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-225- No 4764. - La distribution de dividendes intercalaires par les sociétés commerciales. I. - Certaines sociétés commerciales exercent une activité qui suppose une période cl' établissement plus ou moins longue pendant laquellle elles doivent construire des usines, des lignes de chemin de fer, creuser des mines ou des canaux, mettre sur pied les tions qui. seront indispensables à I' exploitation. T e:l est Ie cas des sociétés minières, des sociétés qui exploitent des centrales électriques, des usines, etc. considérer que, pendant cette période préparatoire à l' exploitation proprement di te, les actionnaires ou les associés ne peuvent jamais percevoir de rémunération pour leurs apports ou bien est;..il possible de leur attribuer, dès Ie début, un dividende ou \ln intérêt que I' on qualific parfois cl'« intercalaire »? ·Si I' on répond affirmativement à cette dernière question, les sont éventuellement les conditions de forme et de fond qui doivent entourer la distribution de ce dividende intercalaire? aller plus loin et prévoir que des intérêts fixes seront distribués aux actionnaires ou associés même au delà de la période d'installation, par exemple jusqu' au moment OU r exploitation sera devenue rentable ou même sans aucune limite de durée, et alors que la société réa;lise aucun bénéfice? Cès questions, que nous nous proposons cl' examiner brièvement ici, ne sont pas théoriques; elles semb'lent avoir suscité ces derniers temps un regain d'intérêt, en raison du désir de certaines sociétés de réunir des capitaux destinés à la construction d'installations qui ne seront rentables qu' à plus ou moins longue échéance et de la réticence du public à investir des fonds sans rapport immédiat. 2. - La solution de ces questions intéresse toutes les soeiétés commerciales, encore que, récemment, elles se soient posées sur· tout, pour les sociétés par actions faisant ment appel à I' épargne. La jurisprudence française ancienne, à laquelle nous ferons sion plus loin, s' est élaborée à propos de la distrihution d'intérêts fixes dans les sociétés en commandite. Mais, pour toutes les sociétés commerciàles, il est de p:dncipe que les dividendes distribués aux associés doivent être prélevés No 476.4 15 .._p, 'l .l I I ' ..J.'_..;,/ L

4764. - La distribution de dividendes intercalaires par les sociétés … · -225-No 4764. - La distribution de dividendes intercalaires par les sociétés commerciales. I. - Certaines

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    -225-

    No 4764. - La distribution de dividendes intercalaires par les sociétés commerciales.

    I. - Certaines sociétés commerciales exercent une activité qui suppose une période cl' établissement plus ou moins longue pendant laquellle elles doivent construire des usines, des lignes de chemin de

    fer, creuser des mines ou des canaux, mettre sur pied les installa~

    tions qui. seront indispensables à I' exploitation. T e:l est Ie cas des sociétés minières, des sociétés qui exploitent

    des centrales électriques, des usines, etc.

    Faut~il considérer que, pendant cette période préparatoire à

    l' exploitation proprement di te, les actionnaires ou les associés ne peuvent jamais percevoir de rémunération pour leurs apports ou

    bien est;..il possible de leur attribuer, dès Ie début, un dividende ou

    \ln intérêt que I' on qualific parfois cl'« intercalaire »? ·Si I' on répond affirmativement à cette dernière question, quel~

    les sont éventuellement les conditions de forme et de fond qui

    doivent entourer la distribution de ce dividende intercalaire?

    Pourrait~on aller plus loin et prévoir que des intérêts fixes seront

    distribués aux actionnaires ou associés même au delà de la période

    d'installation, par exemple jusqu' au moment OU r exploitation sera devenue rentable ou même sans aucune limite de durée, et alors

    que la société nè réa;lise aucun bénéfice?

    Cès questions, que nous nous proposons cl' examiner brièvement ici, ne sont pas théoriques; elles semb'lent avoir suscité ces derniers

    temps un regain d'intérêt, en raison du désir de certaines sociétés

    de réunir des capitaux destinés à la construction d'installations qui

    ne seront rentables qu' à plus ou moins longue échéance et de la

    réticence du public à investir des fonds sans rapport immédiat.

    2. - La solution de ces questions intéresse toutes les soeiétés

    commerciales, encore que, récemment, elles se soient posées sur·

    tout, croyons~nous, pour les sociétés par actions faisant publique~

    ment appel à I' épargne. La jurisprudence française ancienne, à laquelle nous ferons allu~

    sion plus loin, s' est élaborée à propos de la distrihution d'intérêts fixes dans les sociétés en commandite.

    Mais, pour toutes les sociétés commerciàles, il est de p:dncipe que les dividendes distribués aux associés doivent être prélevés

    No 476.4 15

    .._p,

    'l .l ~J I I ' ..J.'_..;,/ L

  • -226-

    sur les bénéfices réels ( 1 ) , ou, selon certains auteurs, sur les béné-fices nets et réels ( 2 ),, et le.s principes que nous aurons à examiner gouvernent. clone aussi bien les sociétés de perso~~es que .les ~ociétés par actions OU les sociétés mixtès.

    11 convient, bien entendu, de distinguer les intérêts ou dividen·

    dès intercalaires que nolis étudio~s ici, - et qui ~ont alloués même en 1' absence de bénéfices, - des acomptes parfois attribués aux actionnaires d' une société, à valoir sur les dividend es votés en fin d' exercice, que ·r on qualifie parfois aussi d' « intercalaires ». Ces acomptes supposent taujours la présence de bénéfices. Les ques-

    tions que suscite 1' examen de la licéité de ces acomptes sont distinc-tes de celles que nous devrons tenter de résoudre ici ( 3).

    Les clauses d'intérêts intercalaires ou d'intérêts fixes se distin-

    guent également des dispositions prévoyant l'allocation d'un divi-dende récupérable, par lesquelles on reconnaît à certains actionnaires Ie droit à un dividende d'un taux déterminé, maïs dans la mesure des bénéfices réalisés; les droits des actionnaires bénéficiant de eet

    avantage sant reportés aux exercices ultérieurs si les bénéfices réaH-

    sés pendant un exercice ne permettent pas l' allocation du dividende

    prévu ( 4 }.

    3. - Le droit positif français a consacré la validité, pour les

    sociétés à responsabilité limitée, des clauses autorisant la distribu-tion aux associés d'un intérêt fixe, même en l'absence de bénéfices,

    mais aux conditions suivantes : la clause doit être formellement

    prévue dans les statuts, être mentionnée dans 1' extrait pub:lié et ·être inscrite au registr~ du commerce; la faculté de distribuer un intérêt fixe est temporaire; l' acte de société doit indiquer pendant combien de temps la société se propose d' allouer eet intérêt et ce

    Iaps de ternps ne peut être supérieur à la période nécessaire à l' exécution des travam~ indispensables pour permettre à la société

    (1) VAN RYN, Principes de dt·oit commet·cial, t. Jer, n°3 4II et 441. -HAMEL et LAGARDE, Traité de droit commercial, t. Jer, n° 469. - Sur la distribution de dividendes fictifs dans' lès sociétés en nom collectif : ESCARRA et RAULT, Les sociétés cot1tnterciales, t. Jer, nos 251 et 253 ..

    (2) FREDERICQ, Tmité. de droit commercial belge, t. IV, n° 236. (3) Sur les acomp'tes sur dividend•es voy. : R. HENRION, «La distribution

    de dividendes intercalaires dans les sociétés anonymes >), A mi·. N ot., 1952, p. I8s. - GILSON de ROUVREUX, «De la distribution de ,dividend es intérimaires », cette Revue, 1951, n° 4210, p. 123. - VAN RYN, op. cit., t. Jer, no 479·

    (4) FREDERICQ, op. cit., t. IV, no 346, p. 533. - GILSON de ROUVREUX, étude dans cette Revue, 1937, n° 3618, p. III. .,.

    No 4764

  • -227-

    de cammeneer son exploitation; Ie montant des intérêts ainsi payés

    est compris dans les frais de premier établissement et doit être

    amorti au cours des années bénéficiaires, dans des conditions à indiquer dans :les statuts ( 5).

    D' autres lois étrangères ont également consacré la validité des

    clauses d'intérêts_ fixes tout en les réglementant.

    Ainsi I' artiele 54 de la loi allemande du 30 janvier 193 7 sur les sociétés par actions commence par affirmer Ie principe : « Seul Ie

    bénéfice net résUJltant du bilan annuel pe'ut être réparti entre 'les

    actionnaires; il n'est permis ni de promettre ni de payer des inté-

    rêts », mais prévoit ensuite une exception pour la période ·prépara-

    toire à I' activité proprement di te de la société : « Pour la période nécessaire aux travaux préparatoires de I' entreprise et jusqu' au cammencement de sa pleine activité, un intérêt d'un montant déter·

    miné peut être consenti aux actionnaires; les statuts devront prévoir

    la date ultime de la cessation du paiement des intérêts » ( 6). En Grande-Bretagne, I' on considérait traditionnellement la dis-·

    trihution d'un dividende intercalaire comme contraire au principe

    selon lequel une société ne peut distribuer de dividendes que préle-

    vés sur ses bénéfices. En raison de l'inconvénient résultant de

    l'application stricte de cette règle, Ie Companies Act de 1907, puis Ie Companies Act de 1948 ont autorisé le paiement de divi-dendes intercalaires, mais aux conditions strictes prévues par l' arti-ele 65 : la somme payée peut être comprise dans Ie coût de

    construction des biens immobilisés; la disposition doit être prévue

    spécialement dans Jes statuts; les paiements doivent être soumis

    à I' approbation du Board of T rade; celui-ei peut, désigner une per-sonne chargée d' exami.ner, aux frais de la société, les conditions

    de ce paiement; les intérêts sont distribués pendant la période que

    détermine Ie Board of T rade et ne peuvent être alloués au delà

    de la fin du semestre suivant Ie se~estre pendant lequelles travaux

    ont été achevés; Ie taux ne peut excéder 4 % ou tout autre taux que fixerait 1le Trésor; Ie paiement de l'intérêt n' est pas considéré

    comme un remboursement partiel de la mise ( 7).

    (5) THENARD, «De la validité de la clause d'intérêts fixes payables en eas d'.absenee de bénéfiees, Journ·. soc., 1939, p. 193· - RIPERT, Droit commercial, nP 868. - ESCARRA et RAULT, op. cit., t. Jer, no 471. - HAMEL et LAGARDE, op. cit., n° 815. - Artiele 34 de la loi du 7 mars 1925.

    (6) DUROUDIER et KUHLEWEIN, «La loi allemande sur les soeiétés par actions », p. 6o, à qui nous empruntons la traduetion de I' artiele 54 de 1' Aktien-ges'etz.

    (7) Voy. PALMER'S, 19e éd., pp. 208 et 495.

    No 4764

  • -. 228_ -·

    L'article 676 du C. 0. suisse permet également d'assurer aux

    actionnaires une ré_munération fixe pendant la période intercalaire

    et seulement jusqu'au moment de la mise en exploitation normale

    de la société. Les statuts doivent préciser Je· montant des intérêts

    et Ie moment ou ils cesserout d' être dus. C~s intérêts seront portés

    au débit du compte dïnstallation. n ne peut être prélevé, en dehors des intérêts intercalaires ainsi autorisés, aucun intérêt sur Ie capital

    social.

    L' examen rapide du droit comparé permet clone de constater

    que plusieurs droits occidentaux admettent le principe d'intérêts

    intercalaires, tout au moins pour certaines sociétés, mais en même

    temps, se montrent très rigoureux dans la réglementation de ceux-

    CI et souci~ux d' éviter des abus.

    Quelle est la situation dans notre droit positif?

    4. - En France, la controverse sur la va;lidité des clauses auto-

    risant la distribution d'un intérêt fixe aux actionnaires ou associés

    est beaucoup plus ancienne que la loi du 7 mars 1925 et la si1fli-litude des législations de nos deux pays rend I' examen de la juris-prudence et de la doctrine françaises intéressant pour la question

    qui nous occupe.

    Si actueHement b jurisprudence et la doctrine françaises sont pratiquement unanimes à admettre la licéi!té des clauses ,d'inté-

    rêts fixes, encore les auteurs et les Cours et Tf ribunaux sont-ils loin d' être d' accord sur les conditioris et les limites, de la validité de

    ces clauses. La Cour de cassation de France, dans un arrêt de principe du

    8 mai 186 7 ( 8), confirmait une jurisprudence déjà esquissée dans un arrêt du 19 mai 184 7 (9) et déclarait va.lable, indépendam-ment de toute publicité, la clause des statuts d'une société en com-

    mandite autorisant les associés commanditaires à percevoir, même

    en 1' absence de bénéfice, un intérêt fixe, considéré comme une charge sociale. Le syndiC: de la faillite de cette société ne pouvait

    clone, suiv:ant eet arrêt, 'répéter les sommes ainsi payées aux com-

    manditaires avant la faillite. Cette jurisprudence a été confirmée

    notaroment par un arrêt du 8 mars 1,881 ( 1 0). Maïs la. Cour a modifié ensuite sa jurisprudence, suscit~nt d' ail-

    (8). D. P., 1867-I~:r93 et. note BEUDANT; S. I867-1·2S3· (9) D. P., 1847-I-199; s. 1847-I-sBs. (10) S., 188I-I-257 et note DEMANGEAT.

    No 4764

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    leurs des commentaires assez passionnés et généralement peu favo-

    rables. Un arrêt du 7 novembre 1899 décidait que des intérêts fixes perçus par des associés commanditaires en I' absence de béné-fices devaient être restitués au syndic de la faiHite de la société

    pour la raison que, dans Ie cas d' espèce, les statuts de la société

    ne prévoyaient pas expressément que les intérêts seraient consi·

    dérés comme des frais généraux { 11) : Ie paiement de ces intérêts d.evait alors être considéré comme un remboursement irrégulier

    de la mise. Un arrêt du 15 novembre 1910 a tenté de concilier les arrêts antérieurs en indiquant que, suivant les cas, la clause d'inté-

    rêts fixes peut simplement faire naître. une charge sociale dont les

    tiers doivent supporter l'incidence indépendamment de toute publi-

    cité ou au contraire peut entraîner une restitution du capita! social,

    opposable aux créanciers si les conditions de forme prévues pour

    cette opération sont réunies {12). Deux :arrêts ultérieurs, des 5 mai

    1915 et 18 janvier 1939 ( 13) rep~;ennent cette distinction et sero-bient avoir réalisé la paix judiciàire, encore que les auteurs persis-

    tent à critiquer cette distinction.

    5. - La doctrine ne s' est pas rendue sans luttes et celles-ei

    subsisten't malgré I' accord qui s' est réalisé sur la licéité de principe des clauses d'intérêts. fixes.

    C' est THALLER qui mena ~e plus vigoureusement Ie combat en

    faveu~ de la validité de la dlause, notamme1,1t dans un artiele puhlié au J ournal des Sociétés et une note au Dalloz ( 14) .

    . Alors. que les auteurs antérieurs, et notaroment TRaPLONG { 15) considéraient Ie paiement des intérêts comme assimilable à un ~et~ait partiel de ·la mise mais admettaient la licéité du procédé si qa clause était publiée et portée ainsi à la connaissance des tiers, THALLER critique cette conception .qui, s~lon Ici, devait c~nduire

    ' (n) D; · P., 1900-l·369 et note THALLER; S., 1901·1·513 et note W AHL. (12) D.P., 1912·1·97 et note PERCEROU; S., I9II·1-6 et note LYON-CAEN. (13) D. P., I92o-l-42; S., i919-I-6s et note LYON-CAEN. - S., I939·1·I4I.

    - Sur ce que la paix judiciaire est adtuellerilent établie en jurisprudence voy. RIPERT, op. cit., n° 776. _;_ HAMEL et LAGARDE, op. cit., n° 469. -HOUPIN et BOSVIEUX,. Tmité des sociétés, 7e' éd., t. 11, nP 1338 et les notes critiquant la jurisprudenëe ·.de la Cour de cassa·tion. - MOLIERAC, «De Ia clause d'intérêts fixes dans les sociétés en commandite», Rev. des Soc. (fr.), 1938, pp, 113 et suiv.

    (14) «De la clause de répartition d'intérêts à :défaut de bénéfices dans les sociétés de commerce», Journ. soc., 1884, pp. 171, 391, 465, 571. - Note au D.P., 19oo-I~369. · ·

    (15) Des sociétés, t. Ier, nP8 191 et 192.

  • 230-

    ses partisans à co nelure à la nullité de la clause plqtót qu' à sa

    validité. Cette explication au surplus ne correspond pas à l'inten-tion des parties : cehii à qui la société paie des intérêts fixes entenä

    percevoir ainsi un revenu et non point recevoir Ie remboursement" d'une partie de sa mise, qu'il ~ntend reprendre ultérieurement à sa pleine va:leur. Maïs, suivant Ie savant auteur, la clause, s'analy-

    sant en un paiement d'intérêts fixes, c' est-à-dire de revenus, serait valable et ne comporterait rien d' essentieHement contraire au

    contrat .de . société. L' associé continue à participer aux pertes, aux-

    quelles sa mise demeure soumise. Le capita! n' est pas entamé puis-

    qu' il est maintenu à son montant nominal et que la société ne pour-

    ra distribuer de bénéfices (au tres que les intérêts fixes) avant d'avoir éventuellement reconstitué un actif social net équivalent à son montant. La clause fait' naître pour la société des charges qui,

    sont comptabilisées comme telles, ce qui ne suppose aucune publi-cité particulière. Les intérêts perçus par les associés diminuent

    d'ailleurs d'autant la valeur des bénéfices que ceux-ci percevront

    ultérieurement (16). THALLER estime cependant qu'en cas de fail-

    lite de la société, les actionnaires, créan~iers d'intérêts, ne pour-. raient venir en concours avec les autres créanciers sur :le patrimoine

    social; ces derniers bénéficieraient ainsi ,d'un privilège, qui pourrait

    être assimilé au privilège à raison des frais faits pour la conser-

    vation de la chose ( 1 7). Divers auteurs refusèrent de se ranger à cette argumentation.

    BEUDANT ( 1 8), 0EMANGEAT ( 1 9), BOlSTEL ( 2 0), RoDOLPHE-RoussEAU { 21) estimaient que la clause autorisant la distribution

    d'intérêts fixes, même en l'absence de bénéfice, est nulle bu, à tout Ie moins inopposable aux tiers. lis soulignaient que les associés

    ( 16) THEN ARD ( ét. citée) a même soutenu que les intérêts fixes étaient parfaitement lidites puisqu'ils ne constituaient en somme qu'une avance sur des bénéfices à venir et que la société s~e trouvait obligée de reconstituer son actif avant -de distribuer des bénéfices proprement dits. C'es~t ou:blier, nous semble-t-il, que la prohibition de la distdbution de dividendes fictifs est surtout destinée à protéger les tiers, et que Ie bénéfice sur lequel les dividendes doivent être prélevés doit exis,ter au moment du prélèvement.

    (17) Opinion qui est partagée par tous les 11uteurs qui admettent la validité de la clause, encore que généralement ils ne cherchent pas à lui donoer une justification juridique. Voy. LYON-GAEN et RENAULT, loc. cit., n° 556.

    (18) Note D.P., r867-I·I93· (19) Note S., r88r-I-257. J . (20) Sociétés, n,O 249. Voir aussi : DE COURCY, Les sociétés anonymes,

    p, rs6. - BEDARRIDE, Dt·oit CO'mmet·cial. I, 11° 224. (21) Thèse que !'auteur a abandonnée ultérieurement en raison de Ia fixation

    de la jurisprudence en sens contraire : voy. se éd. t. Jer, n° 1442.

    No 4764

  • -231-

    d'une société commerciale sont nécessairement rémuneres par un

    dividende, même si, abusivement, I' on appelle ce dividende intérêt et que toute distrihution de dividendes prélevés sur Ie capital social

    est interdite par la loi. C' est par un artifice comptable que I' on prétend ranger ces intér~ts parmi les charges socia!les, alors qu'il

    ne s'agit nullement d'une dépense effectuée pour l'exploitation,

    mais de sommes payées aux associés comme te1s. Ces paiements

    aboutissent en réalité à un remboursement de I' apport sans que soient réunies les conditions requises pour qu'un tel remboursement

    puisse être effectué. Pour ces auteurs, les intérêts ainsi payés sont

    des dividendes fictifs. lis souligneut Ie danger que ces pratiques

    font courir aux tiers : alors que les créanciers s'engagent en fonc~

    tion d'un capital donné, qui doit constituer leur gage, ils se trou·

    vent en réalité devant un actif constamment diminué au profit des

    associés.

    Chose étrange, la plupart des auteurs et des décisions semblent

    aujourd'hui s'accorder à reconnaître que ces arguments sont erro~ nés ( 2 2). lis nous paraissent au contraire absolument détermi~

    nants.

    6. - Les auteurs frP:nçais ont cependant senti combien I' admis~ sion sans réserves de la clause d'intérêts fixes e'st qangereuse et

    contraire au principe selon lequel les dividendes ne peuvent être

    préle~és 'sur Ie capita!.

    Les uns, tout,en constatant ce danger, estiment cependant devoir

    admettre ~Ia vali:dité de la clause d'une manière absolue et sans

    limite ( 2 3). D' autres, tentant de justifier la jurisprudence de la Cour de

    cassation, estiment qu'm, faut avoir égard à la manière dont les actionnaires ou associés comprennent eux~mêmes Ie fonctionne~

    ment de la clause. Si elle constitue à leurs yeux une « réduction déguisée du capita! social », ,e},}e doit être publiée: Si en revanche,

    1les intérêts con~tituent une charg«:f1 soci:ale, ce qui se traduit par leur comptabilisation dans les frais généraux, la clause est valable

    mê~e sans publicité ( 24).

    (22) Voy; i1rdra notes 23 et suiv. (23) THALLER, op. cit., supra note 14· - PONT, Sociétés, n° 1456.

    VA VASSEUR, Tmité des sociétés, 6e éd., t. Jer, n°5 s6o à 562. (24) Gette distinction est proposée avec prudenee par PERCEROU, note au

    D.P., 1912, p. 97· - Elle est combattue par THALLER et PIC, loc. cit. Voy. aussi ESCARRA et RAULT, op. cit., t. Jer, n° 254.

    N° 4764

  • -232-

    D' autres soutiennent que la clause est valable mais doit en toute hypothèse être publiée ( 2 5).

    D'autres enfin estiment que la cl:ause n'est vala:ble que pendant - la période d'installation (26), ou que les intérêts ne peuvent être

    distribués que dans la mesure ou I' actif social est supérieur au passif exigible ( 2 7), ou · encore subord~nnent la validité de la clause pour toutes les sociétés à la réunion des conditions prévues par la loi pour les sociétés à· responsabilité limitée ( 28).

    7. -,- Il nous paraît que la validité de principe des clauses d'inté~

    rêts fixes, distribuables même en I' absence de tout bénéfice, ne peut être acceptée.

    On a dit que la question ne soulève pas de difficulté si les

    intérêts sont dis.tribués alors qu' en fait il existe des bénéfices et qu' en pareil cas ces intérêts représentent simplement un dividende

    minimum ( 2 9). Encore faut·il souligner qu' en toute circonstance

    ces prétendus intérêts sont en réalité des dividendes. lis doivent

    être comptabilisés comme te~s et non être considérés comme des charges soeiales, à peine pour les auteurs du bilan et du compte des profits et pertes de se voir reproeher d' avoir dressé des comptes

    qui ne reflètent pas exactement la. situation de la société. Dans

    les sociétés par actions, ils ne seront ·dus qu' à ·la suite du vote de I' assemblée générale, alors qu' au contraire la clause d'intérêts fixes confère aux bénéficiaires de ces intérêts la quaiTité de créancier.

    11 nous paraît certain d' autre part que la clause ~u torisant I' allo~ cation aux actionnaires ou associés d'un intérêt même en l'absence

    de bénéfices est nulle.

    (25) THALLER et PIC semblent peneher en ce sens, plutot par souci de conseiller la prudenee aux praticiens·, 2 9 éd., t. II, n'08 n82 à n84. - LYON-CAEN et RENAULT. t. II, n° 557· - RIPERT, nos 776 et r356 mais non sans hésitations. - ESCARRA et RAULT, · t. Jer, note 2, p. 527. --'- HOUPIN et BOSVIEUX, 79 éd., t. II, n° r338. - LACOUR et BOUTERON, n° 406. -HOUPIN, note au Jour11. soc., rgr2, p. r67. - MOLIERAC, étude citée dans Rev. des Soc. (fr.), 1938, p. 113.

    (26) ARTHUYS, Traité des sociétés commet·ciales, 3-a éd., t. Jer, n° 478, qui, après avoir vigoureusement critiqué l'opinion suivant laquelle la clause serait valable, l'admet cependant à titre d'« expédient » pendant la période de consti-tution. - MOREAU, Sociétés am;on·ymes, t. Jer, n° 39, p. 57 eflles réf. -V AVASSEUR, op. cit., n10 562, considère que la clause est «en tout cas vala-bie » si elle est conclue pour la période de constitution. ·

    (27) HAMEL et LAGARDE, op. cit., fiiO 469 et les rél. à certaine jurispru-dence. - Cette exigence paraît difficile.ment iustifiable. en droit positif et trahit l'embarras ou se trouvent les tenants de l'opinion suivant laquelle la clause serait valable.

    (28) THENARD, étude citée au Journ. soc., I939, pp, I93 et suiv. (29) ESCARRA et RAULT, t. Jer, n° 47r.

    N° 4764

  • -233-

    c· est à juste titre que les auteurs de la loi de 1-8 7 3, et par~ ticulière.ment PIRMEZ dans son rapport ( 30), insistent sur la

    distinction à faire entre les associés et les prêteurs. Les premiers sont essentieHement soumis aux risques de 1' entreprise, tandis que les autres sont créanciers de l'intérêt de l'argent qu'ils prêtent.

    Les clauses d'intérêts fixes ont pour effet de soustraire les associé~

    aux risques de r entreprise, dans la mesure des intérêts qui sont alloués, queUe que soit la manière dont ces intérêts sont comptabi~

    lisés.

    Les intérêts distribués même en I' absence de tout bénéfice sont nécessairement prélevés sur Ie capital, ou, plus exactement, sur

    I' avoir social net, qui devient ainsi inférieur au montant du capital social nominal. L' on est surpris de constater qu'une vérité appa~

    remment aussi évidente ait pu être mise en doute ( 3 1 ) .' Certes, ains.i que l'indique THALLER, la distribution des intérêts prélevés

    sur I' avoir social n' entraîne aucune réduction du capita! socia~, puisque celui~ci reste fixé à sa valeur nominale. Mais elle entraîne

    une diminution de I' avoir social net, que la distrihution a pour effet de ramener en dessous de la valeur nominale du capita1 sociaL

    C' est précisément cel a que 'la loi entend prohiber ( 3 2). Le même

    principe existe d' ailleurs en droit français ( 3 3).

    On considère en effet que toute distribution de dividendes. qui

    aurait pour effet de faire descendre I' actif social net en dessous de la valeur du capita! social s' analyserait en une restitution par~ tielle qu totalle de la mise au détriment des tiers dont cette mise

    constitue le gage. L' on aperçoit mal comment la seule qualification

    d'intérêts et Ie mode, de comptahilisation pourraient modifier la

    nature de I' opération et la rendre licite. L' on n' aperçoit pas davantage comment, ainsi que Ie soutien~

    nent certains auteurs français, la mise resterait soumise aux risques

    soc1aux pour la raison que les sommes payées seraient, dans l'in~

    tention des parties, un véritable intérêt, puisque eet intérêt est

    (30) GUILLERY, Commentaire législatif, -11, n° 33 et n° 89. (31) L'on peut d'ailleurs se demander si les confusiQn:s rencontrées en cette

    matière en doctrine et en jurisprudence françaises ne próviennent point d'un manque de précision dans la. ·distinction entre les concepts d'avoir social et de capital social. . ·,

    (32) Sur ces questions, voy. notamment J. G. RENAULD, «La notion de capital social dans les sociétés· par actjons et l'article 15, par. 2, des lois doordon-nées d'impóts », Revue, 1956, p. 261. - J. VAN RYN et P. VAN OMME-SLAGHE, «Examen de jurisprudence sur les sociétés commercial es », Revue crit. de jurisp1·. bel., 1958, p. 73, n° 19 et les réf.

    (33) HOUPIN et BOSVIEUX, t. 11, n° 1336. - HAMEL et LAGARDE, n°5 469 et 730 et les réf.

  • -234-

    prélevé sur cette mise el'le~même avec comme effet, à notre avis incontestable, de la faire sortir du patrimoine social pour la resti~

    tuer en tout ou en partie aux associés ( 34). Si, ainsi que I' admet~ tent la plupart des auteurs franç~is, la clause peut sortir ses effets indéfiniment, les tiers peuvent ·se trouver en présence d'Une société

    dont I' actif sociall net sera réduit à rien, par suite du seul paiement des intérêts.

    Nous crayons donc que les administrateurs ou gérants de socié~

    tés qui procéderaient à la distribution d'intérêts fixes en l'absence de tout bénéfice s' exposeraient aux sanctions qui happent la distri~

    bution de dividendes fictifs (lois coord. art. 205). En France,

    cette sanction est généralement écartée parce que l'infraction de

    distribution de divi·dendes fictifs suppose la mauvaise foi et que

    I' on considère que I' application d' une clause des statuts exclut la mauvaise foi dans Ie chef des gérants ou administrateurs.

    L'infraction suppose d'autre part une distribution « sans inven~ taire » ou « au rnayen d'inventaires frauduleux », ce qui n' est généralement pas Ie cas (35). En Be~gique, en revanche, Ie délit

    de distribution ·de dividendes fictifs ne suppose pas nécessairement

    la mauv:aise foi (36) et il existe lorsque la distribution est opérée « malgré des inventaires », même si ceux~ci ne sont pas fraudu~ leux (37).

    8. - D' autres auteurs français, tout en reconnaissant que la

    distribution d'intérêts fixes même en l'absence de bénéfices se

    traduit par une restitut~on d'une partie de la mise, soutiennent que

    cette restitution, prévue dès I' origine dans l~s statuts, et portée à la connaissance des tiers est dès lors licite (38).

    Rien ne nous paraît moins exact. La prohibition de la distribu~

    ti~n de dividendes pré'levés sur Ie· capital social intéresse I' ordre public et aucune disposition statutaire ne peut y déroger (39). Si

    (34) Voir Rapport PIRMEZ, loc. cit. (35) THENARD, étude citée. - LYON-CAEN et RENAULT, op. cit.,

    note 4, p. 390. - Sur Ie délit de distribution de dividendes fictifs : HAMEL et LAGARDE, op. cit., n° 730.

    (36) GUILLERY, op. cit., 11, no 88. - VAN RYN, t. Jer, n° 778. - FREDE· RICQ, t. V, n° 789.

    (37) GUILLERY, loc. cit. - Comp. HENRION, étude c:itée, Ann·. n•ot., 1952, p. 187. '

    (38) Telles sont les thèses soutenues par TROPLONG, MOLIERAC, ARTHUYS, loc. cit. supra.

    (39) Rapport PIRMEZ, loc. cit., n° 89.- PASSELECQ, Novelles, no 2874.-RESTEAU, S. A., no 1560.- FREDERICQ, t. V, n° 546.- Rép. prat.· dr. bel., V0 S. A" ·0° 1999.

    No 4764

  • -235-

    une société entend restituer à ses actionnaires ou associés une partie de leur mise, elle peut Ie fair~, mais en respectant les conditions de

    fond et de forme prévues par la loi pour ces opérations, qui ne peu~

    vent jamais avoir pour effet de ramener 1' actif social net en dessous du capita!l social nominal.

    Nous devons donc en condure que 1' on ne saurait admettre qu'une société alloue des intérêts fixes en !'absence de bénéfices,

    fût~ce en vertu d'une clause des statuts l'y autorisant, que ce soit

    . pendant la période de constitution de 1' entreprise ou lorsque celle·ci est en exploitation. C' est à juste titre que la doctrine beige ( 40) et, sous réserve des précisions indiquées ci~dessous, la jurispru~

    dence beige ( 41) · demeurent fidèlles à ces principes.

    9. - Mais cette condusion conduit~e!lle à la condamnation de toute distribution de dividende aux associés ou actionnaires pen~

    dant la période d'installation au cours de lraquelle il semble, à pre~ mière vue, que la société ne puisse réaliser de bénéfices?

    Un passage important du rapport de PIRMEZ autorise Ie doute

    ( 4 2). Parlant des sociétés ayant pour ob jet 1la construction et 1' ex~ ploitation de chemins de fer, PIRMEZ dédarait que ces sociétés

    pouvaient, pour Ie calcul du prix de revient de leurs installations,

    inclure Ie montant des intérêts des sommes ,dépensées dans Ie

    coût d' acquisition. Si, dès lors, les installations sont portées à I' in~ véntaire pour leur prix de revient, conformément à la pratique admise, r actif net de la société pourra se trouver supérieur au mon~ . tant du oapital nomina!, équivalent aux~miseS' initiales des associés,

    à concurrence de la valeur de ces intérêts. Ceux~ci n' ayant pas été payés à des tiers ne sont en effet contrebalancés par aucune dé~ pense ni aucun poste de passif. 11 pourrait ainsi apparaître un béné~ fice, susceptible ·d' être distribué aux actionnaires sans infraction aux

    principes fondamentaux que nous avons rappellés.

    Ce passage a embarrassé les auteurs et la jurisprudence, qui se

    sont trouvés partagés entre leur respect pour les opinions de PIRMEZ

    (40) VAN RYN, op, cit., t. Jer, n° 780.- WAUWERMANS, Manuel, nos u61 et u62. - HENRION, op. cit., p. 189. - FREDERICQ, t. V, n° 789. -RESTEAU, S. A., t. 111, n° 1561. - Rép. prat. d1-. bel., vo S. A., n° 1999. -CORBIAU, études dans cette Revue, 1905, n° 1658, pp. 326 et 327. - PASSE-LECQ, Novelles, n° 2875.

    (41) Voy. not. Bruxelles, 19 février 1900, Revue, 1900, n° 1089 et les obs. -Comm. Bruxelles, 30 janvier 1899. Revue, 1899, n° 1026, p. 226. - Comm. Bruxelles, 25 novembre 1901, Revue, 1901, n° 1272, p. 304 et les obs.

    (42) GUILLERY, op. cit., 11, no 8g,

    No 4764

  • - 236

    et Ie désir de corriger I' erreur que sembiait contenir ce ra1sonne• ment.

    Dans Ie souci d' éviter autant que possible I' extensîon d'un système dont e1Ie sentait Ie défaut, sans cependant se mettre en

    contradiction formelle avec les déclarations de PIRMEZ, rra jurispru·

    dence a voulu y voir une exception au principe de la prohibition

    de la distribution de dividendes flctifs, quoique cette eX'ception

    ne résultat pas de la loi. Se livrant à Une interprétation véritable:-ment exégétique, non point de la 'loi, mais d~s travaux préparatoi-

    res, elle a considéré comme Iicite la distribution de dividendes

    intercalaires pour les sociétés exploitant des lignes de chemin 'de

    fer, mais s'y est refusée pour d' autres sociétés se trouvant dans des

    situations absolument analogues ( 43).

    Mêmes hésitations en doctrine : certains combattent la thèse de

    PIRMEZ ( 44) ; d' autres parient d'une « tolérance » du législateur ( 4 5), admettent la règle à contre-creur en I' entourant de réserves assez mal définies ( 46), y voient une exception à un principe géné-ral consentie en faveur des sociétés de chemins de fer ( 4 7).

    Nous crayons qu' on ne peut admettre que Ie législateur ait

    entendu consacrer une exception au principe de la prohibition de.

    la distribution de dividendes fictifs, ni surtout une exception en

    faveur des seuies sociétés exploitant des lignes de chemins de fer.

    D'une part, pareille exception à un principe formulé dans la loi d'une manière aussi formellle ne pourrait résulter d'une seule 'décla-

    ration faite au cours des travaux préparatoires, eût-elle même

    l'autorité qui s'attache au rapport de PIRMEZ ( 48).

    0' autre part, c' est par une véritable déformation de la pensée

    de PIRMEZ que I' on est arrivé à interpréter son rapport de la sorte. H suffit de lire Ie texte et de se reporter aux notes posthumes du

    savant rapporteur ( 49) pour constater que jamais PIRMEZ n'a

    (43) Voy. les décisions citées à la note 41. (44) CORBIAU, étude citée supra note 40. Notes dans· cette Revue sous

    les décisions citées à la note 41. (45) w AUWERMANS, ·nP6 II61 à .II63. (46) RESTEAU, t. III, n:6 1561. - Voy. aussi WAUWERMANS, loc. cit: (47) PASSELECQ, op. cit., n66 2876, 5504 et 5505, qui penohe cèpendarit pour

    une extension de cette tolérance aux au tres sociétés se .· trouvant datis la mêm:e situation. - FREDERICQ, t. V, n° 789, avec des réserves.

    (48) Sur l'impos·sibilité de faire prévaloir une idée exprimée au· cours des tra· vaux préparatoires sur Ie texte formel de loi lorsque cette idée va à l'encontre du texte : Cass., 4 avril 1957, Pas., I-952. - Note sous Cass., 13 octobre 1955, Pas., 1956-I-122.

    (49) Revue, 1900, citées supra.

  • - 237

    entendu admettre la :validité d'une distribution de dividendes non

    prélevés sur des bénéfices~ réels, en violation d'un principe quïl

    défendait d'autre part avec tant d'énergie. Suivant PIRMEZ, la dis~

    tribution de divendes intercalaires, dans Ie cas qu'il envisageait,

    était licite parce qu'un bénéfice apparaiss~it, même peridant la période intercalaire, par suite de l'indlusion des intérêts dans Ie prix de

    revient. PIRMEZ. n' a pas davantage prétendu que les sociétés exploi~

    tant des lignes de chemins de fer se trouvaient dans une situation

    spéciale et étaient soumises comme telles à un régime différent de cel ui de toutes les au tres sociétés commercial es : il ne s' agissait, dans sa pensée, que d'un exemple.

    1 0. - Que faut~il penser de ce raisonnement, ainsi ramené à sa véritable portée?

    Nous croyons qu'il pèche par deux cotés.

    Il se fonde en premier 1lieu sur r affirmation que les biens immo~ bilisés sont évalués à leur coût d' acquisition et que le coût d' acqui-sition doit comprendre ;les intérêts calcu~és sur le montant des som~

    mes dépensées. Si la société emprunte à des tiers les sommes néces-saires à ses immobilisations, eet intérêt est réellement dépensé. Si, en revanche, les investissements sont financés par les apports des

    actionnaires, eet intérêt n' est pas effectivement dépensé et un

    excédant de I' actif social net sur Ie capital social apparaîtra.

    S'il est généralement admis que les biens immobilisés peuvent

    être évalués dans l'inventaire à leur coût d' acquisition, sous déduc-tion des amortissements nécessaires, encore cette .règle ne peut~elle

    être appliquée d'une manière automatique et en toutes circonstan~

    ces. Il fa ut en effet que cette évaluation corresponde à une contre-valeur rée!lle dans I' actif social ( 5 0) . L' opinion de PIRMEZ nous semblt:!. dès lors trop absolue. Les évaluations doivent être parti·

    culièrement prudentes lorsque les installations ne sont pas ache-

    v~es, le~r valeur/ étant en pareil cas généralement faible. n faut clone, pour que les administrateurs puissent évaluer les instaBations

    en cours de construction de la manière indiquée par PIRMEZ, que

    (so) Voy. WAUWERMANS, loc. cit. et n° 634. - VAN RYN, t. Jer, n° 744, indique qu' en principe les valeurs immobilisées peuvent être portées à l'inven· taire pour leur prix d'acquisition. - RESTEAU, t. 111, nJD 1466,. souligne que Ie prix d'acquisition doit être normaL Voy. aussi Rép. prat. dt·. bel:, v0 ·S. A., n° 178~ et les réf. - HAMEL et. LA GARDE, t. Jer, n° 272.

    No 4764

  • -. 238-

    cette évaluation se justifie d'après les circonstanc'ès de fait propres

    à chaque cas d' espèce et qu' elle soit faite avec prudence, sincérité

    et bonne foi.

    S'i;l en était autrement, l' on arriverait à cette conséquence assu-rément paradoxalle qu' une société pourrait distribuer des dividen~

    des fixes pendant une période d'autant plus longue que serait lon-

    gue sa période d'installation, et d'un montant d'autant plus élevé

    que ses installations seraient plus coûteuses, alors qu' au contraire

    urie société qui commencerait rapidement son exploitation, en limi-

    tant autant que possible la période pr~paratoire et l'importance

    des dépenses d'investissement, se trouverait dans une situation

    moins favorable, indépendamment même de toute fraude.

    1 i. - Si même cependant, dans tel} cas d' espèce, une évalua-tion des installations à leur prix de revient majoré des intérêts se

    justifiait, encore Ie bénéfice résultant de l' excédent de 1' actif sur Ie ca:pital social ne pourrait-il servn de base à une distribution de

    dividendes, - et c' est là, à notre avis, la seconde faiblesse du

    raisonnement de PIRMEZ. I

    Il ne suffit pas en effet, pour qu' un bénéfice soit susceptible

    d~être distribué qu'il résullte d'un bilan établi avec prudence, sincé-

    rité et bonne foi. Il faut encore que le bénéfice soit réel.

    Le bénéfice est réel lorsqu'il est réalisé ou proche de l'être,

    avec une certitude suffisante ( 5 1 ) .

    Tel est Ie cas des bénéfices d'exploitation, même s'ils ne sont

    pas encore encaissés mais que leur encaissement peut être raison-

    nabiement espéré à brève échéance. L' on peut également considé-

    rer comme des bénéfices réels, autorisant !}a distrihution de divi-

    dendes, les plus-values réalisées d' éléments d' actif. Pour les plus·

    values non réalisées, elles ne pourront être considérées comme

    constituant un bénéfice réel que si elles doivent êtr.Je réalisées prochaine· ment, dans des conditions connues et présentant un caractère suffisant de certitude.

    Ces principes ont été reconnus au cours des travaux prépara-

    toires ( 5 2). l!ls sont généralement admis en doctrine et en jurispru·

    (sr) Voy. ei-dessous note 53· (52) GUILLERY, op. cit., 11, n° 33, et 111, nP 139.

    N° 4764

  • -239-

    dence tant en France (sous réserve de ce que nous avons dit à propos des clauses d' intérêts fixes) qu' en Be~gique ( 5 3).

    Le bénéfice résultant de I' évaluation d'installations immobilisées dans I' entreprise ne présente clone point Ie caractère d' un bénéfice réel distribuable tant que ce bien n' est pas réalisé ou sur Ie point

    de I' être à des conditions connues et certaines. Sauf cas exception~ nels, tel n' est pas le cas des installations en cours de construction

    d'une société devant exploiter une entreprise importante. Le béné~

    fice résultant de l'inclusion des intérêts dans Ie coût d' acquisition

    est loin d' être réalisé et paraît même fort incertain dans son prin~

    cipe.

    L' on ne peut clone songer à Ie distribuer sous forme· de dividen~

    des ou d'intérêts intercalaires.

    12. - Nous sommes clone amenés à condure que dans I' état actuel du droit positif, il n' est pas admissible qu'une société distri~

    bue des intérêts fixes pendant sa période d'instaillation,' alors

    qu' elle ne réalise aucun bénéfice et sauf le cas ou un bénéfice réel

    apparaîtrait par suite de la réalisation de tel ou tel élément d' actif.

    Cette condusion doit~elle être considérée comme économique~

    ment aussi facheuse que certains I' ont prétendu? . Nous · ne Ie crayons pas.

    La question se pose surtout pour les sociétés qui sant oblligées

    de procéder à des investissements importants, improductifs pen~ dant plusieurs années et qui, devant faire appel à cette fin à I' épar· gne publique, craignent de ne pouvoir trouver des persounes dispo~

    sées à investir des fonds sans bénéfices pendant un période plus ou

    m~ins longue. \

    En pratique, ces sociétés, qui doivent être importantes, pren·

    dront la forme andnyme, qui leur convient particulièrement.

    La pratique connaît diverses formules qui sant susceptibles d' évi~

    ter les inconvénients auxquels s' efforcent de pallier 'les clauses

    . (53) FREDERICQ, t. IV, no 235, et t. V, nP 546. - FEYE, «La notion juridique des bénéfices sociaux », Revue, 1924, n° 2252, pp. 146 et suiv. -VAN RYN, t. Ier, no 775 : ii ne faut pas un encaissement effectif, mais un actif réel résultant d'opérations juridiques accomplies. - HOUPIN et BOS-VIEUX, t. IJ,, n° 1336 et les réf. - RESTEAU, t. III, .n°5 1558 et suiv. -Rép. p1·at. d1·. bel;, vo S. A., n° 1998. - MOREAU, S. A., t. Ier, n° 176 et les réf. - THALLER et PIC, t. II, n° 1178 et les réf. - W AUWERMANS, n° 1165. - Cass. fr., 11 juillet 1930, D.P., 1932-I-145 et note CORDONNIER - Comm. Bruxelles, 8 mai 1939, Jur. comm. B1·uxelles., 1942, 217.

    No 4764

  • 240

    d'intérêts fixes, sans cependant" mettre en péril les droits des tiers

    et diminuer le gage sur lequel ceux-ci sont en droit de campter

    avant tqute distribution aux actionnaires : obligations convertibles,

    obligations avec « warrants », etc. Ces procédés évitent toute confusion entre les qualités d'actionnaires et de prêteur. lls sant

    organisés ou seront organisés en vue cl' assurer l' équilibre de tous les intérêts en présence. Certes, les effets de ces diverses institu-

    tions ne sont pas absolument identiques à ceux des clauses d'inté-

    rêts fixes, mais elles sont de nature à répondre aux exigences écono-

    miques et sociales qui ont, semble-t-il, conduit la jurisprudence et

    la doctrine françaises à admettre la licéité des clauses d'intérêts

    fixes.

    Le jeu des clauses d'intérêts fixes ou de dividendes intercalaires

    dans lles sociétés à responsabilité indéfinie des associés ne soulève

    guère de difficultés pratiques puisque les tiers créanciers ont pour

    gage non seulement I' actif social mais aussi les patrimoines des {

    associés ( 5 4 ) .

    Pour les sociétés en commandite, dans les rapports avec les

    commanditaires, et surtout pour les sociétés de personnes à respon-

    sabilité limitée, a ~ous paraît que les clauses de I' espèce sont parti-culièrement à redouter ..

    Le co~manditaire doit choisir entre la qualité de hailleur de fonds et celle d' associé : la loi le prévoit en accordant aux tiers

    une action spéciale, souvent qualifiée de directe, lorsque le com·

    manditaire, cédant à une tendance dangereuse, s' efforce de repren·

    dre sa mise lorsque la situation sociale n'est pas brillante (55).

    Il est inutÜe de souligner d' autre part 'les excès auxquels don-

    nent lieu le sociétés de personnes à responsabilité limitée et la

    tendance, tout aussi néfaste, des associés à confondre le patrimoine

    social avec ·leur patrimoine propre, tout au moins activement. En

    autorisant les associés à faire des prélèvement dans les caisses

    socialles mê·me lorsqu' aucun bénéfice n' est réalisé, N nous paraît

    que I' on favoriserait encore ces abus en diminutant les garanties, déjà insuffisantes, des tiers. Les victimes en seraient essentieHement

    les fournisseurs et les petits créanciers qui ne _yeuvent s' assurer de

    garanties et notaroment qui n' exigent pas la garantie personnelle

    des associés ou des gérants. Pareille réforme, a:lors qu'au contraire

    Ie législ~teur s' oriente plutot vers un_renforcement de la responsa-

    (s4) Comp. VAN RYN, t. Jer, n° 4II, et FREDERICQ, t. IV, n°. 2~6. (SS) GUILLERY, op. cit., II, n,O 33· - Artiele 21 des Iois coordonnées.

    N° 4764

  • 241.-

    billité personnelle des assoc1es et des garanties offertes aux tiers,

    nous paraîtrait peu souhaitable.

    n nous semble dès lors que, malgré I' exemple donné par des · législations étrangères, il ne paraît pas oppo'rtun d'introduire, à I' occasion de l}a réforme des .lois coordonnées sur les sociétés commerciales, une disposition autorisant et organisant la distribu-

    tion de dividendes interca1lraires.

    1 3. - Nous croyons clone pouvoir condure ainsi qu'il suit : , Le droit beige ne permet pas la distribution d'intérêts fixes pré- _

    levés sur I' avoir social même en I' absence de bénéfices et les arguments qui ont conduit la jurisprude~ce et la doctrine françaises

    à la so[ution opposée ne sont pas déterminants. En I' absence d' une disposition de la loi, I' on ne peut reconnaî-

    tre l' existence d'une exception à ce principe, même limitée aux sociétés exploitant des lignes de chemins de fer.

    On ne peut affirmer d'une manière absolue que les sociétés sont

    fondées à évaluer leurs installations, même· en cours de construc-tion, à leur coût d' acquisition majoré des intérêts ca1lculés sur les sommes dépensées, de manière à faire apparaître ainsi un béné-fice, même avant I' exploitation. Pareil mode d' évaluation ne peut être admis que s'il correspond à l'en!rée dans l'actif social d'une valeur réelle équivalente à celle qui est indiquée dans l'inventaire.

    Lorsque ce mode d' éva~uation est admissible et qu' apparaît

    ainsi. un bénéfice, ce bénéfice ne peut en principe être distribué, à défaut d' être réalisé ou de devoir être réalisé à brève échéance, dans des conditions déterminées et connues.

    Rien ne saurait donc justifier en droit beige (sauf cas d' espèces)

    la distribution de dividendes intercalaires avant la période d' ex-

    ploitation (56). De lege ferenda, il n' apparaît pas souhaitable de modifier Ie droit

    positif.

    Pierre VAN ÜMMESLAGHE Avocat près la Cour d'appel de Bruxelles Assistant à l'Université Libre de Bruxelles.'

    . (56) Les exceptions auxquelles nous faisons allusion ici seraient celles résul· tant de la réalisation d'une plus-value pendant la période d'installation.

    N° 4764 16

  • -242-

    No 4 765. - Cour de cassation ( ]re eh.) . 19 décembre 1957. Siég,. : MM. Louveaux, cons. rapp.; Dumdn, avoc. général.

    (Hirsch cf Etat Beige • Ministère des Finances.) I

    I. Impots sur tes rev;ehus. - Art. 52; par. 7, dies lois coordonnées. - Portée let but de cette dtsposition. ~ 11. linpots sur les :rfeVIelllus, al"t. 35, par. 9, des lois coordonnées, majoration de 20 %, applïcable avant la déduction '' intpots d'ïmpots " prévue par I' art. 52, par. 7 ~

    I. L'article _52, paragr. 7, ten'd à éviter que, compte tenu de l'impot perçu à chm·ge de la société, il n'e soit exigé de !'associé, auquel ttn revenu issu de la réserve est attribué, plus que c:e que prescrit la loi pout· la taxatio1t à établi1· sm· ces revenus à charge de ce't associé. C:ette disposition n,'a poin,t pout· but d'accordet· un1e exMtération d'impofs.

    11. La majoration de 20 o/o prévue par l'art. 35, par. 9, des lois coordonnées rela-tlves aux impots sur les t·evemts doit être calculée avant l'application des déduc-tions àutot·isées pa1· !'art. 52.

    ARRET.· La Cour, Ouï Monsieur Ie conseiller Louveaux en son rapport et sur les conclusions de

    Monsieur Dumont, avocat général; Vu !'arrêt attaqué, rendu Ie 28 novembre 1956 par la Cour d'appel de Bruxel-

    les;

    Sur Ie moyen pris de la violation des articles 97 de la ç:onstitution, 35, spécia-lement paragraphes 5 à 9, 52, spécialement paragraphe 7, des lois coordonnées relatives aux impots sur les revenus,

    en ce que l'arrêt entrepris décide « qu'en l'espè~e, 1' Administration devait », ainsi qu'elle Ie fit, « établir l'impot dû conformément au paragraphe 6 de l'arti· cle 35 des lo,is coordonnées, puis majorer la taxe professionnelle ainsi calculée de 20 o/o, en application du paragraphe 9 dudit article, puisqu'il s'agit de revenus prévus par cette dernière disposition » et « que ce n'est qu'après avoir ainsi déter-miné l'impot théoriquement dû que le taxateur devait appliquer l'article 52, para· graphe 7, et effectuer la déduction prévue par celui-ei », considérant notaroment que « rien ne s'oppo.se à ce que l'application de l'arti~le 35, paragraphe 9, puisse à elle seule entraîner la débition d'un impot qui, sans l'existence de cette dispo-sition, aurait pu ne pas être dû », alors que, ·d'une part, l'application de la rnajo-ration édictée par I' artiele 35, paragraphe · 9, précité, suppose nécessairement qu'un impot soit itexigible, - une majoration, comme un accessoire, impliquant un principal, - et que, d'autr·e part, cette même disposition, qui vise à assurer l'égalité fiscale entre les contribuables qui payent l'impot au moment même ou ils perçoivent les revenus atteints par eet impot, et ceux qui ne payent l'impot qu'un an au moins après avoir réalisé les revenus taxables, ne pouvait donner lieu, en Fespèce, ·à l'application de la majoration qu'elle org,anise puisqu{\ l'impot afférent aux revenus dollt bénéficia Ie demandeur, avait déjà été perçu antérieu· rement à la distribution de ces revenus ;

    Attendu que l'articl~ 35, par. 9, des lois coordonnées, modifié par l'article 18 de la lói du 8 mars 1951, tend à réaliser l'égalité fiscale avec les appointés en ce qui concerne soit les rémunérations diverses ou profits pour lesquels la taxe

  • - 243_-

    professionnelle a été retenue à la source, soit les bénéfices imposables pour lesquels la taxe a été payée anticipativement dans les délais et conditions fixés par la loi .et par l'arrêté royal du 14 mars 1951;

    Qu'ainsi la majoration de 20 o/o de la taxe professionnelle a pour raison d'être Faoquittement différé ne l'impot lorsque celui-ei n'est pas perçu a la souree ni versé volontairemen:t à l'avance;

    Attendu que l'article 52, par. 7, des lois coordonnées permet une déduction « impots d'impots » en vue d'éviter la double taxation d'un même revenu dans Ie chef d'un même redevable; qu'en vertu du par. 1er du même artiele les impots directs que les sociétés, possédant la personnalité juridique, ont déjà acquittés en raison de bénéfices réservés, sont déduits lorsque ceux-ci sont répartis ou distribués;

    Attendu que ces dispositions Iégales n'accordent aucune exonération d'impots; Que la déduction « impots d'impots » implique d'abord l'établissement du

    montant de l'imposition dans Ie chef du bénéficiaire de la répartition en tenant compte tant des réduc:tions que des augmentations auxquelles peut donner lieu

    , sa situation personnelle et ensuite, au cas ou parmi les bénéfices servant de base à I'établissement de cette imposition il en est qui ont été soumis à un impot direct, la déduction des taxes déjà payées sur ces· bénéfices;

    Attendu que si, en vertu de ces dispositions Iégales, les impots payés par la société, jouissant de la personnalité civile, sont pris en considération, dans la mesure y déterminée,. pour l'établissement de la cotisation du montant de l'im· pot restant dû en définitive par }'associé, bien que juridiquement la société, d'une part, et l'associé, d'autre part, soient des contribuables distincts, l'on ne peut étendre la portée de l'arti~le 52, par. 7, qui est d'éviter, par une disposition exceptionnelle, que, compte tenu de l'impot perçu à charge de la société de personnes, il ne soit exigé de l'associé actif auquel un revenu issu de la réserve est attribué, plus que ce que prescrit la loi pour la taxation à établir sur ces revenus à charge de eet associé;

    Que cette portée serait ainsi étendue si les paiements effectués par la société, en acquit de la taxation de ses ,bénéfices réservés, devaient être assimilés à des paiements à valoir effectués par l'associé c_onformément à l'article 35, par. 9, ou à des retenues « effectivement » faites à la souree sur les rémunérations de eet associé en vertu de I' artiele 31, par. 3, des lois coordonnées;

    Que dans ce cas, en effet, les paiements effectués par la société aboutiraient non . pas à éviter un double emploi mais à aceorder à I' associé une exonération d'impot de 20 o/o bien que ce dernier n'ait pas

  • -244-

    Les frais taxés à la somroe de cent douze francs septante-cinq centimes payée par la partie demanderesse.

    Observations.- L'art. 52, par. 7, de,s 1ois coordonnées prévoit qu'en cas de distribution de réserves qui ont été imposées dans le

    chef des sociétés possédant la personnalité juridique, au moment

    de la constitution, de ces réserves, l'impot dû éventuellement sur

    les revenus distribués est diminué des impots cédulaires et de la

    contribution nationale de crise, antérieurement perçues sur les

    sommes ainsi réparties.

    Cet artiele est notaroment applicable aux montants issus des

    réserves et distribués aux associés actifs d'une société de personnes.

    D'autre part, le par. 9 de l'artic'le 35 majore de 20 Jlo la taxe professionnelle frappant - entre autres - ces revenus.

    Le problème que soulevait l' espèce en laquel/l'e fut rendu 1' arrêt annoté était de savoir comment coordonner 1' application de ces deux dispositlons.

    La majoration de 20 Jlo devait~elle être appliquée avant ou après les déduc:-tions dont pouvait bénéficier le contribuable?

    Rejetant Ie pourvoi formé contre l' arrêt de la Cour d' appel de Bruxdles déféré à sa censure, la Cour de cassation a opté pour la première de ces solutions.

    EHe fait remarquer que les dispositions de l'art. 52, par, 1 et 7, n'accordent aucune exonération d'impot et que la déduction impot

    d'impot impligue d' abord 1' établissement du montant de l'impo~ sition dans Ie chef du bénéficiaire de la répartition en tenant compte

    tant des .réductions que des augmentations auxquelles peut donner

    lieu sa situation personneJl'le.

    On observera, d' autre part, que la décision souligue le caractère

    exceptionnei des dispositions de 1' art. 5 2 et rappelle que l' associé et la société sont, rjuridiquement, des contribuables distincts. Elle

    re.fuse, enfin, d'assimiler les paiements effec;.tués par la société en

    acquit de la taxation de ses bénéfices réservés à des paiements à valoir effectués par !'associé conformément à l'art. 35, par. 9, des Iois coordonnées relatives aux impots sur les revenus ou à des rete~ nues « effectivement » faites à la souree sur les rémunérations de eet associé en v_ertu de l' art. 3 1 , par. 3, des mêmes lois.

    No 4765

  • - 245

    No 4766. - Cour. d'appel de Gand. - 4 février 1954. ( Libbrecht cj X. et Me De Graeve q.q.)

    I. Société de personnes à responsabilité limitée. - Constituée entre époux sans la participation d'un troisième associé ou entre époux et un incapa-ble repré~enté par l'un d·'eux. - Pas de nullité. - Obligation solidah-e des fondateurs envers Jes tiers intér~s~és. - Recours des fondlareurs contre la société. - 11. Notaire. - h·régularité dans l'acte de constitution d'une société. - Faute. - Responsabilité.

    I. Si elle n/e·st pas contraire aux disposition·s légales qui régissent les conven-tions entre époux ou à celles qui concet·1z·ent la puissmt·ce maritale, la société de personn~es à responsabilité limitée qui, en opposition avec l'm·ticle II9 des lois coot·données, est constituée entre deux époux sans la pm·ticipation d'un tt·ot'sième associé ~u eltttre deux époux et un incapable t•eprésenté par run d'eux, n'est pas tzttlle. Les fondateut·s de la société seron't tenus envers les tiers intét-essés de tous les engagements sociaux jusqu'à ce qu'ils se soient adjoint un troisième associé ou qu'il soit procédé à la t·eprésentatiott t·égulière de l'incapabfe. lls s.eront autorisés à t·ecouvrer sut· la société {es montants au paiemen't desquels ils aut·ont été condamnés de ce chef.

    11. Le notaire qui t·eçoit l'acte cottstitutif d'une société doit veilter à sa régu-larité. S'il omet de le fait·e, il co.mmet une faute qui engage sa t·esponsabilité.

    ARRET.

    Vu les p1eces et notamment I'expédition du jugement dont appel, prononcé Ie 18 septembre 1952 par Ie Tribunal de commerce d'Ostende;

    I. Quant à l'action de Me De Graevé q.q. :

    Attendu que I' appel a été introduit dans les délais et est régulier en la forme; Attendu que Ie litige, tel qu'il a été exposé par les parties en leurs conclu-

    sîons devant Ie premier. juge ainsi que devant la Cour, a pour ob jet principal la question de savoir si la société de persounes à responsabilité limitée «Grand Garage du Casino à Ostende », à la constitution de laquelle ont participé d'une part les appelants et, d'autre part, leur fille mineure, représentée par Ie premier appelant, a été constituée valablement et si, en conséquence, les .appelants, en vertu de I'article 123, 4°, des lois coordonnées sur les sociétés commerdales, peuvent être assignés par Ie curateur de la faillite de pette société en paiement de tout Ie passif de celie-ei;

    Attendu que · les dispositions de I'alinéa 3 de l'article 119 de la prédite loi n'ont pas en vue de protéger les incapables, mais de garantir l'indépendance indispensable entre les associés tout comme lorsque la société a été constituée entre conjoints (VAN HOUTTE, Traité des sociétés de pet·somzes à responsa-bilité limitée, éd. 1950, n°8 68 et 114) ;

    Attendu que, pour autant qu'elle ne soit pas contraire aux dispositions légales qui régissent les conventions entre époux ou à celles qui concernent la puissance maritale, la société de persounes à responsabilité limitée qui, en opposition avec la disposition de loi prérappelée, aurait été constituée entre époux sans la parti-cipation d'un troisième associé, n'est pas nolle j que l'article 123 des lois coor-

    No 4766

  • -246-

    données sur les sociétés oommerciales précise dans ce .cas que les fondateurs de la société de personnes à responsabilité Jimitée sont terrus · solidairement envers les intéressés de tous les engagements sociaux cóntractés jusqu'à ce que la société se soit adjoint un troisième as.sodié; que non seulement Ie législateur a pour ainsi dire littéralement repris ici la disposition de l'article 35 des lois coordonnées sur les sociétés commercial es qui envisage le cas d'une · société anonyme qui, malgré Ie prescrit de l'article 29, compte moins de sept associés lors de sa · constitution, mais que, de plus, Ie texte même, qui d'ailleurs si on l'interprétait en sens opposé n'aurait plus aucune signification, montre de façon décisive que les engagements auxquels il est fait allusion, sont ceux que la société, e'est-à-dire la société existante, a contractés (VAN HOUTTE, op. cit., n° II4; FREDERICQ, Traité de droit comme1·cial be·lge, t. V, n° 623) ;

    Attendu que l'on ne voit pas pourquoi les· mêmes principes ne seraient pas applicables lorsque, comme en l'espèce, mari et femme se sont adjoint, lors de la constitution, un incapable qui est représenté par l'un d'eux; qu'en pareil cas la société doit tout de même être considérée comme . ne comptant en réalité comme associés que les époux, de manière telle que du rappro~hement des articles II9 et 123 des lois coordonnées sur les sodiétés commerciales, on doit déduire que cette société aussi est valable, mais que les associés conjoints sont solidairement terrus vis-à-vis des intéressés de tous les engagements que la société a contractés jusqu'au moment ou il est procédé à la représentation régu. lière de l'incapable (VAN HOUTTE, op. cit,, n° II4) ;

    Attendu que, en l'espèce, l'associée mineure a atteint sa majorité Ie 31 mai 1~48, moment à partir duquel elle est devenue capable de contraeter et ou l'obligation solidaire, qui jusqu'alors pesait sur les appelants, a cessé;

    Attendu que, bien que l'obligation des appelants soit. ain:si limitée aux engage-ments sociaux ~ontractés 'avant Ie 31 mai 1948, Ie curateur à la faillite n'en a pas moins Ie droit d'actionner les appelants, car l'état de faillite a pour consé-quence, entre autres, que l'action individuelle des créanciers est absorbée, de manière telle que les montants auxquels éventuellement les appelants pour-raient être condamnés profitent à l'ensemhle des créanciers (FREDERICQ, op, cit., t. VII, n° 184; comp. Cass., 1er juin 1876, Pasic., 1876-l-291) ; que c'est donc à bon droit que Ie premier juge a déclaré reeevabie l'action intentée par Me De Graeve q.q.;

    Attendu toutefois que dans la mesure ou, jusqt.i'à présent, il n'est pas décidé quels engagements la société a contractés avant Ie 31 mai 1948, à plus forte raison si ces engagements sont encore exécutoires en droit, c'est avec raison que les appelants s'estiment lésés par Ie fait que le jugement entrepris les condamne dès à présent · et sans au enne distinction au paiement de tout Ie passif de la société;

    Attendu qu'il y a lieu, avant de statuer plus avant, d'ordonner à l'intimé q.q. de conclure plus outre au sujet des dites conventions;

    11. Quant à l" acti~n récursoit·e des appelants : A.'ttendu que l'expression « jugement rendu en matière de faillite », dont il est

    question à l'article 465 du Code de commerce, doit être interprétée restrictive-ment puisqu'elle n'envisage que les jugements rendus dans des litiges qui trou-vent leur origine dáns l'état de faillite lui-même; que, là ou ce n'est manifes-

    N° 4766

  • -247-

    te.ment pas Ie cas, comme pour la présente action, Ie délai ordinaire d'appel est applicable; que Ie moyen d'irrecevabilité manque donc en droit;

    Attendu, d'autre part, que l'intimé, partie de Me Hebbelynck, décline à tort la compétence du Tribunal de commerce; qu'en effet, dès que les appelants ont appelé Ie notaire instrumentant en garantie pour toutes les condamnations qui pourraient être prononcées contre eux, Ie Tribunal de commerce était compé-tent pour connaître du litige sur ,base de l'article 37, par. 2, de la loi sur la compétence, modifiée par l'article 8 de la loi du 15 mars 1932;

    A!ttendu, au fond, que l'intimé objecte vainement que l'article II9, al. 3, des lois coordonnées sur les sociétés commerciales, n'est applicable que 'dans la mesure on plus d'un incapable intervient lors de la constitution de la société, puisque la condition d'indépendance ,entre associés est impérative aussi bien lorsqu'un seul incapable est admis dans la société que lorsque plusieurs Ie sont;

    Attendu, en outre, que Ie fait que la doctrine est divisée sur la question de la validité d'une société de personnes à responsabilité limitée qui, comme la société faillie, a été constituée sans la représentation obligatoire du mineur, n'exclut pas que · Ie notaire instrumentant devait veiller à la régularité de l'acte de constitution, et que, par conséquent, comme il a failli à cette obligation, il a de toute manière commis une faute; que, d'ailleurs, l'intimé est responsa,ble de ce que, en raison de l'irrégularité de l'acte de constitution, les appelants, en tant qu'associés de la société nouvellement · constituée, ne peuvent invoquer la respon-sabilité limitée qui en est l'essence, mais, par contre, sont tenus solidairement des engagements de la société, comme s'ils étaient intervenus en qualité d'asso-ciés en nom collectif;

    Attendu cependant que la faute commise, en ce cas, n'a pas pour conséquence que l'intimé puisse être personnellement tenu d'exécuter les engagements pris par la société; que, d'ailleurs, les fondateurs sont autorh;és à recouvrer sur la société les montants au paiement desquels ils sont condamnés (arti-cle 1251, 3°, du Code civil; VAN HOUTTE, op. cit., n° n8; FREDERICQ, op. cit., no 623; comp. RESTEAU, Sociétés a4fo.nymes, 29 éd., vol. Jer, n° 469) ; que la société de personnes à responsabilité limitée « Grand Garage du Casino à Ostende » n'a pas du tout été troublée dans ses activités par l'irrégularité oom-mise, puisque les appelants n'ont été assignés, quant aux engagements sociaux, pour la première fois qu'après la faillite de la société, alors que la régularisation de l'acte constitutif était- un fait accompli depuis plusieurs années; que, s'il est vrai qu'un recours éventuel des appelants semble devoir être plutot sans portée, iJ est cependant évident que l'intimé n'est pour rien dans Ie recul et par après, la faillite ·de la société; qu'il n'est donc pas de lien de causalité entre la faute commise et Ie préten.du dommage; qu'il s'ensoit que l'appel incident de la partie Hebbelynck apparaît non fondé et que Ie jugement entrepris doit être confirmé, fût-ce par une autre motivation;

    Par ces motifs,

    L~ Cour, vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire; ouï M. Vermeulen, premier avocat général, en son avis en partie conforme; écartant toutes autres conclusions; déclare les appels reeeva-bles et I' appel principal en partie fondé; dit que Ie premier juge était compétent pour connaître de l'action récursoire des appelants contre Ie notaire instrumen-r

  • :- 248

    tant; confirme le jugement entrepris pour autant qu'il a déclaré la dite action non fondée; infirme pour le surplus; statutant à nouveau, dit pour droit que les appelants sont tenus solidairement au respect de tous les engagements contractés par la société de persennes à responsabilité limitée «Grand G~rage du Casino à Ostende » jusqu'au 31 mai 1948 pour autant que ces ohligations soient encore exécutoires en droit actuellement; avant de statuer, ordonne à Me De Graeve q.q., de s'expliquer plus avant, pièces à l'appui, sur ces engagements; condamne les appelants aux dépens exposés par la partie de M,e Hebbelyilck; dépens réser-vés pour Ie surplus.

    Observations. - L' arrêt soulève une nouvelle fois les problèrnes

    délicats d'interprétation auxquels les _artieles 119 et 123 des lois

    coordonnées sur les sociétés cammerciales donnent lieu.

    I. Il n' est pas contestable que si des conjoints farment entre eux une S.P.R.L. dont ils sont les seuls membres, ils seront tenus soli~ dairement envers les intéressés de tous les engagemen'ts sociaq.x

    contractés par :la société jusqu' à ce que celle~ci ait trois membres au moins. Le texte de I' artiele 123, 1°, ne laisse à eet égard aucun doute.

    Maïs Ie désaccord naît en doctrine et en jurisprudencè lorsqu'il s'agit de déterminer la forme selon laquelle cette adjonction d'un troisième~ associé doit se réaliser.

    Certains auteurs et une partie de la jurisprudence enseignent

    que la société de persounes à responsabillité limitée constituée entre deux conjoints seulement est nulle d'une nullité radicale et d' ordre

    I

    pub lic.

    Ils font valoir que lorsqu'il énonce « Le nombre des associés peut être de deux seulement. T outefois si la société comprend des connjoints, Ie nombre des associés sera au minimum de trois ... », 1' artiele 11 9 introduit une disposition impérative et p.rohibitive dont :la sanction normale est la nullité. Ils invoquent également le texte de 1' artiele 1 23, 4°, qui prévoit expressément la nullité déri~ vant de l'inobservation de l'artiele 119; c'est donc, disent~ils, que

    cette inobservation entraîne nulllité... lis justifient enfin leur point de vue par certaines déclarations faites au cours des travaux

    préparatoires de la loi du 9 ju~llet 1935 (RESTEAU, Des sociétés de personnes à. responsabilité limitée, n° 9 3 ; LoiR, Traité et !9rmulaire des sociétés de personnes à responsabilité limitée, n°8 2 6, 160 et 165; R.P.D.B.,w, yo Sociétés de personnes à responsabilité limitée, ll08 1 00 et 117; Comm. Bruxelles, 11 décembre 1950, Revue, 1956, n° 4540).

    N° 4766

  • -249-

    Dans cette optique, l'adjonction d'un troisième associé visée par

    l' artiele 12 3, 1°, ne peut évidemment se faire que ·par ~a création d'une nouvelle société comprenant au moins trois membres.

    Cependant, une autre partie de la doctrine et de la jurisprudence

    conteste que la société constituée entre conjoints soit nécessaire-

    ment nulle. Ils enseignent que si ellle ne déroge pas aux dispositions

    du Code civil touchant la puissance rnaritale et les conventions

    entre époux, cette société est valablement constituée, mais .que les

    conjoints doivent être considérés comme des associés en nom col-

    lectif pour tous les engagements sociaux jusqu' à ce que la société ait. trois membres au moins.

    lis j ustifien t leur façon de voir par :le te x te el air de l' artiele 1 2 3, 1 °, qui leur paraît inconciliable avec la nullité de la société puisque, au~ termes de cette disposition légale, la société est capable de

    prendre des engagements (FREDERICQ, Traité de droit commercial beige, t. V, n° 62 3). Poussant l' argumentation plus avant et invo-quant également les travaux prép:aratoires, certains auteurs préci-

    sent en outre que ni IJ'artiele 119, ni l'artiele 123, 4°, ne frappent une telle société de nullité. L' artiele 119, disent-ils, se borne à énoncer des· règles; il ne sanctionne p~s expressément leur inobser-vation par la nullité; de la société. Quant ~ l'artiele 1 23, 4°, s'il prévoit la sanction appllicable aux cas de nullité dérivant de l'jnob-

    servation cl~ l'artiele 119, il ne crée cependant pas - car cette notion sort de son cadre - des cas de nullité; notamment, il ne

    permet pas de décider que toute inobservation de r artiele 1 1 9 entraîne la nullité de la société (TscHOFFEN, Les sociétés de personnes à responsabilité limitée, n° 3 1 ; VAN HoUTTE, T raité d'es sociétés de per-sonnes à responsabilité limitée, n° 7 5 ) .

    Dans cett,e optique, l'adjonction d'un troisième associé n'im-

    plique pas la création d'une nouvel\le société; elle peut se faire à tout moment et met fin pour 1' avenir à 1' obligation solidaire créée par 1' artiele 1 2 3, 1°,

    C' est, penson~-nous, à bon droit que la Cour de Gand a adopté cette façon de voir que Ie texte qe I' artiele 123, 1°, commande nettement.

    2. La même solution s'impose-t-elle lorsque, comme dans fes-

    pèce rapportée, la société est constituée entre deux conjoints et

    leur enfant mineur représenté par l'un d'eux?

    lei également, deux thèses s' affrontent.

    No 4766

  • .- 250-

    Pour la plupart des auteurs, la disposition de I' artiele 119 con-cernant la representation de l'incapable est une règle d' ordre pubJic

    dont Ie but est d'assurer l'indépendance indispensable entre deux

    associés; la rnéconnaissance de cette règle entraîne la nullité abso-

    lue de la société par application des articles 119'- et 123, 4°

    (RESTEAU, Des sociétés de personnes à responsabilité limitée, n° 94; R.P.D.B., Vo Sociétés de personnes à responsabilité limitée, n° 1 01 ; LoiR, T raité et formulaire des sociétés de personnes à responsabilité limitée, n° 3 1 in fine,· FREDERICQ, Traité de droit commercial belge, t. V, n° 62 2).

    Cependant, M. VAN HoUTTE - à I' enseignement duquel la Cour de Gand se réfère- conteste que la société constituée entre deux

    conjoints et un incapable sans tenir compte des dispositions de

    l'article 119, al. 3, concernant la représentation de l'incapable,

    soit nulle. Il fait valoir, d'une part, que ni l'artic'le 119, ni l'article

    12 3, 4°, ne créent une telle sanction ( voir supra) ; d' autre part, que l'article 119 n'a pas pour but de protéger les incapables, mail:;

    d'assurer l'indépendance entre les associés. 11 en déduit que si une société est constituée entre deux conjoints et un incapable en viala-

    tion de I' artidle 119, al. 3, la loi présume que la société ne com-porte en réalité que deux membres; combinant les articles _11 9 et

    123, 1°, il décide que la société est valabl~, m:ais que les conjoints sont solidairement tenus en vers les intéressés de tous les. engage-

    ments sociaux jusqu'à ce que la représentation de l'incapable ait

    été régulièrernent assu11ée (VAN HouTTE, Traité des sociétés de person.-nes à responsabilité limitée, n° 114).

    L'incidence pratique de l'adoption d'une de ces thèses ou de

    f autre est considérable.

    Dans le premier cas, la sanction est triple : la société sera nulle;

    les prétendus associés seront solidairement tenus de tous les enga-

    gements contractés sous Ie couvert de la société annulée; ils seront

    en outre responsables du dommage dérivant de la nullité. (arti-

    cile 123, 4°).

    Dans Ie second cas, la société sera valablement constituée; de

    plus, la responsabilité solidaire des conjoints' associés sera limitée

    à la période allant jusqu'à la représentation régulière de l'incapa·

    ble ou sa maj~rité; enfin, les fond:ateurs tehus des engagements sociaux en vertu de farticle 123, 1°, pourront ultérieurerrient se

    retourner contr.e la société et réclamer, conformément à I' art. 12 51 du Code civil, Ie rembourseme~t des dettes qu'ils auraient acquit-

    Na· 4766

  • -251-

    tées à sa décharge (RESTEAU, Sociétés. ano~:ymes, t. Ier, n° 469; VAN HoUTTE, op. cit., n° 1 1 8).

    Aussi faut-il regretter que, en raison de leur imprécision, I' appli-cation des articles 11 9 et suivants des lois coordonnées puisse don-ner lieu à des hésitations et à des controverses géné11atrices d'insé-

    curité.

    « Socialement parlant, écrit M. DA/BIN, r absence totale de règ[e là ou il en faudrait, ou une règle imparfaite dans Ie fond de sa

    disposition valent mieux souvent qu'une règle incertaine : ces solu-

    tions, du moins, ont Ie mérite de la clarté et, à la rigueur, eer-tains

    arr:angements permettrant d'y parer, tandis que l'incertitude ajoute

    au désordre des conduites, un désordre plus monstrueux, à savoir

    Je désordre dans I' ordonnance même qui prétend faire régner I' ordre » ( J. DABIN, Théorie générale du droit, n° 1 68).

    '- I

    3. La fa u te ·du notaire qui avait reçu I' acte constitutif de la société paraît flagrante. Conseiller naturel des parties, il avait I' obligation de veiller à la régularité de r acte qu'il était appelé à recevoir (Viv. Bruxel~es, 2 juin 1951, Revue, 1956, n'0 4541.

    Aussi ne peut-on qu'approuver I' arrêt lorsqu'il relève cette faute et là responsabilité qui en résulte. On peut se demander cependant

    s'il en a admis toutes les conséquences. Sans doute, l'irrégularité de

    I' acte constitutif n' était-elle pas la cause de la fail!lite de la société. n n' empêche que, sans cette irrégularité, les associés n' auraient pas été personnellement et solidairement tenus des engagements de

    la société faillie. De sorte que l'irrégularit~ de I' acte constitutif est, avec la faillite de la société, la cause du dommage souHert par

    les associés persol).nellement. 11 eût été juste, nous semble-t-il, q-ue Ie notaire, qui en porte :la responsabilité, supporte au moins par-

    tiellement les conséquences de l'irrégularité de I' acte constitutif.

    f rançois VAN DER MENSBRUGGHE Avocat près la Cour d'appel de Bruxelles.

    No 4766

  • -252-

    No 4 767. - Tribunal de commerce· de Bruxelles ( 1 re eh.). 25 février 1954.

    Siég. MM. Bourgeois, prés.; Gorheel, et Brynaert, juges; Van der Gucht, .réf. Plaid. : MMes Pirotte et Hamaide, avoc.

    (J. Liégeois cj S. A. Sat·icom.)

    Société anonyme. - Actions nominatives. - Conve1·sion en actions au por-. teur. - Possibilité. - Frais de cette conversion.

    Lorsque les statuts d'une société an•onyme pe1,mettent la conversion des actions 1Wminatives en actions au porteur, !'assemblée générale n'a pas à P1'endre ae décision quant à l'exercice pm· l'actionnah·e du d1·oit qui lui est ainsi accodé.

    Les frais de la con·version son•t.à chm·ge de la société, sauf dispositîon con•tmi1·•e des statuts, tout au mot:ns lorsqu'il s'agit d'action•s « délivrées à I' origine» et lorsque l'actionnaire n•agit pas dans « un intérêt pm·ticulie1· et exclusif ».

    JUGEMENT .

    . . . Attendu que Ie demandeur, en sa qualité d'actionnaire de la société défen-deresse, assigne celie-ei pour I'entendre condamoer à convertir les 132 actions nominatives, entièrement libérées et lui appartenant dès l'origine de la société, en ti tres au porteur, et ce, aux frais de la défenderesse;

    Que celie-ei s'y est refusée, malgré les invitations et sommations du deman-deur, prétendant -d'une part que, conformément aux statuts, pareille conversion ne serait qu'une faculté pour la société et serait subordonnée à une décision de l'assemblée .générale et, d'autre part, que cette conversion, si Ie tribunal l'admet-tait, devrait être faite aux frais du demandeur lui-même;

    Attendu .que, si l'art. 46 des lois coordonnées sur les sMiétés commerciales prévoit Ie d·roit des propriétaires d'actions au porteur de convertir leurs titres en actions nominatives, aucune disposition .des lois lbelges ne prévoit expressé-ment un droit aussi absolu pour les propriétaires d'actions nominatives qui veu-lent convertir ces actions en titres au porteur; qu'il résulte cependant des arti-cles 46 et 42 des mêmes lois que cette dernière conversion pourra se faire si les statuts I' autorisent;

    Qu'il est enseigné que si les statuts étaient muets quant à cette dernière conversion, les titulaires d'actions nominatives, complètement libérées, ne pour· raient exiger la conversion de ces titres en aetions au porteur (RESTEAU, Soc. an., t. Jer, n° 662; Rép. p1·at. 4r. b., v0 Sociétés an'onymes, n° 492);

    Qu'ainsi, quant à l'interprétation de l'art. 10 des statuts de la défenderesse, interprété différemment par les parties, les fondatfmr~ doivent être censés avoir voulu « autoriser >> le.s actionnaires .d.ans Ie sens de Part. 42, et qu'il n'est dès lors plus · nécessaire qu'une assemblée générale de I~ société aceorde pareille autorisation;

    Attendu, d'autre part, que la conversion des actions naminatives entièrement libérées en titres au porteur ne pourrait être obligatoire J>OUr l'actionnaire; que cette conversion doit être agréée par lui; que cela résulte notaroment du droit que lui donne la loi d'eJ,Ciger la conversion de son titre nominatif en titre au porteur (FREDERIC:Q, Traité, 111, n° 541) ;

    N° 4767

  • -253-

    Attendu qu'il faut dès lors interpréter Ie sens du mot « peuvent >> figurant à l'art. 10 des statuts de la société défenderesse comme donriant- une faculté aux actionnaires, conformément à l'art. 42 des lois coordonnées et non pas une faculté réservée à !'assemblée générale, oy soumise à l'assentissement d'une assemblée générale (voir également Novelles, V 0 Société_ anonyme, n° 1420; Gand, 18 juillet 1903, R .P.S., 1903, p. 24S) ;

    Quant aux frais de ladite co·nversion de titres :

    Attendu que Ie demandeur fait état d'un usage selon lequel pour les titres délivrés «à I' origine», sauf dispositions contraires expresses, les frais de confec-tion et de timbres incomberaient .à la société (Rev. prat. soc., 1902, p. ss); Novelles, VO Sociétés anony·mes, n° 142obis); que WAUWERMANS relate Ie même usage (JI!Ianuel des sociétés an·on.ymes, r éd., 1933, n° 239), ainsi que pour « la première délivrance » des ti tres au porteur (ibid., n° 229bis) ;

    Qu'il faut normalement comp·rendre par les mots « dès !'origine», Ie cas d'une société ou les actions sont entièrement libérées dès ]'origine de la· société et créées au porteur;

    Que Ie demandeur précise. dans son exploit que ces ti tres lui appartiennent dès; !'origine; mais que ces titres sont en fait « nominatifs » depuis 1952, date de la constitution de la société;

    Qu'il est sans doute enseigné que Ie même ·u sage existe pour les titres au porteur « lors de la première délivrance » (WAUWERMANS, op. cit., n° 229bis);

    Que Ie demand'eur est dans. les conditions voulues ~pour faire appel à eet usage; Qu'en tout état de cause il échet d-'interpréter enco·re les statuts sur ce point; Que l'actionnaire devrait supporte·r lui-même les frais, s'il agit dans son

    intérêt exclusif, procédant à des opérations de conversion ou de division (W AUWERMANS, ibid.) ; que la première délivrance d'e titres au porteur n'est généralement pas considéré comme telle;

    Que l'actionnaire qui fait usage de la faculté que les statuts lui donnent d'exi-ger des titres au porteur, dans Ie ·but de les négocier facilement, n'agit pas dans son « intérêt exclusif »; que cette facilité appartient à la nature même du titre et de la société anonyme choisie par les fondateurs lors de la constitution, les statuts prévoyant expressément cette faculté _POUr les actionnaires;

    Que certaines Iégislations étrangères ont précisément prévu la conversion des actions nominatives en titres au porteur en raison de cette facilité de réalisation (loi luxembourgeoise : voir FREDERICQ, Traité, t. VI, n° 479) ;

    Qu'à défaut de clause expresse contraire quant aux frais, il faut e·stimer que eenx-ei sont à charge de la. société, pour -cette première conversion; que cette interprétation des statuts ne peut être influencée par Ie fait qu'il s'agit d'une société anonyme à capita! peu élevé et ne comprenant que quelques actionnaires, pour laquelle les frais de conversion peuvent paraître élevés ;

    Par· ces ·motifs,

    ·Le Tribunal, écartant toutes autres conclusions, plus amples ou contraires; Condamne la. défenderesse à convertir les 1.32 actions nominatives entièrement

    li.bé.rées et appartenant dès I' origine au d'emandeur en titres au porteur; Dit pol!r d~o~t. que les frais de cette ~o11version sont à supporter par la défen-

    deresse;

    No 4767

  • -254-

    Dit pour droit qu'à défaut d'effectuer cette conversion et de remettre au demandeur 132 titres au porteur Saricom, dans les deux mois de la signification du jugement, la défenderesse devra payer au demandeur, à titre de dommages-intérêts, la somme ,d,e 100 fr. par jour' de retard;

    Condamne la défenderesse aux frais ...

    Observations. - Ce jugement est fidèle à une doctrine établie depuis de nombreuses années ( voy. Revue, 1902, pp. 99 et suiv.; Revue, 1903, pp. 248 et suiv.; Novelles, Droit commercial, n° 1420his; WAUWERMANS, n°6 229bis et 239; Rép. pr. dtoii b., v 0 Soc. anon., n° 492; VAN RYN, Droit commercial, t. Jer, n° 519; FREDERICQ, Droit comme/cial, t. 11, n° 846.).

    Le propriétaire d'actions nominatives .entièrement libérées peut,

    si les statuts Ie peimettent, exiger la conversion de ses actions nami-

    natives en actions au porteur, en· application des artides 42 et 46 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales.

    Dans le cadre dè cette ·doctrine déjà ancienne, le jugement annoté apporte d'utiQes précisions.

    La première est que, l'autorisation de procéder à ladite conver-sion étant donnée par les statuts, il n'appartient pas à l'assemhlée

    générale, sauf stipulation précl.se dans ce sens, de donner une nou-velle fois cette permission à l' actionnaire. Cette faculté statutaire est un droit de I' actionnaire, dont il peut exiger' I' exécution quel que soit Ie désir de rassemblée OU du conseil.

    n est pourtant parfaitement concevable que des ~tatuts restrei-grient Ie droit de conversion -et assortissent cette opération des formalités habilitantes qui paraîtraient souhaitables. Les statuts,

    pouvant s' opposer à la converswn, peuvent assurément en rég'le-

    menter I' exercice. La seconde précision apportée par Ie jugement est relative aux

    frais de la conversion ( confection des ti tres et droits de timbres) . La solution adoptée, favorahle à 1' actionnaire et conforme à la

    doctrine citée pQus haut, ne paraît pas échapper à certaines criti-

    ques d' ordre logique. La loi est muette quant à ces frais, mais l'article 46, alinéa 3,

    des lois coordonnées décide que les frais de conversion de titres

    au porteur en actions nominatives sont à charge de I' actionnaire. Existe-t-il des raisons valables d'en décider autrement lorsqu'il

    s'agit de l'opération inverse~ L'usage invoqué par Ie jugement et repris par les auteurs cités

    paraît bien difficile à justifier. Certes, ilorsqu'une société décide de

    No 4767

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    convertir toutes ses actions, 1' on con~oit aisément que les frais de cette modification imposée à l' actionnaire soient supportés par la

    société. Mais, dans le problème qui noU:s occupe, il s' agit de la simple faculté accordée -par la loi dans un sens, et par les statuts

    dans l' autre; 1' actionnaire décide, pour des motifs de convenanee personnellle, de faire procéder à la conversion, et il paraît difficile-ment ju'stifiable que le coût de ces convenances personnelles soit

    supporté par la société. Le seul souci de l' unité de régime juridique

    justifierait une application analogique du système adopté par la loi

    pour l'une des conversions facultatives.

    Les auteurs ont, semble-t·il, réalisé 'Ie caractère illogique de ·

    l'usage invoqué puisqu'ils en restreignent l'application aux titres

    délivrés « à l' origine » ou encore lorsque l' actionnaire n' agit pas dans un « intérêt particulier et· exclusif ». Mais on n'aperçoit pas la raison de favoriser l' actionnaire fondateur par rapport à l' ac·

    tionnaire subséquent, et on n' aperçoit pas non plus quell a,utre