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www.comptoirlitteraire.com André Durand présente ’Phèdre’’ (1677) Tragédie en cinq actes et en vers de Jean RACINE pour laquelle on trouve un résumé puis successivement l’examen de : les sources (page 3) l’intérêt de l’action (page 7) l’intérêt littéraire (page 11) l’intérêt documentaire (page 20) l’intérêt psychologique (page 22) l’intérêt philosophique (page 33) la destinée de l’œuvre (page 35) 1

496 Racine Phedre

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RACINE - Phdre

www.comptoirlitteraire.comAndr Durand prsentePhdre(1677)

Tragdie en cinq actes et en vers de Jean RACINE

pour laquelle on trouveun rsum

puis successivement lexamen de:

les sources (page 3)

lintrt de laction (page 7)

lintrt littraire (page 11)

lintrt documentaire (page 20)

lintrt psychologique (page 22)

lintrt philosophique (page 33)

la destine de luvre (page 35)

ltude de la pice, scne par scne (pages 44-95).Bonne lecture !

RSUM

Acte I

Scne 1 : Hippolyte, fils de Thse, roi d'Athnes et de Trzne, et d'une Amazone, annonce son prcepteur, Thramne, son intention de quitter Trzne (la ville o se droule l'action) pour aller la recherche de son pre, absent depuis quelque temps, et dont on est sans nouvelles. Mais lui, qui passe pour indiffrent lamour, veut aussi fuir Aricie, seule survivante des Pallantides, branche de la famille de Thse que celui-ci a fait massacrer, tandis quil a fait de la jeune fille une esclave.

Scne 2 : La seconde pouse de Thse, Phdre, va paratre. Oenone, sa nourrice et confidente, fait fuir tout le monde.

Scne 3 : Phdre, triste, lasse, puise, est accable dun mal mystrieux qui lui fait ce point oublier ses devoirs que, refusant toute nourriture, elle se laisse glisser lentement vers la mort. Elle se laisse arracher par sa suivante la confidence du secret de son trouble : elle aime Hippolyte, son beau-fils, que Thse eut dun premier mariage. Elle a tout tent pour ne pas cder sa passion, a mme cart le jeune homme ; tout a t vain, et elle se laisse glisser vers la mort.

Scne 4 : Un messager apporte la nouvelle de la mort de Thse, ce qui semble rsoudre le dilemme de Phdre : son amour nest plus coupable. Mais se pose le problme de la succession sur le trne dAthnes et de Trzne.Scne 5 : Oenone invite Phdre dfendre les droits de ses enfants au trne. Elle accepte : elle verra Hippolyte.

Acte II

Scne 1 : Aricie avoue sa confidente, Ismne, son amour pour Hippolyte, que Trzne vient de reconnatre pour roi.

Scne 2 : Hippolyte dcide daffranchir Aricie, lui offre la couronne dAthnes, et lui dclare son amour, songeant exiler Phdre et son fils en Crte, et ne garder pour lui que Trzne.Scne 3 : Hippolyte apprend que Phdre demande le voir, et Aricie lui avoue quelle laime.

Scne 4 : Hippolyte, qui veut partir au plus vite, est arrt par larrive de Phdre.

Scne 5 : Sous couleur de lui peindre son amour pour Thse, Phdre avoue Hippolyte lamour quelle prouve pour lui. Repousse avec horreur par le jeune homme, elle lui arrache son pe dont elle veut se transpercer. Mais Oenone lentrane.

Scne 6 : Le fils de Phdre a t reconnu comme roi par Athnes. Le bruit court que Thse nest pas mort.

Acte III

Scne 1 : Phdre, qui ne veut pas rgner, confesse qu'elle n'a pas perdu tout espoir, se demande mme si elle n'a pas, maintenant que Thse est mort, le droit d'aimer Hippolyte, envisage de conqurir son amour en lui offrant le trne dAthnes.

Scne 2 : Elle se reprend et, au comble de la honte, implore laide de Vnus.

Scne 3 : Soudain, on lui annonce que la nouvelle de la mort de Thse tait fausse, et quil arrive Trzne. Elle veut mourir, mais Oenone lui propose de faire exiler Hippolyte en laccusant, auprs de son pre, davoir voulu lui faire violence. Phdre accepte.

Scne 4 : Phdre refuse les tmoignages de tendresse de Thse. Scne 5 : Thse est tonn, et Hippolyte, en lui annonant son intention de quitter Trzne, accrot sa mfiance. Le trouble de Phdre et celui d'Hippolyte son abord, l'offense mystrieuse voque par I'un et I'autre veillent en lui une douloureuse curiosit.

Scne 6 : Hippolyte est inquiet, partag entre sa crainte de voir Phdre rvler sa passion, et son respect pour son pre.Acte IV

Scne 1 : Oenone a calomni Hippolyte auprs de son pre, layant accus d'avoir attent l'honneur de Phdre. Thse, en colre, maudit son fils, et demande Neptune de le faire prir.Scne 2 : Thse, interrogeant son fils, n'obtient de lui que I'aveu de son amour pour Aricie. Il refuse de le croire.Scne 3 : Le roi, en proie la douleur, abandonne Hippolyte aux fureurs de Neptune.Scne 4 : Phdre, qui venait intercder auprs de lui pour Hippolyte, apprend que celui-ci aime Aricie.

Scne 5 : Phdre est en proie la douleur.

Scne 6 : Sa jalousie lgare : elle veut mourir. Oenone linvite consentir cet amour illgitime. Phdre la maudit.Acte V

Scne 1 : Hippolyte s'enfuit, et demande Aricie de le rejoindre pour que, par un serment solennel, ils consacrent leurs fianailles devant les dieux.

Scne 2 : Aricie demande Ismne de prparer la fuite.

Scne 3 : Les doutes de Thse, qui a vu Hippolyte et Aricie ensemble, sveillent. Il apprend de la bouche d'Aricie qu'Hippolyte n'aime qu'elle, quelle fuira avec lui. Insulte par le roi, elle lui laisse deviner un mystre, le met en garde contre I'injustice qu'il s'apprte commettre.Scne 4 : Les doutes de Thse se confirment : il veut revoir Oenone.

Scne 5 : Mais Oenone sest noye, et Phdre veut mourir. Thse fait rappeler Hippolyte.

Scne 6 : Thramne vient annoncer et raconter la mort terrible dHippolyte: il a t tran sur des rochers par son attelage effray par un monstre marin.

Scne 7 : Phdre parat, chancelante. Elle sest empoisonne, et, avant de mourir, vient saccuser devant Thse, lui rvlant toute la machination et le crime dont elle est coupable. Thse adopte Aricie.Analyse

Sources

Le sujet de Phdre est I'un des plus clbres de la mythologie grecque, lun des plus souvent traits travers le temps.

Comme avait t le cas pour La Thbade ou Les frres ennemis, Andromaque et Iphignie, Racine sinspira dEuripide pour cette pice quil intitulait alors Phdre et Hippolyte. Il lindiqua demble, dans la prface de la pice : Voici encore une tragdie dont le sujet est pris d'Euripide. Quoique j'aie suivi une route un peu diffrente de celle de cet auteur pour la conduite de I'action, je n'ai pas laiss d'enrichir ma pice de tout ce qui m'a paru plus clatant dans la sienne. Quand je ne lui devrais que la seule ide du caractre de Phdre, je pourrais dire que je lui dois ce que j'ai peut-tre mis de plus raisonnable sur le thtre. Il s'inspira en effet de Hippolyte porte-couronne (428 av. J.-C.), tragdie qui, comme son titre I'indique, est centre sur Hippolyte. Ce jeune homme d'lite l'ducation trs soigne est un fervent fidle d'Artmis, la vierge desse de la chasse. Pour lui, la chastet est la vertu par excellence ; il a le plus grand mpris pour Aphrodite et pour les femmes, et il I'exprime au besoin agressivement. Dans un prologue, Aphrodite vient annoncer qu'elle va se venger de cette offense, et le chtier. Elle fait de ce prtentieux I'objet de la passion criminelle de sa belle-mre, Phdre, d'une calomnie puis d'une impulsive raction de son pre, Thse, qui aboutit son meurtre, avec I'aide du dieu Neptune. En effet, Aphrodite a aussi un compte rgler avec Phdre, parce que le grand-pre maternel de celle-ci, le Soleil, qui voit tout, avait dnonc son adultre son mari, Hphastos. En consquence, elle lanime d'un rotisme monstrueux qui se manifesta surtout dans une premire version de sa pice, laquelle Euripide avait donn le titre dHippolyte voil (dont il ne reste que des fragments), o, sensuelle et machiavlique, elle se livrait sans rticence sa passion criminelle, au point que le public fut choqu, et que le dramaturge rdigea sa seconde version, Hippolyte porte-couronne.Involontairement travaille par une coupable passion pour son beau-fils, Phdre rsiste autant que possible au rle que la divinit lui impose, la saine raison et un fier sens de l'honneur dominant son esprit. Et, quand elle sent que l'envotante puissance de la divinit va triompher, car on annonce la mort de Thse, elle choisit de se laisser mourir. C'est linsistance tenace et suppliante de sa nourrice qui I'amne une confidence dont elle a honte. Elle accepte I'aide de cette vieille femme, mais sur une proposition ambigu. Quand elle constate que la nourrice a parl Hippolyte, et qu'elle entend les ractions injurieuses de celui-ci, consciencieuse, elle dcide aussitt de se tuer, pour sauver I'honneur de son mari et de ses fils. Mais c'est alors qu'elle se dtermine galement perdre par la calomnie I'orgueilleux qui vient de I'insulter : un autre aussi la mort sera funeste, pour lui apprendre ne pas s'enorgueillir de mes infortunes ; associ mon mal, il prendra, en le partageant, une leon de mesure. Or le roi, bien qu'absent, est toujours vivant. La nourrice se propose d'aider sa matresse satisfaire cet amour coupable : Phdre s'y refuse. Malgr cela, sous le sceau du secret, la nourrice dvoile Hippolyte la passion de sa belle-mre. Le jeune hros s'enfuit, horrifi par la passion que lui voue la reine. Phdre maudit sa nourrice, et, torture par la honte, voulant fuir le dshonneur, se pend. Alors survient Thse qui dcouvre, attache au cou de sa femme morte, une tablette par laquelle elle accuse calomnieusement Hippolyte d'avoir tent de la violer. Ce dernier, mis en prsence de son pre, essaie en vain de se dfendre. Thse le maudit, et charge de le faire prir le dieu Posidon, qui avait promis d'exaucer trois de ses vux. Un messager survient peu aprs : il annonce qu'Hippolyte a t tran par ses chevaux, qu'un monstre sorti de la mer avait pouvants, et qu'il est mourant. Artmis dcouvre alors Thse la vrit. Hippolyte vient mourir dans les bras de son pre, et lui pardonne.Du point de vue de la tradition grecque, il est cruellement mais justement frapp pour avoir orgueilleusement voulu s'exempter de I'humaine condition, refus le culte d'une divinit, et brav son pouvoir. Mais, outre qu'il tait misogyne, il opposait son rationalisme critique aux traditions religieuses : Euripide tendit donc le valoriser comme un philosophe qui aspire s'affranchir des servitudes du corps et du rapport avec les femmes. Cest ta noblesse d'me qui a caus ta perte, lui dit Artmis. Son seul dfaut, c'est sa suffisance, sa conviction d'tre une me hors de la commune mesure. On voit la nette diffrence avec le hros de Racine, modeste, respectueux, voire timide, qui apprend ses dpens la toute-puissance de I'amour, qui est la victime de Phdre, elle-mme malheureux instrument d'une vengeance divine dont elle n'tait pas lobjet. Lcrivain grec montrait donc les humains victimes de la cruelle vengeance des dieux.Quant Phdre, elle oppose la vengeance divine plutt qu'une conscience intime la volont de rester socialement honorable, parce que, pour Euripide et ses contemporains, I'individu tait une personnalit sociale qui (surtout si c'tait une femme) navait gure d'autonomie subjective. Ce qui me tue, dit-elle, c'est la crainte d'tre un jour vaincue, de dshonorer mon mari et les fils que j'ai mis au monde (vers 419-421). Mme sa calomnie criminelle, que notre mentalit nous pousse lire comme une vengeance personnelle, est tout autant, dans le contexte grec, une dnonciation justicire, o elle est le porte-parole de la raison et I'instrument des dieux contre la scandaleuse prtention d'un mortel.

Racine se contenta le plus souvent d'adapter et mme de reproduire des passages entiers de la tragdie grecque. Il lui emprunta les plaintes de Phdre mourante, les pressantes suppliques de la nourrice et l'aveu celle-ci (I, 3), puis laffrontement entre le fils et le pre, qu'il raccourcit cependant de prs de la moiti (lV, 2), et, en partie, le rcit de Thramne (V, 6). Certains vers de sa Phdre ne sont mme que des transcriptions des vers d'Euripide. Cependant, il modifia certains dtails dans la conduite de I'action ; ainsi, chez le Grec, Hippolyte se taisait parce qu'Oenone le lui avait fait jurer par surprise, tandis que, chez lui, diffrence apprciable, il le fait par respect pour son pre. Surtout, les perspectives et les personnages traduisirent sa propre vision et les tendances de son temps. Tout ce qui n'appartient pas dans Phdre Euripide n'est pas pour autant de I'invention de Racine. Il sinspira aussi dauteurs latins, le sujet ayant t repris par Ovide (dans ses Hrodes, on trouve une lettre de Phdre Hippolyte ; dans le livre XV des Mtamorphoses, il est question dHippolyte), et surtout par Snque, dans une Phdre quil utilisa galement, mme sil se borna, dans sa prface, la nommer en passant, alors quil semblait attacher la plus grande importance I'indication exacte et complte de ses sources. Cette pice parat elle-mme imite de la premire version d'Euripide, l'Hippolyte voil, plus que de la seconde, l'Hippolyte porte-couronne. Snque recomposa l'intrigue, transfra le sujet sur le plan humain, s'intressant bien plus que le Grec la subjectivit personnelle. Il fit toujours dHippolyte un jeune homme indiffrent aux femmes, un mystique, fervent dArtmis, la chaste desse. Mais il centra son oeuvre sur Phdre, dont il approfondit I'analyse, et dveloppa le rle, lui donnant le trait de caractre de la jalousie que le personnage navait pas auparavant. Trs sensuelle, elle accepte assez facilement le dsir que Vnus lui a donn pour Hippolyte ; elle lui dclare directement son amour ; si elle souffre, c'est surtout parce que sa passion est impossible satisfaire, et non parce quelle est illicite ; et elle insiste, pour excuser ses propres sentiments, sur les infidlits de Thse. C'est seulement dans un deuxime temps qu'elle se dcide mourir pour sauver son honneur (vers 250-254). C'est par une dmarche volontaire que, dans une scne capitale qui n'est pas dans Euripide (laveu y est fait hors scne par la nourrice), elle dclare sa passion Hippolyte ; indign, il tire son glaive pour I'en frapper ; elle le presse d'achever son geste, et de lui donner la mort ; mais il se ravise, l'pargne et lui abandonne l'pe, dsormais souille par un contact impur ; et elle sen sert ensuite pour laccuser. Elle lui survit, et avoue la vrit avant de se tuer devant son cadavre, par amour pour lui autant que par remords.

Racine s'inspira de Snque, non seulement pour la scne capitale, mais aussi pour les ractions d'Hippolyte, les rpliques de la reine aux objections dOenone, le transfert de la calomnie sur celle-ci, I'ide de la captivit de Thse, la prire Vnus (adapte dune prire de Ia nourrice Diane), le rcit de Thramne. Il prfra cette version car elle laissait plus de place aux passions humaines et moins au sacr.

Il indiqua encore: Jai mme suivi lhistoire de Thse telle quelle est dans Plutarque, cest--dire dans Vies des hommes illustres. Mais il ne mentionna pas les tragdies de ses devanciers: Ovide, Virgile mme.

Aux XVIe et XVIIe sicles, plusieurs auteurs avaient trait le mme sujet:

- sept dramaturges italiens entre 1552 et 1661 ;

- quatre dramaturges franais: Robert Garnier (Hippolyte [1573]), Gurin de La Pinelire (Hippolyte 1635]), Gabriel Gilbert (Hippolyte [1647]) et Mathieu Bidar (Hippolyte [1675]), qui s'inspiraient tous de Snque, layant dailleurs suivi de trop prs pour que Racine ait cherch chez eux ce qu'il pouvait trouver chez le tragique latin. Cependant, Garnier envisageait le suicide dOenone, et crivait en chrtien engag ; Gilbert et Bidar, sils avaient fait lun et lautre de Phdre la fiance de Thse, non plus son pouse, dnaturant ainsi lessentiel du drame, avaient attnu la violente misogynie dHippolyte qui ntait plus accus de viol, mais de tentative de sduction ; chez Gilbert, Oenone se suicidait, et Phdre prouvait des remords la fin de la pice ; chez Bidar, elle s'empoisonnait au lieu de se tuer sur scne d'un coup d'pe.

Prsentaient d'importantes analogies avec Phdre' Antiochus de Thomas Corneille (1666), Stratonice (1660) et Bellrophon (1670) de Quinault.

De plus, le thme de Phdre rappelait deux rcits de la tradition chrtienne:- L'histoire biblique de la femme de Putiphar qui, furieuse de n'avoir pas russi sduire Joseph, l'avait accus d'avoir voulu la possder, et fait jeter en prison (Gense, 39).- Lhistoire de Fausta, seconde femme de l'empereur romain Constantin (306-337), clbre pour avoir fait du christianisme la religion de I'empire ; prise de son beau-fils, Crispus, et furieuse de le voir repousser ses avances (et aussi davoir adhr au christianisme, auquel elle tait personnellement trs hostile), elle I'accusa d'avoir voulu la forcer, et son pre le fit excuter ; bouleverse par sa mort, elle avoua la vrit, et Constantin la fit prir. Raconte dans La cour sainte du P. Caussin (l'un des livres les plus lus entre 1624 et 1650, et que les lettrs n'avaient pas oubli), ce sujet avait t mis en scne par des professeurs de collge (dont les lves la jourent assez souvent partir de la fin du XVIe sicle), par Grenaille (L'innocent malheureux [1639]) et par Tristan (La mort de Chrispe [1644]).

Mais Racine ne se contenta pas d'imiter. Il accrut la prdominance du personnage de Phdre, ce que marqua le fait quaprs avoir dabord donn pour titre son oeuvre Phdre et Hippolyte, il lait appele finalement tout simplement Phdre. Le centrage tant diffrent, Hippolyte, dont la violente misogynie disparut compltement, dcrt dans les mmes proportions. Il affina lanalyse de Phdre, dveloppa I'extrme sa complexit ambivalente ; elle nest plus simplement la victime de la nourrice, de la vengeance de Vnus, car il ne pouvait insister sur une explication incroyable pour ses contemporains ; elle est plus responsable, dchire entre sa conscience et sa passion illicite. Comme chez Bidar, elle s'empoisonne au lieu de se tuer sur scne d'un coup d'pe. Il fit rsonner sa problmatique travers toute une mythologie et une cosmologie. Il travailla partout la psychologie, la prparation dramatique, la vraisemblance, la biensance, le style. Et il introduisit plusieurs donnes supplmentaires:

- Le personnage dAricie, dont l'ide lui avait t foumie par un passage du livre VII de lnide. Cela entrana lintroduction dune dimension politique absente jusqu' lui, tandis que lamour que lui porte Hippolyte fait quil s'apprte partir la fois pour chercher son pre et pour la fuir. Cette innovation importante tait une rponse l'attente du public qui, depuis une gnration, voulait de jeunes hros tendres et amoureux, un couple pastoral, transpos dans la tragdie o il forme contrepoint la passion de Phdre, prpare et redouble ses aveux, est destin tre broy. La mode avait dj impos cette transformation Gilbert et Bidar. Cette innovation permettait aussi, trait de caractre que le personnage navait pas chez les Grecs, qui fut invent par Snque, de rendre Phdre furieusement jalouse : elle allait peut-tre avouer la vrit, et essayer de sauver I'innocent, ce qui provoque une remarquable priptie, quand I'annonce de cet autre amour anime toute la violence d'une passion plus douloureuse que jamais, et rend I'hrone dfinitivement coupable mais pitoyable sinon excusable.

- La fausse nouvelle de la mort de Thse qui, outre qu'elle va rendre encore plus dramatique son retour, allge la culpabilit de Phdre (Oenone prtend que sa passion devient une flamme ordinaire [vers 350]), et enclenche toute I'action, la nouvelle situation obligeant la reine rencontrer Hippolyte pour dfendre les droits de succession de son fils, comme elle pousse le jeune homme voir Aricie.- Les violents reproches que la reine fait Oenone, et qui sont la cause de son suicide.

- Le dveloppement de la dimension hroque, les exploits de Thse, dont Euripide ni Snque ne parlaient, tant largement voqus, Hippolyte tuant le monstre, ce qu'il ne faisait nulle part ailleurs.

- Linsistance sur des lments rotiques: Phdre invoque le Labyrinthe o elle se serait volontiers perdue avec Hippolyte ; elle l'invite la frapper en pleine poitrine, implorant un supplice si doux, qui serait la fois expiation et jouissance ; et, devant sa rticence, elle saisit son pe, un objet qui se porte comme un phallus (vers 699-711).Mais la Phdre de Racine n'est pas un patchwork. Cest une uvre originale o il a tout la fois redonn au sujet sa violence primitive, en prsentant Phdre comme pouse de Thse et non comme sa fiance, et ajout une dimension de tendresse au modle donn par Euripide. Cest mme un chef-d'oeuvre dans la mesure o ses multiples emprunts furent parfaitement intgrs dans une vision de I'tre humain aussi bien que dans un parcours dramatique et une harmonie potique qui sont lexpression de cette vision, mme s'ils ne s'y rduisent nullement. La pice montre l'affrontement de la passion et de la conscience sous leurs formes les plus intenses. La protagoniste de Racine n'est pas une juxtaposition de la Phdre consciencieuse dEuripide et de la Phdre sensuelle de Snque. Elle est une ranimation d'lments emprunts ces auteurs par la mise en scne de la contradiction fondamentale de I'tre humain selon la vision dont il tait nourri. C'est pour cela que ses inventions et ses emprunts s'articulrent si bien dans un tre qui porte un nom ancien mais qui n'existait pas chez Euripide, encore moins chez Snque, qui est la fois conscience et concupiscence, la fois innocente et coupable sans tre tout fait ni I'un ni I'autre. Cette vision fondamentalement chrtienne permit Racine, sil ralisa, plus que dans Iphignie, la transposition de lidal hellnique, d'aller plus loin qu'Euripide ou Snque dans le sentiment de la faute et vers un dsir d'expiation.

Intrt de lactionFidle lidal dramatique quil avait fix dans sa premire prface de Britannicus, Racine conut bien, dans Phdre, une action simple, charge de peu de matire, [] soutenue que par les intrts, les sentiments et les passions des personnages, des faits rduits au minimum, des situations nettes, une intrigue lunit profonde, marque par quelques pripties (l'annonce de la mort de Thse, son retour, la calomnie dOenone, lirruption du monstre), la progression tant uniquement psychologique dans une crise qui se dclenche ds le dbut alors que, retrouvant son thme de prdilection, savoir la passion amoureuse destructrice, il en peignit une ne dun vrai coup de foudre mais longtemps contenue, et qui va se dchaner. Plus sobre que jamais, il voulut que la passion seule, et spontanment exprime, fournisse le point de dpart du drame ; que le secret d'un amour scandaleux soit cach en vain ; que les aveux de Phdre le rvle progressivement tous les personnages, ce qui enclenche la machine infernale, et que son amour la conduisant aux pires excs, ils soient entrans I'un aprs I'autre dans la tragdie.

Mais Phdre n'est pas une tragdie d'action. Sy opposent des forces la fois intimes et transcendantes, qu'on peut seulement tenter d'touffer ou d'exorciser, et qu'on est finalement oblig de laisser parler. La pice est une sorte de crmonie, faite d'une suite de rticences et d'aveux qui sont autant de variations sur le thme de l'amour irrsistible et coupable, c'est--dire autant d'affrontements entre nos deux principes fondamentaux, dont I'antagonisme torture les personnages : la concupiscence passionnelle et Ia conscience morale. Le sujet pourrait ntre considr que comme un de ces faits divers exploits par des hebdomadaires friands de scandale, comme une autre histoire de passion adultre et contrarie, Phdre tant une femme comme les autres. La pice ne serait alors quun drame bourgeois sinon un mlodrame. Mais ces malheurs, selon le principe de la tragdie, arrivent des grands de ce monde, qui sont roi, reine, prince et princesse, qui descendent mme de dieux, qui, omniprsents, implacables et inhumains, exercent sur eux une influence directe. Signalons que le mot dieu apparat 11 fois au singulier (plus significatif) et 32 fois au pluriel (sans compter les expressions assez vides de sens, comme ah dieux !, au nom des dieux) contre 8 et 58 dans lphignie, et une moyenne de 0,43 et 8 dans les autres tragdies profanes ; les divinits sont dsignes 27 fois par leur nom, contre 7 dans lphignie, 13 dans Athalie, 2 ailleurs. Vnus conduit I'action, et Neptune l'achve. Ces dieux imposent aux humains le poids de la fatalit, ressort essentiel de la tragdie grecque o Racine avait dcouvert un monde de cruaut, o son imagination stait peuple de hros, et surtout d'hrones, condamns par les dieux chercher dsesprment une innocence perdue, vivre dans le mal et en mourir. Et il para cette aventure scabreuse dune noblesse, dun charme tels que lindcence du personnage se mtamorphose en sublimit. Il lui donna bien la grandeur tragique, la tristesse majestueuse dont il parla dans sa prface de Brnice.

Le fait que les protagonistes sont roi, reine, prince et princesse entrane aussi une intrigue politique.Thse, le fils d'ge, ayant lutt contre ses cousins, les Pallantides, pour lui succder et tre ainsi roi la fois dAthnes et de Trzne, sa mort permettrait une redistribution quenvisage Oenone, et par laquelle Hippolyte serait roi de Trzne (vers 358), et le fils an de Phdre, roi dAthnes (vers 359), ce qui viterait les conflits entre ces deux fils de Thse. La reine met dailleurs profit cette occasion de faire briller la couronne ses yeux (vers 800) pour rencontrer Hippolyte ; mais alors quelle s'empressait pour les intrts de son fils:

Je vous viens pour un fils expliquer mes alarmes.

Mon fils na plus de pre, et le jour nest pas loin

Qui de ma mort encor doit le rendre tmoin.

Dj mille ennemis attaquent son enfance,

Vous seul pouvez contre eux embrasser sa dfense. (vers 586-590), les trahit un instant plus tard pour les besoins de sa passion, voulant faire briller la couronneaux yeux du jeune ambitieux quest son beau-fils (vers 799-800). De plus, celui-ci voudrait pouser Aricie pour mettre un terme au conflit entre deux familles ennemies ; il lui dit donc vouloir lui rendre Un sceptre que jadis vos aeux ont reu (vers 495). Quand il est banni par Thse, il est prt sallier Argos et Sparte (vers 1366) pour tenter de reprendre le trne dAthnes au fils de Phdre. la fin, s'annonce la rconciliation des factions avec I'adoption d'Aricie. La composition dramatique, d'une grande sobrit et d'une intense signification, est particulirement soigne. Lacte I est lacte dexposition o nous dcouvrons quHippolyte est amoureux dAricie, Phdre amoureuse dHippolyte, que se pose le problme de la succession de Thse.

Lacte II est celui des aveux amoureux, pudiques chez Aricie, gauches chez Hippolyte, dlirants chez Phdre dont la passion fatale domine, crasante et maudite, cette sorte de symphonie.Lacte III est marqu par le coup de thtre du retour de Thse, et linquitude dHippolyte.

Lacte IV, comme habituellement dans les tragdies de Racine, est un temps dindcision o Thse et Phdre sont au comble de la souffrance.

lacte V, aprs le faible espoir de la fuite dHippolyte et dAricie, lexercice de la vengeance demand par Thse Neptune est la catastrophe finale.

Dans la premire partie de la pice, marque par la progression de la passion, la composition est aussi harmonieuse que significative. On a pu souligner les paralllismes savamment dcals des cinq scnes d'aveu (d'Hippolyte, Phdre et Aricie leurs confidents respectifs, d'Hippolyte Aricie et de Phdre Hippolyte).

On peut remarquer que Racine mnagea lalternance des moments de violence et d'apaisement. Il reprit la combinaison de la dimension horizontale et de la dimension verticale quil avait inaugure dans Iphignie: dimension horizontale du schma relationnel entre les personnages, qui rappelle celui de Bajazet (un couple d'amoureux perscut par une femme passionne sur qui pse la figure absente de son poux), et o les passions conduisent tout au milieu des enjeux politiques ; dimension verticale du rapport de Phdre elle-mme la divinit dans la mesure o, tandis que c'est elle qui tient son sort entre ses propres mains, elle se sent crase par un destin qui la dpasse et l'entrane. On oscillle entre le crmonial, qui joue sur les tnbres en insistant sur le dcor, et le mlodrame, qui amincit la tragdie pour grossir lanecdote.

On peut considrer aussi que l'action s'organise en cinq moments : les rsistances de la conscience ; laveu rticent des confidents ; les dclarations involontaires de la passion la personne aime ; le silence face Thse et la calomnie ; les confessions de la conscience. Le premier temps est antrieur au moment o l'action se noue et mme au dbut de la pice, qui en fait le rcit. Pour chapper une passion quils rprouvent sans russir s'en dfaire, Phdre, qui a dj puis tous les moyens, a rsolu de mourir, et Hippolyte a dcid de fuir Aricie en mme temps que d'aller chercher son pre disparu pour chapper la passion tentatrice, et retrouver la protection de la loi. La justification de ces dcisions, qui constitue le second moment, contraint l'aveu rticent de la passion au confident. Une nouvelle situation est cre par l'annonce de la mort de Thse, du roi, du mari et du pre, c'est--dire de lautorit qui frappait d'interdit la passion d'Hippolyte et dAricie comme celle de Phdre. Cest une ruse du destin ou plutt du dramaturge, qui reprsente symboliquement I'esprance illusoire de la passion : car I'interdit ne meurt jamais.

Non seulement la fausse nouvelle permet l'amour, mais elle lui offre loccasion de s'exprimer : Racine a eu I'habilet de penser que la disparition du roi posait aux trois autres protagonistes de dlicats problmes de succession. C'est pour les rgler qu'Hippolyte rencontre Aricie avant que de partir, et que Phdre vient le voir. D'emble, cette rencontre les trouble ; ils parlent de l'inimiti (vers 518, 567, 599, 608), de la haine (vers 516, 518 ; voir har aux vers 471, 521, 606) qui est cense les sparer. Cela conduit bien sr des rectifications la faveur desquelles la passion se saisit soudain de la parole. Cest alors (au vers 827, donc exactement au milieu d'une pice qui en compte 1654) qu'on annonce le retour de Thse. C'est au moment o la passion se dchane, parce quelle se croit dlivre de l'interdit, que resurgit celui qui l'incarne.

En ce quatrime temps, qui est le plus intense, la frnsie de la passion s'accrot encore, si I'on entend par ce mot une force qui s'impose au sujet, submerge sa conscience et pervertit son comportement. Affole l'ide d'tre dcouverte, Phdre laisse calomnier Hippolyte, puis renonce rclamer l'indulgence de son pre quand la jalousie met le comble son tourment et sa frnsie.Ainsi, outre la passion incestueuse, Phdre met en scne un autre scandale : le meurtre de l'innocent par suite de I'irruption d'un monstre envoy par un dieu la prire d'un pre qui a maudit son fils sur la foi d'une calomnie. Hippolyte est, avec Britannicus, dont le meurtre s'explique aisment, le seul innocent assassin chez Racine car Bajazet est coupable, tandis quAstyanax, Xiphars, Iphignie, Esther, Joas sont finalement sauvs. Enfin, pour Phdre, cest le temps de douloureuses confessions, qui ne s'adressent plus au confident ni ltre aim, mais au juge quest Thse. La premire rvlation, faite par Oenone, est en fait une calomnie dicte par la passion. Le juge la croit, sans voir que I'indignation de sa conscience est un aveuglement passionnel. Puis, quand son fils lui confesse ses vritables sentiments, il ny voit qu'un alibi de la passion, et il les rpte Phdre, si bien que cette confession n'a d'autre effet que de mettre le comble au tourment passionnel de la reine, empchant sa conscience de parler, et permettant la mort de l'innocent qu'elle voulait sauver. Cest laveu en acte (que constituent le trouble de Phdre et le suicide d'Oenone) qui commence clairer la conscience de Thse, enfin prt, quand il est trop tard, entendre la confession mortuaire de son fils puis celle de sa femme. Le dnouement quest la mort horrible dHippolyte est inattendu, est un effondrement sans rmission de toutes les constructions sentimentales ou passionnelles que dressaient les hros, et dont se jouent les dieux. La pice se termine hors de toute esprance : Thse ne pourra plus aimer Phdre ; Phdre ne peut plus aimer Hippolyte, et n'a plus qu' se tuer ; Aricie est comme veuve avant d'avoir t marie. La pice est donc une vritable tragdie. Elle est celle d'un personnage, Phdre. Comme elle annonce sa mort ds I, 3, et meurt en V, 7, la tragdie peut mme tre dfinie comme un geste suspendu pendant cinq actes. Tout se passe dans sa conscience coupable et dans les incidents qui retardent le geste fatal. Sont mis en action les deux ressorts tragiques dfinis par Aristote : on passe bien de la piti l'horreur pour atteindre la catharsis (ou purgation des passions). Et Racine fait sentir le poids terrible de la fatalit, cette force qui pesait dj sur les hros des tragdies antiques, se tenant sur une effrayante ligne de crte afin de produire la terreur et la piti. Dans cette tragdie o I'tre humain est le jouet de forces transcendantes, I'ironie tragique est un bon moyen de souligner ses illusions et ses drisoires efforts, qui se retournent contre lui. On constate, au long de la pice, que le sort a des raffinements de cruaut : il semble se plaire tendre des piges aux mortels. Ainsi:

- parce qu'il refuse I'amour, le fier, farouche et rebelle Hippolyte suscite la passion de Phdre et d'Aricie, son affectation de chastet allant tre pour son pre un argument contre lui (vers 1114-1118) ;

- Phdre, qui fait tout pour fuir son beau-fils, le retrouve dans les traits de son poux, et sur l'autel de la desse qu'elle implore (exemplaire transfert freudien !) ; et, quand elle russit I'exiler, son poux lui-mme le lui confie pour le temps de son absence (vers 291-303).- se rpand le bruit de la mort de Thse, et, au moment o elle croyait son bonheur assur commence le tourment de Phdre ; - au moment o le sducteur Thse se repose enfin dans la fidlit, la concupiscence qu'il avait jusque-l mise profit I'accable terriblement ;- Oenone se rjouit de voir sa matresse frmir, de colre, pense-t-elle, au nom d'Hippolyte, souhaite Que I'amour, le devoir [l] excite vivre pour se dfendre contre lui (vers 207-209) ;- cest le pre mme dHippolyte qui demande Neptune de le chtier dun crime quil na pas commis: il a suffi des calomnies dOenone, du silence de Phdre pour perdre le jeune prince.

- Neptune exauce le vu de Thse.Racine suivit les rgles de la tragdie classique, dont les trois premires, les plus fameuses, qui peuvent au premier abord sembler arbitraires, sont en fait au service d'une plus grande intensit dramatique dans le droulement de la crise:

- Celle du respect de lunit de laction, en dpit de la prsence dune intrigue politique, ce que labb dAubignac, thoricien du thtre au XVIIe sicle, appelait une seconde histoire ou un pisode, crivant: La seconde histoire ne doit pas tre gale, en son sujet non plus quen sa ncessit, celle qui sert de fondement tout le pome, mais bien lui tre subordonne et en dpendre de telle sorte que les vnements du principal sujet fassent natre les passions de lpisode et que la catastrophe du premier produise naturellement et de soi-mme celle du second. (Pratique du thtre). Or, ici, si les drames de l'ambition viennent se mler par moments ceux du coeur, ils y sombrent bien vite : Hippolyte ne veut donner le trne d'Athnes Aricie que parce qu'il l'aime ; Phdre est prte en dpossder son fils pour tenter de conqurir par ce moyen l'amour d'Hippolyte. Au dnouement, l'adoption d'Aricie par Thse, qui instaure la paix dans Athnes, a valeur de mythe fondateur.

- Celle du respect de lunit de temps, rgle qui veut que, par un souci de vraisemblance, mais aussi de concentration de l'action, la dure fictive de l'intrigue tende se rapprocher au plus prs de la dure relle de la reprsentation, en tout cas ne dpasse pas vingt-quatre heures ; rgle qui fait que simpose l'urgence, et mme le trop tard. Aux premiers mots de la pice, Hippolyte annonce quil a pris la dcision de quitter Trzne. Ds sa premire apparition, Phdre a rsolu de mourir, et le droulement de l'intrigue ne fera que retarder et tout la fois confirmer cette annonce initiale. On pourrait lui reprocher de croire rapidement la fausse nouvelle de la mort de Thse, et den profiter au lieu de vivre un temps de veuvage dcent ; mais, sans la rgle des vingt-quatre heures, Racine et prvu un dlai !

- Celle du respect de lunit de lieu, qui limite les dplacements dans l'espace, donne la sensation d'enfermement. Pourtant, en tte du texte, Racine indiqua simplement: La scne est Trzne, ville du Ploponnse., alors quil aurait pu crire, comme habituellement, La scne est dans le palais de Thse. Mais, plus loin, il est fait mention de ces murs, ces votes (vers 854 ) ;

- Celle du respect de la vraisemblance qui veut que les caractres des personnages obissent une certaine logique interne. Par exemple, toutes les actions d'Oenone sont subordonnes sa fidlit absolue sa matresse, mme si son dvouement s'avre en ralit catastrophique.

- Celle du respect de la biensance, qui concourt la dignit du genre tragique en mme temps qu' son efficacit, qui interdit d'voquer sur scne des ralits basses ou vulgaires, ni de reprsenter des actions horribles ou dplaces comme des meurtres. En dpit des excs de la passion, la dignit extrieure se maintient, le langage est matris. Ainsi, la pudique Aricie hsite fuir avec un homme qui n'est pas solennellement engag envers elle par une promesse de mariage. Pourtant, Thramne voque la mort terrible d'Hippolyte, insistant lourdement sur l'horreur de son corps ensanglatant et dmembr (vers 1556-1558), ce qui fut reproch Racine. Si, dans cette tragdie de Racine, il y a moins d'action que dans les prcdentes, sy dploie cependant un lyrisme somptueux et sombre, trou quelquefois de grands clairs de lumire, mais dont les accents les plus vibrants traduisent la souffrance des tres humains. Les lments en sont la prsence vivante de la Grce antique, la place que prend la passion amoureuse, une lamentation qui a pour objet la perte dune grandeur prestigieuse. Les plaintes qui dchirent Phdre, dans le moment mme o sexprime son amour, les incantations vers des dieux prsents et redoutables, les temptes de la jalousie et de la colre tiennent du chant plus que de lloquence. Le drame de la reine dAthnes amoureuse de son beau-fils nest plus le seul rcit dune passion coupable ; il est devenu le conflit des forces de la lumire et de celles de la nuit ; cette Grecque, cette descendante du Soleil, est avide de clart, mais le destin la condamne justement incarner les tnbres du pch. Tandis qu'Hippolyte peut dire Thse: Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon cur (vers 1112), ce qui attend Phdre, c'est la nuit infernale, o son crime ne sera pas encore assez cach (vers 1277 et suivants) ; elle est, par sa souillure, une insulte la lumire. Son moi est une pulsation qui sapaise ou se prcipite la manire dun cur tourment. On peut considrer Phdre comme la plus lyrique des tragdies de Racine.On peut considrer que Phdre, o, Racine retrouva l'esprit de la tragdie antique, est le modle de son tragique, qui est surtout psychologique, provenant des contradictions internes aux personnages, l'action tant intrieure, d'o l'importance accorde la parole. La pice est mme, au-del, le modle de la tragdie classique franaise, qui atteignit alors son sommet.Intrt littraire

Dans cette tragdie en cinq actes et en vers (1654 alexandrins), Racine dploya un art consomm, quon peut dfinir en tudiant successivement le lexique, la syntaxe, les styles, la posie et le vers.Le lexique:

On y relve des usages caractristiques de la langue du XVIIe sicle:

- abus(vers 1599) : tromp.

- adresse(vers 997, 1321) : habilet ; le mot n'a rien de pjoratif. - adultre(vers 1037) : personne qui commet ladultre.

- aimable(vers 1493) : sens tymologique : digne d'tre aim.

- alarmes(vers 1249) : inquitudes, soucis, terreurs.

- alarmer(vers 1596) : pouvanter.- amant[e](vers 21, 413, 658) : celui (celle) qui aime et qui est aim.- me(vers 770) : souffle de vie (latin anima).

- peine(vers 1054) : avec peine.

- sarmer(vers 578) : se prparer.

- assembler nos dbris(vers 1368) : runir ce qui nous reste.

- asservir(vers 535, 1123) : sens fort: rduire en esclavage.- assurer(vers 1334) : mettre en scurit.

- attentat(vers 1439) : violence contraire aux lois morales. - attester(vers 1403) : prendre tmoin (du latin testari).

- audace(vers 1209) : indiffrence lamour.

- au dfaut de(vers 710) : la place de, au lieu de.

- au moment que(vers 673) : au moment o.

- austre(vers 766) : svre.

- avant que de(vers 463) : tournure habituelle au XVIIe sicle: avant de.

- avare(vers 626) : avide.

- aventure(vers 379) : ce qui advient par hasard.

- avis(vers 1195) : nouvelle.

- balancer(vers 479, 1372) : hsiter. - borner(vers 466) : mettre un terme .

- bruit(vers 407, 943) : rputation, renomme.- caractre(vers 1038) : marque, signe.

- cependant(vers 569) : pendant ce temps.

- chagrin(vers 294) : mchancet, hostilit - (vers 1111): sentiments austres.- chaleur(vers 316) : vie.

- charme(vers 190, 391, 523, 689, 1231): sens fort: attrait magique, influence mystrieuse et surnaturelle, enchantement, puissance de sduction - charmante(vers 137, 639, 657) : style galant: qui exerce une attraction surnaturelle, qui ensorcelle, qui a quelque chose de malfique.

- chers(vers 1622) : prcieux.

- combler(vers 1085) : mettre le comble .

- commettre(vers 905) : compromettre.

- confier(vers 1351) : avoir confiance en.

- confondu(vers 814) : couvert de honte.

- se confondre(vers 410) : demeurer interdit.

- confus(vers 1607) : plein de trouble. - se consumer(vers 1537) : spuiser.

- coup de foudre(vers 1195) : nouvelle qui frappe comme un coup de tonnerre.

- courage(vers 123, 292, 357, 413, 449, 862, 1417) : disposition de lme avec laquelle elle se porte entreprendre ou repousser ou souffrir quelque chose (Dictionnaire de lAcadmie franaise).- course(vers 734) : voyage, priple.

- coursiers(vers 552, 1503) : terme noble pour chevaux.- craindre (vers 1595) : trembler.- crime(vers 219, 307) : au sens tymologique, faute.

- dabord(vers 654) : tout de suite.

- dcevant(vers 523) : enjleur.

- dclar(vers 601, 722) : ayant pris ouvertement parti.

- dcouvrir(vers 1628) : rvler.

- degr(vers 1096) : tape.

- dplorable(vers 257, 529, 1014) : qui mrite des pleurs, digne d'tre plaint, dont le sort mrite des pleurs.

- dposer(vers 872) : tmoigner , faire une dposition.

- dpouilles(vers 1558) : sens trs large : les restes. - se drober(vers 1380) : senfuir.

- dsabus(vers 1563) : dtromp.

- dtester(vers 1589) : maudire (latin detestari).

- dvelopper(vers 651) : dbrouiller.

- discours(vers 380, 865, 988, 1427): paroles, rcits. - disgrce(vers 482) : sens propre: refus des faveurs qui sont dues.

- disposer de(vers 812) : dcider de.

- blouir(vers 1453) : tourdir, aveugler.

- carter des personnes(vers 1255) : les loigner lune de lautre, les sparer.

- claircir quelquun(vers 1339, 1647) : rvler la vrit, informer, dtromper.

- faire clater(vers 1107) : manifester avec clat.

- lanc(vers 831) : lanc

- embarras incertain(vers 651) : nuds inextricables, enchevtrement difficile dmler. - embarrass(vers 1544) : emptr, entrav.

- embrasser(vers 244) : entourer de ses bras - (vers 1371): saisir.

- embrasser la conduite (vers 758) : se consacrer . - empire(vers 221, 761) : pouvoir, matrise, domination (du latin imperium).

- emploi(vers 1591) : mission, tche. - empressements(vers 916) : tmoignages daffection.

- enchant(vers 437) : soumis au charme, lattraction irrsistible.

- encor(vers 1494) : aussi. - enfin(vers 538, 1095) : la fin, finalement.

- engag(vers 1163) : oblig, pouss, amen.

- smouvoir(vers 1523) : se metttre trembler (sens tymologique).

- ennemie(vers 49, 272) : sens figur dans le langage de la galanterie: qui met en danger la quitude de lme en la menaant de la passion.

- ennui(vers 255, 459, 1091): sens trs fort: tourment de lme, violent dsespoir. - entendu(vers 831) : compris.

- envier(vers 708) : refuser, ne pas accorder.

- perdu(vers 954) : troubl par la crainte.

- sprouver(vers 541) : se mettre lpreuve.

- essai(vers 1230) : premire exprience, aperu, avant-got.

- essayer(vers 120) : faire lexprience.

- ternel(vers 147, 295): qui ne cesse jamais ; le mot navait rien de familier au XVIIe sicle.

- terniser(vers 951) : rendre ternel par la renomme.- tonner(vers 451, 1457) : sens fort: frapper de stupeur - branler lesprit.

- exciter(vers 209) : sens du latin excitare: rveiller, encourager.

- exposer(vers 1635) : dvoiler, montrer.

- fcheux (vers 580) : qui vient mal propos.

- faible(vers 697) : mal assur.

- fatal(vers 249) : voulu par le destin - (vers 300): malheureux, vou la mort.- fer(vers 1009, 1633) : pe, poignard.

- feu(vers 277, 754, 1194, 1306) : ardeur, colre ; dans le langage de la galanterie: ardeur amoureuse. - fier(vers 203, 638): altier - (vers 67): au sens figur de la langue de la galanterie: qui refuse lamour.- fiert(vers 407, 519) : indiffrence lamour. - flamme(vers 88, 308, 350, 841, 957) : amour, ardeur amoureuse - (vers 429): amoureux.

- flatter(vers 739) : tromper par des louanges illusoires - donner de lesprance. - (vers 1471): apaiser. - foi(vers 84, 233, 1043) : fidlit, confiance en quelquun - (vers 1620) : parole, assurance.

- folle ardeur(vers 630) : amour draisonnable.- formidable(vers 1394, 1509) : qui inspire la crainte, effrayant, terrifiant.

- fortune(vers 341) : situation.

- foudre(vers 1497) : coup du destin.- frmissements(vers 975) : tremblements de crainte.

- frivole(vers 401, 1189) : trop lger pour quon y prte attention, sans fondement.

- funeste(vers 175, 245, 991, 1248, 1483, 1615) : sens tymologique: qui concerne la mort, qui cause la mort, qui porte la mort, qui est marqu du signe de la mort. - fureur(vers 259, 672, 741, 1627) : mouvement irraisonn, emportement, folie, garement.

- furieux(vers 1015) : rendu fou par sa passion.

- furtive(vers 1234) : cache, secrte.

- gmir(vers 1634) : se plaindre de linjustice. - gne (vers 1454) : torture (cest la ghenne biblique).

- gnreux(vers 443, 1556) : de noble race (du latin genus).

- gloire(vers 309, 666): honneur, rputation.

- heureusement(vers 889) : par bonheur.

- homicide(vers 469, 1434) : le mot tait adjectif aussi au XVIIe sicle.

- honteux(vers 694) : qui me couvre de honte.

- horrible(vers 751) : digne dhorreur.

- hymen(vers 110, 270, 612, 1392) : mariage.

- importun(vers 611, 1135) : qui pse de faon continue, fcheux par sa rptition mme.

- imposture(vers 1186, 1270) : action de tromper en se faisant passer pour une autre, mensonge.

- incertaine(vers 1470) : gare. - injuste(vers 1295) : injustifi, sans raison. - (vers 1617): qui ne rendrait pas justice I'innocent.

- insolent(vers 910) : fier et ddaigneux.

- intelligence(vers 984) : relation secrte entre des personnes.

- irriter (vers 453): donner de lardeur, de limpatience.

- juste(vers 870) : bien fond.

- -justifier(vers 1352) : rendre justice.

- licence(vers 1237) : libert sans ide dexcs ni de drglement moral.

- lumires(vers 1602) : claircissements. - maison(vers 424) : famille.

- matire(vers 1601) : cause, sujet.

- mconnatre(vers 1570) : ne pas reconnatre.- mpris(vers 435) : au pluriel dans le langage de la galanterie : indiffrence.

- misre(vers 289) : malheur.

- misrable(vers 258, 1273) : malheureux, digne de piti.

- mmoire(vers 950, 1646) : souvenir.

- neveux(vers 426) : le mot est pris au sens large: descendants.

- noir (vers 310): monstrueux.

- objet(vers 636) : toute autre personne (pour le sujet que nous sommes) et, spcialement, en langage galant, la personne aime (vers 1117) - (vers 1569, 1578): spectacle.- soccuper(vers 947) : s'employer, sexercer.- odieux(vers 152, 594, 685, 699, 779, 1431, 1602): digne de haine, qui fait horreur. - offenser(vers 247) : faire souffrir.

- soffrir(vers 599) : sexposer.

- ombrages(vers 613) : jalousie, inquitude ; lexpression nest demeure quau singulier.

- on(vers 458) : dans le langage de la galanterie, la personne aime.

- ordinaire(vers 350) : dans lordre des choses.

- pm(vers 1586) : vanoui. - parfait(vers 816) : accompli.

- parjure(vers 1394) : celui qui commet un parjure.

- passer(vers 1262) : dpasser.

- payer de(vers 1616) : compenser.- pnible(vers 1294) : combl de peines.

- perdre(vers 1259) : faire prir.

- perfidies(vers 849) : sens tymologique: infidlits.

- perscut de(vers 1607) : poursuivi par.- perscuteur(vers 940) : celui qui pourchasse (le mot na pas un sens pjoratif).- plaindre(vers 399, 1144) : tmoigner de la piti pour, regretter, dplorer.

- plaintif(vers 1565) : malheureux.- port(vers 641) : faon de se tenir, maintien, allure.

- poudreux(vers 1540) : couvert de poussire, poudre tant le terme noble pour poussire. - poursuivre(vers 278) : perscuter.

- pousser (vers 1529) : slancer vers.

- prendre la querelle de quelquun(vers 1365) : prendre parti pour lui.

- prendre les voix(vers 723) : demander lavis de tous, les faire voter.

- prsence(vers 409) : aspect, attitude.

- pressant(vers 229) : qui accable.

- prtendre(vers 1267) : tendre vers.

- principe(vers 1115) : origine, cause, motif, explication.

- profane(vers 1037, 1113, 1624) : sacrilge.

- pudeur(vers 642-1449): rserve, discrtion, modestie.

- quand(vers 1495) : au moment o. - race(vers 1170) : progniture.

- recevoir(vers 1437) : accepter.

- rciter(vers 405) : raconter.

- reliques(vers 1554) : restes dune personne morte, sans aucune nuance religieuse. - respirer(vers 745) : souhaiter avec ardeur.

- retarder(vers 932) : empcher de partir.

- retraite (vers 650) : refuge - (vers 1361) : dpart, fuite.

- rvoquer(vers 1336) : annuler.

- sang(vers 256, 680, 862, 1151, 1260, 1288) : famille. - sauvage(vers 129, 521): fuyant la socit des tres humains, le mot nayant pas un sens pjoratif.

- sduire(vers 682, 1233) : sens tymologique: tromper, garer, induire en erreur. - sensible(vers 1203) : dans le langage de la galanterie: amoureux.

- sexe(vers 789) : mot habituel au XVIIe sicle pour dsigner les femmes.

- soin(vers 432, 617, 657, 687, 1386, 1491): souci, proccupations, inquitudes - (vers 657): attention, marque dattachement - (vers 687): tentatives, efforts.

- sort(vers 464) : situation.

- soudain(vers 1560) : aussitt.

- soupirer(vers 1555) : pousser des gmissements.

- soupirer pour quelquun(vers 428) : langage de la galanterie : laimer.

- superbe(vers 58, 127, 272- 776, 1503) : orgueilleux, hautain, altier - (vers 488) : injuste et humiliant.

- supplice(vers 708, 1320) : mort violente.

- teint(vers 1464) : visage. - tourment (vers 1226): torture.

- tout dun coup(vers 1086) : dun seul coup, en mme temps, la fois.

- trahir(vers 515) : aller contre les intrts de quelquun.

- tranant(vers 639) : entranant.

- trait(vers 540, 816) : flche.

- transir(vers 276) : tre saisi de froid.

- transport(vers 1183, 1227, 1263, 1462) : motion violente, colre, exaltation.

- tributaire de(vers 573) : soumise (qui paie tribut ).

- triste(vers 861, 897) : objet de tristesse, digne de piti, fcheux, dplorable.

- troubler(vers 617, 999) : tourmenter, contrarier.

- vain(vers 158, 248, 825) : sans valeur, sans utilit, sans espoir.

- victimes(vers 281) : animaux immols aux dieux.

- vif(vers 304) : vivant.

- violence(vers 237) : force.

Si, lpoque classique, le lexique tait pauvre mais constitu des mots la fois les plus simples et les plus prcis du monde, si ce fut le cas en particulier dans luvre de Racine, il reste que, dans Phdre, l'ampleur de sa vision anthropologique, cosmique et mythologique se traduisit par une richesse plus grande, qui annonait celle quon allait trouver dans ses tragdies sacres, Esther et Athalie. Il y a moins de termes fonctionnels qu'auparavant, et plus de noms, d'adjectifs et d'adverbes, c'est--dire une plus grande prsence, une meilleure figuration et caractrisation des thmes. Sont particulirement frquents les termes qui expriment:

- la loi morale: loi, lgitime, juste et injuste ;

- la puret: chaste, innocent, noble, pudeur, pudique (le seul emploi de toute luvre), pur, puret ; ou son contraire:impur ;

- la culpabilit: coupable, crime, criminel, inceste, incestueux ;

- la volont de purgation, le verbe purger, qui n'apparat pas ailleurs, tant employ trois fois ;

- la passion, exprime par des mots qui, tout en la rprouvant, lui donnent prsence, vigueur et mme sduction: audacieux, altier, brler, dompter, effront, farouche, feu, flamme, flchir, hautain, imprudence, imprudent, indomptable, indompt, indocile, insolent, joug, oser, rebelle, sauvage, sditieux, superbe, tmraire ;

- la mort, envisage ou raconte, mortel revenant quatorze fois (contre deux en moyenne auparavant, treize dans Esther et trois dans Athalie ;- leffroi religieux et la dnonciation de I'audace rebelle, les mots formidable, horreur (au singulier), redoutable, terreur, terrible, invitable, impitoyable, implacable, insensible, inexorable, sacr, profane, profaner. Dans cette pice la fois plus physique et plus spirituelle que les prcdentes, les mots concrets valeur symbolique sont particulirement frquents, comme ils commenaient l'tre dans lphignie et comme ils allaient ltre dans les tragdies sacres. On trouve ici I'unique emploi chez Racine de mots tels que bondissant, caverne, corne, crin, croupe, dos, dragon, caille, fracasser, gueule, mors, mugir, plaie, repli, rouge, sillon, tortueux, tressaillir, vote, etc. ; le tiers des emplois des mots bois, corps, couleur, crier, dompter, touffer, face, frein, plir, prison, etc. ; la moiti des emplois des mots char, pe, froid, rocher, travail, sexe, veine. Fort, inconnu ailleurs, apparat six fois : c'est le domaine du chasseur Hippolyte, o Phdre rve de le rejoindre (vers 176-1236), o elle voit le refuge des amoureux (vers 1235). Il est trois fois question (autant que partout ailleurs) des sensuels cheveux, neuf fois des chevaux ou coursiers (trois emplois ailleurs), dont nagure Hippolyte matrisait la pulsion, et qui, au jour du dchanement des passions, lui chappent et s'affolent, le tranant jusqu' ce que mort s'ensuive.

La syntaxe:

La phrase de Racine, restant souvent fidle des constructions latines, prsente:

- des anacoluthes (vers 381-382, 1071-1072) ;

- des accords du verbe avec le sujet le plus rapproch (vers 522, 1230).

On remarque aussi des usages propres la langue du XVIIe sicle:

- laccord du participe prsent: tremblante (vers 395, 695, 1215) ;

- lantposition du pronom complment: je te viens voir pour la dernire fois (vers 172) - que lui vais-je dire? (vers 247) - je ne tai pu parler(vers 698) - ne se point quitter (vers 1256) - O ma raison se va-t-elle garer? (vers 1264).

Racine, usant dune grande science du rythme, de la cadence, fit se tendre sa phrase, se prolonger, se gonfler sous les pousses de la passion, clater et se briser dans la colre ou le dsespoir, des clats brefs venant rompre les priodes.

Les styles:Cette tragdie fait alterner les tendres murmures d'Aricie, les mles paroles d'Hippolyte et de Thse, et les clats dchirants de Phdre. Peu d'uvres dramatiques supportent aussi mal le ton dclamatoire qu'affectaient nagure certains tragdiens.Comme il n'y a jamais trois protagonistes ensemble sur scne, mais souvent un seul avec son confident, les affrontements, les changes de rpliques brves et agressives sont plus rares quailleurs (sauf dans Esther et Brnice), et les aveux et autres discours plus frquents.

Le rle de Phdre est en bonne partie une sorte de rcitatif, o elle mdite et monologue mme en prsence d'Oenone (vers 158-180, 249-258, 628-629, 839-868,1641-1644), en particulier sur sa mort et sur sa monstruosit, ce qui quilibre sa transgression diabolique. Son premier aveu est prcd d'une sorte d'incantation inaugure par un impratif solennel (Lve-toi [vers 246]) qui napparut pas jusque-l et quon allait retrouver une fois dans Esther, deux fois dans Athalie.

Parmi les moments les plus forts de la pice, on relve dailleurs plusieurs prires ou invocations:

- de Phdre au Soleil (vers 169-172), aux dieux (vers 176-178), Vnus (vers 813-822), Minos (vers 1285-1289) ;

- de Thse Neptune (vers 1065-1076 et 1483-1484). On voit aussi Oenone se livrer une lamentation (vers 265-268) qui rappelle les cris du chur dans la tragdie antique.

Le texte prsente quelques vritables maximes:

- La mort aux malheureux ne cause point deffroi. (vers 859) ;

- Quelques crimes toujours prcdent les grands crimes (vers 1093) ;

- Quiconque a pu franchir les bornes lgitimes / Peut violer enfin les droits les plus sacrs (vers 1094-1095) ;

- Ainsi que la vertu, le crime a ses degrs (vers 1096) ;

- Jamais on na vu la timide innocence / Passer subitement lextrme innocence. (vers 1097-1098) ;

- Un jour seul ne fait point dun mortel vertueux / Un perfide assassin, un lche incestueux. (vers 1099-1100) ;

- Toujours les sclrats ont recours au parjure. (vers 1134).

On trouve et l quelques rminiscences bibliques : ainsi Phdre redoute que le sang de linnocent ne se mette crier, comme celui dAbel dans la Gense (vers 1172 ; voir Athalie, vers 89). Certains vers ont t engendrs par des strophes du Dies irae, hymne clbre de la messe des morts, et droulent une liturgie funbre.Faisant de nombreuses allusions qui recrent une atmosphre archaque et somptueuse (rcits de la geste de Thse, de sa descente aux Enfers), qui droulent les fastes de limaginaire antique, exploitant le charme de noms propres lourds de visions et de rves (Pasipha, Minos, lAmazone, le Labyrinthe), Racine ranima une mythologie qui avait t de plus en plus abandonne par ses prdcesseurs, et qui tait souvent platement dcorative chez ses contemporains. Il indiqua bien dans sa prface quil avait recouru aux ornements de la fable [= de la mythologie], qui fournit extrmement la posie.

La posie:

Racine intgra habilement et souvent amliora des dizaines d'emprunts des potes anciens ou modernes, retrouva ainsi les caractristiques de la posie des crivains de la Grce classique: lharmonie et la mesure des mots, les tonalits, les cadences, les images, les mythes. enveloppant son habituelle prcision analytique d'un ample halo potique.Il recourut :- des antithses: Je lvitais [] Mes yeux le retrouvaient (vers 289-290) - lennemi dont jtais idoltre (vers 293) - Esclave sil vous perd, et roi si vous vivez. (vers 344) - Tu me hassais plus, je ne t'aimais pas moins (vers 688) - Sers ma fureur, Oenone, et non point ma raison (vers 792) - Hippolyte est sensible, et ne sent rien pour moi ! (vers 1203) - Quand je suis tout de feu, do vous vient cette glace? (vers 1374) ;- des oppositions avec gradation : C'est peu de t'avoir fui, cruel, je t'ai chass (vers 684) - Pour mieux te rsister, j'ai recherch ta haine (vers 686) ;- des chiasmes: celui qui relie les vers 255-256 (mortel-sang) aux vers 257-258 (sang-je pris) celui du vers 283, Dun incurable amour remdes impuissants, qui mime l'enfermement de Phdre dans sa passion, tout en redoublant les pithtes au prfixe ngatifin, qui expriment linutilit des tentatives pour y chapper celui du vers 690, Jai langui, jai sch, dans les feux, dans les larmes, la construction normale tant: Jai langui dans les larmes, jai sch dans les feux - celui du vers 1203, Hippolyte est sensible, et ne sent rien pour moi !, o les mentions des deux protagonistes sont rejetes aux deux extrmits celui du vers 1245, Me nourrissant de fiel, de larmes abreuve ;

- des oxymorons: un supplice si doux(vers 708) - funeste plaisir (vers 1248) - funestes bienfaits(vers 1483) - faveurs meurtrires(vers 1613) - funeste bont(vers 1615) qui expriment la dchirure des tres;- des hyperboles: Hercule dsarmer cotait moins quHippolyte (vers 454) - Volage adorateur de mille objets(vers 636) - fureur (vers 672) - Je m'abhorre (vers 678) - dtestes (vers 678) - odieuse (vers 685) - inhumaine (vers 685) - odieux (vers 699) - monstre (vers 701) - monstre affreux (vers 703) - Dlivre lunivers(vers 701) - Me nourrissant de fiel, de larmes abreuve (vers 1245) - Je nosais dans mes pleurs me noyer loisir (vers 1247) - monstre excrable (vers 1317) ;- des hypallages: amoureuses lois (vers 59) - noble poussire (vers 177) - fil fatal (vers 652) - superbes oreilles(vers 821) - un sang plus glorieux(vers 936) - noires amours(vers 1007) - un sang odieux (vers 1260) - le sang innocent (vers 1272) - homicides mains (vers 1271) - bouche impie (vers 1313) - lopprobre de son lit (vers 1340) - langues perfides(vers 1433) - mains cruelles (vers 1485) - gnreux sang (vers 1556) ;- des personnifications:

- le cur, qui, Impatient dj dexpier son offense,

Au devant de ton bras je le sens qui savance (vers 705-706) ;

Londe [] vomit (vers 1515) ;

La terre s'en meut (vers 1523) ;

- des mtaphoresdont beaucoup, cependant, taient conventionnelles dans le langage galant du temps: ce nouvel orage(vers 333) - le ferqui moissonna la famille dAricie (vers 425) - le joug amoureux(vers 444) - le captif quest lamoureux enchan dans des fers(vers 451) - la forteresse quest un cur de toutes parts ouvert(vers 448) - le mal quest la passion (vers 269) - lincurable amour et les remdes impuissants (vers 283) - - les naufrages de lamour dont Hippolyte pensait toujours du bord contempler les orages (vers 533-534) - le poison quest lamour (vers 676) - le feu fatal tout mon sangque les dieux ont allum dans les flancs de Phdre (vers 679-680) qui dcrit I'amour comme dvorant, destructeur, la mme image se retrouvant au vers 690 - ce tigre quest Hippolyte (vers 1222) - le nuage odieux (vers 1431) qui, aux yeux de Thse, drobe sa vertu (celle dHippolyte) - la plaine liquide (vers 1513), la montagne humide (vers 1514), que sont la mer - lindomptable taureau, dragon imptueux (vers 1519) quest le monstre sauvage, lui-mme une mtaphore de la concupiscence irrpressible et meurtrire, rappelant la fois le serpent ou le dragon du dsir, les formes et soubresauts du corps rotique, et le Minotaure, demi-frre monstrueux de Phdre, n de I'union de Pasipha avec un taureau.On peut mme considrer les chevaux, qu'Hippolyte, jusque-l si habile les dompter, ne matrise plus, comme une image des pulsions dchanes.

Surtout, Racine, faisant intervenir les lments et les catgories fondamentales, suscita un monde moral o s'affrontent les forces du mal et celles du bien par une figuration d'origine biblique qui est des plus simples et des plus vocatrices: les grandes images de lombre et de la lumire, du jour et de la nuit. La lutte entre ces deux principes opposs est inscrite dans ltre mme de Phdre, qui est la fille de Minos et de Pasipha (vers 36), celle-ci tant la fille du Soleil (et Phdre signifiant dailleurs la lumineuse) tandis que celui-l est juge aux Enfers. Racine opposa, l'clat du soleil sur les terrasses du palais, la lumire des plages o Hippolyte (qui reprsente au contraire la transparence [vers 1112 et 1240-1242]) fait courir ses chevaux, Ia nuit des enfers o I'on croit Thse disparu, la nuit du Labyrinthe o elle s'imagine en hrone. Elle est dcrite par Thramne comme Lasse enfin delle-mme et du jour qui lclaire (vers 46). Elle se plaint constamment:

Mes yeux sont blouis du jour que je revoi (vers 155),

Je me cachais au jour, je fuyais la lumire (vers 1242),

Au jour que je fuyais cest toi qui mas rendue. (vers 1310),

Dj je ne vois plus qu travers un nuage []

Et la mort, mes yeux drobant la clart,

Rend au jour, quils souillaient, toute sa puret. (vers 1641-1644).

Dnature par un dsir coupable, elle doit basculer dans la nuit pour drober au jour une flamme si noire (vers 310). La clart devient ds lors pour elle symbole d'innocence ; le jour est le monde de la puret, tandis que sa faute cherche I'ombre : elle refuse de sortir du palais, elle a honte de la lumire. Et les derniers mots qu'elle prononce avant de mourir (vers 1644) sont pour clbrer la clart, la puret du jour, que souillaient ses regards, que sa mort, croit-elle, restituera au monde.Le vers: Dans Phdre en particulier, Racine montra une versification trs labore de lalexandrin (qui, dans toute lextension de ses pouvoirs, est presque une langue au sein de la langue, qui cre une distanciation).

Il sut jouer habilement dinversionsqui toutefois ne sont souvent quune simple gymnastique favorisant la rime : lart par Neptune invent (vers 131) - de quel amour blesse (vers 253) - un captif de ses fers tonn (vers 451) - Et la voile flottait aux vents abandonne (vers 798) - par le fleuve aux dieux mme terrible (vers 1158) - Et d'un refus cruel l'insupportable injure (vers 1229) - Jusqu'au dernier soupir de malheurs poursuivie (vers 1293) - dun pre insens / Le sacrilge voeu(vers 1315-1316) - en efforts impuissants leur matre se consume (vers 1537) - de pleurs une source ternelle (vers 1546) - des dieux triomphe la colre (vers 1569) Mais elles peuvent aussi produire une attente et un effet de surprise: du crime affreux dont la honte me suit / Jamais mon triste cur na recueilli le fruit. (vers 1291-1292).Il mnagea des enjambements efficaces: je soutiens la vue / De ce sacr Soleil dont je suis descendue (vers 1274-1275) - d'un pre insens / Le sacrilge voeu (vers 1315-1316) - et vous en laissez vivre / Un (vers 1445-1446) - ses gardes affligs / Imitaient son silence (vers 1499-1500) - une voix formidable / Rpond (vers 1509-1510) - le monstre bondissant / Vient (vers 1531-1532) - sourds cette fois, / Ils ne connaissent (vers 1535-1536) - Lintrpide Hippolyte / Voit voler (vers 1542-1543) - Cette image cruelle / Sera pour moi (vers 1545-1546) - votre malheureux fils / Tran par les chevaux (vers 1547-1548) - ce hros expir / Na laiss (vers 1567-1568).Il put couper fortement des vers pour des questions haletantes (vers 1231-1232), pour produire un rythme martel (vers 1259).

Il joua dassonances: au vers 284, le son nasal in se rpercute dans En vain et dans main.

Surtout, il dploya des vers empreints de noblesse, de douceur lgiaque, atteignant mme la posie pure. Sont frquemment cits :

- La fille de Minos et de Pasipha (vers 36), vers qui, selon Bloch, personnage caricatur par Proust dans Du ct de chez Swann, a le mrite suprme de ne signifier absolument rien, alors quen fait, comme dj indiqu, il est exceptionnellement lourd de sens car Minos reprsente la conscience puisque, sigeant dans lobscurit des Enfers, il est I'un des trois juges I'entre de I'au-del (vers 1280-1288), tandis que Pasipha, fille du Soleil (Phdre signifiant dailleurs la lumineuse), reprsente la concupiscence.- Elle meurt dans mes bras dun mal quelle me cache(vers 146): vers sans muscle, o lallitration des m quatre fois rpts (meurt, mes, mal, me) vient touffer, amortir tout clat et toute vie, exprime une sorte dessoufflement et de dsespoitr chez Oenone, rend la lassitude de Phdre par une marche amollie.

- Tout mafflige et me nuit, et conspire me nuire (vers 161), o le retour, de trois pieds en trois pieds, de l'i, qui est astringent, cre un rythme quaternaire, et redouble le caractre perant de la plainte ; o le verbe nuire est prsent la fin de chacun des hmistiches. - Soleil, je te viens voir pour la dernire fois. (vers 172), o alternent habilement les simples voyelles et les amples diphtongues.- Ariane, ma sur, de quel amour blesse

Vous mourtes aux bords o vous ftes laisse. (vers 253-254) o ce qui frappe d'emble dans ces deux vers qui voquent la souffrance et la rupture, c'est la souplesse et la musicalit de la ligne mlodique, avec peut-tre, dans un second temps, comme une nostalgie diffuse dans cette vocation de l'amour et de la mort.

- Je le vis, je rougis, je plis sa vue (vers 273), o lassonance en i marque lacuit des ractions physiques.

- Et la voile flottait aux vents abandonne (vers 798), o, du fait des coupes, des sonorits, lharmonie potique est remarquable.

- Tous les jours se levaient clairs et sereins pour eux (vers 1240), o alternent habilement les simples voyelles et les amples diphtongues.Est remarquable surtout le vers Le jour nest pas plus pur que le fond de mon coeur. (vers 1112), o il faut admirer lharmonieuse succession de monosyllabes qui sont aussi des mots trs simples, ce vers tant considr comme une des plus belles russites potiques de Racine.On peut mme considrer que certains de ces vers, qui nexpriment, en fait, que des platitudes sont sauvs par leur puissance incantatoire. On alla jusqu prtendre que, sans la beaut de lalexandrin, la pice ne serait quun mlodrame.

Racine produisit un chant dune grande musicalit, qui est parmi les plus beaux du thtre classique.

Si les potes de l'cole romantique, accoutums rechercher les effets les plus grossiers, y restrent insensibles, sils jugrent son vocabulaire indigent, et pauvres ses rimes, les crivains du XXe sicle salurent ce gnie potique tel quil se manifesta dans Phdre:- La comdienne Batrix Dussane, dans La comdie sans paradoxe (1933), considra que: Le style de Phdre est lgrement diffrent du style des autres pices [] Des priphrases un peu plus nombreuses, un peu plus lches, des lans lyriques plus frquents [] Lensemble a quelque chose de moins rigoureux, de moins jaillissant, mais aussi de plus panoui peut-tre, de cet panouissement qui marque la veille de la lassitude. Cest peine perceptible, et cependant cela est. Le style de Phdre, par endroits, est comme une rose qui va commencer se dfaire.

- Andr Gide nota dans son Journal (18 fvrier 1934) : Phdre, que je relis aussitt aprs Iphignie, reste incomparablement plus belle. Auprs de Phdre on sent mieux cette sorte d'application qui, en dpit de sa perfection, donne Iphignie le caractre un peu d'un devoir admirablement russi, mais qui reste extrieur Racine. Dans Phdre soudain je le sens qui se commet lui-mme, se livre et m'engage avec lui. Quels vers ! Quelles suites de vers ! Y eut-il jamais, dans aucune langue humaine, rien de plus beau?

- Paul Valry conclut ainsi une tude publie dans Varit V (1944) : Forme qui accomplit la synthse de I'art et du naturel, semble ignorer ses chanes prosodiques dont elle se cre, au contraire, un ornement et comme une draperie sur le nu de la pense. Toute la discipline de notre grand vers ici conserve et dveloppe une libert de qualit suprieure, imprime au discours une facilit dont il faut quelque rflexion pour concevoir la science et le travail de transmutations quelle a d coter.Dans Phdre, qui est sa pice la plus intensment potique, qui contient certains des plus beaux vers de la littrature franaise, lart de Racine atteignit sa perfection, le plus haut degr de justesse, de charme, dharmonieuse beaut de la langue franaise. Il produisit un envotement verbal qui ne peut videmment que se dissoudre dans une traduction. Intrt documentaireDe Phdre, qui mobilise une vaste culture, Racine fit une tragdie grecque, par lvocation tant des lieux que des dieux, des grandes figures de la tradition ou des murs.

Mme sil navait jamais vu la Grce, sil ne lavait connue qu travers Sophocle et Euripide, il nous la rendit souvent plus relle que bien des crivains voyageurs. Elle est partout prsente. Elle transparat dans l'clat du soleil sur les terrasses du palais, dans la lumire des plages o Hippolyte fait courir ses chevaux, quimplique le texte.

Elle se manifeste dans les noms de lieux, aux sonorits parfois tranges, ce qui provoque une suggestion potique. Sont voqus: - Les cits de la Grce continentale: - laimable Trzne (vers 2), port de lAttique o, avant de partir, Thse a amen dAthnes son pouse pour la mettre sous la protection dHippolyte ; quapprcie Hippolyte, tandis que Thramne lui vante ses paisibles lieux, si chers votre enfance (vers 30), quil ressent la nostalgie d'un bonheur, d'une innocence rvolus car tout a chang de face (vers 34) en ces lieux que je n'ose plus voir (vers 28) ;

- Athnes.

- La route ctire qui va vers Mycnes.

- Le Ploponnse: llide, contre qui borde le Ploponnse I'ouest ; le Tnare: cap situ au sud du Ploponnse.- Lpire, avec son fleuve, lAchron, et son affluent, le Cocyte (vers 385), qui ont de sombres bords (vers 624), des bords redouts (vers 391), des bords qu'on passe sans retour (vers 388), quon voit se perdre chez les morts (vers 11), car ils sont deux des quatre fleuves des Enfers, l'empire des ombres (vers 966).

- La mer surtout: les deux mers (vers 10), la mer Ionienne et la mer ge, spares par listhme de Corinthe - la mer qui vit tomber Icare (vers 14): partie de la mer ge voisine de lle dIcarie, au large de la cte d'Asie Mineure, o Hippolyte cherche Thse disparu, o il se prpare fuir, o Oenone se jette, do surgit le monstre envoy par Neptune, dieu des flots. Elle baigne tout le paysage quon devine autour de la scne.

Tiennent une grande place ce que Racine appela dans sa prface les ornements de la fable, cest--dire dabord les dieux : - le Soleil dont Phdre descend du ct maternel ;- la Terre dont Thse et Aricie descendent (vers 421 et 496) ; - Jupiter dont descendent Thse et Phdre du ct paternel (vers 1275-1276) ;- Vnus, qui poursuit de ses feux redoutables, et fait tant souffrir une Phdre qui se dsigne comme l'objet infortun des vengeances clestes, et dnonce une ardeur dans mes veines cache:

Cest Vnus toute entire sa proie attache (vers 305-306) ;- Neptune, dieu de la mer et inventeur de lart de dresser les chevaux, que Thse, son protg, appelle le dieu vengeur, dont il sait qu'il suit son fils, Hippolyte, qui ne peut l'viter, Thramne disant plus loin qu'on a cru voir un dieu qui d'aiguillons pressait [le] flanc poudreux de ses chevaux ;- Diane, la chaste (vers 1404), desse de la chasse, sous la garde de laquelle se trouve le sage et vertueux Hippolyte.- Minerve (en grec Athna) qui protge Athnes (vers 360).Les dieux partagent avec les personnages de la tragdie souffrances et plaisirs, joies et vengeances, tant tous emports, comme Phdre et Hippolyte, dans un tourbillon dvnements que dirige, hors de leur volont et de leur conscience, la fatalit.

Ces ornements de la fable sont aussi les monstres antiquesdont le Minotaure, ce fruit de la luxure, tapi au fond du Labyrinthe, parcours initiatique des amants et emblme du repaire tortueux de la concupiscence ; dont le monstre que fait surgir des eaux Neptune, et qui attaque Hippolyte.

Ce sont enfin les hros, mot par lequel les Grecs dsignaient les demi-dieux:

- Hercule, qui reoit aussi son nom latin: Alcide.- Icare.- Mde, petite-fille du Soleil, comme Phdre, qui, aprs que Jason let abandonne, stait rfugie Athnes auprs dge ; qui, experte en philtres et en poisons (vers 1638), avait tent de faire prir Thse ; qui fut, dans toute I'Antiquit, le type de la cruelle magicienne.- Pirithos, roi des Lapithes quune amiti lgendaire unissait Thse ; selon une tradition antique, les deux hros taient descendus aux Enfers pour enlever Persphone que Pirithos voulait pouser (vers 384).

- Thse, fils dAethra, la femme dge, que Neptune prit de force la nuit de ses noces, mais qui fut accept comme fils par ge. Celui-ci, craignant la jalousie de ses neveux, les cinquante Pallantides, laissa son fils Trzne, la cour de Pitthe, le pre dAethra. Mais, lge de seize ans, il apprit qui tait son pre, et partit pour Athnes, o rgnait ge. Il se lana alors dans ces exploits quvoque Racinelorsquil parle de : ce hros intrpide

Consolant les mort de labsence dAlcide,

Les monstres touffs et les brigands punis,

Procuste, Cercyon, et Scirron, et Sinnis,

Et la Crte fumant du sang du Minotaure. (vers 77-82).Il avait aussi triomph de la malveillance de la magicienne Mde, enlev lAmazone Antiope dont il eut Hippolyte, et, Antiope ayant t tue au combat, pous Phdre.

- Minos, fils de Jupiter et dEurope, qui, disputant la royaut de Cnossos, en Crte, avec son frre, Sarpdon, prtendit avoir t prfr par les dieux, et qui, pour le prouver, demanda Neptune de faire sortir un taureau de la mer. Son vu fut exauc, mais il omit de sacrifier lanimal promis au dieu. Neptune rendit alors le taureau furieux, et inspira la passion amoureuse de Pasipha, la femme de Minos, pour lanimal. Hercule tua ou captura le taureau qui dvastait le pays, mais de lunion de Pasipha avec lanimal naquit le Minotaure, que Minos fit enfermer dans le Labyrinthe. Par ailleurs, Minos fut un roi juste, un sage lgislateur, le civilisateur des Crtois, et, aprs sa mort, un des juges des Enfers, avec aque et Rhadamante, son frre.- Ariane, fille de Minos et de Pasipha qui, prise de Thse, laida vaincre le Minotaure, en lui donnant une pelote de fil drouler dans le Labyrinthe pour quil en retrouve la sortie lorsquil aurait tu le monstre. Ils senfuirent, mais Thse labandonna dans lle de Naxos. - Phdre, autre fille de Minos et de Pasipha.Mais Aricie fut invente par Racine qui en fit une Pallantide, une fille de Pallas, frre dge, dont les frres, la mort de ce dernier, revendiqurent le trne, et tentrent de tuer Thse quge avait pris comme fils adoptif. Ils furent tous vaincus ou tus, et Thse, pour se venger, asservit Aracie.On entraperoit les murs dune Grce archaque, tant cellede 1500 ans av. J.-C. :- La population est divise en tribus (celles dAthnes [vers 723]).- Hippolyte, dompteur de chevaux chez Euripide, sadonne ici aux courses de chars (vers 177-178).- Oenone, tenant embrasss les genoux de Phdre (vers 244), a lattitude du suppliant antique, que Thse a encore lorsquil sadresse Neptune (vers 1486).- Thse jure par le fleuve aux dieux mme terrible (vers 1158), cest--dire par le Styx, fleuve des Enfers, quinvoquaient mme les dieux lorsquils voulaient prononcer un serment solennel.- Hippolyte donne rendez-vous Aricie auprs de tombeauxqui se trouvent Aux portes de Trzne (vers 1392) ; or les fouilles modernes ont confirm lexistence de somptueux monuments funraires aux portes des cits archaques (Mycnes par exemple).

- Le vers 1391nous apprend que les crmonies du mariage se prolongeaient jusqu la tombe du jour, et se terminaient par un cortge: on reconduisait chez eux les jeunes poux la lueur des torches.

- Le vers 1478nous apprend que les Anciens crivaient sur des tablettes enduites de cire.

Mais, au vers 1652, Racine commet un anachronisme en parlant des mnesdHippolyte : ce sont les Romains qui dsignaient ainsi les mes des morts. Malgr tous ces lments grecs, on ne peut pas parler dune authentique couleur locale. Et, en fait, en ce qui concerne les murs, la pice voque moins la Grce que la cour de Louis XIV, comme le prouvent:

- la mention anachronique, au vers 32, du tumulte pompeux dAthne et de la cour ; la cour dAthnes navait certainement rien de pompeux: Racine songeait Versailles o l'lgance et la politesse du roi et de ses courtisans cachaient mal les passions et mme les crimes.- la critique que Racine aurait pu vouloir, aux vers 1325-1326, adresser aux vils courtisans de Louis XIV.

Intrt psychologiquePhdre est une pice o le drame se droule essentiellement dans les curs, tient laffrontement des consciences prsentes en un lieu clos. Les incidents, les pripties, les coups de thtre, ont un seul but: assurer la progression psychologique, la connaissance complte des mes. Les personnages, soumis, dans leur comportement, la logique de leurs caractres partir de ce que nous apprend lexposition, montrant un mlange dinstincts primitifs et de noblesse aristocratique, tentent de rsoudre une crise motionnelle intense et profonde.

Toute I'action, tout I'intrt de la pice sont centrs sur Phdre. Les autres personnages ne sont en quelque sorte que des comparses. Cela parat aller de soi pour les confidentsqui, traditionnellement, dans la tragdie, sont l pour proposer des solutions dialectiques, opposer leur empirisme au dogmatisme des hros.

Thramne, un homme de quarante-cinq ans encore vigoureux, est le gouverneur (prcepteur) dHippolyte, la fois son prcepteur, son matre darmes, et son compagnon de chasse. Il montre rigueur et grandeur dme. Il a affront les fatigues et les dangers dun long priple pour tenter de retrouver Thse (I, 1). Il a surtout la redoutable charge de narrer Thse (V, 6) la mort dHippolyte.Oenone, qui fut la nourrice de Phdre, et est devenue sa confidente, a beaucoup plus dimportance. Chez Euripicle, aprs un premier mouvement d'indignation, dsireuse de ramener sa matresse la vie, elle lui expliquait qu'on ne peut rsister la desse de I'amour, et qu'il est dangereux de le tenter ; elle allait voir Hippolyte, et, aprs la violente raction de celui-ci, Phdre la chassait en la traitant de sclrate. Chez Snque, elle s'opposait au contraire longuement la passion de sa matresse ; ctait seulement quand elle la voyait dcide mourir qu'elle se faisait sa complice non sans rticence ; mais, quand Hippolyte repoussait Phdre, elle prenait rsolument I'initiative d'appeler I'aide en I'accusant de tentative de viol ; ctait ensuite la reine elle-mme qui le calomniait auprs de Thse, et il ntait plus question de la nourrice.Racine avait donc le choix. Il suivit Euripide, et, pouss par les prjugs aristocratiques de l'poque et par sa vision tragique, il aggrava la fois le comportement de la confidente, et le jugement dont elle est I'objet. Pour le metteur en scne Jean-Louis Barrault, cest une femme qui a sur son visage les marques, sur ses paules le poids de cinquante ans de vie, despoirs, dchecs. Manifestant un dvouement aveugle, elle est non seulement nourrice, elle est aussi accoucheuse, tant celle qui veut librer Phdre de sa parole nimporte quel prix, qui veut sauver son honneur d'une honte certaine (vers 713). On la parfois compare Narcisse (dans Britannicus), parce que ses conseils sont immoraux ; mais ils sont toujours ralistes, et, loin de poursuivre, comme celui-ci, une ambition personnelle, de rechercher la vengeance de lhumili, elle reste la nourrice aimant profondment sa matresse, qui devient criminelle en se voulant admirablement dvoue celle quelle prcde dans la mort. On veut parfois faire delle le mauvais gnie de Phdre, alors quelle assume, conformment sa place, la trivialit du conflit et sa solution (Roland Barthes). On peut mme voir en elle son double, son moi profond. Elle remplit sa fonction de confidente qui est de la maintenir en vie, de ladapter la ralit, d'tre un catalyseur, un rvlateur. En rappelant, chaque pause du chant monologu, les lments escamots par sa matresse, elle acclre le processus d'aveu ou de dcision: en I, 3, alors que Phdre na parl que du fils de lAmazone (vers 262), elle scrie : Hippolyte! Grands Dieux!, et cela soulage lamoureusehonteuse : C'est toi qui l'as nomm! (vers 264).On peut voir aussi en elle la meneuse de jeu, car, si elle n'a pas le temps de commenter I'aveu de la reine, puisqu'on annonce aussitt la mort de Thse, immdiatement, elle la presse de revenir la vie, lui disant quelle a des devoirs envers son fils, et que sa passion pour Hippolyte devient une flamme ordinaire, qui n'a plus rien de coupable (I, 5). Cest son intervention qui rend possible la tragdie (il ny en aurait pas si Phdre mourait au premier acte). Au dbut de I'acte III, elle la pousse oublier, fuir Hippolyte, son rle dictant ses paroles, car il fallait un contradicteur pour montrer jusqu'o la passion pouvait s'exacerber. Si, ensuite, elle s'apprte tenter de convaincre le jeune insensible, c'est sur I'ordre exprs de Phdre, ce qui n'tait pas le cas chez Snque ni surtout chez Euripide. Jusque-l, lOenone de Racine est donc plus innocente. Mais, comme chez Snque, elle prend l'initiative de la calomnie, et ici c'est elle qui la soutient auprs de Thse. Dans sa prface, Racine justifia cette modification : la calomnie, tant une bassesse, est plus convenable une nourrice qu' une princesse. Mais, en fait, celle-ci lui donne son accord tacite, puis I'autorise par son silence.

Enfin, au moment o Phdre est saisie d'horreur, sa confidente lui prsente sa passion criminelle comme une excusable erreur (vers 1295-1306). Il faut, ici encore, faire la part du rle (l'objection est utile pour soutenir la reine dans sa position vertueuse), et celle de I'imitation (ces vers rsument un passage d'Euripide [vers 437-458]). Cela dit, on comprend la raction spontane de Phdre, mais on admet moins facilement sa reconstitution des faits, qui reporte sur la seule Oenone une responsabilit toujours partage (sauf en ce dernier instant) au moins par approbation tacite et parfois par une vritable injonction. Il est scandaleux de traiter une si gnreuse conseillre de monstre excrable, comme le fait Phdre (vers 1317), de l'assimiler aux dtestables flatteurs (vers 1325), alors que sa seule motivation tait un entier dvouement, souvent soulign dans le texte (vers 233-236, 773-774, 881, 897-898, 1216-1217, 1327). On parlera de raction de colre, on dira que Phdre, avec la complicit de I'auteur et de I'idologie aristocratique, a voulu se dbarrasser de sa culpabilit sur cette personne de rang infrieur. Mais il est plus difficile d'expliquer les dernires paroles de I'intresse :

Ah ! dieux ! Pour la servir, j'ai tout fait, tout quitt,

Et j'en reois ce prix? Je I'ai bien mrit. (vers 1327-1328).La dernire phrase est une terrible prise de conscience, bientt scelle par un suicide dont les vers 1631-1632 confirment le sens expiatoire. Cette phrase ne signifie-t-elle pas que ceux qui s'appliquent, ft-ce par dvouement aveugle et avec les meilleures intentions, satisfaire nos dsirs et intrts en ce monde, tournent le dos leur devoir moral, et risquent toujours des compromissions criminelles? Si Racine recomposa le rle d'Oenone, ce ne fut pas seulement pour en faire une utilit dramatique dans un systme o tout problme doit tre contradictoirement dbattu, et toute dmarche justifie, ni seulement un bouc missaire. Elle est bien un personnage tragique, c'est--dire constitu par une antinomie funeste : elle se dvoue de fausses valeurs qui pervertissent sa conscience et la contraignent au suicide.Pour Andr Gide: Oenone excelle faire le jeu du diable ; non point certes par perfidie, la manire de Narcisse, mais par dvouement ancillaire et par amour pour sa matresse. (Interviews imaginaires)

Aricie, personnage qui fut cr par Racine, apparat parfois comme une concession quil fit un public friand de jeunes amoureux romantiques. Alors que, dordinaire, chez lui, lamour nest point partag, lobstacle tant, le plus souvent, ltre aim lui-mme, ici, il est partag, mais un obstacle extrieur empche lunion des amantscar, par un jeu cruel de la fatalit, Phdre aime Hippolyte qui aime Aricie. Et les amours partages et lgitimes n'tant pas le domaine naturel de Racine, de tels personnages, si souvent sacrifis par le destin, le furent aussi par Iui : Aricie ne nous laisse pas un souvenir bien net. On peut mme penser que cette princesse appartenant une branche condamne de la famille rgnante, d'abord rebelle I'amour, puis vaincue par lui (un vrai personnage la Scudry), cette timide (vers 1574) jeune fille, hrone innocente voue un amour sans espoir, ne serait l que pour rassurer, par le contraste, ceux que Phdre pourrait pouvanter, ne serait en somme quun faire-valoir dont la prsence ferait mme perdre laction son unit. Aussi les critiques furent-ils souvent svres pour la ple Aricie, cette ingnue sans consistance (Charles Ddayan), cette mdiocre princesse de boudoir (Pierre Brisson), Thierry Maulnier sacharnant sur elle, la traitant de chaste victime du parfait mlodrame, considrant quen proposant la fuite Hippolyte, elle dbite des niaiseries quaucune jeune fille du thtre racinien na jamais exprimes. [Les deux visages de Racine]). En fait, cette prtendue poupe aux tendres murmures sait ce quelle veut. Elle mprise les amours trop faciles, et, excite d'une ambition de conqute, aspire vaincre un cur qui se rebelle (vers 443-456). Et, si elle est pure et vierge, elle est ambitieuse aussi, la soeur des cruels Pallantides tant en V, 3 dote dune soudaine grandeur, mentant habilement, rpondant I'injure avec colre, prenant la dfense d'Hippolyte. Et, finalement, elle est le personnage victorieux.

Racine redonna Thse le prestige hroque qu'il n'avait plus chez Gilbert et Bidar. Il fut de nouveau un admirable hros et mme I'ami, le compagnon, le successeur du demi-dieu Hercule (vers 470), Consolant les mortels de labsence dAlcide (vers 78), un grand punisseur de brigands destructeur de monstres(vers 79), comme le Minotaure, ce qui le prpare a contrario, selon le mcanisme de l'ironie tragique, en dcouvrir un dans sa propre maison (vers 1443-1446), tre victime de sa monstrueuse pouse, commettre une monstrueuse erreur judiciaire, ne pouvoir chapper sa propre maldiction tout en en voyant les consquences. Mdecin de son honneur, il le compromet jamais en voulant le sauver.Il ne faut pas oublier I'indigne moiti d'une si belle histoire (vers 94) : en effet, il est aussi un imptinent sducteur, un propagateur du pch, qui ne semble avoir couru ses plus prilleuses aventures que pour conqurir quelque nouvelle amante, qui est coupable de bien des injustices (vers 83-94), et qu'on souponne mme, suprme transgression, d'tre all du dieu des morts dshonorer la couche (vers 637), mais qui, au moment o il se repose enfin dans la fidlit, est te