrits dans une tradition quasi-cr-monielle, requirent lapposition de plusieurs traces de validation. Du VIeau XVIe sicle, les chancelleries ont pratiqu diffrents modles dactes.Olivier Guyotjeannin distingue deux priodes, celle de lacte raliste ,piphanie du pouvoir, appuy sur la liturgie, caractristique du hautMoyen ge, et celle de lacte nominaliste qui lui succde, outil deconviction, ptri de rhtorique3. Les formes prises par la signature seraient penser en fonction de ces deux priodes, de ces deux styles de gouver-nance mais quelles que soient les volutions discursives, on la trouve tou-jours lie au sceau. La signature ne peut donc se penser seule, elle est entou-re dautres signes avec lesquels elle sarticule. Une des consquencesmajeures de ce constat concerne la notion dauteur : les actes ne sont pas lefait dun seul auteur, il faut tre deux pour confrer un acte sa force juri-dique : lauteur qui agit par le document (testateur, donateur, vendeur),et lauteur qui garantit lacte et reprsente une instance juridique. Chacunappose son signe. Lobservation des actes ouvre alors un monde partentire, celui du travail de chancellerie.

    APPROCHES DU SIGNE DANS LACTE CRIT : LES AUTEURS AUTRAVAIL

    Les diplmes mrovingiens et carolingiens du Haut Moyen ge mon-trent bien la distribution qui sopre selon les auteurs des actes entre signa-tures et sceaux. Les chanceliers signent (dune souscription, dune rucheautographe), le roi scelle et appose son monogramme (autographe ou non).Pourtant, il serait abusif dimaginer une rpartition exclusive qui rserve

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  • 4. Jean Vezin, Lautographie dans les actes du Haut Moyen ge , Comptes rendus de lAcadmie desInscriptions et Belles Lettres, juill.-oct. 2004, pp. 1405-1433.

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    aux professionnels de lcrit, responsables des actes, les signes autographes,et aux autres, les sceaux4. Benot-Michel Tock a mis en vidence, partirdun corpus de chartes des vques dArras du XIIIe sicle, une division dutravail mconnue jusque-l : cest le bnficiaire qui prpare lacte, et nonle scribe royal le roi ne faisant que le valider.

    Les manires de signer se compliquent de traditions rgionales, si bienquon oppose souvent une France du Nord qui scelle, une France du Sudqui signe. Mais, l encore, les subtilits du travail administratif rserventdes surprises : ds 1315, les sceaux aux armes royales sont, par exemple,imposs aux officiers qui ne peuvent plus apposer leurs propres sceaux oules sceaux de la juridiction locale. Cette mesure met en vidence que toutepersonne ayant la charge dun office relve dune double personne, loffi-cier, qui sexprime par le sceau administratif, et la personne prive quicontinue signer. Lassociation sceau/signature a connu diverses formulesqui ne sauraient se rsumer des attributions sociologiques. Elles expri-ment aussi des concepts organisant un ordre juridique et politique.

    partir du XIIIe sicle, le dveloppement de la chancellerie royale fran-aise va entraner la mise en place dun ensemble dindices permettant daf-fecter tel acteur ou tel autre la responsabilit de son rle : le nom durdacteur en titre par exemple peut apparatre hors teneur, sur le repli delacte. Plus tard, la mention du nom de celui qui commande lacte devien-dra obligatoire (1321). Enfin, il faut complter cet ensemble dactants parune catgorie essentielle au moins jusquau XIIIe sicle, celle des tmoinsprsents.

    partir du XIVe sicle, ces signes mineurs prolifrent sur les chartes. Cesont des rvlateurs importants du travail de chancellerie. Il sagit, parexemple, de signatures discrtes, apposes sur les replis qui attestent que larelecture de lacte a bien t faite, que le chancelier a donn son visa. Dansces mentions rapidement traces, la forme graphique de la signature actuel-le slabore. Ce sont les secrtaires du roi, les scribes, puis les notaires quiseront les vritables concepteurs du signe tel quon le connat. La signatu-re est donc issue des mtiers, des professions de lcrit. Cest pourquoi ellea connu des formes dune grande sophistication, les seings des notaires parexemple, ou encore les ruches cryptes laide de notes tironiennes deschanceliers carolingiens, enfin les paraphes parfois extravagants de notaires lpoque moderne. Dans les actes notaris de toute la France rurale duXIXe sicle, il nest pas rare de constater de grandes diffrences dhabilet

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    graphique entre les clients signataires mais aussi, et plus systmatiquement,entre clients et notaires. ces diffrences dcriture, correspond une diff-rence de poids des signatures. Celle de lofficier de plume vaut plus,puisquelle valide le document et en fait un acte authentique. Mais il seraiterron de ne pas reconnatre le travail du scripteur. Un acte suppose unecoopration minimale entre les deux auteurs. Lauteur de laction juridiquedoit tre prsent et produire lui-mme, de sa propre main, un signe it-rable, en rapport avec son nom propre, calibr en fonction du format delacte et de la place disponible. La signature moderne peut tre considrecomme un prlvement dempreinte du corps du signataire. Cest uneempreinte cintique, enregistrant une manire de tracer, plus ou moinsrapide, plus ou moins appuye, et une faon de dformer les lettres. Toutsignataire accepte de se plier des normes graphiques tacites. Litrabilitest ce prix, elle induit la capacit dune signature tre expertise. Enincorporant ces contraintes, les signataires introduisent dans les formesdcriture censes tre les plus personnelles, la prsence de linstitutionjudiciaire garante de la validit des actes. Bien que lon puisse douter descomptences des experts en criture, souvent contredites par des manque-ments spectaculaires (affaire Dreyfus, affaire Gregory), il nen reste pasmoins que la reconnaissance simple dune signature, cest--dire la capaci-t distinguer un modle de signature de toutes les autres, est incontes-table. Elle suppose un systme de registres, ou mieux encore, un fichiercentral fournissant un modle de base indispensable toute comparaison.

    Ce lien entre signature personnelle et institution judiciaire et mmepolicire donne voir le rseau plus large des chanes dcriture impli-ques dans lusage de la signature. On touche l aux limites de lanalyse desdocuments eux-mmes. Les traces releves sur les actes juridiques, celles delauteur de laction, du scribe, de lofficier responsable de la validation,ventuellement des tmoins de lacte, ne forment que le devant de la scne.Dans les coulisses, ce sont de multiples prestataires quil faudrait faire appa-ratre : personnels attachs la tenue et la maintenance des fichiers, maisaussi et surtout dans le cas des actes juridiques, responsables de larchivageet de la conservation des actes. En effet, sans ces deux actions complmen-taires, tout le processus de validation est remis en cause. Une vaste culturematrielle, structure par les notions doriginal et de copie, attache lafabrication de pices uniques, soutient la valeur du signe. De nombreuseset actives chanes dcriture sont ici ncessaires, qui font du documentsign un crit unique, revtu dune efficacit spcifique, susceptible de ser-vir de preuve.

    Prendre en considration ces diffrents rseaux de circulation des picescrites, conduit les envisager progressivement comme des objets plus que

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    comme des textes. Tous les aspects des actes, mme les plus triviaux,deviennent importants : la qualit du papier, lencre utilise, les ajouts etcorrections, les grattages, les taches, etc. La signature participe aussi de cettefabrication dobjets. Elle les marque, en permet la traabilit et, surtout,donne au texte crit un statut part, qui le distingue de tous les genres dis-cursifs et, dune certaine faon, transgresse les genres eux-mmes car, entant quactes, ils appartiennent un monde autre .

    Par consquent, lextension de lenqute au-del des documents eux-mmes, la reconstitution des scnes de production des actes juridiques ren-due possible grce aux travaux des diplomatistes et des historiens du nota-riat notamment mais aussi telles quelles apparaissent dans la littrature, faitaccder une autre ralit du signe, celle de son effectuation en contexte.Signe professionnel, la signature est un acte norm, coopratif, au centre dechanes dcriture multiples et, surtout, un acte qui vient parachever lafabrication dun objet crit.

    LACTE DE SIGNER COMME ACTE PERFORMATIF

    Lanalyse smiotique de la signature centre sur lobservation des signes,puis, partir dune analyse des documents, son approche comme squence lintrieur dun processus de production de lacte crit, conduisent poser desquestions gnrales : la signature que lon a saisie dans toute son ampleuroprative est cantonne lintrieur dun monde de pratiques spcifiques, lespratiques juridiques. Peut-on, partir de cet observatoire, largir les conclu-sions aux pratiques dcriture en gnral ? Quapprend-on de la signature surles manires dagir en crivant ? Quapprend-t-elle de la culture de lcrit ?

    Commenons par rappeler que signer est un acte rgul par diversesnormes. La premire est celle qui sattache la prsence oblige du signa-taire. Cette rgle indique que lefficacit dune signature se joue en partiedans un ici et maintenant dtermin. On signe en personne, devanttmoins, et dune certaine faon. Il faut donc reconnatre une dimensioncrmonielle lacte, plus prcisment, il faut tenir compte des conditionsde flicit quil requiert. La signature appartient de ce fait au paradigme desactes de langage

    Lacte de signer est un acte performatif que lon peut penser lintrieurde la thorie classique de la performativit propose par Austin. Elle estdonc ancre dans une situation, mais on a vu aussi que la force de la signa-ture tait le rsultat dun travail collectif, de lassociation de plusieursrseaux dcriture. Comment articuler les exigences crmonielles quiconduisent considrer la signature comme un acte accompli en un instantprivilgi ? Comment relier cette conception dune signature comme trait

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  • 5. Batrice Fraenkel, Le moment de la signature dans le travail de lhuissier de justice : une per-formativit situe in Alexandra Bidet (dir.), Sociologie du travail et activit, Toulouse, Octars,2007, 254 p.

    B. Fraenkel, La signature : du signe lacte , S. & R., n 25, mai-juin 2008, pp. 15-23.

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    de plume spectaculaire la prise en compte des coulisses du thtre ? lamise en vidence du rle des archives, de la conservation, de lidentit judi-ciaire... dont on sait limportance majeure ?

    Pour effectuer cette articulation, il manque lanalyse une dimensionqui est celle de lobservation des pratiques relles de signature. Nest-ce pasen analysant la fabrique actuelle dactes juridiques que lon serait mieuxarms pour dcrire les conditions de flicit de la signature, tant au niveausituationnel, quau niveau contextuel ? Il fallait passer de lapproche histo-rique, smiotique et pragmatique, une approche ethnographique des pra-tiques contemporaines.

    Une recherche portant sur la signature lectronique ma donn locca-sion de mener une enqute sur les huissiers de justice, de les accompagnerdans leurs tournes mais aussi de suivre, dans les tudes, le travail quotidiende la fabrication des actes5. Lune des premires rvlations de cette enqu-te de terrain a t de constater le temps pass par les huissiers signer : cesont souvent plusieurs heures par jour qui sont consacres la signature. Ilne sagit donc pas dun acte rapide de griffonnage tel quon se le reprsen-te, mais bien dun moment spcifique rgul par une routine. Lanalyse decette routine montre un enchevtrement de micro actes : actes de lec-ture en particulier, et actes de vrification plus ou moins tatillonne. Lesmodalits de lecture sont diverses : lecture dcrmage, en diagonale, lectu-re ultrarapide ou prudente, souvent lectures variables qui sadaptent auxcirconstances infimes qui distinguent un acte dun autre. Une analyse pluspousse a montr que le mode de lecture varie aussi selon le mode de ges-tion des tudes. Un huissier qui dlgue volontiers ses clercs des respon-sabilits ne signera pas de la mme faon quun autre, pratiquant une spa-ration des tches plus traditionnelle. Le moment de la signature apparatalors comme un moment de lecture largement faonn par un collectif. Ladimension distribue de la performativit simpose. Lhuissier ne signepas seul ; il signe avec toute son tude, mme sil est seul le faire, souventle soir, alors que son personnel est parti. Dautres aspects du travail mettenten valeur la part dengagement personnel : la signature est loccasion pourlhuissier de solliciter sa mmoire, de se souvenir des dossiers, de se rem-morer des affaires. Dans les deux cas, la signature est un moment de mise lpreuve de savoir-faire experts. Il faut donc se dprendre dune concep-tion de lacte de signer, centre sur le moment du trac du signe, trop cal-que sur le modle de lnonciation orale.

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  • B. Fraenkel, La signature : du signe lacte , S. & R., n 25, mai-juin 2008, pp. 15-23.

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    On peut, grce lanalyse de la signature en situation, laborer unenotion plus spcifique, celle dacte dcriture. La signature se prsentecomme un acte pris dans une action plus large. Elle suppose plusieursactants, plusieurs auteurs, plusieurs mains. Sa performativit distribue ren-voie lhistoire longue du signe, aux chancelleries notamment dont on a vules pratiques de multiples signes de validation. Par rapport aux actes de lan-gage typiques envisags par Austin, cest--dire les actes qui supposent laprononciation de paroles par un seul locuteur le baptme, le mariage, lapromesse , les actes crits sont fort diffrents. Ils sont signs par plusieursauteurs. Ils sont archivs et gardent leur force oprative, leur valeur illocu-toire en rserve. De plus, comme on vient de le voir, le moment de la signa-ture peut tre long et dpasser largement linstant de lacte oral.

    Ces considrations amnent poser une hypothse trs gnrale : lesactes dcriture relvent dune catgorie distincte des actes de loral et le casde la signature peut tre considr comme un cas prototypique de cettecatgorie. Cette premire hypothse en entrane une seconde : les pratiquesdcriture impliquent toujours la fabrication dcrits, elles mettent en jeudes actes qui ne sont en rien des actes de langage mais qui participent plei-nement la production des documents. La question se pose alors de savoirquel statut on peut donner des actes banals tels que copier, effacer ou,plus proche de nous, copier/coller, qui peuvent tre dots, dans certainescirconstances, dune efficacit particulire.

    Au-del du signe exceptionnel quest la signature, cest donc lensembledes actions et des activits dcriture caractrisant les pratiques quil fautpasser au crible de la description et de lanalyse.

    RETOUR LA BANDEROLE

    La banderole signe par Komar et Melamid offre un bon exemple depratique contemporaine de signature dartiste. Mais, au-del des rfrences lhistoire de lart, cette banderole est intressante, aussi parce quelle seprsente comme larchive dun acte dcriture qui a chou. Brandie pen-dant les manifestations, linscription tait transporte dans les rues, expo-se dans lespace public. Elle participait dune pratique incluant des tracts,des drapeaux, des chants, des slogans. Comment qualifier cette pratiquedcriture-l ? Comment en dcrire la performativit ? Dans quelle sriedactes la comprendre : celle des manifestations dune poque, celle dunehistoire longue des banderoles, celle des slogans politiques ?

    Vue sous cet angle, la signature de Komar et Melamid apparat commesolidaire dune culture de lostentation des signes dont la performativitreste encore largement dcrire.

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