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La négation en tant que processus de la signification: le cas des discours littéraires Kariminejad, Somayeh Doctorante en didactique du FLE, Université Tarbiat Modares, Téhéran, Iran [email protected] Shairi, Hamid Reza Maître de conférence, Université Tarbiat Modares, Téhéran, Iran [email protected] Safa, Parivash Maître assisante, Université Tarbiat Modares, Téhéran, Iran [email protected] Nabavi, Lotfollah Maître assisant, Université Tarbiat Modares, Téhéran, Iran [email protected] Reçu:5.2.2013 Accepté: 21.5.2013 Résumé Depuis longtemps la négation était le sujet d’étude de différents domaines, surtout en philosophie, en logique et certainement en linguistique. La sémiotique, en tant que réflexion générale sur les systèmes de signes et de significations et en tant que science, associe la négation à la signification et si une quelconque positivité émerge d’un processus des significations, c’est que l’élan initial a eu lieu grâce à une négation génératrice. En général les approches et les typologies de la négation sont nombreuses. Cette pluralité s'explique par la complexité et la diversité des négations. Dans notre recherche, on essaie de montrer que faire du discours, n’est qu’une émergence de la relativité. En effet, du point de vue sémiotique, la négativité devient inhérente aux modalités du processus de signification; d’une part c’est à partir de la commination négative sur le fond amorphe du sens, et d’autre part par la commination négative sur la première différence qui fait apparaître la signification. Alors Cet article tente d'examiner la notion de la négation ainsi que son rôle dans l'analyse du processus de la signification à travers les discours littéraires français et persan. Et aussi on voudrait savoir comment le discours est modelé par la négation ? Autrement dit, l'objectif de cet article est de décrire les modes du fonctionnement de la négation dans le discours littéraire français et persan. Mots clés: négation, différence, discours littéraire, signification, sémiotique Introduction La conception de la négation est une réalité indéniable dans toutes les langues vivantes. La négation nous met en présence d'un terme abstrait qui a des racines dans la philosophie, la logique et la sémiotique et qui n'est pas facile à définir. Du point de vue sémiotique, cette notion fait référence à une opération par laquelle est nié soit un terme soit un actant, et grâce à laquelle la différence entre deux unités sémantiques ou la disjonction entre le sujet et l’objet de valeur est établie. Selon la sémiotique, la négation est inhérente aux modalités du processus de signification. En effet la négation participe à la production de laignification de plusieurs manières : soit à partir de la prise en considération de la structure différentielle et de la relation oppositionnelle soit en se fondant sur la structure tensive. La négation fonctionne en fait comme une procédure dynamique qui réorganise notre compréhension du monde et des choses. Etant donné que la négation occupe une place primordiale au sein du langage, dans cet article nous aborderons les modes de son fonctionnement dans le

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  • La ngation en tant que processus de la signification: le cas des discours

    littraires

    Kariminejad, Somayeh Doctorante en didactique du FLE, Universit Tarbiat Modares, Thran, Iran [email protected] Shairi, Hamid Reza Matre de confrence, Universit Tarbiat Modares, Thran, Iran [email protected] Safa, Parivash Matre assisante, Universit Tarbiat Modares, Thran, Iran [email protected] Nabavi, Lotfollah Matre assisant, Universit Tarbiat Modares, Thran, Iran [email protected]

    Reu:5.2.2013 Accept: 21.5.2013Rsum

    Depuis longtemps la ngation tait le sujet dtude de diffrents domaines, surtout en philosophie, en logique et certainement en linguistique. La smiotique, en tant que rflexion gnrale sur les systmes de signes et de significations et en tant que science, associe la ngation la signification et si une quelconque positivit merge dun processus des significations, cest que llan initial a eu lieu grce une ngation gnratrice. En gnral les approches et les typologies de la ngation sont nombreuses. Cette pluralit s'explique par la complexit et la diversit des ngations. Dans notre recherche, on essaie de montrer que faire du discours, nest quune mergence de la relativit. En effet, du point de vue smiotique, la ngativit devient inhrente aux modalits du processus de signification; dune part cest partir de la commination ngative sur le fond amorphe du sens, et dautre part par la commination ngative sur la premire diffrence qui fait apparatre la signification.

    Alors Cet article tente d'examiner la notion de la ngation ainsi que son rle dans l'analyse du processus de la signification travers les discours littraires franais et persan. Et aussi on voudrait savoir comment le discours est model par la ngation ? Autrement dit, l'objectif de cet article est de dcrire les modes du fonctionnement de la ngation dans le discours littraire franais et persan. Mots cls: ngation, diffrence, discours littraire, signification, smiotique

    Introduction

    La conception de la ngation est une ralit indniable dans toutes les langues vivantes. La ngation nous met en prsence d'un terme abstrait qui a des racines dans la philosophie, la logique et la smiotique et qui n'est pas facile dfinir. Du point de vue smiotique, cette notion fait rfrence une opration par laquelle est ni soit un terme soit un actant, et grce laquelle la diffrence entre deux units smantiques ou la disjonction entre le sujet et lobjet de valeur est tablie. Selon la smiotique, la

    ngation est inhrente aux modalits du processus de signification. En effet la ngation participe la production de laignification de plusieurs manires : soit partir de la prise en considration de la structure diffrentielle et de la relation oppositionnelle soit en se fondant sur la structure tensive. La ngation fonctionne en fait comme une procdure dynamique qui rorganise notre comprhension du monde et des choses. Etant donn que la ngation occupe une place primordiale au sein du langage, dans cet article nous aborderons les modes de son fonctionnement dans le

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    discours littraire partir d'un corpus extrait de la littrature franaise (les pomes de Jaques Prvert) et persane (les pomes de Sohrab Sepehri et de Mawlana ainsi quune pice de thtre de Radi).

    Cela dit, aprs avoir fait une brve rcapitulation historique de la notion de ngation, nous tenterons de rpondre aux questions suivantes: En quoi la ngation fonctionne comme un moteur de sens dans les discours littraires? Quels rapports y a-t-il entre la ngation et lacte de lnonciation littraire? Comment le discours est-il model par la ngation? Quelle place est donne la ngation de la part de diffrents smioticiens? Historicit sur les origines smiotiques de la ngation

    Ngation vient du latin negatio, action de nier. Selon le dictionnaire latin-franais Action, attitude qui va lencontre dune chose, qui nen tient aucun compte. En effet, si nous adoptons le point de vue smiotique, selon Zepeda et Moreno (2011: 2): la ngativit qui provient de ce qui est ngatif ou qui y conduit, devient inhrente aux modalits du processus de signification, du fait quil possde ou produit du sens et partage, avec la positivit et dans des conditions gales, sa place dans la structure.

    Du point de vue philosophique et logique, la ngation a t propose par Platon, Aristote, Hegel, et Marx. A cet gard, on pourrait mentionner la thorie du syllogisme d'Aristote (2005: 97), qui a t prsente pour la premire fois dans le livre Organon, (1994: 61) qui repose sur une thorie de l'assertion. Selon cette thorie, chaque proposition assertorique est soit une affirmation soit une ngation. Une affirmation est une proposition dans laquelle un prdicat est affirm d'un sujet, comme dans Socrate est juste ou

    Socrate court. Une ngation est une proposition dans laquelle un prdicat est ni d'un sujet, comme dans Socrate n'est pas juste ou Socrate ne court pas. Selon Aristote, les ngations ont la mme structure que les affirmations: toutes deux sont simples. A noter aussi qu'Aristote utilise normalement laffirmatif et le ngatif pour distinguer les affirmations des ngations; mais il lui arrive aussi d'utiliser synonymie le positif la place de laffirmatif et le privatif la place du ngatif.

    On peut prsenter les ides d'Aristote sous forme d'un digramme qui nous donne le fameux carr dopposition:

    Dans cette tape sera abord le point de

    vue de Hegel (1991: 68-81) sur le terme ngation, ce propos il faut dire quil dveloppe un systme philosophique en fondant toute sa pense: la dialectique. Cette dialectique hglienne dsigne laccs la vrit et lidalisme absolu via des ides contradictoires. Cest de la confrontation des contraires et de leur dpassement dans la synthse des deux que la pense se construit pour le philosophe. Ainsi, la ngation nest jamais pense comme un chec chez Hegel, mais plutt comme une tape ncessaire et constructive

  • La ngation en tant que processus de la signification /17

    vers la vrit. L'essentiel du parcours dialectique hglien va de laffirmation la ngation et de la ngation la ngation de la ngation (on dit parfois: thse, antithse, synthse1). Le devenir s'opre en fait par les dpassements successifs des contradictions. Dpasser, ici, c'est de nier mais en conservant, sans anantir. Par exemple, la fleur nie le bouton mais en mme temps le conserve puisqu'elle en est le prolongement. De mme le fruit nie la fleur tout en la conservant. Chaque terme ni est intgr. Les termes opposs ne sont pas isols mais en change permanent l'un avec l'autre. La contradiction joue donc un rle essentiel. Toute ralit est un jeu de contradiction : mort et vie, tre et nant etc. en bref le ngatif est crateur.

    La dialectique prend toute sa signification avec Marx et Engels. Selon Engels : La dialectique considre les choses et les concepts dans leur enchanement, leur relation mutuelle, leur action rciproque et la modification qui en rsulte, leur naissance, leur dveloppement et leur dclin (1950: 392). Ce sont en effet eux qui feront de la dialectique une thorie gnrale des dveloppements, en accord avec les acquisitions thoriques des sciences. Pour Marx il faut partir de la dialectique de Hegel : quest-ce donc que la dialectique pour Marx: Cest la science des lois gnrales du mouvement et du dveloppement de la nature, de la socit et de la pense (1998: 4). Cette science consiste en trois principes gnraux: 1) la loi de lunit des contraires et de leur lutte: toute chose a deux aspects opposs, un ple ngatif et un ple positif en quelque sorte, amenant le dveloppement et le mouvement de la chose en question; 2) la loi de lunit

    1 ces trois termes ont t emprunts du site : sos.philosophie.free.fr

    de lvolution et de la rvolution, du quantitatif et du qualitatif: le dveloppement ne se fait pas sur le plan quantitatif, il progresse par bonds rvolutionnaires; 3) la loi de la ngation de la ngation: la ngation nest pas simple destruction de lancien, mais dpassement de celui-ci; on conserve de lancien ce qui est valable: la ngation est dialectique. De fait Staline rsume cette ide de la manire suivante :

    Contrairement la mtaphysique, la dialectique part du point de vue que les objets et les phnomnes de la nature impliquent des contradictions internes, car ils ont tous un ct ngatif et un ct positif, un pass et un avenir, tous ont des lments qui disparaissent ou qui se dveloppent; la lutte de ces contraires, la lutte entre l'ancien et le nouveau, entre ce qui meurt et ce qui nat entre ce qui dprit et ce qui se dveloppe, est le contenu interne du processus de dveloppement (2003:7).

    En linguistique, la ngation est le plus souvent exprime par un lment invariable, simple ou compos, que les grammairiens traitent en gnral comme une particule, ou, plus rarement, comme un adverbe (dans la tradition franaise par exemple). On ne discutera pas pour l'instant ce problme de terminologie, mais on peut faire cependant remarquer que la particule n'a jamais reu une dfinition satisfaisante en linguistique, pas plus d'ailleurs que adverbe. Mais on trouve aussi d'autres possibilits: des auxiliaires de ngation qui portent tout ou partie des renseignements habituellement vhiculs par le verbe simple, et des paradigmes verbaux particuliers o la ngation est amalgame d'autres marquants.

    Les points de vue des philosophes du langage et des logiciens sur la ngation ont profondment marqu les thories linguistiques modernes concernant ce phnomne complexe. Dans les recherches

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    rcentes, on distingue couramment la ngation descriptive de la ngation polmique. Cette distinction, classique depuis Ducrot (1973: 123-131), nous permet de dire que si la ngation descriptive, propre la phrase, est l'affirmation d'un contenu ngatif, sans rfrence une affirmation antithtique (1973: 124) la ngation polmique, par contre, est un acte de ngation, la rfutation d'un contenu positif exprim antrieurement par un nonciateur diffrent du locuteur ou l'instance nonciative qui produit cet acte. (1973: 123). La ngation polmique est une stratgie argumentative, base sur la contestation d'un nonc antrieur. Sa valeur polyphonique est incontestable; elle fait intervenir deux instances nonciatives: l'nonciateur de l'affirmation antrieure et le locuteur de l'nonc qui rejette celle-ci. La ngation polmique a ainsi un caractre dialogique, rfutatif, rplicatif, polyphonique. Pourtant aprs avoir montr une brve

    prsentation de ngation dans les diffrents domaines on pourrait dire que parler du ngatif n'est pas une tche simple; pour preuve de ce constat, on peut se rfrer linventaire que Denis Bertrand (2011: 2) a fait des horizons thoriques:

    le sens ontologique du ngatif dabord (qui

    sexprime dans le rien, dans le non tre), le sens dialectique (triomphant avec Hegel, o le ngatif mdiatise le passage dun argument un autre), le sens axiologique (prgnant dans le champ thique, comme latteste le ngationnisme par exemple, mais aussi dans le champ esthtique, avec la laideur ou la figure du pote maudit, (), le sens linguistique (o les termes de la ngation dfinissent un type de proposition, un ne pas diffrent du sens logique), le sens narratif (la ngation narrativise dans le manque et dans le conflit, ou encore envisage dun point de vue pragmatique et adversatif), le sens passionnel (celui du rejet, de la rpulsion, du dgot ou de laversion.

    Il faudrait savoir cependant que cet inventaire n'puise pas le concept de la ngation qui s'approprie une place trs importante dans le langage. Et on peut dire le ngatif, cest la moiti du langage, bref, immense domaine, immense chantier.

    La diffrence, l'opposition entre les termes

    La diffrence surgit au moins par la mise en relation de deux termes et cest justement grce cette relation que chacun deux acquiert de la valeur. Au niveau de la relation dopposition qui merge entre les valeurs, lune delles a un contenu dlimit, elle saffirme et domine lautre, elle sintgre aux autres valeurs en prsence en tablissant un systme et en gnrant de ce fait une positivit, cest--dire une existence pleine. Selon Zepeda et Moreno (2011: 9):

    Le terme positif est celui qui se ralise, en effet sa prsence dans la relation sintensifie, tandis que le terme ngatif est dplac vers le "fond" ou "lhorizon", potentialise, et en" attente" dune nouvelle mise en relation, absente mais tout en tant dune certaine manire prsente par lintermdiaire de la relation qui a eu lieu, et, par consquent, prsente dans le processus.

    Le terme positif serait, selon les propres mots de Jacques Fontanille (1995: 1-25): une prsentification de la prsence, une plnitude ; le terme ngatif, quant lui, serait une prsentification de labsence.

    Nous pouvons dire, en utilisant le mtalangage propre la smiotique tensive propose par Jacques Fontanille et Claude Zilberberg (1998), que le terme positif sinstaure de cette manire par la tonicit quil acquiert. Et le terme ngatif, quant lui, resterait atone. La prsence ou labsence, la partie tonique ou atone des lments en relation dopposition nous permettent de commencer voir la dimension tensive entre le positif et le

  • La ngation en tant que processus de la signification /19

    ngatif, de mme que sa densit et ses diffrentes modulations.

    Jtais tout pleur je suis devenu tout joie, Jtais tout mort je suis devenu tout vivant

    (2008: 804)

    Le royaume de l'amour arriva et je suis devenu le

    bonheur ternel (traduit par les auteurs)

    Dans ce verset de Mawlana, on constate la diffrence entre les termes le rire et le pleur et ainsi de suite entre la mort et la vie. Il parat qu'un systme est ici organis sur l'opposition entre des termes la mort et la vie et le rire et le pleur

    Selon Louis Hjelmslev, cette opposition laissera la place l'opposition entre le terme intensif et le terme extensif: la case qui est choisie comme intensive a une tendance concentrer la signification sur les autres cases de faon envahir l'ensemble du domaine smantique occup par la zone. (1972: 112-113). Les termes ngatifs c'est--dire le pleur et la mort sont dplac vers le fond potentialis, et en attente d'une nouvelle mise en relation et l'inverse, les termes le rire et la vie obtiennent la tonicit et apparaissent comme les termes positifs. La ngation du point de vue de Greimas

    Les propos de Greimas au sujet de la ngation ont t publis dans Smiotique en jeu (1991), sous le titre Algirdas Julien Greimas mis la question. Bertrand cite quelques extraits de ces propos (pp. 313-314) : Quel serait lacte de jugement premier qui serait un geste fondateur de lapparition du sens?

    () La perception, cest tre plac devant un monde bariol. Quand lenfant ouvre les yeux devant le monde pendant les deux premires

    semaines de sa vie, il peroit un mlange de couleurs et de formes indtermines: cest sous cette forme que le monde se prsente devant lui. Cest l quapparat ce que jappelle le sens ngatif, cest--dire les ombres de ressemblances et de diffrences, les plaques ou les taches qui affirment une sorte de diffrence (2010: 3).

    Le sens ngatif est donc envisag ici au foyer mme de la signification perceptive. Un exemple littraire emprunt chez J. Prvert peut nous aider claircir ces ombres de ressemblance et de diffrence issue de la perception de lnonciateur:

    Trois allumettes une une allumes dans la nuit La premire pour voir ton visage tout entier La seconde pour voir tes yeux La dernire pour voir ta bouche Et l'obscurit tout entire pour me rappeler tout cela En te serrant dans mes bras (2004: 15).

    Comme nous pouvons en tre tmoin, le

    pote utilise trois fois le terme allumette. Au niveau de l'essence il y a certainement des ressemblances entre ces termes. Tous les trois sont tout simplement des allumettes, mais on voit qu' chaque fois qu'on allume une allumette on profite de sa lumire de manire approprie et diffrente. Ainsi, la premire allumette est celle qui permet de voir le visage entier; voir tout entier est dj la ngation de voir moiti ou demi. Tandis que la deuxime est celle qui nous conduit voir les yeux. Or, voir les yeux cest dj une manire de nier le reste du visage. (Voir les yeux/ ne pas voir le reste du visage). Et enfin le troisime nous fait accder la perception visuelle de la bouche. Ce qui signifie que la perception visuelle de la bouche est une faon de nier celle des yeux (voir la bouche/ ne pas voir les yeux). Ou bien mme si le sujet a encore une vision des yeux ce nest qu partir dune certaine ombre qui fait la diffrence avec un acte de voir complet. Nous constatons que les trois allumettes dcrites

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    par Prvert sont d'une part la source dune ressemblance puisqu'elles favorisent toutes les trois l'acte de voir, et de l'autre la source d'une diffrence en ce qui concerne la cible visuelle distincte. En effet les lumires tires des allumettes nous permettent de nous rendre compte la fois des ressemblances et des diffrences. Et dans la suite du discours, lobscurit toute entire vient sopposer la lumire. Ce qui transforme le voir en rappel. Cependant, au plus profond de cette opposition rside une ressemblance qui se justifie par le fait que le sujet se rappelle de tout ce quil a vu. Il est tonnant de constater que lobscurit constitue dune part une source dopposition avec la lumire et devient de lautre une source de ressemblance avec elle. En effet, l'obscurit est le contraire de la lumire; mais en mme temps, elle est le moyen de se rappeler de tout ce qui doit sa prsence la lumire.

    On peut constater aussi les ides de Greimas dans l'exemple suivant tir du discours potique de Sohrab Sepehri. Quelquefois le fait de slectionner ou de prfrer un lment parmi tous les autres possibles correspond lacte de la ngation. On peut prendre pour exemple ce vers de Sepehri:

    O l'amour est tout aussi bleu que les plumages de la sincrit (2005:25).

    On voit que de toutes les couleurs que lamour peut sattribuer, il y en a une prfre par le pote: le bleu. Ce qui signifie que les autres couleurs sont exclues du champ lexical et donc nies par lui. Mais cet amour ressemble en mme temps aux plumes de lhonntet qui sont aussi bleues.

    La ngation est en fait intgre au plus profond du texte potique. La ngation et le carr smiotique

    Pour Greimas, le geste fondateur cest la ngation des termes diffrentiels. Selon Greimas cit par Bertrand: Lacte du jugement, cest la ngation du ngatif qui fait apparatre la positivit. Dans cette perspective, le concept de relation peut tre compris comme un phnomne positif et non pas ngatif (2011: 3). Cest ainsi que Greimas pose alors la contradiction comme relation fondatrice dans le carr smiotique. La contradiction ne doit pas tre comprise comme une structure privative de type prsence/absence, car cest la sommation du terme A1 qui fait apparatre le terme contradictoire non A1. () Cest labsence faisant surgir la prsence: non A1 est dj le premier terme positif (1991: 314). Le foyer du ngatif, ce quest la contradiction, comprend donc le principe de la positivit. De plus, en surgissant, le terme contradictoire fait disparatre A1 et impose du mme coup la discontinuit. On comprend alors que la relation de contradiction dtermine un double phnomne fondateur du sens, celui de la positivit et celui du discontinu. Mais du mme coup, Greimas introduit la complexit du ngatif et son ambigut essentielle, au sein mme de la relation lmentaire qui lincarne.

    On peut illustrer ces thories de Greimas au sujet de la narrativit partir dun exemple tir dune pice de thtre intitule Pelekan "Escalier" de Akbar Radi (1990). L'histoire y commence dans un caf situ dans les forts de Gilan. On nous dpeint une nuit pluvieuse o la mtamorphose du protagoniste, nomm Bolbol, commence. Ce dernier est un homme pauvre, un archand ambulant, au dbut de l'histoire ; au

  • La ngation en tant que processus de la signification /21

    fur et mesure il se transforme en personnage riche qui choisit une fausse identit pour lui-mme ingnieur Masoud Taj .

    Dans cette pice de thtre, le sens n'est saisissable que dans le changement, tabli aprs coup: il n'y a pas de sens fig, affect une situation dtache de tout contexte, un tat unique, un terme isol; le sens nat dans le passage d'une situation, la pauvret, une autre, la richesse, d'un tat un autre; un homme rural plein de puret et de navet devient aprs son immigration en ville un trompeur et imposteur.

    Ainsi il n'y a de sens que dans la diffrence entre les termes, et non dans les termes en eux-mmes, et, comme, dans le discours, les termes d'une diffrence occupent chacun une position; et le sens ne peut tre saisi que dans le passage d'une position l'autre, c'est--dire dans la transformation, qui peut alors tre dfinie comme la version syntagmatique de la diffrence.

    Mais la transformation ne peut tre reconnue qu'aprs-coup, une fois qu'on sait en quel terme second s'est transform le terme premier, en quelle situation finale s'est transforme la situation initiale. C'est dire que ce qui est saisi dans l'analyse narrative, c'est une transformation accomplie, une signification dj advenue et fige, et non une signification en acte, sous le contrle d'une nonciation prsente et vivante.

    2. La ngation du point de vue de la smiotique tensive

    Le schma tensif est constitu de deux axes vertical et horizontal. L'axe vertical est celui de lintensit; et l'axe horizontal intgre l'extensit.

    Dans la smiotique tensive propose et dveloppe par Jacques Fontanille et Claude Zilberberg (1998), les notions de ngation et de ngativit sont mentionnes, soit comme point de dpart, soit implicites dans certaines entres de Tension et de signification.

    Avant d'largir ces notions, nous tenterons de reprsenter les schmas tensifs. Daprs la dfinition de Fontanille (1998: 100) ces schmas rgulent l'interaction du sensible et de l'intelligible. On pourra dfinir l'ensemble des schmas discursifs comme des variations d'quilibre entre ces deux dimensions, variations conduisant soit une augmentation de la tension affective, soit une dtente cognitive. L'augmentation de l'intensit apporte la tension; l'augmentation de l'tendue apporte la dtente. En gnral l'espace tensif comprend deux grands axes d'affectivit et d'intelligibilit. Quand l'affectivit est domine par le ngatif, la force de

    +

    _

    _ +Valeurs dunivers

    (Extensit)

    Valeurs dabsolu

    (Intensit)

  • 22/ Revue des tudes de la Langue Franaise, Cinquime anne, N 8, Printemps-t 2013

    l'intelligibilit peut augmenter. L'inverse est aussi valable. A l'intrieur de ces axes, on peut voir apparatre quatre zones qui se dcident partir de ces jeux de ngativit et de positivit. Zone de dcadence, d'ascendance d'amplification et d'attnuation.

    Labaissement de l'intensit et le dploiement de l'tendue donne lieu la dcadence alors que l'augmentation de l'intensit et la rduction de l'tendue procure une zone dascendance.

    Quant l'amplification, on pourrait dire que l'augmentation simultane de l'intensit et de lextensit ralise une tension affectivo-cognitive or lattnuation est juste linverse de lamplification.

    Au sein de la proposition gnrale de cette smiotique consistant aux diffrentes relations tensives entre lintensit et lextension, avec ses corrlations sensibles et intelligibles selon Zepeda et Moreno (2011: 7) nous pouvons voir quau niveau des relations inverses ( plus grande extension correspond moindre intensit, et vice-versa), il y a une ngation constante qui permet de dlimiter un espace dans la zone de tension, laissant lautre espace en ngatif, bien que prsent dans la mmoire du processus. De cette manire, par exemple, si cest lextension qui avance, lintensit est nie et devient ngative. En effet, le processus est domin par lextension.

    Inversement, si lintensit domine, lextensit, quant elle, est nie. Ce qui serait un exemple de positivit et de ngativit relative: la positivit est positive grce sa dominance sur lespace tensif. Dans ce cas, les relations peuvent tre rversibles. A cet gard, nous pouvons rappeler que la ngation dans le carr smiotique est privative et qu'elle repose sur la chane

    jonctive disjonction/conjonction; alors qu'au sujet de la tensivit, la ngativit est relative et celle-ci dpend de la situation de la sensibilit et de l'intelligibilit dans la zone tensive. La prsence de chacun engendre l'absence d'autrui. La ngativit apparat d'emble sur l'axe de l'intelligibilit par un manque cognitif et dans ce cas-l on confrontera une dominance des stimuli sensibles. On pourrait dire que dans la smiotique tensive, le cas de la dcadence et de lascendance, il y a un ngatif de suspension et un ngatif graduel et fluide.

    Pour ces deux schmas on essaie de prsenter des exemples tirs de la littrature persane.

    Comme on voit dans ce discours on est confront la dcadence de l'intensit est morte, il n'y a aucun mouvement, a enduit, a effac.

    D'une part tous ces lments tmoignent de l'amoindrissement des lments affectifs; cequi signifie que l'intensit est domine par le ngatif; d'autre part le dveloppement de l'tendue procure l'extension des lments cognitifs du texte comme longtemps. Le schma correspondant ce texte est comme suit:

    Schma de la dcadence

    Schma de l'ascendance

  • La ngation en tant que processus de la signification /23

    Dans ce schma d'aprs la thorie de Zepeda et Moreno l'intensit est nie et devient ngative. En effet on pourrait voir cette ngation dans les lments motionnels de ce discours tel que mort, fad, silence tnbreux, pas de lucarne

    Le schma suivant qui est l'oppos du schma ci-dessus, nous conduit vers l'ascendance de l'intensit. Cette situation est ici confronte l'abaissement de l'extensit qui a pour rsultat un schma qui montre un axe de l'tendu domin par le ngatif.

    La vie n'est point vide (1980 : 348)

    Il y a aussi la tendresse, la pomme et la ferveur de la

    foi.

    .

    Et, oui!

    Il faut vivre tant que demeurent les coquelicots.

    La vie signifie: un sansonnet s'est envol.

    : . Pourquoi en es-tu si affect? Les plaisirs pourtant ne manquent pas: ce rayon de soleil :

    L'enfant de l'aprs-demain Le pigeon de la semaine venir (2008 :37).

    Dans ces exemples, l'extensit de la vie

    du point de vue de la quantit importe peu. La vie n'est pas vide du point de vue de tout ce qui constitue son contenu, c'est--dire du point de vue affectif et sur le plan de la qualit. Ainsi, la vie n'est point vide nous met en prsence d'une ngativit quantitative de la vie: peu importe si la vie n'a pas d'tendu physique; ce qui compte c'est qu'elle a une plnitude au niveau de son contenu. Cet exemple montre bien que quelque fois la ngation correspond une positivit qu'il faudrait chercher sur un autre plan du discours, ici, le plan du contenu. Il faut donc comprendre la vie n'est point vide comme une ngativit dynamique qui convoque immdiatement une positivit intense sur un autre plan, celui de l'affectivit. Ceci prouve quel point la ngation peut participer au processus dynamique de la signification, puisqu'elle fonctionne comme un renversement du sens ou mme comme une invitation la dcouverte de ce qui se passe derrire le signe apparent ou le sens apparu des discours. Tendresse, pomme, ferveur, soleil et pigeon renvoient tous au contenu de la vie et ils nient par leur prsence son contenu vide.

    Longtemps

    Euphorie est morte

    La vie nest pas vide

    Le contenu de la vie

    Pomme, tendresse

    +

    +

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  • 24/ Revue des tudes de la Langue Franaise, Cinquime anne, N 8, Printemps-t 2013

    Conclusion

    La ngativit existe puisque la diffrence existe; de mme que des termes ngatifs qui restent au fond du processus, en tant que rsidus, mais potentialiss, sont en attente d'tre convoqus. En d'autres termes, pour qu'un terme acquire la fois plnitude et identit, il doit entrer en relation diffrentielle avec d'autres termes, et pour que la diffrence se produise, une opration de ngation doit avoir lieu.

    Comme nous l'avons constat, la ngativit devient une figure qui se charge du contenu, et nous pourrions en quelque sorte dire quelle se charge de la positivit. En effet, la ngativit se constitue comme un univers smiotique complexe, vaste et relatif la positivit-mme, aux discours, aux praxis nonciatives et aux cultures qui finalement dfinissent ce qui est positif et ce qui est ngatif.

    Pour conclure on peut dire que la ngativit est rversible et relative aux discours et leurs usagers. Et quant la smiotique tensive, on pourrait dire que la ngation s'loigne de la forme fige que reprsente le carr smiotique et elle se soumet quelques nouveaux aspects comme gradualit, fluidit et rversibilit. Bibliographie

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