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    e suis n Arcangues en 1913.Mon pre a fait la guerre de 14-18 et moi celle de 40 ; je suis de

    la classe 32, jai devanc lappel dun an.Quand Hitler a occup la Rhnanie, leservice militaire a t rallong de troismois mais ce changement est entr en

    vigueur pour la classe suivant la mienne,je nai donc t appel sous les drapeauxquune anne seulement. A cette poque,jtais sminariste. Jai pass les troispremiers mois darme Bayonne, puis jaipoursuivi par un stage dofficiers derserve Pau.Mes camarades prtres ont termin leurarme en tant que sous-officier, moi, je

    nen suis sorti que caporal chef. Je ntaispas toujours trs bien not en raison demon caractre un peu rebelle et commenous devions assister rgulirement descours du soir, au lieu de my rendre, jallaisdner au Sacr-Cur, o se retirent lesprtres lorsquils sont la retraite.

    Jai t mobilis Bayonne, au 49me R.I. Cergiment avait t dissout lafin de la Premire Guerre etreconstitu pour la Seconde.

    Nous sommes la findu mois daot 1939 et je suisassez contrari de devoirpartir dabord parce que laguerre est dclare mais peut-tre et surtout parce que jesuis chasseur depuis toujourset qu cette priode delanne, je prpare unterrain, cest--dire que jai tendu un filetpour la chasse la tourterelle. Je mesouviens trs bien du jour, un samedi, je

    viens de rentrer, tout est prt pour le

    surlendemain lundi, mes obligationsmempchant de chasser le dimanche.

    Lorsque mon pre qui a guett monretour, me dit : Tu peux repartir ramasser tes filets,

    cest la mobilisation ! Nous sommes rests une quinzaine dejours Bayonne puis nous sommespartis en train pour Saverne, en Alsace.Les deux lments les plusmarquants de notre tenue sont lacapote et surtout les pataugas. Quelquipement pour partir la guerre !

    Jai t vers dans les infirmiers,comme tous mes autres camaradesprtres, mais je nai aucune connaissanceen la matire. Nous sommes unequinzaine de prtres, dont labb Ornonet labb Larzabal, rsistant basque, curde Socoa, qui sera trs connu pour sondvouement lgard des rfugisbasques-espagnols. Cette affectation entant quinfirmiers ne nous plat pas dutout, nous avons demand tre intgrsdans une unit combattante.

    En ce qui meconcerne, il me faudraattendre quelque tempsavant de voir mon vu se

    raliser.Nous dbarquons donc Saverne, nous sommes toutun bataillon sous les ordresdu commandant Soulier. Ilfait trs chaud et nouscommenons par monter lafameuse cte de Savernejusqu un petit village

    Danne-et-Quatre-Vents, six kilomtresplus haut. Nous avons trs soif et nousavons achet du vin bouch 3 Francs labouteille, ce qui est trs cher. Nousresterons dans ce village deux ou trois

    semaines, histoire de nous rafrachir lammoire des choses de larme et

    J

    Etchevria,Fagoaga etun prtre

    brancardier

    Prtre et p a triote

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    deffectuer quelques sorties, marchesdapproche etc..Cest totalement dfendu, mais jaiquelques camarades basquescontrebandiers qui se chargent de chasserdont Fagoaria et Etchevria. Ce dernier aemprunt un mousqueton et noussommes partis la chasse la biche.Nous formons un petit groupe et parminous, un autre prtre, aumnier desMarins Saint-Jean-de-Luz, qui a tmobilis mais dans une unit diffrente,en mme temps que son frre prtre

    galement. Nous avons dbusqu unebiche que nous suivons tranquillementlorsque nous entendons au loin, unesonnerie de clairon. Le prtre nous dit : Cest le rassemblement, vite ! , il faitdemi tour et part en courant. Nous nousmettons rire un peu, pensant quilplaisante, mais dans le doute, nous lesuivons sans trop attendre. Il nous fautun peu de temps pour rejoindre la troupecar nous nous sommes passablementloigns.Nous arrivons tout juste temps pourrassembler notre paquetage, monter dansle car et partir. Ctait bien lerassemblement et sans notreami, nous manquions le dpart.Les ennuis auraient commencpour nous puisque nous serionspasss pour dserteurs.

    Il y a aussi une autrequipe de brancardiers, euxforment lquipe des pcheurs ;ils ont tellement pris depoissons que nous avonslimpression quils ont vid le

    lac environnant. Un jour, ils ontmme pouss le culot jusqufaire servir de leur poisson latable du commandant.

    Tout ceci sert plus nousamuser qu amliorer notrealimentation car, ce moment du moins,nous navons pas nous en plaindre.

    ous arrivons la frontireallemande, Epping, une soixantaine de

    kilomtres au nord de Danne-et-Quatre-

    Vents. Les premiers jours, nous entronsmme en Allemagne puisque nous avons

    ordre de nous placer devant la ligneMaginot. Je me souviens dune usinedans laquelle nous avons rcupr deuxdrapeaux allemands. Mon ami Larzabala jet ces drapeaux sur une chaise et jelai mme photographi mont dessus etles pitinant. Tout un symbole !

    Cest cela, la drle deguerre : les Allemands ont dabord toccups craser la Pologne et quand ilsont termin leur sale besogne et quils sesont replis chez eux, nous avons euordre den faire autant et de nous retirer

    ct franais afin de ne pas lesprovoquer. Je conviens que ctait assezsurprenant !

    Nous retrouvons donc Epping.Nous sommes maintenant en octobre etil fait dj trs froid, surtout pour nousqui ne sommes pas habitus au climat.Nous logeons dans une maison quipedun norme pole charbon. Une nuit,pour avoir chaud, nous avons charg lepole au maximum et nous noussommes endormis. En ma compagnie setrouvent le Dr Stephan, notre capitaine,son adjoint mdecin auxiliaire et mon

    ami Larzabal.Heureusement, lun dentrenous sest rveill et a secoules autres, car le tirage taitdfectueux et nous avons bienfailli mourir asphyxis tous lesquatre. Lorsque nous sommessortis, nous nous sentions

    vraiment trs mal.

    est aussi pendant cettepriode que jai t tmoin

    de quelques incidents.Nous avons toujours

    ordre de reculer en casdattaque allemande et encompagnie de notre mdecinchef, je suis all reconnatre une

    maison plus en retrait et qui pourrait, lecas chant, nous servir de nouveauposte de secours.Et cest en revenant, que nous voyons,au loin, ce qui ressemble fort unbombardement important provenant ducamp franais. Trois prtres de chez

    nous sont en poste lobservatoire de ladivision et pendant leur tour de garde,

    N

    CLabb

    Larzabal crase le drapeau

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    ont entendu ou cru entendre des bruits demoteur. Il ont alors tlphon pourprvenir quun dclenchement dattaquetait en train de se prparer. Ordre estaussitt donn de lancer un feu de barrageet le bruit se rpand, comme une tranede poudre, que nous sommes attaqus.La 5meCompagnie, poste dix kilomtresen avant et o se trouve un de mesanciens camarades de service militaire,quitte ses positions et nous voyons arriversur nous tous ces hommes qui courent,affols, extnus, portant comme ils le

    peuvent leur chargement.Le commandant auxiliaire Arbeletcheordonne de constituer un barrage avectout ce que nous pouvons trouver etdarrter les fuyards. En fait, personne nenous attaque et, dans la nuit, tout lemonde peut tre rassembl puis leshommes pris de rejoindre leur positioninitiale.

    Quelques temps aprs,sur une hauteur prsdEpping, les Allemands sesont installs et noussurveillent de la route. Unavion de surveillanceallemand nous survole toutela journe.Le commandant, agac,demande alors lappui deschars, afin de montrer lennemi de quelbois nous nous chauffons et si possible, deles forcer se replier chez eux.Cest ainsi que nous voyons arriver, troispetits chars Renault de la guerre 14-18.Nous les regardons approcher, lecommandant savance pour parlementer

    un moment avec celui qui dirige le groupe,puis, sous nos yeux bahis, ils font demitour et repartent comme ils sont venus.Quand nous nous renseignons, soit disantquils nont pu oprer car le terrain ne seprte pas ce genre dattaque. Ce sontdailleurs les seuls chars franais que jai

    vus durant mon temps pass sur le front.

    Si nous navons pratiquementpas eu loccasion dadmirer laviationfranaise, par contre, laviationallemande est trs prsente.

    Nous avons pris lhabitude de voirpasser au-dessus de nos ttes celui qui

    nous surveille du matin au soir et quitourne basse altitude et parfoisdautres, plus gros, volant beaucoup plushaut et qui, sans doute , rentrent chezeux aprs avoir bombard un secteurfranais.

    Un jour que lavion desurveillance passait, il est soudain assaillipar trois avions de chasse allis quiarrivent haute altitude et qui luifoncent dessus en piqu chacun leur touret l abattent en flammes. Lavion se

    transforme en torche et tombe puis nousvoyons deux parachutes descendrelentement. Les deux pilotes serontcertainement cueillis leur arrive au solet fait prisonniers, mais ce sera le seulcombat arien auquel jassisterai.

    Toujours pendant notre priodede base Epping,Etchevria a ramass deux

    vaches laitires qui ont suivinos dplacements un certaintemps, les villages frontaliersayant t vacus. Grce elles, nous avons du lait

    volont et labb Larzabalqui, dans le civil estapiculteur ses heures, atrouv des ruches et rcoltele miel. Pendant cette

    priode, nous avons bu du caf au laitsucr au miel en telle quantit que nousen avions la nause.

    Nous occupions une maison video nous logions avec nos deux vaches.Un jour quun lieutenant de lintendance

    passait linspection, il dit Etchevria : Vous avez l deux vaches que je

    viendrai prendre demain , elles serviront lalimentation de la troupe ! Non loin de l, nous avions aussi trouvun cochon. Etchevria rpond alors deson accent trs particulier, il avait desdifficults avec le masculin et le fminin : Non, Monsieur, tu nauras pas le vache,prends la cochon si tu veux, mais pas le

    vache ! Le lieutenant, levant les yeux au ciel,repart mais quand il se prsente nous le

    lendemain, plus de vaches, elles se sontlittralement envoles. Il a beau fouiller

    Labb

    Larzabal

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    le rez-de-chausse de la maison et lesalentours, plus de vaches. Il finit parabandonner et na jamais su ce qutaientdevenus ces animaux. Enfait, Etchevria les avaitcachs ltage : il a russi leur faire monterlescalier et les a parqusdans une chambre.Lorsque nous avons quitt

    Epping pour partir aufront, il les a confis uncopain basque dont nous

    avons crois la troupe quirevenait des lignes quandnous y montions.

    ous avons eu ensuiteordre de nous rendredevant la ligne Maginot,

    pour construire des avant postes : ilsagissait dabris faits de rondins de bois.

    Cette priode tant relativementcalme pour les infirmiers,lun dentre nous a prislhabitude de rester enfaction au poste desecours pendant que lesautres aident au montagede ces fortins.

    Un tu estmalheureusement dplorer : le motocyclistequi porte les rapports ducapitaine au gnral etqui est mort lors dunbombardement.

    De temps autre, nous subissonsquelques petites attaques allemandes, maissans grandes consquences.

    Puis, nous reculons encore,toujours pied, nous marchons toute lanuit pour revenir presque notre point dedpart puisque nous nous arrtonsfinalement dans un village non loin dePhalsbourg. Nous passons lhiver cetendroit. Nous, les infirmiers sommeshbergs par des religieuses qui nousgtent beaucoup, le reste de la troupe estlog dans le village.

    Cet hiver est trs rigoureux, latemprature descend jusqu 28. Le

    matin, nous avons de la glace sur le visage,

    cest la vapeur de notre respiration quigle.

    Il ny a aucun combat, parcontre, le travail nemanque pas au postede secours, il faut faireface une pidmie degrippe. Nous possdonspeu de mdicaments :delaspirine et des

    ventouses . Nous sommesvraiment peu experts danslapplication de ces

    dernires et nous faisonssouvent souffrir lesmalades quand nous les

    leur posons.

    Nous passons Nol chez lesreligieuses qui nous ont prpar un repassplendide. Cest cette occasion que jaifum le second cigare de ma vie. Un demes anciens lves du petit sminaire

    mavait envoy un coliscontenant diverseschoses dont ce cigareque jai savour la findu repas de Nol. Cefut le second et ledernier de monexistence car jaitellement t maladeque jen ai t dgot jamais.

    Comme il y abeaucoup de neige,

    nous occupons nos journes faire de laluge.

    Tous les matins, je vais chercher le laitdans une ferme du village et tous les

    matins je salue le fermier qui ne merpondra jamais ni ne madressera laparole une seule fois.

    uis, lhiver se termine enfinet pour Pques jai unepermission. Cest cette

    occasion que je vais connatre unemodification dans mon statutmilitaire.

    Je rentre sans encombre de mapermission, mais avec quarante huitheures de retard puisque jai accept

    daider le prtre de ma paroisse assurerles messes et confessions des ftes

    N

    P

    Jean

    Babaquypendantlhiver 39-

    40

    Unbrancardier

    devient

    responsabledune

    mitrailleuse.

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    pascales, ce qui me vaut une convocationchez le lieutenant qui remplace notrecapitaine. Il me signifie que ce retardentrane une sanction et quil me dtachede linfirmerie pour menvoyer vers uneunit combattante, en clair il me confiedeux mitrailleuses. Je ne suis toujours pastrs expert en la matire mais loin demennuyer, cela exauce enfin mon vu deme battre pour de bon.

    Un jour o nous sommes encoreune fois posts sur une hauteur en

    surveillance, nous voyons de nouveaupasser des bombardiers allemands quirentrent aprs avoir accompli leur funestemission. Puis, plus tard, vers 17 heures,nous reprons trois avions qui volentassez bas.

    Je crie : A vos mitrailleuses ! . A ct denous sont postes des batteries de canonsanti-ariens . Nous nous mettons tirersur ces avions comme des malades maislorsque je regarde autour de moi, jemaperois que nous sommes les seuls tirer, lartillerie ne suit pas. Soudain, unlieutenant qui dirige une autre batterie semet hurler : Arrtez le tir, ce sont desavions franais !

    Ctait en ralit trois avions anglaiset cest sur les seuls et uniques avions allisde toute la journe que nous avons faitfeu, sans en toucher aucun, heureusement.

    Puis un autre aprs-midi, noussommes toujours en dfense anti-arienne,comme rien ne se passe de particulier,nous cassons la crote tranquillement,quand nous levons la tte et voyons ungros avion de bombardement qui nous

    survole trs bas. Nous pouvons mme admirer sa croix noire mais au bruitinhabituel quil produit, nous pensons toutde suite que cet appareil est touch.Notre commandant se met hurler : Vite, vos postes ! Dun bond je minstalle derrire mamitrailleuse et cest la seule fois o je tirerellement. Et nous tirons tous et malgrle bruit infernal, jentends le commandantqui continue spoumoner : Mais ils nelauront pas, ils le lauront pas ! Effectivement, nous ne lavons pas

    touch.

    Nous sommes passs en unitdinfanterie alpine et nous nousattendions tre envoys dans les Alpespuisque lItalie tait entre en guerre auxcts de lAllemagne. En fait nous nesommes pas partis si loin.

    ous avons t renvoysau front toujours pied, Wissembourg, une

    centaine de kilomtres au nord est, lafrontire allemande.

    A partir du 10 mai, les choses

    changent. Les vnements se durcissent,les Allemands sont devenus vraimentagressifs. Nous marchons nuit et jour,sac au dos. Nous transportons tout notrematriel et pour cela nous avons troqunos quelques chariots contre des mulets.

    Un des conducteurs de mulet estun camarade juif, un bijoutier deBayonne, un homme trs gentil, trs fin.Le regarder accompagner le mulet mefait mesurer lincongruit de notresituation. Il est vrai quaucun dentrenous nest sa place et je me demandequel est le plus curieux : un bijoutieracheminant du matriel militaire dos de mulet ou un prtre tirant lamitrailleuse ?

    Je dis souvent mon ami : Toi, ce nestpas toi qui conduit le mulet, cest lemulet qui te mne !

    Et nous allons toujours pied, marcher sans prendre beaucoup derepos. A certains moments, nous nousarrtons, nous tablissons une ligne dersistance pour permettre au reste destroupes de se replier aussi. Nouspouvons nous reposer quatre, cinq

    heures au plus et nous repartons enarrire.

    Je me souviens que nous nous arrtonsdans un petit village, Thaon-les-

    Vosges, cent kilomtres en retrait.

    Notre adjudant nous a demandde passer la nuit dans les maisons du

    village. Nous sommes entrs dans lunedelles et je revois encore le regard affoldu couple qui allait nous hberger.Il faut dire que nous avons dbarquchez eux, sans prvenir, avec nos

    mitraillettes, il y avait de quoi avoirpeur ! Je madresse alors eux :

    N

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    Monsieur et Madame, ne vous inquitezpas, les allemands ne vont pas arriver et sipar malheur, ils bombardent, jai vu que

    votre maison comportait une cave, vousnaurez qu vous y rfugier, vous nerisquez rien, ne vous inquitez pas ! Et lelendemain, nous sommes repartis.

    Nous avons fini par atteindreGondrexon, petit village situ 30 km lest de Lunville. Nous marchions depuisdix jours nuit et jour sans nous changer ninous laver. Nous sommes arrivs en fin

    de journe pour nous tablir la lisiredun petit bois. Nous entrons dans lesfourrs et nous dcouvrons, tous les cinqmtres environ, des vestiges, des restesdobus rouills et des trous, datant de laguerre 14-18. Je trouvais celaextraordinaire de nous retrouverexactement la place quavaientoccupe nos ans, vingt cinq ans plustt et malheureusement pour les mmesraisons.

    Nous nous sommes installs face la ligne de chemin de fer, en dfense et jaidit mes camarades : Si nous sommesattaqus, ne ripostez pas trop vite, laissezles approcher au maximum .Pendant que nous sommes l attendre, jeme dis que dgotants comme noussommes tous, ce serait embtant sil devaitnous arriver quelque chose, de mourirsales. Je trouve alors un petit ruisseau et jeme lave les pieds. Au moins, si on metrouve, jaurai les pieds propres ! pens-je.

    Puis nous apprenons que lesAllemands arrivent par le Nord, face

    nous, les Polonais nous protgeant par lagauche. Nous sommes continuellementsurveills par un avion qui tourne audessus de nous et qui doit renseignerlennemi sur nos positions.

    Nous sommes assez peu au courantde la situation, si ce nest quau cours denotre retraite, en traversant un village, deshabitants qui possdent un poste de radionous disent que les Allemands sontarrivs Calais, quils ont aussi pris Dijon,quils sapprochent de Paris et que Ptain a

    demand larmistice.

    Nous ressentons un granddcouragement : nous nous sentonsseuls, mal prpars, fatigus, malquips. Nous sommes rsigns etpensons que nous nen avons plus pourlongtemps. Nous ne nous faisons aucuneillusion quant la suite des vnements.

    Puis nous apprenons que lesPolonais ont battu en retraite. Les ordresont t donns ainsi : si nous noussentons trop menacs, il fautimmdiatement se replier vers la route.

    Le matin du 19 juin 1940 arrive, il

    est 8 ou 9 heures, nous buvonstranquillement notre caf. Les Allemandssont arrivs sur notre secteur sans quenous en ayons t avertis. Ils se sontdoucement approchs et arrivs laligne de chemin de fer, il sabattent surnous en hurlant tels une meute de chiensenrags et la fusillade commence surnotre gauche.

    Le combat savre ingal : noussommes installs aprs avoir fait une trslongue marche et nous avons en face denous des gens arms comme il le faut etqui sont arrivs sur les lieux en camions.De plus, leur manire de se ruer enhurlant narrange pas les choses.La fusillade commence sur notre gauche,nous navons quune crainte, tre pris entenaille si dautres arrivent du ctoppos. Nous ne sommes pas de taille lemporter. Suivant les ordres, nousrassemblons notre matriel et nous nousreplions vers la route. A gauche, setrouve un petit sentier, nous nous yengageons et pointons nos mitrailleusessous un dluge de balles. Toutes lesfeuilles du taillis o nous sommes

    rfugis frissonnent sous laverse .Je bondis et je cherche un renfoncementpour minstaller. Nous sommes couchssur le sol. Je fais un mouvement de ttepour appeler mes camarades et cest cemoment quune balle ricoche sur le sol et

    vient se ficher dans ma figure. Elle metraverse le visage de part et dautre dunez et me fracture la mchoiresuprieure.

    A ct de moi se trouve labb Ornon.Je me retrouve genou, lui aussi et il medit : Pauvre Babaquy, pauvre

    Babaquy ! .

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    Fbrilement, je ttonne pour trouver monmasque gaz. Je sais que jy ai plac unpansement. Jabandonne mes deuxmusettes et mes pellicules photo. Jattrapele pansement et je le plaque sur mon

    visage.Labb Ornon me fait un bandage et lelieutenant Moras m envoie directement auposte de secours de Gondrexon.Seulement, pour se rendre Gondrexon,il faut y aller par la route et sur la route labataille fait rage. Les Franais sont poststout le long , tirent sur les Allemands qui

    le leur rendent au centuple, la voie estbalaye par les balles. Jessaie de passer parle foss mais il est rempli de ronces.Impossible de saventurer !

    Cest alors quun coup de folie meprend : je me relve, me prcipite sur laroute et je me mets courir, courir. Jenai quune ide en tte : aller me fairesoigner au plus vite. Mes copains hurlent : Viens ici, Baba, tu vas te fairedescendre, reviens !

    Je parcours environ cent mtresquand javise un foss et derrire ce fossest cach le motocycliste et le side-car ducommandant. Je nai jamais dout quil yait une providence, mais l jen avais lapreuve ! Que fais-tu l et quest-ce qui tarrive ? me demande t-il. Et il voit ma tte et lepansement sanguinolent. Allez, monte, je

    vais temmener au poste ! Je grimpe dansle side-car et arriv au poste de secoursrgimentaire, je retrouve labb Larzabalqui est toujours son poste d infirmier.

    Je ne peux plus parler et mon visageensanglant doit donner penser que jenen ai plus pour longtemps, il me donne

    labsolution, histoire dtre en paix avec leBon Dieu.Et moi, pendant ce temps, je pense : Ilme croit fichu, mais non, je suis costaud,je vais men tirer !

    Au moment o jai t bless etpendant quelques secondes, jai appel dufond du cur la misricorde de Dieu, jeme suis abandonn et jai ressenti unegrande paix.Je me suis alors demand : Comment est-ce de lautre ct ? Sansaucune apprhension, jai fait don de mapersonne et puis jai ouvert les yeux et jai

    alors compris que jtais vivant. Pendantun court instant, ce fut une terrible

    dception. Puis linstinct de survie a prisle dessus, ce qui explique que lorsquelabb ma donn labsolution, cet tat degrce tait pass et je savais que je mebattais pour vivre.Nous sommes partis au poste de secoursdivisionnaire o labb Verges machang mon pansement. Cela ma misen colre car il ma band les yeux enmme temps que le reste du visage. Etde l, en compagnie dautres blesss,nous montons dans un camion chargdexplosifs et on nous expdie vers

    Raon-ltape, 35 km au sud est deLunville, non loin de Baccarat. Encours de route, un croisement, cest unsoldat allemand qui rglait la circulationqui a indiqu la direction notrechauffeur.

    Je resterai un mois Raon-ltape. Jy suis opr et lon mextrait unmorceau de fer. Lhpital est loriginedeux coles qui ont t rquisitionnes.Nous sommes une centaine de blesss.

    e 21 juin, les Allemandsprennent possession de la

    ville. Je me souviens dunsoldat bless arrivant, son fusil lpaule,compltement affol et hurlant : Si

    vous le pouvez, foutez le camp , ils tuenttous les prisonniers, surtout lesprisonniers de guerre !Dans ltat de faiblesse o nous noustrouvons, que pouvons nous faire ?Dans le courant de la journe, un officierallemand nous rend visite, accompagndune infirmire. Cest un grandbonhomme qui nous fait le salutmilitaire, nous regarde, se tourne vers l

    infirmire et lui dit : Ces draps sontsales, vous les changerez ! Il fait demitour et il sort. Je suis dans un drledtat, mon il droit suppure beaucoup,mon pansement est chang, une fois deplus.

    Le 22 ou le 23 juin, lhpital estbombard par les Polonais. Bien quilsaient failli nous tuer ce jour l, je tiens leur rendre hommage. Jestime quils ontmanifest un courage exemplaire ; cessoldats en voulaient vraiment et ntaientpas prts renoncer. Ils avaient dj tant

    souffert chez eux, leur pays tait dtruit,ils navaient plus rien perdre. En ce

    L

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    sens, et cette poque, ctait pour nousune leon.

    Les Allemands ont dispos troiscanons ct de lhpital et ripostent.Nous sommes au centre de la bataille. Uneaile est touche, quelques blesss tus. Lanouvelle se rpand dans lhpital : Vite,les Allemands bombardent, descendez lacave !

    Dans la salle o je repose, noussommes une dizaine deblesss et danslaffolement gnral, lun

    dentre nous, touch lacolonne vertbrale, estoubli et reste seul dansla chambre pendant toutle bombardement.Pauvre homme, commele temps a d lui semblerlong, qua-t-il penspendant cette atrocedemi-heure ?

    Puis noussommes transports Saint-Di, plus au sud, la caserneScherren-Kellermann transforme enhpital. Je me souviens , non loin de nous,sont rassembls des prisonniers franaisqui souffrent de dysenterie. Une corde lesspare des autres blesss. Je m approchedeux malgr tout car jai reconnu un demes compatriotes dUstaritz. Aussitt lasentinelle allemande bondit et aboie : Raus ! Dans cette caserne-hpital est entreposbeaucoup de matriel confisqupar les Allemands leursprisonniers. Pendant mon sjour Saint-Di, je retrouve labb

    Etchmendy, bless la jambe,que jai connu au sminaire.Chaque jour, nous mettons aupoint ensemble, des plansdvasion que nous neconcrtiserons jamais.

    Puis je passe une visitemdicale et on mavertit que je

    vais tre transfr dans un campen Allemagne. Je suis incapable demanger, je ne peux ingurgiter quedes aliments liquides. Je me dfends dumieux que je peux compte tenu de ma

    blessure, en arguant que je suis loin dtreguri. Je dois tre convainquant, car le

    mdecin me fixe un rendez-vous pour lelendemain afin de mexaminer plus endtail et de me passer la radio. Ilsaperoit alors quil me reste unmorceau de balle au-dessus de la gencivesuprieure. Il me faut tre opr denouveau , selon les mdecins, celaquivaudra, pour moi, une extractionde dent. Les mdecins ne sont pasdaccord entre eux : lun pense que le

    morceau se trouve lintrieur du sinus,lautre lextrieur.

    Lintervention alieu, sans succs. Ilsdcident alors de metrpaner. Je serai sousanesthsie locale etpendant lintervention,jentends, en plus dubruit des instruments : Quest-ce que celapisse ! Je ne me senspas particulirementrassur.

    Pour terminer, je repasse une radioencore une fois et grce cette dernireles chirurgiens russissent extraire laballe. Je reste entre la vie et la mort, laplaie est trs infecte. Pour finir, jattrapela dysenterie. Je dois partir pour Nancy,dans un service maxillo-facial et causede cette maladie, je pense que mondpart sera retard. Les brancardiers

    viennent tout de mme me chercher etun mdecin me conseille : Partez, cest

    votre seule chance, o vousfinirez dans un campallemand !

    Nous partons donc

    pour Nancy, cinq ou sixblesss conduits par unchauffeur allemand etescorts par un soldat,mitraillette au poing. L-bas, je suis plac dans uneunit de soins descancreux de la gorge. Unedoctoresse, assiste dunereligieuse soccupe de moi.

    Je me fais connatre auprsde la religieuse qui appelle mon chevetune chirurgienne spcialiste qui me dit

    que lintrieur de mon nez est trs abmmais quelle peut moprer. A mon

    St Di :caserne

    Scherren-

    Kellermann,le matriel

    franais confisqu

    par lesAllemands.

    Jean Babaquy

    est appareill

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    rveil, je souffre beaucoup, jentends lareligieuse qui me veille me dire : Monpauvre petit, est-ce que vous souffrez,mon pauvre petit ? Je nai jamais su si jele pensais ou si je mexprimais tout haut,mais javais limpression de crier : Fichezmoi la paix, mais fichez moi la paix !

    Je resterai ainsi huit jours Nancypuis je suis transfr,toujours escort par dessoldats allemands, lhpital Civil de Neuilly,dans un grand service

    maxillo-facial , dans uneaile rserve aux blesssde la face. Je suis soignpar le Dr Virenque. Jyretrouve un anciencopain de collgedHasparren, GuillaumeEtcheverse que je nai jamais revu depuiset qui se trouve dans le mme service. Jereste huit mois, tout lhiver 40-41. Nouspassons nos journes jouer aux damesavec labb Mathieu, prtre vosgien. LesSurs qui travaillent lhpital nous ontaffubl dune soutane. Cest tout cequelles ont pu trouver mais cela nouspermet de nous dplacer dans une tenueplus correcte que le pyjama.Labb Brhamet, jeune sminariste maisplus g que nous du fait de sa vocationtardive, aumnier des Gueules Casses ,nouspromne dans Paris etsoccupe de lanimation duservice. Comme mon ilest toujours infect, je vais lhpital Cochin me fairesoigner le canal lacrymal.

    Mais nous sommestoujours prisonniers des

    Allemands et lorsque jesuis guri, un mdecinautrichien fait passer une

    visite mdicale unecentaine de blesss et les libre tous. Saufmoi, que lon a oubli de prsenter.

    Quelques temps aprs, je suisenvoy Issy-les-Moulineaux o se trouveun centre rassemblant tous les prisonniersde guerre rentrant en France et en instance

    dtre librs. Nous sommes unemultitude qui attendons, je suis toujours

    vtu de ma soutane. Je dcide dy aller auculot, jentre sans faire la queue dans lebureau dun sous-officier qui medemande de lui prsenter des papiersque je nai pas. Il me donne alors uneadresse o je me rends, ds le lendemainet o lon me conseille de revenir avecune attestation du mdecin de lhpital

    certifiant que je naijamais t prisonnier.Le Dr Virenque me lardige sans problmeet je la porte lofficier

    qui me verse au Val deGrce comme infir-mier. L-bas, tous lesinfirmiers de la classe32 sont librs, je lesuis donc aussi et lesoir mme, je suis libre

    et mes papiers en rgle. Je rentre alorschez moi par le train.

    orsque je fais le bilan de cettepriode du dbut de la guerre, jemestime assez privilgi car, mis

    part lassaut allemand, le jour o jai tbless et o nous tions vraiment sousles balles ennemies, tous les combatsauxquels jai assist ne se passaient pasjuste devant nous, notre rle a surtout

    t un rle desurveillance. Je nai doncjamais vraiment eu peur.Et puis, nous tionsjeunes et un peuinconscients, assez mal

    informs de la situationde la France. En fait, nousne nous rendions pascompte de la relle gravitdes vnements. Parcontre, jen veux

    particulirement nos dirigeantspolitiques de lpoque, Blum et lesautres. Tous savaient ce quemaniganait Hitler, depuis 1932-33 et ilsont t incapables de prparer le pays ce qui allait arriver. Ils taient plusproccups de politique sociale que de

    politique trangre, ce niveau tousfurent lamentables. Je ne cesserai de dire

    L

    LabbBrhamet( gauche)

    aumnierdes

    Gueules

    Casses .

    Le docteurVirenque (2me

    partir de lagauche) et les

    artistes quinous

    distraient.

  • 7/25/2019 abb babaquy - prtre et patriote.pdf

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    que notre prparationmilitaire navait deprparation que lenom, nous navionsaucun quipementcorrect, nous avionsrepris les armes de laguerre 14-18 pournous battre, alorsquen face les

    Allemands possdaientune arme moderne.Que pouvions nous

    faire ? Personnellement, cet pisode nema pas sembl aussi pnible quonpourrait le supposer.Sortant du Sminaire o la vie et ladiscipline taient si dures, la vie de soldatma paru trs supportable. Ma vocation deprtre et mon rle militaire ont cohabiten bonne entente.

    Dans mon esprit, les choses taientclaires : mon pays tait en danger, je ledfendais, jtais prtre mais patriotetout de mme.

    Et puis, je navais pas lechoix, moins dedserter, mais ce ntaitpas dans mon tatdesprit.

    Jespre avoir nanmoinssoulag les quelqueshommes qui jai donnlabsolution et que nousavons perdus lors desattaques.

    La vie en gnral, et cettepriode en particulier, mont confortdans cette opinion : il existe toujours unct positif toutes choses, mme lesplus noires, car Dieu du mal tiretoujours le bien.

    Abb Jean Babaquy.

    Par Marie-Dominique DEPREZ,Ecrivain Priv

    Mmoiries

    Hpital de

    Neuilly :un groupede blesssde la faceet de la

    tte.