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Université Panthéon-Assas Centre Thucydide ANNUAIRE FRANÇAIS DE RELATIONS INTERNATIONALES 2015 Volume XVI PUBLICATION COURONNÉE PAR L’ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES (Prix de la Fondation Edouard Bonnefous, 2008)

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Université Panthéon-AssasCentre Thucydide

ANNUAIRE FRANÇAIS DE

RELATIONS INTERNATIONALES

2015Volume XVI

PUBLICATION COURONNÉE PAR

L’ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES

(Prix de la Fondation Edouard Bonnefous, 2008)

LE CONSEIL D’ETAT, AU-DELÀ DU JACOBINISME

par

yv e S GOUNIN ( * )

On voit depuis quelques années se créer au sein d’éminentes institutions françaises, dont la vocation semble a  priori exclusivement hexagonale, des directions ou des délégations aux relations internationales  : c’est le cas de l’Assemblée nationale ou du Sénat, du Conseil économique social et environnemental  (1) , du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation, mais aussi du Conseil supérieur de l’audiovisuel, de l’Autorité de la concurrence, de l’Ecole nationale d’administration ou du Conseil supérieur du notariat… C’est le cas aussi du Conseil d’Etat, qui a créé en son sein en 2008 une Délégation aux relations internationales.

Quelle est la dynamique de ce processus  ? Pourquoi ces grandes institutions hexagonales ont-elles récemment développé une activité internationale  ?

La démarche n’a pas été volontaire. Elle a été plus subie que voulue. Ces institutions se sont ouvertes à l’international parce que l’international est venu à elles. Le temps n’est plus où elles pouvaient se satisfaire de leurs prérogatives nationales et restaient sourdes et aveugles à l’environnement international. La décolonisation, la construction européenne, la mondialisation sont les trois temps de cette lente mais inexorable ouverture. L’accélération des échanges facilités par les progrès techniques en a été, comme pour tous les autres acteurs du champ social et politique, la condition matérielle nécessaire et suffisante. Le législateur, fût-il souverain, le juge, fût-il suprême, doivent l’un comme l’autre connaître l’environnement international des normes législatives qu’il crée ou qu’il applique

Quelles formes cette ouverture prend-elle  ? On entend souvent dire que des acteurs non étatiques développeraient leur diplomatie  : diplomatie des collectivités locales (2) , diplomatie scientifique (3) , diplomatie parlementaire,

(1) Jean-Paul delevoye, «  Le rôle du conseil économique, social et environnemental dans les relations internationales », Annuaire français des relations internationales, vol. XIV, 2013, pp. 737-751

(2) Franck barrau, « Vers une diplomatie des gouvernements locaux  ?  », Annuaire français des relations internationales, vol. XI, 2010, pp. 911-923.

(3) Jean audouze, « La diplomatie en sciences », Annuaire français des relations internationales, vol. XIII, 2012, pp. 783-795.

(*) Conseiller d’Etat, délégué aux relations internationales du Conseil d’Etat (France). Les propos tenus dans cet article n’engagent que leur auteur.

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diplomatie judiciaire… Le terme est excessif. Il ne s’agit pas pour le Conseil d’Etat d’avoir sa propre diplomatie. La définition de la diplomatie de la France doit rester l’apanage de l’Etat et, au premier chef, du ministère des Affaires étrangères. La séparation des pouvoirs n’autorise pas telle ou telle institution parlementaire ou judiciaire à développer sa propre diplomatie. Eugène Pierre, secrétaire général de la Chambre des députés, ne disait rien d’autre en 1902 dans son traité de droit politique électoral et parlementaire : « Négocier ne sau-rait être le fait de plusieurs, et rien de ce qui touche aux relations d’un peuple avec ses voisins ne peut être préparé dans le tumulte d’une assemblée délibérante […] Les vrais principes veulent que le gouvernement ait les mains complètement libres pour toutes les négociations diplomatiques, mais qu’il ne puisse jamais engager définitivement sa signature, qui est celle de la Nation, sans l’avis préa-lable des représentants de la Nation ».

Le Conseil d’Etat n’a donc pas l’ambition de mettre en œuvre une quelconque «  diplomatie judiciaire  ». Il entend simplement apporter sa contribution à la politique extérieure de la France. C’est à ce titre qu’il participe aux travaux récemment lancés par le ministère des Affaires étrangères, en lien avec la Délégation interministérielle à l’intelligence économique sur la «  stratégie de l’influence par le droit  »  (4) . Membre fondateur de l’Institut des hautes études sur la justice, une association qui regroupe les plus hautes juridictions françaises, le Conseil d’Etat y a été à l’origine, fin 2014, de la création d’un groupe permanent de contact sur la stratégie juridique française. Enfin, il participe à la coopération engagée en 2013 par le Secrétariat général du gouvernement entre les «  centres de gouvernement ».

Cette intégration, aussi harmonieuse que possible, à la diplomatie française n’empêche pas le Conseil d’Etat de poursuivre des objectifs internationaux spécifiques, dans le champ de compétence qui est le sien. Ces objectifs sont doubles. De l’extérieur vers l’intérieur, il s’agit de familiariser les juges français avec les systèmes juridiques étrangers et rompre ainsi avec une certaine morgue nationale dans laquelle les juges ont longtemps été formés, les amenant à placer le droit français au pinacle alors qu’ils ont beaucoup à apprendre des pratiques étrangères. De l’intérieur vers l’extérieur, le but est d’améliorer la connaissance du système français hors de France afin de renforcer la place et l’influence du modèle juridique continental sur la scène internationale.

(4) Cf.  le site Internet www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/gouvernance-1053/evenements-et-actualites-2014-sur/article/reunion-du-premier-comite-de (consulté le 17 décembre 2014). Cette initiative fait suite au rapport de Claude Revel de janvier 2013, « Développer une influence normative internationale stratégique pour la France », disponible sur le site Internet www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/134000079/0000.pdf.

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la pénét r at ion du droi t et r anger

C’est d’abord par la pénétration du droit étranger que l’international s’est imposé au Conseil d’Etat.

Le rapport du Conseil d’Etat paru en 2001, « La norme internationale en droit français » (5) , en faisait le constat : les normes internationales d’origine internationale ou communautaire constituent une part grandissante de notre droit. Les archives diplomatiques françaises contiennent 40  000 traités conservés depuis 1763. En 2000, la France est partie à plus de 6 000 traités ou accords, dont 80% d’accords bilatéraux. Ce nombre ne représente que 5% des 8 000 lois et 110 000 décrets applicables à la même date, mais cette part augmente  : depuis le début des années 1990, la France a conclu en moyenne environ 200 accords bilatéraux par an.

Jacques Delors avait prophétisé en 1988 que «  vers l’an 2000, 80% de la législation économique, peut-être même fiscale et sociale, sera décidé par les institutions européennes  ». Ce nombre souvent cité correspond en réalité, selon Jean Maïa plus à «  un augure sur le cours de la construction européenne que les dernières années ont infirmé  »  (6) qu’à une réalité objective. Quelle est donc réellement l’importance quantitative des normes communautaires au regard des normes nationales  ? En s’appuyant sur des statistiques récentes, Yves Bertoncini calcule que «  le total des normes communautaires représenterait environ 15% du total des normes élaborées en France depuis une trentaine d’années et autour de 11% sur les dix dernières années  »  (7) , ce qui reste considérable. Le Parlement a donc dû s’ouvrir au droit communautaire. Sa primauté l’oblige doublement  : d’une part, à voter des lois de transposition de directives dont le Parlement se plaint que leur rédaction, de plus en plus précise, ne lui laisse plus guère de marge de manœuvre, d’autre part, à s’assurer, chaque fois qu’il vote une loi, que cette dernière ne méconnaît pas telle ou telle disposition du droit communautaire original ou dérivé.

La primauté du droit communautaireCette primauté du droit communautaire, posée dès l’origine par la

Cour de Luxembourg  (8) , a été reconnue non sans réticence par le juge français. Malgré le rôle joué par des personnalités comme René Cassin, le Conseil d’Etat a initialement fait preuve de «  patriotisme juridique  » ou du moins d’une certaine résistance. Respectueux du principe de séparation

(5) Les études du Conseil d’Etat, L’Influence internationale du droit français, La Documentation française, 2001.

(6) Jean maia, «  La contrainte européenne sur la loi  », Pouvoirs, n°  114, sept.  2005, p.  56, accessible sur le site Internet www.revue-pouvoirs.fr/IMG/pdf/Pouvoirs_114_p53-71_contrainte_europeenne_loi.pdf (consulté le 17 décembre 2014).

(7) Yves bertoncini, Les Interventions de l’Union européenne au niveau national  : quel impact  ?, Notre Europe (Etudes & recherches n° 73), 2008, p. 14, disponible sur le site Internet www.notre-europe.eu/media/etud73-y_bertoncini-fr.pdf?pdf=ok (consulté le 17 décembre 2014).

(8) Costa c. Enel, affaire C-6/64, Rec., X-1964, p. 1 160.

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des pouvoirs et soucieux de ne pas empiéter sur les prérogatives du législateur, le juge administratif français s’était en effet toujours refusé à contrôler la conformité de la loi à une norme supérieure. Le moyen tiré de l’inconstitutionnalité de la loi était rejeté comme inopérant par le Conseil d’Etat ‘CE  Section, 6 novembre 1936, Arrighi, p.  996) . Pour autant, ce dernier ne pouvait éluder plus longtemps la question de la conventionnalité de la loi. S’agissant d’un traité postérieur à la loi, le Conseil d’Etat exerçait ce contrôle (CE, 15 mars 1972, Dame veuve Sadok Ali, p.  213), mais s’agissant d’une loi postérieure au traité, le Conseil d’Etat estimait que l’éventuelle inconventionnalité de cette loi soulevait un problème de constitutionnalité échappant à la compétence du juge administratif (CE Section, 1er mars 1968, Syndicat général des fabricants de semoule, p.  149) . Cette position a lentement évolué à cause du Conseil constitutionnel qui, par la décision IVG du 15 janvier 1975, s’est refusé à exercer un contrôle de conventionalité puis qui, en qualité de juge électoral, a écarté l’application d’une loi contraire à un traité (CC, 21 octobre 1988, Ass.  Nat. Val-d’Oise 5e  circ., Rec.  p.  183) . Le respect de la primauté du droit international est donc laissé aux juges judiciaires et administratifs, qui l’exerceront, pour les premiers, dès 1975 et, pour ce qui est des seconds, avec plus de retard, à partir de 1989 (CE  Assemblée, Nicolo) . Cet arrêt a marqué un tournant  : «  En acceptant de faire prévaloir le traité sur la loi même postérieure le Conseil d’Etat s’est trouvé par là même conduit à assumer des responsabilités nouvelles. Cela est sensible au regard du droit international, du droit communautaire et du droit international des droits de l’homme » (9) . Après Nicolo, un justiciable peut invoquer devant le juge administratif une norme internationale –  sous réserve qu’elle soit d’effet direct  – sans qu’y fasse obstacle aucune norme de droit interne sinon la Constitution (10) .

La réticence initiale à s’ouvrir à l’international transparaît aussi dans le refus de principe du Conseil d’Etat de reconnaître un effet direct aux directives européennes. Cette divergence de jurisprudence entre Cour de justice et Conseil d’Etat trouve son origine dans la décision rendue par l’Assemblée du contentieux le 22 décembre 1978 dans l’affaire Ministre de l’intérieur c.  Cohn-Bendit, dont l’incidence est pourtant demeurée limitée pour les justiciables. Le Conseil d’Etat a donc fini par se rallier à la jurisprudence de la Cour de justice. Par la décision de l’Assemblée du contentieux du 30  octobre 2009, Mme  Perreux, il est revenu sur sa position antérieure en reconnaissant la possibilité pour un particulier de se prévaloir au soutien d’un recours dirigé contre un acte administratif individuel des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive, même si elle n’a pas encore été transposée (11) .

(9) Cf. le commentaire sur la décision Nicolo disponible in Grands Arrêts de la jurisprudence administrative, 2013 (19e éd.), p. 659.

(10) CE Assemblée, 30 octobre 1998, Sarran, Levacher et autres, p. 369.(11) Idem, pp. 927 et suiv.

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Similairement, la décision du 19 juin 1964 Société des pétroles Shell-Berre du Conseil d’Etat témoigne de la réticence initiale des juridictions administratives quant à l’existence d’un monopole d’interprétation du droit communautaire par la Cour de justice de Luxembourg. Au nom de la «  théorie de l’acte clair  », le juge administratif s’affranchit de l’obligation d’adresser à la Cour une question préjudicielle lorsque n’existe aucun élément « de nature à faire naître un doute dans un esprit éclairé  » (d’après l’expression d’Edouard Laferrière) . Bien que cette position ait aujourd’hui évolué vers une posture de collaboration et de dialogue, elle reste révélatrice des premières réactions face à l’influence du droit communautaire.

Le droit de la Convention européenne des droits de l’hommeLe droit de la Convention européenne des droits de l’homme a influencé

tout aussi profondément le droit national que le droit de l’Union. En effet, l’opposabilité de la Convention s’est étendue dans de nombreux champs d’action de l’administration. Tel a été le cas dans le champ des sanctions administratives, comme le retrait de points du permis de conduire (CE Avis, 27 septembre 1999, Rouxel, Rec. p.  280) ou des sanctions professionnelles prises par les autorités administratives indépendantes (CE Ass. 3 décembre 1999, Didier, Rec. p. 399), auxquelles s’applique l’article 6 de la Convention. Dans un discours prononcé en 2010 (12) , le vice-président du Conseil d’Etat mentionne également l’influence de la Convention sur la matière fiscale et l’urbanisme.

Surtout, la Cour de Strasbourg a mis en péril l’un des piliers et l’une des spécificités du droit administratif français  : le rapporteur public. Son arrêt Kress c. France du 7 juin 2001 (13) avait en effet condamné la participation du Commissaire du gouvernement au délibéré, au nom de la «  théorie des apparences  »  : la présence, même silencieuse, au délibéré de ce juge qui a exprimé publiquement son opinion pourrait laisser craindre au justiciable qu’elle n’exerce une influence sur le sens de la décision rendue par ses collègues. Le Conseil d’Etat a interprété cet arrêt comme prohibant la participation du Commissaire du gouvernement au délibéré et non l’assistance à ce dernier. D’où la précision, dans un décret du 19 décembre 2005, que le Commissaire du gouvernement assiste au délibéré sans y prendre part. Cependant, cela n’a pas suffi à ce que la Cour européenne infléchisse sa jurisprudence. Dans son arrêt de Grande Chambre du 12 avril 2006, Martinie c.  France, elle a jugé qu’au nom des apparences est prohibée aussi bien la participation du Commissaire du gouvernement au délibéré que sa présence à ce dernier. La menace réelle que la Cour de

(12) Jean-Marc Sauvé, « Le Conseil d’Etat et l’application de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales », intervention lors du colloque « Les 60 ans de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales », Sénat, France, 9 avril 2010.

(13) Il est significatif que cet arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme figure au nombre des Grands Arrêts de la jurisprudence administrative, op. cit., pp. 794 et suiv. C’est même le seul arrêt d’une cour étrangère à compter parmi cette liste prestigieuse d’une centaine de décisions ayant contribué, depuis plus de 140 ans, à la formation du droit administratif français.

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Strasbourg faisait peser sur le Commissaire du gouvernement a donné lieu à une multiplication d’articles doctrinaux (14) .

Des structures adéquates et spécialiséesCette intrusion du droit international et européen dans l’ordre juridique

national a conduit le Conseil d’Etat à se doter de structures adéquates et spécialisées. Ainsi, la délégation au droit européen effectue les recherches relatives aux questions de droit communautaire à la demande des membres du Conseil d’Etat et procède à leur intention à une information périodique sur l’évolution de ce droit. De plus, une cellule de droit comparé a été créée au sein du Centre de recherches et de diffusion juridiques  (CRDJ) en 2008 Elle fournit des notes en droit comparé aux juges rapporteurs et aux rapporteurs publics, pour la plupart, des affaires renvoyées devant la Section ou l’Assemblée du contentieux  ; ces informations sont souvent utilisées par les rapporteurs publics dans leurs conclusions et par les formations contentieuses dans leurs décisions  (15) . La cellule de droit comparé, dont le défi est de rassembler des talents polyglottes afin d’apporter les éclairages les plus complets possible, publie également des résumés de jurisprudence des cours étrangères dans le cadre de la veille de jurisprudence du CRDJ.

La principale structure en charge des relations internationales du Conseil d’Etat est la délégation aux relations internationales, créée en 2008 au sein de la Section du rapport et des études. C’est elle qui reçoit les délégations étrangères qui viennent visiter le Conseil d’Etat, délégations dont le nombre et le niveau témoignent de la forte capacité de séduction du droit administratif français. La carte des pays ayant envoyé des délégations au Conseil d’Etat en 2013 dessine la carte de l’influence du droit français  (16)  : en Europe au premier chef, mais aussi au Maghreb/Machrek, en Afrique subsaharienne. A rebours d’un discours décliniste qui soulignerait à l’envi l’inexorable hégémonie du droit anglo-saxon, la France et son droit exercent encore une forte capacité de séduction. Les pays étrangers s’intéressent à notre système, souhaitent mieux nous connaître et nous rendent fréquemment visite.

Cette fonction d’accueil prend plusieurs formes. Des groupes d’étudiants étrangers ou de magistrats viennent au Conseil pour une courte visite de quelques heures. Des séjours plus longs, d’une ou deux semaines, sont organisés pour des magistrats étrangers. Elles sont l’occasion de la participation aux audiences ou aux séances de travail, de la rencontre en

(14) Cf. par exemple René hoStiou, « Le commissaire du gouvernement, victime du principe du droit à un procès équitable », AJDI 2003, n°  9, p. 600.

(15) Pour statuer sur la légalité du décret fixant à 57 ans la limite d’âge des contrôleurs aériens, l’Assemblée du contentieux a examiné la situation prévalant dans d’autres pays (CE Assemblée, Ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie c. M. Lambois, 4 avr. 2014, n° 362.785).

(16) Cf. le site Internet www.conseil-etat.fr/content/download/33154/287498/version/1/file/dri_carte_programme_2013_small.pdf (consulté le 17 décembre 2014).

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tête à tête de membres du Conseil d’Etat, spécialistes de sujets auxquels ces visiteurs s’intéressent. Le vice-président prend plus qu’à son tour sa part dans cette mission. Une part importante de son agenda est consacrée à des activités internationales. Il se passe peu de semaines sans qu’il n’accueille une haute personnalité étrangère pour une audience ou un déjeuner de travail.

Sans doute, les attraits touristiques de Paris ne sont pas sans lien avec la capacité d’attraction du Conseil d’Etat, où on observe des pics de saisonnalité, autour des mois de mai-juin et octobre-novembre. Et ces visites ne se réduisent pas à du tourisme administratif. C’est souvent dans le contexte des réformes entreprises dans leurs pays que les délégations viennent au Conseil d’Etat afin de s’informer et de se former. A titre d’exemple, en 2014, le ministre de la Justice albanais a souhaité se rendre au Conseil d’Etat alors que son pays est en train de se doter de tribunaux administratifs de première instance. Cette visite a débouché sur une coopération bilatérale qui doit se poursuivre en 2015 par la délégation d’un Conseiller d’Etat à Tirana. En 2014 encore, la présidente de la Cour administrative de Serbie a passé trois jours au Conseil d’Etat alors que son pays est à la veille d’une réforme importante de sa justice administrative

Un mouvement concomitant –  qui ne concerne d’ailleurs pas seulement le monde judiciaire  – est la constitution progressive d’organisations internationales régionales ou mondiales. Trois niveaux se rencontrent souvent  : le niveau régional, le niveau de la francophonie et le niveau international. Le Conseil d’Etat est membre de l’ACA-Europe (au niveau européen) et de l’AIHJA (au plan international) . L’ACA-Europe est l’association des Conseils d’Etat et des juridictions administratives suprêmes des 28 Etats membres de l’Union européenne (17) . Son secrétariat est assuré par le Conseil d’Etat de Belgique. Sa présidence, biennale, a été assurée en 2012-2014 par le Conseil d’Etat de France et s’est clôturée par une réception à l’Elysée, un dîner à l’Assemblée nationale et un colloque sur le thème de la régulation économique sectorielle, abordée sous un angle comparatif. L’Association internationale des hautes juridictions administratives  (AIHJA)  (18) a été créée en 1983 à l’initiative du Conseil d’Etat français qui en assure le secrétariat général. En revanche, on notera qu’il n’existe aucune association francophone des hautes juridictions administratives. Cette absence contraste avec la situation qui prévaut parmi les cours constitutionnelles (ACCPUF  (19)) et les cours de cassation (AHJUCAF (20)) .

Les membres du Conseil d’Etat participent aux colloques et aux séminaires organisés par ces associations. Ils sont en outre très sollicités

(17) Cf. le site Internet www.juradmin.eu/index.php/fr (consulté le 17 décembre 2014).(18) Cf. le site Internet www.aihja.org/?view=page&id=10 (consulté le 17 décembre 2014).(19) Cf. le site Internet www.accpuf.org/l-association (consulté le 17 décembre 2014).(20) Cf.  le site Internet www.ahjucaf.org/Presentation-et-fonctionnement.html (consulté le 17 décembre

2014).

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pour se rendre à l’étranger dans le cadre de missions d’expertise bilatérales. Les membres du Conseil d’Etat, en effet, sont nombreux, disponibles et disposent d’un champ de compétence très vaste. Leurs missions sont souvent sectorielles (contentieux électoral ou élaboration des projets de loi par exemple) . Elles sont parfois prédéfinies par des conventions de coopération, comme celles que le Conseil d’Etat a signées avec le Conseil d’Etat de Monaco et la Cour suprême du Sénégal en 2009, avec le Conseil d’Etat algérien, l’Avocat général du Brésil et le Majlis Al  Shura d’Iraq en 2010 et avec la Cour populaire suprême de Chine en 2011. Depuis 2013, le Conseil d’Etat coopère avec le Secrétariat général du gouvernement du Royaume du Maroc dans le cadre d’un jumelage qui, achevé en 2014, avait pour objectif de contribuer au renforcement des compétences juridiques de l’institution marocaine. Le Conseil d’Etat s’est engagé dans un autre jumelage en février 2014, avec le ministère de la Justice vietnamien visant à apporter à ce dernier une assistance dans l’élaboration des textes juridiques et les réformes qu’il entreprend  : lors des deux premières années d’application de l’accord, cette coopération, qui se réalisera par le biais de l’envoi d’experts, de l’organisation de conférences ou encore de la réalisation de rapports ou d’études, portera principalement sur l’élaboration et l’édiction des actes administratifs ainsi que l’organisation et le rôle des autorités territoriales.

Comme l’illustrent ces quelques exemples, le Conseil d’Etat prend de nombreux engagements internationaux, avec les mêmes modalités que les Etats. Son agenda international est en partie souhaité et en partie subi. Sur le modèle du protocole d’Etat, le Conseil d’Etat a adopté, dans la conduite de ses relations internationales, une série de règles protocolaires et de rites comme l’échange de cadeaux  : en effet, les visites des délégations donnent souvent lieu à des échanges de cadeaux, ce qui est admis par la charte de déontologie de la juridiction administrative  (21) .

Ainsi, des acteurs qui sont initialement voués à des tâches nationales, non seulement se mettent à conduire des relations internationales mais le font comme les Etats. Le Conseil d’Etat a donc reproduit à son niveau, une stratégie internationale fondée sur un schéma stratégique et mise en œuvre par une structure spécialisée, sous la direction du délégué aux relations internationales.

(21) « Normalement, [les membres de la juridiction administrative] ne peuvent accepter, de façon directe ou indirecte, des cadeaux et libéralités, dans l’exercice de leurs fonctions. Les cadeaux d’une valeur inférieure à une centaine d’euros sont, toutefois, tolérés lorsqu’ils s’inscrivent dans le cadre protocolaire d’une visite ou d’un échange entre juridictions ou autorités publiques. Il est préférable qu’ils ne fassent pas l’objet d’une appropriation personnelle […] Lorsqu’ils sont d’une valeur supérieure à une centaine d’euros, les cadeaux qui, pour des raisons protocolaires, ne peuvent être refusés, sont remis à la juridiction à laquelle appartiennent leurs récipiendaires ».

LE CONSEIL D’ETAT, AU-DELà DU JACOBINISME 835

la St r atégie d’inFluence du conSeil d’etat

Lorsque l’international s’invite, la ligne Maginot ne saurait tenir lieu de politique. Il n’est ni possible ni souhaitable de vivre en autarcie. Choisir la passivité serait une solution défaitiste. Au contraire, la solution intelligente est de participer le plus possible à la conception du droit auquel la France sera, de toute manière, soumise. Pour ce faire, le Conseil d’Etat a développé une stratégie d’influence, s’appuyant sur le soft power, sur la capacité de persuasion.

Favoriser la diffusion du droit françaisDès 2001, le rapport du Conseil d’Etat sur «  L’influence internationale

du droit français  » esquisse une stratégie d’influence. Ce rapport reconnaît que le droit est devenu un objet de compétition qui ne se résume pas à une opposition entre common law et droit d’origine romano-germanique. Le premier élément de cette stratégie consiste en la définition des sujets et des lieux de la compétition juridique dans les années à venir  : il s’agit de déterminer dans quelles organisations internationales la France devra être présente. Le deuxième élément vise à donner une meilleure visibilité au droit français  : pour qu’il soit plus accessible et intelligible, il est nécessaire d’utiliser des nouveaux modes de diffusion (plus technologiques) et de prendre en compte le déclin de la langue française  ; or le Conseil d’Etat s’appuie largement sur les nouvelles technologies et a entrepris la traduction de ses décisions. Le dernier axe envisagé dans le rapport du Conseil d’Etat précise le rôle des différents acteurs de l’univers juridique dans cette stratégie d’influence  : la proposition est de mettre l’accent sur les canaux naturels de l’influence du droit français que sont les professions juridiques et les universités  (22) .

Le Conseil d’Etat refuse pour autant de s’engager dans une «  guerre du droit  ». Imaginer que la scène mondiale voit s’opposer un Goliath anglo-saxon et un David romano-germanique et qu’un vainqueur sortira de ce combat est trompeuse. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’Etat, l’a plusieurs fois rappelé  : «  toute opposition binaire […] occulterait le phénomène central d’une hybridation continue et grandissante des droits. Cette hybridation, nous pouvons l’ignorer et in  fine la subir, ou nous pouvons l’observer, la comprendre, l’anticiper et l’infléchir dans l’intérêt de notre pays  »  (23) . Aussi J.-M.  Sauvé prône-t-il une stratégie française d’influence qui repose sur la valorisation des «  avantages comparatifs  » du droit français et qui «  est moins flamboyante qu’un appel à des postures martiales ou purement défensives  »  (24) .

(22) Michel moreau, «  A propos de l’influence internationale du droit français  », Annuaire français des relations internationales, vol. IV, 2003, pp. 359-375.

(23) Cf.  Jean-Marc Sauvé, «  L’influence par le droit  », communication à la XXIIe conférence des ambassadeurs, 28 août 2014, disponible sur le site www.conseil-etat.fr/Actualites/Discours-Interventions/L-influence-par-le-droit-XXIIeme-Conference-des-ambassadeurs (consulté le 18 décembre 2014).

(24) Idem.

836 YVES GOUNIN

Le vice-président du Conseil d’Etat insiste aussi sur la traduction comme vecteur de l’influence du droit français  : «  sa diffusion est subordonnée à son accessibilité linguistique et matérielle  ». En effet, comment mettre en valeur le droit continental et faire en sorte qu’il puisse inspirer d’autres pays sans garantir son intelligibilité et son accessibilité  ? Le rapport du Conseil d’Etat de 2001 soulignait déjà l’importance de la traduction pour améliorer la visibilité du système français  (25) . Sans qu’il faille cesser pour autant de protéger la langue française, la réduction du nombre de juristes francophones rend l’effort de traduction indispensable et le Conseil d’Etat a pleinement relevé le défi. La traduction en anglais du Code de justice administrative a été entreprise par la Fondation pour le droit continental en 2014  (26) . Outre les textes de référence, la jurisprudence française suscite l’intérêt de nombreux interlocuteurs étrangers. Ainsi, en décembre 2014, 155  décisions contentieuses ont été traduites, dans leur intégralité, en anglais, allemand, espagnol, chinois et arabe et mises en ligne sur le site du Conseil d’Etat  (27) . De vraies réponses sont donc apportées aux objectifs évoqués par Jean-Marc Sauvé  : «  nous serons d’autant plus influents et rayonnants que nos décisions de justice et, en particulier, les décisions majeures expliciteront davantage, de manière aisément accessible, les solutions retenues  »  (28) .

Le schéma stratégique de la Délégation aux relations interntionalesPour mettre en œuvre sa stratégie internationale, la Délégation aux

relations internationales est en étroite coordination avec le ministère des Affaires étrangères et européennes et s’appuie sur le Secrétariat aux affaires étrangères et aux affaires internationales du ministère de la Justice, ainsi que sur les représentations diplomatiques françaises à l’étranger. Confronté à des acteurs très divers, le Conseil d’Etat mène une activité internationale protéiforme qui suit les objectifs fixés dans un schéma stratégique élaboré en 2013. Ce schéma cible des pays et des zones prioritaires qui correspondent souvent aux lieux où se rédigent les normes internationales et aux pays où existent des relais d’influence forts –  avec lesquels la France a une langue commune ou qui ont un système juridique basé sur l’écrit. Conformément aux priorités fixées par ce schéma, l’activité internationale du Conseil d’Etat se déploie dans trois cercles concentriques.

Le premier cercle est l’Europe. Les deux dernières années ont été marquées par la présidence de l’ACA-Europe (cf.  supra) . La coopération avec les institutions européennes a été renforcée. Les jeunes auditeurs du

(25) Les Etudes du Conseil d’Etat, L’Influence…, op. cit., pp. 106-109.(26) Yves gounin  / Luisa terranova, « La traduction en anglais du Code de justice administrative  », La

Semaine juridique, n° 42, 13 oct. 2014, p. 1 063.(27) Cf.  le site Internet www.conseil-etat.fr/Actualites/Communiques/Le-Conseil-d-Etat-rend-accessible-

en-5-langues-etrangeres-une-selection-de-ses-decisions-recentes (consulté le 18 décembre 2014).(28) Jean-Marc Sauvé, op. cit.

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Conseil d’Etat vont systématiquement en voyage d’études à Strasbourg et à Luxembourg. Le vice-président assiste chaque année à l’audience solennelle de rentrée de la Cour européenne des droits de l’homme  : il y a prononcé en janvier 2010 le discours inaugural. Les relations bilatérales avec les pays européens sont fortes (en témoigne le déplacement du vice-président au Tribunal fédéral de Suisse en novembre 2014 et au Bundesvewaltungsgericht d’Allemagne en avril 2015).

Le deuxième cercle est constitué des pays du pourtour méditerranéen. Le vice-président s’est rendu au Liban en 2012, en Israël en 2014. Les relations sont denses avec le Maroc, l’Egypte, le Liban, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, où des membres du Conseil d’Etat se déplacent régulièrement pour participer à des colloques, effectuer des expertises ou animer des formations.

Le troisième cercle est constitué de pays plus lointains. Les relations du Conseil d’Etat avec eux sont moins denses. Depuis 2011, le vice-président n’a effectué dans ces pays que quatre déplacements, deux d’entre eux ayant eu lieu dans le cadre de l’AIHJA  : Pékin ( juin 2011), Dakar (décembre 2011), Abidjan (avril 2012), Carthagène (avril 2013). Il a le projet de se rendre au Japon fin 2015 à l’invitation de la Cour suprême.

C’est donc selon cette tripartition géographique que s’organise la «  stratégie indirecte  » du Conseil d’Etat, qui consiste à cibler tel ou tel acteur, français ou étranger, qui l’aidera à travailler avec son partenaire international, en le lui faisant mieux connaître ou en finançant son action. Par cette stratégie «  indirecte  », le Conseil d’Etat s’appuie donc sur des tiers pour nouer et financer une relation bilatérale.

Une stratégie de présenceAu-delà des relations bilatérales, le Conseil d’Etat participe à de

nombreuses rencontres dans de grandes enceintes multilatérales. Il a développé une stratégie de présence dans les lieux d’élaboration des normes de droit et dans les enceintes où se forge la pensée juridique. A titre d’exemple, la juridiction administrative française a été sollicitée deux années consécutives, dans le cadre de la Semaine du droit et du développement de la Banque mondiale, pour organiser une conférence sur le thème des contrats public-privé  ; cet événement a mis en évidence les avantages que les opérateurs privés locaux peuvent tirer de l’utilisation d’instruments juridiques issus ou inspirés du droit français. La même logique de présence explique la participation du Conseil d’Etat à l’International Judicial Conference qui s’est tenue cette année à Malte. Par ailleurs, le vice-président du Conseil d’Etat préside le comité de sélection des juges de la Cour de justice de l’Union européenne, lequel, créé par l’article  255 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne  (TFUE), donne son avis sur l’adéquation des candidats à l’exercice des fonctions de juge et d’avocat général de la Cour de justice et du Tribunal de l’Union européenne, avant les nominations par les

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gouvernements des Etats membres. Ce faisant, la France exerce une inf luence directe au sein d’enceintes stratégiques.

A long terme, la stratégie d’influence du Conseil d’Etat passe également par le détachement de ses membres dans d’autres structures ou organisations internationales. Ainsi, Jean-Claude Bonichot est le juge français à la Cour de Justice de l’Union, Ronny Abraham siège à la Cour internationale de Justice, Marc Perrin de  Brichambaut siège à la Cour pénale internationale, Hubert Legal dirige le service juridique du Conseil de l’Union européenne et Anne-Marie Leroy celui de la Banque mondiale. Dans le passé, Jean-Paul Costa a présidé la Cour européenne des droits de l’homme, Jean-Louis Dewost a dirigé le service juridique de la Commission européenne et Luc Derepas celui de l’Organisation internationale du travail. Le poste de conseiller juridique du Président de la République du Sénégal a été occupé depuis l’indépendance jusqu’en 2009 par des membres du Conseil d’Etat, au nombre desquels les futurs ministres Michel Aurillac ou Philippe Bas. Par ces «  relais  » dans des institutions européennes et internationales de premier plan, la France mène à bien une stratégie d’influence sur le temps long, indispensable au rayonnement du système français.

Cette stratégie a porté ses fruits. L’exemple le plus notable est celui du sauvetage du Commissaire du gouvernement, dont on a déjà évoqué qu’il était menacé par la jurisprudence de la CEDH. Le Conseil d’Etat a engagé un dialogue patient avec la Cour de Strasbourg suite à ses condamnations au nom de la théorie des apparences. Cette action de sensibilisation et de pédagogie a porté ses fruits puisque la Cour européenne des droits de l’homme a fini par reconnaître que le rôle du rapporteur public n’est pas contraire au droit à un procès équitable. Pour tirer les conséquences des conclusions de la Cour, le Code de justice administrative avait été modifié en prohibant la présence du Commissaire du gouvernement au délibéré devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel. Devant le Conseil d’Etat, le texte disposait que «  sauf demande contraire d’une partie, le Commissaire du gouvernement assiste au délibéré. Il n’y prend pas part  ». La Cour de Strasbourg, par son arrêt de 2009 Etienne c. France, a admis que ces dispositions ne contrevenaient pas aux exigences du droit à un procès équitable. Un décret du 7  janvier 2009 a ensuite changé la dénomination de «  commissaire du gouvernement  » en «  rapporteur public  » et a ouvert la faculté au conseil des parties de présenter « de brèves observations orales » après le prononcé des conclusions du Rapporteur public. Ces évolutions ont conduit la Cour européenne, par sa décision du 4  juin 2013, Marc-Antoine c. France, à admettre que le fait que le Rapporteur public ait connaissance de la note du rapporteur et du projet de décision ne méconnaît pas non plus le droit à un procès équitable. Par sa stratégie d’inf luence, le Conseil d’Etat a donc contribué à sauver le rapporteur public ce qui va dans le sens d’un bilan positif de son action internationale ou du moins européenne.

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Lorsque l’international se saisit d’institutions hexagonales, ces dernières réagissent en élaborant une stratégie d’influence. D’une part, l’international saisit ces institutions, l’étranger vient à elles. D’autre part, elles vont à l’international afin de ne pas subir passivement cette influence mais au contraire de participer à l’élaboration des normes ou des discours internationaux. Ainsi le Conseil d’Etat, par le truchement de sa Délégation aux relations internationales, conduit des relations internationales, à la manière des Etats, avec de nombreux pays. Loin de se barricader derrière une ligne Maginot, il s’efforce d’influencer le droit international le plus possible et de « jouer le jeu » de la mondialisation. Ce faisant…, il va au-delà du jacobinisme.