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POUR N° 223 AVRIL 20203

En consacrant entièrement cenuméro aux conséquences de lacrise du coronavirus, la FSU

souhaite donner à voir des agent-es qui,dans le contexte de drame sanitaire quenous connaissons, portent à bouts debras le service public, et ce malgré lespolitiques qui ont affaibli sa capacitéd’agir. Plus généralement, ce Pourspécial entend donner la parole à unmonde du travail et à des citoyen-nesmis-es à rude épreuve.C’est bien là le rôle d’une organisationsyndicale, peut-être encore davantageen temps de crise : exprimer ce quevivent les personnels dans leur travail etau quotidien, continuer à défendre lesdroits de tou-tes et faire despropositions de court et de long termepour changer les choses. Des servicespublics renforcés, des travailleur-sesprotégé-es, un État efficace, desproductions stratégiques à disposition etdonc relocalisées, une meilleurepréparation de nos sociétés auxsituations de catastrophe, un modèleéconomique et social réorienté vers desobjectifs de justice sociale etécologique : cette crise révèle desbesoins immenses, nous continuerons àen défendre la nécessité. Vive l’Étatsocial dont l’emblématique réforme desretraites, seulement suspendue, veutpourtant saper un des fondements.Vivent les services publics, autretraduction concrète des solidaritésnécessaires, affaiblis certes pard’absurdes politiques de courte vue,mais toujours vivants grâce àl’investissement des agent-es dansleurs métiers.Ce numéro a été réalisé en télétravail,comme des centaines de milliers detravailleur-ses, avec l’aide dumaquettiste, puis des imprimeur-ses etdes transporteur-ses que nousremercions ici. Que soient salué-esaussi, une fois n’est pas coutume, lesmilitant-es dessyndicats de la FSUqui, par leursmultiples actions etleur présence auxcôtés de leurscollègues dans cettepériode compliquée,portent haut lesvaleurs de solidarité.

édito

Vivent les servicespublics

Benoît Teste

5PolitiqueLe retour de l’État-providence

17Au service du public

9SantéL’hôpital en première ligne

11Anicet Le Pors« Le XXI e siècle, “âge d’or” du service public » 

24Tribune« Préparons le jour d’après »

15NationalismeAu risque de la vague

6L’après criseLe monde de demainet le rôle dessyndicats

28L’inquiétude du monde de la culture

30RencontreJean Varela

Revue de la Fédération

Syndicale Unitaire

104, rue Romain Rolland

93260 Les Lilas

Tél. : 01 41 63 27 30

Fax : 01 41 63 15 48

Internet : www.fsu.fr

Mél : [email protected]

[email protected]

N° CP : 0720-S07429

N° ISSN : 1246-077 X

Directeur de la publication :

Benoît Teste

Rédaction :

Sandrine Charrier,

Pierre Garnier,

Matthieu Leiritz,

Jacques Mucchielli,

Marie-Rose Rodrigues-Martins,

Valérie Soumaille

Conception :

NAJA presse

Publicité :

Com d’habitude Publicité

Clotilde Poitevin

7, rue Emile LACOSTE

19100 Brive

Tél. : 05 55 24 14 03

[email protected]

Compogravure : CAG

Impression : SIEP

Crédit photo couverture :

Tréviers/Naja

Prix au numéro : 0,70 €

Abonnement : 5,60 €

Si vous changez d’adresse,

veuillez communiquer

vos nouvelles coordonnées

à votre syndicat.

Joint à ce numéro un

16 pages POUR Retraités.

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Près de 4 000 victimes débutavril en France, plus de 40 000en Europe, des milliards

d’êtres humains confinés chez eux,des économies ébranlées, des ruesvides, une nature qui prend un peusa revanche... jamais le monden’aura été confronté à une telle si-tuation.La crise révèle crûment l’im-mensité des inégalités socialesà l’échelle mondiale – Haïti,11 millions d’habitant-es, 124lits de soins intensifs – oulocale avec les tensions dansles cités populaires. « Plusjamais  ça  ! » proclament 18responsables d’organisationssyndicales (dont la FSU), asso-ciatives et environnementales,dans une déclaration com-mune (voir pages 24).Pour les signataires, parmi les-quels Benoit Teste (FSU), Phi-lippe Martinez (CGT), EricBeynel (Solidaires), NicolasGirod (confédération pay-sanne), Mélanie Luce (Unef),Aurélie Trouvé (Attac), JeanFrançois Julliard (Greenpeace),

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IVAUD

/NAJ

A

CRISE 

Lutter pendant, comprendrel’avant, penser l’après

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toute une séries de proposi-tions à mettre en œuvre. Àcourt terme, logiquement, l’es-sentiel des efforts financiers etmatériel doit être consacré àrenforcer les systèmes publicsde santé, avec l’impératif depréserver celle des soignant-es et plus globalement des tra-vailleuses et des travailleurs,du public comme du privé.C’est pourquoi seule devraitêtre maintenue la productionde biens et de services essen-tiels à la population.La crise accentue les inégalités,alors qu’elle devrait êtreaffrontée dans une exigencede justice sociale : c’est pour-quoi les 18 en appellent à l’in-terdiction des licenciements,à un moratoire sur les expul-sions de locataires, à des réqui-sitions de logements vides oude chambres d’hôtels pourabriter les SDF ou les sans-papiers, particulièrement vic-times de la situation. De

même, la lutte contre les vio-lences familiales, hélas favo-risée par le confinement, estun impératif.

Mettre la finance à contributionFace aux besoins financiers quenécessite la lutte contre l’épi-démie, le soutien aux écono-mies et aux populations, maisaussi en raison de l’obscénitéplus que jamais intolérable desgains spéculatifs, le monde dela Finance doit être mis àcontribution, et le capitalismefinancier mondialisé réguléavec détermination: encadre-ment des dividendes, rétablis-sement du contrôle des capi-taux, lutte acharnée contrel’évasion fiscale, taxation destransactions financières,accroissement de la fiscalitédes hauts patrimoines... Prio-rité de notre temps, l’aidenécessaire aux entreprises,notamment les TPE, devraitêtre conditionnée à leur enga-gement à des productions res-pectueuses de l’environne-ment. Enfin, loin duprotectionnisme ou du replinationaliste hélas possible, etsi des relocalisations de pro-ductions vitales sont néces-saires, l’heure devrait être à lacoopération internationale, etL’Union européenne est invi-tée à accroître son budget com-munautaire afin d’aider lesrégions défavorisées mais aussile voisinage proche, à com-mencer par l’Afrique.Vaste programme ? Certes. Detelles orientations, recouvertespar la vague libérale desannées Thatcher et Reagan nefurent elles pas pratiquées avecsuccès dans les États Unis duNew Deal après la crise de 29 ?Cela leur épargna la tentationfasciste... À l’heure des Trump,Morsi, Bolsonero et autresOrban, n’est-il pas temps dele proclamer : « Plus  jamaisça ! » ?

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POUR N° 223 AVRIL 20204

ou Cécile Dufflot (Oxfam), lacrise constitue une « opportu-nité historique d’une remise àplat du système, en France etdans le monde ». Ils en appel-lent à de « profonds  change-ments de politiques ».Ils et elles s’adressent « auxforces progressistes  et huma-nistes pour reconstruire ensem-ble un  futur écologique,  fémi-niste  et  social,  en en ruptureavec  les politiques menéesjusque-là et le désordre libéral ».

Renforcer les systèmes publicsde santé

Le texte pointe les responsa-bilités du libéralisme dans lasituation actuelle d’un mondebousculé par la crise épidé-mique, véritable « étincelle »venue au contact d’un « barilde poudre » confectionné parle système capitaliste mondia-lisé, d’où une situation « d’ur-gence  sociale  et  écologique ».Loin de s’en tenir à des géné-ralités, les signataires avancent

La crise accentue les

inégalités alors qu’elle devrait

être affrontée dans une

exigence de justice sociale.

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POUR N° 223 AVRIL 20205

Le mot d’État-providence ressur-git dans le vocabulaire des po-litiques. Jusqu’au président. Et

cette fois, positivement.Après avoir entendu Emma-nuel Macron affirmer qu’ « onne pourra plus  vivre  commeavant » et prendre conscience« que  la  santé  gratuite  sanscondition de  revenu, de par-cours ou de profession, notreÉtat-providence ne  sont pasdes coûts ou des charges maisdes biens précieux, des atoutsindispensables quand le destinfrappe », on se met à rêverd’un retour de cet État-pro-vidence si décrié depuis Rea-gan et Thatcher. Eloi Laurent, professeur àSciences-Po mais aussi à Stan-ford, dans cette Californie quifait l’économie numérique,écrit dans Le Monde : « Laleçon la plus utile de ce débutde crise est aussi  la plus uni-verselle : l’État-providence estl’institution  stratégique duXXIe siècle ».Les économies les plus résis-tantes à la crise sont celles quiont su conserver un systèmede protection sociale et pré-server des biens communs dela marchandisation et non

Politique

Le retour de l’État-providence

celles qui ont le plus plongédans le néo-libéralisme. Mal-gré les coups portés aux ser-vices publics, l’Europe a plusd’atouts pour se régénéreraprès la crise que les deux pre-mières économies mondiales,les États-Unis et la Chine. Déjà

des millions d’Américain-esse sont inscrit-es au chômageet ne recevront, comme tousles foyers du pays, qu’unchèque de 1 000 dollars, bienfaible si l’on considère que lasanté ou l’école sont payants.L’État-providence, social, serévèle donc être le meilleuracteur pour surmonter unecrise d’une telle ampleur.

Adieu le seuil de 3 % de déficitLa France, comme de nom-breux pays, se prépare déjà àdes relances économiques,comme après 2008. Mais cettefois, l’Union Européenne, nondémentie par l’Allemagne quivient de lancer le plus grosplan de sauvetage de son his-toire, un emprunt colossal de156 milliards d’euros, a mis àbas le verrou des 3 % de déficitpublic. La BCE elle-même a

injecté dans le système1 050 milliards d’euros afind’essayer de limiter les dégâts.Des mesures d’un niveau sansprécédent, dans un contexteoù cette même BCE dit que« le  climat a une  importancemacro-économique ». Donneraux États les moyens d’em-prunter, d’aider les entrepriseset les agricultures à une recon-version écologique, de relancerles emplois, la rénovationénergétique, une constructionécoresponsable et bien d’au-tres chantiers, deviennent despriorités impérieuses.Il est aussi de la responsabilitésyndicale de préparer l’aprèscrise, de continuer à porterl’intérêt commun et de défen-dre des services publics dontl’action s’inscrive dans unesociété de solidarité, d’égalitéet de progrès social.

Ils ont dit…

Alain Supiot, professeur émérite au Collège de France, dans

Alternatives Économiques : « C’est la foi en un monde gérablecomme une entreprise qui se cogne aujourd’hui brutalement à laréalité de risques incalculables ».

Corine Pelluchon, professeure de philosophie à l’université

Gustave Eiffel (Paris), dans Le Monde : « Oui, notre modèle dedéveloppement génère des risques sanitaires colossaux et descontre productivités sociales, environnementales, psychiques. Non,le soin, la protection des plus fragiles, l’éduca tion, l’agriculture etl’élevage ne peuvent pas être subordonnés au diktat du rende mentmaximal. Il importe d’organiser le travail en fonction du sens desactivités et de la valeur des êtres impliqués. »

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Les commerces d’alimentation

au temps du Covid-19.

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DIl y aura un avant et un aprèsla crise engendrée par lapandémie du Covid-19. Tout le

monde s’entend aujourd’hui à souli-gner le rôle irremplaçable desservices publics et l’importance del’État-providence. Nous avonsdemandé à Dominique Méda, direc-trice de l’Institut de Recherche Inter-disciplinaire en Sciences Sociales(IRISS), Philippe Martinez, secrétairegénéral de la CGT, Éric Beynel, porteparole de l’Union syndicale Solidaireset Benoît Teste, secrétaire généralde la FSU, de nous donner leur avissur le temps de crise, celui d’aprèscrise et le rôle que le syndicalismedoit jouer.

La France connait la pire crisesanitaire de son histoire.Quelles sont, selon vous, lesleçons à tirer pour notrepays ?P. M. : Il est évidemment diffi-cile à ce stade de tirer les leçonsd’une crise d’une telle ampleur.Elle révèle néanmoins deuxéléments majeurs : l’extrêmedégradation, depuis plusieursdécennies, des systèmes desanté et de protection socialed’où les problèmes à l’hôpitalmais aussi dans la productionde médicaments. Et l’effet depolitiques publiques qui privi-légient l’intérêt du capital àcelui des citoyens etcitoyennes. Le gouvernement,en prétendant maintenir autravail des salarié-es dans des

activités pourtant clairementnon essentielles au pays, donnela priorité aux intérêts finan-ciers plutôt qu’à l’intérêtgénéral. J’ai eu encore récem-ment l’occasion au téléphonede le dire avec franchise auministre de l’économie, BrunoLe Maire...D. M. : Depuis le déploiementdu néo-libéralisme, l’État a étédésarmé. Alors qu’il devaitassurer les fonctions de prévi-sion du long terme et d’anti-cipation, de mise en œuvre despolitiques structurantes et stra-tégiques (protéger la santé, lasécurité, l’emploi), il a perduannées après années les prin-cipaux instruments qui le luipermettaient. Nos sociétés ontété gangrénées par les ineptiesrabâchées sans relâche par lesorganisations internationaleset les consultants spécialiséesen New Public Management.Il nous faut rompre avec cetteidéologie mortifère.E. B. : Il encore trop tôt pourtirer des enseignements, tantla situation est évolutive. Deuxconstats : la période démontrel’importance des contre-pouvoirs, des capacités decontre-expertise utiles pour unréel débat démocratique, parti-

culièrement sur les sujets quiaffectent toute la société. Leurabsence, ou leur insuffisance,pèsent lourdement aujourd’huidans la manière dont la luttecontre le virus est menée parle gouvernement. Les servicespublics démontrent unenouvelle fois leur caractèreindispensable, et ce en dépitde l’état où l’ont mené desdécennies de politiques d’aus-térité. Depuis des mois lespersonnels avaient ainsi alertésur la situation dégradée de lasanté, notamment dans leshôpitaux et les EHPAD...B.T. : Difficile de tirer déjà desleçons d’une crise en cours, carc’est encore la sidération quidomine. Mais on peut dire demanière certaine que noussommes dans un moment oùnos sociétés touchent du doigtleur extrême vulnérabilité, quecela met en cause un certainnombre de politiques menées,en particulier l’austérité pourles services publics, et que celadoit aussi représenter uneoccasion d’agir sur l’ensembledes enjeux globaux qui sontdevant nous, à commencer parle changement climatique. Dece point de vue, la périodedémontre qu’on a besoin destructures collectives puis-santes, d’un État qui coor-donne l’action sanitaire, assurele service public, soutiennel’économie.

Le président Macron, dans sesdiscours, laisse entendre quela France de demain ne peutêtre celle d'hier : quelles

seraient les principalesréformes à mener dans lesdomaines économique etsocial ?P. M. : Il serait temps pour leprésident d’arrêter les discoursde crise qui ne sont jamaissuivis d’effet par la suite ! Onattend toujours « l’acte 2 duquinquennat ». La CGT déve-loppe toute une série de reven-dications pour l’après crise,pour le renforcement desservices publics, les retraites,l’industrie, la régulation de lamondialisation... Elle proposeune rupture avec les politiquesd’austérité, le retrait et pas lesimple report de réformes quiaffaiblissent notre systèmesocial : on voit bien à quelpoint on a besoin d’une assu-rance chômage plus protec-trice, sinon pourquoisuspendre la réforme récente ?D. M. : La lutte contre la criseécologique est la mère desbatailles. La situation actuelleest un coup de semonce : nousdevons engager d’urgence nossociétés dans ce que j’appellela reconversion écologique qui,bien menée, devrait créer desemplois, permettre de repenserl’organisation du travail, derompre avec l’actuelle division

L’après crise

Le monde de demain et le rôle des syndicats

Dominique Méda, Professeured’Université, Directrice de

l’Institut de RechercheInterdisciplinaire en Sciences

Sociales. Dernier ouvrage paruavec Eric Heyer et PascalLokiec, Une autre voie est

possible, Flammarion

Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT

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engagements qui n’ont pas étésuivis d’effet, sans doute aussidu fait de notre difficulté àmettre les dirigeants devantleurs responsabilités une foisque la crise est passée. Fonda-mentalement, cela montre quele syndicalisme doitincarner « le temps long », quin’est en général pas le tempsdu politique car ce dernier abesoin de faire dans le specta-culaire, dans la déclarationtonitruante. Pour ce qui nousconcerne, nous devonsimposer que des chantiers delong terme s’engagent pourréorienter notre modèle socialvers davantage de solidarité.

Comment le syndicalismepeut-il contribuer à construireune France plus solidaire,dans une Europe plus protec-trice ? Peut il y parvenir enrestant dans l'état de divisionactuelle ?P. M. : En période de crise, lesyndicalisme exerce un rôleencore plus précieux dans lasociété. Les syndiqués, les mili-tants sont autant de relais dansles entreprises, les services, lesétablissements, pour lessalarié-es les plus exposés auxrisques de toutes natures. Et

Benoît Teste, secrétaire général de la FSU

Eric Beynel, porte parole de l’Union

syndicale Solidaires

internationale du travail, dedémocratiser l’entreprise, degarantir la satisfaction desbesoins sociaux. Cela supposeune rupture avec le capitalismetel que nous le connaissons.E. B. : Le président n’est guèrecrédible. Il appelle de ses vœuxce à quoi nous appelons depuistoujours, une transformationsociale et écologique radicaled’un monde qu’il s’agit désor-mais de repenser et non desimplement réparer pour leramener à l’état d’avant la crise.Les propos d’EmmanuelMacron ne relèvent unenouvelle fois que d’un soucitactique. Seul le renforcementdes contre-pouvoirs, et notam-ment du syndicalisme, avec lamobilisation des travailleuseset des travailleurs, peut aboutirpar exemple à ce que lasuspension des contreréformes de l’assurancechômage ou des retraites setransforme en victoire socialeet à porter un autre projet desociété social, écologique, fémi-niste et démocratique.B. T. : On a déjà vu des prési-dents « la main sur le cœur »dire que rien ne serait pluscomme avant, de NicolasSarkozy pourfendant la spécu-lation financière en 2008 àEmmanuel Macron, déjà lui,et son « acte 2 du quin-quennat » au plus fort de lacrise des Gilets Jaunes. Deux

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y compris dans les boîtes, tropnombreuses, où nous nesommes pas mais d’où on enappelle à la CGT. Le syndica-lisme doit donc retrouver uneplace centrale dans notre pays.La CGT est favorable à ce quele syndicalisme avance plusrassemblé, avec des proposi-tions concrètes pour une meil-leure solidarité, les servicespublics, l’emploi, l’industrie...Cela existe déjà, mais demanière trop dispersée, parexemple la tribune CGT– FSU – Solidaire sur l’ur-gence sociale et environne-mentale. D’autres positionscommunes sont en coursd’élaboration. Le syndicalisme,et donc les salariés, gagne-raient à ne pas rester figés dansles divisions, encouragéescyniquement par le gouverne-ment et le patronat, entrecamps soi-disant « réfor-mistes » et « contestataires ».La CGT ne s’y reconnait pas.D. M. : Oui, je pense que dessyndicats forts et unis consti-tuent le contre-pouvoir dontnous allons avoir absolumentbesoin pour empêcher que nese reproduise, à la sortie decette crise, le business as usual.Nous devons à tout prix l’em-pêcher : nous devons préparerdès aujourd’hui le monded’après.E. B. : La période confirme, s’ilen était besoin, l’importancedu rôle des syndicats pourorganiser la défense collectivedu monde du travail. Partoutles équipes syndicales sont enaction, par exemple pouractionner le droit d’alerte oule droit de retrait lorsque dessalarié.es sont en situation dedanger professionnel. Cetteaction ne peut qu’être favorisée

par les démarches unitaires,bien sûr. D’où la nécessité derenforcer la présence du syndi-calisme partout au plus prochedes salariés : par exemple nousvenons d’être alertés par dessaisonniers de l’Alpe d’Huez,la station ferme et menace deleur reprendre les logementsmis à disposition... Il n’y avaitpas de syndicat sur place.Laquestion de l’unité n’est pasnouvelle, l’Union syndicalesolidaires ne s’est jamaisdéfinie comme une fin en soimais comme un outil, d’où sonimplication dans les luttesunitaires aux côtés notammentde la FSU et de la CGT. Lapériode dessine plus nettementle chemin qu’il nous resteensemble à parcourir pourrendre encore plus crédible lerecours à l’organisation collec-tive des salariés.B. T. : Refonder la protectionsociale et les garanties collec-tives de toutes et tous, promou-voir les services publics, étendreleur champ et conforter lestatut de la Fonction publique,se donner les moyens finan-ciers de mener ces politiques,tous ces grands axes doiventévidemment être discutés maispeuvent constituer le socle d’unnouveau contrat social. Lessyndicats sont une force collec-tive en prise avec les réalités :ce sont eux qui, par exemple,alertent sur les carences de l’hô-pital ou, en temps de crise, surles protections nécessaires pourles salariés, ou encore sur lanécessité de prendre en chargeles plus démunis. Dans cettecrise, les militants syndicauxont répondu présent. Mais lessyndicats sont, en effet, tropfaibles pour exercer pleinementce rôle de « contre-pouvoir ».Pour les renforcer, il faudrarelancer une dynamique quitrouve les voies d’une unitéplus grande et pérenne de nosorganisations.

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Des décennies de dépouillementdu service public révèlentdans la crise l’ampleur du dé-

sastre et la nécessité de revoir lespolitiques menées ces dernièresannées.La pandémie de coronavirusmet en lumière la fragilité dusystème de santé françaisaprès des décennies de coupesbudgétaires. Sans que lesalertes répétées depuis desmois par les collectifs de pro-fessionnels de santé hospita-liers aient obtenu les réponsesurgentes nécessaires, ce sec-teur est aujourd’hui au cœurd’un cyclone dont on ne sedemande plus s’il va êtredévastateur, mais à quel pointil le sera. Cette situation est dramati-quement révélatrice du dogmenéolibéral qui entend gérer lemonde comme une entreprise,où tout est affaire de calculd’utilité économique. Réduc-tion des dépenses, augmenta-tion de la rentabilité, il en vades trois piliers de l’État social– services publics, sécuritésociale et protection des sala-rié-es – comme de n’importe

État de crise

Les services publics affaiblis

quel domaine marchand.Aujourd’hui, comme pendantla crise financière de 2008, onattend de cet État social qu’ilmette en œuvre tous les méca-nismes de solidarité, commes’ils n’étaient pas affaiblis parquarante ans de politique néo-libérale.

Une gestion entreprenarialeLeur inscription dans la consti-tution de 1946 leur donnant

plus rentables. Leur structu-ration autour des principesd’égalité, de continuité etd’accessibilité est, elle, remiseen cause par une gestion detype entrepreneurial et unpilotage par indicateurs éco-nomiques. Le tout est renforcé par la poli-tique menée par la majoritélibérale de l’Union euro-péenne, visant à mettre enconformité les législationsnationales avec les doctrinesnéolibérales qui considèrentl’État social comme uneentrave à la concurrence libreet non faussée.Les premières mesuresannoncées pour faire face àla crise sanitaire et à sesconséquences démontrentque les choix politiques nesont pas nécessairement sou-mis à un déterminisme éco-nomique et qu’il est possiblede réorganiser l’économiepour répondre aux besoinssociaux, environnementauxet sanitaires du plus grandnombre.

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une existence juridique plusimportante qu’ailleurs, les droitssociaux ont fait l’objet d’unscrupuleux travail de sape. Conformément au mot d’or-dre appelant à défaire le pro-gramme du Conseil nationalde la Résistance, les servicespublics ont, par exemple, vuleur périmètre réduit par laprivatisation ou la mise enconcurrence de nombred’entre eux, notamment les

Ils ont dit…

Eva Illouz, sociologue, directrice d’études à l’EHESS dans L’Obs : « Cette crise met en lumière deuxchoses opposées : d’abord le fait que ce contrat [social], dans de nombreuses parties du monde, aprogressivement été rompu par l’État qui a changé de vocation en devenant un acteur économiqueentièrement préoccupé de réduire les coûts du travail, d’autoriser ou encourager la délocalisation de laproduction (et, entre autres, celle de médicaments clés), de déréguler les activités bancaires etfinancières et de subvenir aux besoins des entreprises. Le résultat, intentionnel ou non, a été une érosionextraordinaire du secteur public. Et la deuxième chose, c’est le fait, évident aux yeux de tous, que seull’État peut gérer et surmonter une crise d’une telle ampleur ».

Gaël Giraud, directeur de recherches au CNRS, pour Libération : « Le confinement partiel de l’Europea ressuscité l’idée que le capitalisme est décidément un système bien fragile et que l’État-providenceest de retour. De fait, la faille de notre système économique que révèle la tragédie du coronavirus estmalheureusement simple : si une personne infectée est capable d’en contaminer plusieurs autres enquelques jours et si le mal possède une létalité significative, comme c’est le cas du Covid-19, aucunsystème de production économique ne peut survivre sans un puissant service public ».

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Témoignage

Tous les soignant-es

potentiel-les ont été

réquisitionné-es. C’est le cas

de Guillaume Segue,

infirmier au SAMU de Paris

et syndiqué à la CGT, qui a

reçu à 2 heures du matin le

13 mars un message lui

précisant qu’il devrait

arrêter sa formation pour

être opérationnel dès le 14

au matin. « Nous étions 350et nous nous attendions tousà être appelés en renfort. »explique-t-il alors qu’il a pu

prendre quelques jours de

repos après avoir travaillé

120 h depuis l’appel. « Nousne comptons pas nosheures. Nous agissons. Maisil faudra faire un bilan. Notrecolère, que nous exprimionsdepuis des mois doit êtreentendue. Et comprise. »ajoute-t-il. « Nousreprendrons lesmobilisations là où ellesétaient restées. »

Réanimations tournant à pleinrégime, manque de masques,de respirateurs, les hôpitaux

risquent de ne pas pouvoir faireface à la vague de cas critiques demalades malgré le dévouement ma-gnifique des soignant-es. L’épidémie s’est abattue enFrance sur un service publictrès affaibli. Ce n’est pas fauted’avoir alerté les autorités. Lespersonnels de santé sontmobilisés depuis mars 2019réclamant les moyens pourmener à bien leurs missions.Depuis un an, ils exigent desrecrutements, des moyens enmatériel, des lits, un arrêt duvirage ambulatoire. Selon laDirection de la recherche desétudes, de l’évaluation et desstatistiques (Dress) en 2019on dénombrait 69 000 litsd'hospitalisation suppriméspar rapport à 2003 dont 4 200en 2018 pendant que l’ambu-latoire se développait. La situa-tion était devenue si ingérableque des centaines de chef-fes

Santé

L’hôpital en première ligne

Pénurie

L’incroyable manque de masques

de service avaient démissionnéde leurs fonctions administra-tives en décembre.Pourtant le système de santéfrançais est loin d’être mauvaispuisque la France avec unedépense totale de santé de 280milliards d’euros est classée autroisième rang mondial avec11,7 % de la richesse produite.Huit CHU français font partiedes 100 meilleurs hôpitaux dumonde. Mais la part de PIBest-elle un indicateur de sys-tème de santé adapté ?

Chaque soir, à 20 heuresLa gestion comptable de l’hô-pital par les gouvernements suc-cessifs démontre aujourd’huises limites. Pourtant, malgréles conditions extrêmes, lespersonnels de santé continuentde travailler. Sans discontinuer,ne comptant plus les heures,parfois au détriment de leursécurité physique et celle deleurs proches. Le gouverne-ment a engagé une réorgani-

Au début de la crise le ministèreannonçait qu’il y avait desstocks d’État de masques FFP2

en nombre suffisant, mais la pénuries’est vite révélée. Un million de professionnel-les de santé ont besoin de deuxmillions de masques par jour.Tou-tes les salarié-es devraientégalement pouvoir être pro-tégé-es et protéger. Les besoinssont évalués soit à 24 millionspar semaine par Olivier Veranlui-même, soit à 15 millions

par jour selon un collectif demédecins relayés par Le Figaro. La raison de cette pénurie sesitue dans le tournant de lagestion des stocks enclenchéeen 2013. Considérés commetrop coûteux ces masques sontrecommandés « lorsqu’il  y acontact  étroit  sans possibilitéde mettre  en place une autremesure ». Dans une gestion comptabled’économies, le secrétariatgénéral de la défense et de la

sécurité nationale (SGDSN)décide ainsi que la gestiond’une partie de ces masquesdevra désormais être assuréenon plus par l’État, mais parl’employeur. Le stock global sesituant autour de 700 millionsen 2017 les décideurs estimentalors que ce nombre suffit etqu’il sera possible d’en pro-duire ou commander enChine, atelier du monde, encas de situation d’urgence. Onvoit le résultat.

Des années de

restrictions

budgétaires ont

fragilisé les hôpitaux

sation des établissements dèsle début de l’épidémie. Outrela déprogrammation des opé-rations non urgentes, des blocsd’opération et des chambresde services ont été transformésen salles de réanimation. L’in-ventaire du matériel de ven-tilation a été fait, les respira-teurs en stock remis en étatde fonctionner. Cela a permisd’augmenter la capacité d’ac-cueil qui devrait passer de5 000 à 14 000 lits. Alors que le pic n’a pas encoreété atteint, les citoyen-nesapplaudissent chaque soircelles et ceux qui vont au front.Ils disent bravo à ce « bien pré-

cieux », pour citer le président,que sont les services publicsqui doivent « être placés  endehors des  lois du marché ».Des décisions de ruptureseront nécessaires. Le 25 mars,le chef de l’État a promis « unplan massif d’investissement etde revalorisation pour l'hôpi-tal » et d’être « au rendez-vousde ce que nous devons, au-delàde cette  reconnaissance et durespect... dans  la durée ». Lessoignant-es attendent de voir.Les Français-es aussi.

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La fonction publique, « malpayée », « méprisée », « préca-risée » comme le proclamaient

les panneaux FSU dans les dernièresmanifestations contre la loi dite « detransformation de la Fonctionpublique », revient en force en tempsde crise. Et demain ? « Ce que révèle d’ores  et déjàcette pandémie,  c’est que  lasanté gratuite  sans conditionde revenu, de parcours ou deprofession, notre État-provi-dence ne sont pas des coûts oudes  charges mais des biensprécieux, des atouts  indispen-sables quand le destin frappe »a déclaré Emmanuel Macronle 12 mars dernier.On ne saurait mieux dire. Lacrise inflige au nouveau mondeun sérieux coup de vieux. Auxcôtés des travailleuses et destravailleurs du secteur privé,« invisibles » devenu-es visiblescomme les caissières, les trans-porteurs, les manutention-naires de magasins d’alimen-tation, les agriculteurs etagricultrices, les éboueurs, se

– les et naturellement les dégra-dations salariales, via le gel dupoint d’indice depuis presquemaintenant une décennie.

La loi d’août 2019La loi dite de transformationde la Fonction publique d’août2019, voici moins d’un an,marquait une étape décisivedans la dégradation de la fonc-tion publique avec notammentla dévitalisation des instancesreprésentatives des fonction-naires, commissions paritaireset CHS CT.Or, l’efficacité des servicespublics est étroitement liée àl’existence de fonctionnaires –citoyen-nes, recruté-es parconcours, correctement rému-néré-es, et auxquel-les – l’exis-tence d’une carrière et du droità mutation garantit l’indépen-dance vis à vis des pressionspolitiques ou économiques,nationales comme locales.

Le statut, pour l’intérêt généralCette indépendance, garantie

par l’existence du statut, permetde traduire l’éthique des fonc-tionnaires en actes, préside àleur action professionnelle, etrend possible la prioritétoujours donnée à l’intérêtgénéral. Bien sûr, les fonctionnairesn’ont pas le monopole dudévouement, mais les person-nels de santé, les forces del’ordre, les ouvrier-es des muni-cipalités, les travailleurs sociauxet travailleuses sociales, lesenseignant-es sont d’abordguidé-es par leur sens duservice public.C’est la raison pour laquelle,lorsque la lutte contre lapandémie sera menée à bien,et que la vie reprendra sesdroits, le bilan des politiquesd’affaiblissement et de délégi-timation de la Fonctionpublique et de ses agent-esdevra être sereinement etdémocratiquement dressé. Etles voies d’une Fonctionpublique rénovée et renforcéetracées.

« Mal payé-e », « Méprisé-e », « Précarisé-e » dénoncent les panneaux FSU quebrandissent les militant-es dans lesmanifestations contre la loi dite detransformation de la Fonction publique àl’automne dernier.

campent en première ligne lesagent-es des services publics,et donc les fonctionnaires.

Une Fonction publique jugée « tropcoûteuse »La Fonction publique n’a guèreété choyée ces dernières décen-nies. Trop pléthorique, trop« rigide », trop coûteuse, en uneformule – chère au présidentverbalement repenti – trop« ancien monde » aux yeux despartisan-es d’une déréglemen-tation sans frein de l’économieet de la concurrence, y comprisentre les salarié-es.Depuis des décennies les fonc-tionnaires étaient devenu – esdes cibles, d’où, toutes couleurspolitiques mêlées, des coupesdans le budget, le développe-ment de procédures inspiréesdu contrat de travail privé avecembauches de gré à gré, dessuppressions de postes tant dansla Fonction publique d’État queterritoriale et hospitalière, ledéveloppement de la précaritévia le recrutement de contractuel

Fonction publique

Un atout pour le pays

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IRA/

NAJA

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POUR N° 223 AVRIL 202011

Conseiller d’État honoraire, an-cien ministre de la Fonctionpublique, Anicet Le Pors ana-

lyse les dernières déclarations duprésident de la République surl’État-providence. Et dit combien ilcroit dans le service public pournotre siècle.

Le président Macron dans sesrécents discours place l’État-providence et les servicespublics comme le meilleurrempart contre les effets de lacrise sanitaire : s’agit-il d’untournant ?Anicet Le Pors : Je ne crois pasdu tout, ici, à la sincérité duprésident de la République, niqu’il s’agisse dans son espritd’un tournant. Il prend sim-plement en compte l’étatactuel de l’opinion publiquefavorable à celles et ceux qui– dans les domaines de lasanté, de l’éducation, de larecherche et bien d’autresencore – incarnent des servicespublics qui répondent auxbesoins vitaux de la Nation.Rappelons-nous Nicolas Sar-kozy : il prétendait en 2007réduire le champ du statutgénéral des fonctionnaires pardes contrats de droit privénégociés de gré à gré, avantd’être contraint de reculer parla crise financière de 2008 etd’abonder dans le sens del’opinion publique qui voyaitbien en quoi la France béné-ficiait avec un service publicétendu, d’un véritable « amor-tisseur social » de la crise.Aujourd’hui bis repetita. Au-delà de la posture, EmmanuelMacron se garde bien de reve-nir sur les atteintes qu’il a por-tées aux services publics et auxstatuts de ses agents depuis ledébut de son quinquennat.

Anicet Le Pors

« Le XXIe siècle, “âge d’or” du service public » Le Président vous parait-ilsincère, au regard de sonaction des précédentes années,comme conseiller du Prési-dent Hollande, ministre puischef de l’État ?A. L. P. : Emmanuel Macronaccomplit ce pourquoi il a étépromu par les dominants dela société : l’alignement dupublic sur le privé via lamodification du code du tra-vail faisant du contrat indi-viduel de droit privé la réfé-rence sociale majeure. C’estune stratégie claire, amorcéesous le précédent quinquen-nat, avant même l’arrivéed’Emmanuel Macron au gou-vernement, mais qui lui a per-mis, élu président, de suppri-mer d’abord le statutréglementaire des cheminotsavant de s’en prendre au sta-tut législatif des fonction-naires par la loi du 6 août2019. Le discours managérialen cours brouille les finalitésdu secteur public, porteur del’intérêt général et du secteurprivé, obéissant à l’impératifdu profit. Les dénaturationsstatutaires accroissent lerisque de conflits d’intérêt et,par-là, menacent l’indépen-dance de l’administration. Onassiste ainsi à une sorte decaptation de l’action publiquepar les intérêts financiers pri-vés. C’est aussi une remise encause de la conception fran-çaise du fonctionnaire-citoyen, opposée à celle dufonctionnaire-sujet, et à sapleine responsabilité dansl’exercice des fonctions quilui sont confiées, ce qui sup-pose des garanties d’emploi,de rémunération, de protec-tion sociale, de retraite, d’in-tégrité.

Pourquoi le XXIe siècle seral’« âge d’or » du servicepublic ?A. L. P. : Gérard Aschieri,ancien secrétaire général de laFSU et moi n’avons pas choisice terme pour enjoliver, maisparce qu’il correspond à notreconviction. La fonctionpublique, est d’abord une réa-lité collective, un ensembleorganisé de fonctions col-lectives représentant un cin-quième de la populationactive. C’est pourquoi legouvernement doit respec-ter le droit de négociationreconnu aux organisationssyndicales par le statut. Ilfaut préférer la loi aucontrat, la fonction aumétier, l’efficacité socialeau contrôle de la perfor-mance individuelle.Ensuite, la fonctionpublique est une réalitéstructurelle. Celaimplique, que soit miseen œuvre une gestionprévisionnelle deseffectifs et des compétences

sur la base d’un classementjuste des qualifications. Ainsi,le déclassement officiellementreconnu des personnels ensei-gnants, soignants, de larecherche doit, à mon avis,être réparé, non par desprimes discriminatoires à laBlanquer, mais par des reva-lorisations indiciaires substan-tielles et pérennes. Enfin, laFonction publique est une réa-lité qui doit être réfléchie surle long terme et non dans lecorset du principe de l’annua-lité budgétaire : il faut sortirla Fonction publique deBercy ! D’aucuns voudraientnous faire croire que ce seraitla fin de l’Histoire, que le libé-ralisme l’aurait définitivementemporté. La réponse est dansla crise. Notre siècle est aucontraire engagé, sous nosyeux quand bien même c’estdouloureusement, dans la voiedes interdépendances, descoopérations, des solidaritésportées au niveau mondial, cequi porte un nom en France :le service public.

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R

« Il faut sortir la

Fonction publique

de Bercy ! »

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POUR N° 223 AVRIL 202012

En ces temps de crise, la pro-tection sociale française estenviée par de nombreux pays.

Elle représente une part impor-tante du PIB, en faible augmenta-tion ces dernières années.La Sécurité sociale, institutionréellement révolutionnaire àsa création, a permis grâce àun principe égalitaire – « àchacun selon ses besoins et dechacun selon ses moyens » –d’étendre l’accès aux soins, eten le solvabilisant, de déve-lopper un système de santédont on voit aujourd’hui lecaractère vital, les insuffisanceset la fragilité.L’égalité d’accès aux soins estd’ailleurs mise à malaujourd’hui. Déserts médi-caux, déremboursements,dépassements d’honoraires etglissement de dépenses sur lescomplémentaires en sont lessignes les plus visibles. Effetsde lois de financement de laSécu constamment insuffi-santes ; depuis 2004, l’aug-mentation annuelle desdépenses est inférieure à 3 %alors que les besoins augmen-tent spontanément de 4,4 %,

Secteur privé

Toute une vie économique menacée

du fait de l’augmentation etdu vieillissement de la popu-lation, du développement desmaladies chroniques et desoins de plus en plus dépen-dants de technologies depointe.En France, l’hôpital public,bien classé et reconnu pour laqualité des soins prodigués,subit de plein fouet les restric-tions budgétaires. La situationfinancière de la Sécurité socialea été aggravée en 2018 par lasuppression de la compensa-tion à l’euro près des exoné-rations ou baisses de cotisa-

tions sociales décidées parl’État prévue par la loi Veil de1994. Pour l’année 2020, surla perte de 3,2 milliards derecettes de la CNAM, 2,9 mil-liards découlent de cette non-compensation.Pour soutenir et diversifierl’offre de santé, mettre notam-ment fin aux déserts médi-caux, les dépenses doivent êtreà la hauteur des besoins. Pourque tous les patient-es qui seprésentent aux urgences puis-sent être traité-es, ce qui n’apas pu être le cas cet hivernotamment dans certains ser-

vices pédiatriques, que les per-sonnels hospitaliers puissentêtre mis dans les meilleuresconditions d’exercice possi-bles, y compris hors périodesde crise majeure, il est tempsde changer de cap.La défense de la Sécuritésociale, pilier de l’État social,reprend donc toute son actua-lité à la lumière de cette crise,la FSU en fera un combat syn-dical majeur.

Professionnel-les de l’alimen-tation, de l’agriculture, desusines productrices de biensstratégiques, qui travaillentdans les supermarchésnotamment à la caisse, trans-portent les marchandisesessentielles à nos vies, livrentencore, tiennent leur station-service, ramassent les ordures,

distribuent le courrier,conduisent des bus ou destrains... Pas de confinementpour ces métiers.Selon l’Insee les répercussionsseraient peu sensibles sur lesactivités agricoles et les indus-tries agroalimentaires maisl’activité de l’industrie estréduite de moitié, et la

construction au 1/10e de lanormale. Les transports, l’hô-tellerie ou la restauration pren-nent la crise de plein fouet. Laconsommation des ménages abaissé d’un tiers.Des effets délétères sur l’emploiet les entreprises sont à crain-dre. Le gouvernement a décidéque l’État prendrait le chômage

partiel à sa charge. Au 31 mars,425 411 entreprises ont fait unedemande pour 3 918 679 sala-riés. La loi prévoit une indem-nisation à hauteur de 84 % dusalaire net et 100 % pour lessmicards. Mais le prolonge-ment du confinement impli-quera d’autres mesures de sou-tien à l’économie.

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ADIeu

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Les manifestationscontre l’affaiblissementde la sécurité socialeont été nombreuses cesdernières années.

Sécurité sociale 

Un service envié

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POUR N° 223 AVRIL 202013

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Témoignage

« Dois-je aller travailler ? Dois-je payer mes salariés si je

ferme ? Est-ce que je suis éligible au chômage partiel ? 

Est-ce que je peux licencier ? Dois-je prendre mon solde

de congés ? Mon employeur ne m’assure pas des conditions

de travail sûres, pouvez-vous venir voir ?... » Ces questions,et bien d’autres, sont posées aux agent-es du ministèredu Travail tous les jours. À l’aide de leur connaissance dela réglementation, de leur sens du service public et de laprotection du plus faible, ils forgent des réponses, répondentdepuis chez eux en télétravail, se relaient pour venir à laDIRECCTE chercher le courrier et dispatcher les mails,instruisent les dossiers de chômage partiel, au risque de sevoir déjuger par des instructions ministérielles contingenteset inattendues, utilisent leur connaissance des entreprisesde leur secteur pour s’assurer des conditions concrètes detravail, et malgré l’absence de masques mis à leur dispositionse rendent, le cas échéant, sur place.

Le 16 mars, la ministre du tra-vail annonçait le report au 1erseptembre du volet deux de la

réforme de l’indemnisation chô-mage dont les organisations syn-dicales demandent l’abandon. Alors que se profilaient lespremières conséquences éco-nomiques de la pandémie liéeau coronavirus, les organisa-tions syndicales de salarié-esdemandaient l’annulation dela réforme contestée de l’in-demnisation du chômage etau moins le report de sonvolet deux. Le premier volet,en vigueur depuis novembre,durcit les conditions d’ouver-ture et de recharge des droitsà l’allocation chômage. Lesecond volet modifie le calculde celle-ci, divisant pour éta-blir la base de l’allocation, lesrémunérations perçues dansles 24 mois – 12 actuellement– précédant la fin du contrat,non plus par les seuls jourstravaillés pendant cettepériode, mais par l’ensembledes jours, travaillés ou non.Les « permittent-es », qui ontcumulé des contrats courts

entrecoupés de périodes dechômage vont ainsi voir méca-niquement leur indemnitédiminuer. 1,32 million de per-sonnes seraient concernéesparticulièrement dans les sec-teurs les plus touchés par lacrise sanitaire actuelle, commele tourisme, la restauration oul’événementiel.

De report en abandonRappelant que les emplois pré-caires sont la première variabled’ajustement en période decrise, les organisations syndi-cales ont appelé à ce que le rôled’amortisseur social de l’assu-rance chômage soit réaffirmé.Si les mesures de chômagetechnique ou partiel amorti-ront en partie le coup d’arrêtde l’activité économique, ellesn’éviteront en effet pas l’arrivéede nouveaux chômeurs et nou-velles chômeuses à Pôle emploiet particulièrement celles etceux aux contrats les plus pré-caires. Le 16 mars, la ministre du tra-vail était contrainte d’annoncerle report au 1er septembre duvolet deux d’une réforme« conçue dans un contexte quin’a plus rien à voir avec celuique  nous  connaissonsaujourd’hui ». Par cette justifi-cation, elle reconnait implici-tement que la réforme n’a pasété conçue pour améliorer laprotection des salarié-es. Refletde la politique néolibérale à

l’œuvre, elle vise à indemnisermoins, moins longtemps, etcontrôler plus ces chômeurs etchômeuses qui n’attendentqu’une chose « bénéficier desallocations chômage pour partirdeux ans en vacances », ditChristophe Castaner. Un reportde la réforme qu’il faudra trans-former en abandon dans unmonde d’après crise nécessai-rement plus solidaire.

La réforme vise àindemniser moins etmoins longtemps leschômeurs

Chômage 

La réforme reportéeTémoignage

Pôle emploi, qui compte

50 000 agent-es, « est

passé en 15 jours, de

6 500 agent-es en

télétravail à 20 000,

explique le SNU PE-FSU,

pour atteindre bientôt

35 000 agent-es qui seront

équipé-es du matériel

nécessaire et des logiciels

métiers spécifiques au

traitement de la demande

d’emploi. Mais la question

de la sécurité financière

des chômeurs et

chômeuses pendant la

période de confinement

s’est très vite posée.

Toutes les solutions sont

par exemple recherchées

pour garantir le versement

de leur allocation aux

200 000 demandeurs et

demandeuses d’emploi

n’ayant pas les moyens de

transmettre les documents

nécessaire à l’actualisation

mensuelle de leur situation

par voie électronique ».

Autre sujet d’inquiétude,

les consignes données aux

conseiller-es de proposer

aux chômeurs et

chômeuses des postes

disponibles dans le secteur

agricole en les rassurant

« sur les conditions de

sécurité au sein des

entreprises concernées »

sans pouvoir s’assurer

de l’effectivité des

conditions de travail des

postes proposés. Pas

question de contrevenir à

la déontologie propre au

service public de l’emploi,

répond la FSU. 

© T

RévIe

Rs/N

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POUR N° 223 AVRIL 202014

Sans-abri, migrant-es, mal-logé-es, personnes âgées iso-lées, femmes subissant des

violences conjugales, jeunes pla-cés, les plus précaires et fragiles,faute de ressources suffisantes,risquent de payer cher le manquede moyens mis en œuvre par l’Étatpour leur protection.Il aura fallu l’intervention denombreuses associations etorganisations pour que l’Étatprenne la mesure du problèmedes plus fragiles. Partielle-ment. Le gouvernement a sus-pendu les expulsions jusqu’au31 mai prochain. Il réquisi-tionne des chambres d’hôtelpour les sans-logis après avoiridentifié 80 centres en Francecapables d’accueillir le plus depersonnes possibles parmi les250 000 sans domicile fixe quecompte le pays. 170 chambressur Paris ont ainsi été attri-buées dès le 19 mars.Autre problème pour celles etceux qui vivent dans la préca-rité : comment se nourrirquand ferment l’aide alimen-taire et les épiceries solidaires ?Comment pourront-ils payerle loyer et l’électricité ? Etqu’en est-il des personnesconfinées dans les centres derétention qui vivent dans une

Solidarité

Protéger les plus vulnérables

grande promiscuité et desconditions d’hygiène déplora-bles ? Sans oublier les plus âgé-es condamné-es à un isolementmortifère et les femmes et lesenfants victimes de violencequi se retrouvent en dangerpermanent.

Éviter que la crise envenimeles situationsEn période de confinement lesplus fragiles subissent de façondémultipliée les effets de l’en-

fermement. Cela aura desconséquences directes sur leursanté : effets sur le développe-ment des enfants déscolariséspénalisés par la dématériali-sation des cours, possibles casde maladies respiratoires voirede saturnisme dans des loge-ments insalubres, augmenta-tion des accidents domes-tiques, risque d’explosion desfamilles dû aux problèmespsychologiques provoqués par

l’enfermement, risque de vio-lence accru. Car l’appartementdevient une prison pour lesfemmes et les enfants victimesde violences. L’insuffisance des moyensmis en place par l’État pourprotéger les plus vulnéra-bles est aujourd’hui criante.La réponse du président :faire preuve « d’esprit  soli-daire et de sens des respon-sabilités ». Il a annoncé une série demesures économiques maispratiquement aucune mesuresociale pour protéger et pren-dre soin des plus fragiles socia-lement, qui sont aussi ceux etcelles parmi les plus exposé-es au virus et donc plus sus-ceptibles de contaminer.Suspension des expulsions,réquisition de chambres d’hôtelet campagne d’affiche, cesmesures ne suffiront pas. L’Étatdoit s’engager comme il le faitpour les entreprises en décidantde mesures fortes.

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Violences conjugales : en augmentation

Près de 35 % de hausse des violences conjugales ont été enregistrées en France pour la seulepremière semaine du confinement. Face aux violences conjugales, les numéros de téléphone commele 17, le 112, ou encore le 3919, numéro national d’écoute des victimes de violences Conjugales,restent opérationnels, mais le confinement rend le signalement téléphonique presque impossible dufait de la proximité du compagnon violent. Dans un communiqué du 25 mars, le gouvernementqualifie le confinement de « terreau propice aux violences conjugales ». Il rappelle que le traitementdes affaires de violences conjugales continue d’être assuré par les juridictions, que laplateforme arretonslesviolences.gouv.fr reste active 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, ou encore qu’unétat des lieux de la situation des associations locales et des centres d’hébergement d’urgence pourles femmes victimes de violences est régulièrement réalisé pour accueillir les femmes qui lenécessiterait. Le 26 mars, le ministre de l'Intérieur a annoncé un dispositif d’alerte dans les pharmacies. Enfin,toutes et tous, rappelons aux femmes que s’il est interdit de sortir, il n’est pas interdit de s’enfuir.

Pour les SDF, la crise estcomme une double peine.

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POUR N° 223 AVRIL 202015

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Jamais depuis la crise dite dela grippe « espagnole » en1918 et 1919, l’humanité

n’avait été touchée par une épidé-mie de dimension mondiale. Cettevague épidémique n’a pas créé leretour des nationalismes, maiselle pourrait bien, en cas d’ab-sence de réponses internationalescoordonnées, accélérer la maréemontante des mouvements xéno-phobes et racistes.D’avord restreinte à la Chine,l’épidémie est devenue uneréalité mondiale, avec finmars, selon les chiffres duministère l’Europe et desAffaires étrangères et l’AFP(agence France Presse) plusde 715 000 cas dont 33 500décès. Après la Chine, la plu-part des pays ont choisi unepolitique nationale de luttecontre la crise. L’organisationdes Nations Unies, l’Unioneuropéenne ont joué au mieuxun rôle d’alerte avant l’arrivéede la vague, puis sont deve-nues inaudibles, comme si lesÉtats nationaux prenaient leur

Union européenne

Crise fondatrice ou destructrice

revanche sur une mondialisa-tion marchande qui sait si bienjouer les uns contre les autres.Les risques politiques sontclairs, comme toujours ensituation sinon de « guerre »mais de mobilisation des peu-ples contre un danger com-mun.Pointons-en plusieurs, quitous impliquent le renforce-ment du rôle de l’État.D’abord le recul des libertéspubliques et individuelles avecl’obsession du contrôle et lesuivi, via l’intelligence artifi-cielle et la reconnaissancefaciale des personnes conta-minées, visible en Chine maisaussi en Corée du sud, à Tai-wan, à Singapour.

De Orban à BolsonaroPuis la tentation d’un nouvelaccroissement des pouvoirs del’exécutif, au détriment descontre pouvoirs – parlement,presse, syndicats... – ainsi enHongrie avec Victor Orban,aux Philippines de Rodrigo

Dutertre, ou en Russie. Lesmouvements de contestationsociale et politique doiventmarquer le pas, pour d’évi-dentes raisons de sécurité sani-taire, bouffée d’oxygène pourles régimes autoritaires contes-tés : le « hirak » algérien vientainsi de s’interrompre augrand soulagement des mili-taires.Et enfin peut être le plus dan-gereux : la recherche de res-ponsabilités exogènes au virus,la recherche d’ennemi-es del’intérieur, la désignation deboucs émissaires. Pour DonaldTrump ou la Grèce conserva-trice ce sont les migrant -esd’Amérique Latine ou d’Egée,pour le brésilien Bolsonarol’étranger en général, pour les

fanatiques religieux celles etceux qui ne se conforment pasau dogme... L’épidémie dePeste Noire des XIIIe et XIVe

siècle n’a-t-elle pas suscité lespremières persécutions anti-juives de masse ?L’après crise sera donc déci-sive. Les travailleuses et les tra-vailleurs ont tout à perdre àun monde où des chefs d’Étataux pouvoirs renforcés,d’abord momentanément puisdéfinitivement, pourraientdétourner les colères socialesde leurs peuples contre l’étran-ger-e du dehors ou du dedans.Au syndicalisme, dans chaquepays, aux échelles européenneset nationales de contribuer àtracer une autre voie, celle dela solidarité internationale,conforme à l’histoire du mou-vement ouvrier.

La sécurité sanitaire ne relèvepas de ses compétences. Néan-moins force est de constater

que la crise accentue les difficultésde l’Union.Ce qui frappe d’abord est l’ab-sence de réponse d’ensemble,d’approche collective d’unepandémie qui aujourd’huiconcerne les 27 et leur voisi-nage. Comme si l’épidémie –tel autrefois le nuage deTchernobyl – respectait diplo-matiquement le cadre des

frontières des États. Frontièresqui se ferment au demeurant,y compris pour l ’espaceSchengen, avec le rétablisse-ment – momentané ? – descontrôles policiers disparusdepuis plus de 30 ans.Et puis l’absence, à tout lemoins la timidité, des pra-tiques de solidarité ; certes leshôpitaux allemands accueil-lent des patient-es français-es, mais l’Italie semble avoirété abandonnée à son sort,

nourrissant ainsi selon lessondages un fort ressentimentanti Union européenne. LaChine de Xi Jinping s’engouf-fre dans la brèche, promettantmasques et matériels respira-toires, forme médicale et peudésintéressée des « routes dela soie ».L’Union européenne est pourle moment absente y comprisen terme d’aide à ses voisinsdu sud de la Méditerranée.Pire, elle incarne des poli-

tiques d’austérité qui ont mal-mené des services publicsaujourd’hui en première lignedans la lutte pour sauver desvies humaines.Si le retour à une Europe desnationalismes ne peut conduirequ’à une nouvelle catastrophe,les choix politiques pour uneEurope qui protège les peuplesau lieu de les placer en concur-rence permanente serontgarants de la survie même del’idée européenne.

L’Union Européennedevenue inaudible

Nationalisme

Au risque de la vague

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Les derniers livres de l’IR-FSU sont mis en ligne gratuitement :

http://institut.fsu.frCoordonné par Alain DALANCON, Josiane DRAGONI, Jean-MichelDREVON

Coordonné par Christian LAVAL et

Francis VERGNE

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IR

Frédéric GRIMAUD

EvelyneBECHTOLD-

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Au servicedu public

DOSSIER

Ce dossier apprendra-t-il quelque chose ànos lectrices et lecteurs puisque touteset tous, y compris les retraité-es, sont d’une façon oud’une autre sur le pont ?

L’équipe de Pour pense que oui, car si vastes sontles missions des agent-es de la Fonction publique etdes services publics !Dans les pages qui suivent, vous trouverez destémoignages sur les femmes et les hommes qui,par leur travail et leur engagement, comme denombreuses travailleuses et de nombreux

travailleurs dans le privé, font tenir debout le pays.Personnels de santé bien sûr, mais aussifonctionnaires territoriaux, ouvriers dans lesétablissements scolaires, personnels enseignants etadministratifs, travailleurs sociaux et tant d’autres.Ils et elles sont la preuve vivante, et trop souventsouffrante faute de moyens appropriés, de l’atoutprimordial que constituent services publics etFonction publique dans une crise historique telleque nous la connaissons.

Place à leurs témoignages.

Dossier réalisé par:Sandrine Charrier, Pierre Garnier,Matthieu Leiritz, Marie-Rose Rodrigues-Martins,Valérie Soumaille.

© DEBOOM/NAJA

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POUr N° 223 Avril 202018

Continuité pédagogique :les personnels sont présents Dès la fermeture des écoles, collèges,

lycées, établissements d’enseigne-ment supérieur, les ministres ont

décrété la «  continuité pédagogique ».Qui n’a rien à voir avec l’enseignementen classe.Les enseignant-es, conseiller-espédagogiques, personnels res-sources notamment dans les usagesnumériques, CPE, Psy-ÉN, AED,AESH... ont essayé d’adapter leurspratiques professionnelles à lasituation. Alors même que de nom-breux bugs techniques rendaientcomplexe le télé travail, toutes ettous ont déployé des efforts d’adap-tation et des trésors d’ingéniosité. Partout, il a fallu d’abord mainteniret organiser le lien avec les élèveset les familles, avec les étudiant-es,adapter les cours, les emplois dutemps, les explications, les supports,les traces écrites, se questionnersur la nature et la quantité de travailà donner, tout en respectant lerèglement général sur la protectiondes données (RGPD). En fonctiondes niveaux d’enseignement,s’auto-former à l’usage des outilsdu CNED avec la plateforme enligne « Ma classe à la maison », deCanopé, Eduscol, Eduter, ainsiqu’avec les multiples applicationsde visioconférences et les plate-formes d’apprentissage en ligne(Moodle). Puis transmettre cetteexpérience aux élèves, aux familles,

aux jeunes via les ENT, le télé-phone, les courriels... 

Ne pas creuser les inégalitésIl a fallu réfléchir pour limiter aumieux les effets des inégalités consé-cutifs au travail hors de la classe :adaptations pédagogiques, prise encompte des élèves à besoins éduca-tifs particuliers, question du tempsde travail exigible des élèves en fonc-tion du niveau d’enseignement, del’autonomie des élèves, des ou de ladiscipline enseignée, nature desoutils à disposition (ordinateurs,imprimante, pièce calme), nombrede frères et sœurs qui les partagent,accès ou non à un ordinateur, diffi-cultés à s’organiser pour le travaildes enfants à la maison... Il n’est enoutre pas si facile de se contraindreà travailler seul-e, sans groupe classe,et sans enseignant-e. Et quid desenfants et des jeunes en situationde grande pauvreté, qui manquentde tout pour travailler à distance ? Et ce fut l’occasion de constater ànouveau que chez les personnelsde direction et d’inspection, lechoix de l’accompagnement, de lamise à disposition de ressources,du soutien était largement plus pro-fitable que celui de l’injonction oude la modélisation. En lycée professionnel et en lycéeagricole, aucune vidéo ne permettral’acquisition de gestes techniques

ou de savoir-faire professionnels.Et quid du fonctionnement desexploitations agricoles au sein deslycées agricoles ?

Continuité pédagogique à distance ?Dans l’enseignement supérieur,l’urgence a été pour toutes et tousles étudiant-es le maintien d’un lienavec les équipes pédagogiques etde recherche, et non pas le main-tien total des contenus des cours.Une attention particulière a étéportée aux inégalités dans l’accèsaux ressources numériques et auxdifficultés rencontrées par les étu-diant-es dans l’organisation de leurvie confinée. Le maintien et le paie-ment des heures de vacations desdoctorant-es, des enseignant-esprécaires et des étudiant-es-moni-teurs et monitrices sont égalementun enjeu de la crise actuelle.Quelles limites et quel sens donnerà la continuité pédagogique ? Jean-Michel Blanquer ne l’a jamais évo-qué, alors même que son homo-logue belge en posait les bases :« Les travaux ne peuvent en aucunemanière porter  sur des apprentis-sages qui n’ont pas été abordés préa-lablement en classe ». « Les travauxà domicile ne peuvent pas faire l’ob-jet d’une  évaluation  sommative,mais bien d’une évaluation forma-tive [sans notation] ».Devant les injonctions du ministrevoulant réduire l’obligation deconfinement, la FSU et une largeintersyndicale a demandé dès le23 mars qu’ « aucun personnel,aucune  famille ne puisse  êtresommé de déroger au confinement,sauf absolue nécessité justifiée parl’organisation concrète de la conti-nuité du service ou pour l’organi-sation de  l’accueil  des  enfants desoignant-es ». Le ministère doit cesser d’évoquerune « continuité pédagogique » oùil faudrait agir coûte que coûte, enlaissant croire qu’on pourraitatteindre les mêmes objectifs d’ap-prentissage qu’avec l’enseignementen classe.

D o s s i e r

Continuité administrativeLa mise en place de la continuité administrative a suivi l’évolution, parfois erratique, des consignes

ministérielles. Des demandes, jugées inutiles ou exagérées, ont parfois éloigné les chefs et cheffes

d’établissement et les inspecteurs et inspectrices de leur travail de terrain auprès des enseignant-es.

Les chefs et cheffes d’établissement et les directeurs et directrices d’école ont coordonné le lien avec les

familles y compris dans ses aspects techniques, soutenu le travail des enseignant-es, organisé l’accueil

des enfants de soignant-es avec des personnels volontaires, en n’ayant pas toujours les moyens d’assurer

les conditions sanitaires requises.

Les gestionnaires des EPLE, avec leurs collègues se sont assuré-es des conditions matérielles,

notamment la sécurité et l’hygiène renforcées, les besoins matériels spécifiques.

Dans les services académiques, les personnels assurent les paies, continuent de répondre aux usagers et

préparent la rentrée ou l’organisation de la fin de l’année (examens...).

Il est parfois difficile d’exiger que la présence des personnels sur les lieux de travail se limite au strict

nécessaire et que soient au mieux garanties leur sécurité et leur santé.

“Qu’aucun

personnel,

aucune

famille ne

puisse être

sommé de

déroger au

confinement,

sauf absolue

nécessité

justifiée par

l’organisation

concrète de

la continuité

du service.

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les faits, dans la période de démar-rage, peu d’élèves fréquentent cedispositif dont l’organisation estcalée par les équipes d’école (voirinterview). Les soignant-es saventque le dispositif existe mais fontappel à ce stade le plus souvent àd’autres modes de prise en charge,et à plus forte raison lorsque lesenfants sont plus âgés et scolarisésen collège. L’accueil a été étendudans certaines villes aux samediset aux dimanches, et aux enfantsde personnels affectés aux missionset services d’aide sociale à l’enfance(ASE), protection maternelle etinfantile (PMI), pouponnières oumaisons d’enfants à caractère social(MECS), services d’assistance édu-cative en milieu ouvert (AEMO)et services de prévention spéciali-sée. Puis aux enfants des pompièr-es, gendarmes, policier-es et sur-veillant-es pénitentiaires..Si toutes les précautions possiblessont prises, dans de trop nom-breuses situations les volontaires nedisposent pas de protections sani-taires à la hauteur. L’engagementde l’Éducation nationale comme

employeur pour assurer la sécuritédes personnels fait généralementdéfaut. L’administration doit for-muler des consignes claires et faireen sorte qu'elles soient respectées,obligation inscrite dans la loi.Les fédérations de l’Éducation ontécrit d’une seule voix à Jean-MichelBlanquer. « Nous exigeons que lesmesures de protection et d’hygiènesoient appliquées, que du matériel(masque, gel hydro alcoolique, ser-viette à usage unique...) soit systé-matiquement fourni dans les écoles,établissements et services. »

POUr N° 223 Avril 202019

École : solidaires des métiers d’urgence

Enfants de soignant-es : « Les enseignant-es sont en première ligne »

Dès la première semaine de confine-ment, un dispositif a été mis en placepour accueillir les enfants de

soignant-es sans solution de garde etmobilisé-es dans la prise en charge desmalades du Covid-19, de la petite sectionmaternelle à la classe de troisième. En France, au moins 20 000 ensei-gnant-es ont pris en charge environ28 000 élèves enfants de soignant-es.Enseignant-es, ATSEM, personnelsmunicipaux, chef-fes d’établisse-ment sont sur le pont et se sontattaché-es en fonction des réalitéslocales à ouvrir les portes des écoleset collèges en intégrant en parti-culier les gestes barrières et le net-toyage fréquent des salles de classesau fonctionnement des dispositifs.À titre d’exemple, à Paris, 78 écolessont restées ouvertes, 17 à Lyon et5 à Saint-Étienne. Des petitsgroupes de 10 élèves maximum,selon les règles sanitaires, sontencadrés par roulement par lesvolontaires. Jeux, aides aux devoirs,travail sur ordinateur, il s’agit avanttout de soutenir l’action de leursparents et d’assurer à ces élèves uneprise en charge quotidienne. Dans

Jérémy rousset, directeur d’écoleà Saint Etienne, nous explique lamise en place de l’accueil des

enfants de soignant-es et de personnelsd’urgence dans son école maternelleChappe.

Comment les choses se sont misesen place ?Jérémy Rousset : École volontaire,nous avons informé le DASEN.Le gros du boulot au départ a étéde rassurer les personnels duCHU, des EHPAD, infirmiers libé-raux sur l’organisation de l’accueil.Sur dix appels de soignants, unseul va donner suite. Et puis nousavons eu nous-mêmes à élaborerune procédure qui évite les risques

de contamination. L’IEN était enappui pour répondre à nos ques-tions. Mais en fait l’administrations’est limitée à relayer les procé-dures du terrain. L’apport d’unmédecin scolaire aurait été utile.

Quelle organisation sur le groupescolaire ?J. R. : Nous avons très vite mis enplace un système de rotation depersonnels, enseignants, ATSEM,en maternelle la première semaine.Cela s’est élargi à l’élémentaire.Nous recevions quatre élèves, enutilisant deux salles de classes lematin, deux autres l’après-midi,pour que les ATSEM assurent lenettoyage adapté à la situation,

sur les bases des recommandationsde la mairie. Les agents d’entre-tiens sont aussi sur le pont. Utili-sation de matériel personnel, pasd’échanges d’objets entre eux etdes espaces de cour séparés pourque les élèves ne se mélangent pas.

Comment rassurer alors ?Les enseignants sont en premièreligne pour rassurer enfants etparents. Compétences profession-nelles et intelligence collectivenous ont permis d’y parvenir aumieux. Les personnels soignantsnous ont manifesté une vraiereconnaissance. Puis cet accueil aété regroupé avec et dans uneautre école stéphanoise.

© P

ORQU

ERY/

NAJA

A Paris,78 écolessont restéesouvertes,17 à Lyonet 5 à Saint-Étienne

“Compétences

professionnel

les et

intelligence

collective

nous ont

permis d’y

parvenir au

mieux.

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Assistantes sociales del’Éducation nationaleLe travail des assistantes sociales del’Education nationale nécessite uneprésence auprès des élèves, desfamilles , des équipes enseignantes,dans les établissements, desétudiants et globalement despersonnels. La crise supprime cettepossibilité de contact physique direct,mais pas les besoins des élèves.

« Rien n’avait été anticipé ni prévu

par les services rectoraux ou dans la

plupart des départements, en

télétravail pour organiser la

coordination des équipes, ou pour

équiper les agentes en matériel

informatiques » explique Nathalie

Andrieux Hennequin, secrétaire

générale du Snuasfp-FSU. Faute de

pouvoir désormais se déplacer dans les

établissements, les agentes sont

dépendantes exclusivement de

contacts téléphoniques ou de courriels.

Les établissements peuvent signaler

des élèves ne donnant pas signe de vie

devant les demandes d’exercices

scolaires. Les familles alertent sur de

situations de confinement difficiles.

Elles peuvent être jointes par les

assistantes, en numéro caché, mais

alors ce sont moins les enfants ou

adolescent-es que les parents qui sont

joints, ce qui ne facilite pas

nécessairement le travail d’évaluation.

L’une des questions les plus sensibles,

selon le Snuasfp, réside dans la

situation particulièrement tendue dans

les foyers qui accueillent des jeunes en

difficulté. Faute de personnels, les

services font appel à des agent-es

territoriaux de l’aide à l’enfance pas

nécessairement volontaires.

Les placements seront de plus en

plus aléatoires, au risque de voir les

situations des élèves se dégrader.

Il aurait fallu procéder auparavant au

recrutement de personnels formés et

équipés.

Aujourd’hui, face au manque

d’encadrement, même la possibilité

donnée aux travailleurs sociaux de

confier leurs enfants en garde dans

les écoles, comme les personnels

soignants, peut se retourner contre eux

en permettant ainsi d’éventuelles

réquisitions. Les assistantes sociales –

autre exemple, les collègues qui

interviennent pour les personnels au

moment des mutations ou de l’aide

sociale – font face et, comme le dit

Nathalie Andrieux Hennequin,

lorsqu’elles sont sollicitées sur un cas

d’élève en difficulté, « elles foncent ! »

et elles font remonter leurs besoins et

ceux de leur public.

Une agriculture françaiseà repenser

infimier-es en temps de crise

les crises de la politique agricole seretrouvent amplifiées par la crise ducoronavirus.

Dans le domaine agricole et agroa-limentaire, besoins vitaux des popu-lations, la crise du coronavirus a misau grand jour notre vulnérabilité faceà des chaînes de production mon-dialisées et un commerce interna-tional en flux tendu, qui nous empê-chent de disposer, en cas de choc, debiens de première nécessité.Alors que certaines organisationscomme la FSU ou la confédérationpaysanne tirent la sonnette d’alarmedepuis des années, les pouvoirspublics n’ont pas (ou trop peu)entendu ce message, amplifiant ainsiles effets .Si le ministre de l’agriculture a lancéun appel vibrant pour pourvoir les200 000 emplois qui manquent dansl’agriculture pour faire face à la crise,il oublie de préciser que c’est le résul-tat d’un recours abusif aux emploissaisonniers, majoritairement travail-leurs et travailleuses détaché-esaujourd’hui bloqué-es aux frontièrespar le virus.

Une dépendance aux intrantsLa dépendance du modèle agricoledominant aux intrants (engrais, pro-

Conseiller-es techniques et réfé-rent-es santé des élèves, des chef-fes d’établissement et de la com-munauté scolaire (enseignant-es etfamilles compris), le rôle des infir-mier-es de l’Éducation nationaleest d’organiser et de sécuriser l’ac-cueil des élèves dans les établisse-ments scolaires. Depuis l'annonce de l'épidémie, il ad’abord fallu, avant le confinement,faire face aux inquiétudes et auxquestions légitimes des élèves et del'ensemble de la communauté sco-laire puis apporter une expertisetechnique pour organiser l'accueil

le plus sécurisé possible. Ces per-sonnels ont tenté de repérer et d'iso-ler les élèves et les personnels pré-sentant des signes de COVID-19avec les conditions matérielles insuf-fisantes que l’on connaît. Dès la fermeture des établissements ,les infirmier-es, membres de droitdes CHSCT, ont participé active-ment à l'organisation de l'accueil desenfants des soignant-es. Ils et ellesse tiennent à disposition des équipesdepuis leur domicile, restent en liai-son avec l'équipe pédagogique,contactent ou se mettent à disposi-tion d'élèves ou de familles..

duits phytosanitaires, soja...), prin-cipalement importés et tributairesde circuits de transport grippés, aégalement fragilisé les capacités deproduction.De même, en aval de la production,le circuit de la grande distribution,mis en difficulté par cette crise,montre que la concentration de ladistribution autour de grandes cen-trales d’achat rend tout l’édificefragile. Il en va de même de latransformation des produits agri-coles monopolisée par quelquesmultinationales de l’agroalimen-taire.Si l’agriculture paysanne et la venteen circuits courts avaient été lesmodèles dominants en France, latension sur la production des den-rées alimentaires n’aurait pas étéaussi intense.Lorsque la crise sera passée, il faudrasavoir en tirer les leçons. La reloca-lisation des activités agricoles et laremise en cause du modèle intensifet industrialisé devront permettred’instaurer une meilleure autonomieface aux marchés internationaux,de reprendre le contrôle sur lesmodes de production et d'enclen-cher une transition écologique etsociale de ces activités.

Si l’agriculturepaysanne et lavente encircuits courtsavaient été lesmodèlesdominants enFrance, latension sur laproduction desdenréesalimentairesn’aurait pas étéaussi intense.

D o s s i e r

POUr N° 223 Avril 202020

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Obligatoire transitionécologiqueS’il fallait encore se convaincre dupoids de l’humanité sur la planète, etalors que la pandémie fait rage, onredécouvre le lien entre perte debiodiversité et risque sanitaire et plusprécisément, que c'est l'adaptation dela biodiversité à l'évolution de sonenvironnement dégradé qui estvraisemblablement à la source del'émergence des nouveaux virus. Onconstate l’amélioration de la qualitéde l’air lorsque l’activité humaine està l’arrêt et on s’émerveille de voir quele vivant est bel et bien aux portes dela ville.On ne peut qu’être frappé par la

radicalité devenue vertu dans la

gestion de la crise sanitaire du Covid-

19 : la rapidité de la propagation,

l’immédiateté des effets sur la

population, l’impact direct, massif,

constatable sur les humains sont tels

que tout déni a été très vite balayé. Les

totems intangibles de sociétés

productivistes sont remis en cause par

leurs promoteurs, même de façon

temporaire, ce qui paraissait

inimaginable il y a si peu de temps !

Nul ne peut ignorer l’effondrement de

la biodiversité ni la réalité du

changement climatique. A l’échelle du

vivant, la crise sera bien plus

puissante, mais à ce jour sans effet

létal massif et immédiat, laissant la

place au déni et à un scepticisme

largement entretenu par quelques

lobbys auxquels les pouvoirs en place

paraissent bien trop sensibles.

Faut-il vraiment que la crise écologique

prenne une ampleur cataclysmique

pour revoir notre modèle économique

et social ? Il y a quelques mois les

experts chiffraient à 1 000 milliards

d’euros les investissements

nécessaires à la transition écologique

de l’Union Européenne. Aujourd’hui

c’est 5 fois plus, 5 000 milliards

d’euros qui sont mis sur la table pour

sauver l’économie européenne et son

modèle !

Nous pouvons encore changer la

donne, mais nous avons si peu

d’années ! Tirons les leçons de la crise

sanitaire : l’urgence écologique et

sociale nécessite des moyens

d’urgence et d’ampleur. À commencer

par un service public de

l’environnement fort pour savoir,

conseiller, inciter, contrôler ; à l’opposé

de sa destruction méthodique

enclenchée depuis plus de dix ans.

Quand la catastrophe sera là, il sera

trop tard.

la Territoriale à pied d’œuvrePrès de deux millions d’agent-es

travaillent dans les collectivitésterritoriales, réparti-es dans les

mairies, les intercommunalités, les dépar-tements ou les régions. Non sansproblèmes en temps de crise.Limiter au maximum les interac-tions sociales nécessite de ne fairefonctionner que les services abso-lument indispensables qui assurentdes missions essentielles souventnon délocalisables. Les agent-esqui y travaillent sont en premièreligne pour remplir les missionscomme les transports, la protectioncivile, la gestion de l’eau, le ramas-sage des déchets et le nettoyage,l’assistance à domicile des per-sonnes âgées, la protection de l’en-fance, les démarches d’état civil,la surveillance des espaces publics...

Abscence de protections individuellesDe nombreuses interrogationsdemeurent concernant le renfor-cement du nettoyage des locaux(dans les écoles ou crèches, servicesdes collectivités réquisitionnés), àl’absence de protections indivi-duelles (gants, gel, masques), auniveau des effectifs et au type d’or-ganisation du travail permettantpour chaque mission de protégerles personnels mais aussi de pro-téger les usager-es.Ces missions sont en majoritéassurées par des agent-es relevantde la catégorie C pas toujourséquipé-es du matériel de protec-tion pourtant nécessaire. La situa-tion de crise fait resurgir les iné-galités de statut, dans la FPT oùl'agent-e peut être fonctionnaire,contractuel-le ou « vacataire ». LeSNUTER-FSU est depuis le débutdu confinement alerté par desagent-es, notamment du bloc com-munal, qui s’interrogent sur cer-taines directives prises par leuremployeur et/ou hiérarchie encontradiction avec les consignesde l’État.En effet, certaines collectivitésinterprètent les injonctions natio-nales en imposant aux agent-es destravaux qui ne relèvent pas destâches essentielles et de travailleren équipe sur des travaux courants,

POUr N° 223 Avril 202021

comme les peintures ou la tonte,des permanences dans des servicesadministratifs qui ne ressortentpas des obligations de sécuritépublique ou de continuité du ser-vice public. D’autres autorisent lesagent-es à rester à leur domicilemais leur demandent de déposerdes congés annuels, des jours deRTT ou d’utiliser leur CET.

Faire évoluer les services publics« Aujourd’hui, et dans ce contexte,ce qui prime c’est la solidarité entreles agents, et ce quelle que soit leursituation  :  en  garde d’enfant,  enprésentiel, en télétravail, en attented’être mobilisé. Pour maintenircette solidarité, il est nécessaire quechacun  comprenne  sa place  et  laplace de  l’autre  et  ce  sans aucunjugement. Il est aussi très importantque les agents bénéficient des pro-tections nécessaires au bon accom-plissement de leur missions, et ce,en toute sécurité ! » explique DidierBourgoin secrétaire national duSNUTER-FSU. Et d’inviter chaqueagent-e à contacter le syndicat pourobtenir des réponses et construirecollectivement la suite pour faireface aux conséquences en termesd’évolution de services publics quidécouleront nécessairement decette crise sanitaire.

© N

ETAN

Ge/N

AJA.

“Ce qui prime

c’est la

solidarité

entre les

agents, et ce

quelle que

soit leur

situation : en

garde

d’enfant, en

présentiel, en

télétravail, en

attente d’être

mobilisé.

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D o s s i e r

POUr N° 223 Avril 202022

Mobilisé sept jours sur sept pour untravail accru en ce temps de crise,le SNEPAP-FSU, syndicat des person-

nels pénitentiaires pose la question de lasurcharge des établissements carcérauxet de l’alternative à l’incarcération.Dans l’administration pénitentiaire,les missions de garde et de réinser-tion des détenu-es sont reconnuesrégaliennes et ne peuvent être délé-guées au secteur privé. Le SNEPAP-FSU milite pour que la mission deprobation le soit aussi en ce qu’elletouche tout autant aux questionsessentielles de la sécurité publiqueet des droits et libertés. Surveiller les détenu-es ; prendre encharge, en prison ou en milieuouvert, les personnes qui leur sontconfiées par l'autorité judiciaire ;préparer et accompagner la fin dela peine et lutter contre la récidive :les agent-es pénitentiaires sontessentiel-les à la sécurité publique,au respect des droits fondamentauxde tout-tes les citoyen-nes y comprisprévenu-es et condamné-es, maisaussi à l’égalité des droits de tou-tes à s’insérer socialement. Sécurité

publique, droits et libertés ne pou-vant souffrir d’aucune rupture decontinuité, les personnels travaillentà garantir leur effectivité 7 jours sur7, même en temps de crise, y com-pris en palliant l’arrêt de l’activitédes associations qui assuraient pardélégation certaines missions desSPIP.Le système pénitentiaire s’inscritdans un projet de société. Person-nels, organisations syndicales, pen-seurs et citoyen-nes sont nom-breuses et nombreux à poser comme

Les libérationsanticipées vontpermettre dedésengorger lesétablissements.

Prison, le service malgré la surcharge

© R

IVAUD

/NAJ

A.

nécessaire une réflexion collectiveautour des notions de répression,sanction, éducation et sur les alter-natives à l’incarcération, et pas seu-lement du fait de la surpopulationcarcérale ou de l’état très dégradédes prisons. La ministre de la Justice a décidé lalibération de détenu-es en fin depeine pour freiner la propagationdu coronavirus mais aussi diminuerles risques de mutineries de prison-nier-es privé-es de parloirs familiauxdu fait de la crise sanitaire. Ces libé-rations anticipées vont permettrede désengorger les établissements,mais le service sera toujours forte-ment sollicité puisque les personnelsd'insertion et de probation desmilieux ouverts vont à leur tour enassurer le suivi, et prévenir la réci-dive.Ces libérations interpellent sur lemaintien en prison de personnes,dont 31 % sont en attente de juge-ment, autorisé-es à en sortir entemps de crise. Elles rendent aussicrédible l’alternative : oui il est pos-sible de faire autrement.

Parmi les fonctionnaires, les policièreset policiers sont particulièrementexposé-es aux risques de contamina-

tion. Or leur rôle dans le respect du confi-nement est déterminant, sans que pourautant la délinquance cesse.Selon les derniers chiffres de laDirection générale de la police natio-nale (DGPN), plus de 200 fonction-naires de la police nationale auraientété testé-es positifs-ives au corona-virus fin mars, et plus de 10 131fonctionnaires seraient confiné-esà leur domicile, soit près de 10 %des effectifs, auxquels s’ajoutent lespersonnels astreints aux gardes deleurs enfants.« Les policières  et policiers  sontinquiets » dit Flavien Benazet,secrétaire général du Snuitam(ministère de l’Intérieur) FSU. Encharge du respect du confinement,en contact avec la population, les

agent-es, malgré leurs demandes,se voient interdire par le ministèrele port de masques et de gants. LeSnuitam n’accepte pas cet oukaze :« Le président Macron  et  les per-sonnalités qui  l’entouraient  enAlsace  lors de  sa dernière  venuen’étaient-il pas toutes et tous mas-qué-es ? » remarque Flavien Bena-zet. La raison est très simple : leministère est incapable de fournirles masques nécessaires. Le droitde grève étant interdit et le droitde retrait strictement encadré, lesforces de l’ordre sont largementdémunies pour se faire entendre. D’autant que la situation globale estdifficile. La crise révèle crûment lesinégalités sociales. Le confinementest particulièrement difficile à vivredans les cités populaires, où les loge-ments sont exigus, et où les familles,notamment les enfants, n’ont pas

Le Snuitam FSUdemande qu’undépistagepréventif duCoronavirus soiteffectué surl’ensemble despersonnels enpriorisant leseffectifsintervenants surla voie publique.

22 ! voici le covid 19 !nécessairement accès à internet nià un ordinateur. Et les délinquant-es, là comme ailleurs, ne cessent paspour autant leurs activités. La baissedes effectifs disponibles peut s’avérercatastrophique notamment pourvenir en aide aux femmes victimesde violences familiales, dont la situa-tion se dégrade encore en raison duconfinement.C’est pourquoi le Snuitam FSU exigeque tous les personnels en contactavec la population soient dotés demoyens de protections (masques,gants...) et des manuels d’utilisationsqui vont avec.Dans leur intérêt et dans celui de lapopulation tout entière, le SnuitamFSU demande qu’un dépistage pré-ventif du Coronavirus soit effectuésur l’ensemble des personnels enpriorisant les effectifs intervenantssur la voie publique.

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POUr N° 223 Avril 202023

En tant que scientifiques, les chercheurset chercheuses sont interpellé-es parcette crise sanitaire, qui n’est pas le

résultat du hasard. l’émergence d’unnouveau pathogène humain, comme certainsprécédents aussi bien humains qu’animauxet végétaux, est un résultat de l’anthropi-sation de la planète, du dérèglement clima-tique, de l’effondrement de la biodiversité,et de la globalisation du système écono-mique libéral.La diffusion du SARS-CoV-2 est unsignal et un avertissement qui doi-vent interpeller l’ensemble de lasociété. Cette crise ne pourra pas seconclure par la reprise des activitéshumaines sur la planète comme sirien ne s’était passé. Il est urgent de prendre les mesuresnécessaires et vitales pour contenirla hausse des températures, l’érosionde la biodiversité et par là mêmel’érosion des ressources dont dépendl’humanité, en investissant massi-vement dans la recherche, en par-ticulier au service de l’humanité etde tout ce qui permet son existence,et non aux services du profit. C’estcomme cela que doit être envisagéela transition écologique et énergé-tique.Et si, en lieu et place d’un appel d’of-fre ANR exceptionnel, en cours sur

le Covid-19 qui occupe les scienti-fiques à la rédaction de projets et àleur évaluation plutôt qu’à leurs tra-vaux de recherche, on faisait enfinconfiance aux scientifiques et ondébloquait les financements indis-pensables à la recherche de solutionspour endiguer le Covid-19 mainte-nant et sans conditions ?Pour le SNCS-FSU, cette crise sani-taire majeure doit amener le gou-vernement à réaliser l’urgence qu’ily a à investir dans la recherchepublique, ce qui n’est pas la lignedu projet de Loi de programmationpluriannuelle de la recherche (LPPR)toujours en chantier qui tourne ledos à la nécessité d’explorationsscientifiques à long terme en déve-loppant de nouveaux statuts decontractuel-les. Il y a urgence à augmenter le budgetde la recherche publique (deux aug-mentations de 3 milliards d’eurosen 2021 et en 2022, puis continuersa progression jusqu’à 8 milliardsd’euros en 2026 et 10 milliards en2030, pour atteindre 1 % du PIB).C’est par une telle mesure que doitcommencer le soutien aux labora-toires nécessaires pour affronter lecoronavirus actuel et les prochainspathogènes encore inconnus, mais

Pour le SNCS-FSU, cettecrise sanitairemajeure doitamener legouvernementà réaliserl’urgence qu’ily a à investirdans larecherchepublique.

la recherche doit être au premier planaussi à l’ensemble de la recherchefondamentale indispensable danstous les domaines scientifiques. Orle président Emmanuel Macron aannoncé le 19 mars 2020 une aug-mentation du budget de la recherchede 5 milliards d’euros sur 10 ans,très insuffisante car elle placerait lebudget de la recherche publique surune trajectoire atteignant moins de0,85 % du PIB en 2030.Investir dans la recherche publiqueest la seule réponse concevable pourmieux comprendre, anticiper et pré-venir des crises sanitaires (patho-gènes, contaminants chimiques,antibiorésistance...), climatiques,environnementales et sociétales dedemain.Ce nouvel élan ne peut évidemmentreposer que sur des personnels titu-laires recrutés en nombre suffisantet avec les moyens de travailler. Il ya urgence à stabiliser les personnelsprécaires de la recherche sans quila science serait en grande difficulté,en créant les emplois statutairesnécessaires. Investir massivement dans la santé,l’Éducation et la recherche publiquesest un fondement à mettre en avantà l’issue de cette crise sanitairemajeure.

la crise sanitaire percute de plein fouetle monde du travail et révèle, commedans bien d’autres secteurs, que l’exis-

tence d’un service public du travail et del’emploi permet d’en amortir les consé-quences. les services sont notammentsaturés par le traitement des demandesde mise en chômage partiel.Les agent-es des services déconcen-trés du ministère du Travail (Direc-tions des entreprises, de la concur-rence, de la consommation, dutravail et de l’emploi), de Pôleemploi, des Missions Locales etorganismes de placement spécialisésdes personnes en situation de han-dicap, assurent toutes et tous lacontinuité de leurs missions. Parmi celles-ci, celle liée “à la sécu-

rité financière des personnes privé-es d’emploi est essentielle. Toutcomme l’est la mission de contôledu respect du droit du travail. « Cedroit, qui a pour fonction de contre-balancer le pouvoir de subordina-tion de l’employeur sur le ou la sala-rié-e, fixe des règles protectrices dessalarié-es,  par  exemple  en  termesde temps de travail ou de normesde sécurité » rappelle le SNUTEFE-FSU. Leur effectivité est un enjeufort pour les travailleurs et travail-leuses, particulièrement dans lapériode actuelle. Si l’indépendancefonctionnelle des agent-es du ser-vice de l’inspection du travail estcapitale, elle l’est plus encore entemps de crise économique ou

le travail et l’emploi en temps de crisesanitaire qui favorise le recours àdes mesures dérogatoires au droitcommun, sous l’aphorisme «  àsituation exceptionnelle, mesuresexceptionnelles ». Au-delà des questions liées aux moda-lités de prise en charge collective despertes de revenus des travailleurs ettravailleuses qui vont voir leur activitéprofessionnelle stoppée ou fortementralentie, au-delà même de la néces-saire attention qui devra être portéeau respect des droits acquis par lessalarié-es, le service public du travailet de l’emploi aura sans doute un rôleessentiel à jouer dans la définitioncollective d’une nouvelle relation autravail, plus socialement et écologi-quement juste.

“Ce droit, fixe

des règles

protectrices des

salarié-es, par

exemple en

termes de

temps de travail

ou de normes

de sécurité.

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C ’ e s t d e m a i n

POUR N° 223 AVRIL 202024

Demain ne sera plus commehier. 18 responsables de syn-dicats, et d’associations (*)

appellent à préparer «  le jourd’après  (…) en rupture avec lespolitiques menées jusque-là ». Voicile texte de cette tribune signée no-tamment par Philippe Martinez (CGT),Benoît Teste (FSU), Aurélie Trouvé(Attac), Cécile Duflot (Oxfam) ouKatia Dubreuil (Syndicat de la ma-gistrature).Le constat des signataires estsans appel : « En  mettant  lepilotage  de  nos  sociétés  dansles  mains  des  forces  écono-miques, le néolibéralisme a ré-duit à peau de chagrin la ca-pacité de nos États à répondreà  des  crises  comme  celle  duCovid. La crise du coronavirusqui touche toute la planète ré-vèle les profondes carences despolitiques néolibérales ».Les signataires notent l’appeld’Emmanuel Macron à« des "décisions de rupture" età  placer  "des  services  [...] endehors  des  lois  du  marché".Nos organisations, conscientesde l’urgence socialeet écologique et don-nant l'alerte depuisdes années, n’atten-dent  pas  des  dis-cours mais de pro-fonds changementsde  politiques » etcela « en France etdans le monde ». Etnotamment, ne pasaller plus loin dansla régression sociale « ainsique le fait craindre le texte deloi d’urgence sanitaire ».Après avoir souligné la prio-rité, notamment sur les consi-dérations économiques, quidoit être donné à la protectionsanitaire des populations etdes personnels de santé, l’appel

souligne la nécessité de pallier« la baisse continue, depuis detrop  nombreuses  années,  desmoyens alloués à tous les éta-blissements  de  santé » aussibien en terme de lits, de per-sonnels que de matériels.« Pour freiner la pandémie, lemonde du travail doit être mo-bilisé uniquement pour la pro-duction de biens et de servicesrépondant aux besoins essen-tiels de la population, les autresdoivent être sans délai stoppées.La protection de la santé et dela sécurité des personnels doi-vent  être  assurées  et  le  droitde  retrait  des  salarié·e·s  res-pecté. »

Mesures économique et socialesLes signataires demandentque la réponse financière del’État soit d’abord soucieusedes « salarié·e·s qui en ont be-soin,  quel  que  soit  le  secteurd'activité, et discutée avec lessyndicats  et  représentant·e·sdu personnel ».Pour éviter une très grave crise

sociale, il faut pen-dant cette période« interdire  tous  leslicenciements », « leversement des divi-dendes et le rachatd’actions  dans  lesentreprises ». Il fautégalement « désar-mer les marchés fi-nanciers » par le« contrôle des capi-

taux », « l’interdiction des opé-rations les plus spéculatives »,« un  contrôle  social  desbanques ».Les aides aux entreprises doi-vent toucher en priorité celles« en  difficulté  et  notammentles  indépendants,  autoentre-preneurs, TPE et PME ».

Les différences de conditions,d’âge et de santé impliquentdes « mesures supplémentairesau nom de la justice sociale »dont la réquisition des loge-ments vacants pour les sans-abris et les mal logés, le réta-blissement des aides, le mora-toire sur les factures impayéespour les plus démunis. « Des moyens d’urgence doiventêtre  débloqués  pour  protégerles femmes et enfants victimesde violences  familiales » sou-ligne encore le texte.

Mesures financièresLa BCE qui « a annoncé unenouvelle injection de 750 mil-liards d’euros sur les marchésfinanciers » doit, avec lesbanques publiques, « prêterdirectement  et  dès  à  présentaux États et collectivités localespour financer leurs déficits, enappliquant  les  taux  d’intérêtactuels proches de zéro, ce quilimitera la spéculation sur lesdettes  publiques » qui vont« fortement  augmenter  à  lasuite de  la crise du coronavi-

rus ». Elles ne doivent pas« être à l’origine de spéculationssur  les  marchés  financiers  etde futures politiques d’austéritébudgétaire,  comme  ce  fut  lecas après 2008 ». Dans cet ob-jectif, il faut lutter « efficace-ment contre l'évasion fiscale »et « une fiscalité du patrimoineet  des  revenus,  ambitieuse  etprogressive ». Les aides de laBanque centrale et celles auxentreprises « doivent  êtreconditionnées à leur reconver-sion  sociale  et  écologique :maintien de l’emploi, réductiondes  écarts de  salaire, mise  enplace  d'un plan  contraignantde respect des accords de Pa-ris... »

Réorienter les systèmesproductifsPar ces interventions massivesdans l’économie, « l’occasionnous est donnée de réorientertrès profondément les systèmesproductifs, agricoles, industrielset de services, pour les rendreplus justes socialement, en me-sure  de  satisfaire  les  besoins

©Mira/NaJa

Tribune

« Préparons le jour d’après »

« L’occasion

nous est donnée

de réorienter

très profondéme

nt les systèmes

productifs,

agricoles,

industriels et

de services. »

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de production mondialisée  etun commerce international enflux tendu, qui nous empêchentde disposer en cas de choc debiens  de  première  nécessité :masques, médicaments indis-pensables, etc. Des crises commecelle-ci se reproduiront. La re-localisation des activités, dansl’industrie,  dans  l’agricultureet  les  services,  doit  permettred’instaurer une meilleure au-

POUR N° 223 AVRIL 202025

tonomie face aux marchés in-ternationaux, de reprendre lecontrôle sur les modes de pro-duction  et  d'enclencher  unetransition écologique et socialedes activités ».

Solidarité et coopérationinternationalesEt cela sans « repli  sur  soi »ni « nationalisme  égoïste ».Nous avons besoin « d’unerégulation  internationale  re-fondée  sur  la  coopération  etla réponse à la criseécologique, dans lecadre  d'instancesmultilatérales et dé-mocratiques,  enrupture  avec  lamondialisation néo-libérale  et  les  ten-tatives  hégémo-niques des États lesplus  puissants »alors que « la solidarité inter-nationale  et  la  coopérationsont en panne ». Notammenten Europe où les pays « ontété incapables de conduire unestratégie  commune ». Ilconvient de mettre en place« un budget européen bien plusconséquent que celui annoncé,pour aider les régions les plustouchées  sur  son  territoirecomme ailleurs dans le monde,

dans les pays dont les systèmesde santé sont les plus vulnéra-bles, notamment en Afrique ».

« Plus jamais ça ! »Tout en « respectant  le  plusstrictement possible les mesuresde confinement, les mobilisa-tions  citoyennes  doivent  dèsà présent déployer des solida-rités locales avec les plus tou-ché·e·s, empêcher la tentationde ce gouvernement d’imposerdes mesures de régression so-

ciale et pousser lespouvoirs publics àune réponse démo-cratique, sociale etécologique  à  lacrise ».« Plus jamais ça ! »lancent les signa-taires. « Lorsque lafin de la pandémiele permettra, nous

nous donnons rendez-vous pourréinvestir  les  lieux  publics  etconstruire notre "jour d’après".Nous en appelons à toutes lesforces  progressistes  et  huma-nistes, et plus largement à toutela  société,  pour  reconstruireensemble un futur, écologique,féministe et social, en ruptureavec  les  politiques  menéesjusque-là et le désordre néoli-béral ».

« Reconstruire ensemble

un futur, écologique,

féministe et social, en

rupture avec les

politiques menées

jusque-là et le désordre

néolibéral. » 

« La crise du

coronavirus qui

touche toute la

planète révèle

les profondes

carences des

politiques

néolibérales. »

◗ Khaled Gaiji,

président des Amis de la Terre France

◗ Aurélie Trouvé,

porte-parole d'Attac France

◗ Philippe Martinez,

secrétaire général de la CGT

◗ Nicolas Girod,

porte-parole de la Confédération paysanne

◗ Benoit Teste,

secrétaire général de la FSU

◗ Jean-François Julliard,

directeur général de Greenpeace France

◗ Cécile Duflot,

directrice générale d'Oxfam France

◗ Eric Beynel,

porte-parole de l'Union syndicale Solidaires

◗ Clémence Dubois,

responsable France de 350.org

◗ Pauline Boyer,

porte-parole d'Action Non-Violente COP21

◗ Léa Vavasseur,

porte-parole d'Alternatiba

◗ Sylvie Bukhari-de Pontual,

présidente du CCFD-Terre Solidaire

◗ Jean-Baptiste Eyraud,

porte-parole de Droit au Logement

◗ Lisa Badet,

vice-présidente de la FIDL, Le syndicat lycéen

◗ Jeanette Habel,

co-présidente de la Fondation Copernic

◗ Katia Dubreuil,

présidente du Syndicat de la magistrature

◗ Mélanie Luce,

présidente de l'UNEF

◗ Héloïse Moreau,

présidente de l'UNL

essentiels  des  populations  etaxés sur le rétablissement desgrands équilibres écologiques ».Il ne s’agit pas de relancerl’ancienne économie, mais de« soutenir  les  investissementset la création massive d’emploisdans  la  transition écologiqueet  énergétique, de désinvestirdes activités les plus polluanteset  climaticides,  d’opérer  unvaste partage des  richesses  etde mener  des  politiques  bienplus ambitieuses de formationet de reconversion profession-nelles pour éviter que les tra-vailleurs·euses  et  les  popula-tions précaires n’en fassent lesfrais ».Dans la même logique, « dessoutiens financiers massifs de-vront  être  réorientés  vers  lesservices  publics,  dont  la  crisedu coronavirus révèle de façoncruelle  leur  état  désastreux :santé publique, éducation et re-cherche publique, services auxpersonnes dépendantes... » Cette crise « révèle notre vul-nérabilité  face  à  des  chaînes

Les 18 signataires

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Sauver le soldat cinémaLa fermeture des cinémas, imposéele 15 mars, a interrompu la diffusionde dizaines de films. Une mesuredérogatoire, inscrite dans la loiurgence pour faire face à l’épidémie decovid-19, permet au président du CNCde réduire à 3 mois, pour ces films, ledélai de 4 mois à compter de leur sortiequ’impose la chronologie des médiaspour pouvoir être exploités en VOD ouen DVD / Blu-Ray. DominiqueBoutonnat, président du CNC, a préciséque les demandes de cette dérogationexceptionnelle seront examinées aucas par cas, film par film, et souscertaines conditions. La dérogation ne concerne pas, enrevanche, les films qui n’étaient pasencore sortis au moment de lafermeture. Ceux-là, les distributeurspeuvent les exploiter sur tous supports.En principe, quand la premièreexploitation des films ne se fait pas ensalles, le CNC est tenu de réclamer auxbénéficiaires d’aides accordées dans lecadre du soutien financier au cinéma larestitution de ces sommes. La situationétant exceptionnelle, une concertationassociant les filières du cinéma et del’audiovisuel réfléchit aux modalitéspour mettre certains d’entre eux « à ladisposition du public directement sous

forme de VOD à l’acte ou de DVD / Blu-

Ray, sans que les bénéficiaires des

aides cinéma, et autres financements

réglementés, soient contraints de les

restituer ».Tous les films ne pourront être sauvés,et les exploitants de salles, lesindépendants notamment, pourraientêtre les autres perdants. Soutenues parles cinéastes, privilégiées par lesgrands distributeurs, les sorties ensalles étaient déjà fragilisées par lesproductions de Netflix qui se passentd’elles. Le monde du cinéma nesouhaite pourtant pas se priver dugrand écran.

C u l t u r e l l e s

POUR N° 223 AVRIL 202026

Le numérique, grand gagnantde l’épidémie

Sans parler des géants Amazon et Netflix,

le numérique a du bon pour les confinés

curieux. Ils peuvent visiter virtuellement

les grands musées du monde, lire gra-

tuitement les bandes dessinées que des

éditeurs partagent sur leurs sites. Ils peu-

vent aussi découvrir le dernier livre de

Paolo Giordano Contagions, que Le Seuil

a mis en ligne avant sa parution papier.

L’écrivain physicien italien s’est aussi en-

gagé à verser une partie de ses droits

d’auteur pour la gestion de l’urgence sa-

nitaire et la recherche scientifique.

2020 année de la BD ?On l’oublierait presque ! C’est l’année de

la BD. La cité d’Angoulême a dû fermer

ses espaces au public, mais les a ouverts

aux internautes. De leur côté, les dessi-

nateurs jeunesse partagent sur leurs ré-

seaux, les dessins que leur inspire la si-

tuation exceptionnelle. Leur poésie teintée

d’humour, leurs personnages touchants,

leurs couleurs tendres ou dynamiques.

Le confinement ne les sort pas de leur

quotidien, mais il est devenu un sujet.

Lewis Trondheim et Joann Sfar inventent

des jeux et proposent de dessiner via

leurs réseaux, Pénélope Bagieu invite à

animer la « coronamaison », Riad Sattouf

et Grégoire Solotareff font réagir leurs

personnages sur Twitter ou Instagram.

Alors tous à nos crayons !

Le coronavirus a ses plumes

Du côté des dessinateurs de presse, le

trait est toujours incisif et c’est toujours

pour rire. Kristian livre sur sa page Face-

book ce que lui inspire la situation, Biche

signe dans Charlie Hebdo, Plantu dans

Le Monde, Faro diffuse le coronavirus

chez les sportifs, Louison diffuse sur

Twitter « les coloriages du coronavirus ».

L’édition gelée par l’épidémieLes éditeurs ont gelé

toutes les parutions de la

saison printanière, aussi

déterminante que la ren-

trée littéraire de septem-

bre pour le secteur de

l’édition. Traditionnelle-

ment c’est au printemps

que sortent les best-sel-

lers de l’été. Les éditeurs

ont par ailleurs demandé

à tous les auteurs de

« surseoir à l’envoi des

manuscrits ». La plupart des éditeurs dont

Gallimard, Albin Michel, J.-C. Lattès ou en-

core Le Cherche-Midi ont annoncé le 24

mars le report des publications prévues

de mars à avril.

Le Théâtre de la Ville organise jusqu’au 18 avril les « Consul-

tations poétiques par téléphone. Poésie, théâtre, littérature

jeunesse, littérature, les radios se sont réorganisées pour dif-

fuser les voix de la lecture. Des initiatives viennent aussi spon-

tanément de comédiens qui mettent à profit leur confinement

pour lire des textes à des auditeurs anonymes. Là encore en

numérique. Des mamies, des mamans s’exercent aussi à lire

ou à raconter les histoires dont petits et grands profitent via

écrans interposés. De nouvelles liaisons s’établissent au gré

du confinement.

Le lien par la voix

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POUR N° 223 AVRIL 202027

Les libraires à livre ouvert

Amazon est le premier visé, il pourraitêtre demain le principal diffuseur du livreen France. Wilfrid Séjeau s’inquiète quele géant américain « profite de cette crisepour gonfler ses gains ».

Amazon en première ligneA-t-il été entendu ? Le groupe de Jeff Bezosa assuré le 19 mars : « Amazon est victimede sa position de leader dans le e-commerce.En attendant de pouvoir assumer de forteshausses de volumes, le groupe a décidé dedéclasser plusieurs produits, dont le livre,dans ses livraisons prioritaires ». Un« déclassement » qui ne supprime pas com-plètement la vente et ne tiendra pas pluslongtemps que le confinement. La part demarché du livre français tenue par Amazon

Les librairies sont fermées depuis le 14 mars.Bien que déclarée « commerce de premièrenécessité » par le ministre de l’économie, la

librairie s’attend à des lendemains difficiles,voire dramatiques.Fallait-il laisser ouvertes les librairiescomme l’a exprimé le ministre de l’éco-nomie et des finances en les qualifiant de« commerce de première nécessité » ? LeSyndicat de la librairie française (SLF)pense que « le coût économique pour notreprofession sera considérable et nous avonstous hâte de rouvrir et de retrouver les lec-teurs mais, aujourd’hui, la priorité sanitaireprime sur tout autre enjeu, y compris finan-cier ». De grandes librairies comme LeFuret du Nord, Mollat à Bordeaux, Coif-fard à Nantes, Sauramps à Montpellier,refusent de faire se côtoyer dans leursmagasins des personnes qui, forcément,feuilletteraient le même produit et peine-raient à garder les distances dans desrayons étroits.Cela n’arrange pas la situation de petitslibraires déjà en position économique cri-tique, surtout dans les petites et moyennescommunes. Nombre d’entre eux ne sontpas sûrs de rouvrir après la crise. Bien quesoutenus par le « Lisez » du présidentMacron, ils espèrent que l’exception cul-turelle française pourra les sauver.

La concurrence de la vente en ligne Le livre est en effet une exception écono-mique, un des très rares produits à prixunique imposé depuis la décision de JackLang en 1981. Un prix unique qui aconvaincu de nombreux États de l’Unioneuropéenne pour sauver ce produit culturelsingulier face à la concurrence des grandessurfaces hier, des plateformes de vente enligne aujourd’hui.Cette concurrence est le danger numéroun pointé par Wilfrid Séjeau, présidentd’Initiales (une cinquantaine de librairiesen France et en Belgique) : « Nous pensonsbien sûr que les librairies sont des lieuxessentiels pour la culture, le partage et levivre-ensemble, mais nous ne sommes pasdupes : l’enjeu, aujourd’hui, c’est bien dedemander à Amazon, FNAC (sic) et auxhypermarchés de se cantonner aux ventesde produits alimentaires ».

Toutes les librairies ont tiré leur rideau.Nombre de petits libraires ne sont passûrs de rouvrir après la crise.

n’est pas connue exactement, faute depublications de résultats par l’entreprisecalifornienne, mais les experts de Kantarl’estiment à 50 %. Un livre sur deux achetéen France.Le gouvernement a mis en place un Fondsde solidarité pour les petites entreprisesqui, en plus du chômage partiel et dureport de paiement des charges, permetde recevoir jusqu’à 1 500 euros d’aide pourle mois de mars, somme que les Régionspeuvent abonder jusqu’à 2 000 euros. Deson côté, le ministère de la Culture aannoncé un plan d’urgence, doté d’unepremière enveloppe de 5 millions d’eurosà destination des libraires, éditeurs etauteurs. Il en faudra plus pour sauver lalibrairie. Et sans doute un sursaut des lec-teurs pour soutenir ce commerce tradi-tionnel.

Pour les petits libraires, la fermeture est une menace économique mais aussi un crève-cœur. Aussi multiplient-ils les initiatives sur leurs sites, leurs réseaux sociaux.À Bergerac, au moment de fermer leur Colline aux livres, Baptiste et Caroline ont déposésur le pas de la porte quatre cartons de livres qui n’ont pas vocation à être vendus.Ils proposent aussi sur leur page Facebook Lecture de confinement, deux rendez-vousquotidiens en direct. À Laval, M’Lire propose sur son site internet plus de 4000 livresnumériques gratuits. À Mulhouse, 47°Nord invite les auteurs à poster de courtes vidéosde soutien. Durance, à Nantes, et Le Passage, à Alençon partagent une bibliothèque enligne. Paroles, à Saint-Mandé, lance un défi écriture aux lecteurs. Pour la réouverture àvenir, La Forge, à Marcq-en-Baroeul, imagine une bourse aux livres et Garin, à Chambéry,propose 40 coups de cœur pour la quarantaine.

Rester en lien, rester en ligne

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C u l t u r e l l e s

POUR N° 223 AVRIL 202028

Les acteurs du monde de la culturesont pleins d’imagination pourpasser cette période d’un confi-

nement inédit. Mais ils craignent deslendemains qui déchantent.Dès les derniers jours defévrier, trois semaines avant leconfinement, le secteur de laculture a été fortement impactépar la crise covid-19. Déjà desorganisateurs de manifesta-tions prévues au printempspréféraient reporter que de seretrouver dans l’incapacité deles organiser, comme la foired’art contemporain Art Up !de Lille reportée du 25 au 28juin. Les premières mesures deconfinement eurent raison desplus optimistes. D’abord ce futle personnel du Louvre qui afait jouer son droit de retrait.Puis les librairies et toutes lessalles, d’exposition, de concert,de musique, d’opéra, de théâ-tre, de cinéma ont dû fermer.L’interdiction de tout rassem-blement supérieur à cent per-sonnes rendit caduc tout amé-nagement.Le report est un gros travail et,souvent, tout le programmen’est pas reportable en raisonde l’engagement des artistes ettechniciens sur d’autres mani-

festations. Avec le risque quela pandémie ne soit pas encorestoppée. Mais le pire, c’est l’an-nulation pure et simple. Unvrai drame. L’annulation duPrintemps de Bourges, quidevait se tenir du 21 au 26 avril,a ouvert la liste des annulationsen cascade, comme celle du fes-tival de Cannes. L’expositionsur Pompéi du Grand Palaisn’aura jamais lieu. Quand ils’agit en plus d’une biennale,le ressenti pour les organisa-teurs, les acteurs et le public,est un vrai crève-cœur. Escaleà Sète, qui accueille dans le portméditerranéen des vaisseaux,des marins, des acteurs dumonde culturel venant del’étranger pour envahir quais,scènes, rues et bistrots (cetteannée la Hollande était à l’hon-neur) a été annulé par le préfetde l’Hérault.

La place des écransParmi les invités étrangers quine feront pas le voyage vers laFrance, le prestigieux Bolchoïa du annuler sa tournée. Leconfinement de quatorze joursau retour en Russie, d’abordenvisagé, n’étant plus de mise.C’est donc toute la culture qui

est en berne, bien qu’elle fassepartie des premières nécessi-tés. La production cinémato-graphique est également tou-chée. Plus de tournagespossibles, même pour les sériestélévisées quotidiennescomme Un si grand soleil ou

Plus belle la vie. Les épisodesen stock n’ont permis guèreplus de deux semaines de dif-fusion. Pourtant, ce sont lesécrans qui engrangent lesspectateurs perdus par lessalles. Les plateformes inter-nationales, Netflix la première,ont dû alléger leur chargementpour faire face à l’afflux desdemandes.De grandes institutionscomme l’Opéra de Paris ou laComédie Française ont rapi-dement passé un accord avecFrance Télévisions pour pro-grammer les opéras qui n’ontplus de public. Ils passentd’abord en clair, puis sur lesite culturebox. Les initiativesse multiplient, grâce notam-ment à l’accès libre aux spec-tacles, aux scènes, aux concertset aux expositions virtuellessur les sites et les réseaux.

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L’inquiétude du monde de la culture

Le ministère de la Culture a annoncé le 18 mars « un premier volet

d’aide d'urgence » de 22 millions d'euros pour différents secteursculturels : 10 millions d’euros pour la musique, 5 pour le spectacle,5 pour le livre et 2 pour les arts plastiques. Ces aides directess’ajoutent aux aides aux entreprises annoncées par Bercy,notamment celle de 1 500 euros aux artistes indépendants. Dans unsecteur qui a dénoncé à de multiples reprises la faiblesse desdotations du ministère et la réduction de l’intervention descollectivités territoriales, l’annonce de futures « autres mesures

spécifiques » pour « répondre au risque de disparition des structures culturelles, notamment les plus

fragiles » est très attendue. Pour le cinéma, le Centre national du cinéma et de l’image animée asuspendu le paiement de l’échéance de mars 2020 de la taxe sur les entrées en salles de spectacles.D’autre part, le CNC s’est engagé à verser de manière anticipée la part de soutien aux salles art et essai. Enfin les subventions attribuées aux manifestations annulées pour des raisons sanitaires resterontacquises.

Des aides attendues pour la culture

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L’inquiétude des festivalsLa grande inquiétude, c’estbien entendu les festivals. Il nesuffit pas que le confinementsoit interrompu en mai pourqu’ils puissent se tenir correc-tement. Jean Varela, directeurdu premier grand festival d’artvivant de la saison, expliqueque les créations du pro-gramme 2020 supposent quele travail ait pu être fait par lescompagnies. Or, nous dit-il(voir page 30) les compagnies« ont arrêté de répéter. Warli-kowski en Pologne, Castelluccien Italie... et en France pluspersonne ne répète ». Avec 36spectacles et 20 créations, lePrintemps des Comédiens de

Montpellier est le second fes-tival. Le premier, Avignon,compte bien faire sonner lestrompettes en ouverture de la74e édition, le 3 juillet dans laCour d’honneur du Palais despapes, avec Orfeo de ValèreNovarina mis en scène parJean Bellorini. Sauf « si nousne pouvons pas aménager lacour avant fin mai » préciseson directeur délégué.

Demain, la fête culturelleLes acteurs du monde culturel,intermittents au premier rang(pour ces derniers, le gouver-nement a décidé de ne pasprendre en compte la périodede confinement dans le calculdes droits), sont très inquietspour le devenir de nombreusesstructures et compagnies. LaCGT indique que « au moins15 452 artistes se trouvent pri-

vés de travail » en mars et avril.Tous comptent sur la solidariténationale pour que ce mauvaiscap ne signe pas l’arrêt de mortde trop de projets. D’abordcelle de l’État et des collectivi-tés, qui ont déjà mis en placedes aides, pour le momentinsuffisantes. Mais aussi cellesdes spectateurs appelés à venirencombrer, saturer même, lessalles de spectacles dès leurréouverture. Car les premièresdonnées sont désastreuses. En

France, les organisateurs despectacles avançaient le chiffrede 250 millions d’euros deperte en tablant sur la datebutoir du 31 mai avancée parles autorités publiques. En Ita-lie, le ministère de la cultureannonçait début mars uneperte sèche de 2 milliards d’eu-ros. Le besoin de vie, de fête,d’imagination, de rêverie,devrait l’emporter sitôt le virusmaîtrisé. C’est ce qu’espère lemonde de la culture.

Salia Sanou 

« Une solidarité dela profession »

Vous étiez, mi-mars en répétition pour la

création commandée par le Ballet du

Capitole de Toulouse. Où en êtes-vous ?

J’avais fini la première phase le 22février avec le ballet, je m’apprêtais àentamer un projet participatif à Brive avecune centaine de danseuses et danseursamateurs, et puis nous étions en pleine tournée de Multiple(s)avec Nancy Huston et Germaine Acogny. Tout ça tombe à l’eau.C’est un choc. Nous travaillons deux ans sur un projet qui, tout àcoup, ne se fait plus. Les théâtres qui programment mettent untemps fou pour coordonner tout ça. Après, il faut remonter,rebondir. Prendre tout ça avec calme et sérénité. Le Capitole,c’est pour l’instant maintenu fin juin début juillet.

Des modifications se sont-elles imposées ? 

Plusieurs lieux m’ont tout de suite appelé pour voir lespossibilités de report, d’autres pour annuler. Les directeurs dethéâtre sont solidaires, ils paient le coût des plateaux pour lesartistes intermittents, ils prennent aussi en charge les dépensesdéjà engagées par les compagnies. C’est une bellereconnaissance. Une solidarité se joue au niveau de laprofession, des lieux qui peuvent honorer leurs contrats enpayant les artistes. C’est un grand soulagement pour beaucoupd’entre nous qui sommes à l’arrêt pour quatre mois. Si le monde écoute, si le monde s’écoute, ça devrait nousamener à changer beaucoup de choses. D’autres façons de faire,de construire l’avenir. Pour l’instant, chacun, chaque payschaque continent, essaye de se protéger comme il peut. Maistout ça nous amène à réfléchir globalement à notre vie, à notreenvironnement, à notre capacité de solidarité.

Quelles nouvelles de La Termitière, centre de développement de

chorégraphes que vous avez fondé au Burkina Faso ?

La Termitière vit aussi un moment de confinement. Les écoles,les marchés, les lieux publics sont fermés au Burkina. Lesrassemblements sont interdits.Le Burkina n’échappe pas à la pandémie, il y a des cas de mortcomme ici. La tension monte là-bas, c’est une crise sanitaire quis’ajoute à une crise sécuritaire. La région est en proie auxdjihadistes et aux terroristes. Le pays essaie de conjuguer cesproblèmes, ce n’est pas évident pour les populations.

Le report de manifestation,une décision déjà difficile. Lesfestivals espèrent éviterl’annulation complète ou decréations qui n’auraient pas eule temps de se monter.

© M

ARC

COUD

RAIS

Salia Sanou, danseur et chorégraphe

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r e n c o n t r e

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Y a-t-il d’ores et déjà des

modifications du programme ?

Utopolis, du groupe berlinois RiminiProtokoll, est reporté d’un an. Cespectacle, qui devait être recréé dansle centre-ville de Montpellier aprèsSaint Petersburg, Cologne et Man-chester, est une réflexion sur com-ment construire et faire vivre unesociété en commun, à partir de l’ou-vrage de Thomas More. 300 spec-tateurs sont invités par SMS à se ren-dre dans 48 lieux de la ville par descommerçants, artisans, architectes,etc. qui ont collecté sur une enceinteconnectée leurs témoignages sur laville. Guidés par cette enceinte, lesgens se dirigent dans quatre lieuxde pouvoir, temporel, judiciaire,scientifique… et se réunissent dansun seul lieu où ils font société. Nousétions en train de préparer ce travailavec une équipe technique et 48commerçants. Puis tout s’est arrêtédans la ville.

L’annulation du festival est-elle

possible ?

Le temps n’est pas venu d’envisagerun report ou une annulation. Letemps est à l’énergie collective pouraider ceux qui sont atteints et ceuxqui sont en première ligne. Et à seposer la question de la puissancedu théâtre, des mots, du verbe, quitend à développer un imaginaire.Certes le théâtre en temps « nor-mal » concerne peu de gens, maisil a une résonnance beaucoup plusgrande dans la société. Si chacund’entre nous, là où nous sommes,nous lisons et relisons des textes,contemporains ou anciens, on peutenvoyer des ondes positives. C’estce que nous pouvons faire nous lesacteurs.

Comment maintenez-vous le

contact avec le public ?

En relisant Antigone, je me disaisque la description de l’enterrementde son frère était un texte magni-fique pour les gens qui ne peuventpas assister aux obsèques de leursproches. Il y a aussi les textes de Kol-tès sur le rapprochement, ceux deShakespeare sur la puissance évo-catrice. Je propose aux gens qui leveulent de prendre contact avec lefestival pour leur présenter person-nellement par téléphone la program-mation du Printemps. Je me suisaussi dit qu’on pourrait faire uneradio web pour garder le lien avecles spectateurs, et donner un peu dejoie, de son, à ceux qui sont seuls.

En quoi consiste cette radio web ?

Il y a, en 1 à 2 mn, des souvenirs despectateur, comme cette dame quiramasse les tilleuls du domaine etles consomme le soir en tisane, unefaçon dit-elle d’être avec le Printempstoute l’année. J’ai aussi sollicité deuxuniversitaires. Gérard Lieber, qui afait des vignettes sur l’histoire duthéâtre, et Florence March, spécia-liste de Shakespeare, qui nous parlede Hamlet. Le musicien Jean-Chris-tophe Sirven a fait un travail demixage autour des Indes galantes deRameau. Et Julien Bouffier, quiassure la direction artistique, a eul’idée d’un feuilleton théâtral. Plu-sieurs acteurs, confinés chez eux,ont enregistré des scènes de théâtremises en ligne le 25 mars.

Quelle est la situation des

compagnies invitées ?

Elles ont arrêté de répéter. Warli-kowski en Pologne, Castellucci enItalie... et en France plus personne

Jean Varela estdirecteur duPrintemps desComédiens, quiouvre la saison desgrands festivals enFrance le 29 maiavec 36 spectaclesdont 20 créations. Dans ce tempsd’incertitude et desolitude, il a crééune radio webautour duPrintemps et avecles comédiens.

Jean Varela« Le temps est à l’énergie collective »

Du 29 mai au 27 juin, le Printemps des Comédiens de Montpel l ier est le premier grand festival d’artsvivants de la saison. Dans l ’ incertitude sur sa tenue, son directeur, Jean Varela, a pris plusieurs init iat ivesoriginales, dont la création d’une radio depuis le 25 mars.

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rre-

Yves

- P

hoto

grap

hie

ne répète. Sur 36 spectacles, il y aune vingtaine de créations. Je sensbeaucoup d’inquiétude chez lescompagnies. D’autant que le festivalSaperlipopettes, qui nous précèdeau Domaine d’O les 9 et 10 mai,vient d’être annulé.

Et financièrement ?

Tous nos fournisseurs, tous nos par-tenaires ont fermé. Ce qui m’inquiètebeaucoup c’est le retour du publicdans les salles en juin. Le festivalgénère beaucoup de billetterie. Larecette, les partenariats privés quenous n’aurons pas cette année, et lescoproductions, représentent à euxtrois un tiers du budget. Pour l’ins-tant tout est en attente.

Quel soutien le public peut-il

apporter ?

Venir en masse dès que ça repartiradans les théâtres. Ce serait un signede solidarité. Il va falloir qu’on se serreles coudes pour maintenir les outilsde production que sont les compa-gnies et donc tous les savoir-faire descomédiens, des techniciens, etc. Il fautque ce vivier soit conforté.

Propos recueillis par Véronique Giraud

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