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Le temps des puissances L’Europe acteur - Forum 1 50 L’Europe acteur, c’est la forme moderne de l’idée de souveraineté, c’est la création d’une Europe politique qui pèse sur la destinée du monde et qui assure paix et prospérité. Trois forums abordent le positionnement de l’Europe dans le monde global : coopération avec le Sud, cohé- sion interne et sécurité/défense Comment va évoluer le système commercial multilatéral ? A quels défis la coopération européenne avec le sud sera-t-elle confrontée ? Quels partenariats public/privé devra-t-on développer pour plus d’éfficacité économique ? Grand témoin : Jean-Jacques Gabas, Maître de conférences Université Paris XI et Sciences Po Paris Président d’honneur du GIS-GEMDEV Intervenants : Romano Mambrini, Président de Camera di Commercio, Industrie, Artigianato e Agricoltura - Cagliari Patrick Van den Schrieck, Président de la CRCI Nord-Pas- de Calais Animateur : Jean-Claude Juan, Directeur général de la CRCI PACAC L’Europe acteur Jean-Claude JUAN Jean-Jacques Gabas a souligné très justement, ce matin, qu’il n’y avait pas un Sud, mais des Sud. Dans son propos, il évoquera la diversité des situations existantes entre ces différents Sud, sachant qu’on est bien là dans une situation où les compétitions sont sans doute les plus immé- diates, les plus fortes, et sans doute les plus contradictoires avec le thème de l’élargissement. Je rappelle qu’il y a, dans les pays du pourtour méditerranéen, deux pays qui sont déjà partie prenante de l’élargissement actuel, et il y a sur- tout le cas particulier de la Turquie. Notre débat sera centré sur l’impact de cet élargissement à l’Est sur les pays du pourtour méditerranéen. Le processus de Barcelone, initié en 1995, a suscité beaucoup d’espoirs chez nos partenaires du Sud que ce soit dans le champ du dialogue politique, dans celui du développement et de la coopération économique, ou celui de la valo- risation de la dimension sociale, culturelle et humaine, domaines qui constituent les trois volets de la déclaration de Barcelone. Beaucoup de choses ont été réalisées depuis 1995, mais moins qu’on ne l’espérait. A mi-chemin de l’échéance 2010, il reste encore trop d’incertitudes Forum 1 Nouvelle Europe : quelle coopération avec le Sud ?

actes7e ue 2003 - CCI.fr · Dans son propos, il évoquera la diversit ... qu’il faut investir : sans un minimum d’infras-tructures, pas de développement économique et social

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L’Europe acteur, c’est la forme moderne de l’idéede souveraineté, c’est la création d’une Europepolitique qui pèse sur la destinée du monde et qui assure paix et prospérité. Trois forums

abordent le positionnement de l’Europe dans le monde global : coopération avec le Sud, cohé-sion interne et sécurité/défense

Comment va évoluer le système commercial multilatéral ? A quels défis lacoopération européenne avec le sud sera-t-elle confrontée ? Quels partenariatspublic/privé devra-t-on développer pour plus d’éfficacité économique ?

Grand témoin : Jean-Jacques Gabas, Maître de conférences Université Paris XIet Sciences Po Paris Président d’honneur du GIS-GEMDEV

Intervenants : Romano Mambrini, Président de Camera di Commercio,Industrie, Artigianato e Agricoltura - CagliariPatrick Van den Schrieck, Président de la CRCI Nord-Pas-de Calais

Animateur : Jean-Claude Juan, Directeur général de la CRCI PACAC

L’Europe acteur

Jean-Claude JUAN

Jean-Jacques Gabas a souligné très justement, ce matin, qu’il n’y avait pas un Sud, mais des Sud. Dans son propos, il évoquera la diversitédes situations existantes entre ces différents Sud,sachant qu’on est bien là dans une situation oùles compétitions sont sans doute les plus immé-diates, les plus fortes, et sans doute les pluscontradictoires avec le thème de l’élargissement.Je rappelle qu’il y a, dans les pays du pourtourméditerranéen, deux pays qui sont déjà partieprenante de l’élargissement actuel, et il y a sur-tout le cas particulier de la Turquie. Notre débat

sera centré sur l’impact de cet élargissement à l’Est sur les pays du pourtour méditerranéen.

Le processus de Barcelone, initié en 1995, a suscité beaucoup d’espoirs chez nos partenairesdu Sud que ce soit dans le champ du dialoguepolitique, dans celui du développement et de la coopération économique, ou celui de la valo-risation de la dimension sociale, culturelle ethumaine, domaines qui constituent les troisvolets de la déclaration de Barcelone. Beaucoup de choses ont été réalisées depuis 1995, maismoins qu’on ne l’espérait. A mi-chemin de l’échéance 2010, il reste encore trop d’incertitudes

Forum 1 Nouvelle Europe : quelle coopération avec le Sud ?

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pour imaginer que la zone de libre-échangeannoncée, qui devrait rentrer en vigueur en 2010,pourra fonctionner normalement et répondra à toutes les attentes. La lenteur du processus et la faiblesse des moyens consacrés font douterbeaucoup d’acteurs au Nord comme au Sud de la Méditerranée, de la volonté communautaired’aboutir. Et pourtant on se rend bien compteque les enjeux sont au moins aussi importantsvis-à-vis des pays du Sud de la Méditerranée, du Sud et de l’Est de la Méditerranée que ceuxqui concernent l’élargissement continental. Celaconcerne 220 millions d’habitants dans le Sud,du Maghreb au Proche-Orient et on estime quecette population passera à 280 millions d’habi-tants en 2005, c'est-à-dire demain. Commentfaire pour équilibrer l’intérêt que doit porterl’Union européenne au monde méditerranéenavec l’intérêt qu’elle manifeste envers les PECO,comment l’Europe agissante trouvera-t-elle les moyens de financer cet élargissement et en même temps de développer une politique en direction des pays de la Méditerranée ? Com-ment répondre plus efficacement aux attentesdes acteurs du Sud ? Voilà autant de questionsque nous essaierons d’aborder au cours de ce forum.

Avant de donner la parole à Jean-Jacques Gabas,je voudrais demander à Romano Mambrini et à Patrick Van den Schrieck, de nous faire part de leur approche de la coopération et de préciserce concept.

Romano MAMBRINI

Ce n’est pas un moment très favorable pour les pays du Sud, plus précisément pour les paysdu Nord de l’Afrique. Le 11 septembre a eu poureffet de détourner l’attention de pays comme

la France, l’Angleterre, l’Allemagne et l’Italie sur leurs propres problèmes et donc de faire passer au second plan l’aide aux pays du Sud.

Cette solidarité est pourtant nécessaire. Elle doitêtre dynamique et ne pas être cette fausse solida-rité qui conduit à profiter de ces pays parce quela main-d’œuvre est bon marché. Il faut une soli-darité sincère et dynamique, sinon nous sommesen train de nous tromper complètement et nousallons créer par la suite d’autres problèmes.

Patrick VAN DEN SCHRIECK

Une certaine vision du rapport Nord/Sud mesurprend. D’un côté, il y aurait les gens du Nordintelligents, riches, qui savent tout et de l’autrecôté il y aurait les pauvres, ceux du Sud, qui necomprennent rien, qui sont mal formés et à quion fait la charité. Cette vision doit être dépassée,car nous n’arriverons jamais à rien si nous nerespectons pas la qualité et le style de vie des autres pays.

Ceci est vrai pour le Sud, ceci est vrai pour tous les pays de l’Est. Pour les pays de l’Europecentrale et orientale, si nous ne respectons pasleur savoir-faire, leur savoir être, leur style de vie,nous n’arriverons pas à faire une Europe. Pour les pays du Sud, si nous sommes des néocolonia-listes aujourd’hui comme nous l’étions avant,nous aurons toujours des problèmes avec eux.

Pour une solidarité dynamique et sincère

Nous n’arriverons à riensi nous ne respectons pas la qualitéet le style de vie des autres pays

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Respectons-les dans leurs différences et tendonsleur la main pour qu’ils puissent eux aussi profiterde l’évolution de leur pouvoir d’achat et de l’ouverture au monde. Ce que nous pouvons leur apporter de plus, ce n’est pas de la subventioncomme je le disais ce matin, mais des savoir-faireet des ouvertures pour leurs produits dans nosentreprises. Ils ne peuvent pas être que des sous-traitants à la solde des grandes entreprises euro-péennes, ils doivent vivre leur développement avec leur force, et c’est dans cet esprit-là que nous devons essayer de les aider.

On doit insister, dans tous ces pays du Sud, sur le développement de la formation première.Beaucoup trop d’enfants ne vont pas à l’école ou pas suffisamment, ce qui n’est pas le cas dansles pays de l’Est où, sous le régime communiste,l’ensemble de la population était relativementbien formé.

Deuxièmement, c’est au niveau des infrastructuresqu’il faut investir : sans un minimum d’infras-tructures, pas de développement économique et social. Soyons réalistes, ne prêtons pas d’argent à des gouvernements sans projet, sansdes objectifs concrets et ne donnons que si ces objectifs sont réalisés.

Jean-Claude JUAN

Si j’ai bien compris, aux concepts de solidarité et de développement qu’évoquait Romano

Mambrini, vous ajoutez les principes d’égalité et de réalité. Jean-Jacques Gabas, comment évolue la coopération entre le Nord et les Sud, à l’heure où l’Europe s’ouvre à l’Est ?

Jean-Jacques GABAS

L’exercice que vous avez lancé sur les concepts est intéressant parce que, dans le domaine de la coopération internationale, les gens utilisentdes mots et mettent des sens totalement diffé-rents. Que ce soit sur la notion de société civile,que ce soit sur les concepts de partenariat, sur les concepts de dialogue politique, vous posez la question à des Anglo-Saxons puis à des Latins,ils auront des analyses finalement très différenteset cela se retrouve ensuite dans les pratiques de coopération sur le terrain. Et si, vous voulezavoir un vrai dialogue avec des partenaires, c'est-à-dire les acteurs au Sud, vous aurez des analyses et des conceptions souvent oppo-sées.

Effectivement, je l’ai rappelé ce matin, il y a eu une histoire, positive à mon sens, d’une Europe quia tenté de s’imposer sur la scène internationale.Mais le basculement dans un monde multipolairea changé la donne. Que peut faire l’Europe dansce nouveau paysage ?

La nouvelle donne du monde multipolaire

Aujourd’hui, on ne peut plus parler d’une seulecoopération européenne avec le Sud, mais de plusieurs coopérations. Celle avec les paysACP dans le cadre de Cotonou n’est pas du toutcelle qui s’effectue dans le cadre du processus de Barcelone et encore moins celle qui se dérouleavec les pays en pré-adhésion dans le cadre des programmes avec les Balkans.

Au Sud, priorité au développementde la formation première

Pas de développementsans infrastructures

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Effectivement, cette Europe est confrontée à un monde multipolaire et non plus bipolairecomme au temps de la guerre froide. Les puis-sances régionales émergentes sont bien là, mais le fait inédit, c’est l’existence d’acteurs nouveaux,croissants en nombre sur la scène internationale. Il n’y a plus, comme il y a 20 ans, des relationsessentiellement bilatérales inter étatiques : auxacteurs multilatéraux comme l’Europe, s’ajou-tent les organisations non gouvernementales qui constituent ce que l’on appelle cette sociétécivile mondiale et les coopérations décentraliséestrès présentes. Tous ces acteurs complexifient le champ de la coopération. Il n’est pas rare de dénombrer 400 à 500 ONG sur le terrain se faisant le plus souvent concurrence pouressayer de trouver des opportunités de finance-ments.

Le financement de cette coopération a lui-mêmesubi de profondes mutations depuis 20 ans : très forte croissance des investissements directsétrangers, forte irrégularité dans les finance-ments bancaires internationaux à court terme,mais aussi stagnation en dollars constants de l’aide publique au développement qui tournebon an mal depuis 10 ans autour de 45 à 52 milliards de dollars par an.

Certains pays se sont bien placés, prenant la vague de cette diversification des sources de financements. D’autres, au contraire, sontrestés dépendants de l’aide publique au dévelop-pement et se trouvent aujourd’hui marginalisés.Comment l’Europe se situe dans ce mouvementglobal ?

L’aide apportée par l’Europe s’est profondémentinfléchie, comme le montrent quelques chiffressignificatifs.

Au début des années 80, 60 % de l’aide totale de l’Union européenne allait à l’Afrique, au Suddu Sahara. 20 ans plus tard, 30 % se dirigent vers cette région. Quant aux aides consacrées aux pays du pourtour méditerranéen, le pour-centage stagne autour de 11 %. C’est donc une Europe "centrifuge". Si on observe de plusprès les flux en 2002, les pays en pré-adhésionont reçu 3,3 milliards d’euros, MEDA seulement861 millions, et les programmes TACIS et CARDS,à eux deux, dépassent le milliard deux centsmillions. Les différences de délais dans les misesen œuvre de ces programmes sont aussi impres-sionnantes. Seulement 53% des programmesMEDA étaient mis en œuvre en 2001. L’accordde Cotonou, signé en juin 2000, n’a commencéà être totalement ratifié qu’en avril 2003, soitprès de 3 ans après sa signature ! Les programmesen direction des pays de l’Est ont été mis en œuvre beaucoup plus rapidement.

Quant aux investissements directs à l’étranger, ils ne se dirigent, pour l’instant, que très margina-lement vers l’Afrique. Les PECO ont été les prin-cipaux bénéficiaires, avec un flux d’environ 15 milliards d’euros par an contre 4 à 8 milliardsd’euros maximum vers les pays de la Méditerra-née.

Si l’on regarde les politiques thématiques et sectorielles, l’Europe a une attitude assez curieuse.L’Europe n’a plus de priorités, car dans son pro-gramme de coopération tout est prioritaire. Vousécoutez n’importe quelle déclaration de politiquegénérale du Parlement comme de la Commis-sion, tout est prioritaire aussi bien la sécurité alimentaire que la lutte contre le sida, l’éducation

Un infléchissement sensibledes aides européennes vers l’Est

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autant que la construction de bonnes institu-tions. On n’arrive plus à avoir une vision du développement basée sur des séquences à peu près logiques dans les investissements. Tout devenant prioritaire, rien ne l’est.

Si l’on observe les relations commerciales, celles-ci ont évolué de façon très divergente entre les troisaires géographiques, c'est-à-dire entre l’Afrique,les pays de la Méditerranée et les PECO. Les fluxcommerciaux UE/pays en pré-adhésion ont étémultipliés récemment par un facteur 6, les fluxavec la Méditerranée seulement par un facteur 2.En 25 ans, entre la signature de Lomé1 et l’expi-ration de Lomé 4 bis, la part des ACP sur le mar-ché européen a diminué de plus de moitié passant de 8 % de l’ensemble des importationsen Europe à 3 %.

Ce changement s’est bien évidemment fait au profit d’autres pays en développement plutôtémergents comme les pays d’Asie du Sud-Estqui, de façon paradoxale, ne bénéficiaient pas d’un niveau d’accès au marché de l’Unioneuropéenne aussi favorable que Lomé.

Ces indicateurs mettent en évidence la margina-lisation croissante de l’Afrique et de la Méditer-ranée, qui risque de se renforcer dans les annéesà venir alors que les indicateurs de développe-ment ne sont guère enthousiasmants.

Si vous prenez les indicateurs IDH (indicateursde développement humain) ou les indicateurs de croissance du PIB et que vous regardez ce qui se passe dans les pays de la Méditerranée, et d’Afrique subsaharienne, peu de progrès sont

enregistrés. Pour les pays qui ont une productioninsuffisamment diversifiée, la concurrence avecles pays en pré-adhésion sera accrue dès 2004.Leur population est mieux formée, l’appropria-tion des technologies de l’information et de la communication est meilleure, il y a une pluslongue histoire industrielle, il y a de meilleuresinfrastructures et tous ces avantages donnerontcertainement aux 10 pays nouvellement adhé-rents des atouts et une compétitivité renforcéeface à l’Afrique subsaharienne ou encore auxpays de la Méditerranée.

Pour les pays qui ont entamé une diversification de leur production dans les domaines des textileset de l’habillement, une menace plus grandeencore se profile avec le démantèlement de l’accord multifibre en 2005. Et là, la Chine et l’Inde seront très certainement les grands gagnants.

Que peut faire l’Europe dans ce nouveau paysage ?

Dans ce contexte-là, que peut faire l’Europe ?Trois axes de réflexion peuvent être abordés : le premier concerne les politiques mêmes de coopération, le second porte sur la politiquecommerciale défendue par l’Europe au sein de l’Organisation mondiale du commerce et le troisième concerne la position des 10 nou-veaux pays sur les questions de développement.

Concernant les politiques de coopération mêmede l’Union européenne, il est clair que la recherched’une plus grande efficacité s’impose. Il s’agit de remettre en question certaines actions qui n’ont

Vers une marginalisation croissantede l’Afrique et de la Méditerranée

Pour une politique de coopérationbasée sur la demande

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pas eu les effets attendus, des projets de dévelop-pement qui sont pour certains des "éléphantsblancs" ou d’autres programmes peu efficaces en termes de distribution de revenus, en termesd’effets sur les indicateurs de santé et éducatifs.Pour l’Union européenne, compte tenu de son histoire, remettre en question une politiquede coopération signifie sur le fond modifier la relation de coopération.

Cela implique d’avoir une politique de coopéra-tion basée sur la demande et non plus sur l’offre.Cela veut dire intégrer le processus de dévelop-pement comme étant un processus fondamenta-lement politique, décidé par les Etats à leur propre rythme et selon leurs propres choix touten tenant compte des décisions internationalesadoptées dans un cadre multilatéral.

L’aide publique doit par ailleurs être davantagesélective et basée sur les performances. C'est-à-direcertes sur les besoins, mais aussi sur les mérites, ce qui nécessite la mise en place d’indicateurs de suivis et de considérer qu’il n’y a pas d’abonne-ment au guichet de la Commission européennepour recevoir automatiquement pour une périodede x années des ressources allouées sans aucunesurveillance. Bien sûr, d’autres points sur l’effica-cité de ces politiques sont à développer, commecelui de la coordination entre les politiques bilatérales et la Commission européenne.

Deuxième axe de réflexion, il porte sur la poli-tique commerciale, sur ce que peut ou veutdéfendre l’Europe au sein de l’OMC. Plusieursaspects sont à aborder, assez différents les uns des autres. Le premier concerne la protection

des marchés européens et plus généralement les marchés de l’OCDE, le second porte sur l’ouverture symétrique de ces marchés et les consé-quences pour les pays en développement, le troi-sième a trait à la gestion de l’instabilité du prix des matières premières. Et le dernier aspect, c’estl’épineux problème des soutiens agricoles internesà l’Europe.

Concernant la protection des marchés des paysdéveloppés, son intensité varie selon les groupesde pays en développement et les produits ainsique les pays importateurs. Le protectionnismeest beaucoup plus fort sur les produits agricolesmanufacturés et il pénalise davantage les PMAlorsque ceux-ci veulent exporter vers le Japon etles Etats-Unis, et ce protectionnisme est plusimportant pour les pays à revenu intermédiaireet les autres pays à faible revenu qui commercentavec l’Europe. La générosité affichée de l’Europevis-à-vis des PMA est la fameuse initiative "tout sauf les armes", initiative certes généreuse, mais qui n’a que très peu de conséquences économiques car elle ne concerne qu’à peu près2 à 3 % des importations totales européennes.

Une autre question se pose, celle de la progressi-vité de la taxation en fonction du degré de trans-formation des produits. Le pays qui exporte la fève de cacao n’est que très peu taxé. S’il veutexporter du beurre de cacao, il est un peu plustaxé et s’il veut transformer en chocolat, il estvraiment très fortement taxé. Le Brésil, par exem-ple, produit énormément d’oranges, mais ne peutabsolument pas exporter du jus d’orange vers les Etats-Unis. Le Bengladesh, paradoxalement,paye plus de droits de douane pour les produitsmanufacturés qu’il exporte vers les Etats-Unisque la France. Les marchés sont donc biaisés et souvent fermés. L’un des enjeux de Cancun

Comment s’oriente la politique commerciale de l’Union à l’OMC ?

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sera de lever ces obstacles tarifaires et non tarifairesaux échanges, et la question c’est de savoir com-ment l’Europe va se situer dans cette négociation.

Cette levée d’obstacles concerne aussi les pays endéveloppement eux-mêmes, car cette ouverture estsymétrique et elle laisse les pays en développementdans la plus grande incertitude. Seront-ils capablesd’affronter la concurrence internationale ? Quelsseront les effets d’une zone de libre-échange sur des économies peu diversifiées et peu compé-titives ? Quelles seront les conséquences de ces fameux accords de partenariats économiquesrégionaux prévus dans la convention de Cotonouet qui devraient se mettre en place dès 2008 ?Quelles seront les conséquences sur les financespubliques de chacun de ces pays ? Et là, pour la négociation qui va se tenir à l’OMC dansquelques jours, plusieurs pays ont demandé à ce que la notion de produit stratégique soitintroduite dans les négociations, une façon d’introduire de la protection sélective. Ce pointest en discussion, mais beaucoup de pays au seinde l’ensemble des pays en développement sontréticents.

Le troisième aspect du dossier commercial a traità la gestion des instabilités des prix des produitsprimaires et de la baisse tendancielle de ces prix.Il est certain que les conséquences sur les pro-ducteurs et les finances publiques sont drama-tiques et ceci est donc un dossier majeur. Ilconcerne la plupart des pays en développementet il a été relancé en juillet dernier par une initia-tive du Kenya, de l’Ouganda et de la Tanzanie,pour être soutenu au sein de l’OMC. L’Australie,les Etats-Unis, le Canada et l’Union européenne,tout en reconnaissant la pertinence du problème,ont considéré que l’OMC n’était pas l’enceinteappropriée pour traiter cette question. Donc,

on a botté en touche cet aspect essentiel de la question macro-économique du développe-ment et de ce qu’aurait pu faire l’Europe dans ce dossier.

Quatrième aspect du dossier commercial, c’est bien sûr la question des soutiens internes à l’agriculture. Je ne vous rappellerai pas les chiff-res, ils sont gigantesques, c’est un des sujets les plus épineux dans la discussion au sein de l’OMC. La question pour les pays en dévelop-pement, c’est simplement le fait que ces soutiensinternes perturbent les marchés internationaux et génèrent de la concurrence dans les pays endéveloppement. Se pose donc pour l’Europe un problème fondamental de cohérence des poli-tiques, cohérence entre sa politique d’aide au déve-loppement et sa politique commerciale.

Une clause de paix interdisait dans les accords de l’OMC de remettre en question les subventionsinternes jusqu’en décembre 2003. Passé cette date,plusieurs plaintes pourraient être déposées. Et le Brésil et de grands exportateurs de céréalessont en train d’affûter leurs arguments et atten-dent cette date fatidique. Certainement, les Etats-Unis et l’Union européenne voudront prolonger cette clause de paix. Si l’on regarde ce dossiercommercial essentiel pour les pays en développe-ment, qu’ils soient ACP ou qu’ils soient du pour-tour de la Méditerranée, l’issue des négociationsest tout à fait incertaine. Parce que les dossierssont négociés dans leur ensemble, on traite la question des investissements, la question del’agriculture, des services, des médicaments etselon les termes mêmes du ministre de l’Agricul-

L’Europe est confrontéeà un problème de cohérenceentre l’aide au développementet sa politique commerciale

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ture Hervé Gaymard : "Personne ne peut aujour-d’hui dire ce qui en sortira". Mais il allait beau-coup plus loin en disant : "Avoir un Cancun quis’arrêterait à un certain nombre de principes et oùon ne parlerait pas de chiffres peut être très dan-gereux". Et effectivement, il y a de l’incertitude et le mandat qui a été donné au Commissaireeuropéen Pascal Lamy est un mandat finalementpeut-être clair dans les termes, mais absolumentpas négociable sur le plan opérationnel.

La politique de développement fait partie del’acquis communautaire, c’est le troisième pilieraprès le commerce et le politique et il est explici-tement notifié que les 10 nouveaux adhérentsdevront participer aux politiques de développe-ment et de coopération dès leur adhésion.

Cependant, les politiques de développementn’ont été que très peu abordées et très tardive-ment dans la phase de négociation. Par ailleurs,tous les pays en pré-adhésion ne sont pas dans la même situation. Certains ont une histoire de la coopération, d’autres à l’inverse aucuneexpérience. Nous sommes face à deux groupes de pays : ceux qui ont déjà établi une base légalepour leur politique de développement et quidisposent d’une infrastructure administrativenécessaire : c’est la République Tchèque, l’Estonie,la Pologne, la Slovaquie. Et ceux qui ont une poli-tique de coopération quasi inexistante : Chypre, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Slo-vénie. Ceci signifie donc qu’au moins trois difficultés vont surgir dans les années à venir.

D’abord, il sera quasiment impossible que ces paysatteignent l’objectif, qui n’a d’ailleurs jamais été

atteint sauf par les pays du Nord de l’Europe, de 0,7 % du PNB vers l’aide au développement.Deuxièmement, ces pays n’ont aucune traditiond’aide au développement alors qu’ils ont bénéfi-cié d’une aide importante. Ils vont donc passerdu statut de bénéficiaire à celui de donateur. Un travail important de sensibilisation de leursopinions publiques va devoir être fait. Troisième-ment, ces pays n’ont pas du tout les mêmes prio-rités de coopération que les 15 pays actuels.

Finalement, un processus de développement se

construit en concevant d’une certaine manière

la place de l’Etat et du marché. Jusque dans

les années 80, on avait une coopération au déve-

loppement qui était basée sur le tout Etat. A par-

tir des années 80, on est passé à une conception

du développement basée sur le tout marché.

Et depuis le milieu des années 90, on est dans

une réflexion beaucoup plus complexe, beaucoup

plus fine qui s’appuie sur un triptyque Etat/mar-

ché/institutions.

Dans cette approche plus complexe des parcours

de développement, il me semble que l’Europe a

toute sa place. Pourquoi ? Parce que, côté vieille

Europe, si Keynes n’a pas toujours été écouté, il a

quand même irrigué nos décideurs. De même

qu’un grand économiste Polonais, un peu trop

vite oublié, Michal Kalecki ; il avait une approche

de l’économie du développement très en avance

sur son temps. Ces deux auteurs s’intègrent dans

les filiations d’idées et notamment avec celles

de Joseph Stiglitz, un des derniers prix Nobel

d’économie. Et c’est peut-être aussi, en retour-

nant à ses penseurs que l’Europe pourra jouer

un rôle singulier sur la scène internationale

et contribuer à infléchir certaines conceptions

du développement et de la coopération.

Quelle est la positiondes 10 nouveaux pays membres sur les questions de développement ?

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Jean-Claude JUAN

Je vous propose d’orienter nos échanges sur troispoints : l’impact de l’élargissement à l’Est sur la coopération avec le Sud ; la demande des paysdu Sud et le rôle attendu des acteurs, notam-ment des CCI.

Concernant le rapport Est/Sud, deux questionspolitiques fondamentales sont posées. L’intérêt de l’Union européenne vers les PECO va-t-ilaccentuer les insatisfactions et les revendicationsdes pays du Sud méditerranéen ? A-t-on lesmoyens d’investir de front des deux côtés ?

Romano MAMBRINI

Faut-il aider les pays du Sud ou aider les 10 nou-veaux pays entrant dans l’Union ? Cette questionfondamentale est apparemment tranchée enfaveur des seconds. Pourtant, pour maintenir la paix en Méditerranée, il faut vraiment aider cespays parce que sans notre aide, on va se retrouveravec une Méditerranée en pleine guerre. Il estdonc urgent de réorienter les politiques d’aidevers le Sud. Comment agir pour ne pas faire de tous ces jeunes de véritables bombeshumaines ?

Le problème aujourd’hui n’est pas économique,il est plutôt social et moral. Etre les hommes les plus riches dans une civilisation qui n’a pas de sens, à quoi ça sert ? Ou nous commençons à prendre conscience qu’il existe un monde différent qui est en train de taper violemment à notre porte, ou alors nous avons tout perdu.Un exemple, pourquoi les médicaments pour

soigner le sida dans des pays où les enfants sont énormément touchés ils coûtent aussi cher ?On peut continuer à parler pendant des heureset des heures, mais aujourd’hui l’enjeu, c’est la survie de notre futur.

Patrick VAN DEN SCHRIECK

Nous sommes à un tournant majeur de l’histoire,chaque pays doit avoir sa propre organisation et il faut d’abord commencer par savoir ce qu’unpays dit en voie de développement a envie de faire, quelle est sa priorité et si dans cette prio-rité nous pouvons effectivement l’aider.

Beaucoup trop d’argent est gaspillé par ces paysparce que nous ne faisons pas suffisammentattention au contrôle. Je partage donc un certainnombre d’idées de Jean-Jacques Gabas qui dit :"Il est important d’abord de respecter ces pays, de respecter leurs savoir faire, de respecter ce qu’ilssouhaitent". Ensuite, il faut qu’ils aient des objec-tifs et ce n’est pas à nous de les imposer. Nouspouvons les aider s’ils ont envie d’abord de fairequelque chose.

La charité condescendante n’est plus d’actualité.Lorsque je compare certains pays du Sud, surtoutsubsahariens, aux pays de l’Est, ces derniers ontvraiment envie de faire quelque chose, ils ont un projet de société, ils ont de l’instruction et ils sauront employer l’argent de l’Europe. La ren-tabilité de l’investissement de l’Europe à l’Estapparaît donc nettement supérieure à celle du Sud, notamment en terme d’échanges com-merciaux.

Le problème du Sud n’est pas économique, il est social et moral

La charité condescendanten’est plus d’actualité

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Jean-Claude JUAN

L’engagement de l’Union européenne vers les paysdu Sud procède-t-il de l’effet d’annonce ou tra-duit-il une réelle volonté politique ?

Claude CARDELLA Président de la CCI Marseille - Provence

Au niveau des pays subsahariens, les accords de Lomé et de Cotonou organisent un véritablecadre politique pour le développement d’actionsconcrètes et concertées qui a cependant changédepuis une dizaine d’années et il faut peut-être le recentrer.

En revanche, il n’y a jamais eu de politique vis-à-vis des pays maghrébins. On avait trop peur derevenir dans les pays maghrébins, nous Français,et personne ne voulait s’en occuper au niveaueuropéen. Donc, il y a une véritable politique à mettre en place avec les pays maghrébins tandisqu’avec les pays subsahariens, c’est simplement un recentrage.

L’Agence française de développement est un outilde développement performant. Si je prendsl’exemple du coton, dont l’exploitation concerne12 millions d’Africains, les financements parvien-nent effectivement aux agriculteurs et non pasdans les poches des politiques. Les Américainssont en train de saper ce système. Commençonspar tout faire pour le préserver. Evitons que soitnommé à la tête de l’AFD un fonctionnaire de la Banque mondiale, militons pour un chef d’entreprise qui garantit l’efficacité du système,avec à la clé un développement endogène des payset des contrats pour nos entreprises.

Jean-Claude JUAN

Quelles sont les demandes majeures des pays du Sud ?

François CAUCE Président de la CCI d’Alençon

Je suis entrepreneur, je réalise 100 % de monchiffre d’affaire à l’exportation depuis 7 à 8 ans,et je travaille avec les pays du Sud depuis 30 ans.Jean-Jacques Gabas a brossé la situation réelle. Je voudrais surtout revenir tout de suite sur ce qu’a dit Patrick Van den Schrieck.

Avant de penser développement en Afrique, il faut déjà voir ce qui s’est passé depuis 30 ans.Deux types d’entreprises ont des rapports avec le Sud, celles qui vont chercher de la main-d’œuvre pas chère pour produire et celles quitraitent des marchés sur place.

L’Afrique a énormément évolué depuis 30 ans.Actuellement, la croissance est de l’ordre de 6 à 7 % dans pratiquement tous les pays d’Afrique. Ils n’ont pas besoin de nous ni pour la production,ni pour le commerce. L’enjeu, c’est le développe-ment des infrastructures. Aidons-les à ce niveau-là,le reste se fera naturellement. Créons des situationsde développement pour que ces pays puissentaccéder justement à des zones de libre-échange au niveau administratif et qu’ils puissent commu-niquer avec les autres.

Le gros problème du Maghreb, c’est que tous les jeunes veulent venir en Europe. Qu’on leuramène du travail là-bas et que nos entreprisesaillent là-bas, c’est l’intérêt de tous et la clé du

L’urgence d’une politiqueavec les pays du Maghreb

L’enjeu, c’est le développementdes infrastructures

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développement local, c’est l’efficacité des moyensde transport des biens et des personnes avant tout.

Pierre PYprésident de la CCI de Meaux

Je suis en permanence en Afrique de l’Ouest. Rencontrant régulièrement des jeunes Africains en classe terminale, que ce soit à Dakar, à Bamakoou à Ouagadougou, je constate que ces jeunes-làn’ont qu’un rêve en tête, aujourd’hui, c’est le rêve américain, le rêve australien, le rêve cana-dien, mais sûrement pas le rêve français. Je peuxvous dire que les choses ont changé en 10 ans.Ces jeunes-là veulent créer leur entreprise, veu-lent devenir des dirigeants d’entreprises et s’assu-mer en tant que chefs d’entreprise. Il ne s’agit pasde pauvres à qui on vient apporter la charité,mais d’une nouvelle génération de jeunes Africains qui aujourd’hui veulent se prendre encharge eux-mêmes et qui ne demandent rien si ce n’est un peu de considération.

Je reviens du Mali, de Bamako où la filière cotonest en train de dépérir, engendrant des difficultésconsidérables pour les exploitants maliens. Les cours se sont effondrés alors qu’ils se donnenténormément de mal pour essayer de redresserleur économie. Pourquoi ? Parce que les Etats-Unis subventionnent considérablement les pro-ducteurs américains. L’Europe, dans d’autresdomaines, pratique la même stratégie en particu-lier sur les cours du cacao. Avant de donner des leçons aux pays dits pauvres, il faut peut-êtreaujourd’hui avoir une certaine éthique et prendrenos responsabilités. Les Chambres de Commercequi travaillent normalement avec l’Afrique, pra-tiquent ce qu’on appelle le compagnonnageindustriel, c'est-à-dire qu’on apporte des valeursajoutées sur place. C’est une voie prometteusequ’il faut encourager.

Jean-Claude BOUVEURprésident de la Chambre de Commerce et d’Industrie Française au Maroc

Il ne faut jamais négliger le fait que l’entreprisecréatrice d’emplois, c’est la PME-PMI. La PME-PMI est loin de tous ces problèmes que vous venezd’évoquer, ces distributions de crédits énormesqui n’arrivent jamais dans les poches de ceux quien ont besoin parce que la procédure est beau-coup trop compliquée. Donc, les gens ne com-prennent pas, on nous parle de MEDA 1,MEDA 2 dont on utilise que 10 % des crédits et en définitive on n’apporte pas l’élémentmoteur qu’il faudrait pour développer la PME-PMI..

Alors qu’attend la PME-PMI ? Elle attend unenvironnement dans lequel elle puisse s’exprimer.Elle attend bien entendu des financements à destaux intéressants. Ce n’est généralement pas le casdans ces pays parce que les banques sont les banques d’affaires intéressées par les très grosmarchés et que lorsqu’il faut financer une PME-PMI qui représente quand même un risque, lestaux sont de 13, 14 voire 15%. La PME-PMI abesoin également d’un environnement douanier ;c’est le cas au Maroc où la douane a évolué de façon considérable. Elle souhaite qu’on favorisele partenariat d’entreprises pour leur apporter uncharisme que certains n’ont pas. Elles ont aussibesoin de simplifier toutes les procédures d’accèsaux crédits. Elles sont demandeurs de terrainsindustriels à des conditions intéressantes, ce quenous avons fait d’ailleurs à la Chambre de Com-merce et cela marche très bien. En général, ilsrecherchent une aide à la mise à niveau parce qu’ils

Soutenir le développementdes PME-PMI

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n’ont pas été confrontés à la zone de libre-échangeet cette zone de libre-échange va être meurtrière,dévastatrice pour la PME-PMI.

Cette mise à niveau a beaucoup de mal à se faire.Pourtant, il y a un énorme potentiel et si on neveut pas que se reproduisent des événements mal-heureux comme ceux du 16 mai que nous avonsvécus dans un pays qui était reconnu commecalme et très équilibré, nous devrons créer desemplois. Et c’est 2/3 de la population qui a moinsde 25 ans, ce qui explique bien qu’il y a urgence.

Jean-Claude JUAN

Par rapport aux demandes exprimées, commentréagissent les opérateurs, quel rôle peuvent-ils ou doivent-ils jouer ?

Pierre PY

D’un côté, vous avez des systèmes sophistiquésde financement pour les grands opérateurs économiques, de l’autre vous avez des micro-opérateurs économiques qui cherchent désespé-rément des financements appropriés pour les aider à faire face à leurs besoins. C’est là oùles Chambres de Commerce ont un rôle à jouer.C’est ce que nous faisons par exemple dans le domaine de la formation. Nous sommes surCotonou en train de monter, avec d’autres par-tenaires, tout un système éducatif. Le problème,c’est de trouver les capitaux et de pouvoir réali-ser le projet dans des délais raisonnables.

Jean-Claude JUAN

On peut s’interroger sur la capacité collective des CCI à exercer un lobbying efficace auprès des instances internationales, capable d’identifierles projets, de mobiliser les financements et d’as-

surer des réalisations sur le terrain. Il y a lesChambres de Commerce et d’Industrie françaisesà l’étranger, le Président Van den Schrieck a évo-qué la CID, autre regroupement inter-consulaireentre la France et l’Afrique et il y a la SCALE enMéditerranée qui réunit l’ensemble des Chambresde Commerce du pourtour de la Méditerranéepour ne parler que de ces réseaux. N’y a-t-il pastrop de réseaux de coopération, ne faut-il pasrechercher les économies d’échelles pour plus d’efficacité ?

Jacques BRIFAULT Vice-président de la CCI de Rouen

Ce qui est important aujourd’hui, c’est donner la possibilité à ces jeunes de réaliser un projet. Ils ont besoin de se réaliser d’autant plus qu’aujourd’hui ils sont informés. Deuxième-ment, ils sont éduqués, et là il suffit de dialogueravec des élèves en classe terminale pour constaterque ces jeunes ont la qualité de nos lycéens. Ce n’est pas par des programmes technocratiquesvenant de grandes administrations qu’on va réglerle problème du développement, mais essentielle-ment par la dynamique du secteur privé. L’exem-ple du compagnonnage industriel est à ce titreune bonne illustration de mon propos. Il s’agitd’organiser la rencontre d’un chef d’entreprise du Sud avec un chef d’entreprise du Nord. Ces deux chefs d’entreprise échangent sur leur métier commun et généralement trouventdes solutions appropriées à leurs problèmes. A la faveur de ce dialogue, une amitié se nouequi, très souvent, débouche sur la création d’unenouvelle activité, source de création de richesse et d’emploi. Le compagnonnage industriel a véri-tablement une très forte valeur ajoutée dans les pays du Sud et les Chambres de Commerce et d’Industrie ont un rôle essentiel en la matière.

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Les CCI ont également la capacité à transférerleur ingénierie pédagogique, comme nousvenons de le faire à Ouagadougou en créant une école de génie électrique. Ce ne sont pas les ingénieurs qui manquent en Afrique, mais les techniciens supérieurs.

Léonce-Michel DEPREZ Président de la CCI de Béthune

J’ai une expérience toute récente de l’Afrique.

J’y ai été au titre de la Chambre de Commerce

et en tant qu’opérateur économique et j’ai cons-

taté deux choses. D’abord, je ne partage pas

la vision apocalyptique que vous avez, monsieur

Mambrini, de la jeunesse africaine. Certes,

la pauvreté existe, mais le dynamisme et la créa-

tivité aussi. Ensuite, j’ai pu constater dans mon

domaine qui est celui de l’imprimerie, les méfaits

de la coopération dite sociale. Il y a des grands

programmes d’alphabétisation de la population

africaine qui permettent aux jeunes Africains

d’avoir des livres scolaires gratuits. La consé-

quence directe, c’est la destruction des maisons

d’édition et des réseaux africains de distribution

des livres scolaires. Le comble, c’est que les livres

gratuits ne le sont pas pour les enfants, parce que

les professeurs, les instituteurs du village, quand

ils reçoivent ces livres, ils ne les donnent pas

gratuitement. Le développement de l’Afrique

passe essentiellement par la mise en place

d’infrastructures performantes et entretenues

et non par des programmes d’aide sociale dont

l’effet réel reste aléatoire.

Les Chambres de Commerce peuvent jouer un rôle efficace, mais je suis surpris de constaterque le réseau consulaire français en Afrique ne travaille pas avec le réseau des Chambres de Commerce africaines. Je ne suis pas sûrd’ailleurs qu’on les consulte pour savoir quelssont les programmes de coopération et de déve-loppement les plus efficaces. Ils sont certaine-ment les meilleurs informateurs pour savoirquels sont les programmes de développementéconomiques utiles à leur pays.

Alain DEBUSCHERE Président de la CCI de la Vienne

Je voudrais vous faire part de l’initiative "Futuralia",salon qui rassemble des acteurs et des entrepre-neurs. Nous sommes partis d’un concept trèssimple, l’économie est faite par qui ? Elle est faitepar les entrepreneurs. Alors si nous voulonsdévelopper l’esprit d’entreprise dans d’autrespays, faisons du face à face économique !

Jean-Pierre BEUF Vice président de la Chambre de Commercede la Réunion

Nous avons la chance de pouvoir rayonner entreMadagascar, Afrique du Sud, Maurice et les Comores. Comme en France et en Europe,nous n’avons pas su apporter le développementqu’il fallait. L’exemple de l’île Maurice est inté-ressant parce que là-bas, ce sont les opérateurséconomiques qui tirent les politiques. Ils sontdevant et les politiques sont derrière, alors quenous en Europe, on fait exactement le contraire.

Les réseaux consulairesfrançais et africainsne travaillent pas assez entre eux

Ce qui manque, en Afrique, ce sont les techniciens supérieurs

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La Chambre de Commerce de la Réunion pro-pose son savoir-faire en matière de formation,par exemple aux Comores, à Mayotte, son exper-tise dans la gestion des aéroports et des ports.

Je voulais cependant évoquer ma propre expé-rience pour montrer l’efficacité toute relative des institutions. En 1999, j’ai créé à Durban une entreprise de menuiserie. En passant par le réseau traditionnel, donc les Chambres de Commerce franco sud-africaines, les postesd’expansion économique, aucune porte n’a étéouverte pour faciliter l’implantation de l’entre-prise. Il a fallu qu’on se débrouille par nous-mêmes et c’est par le réseau d’entrepreneurs quenous avons trouvé les solutions à nos problèmes.

Marie-Eugénie ANDRE Directrice de Cabinetà la Chambre de Commerce et d’Industriede la Martinique.

Aux environs des années 96-97, à l’initiative deGérard Trémège, à l’époque président de l’ACFCI,

la Martinique avait organisé la première conférencedes Chambres de commerce franco étrangères de toute la zone Amérique du Nord, Centrale etdu Sud. Nous avions pensé à l’époque qu’elleaurait pu être reprise à tour de rôle par les autres.Mais le problème, c’est que les Chambres de commerce franco étrangères n’ont pas du toutla même structure que les Chambres de com-merce françaises et n’ont pas les mêmes moyens.Donc, elles n’ont pas pu relayer cette expériencequi avait été jugée effectivement intéressante. Les besoins recensés à l’époque étaient surtoutdes besoins de formations, d’échanges d’infor-mations et également de liaisons aériennes entreles pays de cette zone. Nous avons effectivement,avec nos voisins de la Caraïbe, une demandemarchande qu’il faut satisfaire et non pas allerau-devant de cette demande ou la satisfaire gra-tuitement.

Autre constat, l’Europe fait plus souvent de

l’assistance que de la coopération. Alors le mot

d’ordre qu’on pourrait lancer serait que l’Europe

soit désormais beaucoup plus agissante et beau-

coup moins compatissante, que la coopération

soit vraiment très réelle et pratique.

Pour une Europe plus agissante et moins compatissante