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Actes des 10 e Rencontres de La Dur@nce Conférence Site académique Aix-Marseille d’histoire-géographie. Afrique et développement durable Gérard Granier Le 13 octobre 2010 Agrégé de géographie IA-IPR honoraire Cette intervention se décomposera en deux temps : - un premier temps d’approches générales visant à tenter de répondre à 3 questions : quelle place pour Afrique dans les nouveaux programmes de géographie ? Qu’est-ce que le développement durable ? Ce terme peut-il avoir un sens dans le cas de l’Afrique ? - un second temps d’approches thématiques permettant d’aborder concrètement quelques problématiques de développement durable particulièrement importantes pour le continent africain. Dans le temps disponible, on abordera seulement la question démographique et la question agricole qui se rencontrent autour de l’interrogation : nourrir les hommes. I. Trois questions préalables 1. Quelle place pour l’Afrique dans les programmes de géographie ? Le développement durable occupe une place considérable dans les nouveaux programmes de géographie, aussi bien au collège qu’au lycée. En même temps, l’Afrique, en t ant que continent, traditionnellement présente en classe de cinquième, disparait de ces mêmes programmes. Mais comme le montrent les tableaux ci-dessous (doc 1), par le biais de la démarche privilégiée de l’étude de cas, l’Afrique peut être présente à de multiples reprises dans le cursus d’un élève, à condition que le professeur veille scrupuleusement à répartir les choix de ces études de cas parmi les différents continents. C’est une recommandation qui figure d’ailleurs en toutes lettres dans les programmes. Car, sans cette vigilance, l’Afrique pourrait être totalement absente puisqu’elle n’est jamais citée comme point d’appui obligatoire. Afrique et développement durable dans les programmes de géographie Classe de 6e « Connaissances »Thème d’étude « Démarches » Etude de cas Habiter la ville 2 villes dans 2 aires culturelles différentes

Afrique et développement durable - Action éducative - … · Croissance démographique et développement durable Cette croissance démographique forte est-elle un obstacle au développement

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Actes des 10e Rencontres de La Dur@nce

Conférence

Site académique Aix-Marseille d’histoire-géographie.

Afrique et développement durable

Gérard Granier Le 13 octobre 2010 Agrégé de géographie IA-IPR honoraire

Cette intervention se décomposera en deux temps :

- un premier temps d’approches générales visant à tenter de répondre à 3 questions :

quelle place pour Afrique dans les nouveaux programmes de géographie ? Qu’est-ce que le

développement durable ? Ce terme peut-il avoir un sens dans le cas de l’Afrique ?

- un second temps d’approches thématiques permettant d’aborder concrètement

quelques problématiques de développement durable particulièrement importantes pour le

continent africain. Dans le temps disponible, on abordera seulement la question

démographique et la question agricole qui se rencontrent autour de l’interrogation : nourrir

les hommes.

I. Trois questions préalables

1. Quelle place pour l’Afrique dans les programmes de géographie ?

Le développement durable occupe une place considérable dans les nouveaux programmes

de géographie, aussi bien au collège qu’au lycée. En même temps, l’Afrique, en tant que

continent, traditionnellement présente en classe de cinquième, disparait de ces mêmes

programmes. Mais comme le montrent les tableaux ci-dessous (doc 1), par le biais de la

démarche privilégiée de l’étude de cas, l’Afrique peut être présente à de multiples reprises

dans le cursus d’un élève, à condition que le professeur veille scrupuleusement à répartir les

choix de ces études de cas parmi les différents continents. C’est une recommandation qui

figure d’ailleurs en toutes lettres dans les programmes. Car, sans cette vigilance, l’Afrique

pourrait être totalement absente puisqu’elle n’est jamais citée comme point d’appui

obligatoire.

Afrique et développement durable dans les programmes de géographie

Classe de 6e

« Connaissances »Thème d’étude « Démarches » Etude de cas

Habiter la ville 2 villes dans 2 aires culturelles

différentes

Actes des 10e Rencontres de La Dur@nce

Conférence

Habiter le monde rural 2 espaces ruraux dans deux aires

culturelles différentes

Habiter un littoral Un littoral touristique

Habiter un espace à fortes contraintes Un désert chaud

Classe de 5e

« Connaissances » Thème d’étude « Démarches » Etudes de cas ou

exemples

Croissance démographique et

développement

Un front pionnier en Afrique

Santé et développement Les infrastructures sanitaires dans un

pays pauvre

Education et développement Exemple : alphabétisation et accès à

l’éducation dans un pays pauvre

Risques et développement Une catastrophe naturelle dans un pays

pauvre

Pauvreté et développement Décrire les conditions de vie de

populations pauvres

La sécurité alimentaire mondiale Etude comparée de la situation

alimentaire dans deux sociétés

différentes

La ressource en eau L’exploitation, la consommation et la

distribution de l’eau dans un pays du

Maghreb

Classe de seconde (rentrée 2010)

Etude de cas sur thèmes d’études

Nourrir les hommes

L’eau, ressource essentielle

L’enjeu énergétique

Villes et développement durable

Actes des 10e Rencontres de La Dur@nce

Conférence

Les espaces soumis aux risques majeurs

2. Qu’est-ce que le développement durable ?

Le développement durable fait l’objet d’une définition officielle déjà ancienne puisqu’elle

figure dans le célèbre rapport Brundtland, Notre avenir à tous, publié par l’ONU en 1987 :

« un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des

générations futures à répondre aux leurs ». Cette « formule magique « (Paul Arnould) se

décline en trois volets : un volet économique : poursuivre le développement (à distinguer

d’une simple croissance), tout en préservant l’environnement et en réduisant les inégalités

(volet social). Un développement durable implique une certaine forme de gouvernance,

démocratique et participative, d’où le schéma de «la fleur du développement durable »,

proposé par la géographe Anne Jegou1, la gouvernance participative constituant la sève

indispensable à la vitalité des différents pétales…

Le mot de développement durable est donc né au sein de la sphère onusienne, dans le

cadre de rapports internationaux et non pas dans des écrits d’universitaires ou de

chercheurs, ni dans des programmes politiques nationaux. Il faut aussi être bien conscient

du fait que cette notion a été dès le départ fortement promue et soutenue par quelques

puissantes ONG, protectrices de la Nature, à forte culture anglo-saxonne On peut citer

notamment l’UICN (Union internationale pour la conservation de la Nature) ou le WWF. De

manière significative, le terme de « sustainable development » est paru pour la première fois

en 1980 dans un rapport commun du PNUE (programme des Nations-Unies pour

l’environnement, une institution créée à l‘issue du premier « Sommet de la Terre » de

Stockholm en 1972) de WWF et de l’UICN.

Cette notion a ensuite été progressivement intégrée dans tous les programmes et rapports

officiels et comme critère de financement des projets de développement par les « bailleurs ».

Mais il a quand même fallu de nombreuses années pour que ce mot s’impose dans un pays

comme la France (première mention dans loi Pasqua sur l’aménagement du territoire en

1995 puis généralisation dans le grand public dans les années 2000).

Le développement durable ne prétend pas être une réalité d’aujourd’hui. C’est

principalement un cadre pour l’action (la notion offre une grille de lecture pour évaluer un

projet d’aménagement ou la réalité d’un territoire), un projet politique au sens noble du

terme, voire une sorte d’utopie créatrice. Cette notion doit se décliner à différentes échelles

et à ce titre elle intéresse particulièrement l’analyse géographique :

- à l’échelle mondiale, on est encore très loin d’un développement durable, faute d’une

gouvernance mondiale et de l’égoïsme des nations,

- au niveau local, les perspectives sont plus encourageantes. Les agendas 21, qui se

développent rapidement en Europe, constituent un excellent outil d’aménagement durable.

En Afrique, des opérations dites de micro-développement, peuvent aussi satisfaire à des

critères de développement durable (cf exemple de Guelack présenté ci-dessous)

1 Jegou Anne, Les géographes français face au développement durable, L’information géographique, n3, 2007

Actes des 10e Rencontres de La Dur@nce

Conférence

3. La notion de développement durable peut-elle avoir un sens en Afrique ?

- Au premier abord, la notion de développement durable ne pourrait-elle pas sembler un luxe

pour une population africaine qui doit majoritairement d’abord chercher à survivre ?

L’idéologie du développement durable, qui distingue voire oppose l’Homme de la Nature,

pourrait aussi paraître étrangère aux traditions africaines nourries par l’animisme, pour lequel

l’Homme est une composante de la Nature.

- Pourtant, le développement durable doit être un impératif pour ce continent, comme pour

les autres, au moins pour trois raisons :

- l’Afrique est fortement concernée par les enjeux mondiaux : changement climatique,

épuisement des ressources non renouvelables, etc.

- le développement durable implique le développement humain et cherche d’abord à

répondre aux « besoins du présent » qui sont dans le cas de l’Afrique des besoins

élémentaires : être en bonne santé, se nourrir, se loger, etc.

- l’Afrique sera à l’avenir le continent le plus concerné par la question de l’équilibre à

préserver entre croissance démographique et conservation des ressources puisque sa

population devrait encore doubler d’ici 2050.

- Allant plus loin, certains auteurs estiment même que les africains seraient des

« précurseurs du développement durable » (Sylvie Brunel, A qui profite le développement

durable ? Larousse, 2008) en pratiquant déjà, faute de moyens, cette « économie légère » à

laquelle aspire nombre d’écologistes.

II. Deux questions de développement durables posées à l’Afrique

1. La question de la croissance démographique : faut-il craindre une « bombe P » 2?

Le retour d’un certain néo-malthusianisme accompagne la montée de l’idée de

développement durable au moins dans certains pays comme le Royaume-Uni ou les Etats-

Unis. Or une des spécificités du continent africain est de présenter la plus forte croissance

démographique au monde associée à la plus forte présence de pays les moins avancés

(PMA).

La question du rapport croissance démographique/développement a donc une certaine

légitimité même si les réponses à cette question peuvent varier.

a. La situation démographique actuelle en Afrique

Remarque préalable : il existe un gros problème de fiabilité des données statistiques compte

tenu de la désorganisation de nombreux Etats. Par exemple, que peut signifier le nombre de

70 millions d’habitants en 2010 pour la République démocratique du Congo alors que le

dernier recensement remonte à 1984 et que sévit dans ce pays une situation de guerre

larvée depuis de nombreuses années ?

2 Erhlich Paul, La bombe P, Fayard 1972

Actes des 10e Rencontres de La Dur@nce

Conférence

En 2009, la population africaine aurait passé le cap du milliard d’habitants selon l’ONU

(contre seulement 225 millions d’hab. en 1950), soit un quadruplement en 60 ans !

L’Afrique affiche en effet les taux de croissance les plus élevés de la planète : de l’ordre de

3% par an, car, globalement, elle n’est pas encore entrée dans la deuxième phase de la

transition démographique.

La mortalité a baissé tardivement (après la seconde guerre mondiale) mais fortement. Avec

un taux de 16 pour mille en 2007, elle affiche le taux le plus élevé de la planète (moyenne

mondiale : 9 pour mille) et ceci pour 3 raisons principales :

- la forte mortalité infantile (2 à 3 enfants sur 10 meurent avant l’âge de 5 ans)

- la mortalité directe ou indirecte due aux guerres

- le rôle du SIDA : 1, 4 millions de morts en Afrique subsaharienne en 2008

La fécondité, bien qu’en baisse, demeure très forte : encore près de 5 enfants par femme

(moyenne mondiale : 2,5).

(Doc. 3 La fécondité dans le monde en 2005.)3

Même avec une baisse de la fécondité, la natalité demeure exceptionnellement élevée du

fait de l’importance des populations en âge de se reproduire. Avec 6 millions de naissances

par an, le Nigéria est au 3ème rang mondial en valeur absolue. Le Mali affiche encore un taux

3 Carte extraite de Granier Gérard (sous la dir de), Enseigner le développement durable. Géographie 5

e, CRDP Amiens, 2010

Actes des 10e Rencontres de La Dur@nce

Conférence

de natalité de 43 pour mille.

Cette situation d’ensemble masque cependant une hétérogénéité croissante entre les Etats :

- L’Afrique du Nord est en train de terminer sa transition démographique : en Tunisie, la

fécondité est tombée à moins de 2 enfants par femme ; en Algérie, le décrochage a été

brutal pour atteindre actuellement 2,4 enfants par femme. Fait nouveau, l’évolution de la

fécondité est donc maintenant déconnectée de l’évolution du niveau de vie.

- L’Afrique australe se rapproche aussi de l’achèvement de la transition démographique

(Fécondité : 2, 8)

- Avec ses niveaux de fécondité exceptionnellement élevés (Niger : 7,15, Ouganda 6, 38)

l’Afrique subsaharienne fait donc un peu exception.

L’hétérogénéité villes/campagnes mérite aussi d’être soulignée. L’indice synthétique de

fécondité (ISF) est en moyenne de 4 dans les villes contre 6 dans les campagnes. Dans les

villes du Kenya, cet indice est passé en quelques années de 7 à 3,5. Mais la population

urbaine reste moins importante en Afrique que dans les autres continents.

b. Croissance démographique et développement durable

Cette croissance démographique forte est-elle un obstacle au développement ou au

développement durable ? A cette question ancienne, les réponses des auteurs restent

divergentes. Roland Pourtier (2009) parle de « bombe démographique ». Sylvie Brunel

(2004) annonce pourtant « la fin de l’exception démographique africaine ».

- La croissance démographique peut-elle conduire au surpeuplement ?

La notion de « surpeuplement » est à utiliser avec la plus grande précaution même si le

succès de l’indicateur « empreinte écologique » la réactive indirectement. Il en va d’ailleurs

de même pour la notion de « capacité de charge des terres ».

La définition de l’INED montre bien ses limites : « Etat d’un territoire ou d’un espace où les

ressources disponibles ne sont plus suffisantes pour subvenir aux besoins de la population

qui y réside ». Cette définition semble ne pas tenir compte des échanges extérieurs d’un

territoire ou bien elle conviendrait davantage pour caractériser une situation alimentaire

conjoncturelle de disette ou de famine. En fait, on sait bien qu’il n’existe pas de lien

déterministe entre densité de population et surpeuplement : les Pays-Bas ne sont pas

surpeuplés ! Dans une économie ouverte, les échanges commerciaux peuvent compenser

des insuffisances locales.

Cependant un « surpeuplement relatif » peut être admis dans le cas d’une croissance rapide

dans un contexte d’agriculture extensive. Des tensions entre éleveurs et agriculteurs ayant

des pratiques différentes sur une même espace, comme au Sahel, peuvent en résulter. On

peut plus rarement déboucher sur une guerre civile : la faim de terres a été évoquée comme

une des causes possibles du conflit rwandais de 1994.

- le poids considérable des jeunes

Actes des 10e Rencontres de La Dur@nce

Conférence

L’Afrique subsaharienne compte 41% de moins de 15 ans dans sa population (moyenne

mondiale : 28 %). Il est évidemment difficile de scolariser la totalité d’une population aussi

abondante et en croissance rapide. Mais surtout l’insertion sur le marché du travail est

problématique. Le secteur informel prolifère (par exemple nombreux enfants ou jeunes

cherchant à profiter des embouteillages des grandes villes pour vendre quelques produits

aux automobilistes). La dilution des vieilles solidarités familiales explique les multiples

formes de déviance (prostitution, drogue, violences). L’émigration à l’étranger apparaît alors

souvent comme le seul espoir mais la « forteresse Europe » se protège relativement bien.

Face à cette situation le géographe Roland Pourtier (2009) porte un jugement sans nuance

: « il n’ya pas d’autre choix que le préservatif aujourd’hui ou la kalachnikov demain».

c. Quels scénarios démographiques pour demain ?

Selon le « Population Reference Bureau », organisation indépendante basée à Washington,

le continent africain pourrait compter deux milliards d’hab en 2050, soit un doublement en 40

ans. Il représenterait alors 20 % de la population mondiale, retrouvant approximativement la

part relative qu’il occupait au milieu du XVIIeme siècle, avant les ravages de la traite et de

l’esclavage.

Mais quel crédit peut-on accorder à cette projection ?

- Il est certain que les populations subsahariennes semblent peut concernées par les

politiques antinatalistes (rôle de l’Islam et des églises évangéliques). Mais après l’Afrique du

Nord, l’Afrique australe (Zimbabwe, Afrique du Sud) est maintenant touchée par des

politiques de contrôle des naissances. L’urbanisation s’accompagne aussi toujours d’une

diminution de la fécondité. Si elle baissait pus vite que prévu, les 2 milliards d’habitants ne

seraient pas atteints.

- Une grosse incertitude concerne les effets démographiques du SIDA. L’Afrique

subsaharienne est le sous continent le plus touché (5,2 % de la population contre seulement

0,8 % au niveau mondial).

Actes des 10e Rencontres de La Dur@nce

Conférence

(doc 4 carte Taux de prévalence du VIH dans le monde) 4

Mais, tout récemment, grâce a la diffusion des trithérapies et à la politique de prévention, on

observe une stabilisation du taux de prévalence. Les scénarios catastrophes prévoyant une

diminution de la population de certains pays comme le Bostwana pourraient donc ne pas se

réaliser.

2. Les campagnes d’Afrique noire face au développement durable

L’Afrique noire reste majoritairement rurale et agricole malgré une urbanisation galopante : ¾

des pauvres en Afrique occidentale et centrale vivent dans les campagnes, le secteur

agricole représente entre 50 et 70 % de la population active (72% au Sénégal) et fournit une

part importante du PIB (31% au Burkina Faso). Il n’y aura donc pas de développement

durable sans une évolution forte des systèmes agricoles et des campagnes.

a- Des insuffisances notoires demeurent

Problème majeur, la croissance de la production agricole est demeurée inférieure à celle de

la population (contrairement à ce qui s’est passé en Asie ou en Amérique latine). Il en résulte

un accroissement de la dépendance alimentaire.

L’Afrique est ainsi le continent le plus frappé par la malnutrition. Sur le milliard d’humains

concernés, selon la FAO, 236 millions sont en Afrique. Une personne sur trois est sous-

nutrie et, plus grave, la disponibilité alimentaire par habitant n’a pas progressé depuis 50 ans

(2100 cal/jour/hab. en 1961-63 et 2100 cal/jour/hab. en 2010).

4 Carte extraite de Granier Gérard (sous la dir de), Enseigner le développement durable. Géographie 5

e, CRDP Amiens, 2010

Actes des 10e Rencontres de La Dur@nce

Conférence

(Doc 5 carte la sous-alimentation dans le monde)5

L’absence de progrès tient en partie à ce que les méthodes agricoles sont restées très

extensives : très peu d’irrigation (5% des terres contre 37 % en Asie), très peu d’engrais (11

kg par ha contre 67 kg en Amérique latine et 129 kg en Asie), des rendements faibles (10 à

12 qx/ha).

Pour augmenter la production, on a privilégié deux autres choix : réduction des jachères,

avec le risque de baisse des rendements et de dégradation des sols qui l’accompagne, mise

en culture de nouvelles terres (le programme de 5e invite à étudier un «front

pionnier » africain).

Cette stagnation agricole répond à des facteurs généraux multiples (insuffisance de la

formation des agriculteurs, manque d’investissements, désintéressement des Etats, etc.). On

pourrait aussi retenir deux données spécifiquement africaines : le statut foncier, défavorable

à l’initiative individuelle, l’effet pervers de l’aide alimentaire en blé ou riz importés à faible

prix, qui ne permet pas une juste rémunération des producteurs locaux.

b- Mais des leviers de changement existent.

On peut citer notamment :

- les marchés urbains locaux, qui constituent un débouché considérable et en

croissance rapide. Le dynamisme des agricultures péri-urbaines (voire intra-urbaines) est

réel et n’empêche pas des spécialisations rémunératrices dans des régions plus éloignées

5 Carte extraite de Granier Gérard (sous la dir de), Enseigner le développement durable. Géographie 5

e, CRDP Amiens, 2010

Actes des 10e Rencontres de La Dur@nce

Conférence

des grandes villes (exemple de la culture des oignons en pays dogon au Mali). Cette

explosion du « vivrier marchand » rend largement obsolète la vieille distinction cultures

vivrières/cultures commerciales.

- les marchés mondiaux peuvent offrir aussi de réelles opportunités de

développement. Certes le débat idéologique sur le caractère « durable » d’une

mondialisation des échanges agricoles est posé. Mais pourquoi l’Afrique devrait-elle rester à

l’écart d’un mouvement qui a largement profité à d’autres pays du Sud (Brésil, Asie du sud-

est par exemple) ? Certains marchés traditionnels (café, cacao, huile de palme) sont

menacés par la concurrence d’autres pays du Sud. Mais l’Afrique peut connaître aussi des

succès spectaculaires sur des marchés de « niche » comme celui des roses au Kenya. La

culture des roses est devenue la première source de devises du pays et offre 80 000 emplois

directs et 500 000 emplois indirects. Les exportations sont massives vers les Pays-Bas,

plaque tournante du marché mondial. Les effets pervers en terme de développement durable

ne sont cependant pas négligeables : problème de l’utilisation massive de pesticides,

surconsommation d’eau pour l’irrigation des plants, etc. (cf. Le Monde du 14-15 février 2010,

Le parfum sulfureux des roses kenyanes).

L’Afrique offre donc des potentialités réelles si on combine :

- l’importance des surfaces cultivables non encore exploitées. Selon Sylvie Brunel,

l’Afrique compterait 220 millions d’ha cultivés pour 1000 millions d’ha cultivables. On

comprend que l’Afrique soit actuellement le continent de prédilection pour l’acquisition de

terres par des intérêts étrangers. Le Soudan a fait paraître en août 2008, dans le Financial

Times, l’annonce suivante : « Etat cède 880 000 ha de terres arables pour 670 millions

d’euros ».

- les fortes réserves d’intensification. Les plantes africaines n’ont pas fait l’objet des

mêmes efforts de recherches que le blé ou le riz. Leurs rendements pourraient donc

fortement progresser.

Selon Sylvie Brunel, l’Afrique est « un continent qui, demain, pourrait tout à fait devenir

un des greniers du monde » mais il faut pouvoir garantir à l’agriculteur des prix

suffisamment rémunérateurs et stables.

c. L’exemple du terroir de Guelack au Sénégal

Pour terminer cette intervention sur une note positive et moins misérabiliste que nombre de

reportages médiatiques sur l’Afrique, j’évoquerai en quelques mots un exemple de

développement local au Sénégal (non loin de Saint-Louis). Dans des conditions climatiques

difficiles (précipitations moyennes annuelles de l’ordre de 300 mm seulement), sous

l’impulsion de deux leaders locaux et avec l’appui technique et financier de la coopération

décentralisée (ONG, collectivités locales), cette communauté peule, donc au départ

composée d’éleveurs, a réalisé des progrès substantiels au plan du développement humain

(amélioration de la santé publique, généralisation de l’enseignement primaire, amélioration

de l’habitat) en diversifiant ses activités économiques (introduction d’un élevage bovin et

d’un élevage caprin sédentaire plus intensif que l’élevage semi-nomade traditionnel,

développement de cultures irriguées, artisanat, tourisme solidaire).

Actes des 10e Rencontres de La Dur@nce

Conférence

(Doc. 6 Cases pour hôtes de passage dans le village de Guelack. Photo G. Granier).

Pour garantir la durabilité de son développement, la population locale a aussi compris qu’elle

devait prendre soin de son environnement naturel malgré une réelle pression

démographique. D’où la mise en œuvre d’une politique de reboisement, des méthodes

agricoles limitant l’usage des pesticides et même des efforts d’enfouissement des déchets

plastiques, qui sont devenus une des plaies de l’Afrique.

(Pour plus de précisions, voir le manuel de géographie seconde Magnard, édition

2010, p 44-45)

Conclusion

Souvent moins citée que d’autres continents, l’Afrique n’en reste pas moins un enjeu majeur

de développement durable car elle doit faire face à des problématiques très contradictoires.

Les environnementalistes y voient d’abord un des derniers terrains de conservation d’une

nature sauvage et s’attachent à préserver les écosystèmes, la biodiversité au risque d’une

« patrimonialisation » abusive (voir les travaux d Marie-Christine Cormier-Salem de l’IRD). A

l’inverse les géographes urbanistes soulignent les énormes difficultés pour aller vers une

ville africaine plus durable face aux dégâts d’une urbanisation galopante et incontrôlée (voir

les travaux d’Elisabeth Dorier-Aprill). Au cœur de l’avenir africain demeure d’abord le défi

d’une croissance démographique qui reste à maîtriser.

Quelques ressources documentaires sur l’Afrique subsaharienne

Les travaux de Sylvie Brunel, en particulier

- L’Afrique, un continent en réserve de développement, Bréal, 2004 - L’Afrique dans la mondialisation, Documentation photographique n°8048, 2005

Actes des 10e Rencontres de La Dur@nce

Conférence

- Le développement durable, Que sais-je n°3719, PUF, 3ème éd., 2009 - A qui profite le développement durable ?, Larousse, 2008 - Nourrir le monde, vaincre la faim, Larousse, 2009

Pourtier Roland (sous la direction de), Géopolitique de l’Afrique et du Moyen-Orient, Nathan,

2ème éd. 2009. Ouvrage destiné à la préparation des concours d’entrée dans les écoles de

commerce

Dubresson Alain, Raison Jean-Pierre, L’Afrique subsaharienne, une géographie du

changement, Coll. U, A. Colin, 2ème éd., 2003

Courade Georges, L’Afrique des idées reçues, Belin, 2006

http://pedagogie.ac-amiens.fr/histoire_geo_ic/?-L-Afrique-et-le-developpement-

Compte-rendu d’un stage de formation continue en 2007 sur « Afrique et développement

durable »