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2.3 - L'anatomie comparée Le principe de l'ascendance commune implique que tous les organismes ont pour origine des ancêtres communs (voir la section 4.2 : « Le darwinisme ») ; comparer les structures entre les différents groupes fossiles permet de saisir les voies suivies par l'évolution. L’anatomie comparée s’est dotée de plusieurs principes pour dégager les caractéristiques d’un animal afin de le situer par rapport à un milieu, à d’autres espèces ou à un niveau taxinomique. Le principe de la « corrélation des organes », encore appelé « loi de corrélation » ou bien « loi de coexistence des organes », est l’un des plus importants. Établi en 1795 dans un mémoire d’Étienne GEOFFROY SAINT-HILAIRE et de Georges CUVIER, il affirme qu’un organe ne peut changer sans en affecter d’autres. Par conséquent, chaque organe, étudié séparément, peut donner des informations sur d’autres. G. CUVIER utilisera avec succès ce principe dans la reconstruction du Paleotherium des gypses de Montmartre. Le principe des connexions de É. GEOFFROY SAINT-HILAIRE, qui stipule que les connexions entre les organes sont des invariants, autorise la reconnaissance des homologies (voir la section 2.2.3 : « La méthode cladistique, la reconnaissance des homologies »). Un troisième principe, fréquemment utilisé, lie les structures organiques des animaux à leur milieu et à leur mode de vie. On parlerait aujourd’hui de la « structure-fonction » des organes. LAMARCK et É. GEOFFROY SAINT-HILAIRE en ont été les premiers utilisateurs. Les Hominoïdes offrent l'exemple d'une lignée reconstituée à partir de l'analyse et de la comparaison de pièces squelettiques fossiles. Leur étude, qui repose sur des mesures précises, a permis de retracer leur morphologie générale et de reconstituer parfois certains de leurs comportements, par exemple la taille des outils. Une datation précise des fossiles s'avère indispensable, car la lignée humaine a évolué rapidement. Malheureusement, les sédiments quaternaires, souvent remaniés dans quelques régions, sont difficiles à dater et les filiations sont régulièrement révisées ; les datations de fossiles africains, demeurés enfouis, sont parfois très fiables, car les sédiments du Rift africain, épais de 1 200 m, sont peu remaniés et les accidents volcaniques offrent de bons repères chronologiques. Les préhistoriens s'accordent néanmoins sur les grands traits de la lignée proposée. 120

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2.3 ­ L'anatomie comparée

Le principe de  l'ascendance commune  implique que  tous  les  organismes ont 

pour   origine   des   ancêtres   communs   (voir  la   section   4.2 :   « Le   darwinisme »)   ; 

comparer les structures entre les différents groupes fossiles permet de saisir les voies 

suivies par l'évolution. L’anatomie comparée s’est dotée de plusieurs principes pour 

dégager les caractéristiques d’un animal afin de le situer par rapport à un milieu, à 

d’autres espèces ou à un niveau taxinomique.

Le principe de la « corrélation des organes », encore appelé « loi de corrélation » ou 

bien « loi de coexistence des organes », est l’un des plus importants. Établi en 1795 

dans  un mémoire  d’Étienne  GEOFFROY  SAINT­HILAIRE  et  de  Georges  CUVIER,   il   affirme 

qu’un  organe  ne peut  changer  sans  en  affecter  d’autres.  Par  conséquent,   chaque 

organe,   étudié   séparément,   peut   donner   des   informations   sur   d’autres.   G. CUVIER 

utilisera avec succès ce principe dans la reconstruction du Paleotherium des gypses 

de Montmartre.

Le principe des connexions de É. GEOFFROY SAINT­HILAIRE, qui stipule que les connexions 

entre les organes sont des invariants, autorise la reconnaissance des homologies (voir 

la section 2.2.3 : « La méthode cladistique, la reconnaissance des homologies »).

Un troisième principe, fréquemment utilisé, lie les structures organiques des animaux à 

leur milieu et à leur mode de vie. On parlerait aujourd’hui de la « structure­fonction » 

des organes. LAMARCK et É. GEOFFROY SAINT­HILAIRE en ont été les premiers utilisateurs.

Les Hominoïdes offrent l'exemple d'une lignée reconstituée à partir de l'analyse 

et de la comparaison de pièces squelettiques fossiles. Leur étude, qui repose sur des 

mesures précises, a permis de retracer leur morphologie générale et de reconstituer 

parfois certains de leurs comportements, par exemple la taille des outils. Une datation 

précise des fossiles s'avère indispensable, car la lignée humaine a évolué rapidement. 

Malheureusement,   les   sédiments   quaternaires,   souvent   remaniés   dans   quelques 

régions,   sont   difficiles   à   dater   et   les   filiations   sont   régulièrement   révisées   ;   les 

datations  de  fossiles  africains,  demeurés  enfouis,  sont  parfois   très   fiables,  car   les 

sédiments  du  Rift   africain,  épais  de  1 200 m,   sont  peu   remaniés   et   les  accidents 

volcaniques  offrent  de  bons   repères  chronologiques.  Les  préhistoriens  s'accordent 

néanmoins sur les grands traits de la lignée proposée.

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2.3.1 ­ L'anatomie comparée et la filiation des Hominidés

Pour   suivre   les   discussions   exposées   dans   cette   section,   un   aperçu   de   la 

classification  des  Primates  (fig. 2.24)  est  nécessaire.  Cette  classification  utilise  des 

critères   morphologiques   classiques,   mais   aussi   des   données   biochimiques   et 

chromosomiques.

Une   classification   admise   comme   traditionnelle   (fig.   2.24­A)   montre   que   les 

Hominoïdes réunissent les Singes anthropoïdes (Grands Singes), les Hommes et les 

ancêtres communs aux deux groupes. Pour les cladistes, elle est devenue obsolète, 

car la famille des Pongidés est paraphylétique : les Gibbons, les Orangs­outans, les 

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Gorilles et les Chimpanzés n’ont pas un ancêtre commun direct, le taxon est artificiel. 

En revanche, les évolutionnistes admettent cette paraphylie,  car ils considèrent non 

pas des clades  (ensembles de  taxons ayant  une  filiation  directe)  mais  des grades 

(taxons  ayant  atteint  un  même niveau  évolutif)   :   la  coupure  Pongidés­Homme est 

justifiée.

La classification de M. GOODMAN (1962) est la première à proposer une proche parenté, 

confirmée ensuite par  la biologie moléculaire, des Orangs­outans, des Gorilles, des 

Chimpanzés et de l’Homme (fig. 2.24­B). C’est pourquoi ces quatre genres sont réunis 

dans la sous­famille des Homininae .

Mais l’analyse cladistique réfute la famille des Hominidés définie par M. GOODMAN, qui 

est paraphylétique ; cette famille, qui comprend les genres  Sahelanthropus,  Orrorin, 

Ardipithecus, Paranthropus, Australopithecus et Homo, concerne uniquement la lignée 

hominienne,  c’est­à­dire   celle  qui  conduit  directement  à   l’Homme.  La  classification 

cladistique   des  Hominidés  (fig. 2.24­C),   confirmée   elle   aussi   par   la   biologie 

moléculaire, est acceptée par la grande majorité des chercheurs. Mis à part les noms 

des taxons, les classifications des figures 2.24­B et 2.24­C sont identiques. 

Les caractères morphologiques utilisés

Pour reconstituer la filiation des  Hominidés, les chercheurs s'appuient sur des 

caractères morphologiques, squelettiques et dentaires. L'évolution de cette lignée se 

distingue   par   trois   traits   principaux   :   l'acquisition   de   la   station   verticale   et   de   la 

locomotion  bipède,   la   réduction   de   la   denture  et,   enfin,   le   fort   développement  de 

l'encéphale.

­ La verticalité

Son acquisition entraîne une restructuration fondamentale du bassin, ainsi que 

celle des pieds. La bipédie qui en résulte est avant  tout  liée aux remaniements du 

bassin.   La   figure 2.25   montre   quelles   sont   les   mesures   effectuées   chez   les 

Hominoïdes.

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Au cours de la phylogenèse, la stabilité de la bipédie s'améliore, quand la largeur et le 

rapport hauteur/largeur du bassin diminuent.  Enfin, on a reconstitué  à  la fois l'ordre 

d'apparition des grands caractères spécifiques à cette lignée et les parentés entre les 

différents genres.

L’acquisition   de   la   bipédie   se   manifeste   également   par   un   déplacement   du   trou 

occipital vers l’avant, déplacement d’autant plus prononcé que la bipédie est parfaite.

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Sa date d’apparition recule de plus en plus. En 1976, la découverte de trace de pas 

fossilisée   à   Laetoli   (Tanzanie)   l’a   située   à   3,7   Ma   probablement   chez   les 

Australopithèques ; puis, en 2000, celle d’Orrorin tugenensis la place à 6 Ma ; et enfin, 

en 2001,  celle de Sahelanthropus tchadensis (Toumaï) la remonte à 7 Ma.

­ La denture

La réduction du système dentaire est l'une des caractéristiques principales de 

l'hominisation. Sont pris en compte d'autres critères tels que la hauteur, la largeur des 

dents, le nombre de tubercules (indice d'un régime omnivore) de la surface broyeuse 

des prémolaires et des molaires, la taille décroissante des molaires d’arrière en avant 

chez les Hominidés (celles situées au fond de la mâchoire sont généralement les plus 

grandes),  alors que chez  les Pongoïdes leur taille est croissante.  La forme de l'arc 

dentaire fournit également une indication sur le degré d'hominisation : les Singes ont 

un arc dentaire fermé en forme de U ; en revanche dans la lignée humaine, il tend à 

s'évaser  de  plus  en  plus.  La  mandibule  puissante  et   robuste  chez   les  Hominidés 

primitifs s'allège progressivement, tandis que le menton, absent chez les Pongoïdes et 

les Hommes primitifs, se développe.

­ La cérébralisation

Elle   s'accompagne   d'une   modification   des   supports   osseux   :   crâne, 

superstructures crâniennes (torus ou bourrelet sus­orbitaire, crête sagittale, apophyse 

mastoïde et torus ou chignon occipital), et mâchoires. Un tableau comparatif (fig. 2.26) 

présente les mesures crâniennes de plusieurs espèces d'Hominidés.

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Les caractéristiques de la cérébralisation sont les suivantes :

­ Modification des dimensions de la voûte crânienne : sa longueur diminue, tandis 

que sa hauteur et sa largeur augmentent, ainsi que la verticalité du front.

­ Disparition des superstructures crâniennes, car  les points d’attache de certains 

muscles responsables du maintien de la tête disparaissent lors de l’acquisition de la 

station verticale permanente. C’est pourquoi la bipédie est un témoignage important de 

l’hominisation.

Ces phénomènes conduisent à une gracilisation, bien connue chez Australopithecus  

africanus, qui a été interprétée diversement :

­  Apparition  d'une  néoténie,   c'est­à­dire   le  maintien   chez   l'adulte  de  caractères 

embryonnaires ou  juvéniles,  qui  se développe progressivement  au cours de  la 

phylogenèse.

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­ Diminution du volume des dents et donc des muscles masticateurs, qui entraîne à 

son tour la disparition des renforcements osseux.

­   Diminution   de   l'étage   moyen   de   la   face   et   du   prognathisme   (avancée   des 

maxillaires).

Selon  Philip  TOBIAS,   l'augmentation  du  volume  cérébral  a  plusieurs  origines   : 

augmentation du volume des neurones, de la longueur des axones et dendrites, de la 

grosseur des fibres, de l'effectif des cellules gliales, du nombre de connexions ou du 

nombre   de   neurones   :   des   études   effectuées   chez   des   hommes   contemporains 

montrent   qu’il   n'y   a   pas   de   corrélation   entre   un   volume   cérébral   important   et 

l'intelligence. Chez H. sapiens sapiens,  l'augmentation du volume cérébral ne semble 

plus avoir de sens en elle­même. En revanche, il semble y avoir un rapport entre le 

volume cérébral et l'évolution techno­culturelle de la lignée hominienne : le passage de 

l'Australopithèque à l'Homme habile s'accompagne d'une augmentation du cerveau de 

50   % et   de   l'apparition   probable   de   la   pierre   taillée,  de   l'utilisation  de   l'ocre...   Si 

certains des Australopithèques ont possédé une culture, toute trace en a été perdue.

Dans la lignée hominienne, les capacités mentales ont augmenté d’un genre à l’autre, 

mais elles ne sont pas uniquement déductibles du volume cérébral.

­ Les caractères discrets

À  côté   des   trois  grands   critères  d’hominisation   cités   précédemment,   une  autre 

catégorie   regroupe   plusieurs   centaines   de   caractères   osseux   ou   dentaires   non 

quantifiables : les caractères discrets qui sont, en effet, discontinus, étant présents ou 

absents.   La   principale   difficulté   est   de   les   distinguer   de   caractères,   eux   aussi 

morphologiques et discrets, mais liés à des contraintes biomécaniques. 

Ces caractères discrets concernent :

­ la présence d’os surnuméraires, ex : os trigone du talon ;

­   l’ossification d’éléments  formés normalement  par  du cartilage ou  l’inverse,  ex : 

fontanelle, persistance de la suture médio frontale ;

­   la   présence/l’absence   d’orifices   ou   de   sillons   vasculaires   ou   nerveux,   ex : 

perforation sternale, foramen ovale incomplet ;

­   les   variations   (nombre,   position,   dédoublement)   de   facettes   articulaires,   ex : 

dédoublement  de  la   facette condylienne de  l’os occipital,  doublement  de  la   facette 

articulaire supérieure de l’atlas ; 

­   l’absence   de   la   fusion   de   certaines   épiphyses,   ex :   pas   de   fusion   du   point 

d’ossification de l’acromion à l’épine de l’omoplate.

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Les   caractères   discrets   suscitent   un   intérêt   croissant,   car,   bons   marqueurs 

biologiques, ils permettent de suivre les migrations de populations et le peuplement de 

zones géographiques, de calculer des distances (biologiques) entre populations ; de 

plus   ils  possèdent  surtout   l’avantage,  par   rapport  aux  caractères  métriques,  d’être 

observables et significatifs même si la conservation du squelette est mauvaise.  À cet 

égard, les dents constituent un matériel de choix, car, d’une part, elles se conservent 

mieux que les os et, d’autre part, elles ne sont pas sujettes à des remaniements post­

mortem au cours de la fossilisation.

Dans   un   travail   de   recherche,   les   caractères   discrets   sélectionnés   doivent   être 

indépendants  de  l’âge,  du sexe et  avoir  une  faible   fréquence :  c’est   le  partage de 

caractères   rares   au   sein   d’une   population   qui   permet   de   bien   la   cerner   et 

l’individualiser.

La présentation des fossiles d'Hominoïdes importants et de leurs caractéristiques 

morphologiques sera suivie des interprétations relatives à leur filiation.

Les principaux fossiles

Reconstituer l’histoire de l’Homme exige de connaître les différentes espèces qui 

y appartiennent. Pour y parvenir, les paléoanthropologues étudient  les pièces fossiles 

qu’il s’agisse de fragments squelettiques ou bien de traces d’activités (outils, foyers…). 

Mais,   comme   le   souligne   Catherine  PERLÈS,     les   pièces   squelettiques   posent   des 

problèmes complexes, mais fondamentaux, d’interprétation car :

­ Le développement du squelette dépend de l’âge, du sexe de l’individu, de son 

alimentation et des variations individuelles ;

­   l’élaboration   des   critères   spécifiques   doit   déterminer   à   partir   de   quels   ­ 

pourcentages  du squelette  on a le droit de déclarer une nouvelle espèce, 

­ l’établissement des limites de l’espèce, à partir du plus grand nombre de pièces 

variées doit être aussi rigoureux que possible ; 

­   la   comparaison   de   plusieurs   fossiles   peut   aussi   bien   prendre   en   compte   les 

ressemblances   que   les   différences.   La   méthode   cladistique   ne   s’occupe   que   des 

ressemblances : les homologies.

­ Les Hominoïdes primitifs

Les fossiles les plus anciens, connus par des dents et des fragments d'os, sont 

ceux de l'Oligocène du Fayoum en Égypte. Le caractère moderne de ces Primates est 

attesté   par   une   formule   dentaire   identique   à   celle   des   Simiens,   des   orbites   qui 

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s'ouvrent   nettement   vers   l'avant   et   non   plus   sur   les   côtés,   assurant   une   vision 

binoculaire,   un   museau   réduit   et   une   boîte   crânienne   plus   volumineuse. 

Aegyptopithecus est peut­être le plus proche de la souche des Hominoïdes.

Les   Dryopithèques   d'Afrique,   dont   les   formes   les   plus   connues   sont   les 

Proconsuls, ont des os crâniens assez minces. Comme leur denture ressemble à celle 

des Gorilles et des Chimpanzés, les chercheurs ont pensé qu'ils étaient leurs ancêtres. 

Or le bassin des Proconsuls présente dans sa partie supérieure, formée par les ilions, 

des caractères identiques à ceux des Cercopithécoïdes de l'Ancien Monde comme les 

Macaques ou les Babouins, alors que l'acétabulum, cavité du bassin où se loge la tête 

du fémur, est  large et peu profond comme celui  des Anthropoïdes,  c'est­à­dire des 

Grands Singes ; les Proconsuls possèdent donc à la fois des traits simiens et des traits 

plus évolués d'Hominoïdes. Ils peuvent tout aussi bien être très proches des formes 

ancestrales de la lignée des Hominoïdes qu'en faire partie.

Un   argument   tiré   de   l'observation   du   poignet   des   Proconsuls   lève   peut­être 

l'incertitude. Chez les Singes de l'Ancien Monde, une protubérance de l'extrémité du 

cubitus s'articule dans une fossette ménagée par deux os du poignet : le pisiforme et 

le pyramidal ; cette fossette n'existe pas chez l'Homme et les Anthropoïdes. Parmi les 

os de Proconsul découverts dans le site de Kaswanga, situé sur l'île de Rusinga au 

Kenya,  se  trouvaient  une main gauche et plusieurs échantillons de pisiforme et de 

pyramidal ;  le poignet  de Proconsul,  reconstitué  grâce aux travaux de Alan WALKER, 

M. TEAFORD et C. BEARD, est identique à celui des Singes cercopithécoïdes de l'Ancien 

Monde,  mais  il  est  dépourvu de  l'articulation caractéristique des Anthropoïdes.  Les 

Proconsuls présentent de nouveau un mélange de caractères de Cercopithécoïdes et 

d'Anthropoïdes. Ils sont donc un groupe proche des ancêtres communs aux Grands 

Singes  anthropoïdes  et  à   la   lignée  humaine  plutôt  qu'un  maillon  de   la   lignée  des 

Hominoïdes.

À la suite d'un rapprochement de l'Afrique et de l'Asie au Miocène supérieur, les 

Dryopithèques   se   sont   répandus   en   Asie,   donnant   naissance   à  Ramapithecus  et 

Sivapithecus. Ces genres très voisins de Proconsul possèdent des caractères qui les 

rapprochent  d'Hominidés :   les  incisives et  les canines sont  petites,   les prémolaires 

sont molarisées, la face est courte et l'appareil masticateur est adapté à l'écrasement.

Ces   formes,  qui   rappellent   les  Gigantopithecus  d'Asie   et   les   Orangs­outans, 

seraient   proches   des   ancêtres   de   ces   derniers.   On   ne   connaît   pas   de   formes 

miocènes apparentées aux Gorilles, aux Chimpanzés et aux Hommes, dont l'origine 

serait,  par conséquent,  plus récente.  Tous  les Hominoïdes sont  considérés comme 

des Anthropoïdes, tant qu'une tendance à la bipédie ou à la cérébralisation n'a pas été 

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prouvée. Les fossiles suivants justifient leur appartenance à la famille des Hominidés 

dans la mesure où l’une des deux tendances, au moins, apparaît.

­ Les Hominidés (la lignée hominienne)

Comme,   pour   la   plupart   des   naturalistes   et   des   profanes,   le   nom   « hominidés » 

(hominids en anglais) désigne clairement l’ensemble des genres Homo et de leurs plus 

proches parents (cf. supra) ; on utilisera ce terme pour simplifier la lecture et éviter de 

tomber dans des complexités taxinomiques inutiles ici.

 La dernière forme ancestrale incluse dans les hominidés est celle qui est à l’origine 

d’un côté de la lignée des Chimpanzés, nos plus proches cousins, et de l’autre côté 

aux hominidés, c’est­à­dire   à la lignée hominienne ; à l’heure actuelle, il s’agirait de 

Toumaï   (Sahelanthropus  tchadensis,  7   à   6   Ma)   et   non   plus   d’Orrorin  (Orrorin  

tugenensis, 6,1 à 5,7Ma).

Australopithecus

Si le plus vieil Australopithèque est Australopithecus anamensis (4,2 à 3,9 Ma), 

ce genre a été découvert pour la première fois en Afrique du Sud (1924), grâce au 

crâne de l'enfant de Taung, d'une espèce nommée A. africanus (3,5 à 2,5 Ma). Puis, 

toujours   en   Afrique   du   Sud   (1924),   est   exhumé  Paranthropus   robustus  dont   on 

retrouve en Tanzanie,  au Kenya et en Éthiopie des formes très proches baptisées 

A. boisei. Sur le site de Hadar, en Afar (Éthiopie), on découvre un genou complet qui 

permet  d'affirmer   qu’Australopithecus  avait   une  marche   bipède.  Mais   le  genre  est 

célèbre par  l'établissement très complet d'un squelette ancien, bassin féminin : une 

cinquantaine   de   pièces   squelettiques,   issues   de   plusieurs   individus,   ont   servi   à 

reconstituer un squelette baptisé Lucy, dont le nom scientifique est  A. afarensis  (4 à 

2,9 Ma). Découverte en 1974, également sur le site de Hadar, par Donald JOHANSON, 

Maurice TAÏEB  et  Yves COPPENS,  âgée de 3,2 Ma, Lucy présente  les caractéristiques 

suivantes :

­ une première pré­molaire inférieure non molarisée,

­ une mandibule robuste,

­ un bassin élargi et des membres inférieurs longs, preuves d'une bipédie acquise 

mais imparfaite.

Ces trois caractères montrent que les  Australopithecus afarensis  seraient une forme 

de transition conduisant à des Australopithèques plus évolués. On distingue, en effet, 

deux autres formes plus récentes d'Australopithèques :

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­ Les formes graciles, A. africanus, datant de 3 à 1,9 Ma. Les dents antérieures sont 

assez développées et les dents latérales réduites, indices d'un régime omnivore.

­ Les formes robustes,  A robustus  et A. boisei, datant de 2,3 à 1 Ma, constituent 

maintenant   le   genre  Paranthropus.   Les   dents   latérales   et   les   mâchoires   fortes 

témoignent   d'un   régime   végétarien.   Le   crâne   présente   des   superstructures   et, 

notamment, une crête sagittale.

La   figure 2.27   montre   les   crânes  de  ces  deux   formes  avec   les  mesures  de   la 

masse, de la taille et de la capacité crânienne.

La   position   systématique   de   ces   deux   formes   a   été   contestée.   En   effet, 

Australopithecus africanus  et  Paranthropus robustus  coexistent   souvent   dans   les 

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gisements. Pour certains paléoanthropologues,  il  s'agit  d'une seule espèce dont  les 

caractères   sexuels   expliqueraient   les   différences   ;   mais   comme   aucune   espèce 

vivante de Mammifères ne présente un dimorphisme sexuel aussi accentué, on pense 

maintenant qu'il s'agit de deux espèces différentes. Mais tous s'accordent pour donner 

à  A. africanus  un   autre   statut   :   il   serait   l'ancêtre,   à   la   fois,   des   formes   robustes 

spécialisées (P. robustus et  P. boisei) et du genre  Homo ;  les  A. afarensis dont Lucy 

appartiendraient à une branche voisine de celle des Hominidés. En 1975, toujours sur 

le site de Hadar,  les squelettes de treize individus ont été mis au jour. Enfin, entre 

1975   et   1978,   sur   le   site   de   Laetoli,   en   Tanzanie,   ont   été   découverts   vingt 

Australopithèques âgés de 3,6 à 3,8 Ma, ainsi que les traces de pas fossilisées de 

trois   Australopithèques   dans   des   cendres   volcaniques   ;   ces   traces   ont   permis   à 

Louis LEAKEY de confirmer leur bipédie (1978). La découverte, sur le site d’Aramis, dans 

la vallée de l’Awash en Éthiopie (1995), d’un fossile proche des Australopithèques : 

Ardipithecus   ramidus,  âgé   de   4,4 Ma,   repousse   encore   plus   loin   l’origine   des 

Hominidés ;  cependant on considère parfois ce genre plus proche   de la lignée des 

Chimpanzés que de la nôtre.

Découvert en 1999,  Kenyanthropus platyops (3,5 à 3,2 Ma) ­ représenté par 

une face, un orteil et des dents ­ pourrait être un ancêtre de la lignée humaine, mais 

l’existence du genre et de l’espèce est contestée car on ne possède qu’un seul fossile 

très partiel et déformé : une pièce unique est insuffisante pour définir un holotype, la 

déformation   empêche,   en   effet,   de   définir   avec   précision   les   caractéristiques   de 

l’espèce. 

L’apparition  du  genre  Homo  date  de   2,4  Ma  si   l’on   considère  Homo  habilis 

comme une  espèce  distincte  du genre  Australopithecus,  mais  si  Homo habilis  est 

inclus   dans   le   genre  Australopithecus,   alors   le   genre  Homo  apparaît   avec 

Homo erectus/H. ergaster  il   y  a  1,8  à   1,7  Ma.  Le  genre  Homo  se  distinguent  des 

Australopithèques par  leur capacité  crânienne toujours supérieure (fig. 2.27, 2.28 et 

2.29)   leur  crâne plus  globuleux et   leur   face réduite   ;  mais   la   limite entre  les  deux 

genres   est   incertaine,  d’autant   plus   que   des   critères   définissant   le   genre  Homo 

(volume   crânien,   outils,   dextérité   manuelle,   morphologie…)   varient   avec   les 

découvertes successives de nouveaux fossiles.  On distingue trois espèces principales 

du genre Homo : H. habilis, H.  erectus et H. sapiens qui représentent trois grades de 

l’évolution humaine.  Puis, au fur et à mesure des découvertes, la liste des espèces 

humaines   s’allonge :  Homo   antecessor,   H.   ergaster,  H. heidelbergensis,  

H. rudolfensis…  rendant   la   reconstitution   de   notre   lignée   de   plus   en   plus 

hypothétique ; sans compter l’énigme posée par l’espèce naine controversée :  Homo 

floresiensis  découverte en Indonésie (île de Flores).  Apparue il  y a 800 000 ans et 

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disparue  il  y  a 18 000 ans,  cette espèce d’un mètre de haut  possédait  un volume 

crânien de 400 cm3.

Homo habilis

Découvert  à  Olduvai   (ou Oldoway),  en Tanzanie,  par  Louis.  LEAKEY,  Phillip 

TOBIAS  et  John  NAPIER  en 1964,  cet Homme est âgé  de 1,8 Ma.  Il présente un front 

développé,   une   face   plane   et   des   dents   latérales   réduites,   indice   d'un   régime 

omnivore.  La   définition   de   cette   nouvelle   espèce   est   immédiatement   l’objet   de 

nombreuses critiques ;  en  particulier,  celles  concernant   les   limites  de sa  variabilité 

métrique sont jugées beaucoup trop floues : elles permettraient de distinguer le grade 

Homo habilis à la fois du grade Australopithecus, son prédécesseur, et du grade Homo 

erectus, son successeur. C’est pourquoi, l’année même de sa découverte et première 

description,   une   nouvelle   définition   est   proposée   et   acceptée   par   la   communauté 

scientifique (voir les articles « Avant le genre Homo » de José BRAGA et « Les premiers 

représentants du genre  Homo » de Sandrine PRAT  et  François  MARCHAL,  parus dans 

Origine et évolution des populations humaines, textes édités par O. DUTOUR, J­J. HUBLIN 

et B. VANDERMEERSCH, Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, Paris, 2005).

H. habilis marque une étape irréversible dans l'évolution de la lignée humaine, car il en 

possède déjà   toutes  les  tendances  :   réduction des canines,  bonne adaptation à   la 

bipédie et volume cérébral de 750 cm3  supérieur à celui des grands singes (400cm3). 

Son statut est indécis : il est parfois rangé soit avec les  Australopithèques, soit avec 

les Homo erectus.

Cependant, dans ce groupe, les chercheurs reconnaissent parfois deux espèces d’âge 

identique (2,4 à 1,6 Ma) :  Homo habilis sensu stricto et Homo rudolfensis  dont voici 

quelques caractéristiques : un prognathisme alvéolaire plus réduit, des incisives plus 

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grandes,   une   face   moyenne   plus   large,   un   os   zygomatique   plus   grand.   Homo 

rudolfensis  est   une   espèce   créée   en   1986   par   V.  ALEXEEV  à   partir     de   fossiles 

découverts près du lac Turkana anciennement Rudolf (Kenya), à Olduvaï (Tanzanie), 

à Koobi Flora (Kenya) et à l’Omo (Éthiopie) qui, jusqu’alors, était considéré comme un 

représentant à part entière d’Homo habilis.

Homo erectus

Homo erectus qui a vécu de 1,8 à 0,3 Ma est avant tout asiatique. Les premiers 

fossiles ont été découverts à Java, en 1890, par un médecin hollandais, Eugène DUBOIS 

qui a décrit le Pithécanthrope. Toujours en Asie, d’autres fossiles de la même espèce 

ont  été   trouvés  à  Java et  en Chine  (le  Sinanthrope).  Dès  1960,  on en a  trouvé  à 

Olduvaï,   en   Afrique   du   Sud,   au   Maroc,   en   Europe :   la   mandibule   de   Mauer   en 

Allemagne, l’occipital de Vertesszollos en Hongrie et l’Homme de Tautavel en France. 

À  partir  de   la  seule  observation  de   fossiles  asiatiques,  Franz.  Weidenreich  définit, 

entre 1936 et 1943, les caractéristiques du taxon qui deviendra au début des années 

1960 l’espèce  Homo erectus. Dans l'ensemble, les  H. erectus  les plus anciens sont 

africains, les plus récents sont asiatiques et européens ; mais on a découvert à Java 

un H. erectus de 1,6 Ma. Il semble y avoir un consensus au sujet d’Homo erectus qui 

désigne au sens strict les formes asiatiques qui présentent les mêmes apomorphies 

(caractères dérivés) et, au sens large, les formes asiatiques et les formes africaines : 

H. ergaster (2,2 à 1 Ma BP). De nombreux auteurs réservent le nom d’Homo ergaster 

aux   formes   africaines   plus   anciennes   et   primitives   qui   ne   possèdent   pas   les 

apomorphies les plus caractéristiques d’H.  erectus.  Homo ergaster  devient alors un 

ancêtre   potentiel   à  Homo   sapiens,   l’Homme   moderne,   qui   est   vraisemblablement 

d’origine  africaine.  Cette   conception  sera  discutée  à   propos  des   thèses   mono­   et 

polycentriques dans la section 4.4.3 : L’émergence de l’Homme moderne.

Le crâne, épais, présente un torus sus­orbitaire en visière. Les dents sont plutôt 

volumineuses, le menton est absent. Sur le bassin, le diamètre de l'acétabulum est 

assez élevé. Certains de ces traits anatomiques, comme l'épaisseur des os du crâne, 

n'existent   pas   chez   leurs   ascendants   présumés   et   n'apparaissent   pas   chez   leurs 

descendants présumés,   les Hommes modernes  :  H. erectus  aurait  donc développé 

des traits originaux.

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En fait, le crâne présente deux phases d’évolution. La première, de 1,9 à 1 Ma, est 

une   évolution   morphologique   lente.   La   deuxième,   nette   vers   500 000 ans,   montre 

l'apparition   de   caractères   modernes   dans   certaines   populations   d'Europe,   qui 

conduiront à les considérer comme les ancêtres proches des Homo sapiens.

Homo sapiens

Des  arguments   culturels  et   technologiques  ont   permis  de   regrouper  dans 

cette   même   espèce   deux   sous­espèces   :  H.   sapiens   neanderthalensis  (voir  les 

sections   1.3.2 :   « La   disparition   des   Néandertaliens »   et   4.4.3 :   « L'émergence   de 

l'Homme moderne ») et  H. sapiens sapiens, qui est l'Homme moderne représenté en 

Europe par l'Homme de Cro­Magnon, l’Homme de Chancelade, l'Homme de Grimaldi 

et l’Homme de Téviec. L'Homme moderne présente un crâne arrondi, une face droite 

et un menton. 

Si  H. sapiens  neanderthalensis  et  H.  sapiens  sapiens  sont   inclus  dans   le 

même taxon, ce sont alors deux groupes frères qui possèdent un ancêtre commun : un 

H. sapiens  archaïque chez  lequel  on devrait   retrouver  des traits  propres  aux deux 

sous­espèces. 

En revanche, s’il s’agit de deux espèces distinctes : H. neanderthalensis et H. sapiens, 

deux hypothèses s’affrontent :

­ selon les uns, leur ancêtre commun serait un  H. sapiens  archaïque de l’espèce 

Homo heidelbergensis ayant vécu de 600 000 à 200 000 ans (mandibule découverte 

en   1907   à   Mauer   près   de   Heidelberg)   qui   regroupe   des   formes   européennes   et 

africaines. 

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­   selon   les  autres,  H.  heidelbergensis  serait  une   forme ancestrale  de   la   lignée 

néandertalienne   tandis   que  H.   rhodesiensis,  sapiens  archaïque,   serait   celle   de   la 

lignée des Hommes modernes. Ayant vécu de 300 000 à 125 000 ans, H. rhodesiensis 

a  été découvert en 1921 à Broken Hill en Rhodésie.

À   partir   des   documents   fossiles,   les   chercheurs   ont   dégagé   trois   traits 

dominants, propres à la lignée humaine, qui sont, dans l'ordre chronologique :

1) La réduction de la denture.

2)  La station debout   :   les Hominidés marchent  debout  depuis  au moins 3,5 Ma, 

puisque les Australopithèques étaient bipèdes tout en menant une vie arboricole, 

comme semblent l'indiquer la longueur importante de leurs membres supérieurs, 

indice de brachiation, et la structure de leurs pieds.

3)   Le   volume   crânien   :  sauf   pour   les  Homo   floresiensis  (400cm3),   les   crânes 

d'Hominidés d’un volume supérieur à 750 cm3 apparurent seulement vers 2 Ma. 

Les parentés et les filiations établies ne sont jamais définitives : chaque nouvelle 

découverte fossile est susceptible de les remettre en question ;  la paléontologie se 

heurte à quelques difficultés spécifiques et les conclusions de la biologie moléculaire 

augmentent  parfois   la   confusion   générale.   Ces  différents   problèmes  sont   abordés 

dans la section suivante.

2.3.2 ­ Des filiations discutables

Les sources d'incertitudes quant aux filiations paléontologiques

En 1961, dans un article qui fera date en anthropologie, Elwyn SIMONS  attribue 

une mâchoire supérieure fossile à  un Hominidé.  Ce dernier,  baptisé  Ramapithecus, 

datant  du Miocène (25 à  5 Ma), repousse de 15 à  30 Ma l'apparition des premiers 

Hominoïdes.   Les   travaux   ultérieurs   de   E.   SIMONS  l'ont   conduit   à   la   classification 

suivante (fig. 2.30).

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Établir leur arbre généalogique a été difficile pour trois raisons :

1) La rareté des fossiles.

2) L'état fragmentaire des pièces fossiles.

3)   La   difficulté   parfois   de   distinguer   les   caractères   évolutifs   des   caractères 

adaptatifs à partir de documents partiels, comme c'est le cas, par exemple, de fossiles 

composés d’une mâchoire et de dents. Sans qu'il y ait parenté entre les fossiles, la 

convergence morphologique de la denture peut résulter de l'adaptation à un régime 

alimentaire  commun.  C'est  pourquoi   les propositions de filiation  évoluent  au  fil  des 

découvertes paléontologiques.

L'utilisation  d'autres  données,  notamment  génétiques  ou  moléculaires,  est  de 

plus  en plus  courante.  Ces nouvelles   techniques sont  conçues pour  compléter   les 

conclusions paléontologiques,  mais  aussi  pour  tenter  de s'affranchir,  en partie,  des 

documents fossiles trop rares. Cependant, elles mettent à mal, de temps en temps, 

l'ordre établi par la paléontologie.

Les nouvelles données de la biologie moléculaire

La  biologie  moléculaire   a  permis   de   revoir   la   classification   traditionnelle  des 

Hominoïdes, en particulier grâce à l'horloge moléculaire. Ainsi, en 1967, A. WILSON et 

V. SARICH  ont   établi   l'arbre   phylogénétique   et   les   périodes   de   divergence   des 

Hominoïdes (fig. 2.31). Selon leurs études, la séparation des Anthropoïdes africains et 

de l'Homme date seulement de 5 à 10 Ma. Cette conclusion, qui modifie la position de 

Ramapithecus,   ancêtre   présumé   des   Hominidés,   divise   les   biologistes   et   les 

paléontologues.

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La   découverte   d'un   Hominoïde  du   Miocène,  Sivapithecus,   très   proche   parent   de 

Ramapithecus,   calme   les   esprits.  Sivapithecus  partage,   en   effet,   de   nombreux 

caractères   avec   les   Orangs­outans,   dont   il   serait   l'ancêtre   ;   du   même   coup, 

Ramapithecus  quitte   la   lignée  des  Hominidés  pour   celle  des  Ponginés  asiatiques, 

conclusion admise également par E. SIMONS.

La biologie moléculaire a permis d'éclaircir les rapports généalogiques entre les 

Gorilles,   les   Chimpanzés   et   l'Homme.   Ces   trois   genres   sont   très   proches   ;   les 

anatomistes pensaient que l'appui sur les phalanges de la main pendant la locomotion 

(knuckle walking), propre aux deux Singes,  était  un argument décisif  pour  isoler   la 

lignée humaine de celle  des Anthropoïdes.  Mais  deux questions demeuraient  sans 

réponse :

1) Quel est, des deux animaux, le plus proche de l'Homme ?

2) Quelle est   la date de leur divergence respective dans la lignée conduisant à 

l'Homme ?

Selon les travaux sur l'hybridation de l'ADN de Charles SIBLEY et de Jon AHLQUIST 

(1984),   les  Gorilles ont  divergé  en premier   (entre 8 et  10 Ma),  avant   la  séparation 

Homme­Chimpanzé,   qui   se   situe   entre   6,5   et   7,7 Ma.   Les   résultats   obtenus   par 

d'autres techniques génétiques montrent  la même succession de divergences, mais 

l'intervalle de temps trouvé entre les deux séparations est rarement aussi long et les 

divergences semblent beaucoup plus récentes. Par exemple, les recherches sur l'ARN 

ribosomique de Maryellen RUVULO  indiquent que la première se serait produite il  y a 

4 Ma,   la   seconde   encore   plus   récemment.   Les   Chimpanzés   sont   donc   très 

probablement nos plus proches cousins et non les Gorilles.

La figure 2.32 résume les parentés probables des Hominoïdes, établies à partir des 

données   précédentes.   Les   positions   de  Ardipithecus   ramidus,  Australopithecus 

afarensis et africanus dans la lignée hominienne concernent plus des niveaux évolutifs 

(grades) possibles que des filiations (clades) encore plus incertaines et discutées.

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La lignée des Hominoïdes est un exemple instructif :

1)   Les   données   fossiles   sont   indispensables   et   irremplaçables   ;   mais   rares   et 

fragmentaires, elles sont d'interprétation délicate.

2) Les datations sont déterminantes pour établir une généalogie précise.

3) La biologie moléculaire peut apporter une aide précieuse aux préhistoriens. La 

biologie  moléculaire  aboutit  à  des  conclusions  variées  (voir  la  section 4.4.3 :  « Les 

races humaines »), qui confirment, complètent, voire contredisent parfois les filiations 

traditionnelles  issues de  l'anatomie comparée.  Cette disparité  dans  les conclusions 

peut discréditer leur bien­fondé et la fiabilité de la technique utilisée. Cependant, les 

techniques et les méthodes, qui n’ont cessé de s’affiner, deviennent de plus en plus 

fiables. Aussi, en plus de leurs propres arguments morphologiques, les paléontologues 

et les paléoanthropologues doivent­ils tenir compte des apports et des résultats de la 

biologie moléculaire.

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4) Les fossiles sont les seuls témoins objectifs de l'évolution et, dans ce domaine, la 

biologie ne peut s'affranchir complètement de la paléontologie. Souvent évoqué par les 

préhistoriens,   cet   argument   devrait  être,   à   l’avenir,   modulé.   Néanmoins,   E. SIMONS 

explique   que   son   changement   d'opinion   au   sujet   de   la   valeur   phylétique   de 

Ramapithecus n'était pas motivé par les données moléculaires, mais par la découverte 

du fossile de Sivapithecus. 

Les documents fossiles sont  parfois   inadéquats  lorsqu'il  s'agit  de comprendre 

l'évolution d'une  fonction,  par exemple  celle  du système cardio­vasculaire  chez  les 

Vertébrés, puisque les organes qui le composent disparaissent sans laisser de traces 

au   cours   de   la   fossilisation.   L'anatomie   comparée   d’animaux   actuels,   dont   l'âge 

d'apparition est supposé  connu, permet de saisir  l’évolution d’une fonction au cours 

des temps géologiques chez des lignées différentes.  Comme ces sujets  classiques 

sont amplement traités dans les livres d'anatomie comparée, ils ne le seront pas ici.

L'embryologie comparée, qui s'est développée au XIXe  siècle,  a pris dans les 

théories évolutionnistes une place assez importante pour justifier son traitement dans 

la section suivante.

Bibliographie de la section 2.3

Livres

BEAUMONT   A. et  CASSIER   P. ,  Les Cordés, anatomie comparée des Vertébrés, Paris, Dunod, 1972.

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HUBLIN  J.­J.   et   TILLIER  A.­M.   (dir.),  Aux   origines   d’Homo   sapiens,   Paris,   Nouvelle Encyclopédie Diderot, PUF, 1991.

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VANDERMEERSCH   B., Les Hommes fossiles de Qafzeh (Israël), Paris, CNRS (Cahiers de paléontologie ), 1981.

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Articles

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