109
 Royaume du Maroc Université Mohamed 1 er Faculté Pluridisciplinaire  Nador  L’HOMME ET L’HUMANITE DANS ADEN ARABIE DE PAUL NIZAN Projet du mémoire Licence d’Etudes Fondamentales Etudes-Françaises Présentation de l’étudient :  Tarik LABRAHMI Sous la direction du professeur : Hassan BANHAKEIA

Aden Arabie Paul Nizan

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 1/109

Royaume du Maroc

Université Mohamed 1er 

Faculté Pluridisciplinaire

 Nador 

 

L’HOMME ET L’HUMANITEDANS ADEN ARABIE

DE PAUL NIZAN

Projet du mémoire

Licence d’Etudes Fondamentales

Etudes-Françaises

Présentation de l’étudient : Tarik LABRAHMISous la direction du professeur : Hassan BANHAKEIA

Page 2: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 2/109

Année universitaire : 2010/2011

Université Mohamed 1er 

Faculté Pluridisciplinaire Nador 

L’HOMME ET L’HUMANITE

DANS ADEN ARABIEDE PAUL NIZAN

Projet du mémoire

Licence d’Etudes Fondamentales

Etudes-Françaises

Présentation de l’étudient : Tarik LABRAHMI

Sous la direction du professeur : Hassan BANHAKEIA

2

Page 3: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 3/109

Année universitaire : 2010/2011

INTRODUCTION

3

Page 4: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 4/109

En dépit des gigantesques pertes en vies humaines, qui s’élèvent à 1,4

millions d’âmes, et en dépit de la perte de 150 milliards de francs de formes or comme dépenses de guerre ; la France apparaît, après la fin de la première guerre

mondiale, comme le grand vainqueur sur le continent.

Ce sentiment de gloire et de fierté qui va nous donner par la suite ce qu’on

nomme les Années Folles. Ce sont les années vingt qui suivirent les cinq ans du

grand malheur, le malheur inoubliable dans l’histoire humaine. Les Années folles,

c’est une période marquée par l’aspiration à la liberté et à la joie de vivre. Cette

 période a connu une forte expansion économique, qui donnera par conséquence

une surproduction au niveau industriel, comme au niveau agricole. Cette

expansion économique sera la cause de sa chute. Après ces quelques années

d’intense soulagement et de libération, les Années folles trouvèrent leur déclin

sous les coups de la grande crise de 1929 qui marque le début, en France comme

 partout dans le monde, d’une période de repli et de la fin de l’insouciance.

La crise économique mondiale de 1929, ou tout simplement, comme tout le

monde l’indique par le fameux « Jeudi noir », qui constitue l’un des piliers de

l’histoire occidentale en particulier, comme dans l’histoire mondiale. La Jeudi noir 

est la dénomination donnée au 24 octobre 1929, où le cours des actions s’est

démuni très rapidement, entraînant un panique qui culmina avec la présentation de13 millions de titres à bas prix sur le marché sans trouver de preneur. Dans un peu

de temps, la crise s’étend au monde entier lorsque les banques américains

réclament le remboursement de leurs prêts à l’étranger et rapatrient les capitaux

qu’elles ont investis. La France n’est atteinte par la crise qu’en 1932, à cause de la

dévaluation de la livre britannique qui met à mal la stabilité du franc. Un an après,

1,5 million de la population française se trouvaient en chômage. Touchée plus

tardivement que les autres pays par les effets de la crise de 1929, la France n’en est

toujours pas sortie lorsque éclate la deuxième guerre mondiale.

L’homme occidental, qui n’en est pas tout à fait débarrassé des angoisses de

la première guerre mondiale, qui l’accompagnaient comme un avertissement

continu d’un autre malheur qui pourrait éclater à n’importe quel moment, se

trouvait de nouveau délaissé face à cette crise économique qui annonce l’échec

d’un immense système invisible qui dépasse la puissance de l’individu humaine, et

dans lequel est attaché le sort de toute une humanité. Pour ces raisons ou pour 

d’autres, la vision de l’homme occidental sur lui-même et sur le monde s’est

 bouleversée.

4

Page 5: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 5/109

On n’est plus au temps de Platon ou de ses suivants qui soutiennent que le

 bien moral est le même pour tous. Mais on est devant une nouvelle conception de

l’homme, de l’humanité et de l’existence, c’est celle des philosophes connus par 

existentialistes.

Le premier qui a forgé les principes de cette nouvelle conception de

l’homme, est le philosophe danois, S. Kierkegaard au XIXme siècle ; même s’il y a

certains qui vont plus de loin de ça, jusqu’au XVIIme siècle, en attribuant au

 philosophe français, Blaise Pascal, l’anticipation des thèmes de l’existentialisme

moderne. Mais, il reste, S. Kierkegaard, le fondateur et le premier qui a réagit

contre la conception traditionnelle de la morale telle qu’elle était posée par Platon,

en affirmant que l’homme ne peut trouver le sens de sa vie qu’à travers la

découverte de sa propre et unique vocation. Les mêmes principes seront adoptés

 par d’autres philosophes : en Allemand on trouve Nietzsche et Heidegger, et enFrance, il y avait Sartre.

Tous les philosophes existentialistes ont défendu presque les mêmes normes

existentialistes, qui sont la liberté de choix et la volonté individuelles, d’où la

méfiance est engendrée à l’égard de tout système de pensée. La conscience de la

totale liberté de choix affirme à l’homme existentialiste l’absurdité de son

existence. Et par conséquence l’angoisse qui mène l’individu à la confrontation

avec le néant et l’impossibilité de trouver une raison ultime aux choix qu’il doit

faire. Cette absurdité mène, à son tour, l’individu à réagir à cette situation en optant

 pour une vie totalement engagée, un engagement compréhensible pour lui seul.

L’existentialisme est devenu un courant philosophique grâce au philosophe

français, Jean Paul Sartre, qui l’applique à sa propre philosophie. Grâce à ce géant

 philosophe que l’existentialisme va marquer tout le siècle, le XXme, et qui aura un

rôle très important dans l’évolution de la civilisation occidentale depuis la

deuxième guerre mondiale.

Au moins, c’est cela que tout le monde en est d’accord, mais ce que ne sait

 pas tout le monde, c’est qu’il y avait un autre écrivain et journaliste français à quirevient la plantation de l’existentialisme en France. Il était le condisciple de Sartre,

ils sont nés à la même année (1905), ont étudié au même lycée (1917), puis sont

  passés à la même Ecole Normale Supérieure (1924), comme ils ont reçus

l’agrégation philosophique en même année (1929). Certes, vous savez bien de qui

 je parle, c’est Paul Nizan.

Paul Nizan (1905-1940) a commencé à écrire à un age tôt. Avant que J.P.

Sartre publie son premier ouvrage « La Nausée » en 1938, Nizan avait déjà publié

quatre ouvrages et un essai, comme écrit Sartre dans la préface d’Aden Arabie, le premier ouvrage de son ami : « il [Nizan] publia son premier livre bien avant que

5

Page 6: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 6/109

 je trace un mot du mien. » L’écho des idées nizaniennes dans l’œuvre de Sartre est

très lisible. De même, la réécriture des idées de l’œuvre Aden Arabie dans la

 préface affirme l’intérêt de Sartre à la réflexion de son ami. Sauf que « la mort quia renversé les rôles » écrit-il, Sartre dans la même préface. Paul Nizan est tué, lors

de l’attaque des allemands sur Dunkerque en 1940, très jeune, à peine âgé de 35ans ; plutôt J.P. Sartre va continuer 40 ans plu tard, la chose qui lui a donné la

 possibilité de parvenir au niveau où il est.

Pour cela, le mot de précurseur de l’existentialisme en France doit être

attribué à son vrai maître qui est Paul Nizan. Ce grand écrivain, philosophe et

 journaliste que la mort a arraché très tôt à l’humanité. Ce grand écrivain grâce à lui

que l’existentialisme s’est évolué en France. Ce grand philosophe qui s’est enfoncé

dans l’oubli parce qu’il a dit non, non au capitalisme de l’époque et ses injustices.

Ce grand journaliste qui n’a rien voulu de plus que voir la hiérarchie des classessociales s’abolir, et être remplacée par une égalité entre les hommes. Afin de

réaliser ces fins humaines, il s’est adhéré au Parti communiste, en le voyant comme

la solution idéale pour combattre au capitalisme et les subdivisions qu’il crée entre

les hommes.

Dans son premier livre intitulé Aden Arabie (1931), Paul Nizan raconte son

voyage à une ville dite Aden, qui se trouve à l’Arabie, Yémen actuellement, en

1926. Ce voyage était comme une réaction contre l’ennui et le désespoir qu’offrait

la vie parisienne à ses citoyens à l’époque. Ainsi, le voyage vers l’ailleurs prenait

cette image de l’aventure, Nizan, lui aussi, était victime de cette rumeur. Mais en

voyageant, Nizan découvrait que l’ennui, le désespoir et le bonheur ne sont pas une

affaire de géographie, mais plutôt de notre conception de l’existence.

En retournant en France, Nizan mettait au centre de sa réflexion l’existence

humaine en général, et la conception de l’homme en particulier. Cette réflexion qui

nous donnera par la suite cette œuvre intitulée Aden Arabie (1931).

Contrairement à la plupart des études qui ont été faites sur cette œuvre, qui la

 prennent pour un pamphlet anarchiste, on en voit un texte existentialiste et surtouthumaniste, du fait qu’il célèbre l’existence humaine en cherchant une égalité

universelle entre tous les hommes.

Dans une tentative d’interpréter ce livre,   Aden Arabie de Paul Nizan, on

essayera de structurer notre travail en trois chapitres. Le premier aura comme axe

de réflexion la notion de la liberté, ou comment doit penser un homme

existentialiste. En second lieu, on essayera de voir comment Nizan concevait

l’existence humaine ; c'est-à-dire comment un homme existentialiste doit agir.

Dernièrement, on conclura par le philosophème de l’engagement. Autrement dit,comment doit être la vie humaine, ensemble de volontés individuelles ?

6

Page 7: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 7/109

 

PREMIÈRE partie

L’HOMME ET LA NOTION DE LALIBERTE DANS ADEN ARABIE

7

Page 8: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 8/109

« Vous pouvez uriner librement dans la mer ; nommerez-vous ces actes laliberté ? » CH. VI ; P.84

Qu’est ce que la liberté ? Qu’est ce qu’un homme libre ? Est ce qu’il y ad’abord quelque chose qu’on nomme la liberté ? Est-ce qu’elle est innée ou prise ?

Est-ce qu’on peut parler d’une liberté au sein de la communauté humaine ? Est-ce

qu’on peut parler d’une liberté totale ou toute liberté est relative, partielle ? Si oui,

qu’est ce qui empêche l’homme d’être entièrement libre ? Est-ce que c’est l’autre

ou lui-même ?

Pourquoi l’homme cherche-t-il la liberté ? Et qu’est ce qui le fait qu’il n’est pas

libre ? Est-ce qu’elles sont les lois imposées par la société ? Si la réponse est

affirmative, est ce qu’on pourrait dire que les animaux sont libres ? Ou bien le

sentiment de la non-liberté n’est que le reflet de l’impuissance de lacondition humaine ? Autrement dit, est ce que la limite de sa condition qui l’a

rendu conscient de la limite de sa liberté ? Est ce qu’on pourrait donc dire que la

liberté humaine est par nature limitée ?

Il y a une infinité de questions concernant la liberté, et aussi une infinité de

réponses, mais aucune ne forme la réponse définitive. Cette notion de la liberté est

toujours en discussion. Chacun définie la liberté par la chose qu’il n’a pas. Est-ce

que Nizan fera la même chose ? Cela qu’on va voir à travers ce chapitre concernant

la notion de la liberté et l’humanité.

Parler de la liberté chez Nizan, c’est en même temps, parler de la liberté chez

tous les existentialistes. Ces hommes qui ne font confiance à aucun système de

 pensée. Pour eux, la liberté est un droit naturel. Car il n’y a aucune loi ou force

suprême ou surhumaine qui puisse limiter sa liberté. Mais il y a l’autre, la vie ne

lui appartient pas seul. Autrement dit, sa liberté est conditionnée par la liberté de

l’autre, ou ce qu’on appelle l’engagement et la responsabilité envers la vie

humaine. Comment doit-elle être donc cette liberté conditionnée ?

Si la liberté de l’individu est donc conditionnée par la liberté d’autrui, qu’est ce

qu’il doit faire pour défendre sa liberté contre autrui ? Qu’est ce qui fait d’un

individu libre et d’un autre non-libre bien qu’ils appartiennent à la même

communauté humaine ? Dans ce sens, la liberté est déterminée par les relationssociales. Est ce qu’on peut encore parler d’une liberté individuelle au sein de la vie

humaine, parce que la liberté doit être illustrée par des actes, ou bien tout individu

doit suivre le courant du cortège sans faire attention à cette notion abstraite.

Finalement, est ce qu’on peut parler d’une vie humaine où les actes des individus

ne soient pas conditionnés et déterminés par autrui ? Et comment doivent être ces

actes sans oublier que l’être humain est un être sociale ?

La réflexion sur la liberté semble la plus complexe et la plus illimitée, mais,

 pour nous, on va se suffire de ce que Nizan disait à propos de la liberté, en trois

axes de réflexion. Dans un premier lieu, on étudiera son refus à toute forme de

8

Page 9: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 9/109

conformisme ; et dans un second lieu, comment il attache la notion de la liberté à

celle de l’intelligence ; pour arriver enfin à définir la liberté en tant qu’action.

PREMIER CHAPITRE

L’ANTICONFORMISME

9

Page 10: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 10/109

La première chose qui doit qualifier un homme libre, selon Nizan, est son refus

à toute forme de conformisme ou de déterminisme. Mais ce refus doit être

manifesté dans ses actes. En clair, quand un homme agit, il doit le faire par volonté

et conscience individuelles. A ce propos, ce n’est pas son refus au conformisme ou

au déterminisme qui nous importe dans ce chapitre ; mais comment le

conformisme et le déterminisme peuvent limiter la liberté de l’individu ?

La première institution face à laquelle se trouve l’individu en proie d’être aliénéà des lois qu’on lui montre comme l’orgueil collectif, c’est l’école ou toute autre

institution didactique.

« L’Ecole Normale est une institution que les nations envient à la République : elle est une des têtes de la France qui est pourvue dechefs comme une hydre. On y dresse une partie de cette troupeorgueilleuse de magiciens que ceux qui paient pour la former nomment l’Elite et qui a pour mission de maintenir le peuple dans lechemin de la complaisance et du respect, vertus qui sont le Bien. Il y

règne l’esprit du corps des séminaires et des régiments : on arriveaisément à faire croire à des jeunes gens que leur faiblesse privéeincline à l’orgueil collectif, que l’Ecole Normale est un être réel, quia une âme – et une belle âme – une personne morale plus aimable quela vérité, la justice et les hommes. » CH. I ; P. 54-55

Comment après avoir été vue par tout le monde comme le lieu idéal pour 

former sa personnalité, devient-elle, l’Ecole Normale Supérieure, pour Nizan, un

objet qui sert à l’asservissement des hommes ; le lieu où l’individu enterre son

dernier espoir pour être un homme, pour être soi ; le premier pas dans la vie des

ennemis des hommes et leurs lois ; l’espace où l’homme se dissipe au nom de cetroupeau d’ombres d’hommes dit société. Ainsi étaient vues les différentes

institutions sociales par Nizan : des fabriques des modèles stériles de l’homme.

Parce que si on réfléchi sur la nature de ces institutions, on trouverait qu’elles sont

toutes faites par le régime dominant, se servent-elles donc à quoi ? Elles se servent

tout simplement à planter dans les hommes les valeurs et les normes que ce régime

a inventé pour fixer sa dominance, donc elles sont conservatrices, et toute loi

conservatrice limite la liberté individuelle. Autrement dit, un homme libre ne

choisit pas entre des lois imposées sur lui, mais il invente ses propres lois, ou au

moins, il doit être conscient des lois à lesquelles il doit se soumettre. Car quand on

vit sous l’étiquette du collectif, on ne peut pas révélé son aliénation, c'est-à-dire

10

Page 11: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 11/109

quand un homme vit et réagit au nom du groupe, il croit que ses actes sont d’une

volonté et d’une conscience venues de lui, mais ce qu’il ignore c’est qu’il réagit à

 partir des lois que le groupe lui impose. Ainsi un homme libre ne se laisse pas

d’être dominé par l’esprit du groupe. Au contraire, il garde toujours son autonomie

et son individualisme afin de voir le monde et la vérité par ses yeux et non par lesyeux du groupe, parce que quand on vit dans une communauté, on ne voit pas la

vérité par ses yeux mais par les yeux des autres. Autrement dit on voit la vérité que

l’autre veut qu’on voie, et dans cette façon de voir le monde, il n’y a aucune

liberté, car elle est guidée et conditionnée par l’autre.

Pour les jeunes, il y a des institutions qui s’en occupent pour les maintenir au

chemin voulu ; pour ceux qui ont échappés au recrutement des écoles, on fait payer 

certains sophistes hypocrites pour produire des livres sous le déguisement de la

 philosophie ou de la sagesse, dont le rôle est pareil aux institutions conservatrices.« Parmi eux un grand penseur : Léon Brunschwicg. Cachant mieux son jeu, avec plus d’as dans ses manchettes. Une précisiond’horloger des pensées, une adresse relevant de l’art del’illusionniste faisaient d’abord croire à un philosophe : mais on netrouvait à la fin qu’un Robert Houdin qu’on pouvait mesurer, de quion pouvait compter les mensonges. Ce petit revendeur de sophismeavait un physique de vieux maître d’hôtel autorisé sur le tard à porter ventre et barbe. La ruse sortait de coin de ses yeux, guidait dansl’espace gris les courts mouvements de ses mains doucereuses demarchand juif. Lançant avec des clins d’yeux des bons mots commeles décrets de la raison, suggérant à chaque discours : laissez- moi

 faire, tout va s’arranger, je prépare tout dans les âmes et dans les sciences. »CH. I ; P.57 

Toute œuvre produite par les ennemis des hommes, méfiez-vous d’elle, la chose

que Nizan voulait transmettre en mettant en question toutes les valeurs et tous les

savoirs qui viennent des dominateurs. Un homme libre n’a pas besoin de béquilles

 pour marcher, il ne fait confiance à aucune loi, il se doute de tout, de toute chose

 produite par un homme ou par un groupe X et qui mène à un objectif particulier.

Un homme libre est celui qui ne tombe pas en proie de cet objectif. De là, on peutvoir comment le conformisme et le déterminisme limitent la liberté de l’individu

en le réduisant à l’état d’un objet entre les mains des exploiteurs des hommes. Pour 

cela, un homme pour se dire libre, il doit n’obéir à aucune forme de déterminisme,

car toute forme de déterminisme est nécessairement une forme de conformisme, et

dans tous les systèmes conformistes, il y a exclusion de la liberté individuelle. Un

homme libre est donc celui qui peut échapper à ces différents moyens faits pour 

asservir les individus par la révélation de la nature de leur vrai objectif. Il ne faut

 pas croire à tout ce qu’on nous dit et à tout ce qu’on nous écrit. Ceux qui écrivent

des livres ou dans des journaux ne sont pas des anges, mais des simples hommescomme nous, ils ont leurs propres intérêts comme nous, ils les cachent comme

11

Page 12: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 12/109

nous, et il mentent comme nous ; un homme libre est celui qui ne se trompe pas

 par ce que ces menteurs ou ces machiavéliques disent, et qu’il montrent comme

étant vrai. La vérité c’est à l’homme, et à lui seul, de la chercher par soi-même.

Autrui ne nous dit jamais la vérité, il cache toujours des intérêts derrière les mots

qu’il utilise. En effet, les mots ne se servent pas à dire la vérité, mais à la cacher.Un homme libre doit aussi maîtriser le langage pour pouvoir distinguer la vérité

des mensonges dans les paroles des ennemis des hommes, qu’ils montrent comme

vrais. Ainsi, pour un homme libre il n’y a pas de sacré ni de modèle ou d’archi

type. Au contraire, il n’y a que des phrases écrites par certaines personnes qui

veulent assurer leur puissance et leur dominance, et c’est à l’individu de les mettre

à bas en révoltant contre leurs lois subjectives et leurs écrits hypocrites.

Les hommes se diffèrent des animaux par ces lois qu’ils inventent pour pouvoir 

vivre ensemble dans un milieu dit humain. Mais que dit-on lorsque ces lois ne sont pas inventées par tout le monde mais juste par une partie qui possède la puissance

et la souveraineté.

« Grâce à une erreur si grossière, à l’age viril, nous ignorons biendes drames : mais on se met trop tard à nous enfoncer dans la têtedes Lois comme des réclames sur la vérole : comment y croire, nousn’y voyons que des chaînes effrayantes pour un homme, des chaînesqui nous entaillent la vie. Etre un homme nous parait la seuleentreprise légitime : nous sommes désespérés en découvrant que tant de beaux devoirs auxquels il fallait nous faire croire dix ans plutôt nelaissent rien debout dans l’amour de la vie. Aimer la vie qu’ils nous

 font ? »CH. II ; P. 61 Nommer quoi des valeurs dont le rôle est d’enchaîner des hommes pour ne

 jamais pouvoir être soi, mais pour restés soumis à des lois dont ils ne trouvent rien

qui répond à la volonté de leur être ? Des chaînes, des nouveaux moyens

d’asservissement ; tout ce que vous voulez, mais pas la vertu, pas la morale non

 plus. Pourquoi doit-je obéir à une morale qui demande à une personne de se

soumettre à une autre : au faible de se soumettre au puissant. Une morale de

hiérarchisation et de distinction entre les hommes. Un homme libre ne se sert pas

de la morale, il ne s’intéresse pas à la vertu non plus, et il n’obéit à aucune desvaleurs que les dominateurs ont inventé pour réduire tout le monde à l’esclavage.

Ma vie n’existe que si moi existe, donc elle est à moi, et parce qu’elle est à moi, je

dois la vivre tel que moi je veux, selon mes propres lois ; les lois d’autrui sont pour 

sa propre vie et non pas la mienne. Voici comment penser un homme dit libre.

Ce qui est de pire dans toutes les formes de déterminisme, c’est qu’elles nient la

volonté et la pensée individuelles. Cette négation de le liberté et de la volonté tue

tout espoir pour la vie, ou ce qu’on nomme le désespoir. En d’autres mots,

l’absence de la liberté est le créateur du désespoir dans la vie des hommes. Le

grand danger du désespoir n’est pas en lui mais dans ses effets sur les actes deshommes : les actes d’un homme désespéré ne peuvent jamais être utiles ou réels,

12

Page 13: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 13/109

c'est-à-dire qu’ils n’exercent aucune force sur la vie humaine, autrement dit, ils ne

créent aucun changement ou évolution ni pour la propre vie du sujet ni pour 

l’humanité. Ils ne font qu’assurer la stabilité et la continuité du régime dominant.

En effet, un homme désespéré est un homme qui ne trouve pas sa volonté et son

âme dans ce qu’il fait, il est pareil à une machine ou à un animal qui fait certainsactes sans savoir pourquoi. En ce sens, un homme libre est celui qui défend sa vie

contre toute forme d’anéantissement et d’exploitation et d’asservissement quelle

que soit la force exercée sur lui.

La société réduit la liberté de l’individu par des moyens directs comme la loi, et

 par des moyens indirects comme la rumeur. Quand on fait disperser une rumeur 

 parmi les hommes, il devient difficile qu’un homme lui s’échappe même si elle soit

mensongère.

« Saisissez que nous étions en proie au vague des passions, quenous étions dans un tourbillon d’apparences sentimentales. Notreéducation avait été assez mal faite, assez artificiellement conçue pour nous permettre de penser sans rire à la Justice, au Bien, au Mal.

 Nous vivions, dans le ciel, après tout ; mais toutes nos forces noustiraient du coté de la terre. » CH. III ; P. 66-67 

Quand une rumeur fut dispersée parmi les gens, un homme qui n’est pas libre

n’en peut rien critiquer ; il l’admet telle qu’elle est : c’est ce qu’on indique par 

« esprit du troupeau ». En revanche, un homme libre ne doit pas se laisser être

guidé par le courant de la foule ; il doit dresser son chemin par lui-même, et se

méfier de tout chemin qui n’est pas le sien. De même, la liberté n’est pat liée

seulement à la façon d’agir, mais aussi à la manière de penser, c'est-à-dire, une

liberté de l’esprit. Ainsi, un homme pour se dire libre, il doit d’abord se libérer de

toutes les contraintes qui pourraient borner sa vision au monde. Notamment, des

 préjugés et des mensonges devenues vraies par la propagation et la diffusion.

Ainsi, la liberté devient un effort vers la lucidité. Dans ce sens, un homme libre ne

cherche pas à contraindre les autres, mais il cherche la vérité des choses en mettant

tout en question. Finalement, on peut dire que la liberté de l’individu ne se résume

 pas seulement dans le problème des lois que la société lui impose, mais aussi dans

les influences que cette dernière peut exercer sur lui. En principe, un homme libredoit dépasser la notion du Bien et du Mal. En effet, il n’y a aucune force

surhumaine qui puisse nous indiquer le Bien du Mal. Ce qui fait que cette question

du Bien et du Mal se trouvait périmée chez les existentialistes. Un homme libre ne

diffère pas entre des normes préétablies, elles sont toutes contestables. Le Bien et

le Mal, pour un homme libre, viennent après avoir mis en question toutes les

valeurs et les lois préexistantes afin de créer ses propres valeurs. Ces valeurs sont

les seules qui constituent le Bien pour lui parce qu’elles sont résultées de sa propre

volonté ; parallèlement, le Mal est ce qui n’est pas son propre choix. Voici

comment l’appartenance à une communauté particulière d’une manière, on dirait,fanatique peut réduire la liberté de l’individu, en le mettant en proie à l’esprit du

13

Page 14: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 14/109

troupeau qui limite sa vision sur le monde. Enfin, l’individu, sous un système

 pareil, perd toute possibilité pour être soi, pour être un homme.

Un homme libre est un homme universel, il ne s’attache pas à un groupe

 particulier, comme il ne méprise aucun groupe humain. S’il porte un jugement sur un certain groupe humain, ce n’est pas pour leur espèce ou pour la couleur de leur 

 peau, mais pour leur manière de vivre.

« Les autres vivaient par clans, par religions, par couleur de peau, par nation, par clubs, par maison de commerce, par régiments. Ils passaient leur temps à inventer des subdivisions, des cloisons, deséchelons sur lesquels ces singes montaient et descendaient. Ils seregardaient aussi comme des détachements en compagne. Dire queces fous auraient pu aimer des hommes, qu’ils n’étaient faits que pour 

cela ! » CH. VIII ; P. 95Un homme libre, il doit l’être aussi de ces banalités qu’on invente pour créer 

des subdivisions et des hiérarchies entre les hommes. Si l’attachement à une

communauté particulière, pour tout le monde, est un geste qui appelle à la fierté et

au respect, un homme libre doit se libérer de ce genre de pensées qui limitent

l’esprit de la personne. Autrement dit, pour qu’un homme soit libre, il doit se

débarrasser de toutes ces valeurs qu’on invente pour diviser les hommes en des

hiérarchies. Car ces subdivisions ne créent entre les hommes que la haine et le

mépris l’un envers l’autre. Un homme libre ne tient pas ses valeurs d’une

communauté précise, mais ses valeurs sont universelles, parce qu’elles sont

inventées par lui, il peut donc vivre par ses valeurs n’importe où. Ainsi, les lois et

les valeurs adoptées dans une communauté particulière ne sont pas de la vertu ou

du bien commun comme on fait croire aux gens, mais elles ne le sont qu’au sein de

cette communauté et pour la communauté. Ce que fait de la liberté que ces lois

offrent à l’individu est une liberté limitée. Par contre, quand on parle d’un homme

libre, il faut qu’il le soit dans tous les sens, dans tous les lieux et dans tout le temps.

Enfin, ce qui est à conclure, c’est que le fait de ne pas se soumettre à certaines lois

très particulières faites par un régime très précis, ce n’est pas un acte ingrat, mais

tout simplement c’est un acte qui mène vers l’universalité et l’ouverture sur le

monde entier. Cela permet à l’individu la possibilité du choix lucide, c'est-à-direchoisir avec un esprit libéré de toutes les contraintes qui l’enfermaient dans un

champ très étroit. D’où, la nécessité de se débarrasser de toute forme de

déterminisme devient inévitable pour l’homme existentialiste.

Un homme qui n’est pas libre, c'est-à-dire qui agit à partir d’un certain

déterminisme, réduit son existence au néant. En clair, le déterminisme dont on

 parle est le fait d’agir à partir des normes précises et préétablies, ce qui veut dire

que l’homme est défini avant qu’il soit, d’où son existence est une existence de

fumée. Car soit qu’il vive ou non, dans les deux cas il ne produise aucunchangement ou rupture avec ce qui est.

14

Page 15: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 15/109

« Parce qu’ils sont nombreux et collés les uns sur les autres oncommence par les croire impénétrables : beaucoup de transparence

 fait de l’ombre. C’est la description du mica. Il suffit de trouver les plans de clivage : chaque lamelle, chaque homme séparé sont alors

transparents. » CH. X ; P. 113Dans ce sens, l’absence de la liberté signifie l’absence de l’identité individuelle.

Quand on vit dans un milieu où les gens agissent selon des normes bien précises

dont on ne peut rien modifier, on ne peut pas parler des vrais hommes mais plutôt

des copies des hommes. En d’autres termes, les hommes qui agissent de la même

manière, ils suivent les mêmes valeurs et ils ne font que ce que tout le monde en

est d’accord, ils sont donc des copies d’un même modèle. Pourtant, un homme

libre constitue un univers pour lui seul. De là, l’homme libre ne rejette pas les

différentes formes de déterminisme seulement pour les rejeter, mais pour défendre

son autonomie et sa singularité que la nature lui a donné tant qu’individu. A cetégard, on ne peut jamais réduire des hommes à des membres réunis dans un

troupeau, qui font des mêmes actes, et de la même manière, car chaque individu est

différent de tous les autres individus. C’est une vérité qu’on ne peut pas nier, parce

qu’elle existe par sa force. Ainsi, défendre sa liberté contre toute forme de

conformisme, ce n’est pas seulement pour dire que je suis libre, ou pour ne pas se

soumettre à l’autre, mais pour assurer sa propre existence. En effet, on ne peut pas

 parler de l’existence humain sans qu’il ait la liberté : la liberté égale l’existence de

l’homme. Un homme qui vit sans liberté est un homme qui n’existe pas selon ce

que veut dire le mot exister chez les existentialiste : le destin de l’homme n’est que

l’ensemble des actes qu’il a fait durant sa vie, et si ces actes ne lui appartenaient

 pas, c'est-à-dire elles étaient imposées sur lui, quelle vie aurait-il vécu ? Pour cela,

on fait croire aux hommes que le destin est hors la puissance humaine. C’est vrai

qu’il est hors la puissance humaine ; mais l’adjectif humain renvoie dans ce

contexte juste à la partie opprimée pour qui le destin est lié à la classe dominante

face à laquelle elle ne peut rien. Ainsi, l’absence de la liberté mène l’individu à

croire à toute chose même illusoire et mensongère qu’elle soit. Par contre, un

homme libre est conscient de ce qui condamne sa liberté, il sait bien que la notion

de la liberté est proprement humaine, c’est une affaire entre les hommes. Ce qui

nie chez lui toute forme de fatalité ; un homme libre ne croit pas à la fatalité. Laseule fatalité qui lui fait peur est la crainte de s’aliéner ou de ne pas agir librement.

En terminant, la liberté d’agir est une affaire qui assure l’existence de l’individu.

On ne peut pas parler d’une existence humaine sans parler de la liberté des actes

des hommes. Le destin de chaque homme est dépendant de sa liberté. La liberté

n’est enfin que la volonté de vouloir être soi.

Toute forme de conformisme ou de déterminisme, comme on l’a vue, limite, si

elle ne nie, la liberté individuelle. La religion ou toute croyance à une force

métaphysique fait partie de ces lois conformistes qui réduisent la libertéindividuelle. (Les pages 136 et 137 illustrent ce thème de la religion)

15

Page 16: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 16/109

La chose que nient toutes les religions du monde c’est la révolte. Et qu’est ce

que la révolte que l’annonce de sa liberté. En outre, elles célèbrent le respect à la

classe dominante, en d’autres mots, la soumission aux dominants. Ce n’est pas

étrange, si toutes les valeurs existées sur terre sont inventées par les dominateurs,

et les valeurs inventées par les pauvres constituent le Mal. C’est le cas de la vole.Qui a inventé la vole ? Ce sont ceux qui ne possèdent rien, mais parce qu’ils ne

font pas parties de la classe dominante, leurs lois ou leurs valeurs deviennent des

crimes pour lesquels ils doivent payer cher. Mais si on réfléchi d’une manière

objective et logique sans prise de partie ni avec la classe opprimante ni avec la

classe opprimée. Qu’est ce qu’on peut dire de la vole ? Droit ou crime ? Tous les

hommes naissent nus. Comment donc l’un dès sa naissance devient héritier d’une

grande fortune, et un autre passe toute sa vie infortuné ? Qu’est ce que la vole enfin

que reprendre sa part arrachée des biens que personne n’a inventés.

Ce qui est de pire dans la religion, ce n’est pas seulement le fait d’encourager etde planter la morale de la soumission dans les gens, mais le fait de faire les gens

croire à la soumission comme étant une fatalité. Cela tue en eux tout espoir pour 

l’action. Les hommes qui croient à une force métaphysique acceptent leur 

condamnation et leur esclavage. Alors qu’un homme libre qui ne croit ni à la

religion ni à la fatalité ne relie sa condamnation et sa soumission qu’à sa radicale

lâcheté. Ainsi, un homme libre refuse les différentes formes de déterminisme parce

qu’il en voit une sorte de masque que les lâches mettent pour cacher leur lâcheté.

Dans ce sens, la liberté n’est pas un simple refus des valeurs préexistantes, mais

c’est une responsabilité envers l’existence. Un homme libre prend la liberté de son

existence comme une responsabilité indispensable, parce qu’il sait que le destin de

sa vie ne sera que ce qu’il en fait lui-même. Donc pour un destin honorable et une

vie qui appelle à la fierté, il faut de l’action réelle, et pour une action réelle, il faut

de la liberté.

Pour maintenir le peuple sous sa dominance, le régime a besoins d’un moyen

indirect. Un régime n’annonce jamais sa dominance, il est toujours caché ou fondé

dans le mot patrie, et pour garantir sa souveraineté totale, il fait disperser parmi les

gens cette idée qu’on appelle patriotisme, et qu’un homme doive être prêt de

mourir pour elle. A ce propos, parce que l’amour et le respect sont obligatoires pour la patrie, il faut la même chose pour le régime dominant. Qu’on voie ce que

 Nizan disait à propos de ce nouveau moyen de conformisme.

« La France est une collection d’hommes, d’événements et de produits.

 Je n’aime pas ces hommes, ni leurs produits, ni les événements français. Que personne n’essaye de me faire honte parce que j’insulteune déesse. Eternel visage. Eternelle maîtresse des généraux. Je n’ai

 pas manqué de respect à cette vierge qui n’existe pas. »CH. XV ; P.

142

16

Page 17: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 17/109

Tout le monde définie le patriotisme comme l’un des nobles sentiments qu’un

homme peut avoir. Mais que dire quand votre patrie ne vous aime pas, quand ne

vous appartient de cette patrie que le nom, quand cette patrie se sert de tous les

moyens pour vous écarter, vous exclure d’elle ? Ce qu’il faut retenir après cela,

c’est que l’idée de patriotisme dans une patrie pareille n’est qu’un moyen deconformisme et de servitude que le régime dominant emploie pour asservir le

 peuple. De là, la liberté est un constituant primordiale dans la genèse d’un homme.

En effet, un homme libre n’embrasse pas des valeurs pareilles sans les mettre

d’abord en question, pour révéler la vraie nature de leur objectif. Sous prétexte

qu’un homme libre ne croit qu’aux valeurs inventées par lui-même. Ainsi, le

conformisme ne limite pas seulement la liberté individuelle, mais il opprime même

les droits de l’individu, en créant des valeurs trompeuses pour que ce dernier ne

 puisse jamais réagir contre l’injustice qu’il subit. Et parce qu’on fait coller ce

 patriotisme sur la loi, du fait qu’ils sont tous les deux forgés par le même système,toute révolte contre ce patriotisme est considérée comme un crime. Si le

 patriotisme est vraiment un sentiment qui sort du fond du cœur humain, pourquoi

 punissez-vous qui n’aime pas votre patrie ? Si j’aime une chose, ce n’est pas

obligatoire que les autres aussi doivent l’aimer. Enfin, le patriotisme ne doit pas

avoir comme sens l’amour de la patrie, mais la condamnation à aimer un territoire.

Parce que le fait de défendre une patrie qui vous exclut aux moments de paix, ce

n’est pas un amour mais une condamnation. Voici comment toute valeur venue des

ennemis des hommes devient un moyen de conformisme et d’anéantissement,

mêmes celles qui apparaissaient comme les plus nobles, tel que le patriotisme qui

s’est réduit à un moyen d’écrasement du moment où cette patrie elle-même est

devenue une possession des dominateurs. Pour cela, pour qu’un homme se dise

libre, il doit se débarrasser de toute forme de conformisme. Car toute loi qui vient

de l’autre, son premier objectif est d’anéantir l’individu. En ce sens, la liberté n’est

 pas un simple refus de valeurs, mais c’est une révolte pour défendre sa partie dans

le monde, son existence contre ceux qui veulent l’anéantir et ses droits que la

nature lui a donné et que l’homme lui a arraché.

Pour conclure, la première chose qui doit qualifier un homme libre est sa

méfiance à l’égard de tout système conformiste. Car toute forme de conformisme

mène forcément à l’anéantissement et à l’asservissement de l’individu. En ce sens,

la liberté dépasse le simple refus des valeurs préétablies à la révolte, afin que

l’homme puisse défendre son existence et ses droits contre ceux qui veulent lui en

opprimer. Parce que toute forme de conformisme est faite par le régime dominant,

ce qui fait que son premier objectif est d’anéantir les autres pour affermir sasouveraineté. Pour cela que la liberté est indispensable dans la vie humaine, car 

17

Page 18: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 18/109

tout homme qui ne réagit pas avec liberté, son existence est une existence de

fumée. En clair, le destin de l’homme, pour les existentialistes, est l’ensemble de

ses actes, et que ces actes soient résultés d’une volonté ; mais si ses actes n’étaient

 pas faits par son propre choix, sa vie serait abstraite. Pour une vie réelle, il faut des

actes réels : des actes réels sont ceux qui sont en rupture avec ce qui est. D’où, unhomme qui réagit à partir de ce qu’on lui demande, selon des normes conformistes,

sa vie n’a aucune importance par le fait qu’elle ne crée le moindre changement. En

terminant, le refus des valeurs préétablies par l’homme libre est une démarche vers

l’universalité, car en rejetant des valeurs propres à une communauté précise, on

invente d’autres plus générales et plus ouvertes sur le monde qui permettent à

l’individu de voir le monde avec tant de lucidité. Ainsi, la liberté est le premier pas

vers un homme universel.

Le refus des valeurs préétablies exige l’invention des nouvelles lois et valeurs

 pour que l’homme affirme sa supériorité de l’animal. Mais la question qui se posec’est comment faire inventer ces nouvelles lois ? Et comment faire se débarrasser 

de ces clichés préexistants ? La réponse sera l’objet du chapitre suivant.

18

Page 19: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 19/109

CHAPITRE II

L’INTELLIGENCE

19

Page 20: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 20/109

Un homme libre doit l’être par son intelligence ; mais qu’est ce que Nizan

entend par intelligence ? Et comment par l’intelligence, un homme peut devenir 

libre ? Et quelle est la relation entre l’intelligence et les différentes contraintes qui

écrasent l’homme ? Comment l’intelligence peut-elle servir à la liberté, si la vraie

liberté est celle qui se fait par des actes, tandis que l’intelligence est abstraite ? Ou

 bien l’intelligence chez Nizan se confond avec l’action ?

L’intelligence commence, chez Nizan, par l’abolition de toutes les lois et les

valeurs préétablies. Ce qui met l’homme de l’intelligence dans un état de vide. Car 

tout ce qui comble la vie des hommes, dans un seul coup, devient inutile pour lui.

« Toutes les légendes du vide sont d’ailleurs la vie conforme àl’intelligence et à l’ancienne philosophie. La vie intérieure est intelligente. Le désespoir se flatte quelquefois d’une subtilité dérisoire. L’intelligence est une vielle maniaque qui triture lesdéchets, fabrique des nouveautés avec les ordures des états

détruits. » CH. XII ; P. 125La première étape dans la vie de l’homme de l’intelligence est la suppression de

toutes les lois et les valeurs. Car la première chose que l’intelligence lui assure

c’est que toutes les valeurs sont inventées par les hommes, et parce qu’il est, lui

aussi, un homme, il peut donc créer ses propres lois. En plus, parce que ses lois ne

 présentent pas la vérité universelle, les lois des autres sont aussi loin d’être vraies

ou universelles. Cette conclusion le jette dans un état de vide absolu, car il ne

trouve aucune référence ou loi suprême qui peut lui indiquer le choix de telle ou

telle valeur, il se trouve donc seul, étourdi et délaissé. Les gens, pour se faire croire

que leur vie a du sens, embrassent toute valeur imposée comme si elle était lavérité ou le Bien ; pourtant, un homme d’intelligence ne peut pas croire à des

 banalités pareilles, parce qu’il sait qu’il n’y a aucune valeur qui soit vraie. Car 

chaque homme voit la vérité qu’il veut, et si toutes les lois sont inventées par des

hommes, donc toutes les lois traduisent seulement la vérité de ceux qui les ont

créées. Ainsi, un homme pour se dire libre, il doit d’abord se débarrasser de toute

valeur préétablie qui réduit sa liberté. C’est pourquoi, il lui faut l’intelligence, car 

elle est le seul moyen pour qu’un homme puisse arriver à se convaincre de la

vanité des valeurs qu’inventent les êtres humains. En ce sens, la liberté égale la

libération de toute contrainte qui fait obstacle devant l’homme pour réaliser soi.Mais cette libération est pareille au vide, car ce qui est d’important dans cette étape

20

Page 21: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 21/109

d’intelligence c’est la destruction et l’abolition des préjugés qui enchaînent l’esprit

humain, en révélant leur vanité.

Après cette destruction des valeurs et des lois préétablies, l’homme intelligent

se trouve incapable de hiérarchiser entre les valeurs humaines. Il perd toutecapacité et mécanisme pour donner un jugement ou pour choisir entre les valeurs

qui existent.

« Elle arrange des parties égales, sans aucune hiérarchie de portée, de proportion ni d’attraits. Le fait qu’elle les contempled’une manière toujours identique à elle-même les réduit à cetteégalité. Elle a deux devises : A est égale à B ; cela m’est égale. Lavérité sort de la bouche des calembours. » CH. XII ; P. 125

Si toutes les valeurs qui existent sont créées par des hommes, comment peut-on

dire que cela est le Bien, l’autre est le Mal ? Celui qui ne possède rien définit lavole pour le Bien ; celui qui possède la définit comme étant Mal. A qui croit-on ?

Aucune loi surhumaine ne viendra nous aider. Chacun prend pour vrai celui qui

convient à ses propres intérêts. Autrement dit, il n’y a pas de vérité universelle

dans les valeurs et les lois humaines. Ainsi, après avoir tout détruit, l’homme

intelligent se trouve libéré de tout jugement ou hiérarchie entre des valeurs

inventées par des mêmes êtres. Pour lui, toutes les valeurs sont pareilles, aucune

valeur n’est meilleure de l’autre, du fait que chacun voit les choses à partir de sa

 propre situation. La liberté dans ce sens pourrait être définie par la libération de

toute influence qu’un régime peut exercer sur l’individu. L’homme se trouve ainsi

dans un état de lucidité, du fait qu’il ne donne aucun jugement de valeur à propos

des actes des hommes à partir d’une certaine lois précises faites par un ensembles

d’hommes très précis dans une situation très particulière. En revanche, si l’homme

d’intelligence donnerait un jugement, ce jugement serait authentique ; c'est-à-dire,

le jugement dans ce sens ne se fait pas sur la valeur de l’acte humain, mais sur la

manière dont il est fait. En clair, ce n’est pas l’acte qui est important mais comment

il se fait par le sujet. Par exemple, on ne juge pas une prostituée pour son acte que

les uns considèrent comme immorale ou négatif, mais est ce que son acte résulte

d’un choix originel ou bien imposé sur elle. Enfin, l’homme intelligent se trouve

devant deux possibilités : soit qu’il n’y ait aucune vérité, soit que tout ce que sedise soit vrai. Dans les deux cas, il n’y a aucune raison pour classer ou hiérarchiser 

les valeurs humaines. La liberté est finalement la libération de tout jugement de

valeur.

Après avoir détruit toutes les valeurs imposées et se débarrassé de tout

 jugement de valeur, l’homme d’intelligence passe à un autre degré d’intelligence,

celui de découvrir le monde à partir de ses propres yeux.

« Elle s’occupe quand son maître ne trouve rien à faire, parce

qu’il lui faut toujours marcher et parler toute seule : quelle vie ! Cemaître la regarde marcher comme un paralytique voit sauter et 

21

Page 22: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 22/109

trembler son bras. Il n’y a aucune raison pour que cela finisse. Lemaître ne veut rien, alors il ne rencontre jamais un objet dont l’intelligence lui dise qu’il est réellement important et capable derepousser tous les autres, pour elle la rencontre de telle ou telle

 pensée est indifférente, elle est trop pure pour indiquer un choix, elleest un miroir qui ne préfère aucune des images qu’il porte, le lieu detoutes les pensées possibles. » CH. XII ; P. 125

Voir le monde à partir de ses propres yeux, c’est voir l’existence humaine d’une

manière directe, dans une relation de coprésence, sans l’intermédiaire d’aucune

idéologie ou d’un certain système de pensée précis qui pourrait influencer le regard

du sujet en limitant son regard sur une vérité visée. Dans ce stade, ce qui est

important pour l’homme intelligent c’est d’atteindre le degré le plus élevé de la

lucidité et de l’objectivité en réfléchissant sur l’existence humaine en général et sur 

l’homme en particulier. De là, l’intelligence est un exercice intellectuel qui mènevers l’objectivité et non vers un but précis comme le cas des valeurs particulières.

Pour cela, l’homme d’intelligence est un homme universel qui dépasse ses propres

intérêts pour centrer sa réflexion sur l’existence humaine et l’humanité toute

entière. Mais quelle relation entre la liberté et cela ? La relation c’est que ce stade

de l’intelligence aide l’homme à se libérer de soi-même et de tous ses intérêts et

ses besoins qui peuvent nuire à sa lucidité en essayant de comprendre le monde et

l’homme. Parce qu’il veut échapper à cette erreur que tout le monde a commise,

celle de considérer comme vrai ce qui répond juste à ses propres projets. Au

contraire, l’homme d’intelligence veut écarter tous ses projets pour découvrir avec

authenticité la vérité de la vie humaine. Pour que le jour où il oserait dire que tel ou

tel régime est injuste, il n’aurait aucun intérêt personnel qui le pousserait à mentir 

ou à peindre la vérité même si elle serait contre ses propres projets. Voici à quel

stade elle est arrivée la définition de l’homme libre ; elle est dépassée la libération

des contraintes extérieures à la libération des contraintes intérieures. Ainsi, un

homme libre, il doit l’être pas seulement avec les autres mais aussi avec soi même.

Cela l’aidera à éviter les subdivisions que font les humains entre eux par ces

mensonges qu’ils inventent. Autrement dit, cela le mènera vers l’homme universel.

Pour cela que l’objectif de l’homme d’intelligence est le cheminement duraisonnement plutôt que la fin vers laquelle conduira ce raisonnement.

« Elle se moque de tout : elle se plait aussi bien aux opérations del’analyse qu’aux figures de tous les mondes possibles, qu’aux vies

 possibles pour un homme. Toutes les sortes d’algèbre sont le seul rêve qu’elle supporte : l’algèbre de Leibniz énonce toutes les recettesde la vie intérieure, tout ce qui justifie les dégradations de la vieextérieure. Avec ses pauvres signaux elle ne propose rien, elle n’a

 goût de rien, elle envahit tout l’être et l’homme rongé par elle conclut 

 finalement que l’échec nécessaire de la raison à la défaite universelle

22

Page 23: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 23/109

des hommes : cette généralisation est la dernière limite de la raison et  son opération la plus parfaite. » CH. XII ; P. 125-126 

Ce qui importe à un homme d’intelligence, ce sont plutôt les opérations

d’analyse, que les fins vers lesquelles conduisent ces opérations. C’est un homme

qui cherche l’authenticité et non des intérêts subjectifs ; il cherche la véritéuniverselle de la vie humaine et non pas une petite partie de cette vie ; il ne défend

  pas seulement sa propre vie mais l’humanité toute entière. Son objectif est

d’interpréter toutes les extensions que puisse avoir la vie d’un homme en dehors de

toutes les contraintes et les chaînes qui réduisent ces extensions. Mais le fait

d’interpréter les manières de vivre chez les hommes sans pouvoir choisir ni l’une

ni l’autre assure en même temps l’échec de la raison humaine qui tente à la fois

d’atteindre la lucidité absolue et son incapacité de distinguer entre les valeurs. Cela

 peut conduire à une autre raison, c’est que la liberté n’est pas un choix mais une

condamnation. Après avoir été convaincu de l’impossibilité de trouver une raison pour choisir une valeur et non pas une autre, l’homme d’intelligence se trouve

obligé à défendre sa liberté pour pouvoir créer ses propres lois afin de diriger son

existence par lui-même en dehors de tout déterminisme. En clair, quand un homme

arrive à révéler la vanité de toutes les valeurs, et à savoir qu’il n’y a aucune force

qui puisse indiquer son choix, la seule chose qui lui reste c’est d’affirmer sa liberté

 par ses actes ; en d’autres mots, agir par volonté et liberté.

Quand l’intelligence conduit l’homme à révéler la vanité de l’existence

humaine et ses valeurs arbitraires ; certains, pour échapper à ce vide, ils

commencent à créer et inventer des illusions et des mensonges ; mais est ce que

l’homme d’intelligence peut-il croire à des choses pareilles ?

« Il ne plus reste qu’à continuer, à penser d’une nouvelle façon àla mort. Quand toutes les apparences de la vie ne semblent comporter aucune raison de choisir, quelques-uns inventent des descriptionsréconfortantes de la mort. Au-delà de cette ligne de partage des eaux,ils s’efforcent à deviner des réserves d’événements que l’intelligencerenonce à comprendre et l’imagination à pressentir. » CH. XII ; P.126 

Quand l’intelligence détruit tous les murs qui protègent l’homme du vide quil’entoure et lui révèle sa faiblesse dans cette immense univers qui le dépasse,

l’homme revient à son imagination pour créer certaines illusions par lesquelles il se

croit sauver du néant qui menace son existence. Mais comment l’homme

d’intelligence qui ne croit pas à ce qui est concret, croit-il à ce qui n’est pas ? D’où,

l’intelligence devient purement une réflexion existentialiste. En d’autres termes,

l’homme intelligent se libère de toutes les croyances et les illusions qui pourraient

l’éloigner de l’existence. Pour lui, toutes les valeurs et les lois doivent être

 justifiées par des raisons humaines. Autrement dit, soit que toutes les valeurs soient

humaines, soit qu’il n’y a pas de valeurs. Mais il ne faut pas comprendre lanégation de l’au-delà par l’homme intelligent pour un acte cynique ; c'est-à-dire

23

Page 24: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 24/109

qu’il le fait juste pour nuire à la morale des autres ; pour lui que dieu existe ou non,

c’est pareil tant qu’il n’aide les humains dans rien. Mais il faut comprendre sa

négation de l’au-delà pour un acte existentialiste par lequel il affirme la nécessité

de la liberté individuelle. En clair, dès qu’il n’y a pas une force ou une puissance

surhumaine qui pourrait diriger les actes des hommes, chaque homme est doncresponsable de ses actes, et le fait que chaque individu est responsable de ses actes,

chaque individu est donc libre de choisir ses actes. Car pour les existentialistes

même si vous faites des actes qui sont imposés sur vous, vous en êtes responsable :

vous êtes responsable de votre soumission et de votre aliénation. Alors il n’y a pas

un homme qui ne soit pas responsable de ses actes. Et dès que tout le monde est

responsable de ses actes, tout le monde a donc le droit d’agir librement. Voici ce

que veut dire la négation de l’au-delà de la vie, ce n’est qu’une démarche vers la

liberté individuelle dans l’existence humaine.

Le plus haut degré auquel peut arriver l’homme d’intelligence est la libération

de toutes les contraintes physiques ou morales qui peuvent nuire à sa réflexion sur 

l’existence humaine. C’est la libération des exigences de son être surtout celles du

corps.

« Cédant au illusions fatales de l’ennui, ils finissent par admettreune nouvelle sorte de vie composée du jeu des parties les moinsconnues de l’univers et des métamorphoses dont serait capablel’intelligence enfin délivrée de ce corps qu’elle regarde comme unchien dans un jeu de quilles. Une vie où l’exercice total del’intelligence ne serait plus borné par les exigences et l’ennui ducorps qui aime la vie de la chair et de la présence du monde. Plusloin encore, il leur arrive de penser à des anges. » CH. XII ; P. 126 

Ainsi, l’homme d’intelligence devient neutre sans aucun arrière idéologie qui

dirige ses actes et ses pensées. Il se sépare définitivement de toutes les chaînes qui

 bornent l’objectivité de l’homme. Il se libère des filets qui enchaînent les hommes

dans leur monde étroit ; il regarde du haut, librement, la vie humaine en

interprétant les relations et les systèmes qu’inventent les hommes pour vivre

ensemble avec leurs hiérarchies. Après avoir été libéré de la vie humaine et ses

chaînes, il lui reste de se libérer des contraintes que lui impose son corps qui aimecette vie de chair. Il se libère de son corps, il devient une âme pure libérée de tous

les mensonges et les illusions humains. Il devient un ange ; non, pas un ange ;

l’ange ne fait qu’appliquer les consignes de son dieu, il devient un dieu. C’est la

liberté suprême : c’est comme ça qu’il faut retenir sa supériorité. Ce n’est pas une

supériorité par rapport aux autres, mais c’est une supériorité intérieure. En fait,

c’est cela qu’il cherchait dès le début : il veut être le dieu de son existence, il veut

être un sujet et non pas un objet. Il veut agir, mais qu’il s’actualise dans chaque

acte qu’il fait. En gros, l’intelligence, cet exercice intellectuel, est le seul moyen

  pour que l’homme arrive à se libérer des contraintes que la vie humaine luiimpose. C’est aussi le seul moyen pour révéler la vanité et l’imperfection des

24

Page 25: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 25/109

valeurs et des lois humaines, et pour libérer l’esprit humain des chaînes qui bornent

ses capacités infinies à comprendre le monde et l’existence humaine toute entière

avec authenticité ; et surtout pour qu’un homme puisse se libérer des exigences de

son être qui nuisent à sa lucidité et à son objectivité.

L’intelligence dépouille l’homme de toutes les illusions qui comblaient le vide

et l’absurdité de son existence. Ces illusions inventées par la société pour servir à

maintenir les membres de cette société ensemble. Alors, le fait de se débarrasser de

ces illusions, c’est en même temps se débarrasser de la société. Ainsi, l’homme

intelligent devient solitaire, sa liberté devient une sorte de solitude absolue.

« Je m’apercevais que je n’avais pas acquis d’habitudes, j’étais  propre. J’avais des habitudes de traduction, de déchiffrement,d’analyse logique, quelques coutumes de l’intelligence. Mais mes

actions ne marchaient pas avec des béquilles. (…)  Je me cherchais en vain des obligations, ces habitudes que personne ne comprend, ces dieux imaginaires dont l’ombre s’étend  sur tous les cœurs.

 Par hasard j’étais sans chaînes et sans tribu dans une foule oùchaque passant reconnaissant les siens, et pouvait échanger des ritescontre des rites, des mots de passe et des mots de ralliement. » CH.VIII ; P. 94

Le fait de ne croire à aucun système de pensée rend l’homme solitaire dans son

nouveau monde pur. Un monde qui n’accepte aucune loi ou valeur préétablie ou

imposée par autrui. Avec cet esprit ouvert sur l’universel, l’homme se trouve seul,

écarté de la société qui ne veut que des personnes qui embrassent et croient à ses

normes sans les critiquer ou en douter. Mais l’homme libre ne va pas accepter cette

solitude ou cette exclusion sans qu’il ait un objectif qui mérite pour lequel subir 

cette solitude. Cet objectif est le fait d’être libre. Mais cette fois-ci, libre dans deux

dimensions : d’une part, il est libre dans ses actes ; d’autre part, il est libre des

croyances et des valeurs humaines.

« Pour moi, rien de prescrit, rien d’interdit, ni viande, ni vin, ni

vêtement, ni femme de telle ou telle caste, ni modestie, ni débauche. Personne à adorer, à fléchir en priant, à remercier par des offrandes.  Dans cette absence des dieux et des anges, j’étais dépouillé des symboles de la piété et des lois, des catéchismes, des cultes, des motsd’ordre. » CH. VIII ; P. 95

L’intelligence ou la solitude doit avoir une fin que l’homme intelligent

considère comme positive. Cette fin se résume dans l’absence totale des normes ;

 par conséquent, absence totale d’interdits. Il n’y a pas une force métaphysique qui

 puisse nous indiquer le Bien ou le Mal. Ce qui fait qu’il n’y a ni du Bien ni du Mal.

Baiser une femme ou un homme, c’est pareil, pas de prescrit. Les choses se jugent par leur utilité : ce qui me plait est le Bien ; ce qui me déplait est le Mal. Je n’ai le

25

Page 26: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 26/109

droit de juger personne, donc personne n’a le droit de me juger, ni de me donner 

des ordres. A cet égard, la liberté est une quête d’une égalité totale entre les

hommes. Quand je dis que j’ai le droit de faire de tout ce que je veux ; le « tout »

ici est limité dans ce qui concerne ma vie, c'est-à-dire, la liberté d’un homme ne

doit pas dépasser celle des autres. Autrement dit, quand je dis que je suis libre, celaveut dire tout simplement que j’ai le droit d’adhérer ou de m’opposer à un certain

régime politique, j’ai le droit d’être idéaliste ou matérialiste ou aucun d’eux, j’ai le

droit de donner mon avis dans cette politique qui concerne ma propre vie, j’ai le

droit de faire tout ce qui est ma vie. Mais je n’ai pas le droit de tuer quelqu'un,

 parce que la vie de l’autre est sa liberté, et parce que moi je défends ma liberté, je

dois donc respecter la liberté de l’autre. Car celui qui se sert de sa liberté pour 

opprimer la liberté des autres, ce n’est pas un homme libre mais c’est un despote ;

et un homme despotique, il lui reste la moitié pou être libre : la liberté intérieure

qu’il n’en peut arriver que par l’intelligence.

« Les actes ne me semblaient pas plus moraux que le mouvement des feuilles dans un arbre. Je vivais dans la nature, les hommes, lesbêtes, les objets en faisant partie sans transfiguration. Un vautour était un vautour, une vache était une vache, le drapeau du consulat de

 France est une étoffe. Je ne devait pas porter une coiffure en forme de sabot de vache, un turban de la longueur d’un linceul : il faut saisir qu’un casque de liège ne concilie aucun peuple, aucune divinité,qu’un costume de toile blanche est simplement celui qui absorbe lemoins les rayons : l’européen colonial ne saisit pas les larges limitesque lui découvrirait l’intelligence de ses vestons tissésmécaniquement et réduits à des fonctions véritablement physique. »CH. VIII ; P. 95

Les choses n’ont qu’un seul sens, celui qu’elles portent dans leur nature ; ainsi

qu’un homme existentialiste voit le monde ; ce qui fait de l’existence sa seule

occupation. Les gens pour combler le vide de leur existence, il font attribuer à

chaque objet une certaines valeurs illusoires. Mais elles jouent un rôle très

important dans la vie des hommes, car elles leur affirment que leur vie n’est pas

gratuite ; mais qu’ils sont sur terre pour une mission divine, pour un but sacré. Enopposé, un homme libre sait bien la vérité des objets : que tous les objets qui

existent sur terre sont bêtes. Ils naissent dans la nature, et ils se terminent dans la

nature. Autrement dit, c’est leur existence qui importe ; un âne n’est utile que s’il

est en bonne santé, une plante n’est utile que si elle se sert à quelque chose, un être

humain est utile au moment où il peut agir ; le jour où il mourra, il ne sert plus à

rien, il est oublié. En bref, ce qui doit attirer notre attention c’est l’existence et non

 pas d’autres choses. Pour cela, il faut vivre selon les limites de la condition

humaine sans attribuer à des objets matériels des valeurs abstraites dont ils n’ont

rien avoir dans la vérité. Par exemple, il y a quelques uns qui font de leur appartenance à un certain pays quelque chose de mythologique jusqu’à que ce pays

26

Page 27: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 27/109

devient pour eux comme un dieu, par les différentes valeurs illusoires qu’ils ont

créé à propos de cette appartenance. Mais objectivement pensons, entre l’homme et

le territoire où il vit, il n’y a aucune relation mythologique ou divine ou quelque

chose de cette nature ; mais juste des relations matérielles : si j’appartient à un tel

ou tel pays, c’est parce que tout simplement j’y suis né, logiquement j’y ai fait mesétudes, en conséquence, je doit y avoir un métier, une maison, une famille comme

tous ceux qui y vivent ; mais cela ne veut pas dire que si j’était né sur un autre

territoire je n’aurais pas les mêmes choses. Voilà la manière dont l’homme

d’intelligence interprète les choses ; pourtant les gens naïfs qui ont peur du néant et

qui croient facilement aux illusions, l’appartenance à une patrie égale tout pour 

eux. Il leur arrive même parfois à penser que s’il n’y aurait pas ce pays, ils ne

seraient pas existés. Ils attachent tout à cet amas de terre : l’identité, la manière de

voir le monde, de penser le monde, de manger, de dormir, la sûreté, la famille,

etc. ; ils vont même parfois par leur imagination à penser qu’ils sont supérieur detout le monde parce qu’ils appartiennent à un tel territoire. Ils deviennent

fanatiques avec celui qui ne leur partage pas les mêmes sentiments à l’égard de cet

ensemble de pierres. Ils sont donc obsédés, asservis sans le savoir. Par contre, un

homme libre ne donne pas d’importance à son appartenance à un tel pays. Il sait

que la relation qui le relie à son pays, il peut l’établir avec n’importe quel autre

 pays. Parce qu’il est libre de cet attachement fanatique, il est donc un homme

universel.

S’il y a encore un quelque chose vers lequel l’intelligence conduirait son maître,

ce ne serait que l’égalité totale entre les hommes. Et qu’est ce que l’égalité en fait

que la liberté pour tous les hommes. Cette égalité vient aussi du fait qu’il n’y a pas

de surhumain. Mais, tout ce qui existe sur terre est humain, tout est donc familier 

 pour l’homme. Ainsi, l’homme existentialiste est le maître de son existence.

« Il y a des femmes sensibles, des enfants, et même des hommesrespectables comme des médecins, des notaires, qui se promènent 

 seuls la nuit. Pour des quantités de raisons, profondes ou légères, quine me regarde pas actuellement. Il peut leur arriver d’apercevoir unarbre qui n’est qu’un arbre, avec des branches et des feuilles, un

tronc, une écorce, un aubier, avec des nids, des oiseaux de nuits, et  peut être une ombre, s’il y a de la lune. Ils peuvent le prendre pour un spectre qui en veut à leur âme, ou un bandit qui va violer la femme,voler l’homme, enlever l’enfant, ils peuvent fuir comme si un trainarrivait sur eux. Mais ils pourraient aller voir de près et savoir qu’une branche déformée par la nuit n’est qu’une branche sur laquelle il ne serait pas plus défendu de monter que sur une branchede jour. » CH. XIII ; P. 131-132

Ce qui est d’important pour l’homme d’intelligence c’est de réduire toute chose

à l’état humain ; c'est-à-dire ne rien laisser étrange ou surhumain. Tout ce quiexiste sur terre ne doit pas dépasser la condition humaine ; et s’il y a quelque chose

27

Page 28: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 28/109

qui apparaît étrange à l’être humain, il n’est qu’en attente d’être révéler par les

hommes avant qu’il devienne familier à l’homme comme tout autre chose fait

 partie de la vie humaine. La religion aussi, la politique ne vaut pas mieux, et tout

autre métier ou partie d’hommes quelconque dans ce monde. Rien n’est supérieur à

l’être humain, tout homme est le dieu de son existence. C’est ainsi qu’un hommelibre voit l’existence humaine : un ensemble de choses, d’objets et de relations

qu’il doit interpréter, expliquer et comprendre sans être condamné à aucune

idéologie. Les hommes ordinaires voient la morale, la loi, la religion, la société…

comme s’il s’agissait des monstres horribles faits peur. Mais dans la réalité, ils ne

sont qu’un ensemble de lois et de valeurs qu’un certain régime a forgées, et pour 

en assurer sa dominance et sa souveraineté, il les a donné une valeur mythique

 pour que les gens naïfs les respectent. En plus, il y a dans ces lois quelque chose

qui empêche les hommes de découvrir la vanité de ces valeurs, il s’agit, peut être,

du tabou de les critiquer qu’on en met. Ce qui fait les hommes subissent etembrassent ces lois sans interroger sur leur utilité. Pour cela que l’homme

intelligent essaie de se libérer de tous ces clichés qu’autrui emploie pour l’asservir.

Cette libération se fait par la pénétration au système de ces lois en essayant de le

composer afin de le rendre familier et compréhensible. Car toute chose, quelque

soit sa supériorité, dès qu’on la révèle, elle perd sa supériorité, et par conséquent

son pouvoir, s’il s’agit de la politique. Sommairement, l’intelligence est l’escalier 

qui mène l’homme vers le sommet de son existence en se libérant de toutes les

chaînes qui tentent de le réduire à l’état d’un objet.

Cette tentative de ne laisser rien surhumain, et d’atteindre le centre de

l’existence, mène l’homme à se libérer aussi des hiérarchies que les faux hommes

essaient de créer entre les gens et leurs pareils.

« J’ai fait tous mes détours pour retomber finalement sur labranche qui m’avait fait si peur. Je veux dire que je retrouve lesombres redoutables que je fuyais et que ce sont des hommes dont lenombre seul risque d’être dangereux. Je les mesure de près : ils ont les mêmes formes qu’en France. Mais la nuit qui les rendait redoutables, cette nuit de légendes, de savoirs, de mots et de beaux-

arts est dissipée par le soleil qui dessèche jusqu’aux morts. Qu’ils  sont de peu de poids ! Qu’il m’est facile de saisir pourquoi jecraignais d’être pareil à eux ! » CH. XIII ; P. 132

Les gens modestes craignent les grands hommes ; ils craignent le roi, le

 président, le gendarme, le juge, le chef d’une firme, un sportif beaucoup célèbre, le

garde d’une banque et son chien aussi, ils ont peur de tous ceux qu’on fait passer 

sur la télé ou dont on parle dans des journaux. Ceux-ci le justifient, ils deviennent

même parfois des mythes. Mais un homme libre par son intelligence, va-t-il se

tromper dans ces cadavres embaumés ? Bien sur que non. Pour un homme

intelligent, les mêmes hommes vivent partout. Ce qui fait d’un homme supérieur ou inférieur, ce n’est pas lui-même, mais ce sont les autres. En clair, un roi n’est

28

Page 29: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 29/109

 pas un dieu juste parce qu’il gouverne tout un peuple ; il est un homme comme

tous les hommes. Si les circonstances le mettaient dans une compagne et non dans

un palais, certes, il ne serait qu’un simple paysan analphabète. Alors, l’image de

dieu qu’il a, il ne l’a pas par sa nature, mais juste on la lui attribuait. En bref, un

homme d’intelligence ne se trompe pas dans les apparences, il ne laisse pas lessuperstitions l’asservir, au contraire, il cherche au fond des choses afin d’arriver à

la vérité. Les hommes sont ainsi, pour lui, des simples constituants de la vie

humaine qu’on doit pénétrer leur vie pour les comprendre comme toute autre

chose. En conséquence, l’homme assure sa liberté comme un droit naturel, il n’a

 pas besoin de permission pour être libre ; car il l’est au fond de soi-même, du fait

qu’il est conscient de l’absence de toute force surhumaine qui puisse réduire sa

liberté ; il n’y a que des hommes injustes, qu’un peu de révolte et d’intelligence est

suffisant pour battre leur injustice. Voilà l’essentiel pour l’homme existentialiste :

affirmer que l’homme est libre, libre par sa nature ; et s’il y a un homme qui n’est pas libre, ce n’est pas parce que la liberté qui n’est pas, mais parce que lui qui l’a

abandonné à autrui. Finalement, la mission des hommes sur terre n’est pas autre

chose que conserver leur liberté et leur autonomie qu’ils ont eu dès leur naissance,

 par le fait de ne pas s’aliéner ou se soumettre à qui que ce soit. L’homme naît libre,

il doit le demeurer jusqu’à mourir ainsi.

 En terminant, selon la philosophie nizanienne, l’intelligence est un exercice

intellectuel par lequel l’homme intelligent révèle la vanité de toutes les valeurshumaines, du fait qu’elles sont toutes inventées par des hommes. Cette abolition de

valeurs mène vers une absence de hiérarchie entre les actes humains, tout devient

égal pour l’homme intelligent, donc impossibilité de donner un jugement de valeur 

quoique ce soit. Après avoir détruit toute contrainte, l’homme intelligent essaie

d’analyser et de comprendre l’existence humaine en dehors de toute contrainte qui

 pourrait nuire à la lucidité de son esprit. D’où, les opérations d’analyse deviennent

la fin pour l’homme de l’intelligence et non les fins auxquelles conduisent ces

opérations, et dont l’objet est l’existence humaine. Car l’homme d’intelligence ne

croit à aucune force surhumaine, ce qui fait que toutes les valeurs sont humaines,donc il faut analyser juste l’existence humaine. Par l’intelligence, l’homme

existentialiste n’essaie pas de se libérer seulement de ce qui est extérieur mais aussi

des contraintes que lui impose son être, mentales et physiques, afin d’atteindre

l’objectivité et la lucidité absolues. De là, s’il n’y a pas une puissance surhumaine,

l’homme est donc libre par sa nature, c’est la conclusion vers laquelle l’intelligence

conduisait son maître. Ainsi, l’homme intelligent se met au sommet de son

existence. C'est-à-dire, au-dessus de toutes les valeurs humaines dès qu’il n’y a

rien qui vient du haut.

Si l’intelligence est plus ou moins une forme abstraite de la liberté, l’individudevrait donc de transporter cette liberté à un degré plus important, c’est celui de

29

Page 30: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 30/109

l’action. Autrement dit, la liberté en tant qu’action, c’est ce qu’on va voir dans le

chapitre suivant de cette partie.

CHAPITRE III

LA LIBERTE EN TANT QU’ACTION

30

Page 31: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 31/109

Si l’intelligence affirme à l’homme existentialiste la loyauté de sa liberté, et

qu’il n’y a aucune force surhumaine face à laquelle l’homme doit se rendre ;l’homme existentialiste est appelé donc à actualiser cette liberté par ses actes. En

effet, l’homme se définit par ses actes, donc sa liberté dépend de sa manière d’agir.

Il y a des actes réels, c'est-à-dire libres, et il y a des actes qui apparaissent ainsi,

mais qui ne le sont pas vraiment. Pour cela, il faut savoir distinguer entre un acte

libre et un acte qui ne l’est pas. L’absence d’un bourreau ne signifie pas que tout le

monde est libre. Mais il faut seulement que chacun connaisse son bourreau. Car il

y a plusieurs bourreaux mais qui sont invisibles.

« Faisons quelque chose. Mais quoi ?Ce que font les esclaves désoeuvrés. On se divertit, on boit en

bandes : nuits consolatrices. On entre dans des cinémas : il y a aumoins la chaleur animale, les femmes dont on touche les genoux et qu’on accompagne. Dans ces cuves sonores pleines d’éclairs blancs,les hommes vont s’oublier : ils sortent hébétés par les songes et vont 

 se perdre dans les cubes où se déroule ce que Bergson ose encoreappeler la vie, avec ce robinet éternel dans un coins. Nous faisonscomme les hommes. » CH. II ; P. 63

Faire l’amour, boire du vin, courir et crier dans des routes…beaucoup demoyens d’évasion, beaucoup d’illusions pour dire que nous sommes libres. Mais

ces actes déments ne reflètent aucune liberté. En clair, ces gens qui font ces actes

 puérils, ce n’est pas parce qu’ils sont libres, mais pour dire que nous sommes

libres, parce que réellement ils ne le sont pas. Leurs actes sont des réactions contre

l’esclavage qu’ils vivent. Autrement dit, leurs actes ne résultent pas d’une liberté,

mais ils sont dirigés par la haine envers la situation d’écrasement qu’ils vivent, ils

traduisent donc une sorte de vengeance contre cette vie qui leur arrachait leur 

liberté. Ainsi, les différents moyens de d’évasion affirme l’absence d’une liberté

réelle. Car on ne fuit que si on est prisonnier. En opposé, un acte proprement dit

libre ne dérive pas de l’écrasement et de l’esclavage, mais il se fait par la liberté et

31

Page 32: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 32/109

 par la volonté : on ne dit que tel ou tel acte est libre que si le sujet agit par sa

 propre volonté avec une conscience suffisante des raisons qui le poussent à agir de

telle ou telle façon. C'est-à-dire en absence totale de toute contrainte quoique ce

soit. Pourtant, les gens qui choisissent fuir ne sont pas libres, au contraire, ils

  présentent l’état absolu de la condamnation ; leur évasion est une violenceretournée contre eux. La liberté dans ce sens égale seulement mutilation. Car celui

qui fuit ne peut jamais être soi, parce que la réalisation de soi ne se fait que par des

actes libres. Mais le fait de fuir par n’importe quel moyen d’évasion, c’est accepter 

l’aliénation et la servitude, fuir n’est donc point un acte libre. Pour conclure,

l’exemple suivant résumera tout : prenons la vie au sein d’une prison : est ce qu’il

y a des lois ou des valeurs qui déterminent les actes et les relations des prisonniers

entre eux ? Aucune. Ils peuvent tuer, voler, violer, asservir l’un l’autre sans qu’il y

ait personne qui les punit ; Mais est ce qu’on peut dire qu’ils sont libres ? Ainsi, les

 pauvres bourgeois, et tout le peuple, peuvent faire tout à mesure que ce tout nedépasse pas les frontières de leurs vies. C'est-à-dire, ils sont libres dans la mesure

que leur liberté ne nuit pas aux intérêts du régime et de la classe dominants.

Comme les prisonniers, ils sont libres dès que leur liberté ne dépasse pas les lois

des gardes. Enfin, on peut dire que tout acte qui naît d’un écrasement et qui n’est

 pas un acte révolté est un acte non-libre. En effet, dans le cas de l’écrasement, il y

a deux possibilités : soit la révolte pour défendre sa liberté, soit l’aliénation.

Chaque individu peut fuir sa prison, mais où aller ? Partout, vivent les mêmes

hommes ; partout, il y a des prisons dès qu’il y a des hommes. Où il n’y a pas de

 prisons, il n’y a pas des hommes, et où il n’y a pas des hommes, il n’y a pas de la

vie. C’est un exil.

« Tout cela dessine les figures diverses de la paresse et de l’oubli.Sur la mer, liberté égale seulement absence.

Mais l’oubli n’est pas l’autre nom de la liberté. Revenons, laliberté compte seule. » CH. VI ; P. 81

Soit accepter l’esclavage et l’oppression, soit fuir ; mais où fuir ? Fuir pour un

désert. Cela veut dire s’exiler, la liberté n’est donc ici qu’une mutilation. Mais le

fait d’être mutilé ne traduit aucune liberté. Par contre, la liberté doit être au sein de

la vie humaine. Je ne peut pas parler de la liberté s’il n’y a personne qui tente de lam’arracher ; et s’il n’y a personne qui menace ma liberté, cela veut dire que ma

liberté, ou mon état que j’appelle liberté, ne sert à rien, donc je ne suis pas libre,

 pourtant jeté ; je ne suis qu’un déchet que personne n’en a envie. Voici qu’est ce

que signifie la liberté des gens qui fuient. Pour cela, il faut distinguer entre un

homme libre et un homme abandonné. Un homme libre doit avoir une place, une

 partie et un rôle dans la vie humaine, et dans ce rôle qu’il prend au sein de la vie

des hommes où il faut apparaître sa liberté. En d’autres mots, est ce qu’il agit

librement et consciemment, ou bien, il n’est qu’un travailleur qui exécute ce qu’on

lui demande ? En ce sens, un homme rejeté est celui qui ne peut rien ajouter nimodifier dans la vie des hommes, parce qu’il en est exclu. On ne peut pas donc

32

Page 33: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 33/109

considérer ses actes comme des actes libres, parce qu’ils ne s’engagent pas à la vie

humaine. En fait, tout acte qui ne s’engage pas à la vie humaine est un acte mineur,

qui n’admet pas encore la notion de la liberté. Pour parler de la liberté en rapport

avec l’action, il faut d’abord que cette action soit engagée. En dehors de

l’engagement, on ne peut pas parler de la liberté, car il n’y a rien qui fait penser àson contraire, et toute chose ne se définit que par son contraire. Enfin, une liberté

sans son contraire qui affirmerait son existence n’est qu’un vide.

« Voyageurs, devenez de plus en plus vide et tremblants, maladesde l’agitation de votre mal, vous aurez beau jeu de vous rassurer enrépétant que vous êtes libres, que cela au moins ne vous sera pasenlevé. La liberté de la mer et des chemins est tout à fait imaginaire :au commencement des voyages, elle ressemble à la liberté parce

qu’elle est comparée à l’esclavage horrible de la vie qui précédait lamer. Mais voici ce qu’elle est : une licence de certains mouvements  physiques, (…) Vous pouvez uriner librement dans la mer :nommerez-vous ces actes la liberté ? » CH. VI ; P. 83-84

Ainsi, la liberté en dehors de la vie humaine n’est qu’une liberté abstraite et

illusoire, elle n’a pas d’existence réelle. Ce n’est qu’un vide dont l’homme ne peut

rien ressentir. C’est aussi un vide où tout acte perd sa valeur et son sens original et

son utilité pour l’humanité. Alors, on n’a pas vraiment affaire à une liberté, mais

 plutôt à une absence ou mutilation. Un homme qui vit dans un état pareil, en

dehors de ce qui se passe dans la vie des hommes, n’est pas un homme libre, mais

tout simplement exclu, absent de la vie des hommes ; son existence ne vaut rien,

elle est inutile. D’où, il vient la nécessité de penser sérieusement à la liberté

individuelle. Dans ce sens, la société donne à ses individus deux choix dont aucun

ne porte le moindre atome de la liberté : soit consentir l’aliénation et la soumission

aux lois qu’elle vous impose jusqu’au bout, soit que vous seriez exclu. Les

hommes qui ne peuvent pas vivre sous l’obligation de qui que ce soit, ils fuient ;

mais malgré cela ils se sentent encore qu’ils ne sont pas libres. C’est pourquoi, il

faut changer la manière de s’échapper à la servitude : de l’évasion à la révolte. Le

seul moyen pour qu’un homme puisse se libérer de toute forme d’aliénation, c’est

de se battre à ce qui l’anéantit et l’opprime. C’est ainsi qu’on peut distinguer desactes libres des actes qui ne le sont pas. Finalement, un acte réel est celui qui

s’engage à la vie humaine à condition qu’il soit par liberté ou pour la liberté.

La liberté individuelle est liée à la vie humaine, mais cet engagement ne doit

  pas anéantir la volonté individuelle. Autrement dit, la liberté au sein de la

communauté humaine n’est qu’un moyen pour que l’individu affirme son existence

au sein de cette communauté.

 « La liberté est un pouvoir réel et une volonté réelle de vouloir 

être soi. Une puissance pour bâtir, pour inventer, pour satisfaire à

33

Page 34: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 34/109

toutes les ressources humaines dont la dépense donne la joie. » CH.VI ; P. 84

La liberté n’est pas donc autre chose qu’une volonté réelle de vouloir être soi

 par ses actes au sein de la vie humaine. Autrement dit, la liberté est le fait d’avoir 

les mêmes chances qu’ont tous les hommes, de faire ce que vous voulez et pouvezfaire. Plus précisément, la volonté de vivre votre vie dans toutes ses extensions

 possibles indépendamment de toute contrainte qui pourrait réduire ces extensions,

 pourvu qu’elles, ces extensions, soient engagées à la vie humaine. Ainsi, les actes

libres sont des actes qui se font par volonté et conscience de la part du sujet. D’où,

la vie des hommes devient un ensemble de conventions entre les individus. Ce qui

garantit à la fois la liberté individuelle et la liberté collective. C'est-à-dire, on trace

les frontières de la liberté de chaque individu sans aucune hiérarchie. Et parce que

les êtres humains sont des êtres sociales, enfin, chaque individu peut s’engager 

librement à la vie humaine, selon ses compétences et ses manières ; c'est-à-direqu’il ne soit ni opprimant ni gouverné par autrui, ce qui rendra son engagement un

engagement réel. En d’autres termes, la liberté des actes exige l’abolition des

hiérarchies entre les hommes, du fait qu’elles enchaînent et obligent l’homme à des

actes précis. Enfin, pour dire qu’un acte humain est un acte libre, il faut qu’il y en

ait au moins deux qualités. Il doit d’abord dériver d’une volonté individuelle, c'est-

à-dire, d’un choix libre et non d’une obligation, en conséquence, le sujet en trouve

soi ; cela lui affirme une certaine satisfaction de son existence. Ensuite, cet acte

doit avoir un contact et un effet sur la vie humaine. Autrement dit, par cet acte, le

sujet s’engage au sort de l’humanité, pour assurer sa liberté en tant qu’une

 puissance réelle et non une liberté abstraite.

Pourquoi faut-il que les actes soient libres ? Pour les gens ordinaires, c’est

 pareil : qu’on agisse à partir d’une liberté et d’une conscience, ou qu’on agisse à

 partir des consignes imposées par autrui, l’important c’est qu’on vit, vivre signifie

respirer et expirer de l’air.

« Il pensait à sa liberté, il parlait d’elle, comme s’il avait été dupedes sentiments qu’il avait inspirés à plus petit que lui : l’envie, lerespect de ceux qui lui disaient sincèrement qu’il était libre. Mais la

méduse se croit libre, les banquiers, les marchants se croient libres :ils ont aussi cette folie-là, ils ne valent pas mieux que les vagabonds.(…) ils font les malins, ils dictent, ils réfléchissent : oubliant que lesdictées et les malices sont montées de loin par dix télégrammeschiffrés, par des lettres qui ont fait du chemin pour les attendre. Ilsn’y comprennent rien. » CH. IX ; P. 100

Pour un homme ordinaire, ce qu’il faut pour vivre, ce sont des choses très

simples et peu importe la manière pour les atteindre : travailler n’importe quoi et

comment, avoir une maison, une famille, et quelques moyens pour le

divertissement, et voilà on vit. Mais pour un homme libre, il faut beaucoup pour dire que je suis un homme. Il faut tout d’abord la liberté pour pouvoir agir selon ce

34

Page 35: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 35/109

que lui dicte sa volonté. Car, pour lui un homme ne se définit que par ses actes,

donc son actualisation est dans son action ; pour cela, il faut que cette action

réponde vraiment à son âme. Le fait d’exécuter des actes dont ni les raisons ni les

fins renvoient à la volonté du sujet, il ne traduit aucune identité du sujet agissant,

donc il n’a pas d’existence réelle, il n’est qu’une ombre, du fait qu’il ne s’actualise pas par ses actes. Et un homme qui vit sans actualiser son existence, pour les

existentialistes, ce n’est pas la peine qu’il vive ; en effet, son existence est déjà

anéantie par l’autre. D’où, la liberté d’agir chez l’homme existentialiste, ce n’est

 pas quelque chose de futile, comme les gens ordinaires prétendent, mais c’est une

affaire de vie ou de néant : soit qu’un homme se batte pour sa liberté afin

d’actualiser son existence, soit qu’il se rende à l’anéantissement et vive une

existence de fumée, une existence où son âme, son être et sa volonté sont absents.

Mais qu’est ce que nous diffèrent des autres espèces vivantes que cette âme. Et si

l’homme perd son âme, il sera un homme par quoi ? Se diffère-t il par quoi desdifférentes espèces qui existent sur cette terre ? C’est ainsi qu’un homme

existentialiste voit le monde et la vie humaine.

« Il ne fallait pas beaucoup de génie ni ces grandes ardeurs qu’il  pensait éprouver pour résonner sous l’afflux de tant de voix. Leséchos les plus décoratifs ne sont pas des modèles de vertu ;redoubler des sons, quel nom faudra-t-il donner à cette opération

 passive ? Entraîné dans la ronde des capitaux et des échanges dont  personne ne pouvait arrêter le mouvement sans cesse accéléré derotation, il commandait des esclaves attachés à la même roue, échosmoins sensibles qui devaient d’abord recueillir sa voix. » CH. IX ;

 P. 100Pourquoi faut-il que les actes de l’homme soient libres ? Tout simplement,

 parce qu’on ne peut parler d’un homme réel que si ses actes soient réels, et pour 

que les actes soient réels, ils doivent répondre à l’âme de celui qui les fait, c'est-à-

dire qu’ils se fassent par liberté, qu’il soient donc libres. Un homme chez qui les

actes ne sont pas libres, chez qui tous les actes sont une simple exécution des

ordres, se distingue-t-il des autres par quoi ? Le pire serait si tout le monde fait la

même chose ; qu’est ce qu’on aurait qu’un troupeau de moutons qui ont la mêmeforme, le même taille, la même couleur et le même regard. Il suffira de connaître

un seul individu de cette troupe pour tout connaître. En opposition, un homme libre

constitue, par lui seul, un univers particulier ; parce qu’il agit avec liberté ; c’est

 pourquoi, ses actes ne sont déterminés par aucun système. Ils sont propres à lui, et

 pas communs comme les actes de ceux qui agissent à partir d’un système donné.

De là, le fait de défendre la liberté d’agir, c’est en même temps affirmer sa

singularité et sa particularité par rapport aux autres. Car rien ne définisse un

homme que sa particularité et sa différence des autres. Mais le fait d’être une copie

réelle de l’autre, et que l’autre soit aussi une copie exacte d’un modèle préétablie ;il n’y aurait ni particularité ni identité, et il ne resterait aucune différence entre la

35

Page 36: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 36/109

vie humaine et celle des bêtes inconscientes. Voici comment la liberté d’agir 

impose sa nécessité. En effet, elle est la seule chose qui nous diffère de tous les

êtres qui vivent avec nous sur cette planète. Certains disent que c’est la raison qui

nous diffère des autres bêtes, on ne dit pas le contraire ; mais quelle importance

aurait-elle cette raison, si tous nos actes sont prédéfinis avant que nous soyonsmême, si tout ce que nous faisons ne demande aucun atome d’intelligence, si nous

ne faisons qu’exécuter des commandes prédestinées comme chez les animaux. La

liberté n’est enfin que la volonté de vivre la vie dans toutes les extensions par 

lesquelles la nature a privilégié l’homme ; pour qu’il puisse faire tout ce que son

être capable à faire indépendamment des chaînes qui limitent ses capacités

naturelles. Finalement, on peut définir la liberté d’agir par la volonté de vivre

comme étant un être particulier et différent des autres. Cet avantage par lequel la

nature a distingué l’être humain de tous les êtres vivants qui lui partagent le même

espace.

Il ne faut pas comprendre des actes stimulés par l’instinct pour des actes libres,

sinon les animaux seraient les plus libres dans l’univers, du fait que tous leurs actes

sont dirigés par l’instinct.

« Des mains se posent comme une patte d’animal sur votre coup,il faut partir ou se laisser prendre, se plonger dans les vagues d’unamour enfoncé dans l’étuve de la nuit. Ces descentes sont ladernière ressource des hommes perdus. » CH. XI ; P. 118-119

La plupart des gens confondent entre des actes qui devraient être libres et des

actes dont la notion de la liberté n’a aucune importance. Par exemple, il y a des

  peuples, seulement parce qu’ils peuvent manger, boire, dormir, ils se croient

libres ; et que le pays où ils vivent est vraiment un pays démocratique. Mais ce

qu’ils ne savent pas, c’est que pour faire cela, on n’a besoin ni de liberté, ni de

 philosophie ni d’intelligence. La preuve c’est que même les animaux peuvent faire

cela sans savoir même qu’est ce que la liberté ni la démocratie. Mais quand on

 parle des actes libres, on entend par ça des actes où la liberté constitue la condition

 primordiale pour que ces actes soient réels et par conséquents utiles. De même,

c’est vrai que tout le monde agit pour satisfaire à ses instincts, mais dans la

manière d’agir où l’homme se diffère de ce qui n’est pas homme. Pour un animal,la satisfaction des instincts est la fin de tous ses actes, et rien n’est important que

cette fin. Par contre, pour un homme, pourrait être cette satisfaction importante,

mais avant d’arriver à cette fin, un homme libre ne peut pas dépasser certaines

conditions. Telles que la manière et les conditions d’agir. Un homme libre n’agit

 pas n’importe comment ou n’importe quoi. Il doit d’abord avoir un projet qui

oriente ses actes. Pour cela, il lui faut la liberté ; c'est-à-dire l’absence de toute

contrainte qui dirigerait ses actes à une fin qu’il n’a pas choisie lui-même. En gros,

ce qu’il faut comprendre, c’est que les actes qui se servent justement à la

satisfaction des instincts sont, on dirait, mineur pour qu’on en parle de la liberté ; pourtant, les actes où la liberté forme une problématique essentielle sont ceux qui

36

Page 37: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 37/109

ont de l’effet à la fois sur la vie entière de l’homme et de l’humanité. Des actes où

l’homme doit être libre afin de sentir son existence au sein de la vie des hommes ;

et non pas une copie de l’autre, qui ne fait que ce qu’il lui demande.

La nouvelle conception de la liberté qu’ont les gens, c’est celle qui détermine laliberté par la simple possession des objets. C’est pourquoi, avant de dire que je suis

libre, il faut d’abord savoir qu’est ce qu’un homme libre ? Qu’est ce que la liberté ?

Et quelle liberté compte parmi les différentes formes de la liberté qui existent ?

« Ces îlots délivrés ont perdus toute communication avec lesquantités incalculables de matière façonnée à toutes fins utiles, plusde ponts, plus de manettes. Evadés du cercle où s’agite l’esclavagedes récipients, des instruments, ils ne sauraient servir aux usagesconsacrés par la sagesse des nations. Leur laideur, leur pauvreté 

n’empêchent pas de les reconnaître pour les membres d’un mondeoù les objets et leurs maîtres vivent en liberté. (…) ils permettent d’entrer dans l’univers où les choses n’exigent pas d’instructions

 spéciales sur l’emploi, où les actions correspondantes n’entraînent aucun apprentissage, aucun dégoût, aucune mesure prophylactique,aucune sanction. » CH. XII ; P. 124

Il y a plusieurs personnes pour qui la liberté se résume dans la simple

 possession d’objets ; autant qu’un homme possède des objets, il est libre. Mais

qu’est ce que l’homme puisse parvenir par la possession des objets ? Rien que ces

objets qu’il possède. L’utilité des objets est en eux-mêmes : une chambre, un villa

ou un palais n’est pas autre chose qu’un immense objet où on peut s’abriter du

vent, du soleil, de la pluie … mais il n’a rien avoir avec la liberté ; une voiture

aussi, avoir une voiture ou non, cela ne modifie rien dans l’état de l’individu. En

revanche, ce qui conduit à la liberté, ce sont les actes et les pensées réels qui

mettent au centre de leur réflexion l’existence de l’homme au sein de la vie

humaine. Car on ne parle, comme on le dit souvent, des actes libres que si ces actes

 prennent en considération la vie humaine, en d’autres mots, engagés. Cependant,

des actes qui ne servent qu’à posséder des objets, ce sont des actes individuels,

donc ils n’admettent pas la question de la liberté, parce qu’ils n’engagent pas

l’autre pour qu’il y ait le contraire de la liberté : posséder un objet, c’est le posséder tout simplement, il n’y a ni liberté ni aliénation. En somme, on ne parle

d’un homme libre que s’il agit par volonté et liberté, et dont les actes assurent et

actualisent son existence parmi les hommes, c'est-à-dire au sein de sa communauté.

En clair, des actes libres sont ceux qui comptent dans la vie des hommes, et qui

s’engagent au destin de cette communauté ; et par conséquent l’individu assure son

état de sujet et non d’un objet, comme le cas chez l’homme d’objets dont les actes

se limitent dans la possession des objets, en négligeant tout acte responsable qui

 prend en considération le destin de l’humanité. Ce qui fait de ce type des hommes

des objets entre les mains des dominateurs et des exploiteurs qui se montrent

37

Page 38: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 38/109

comme les petits dieux à qui, seuls, appartient le droit de diriger le destin de

l’humanité.

Pour savoir est ce que les actes d’un homme sont libres ou non, il suffit de

savoir le genre des actes que permet le régime dominant sous lequel cet homme vit,et le genre des actes qu’il ne permet pas ; seulement après qu’on peut distinguer 

entre des actes libres et des actes qui ne le sont pas.

« Quel péché si vous réclamer la liberté et si vous annoncer quevous voulez faire quelque chose pour elle ! Vous serez rejeté :revendiquer un acte humain c’est attaquer les forces maîtresses detous les malheurs. Ces réclamations présentes sont simples : le jour où je me suis mis à y penser je me prenais pour Colomb, pour 

 Newton, elles sont d’ailleurs plus importantes que l’histoire de l’œuf 

et le calcul des fluxions. Car elles prophétisent la ruine du monde.Si quelqu’un va sur une place de Paris déclarer qu’il faut que leshommes vivent comme des humains, qu’ils ont le droit, depuis letemps, de faire comme les plantes qui vivent comme des plantes, il 

 sera couvert sous des tas noirs de policiers. » CH. XII ; P. 127-128Pour ceux qui limitent la liberté dans des simples actes instinctifs ou dans la

 possession des objets, on leur dit : allez annoncer que vous voulez l’égalité totale

avec ceux qui vous gouvernent, et que vous voulez la liberté d’agir, de faire ce que

la nature a offert à l’homme de faire, pour savoir si vous êtes vraiment libres, et si

vos vies vous appartiennent comme vous le prétendez. L’Etat accepte vos

demandes quand elles s’agissent des services tels que l’électricité, des hôpitaux,

des écoles… mais pas de s’engager à la vie politique. S’il y a la guerre, vous devez

aller mourir, au nom de la patrie, pour que les gouverneurs gardent ce qu’ils

 possèdent ; et sans interroger ni sur les raisons ni sur les fins de cette guerre, parce

que vous n’êtes pas encore dignes des affaires pareilles. Quand il y a la famine, ou

la guerre, ou une crise quelconque, le premier et le seul qui subira les faits de cette

crise est cet ensemble des opprimés qu’on appelle le peuple. Tandis que le régime

dominant ne perd jamais. Cela signifie quoi ? Cela signifie tout simplement que ce

n’est pas le régime qui protège le peuple des maux qu’il crée par lui-même, mais

c’est le contraire, c’est le peuple qui protège le régime de tous les malheurs. Ainsi,le peuple n’est pas libre dans ses actes, au contraire, ses actes sont dirigés par le

régime dominant qui l’exploite pour ses propres intérêts. Voilà comment l’absence

de la liberté dans les actes des hommes mène à l’émergence d’une classe

dominante et une autre dominée. Pour cela, il faut que chaque acte humain ait au

moins deux qualités obligatoires, qui sont la liberté et l’engagement ; sinon tout

acte serait plus malfaisant que bienfaisant pour l’individu.

Tous les hommes qui vivent sous la domination d’un régime, et que ce régime

leur permet d’exercer certaines fonctions bien déterminés, ils se croient libres.Autrement dit, dès qu’ils font quelque chose, peu importe est ce qu’ils le veulent

38

Page 39: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 39/109

ou non, ils sont donc libres ; mais ce qu’ils ignorent c’est que ces actes peuvent

être la figure parfaite de leur esclavage.

« On peut rencontrer un Homo Economicus fonctionnaire,ouvrier même. C’est un animal content de son économie du profit 

 supplémentaire. Bien qu’il répète avec l’amour des sentences : on arien pour rien, il a ce profit sans rien donner en échange. Il tient d’autant plus à lui que ce profit est vraiment gratuit. Il a le corpsd’un homme. (…) En dépit de ses apparences, il se rapproche plutôt des distributeurs automatiques, c’est un appareil qui parle et avance, aussi peu humain que les lampes qui s’allument, que lesmoteurs qui tournent quand leur courant passe. Il est possible queles lampes croient s’allumer volontairement, que le volant ne tourne

 pas sans une conscience agréable du libre arbitre de sa rotation. »

CH. XV ; P. 148Peut être les choses apparaissent un peu ambiguës à propos de la liberté que

défendait Nizan ; il y a certains qui comprennent cette défense pour un appel à

l’anarchie. Au contraire de ces préjugés, on voit dans cette défense un appel à une

humanité idéale où il n’aurait ni des opprimés ni des opprimants. Le fait qu’il est

en opposition avec le régime dominant, ce n’est pas une volonté anarchique pour 

 briser l’ordre, mais parce qu’il voit que dans cet ordre où il y a un manque d’ordre.

Un citoyen quand il commet un crime, on le punit ; mais le régime, quoiqu’il fasse,

on n’annonce jamais ses crimes. Pour cela, Nizan opposait à l’idée du pouvoir 

absolu entre les mains d’un régime. Pour lui, il faut que le pouvoir soit partagé

entre tous les hommes qui appartiennent à la même communauté, afin que tout

homme puisse s’engager au destin de la vie humaine dont il fait partie. En d’autres

termes, ce que Nizan voulait échapper, c’est le fait que la vie de l’homme devient

tragique. C'est-à-dire que le destin de la vie d’un homme soit hors ses mains et

qu’il subisse par conséquent tous les malheurs causés par autrui comme une fatalité

dont il n’a le moindre contrôle. Voici enfin ce que veut dire un acte libre

contrairement à ce qu’on faisait croire aux gens. De ce point de vue, il se voit que

les actes et les métiers que font les hommes ne sont pas libres même s’ils ont

l’apparence ainsi. Prenons pour exemple le métier de professeur : un professeur, il

se peut qu’un jour lui vient l’idée qu’il est libre, parce qu’il se réveille librement ledimanche, vient volontairement à l’institution où il enseigne, donne des cours,

rentre chez sa femme, le jour où il s’emmerdera, il peut donner sa démission, on ne

lui refusera pas ; d’une part, il est libre comme un petit chat dont on ne juge pas les

actes. Mais si on essaie de voir le lien que ses actes tiennent avec le régime

dominant, on verrait qu’il y a entre l’acte d’enseigner et le régime dominant un

rapport de dépendance et d’inclusion. En fait, on ne trouve jamais dans une

institution didactique une éducation révolutionnaire, au contraire, ce sont les

normes et l’éducation conformiste et fasciste qui envahissent toutes les institutions

didactiques du monde. Ces valeurs qu’on plante dans l’esprit des gens sous desdifférentes appellations : vertu, patriotisme, nationalisme, respect, etc. Ainsi, les

39

Page 40: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 40/109

 pauvres professeurs ne sont qu’un nouveau type d’esclaves qui enseignent aux

nouvelles générations comment on peut être des bons esclaves. Mais est ce qu’un

 professeur puisse-t-il, par son métier de professeur, changer quelque chose ou de

donner son avis dans quelque chose. Jamais, soit suivre la caravane dans la même

direction, ou vous soyez exclu. Voici ce qu’on appelle des actes non-libres. En cesens, ce genre d’actes n’est qu’un moyen parmi d’autres que le régime dominant

emploie pour renforcer sa dominance et sa souveraineté. Enfin, l’opposition de

  Nizan au régime absolu et à l’éducation conformiste, c’est une opposition à

l’anéantissement des individus. Car soit qu’on agisse avec liberté et volonté

individuelles, soit qu’on soit réduit à l’état d’un objet. En terminant, le fait de

défendre sa liberté d’agir, ce n’est pas un autre chose que vouloir être le premier et

le seul responsable du destin de sa propre vie. En d’autres mots, ne pas laisser son

destin être dirigé par autrui, ce qui le rend une fatalité ; mais le construire par soi-

même, par sa propre volonté ; juste après qu’on puisse parler d’un homme libre.

En conclusion, Nizan répartit les actes humains en deux types : il y a des actes

qui apparaissent comme libres mais qui ne le sont pas, et des actes qui doivent être

libres.

Les actes qui apparaissent comme libres mais qui ne le sont pas vraiment, ils

sont considérés par Nizan comme des actes abstraits. Car ils n’engagent pas la viehumaine. Alors, la liberté à laquelle ils aboutissent est une liberté illusoire, ou ce

que Nizan indiquait par absence et mutilation de l’individu de la vie humaine. Il

entend par ce genre de liberté celle que procurent les gens des différents moyens

d’évasion. Il lui ajoute un autre type d’actes qui ne traduisent pas une vraie liberté,

et que les gens en voient des actes libres, ce sont les actes stimulés par des

instincts. Pour Nizan, ce genre d’actes n’admet pas la notion de la liberté, du fait

qu’on les trouve même chez d’autres espèces qui ne sont pas humaines. Enfin, il y

a une autre forme de liberté considérée abstraite, c’est celle de la possession des

objets que certains en voient une vraie liberté ; pourtant, pour Nizan, la possessiondes objets ne traduit aucune liberté individuelle.

Cependant, des actes qui doivent être libres, ce sont des actes qui s’engagent à

la vie humaine, ce sont des actes dont les fins ne répondent pas à une seule partie

de l’être, mais à l’être tout entier, parce qu’ils se font par volonté et liberté. Par ces

actes, l’individu affirme aussi sa particularité et sa différence par rapport aux

autres. En plus, l’homme quand il agit par volonté et par choix personnel, il affirme

en même temps une responsabilité envers l’humanité. Cela lui assure que le destin

des hommes est entre leurs mains, et c’est à eux de choisir comment ils veulent

qu’il soit. Autrement dit, la vie des hommes n’est plus une fatalité, mais aucontraire, c’est une volonté. Ce qui fait de l’homme le maître de son existence.

40

Page 41: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 41/109

A travers cette partie, on a vu les critères qui font d’un homme un homme libre

selon la conception nizanienne. On a insisté sur trois choses : la première, c’était le

fait de se libérer et de ne croire à aucun système de conformisme ou de

déterminisme qui peut borner l’esprit de l’individu dans une vision particulière.

Dans un second lieu, on a vu un second caractère de l’homme libre, qui estl’intelligence. C’est un exercice intellectuel par lequel l’homme arrive à révéler la

vanité de toutes les lois et les valeurs préétablies. Ce qui l’oblige à créer ses

 propres valeurs ; et enfin, on a traité la question de la liberté par rapport à l’action,

où Nizan différenciait entre des actes proprement dits libres et des actes qui

semblent être ainsi. Les actes libres doivent avoir au moins trois caractères : la

liberté, la volonté et l’engagement.

Après avoir défini qu’est ce qu’un homme libre pour Nizan, d’où on est arrivé à

la conclusion qui dit que l’homme ne pourrait être libre qu’au sein de la vie

humaine ; il est temps de savoir plus comment Nizan concevait la conception del’existence humaine en tant qu’actualisation ; c'est-à-dire, comment doit agir un

individu au sein de la vie humaine.

41

Page 42: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 42/109

DEUXIEME PARTIE

LA CONCEPTION DE L’EXISTENCEDANS ADEN ARABIE

42

Page 43: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 43/109

Tout être humain, dès qu’il est sur terre, d’une manière ou d’une autre, il doit

agir ; sauf que la manière d’agir qui se diffère d’un individu à un autre.

Il y a des gens pour qui la manière d’agir est sans importance ; c'est-à-dire, ce

n’est pas l’action qui est importante pour eux, mais plutôt les fins vers lesquelles

aboutissent leurs actes. Mais quand on dit des fins, il ne faut pas aller loin par son

imagination, parce que les fins pour ce genre d’hommes ne dépassent pas lasatisfaction de certains instincts. Autrement dit, ce sont des gens qui agissent pour 

un salaire, et peu importe les faits de leurs actes sur la vie humaine. Ce genre

d’action que Nizan appelait des actes abstraits ; parce qu’ils ne traduisent aucune

volonté de celui qui agit. Les gens qui agissent ainsi, ils croient à la fatalité ; car ils

laissent le destin de leur vie entre les mains du régime ou de la classe dominants

sans y participer. Ce qui fait que leur existence est abstraite ; du fait qu’ils ne

s’engagent pas à la vie humaine. Cette abstraction est désignée, dans l’œuvre de

 Nizan, par plusieurs termes, tels que : absence, illusion, existence de fumée, etc.

En revanche, une action réelle doit avoir un fait sur le sort de la vie humaine ;

c'est-à-dire, elle doit être engagée. Cet engagement que Nizan indiquait par 

intellectualité, qui signifie l’ensemble des actes par lesquels l’individu affirme sa

 présence et actualise son existence dans le lieu et le temps auxquels il appartient.

Dans ce type d’actes où plusieurs concepts s’entrecroisent, et qui constituent la

 base de la philosophie existentialiste, tels que : liberté, volonté, choix, engagement,

etc. De ce point de vue, ce genre d’actes constitue le centre de la philosophie

existentialiste ; du fait que l’homme ne se définit, selon l’optique existentialiste,

que par ses actes. Donc, le fait de déterminer ce genre d’actes, c’est en même

temps déterminer l’homme existentialiste. Autrement, si on arrive à préciser ce que

 Nizan entend par une action réelle, on aurait le portrait de l’homme existentialiste.Quand l’action devient le critère définissant l’homme, toutes les valeurs, par 

conséquent, se trouvent en déclin. D’où, il se voit l’objectif des existentialistes, qui

est l’abolition de tout déterminisme qui puisse gouverner les actes de l’homme.

Pour eux, les actes de l’homme doivent être entièrement libres ; c'est-à-dire, qu’ils

ne soient déterminés par aucun système de pensée ou valeurs préétablies, afin de

traduire exactement l’être humain tel qu’il est et tel qu’il se fait. Cette abolition de

déterminisme mène à une fin indispensable qu’est le règne de l’homme sur toutes

les valeurs. Ce règne n’est pas gratuit, mais à un prix. Son prix c’est qu’il met toute

la responsabilité sur l’individu de ce qui concerne le destin de sa propre vie ; et laresponsabilité sur tous les êtres humains pour le destin de l’humanité. Cela

43

Page 44: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 44/109

engendre chez l’homme existentialiste une sorte d’angoisse, du fait qu’il est

conscient de son délaissement ; c'est-à-dire, s’il ne réagit pas contre les malheurs

qui menacent son existence, rien ne serait réglé ; car il n’y a dans ce monde qu’une

seule force, celle des hommes.

Pour plus de détailles à propos de la conception de l’existence chez Nizan, cette partie sera divisée en trois axes. Tout d’abord, on essayera de voir qu’est ce qu’il

entend par des actes abstraits ou l’abstraction en général ; puis, comment une

action dite réelle doit être agie ; ou quels sont les critères qui font d’un acte un acte

réel ; et finalement, on verra comment par l’action l’homme peut parvenir le

sommet de toutes les valeurs.

44

Page 45: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 45/109

PREMIER CHAPITRE

UN ACTE ABSTRAIT

45

Page 46: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 46/109

Tout acte qui ne se fait pas par volonté, par liberté et par conscience est un acte

abstrait. Tout homme se définit par l’ensemble de ses actes ; ce qui fait que tout

homme dont les actes sont abstrait est un homme abstrait, un homme qui n’existe

 pas, selon ce que veut dire le mot exister chez les existentialistes.

On peut faire passer des actes abstraits d’un homme ordinaire, c'est-à-dire qui

vit seulement pour lui-même ; mais que dire quand l’abstraction dépasse des gens

ordinaires à des hommes qu’on prend pour des guides. On entend par ça ceux qui

 prétendent être les savants et les guides des hommes, à qui dépend le sort de

l’humanité.

« Cependant ils présentent des idées bien dressées, des théoriesaux dents limées sur la psychologie, sur la morale, le progrès : ces

abstractions montraient déjà la corde au temps de Jule Simon ou deVictor Cousin ; elles font encore bon usage. Ils sont bons hommes :ils disent que la vérité s’attrape au vole comme un oiseau naïf. Ilslancent des messages sur la paix et la guerre, sur l’avenir de ladémocratie, sur la justice et la création de Dieu, sur la relativité, la

 sérénité et la vie spirituelle. Ils composent des vocabulaires, parcequ’ils ont découvert tous ensemble une proposition importante : les

 problèmes n’existeront plus quand les termes en seront convenablesdéfinis. Alors ils tomberont en poussière : ni vu ni connu, les poser 

 sera les résoudre. Les philosophes seront simplement les chiens de garde de vocabulaire et les historiens de ce moyen âge où les motsavaient plusieurs sens. En attendant ils apprennent à mettre de côté les pensées dangereuses pour le jour où leurs poisons seront évaporés : la raison a le temps, elle les retrouvera à son heure qui necoïncide pas avec l’heure des hommes. » CH. I ; P. 56 

Quel malheur de voir des érudits qui doivent normalement révéler la vérité de

l’existence au peuple, ils la peignent et la cachent par leurs mots trompeurs. Qu’est

ce que font les penseurs qui vivent sous la pitié d’un régime despotique ? Ils font la

même chose que les chiens de garde de ce régime : faire apparaître au tout le

monde que ce régime est le plus juste dans le monde, et que tous les malheurs qui

martyrisent le peuple sous la domination de ce régime ne sont que la volonté d’un

46

Page 47: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 47/109

destin cruel qui veut faire les humains souffrir. Pour cela, on considère les actes de

ce genre de penseurs mercenaires des actes abstraits ; parce qu’ils ne répondent pas

exactement aux âmes de ces penseurs d’une part, c'est-à-dire, ils ne se font pas par 

liberté mais par écrasement ; et d’une autre part, ils ne s’engagent pas au nom du

Bien commun de toute l’humanité, mais juste pour une partie qui est la dominante.Les actes de ce type d’intellectuels sont abstraits du fait qu’ils ne s’engagent pas

aux malheurs de l’humanité dans leur actualité ; c'est-à-dire au lieu de s’attaquer 

aux forces qui oppriment les gens au présent, ils s’occupent de certains

 philosophèmes abstraits qui n’ont rien avoir avec les maux actuels qui écrasent les

hommes. Au contraire, l’objectifs de leurs manuscrits est de cacher et de peindre

ces maux jusqu’ils deviennent invisibles, familiers et fatales face auxquels une

seule réaction est possible, c’est la soumission ; surtout après avoir éteindre, par le

 pouvoir des mots, la rage qui s’allume au fond des gens vis-à-vis des malheurs qui

rend leur vie amère. Voici comment les actes abstraits ne nuisent pas seulement àla vie personnelle de celui qui agit ainsi, mais leur abstraction nuit à toute

l’humanité. Cela accentue la nécessité de combattre à ces hommes abstraits et leurs

actes qui ne font qu’anéantir les hommes réels. Car leur premier objectif est de

réduire tous les hommes à leur état d’esclavage.

Il y a un autre type de faux hommes d’action, ce sont ceux qui disent : « c’est

nous qui font tout, et le reste ne fait qu’appliquer nos consignes ; donc nous

sommes les maîtres des hommes. »

« Il y a de faux hommes d’action : il est l’un d’eux. Il vous dit :« j’ai constamment vécu d’une manière totale, ma vie une suiteininterrompue d’action, de batailles données et gagnées. Cettecontrée où je suis arrivé pauvre et orgueilleux il y a plus de vingt ans porte les cicatrices de mon action. Elle témoigne pour moi. Elleme reconnaît. » Ainsi, il ment et il se ment. » CH. IX ; P. 98

Croyez-vous qu’un homme, tout seul, peut tout faire ? S’il ne prévient pas la

condition humaine, impossible. Le monde tel qu’il est, est le produit de tous les

humains, sans exception ; soit par le Bien, ou par le Mal, tout le monde en

  participe. Alors, comment un seul être humain, par toute sa faiblesse et son

impuissance, vient nous dire qu’il est le maître et le petit dieu qui dirige tout ? Oùsont-ils donc passés les actes des autres ? Ou bien, juste parce que leurs actes

dépendent de lui, donc ils n’ont pas d’existence, ils sont abolis dans son nom. Ce

genre d’hommes ignorent qu’est ce qu’un acte réel, ils ignorent que leurs actes sont

les plus abstraits des actes humains ; car ils ne font rien de concret, ils ne font que

s’approprier les actes des autres ; mais dans la vérité, ils ne font rien, ils se croient

commander, et ils ignorent qu’ils sont commandés ; ils sont des hommes abstraits

comme leurs actes. Ils sont des esclaves comme les esclaves qui leur se soumettent.

C’est vrai qu’un chef de firme dirige au moins une centaine d’esclaves comme lui,

mais qu’est ce qu’il peut faire pour la vie humaine ? Rien, ses actes et sa puissanceà peine l’amène à satisfaire à ses instincts comme une bête féroce. Il est dirigé

47

Page 48: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 48/109

comme les esclaves qu’il dirige par les vrais dominateurs que l’instinct du Mal

dirige. Ainsi, tout acte qui n’engage pas les autres est un faux acte ; autrement dit,

tout acte qui mène à une hiérarchie entre les hommes est un faux acte. Finalement,

les actes d’un homme, soit qu’il dirige ou qu’il soit dirigé, s’il n’engage pas toute

l’humanité, mais qu’il agisse seulement pour satisfaire à des propres besoins, cesont des actes abstraits.

Des actes abstraits, ce sont des actes qui répondent à une seule partie de l’être,

la partie matérielle ; mais la matière n’est pas l’être ; pour cela qu’on appelle ces

actes des actes abstraits.

« Il attendait quelque chose de funeste, il ne croyait pas à ses propres projets. Pas de répit, de relâche : la pompe aspirante, quividait sa vie, continuait à monter et à descendre comme une

respiration fatale. Il allait, de plus en plus souvent, jusqu’à direqu’il abandonnerait tout un jour, laissant ses stocks de cuir, sesréserves d’essence, ses piles de registres, et ses classeurs. Mais cesmatières, ces registres étaient devenus sa matière : la fuite l’aurait tué. » CH. IX ; P. 101

Des actes abstraits, ce sont ceux par lesquels un individu à peine arrive à

satisfaire à ses besoins personnels, des besoins qui se limitent dans ce qui est

matériel. Mais ce que tout le monde sait, c’est que l’être humain se distingue des

êtres non-humains par ce côté non-matériel de son être, et non pas par le côté

matériel. Mais le fait de n’exister que pour et par la matière, c’est effacer cette

distance qui sépare l’homme des autres espèces vivantes. Pour cette raison, il faut

que chaque humain dépasse l’intérêt personnel de l’individu au Bien commun. En

 plus, un acte abstrait, c'est-à-dire individuel, n’a pas de dureté, il finit dans le

moment où il se fait. Par contre, un acte engagé est un acte qui a des faits sur le

destin de la vie humaine, il est donc éternel. Ce qui fait qu’un acte abstrait qui est

un acte individuel est un acte éphémère. Ainsi, un homme qui agit abstraitement ne

croit pas à ses actes, parce que ses actes ne répondent pas à sa volonté, mais juste à

ses besoins charnels. Alors, l’utilité de ses actes finit au moment où son corps

s’arrête de bouger, comme un animal ou un objet. Il n’a rien laissé de traces qui

 pourraient rappeler son existence ; ce qui fait que ses actes étaient abstraits. Pour dire les choses plus simplement, un acte abstrait est un acte qui ne s’engage pas

d’abord à la vie humaine, il est donc individuel, et parce qu’il est individuel, il est

donc éphémère du fait que son utilité n’est que pour satisfaire à un besoin très

 particulier. Dans ce sens, un homme des actes abstraits est un homme matériel ;

mais le plaisir qu’on tient de la matière est un plaisir court et momentané. En

opposé, quand on agit par volonté, et on arrive à le faire ; la mort ne demeurait plus

une source d’angoisse ; car on a complété son âme par l’acte. Pourtant, un homme

qui n’agit pas par volonté, mais seulement pour avoir des objets matériels, il ne

 peut jamais être satisfait de soi, ni de son existence. Et son départ sera la grande

48

Page 49: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 49/109

 perte pour lui ; parce qu’il présente pour lui la séparation définitive de ces objets ;

toutefois, toute sa vie n’était que ces objets. Enfin, ses actes étaient abstraits.

Tout acte où il n’y a pas la volonté du sujet est un acte abstrait. En d’autres

mots, tous les actes de l’esclave sont des actes abstraits. Un acte réel est celui quirépond à l’âme de celui qui agit : un acte abstrait est un acte non-libre.

« Groupés sous des raisons sociales, ils ne cessent pas d’être en  proie à la cérémonie guerrière du commerce international, ils  faisaient penser à des nègres qui dansent dans la nuit pleine desesprits et des reflets, jusqu’à tomber. » CH. X ; P. 107 

Quand on parle des actes libres et des actes abstraits, on est plus ou moins dans

les hiérarchies qui classent les hommes au sein dans une communauté humaine.

Mais quand on dit qu’un tel acte est supérieur ou inférieur, cela ne veut pas dire

qu’on est en train de donner des jugements de valeurs à propos des actes des personnes ; mais tout simplement, on indique par cela le degré de la liberté par 

laquelle se fait un tel ou tel acte. En d’autres termes, ce n’est pas l’acte en lui-

même qui est inférieur ou supérieur, mais la manière dont il se fait qui le rend

supérieur ou inférieur. En clair, ce qui est important dans les actes d’un homme,

c’est est ce qu’il agit par liberté et volonté et choix original, ou il n’est qu’une

machine qui exécute des commandes. Ainsi, tout acte où la volonté et la liberté

individuelles sont absentes est un acte abstrait. Parce qu’il ne reflète pas l’âme de

celui qui agit. En outre, il ne crée aucun changement, comme s’il ne s’était pas fait.

Car quand on agit selon les ordres de la classe dominante, ses actes ne font que

continuer ce qui est. Ce qui fait que son acte n’a pas d’existence, il est donc

abstrait, transparent, il se fond avec les actes de tout le monde. En fait, tout le

monde réagit à partir du même modèle fait par le régime dominant. Enfin, un acte

abstrait est un acte où il y a une absence d’indépendance et d’autonomie du sujet ;

il est donc un acte qui se fait à partir des ordres imposés par autrui, et dont il n’y a

 pas de place à la liberté et la volonté individuelles.

Un acte abstrait est un acte qu’un homme fait, mais dont il ne trouve aucune

satisfaction qui le rappelle de son être et de son âme. En d’autres termes, un acte

abstrait est un acte que fait l’homme par ses propres mains, mais qui ne l’amène àaucun objectif original.

« Les objets de leur volonté n’existaient pas : c’étaient desessences abstraites, impossible même à personnifier pour les faireentre dans une prosopopée, le bilan, la balance, le crédit, lacirculation du capital, le succès commercial, le devoir 

 professionnel. Couchez-vous avec le capital pour ami ? Ces entitésles occupaient, emplissaient les minutes : elles volaient tout le tempsautour d’eux. Ils étaient abstraits. Ils exécutaient toutes les

consignes qui ne concernent pas les hommes, comme les ordres  secrets d’un vice dont ils ne pouvaient pas guérir. Ils disaient 

49

Page 50: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 50/109

 pourtant : la vie, malgré tout, ils pensaient : vivons. » CH. X ; P.111-112

Est-ce qu’il y a de plus abstrait que le fait d’agir pour se rappeler seulement

qu’on est pas encore mort. En fait, c’est la seule définition qui correspond à des

actes faits sans liberté ni volonté. Des actes qui ne concernent pas l’homme ; maisils se font pour un système immense qui tue toute volonté individuelle. Ce système

immense, on peut le nommer le régime dominant qui a presque anéantis tous les

hommes qui vivent sous sa domination. En effet, ils ne dirigent point leur vie,

 pourtant, ils sont dirigés. Donc, ils ne changent rien dans le destin de l’humanité,

leur propre destin ; qu’ils soient ou non, rien ne changerait ; ils sont donc abstraits.

Ce qui est de plus pire dans les hommes de l’abstraction, c’est qu’ils produisent

une sorte de vide dans l’existence humaine. L’existence humaine perd tout sens et

toute raison pour être vécue.« Parce qu’ils sont nombreux et collés les uns sur les autres oncommence par les croire impénétrables : beaucoup de transparence

 fait de l’ombre. C’est la description du mica. Il suffit de trouver les plans de clivage : chaque lamelle, chaque homme séparé sont alorstransparents. » CH. X ; P. 113

Les hommes de l’abstraction sont des hommes typiques qui font les mêmes

actes selon les mêmes modèles. Cette identité des actes reflète un vide et une

impuissance humains. L’homme devient incapable de tracer son chemin par soi-

même, de faire une décision sérieuse à propos de son propre destin ; il devient

dépendant de l’autre dans tout acte qu’il fait. Les hommes se diffèrent par leurs

volontés, mais si la volonté est exclue de l’acte humain, les hommes se

diffèreraient par quoi ? De là, les actes abstraits ne limitent pas seulement la liberté

individuelle, mais ils anéantissent aussi la nature et les capacités humaines. D’où

vient la nécessité de la liberté d’agir, car sans liberté, on aurait que des

marionnettes et des hommes inachevés ; mais pas des hommes réels. Autrement

dit, si tout homme se définit par l’ensemble de ses actes, quelle identité aura-t-il un

homme, quand tous ses actes ne lui appartiennent pas ; quand ils sont imposés par 

autrui ? Est-ce qu’on dirait qu’il est l’autre, ou qu’il n’est pas ? Que dirait-on

quand tous ses actes sont pareils aux actes de tout le monde ? Quand tout le monderéagit de la même manière, selon le même modèle ? Est-ce qu’on dirait que les

êtres humains ne se diffèrent pas l’un de l’autre ; qu’ils sont comme des objets.

Mais l’être humain n’est pas un objet ; il a une âme, et toute âme est une exception

  par rapport aux autres âmes. Il faut donc que chaque individu défende la

 particularité de son être ; parce que par cette particularité qu’un homme réel se

distingue d’un homme abstrait, et un être humain d’un être qui n’est pas humain.

Quand on agit au nom des valeurs abstraites, cela veut dire que nos actes son

aussi abstraits. Un acte réel doit conduire à une fin réelle.

50

Page 51: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 51/109

« Sale encore des excréments et de la crasse de sa guerre. Elle gémit sur sa pauvreté, sur sa dignité, sur sa mission spirituelle et dela petitesse de ses bénéfices et la grosseur de sa bonne volonté. Car elle est menée par des marchands hypocrites qui cachent les profits

des bilans et pleurent sur la dureté des temps. Leurs voix répètent en son nom qu’elle est la capitale de l’esprit, la fille aînée de l’Eglise,la muse de la démocratie : ainsi nourrissent-ils d’illusions leshommes que les hasards des mariages, de l’amour et des voyage ont doués de la qualité de français. » CH. XV ; P. 142

Pour bien asservir les gens, il ne faut pas se servir de la violence, la violence

n’engendre que la violence ; mais il faut de la ruse, il faut asservir les gens sans

qu’il le sachent, c’est la meilleure des méthodes pour asservir un être humain. Les

valeurs, la loi, la morale, la religion : toutes ces chienneries et ces mensonges font

 partie de cette ruse trompeuse. Au nom de ces mensonges, un être humain est prêtde sacrifier sa vie ; mais il ne s’est jamais demandé pourquoi les dominateurs ne

sacrifient pas leur vie à aucune valeur ; ce sont les pauvres qui doivent toujours se

sacrifier. Prenons pour exemple la guerre au nom de ce qu’on appelle le

 patriotisme : cet ensemble de bêtes qu’on appelle le peuple, c’est ce qu’on offre

toujours à la boucherie ; tandis que les dominateurs gardent la distance en

regardant de loin ayant peur de pourrir leurs costumes par des gouttes envolées du

sang. Le jour où finira la guerre, qu’on sorte vainqueur ou vaincu, tous les maux et

les pertes, le peuple, seul, doit les subir. En ce sens, pour un homme ordinaire, le

 peuple est victime de ses dominateurs ; mais pour un homme existentialistes, le

 peuple n’est victime de personne, pourtant il est responsable de son exploitation.

Parce que le jour où il est parti à la guerre, il n’a pas bien déterminé les fins et les

objectifs de ses actes ; il est parti au nom d’une valeur abstraite qu’est le

 patriotisme ; qu’il subisse donc les fins abstraites de ses actes. De même, un acte

abstrait est celui qu’on fait sans avoir déterminé la fin et l’objectif qu’on vise à

 partir de cet acte. Par opposition, un acte réel est celui qu’on fait pour un objectif 

visé, c'est-à-dire qu’il se fait par la volonté et la conscience du sujet. Mais le fait de

faire ce que les autres font, ou ce qu’autrui vous demande de faire, sans savoir à

quelle fin conduira votre acte, ce n’est pas un acte réel, mais c’est un acte abstrait

 parce qu’il n’a pas une propre existence.

Un acte abstrait est aussi celui qui ne correspond pas aux pensées du sujet ;

autrement dit, un acte réel est celui qui traduit la volonté du sujet agissant.

« Les français vivent tous les jours de leurs interminables viescomme des escargots dans leurs coquilles, trop lourdes pour qu’ils

  franchissent avec elles les grands déserts qui les séparent desactions et des pensées. Ils s’arrangent avec une habilité de vieuxtitulaires des rentes viagères pour rien n’arrive parmi eux. Pas

même ces rencontres d’automobiles pleines de fusils mitrailleuse,

51

Page 52: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 52/109

dernière ressource américaine pour s’amuser en société. » CH. XV ; P. 144

Un acte abstrait est dit à un acte qu’un homme fait, mais dont il dit : « moi je

fait mon travail, mais ça n’a rien avoir avec mes pensées, ma personne… » Quand

un homme dit une chose ainsi, il affirme son état d’esclave ; et tous les actes d’unesclave sont abstraits, parce qu’ils n’ont pas de propres existence. Au contraire,

avant qu’un homme agisse, il doit se demander d’abord est ce que cet acte qu’il est

en train de le faire correspond à ses normes ou non. Ainsi, tout homme qui agit

sans que ses actes soient conformes à ses pensées est un homme abstrait. Un acte

abstrait est donc un acte où il n’y a d’accord entre les pensées du sujet et ses actes.

C’est le cas de ces esclaves dits soldats qui travaillent sous la pitié d’un despote,

qui leur demande de tuer tout homme contrariant son despotisme. Quand on leur 

dit pourquoi vous faites ça bien que vous sachiez que ce n’est pas juste. Ils lui

répondent qu’ils n’ont pas de choix, et qu’ils ne sont pas d’accord avec ce qu’ilsfont, mais c’est leur travail : en somme, parole d’esclaves. Mais s’ils réfléchissent

un peu sur leurs actes, ils trouveraient que c’est eux qui les font, et s’ils arrêteraient

de les faire, ces actes ne seraient pas. Un homme peut payer un homme pour lui

rendre un service ; comme il peut l’empêcher de faire un quelque chose ; mais

 jamais qu’il l’oblige à faire quelque chose sans sa volonté. De plus, ce despote est

 puissant par quoi ? C’est par la soumission des esclaves à ses ordres ; mais s’ils

renoncent tous à obéir à ses ordres, il devient le plus faible dans le monde ; car il

est habitué de ne vivre que par les actes des autres, tout seul ne peut rien faire, il

mourra. Enfin, un homme ne doit agir de telle ou telle manière que s’il trouve dans

ses actes le reflet de son âme, de ses propres valeurs, sinon tout autre acte est

abstrait.

L’abstraction est une contagion qui menace toute l’humanité, mais pour mieux

la définir, il faut aller à se source qui est la classe bourgeoise qui se présente

comme l’abri idéal de l’abstraction.

« Réalité dissoute. Existence de fumée. Passion des rêves. Ni vu,ni connu, l’homme est passé au compte de profits et pertes. » CH.

 XV ; P. 146 

Un homme bourgeois agit pour quel objectif ? Pour des profits luxueux. Maisles profits ne s’actualisent que par l’achat des objets. Alors, tous les actes de

l’homme bourgeois ne mènent que vers la possession des objets. Il vit donc pour 

les objets, sa vie est une vie d’objets ; c’est un homme d’objets, ou un homme

objet. Voilà un vrai acte abstrait : un acte qui réduit son faiseur à l’état d’un objet,

du fait que le sujet ne s’actualise pas en agissant. Autrement dit, ses actes ne sont

 pas pour réaliser soi, mais juste pour avoir des profits ; il devient donc un objet

entre les mains de ceux qui dirigent ses actes, sa vie et lui-même, il est autrement

un esclave. Le jour où ce pauvre bourgeois mourra, que nous nous rappèlerons de

lui ? Quelle détermination donnerons-nous à son existence ? Il n’a rien fait de personnel, tous ses actes étaient imposés par autrui, ils ne reflètent pas sa propre

52

Page 53: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 53/109

 personnalité. Ce n’est pas la peine de se rappeler de lui ; car il n’a rien fait de

  particulier, ni d’original pour être rappelé. Tous ses actes étaient des simples

exécutions des commandes venues du chef de la firme. Donc le fait d’en se

rappeler, c’est se rappeler du chef de la firme et non pas de lui exactement ; son

existence est anéantie au nom d’une autre personne, elle était donc abstraite. Voicienfin ce que veut dire un acte abstrait, c’est un acte qui ne renvoie pas à la

 personne qui agit, mais à une autre partie qui dirigeait ses actes, comme s’il était

un petit enfant encore mineur. Alors ses actes n’avaient actualisé son existence par 

aucune manière. Pour dire les choses plus simplement, un homme bourgeois ne

réagit pas pour actualiser son âme, mais il réagit juste pour avoir des profits

luxueux. Ce qui fait que tous ses actes sont dirigés par autrui, ils ne reflètent donc

rien de sa personnalité. Cela veut dire que l’homme bourgeois est un homme

abstrait du fait qu’il n’a pas actualisé soi par ses actes. Car comme on l’a vu, le

destin d’un homme est l’ensemble de ses actes ; mais quand ses actes ne luiappartiennent pas, son destin n’est pas son vrai destin, mais c’est un destin imposé

sur lui, ses actes n’en rien modifient, c’est pourquoi on les appelle des actes

abstraits.

« Ils commanditent, petitement ou grandement, ils sont porteursd’obligation et touchent des sommes abstraites versées par desdébiteurs abstraits : une ville, une compagnie, un Etat, un cheminde fer. Ou ils possèdent des actions : des ouvriers de chair travaillent pour allonger leur existence de fantômes. Entre les êtreset eux, la vie humaine et eux, la banque est suivie de son cortège

 fantastique de bourses, de charges, d’agents de change. Le genre de possession et de profit bourgeois les sépare de tout ce qui est réel :ils connaissent seulement des signaux et de féeriques contacts àdistance. Leur monde est magique. Le jour où ces gens tiennent entre les mains un pouvoir timbré, un titre vert, ils participent à lanature mystique d’un être qui n’existe pas. Ils absorbent leurshosties de capital. » CH. XV ; P. 146-147 

Les actes des bourgeois ne sont qu’une autre forme de servitude et d’esclavage.

On ne leur donne pas la liberté d’agir afin qu’ils demeurent dépendants pour toujours au régime dominant. D’où, un acte abstrait pourrait être définit par un acte

où la liberté individuelle est écrasée par une puissance supérieure, et par lequel

l’individu n’arrive à réaliser aucun objectif concret ni voulu, ni à réaliser son

autonomie. En ce sens, un acte abstrait est celui qui enchaîne l’homme dans un état

de dépendance et de soumission. Il ne l’aide pas, en d’autres termes, à être soi et à

évoluer, il reste soumis à la volonté de l’autre. De ce point de vue, un acte abstrait

est un acte qui ne conduit à aucun changement ou évolution : il est conformiste.

Cela veut dire que tout acte qui ne mène pas l’individu à évoluer est un acte

abstrait.

53

Page 54: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 54/109

Mais quel rapport entre l’abstraction et l’existence humaine ? Il y a un rapport

d’évolution et d’indépendance ou d’anéantissement. Pour mieux expliquer les

choses, la vie humaine se diffère de la vie bestiale par ces normes qu’on prétend

comme justes, par lesquelles il n’y aurait ni partie opprimante ni partie opprimée,

comme dans la vie bestiale ; et l’évolution humaine n’est que la quête de cette justice absolue. Mais le changement de l’état bestial à l’état humain ne pourrait se

réaliser que par la révolte de la partie opprimée ; mais si les actes de cette dernière

sont abstraits, conformistes et soumis, il n’y aurait donc aucun changement ni

évolution. Autrement dit, il n’y aurait aucune différence entre la vie humaine et la

vie bestiale ; peut être, il n’y aurait même pas quelque chose qu’on appelle

humanité. Dans ce sens, l’abstraction égale anéantissement de l’humanité, et son

absence est la première condition pour l’évolution de l’humanité.

Ce qui est de plus mauvais chez les hommes de l’abstraction, c’est qu’ils nesavent pas que leurs actes sont abstraits ; pour eux, tous les actes sont pareils dès

qu’ils mènent à la possession des objets.

« On peut rencontrer un Homo Economicus fonctionnaire,ouvrier même. C’est un animal content de son économie du profit 

 supplémentaire. Bien qu’il répète avec l’amour des sentences : on arien pour rien, il a ce profit sans rien donner en échange. Il tient d’autant plus à lui que ce profit est vraiment gratuit. Il a le corpsd’un homme. » CH. XV ; P. 148

Un homme abstrait est un homme soumis sans qu’il le sache ; pour cela qu’il est

docile dans sa soumission et son obéissance. Un homme bourgeois se croit que les

 profits abstraits qu’il atteint par ses actes abstraits sont vraiment gratuits, que ses

actes méritent vraiment ces profits. Il ne sait pas qu’il en a donné son âme en

échange, son être, sa liberté et tout pour des objets qui ne servent à rien pour la vie

d’un homme. Prenons pour exemple ce pauvre bijoutiers qui se croit libre parce

qu’il peut acheté un pantalon bleu ou noir sans que personne ne l’empêche. Il se

croit vraiment qu’il est le maître de sa vie, de sa famille, de son existence, de soi-

même ; mais il ignore qu’il est dirigé vingt quatre heure sur vingt quatre ; il ignore

qu’on peut faire tout de sa vie, qu’il n’est qu’une membre de cette troupe qu’on

domestique et qu’on garde sous sa surveillance. Il ignore que le corps tout seul ne peut pas définit un être humain. Il ignore que l’être humain a une âme et que cette

âme doit être réifiée par des actes. Il ignore tout. Pour lui, vivre ne demande que

manger, dormir, baiser ; comme une bête sans aucun projet ou volonté spéciale qui

le différencie des autres. Un acte abstrait est donc un acte qui répond seulement

aux exigences du corps sans prendre en considération celles de l’âme. Enfin, ce

qu’il faut retenir, c’est pour parler d’une vie proprement dite humaine, il faut qu’il

n’y ait ni des maîtres ni des esclaves, mais des hommes libres dont chaque individu

agit avec liberté, volonté et conscience ; du fait que tous les êtres humains ont les

mêmes capacités physiques et mentaux.

54

Page 55: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 55/109

En résumé, un homme d’abstraction est un homme qui agit sans liberté ni

volonté individuelles. Ainsi, un acte abstrait est un acte qui se fait non pas par la

volonté mais par la soumission. Il ne reflète donc aucun trait ou caractère de

l’identité du sujet. En conséquence, le sujet n’arrive pas à actualiser son existence par ses actes ; ce qui fait de son existence une existence de fumée, c'est-à-dire

abstraite. Parce que son âme était absente au niveau de l’action. En effet, ses actes

ne répondent pas à son être ni à ses pensée, mais ils étaient juste pour satisfaire aux

exigences du corps. Cela veut dire que les actes abstraits sont des actes qui

anéantissent l’homme, en le réduisant à l’état d’un objet. On entend aussi par des

actes abstraits des actes qui ne conduisent à aucune évolution de l’être humain en

 particulier, et de l’humanité en général. Autrement dit, ce sont des actes qui

n’amènent pas l’individu à gagner son autonomie, et à être soi. Par contre, ils

l’enchaînent dans un état de dépendance et de soumission, ils sont autrementconformistes. Le danger de l’abstraction, en plus qu’elle nie la liberté et la volonté

individuelles, elle anéantit la nature humaine ; du fait que l’individu perd son

identité et sa particularité par rapport aux autres, pour la raison qu’il agit à partir 

des consignes et des modèles préétablies imposés par autrui. A cet égard, elle aide

à l’augmentation des inégalités entre les hommes. Or les inégalités et les injustices

ne s’effacent que par la révolte ; mais dans des actes abstraits, il y a que la

soumission, donc pas de changement ni d’évolution. Pour cela, il faut que chaque

acte soit engagé d’une part, et qu’il ait un objectif visé par le sujet d’autre part.

Si l’abstraction constitue, pou Nizan, le contraire de ce qu’il faut être une action

réelle ; qu’on voie, dans le chapitre qui suit, ce que veut dire cet acte dit réel.

55

Page 56: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 56/109

 

CHAPITRE II

UN ACTE REEL

56

Page 57: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 57/109

Si l’acte abstrait se caractérise par l’absence de la liberté et la volonté

individuelle et surtout par l’absence de l’engagement à la vie humaine, il est

 possible que l’acte réel soit le contraire de l’acte abstrait, c'est-à-dire un acte où

réunissent ces trois qualités.

L’une des qualités qui font d’un acte un acte réel est son réalisme. C'est-à-dire,

un acte qui a comme objectif un fait réel et non des illusions. Autrement dit, c’est

un acte qui s’engage directement à la vie humaine, et qui met le sujet en contact

direct et réel avec son milieu.« Voilà en somme une signification de la vie humaine : leshommes ont tenir compte des renseignements sur la densité, sur ladirection de la pesanteur : cela ne les empêche pas de vivre, cette

 fatalité n’a réellement pas plus d’importance pour leur bonheur quele fait d’avoir quatre membres et une tête seulement : ils finissent même par en retenir du plaisir lorsqu’ils ont saisi que l’expansionde l’homme et son enrichissement ne sont peut-être pasnaturellement illimités. » CH. VI ; P. 81

Le monde est le même partout, je veut dire les hommes sont les mêmes partout,

la différence est dans la manière d’agir chez chaque communauté. Communauté

égale l’ensemble de ses individus. Alors, la différence entre les différentes parties

du monde n’est que le reflet de la différence entre les actes des hommes. Un

homme qui ne se trouve pas dans ses actes dans une communauté, il ne va pas se

trouver au sein d’une autre communauté. Parce que ce ne sont pas les

communautés qui déterminent les actes des individus, mais ce sont les individus

eux-mêmes. En clair, c’est l’individu qui choisit sa manière d’agir. C’est vrai que

la communauté emploie tous les moyens pour maintenir les gens sous ses lois ;

c'est-à-dire qu’elle définit bien leurs actes. Mais ce procédé on le trouve partout

dans le monde, dans toutes les communautés humaines. Alors, ce qui diffère lesindividus, c’est leur manière de réagir contre ces lois. Il y a ceux qui se soumettent

57

Page 58: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 58/109

et s’aliènent facilement ; et il y a ceux qui se révoltent contre tout acte ou loi qui

contrarie leur volonté. Donc la manière d’agir ne dépend pas de la communauté

mais de l’individu lui-même. Pour cela, il faut qu’un acte humain soit en contact

direct avec le milieu où vit le sujet. Pourtant, un homme qui dit qu’il ne se trouve

 pas au sein d’une communauté, il doit savoir que sa preuve n’est qu’une forme de paresse et de lâcheté vis-à-vis de ceux qui l’écrasent et lui oppriment ses droits.

Ainsi, pour qu’un acte soit réel, il faut qu’il fasse de la vie humaine à laquelle

appartient le sujet son objet primordial. C’est la seule manière d’agir qui puisse

affirmer à l’individu soi au sein de la vie humaine.

Un homme réel n’a pas besoin de valeurs ni d’illusions pour qu’il agisse. Tout

homme est capable de distinguer entre le Bien et le Mal, donc tout homme est

capable d’agir à partir de lui-même sans gouvernement de personne.

« Le capitaine Blair produit des actions réelles, quand il faut, il monte sans y penser jusqu’à une espèce de sublime professionnel, sans se dire que le moment est venu d’être sublime. (…) Blair necroit pas sauver son âme, mais Blair commande. Il lutte contre les

 sauts de vent, l’arrivée des grains, des courants, se méfie des lignesde récifs. (…) Il connaît qu’il arrive des moments où il ne faut pas

  se tourner les pouces, mais décider et ordonner parce que tout dépend de la vitesse et de la sûreté d’un petit nombre demouvements. » CH. VI ; P. 85-86 

Un acte réel se fait selon les exigences de la situation où l’individu se trouve, et

dont il agit à la manière qu’il voit, lui, comme la bonne décision. Qu’elle soit

 bonne ou mauvaise, elle reflète son être, et ça ce qui est important dans les actes

d’un homme : c’est de se trouver par ses actes. Autrement dit, combler son

existence, et lui donner un sens, un sens propre à lui, ce sens qui sera sa propre

identité et son propre destin. Un acte réel est donc un acte qui traduit directement

la volonté du sujet sans l’intermédiaire d’aucun système de déterminisme quoique

ce soit. En outre, un acte réel n’est pas un acte exceptionnel ou légendaire pour 

aller le chercher je ne sais où, mais tous les actes d’un homme pendant tout le

temps doivent être réels. En d’autres mots, un homme réel n’attend pas des

miracles ou des aventures magiques pour qu’il fasse un acte réel ; un homme réelest tout simplement un homme qui agit librement, qui n’est pas esclave dans ses

actes ; mais il agit pendant tout le temps suivant ce qui conforme à sa volonté. Car 

ce ne sont pas les aventures ou les miracles qui forment nos vies, mais ce sont

  plutôt les petits évènements. Alors pour être un homme réel, il faut l’être en

agissant librement dans ces petits évènements. En effet, un homme libre est libre

 pendant tout le temps, car une liberté partielle n’est pas une liberté, mais une

servitude détournée. Enfin, un acte réel est tout acte qui se fait par liberté et par 

volonté, et qui a pour objectif un fait concret et non des illusions. C'est-à-dire ce

qui est important dans un acte humain c’est ce qu’il donne à l’humanité. Par exemple, un paysan qui travaille la terre et nourrit l’humanité par ses actes est

58

Page 59: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 59/109

 placé au-dessus d’un sportif qui prétend apporter l’honneur, une idée abstraite, à

son pays. Un acte réel doit avoir une fin réelle, concrète. En plus, par des actes

réels, l’homme s’engage à la vie humaine, ce qui mène l’individu à déchiffrer tous

les secrets et les interdits de la vie humaine ; cela lui donne la possibilité de se

défendre contre toute forme d’écrasement venue des autorités supérieures. Par contre, un acte individuelle éloigne l’homme de la vie humaine de sorte que tout

devient pour lui étrange, et par conséquent une source d’angoisse. Du fait que

quand on ne s’engage pas à une vie, tout nous apparaît comme supérieur, et qu’il

nous dépasse. Cela fige l’homme dans un état d’infériorité et de dépendance. Ainsi,

un acte réel n’est pas seulement celui qui se fait par liberté et volonté, mais il doit

être un lien qui relie l’individu à la vie humaine, afin d’assurer sa partie dans le

monde.

Ainsi, un homme réel ne se sent vivant qu’au moment où il agit. Car rien ne luiassure son existence que ses actes originels qui le diffère de tout le monde. Ces

actes sortant de son âme, où il se voit, et par lesquels il se définit.

« Il est complet quand il fait un métier d’homme (…) Sansaucune analyse qui les sépare de leur action. Blair est ainsi, vivant tout le temps que dure son acte : mais il n’en sait qu’un, c’est sonmalheur. Le reste du temps, il n’y a pas tous les jours des tempêtes,des ports difficiles, il s’emmerde, il regarde son cargo comme unecellule. (…) Il sait seulement que la navigation n’est pas commode :

 son action est dirigée là où elle possède tout son efficace. » CH. VI ; P. 86-87 

Un acte réel est le seul qui affirme au sujet son existence. En effet, qu’est ce

qu’un acte réel que le fait de répondre aux voix de son âme. Il est donc le moment

où l’homme s’actualise, prend une forme, une identité, une existence particulière,

 propre à lui, par laquelle il peut se définir en autonomie de l’autre. Il peut enfin

faire ce qu’il en a envie sans être dirigé par autrui. Il devient responsable de ses

actes : il devient un homme complet, comme tous les hommes devraient être. Voici

ce que veut dire en somme un acte réel : c’est l’autonomie et la liberté totales de

l’individu pou pouvoir agir. Pour cela que l’absence de l’action, pour un homme

réel, est un enfer ; car cet état lui rappelle la mort, là où toute action est impossible.Par contre, la vie est le lieu unique pour tous les actes ; qui rate cette chance n’aura

 pas une autre. C’est la raison pour laquelle l’homme existentialiste défend la liberté

d’agir ; parce qu’il sait s’il n’actualise pas son être dans sa vie, cette vie qui ne lui

appartient que lui seul, il ne pourrait jamais l’actualiser. C’est pourquoi, il met

toute son efficace dans ses actes ; car il sait que cette efficace n’est utile qu’au

moment où on peut agir ; là où on ne peut pas agir, son être tout entier sera inutile.

En ce sens, l’acte réel ne doit pas être un choix superflu, mais une nécessité ; car 

soit qu’on vive en agissant librement, soit que ce ne soit pas la peine qu’on vive.

En effet, est ce que la vie est un autre chose que s’actualiser par ses actes. Mais sion n’a pas le droit d’agir volontairement, pourquoi vivre donc : si nos actes sont

59

Page 60: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 60/109

dirigés par autrui, cela dit qu’on ne vit pas pour soi mais pour autrui. Si les

hommes s’ennuient, c’est parce qu’ils ne trouvent pas ce qu’ils veulent ; ce « ce

qu’ils veulent » qu’on appelle un acte réel. Finalement, un acte réel est un acte où

on a conscience de soi, où on se sent soi.

Tout homme qui ne fait qu’appliquer des actes qu’on lui demande, sans choix ni

volonté est un esclave ; un acte réel naît d’un choix originel fait par le sujet.

« Les manœuvres arabes travaillent et chantent les airs dutravail dans l’étuve calcinée des magasins. Ils ne savent plus leurs

 gestes si le rythme est absent. » CH. VII ; P. 92Parce que les manières qu’utilisent les dominateurs pour asservir les gens sont

changées, les gens se croient qu’ils sont changés à leur tour des esclaves en

hommes libres. Mais s’ils méditent un très peu sur les actes qu’ils font, ils

découvriraient que rien n’était changé réellement. Les esclaves sont encore desesclaves et les maîtres sont encore les maîtres. Revenons à la conception ancienne

de l’esclave : qu’est ce qu’un esclave ? Un esclave est être humain soumis à un

autre être humain et qui ne réagit que suivant les consignes de son maître, c'est-à-

dire qui n’agit pas à partir de ses propres pensées, de sa propre volonté. Un

  banquier, un professeur, un médecin, un avocat, sont toutes des nouvelles

 professions que leurs faiseurs se croient libres. Mais est ce qu’un banquier fait tout

ce qu’il veut ; est ce qu’un professeur fait ce qu’il veut ; un avocat, un juge… Tous

font ce qu’on leur demande, personne n’agit volontairement, tous réagissent à

 partir des consignes très précises posées par les dominateurs. Voilà donc les vrais

hommes, ce sont les dominateurs ; mais il leur manque l’intelligence ou la liberté

intérieure pour être des hommes réels : ils sont guidés par l’instinct de l’amour de

soi comme des animaux. Retournons aux esclaves chez qui un acte, il serait

impossible de le qualifier par libre ou réel. Le malheur des esclaves c’est qu’ils ne

  peuvent pas changer leur destin qui est l’ensemble de leurs actes, même s’ils

savent que leurs actes sont contre eux. Un professeur qui a comme programme des

textes conformistes qui servent à planter l’éducation de la soumission et de

l’aliénation dans les nouvelles générations, il ne peut rien changer ; car il est

habituer à ne faire que ce que lui est demandé, et non pas le contraire. C’est ça la

morale d’un esclave : subir le malheur sans penser à se révolter. Autrement dit,faites juste ce qui vous est demandé, n’ajoutez rien, votre volonté n’a pas de

dignité ni de valeur. Si cela constitue l’acte non-réel, un acte réel serait le fait de ne

faire que ce que vous voyez vous comme le juste et le bon ; car vous ne le voyez

ainsi que s’il est forcément ainsi pour votre vie.

A côté de l’acte réel, il y a aussi la pensée réelle qui constitue l’âme de l’action.

Elles vont ensemble, chacune ne vaut que par la présence de l’autre.

« Cette vie selon les choses possibles est la récolte de l’ennui.

C’est une existence où n’ont lieu aucune opération, aucune penséeréelle de la faculté de penser. Une pensée c’est ce qui est actuel,

60

Page 61: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 61/109

dans l’actualité sont réunies une présence immédiate e quelqueactivité : une pensée comporte des objets qui sont placés à uncertain moment, en un certain lieu ; elle dirige toutes ses ressourcesvers eux et les met en œuvre en leur honneur. Une pensée a envie de

quelque chose. Elle veut une fin. » CH. XII ; P. 122Une pensée réelle est une pensée qui s’engage à la situation actuelle de la vie

humaine d’où fait partie le sujet. Précisément, quand on dit « s’engage », cela veut

dire qu’il y a de l’action. Alors, la pensée, selon les existentialistes, n’est plus cette

idée abstraite quand entend habituellement par pensée ; mais pour eux, une pensée

ne peut être réelle que si elle est actualisée par des actes. Car chaque pensée doit

forcément avoir une fin. Il n’y a pas une pensée ou une idée qui existe juste pour 

qu’elle existe, sinon de l’abstraction ; mais toute pensée existe pour aboutir à un

acte, elle est donc dans sa puissance un acte en état virtuel, qui attend d’être

actualisé par l’action. En ce sens, une pensée réelle est celle qui dirige les actes del’individu ; l’action n’est donc que l’actualisation concrète de cette pensée dite

réelle ; et cette pensée ne serait réelle que si elle est actualisée par l’action. D’où,

on conclut que la pensée et l’action doivent aller ensemble, elles sont inséparables,

on ne peut pas parler de l’une sans qu’il y ait l’autre : chacune tient son utilité de

l’autre. Pour mettre les choses en œuvre, du fait que les notions action et pensée

sont un peu abstraites, remplaçons le mot pensée par valeur ou des valeurs, et le

mot action par ce que fait un homme, son métier. Pour les existentialistes, un

homme doit inventer ses propres valeurs, mais ces valeurs n’auraient d’importance

ni d’utilité que si elles seraient appliquées dans ses actes. Autrement dit, l’acte

d’un homme ne serait réel que s’il correspond à ses propres valeurs. C’est ce que

 Nizan voulait dire par qu’une pensée ne soit réelle que si elle serait actualisée par 

l’action.

Un acte réel ne demande pas quelque chose d’impossible, il défend tout

simplement les droits naturels de l’homme, ni plus ni moins.

« L’action met en avant de bien autres complices que toutes vosalgèbres : des pouvoirs, des besoins, des possession. Tout doit viser à la conciliation de ces complices naturels dont vous essayez 

d’étouffer les voix avec beaucoup de ruses et de savantes précautions, sous toutes les tentures de la bonne logique et da la sainte morale des affaires. » CH. XII ; P. 128

Un acte réel ne cherche que faire retourner à l’homme ses droits arrachés. En

d’autres mots, tout acte dit réel doit s’être agit pour défendre les droits de

l’homme. Ou d’une autre manière, un acte humain ne se reconnaît comme réel que

s’il a comme objet la défense des droits naturels de l’homme. Ces droits naturels

que Nizan divisait en trois catégories : des pouvoirs, des besoins et des

 possessions ; c'est-à-dire avoir ce que tout homme doit avoir, être égal à tous les

hommes dans tous les droits qui font de l’être humain distingué des animaux.Ainsi, par un acte réel, un homme ne défend pas seulement sa liberté mais aussi sa

61

Page 62: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 62/109

 part et sa partie dans le monde, sa place parmi les hommes, contre ceux qui l’en

oppriment. Enfin, un acte réel ne doit pas défendre seulement une partie de la vie

de l’homme, mais sa vie toute entière. En clair, un acte qui défend ou bien la vie

matérielle, ou bien la vie morale n’est pas un acte réel. Au contraire, un acte réel

doit défendre à la fois ce qui est matérielle comme le droit de la possession et lasatisfaction des besoins charnels, et ce qui est morale comme la liberté de la

croyance, etc.

Pour qu’un homme puisse agir librement, et que ses actes soient réels, il doit ne

 pas se laisser dominé par la possession des objets sans aucune importance.

 « Les français vivent tous les jours de leurs interminables viescomme des escargots dans leurs coquilles, trop lourdes pour qu’ils

  franchissent avec elles les grands déserts qui les séparent des

actions et des pensées. Ils s’arrangent avec une habilité de vieuxtitulaires des rentes viagères pour rien n’arrive parmi eux. Pasmême ces rencontres d’automobiles pleines de fusils mitrailleuse,dernière ressource américaine pour s’amuser en société. » CH. XV ;

 P. 144Pour pouvoir agir réellement, il faut ne pas s’attacher aux objets ; pourtant, il

faut s’intéresser plus à la position dans la société. En d’autres termes, un acte réel

ne doit pas avoir comme fin la possession de certains objets, mais qu’il mène à

l’actualisation de l’existence du sujet. Car le fait d’agir réellement, c’est confronter 

l’autre, et souvent cet autre soit le dominant. Ce qui fait que les chances pour le

vaincre sont limitées. C’est pourquoi les hommes réels sont rares ou peu

nombreux. Car la plupart des hommes se suffisent de ce qu’ils ont, même abstrait

ou vain qu’il soit. En opposé, un homme réel ne s’intéresse pas trop à la possession

des objets, qu’à la réalisation de soi au sein de la vie humaine : sa liberté et sa

 position. En effet, si on possède des palais, mais qu’on vive comme des esclaves

 par rapport à un autre, quelle valeur auraient-ils ces palais ? Pour cela, un homme

réel défend d’abord sa liberté et son égalité avec tous les hommes ; la possession

vient au second plan. Ainsi, un acte réel ne donne pas seulement la satisfaction de

certains besoins à l’homme, mais il l’engage à la vie humaine dans toutes ses

extensions. Ce qui est à conclure, c’est que les actes et les fins auxquelles ilsconduisent, souvent matérielles, que les dominateurs permettent aux gens, ils ne

sont qu’une autre forme de servitude pour que les gens n’osent jamais défendre

leur partie dans les pouvoirs qui gouvernent leurs vies. Pourtant, un acte réel, chez

  Nizan, est celui qui amène l’individu à l’indépendance et non à l’esclavage.

Finalement, un acte réel doit réunir entre la possession et la liberté pour pouvoir 

 jouir de sa possession, et pour pouvoir agir suivant sa propre volonté.

On a parlé avant de l’acte abstrait, et on est en train de parler de l’acte réel ;

mais la meilleure méthode pour mieux les distinguer, c’est par les mettre tous lesdeux en comparaison.

62

Page 63: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 63/109

« Il existe un travail et une possession réelle, je veux dire chez les paysans, les artisans, les poètes, pour lesquels la possession

  signifie l’unité de l’action, du prix, et du produits. Mais lesbourgeois produisent et possèdent abstraitement. Comme il y a beau

temps qu’ils ont hérité d’Israël, ils passent la vie à prêter àintérêt. » CH. XV ; P. 146 

Un acte réel doit assurer l’autonomie du sujet ; c'est-à-dire, quand on fait un

acte, il faut que et les raisons et les fins de cet actes soient propres au sujet ;

autrement dit, qu’ils ne soient pas dirigés par un autre. Au contraire, il faut que

chaque individu soit autonome dans ses actes ; à partir des raisons qui le poussent à

faire cet acte jusqu’à les fins auxquelles conduit cet acte. Par exemple, comparons

les actes des bourgeois avec les actes d’un paysan propriétaire : un homme

 bourgeois, quand il agit, il ne commande ni les raisons de ses actes, ni les forces

qui le poussent à agir ainsi ; ni les fins auxquelles conduiront ses actes. Il fait justel’action, toute seule indépendamment de ses deux flancs, cet acte est abstrait. En

opposition, un homme réel, tel qu’un paysan, son acte est d’abord dirigé par lui

seul, et c’est lui qui choisit quoi faire de la récolte de ses actes. Mais il ne choisit

un tel ou tel acte que par conscience des causes qui le poussent à choisir un tel

acte, parce que personne ne lui impose un autre acte. En plus, les fins ou le produit

de son acte sont à lui seul, il est libre d’en faire ce qu’il veut. Et parce qu’il

commande la fin de ses actes, il est donc indépendant et libre de toute puissance

qui pourrait l’anéantir. En terminant, un acte réel est un acte qui commence par un

choix originel et une conscience des forces qui le stimulent, et qui conduira à une

fin par laquelle le sujet affirme son autonomie et son indépendance totales.

Un acte réel ne se juge pas par les autres comme étant un acte réel, mais celui

qui le fait qui doit le voir ainsi. Autrement dit, un acte ne serait réel que si le sujet

en serait satisfait.

« Unique compensation : posséder ce qu’autrui n’a point. L’orgueil est engendré par une haine contre les hommes, un goût de faire du mal. Ils ne savent pas qu’ils aiment exercer leurs mauvais pouvoirs, mais la puissance d’écraser, la capacité d’humilier sont 

les seules activités qui leur donnent conscience d’eux-mêmes. Aucunautre pouvoir réel ne leur échoit. » CH. XV ; P. 152

Quand un homme agit, et il veut que son acte soit réel, il doit savoir est ce que

son acte aboutit à une fin qui coïncide à son âme, et est ce qu’il sera lui-même

satisfait de cette fin, et est ce que cette fin convient avec son projet, projet veut dire

le chemin évolutif que choisit l’individu à son être. Car il y a des personne qui font

des actes, mais la fin ou l’objectif de leurs actes ne concernent pas leurs propres

vies ; autrement dit, ils agissent seulement pour que les autres les voient comme

importants ou supérieurs. Ce qui fait que la valeur de leurs actes est dépendante de

l’autre, c’est l’autre qui juge leurs actes. Cela mène à conclure que leurs actes sontvides, du point de vue qu’ils ne répondent à aucune valeur propre à ceux qui

63

Page 64: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 64/109

agissent. Au contraire, un acte réel est celui que le sujet fait et par lequel il veut

atteindre un objectif précis, et non pas pour en tirer de l’orgueil. En somme, un

acte réel est celui que le sujet agissant voit comme réel parce qu’il convient à son

 propre projet, en dépit de ce qu’en disent les autres. De même, un acte qu’on fait

 juste pour être jugé ou loué par les autres est un acte abstrait, parce qu’il ne mène pas à l’actualisation de l’existence personnelle du sujet. En outre, ce genre d’actes

anéantit l’individu du fait qu’il ne s’intéresse qu’à ce que disent les autres, et

néglige ce que son âme dit.

Sommairement, pour qu’un acte soit réel, il faut qu’il soit en accord avec les pensées et les valeurs du sujet. C’est pourquoi, on ne peut parler d’un acte réel sans

  parler d’une pensée réelle qui constitue les valeurs personnelles du sujet. En

d’autres mots, un homme ne doit faire un tel ou tel acte que s’il correspond à ses

 pensées. D’où, une pensée ne serait réelle que si elle est actualisée par l’action ; et

un acte ne serait réel que s’il conforme aux pensées personnelles du sujet. A cet

égard, l’acte de l’individu ne doit être déterminé par aucune loi extérieure au sujet.

En ce sens, chaque individu est capable d’agir à partir de sa propre volonté selon la

situation où il se trouve en agissant de la manière qu’il voit comme étant la plus

 juste. D’où, un acte réel est l’actualisation de l’existence personnelle du sujet. Car 

au moment où il agit par sa volonté, c’est là où il réalise sa propre personnalité.

Ainsi, l’homme doit être indépendant dans ses actes, des forces qui le poussent à

faire un tel acte jusqu’aux les fins qu’il en atteint. Autrement dit, un acte réel est

celui par lequel le sujet réalise son autonomie par rapport à toute force

quelconque ; c'est-à-dire, par un acte réel, l’homme échappe à toute forme

d’aliénation et de soumission. De là, un acte réel est un acte issu d’un choix

originel et non d’une obligation. Il est donc le seul moyen pour que l’homme

 puisse défendre ses droits contre toute puissance opprimante. Enfin, pour dire

qu’un acte est réel ou non, c’est au sujet seul de le juger ; c'est-à-dire, ce ne sont

 pas les jugement des autres qui font d’un acte réel ou le contraire, mais comment leconçoit le sujet lui-même. Si le sujet en voit un acte original qui correspond à son

âme, il est un acte réel. Mais si le sujet ne réagit que pour être jugé par les autres

sans que son acte soit conforme à son être, son acte est par conséquent abstrait, car 

il n’était pas pour actualiser son être.

Ainsi, un homme n’a pas besoin de la dominance d’autrui pour pouvoir agir. En

d’autres termes, ce ne sont pas les communautés et les différents espaces qui font

d’un individu un homme réel, mais plutôt sa manière d’agir. Il est donc le maître

ou le démiurge de son existence, ce thème constituera l’objet du chapitre qui suit.

64

Page 65: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 65/109

CHAPITRE III

L’HOMME EST LE MAÎTRE DE SON EXISTENCE

65

Page 66: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 66/109

A l’époque de Nizan, les hommes fuyaient leurs pays vers l’ailleurs en croyant

que les espaces et les aventures feront d’eux des hommes, des hommes réels. Mais

 Nizan concluait par la suite que l’espace ne crée jamais des hommes ; au contraire,

ce sont les hommes qui créent le monde, qui lui donnent un sens et une vie, ou ce

qu’on appelle tout simplement la civilisation.

Quand le milieu où on vit n’est pas comme on le veut, on commence à imaginer 

un monde qui soit l’opposé de notre monde. Et pour réaliser ses rêves, un être

humain est prêt à projeter cette image imaginaire sur n’importe quel autre espace

qu’il n’a jamais vu, notamment si les autres en disent des bonnes choses.« C’est le monde, avec ses fermetures à droite et à gauche, ses

 planchers, ses plafonds, il y a des piliers de métal rouge, des tuyaux,des membrures comme à l’intérieur d’un thorax, des ruisseaux avecles arcs-en-ciel de pétrole, des lampes qui se balancent comme des

 pendules. Espérez-vous monter jusqu’à Saturne en poussant à bout l’escalier de la tour Eiffel ? Haut et Bas. Ne pas renverser : lemonde n’est qu’une caisse. Il faut penser sérieusement qu’on ne

 peut pas monter dans le ciel, descendre sous les eaux, sans avion,

  sans scaphandre et ces violation mécanique ne durent qu’untemps. » CH. VI ; P. 81

Ainsi, face au dégoût et à l’ennui que fournissait la France à ses hommes à

l’époque, les gens se trouvaient en proie des histoires imaginaires qu’on inventait

sur l’ailleurs, en entendant surtout l’Orient. Nizan était aussi l’un de ces victimes,

mais contrairement aux autres, il réfléchissait sur la nature de ce voyage, en

concluant que le monde est le même partout, et qu’un homme ne peut pas atteindre

ailleurs ce qu’il n’a pas pu atteindre dans sa patrie. En plus, tout accroissement et

toute diminution ne sont que le reflet des actes des hommes. Donc, il n’y a pas un

espace bon et un espace mauvais ; mais tout est relatif de nous, les êtres humains.Cela veut dire une seule chose, c’est qu’un homme réel doit se battre à la vie par 

66

Page 67: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 67/109

son ennui, son dégoût et sa dureté. En ce sens, l’existence d’un homme doit être

l’ensemble de ses propres actes ; ce qui nie, chez lui, toute forme de soumission et

d’aliénation. Pour dire les choses plus simplement, une vraie existence humaine ne

demande pas l’impossible ou des miracles ; au contraire, une vraie existence n’est

que ce qui est possible : vivre comme il est destiné à l’homme de vivre, faire ceque la nature permettait à l’homme de faire. On naît libre, pourquoi devenir 

esclave ? Tous, on naît les mains vides, comment donc l’un devient un roi qui

 possède tout, et un autre demeure voyou qui ne possède rien pour toute sa vie ?

Etre un homme n’est enfin que défendre ses droits naturels que la nature donnait à

tous les hommes. D’où, une vraie existence humaine est celle où l’homme a tous

ses droits naturels : liberté, pouvoir, possession, etc. Cela ne dépend pas de

l’espace, car partout il y a des hommes qui veulent s’approprient tout pour eux

seuls en opprimant le reste. C’est pourquoi, une bonne existence humaine n’est pas

une affaire de géographie, mais de la manière d’agir chez les individus. C’est auxindividus de choisir entre la révolte contre toute forme d’oppression et la

soumission aux dominateurs qui les oppriment dans leurs droits. En gros, le destin

de l’homme est entre ses mains ; c’est à lui et à lui seul de choisir le sens qu’il veut

donner à sa vie ; et il en sera responsable, car rien ne justifie le destin d’un homme

selon les existentialistes que son propre choix. Une existence dégradée traduit la

 personne de celui qu’il l’a vécue, une existence honorable reflète l’être du sujet.

L’existence humaine n’est pas un jeu de hasard. Ne croyez pas que tout d’un

coup, et par la majesté du hasard un simple homme peut se métamorphoser en un

grand homme ; l’existence d’un homme doit être un projet constant qui s’élabore à

travers toute la vie de l’individu.

« Ceux qui font des découvertes, ceux dont on dit en repassant l’histoire de leur existence qu’ils n’étaient pas nés pour rien,trouvez-les parmi les hommes prudents, sédentaires, qui savent restés éveillés patiemment, qui demeurent longtemps quelque part et chassent avec précaution : le vrai s’abat dans un affût, ce n’est pasune carte qu’on retourne un soir dans un jeu de hasard où tout coup

 peut être gagnant. Si vous voulez vivre, il faudra retrouver la

 persévérance. Vous voulez vivre et vous filer comme des morceauxd’astres dans votre nuit. Pendant que vous dormez, tous les êtres

  peuvent mourir. Pendant que vous courez, vous-mêmes pouvez mourir. » CH. VI ; P. 82

Il n’y a pas une existence sans action, voici ce qu’il faut retenir : pour vivre, il

faut agir. Qui ne réagit pas ne peut pas avoir une existence satisfaisante. Il y a

certains qui disent : « Nous voulons agir mais tout nous empêche de le faire : tout

est possédé par les dominateurs que l’Etat défende contre nous qui ne possédons

rien. » Les gens qui disent ce genre de choses, ils ne savent pas que leur preuve est

 plus grave que leur état : être pauvre c’est normale, mais être lâche et avouer quevous êtes lâche c’est grave. Pour défendre leurs droits contre les dominateurs, le

67

Page 68: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 68/109

moyen est plus facile qu’il apparaît : il faut tout simplement se révolter contre ces

dominateurs et contre cet Etat qui les défend. C’est l’Histoire qui nous dit ça : tout

changement ne pourrait se faire que par la révolution. Mais si vous êtes des lâches,

vous qui ne possédez rien, vous méritez donc d’être opprimés ; et vous n’êtes

opprimés que parce que vous êtes des lâches. Impossible qu’un homme réel soitopprimé. Un homme réel et libre au fond de soi-même, il est plus facile pour lui de

mourir libre que de vivre sous l’oppression de qui que ce soit. Mais les lâches

comme vous ; quand ils se trouvent incapables d’affronter leurs oppresseurs, ils

fuient comme des rats leurs abris en cherchant un paradis imaginaire où les lâches

aussi peuvent être des vrais hommes. Mais ce qu’ils ne savent pas c’est que par ces

fuites, ils perdent cette place d’esclaves qu’ils avaient, ils deviennent des déchets

 jetés nulle part, car toute place est occupé par ses maîtres et ses esclaves d’origine.

En revanche, l’existence d’un homme se fait acte par acte ; elle n’est que

l’ensemble de ces petits évènements qui apparaissent inutiles. Alors, un hommeréel est celui qui a la capacité d’actualiser et de construire son existence au sein de

sa patrie en se battant contre tous ceux qui veulent l’en exclure. Pour cela, l’attente,

la patience, l’espoir, tous ces mots abstraits sont les grands ennemis d’un homme

réel : un homme réel n’attend rien pour agir, parce qu’il sait que rien ne tombera du

ciel. Tout se fait par nos actes, pourquoi ou quoi attendre donc ? Au contraire, son

espoir est dans ses actes ; par ses actes, qu’il espère d’arriver à réaliser ses projets.

Ce qui fait de lui le maître de son existence ; il sait qu’aucune force ni humaine ni

surhumaine vienne le sauver, s’il ne se sauverait par lui-même. Alors quoi attendre,

le temps passe vite, dès qu’on peut agir, il faut agir.

Les gens qui fuient toute confrontation ou action réelle communiquent une

seule vérité, c’est leur impuissance radicale.

« Mais un homme entêté, en qui l’attachement volontaire à unlieu et à un genre particulier d’action, une méthode constante nedétruisent pas les passions peut être puissant sur ces causes et lesdémêler. Il faut donc pour DEMEURER, pour dire ma demeure sansrougir, aimer la puissance véritable. Les vrais voyageurs et les vraisévadés sont des témoins dérisoires d’une impuissance humaine. »

CH. VI ; P. 83Quand deux personnes se rencontrent dans une bagarre, et l’un d’eux fuit, on le

qualifie par la lâcheté. C’est le même cas dans la vie humaine : il y a plusieurs

classes et plusieurs individus dont chacun défend soi, chacun veut être le roi et les

autres ses esclaves ; on peut dire que c’est une guerre du tout contre le tout. Le

vainqueur sera sans doute celui qui combattra jusqu’au bout ; un lâche qui fuira au

 premier coup de pistolet ne pourrait être que vaincu. C’est pourquoi, un homme qui

fuit tout acte réel est considéré comme un témoin d’une impuissance humaine. Un

homme réel ne fuie jamais parce qu’il sait que la fuite ne servira à rien, parce

qu’elle ne change rien. Car partout vivent des hommes, et où il y a des hommes,absolument il y a une partie supérieure et une autre inférieure qui subit tous les

68

Page 69: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 69/109

malheurs, donc la seule chance pour éviter ces malheurs c’est par la révolte contre

ceux qui en étaient la cause. Par exemple, si je suis né libre, je doit le demeurer,

mon acte devrait être contre toute force qui veut m’arracher ce droit naturel. En

 plus, parce que je suis né sur cette terre, j’en ai ma part comme n’importe qui, et

mon acte doit être contre celui qui veut s’approprier plus que sa part, c’est aussil’un de mes droits naturels. Vous pouvez dire comment deux personnes dont l’un

travaille plus que l’autre, et ils auront le même salaire. On vous répond comment

un homme qui a passé toute sa vie travailler n’a rien procuré de son travail, et un

autre homme qui n’a jamais travailler possède tout, avant même de naître. En clair,

tous les hommes doivent avoir les mêmes chances pour commencer leurs vies afin

qu’ils parviennent aux rangs qui conviennent à leurs actes. Enfin, ce qui est à

comprendre, c’est que partout, il y a des injustices, partout il y a une partie

opprimée et une partie opprimante ; un homme réel est celui qui peut défendre sa

 partie au fond de sa patrie ; en effet, toute la vie humaine est dirigée par deshommes.

Toute place où vivent des êtres humains, il y a les mêmes lois qui dirigent les

hommes, pour la raison que toutes les lois sont forgées par des hommes. Alors, s’il

y a quelqu’un qui n’est pas satisfait de ces lois, il doit se révolter contre elles en

commençant de son milieu.

« Il y avait un jeu inextricable de distance sociales où tout cemonde se glissait et se reconnaissait avec une dextérité merveilleuse, des degrés hiérarchique au bas desquels se trouvaient 

 sans doute les Juifs humbles et crasseux qui habitent autour de la synagogue où ils vont se consoler de bien des affronts en priant ledieu des vengeance, les épaules entourées d’un thaless poétiquecomme la nuit. Au sommet de la pyramide il y avait l’agent de la

 Peninsular, deux ou trois commerçants puissants dans la mer rouge,les officiers, les gouverneurs, et dans le Crescent, à Steamer Point,la statue assise de la grosse reine Victoria avec ses joues pendantes,

 ses petits yeux coincés d’ivrognesse. » CH. VIII ; P. 96 Pour changer des lois qu’on voit comme injustes, il ne faut pas changer le

milieu où on vit, parce que ce milieu nous appartient comme n’importe qui ; en plus, qui nous dira qu’ailleurs, il n’y ait pas les mêmes lois. De là, pour changer 

des lois qui sont injustes envers une partie, il faut combattre ceux qui les ont

forgées. Car il n’y a aucune loi qui soit suprême ou sacrée qu’on ne peut pas

toucher, modifier, supprimer, substituer par une autre. Mais toutes les lois sont

inventées par des hommes, les dominants, et si on combat ces hommes, leurs lois

s’évanouiraient. Ainsi, parce que l’homme qui crée le monde, c’est à lui seul de le

changer. Et si le monde est injuste c’est parce que les hommes qui y vivent sont

injustes. Et s’il y a un moyen pour arriver au trône, ce serait par détrôner celui qui

l’occupe. Et pas d’autres fins sans bataille.

69

Page 70: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 70/109

Ce n’est pas le fait de comprendre la vie des hommes qui importe un homme

existentialiste, mais ce qui l’importe vraiment, c’est comment changer cette vie

lorsqu’elle est injuste.

« Avais-je besoin d’aller déterrer des vérités si ordinaires dans

les déserts tropicaux et chercher à Aden les secrets de Paris ? Je visen rentrant que bien d’autres les avaient vus passer dans le cœur dela Seine. » CH. XII ; P. 129

Quand on dit que l’homme est le maître de son existence, cela ne veut pas dire

que l’homme est le maître de son existence seulement parce qu’il a la capacité de

comprendre des choses. Ou bien un homme est celui qui possède une quantité de

savoir. En revanche, un homme réel est celui qui peut changer quelque chose dans

le monde. Comprendre le monde ou la vie humaine, partout et n’importe qui peut

le faire ; ce que ne peut pas faire n’importe qui c’est changer son état d’esclave à

un homme libre. A ce propos, il ne faut pas confondre entre un homme réel et unhomme abstrait. Un homme réel est celui chez qui toute pensée n’est qu’un état

virtuel de l’action avant d’être actualisée. Ce qui fait comprendre ou interpréter la

vie humaine sans une volonté de la changer est un acte abstrait. Par exemple, il y a

des gens qui se croient malins parce qu’ils savent que les gens ne sont pas libres

sous le système qui dirige leur vie sans qu’ils le sachent ; mais parce que ces

malins le savent, ils se croient sauvés, et ils ignorent qu’ils font partie de ces

esclaves. Par contre, connaître le monde n’est pas suffisant pour se sauver de ses

malheurs. Pour se sauver, il faut combattre. C’est l’action qui compte et rien que

l’action. Autrement dit, quand on dit que l’homme est le maître de son existence, il

doit l’être par ses actes.

Quand on dit que l’homme est le maître de son existence, on entend par cela

une simple vérité, c’est que tous les hommes se valent, donc pas de hiérarchies.

« Enfin on peut tirer des clartés profitables de cette propositionrudimentaire que les hommes sont partout, même dans les capitalesdu désert. J’ai fait bien des milles marins pour saisir pourquoi mescompatriotes que je devais aimer me faisaient peur. Quelle

 simplicité sous toutes ces histoires ! » CH. XIII ; P. 131

Etre un homme réel n’a rien avoir avec le rang que l’homme occupe dans lasociété. En opposé, un homme réel, tout individu peut l’être par ses actes. En

d’autres termes, pour être le maître de son existence, un homme ne devrait pas

s’intéresser aux hiérarchies sociales, car s’il pense ainsi, il se verrait toujours

comme incapable d’agir sous prétexte qu’il n’occupe pas une haute place. Au

contraire de cette manière de penser, quand on dit que l’homme est le maître de

son existence, c’est pour effacer ces hiérarchies. Par le fait qu’il n’y a aucune force

surhumaine qui fasse d’un homme supérieur et d’un autre inférieur. Alors c’est à

l’homme de ranger son existence et de lui donner le sens qu’il veut. A ce propos, il

ne faut pas classer les hommes en des hiérarchies parce qu’il n’y a aucune raisonlogique pour le faire. Tous les hommes sont pareils, parce qu’ils sont tous

70

Page 71: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 71/109

différents l’un de l’autre, chaque individu constitue une exception ; comment donc

hiérarchiser des êtres qui ne se ressemblent par rien. Autrement dit, il n’y a aucune

logique pour dire que cet homme est bon, l’autre est mauvais. Enfin, le fait de dire

que l’homme est le maître de son existence, c’est juste pour nier toute pensée qui

tente de classer les hommes en des hiérarchies.

Un homme est le maître de son existence dans le cas où il dirige sa vie ; c'est-à-

dire quand il est inventeur. Au moment où il cesse d’inventer, il cesse d’être un

maître, il revient un esclave.

« L’espace ne contient aucun bien pour les hommes. Il y a desécrivains qui parlent des leçons des paysages, ils font semblant decroire que les pierres et le ciel se livrent à une mimique qui fait d’eux des instituteurs. En échange les hommes peuvent imiter les

attitudes et les vertus morales d’une ville, d’un territoire, d’une zone de végétation : sérénité, intelligence, grandeur, désespoir,volupté. » CH. XIII ; P. 132

Pour être un maître, il faut être inventeur. Autrement, donner, par vous-mêmes,

le sens que vous voulez que votre existence ait. N’attendez pas que le monde fera

de vous des hommes réels, des maîtres. Les gens croient que par le voyage et par la

rencontre de plusieurs races humaines, ils peuvent devenir des hommes réels, des

génies, des sages. Mais l’espace ne donne rien à l’homme. Le même ciel, le même

soleil, la même terre sont partout des bêtes ; ils ne donnent rien, comme il

n’arrache rien. C’est l’homme qui donne sens à ce monde d’objets et des créatures

inconscientes. Donc il est le maître de son existence, et parce que l’homme qui fait

tout, il faut que chaque individu soit ainsi. Il faut ne pas attendre un autre pour agir,

il faut que l’acte sorte de l’être : inventer. Pour ceux qui disent que le voyage

donne de la sagesse, on leur dit que cette sagesse dont ils parlent n’est qu’une autre

forme d’esclavage. En clair, quand on voyage à un autre milieu étrange au nôtre,

on ne procure pas une sagesse ou une intelligence surhumaine, mais seulement on

s’influence par les habitudes et les manières de vivre de ce milieu étranger. En

d’autres mots, on imite, et l’imitation est une qualité de l’esclave et non du maître.

En terminant, la sagesse ne vient pas de l’extérieur, mais elle doit sortir de l’âme

du sujet : un sujet est celui qui invente sa sagesse. Qui la prend de l’autrui, il ne faitque s’aliéner à cet autrui.

Si la vie humaine n’est que l’ensemble des actes des hommes, il faut donc que

chaque individu, pour être un homme réel, y s’engager, en ajoutant sa pierre à cet

édifice hétérogène.

« Un homme n’est pas un œil qui regarde, une oreille qui écoute. L’espace n’est pour rien dans les complications que des siècles deculture ajoutent à ses diverses parties. Il ne dit mot, il est prêt à tout 

ce que les hommes feront de lui. C’est un réceptacle, une cire, il ne

71

Page 72: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 72/109

 faut pas prendre des empreintes humaines pour des propriétés de lacire vierge. » CH. XIII ; P. 133

La vie humaine toute entière n’est que l’ensemble des actes des hommes. En

d’autre termes, l’espace ou cette planète des objets n’a de sens que ce que l’homme

lui donne. L’homme est donc le créateur de la vie, la vie dans le sens de la cultureou de la conscience en général. D’où, tout homme est appelé à s’engager à la vie

humaine dont il fait partie. Cela exige la liberté en premier plan, car s’il s’engage

sans liberté, son engagement ou son acte ne serait que l’ombre de l’acte d’un autre.

Autrement dit, le fait de dire que les hommes qui créent leur culture, c’est affirmer 

en même temps la nécessité de l’engagement de tous les individus qui

appartiennent à la même vie humaine. Un engagement où tous les hommes auront

les mêmes droits sans aucune hiérarchie se compte. Enfin, être le maître de son

existence n’est qu’avoir la volonté de s’engager à la vie humaine d’où on fait partie

afin de n’être dominé par qui que ce soit.

Le Mal et le Bien sont-ils relatifs à l’homme ou à l’espace ? Si vous savez

qu’ils sont relatifs à l’homme, pourquoi fuyez-vous donc ? Pourquoi changer 

l’homme par son pareil si tous les hommes sont pareils ?

« Les terres ne sont pas des associés, ni des professeurs demorale, ni des missionnaires prêchant ici l’ordre, là le désordre :tout est en nous. Elles ne persuadent rien. Ce lyrisme est tout à fait vide de matière. » CH. XIII ; P. 133

Partout il y a des hommes, partout il y a le mal, partout on espère voir un jour le

Bien. Partout ce sont les dominateurs qui gouvernent la vie des hommes. Partout

les dominateurs font tout pour empêcher ceux qui ne possèdent rien d’arriver à ce

qu’ils croient n’appartient qu’à eux. Le Mal et le Bien sont là ou il y a des

hommes : tout est en nous, le pauvre espace ne fait rien, il est docile à tout ce

qu’on fera de lui. S’il y a quelqu’un par hasard qui veut battre le mal, ce n’est pas

la peine qu’il quitte sa patrie, parce qu’il ne trouverait où il aille que du Mal qui

règne. Le seul moyen pour éviter un mal, c’est par le combattre au sein de la vie

humaine. Vous voulez être des hommes réels et vous fuyez comme des rats. Cela

n’est pas logique ; peut être, vous ne savez pas cet aphorisme qui dit que le courage

n’est qu’où il y ait le danger. C’est la même chose pour un acte réel : un acte réel,c’est là où il y a de la difficulté.

L’homme attend l’homme, c’est la contagion la plus meurtrière qui puisse

toucher une communauté humaine.

« Les hasards ne vous ramèneront seulement à l’ordre et audésordre des troupeaux humains qui sont dans les paysages et vous

 serez forcés de juger, d’aimer, de détester, de céder, de résister :l’homme attend l’homme, c’est même sa seule occupation

intelligente. » CH. XIII ; P. 133

72

Page 73: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 73/109

Ce sont les hommes qui dirigent la vie humaine, donc toute communauté a ses

hommes qui la dirigent. Mais un homme qui fuit sa propre communauté n’aura pas

le droit de s’engager à la vie d’une autre communauté. Il devient un simple

spectateur qui est là, regarde, mais qui ne peut rien faire. Est-il un maître ? Est-il

un homme réel ? Il n’est rien, son existence est annulée du moment où il s’étaitannulé lui-même de sa propre patrie. De là, être le maître de son existence ne

signifie pas être individuel jusqu’à l’exclusion de la vie humaine ; mais au

contraire, cela exige un engagement à la vie humaine afin d’avoir la possibilité de

 participer au destin de l’humanité comme étant un choix et une volonté collectifs,

dont la liberté doit avoir une grande place.

Ainsi s’il y a une partie dans le monde où les hommes pourraient vivre comme

un homme devrait vivre, certes, elle serait celle où tous les hommes ne consentent

aucune forme d’oppression ou d’aliénation.« Un jugement humain est seul intelligible, même s’il s’agit de laterre : les paysages mélancoliques sont ceux où les enfants meurent de faim, les paysages tragique sont ceux que traversent des files de

 gendarmes casqués et des convois de canons, les paysages exaltants sont ceux où n’importe qui peut embrasser une femme sans troubler de froid ou de peur. Je ne comprends que ceci, que les pays offrent des résistances inégales aux désirs et à la joie. Si je peux vivre enhomme dans les quatre éléments, tout le pays me sera bon : que jerespire d’abord. » CH. XIII ; P. 133

Ce ne sont pas les espaces qui sont bons ou mauvais, pourtant les hommes qui y

vivent qui le sont. Alors, le bonheur ne vient pas du ciel, mais c’est une affaire à

régler les hommes entre eux. Pour cela que l’homme est le maître de son existence.

Le problème surgit quand l’homme n’est pas le maître de son existence ; quand son

existence est dépendante de l’autre. Là où le bonheur se transformera en malheur.

Et il n’y a du malheur que s’il y a une partie d’hommes qui consentent le malheur.

S’il n’y avait pas des hiérarchies, si tous les hommes sont égaux, il n’y aurait pas

des malheurs. Une terre où il y a des malheurs, elle traduit une simple vérité : c’est

qu’il y en a des hommes qui acceptent être écrasés, opprimés et asservis. Une

 bonne terre est celle où il n’y a aucune partie opprimée, c'est-à-dire où tous leshommes sont les maîtres de leurs existences.

Après tout, ce qui est à retenir de ce chapitre, c’est que les espaces n’offrent

rien aux hommes. Au contraire, les espaces ne sont que ce que les hommes fontd’eux. En d’autres termes, s’il y a du Mal ou du Bien dans un espace, c’est parce

73

Page 74: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 74/109

que les hommes qui y vivent sont bons ou mauvais, tout est relatif à l’homme. En

ce sens, l’homme est le maître de son existence. Son existence ne sera que ce qu’il

en fera. De ce point de vue, chaque individu est appelé à s’engager à la vie

humaine par toute sa volonté afin qu’il puisse défendre ses droits et sa partie dans

le monde. Car il n’y a aucune autre puissance surhumaine qui puisse lui rendredroit s’il ne le fait pas par lui-même. Ainsi, l’existence humaine ne se construit pas

 par des aventures ou par des évènements au hasard ; par contre, un homme pour 

être le maître de son existence, il doit l’être par la persévérance de ses actes. C'est-

à-dire qu’il doit agir constamment comme un maître. Cela nie plusieurs habitudes

vues comme négatives, il est affaire de tout ce qui n’est pas une action réelle, telle

que le fuite de la vie humaine en cherchant ailleurs ce qu’on a pas réalisé ici, ou le

fait d’attendre ou d’espérer qu’autrui fasse ce qu’on n’a pas pu faire par soi-même.

Si le monde n’est enfin que l’ensemble des volontés des hommes, il faut que tous

les hommes soient égaux du fait qu’il n’y a aucune raison logique pour leshiérarchiser. Finalement, quand on dit que l’homme est le maître de son existence,

cela veut dire tout simplement que rien ne peut sauver les hommes d’eux-mêmes

qu’eux-mêmes. Tout s’agit de notre manière d’agir : l’aliénation conduit à

l’esclavage et à l’oppression, la révolte conduit vers la liberté et l’autonomie.

Au long de cette partie, on essayait de traiter la conception de l’existence chez

 Nizan à travers trois thèmes. Il s’agissait d’abord de ce qu’il appelait un acte

abstrait qui est un acte que se fait sans liberté ni volonté individuelle. Il ne reflète

donc aucun trait de l’identité du sujet. Pour cela qu’il est donc un acte abstrait. Par 

contre, un acte réel, qui constituait l’objet du second chapitre, est celui par lequel

l’individu se réalise. C'est-à-dire, qu’il affirme son existence par le fait d’agir à

 partir de sa propre volonté. Cela conduisait en dernier lieu à la conclusion que

l’homme est le maître de son existence. Autrement dit, la vie humaine ne pourrait

être que ce que les hommes feront d’elle. Ce qui exige un engagement de tous les

individus.

Cet engagement constituera l’axe conducteur de la partie suivante en plus de

détailles.

74

Page 75: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 75/109

 Troisième Partie

L’ENGAGEMENT ET L’HUMANITEDANS ADEN ARABIE

75

Page 76: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 76/109

Quand il n’y a pas de l’égalité entre les hommes d’une communauté, ou quand

il y a des grandes inégalités dans une communauté humaine, cela dit tout

simplement qu’il n’y a pas un engagement total dans cette communauté. C'est-à-

dire qu’il y a une partie exclue des pouvoirs qui dirigent cette communauté. Cette

exclusion des pouvoirs mène à une exclusion des droits. En conséquence, la partie

exclue qui subit toutes les formes de l’oppression et de l’exploitation. Cela

augmente par conséquent les inégalités entre les classes sociales.

Mais quand on dit engagement, la première chose qu’il faut faire c’est de

distinguer entre engagement réel et engagement conformiste. Un homme

conformiste n’est pas un homme engagé selon la philosophie existentialiste. Car un

homme engagé quand il agit, il le fait par sa volonté. C'est-à-dire qu’il est

responsable de ce qu’il fait, et par conséquent, son acte affirme sa présence et donc

son engagement. En opposition, un homme conformiste qui s’engage à la vie

humaine par le fait qu’il réagit comme tout homme dans ce monde, sauf que ses

actes ne se fassent pas par volonté et liberté individuelles. Donc, il ne change rien

 par ses actes comme s’il ne réagit pas ; c’est pourquoi, son acte est considéré

comme abstrait. Dans ce sens, son acte ne traduit aucun engagement réel.

Ce genre d’engagement, l’engagement conformiste, est considéré par lesexistentialistes comme un engagement abstrait, parce qu’il ne fait qu’accentuer les

inégalités entre les hommes. Par le fait que l’absence d’un engagement totale

assure la présence d’une partie dominante et une partie dominée. Et comme il est

connu, toute partie dominante fait tout pour garder le pouvoir pour elle seule, et

écarter les autres classes. Cela signifie une seule chose, c’est que la partie

dominante renforce de plus en plus sa dominance ; et la partie dominée s’enfonce

de plus en plus dans la misère et dans l’écrasement. Cela exige en conséquence

l’engagement de toutes les classes sociales afin que les classes opprimées puissent

défendre leurs droits contre les opprimants.

76

Page 77: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 77/109

En ce sens, la philosophie existentialiste assure la nécessité de l’engagement

afin de réaliser ce qu’on appelle une égalité universelle. Du fait qu’il n’y a aucun

autre moyen pour défendre ses droits que par l’engagement aux pouvoirs qui

dirigent la vie humaine dont on fait partie. Pour cela, un homme engagé doit être

engagé par tous ses actes, sans qu’il soit conformiste. Autrement dit, les actes d’unhomme engagé, ce sont des actes révoltés ; mais le sens de révoltés ici ne signifie

 pas autre chose que l’opposition aux actes soumis. Ce sont des actes qui affirment

l’existence de l’individu ; autrement dit, un engagement global dans une

communauté rend tous les hommes égaux.

Mais la question qui se pose c’est comment peut-on tous s’engager à la vie

 politique ? Autrement dit, est ce que tout individu qui ne fait pas partie de la vie

 politique n’est pas un homme engagé ? Ou bien, l’engagement à la vie humaine

 peut ne pas être forcément politique ? Et est ce qu’on peut parler vraiment d’une

communauté humaine où il n’y ait pas de hiérarchies ? Ou bien, cette liberté etcette égalité que les existentialistes défendent ne sont que des idées utopiques,

comme on leur reproche ?

Pour réfléchir sur ces questions ou sur d’autres sous l’optique nizanienne, on a

divisé ce chapitre à trois points : le premier sera pour distinguer entre l’engagement

réel et l’engagement conformiste ; le second, on en parlera de la nécessité de

l’engagement, ou ce qui donne cette importance à l’engagement dans la

  philosophie existentialiste ; et enfin, on verra comment Nizan définissait

l’engagement réel, ou la vie des individus au sein de la vie humaine.

77

Page 78: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 78/109

PREMIER CHAPITRE

ENGAGEMENT ET CONFORMISME

78

Page 79: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 79/109

La première chose qu’il faut retenir, c’est qu’un homme engagé est un homme

libre. Inversement, les actes d’un homme qui agit dépendamment d’un autre ne

reflètent aucun engagement réel. Qu’on voie pourquoi un homme conformiste n’est

 pas un homme engagé.

S’engager à la vie humaine ne signifie pas faire n’importe quoi juste pour dire

que je fais partie de cette communauté ; mais faire quelque chose par lequel vous

assurez votre présence et votre existence au sein de cette communauté.

 « Les combattants vidés de toute leur guerre entretiennent cette  flamme aussi fidèlement que le gaz imbécile sous l’Arc deTriomphe : éclatants de l’orgueil insolent d’avoir été forcés aux

 sacrifices, ils exploitent devant nous les morts nationaux. Dans cescadavres glorieux tout est bon pour une sinistre charcuterie quidébite publiquement tous les morceaux des morts. » CH.

 II ; P. 62L’exemple qui illustre parfaitement ce genre d’engagement conformiste, c’est

le faux engagement des soldats. Les soldats s’engagent d’une manière, on dirait, la  plus directe à la vie humaine, mais la question qui se pose est ce que leur 

engagement résulte d’une conscience et d’une volonté, ou ils ne sont que des

moutons qu’on sacrifie ? Nizan les voyait comme des moutons que la classe

dominante sacrifie pour son propre bien, du fait que la gloire et la victoire

reviennent aux dominateurs et non aux pauvres soldats qui ont sacrifié leurs vies au

nom d’une déesse qui n’existe pas. Car qu’est ce qu’une patrie qu’une somme

d’hommes réunis pour des raisons absolument pragmatiques ; et si la gloire n’en

 bénéficie qu’une partie très déterminée d’hommes, cela dirait que dans cette patrie,

il n’y a pas un équilibre entre les hommes, mais il y a des exploiteurs des pauvres.Dans ce cas, est ce qu’on peut parler d’un vrai engagement, ou leurs actes ne sont

79

Page 80: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 80/109

qu’une simple exécution d’ordres ? En ce sens, tout homme qui n’agit pas avec

volonté et conscience de ses actes, on ne peut pas considérer ses actes, même s’ils

ont des faits directs sur le destin de la vie humaine, comme des actes engagés. Par 

le fait qu’il ne dirige même pas ses propres actes, mais il ne fait qu’exécuter les

ordres d’autrui. Comment peut-on dire alors qu’il s’engage à la vie humaine ? Etqu’il en dirige quelque chose ? Pas du tout, il n’est qu’un instrument qu’on utilise

  pour réaliser ses propres intérêts. Enfin, le fait d’agir sans qu’il y ait une

conscience totale de ce qui nous pousse à faire un tel ou tel acte, en plus d’une

liberté individuelle qui doive constitue une condition primordiale de tout choix que

nous fassions, on ne pourrait jamais parler d’un engagement réel.

Un homme pourrait être engagé, mais son engagement ne pourrait pas être

forcément positif. C’est le cas de ces hommes qui s’engagent à la vie humaine par 

leurs actes, mais sous la dominance du diable, ou le régime dominant.« Pas un seul de ces actes n’a ajouté une parcelle au pauvrequ’il fut et qu’il est demeuré. Il est inachevé, comme un chantier abandonné derrière des palissades brillantes d’annonces. » CH.

 IX ; P. 99Un homme pourrait avoir un rang très élevé dans la hiérarchie sociale ; il est

 possible de lui venir un jour à l’esprit qu’il est libre, et qu’il ne fait que ce qu’il

veut, et qu’il dirige tout, et par conséquent, il s’engage au destin de l’humanité.

Mais sait-il, ce chef, qu’il est dirigé plus que les esclaves qu’il dirige. Au moins

eux, ils connaissent leur servitude, et ce n’est pas loin qu’un jour, ils se révolteront.

Mais lui, il ignore son esclavage. Il ne s’est jamais demandé pourquoi le régime

dominant permet aux certaines personnes, comme lui, d’atteindre de hautes

fonctions dans la société. S’il l’avait fait, il découvrirait qu’il n’a parvient ce rang

que parce que le régime dominant sait bien que ce genre d’actes ne menace sa

souveraineté par aucune forme. Et il sait aussi que par ce pouvoir imaginaire qu’il

donne à ce peu nombre de personnes, il donne espoir à un grand nombre de

 personnes et de classes opprimées de parvenir, elles aussi, un jour ce pouvoir 

illusoire. Cela les éloigne de toute forme de révolte, l’objectif de tout régime

dominant dans le monde. Donc, ces gens qui se croient supérieurs, libres et

engagés, ils ne sont dans la vérité que des objets dont on se sert pour maintenir cette immense masse d’hommes opprimés dite peuple. Du fait que tous leurs actes

sont conformistes. Est-ce qu’on peut parler donc d’un engagement réel dans ce

cas ? Bien sûr que non, pour la raison que ce genre d’actes ne mène pas à la

libération des hommes. Au contraire, ces conformistes encouragent et plantent de

 plus en plus la morale de la soumission et de la hiérarchie entre les hommes. Leur 

engagement est donc un engagement au sens négatif, parce qu’il nuit à l’humanité

 plus qu’il lui sert. Donc ce n’est pas un engagement au nom de l’humanité comme

il devrait être un engagement réel.

80

Page 81: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 81/109

Le pire des engagements est celui qui se fait à partir des consignes imposées par 

autrui. Il ne nie pas seulement la liberté d’un seul individu, mais de toute la

communauté d’où il fait partie celui qui agit ainsi.

« Mr C… était donc le porte-voix d’ondes innombrables qui ne

trouvait en lui que de prévisibles échos. Il ne faut pas confondre unhomme libre avec un baromètre enregistreur, une machine de Morinet un phonographe. Que de maux peut causer cette confusionlorsqu’il n’est pas question d’enregistrer des chiffres mais des

 sentences de la sagesse morale, des décisions politiques. Ce qui m’ale plus dégoûté de mes frères c’est de les voir vivre comme desvers : les vers ne comprennent rien à l’attraction universelle, leshommes à leur bon dieu, à leurs désirs, à leurs opérations : tout 

 plane sur eux, et ils croient inventer ce qui plane. » CH. IX ; P. 100

Tous les politiciens se croient des hommes engagés à la vie de leur communauté. On ne dit pas le contraire, mais à condition qu’ils défendent leur 

 propre volonté dans les actes et les décisions qu’ils font, s’ils le font. Dans le cas

opposé, ils ne sont nullement engagés. Un politicien, même s’il occupe une grande

 place dans la politique, si ses actes sont dirigés par une force supérieure, on ne peut

 pas le considérer comme un homme engagé. Parce que dans l’engagement, ce n’est

 pas l’acte en lui-même qui compte, mais la manière d’agir : est ce que librement ou

non ? Par exemple, si un ministre prend l’exécution d’un acte quelconque qui a un

grand rôle dans l’Histoire de l’humanité, cet acte serait engagé si ce ministre a pris

la décision à partir de soi-même, volontairement ; mais si le pauvre ministre n’a

fait qu’exécuter, comme la plupart des cas, un ordre venu des autorités supérieures,

on ne pourrait pas comprendre son acte pour un acte engagé, même s’il a une

grande importance dans le changement de l’histoire humaine. Dans ce sens, il

surgit la nécessité de l’engagement, et le danger que peut causer son absence. En

effet, quand les politiciens ne s’engagent pas au sens strict du terme, c'est-à-dire

quand ils ne s’engagent pas par une volonté individuelle, ils participent à la

construction d’une force despotique qui donne tous les ordres et les consignes. En

d’autres mots, ils aident à la réunion de tous les pouvoirs dans une seule main ; ce

qui fait que le reste serait privé de tout pouvoir, il ne reste donc que des esclaves.

Un homme conformiste est enfin le contraire de ce que veut dire un vrai hommeengagé.

Si les grandes personnes de la société, du fait qu’elles ne s’engagent pas

librement, sont considérées comme non-engagèes, que dire des bourgeois qui ne

font que suivre le cortège comme un troupeau de moutons. Les bourgeois sont des

hommes engagés matériellement, mais qui sont absents intellectuellement.

« Le petit nombre d’hommes engagés dans les courroies detransmission de cette machine encore complexe, permet de saisir la

 signification de l’existence européenne si souvent dissimulée par lamultitude des acteurs et par l’entrecroisement de leurs trames. (…)

81

Page 82: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 82/109

Ces gens jouent leurs rôles au milieu de petits drames anecdotiquesqui représentent à la manière des pièces d’ombre les mouvementsexemplaires de la vie des hommes civilisés : ces rôles sont régis par des habitudes et par des passions faiblement réveillées, par la vie,

ce jeu si simple de coutumes tristement consenties. » CH. X ; P. 106 Les bourgeois ou bien la vie bourgeoise est entièrement conformiste et

éventuellement engagée. On ne peut pas nier la présence des bourgeois de la vie

humaine, comme on ne peut pas nier leurs actes. Ils font presque tout : ils sont des

médecins, des professeurs, des avocats, des inventeurs, des sportifs, des chiens de

garde, des clochards, ils sont tout. La vie est composée presque juste d’eux. Ce qui

fait, d’une manière ou d’une autre, qu’ils s’engagent à la vie humaine. Mais la

question qui se pose, est ce que leur engagement est un engagement réel ? Pour 

répondre à cette question, il faut savoir si leurs actes sont libres, ne sont pas dirigés

 par autrui. Un petit bourgeois naît dans une famille bourgeoise, il doit poursuivre lemême métier des bourgeois qu’avait son père, jusqu’il mourra en bourgeois. En ce

sens, un homme bourgeois n’a pas besoin de choisir son engagement, parce qu’il

naît engagé dès le départ. Alors, est ce qu’on parlera d’un engagement, ou plutôt

d’une servitude innée. Les pauvres bourgeois ne s’asservissent pas, mais ils

naissent des esclaves. Voici la vraie dénomination de leur engagement : esclavage.

Pourquoi esclavage ? Parce que tout simplement, par cet engagement, les

 bourgeois ne traduisent aucune volonté ou conscience individuelles. Au contraire,

il nie totalement l’existence de l’individu, par le fait que ce dernier se fond dans le

troupeau humain. Ainsi il perd l’autonomie et la particularité de son existence,

autrement dit, son identité qui l’oppose aux autres. Il devient une copie exacte des

autres copies. Il réagit mécaniquement comme tout le monde le fait. Son

engagement n’est enfin que l’engagement d’un petit élément dans une grande

machine constituée de plusieurs autres éléments, dont chaque élément à une

fonction précise qu’il répète mécaniquement. Le jour où un élément ne fonctionne

 plus comme il faut, il sera jeté, car il n’est pas maître de soi, il n’est qu’un objet

dirigé par les vrais maîtres. Ainsi, le pauvre bourgeois, cet animal content de ce

qu’il a, se croit vraiment engagé à la vie humaine. Il ne sait pas qu’il n’est qu’un

esclave qui doit souffrir pour que les maîtres puissent vivre tranquillement dans

leurs palais, avoir des voitures indisponibles pour le public, diriger sans êtredirigés, et juger sans être jugés. Posséder un pouvoir absolu par la soumission des

lâches comme les bourgeois, et les bourgeois se croient encore libre. Enfin, une vie

comme celle des bourgeois apparaît comme une vie engagée, mais véritablement

elle ne l’est pas. Etre engagé c’est avoir un rôle dans le destin de l’humanité, mais

le fait d’être dirigé par autrui, quoique qu’on fasse, on ne puisse jamais être

vraiment engagé. Finalement, on peut dire que la vie des bourgeois est semblable à

celle des acteurs : une vie qui a un existence matérielle, mais qui n’est pas réelle,

c’est une vie abstraite. Ainsi, leur engagement, même s’il soit matériellement, il est

abstrait pour ce qui concerne le destin de l’humanité.

82

Page 83: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 83/109

L’engagement qu’on ne choisit pas par sa propre volonté n’est pas un

engagement réel, plutôt un esclavage originel. Un esclavage qui arrache à la

 personne même le droit de penser à son état d’esclave.

« Groupés sous des raisons sociales, ils ne cessent pas d’être en

  proie à la cérémonie guerrière du commerce international, ils  faisaient penser à des nègres qui dansent dans la nuit pleine desesprits et des reflets, jusqu’à tomber. » CH. X ; P. 107 

Toute chose se définit par son contraire. La couleur noire est noire parce qu’elle

n’est pas blanche ; un homme est aveugle parce qu’il ne voit pas ; un homme est

sourde parce qu’il ne parle pas, donc il est sourde par rapport aux autres qui

  parlent. Si tout le monde ne parle pas, il ne se qualifierait pas par sourde.

Autrement dit, on ne reconnaît la chose que par son opposé ; si une chose n’a pas

de contraire, je crois, on ne peut pas la reconnaître. Prenons l’exemple des

 bourgeois, ils naissent tous des esclaves, c’est la nature de leur vie. Ils naissentsoumis, aliénés, conformistes, tout ce qui n’est pas individuel, tout ce qui n’est pas

eux. Et parce qu’il n’y a personne parmi eux qui soit libre, ils ne peuvent jamais

reconnaître leur servitude et leur aliénation. Du fait qu’ils ignorent d’abord qu’est

ce que la liberté ; et on ne peut savoir est ce qu’on est esclave ou non que si on sait

d’abord qu’est ce qu’un homme libre. Dans ce sens, leur engagement n’est pas un

vrai engagement à la vie humaine qui fasse de leur existence quelque chose

d’important ; mais juste un engagement d’esclaves dans le quotidien d’un palais :

ils sont présents, ils font la majorité des travaux, les plus rudes même, mais ils ne

dirigent rien, ils n’ont aucun pouvoir : ils sont dénués de toute qualité humaine, à

 peine, ils ont un corps épuisé, voilà en somme ce que signifie l’engagement des

  bourgeois. Est-ce qu’on peut enfin comprendre leur engagement pour un

engagement réel ? Si un acte vraiment engagé est celui par lequel l’individu

affirme sa présence et sa participation aux pouvoirs qui dirigent le destin de la vie

humaine dont il fait partie, ce qui lui assure une autonomie par rapport à toute

force opprimante, l’acte bourgeois ne pourrait jamais être considéré comme

engagé, parce qu’il ne réalise rien de tout ça pour l’individu. Au contraire, il ne fait

qu’accentuer les formes d’écrasement et d’anéantissement des hommes.

Pourquoi l’engagement des bourgeois n’est pas un engagement réel ? Parcequ’il ne se fait pas au nom de l’humanité, mais juste pour avoir des profits. Il est

donc un engagement individuel, mais comment cela puisse être ? On ne parle

d’engagement qu’au sein de la vie humaine, cela veut dire une seule chose, c’est

que l’homme bourgeois n’est nullement engagé.

« Ils ne défendent plus leur vie, mais un profit luxueux et l’idéequ’ils donnent de leur importance. La grandeur de ce profit mêmen’entre pas en ligne de compte. Ils peuvent en arriver à être cruels.

 Ils sacrifient tout en faveur de l’ordre qui leur garantit ce profit et 

leur assure la permanence de leur transformation mystique detravailleurs en rentiers. Bien que ces profits ne procurent aucune

83

Page 84: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 84/109

 satisfaction concrète. Un profit achète des objets : il ne se manifesteque par un achat. Ces achats sont morts, ces objets sont dès qu’onles possèdent usés jusqu’à la corde : ils engendrent une maladie,des faux désirs. » CH. XV ; P. 145-146 

Ce qui fait de l’homme bourgeois un homme désengagé est la nature de sesactes : les actes des bourgeois ne se font pas pour s’engager au destin de

l’humanité, mais juste pour avoir certains profits, pour un salaire. Autrement dit,

leurs actes ne servent que pour des fins matérielles et très subjectives. L’acte de

l’homme bourgeois n’est utile que pour lui, et seulement au niveau des besoins

instinctifs : manger, s’habiter, se soigner, etc. Mais au niveau des pouvoirs qui

dirigent sa vie, ses actes sont absents, il ne s’en engage par aucune forme. Ainsi

l’engagement des bourgeois est un engagement pour la possession des objets. Mais

un acte qui mène uniquement à la possession des objets ne peut jamais être un acte

engagé, puisque un homme qui agit pour avoir des profits, il donne en échange saliberté, parce que la possession des objets est la plus exacte forme de l’esclavage.

Un homme qui possède est un homme possédé. En clair, agir justement pour avoir 

des objets, cela dit d’une autre manière accepter la soumission et la hiérarchie. En

d’autres termes, agir pour posséder, c’est être esclave chez un maître en espérant la

générosité de ses déchets. Enfin l’engagement à une communauté juste pour avoir 

des profits luxueux sans être vraiment engagé aux pouvoirs dirigeants le destin de

cette communauté n’est pas une forme d’engagement réel. Tout d’abord, parce que

ce genre d’engagement réduit la liberté des hommes en célébrant l’amour de la

 possession des objets, ce qui met l’objet au-dessus de l’homme ; cela réduit à son

tour l’homme à un esclave chez ceux qui possèdent plus d’objets. Enfin, il tue le

vrai sens de l’engagement humain qui devrait être au nom de l’humanité.

Dans ce chapitre, on a essayé de parler de l’engagement au sein d’unecommunauté conformiste, est ce qu’il est possible ? Pour Nizan, comme pour tous

les existentialistes, il est impossible de parler d’un vrai engagement au sein d’un

système conformiste. Cela due à plusieurs faits vus comme négatifs. Pour lui, le

fait de s’engager à une communauté humaine sans que le sujet choisisse cet

engagement, ce n’est qu’une forme de servitude dont le sujet devient un simple

instrument ou outil que les maîtres exploitent pour leurs propres intérêts. Ce genre

d’engagement est illustré par l’engagement des bourgeois qui agissent et

s’engagent à la vie humaine par leurs actes, mais seulement comme étant des

corps. Par contre au niveau des pouvoirs qui dirigent la vie des hommes, ils sonttotalement mutilés. Ce qui fait de leur engagement un engagement abstrait au sens

84

Page 85: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 85/109

existentialiste. Le désengagement ou le faux engagement des bourgeois vient de

leur intention à propos de leurs actes : ils n’agissent pas pour s’engager au destin

de l’humanité, ou pour défendre leur existence contre toute forme d’aliénation,

mais tout simplement pour avoir des profits. Alors leur engagement se fait au nom

de la possession des objets et non au nom de l’humanité, il est donc individuel ;autrement dit, ce n’est pas engagement. En conséquence, leur engagement n’est

 pas pour affirmer leur existence parmi les dominateurs, mais il est une forme de

soumission et d’aliénation à ces dominateurs en acceptant quelques déchets jetés

 par eux. La gravité de cet engagement conformiste s’accentue quand on a affaire à

des hommes de la politique ; car si ceux-ci n’agissent pas librement et

consciemment, on aurait par conséquent un régime despotique entre les mains

duquel réunirait tous les pouvoirs. En concluant, un homme conformiste ne

 pourrait jamais être un homme engagé, car un engagement réel exige la liberté, la

volonté, la conscience et le choix originel, des choses qu’on ne trouve pas chez unhomme conformiste.

Si Nizan nous a montré pourquoi un homme conformiste ne peut pas être un

homme engagé, on pourrait se demander pourquoi un tel engagement ? A quoi

sert-il ? Quel risque craindraient-ils les individus confronter s’ils ne s’engagent pas

à la vie humaine, un engagement au sens existentialiste ? La réponse de cette

 problématique sera l’axe de discussion du chapitre suivant.

85

Page 86: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 86/109

CHAPITRE II

POURQUOI L’ENGAGEMENT ?

86

Page 87: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 87/109

Si le conformisme est l’opposition de ce que veut dire un vrai engagement, on

 pourrait se demander pourquoi une telle insistance de la part des existentialistes sur 

la nécessité de l’engagement ? En d’autres mots, qu’est ce qu’il pourrait arriver à

une communauté humaine si les hommes qui y vivent ne s’engagent pas tous au

destin de leur vie ?

Comme on l’a déjà signé quelque part, l’absence d’un engagement totale dans

une communauté humaine signifie une seule chose, c’est qu’il y a présence à des

grandes inégalités entre les hommes de cette communauté, qui se traduisent par l’expulsion d’une partie d’hommes des pouvoirs supérieurs dirigeants le destin de

cette communauté. Cette exclusion de la vie politique ou des pouvoirs dirigeants

conduit, par conséquent, à une autre expulsion, celle des droits. Cela mène à son

tour à l’émergence de deux espèces humaines dont les inégalités ne peuvent pas

être mesurées.

La classe dominante emploie tous ses pouvoirs pour renforcer sa dominance,

  parce qu’elle sait que le seul moyen pour conserver son pouvoir, c’est par 

l’augmenter. Mais cette augmentation se fait contre la classe opprimée, c'est-à-dire,

autant que la classe dominante devient plus forte, la classe opprimée devient plus

misérable et plus opprimée encore, et par conséquent, plus exclue des pouvoirs qui

rendent son destin de plus en plus écrasant.

En ce sens, l’absence de l’engagement à la vie humaine dans toutes ses

dimensions : sociale, politique, économique, etc. est une absence de l’égalité entre

les hommes de cette communauté inégale. Donc absence d’une vie ou les humains

 puissent vivre tous ensemble en paix ; parce qu’il est impossible qu’une partie

d’hommes subisse jusqu’au bout l’oppression et l’écrasement. La vie devient une

guerre continue entre les classes sociales inégales, et chaque fois il y a vainqueur etil y a vaincu. Vainqueur, ce n’est que symboliquement, car dans la vérité, il n’y a

87

Page 88: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 88/109

aucun vainqueur, parce que les moments de paix ne sont que des préparations pour 

des nouvelles guerres. Et ainsi, l’homme vivait une angoisse et une peur 

 perpétuelles. En ce sens, la vie humaine se diffère-t-elle par quoi de la vie des

animaux où le fort gomme le faible. Jusqu’à quand demeurent-ils les conflits entre

les humains pour qui gouverne l’autre, tandis que personne n’a le droit degouverner qui que ce soit. Est-ce que vous ne voyez pas qu’on n’est plus au Vme

siècle pour qu’il y ait le maître et l’esclave. Il est temps pour que tous les hommes

soient égaux dans tous leurs droits et leurs devoirs, et que tous les conflits cessent,

 parce que la vie humaine ou l’existence humaine est plus précieuse que ces objets

et ces idées abstraites pour lesquels l’Histoire est témoin de combien d’hommes

ont perdu leurs vies.

Mais malheureusement, le temps où Nizan mettait se réflexion sur l’existence

humaine, il n’y avait, selon ce qu’il racontait, que des oppressions, des inégalités etdes injustices entre les hommes et leurs pareils -Mais cela ne veut pas dire que le

 présent est mieux que le passé, juste je veux rester le plus possible conformé au

texte- Où un seul homme, s’il possède du pouvoir, il pourrait opprimer des milliers

d’autres hommes afin qu’il vive au paradis terrestre, tels que les rois des colonies

dont Nizan parlait dans son livre, et qu’on verra par la suite. La seule erreur que

ces millions d’opprimés ont commise, c’est qu’ils ont accepté d’être exclus des

 pouvoirs et de la vie humaine à laquelle ils appartiennent. S’ils avaient pensé qu’ils

ont le même droit que n’importe qui de s’engager à la vie dans toutes ses

dimensions, surtout politiques, certes, ils auraient pu défendre leurs droits contre

ces monstres qui ne savent que s’aimer avec une ardeur hypocrite.

Comme le plus souvent, les grandes inégalités causées par l’absence d’un

engagement réel, ce sont celles que produit la guerre. Là où il apparaît la grande

différence qui sépare la classe dominante de la classe opprimée.

« Les combattants vidés de toute leur guerre entretiennent cette flamme aussi fidèlement que le gaz imbécile sous l’Arc de Triomphe :éclatants de l’orgueil insolent d’avoir été forcés aux sacrifices, ilsexploitent devant nous les morts nationaux. Dans ces cadavres

  glorieux tout est bon pour une sinistre charcuterie qui débite publiquement tous les morceaux des morts.(…) Derrière ce déballaged’idéal patriotique qui séduit quelques adolescents de bonne famille

 s’organisent l’industrie française et la petite guerre civile contre lesouvriers qui ne mange pas les morts. Nous pensons encore faiblement à ces vérités sévères, mais ces gens-là sont déjà pour nous lesdéfenseurs bruyants de la loi, les prophètes de nos devoirs. » CH. II ;

 P. 62 

La classe opprimée est Celle qu’on offre toujours à toute boucherie qui ait lieu.

Soit qu’il y ait victoire ou défaite, c’est la classe opprimée qui paie par son song.Cependant, la vraie victoire revient à la classe dominante. Toujours, ils se

88

Page 89: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 89/109

montrent, après toute boucherie, comme les héros du matche ; on dirait qu’ils

avaient combattu au sein de la cour où se passait la guerre. Le problème n’est pas

dans leur hypocrisie, mais dans la modestie de la classe opprimée qui regarde ces

lâches hypocrites comme des héros. Cette modestie vient de l’absence de

l’engagement et de l’exclusion des pouvoirs dirigeants. C’est pourquoi, lesopprimés croient que les dominateurs sont vraiment forts, qu’ils sont forts par 

nature, et par conséquent, ils ont le droit d’exploiter les richesses du pays pour eux

seuls. Mais si tous les hommes s’engagent à la vie humaine, ils découvriraient qu’il

n’y a pas un homme dit fort et un homme dit faible, et que la nature n’a distingué

aucun être humain de ses pareils. Cependant, tous les hommes sont pareils, tous

doivent être égaux, parce qu’il n’y a aucune raison logique pour faire le contraire.

Et finalement la force et la souveraineté de ceux qu’ils voient comme forts ne sont

que le résultat de leur soumission et de leur désengagement. Enfin si tout individu

arrive à penser ainsi, sans aucun doute, il n’y aurait aucune classe dominante, car iln’y aurait aucune partie qui consent être dominée. De là, l’absence de ces pauvres

soldats au niveau des pouvoirs supérieurs qui dirigent leurs actes, elle les a mis en

  proie à une grande exploitation, du fait qu’ils sacrifiaient leurs vies pour des

valeurs abstraites qui n’existent pas. Pourtant les dominateurs qui dirigent la vie

humaine se bénéficient de toutes les manières de ce massacre auquel ils ont

 beaucoup sacrifié des vies des autres, et qui est devenu pour eux une vraie affaire

commerciale. Ainsi, un homme qui ne s’engage pas au destin de l’humanité par ses

actes devient une proie facile à toute exploitation venue de ceux qui faisaient

d’eux-mêmes les maîtres des hommes.

Les degrés hiérarchiques qu’on trouve dans une communauté humaine ne sont

que le reflet des degrés de l’engagement des individus aux pouvoirs supérieurs.

Autant qu’il y a des inégalités au niveau de l’engagement des individus, il y a des

inégalités au niveau de l’échelle sociale.

« Il y avait un jeu inextricable de distance sociales où tout cemonde se glissait et se reconnaissait avec une dextérité merveilleuse,des degrés hiérarchique au bas desquels se trouvaient sans doute les

 Juifs humbles et crasseux qui habitent autour de la synagogue où ils

vont se consoler de bien des affronts en priant le dieu des vengeance,les épaules entourées d’un thaless poétique comme la nuit. Au

 sommet de la pyramide il y avait l’agent de la Peninsular, deux outrois commerçants puissants dans la mer rouge, les officiers, les

 gouverneurs, et dans le Crescent, à Steamer Point, la statue assise dela grosse reine Victoria avec ses joues pendantes, ses petits yeuxcoincés d’ivrognesse. » CH. VIII ; P. 96 

Toutes les sociétés du monde sont construites sur ce qu’on appelle la pyramide

sociale. Les gens ordinaires croient que chaque degré est motivé par la force de

celui qui l’occupe. Autrement dit, si quelqu’un se situe au sommet de la société, pour les gens ordinaires, c’est normale, parce qu’ils croient qu’il n’a atteint ce rang

89

Page 90: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 90/109

que parce qu’il le mérite par sa propre force et par son propre effort. Mais ce qu’ils

ne savent pas c’est que toutes ces hiérarchies sont déterminées uniquement par le

degré de l’engagement de chaque individu aux pouvoirs supérieurs. Puisque il n’y

a aucun être humain qui soit fort ou intelligent d’une manière qu’il soit supérieur 

des autres, mais tous les humains se valent. Alors d’où viennent ces hiérarchies ?Elles viennent, tout simplement, de l’engagement ou du désengagement des

hommes : autant que les gens ne s’engagent pas aux pouvoirs supérieurs, celui qui

les occupe devient plus en plus fort et dominant. Mais si tout le monde s’engage

aux pouvoirs qui dirigent son destin, il n’y aurait pas un homme supérieur et un

homme inférieur, tout le monde serait égal. Mais un homme qui voit que

l’engagement à la vie politique est une affaire qui ne le concerne pas ou comme

inutile, il ne pourrait jamais être libre, il demeura un sous-homme. Un sous-homme

est tout homme qui vit sous la souveraineté d’un autre homme, et qui ne dirige pas

son propre destin. Ce destin qui fait partie du destin de l’humanité. En d’autresmots, la liberté de l’homme vient de l’engagement et non de l’individualisme. Un

homme individualiste, sa liberté est une liberté abstraite ; car celui qui agit

seulement pour avoir des objets et ne s’engage pas aux pouvoirs auxquels dépend

le destin de sa vie, sa liberté est semblable à la liberté d’un petit enfant qu’on lui

donne des jouets dont il peut faire ce qu’il veut, mais qui reste toujours sous la

 protection et la domination de ses parents. Mais est ce qu’il est libre, bien sûr que

non, parce qu’il n’est pas encore maître de soi. C’est ainsi qu’un homme qui agit

uniquement pour posséder des objets, il demeure pour toute sa vie un homme

mineur, inachevé et possédé. En fait, l’engagement à la vie humaine est une

démarche vers l’autonomie et la plénitude. Ainsi, toutes les hiérarchies et les

inégalités dans une communauté sociale ne sont que le résultat d’une absence d’un

engagement total des tous les individus qui appartiennent à la même communauté.

Cette inégalité au niveau de l’engagement qui donne en conséquence la possibilité

à une partie d’hommes d’être au-dessus d’une autre partie. Ce qui fait que cette

dernière soit toujours soumise à la première.

Si les existentialistes défendent l’engagement à la vie politique, leur premier 

objectif de cet engagement est de défendre les droits naturels de l’homme. En plus

de la liberté d’agir et de choisir, il y a le droit de posséder.« Belle balance pour pencher en faveur d’un homme. Je vois

Mazamet tassé au pied de la Montagne Noire, avec ses eaux dansles prés, ses garages, son record du nombre d’autos par millehabitants, son milliard d’affaires par an, le sourire de ses hôteliers,

 ses noirs faubourgs pleins de laveurs de peau. Je vois les ouvriers gantiers de Millau, le dos courbé des vendeuses de chez Perrin, lesmanœuvres somalis arrachis à leurs villages et à leurs troupeaux

 pour être insultés par tous les blancs de Djibouti. » CH. IX ; P. 101

Si par la possession des objets qu’on divise les hommes aux supérieurs etinférieurs, il faut donc s’interroger sur les causes qui font d’un homme un homme

90

Page 91: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 91/109

 possesseur, ou un homme privé de toute chose. Sans oublier que tout le monde naît

nu, les mains vides. Certains nous disent que par le travail et l’effort continu qu’un

homme puisse atteindre tout ce qu’il veut. Par son travail, c'est-à-dire par son

 propre effort, par sa force ; mais qu’est ce que peut atteindre un être humain par sa

faible puissance ? Pas beaucoup de choses : cueillir des fruits, cultiver un champ,construire une petite maison, se marier, avoir des enfants…en général, ce qui

répond seulement à ses besoins personnels ; mais devenir le maître des hommes

 juste par sa faible force trop limitée, ce n’est pas tout à fait logique. Comment donc

un homme puisse-t-il devenir un maître des hommes ? D’où tient-il cette force qui

lui donne le droit de réduire ses pareils à ses sujets travaillant pour lui ? La seule

réponse possible dans ce contexte, c’est que cette force qu’un individu puisse

avoir, et qui dépasse la condition humaine, vient de l’extérieur ; c’est à dire, si la

force n’est pas dans l’individu, elle doit venir des autres : ce sont les autres qui font

d’un certains individus des surhommes. Mais comment est-ce cela est possible ?Est-ce qu’il y a un homme qui accepte être soumis à un autre ? Il faut plutôt dire

est ce qu’il y a quelqu’un qui n’accepte pas être soumis, car tout le monde et sans

exception se soumet. Prenons par exemple les rois, un roi peut massacrer tout un

 peuple s’il le désirerait, mais cette puissance de massacrer tout un peuple n’est pas

en lui. Au contraire, il la tient de la soumission des milliers d’hommes à lui, et

qu’il appelle sa troupe. Ainsi les hiérarchies au niveau économique, un maître de

firme n’est pas riche et puissant par sa nature, mais par l’ensemble des actes des

milliers de travailleurs qui ne tiennent de leurs actes que des déchets tristement

 jetés par le maître. Cet avantage que le chef de firme a sur ses travailleurs, ce sont

les pouvoirs supérieurs qui le lui garantissent. Mais si les travailleurs

s’engageraient à ces pouvoirs, ils auraient eu la possibilité de défendre leurs droits

opprimés par ce genre de maître. Et enfin, il n’y aurait ni des maîtres ni des

travailleurs, que des hommes égaux dont chacun encaisse selon son effort. Mais

dès qu’il n’y a pas un engagement total des individus, il n’y aurait aucune égalité.

Finalement, l’absence de l’engagement conduit forcément à une absence de

l’égalité entre les hommes. Autrement dit, pas autre moyen pour vivre dans une

communauté juste et égale que par l’engagement aux pouvoirs supérieurs qui

dirigent la vie de cette communauté.

Les communautés où il y a plus des inégalités et des injustices dues à l’absence

d’un engagement global, ce sont sans doute les communautés monarchiques.

« Impossible de voir des hommes plus en ruine que les sujets du sultan : les ouvriers que j’ai vus sortir des mines de bauxite sur laroute d’Aix-en-Provence, couverts de terre rouge, respiraient la

 force et la joie auprès d’eux. Vingt mille êtres mènent cette vie de  purgatoire pour que ce marquis de Carabas indigène puisseregarder ses prés verdir à l’ombre des avions militaires anglais,

 puisse se regarder en paix ses boules de verre et voyager au Caire,à Londres et à Paris. » CH. XI ; P. 116 

91

Page 92: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 92/109

Une communauté monarchique est une communauté où tous les pouvoirs sont

réunis entre les mains d’une seule personne. En conséquence, cette personne peut

en faire tout ce qu’il veut : asservir, par exemple, des milliers d’hommes à son gré.

En fait, c’est ça une vie où les hommes sont exclus des pouvoirs qui dirigent leur 

destin. S’ils n’en étaient pas exclus, s’ils s’engageaient par leurs volontés à laconstruction de ce destin, ce destin ne serait plus imposé sur eux, et il ne serait pas

contre leurs volontés ; en opposé, il serait le produit de leurs volontés. En d’autres

mots, s’ils n’avaient pas s’être soumis à ce despote, il n’aurait pas pu devenir 

despote. Mais parce qu’ils ont accepté la soumission et l’exclusion des pouvoirs

supérieurs, il serait logique de les trouver opprimer par un seul homme pour qui ils

ont céder tous les pouvoirs. On peut nous dire que le chef d’un Etat joue un grand

rôle dans la sécurité du peuple, et qu’il… Mais que dirait-on quand il n’y a aucune

sécurité ? Quand le peuple est déjà colonisé ? Est-ce qu’il y a de pire encore que

ça ? Ce n’est pas possible. Donc, le roi garantit la sûreté de son peuple uniquementquand il n’y a pas de dangers ; les moments où il y a des guerres et des

catastrophes, il devient inutile, pauvre et impuissant devant la fatalité du destin

comme tous les autres. Par quoi était-il donc un roi aux moments de paix ? Ou

 pourquoi il l’était ? Juste pour exploiter les autres ? Alors, c’est lui qui est le vrai

danger qui menace la liberté et les droits des autres. Pour cela que tous les

existentialistes sont contre l’idée d’un régime dominant, parce qu’ils en voient le

vrai oppresseur des hommes. Est-ce que ce n’est pas le régime dominant qui

défend ceux qui ont contre ceux qui n’ont rien ? Autrement, il encourage les forts à

écraser les écrasés. En plus, dans les communautés construites sur la hiérarchie, on

ne donne le droit de s’engager aux pouvoirs supérieurs qu’à des classes

supérieures. Tandis que le peuple, la classe opprimée, reste exclue de ces pouvoirs

qui dirigent son propre destin, ou plutôt qui l’anéantissent. Est-ce que cela veut

dire que cette classe des opprimés ne faite pas partie de cette communauté ? Mais

elle constitue la majorité, donc elle a le droit comme tout le monde de s’engager au

 pouvoir. En ce sens, pour défendre n’importe quel droit, pour avoir l’égalité avec

tous les hommes, il faut défendre d’abord un droit qui est indépassable, sans lequel

rien ne puisse être défendu, il s’agit d’un engagement égal et total aux pouvoirs

supérieurs à qui dépend le destin de chaque individu.

Pourquoi faut-il s’engager ? Parce que tout empêche l’individu de le faire, cela

est une raison suffisante pour s’engager. Car une action réelle est celle qui nie ce

qui est, c'est-à-dire anticonformiste.

« On félicitait les jeunes gens et les petits employés de se fairedes vies imaginaires : cela s’appelait par exemple le temps retrouvé.On suggérait que le bouddhisme même est charmant. Pendant cetemps là nos maîtres étaient bien tranquilles ; quand vous pensez àretrouver le temps perdu vous ne mettez rien en danger. Fuir 

 signifie qu’on renonçait à regarder de près le monde qu’on fuyait,qu’on renonçait à demander des comptes le jour où on aurait 

92

Page 93: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 93/109

compris. Allez jouer et laisser les grandes personnes tranquilles. Il yavait un plan merveilleusement établi pour faire oublier les maux

 présents et leurs remèdes. Toute recherche présente met en péril l’ordre. » CH. XII ; P. 127 

La première chose que la classe dominante tente à réaliser par son pouvoir,c’est d’empêcher les autres classes d’arriver au pouvoir. Car cela lui assure la

maintenance de sa dominance d’une part ; et pour être au-dessus des hommes

d’autre part, car si on possède le pouvoir sans que personne ne se soumette à lui, ce

  pouvoir n’aurait aucune valeur ni importance. Ce qui fait que cette exclusion

constitue pour l’homme existentialiste un vrai défi où il sent son vrai acte. Pour 

cette raison, les hommes engagés sont très rares. De même, ce n’est pas n’importe

qui peut franchir tant de chaînes et de dangers que les dominateurs mettent entre

eux et les opprimés afin que ces derniers ne puissent jamais arriver au pouvoir.

Mais un homme existentialiste est un homme libre au fond de soi-même ; la mort pour lui n’est qu’un autre degré plus élevé de la liberté, c’est pourquoi, il ne craint

rien. Ainsi, le fait de briser ces clôtures constitue pour lui un acte réel où il

actualise son existence. Cette violation doit être prise au terme d’un engagement,

 parce que les clôtures sont faites pour empêcher les gens à s’engager au pouvoir.

L’homme existentialiste les brise pour rendre ce droit arraché qu’est l’engagement

aux pouvoirs qui dirigent le destin de l’humanité d’où fait partie son propre destin.

En opposition, un homme ordinaire, typique et lâche fuit toute forme

d’engagement. Ce n’est pas parce qu’il ne s’y intéresse pas, mais parce qu’il sait

que toute tentation pour s’engager au pouvoir dans une communauté établie sur la

hiérarchie est vue par les dominateurs comme un passe-droit, donc c’est un crime

que son créateur doit payer cher. Pendant, logiquement parlons, il n’y a aucune loi

logique qui force un homme à s’adapter à des lois qui ne lui conviennent pas. Dans

ce sens, la fuite d’un engagement réel n’est pas seulement un manque de

responsabilité, mais aussi une lâcheté par le fait de se soumettre à autrui.

Autrement dit, vivre la vie qu’autrui vous impose ; vous ne vivez plus votre vie,

 pourquoi vivre donc ? De là, fuir de s’engager à la vie humaine, c’est renoncer de

connaître la vérité que les hommes sont divisés en deux espèces : maîtres et

esclaves. Les maîtres sont ceux qui dirigent tout, d’où viennent toutes les

consignes ; les esclaves sont ceux qui mettent en pratique les projets de leursmaîtres. En ce sens, l’absence de l’engagement dans une communauté ne signifie

  pas seulement l’oppression des droits d’une partie, mais c’est une forme

d’anéantissement de l’être humain. En clair, le fait d’empêcher un être humain de

s’engager au pouvoir qui dirige sa vie, c’est une condamnation pour lui d’être

toujours soumis. En d’autres mots, asservir un homme c’est le réduire à un objet

comme s’il était incapable de vivre sa vie par soi-même, comme si les maîtres sont

seuls des êtres conscients, et le reste est bête. En tout cas, quelle valeur ou

importance aurait-elle une âme si elle ne se traduit pas dans les actes de son sujet.

De même, le fait d’être dirigé par autrui ne reflète aucune volonté ; au contraire,c’est la forme le plus anéantissante de l’individu. Finalement, l’engagement n’est

93

Page 94: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 94/109

 pas un simple geste par lequel un être humain assure sa liberté par rapport à un

autre, mais c’est une nécessité par laquelle un homme puisse se distinguer de

l’animal.

Tant que les gens ne s’engagent pas au pouvoir, leur engagement devient de plus en plus impossible. En effet, toute chose se développe, et le fait de ne pas

s’engager, c’est céder le pouvoir à une seule partie, il sera normal que ce pouvoir 

se développera entre les mains de cette partie.

« Ce pays peuplé de conducteurs d’esclaves et d’esclaves docilesauxquels la longueur, chaque jour réduite de leurs chaînes donneencore l’illusion de la liberté et les allures du pouvoir, est entouré 

 par la mer. Il n’en fait rien. Il craint que ses fils ne se trempent les pieds et ne s’enrhument. Jean, reste au village. » CH. XV ; P. 141

Comme on l’a déjà dit, un homme ne peut être fort que par la soumission desautres. D’autre manière, autant qu’on a plus de lâches, la partie dominante devient

 plus puissante. Cette augmentation de pouvoir rend par conséquent l’engagement

des classes exclues plus difficile, si on ne dirait impossible. Pour cela, l’homme

existentialiste n’a qu’un seul espoir celui de ses actes. C'est-à-dire, un homme

existentialiste ne croit qu’au présent. Ce qui fait de l’actualité une condition

indispensable pour ses actes. En conséquence, des termes comme attente, patience,

espoir, avenir, etc. sont inutiles pour lui. En ce sens, pour être un homme engagé, il

faut que tout acte soit pour et dans l’actualité, sinon tout retard est un pas en arrière

qui éloigne l’individu de l’engagement à la vie humaine. Au sens de ces termes, la

lâcheté est la raison de tout désengagement. Ce qui fait de la partie dominante plus

en plus despote. Est-ce que cela n’est pas une bonne raison pour s’inquiéter ? Les

lâches fuient l’engagement par amour à la vie ; mais quel sens gardera encore cette

vie quand elle se réduira à un objet entre les mains d’autrui ? Ainsi, l’absence de

l’engagement rend la vie des hommes une fatalité, quand elles sont réunies à la fois

la volonté d’oppression des dominateurs et la volonté de la soumission des

opprimés. Et cette volonté de soumission où il y a le grand danger. Car quand un

homme soit désespéré, il ne reste absolument rien à lui faire pour le sauver. Et la

soumission à autrui sans vouloir un jour se révolter c’est la figure la plus parfaite

du désespoir. D’où, l’absence de l’engagement n’est pas seulement l’absence desdroits naturels de l’homme, mais c’est une absence du bonheur de la vie humaine.

Enfin, ce qui est à comprendre, c’est quand on vit sous la domination d’un régime

despote, il ne faut pas attendre ou mettre son espoir dans l’avenir, et dire qu’un

 jour tout sera résolu. Non, au contraire, si on ne se révolte pas contre les malheurs

dans leur actualité, l’avenir, où on met son espoir, ne pourrait être que de plus pire.

Car sa soumission ne fait qu’augmenter le pouvoir de la partie dominante. Ce qui

rendra après toute révolte ou tout engagement presque impossibles. La lâcheté et la

soumission deviendront des états naturels dont personne ne s’inquiétera. A cet

égard, on a perdu sa chance une fois pour toujours pour être un homme, un vraihomme libre, capable de diriger sa vie par soi-même.

94

Page 95: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 95/109

Un homme qui ne défend pas son droit de s’engager au pouvoir qui dirige le

destin de sa vie est un homme qui condamne soi à l’exclusion de la vie humaine.

« J’entends par France la bande de possesseurs du territoire, des

mines, des carrières, des usines, des moulins, des immeubles, labande des maîtres des hommes, qui ne donnent le droit d’identifier la France à leur somme puisqu’ils prétendent en tous lieux avoir 

 seuls le droit de parler en son nom. Il n’est pas l’heure de parler deleurs victimes, des ouvriers agricoles et des manœuvres, des soldatset des employés, des vendeurs de cravates et des filles avortées, deshommes et des femmes à qui la France n’appartient pas. » CH. XV ;

 P. 142Le résultat fatal de désengagement est l’expulsion de la vie humaine, et de tous

les droits. D’où la question qui se pose : est ce qu’on peut parler encore de cesqualités abstraites telle que patriotisme, citoyen, identité, etc. Est-ce que ces

valeurs existent-elles vraiment, ou elles ne sont que l’une de ruses des dominateurs

 pour endormir et exploiter des gens naïfs qui croient à tout mensonge dit par les

mythes. Quand un homme soit exclu de tous les pouvoirs qui dirigent le destin de

sa communauté, quand il soit exclu de tous les droits qu’ont les hommes de cette

communauté, cet homme appartient-il enfin par quoi à cette communauté ? Qu’est

ce qu’une patrie ? Est-ce que ce n’est pas la convention de plusieurs hommes pour 

vivre ensemble ? Si un homme ne fait pas partie de cette convention, il n’appartient

donc pas à cet ensemble. Dans ce sens, personne n’a le droit d’exclure qui que ce

soit des pouvoirs dirigeants une communauté humaine. Egalement, personne ne

doit penser qu’il n’a pas le droit de s’engager aux pouvoirs de sa communauté.

Dans le cas où l’une de ces deux conditions n’est pas respectée, la communauté

 perdrait son équilibre. Et par conséquent, des graves inégalités émergent entre les

  personnes de la même communauté. Ce qui donnera lieu à des conflits qui

 pourraient être perpétuels. Enfin, une vie humaine où il n’y a pas un engagement

de toutes les classes et tous les individus, elle ne serait pas différente par grande

chose de celle des bois. Inversement, une vraie vie humaine est celle où toute

volonté individuelle soit respectée, où les hommes vivent selon des lois qu’ils ont

choisies par leur propre volonté sans la présence d’aucune force oppressante.

En bref, l’absence d’un engagement total, c'est-à-dire de toutes les classes

sociales appartenant à une communauté, est considéré comme la principale cause

de toute inégalité, injustice et hiérarchie entre les hommes. L’absence d’un

engagement total signifie qu’il y a une partie dominante qui dirige tous les

 pouvoirs et une partie opprimée exclue de tout pouvoir. Ce qui met cette dernière

en proie à toute exploitation dirigée par la première. De là, Nizan considérait queles sociétés monarchiques par leur système hiérarchique sont les plus traduisant de

95

Page 96: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 96/109

ces inégalités et de ces injustices que commettent une certaines personnes contre

leurs pareils. D’où il défendait la nécessité de l’engagement de toutes les classes

aux pouvoirs supérieurs comme le seul moyen pour que la partie opprimée puisse

défendre ses droits arrachés contre les dominateurs. En outre, l’absence d’un

engagement total rend de plus en plus l’égalité entre les hommes difficile. Car autant que les hommes se soumettent à un régime dominant, ce régime dominant

devient plus puissant, d’où toute révolte contre lui deviendra après presque

impossible. Pour cette raison, l’actualité constitue une condition indispensable dans

l’engagement de l’homme existentialiste. Ainsi, Nizan concluait que pour vivre

dans une communauté dite humaine, il faut qu’il y en ait un engagement de tous les

individus qui y vivent. Autrement dit, les pouvoirs et les droits doivent être réglés

 par tous les hommes sans aucune hiérarchie ou inégalité ; juste après qu’on puisse

 parler d’une vraie communauté humaine.

Si dans le premier chapitre de cette partie, on a parlé de l’engagement sous un

système conformiste, la chose qui semblait être impossible, si on prenait le mot

engagement dans son sens existentialiste. Et dans le second chapitre, on a vu que

l’absence d’un engagement totale dans une communauté conduit forcément à des

inégalités entre les classes sociales, et par conséquent à des conflits continus. Il

reste à citer, en dernier lieu, comment devrait être une communauté humaine où

tout le monde soit engagé, c’est ce qu’on va voir juste dans le chapitre qui suit.

96

Page 97: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 97/109

CHAPITRE III

L’ENGAGEMENT OU L’EGALITE UNIVERSELLE

97

Page 98: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 98/109

Pourquoi l’engagement ? Parce que quand il n’y a pas un engagement total de

tous les hommes, les humains se divisent en deux espèces : opprimants et

opprimés, entre lesquels il ne reste que la guerre comme lien. Laissons-nous donc

voir ou plutôt imaginer une vie où il n’y ait ni opprimé ni opprimant, où tous les

hommes soient égaux, où les lois et les droits soient tracés par la volonté de tous

les individus appartenants à la même communauté.

Le fait que tout le monde s’engage au pouvoir, ou l’idée d’une communauté

sans un régime dominant apparaît comme une idée utopique, impossible d’être

réalisée ; c’est ce que la plupart des adversaires de l’existentialisme en ont

reproché. Mais laissons-nous voir de près ce que les existentialistes veulent dire

 par que tout le monde a le droit de s’engager à la création du destin de l’humanité.

La chose est très simple, pensons à la naissance des êtres humains ; est-ce qu’il

y a un homme qui naît génie ? Personne, tout le monde naît d’abord rien, tout le

monde naît libre. Alors comment par la majesté du hasard, après quelque temps, un

homme se trouve roi et dominant qui possède un pouvoir qui lui permette de

diriger le destin des milliers des hommes ; et un autre homme, par la volonté d’undestin cruel, se trouve forcé à s’aliéner à autrui, écrasé, pressé, opprimé dans ses

droits par un autre qui se situe, sans aucune loi logique, au-dessus des hommes.

Face à ces inégalités et ces injustices absurdes qui sont là, mais sans aucune

 base logique ; qui sont là, mais qu’on ignore pourquoi elles sont là, qui les a

forgées, elles sont tout simplement arbitraires ; les existentialistes viennent révéler 

aux hommes, surtout aux opprimés, la vérité de ces lois et de ces valeurs qui les

écrasent ; et qu’ils ont le droit comme qui que ce soit d’être les maîtres de leur 

existence, de soi, de diriger leur destin. Ce destin qu’ils ont pris pour longtemps pour une chose de fatalité, donc indiscutable.

98

Page 99: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 99/109

Pour que cela soit, ils doivent défendre leur droit de s’engager aux pouvoirs

supérieurs qui dirigent leur propre vie. Mais quand on dit engagement, on n’entend

 pas par cela cet engagement puéril qu’on trouve dans les sociétés conformistes,

mais c’est une véritable volonté de vouloir être soi. Un engagement où il n’y a présence à aucune force supérieure, pourtant tous les hommes y aient les mêmes

droits et la même force. C'est-à-dire où il n’y a aucun régime dominant qui puisse

mener le choix et l’élaboration des lois pour son propre intérêt ; mais tous les

hommes doivent être égaux dans leur engagement afin qu’aucune partie ne soit

opprimée.

Voici enfin pourquoi on a assimilé l’engagement total à l’égalité universelle.

Tout le monde reproche à l’existentialisme l’idée d’une société sans Etat en voyant

une sorte d’anarchisme. Mais la vraie anarchie, pour les existentialistes, se trouvedans les sociétés où il y a des Etats. En effet, qu’est ce que l’Etat qu’un ensemble

d’hommes qui donnent le droit à eux seuls de posséder le pouvoir et de diriger la

vie des hommes, on dirait des petits dieux mis sur terre par le bon dieu pour diriger 

les humains qui sont encore incapable de se conduire. Ils se situent au-dessus des

hommes, et ils commencent à jouer du destin de l’humanité à leur gré, ou comment

voulez-vous qu’on explique ces guerres et ces rencontres sanglantes dont on ne

comprend rien, la seule chose qu’on en sait c’est notre malheur. Toutes les guerres,

toutes les révolutions sont témoins de la présence des inégalités et des injustices

entre les hommes. Ces inégalités et ces injustices sont les produits d’un système

qui est par sa nature inégal, du fait qu’il est construit sur la hiérarchie.

Mais proposons-nous s’il n’y avait pas ces inégalités et ces hiérarchies, est-ce

qu’on aurait une partie opprimée et une autre dominante ? Si tout le monde

s’engage à la fondation des lois, est-ce qu’il y aurait encore ces injustices inventées

 par une classe et exercées sur une autre ? Si tous les hommes étaient égaux, est-ce

qu’il y aurait des guerres et des révolutions ? Est-ce qu’il aurait des millions de

morts qu’on ajoute chaque fois à cette Histoire sanglante ? Certes, s’il y avait un

engagement total de tous les individus à la fondation des lois qui dirigeront leur 

vie, il n’y aurait rien de tout ça.

C’est pourquoi Nizan est plutôt un philosophe humaniste qu’existentialiste. Car 

 pour lui, pour parler d’une communauté vraiment dite humaine, il faut qu’il n’y ait

 présence à aucune inégalité ou hiérarchie quoique ce soit entre les individus de

cette communauté. Et parce qu’il voyait que la présence de ces injustices et ces

inégalité n’est que le résultat de l’expulsion d’une partie d’hommes des pouvoirs

qui écrasent leur vie, il insistait sur l’abolition de tout régime qui soit supérieur. Et

il affirmait, par opposition, la nécessité que les hommes doivent diriger leur vie par 

soi-même. D’où, la présence de toute force supérieure est une démarche versl’anéantissement des hommes en les réduisant aux objets.

99

Page 100: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 100/109

Par contre quand les hommes tous ensemble gouvernent leur vie, tous les

individus deviennent des sujets dont chacun défend sa propre volonté et affirme

son existence en engageant au destin de l’humanité. En conséquence, tout individu

devient responsable de sa vie et de la vie humaine en général. Il est donc un vraihomme, un homme complet qui n’a pas besoin d’autrui pour indiquer son chemin.

Il n’est plus donc cet objet manipulé par les dominateurs qui lui déterminent tout

acte qu’il faisait. Autrement dit, qui lui nient la volonté d’être soi, ils le rendent un

esclave.

Enfin, le fait de défendre une communauté où les hommes dirigent leur vie par 

soi-même en absence de tout régime dominant ou force supérieure quelconque, ce

n’est point une volonté anarchique, comme on prétend, mais au contraire, c’est un

 projet pour abolir toute hiérarchie entre les hommes, qui puisse être la cause de plusieurs confrontations sanguines et perpétuelles, et pour rendre aux opprimés

leurs droits afin qu’il y ait une place dans ce monde où les hommes puissent vivre

enfin ensemble en paix.

Toute hiérarchie entre les hommes n’engendre que la haine et le mépris entre

eux. Pour cela qu’on défende l’égalité entre les hommes par un engagement global

et juste.

« Je veux détester et battre tel homme particulier, cette figure detraître que je vois, ce patron, cet avoué, ce chef de bataillon, cet empêcheur de faire l’amour. Sortez de la vie avec vos imitations,avec vos trompe-l’œil qui ne compte pas dans l’établissement de lavie charnelle, de la justice, de la joie, avec vos fabrications dehaine, de défaillance et de colère, vos diminutions et vos imagesdans l’eau. » CH. IX ; P. 99

Quand il y a certaines personnes qui se situent au-dessus des hommes, cela veut

dire qu’il y a une partie exclue du pouvoir. Cette expulsion conduit forcément à des

conflits continus entre les deux parties. Mais si tous les hommes appartenant à une

communauté précise s’engagent aux pouvoirs supérieurs de cette communauté, il

n’y aurait certainement pas assez de différences et d’inégalités entre les hommes.Et par conséquent, il n’y aurait pas des confrontations. Pour Nizan, tout ceux qui se

situent au-dessus de leurs pareils sont des traîtres. Des traîtres de l’humanité, parce

que bien qu’ils sachent qu’aucune raison logique ne leur donne le droit pour se

situer au-dessus de personne, par leur injustice et par leur esprit du Mal, ils se

donnent le droit eux-mêmes d’écraser les autres, d’êtres les maîtres et les autres

leurs esclaves dociles. Ils sont ainsi les créateurs de tous les malheurs de

l’humanité. Mais pas seuls, les opprimés aussi, par leur soumission, s’engagent à

ces malheurs. Par contre s’ils avaient défendu leurs droits et n’avaient pas consenti

l’oppression des dominateurs, ces derniers n’auraient pas eu la possibilité pour devenir des dominateurs. En ce sens, l’appel à l’engagement global de tous les

100

Page 101: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 101/109

individus, et l’abolition de toute hiérarchie est un appel à l’égalité absolue entre

tous les humains sans exception.

Quand on dit que l’engagement global est le seul moyen pour une égalité

absolue, cette égalité n’est pas seulement au niveau politique mais aussiéconomique.

« Sale encore des excréments et de la crasse de sa guerre. Elle gémit sur sa pauvreté, sur sa dignité, sur sa mission spirituelle et dela petitesse de ses bénéfices et la grosseur de sa bonne volonté. Car elle est menée par des marchands hypocrites qui cachent les profitsdes bilans et pleurent sur la dureté des temps. Leurs voix répètent en

 son nom qu’elle est la capitale de l’esprit, la fille aînée de l’Eglise,la muse de la démocratie : ainsi nourrissent-ils d’illusions les

hommes que les hasards des mariages, de l’amour et des voyage ont doués de la qualité de français. » CH. XV ; P. 142Tout pays dans ce monde a ses richesses qui se comptent par des milliards de X,

et qui sont offerts par la nature, c'est-à-dire qui ne sont inventées par personnes

 pour qu’elles soient propres à qui que ce soit. Mais partout dans le monde, il y a

une seule partie très déterminée qui se bénéficie de ces richesses. Parallèlement, il

y a dans tous les pays des gens qui ne possèdent de quoi fouetter un chat. La

question qui se pose, où sont-elles passées ces richesses ? Qui les exploite ? Et qui

lui a donné le droit de le faire ? Bien sûr, c’est le régime et la classe dominante qui

s’approprient tout pour eux. Est-ce que cela vous apparaît juste ? Nizan, comme

tous les existentialistes, en voyait une extrême injustice contre la partie exclue. En

effet, ces richesses n’appartiennent à personne de particulier, elles sont donc à tout

le monde. Mais l’expulsion d’une partie du pouvoir ne peut conduire qu’à une

autre expulsion, celle des richesses. Pour cela, les existentialistes défendent une

communauté sans aucun régime dominant en le remplaçant par un engagement

globale de tous les individus afin que tout le monde puisse défendre sa part de ces

richesses dont il a le droit comme qui que ce soit. Donc une égalité universelle.

Engagement total de tous les individus sans aucune hiérarchisation ou

distinction se compte, cela veut dire que chaque individu a le droit de défendre sa propre volonté, donc il n’y a aucune valeur ou loi qui soit sacrée. Tout est humain,

tout est contestable.

« Ils accourent de toutes parts à l’endroit où se fait entendre unmot de protestation, où se produit une tentative de délivrance.Quand ils se retirent, ils laissent la place nette : leurs policiers,leurs badauds et leurs sages agissent avec la certitude rêveuse desmachines. A quoi pense un tour vertical ? A quoi pense l’agent 36541 ? A quoi pense M. Bergson ? » CH. XV ; P. 147 

Dans tous les territoires du monde, au sein de tous les systèmes politiques dumonde, il y a des partisans et des adversaires. Il y a des partisans, c’est compris, ce

101

Page 102: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 102/109

sont ceux qui ont forgé le système tout simplement. Mais il y a des adversaires,

cela veut dire quoi ? Cela veut dire que ce système n’est pas choisi par tous les

hommes qui le subissent, mais il est imposé sur eux par une partie dominante.

Donc il y a une injustice qu’on veuille ou non. Pour cette raison là que les

existentialistes défendent une communauté où les lois soient faites par l’accord dela volonté de tout le monde. Est-ce que cela est possible ? Est-ce qu’il est possible

que tout le monde s’accorde sur des mêmes lois ? Il serait très possible dans le cas

où on donne à chaque individu ses droits et que ces droits soient égaux aux droits

de tout le monde. Il serait injuste lui-même s’il veut plus que ça. Autrement dit,

chaque individu doit avoir un salaire, un prix équivalent à ses actes ; et parce que

tous les actes seront libres, tout individu sera donc responsable des actes qu’il

choisira. Ce qui n’est pas logique c’est de trouver plusieurs personnes travaillent

dans une même société, le même temps, et par le pouvoir du hasard, vous trouvez

un homme qui gagne le triple de ce que gagnent des milliers des travailleurs. Cequ’on veut c’est l’égalité entre tous les hommes d’une même communauté, soit au

niveau politique ou au niveau économique.

Le capitalisme est l’exemple parfait des systèmes construits hiérarchiquement.

La question qu’on peut poser est pourquoi une telle hiérarchisation ? Que fait

qu’un homme supérieur et qu’un autre inférieur ?

« Mais on ne saurait le persuader : il ne sait pas qu’il vousécrase, ni pourquoi il le fait, le capital exige qu’il écrase, c’est comme la loi d’un dieu. Le capital lui donne assez de passion, de

  sentiments pour qu’il fasse son ouvrage avec conviction : les passions mêmes augmentent le profit et le rendement. Il écrase sansdessein, sans justification. Il n’est pas admirable, ou parfait, oubienheureux, parce qu’il écrase. Homo Economicus n’a pas de joie,il ne tire pas de bonheur du malheur des hommes. » CH. XV ; P.149

Le capitalisme est injuste en point, par le fait qu’il est établi sur l’ordre de la

hiérarchisation entre les hommes. C'est-à-dire, pour être un homme capitaliste,

vous devez écraser les autres si vous voulez être au sommet ; si vous n’écrasiez pas

les autres vous seriez vous-même écrasé. C’est la logique du diable. Car lessociétés capitalistes ne défendent pas l’égalité entre les hommes, au contraire, elles

défendent la hiérarchie ; et un homme ne peut s’engager au pouvoir que s’il est au

sommet de cette hiérarchie. Par opposé, ceux qui sont au bas de la pyramide se

considèrent comme mineurs qui n’ont pas le droit pour s’engager au pouvoir.

Autrement dit, dans un système capitaliste, ce sont les maîtres qui dirigent tout.

Ceux qui n’appartiennent pas à l’Elite dominante sont considérés comme des

objets ou comme des esclaves. De là, Nizan insistait sur l’abolition du système

capitaliste et le fondement d’un système qui ne sera pas fondé sur la hiérarchie

entre les hommes, pourtant sur l’égalité. Un système où l’homme quand il agit, ilne le fait pas pour écraser les autres, mais pour se servir à l’humanité.

102

Page 103: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 103/109

Comme on l’a déjà dit, un homme ne pourrait être au-dessus des hommes que

s’il y a des hommes qui consentent d’être soumis à lui.

« Ils sont pauvres, avec tous leurs profits. Aussi pauvres que les

hommes que j’aime, que moi-même. Les gardiens de prisonconnaissent un ennui presque aussi vaste que celui des prisonniers,les adjudants ne sont pas beaucoup plus joyeux que leurs hommes.Mais ils possèdent des masques lorsqu’ils se regardent dans les

 glaces. Ils ne reconnaissent pas leur mauvaise mine derrière le cartondoré. Mais nous, nous ignorons les masques, nous voyons notrebassesse, notre indigence et l’essence de notre malheur, nous savonsnos mutilations, rien ne trompe notre appétit, nous ne suçons pas descailloux pour oublier notre soif et feindre qu’elle soit étanchée. Leur 

vie, la succession de leurs années, l’ordre de leur destinée reposent  sur notre anéantissement. » CH. XV ; P. 151Voici enfin pourquoi il faut que tout le monde soit engagé, parce que toutes les

injustices et les inégalités entre les hommes viennent de l’absence d’un

engagement global. Un engagement total est le seul chemin pour une égalité totale.

Le temps de la propriété des richesses naturelles est dépassé. Maintenant il n’y a

 plus des richesses libres, c’est pourquoi, il faut que les humains répartissent entre

eux légitimement ce qui n’est pas encore épuisé ; c’est la seule manière pour que

les hommes puissent vivre ensemble en paix. Si l’espèce humaine est vraiment

évoluée, montrez le dans la réalité. Montrez que tout le monde a ses droits

naturels : liberté, sûreté, possession… Montrez que ce n’est pas le droit de la force

qui règne encore, mais plutôt la force du droit. Mais des sociétés fondées sur des

hiérarchies ne font que traduire une structure très primitive, celle qu’on trouve

actuellement chez des animaux où le fort est le roi. Pour une espèce assurément

évoluée, il faut qu’il y ait une égalité totale entre les humains. C’est le seul moyen

 pour arrêter toute forme de confrontation. Et pour que cela soit, il faut que chaque

individu défende son droit naturel de s’engager à l’élaboration du destin de

l’humanité d’où fait partie son propre destin.

Pour une égalité totale, il faut de la révolte de la part de la partie opprimée,sinon tout autre moyen serait inutile.

« Ils guettent au fond de leurs trous confortables : ce qui nousattend n’est pas un avenir séduisant. Devenir leurs pareils, avec le

 souvenir honteux d’avoir voulu dans la jeunesse vivre comme deshommes : devenir un de leurs serviteurs, chargés de besognesdésignés par eux et prescrites d’un bout à l’autre. Pas d’autres fins

 sans batailles. Je craignais ces fins. Je ne veux pas mourir dans ladégradation d’un banquier, ni dans la déchéance d’un manœuvre

docile. » CH. XV ; P. 153

103

Page 104: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 104/109

Comment l’engagement puisse-t-il être un moyen pour une égalité totale ?

Parce que son absence ne fait qu’accentuer les inégalités entre les classes sociales.

Il n’y a aucun être humain dans cette planète pour qui on donne le pouvoir, et après

qu’il devienne puissant dirigeant les hommes, il aille céder ce pouvoir à un autre,

ou qu’il accepte que les autres soient au même rang que lui. Au contraire, chaquehomme qui vit au-dessus des hommes, il fait tout pour qu’il demeure ainsi : au-

dessus des hommes et les hommes au-dessous de lui. Son projet réussirait au cas

où les hommes acceptent et consentent sa dominance. Mais dès le moment où les

hommes refusent sa domination, il n’est plus au-dessus des hommes. De là, la

question qui se pose c’est comment les gens puissent-ils échapper à la dominance

d’un régime despote ? Tout d’abord, il faut la révolte car rien ne vient gratuit dans

la vie ; et puis, ils doivent défendre une vie où tout le monde puisse s’engager aux

 pouvoirs supérieurs pour qu’il n’y ait possibilité de naissance d’aucune partie

dominante. Car dès qu’on met le pouvoir entre les mains d’une Elite précise,logiquement il y aura une partie ou plus des hommes opprimés. Et cela créera par 

la suite une autre révolution et ainsi de suite. Mais si les hommes défendent une

société où il n’y ait pas de hiérarchies, c'est-à-dire où les pouvoirs ne sont réunis

entre les mains d’aucune classe particulière, il n’y aurait pas des classes différentes

et inégales pour qu’il y ait possibilité à des confrontations ou à des révolutions

continues. En général, le fait de défendre une égalité totale entre les hommes, ce

n’est pas mettre en parallèle celui qui travaille jour et nuit avec un autre qui ne

travaille point, mais donner à celui qui travaille jour et nuit son droit arraché par 

celui qui ne travaille point. C’est le cas de ceux qui se croient les dieux des

hommes qui se donnent le droit de vivre au paradis par le travail et la souffrance

des autres pour qui la vie est un enfer fatal. Par contre, un engagement global est

une négation de la notion de la fatalité. Autrement dit, il est une démarche vers

l’égalité par le fait de savoir que le Mal et le Bien ne sont que ce que les hommes

font. Donc s’il y a un homme opprimé, c’est parce qu’il y a forcément un

opprimant. Finalement, toutes les hiérarchies sociales ne sont que le reflet des

hiérarchies au niveau de l’engagement aux pouvoirs supérieurs. Inversement, un

engagement égal est le reflet d’une égalité totale des hommes au sein d’une même

communauté.

En gros, l’engagement est considéré par Nizan comme le seul moyen à une

communauté où tous les hommes soient égaux. Car par l’engagement, tous les

individus auront le droit de s’engager aux grandes décisions qui dirigent leurs vies.

Ce qui empêche, en conséquence, toute classe dominante de les opprimer dans

leurs droits. En fait, toutes les inégalités et les injustices entre les hommes sont le

résultat de l’exclusion d’une partie d’hommes du pouvoir, c'est-à-dire l’absenced’un engagement global. En opposition, Nizan défendait une communauté humaine

104

Page 105: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 105/109

où il n’y aura présence à aucune Elite dominante quelque soit. Du fait qu’il n’y a

aucune loi qui soit logique qui donne le droit à une partie d’homme d’être au-

dessus d’une autre. Mais parce que tous les hommes naissent libres et égaux, tout

homme a donc le droit de diriger sa vie par soi-même. Et pour éviter toute

confrontation entre les volontés des individus, les existentialistes appellent à unengagement global où tout individu ait la possibilité de défendre ses droits contre

toute forme d’oppression et d’anéantissement. Voilà comment à partir d’un

engagement total, les existentialistes espèrent abolir toute hiérarchie ou distinction

entre les êtres humains. Quel nom faut-il enfin donner à ce projet, si ce n’est pas la

quête d’une égalité universelle ?

Comme la dernière partie de notre projet, on en a traité comment doit être

l’humanité comme étant un ensemble des individus ou des volontés individuelles

selon Nizan bien sûr. Autrement, comment doit-il être l’engagement des individusà la vie humaine dont ils faits partie. Dans un premier lieu, on a conclu

l’impossibilité de parler d’un engagement réel au sein d’une communauté

conformiste. Sous prétextes que ce genre d’engagement ne mène à aucun

changement. Ce qui fait que l’absence d’un engagement global de tous les

individus appartenant à la même communauté est la cause primordiale de toutes les

inégalités et les injustices entre les hommes. Inversement, un engagement total où

aucune partie n’est exclue est le seul moyen pour une vie juste, ou ce qu’on a

appelé pour une égalité universelle.

105

Page 106: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 106/109

CONCLUSION

106

Page 107: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 107/109

A travers cette recherche, on a essayé d’englober la vision qu’avait cet écrivain

et philosophe existentialiste humaniste dit Nizan de l’existence humaine.

Commençant d’abord par la notion de la liberté qui constitue la première exigence

 pour l’homme existentialiste. Selon sa philosophie, pour qu’un homme soit libre, il

doit d’abord se débarrasser de toute forme de déterminisme. Et cela ne pourrait se

faire que par la capacité de l’intelligence, par laquelle Nizan entendait cet exercice

intellectuel par lequel l’individu arrive à se libérer de tous les préjugés et lesvaleurs que la société lui impose, et qui sont présentés comme une forme

d’esclavage. Cela lui garantit une liberté intérieure. Mais cette liberté intérieure ne

coûterait qu’en coprésence avec une liberté extérieure. C'est-à-dire une liberté par 

rapport à autrui, qui doit se manifester dans les actes de l’individu. Autrement dit,

on ne peut parler de la liberté que dans une relation de réciprocité avec l’action.

A partir de cette conclusion que l’homme est forcément libre, Nizan distinguer 

entre deux genres d’actes. Il y a l’acte abstrait, celui qui ne se fait pas par la

volonté du sujet ; donc il ne traduit pas l’âme de son faiseur. Et par conséquent,

l’existence de cet individu est abstraite du fait qu’elle n’était pas réalisée par l’action. En revanche, un acte réel est celui par lequel le sujet affirme et actualise

son existence, en répondant à sa propre volonté et à ses propres pensées. De là,

l’homme est le maître de son existence, car rien ne puisse déterminer ses actes que

son propre choix. Mais cela ne veut pas dire que l’homme peut tout faire ; au

contraire, sa liberté est conditionnée par la responsabilité qu’il tient du moment où

il décide à diriger son propre destin par soi-même en s’engageant à la vie humaine.

Pour ce qui concerne la notion de l’engagement, Nizan distinguait entre un

engagement réel et un engagement conformiste. Ce dernier type d’engagement,

conformiste, pour Nizan, n’est qu’une autre forme d’aliénation. Donc ce n’est pasun engagement existentialiste, parce qu’il ne traduit aucune volonté individuelle du

107

Page 108: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 108/109

sujet. Au contraire, le sujet ne fait qu’appliquer des consignes venues de l’autre.

C'est-à-dire qu’il est esclave. Ce qui fait que l’absence d’un engagement réel et

globale est la cause primordiale de toutes les inégalités et les injustices entre les

humains. En effet, toutes les inégalités sociales ne sont que le reflet des inégalités

au niveau de l’engagement des individus aux pouvoirs supérieurs. C’est pourquoi, Nizan défendait une société où il n’y ait présence à aucune Elite dominante, afin

que tous les hommes aient le droit de s’engager aux pouvoirs dirigeants. En

conséquence, tout individu puisse agir librement et avec conscience, en dehors de

tout écrasement ou anéantissement qui le réduisent à un objet. L’engagement, dans

ce sens, est l’appel à une humanité où il n’y ait ni opprimants ni opprimés. En

d’autres mots, c’est un appel à une égalité universelle.

Mais la question qui se pose encore, est-ce que cela est possible ? Est-ce qu’on

 peut parler un jour d’une vie humaine où il n’y ait aucune hiérarchie entre leshommes ? Une vie où tout le monde est le maître de soi ? Ou bien la vie humaine

est condamnée à n’être qu’une suite de révolutions et des guerres continuellement

renouvelées ?

De là, pour tous ceux qui qualifient Nizan pour un écrivain belliqueux, on leur 

dit que ce n’est pas vrai. La preuve c’est qu’au long de notre étude à son livre

Aden Arabie, on est arrivé à conclure que toute la révolte à laquelle il appelait

n’est qu’une quête d’une égalité universelle, et une humanité juste sans opprimés

ni opprimants. Et par conséquent, au lieu de le qualifier par un philosophe ou

écrivain destructeur ou anarchiste, j’en vois personnellement un philosophe et un

écrivain humaniste. Comme il l’affirmait par lui-même dans le même livre : « Jen’ai pas fait mes études humanistes pour rien. » D’où, toutes ces qualifications

 péjoratives qu’on jette sur lui, comme le disait son condisciple dans la préface, ne

sont que des calomnies sans aucune base pour faire enfoncer ses œuvres dans

l’oubli, où sa négation au capitalisme et à ses inégalités injustes était très forte par 

sa logique.

Une dernière chose que je ne veux pas passer en silence, c’est l’écho des idées

et des pensées de Nizan dans l’œuvre de son ami Sartre. Nizan avait écrit cinqlivres avant que Sartre ait tracé un mot des siens. En plus, si on fait une petite

comparaison entre le livre de Nizan   Aden Arabie et l’essai de Sartre

l’Existentialisme est un humanisme ou l’Etre et le Néant , on voit que Sartre s’est

 beaucoup basé sur les pensées de son ami. Est-ce que cela ne nous pousse pas à

 penser que Sartre n’a fait que reproduire le projet de son condisciple ? Et par 

conséquent, la plantation de l’existentialisme en France est-elle due, non pas

comme tout le monde croit à Sartre, mais à Nizan, cet écrivain tôt arraché par la

mort, ce philosophe mal connu ?

108

Page 109: Aden Arabie Paul Nizan

5/11/2018 Aden Arabie Paul Nizan - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/aden-arabie-paul-nizan 109/109

TABLE DES MATIERES

 

109