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Agir par la Culture N°25

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Contre vents & mainstream ? Se positionner face à cette culture qui plait à tout le monde

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TEMPS FORT

120 personnes se sont réunies pour réfléchir aux images et usages de la pauvretéle 14 décembre 2010 au Centre culturel de Seraing. Les débats ont permis d’inter-roger les représentations sociales, économiques et politiques de la pauvreté. Lesactes de cette journée de colloque paraîtront au printemps dans la collection Cahiersde l’éducation permanente.

©Jean-François Rochez, 2010

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sommaire

Editeur responsable : Yanic Samzun • Rédacteur en chef : Aurélien Berthier • Equipe rédactionnelle : Sabine Beaucamp, Jean Cornil, Yanic Samzun • Ont participé à ce numéro : NadègeAlbaret, Jean-Luc Degée, Denis Gérardy, Michel Gheude, Yannic Keepen, Nathalie Misson, le collectif NURPA, Philippe Reynaert • Crédits photographiques : Jean-François Rochez, Palestinian CircusSchool, Véronique Vercheval • Couverture : Jean-François Rochez • Lay-out : Nino Lodico • Aide à la relecture : Pierre Thélismar • Mailing : Maria Casale

Pour recevoir gratuitement par la poste notre trimestriel ou pour vous désinscrire de la liste d’envoi, veuillez prendre contact avec Maria Casale par mail ([email protected]) ou par téléphone (02/545.79.11).

Tirage : 10 000 exemplaires, imprimé sur papier recyclé, offset Cocoon-100 %

Conformément à la loi du 8 décembre 1992 sur la protection de la vie privée, si vous ne souhaitez plus recevoir nos publications, il suffit de nous le signaler.

Toutes les activités évoquées dans ce numéro ont été réalisées grâce au soutien du Service de l'Education permanente du Ministère de la Communauté française Wallonie-Bruxelles, de la Loterie Nationale, de la Région Wallonne et del'Agence Fonds social européen.

En 2011, il y aura exactement 90 ans que fut votéle premier Arrêté royal à caractère culturel. En effet,c’est le 17 octobre 1921 que Jules Destrée, Minis-tre des Arts et des Sciences, fait adopter la premièreloi instaurant les bibliothèques populaires qui estl’ancêtre de l’Arrêté royal de 1977 sur la lecture pu-blique. Simultanément, il fait adopter un Arrêté surles « œuvres complémentaires à l’école » qui préfi-gurait les futurs décrets sur l’éducation populaire.

En 90 ans les politiques culturelles ont beaucoupévolué tant du point de vue de la démocratisationde la Culture que du point de vue de la démocratieculturelle. 90 ans après, où en sommes-nous ?

Avons-nous rencontré suffisamment l’idéal d’éman-cipation des classes laborieuses ?

Le nouveau paysage médiatique et la montée enpuissance des industries culturelles ne nous obli-gent-ils pas à adapter les politiques publiques pourgarantir la liberté de création et la diversité cultu-relle ?

Ces questions et bien d’autres constituent notregrand chantier de réflexion pour 2011.

Outre la relance des Commiss i ons de Po l i -t iques Cu l turel les, nous proposons quatre ren-dez-vous pour nourrir notre réflexion :

Le 31 mars au Théâtre de Namur, nous recevronsFrédér ic Mar te l pour débattre de son remar-quable ouvrage, «  Mainstream » , et des politiquesà mener dans le domaine des industr ies cu l tu-r el les. Ce sera aussi l’occasion d’interroger les ac-teurs publics de ces politiques : Fadila Laanan pourla Culture et Jean-Claude Marcourt pour l’économie,mais aussi Frédéric Delcor (Secrétaire général duMinistère de la Communauté française), PatrickPrintz (Wallonie Bruxelles Musiques), Tanguy Roo-sen (SACD), Phillipe Reynaert (Wallimage) et ArnaudGrégoire (ULB).

C’est aussi le thème du dossier de ce numéro d’Agirpar la Culture.

En mai à Flémalle nous lancerons la Confé renceper manen te des É lus de la Cu l tu re. Cettenouvelle plateforme vise à rassembler l’ensembledes mandataires qui ont en charge la Culture ou quis’y intéressent. (Conseillers communaux et provin-ciaux, Députés fédéraux, régionaux, communautaireset provinciaux, Bourgmestres, Échevins, présidentsde CPAS …). Cette conférence vise à permettre ledébat et l’information sur les politiques culturelles,l’échange autour de bonnes pratiques, la formationpermanente.

En juin, avec le Conseil Supérieur de l’Éducation Per-manente, nous recevrons Chr i s t i an Maur e lautour de son livre «   Éducat ion populai re e tpuissance d’agir, les pr ocessus cu l ture lsde l ’émanc ipa t ion  » pour débattre des enjeuxde l’éducation permanente aujourd’hui.

Fin octobre à Bruxelles nous proposons un colloquecoorganisé avec le magazine français «   LASCÈNE  » autour de l’épineuse quest ion despubl ics et de leur par t ic ipa t ion.

Nous conclurons provisoirement ce chantier au prin-temps 2012 avec une rencontre de deux jours au-tour des «  Nouveaux te r ri to i res de l ’act ioncul ture l le  » .

Pour accompagner cette aventure et toutes les au-tres, nous vous proposerons progressivement unenouvelle formule de ce magazine, dont ce numéroest la première ébauche. N’hésitez pas à nous com-muniquer vos appréciations et suggestions.

Bonne lecture !

Yanic Samzun

Secréta i re Généra l

ENTRETIEN : • Marcel Gauchet, Une démocratie en voie detransformation P.4

DOSSIER :• Contre vents et mainstream ?P.7• Frédéric Martel en tête P.8• Le mainstream en question. P.11• Face à la culture mainstream :Résistance ou entrisme ? P.12

• Marc Janssen : La culture mainstream, Un moyen et non une fin P. 14

• Et la musique dans tout cela ?P.18

• L’hégémonie culturelle selonGramsci. P.19

TRIBUNE LIBRE : à Michel Gheude P.21

PALESTINE : • L’école de cirque à Bir Zeit : C’est parti ! P.22

• La « Belle Résistance » d’Aïda àBruxelles P.23

INTERNET : ACTA : La révolte des moines copistes. P.24

PORTRAIT CULTUREL : Laurette Onkelinx P.27

ALTERNATIVE CULTURELLE : Chiffrer le bonheur P.30

DECOUVERTES : Les chroniques culturelles P.32

édito

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Je souhai t e vous demander, vous quiê tes un gr and phi losophe , un grandhis to r ien, un grand penseur, avec unpar cours tout à f ai t pass ionnant danstoute l ’h is to i r e de l a 2è me mo i t ié du20e s ièc l e des idées en Fr ance , s ice tte oppos i t ion entre le monde dé-mocra t ique e t l e monde to ta l i t a i r e ,qu i est l ’obje t de votr e der n ier l i vr ede 1914 à 1974, le début de la cr isee t pas 1989 avec la chute du Mur deBer l in , pour quo i au j ourd ’hu i , es t -ceencore si impor tant que la démocra tiene soi t pas oublieuse de cette pér iodetota l i ta i re  ?

C’est important d’abord parce qu’elle est ou-blieuse et que j’ai été très frappé, étant pris de-puis longtemps dans des études sur cettequestion, de voir la métamorphose du regard.Nous ne comprenons plus de cette période quepar les dégâts qu’elle a fait. Les études d’aujourd’hui montrent que le pro-blème c’est la victime. Ces régimes ont fait ef-fectivement des victimes épouvantables donc ils’agit de ne pas oublier les victimes.Il s’agit de savoir aussi de quoi elles ont étévictimes et pourquoi.

Il est très important de comprendre pour la dé-mocratie d’aujourd’hui les épreuves qu’elle atraversées, les grandes difficultés qu’elle aeues à s’établir. Nous sommes dans un momentheureux de la démocratie. Personne ne discuteplus ces principes même si on en fait de trèsmauvais usages et de très mauvaises interpré-tations. Mais sur les principes nous sommes enEurope tous d’accord. Je crois que ce qui peutarriver de pire à la démocratie, c’est qu’elle ou-blie son passé et qu’elle se considère commeune évidence. À ce moment-là, je crois qu’elleserait vraiment menacée d’un dépérissementde l’intérieur très grave.

Cer tains d isent, pardonnez-moi d’ê treun peu provocateur dans l es ques-t ions, qu ’en f a i t nous v ivons en dé-mocra t ie po l i t ique , se lon tous lespr in c i pes tr ad i t ionne ls hér i tés de laRévo l ut ion f r ança ise , l ’é l ect ion ausuf fr age univer se l , ma is qu’en f ai t , i ls ’ag i t d ’une fo r me de démocr a t ied ’apparence par ce que les v raies dé-c is ions sont pr ises pr inc ipalement parl e monde économique . Au fond cer-tains d isent  : on ne v i t pas en démo-c r a t i e ma is en d ic ta tu re . Et les

dictateur s ne sont plus des per sonnesphys iques, ce sont les marchés f inan-c ier s par exemple. Qu’est-ce que vousrépondez à ce t te ana lyse- là un peucar ica tu ra l e e t un peu br u ta l e te l leque je l ’expr ime ?Le constat exprime des vérités. Nous vivonsd’abord dans des régimes très oligarchiques,de plus en plus oligarchiques à beaucoupd’égards, cela ne fait pas de doute. J’observe-rai une chose, c’est que cette critique n’est pasnouvelle. C’est très exactement celle-là qui estdevenue une sorte d’évidence à un momentdonné, vers 1900, et c’est de cela que s’estnourrie justement l’inspiration révolutionnaireà travers le 20e siècle à trouver un régime quimaîtriserait l’économie. Les Trente Glorieuses, c’était les Trente Glo-rieuses de la maîtrise collective de l’économieoù l’on arrivait non seulement à la faire mar-cher, mais aussi à faire qu’elle redistribue demanière de plus en plus égalitaire ses fruits. Etnous l’avons perdue volontairement parce qu’ily a eu des choix de fait dans la dernière pé-riode qui nous ont ramenés vers une orienta-tion que nous pensions avoir définitivementsurmontée.

marcel gauchet :UNE DÉMOCRATIE ENVOIE DE TRANSFORMATION

Marcel Gauchet est philosophe et historien. Il est rédacteur en chef de la revue LeDébat et il est directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales.Il était l’invité du cycle Philo, organisé par PAC et Philosophie Magazine,le 10 février dernier à propos de son livre « A l’épreuve des totalitarismes ».Entretien.

entretien

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La réponse à cette question, c’est que, en effet,la démocratie c’est le régime qui a une vertuprincipale, c’est qu’il peut se transformer. Etbien, je pense que la démocratie dans 50 anset dans un siècle ne ressemblera pas à celle quenous connaissons aujourd’hui. Il s’agira de trou-ver de nouvelles réponses parce que la situa-tion est très nouvelle sur des tas de plans. Leproblème posé à nos sociétés, c’est la maîtrisede l’économie, mais seule la démocratie peut lefaire.

La thèse de Dominique Bourg, c ’est ded ir e qu ’ i l f au t absolument que la dé-mocr a t i e se t r ans fo r me pa r ce quenous entrons dans une toute nouvel leè r e de l ’h is to i r e de l ’human i té où l etemps du monde f in i , où la natur e etla préser vat ion des écosystèmes sontabsolument fondamentaux. DominiqueBourg d i t , sans vou lo i r car icaturer sapensée, la démoc r a t ie a ctue l le t e l l equ ’e l le a ét é pensée , la dém ocr at i emoder ne n’est pas ap te te l le qu ’e l l efonc t ionne au jourd’hu i à répondre àses nouveaux déf is majeur s de demain.Qu ’es t-ce que vous pensez de ce typed ’ana lyse de la démocr a t ie au-jourd’hu i ?

Figurez-vous que vous tombez en plein dansmes préoccupations actuelles parce que j’aimême écrit un texte de réponse au livre de Do-minique Bourg sur ce thème. C’est vous direcombien la question me paraît très pertinenteet importante.Je suis tout à fait convaincu du diagnostic, à sa-voir qu’il y a un hiatus actuellement entre les pé-rils écologiques et le débat politique tel qu’il alieu dans nos sociétés. En même temps, je ne

suis absolument pas convaincu par les remèdesinstitutionnels que proposent Dominique Bourget Kerry Whiteside. Je pense que c’est une im-passe et je crois que la démocratie n’a pas ditson dernier mot. Je ne suis pas contre les inno-vations institutionnelles, mais je pense que dansle cas précis la question qui nous est posée estd’un ordre vraiment décisif, c’est-à-dire queseule une vraie démocratie peut être écolo-gique. Une vraie démocratie, c’est une démo-cratie qui reprend dans la conscience descitoyens la discussion collective la plus large.Mettre simplement des bons spécialistes dansquelques endroits névralgiques du pouvoir nechangerait rien à mon avis.

Est-ce que la d if f i cu lté n’es t pas quele temps de la démocrat ie , le temps dela dél ibér at ion, est un temps qui éta i tadapté à cer ta ines prises de déc is ionpour répond re à c er t a ins déf i s maisque le temps de la natur e, l ’accélér a-t ion des per turbat ions c l imat iques oudes ca tast rophes na tur e l le s, nechange pas not r e v is ion du temps   ?Est-ce que ces deux temps- là ne sontpas au jourd’hu i d if f i c i lement compat i -b les ?

Non, je ne le crois pas mais vous savez, ce n’estpas une objection nouvelle. C’est déjà ce qu’enFrance par exemple les monarchistes oppo-saient à la République. Ils disaient : « C’est unrégime de l’instant mais qui est incapable des’occuper des intérêts à long terme du pays, cequ’un monarque qui n’a pas à être réélu peutfaire, lui  ». La démocratie, telle que nous laconnaissons aujourd’hui, est dans un momenttrès particulier de son Histoire où elle paraîtdans un sommeil général devant le long terme,

mais ce n’est pas une fatalité. Rien n’oblige à cequ’elle soit comme cela. C’est un état tempo-raire de la conscience collective qui, à mon avis,est voué à changer assez rapidement.

Je v ais prendr e le problème autrement.Vous d i tes, je pense t rès justement , ladémocr at ie ce n’est pas que les inst i -t u t ions, c ’es t d ’abord la consc iencedes c itoyens de par t i c iper à la dél ibé-r at ion publ ique. Qu ’es t-c e que vouspensez du ca r actè r e obl iga to i r e ounon du dro i t de vote ?

Je n’ai rien contre mais cela ne me paraît pas lapanacée. Si les gens vont voter pour faire n’im-porte quoi, ce n’est pas nécessairement un re-mède à tous nos problèmes.

I l y a t ou te une sér i e de nouveauxmouvements h istor iques, per t inents ounon, l ’h is to i r e le juger a, j e pense àl ’ob ject ion de cro issance, aux gens quisont en t r a in de contes ter le modè ledominant du développement , in f in i etpr ométhéen de l ’homme par r appor t àl a f in i t ude de la b io sphè r e. Cer t a inssont très favor ables à la rev ita l i sat ionde tout ce qu i est la démocr at ie dél i -bér at i ve, par t i c ipa t ive, aux nouvel lesp rocédur es, à la démocr at i e d i r ect e.Qu ’es t-ce que vous pensez de ce four-mi l lement d’expér iences ?

Je pense que ces expériences augurent d’un re-maniement très important du processus poli-tique. Je pense que nos démocraties sont envoie de transformations très profondes. C’estl’objet de mon prochain livre.

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entretien

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Et que tout cela fait signe en effet vers deschangements importants de la manière decomprendre la représentation politique, la dé-cision politique, le processus démocratique engénéral et que nous sommes devant une vraiemutation de la façon d’aménager les choix col-lectifs. J’essaye de le penser avec recul dansun cadre d’ensemble et dans la continuité del’expérience démocratique et je crois que noussommes vraiment devant une nouvelle réin-vention de la démocratie. Cela va prendretoutes sortes de nouveaux canaux.

Facebook comme en Égypte ou en Tu-n is ie , c ’es t un bon canal  ?

Tous les canaux sont bons. La question devantlaquelle on est, c’est de mettre en musiquecette diversité parce qu’en même temps on voitbien les dangers si chacun fait sa petite démo-cratie dans son coin et que cela tire danstoutes les directions : on n’aboutit à rien au ni-veau des choix collectifs véritables pour les-quels à un moment donné, il faut trancher.Climatosceptiques ou réchauffistes, à un mo-ment donné, il faut trancher. Mais il faut aussique les citoyens suivent. Si les scientifiques tout seuls ont raison dansleur coin, sans l’adhésion des peuples, cela nenous mènera nulle part. C’est pour cela que jene crois pas du tout à l’écofascisme parce quecela ne marcherait pas sans l’adhésion desgens.

L’Éta t es t dans ce cadre-là un élémentessent ie l  ?

Oui, bien sûr. On est dans le moment où oncherche une forme collective efficace pour l’en-semble de ces initiatives qu’il va s’agir d’arti-culer, de mettre en ordre comme on l’a fait àd’autres époques de l’histoire à différents ni-veaux du pouvoir.

Une quest ion sur la démocrat ie cu ltu-r e l l e pu isque nous sommes dans unmouvement d’éducat ion populaire . Vousêtes à l ’opposé du spectre de la penséed ’A la in Bad iou par exemp le qui d i t   :«  La règle de la major ité ne marc he pasen ar t e t en sc ience , pour quo i fonc-t ionner ai t-el l e en po l i t ique ? ».

Pou r vous , es t- ce que la cu l tu re, cedoma ine v ra imen t t rès impor tan t dela const i t ut ion des imag ina ir es , peutê t r e vér i ta bl emen t démocr a t i que oub ien comme le pensent à leur manièreAla in Badiou, A la in Fink ie lkr aut ou uninte llectuel comme Simon Leys, la cu l -ture est par essence él i t ist e et a r is -tocra t ique ?

C’est une question très difficile parce que ledébat tourne très facilement à la caricature.La culture est aristocratique comme la scienceest aristocratique. Même la politique démocra-tique est aristocratique parce qu’il y a une dif-férence énorme entre le citoyen qui se contented’aller voter parce que c’est obligatoire maisqui s’en moque complètement et puis la per-sonne qui fait l’effor t de se tenir informé etd’essayer de maîtriser et de faire des choix rai-sonnés. Nous savons bien que la démocratieest encadrée par des gens qui ont plus de com-pétences politiques que le citoyen normal quivoit cela de très loin. Cela n’empêche pas la dé-mocratie de fonctionner.La culture comporte un élément aristocratiquepuisqu’elle repose sur la fabrication d’œuvresqui sont par définition l’objet d’un travailénorme, d’un investissement gigantesque etqui mobilise des talents singuliers. La culturene sera jamais le « tout le monde artiste » selonKarl Marx, je ne le crois pas. Mais moi qui nesuis pas artiste, je n’ai pas envie de jouer à l’ar-tiste. J’ai envie de voir des œuvres belles dansdes musées, d’aller voir des pièces de théâtreintéressantes, des films admirables, cela ne megêne pas. Je ne souffre d’aucune humiliation enallant admirer un film, un morceau de musiquejoué par un grand interprète bien meilleur quemoi. Donc évidemment, il y a une composanteélitiste et aristocratique. Mais de quoi parle-t-on ? C’est de l’accès à la culture. C’est l’accès.Tout se joue là !

Mais l ’accès à la cu l ture au jourd ’hu ic ’es t la té lév is ion e t inte rne t ?

Qui font d’ailleurs des choses très contrastées,le pire et le meilleur. D’où la difficulté de jugermais je pense que la question dans tous cesdomaines, de l’éducation ou la science, la ques-tion c’est l’accès dans tous les sens, permettre

aux gens qui ont du talent d’artiste de l’expri-mer et pas de rester plombier-zingueur parceque papa l’était. D’autre part, permettre à tousceux qui le souhaitent et qui n’en ont pas spon-tanément les moyens, l’accès le plus large pos-sible à ces choses qui en effet sontaristocratiques. Ce qui est démocratique c’estl’accès.

C ’es t donc l ’éco le e t l ’éducat i on qu isont dé ter minantes ?

C’est l’éducation, car c’est là que tout se passe.Je pense que c’est le plus grave problème poséà nos démocraties aujourd’hui. Le long terme,c’est l’éducation dans la démocratie. C’est laquestion que nos sociétés ont laissé tomberpour des raisons très compliquées, très pro-fondes, sur lesquelles on devrait se pencherdavantage, mais nous retrouvons le problèmedu court-termisme. On essaye d’améliorer à lamarge la mécanique pas toujours à tort d’ail-leurs, mais sans répondre vraiment aux ques-tions de fond. C’est là qu’est la vraie question.Evidemment qu’il faut une démocratisation cul-turelle, mais cela ne veut pas dire «tout lemonde artiste«, ni l’obligation pour tout lemonde de l’être.

D ’apprendre le p iano, d ’al le r à l ’aca-dém ie de pe inture e t de l i r e Balzac ?

Oui, ça c’est le rêve de l’homme total du vieuxMarx. C’est évidemment absurde et d’ailleurstrès honnêtement, je pense que Marx lui-mêmeconsidérait bien sûr qu’il en savait plus longque les prolétaires, mais il mettait sa science àleur service et trouvait cela démocratique. Iln’avait pas tort.

Propos r ecue i l l i s par Jean Cor n i l

À l’épreuve des totalitarismes (1914-1974) 

(L’avènement de la démocratie III)

Marcel GauchetGallimard, 2010.

entretien

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CONTRE VENTS

ET MAINSTREAM ?

En prologue à la journée d’étude « Coloniser les cerveaux oudécoloniser les imaginaires ?» organisée par Présence et Ac-tion Culturelles le 31 mars au Théâtre de Namur (infos au dosde ce numéro), nous avons consacré notre dossier à la CultureMainstream dont Frédéric Martel a esquissé l’histoire et décritles logiques dans son dernier livre Mainstream, Enquête surune culture qui plaît à tout le monde.

Nous ouv rons no tr e dos s ie r par un ent re t ien avecFrédér ic Mar tel qu i présente son ouvr age. Cela nous per-met d’ouvr i r le débat et d’a l imenter la réf lexion quant auxrés istances à ce courant cu l ture l dominant qu’i l es t pos-s ibl e d ’ imag iner. Nous avons ensui te demandé à des

acteur s du monde cu l ture l be l ge f r ancophone de réa gi raux thèses déve loppées par Frédér i c Mar te l . A in s i , lespo ints de vue de Phi l ippe Reynaer t (pour le c inéma) , MarcJanssen (pour la télév is ion) , Denis Gérardy (pour la mu-s ique) tentent d’ébaucher des pos i t ionnements possibleset souha i tables face au mainst ream dans leur s secteur srespect i fs ou jauge des mesures qui les concer nent . Nousconclurons ce dossie r par un r appel du concept d ’   «  hé-gémonie cu l ture l le » par fois évoqué dans ces pages et au-que l on r appor te souvent la Cu l ture ma instr eam.

SE POSITIONNER FACE A CETTE CULTURE QUI PLAIT A TOUT LE MONDE

dossier

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FRéDéRIC MARTEL EN TêTERencontre avec l’auteur

Cet échange au sujet de Mainstream estissu d’un entretien avec Frédéric Martelréalisé par la revue française Medium,dirigée par Régis Debray, qui paraitradans le numéro de mars 2011. Nous lesremercions de nous permettre cette pu-blication.

Ra ppe lons vo tr e thèse pr in c i pa le   :chacun v i t au jourd’hu i dans deux cu l -tures, la sienne, na t ionale , qu i ne sedé fend pas s i ma l d ’après vo t r e en -quête , e t pu i s, de même qu ’on peutavoir une deux ième langue, on accèdeaussi à une deux ième cu l ture, l ’amé-r icaine , qu i a une voca t ion mond iale .Pouvez -vous , pour commencer, nousr appeler que l les sont selon vous lesc lés, complexes, de cette hégémonieamér ica ine  ? Autrement d i t les par t i-cu l a r i tés qui donnent aux USA ce t tecu l ture à voca t ion «  un i ver se l le  » ?

J’aimerais d’abord préciser que je me situedans une sociologie et un journalisme de ter-rain. L’enquête dont Mainstream est le produita été faite pendant cinq ans, dans 30 pays, età partir d’entretiens avec plus de 1200 acteursdes industries créatives et des médias. Je nesuis pas dans l’idéologie, je pars avec des hy-pothèses peu nombreuses, pour me laisser jus-tement surprendre, et mieux apprendre de mesinterlocuteurs. J’ai voulu sortir de l’essai à lafrançaise, et je dirais d’une sociologie de salon,qui s’inquiètent de la mondialisation culturelleet du basculement numérique depuis son salonparisien. Un discours souvent incantatoire etanxiogène, très superficiel. En cela, je dépolitiseassez largement le sujet et je décentre le re-gard français. C’est ce qui me vaut des critiques– de l’extrême gauche antimondialiste, des cri-tiques de cinéma obnubilés par l’art et essai,

ou de la droite nationaliste façon Éric Zemmourou Renaud Camus. Mais je reste persuadé quele métier de chercheur est de déplacer leslignes, de changer les termes du débat. Lechercheur ne doit pas avoir peur de déranger.Il ne doit pas craindre de penser à contre-cou-rant et parfois contre son camp.Venons-en àvotre question sur l’hégémonie américaine. J’aidéjà consacré trois livres à la culture des États-Unis tant le sujet est complexe et très mal ana-lysé en Europe. Je ne crois pas au déclinculturel de l’Amérique et je me situe en faux parrapport aux analyses d’Emmanuel Todd, parexemple. Il y a un écosystème culturel très sin-gulier, très original, aux États-Unis qui fonc-tionne sur plusieurs échelles à la fois.L’impérialisme culturel américain c’est à la foisla masse, le mainstream, la culture dominantepar la quantité (Disney, Le Roi Lion, Avatar etLady Gaga), mais c’est aussi l’avant-gardedans la danse ou les arts plastiques, la contre-culture dans le théâtre expérimental, les cul-tures communautaires et les culturesnumériques. Dans Télérama ou Libération, ondéteste le « mainstream », mais on ne parle quede Bill T. Jones, Eminem, Trisha Brow, PhilipRoth, Brett Easton Ellis, Woody Allen etc. Oncroit que les indépendants sont contre le sys-tème – alors qu’ils sont LE système. C’est celale vrai impérialisme : à la fois Kanye West et NanGoldin, en même temps Toy Story et Tony Kus-ner. Deuxièmement, j’ai montré dans De la Cultureen Amérique (qui fut aussi ma thèse) et je croisde manière définitive, que le système culturelaméricain repose sur autant d’argent publicqu’en France (en pourcentage et en vertu dumanque à gagner fiscal de la philanthropie),qu’il compte à peu près le même nombre d’ar-tistes (400.000 en France, 2 millions aux États-Unis, ce qui est identique pour un pays cinq foisplus peuplé) et qu’enfin les pratiques cultu-

relles sont très proches, quantitativement, etqualitativement, dans les deux pays. En gros, iln’y a pas l’art en France face à l’entertainmentaux États-Unis, le Ministère de la Culture cheznous face au marché chez eux : les deux payssont beaucoup plus proches qu’on ne lecroyait. Ce qui change ce sont les moyens : cen-tralisés et avec la subvention chez nous ; dé-centralisés et avec la défiscalisation chez eux.Enfin, le secteur à but non lucratif, les univer-sités et les communautés – qui sont le cœurdu système culturel américain – permettentd’innover, de prendre des risques et d’expéri-menter. Si on ne comprend pas le rôle et lapuissance des universités dans la culture auxÉtats-Unis, on ne peut pas analyser Hollywoodni Broadway ; sans les communautés ethniqueset la diversité culturelle US, on ne comprendpas l’industrie de la musique américaine, ni In-ternet. En définitive, la commercialisation des indus-tries créatives, les lois du marché et les forceshomogénéisantes du mainstream, sont tou-jours contrebalancées et revitalisées par le sec-teur non-profit, les universités et la diversitéculturelle.

Le monde ent ie r s ’accumule danscette d iver s i té inter ne e t consubstan-t iel le aux États-Unis  ?

Absolument. Nous autres, Européens, défen-dons, et à juste titre, la diversité culturelle àl’OMC et à l’Unesco. Les Américains, en re-vanche, détruisent cette diversité lorsqu’ils fontpression pour supprimer les quotas de cinémaau Mexique ou en Corée ou défendent leurs in-dustries de la musique anglo-saxonne à traversle monde. Mais si on défend cette diversité àl’international, on est à front renversé à domi-cile. Sur son propre sol, la France a tendanceà étouffer ses propres minorités, lutter contre

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les langues régionales et les cultures locales,ou à ne pas valoriser la diversité. On assiste àce paradoxe d’une France championne de ladiversité culturelle dans les enceintes interna-tionales, de manière un peu incantatoire ouidéologique, sans s’appliquer à elle-même lesrègles identiques. Sans politiser la question, jedirais quand même que la défense de l’« iden-tité nationale » est clairement le contraire de ladiversité culturelle. Or, les États-Unis font l’in-verse de nous. S’ils combattent la diversité àl’international, ils la valorisent beaucoup danssa dimension ethno-raciale sur leur propre sol.Ils sont très pragmatiques. Et pour une raisontrès simple : ils ont sur leur territoire 45 mil-lions d’Hispaniques (15 % de leur population),37 millions de Noirs, 13 millions d’Asiatiques.Ils ne sont pas seulement un pays ou un conti-nent : ils sont le monde en miniature. Quels ontété les auteurs les plus intéressants de Broad-way, le théâtre mainstream et commercial amé-ricain, ces dernières années : le noir AugustWilson, le chinois-américain David Hwang, le la-tino Nilo Cruz ou le juif-gay-américain TonyKushner. Et il y a plus de 800 théâtres noirsaux États-Unis quand nous ironisons sur unseul théâtre « arabe » en France. Il y a doncune très grande hypocrisie française à défen-dre la diversité culturelle à l’international, alorsque les États-Unis la combattent, mais à la re-fuser sur notre propre sol, alors que les Amé-ricains la valorisent et la célèbrent.

Un tr a i t cu l turel f r ança is es t de dur c i rnotre concept d’a r t , en en fa isant unecatégor ie p ro tégée , à par t dans lacu l ture ; nous v ivons sur une idée éle -vée e t sac ral isée de l ’ar t , au nom delaque l le nous regardons d ’assez hautson contra i r e. On n’a pas aux Éta ts-Un is ce t te condescendance , e t les

i nte l lec tue ls de gauche ont f ai t eux-mêmes leur conver s ion, a igu i l lonnéspar des auteur s comme Paul ine K ae lque vous c i tez pour le c inéma, e t qu iont fa i t résolument l ’éloge du « di ver-t issement  » .

J’ai voulu sortir de ce débat franco-françaisentre l’art et le divertissement et c’est la raisonpour laquelle j’ai choisi le mot « mainstream ».On m’a dit que mon « concept » était flou : c’estvrai ! Car ce n’est pas un concept, c’est un mot.Ce terme polysémique de mainstream permetde déplacer le débat, en contournant la ques-tion ressassée de savoir si on est dans l’art oule divertissement. Adorno ne voulait pas ad-mettre que le jazz était de la musique (il disaitdu coup que c’était de la radio) et Alain Fin-kielkraut rejetait le rock dans le divertissementet le jazz dans l’art. Tout cela n’a plus grandsens aujourd’hui et le débat ne se pose plusen ces termes grossiers. La frontière entre l’artet le divertissement est plus poreuse ; le mé-lange des genres est fréquent et le « crosso-ver » parfois souhaitable. La culture ne peut pasêtre seulement pensée par l’élite comme del’« art et essai », comme un chemin de croix,une punition, un moyen de défendre son proprestatut social contre le peuple : la culture peut-être aussi un simple divertissement, pour pas-ser un bon moment « sans se prendre la tête »,comme disent les jeunes.Les pratiques culturelles, elles-mêmes, mon-trent que les Français peuvent à la fois aimerAvatar et un roman expérimental, voir LeMonde de Nemo et s’intéresser à Serge Daney.Il faut sortir d’un certain catéchisme culturel,celui du contrôle culturel que tentent encored’exercer les critiques culturels – mais leur in-fluence est, pour cette raison même, en voiede disparition. Je me souviens, il n’y a pas si

longtemps, combien l’actualité littéraire étaitfaite, pour moi, par Le Monde des livres ; jen’allais jamais au cinéma sans avoir écouté lacritique du Masque et la plume ou lu la recen-sion de Libération. Aujourd’hui, ces critiquesn’ont plus aucune influence sur moi, et je pensequ’ils n’ont plus aucune influence sur le public.Conflits d’intérêts, élitisme, refus de la diver-sité, rejet du mainstream, renvois d’ascen-seurs : tout cela a contribué à la fin de leurlégitimité. Mais surtout, avec le Web, le buzz,et l’économie de la recommandation, le petit« J’aime » de Facebook ou le « retweet » de Twit-ter ont mille fois plus d’influences qu’une cri-tique. Un libraire que j’interviewais pour le sitenonfiction.fr disait récemment : « Si un ouvragefait aujourd’hui la «une» du Monde des Livres,cela ne se traduit plus en ventes. Le Monden’est plus vraiment un prescripteur, Le Figaroplus guère, et Libération plus du tout. C’est lafin des suppléments littéraires comme nous lesconnaissions et de leur rôle comme prescrip-teur culturel ».

Une di f fé rence per s is tante, c ’es t quele diver tissement mainstream cons isteà fai r e conf iance au publ ic en conce-v ant les p rodui ts cu l tu re ls par son -dage, par focus groups ou mar ke t ing,bref en pi lo tant leur c réa t ion à par t i rde l ’ava l de la product ion. Ce que nef a i t aucun ar t i s te d igne de ce nom,qu i se r e fuse à penser en te r mesd ’aud ience n i de r en tab i l i té , e t p ré-fè re créer en su i vant son propre ca-pr ice…

Vous avez raison et c’est d’ailleurs à l’analysede ce marketing culturel très professionnel etde plus en plus centré sur Internet que jeconsacre plusieurs chapitres de Mainstream.

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En même temps, si le divertissement n’était quedu marketing, il échouerait. Dans l’expression« industries créatives » que je préfère à « in-dustries culturelles », aujourd’hui inexacte ettrop connotée, le mot important est « créatif ».Je ne crois pas qu’Avatar ait été créé unique-ment par focus groups, ni en épousant seule-ment les attentes du public. Le marketing nepeut pas donner naissance, seul, à Stars War,ni à Matrix, Spiderman ni même Batman TheDark Knight. Si les industries créatives n’étaientque du marketing, elles produiraient du Coca-Cola ou des boîtes de petits pois. Or, les sériestélévisées américaines, les jeux vidéo, les block-busters, les mangas sont très créatifs. L’ar tpeut donc exister au cœur du mainstream ; in-versement, je ne suis pas certain qu’on analy-sera encore dans trente ans les films d’ArnaudDesplechin ou les chorégraphies de MathildeMonnier, alors qu’on continuera sans nul douteà étudier Star Wars. Finalement, le divertisse-ment, autant que l’œuvre d’art, peut être uni-versel et s’inscrire dans le temps. C’est toutenotre conception artistique européo centréequi s’en trouve bouleversée.

L’ énor me quest i on du rô le , en toutcec i , d ’ Inte r ne t fe r ai t aus s i l ’ob j etd ’un autre l i vr e , avec l eque l ce lu i -c idemeure m i toyen. En quoi les techno-l og ies numér iques f avor is ent -e l lescette accélé rat ion e t ces gl issementsdu monde ? Facteur de dématér ia l isa-t ion , d ’hybr ida t ion des ima ges , dessons e t des tex tes, Inte r net contr ibueà la fois à la f lu idi f i ca t ion de ces phé-nomènes, e t à la dés in ter méd i a t i onqui fa i t r ecu le r l ’ impor tance de la s i -gnatu re ou de l ’auteur. Mo ins degenr es, de c lo i sons , mo ins de f r on -t ières bien sûr – cer ta ins s ’en a la r-ment quand d ’aut r es s ’ enré jou issent  ; or vo tr e l i vr e montre aucontra i r e qu’Interne t n’abol i t pas lesf ront iè res en tr e di f fé ren ts «   ma ins-t r eams » , qu i ont leur s a i r es de c i rcu-l a t i on e t d ’éc hanges  ; vous i ns i s tezsur la r evanche de la géogr aphie , etde par ta ges cu l tu re l s fo r temen t r é -s is tants. Que l es t donc su r ce rô led ’ In ter ne t , dans que lques cas oupoints précis, vo tr e sent iment  ?

On défend souvent l’idée en France qu’Inter-net, allié à la mondialisation, va produire unehomogénéisation fatale des cultures. D’autres,au contraire, craignent un morcellement infini,au terme duquel plus personne n’aurait aucuneculture commune, mais sombrerait dans uneculture de niche strictement communautaire etsectaire. Mon livre, fondé sur l’enquête, dé-montre que la mondialisation et le basculementnumérique produisent l’un et l’autre, c’est àdire aussi, ni l’un ni l’autre. Les deux phéno-mènes s’observent en effet en parallèle. Or, lamondialisation ne s’est pas traduite par la dis-parition des cultures nationales ou locales, quivivent bien aujourd’hui. Et Internet permet deregarder à la fois une vidéo de Lady Gaga enIran et de défendre sa culture régionale. La musique reste partout dans le monde trèsnational pour plus de la moitié de ses ventes ;la télévision reste très nationale ou locale endépit de CNN ou Al Jazeera qui ont une in-fluence mondiale mais limitée ; le box-office ducinéma est à près de 50 % national en Franceet en République Tchèque, à plus de 80 % enInde et au Japon. Quant à l’édition, elle est par-tout très nationale, comme l’information ou lemarché publicitaire. Les séries télévisées sontelles-mêmes très peu mondialisées, bien quele succès des séries américaines peut nous lefaire croire : les telenovelas en Amérique latine,les feuilletons du Ramadan dans le mondearabe, les « dramas » coréens ou japonais do-minent les marchés locaux. Ce n’est pas vrai dedire que la culture se mondialise. Le problème majeur de l’Europe réside là : il ya partout du national – qui tient bien — et dumainstream mondialisé, mais il n’y a plus deculture européenne. Nous devenons en mêmetemps plus locaux et plus globaux – mais demoins en moins européens.

Nous avons en Europe une cu lture na-t iona le p l us l a cu l t ur e amér ica ine ,nous n’avons pas le méd ia teur sup-posé que devra i t ê tr e une cu l ture eu-ropéenne .

Absolument. Pourtant, par optimisme peut-être, je demeure très européen. Je vois bien,étant fils d’un paysan du midi de la France, ceque l’Europe a pu causer de ressentiment dansnos villages, dans nos campagnes, dans nos

cultures. Et pourtant, je me méfie des discoursnationalistes, identitaires et inutilement anxio-gènes : la vérité c’est que ces cultures localesvivent bien aujourd’hui dans la mondialisation.Il n’y a pas à choisir le local contre le global.On est plus riche grâce au global, mais on estplus fort grâce au local. On a besoin des deux. Et moi, une nouvelle fois, j’aime en même tempsle théâtre de Bernard-Marie Koltès et le romanL’Immeuble Yacoubian de Alaa al-Aswani ou Lesfabuleuses aventures d’un Indien malchanceuxqui devient milliardaire de Vikas Swarup. D’ail-leurs, ce dernier roman est un bon exemplepuisqu’il est devenu le film Slumdog Million-naire : c’est la quintessence du local (VikasSwarup est indien, le film a été tourné à Mum-bai, les acteurs sont pour beaucoup indiens)et en même temps c’est un film de l’AnglaisDanny Boyle, financé par Pathé-UK (la brancheanglaise du français Pathé) et distribué par lesEuropéens et les Américains. Surtout, c’est unfilm basé sur un jeu télévisé mondialementconnu : Qui veut gagner des millions ? Et quevous alliez dans une salle de projection d’unefavela à Rio ou dans un café chic de Shanghaï,en passant par un bar gay de Jakarta, j’ai vuce film projeté sur tous les écrans du monde.C’est un blockbuster global, et c’est aussi unvrai-faux produit national.

Propos r ecuei l l i s par Danie l Bougnoux

e t Régis Debr aySélect ion des extr a i ts

par Yanic Samzun

Chercheur et journaliste, il anime chaquedimanche l’émission hebdomadaire« Masse critique » consacrée aux industriescréatives et aux médias sur France Culture.Il dirige le site de critiques de livres etd’idées, nonfiction.fr Frédéric Martel a notamment publié :Le Rose et le Noir, Les homosexuels enFrance depuis 1968 (Le Seuil, 1996)Theater, Sur le déclin du théâtre en Amé-rique (La Découverte, 2006)De la Culture en Amérique (Gallimard,2006)Mainstream, Enquête sur cette culture quiplaît à tout le monde (Flammarion, 2010).

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LE MAINSTREAM

EN QUESTION

L’ouvrage de Frédéric Martel propose unenouvelle entrée de lecture possible dumonde culturel en utilisant le concept,parfois polysémique, de mainstream.C’est sur base du récit de capitaines d’in-dustries culturelles que le livre répond àla question « comment les produits cultu-rels de masse sont fabriqués, marketéset vendus et comment, ce faisant, celachange peu à peu la manière de percevoirla culture ». En mettant la Culture mains-tream en débat, le livre ouvre certainespistes de réflexion. Réflexions qui restentnéanmoins à élaborer quant aux moyensde développer des résistances à ce « cou-rant culturel dominant ».

Q U’EST-CE QUI S’OPPOSE AU MA INS-TREAM ?

Dans la tradition américaine, l’existence dumainstream (d’un courant culturel dominant)n’empêche pas celles de courants culturels auxpériphéries ou en parallèle. Ils peuvent se dé-velopper à côté de lui (cultures traditionnelles,cultures populaires) ou encore se développer ensouterrain. Ainsi en est-il de cette culture juste-ment appelée underground. Un terme évocateurpuisqu’il désigne tant la production artistique àla marge, non-commerciale (« antimainstream »disent les Américains) qui prend place dans unréseau parallèle, que la résistance à l’oppres-sion et à l’occupation pendant la guerre.

Cette résistance culturelle est de nature éphé-mère, car elle est souvent phagocytée par lemainstream, en perpétuelle mutation et à la re-cherche de nouveauté. Ce mouvement va enretour redéfinir le mainstream. Des œuvres cul-turelles ont ainsi pu être mainstream à uneépoque et être complètement sorties du champcommercial aujourd’hui (artistes célèbres puisoubliés redécouverts par des mélomanes, filmspopulaires devenus classiques pour ciné-philes). À l’inverse, l’avant-garde artistique ac-tuelle pourra être complètement commercialedans quelques années, au gré des modes.

Dans cet underground peuvent particulière-ment s’inclure des pratiques telles que les pra-tiques amateurs ou le mouvement do it yourselfet plus largement l’autoproduction. Certainespratiques sont d’ailleurs largement favoriséespar internet, comme la mise à disposition d‘œu-vres négligées par le marché (souvent gratui-tement, souvent illégalement), le détournementd’œuvres ou encore l’autoproduction et l’auto-diffusion d’œuvres, de l’auteur à l’auditeur, aulecteur, au spectateur.

LA PISTE DE LA RÉCEPT ION

Dans son enquête, Frédéric Martel s’intéresseavant tout aux conditions de la production desœuvres. Ils montrent comment elles sont des-tinées avant tout à s’imposer à tout type de pu-blics. Ce faisant, il reste dans un champ prochede celui du marketing et néglige peut-être celui

de la réception. C’est toute la question de ladifférence entre la culture achetée et la culturelue, vue, écoutée, transmise et interprétée.Entre les intentions des producteurs et cellesdes récepteurs.

N’y a-t-il pas des phénomènes de réception cri-tique, ironique ou distante (« oppositionnelle »dirait le sociologue jamaïquain Stuart Hall), derejets, de détournements, de récupération,d’interprétations très différentes des intentionsdes émetteurs. La réception de ces productionsde masse n’est-elle pas plurielle ? Le « grandpublic » pas si homogène que ne le pensent lesproducteurs ? Plus créatif dans son interpré-tation des « biens » culturels qui lui sont pro-posés comme a pu le montrer Michel deCerteau ?

LE RÔLE DE L’ÉTAT DANS LA CUL -TURE ?

Quel rôle les pouvoirs publics doivent-ils tenirdans ce cadre ? Un État, via ses politiques cul-turelles publiques doit-il permettre l’émergenced’un secteur d’industrie culturelle puissant ouau contraire favoriser une culture moins com-merciale ?

Faut-il prendre place dans la guerre mondialedes contenus qui voit s’affronter de grandesaires culturelles (États-Unis, Japon, Inde, Chine,etc.) pour la conquête de parts de marché ETla promotion de leurs valeurs ? FrédéricMartel estime qu’une culture nationale (oumême paneuropéenne) qui ne s’exporte pascommercialement est problématique. Il faudraitdès lors favoriser l’éclosion d’un secteur de l’in-dustrie créative européenne performant etgrand public afin de diffuser une culture mains-tream à l’européenne (défendant ses valeurspropres). Outre le fait que cela interroge la cul-ture et les valeurs européennes à diffuser(quelles sont-elles ?), cela pose aussi la ques-tion : faut-il s’engager de plein fouet dans laguerre mondiale des contenus avec le risquede ne faire que suivre que ce que promeutl’idéologie néolibérale ? À savoir : que chaqueÉtat possède son industrie créative et que lameilleure gagne… Bref : faut-il cesser de lut-ter contre la marchandisation de la culture etau contraire la favoriser afin de tirerstratégiquement son épingle du jeu ?

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FACE À LA CULTURE MAINSTREAM : RÉSISTANCE OU ENTRISME ?Remarquablement documenté, l’ouvragede Frédéric Martel permet une puissanteremise à jour d’un débat qui anime lagauche depuis ses origines historiques :face à la culture de masse, les progres-sistes doivent-ils opter pour la résis-tance ou l’entrisme ?

Dès 1923 et la 2ème publication de ses « Ques-tions du Mode de vie », Léon Trotsky, père spi-rituel de l’entrisme, avait sur le sujet uneposition bien tranchée : « Le fait que, jusqu’àprésent, c’est-à-dire depuis bientôt 6 ans, nousn’ayons pas maîtrisé le cinématographe, mon-tre à quel point nous sommes balourds,ignares, pour ne pas dire tout simplement bor-nés. C’est un instrument qui s’offre à nous, lemeilleur instrument de propagande, quellequ’elle soit – technique, culturelle, antialcoo-lique, sanitaire, politique ; il permet une pro-pagande accessible à tous, attirante, unepropagande qui frappe l’imagination; et deplus, c’est une source possible de revenus ». Ilpropose explicitement, en lieu et place du ré-seau tsariste de débits de boisson grâce au-quel le régime déchu se finançait par la ventede la vodka dont il avait le monopole de fabri-cation, que le « gouvernement ouvrier » orga-nise « un réseau de salles de cinéma »…

Ce n’est qu’au début des années 60 que les mi-litants culturels du cinéma, abusés par le dis-cours d’André Malraux, abandonneront lesoutien aux diffuseurs (ciné-clubs, maison dela culture, etc.) pour réorienter leur énergiedans le soutien aux auteurs, ouvrant grand laporte au succès ravageur des hussards de laNouvelle Vague qui allaient ruiner pour des an-nées l’idée même que la diversité culturelle enmatière de cinéma passe avant tout par le dé-veloppement des industries techniques ciné-matographiques et, partant, de tout le secteurqui y a recours.

Née chez nous en 1969, l’aide publique fran-cophone au cinéma n’a pas échappé à cet hé-ritage de la droite pré-soixante-huitarde. Ducouple fondateur des aides publiques belges, àsavoir André Delvaux et son producteur Jean-Claude Batz, la future Communauté françaisen’a guère retenu que l’exemple du premier,n’écoutant que peu le discours du second. C’estainsi que pendant 30 ans, tous les moyens ontété mis en œuvre pour permettre l’émergenced’auteurs qui ont commencé à récolter des ré-compenses internationales justifiant par là unestratégie qui passait plus par la visibilité dequelques-uns (les réalisateurs) que par la sa-tisfaction et l’adhésion du grand nombre (lesspectateurs), mais feignant, en tous les cas,d’ignorer que le 7ème Art ne se construit ques’il dispose d’outils de production !

LE C INÉMA , APPARE IL IDÉOLOGIQUEDU SYSTÈME ?

On a cité Trotsky dont les textes ont bien sûrvieillis, mais il serait urgent également de pro-céder à une actualisation des concepts déve-loppés par Louis Althusser dans la fameuse« Note de recherche » intitulée «Idéologie et Ap-pareils Idéologiques d’État » publiée en 1970dans la Revue « La Pensée » (et reprise plustard dans « Positions 1964-1975 »). C’est dansce texte fulgurant qu’Althusser classe la Cultureparmi ce qu’il appelle les « AIE, appareils idéo-logiques d’État » complémentaires des « AE, ap-pareils d’État » qu’il rebaptise d’ailleurs « ARE,appareils répressifs d’État », à savoir la police,la justice, les lois, etc. La société capitalistes’étant aujourd’hui mondialisée, c’est le mot« État » qui apparaît désuet dans son raison-nement puisqu’à l’exception des derniers Étatstotalitaires, on devrait plutôt qualifier au-jourd’hui le cinéma d’ « Appareil Idéologique deSystème » par exemple. Mais là n’est pas ledébat. Ce que l’on peut retenir d’Althusser c’est

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Pour beaucoup, il n’est pas question de se sa-tisfaire d’une vision du monde où le marchécontrôlerait la production de la culture. Ce se-rait à l’État d’intervenir afin de poursuivre desobjectifs définis par des choix politiques : di-versité culturelle, patriotisme culturel, main-tien de la dimension d’élévation des esprits(pas seulement de celle du plaire) dans l’offreculturelle ou encore le souci que le marché nemonopolise pas les représentations de la so-ciété qui sont proposées à ses membres.Par quel bout peut-il intervenir ? Faut-il enca-drer le marché ? En sortir les biens culturels(exception culturelle) ? Faut-il mettre en placedes mesures de protection (quotas, protectionde la langue, subventions publiques aux pro-ductions locales, aux productions culturellespeu ou pas compatibles avec les critères dumarché) ? Faut-il viser un contrôle partiel desprix des biens culturels (à l’exemple du prixunique du livre) ? Faut-il instaurer d’un sec-teur culturel non marchand important (àl’exemple des bibliothèques). Voire même, ten-dre vers la gratuité de la culture ? Que faireface à la concentration, à la création de conglo-mérats de l’industrie culturelle ? Interdire lapossession de trop de canaux de distribution ?Pourrait-on même imaginer aller jusqu’à dé-manteler ces majors comme on a pu déman-teler des cartels financiers ou industrielsorganisés en oligopole ?

LE RÔLE DE L’ÉDUCATION POPULAIRE

Comment l’éducation populaire et permanentedoit-elle se positionner par rapport à cela ?S’agit-il réellement de mutations impor-tantes ou de simples évolutions de tendancesplus profondes (recherche d’hégémonie cultu-relle, emprise du libéralisme sur la sphère cul-turelle) ? Il faut garder à l’esprit que ce n’est parcequ’une culture se répand bien, se vend bien,qu’elle remplit correctement ses fonctions cul-turelles. Fonctions qui sont multiples et peu-vent être –parfois en même temps- de plaire,distraire, obtenir le consentement, instruire,faire réfléchir ou intégrer socialement. Il ne fautpas confondre ce qui se vend parce que celaplaît avec ce qui doit plaire.Faut-il d’ailleurs, en éducation permanente, sepositionner ou considérer qu’il ne s’agit là quede la toile de fond d’un travail en prise directeavec les « cerveaux humains » qu’elle mènepour sa part d’abord en souterrain, dans l’un-derground ?

Auré l ien Ber th ie r

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l’idée que les Appareils Idéologiques, même sile renouvellement de leur matière première estvirtuel puisqu’il s’agit de créativité, n’échappentpas à l’autre grand mécanisme de survie detoute organisation sociale : la reproduction deses moyens de production…

On peut psalmodier à l’infini qu’on est, en Eu-rope, pour la diversité culturelle, en matière decinéma (et il en va ainsi pour toutes les indus-tries culturelles du fait même de leur naturemixte culture/industrie), personne ne réaliserade films illustrant sa particularité culturelle sanspouvoir louer une caméra et un banc de mon-tage. Je sais que cette affirmation sera atta-quée par ceux, de plus en plus nombreux, quitournent aujourd’hui en digital léger et diffu-sent leurs œuvres via les réseaux sociaux. Ilssont peut-être les seuls vrais « résistants » à laculture mainstream  ! Même s’ils doivent seposer la question de savoir qui est propriétairedes réseaux où ils postent leurs réalisations…Mais si le mouvement des web-réalisateurspeut donner naissance à de passionnantes in-novations formelles, il ne relève pas à ce stadede la culture de masse face à laquelle nous de-vons nous positionner.

Je le répète en d’autres termes, éminemmentplus modernes que ceux de nos parrains Léonet Louis : la résistance au Soft Power passe parla maîtrise du Hardware !

L’EXPÉRIENCE WALLIMAGE

L’expérience menée en Wallonie par le fondsWallimage et sa filiale Wallimage Entreprisespeut raisonnablement servir de corpus analy-tique puisqu’il opère depuis 10 ans maintenant.En 1999, la Palme d’or des frères Dardennepour « Rosetta » sert de révélateur politique àune réalité qui ne s’était jusque-là que peu ex-primée (je pense au Manifeste pour la culturewallonne) : la présence dans le Sud du pays deréels talents susceptibles d’attirer le regard dela communauté internationale. Mais se réjouirqu’existent en Wallonie des talents comme ceux

d’Olivier Gourmet, Émilie Dequenne, BenoîtPoelvoorde, Thierry Michel ou Benoît Mariagene suffit pas et la Région wallonne décide alorsd’aller au-delà de l’anesthésiant « Red CarpetEffect » qui, dans le cas de la Wallonie, masquemal le manque flagrant d’infrastructure de pro-duction et postproduction. Un fonds est créé,Wallimage. Il a pour mission, déléguée par legouvernement Arc-en-Ciel de l’époque, de« structurer l’industrie naissante de l’audiovi-suel en Wallonie ».

Partant de là, pouvait se poser la question quiouvre ce texte : résistance ou entrisme ? Nousavons délibérément choisi la deuxième voie tantil nous semblait illusoire de tenter de construireun système «  résistant  » autarcique dans lecontexte mondialisé de l’audiovisuel au XXIesiècle. Nous avons donc organisé notre actionen deux mouvements dialectiques : 1. le sou-tien régionalement conditionné aux œuvres quenous cofinançons pour autant qu’elles dépen-sent en Wallonie l’argent public que nous leurapportons ; 2. le soutien aux entreprises deservices audiovisuels auprès desquelles nousnous positionnons avec Wallimage Entreprisescomme des «business angels« bienveillants. Lerésultat ? Partant de ce qui pouvait s’appa-renter à un désert en termes d’outils de pro-duction et surtout de postproduction, nousdénombrons aujourd’hui plus de trente socié-tés actives dans notre secteur et qui se sontd’ailleurs regroupées au sein d’un Cluster desTechnologies Wallonnes de l’Image, du Son etdu Texte (T.W.I.S.T.).

Mais les films, objecterez-vous, que du mains-tream  ? Que de la «  daube sous-culturelle  »  (ainsi qu’on l’écrit vite dès qu’ils’agit de cinéma populaire)  ? Jugez-vousmême. Oui, nous attirons en Wallonie « Rien àDéclarer », « Potiche » et « Le Petit Nicolas »,mais nous sommes aussi cofinanceurs des Dar-dennes, de Frédéric Fonteyne, de Jaco VanDormael ou d’Alain Berliner. Dans le « line-up »de Wallimage, on dénombre les premiers films(les plus risqués !) de Bouli Lanners, d’Olivier

Masset Depasse, de Micha Wald ou de BernardBellefroid…

PAS DE MARGE SANS UN CENTRE

Quand j’ai pris, il y a 10 ans, la direction dufonds wallon, mes amis cinéphiles s’alertaient :« Mais que vas-tu faire dans un fonds écono-mique ? » Il m’a fallu leur rappeler que, dansl’histoire du cinéma, il n’y a guère de grandsmouvements esthétiques qui ne soient nésd’une industrie du film prospère. La UFA étaitdéjà créée lorsque l’Expressionisme allemands’est épanoui. Contrairement à sa légende, leNéo-Réalisme italien n’est pas né de rien, au-delà de la guerre, il a bénéficié du savoir-faireacquis à l’époque des films populaires dits des« Téléphones blancs » (symbole de raffinementet d’aisance). Et Godard et la Nouvelle Vaguen’auraient pas trouvé à se financer s’il n’y avaitpas eu Fernandel et le cinéma de « Qualité fran-çaise ».

Aujourd’hui, j’ose affirmer que l’effet Wallimageprocède du fait régional wallon et même quel’avènement récent d’une ligne de financementWallimage-Bruxellimage alimentée par les 2 Ré-gions peut être lu comme une pré-figurationdes alliances constitutives de cette «  Unionbelge » respectueuse des identités culturellesdes 4 entités qui la composent.

On peut combattre la Culture Mainstream en luirésistant. Ou en en démontant les rouages afind’en mettre le mécanisme à notre service. C’estun choix. Dans le premier cas, on risque vite deré-encourager un cinéma forcément réservé àune élite.P

Phi l ippe Reynaer tC inéphi le mi l i t ant

L’auteur s’exprime bien ici à titre personnel etce texte ne peut nullement être considérécomme émanant de Wallimage ou de sonConseil d’Administration.

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Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel(CSA) est l’autorité indépendante de ré-gulation des médias audiovisuels. Il estchargé de promouvoir la liberté d’ex-pression et de création, de garantir ledroit à l’information et de veiller à aurespect des lois (par exemple en matièrede pratiques publicitaires) et des diffé-rentes règles. Au-delà de ces missionspremières, le CSA tente également d’en-gager et de nourrir les débats. C’est à cetitre que Marc Janssen, Président du CSA,nous a accordé une interview au sujet de« Mainstream » de Frédéric Martel.

Qu’avez-vous pensé du l ivr e de Fré-dér ic Mar te l   ? Comment tr ansposez -vous l es en j eux cu l tu re l s qu ’ i lssou l i gnent au n i veau de vo t r e in s-tance aud iovisuel le  ?

Un livre comme celui de Martel fait réagir parcequ’il dit des choses importantes avec une pers-pective différente, une approche neuve et ra-fraîchissante. Il faut en tout premier soulignerque le vocable choisi par Frédéric Martel pourdésigner le sujet de son enquête, c’est-à-dire lemot « mainstream », est utile et pertinent. Le motn’est pas connoté comme peuvent l’être « cul-ture de masse » ou « culture populaire », cesconnotations pouvant d’ailleurs varier d’un in-terlocuteur à un autre. « Culture de masse » a,par exemple, souvent des connotations néga-tives, notamment dans les discours de résistancede ceux qui sont attachés à la différentiation descultures et à la notion de culture des différences.Or, dans le contexte précis de ce livre, le « mains-tream », cette culture qui « plaît à tout le monde »,est approchée sans jugement de valeur, c’est-à-dire sans en exagérer les mérites intrinsèques, nien l’opposant dichotomiquement à la « GrandeCulture ».

Il faut donc ne pas se tromper sur ce que Fré-déric Martel essaye d’exprimer. Le livre n’estpas un brûlot anti-impérialiste américain ou unedénonciation de l’abrutissement de nos espritspar une culture américaine de masse. Ce livremet en lumière des enjeux principalement éco-nomiques, et par conséquent, des enjeux cultu-rels qui, eux-mêmes, soulèvent des questionssociales ou morales. Ce dont Frédéric Martelparle fondamentalement, c’est du succès desAméricains dans la conquête des marchés éco-nomiques, et non pas d’un impérialisme culturelqui infiltre nos esprits. L’impact socioculturel dusuccès américain n’est pas la préoccupation pre-mière de l’auteur, ni celle d’ailleurs des grandscapitalistes américains, soucieux avant tout defaire du business. Tout part du constat compa-ratif qu’il fait des États-Unis avec le reste dumonde, avec donc aussi l’Europe, sur laquelle jevais concentrer mon propos. Martel écrit quenous avons des cultures nationales, parfois fé-condes, parfois de qualité, parfois populairesdans certains pays (dont la taille peut aider, maisn’explique pas tout), mais qui pourtant ne s’ex-portent pas. Et que finalement la seule culturemainstream commune aux Européens qui reste,il faut bien l’avouer, est la culture… américaine.Dès lors, à partir de ce constat, il faut réfléchir,agir, interpeller. Contrairement à Jean Cornil (Agirpar la culture N°23), je ne vois pas le mains-tream (américain ou européen) comme « para-lysant toute expression » et donc constituer uneculture à combattre. Au contraire, je pense quenous devons retrouver notre place dans la pro-duction du mainstream.

Comment t rouver cet te p lace face à laCu ltur e Mainst r eam ?

Pour mieux l’appréhender et pouvoir agir collec-tivement, il faut commencer par le dédiaboliser.Il faut même sortir de ce cloisonnement rétro-

grade, parfois imbécile, parfois élitiste, mais tou-jours contre-productif entre la grande cultured’une part et le divertissement populaire de l’au-tre. Selon moi, la création au sens large (le faitde créer, de produire des contenus artistiques)est toujours une dynamique. La création est unespace d’émulation, c’est une dynamique activeet réactive où les gens se croisent, s’opposent,copient, moquent, détruisent, réagissent. Lemainstream est un acteur majeur de ce dialogueglobal, il faut donc absolument retrouver uneplace européenne dans la production, la créa-tion de mainstream.Un exemple concret. Je crois que quand quelquechose fonctionne en culture, il existe souventdeux réactions - au risque de schématiser. Soiton le copie, soit on y réagit, on s’y oppose. En-core une fois, il y a dialogue avec la dominance,avec le succès. Je ne suis pas du tout opposé àla culture américaine. Ce que je trouve inquiétantou en tout cas regrettable avec l’omniprésencede la culture américaine, c’est que finalement cedialogue s’installe surtout avec les Américains. D’une part, nous avons tendance à l’échelle eu-ropéenne à beaucoup copier les Américains -sans que la copie n’égale l’original, il faut bienl’avouer. D’autre part, même le langage de la réaction, del’opposition est souvent emprunté aux Améri-cains. Historiquement, et ce depuis la nuit destemps, l’un des vecteurs parmi les plus intéres-sants de la création  est celui de l’expression desexclus, des opprimés, ceux qui sont mis à part etqui trouvent dans la création artistique un moyend’expression interpellant, violent, novateur (sou-vent d’ailleurs récupéré plus tard par le mains-tream). On constate quand même ces dernièresdécennies, sans toutefois généraliser, que lacréation issue « de l’exclusion » s’exprime sou-vent par des codes créés par les exclus améri-cains. La copie et la réaction se mêlent ! Aujourd’hui, le rap européen est devenu un outil

marc janssen : LA CULTURE MAINSTREAM,

UN MOYEN ET NON UNE FIN

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d’expression des minorités qui s’approprient ungenre musical qui nous vient tout droit des États-Unis. Il est une réponse, un outil disponible, pourles populations exclues ou qui se sentent ex-clues. Si on prend les minorités sexuelles, on constateexactement le même phénomène, la culture gayeuropéenne a énormément puisé dans l’ex-pression artistique, mais aussi intellectuelle desmouvements gays américains ; il existe là-basun important foisonnement mainstream qui estarrivé jusque chez nous, comblant en partie unvide. Une fois encore, lorsqu’on n’arrive pas au ni-veau européen ou même au niveau local à créerdu mainstream, on ne se prive pas uniquementde richesses économiques, on se prive aussid’un secteur d’activités qui fait tourner globa-lement la création. D’où une dimension euro-péenne qui se perd dans le dialogue à l’intérieurmême de la création. C’est même assez vrai enCommunauté française (un petit territoire, unpetit marché), où dans toute une série de dis-ciplines, on constate la difficulté de fabriquer dumainstream. Ce qui fait que nous réagissonssimplement au mainstream extérieur au pays.Le contraste avec la Flandre est souvent trèsintéressant : dans cette région il existe un vraimainstream flamand.Le dialogue, l’émulation doivent avoir lieu etêtre stimulés. Il ne faut pas oublier toutes lespasserelles que cela crée aussi : certains ar-tistes peuvent très bien commencer leur car-rière dans le mainstream, y trouver un beausuccès puis tourner dans un film d’auteur ouréaliser eux-mêmes leur film, leur album, leursérie télévisée. C’est chose fréquente dans lesgrandes cultures dynamiques. Ces mouvementsamènent une partie de leur public vers d’autresproduits plus différenciés, plus novateurs. Lesmouvements des artistes entrainent des mou-vements du public et des mouvements d’autresartistes, qu’ils inspirent, énervent ou interpel-lent. Le mainstream est une pièce essentielle àcette construction bizarre et instable qu’est lacréation.

C royez-vous que l ’on appor te une ré -ponse, une rés istance au mains tream,en cons tr uisant un mains tream à l ’eu-ropéenne  ?

Il faut d’abord arriver à sortir de l’oppositionentre logique marchande et logique de soutienà la création alternative. Il faut arriver à consi-dérer justement la culture comme un monde

global composé d’une série d’acteurs et animépar des dialogues et des oppositions. Et il nefaut plus tarder à le faire. La mondialisation dela culture fait que ce dialogue dépasse déjà lesfrontières. Je pense simplement que c’est uneévidence et qu’il ne sert à rien de s’y opposer.Même les Américains qui tentent de s’opposerpar la menace à Internet n’y arriveront pas. Ilfaut surtout qu’au sein même de l’Europe, cettedisparition des frontières puisse jouer un rôlepositif et constructif. Il ne faut pas se voiler laface, nous avons vraiment raté l’échelon du dia-logue intra-européen de la culture.Lors de durs combats menés notamment parles Belges francophones, certains défendaientle principe de l’exception culturelle, exceptiondevant s’appliquer aux règles européennes depolitique économique des autres secteurs. Mal-gré un combat politique soutenu, cette excep-tion culturelle a constamment été remise encause et encore aujourd’hui par des biais di-rects et indirects, on remet toujours sur le tapisles aides publiques à la production cinémato-graphique, par exemple.En matière de politique de médias télévisuels,plus spécifiquement, l’objectif poursuivi par lamajorité européenne a été dès le début de fa-voriser l’émergence et le développement degrands groupes de médias européens. Lacrainte était, dans les années 80 et du débutdes années 90, de voir débarquer de grandsgroupes de médias américains  comme TimeWarner, Viacom ou Columbia-Sony qui vien-draient s’implanter en Europe, faire leur loi,prendre d’assaut tous les marchés, réalisertous les bénéfices d’un secteur en constanteévolution en écrasant toute initiative euro-péenne. Tout est basé sur une logique néolibé-rale de libre circulation des entreprises plus quesur le développement concurrentiel de la créa-tion de contenus européens. Il était clairementquestion de favoriser l’émergence et la crois-sance de grands groupes de médias européensdu type TF1, Mediaset de Berlusconi ou Ber-telsmann. Cette politique a été menée avec dé-termination et a rencontré de fait un certainsuccès, comme le montrent les exemples que jeviens de citer. Mais favoriser l’émergence, la croissance et lasolidité de grands groupes de médias n’est pasdu tout la même chose que favoriser l’émer-gence d’une industrie de contenus. Car cesgrands groupes de chaînes ont naturellementune logique économique : eux aussi vont cher-cher à produire ce qui plait, mais surtout à dif-fuser ce qui n’est pas trop cher… On sait que

diffuser une série américaine de qualité à suc-cès coûte bien moins cher que de produire etdiffuser une série locale. Le choix économiqueprévaut sur l’origine du produit. Finalement, ona mis en œuvre avec détermination toute unesérie de règles afin d’aider ces grands groupes,tout en délaissant ou ignorant des règles quipourraient favoriser le développement d’indus-tries de contenus. Un exemple précis. On débat toujours de la po-litique des quotas ; les Américains ne les ap-précient pas et les combattent dans tous lespays. Un courant en Europe, dont la France etla Communauté Française de Belgique ont faitpartie, a été favorable à l’instauration de quo-tas de productions et de diffusion de pro-grammes européens, ils les appliquentd’ailleurs chez eux. C’était un combat très diffi-cile au niveau européen, car beaucoup n’étaientpas convaincus par cette logique. Cette divisionoriginelle n’ayant jamais clairement été résolue,cette politique audacieuse et ambitieuse est loinde porter les fruits attendus.

Ne f aut- i l pas mod i f ier ce tte po l i t iquede quotas ?

L’idée de départ était d’imposer à toutes leschaînes présentes en Europe que 50 % de cequ’elles diffusent soit conçu et produit en Eu-rope ; cela ne veut pas dire pour autant dansleur pays. Il ne s’agit pas d’une mesure de pro-tection nationale, mais de promotion euro-péenne. Cet outil aurait été puissant et efficace,non pas sur la qualité, mais bien sur le quanti-tatif. Synonyme de productions, de créationsd’emploi, de création de richesses. En effet, sides groupes étrangers, qui viennent s’installeren Europe avec une déclinaison européenne deleur chaîne, comme MTV, CNN international, ouNational Geographic, s’étaient vus obligés dediffuser 50 % de programmes européens, sicette obligation avait été effective alors ils seseraient adaptés. Or, que s’est-il passé ? Lespays européens ne se sont jamais réellementmis d’accord et ont accouché d’une directivequi, en voulant faire plaisir à tout le monde,perd toute sa force de frappe potentielle. La di-rective européenne spécifie en effet que les50 % sont d’application « dans la mesure dupossible ». Dès lors, il ne faut pas être grand ju-riste pour se rendre compte qu’avec unephrase telle que celle-là on peut tout justifieret tout contourner. La politique de quotas, danscertains pays comme en France ou en Com-munauté française de Belgique, a été reprise

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de manière stricte, mais dans d’autres pays ona repris la syntaxe européenne et elle n’estquasiment pas appliquée. Il n’y a donc pas deréelle mesure européenne effective pour l’in-dustrie des contenus.L’enjeu n’est donc pas de se battre contre lemainstream mais bien de s’assurer que l’Eu-rope garde sa capacité de création, de diffé-rence. Il faut qu’il existe un mainstream local,comme par exemple en Flandre, ainsi qu’un vraimainstream européen s’y superposant, quiviendraient l’un et l’autre se frotter au mains-tream américain existant, dans des proportionsd’audience et de succès un peu rééquilibrées ! Il y a différentes politiques de quotas dans lesmédias audiovisuels chez nous. En télévision,il y a par exemple, les 50 % de programmeseuropéens. En matière musicale, les radios etles télévisions qui diffusent de la musique doi-vent diffuser 4,5 % de musiques produites, réa-lisées, créées en Communauté française deBelgique. Il s’agit d’un intéressant levier de po-litique culturelle qui respecte aussi la libertééditoriale : cette obligation n’est pas liée à lalangue ou au genre musical. Mais on constateque certaines chaînes télé ou radio qui diffu-sent principalement du mainstream éprouvent,selon elles, d’énormes difficultés à remplir cequota. Ceci ne doit pas forcément amener à re-mettre en question l’existence du quota, maisbien de réfléchir aux initiatives à développer, dela part des acteurs privés ou publics ou en-semble, pour continuer à stimuler l’émergenced’artistes musicaux mainstream en Wallonie età Bruxelles. Le quota légal est donc un incitantutile à faire bouger les choses.

Que faut - i l f ai r e se lon vous au n iveaudes autor i tés publ iques ?

Les autorités publiques doivent chercher à dé-velopper une culture mainstream chez eux, touten ne se trompant pas sur l’objectif : dévelop-per une culture mainstream est avant tout unmoyen et pas une fin. C’est un moyen pour fairetourner et dynamiser la création de manièregénérale à côté et en plus des efforts spéci-fiques pour soutenir la création artistique horsmainstream.Il faut donc essayer de créer un cadre favora-ble au succès économique d’un mainstream eu-ropéen, d’un mainstream local à l’instar desAméricains. Il est synonyme de création d’em-ploi, d’activité et créateur d’une dynamique cul-turelle. Il faut se réapproprier et assumer, cen’est qu’un exemple, une politique de quotas

forte, idéalement aussi au niveau européen.Dans le livre de Martel, toute la partie sur laformation aux métiers de l’audiovisuel, au ni-veau de l’enseignement supérieur, doit nous in-terpeller, doit nous inspirer. Il faut aussi réfléchirà un vrai accompagnement de nos créateursaux aspects entrepreneuriaux de leurs activi-tés, les aider à se former en permanence, àgérer leur finances, à les accompagner à l’ex-portation, etc. Mais, à côté de cela, les autorités publiquesdoivent utilement continuer à soutenir et sti-muler toutes les formes de création parallèlesau mainstream. Continuer à favoriser le foison-nement créatif, alternatif, novateur. Cela se faitpar des moyens indirects. Il est fondamental,par exemple, de continuer à développer l’espritcritique dans les écoles, dans les différentscours d’histoire, de français, etc. Continuer àdistiller l’esprit critique chez nous, de façon àtoujours réagir, répondre, dialoguer avec la cul-ture mainstream omniprésente. Il y a desmoyens plus directs aussi : soutenir financière-ment la création alternative, assurer l’existenced’espaces de diffusions. C’est le cas dans la FM,où nous sommes attentifs à conserver desplaces pour des radios d’expression et asso-ciatives assurer une diversité dans la bandeFM ; les chaînes de services publics en télévi-sion jouent un rôle important également ; lessalles de cinémas d’auteur doivent être soute-nues. Même chose pour les différents festivals,qu’ils soient de musique, de théâtre ou de ci-néma.La « résistance » au mainstream, c’est des ar-tistes qu’elle doit venir, pas des gouvernements.La vraie réponse au mainstream, d’où qu’ilvienne, c’est sa coexistence avec une culturesubversive, novatrice, décalée, choquante, em-ballante, secouante.

Le té lé cha rgement i l l éga l , t rès pr iséauj ourd ’hu i r ep résen te- t - i l un f r e inpour la cul tu re mainst ream ?

Je n’en sais rien. On tombe vite dans les lieuxcommuns en ce qui concerne l’impact des bou-leversements technologiques. Je sais que le nu-mérique est en train de tout changer, parfoisrapidement parfois moins rapidement. A titrepersonnel, j’y vois surtout des effets positifs. Il ya une démocratisation des outils, un moyen des’exprimer autrement, d’une manière plus facileet moins coûteuse ce qui n’est pas négligeable,il faut toujours s’en réjouir. Les vraies questions,celles qui me préoccupent en matière de télé-

chargement, sont évidemment liées à la rému-nération des auteurs, et à l’émergence poten-tielle d’une culture de la gratuité, qui est unleurre. Pour répondre plus spécifiquement àvotre question, je pense que le téléchargementillégal pose évidemment des problèmes auxcréateurs et producteur de mainstream, maispas au mainstream lui-même. Il ne faut pas ou-blier que ce qui se télécharge le plus, ce sont lesplus gros succès commerciaux.

Est -ce que se lon vous la puissance cul-tu re l le amér ica ine est dangereuse ?

Sur le plan économique oui, et donc aussi sur ledéveloppement du secteur créatif en Belgique,en Europe. Sur le plan des valeurs, par rapportà des possibles « lavages de cerveaux » ou im-périalisme US des valeurs, je ne pense pas quecela soit un danger. Le mainstream américainn’est pas, par son caractère américain, plus dan-gereux qu’un autre mainstream ou a for tioriqu’un mainstream européen si tant est qu’ilexiste un jour. La puissance et le rôle du mains-tream, et donc la nature et l’importance de notredistance critique par rapport à lui, renvoie di-rectement aux effets structurants de l’hégémo-nie culturelle théorisée par Antonio Gramsci.Il ne faut pas oublier que le mainstream reflèteautant, voire plus, qu’il ne façonne le consen-sus social. Quel que soit le regard critique quel’on peut ou que l’on doit porter sur le consen-sus social, celui-ci n’est pas fondamentalementdifférent qu’il soit américain, français ou an-glais. Un consensus social, heureusement, évo-lue, synthèse des thèses conservatrices etantithèses progressistes. Il bloque et ralentitparfois aussi, évidemment, quand diminuenotre capacité ou notre volonté de distance cri-tique. Mais le mainstream, précisément, ap-porte des points de positionnement et de débatsi on prend le temps de réfléchir à ce qu’il nousmontre.Le mainstream américain a fait comme la so-ciété américaine, et même parfois plus encorequ’elle, de grand bonds en avant ces dernièresdécennies. La place des femmes, des minoritésraciales ou sexuelles a évolué à l’écran de té-lévision, tant sur le plan quantitatif que quali-tatif. Même le culte de l’argent n’est pas aussiunivoque à l’écran que certains critiques ai-ment à le penser ou le dire. On voit que lemythe du « petit homme » contre « la grandeentreprise » reste fermement ancré dans l’ima-ginaire collectif américain, par exemple.Certaines faiblesses ou problèmes persistent.

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D’abord des problèmes qu’on trouve dans lemainstream européen aussi, comme par exem-ple la présence de stéréotypes sexistes. Et puis,certains problèmes plus spécifiquement amé-ricains. Ainsi, on doit constater, la négation dela réalité de l’avortement. La difficulté aussi deparler de la politique sans angélisme, sans sim-plisme. Une série comme « The West Wing » yarrivait, mais la plupart des séries mainstreamabordent la politique sans les nuances essen-tielles à la bonne compréhension du débat dé-mocratique et de la gestion collective etconflictuelle de la société. Il y a aussi, dernierexemple, un unanimisme spécifiquement amé-ricain sur la religion.Ces particularités américaines ne deviennent«  dangereuses  » que si on ne prend pas lapeine de s’y arrêter et d’y réfléchir. Le mains-tream doit être et rester un objet de discus-sion, de débat, tant culturel que, osons le mot,politique ! Ceci ne veut pas dire s’opposer fa-rouchement au mainstream, mais garder un es-prit critique sur ce qu’il nous livre, ce qu’ilmontre, ce qu’il nous raconte. Et, encore unefois, cessons de nous braquer sur les États-Unis  ; le simplisme consensuel est le lot detoute culture de masse. Selon moi, « JoséphineAnge Gardien » ou « Julie Lescaut » n’offrent pasde vision politico-sociale plus complexe ou plussubversive que « Dr House » ou « Grey’s Ana-tomy ».

Les mouvements d ’éducat ion per ma-nente n’ont- i l justement pas une placeimpor tante à jouer v is -à-vis du mains-t r eam ?

Encore une fois, je ne m’inscris pas dans uncombat contre le mainstream. Mais par contre,il faut se réapproprier ou utiliser le mainstream

comme objet de débat, objet de critique, objetde réflexion et notamment dans des outilsd’éducation permanente. Le mainstream, pardéfinition, touche énormément de gens et desmilieux très différents. La télévision est unmédia populaire. Utilisons-le donc aussi commeoutil de débat et d’échange constructif. Si onveut parler politique, discuter du rôle qu’elledoit exercer, de son fonctionnement, de sescomplexités, on peut partir de la manière donton parle de politique dans des séries télévi-sées, américaines ou autres, et se demandersi cela a du sens d’en parler de telle façon. Ou-vrir un débat sur la condition des femmes au-jourd’hui et la manière dont on parle desfemmes à l’écran, dans notre société, peut sefaire en faisant parler les gens de manière par-ticipative de ce qu’ils décodent en regardantpar exemple « Desperate Housewives ». Vouslibérez la parole d’une manière très efficace enpartant d’une série que beaucoup de gensconnaissent et qui n’est ni parfaite ni complè-tement à jeter.Il s’agit très justement de réintégrer un dis-cours réflexif et critique sur les valeurs, sur lamanière dont notre société fonctionne. Il s’agitde continuer à se poser des questions tout enprenant du plaisir à regarder une série télévi-sée, à lire un livre, à écouter de la musique ouà aller au cinéma. Ceci est à la fois légitime etpositif mais peut déclencher aussi un sujet dediscussion. Il serait formidable que les gens enfamille, lorsque leur série préférée est termi-née, éteignent leur téléviseur en prolongeantla discussion entre eux. Il s’agit d’un véritableoutil culturel, un média tellement présent dansnos vies qu’il façonne la manière dont on voitles choses : n’hésitons donc pas à parler deschoix moraux qu’il nous propose, les styles devies, les portraits qu’il nous présente.

Nous devons pouvoir les utiliser comme sujetde débat, entre nous, entre collègues, en repasde famille. Cela concerne donc bien aussi ceuxqui veulent faire réagir sur le consensus socialdont on parlait : la culture populaire est un outilprécieux.Un dernier aspect au sujet des séries téléviséesque je voudrais aborder. Dès leur lancement,un article sortira chez nous dans les journaux,dans les magazines et généralement, on s’entient à raconter l’histoire et dire si elle a connuun certain succès aux États-Unis ou pas. C’esttout. Il serait vraiment intéressant de lire undiscours critique plus nourri et plus permanentsur le mainstream audiovisuel dans les jour-naux, sur certains sites Internet, dans les ma-gazines etc. Toutes les séries télévisées ne sevalent pas, le concept-même de « série améri-caine » est souvent brandi uniformément soitcomme un épouvantail soit comme une pana-cée uniquement dans le but de faire de l’au-dience. Cela ne veut pourtant rien dire, deschoses très différentes se produisent. La plu-part des passionnés de séries télévisées  queje connais ne sont pas ceux qui regardent« Louis La Brocante », ou « Les experts » ou desséries télévisées plus standardisées de typepolicier américain. Ce sont ceux qui se nourris-sent de séries, le plus souvent américaines,comme « Mad Men », « Lost » ou « The Office ». Toutes les séries américaines ne se ressem-blent pas, ne se valent pas. Et une même sérieconnaît des hauts et des bas qualitatifs, d’unesaison à l’autre ou au sein même d’une saison.Cela semble une évidence pour ceux qui les re-gardent, pour les amateurs. Mais ce débat cri-tique sur la production mainstream estquasi-absent des médias. Or, il peut mener àdes discours intéressants sur la représentationdes rapports sociaux, mais aussi surtout sur lacréation elle-même. Se poser des questions surla définition d’un bon scénario, d’une bonneréalisation, d’un bon acteur.Le mainstream séduit et lasse, il innove parfoiset copie beaucoup. L’enjeu politique véritableest bien de stimuler la production d’un mains-tream chez nous et par nous pour alimenter ladynamique créative et économique globale d’unsecteur qui nous tient à cœur, tout en stimulantaussi une saine distance critique entre œuvreet public, pour que chacun s’approprie plus ac-tivement et plus consciemment le divertisse-ment qui lui est fourni.

Propos r ecue i l l i s pasSab ine Beaucamp

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Et la musique danstout cela ?...

Nous avons sollicité l'avis sur la culturemusicale mainstream de Denis Gérardy,producteur musical, membre du conseildes musiques non-classiques de la Com-munauté française. Et la musique danstout cela? Voici ce qu'il nous en dit...

Assez curieusement, et effet de mode incon-testable, le terme « mainstream » est décliné àtoutes les sauces… Un peu comme si au-jourd’hui, on découvrait cette « culture » rendueuniverselle à coup de milliards de dollars outout simplement via des sociétés, essentielle-ment américaines, implantées sur chaquecontinent. Cela a même un côté quelque peurisible qui pourrait s’apparenter à un combatd’arrière-garde…

Au niveau musical, je ne connais pas un seulartiste qui refuserait que son œuvre devienneuniverselle et touche ainsi le plus grand nom-bre. Pas un seul, ni même Manu Chao ou Bono,célèbres porte-drapeaux de l’altermondialisme.Je ne connais pas non plus un seul producteur,manager ou patron d’une maison de disquesqui se passerait d’une reconnaissance et sur-tout de gains venant des quatre coins dumonde. Je ne connais pas ou peu de véritablesamateurs de musique préférant boycotter lavenue sur notre territoire de U2, de Jay Z ouencore Madonna sous prétexte que ces ar-

tistes appartiennent à la plus grande multina-tionale du spectacle…

En réalité, le problème ne se situe pas à ce ni-veau. Le véritable enjeu est de se donner lesmoyens et de permettre que des productionset créations locales puissent continuer à voirle jour, à exister et à se tisser un réseau suffi-samment important pour être entendues et dé-couvertes par un public toujours plusconséquent.

L’espace francophone et européen est assezvaste pour que nos artistes puissent s’y expri-mer et en vivre sans devoir nécessairementpasser outre-Atlantique. Attention…, il nes’agit pas de prôner un protectionnisme quel-conque mais bien de renforcer des réseauxmusicaux professionnels qui, plus que jamais,proposeront autre chose. Aujourd’hui, aprèsles fiascos de la télé-réalité et des réseaux deradios / télés commerciales musicales, l’heureest au contenu et à la qualité. Il ne suffira plusde penser uniquement marketing et coups mé-diatiques mais avant tout propos artistique.

Depuis peu, on observe un léger retour versl’essentiel de la création et vers des pratiquesdifférentes. Mais sans jamais oublier que dansle terme « pop » de la musique, on retrouve lemot « populaire ». En être gêné aux entour-nures est incompatible avec le sens même dela musique, un art qui doit continuer à se par-tager et se répandre au plus grand nombre.Pourvu que les méthodes conservent une cer-taine éthique et authenticité…

Denis Gérardy

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L’HéGéMONIE CULTURELLESELON GRAMSCI

S’il est un concept qui revient de plus enplus fréquemment dans les discoursprogressistes, c’est bien celui d’hégé-monie culturelle qu’a développé le phi-losophe marxiste italien AntonioGramsci (1891-1937). Mais que recou-vre-t-il et quelle stratégie contient-il ?

UN THÉORICIEN EMPRISONNE

Membre fondateur du Parti Communiste italiendont il sera Secrétaire général, intellectuel actif,journaliste et créateur du journal l’Unità,Antonio Gramsci est député lorsque, en 1926,il est arrêté par les fascistes et condamné pourconspiration deux ans plus tard. Le procureurmussolinien terminera son réquisitoire par cesparoles : « Nous devons empêcher ce cerveaude fonctionner ». Ruse de l’histoire, c’est du-rant cette longue incarcération que le socialisterévolutionnaire formera sa pensée, devenantl’un des plus originaux théoriciens dumarxisme. Elle se déclinera dans une œuvrefleuve, près de 3000 pages de carnets, sortieclandestinement d’Italie et finalement éditéesous le nom de « Cahiers de prison ». Ceux-ciconstituent une réflexion profonde et vision-naire de l’histoire italienne, du marxisme, del’éducation (et notamment l’éducation des tra-vailleurs issus de l’industrialisation), de la so-ciété civile ou encore de l’hégémonie culturelle.Un fil conducteur les traverse : la culture est« organiquement » liée au pouvoir dominant.

L’HÉGÉMONIE CULTURELLE

Constatant que les révolutions communistespromises par la théorie de Marx n’avaient pas

eu lieu dans les sociétés industrielles de sonépoque, Gramsci formule une hypothèse. Si lepouvoir bourgeois tient, ce n’est pas unique-ment par la main de fer par laquelle il tient leprolétariat, mais essentiellement grâce à sonemprise sur les représentations culturelles dela masse des travailleurs. Cette hégémonie cul-turelle amenant même les dominés à adopter lavision du monde des dominants et à l’acceptercomme « allant de soi ».

Cette domination se constitue et se maintient àtravers la diffusion de valeurs au sein del’École, l’Église, les partis, les organisations detravailleurs, l’institution scientifique, universi-taire, artistique, les moyens de communicationde masse… Autant de foyers culturels propa-geant des représentations qui conquièrent peuà peu les esprits et permettent d’obtenir leconsentement du plus grand nombre.

Pour renverser la vapeur, toute conquête dupouvoir doit d’abord passer par un long travailidéologique, une lente préparation du terrainau sein de la société civile. Il faut, peu à peu,subvertir les esprits, installer les valeurs quel’on défend dans le domaine public afin de s’as-surer d’une hégémonie culturelle avant et dansle but de prendre le pouvoir.

Exemple récent, l’idéologie néolibérale qui s’estauto-instituée comme seul système d’organi-sation économique possible. Il est le fruit d’unlong travail sous-terrain de conquête des es-prits depuis les cercles de réflexion d’écono-mistes américains et européens (think-tanks)des années 50 aux journalistes, hauts fonc-tionnaires, leaders d’opinion, lobbys et artistes

qui imposent peu à peu ses principalesidées dans la sphère culturelle : « La compéti-tion généralisée est saine  », «  Le marchés’auto-régule », « Il faut limiter les dépenses pu-bliques et baisser les impôts », « L’État est unmauvais gestionnaire », etc.) avant de connaî-tre une traduction politique dans la prise depouvoir par Ronald Reagan aux États-Unis,Margaret Thatcher en Angleterre jusqu’à DengXiaoping en Chine.

L’OBJET DU COMBAT  : CONQUÉRIR LASOCIÉTÉ CIV ILE

Pour Gramsci, l’État ne se résume pas au seulgouvernement. Même si ces sphères se re-coupent souvent, on peut distinguer deuxlieux de son pouvoir :— D’une part, la « société politique » qui re-groupe les institutions politiques, la police,l’armée et la justice. Elle est régie par laforce.— D’autre part la « société civile » qui re-groupe des institutions culturelles (université,intellectuels, médias, artistes) et qui diffusede manière ouverte ou masquée l’idéologiede l’État afin d’obtenir l’adhésion de la majo-rité de la population. Elle est régie par leconsentement.Si dans les régimes dictatoriaux, c’est surtoutla société politique qui règne (par l’oppres-sion), dans les sociétés occidentales démo-cratiques, c’est principalement la société civilequi organise la domination. C’est donc dansson cadre que le combat (culturel) doit êtremené et non par une confrontation frontaleavec la société politique.

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Si l’on suit Gramsci, il faut d’abord distiller lesidées progressistes, travailler aux marges etdans les interstices, réaliser un travail de « ter-mite » pour ronger progressivement toutes lesbases de la société capitaliste traditionnelle.L’objectif est celui de combattre les intellectuelsde la classe dominante. Une tâche que Gramsciconfiait aux intellectuels au sens large (ceux quimanipulent des idées), du moins ceux qui sontorganiquement lié aux travailleurs. Il faut pource faire percer dans les médias de masse, en-vahir le langage courant, ou encore imposerses thèmes et ses concepts dans le débat uni-versitaire et public. À gauche, cela pourrait êtred’une part de remettre en cause préceptes etmots du néolibéralisme pour les disqualifier etd’autre part d’imposer des thèmes et destermes comme «  catastrophe écologique »,« salaire maximum », « relocalisation », « gra-tuité », « coopérative », « paix économique »,«  services collectifs  », « peuple  », « décrois-sance », « précariat », « égalité réelle », « re-cherche du bien-être », etc.

À ce titre, si internet permet de nos jours uneaccélération de ce travail de sape et de diffu-sion de messages contraire à l’ordre du dis-cours, la lutte contre l’hégémonie de la classedominante doit aussi être menée en profondeurdans les réseaux sociaux humains. C’est no-tamment le rôle de l’éducation populaire.

Auré l ien Ber th ie r

Une grande par t ie de l ’œuvre deGramsc i es t dans le doma ine pu-bl ic e t est disponible en l igne  ic i :h t t p : / / c l a s s i q u e s . u q a c . c a /c lassiques/gramsci_antonio/gramsci .htm l

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Fin des années 70 en France, la bataille duprix unique du livre oppose deux hommesde gauche : Jérôme Lindon des Éditions deMinuit et André Essel de la Fédération Na-tionale des Achats des Cadres, la FNAC.Depuis longtemps, les grands syndicatsfrançais organisent des coopératives quipermettent à leurs affiliés d’acheter denombreux produits moins chers. En ou-vrant la FNAC au grand public, Essel veutfaire pression sur les prix pour contribuerà la démocratisation des produits cultu-rels. Mais Lindon pense qu’un tel systèmemettra en danger l’édition des livres àpetit tirage. Il propose de bloquer le pro-jet d’ Essel par une loi qui interdit les ris-tournes sur le prix conseillé par l’éditeur.Proches du mouvement syndical et coopé-ratif, beaucoup de socialistes sont contre.Plus proches des milieux littéraires, d’au-tres, dont Jack Lang, sont pour. Quand lessocialistes arrivent au Gouvernement en1981, Mitterrand arbitre en faveur deLang. La loi sur le prix unique est votée àl’unanimité par la gauche et la droite.Essel doit quitter la FNAC qui oubliera sonpassé coopératif pour devenir une chaînede grandes surfaces commerciales. Sa ba-taille pour la baisse du prix des livres estperdue.

UN DANGER IMAGINAIRE

Contraire aux règles générales sur la concur-rence, qui protègent les consommateurs, cette in-terdiction de faire des ristournes de plus de 5%sur le prix conseillé par les éditeurs est censéeprotéger les libraires d’une trop for te concur-rence sur les prix que pourraient lui imposer lesgrandes surfaces. Ce danger était-il réel ? Dansles faits, en Belgique, rien de tel ne s’est produit.Les petites librairies, comme beaucoup de petitscommerces, ont du mal à survivre. Mais lesgrandes se développent fort heureusement, car si

les grandes surfaces offrent un meilleur prix, leslibraires ont un assortiment infiniment plus vasteet des services de qualité : commandes, informa-tions, animations, conseil et parfois des coins lec-ture avec douceurs et petite restauration. Rienn’impose donc de protéger l’indispensable librai-rie de qualité d’un danger qui, depuis trente ans,ne s’est pas manifesté.

UN SUR COÛT IMPORTANT POUR LESLECTEURS

Le principal défaut du prix unique, c’est son in-discutable surcoût pour les consommateurs. Unlecteur achète un livre de 10 €, prix étiquette. Au-jourd’hui, son libraire lui donne 10 % de remise,il paie 9 €. Si le livre est discounté en grande sur-face, il paie 8 €. Avec le prix unique du livre etseulement 5 % de remise autorisés, il paiera mi-nimum 9,50 € quelque soit le point de vente. Pour ne pas mettre en péril ses budgets, la Com-munauté française a d’ailleurs demandé que lesbibliothèques publiques et les établissementsd’enseignement soient exemptés d’un éventuelprix unique. De même d’ailleurs que l’ensembledes pouvoirs publics. Seuls les consommateurslecteurs auraient à souffrir d’un prix unique dontl’État prendrait bien soin de protéger lui-mêmel’ensemble de ses services. À l’échelle du marché du livre en Belgique, si leslecteurs ne payaient désormais leurs livres que3 % plus cher en moyenne, ils consentiraient,pour aider une centaine de librairies générales,une dépense équivalente à l’entièreté du budgetannuel de la Communauté Wallonie-Bruxelles pourtoute la politique du livre y compris le financementde 620 bibliothèques publiques.

IL FAUT CONT INUER DE DÉMOCRATISERLE LIVRE

Depuis les Lumières au XVIIIe siècle et les mou-vements d’éducation populaire du XIXe, la gauchea fait de la démocratisation culturelle et de l’accès

de tous à la culture, un axe fondamental de lalutte pour l’émancipation. Elle a inspiré le déve-loppement de la lecture publique et soutient lesnombreuses actions du secteur de l’éducationpermanente en faveur de la lecture dans les mi-lieux populaires. Les communautés financent àgrand peine de nouvelles mesures en faveur de lalecture publique, des actions contre l’illettrisme,des ateliers d’écriture, des invitations d’écrivainsdans les écoles, l’achat de chèques-lire, des ini-tiations à la lecture dans les crèches et les ma-ternelles, etc. Toutes ces actions, qui tentent defamiliariser les jeunes et les publics moins favori-sés avec la lecture pour leur permettre d’accéderà l’information, aux savoirs et aux imaginaires né-cessaires à leur participation à la vie sociale etau débat démocratique, ne trouvent leur pleineffet que si le livre est aussi financièrement ac-cessible. Les libraires remplissent un rôle culturelirremplaçable. Il faut les soutenir et leur garantirles meilleures conditions de développement. Maisseulement par des mesures qui contribuent à ladémocratisation du livre.

FA IRE BAISSER LE PRIX DU LIVRE

De ce point de vue, ce n’est pas l’instauration d’unprix unique du livre qu’il faut soutenir, mais uneautre revendication des libraires : la suppressionde la tabelle. Instaurée longtemps avant l’euro,elle avait pour but de protéger les éditeurs contreles variations de change entre francs belges etfrançais. Avec comme conséquence, un prix à l’éti-quette entre 10 et 15 % plus cher en Belgiquequ’en France. Le risque de change a disparu,mais, en contradiction avec les règles du marchéunique, la différence de prix est restée. La sup-pression de la tabelle (progressive pour éviter leschocs dans la chaîne du livre) permettrait unebaisse significative du prix des livres français enBelgique. Et pourrait s’inscrire dans une politiquevolontariste de démocratisation de la culture. Unepolitique de gauche.

Michel Gheude

LA DÉMOCRATISATION DE LA CULTURE CONTRE LE PRIX UNIQUE DU LIVRE

tribune libre

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l’école de cirque à bir zeit : c’est parti !

L’École de Cirque palestinienne écrit unenouvelle page de son histoire : le projetarchitectural du bâtiment qui va les abri-ter a reçu financements et autorisations.Récit d’une aventure humaine et solidairequi se concrétise.

L’ÉCOLE DE C IRQUE SE CONCRÉT ISE   !

Le 2 février 2011, l’École de Cirque palesti-nienne, représenté par M. Shadi Zmorrod, fon-dateur et Directeur général de l’École de Cirquepalestinienne et le Consulat général de Belgique,représenté par M. Gérard Cockx, ont signé unaccord d‘exécution du projet intitulé « Complé-ment d’enseignement (éducation) traditionnel enPalestine par la formation professionnelle decirque et le début de la construction de locauxadaptés » financé par le Gouvernement belge.

Cet accord octroie un financement qui rend pos-sible la construction des premiers locaux del’École. Les travaux vont ainsi pouvoir commen-cer très prochainement. La première phase vaconsister en la réhabilitation et la restaurationde bâtiments historique de la vieille ville de BirZeit qui étaient désaffectés. Une fois ces travauxachevés, au Printemps 2012, l’École pourra ini-tier et développer ses programmes de formationde cirque à un niveau professionnel. Formateurs,entraîneurs et élèves pourront ainsi jouir d’un

espace approprié pour exercer leur art.Le propriétaire des bâtiments historiques (voirphotos), le Dr Hanna Nasir, fondateur de l’Uni-versité Bir Zeit, a cédé son bien à l’École pourune durée minimale de 15 ans. Les travaux deréhabilitation et de restauration seront réaliséspar RIWAQ, le Centre palestinien de conservationdu patrimoine architectural. La Municipalité deBir Zeit a chaleureusement accueilli le projet eta approuvé tous les plans de reconversion dusite qui accueillera l’École.

RETOUR SUR UN RÊVE QUI DEVIENTRÉALITÉ

Le rêve de construire une école de cirque en Pa-lestine est né dès les premiers stages de for-mation de cirque en 2006. Pendant un temps,l’École a cherché à acquérir un chapiteau decirque. Si elle avait du sens symboliquement,cette idée s’est rapidement révélée impraticableen raison de la mobilité très limitée et de l’insé-curité qui règne là-bas et qui sont dues aucontexte politique. Il est donc apparu que, pouroffrir un endroit sûr et adapté aux enfants et auxjeunes Palestiniens afin de les former aux artsde cirque, l’École devait elle-même construireune salle de cirque.

C’est suite à l’opération Asseoir l’Espoir, organi-sée par Présence et Action Culturelles, qu’a pu

naître un partenariat avec la Faculté d’architec-ture La Cambre Horta de l’ULB. Celui-ci a portésur la conception puis la construction d’un bâti-ment où pourrait résider l’École. En avril 2009,un atelier commun a débuté en Palestine. Il a re-groupé des étudiants de la Cambre Horta et dudépartement d’Architecture de l’Université de BirZeit, sous la houlette de leurs professeurs res-pectifs Patrice Neirinck et Layla Qarout. En estsortie une série de programmes architecturauxqui portaient sur différents sites de Ramallah etses alentours. L’un des concepts présentés pro-jetait d’installer l’École de cirque dans le vieuxcentre de Bir Zeit. Ouvert sur l’espace extérieur,s’intégrant harmonieusement au quartier, aupaysage et mettant en valeur le patrimoine local,il a retenu l’attention de l’équipe de l’École decirque et du Consulat général belge à Jérusalem.

Depuis l’histoire continue et le rêve devient peuà peu réalité !

Auré l ien Ber th ierd’après le communiqué de presse de la PCS

Projet en ligne sur :h t tp : / /bu i ldac i r cus.over-b log.com/ École palestinienne de cirque : www.palcircus.psAsseoir l’espoir : http://asseoirlespoir.be/

palestine

Palestinian circus school©

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QUINZE JOURS DE PARTAGE ET DE DÉ-COUVERTE

Les élèves intéressés par ce projet d’échangeculturel et solidaire avec de jeunes réfugiés pa-lestiniens du camp d’Aïda et du Al-Rowwad Cen-ter (Centre de formation culturelle et théâtrale)sont partis du 2 au 16 avril 2009. Ce voyage,ils l’ont préparé sous le patronage de l’AgenceBelgo Palestinienne Nadia Farkh, Henri Wajn-blum, Marianne Blume ou encore Leïla Shahidont tous été de bons conseils pour leur faireprofiter au mieux de leur expérience de terrain.Ces quinze jours de voyage ont été quinzejours de découvertes, de chocs et d’émotionsfortes, de partages culturels, de rires et depleurs. Quinze jours d’histoires entremêléesd’humanité, d’amitié et de rencontres inoublia-bles. Et de découverte de la « belle résistance »,moyen pacifique et créatif, le plus souvent pardes pratiques culturelles, d’exister malgré l’oc-cupant, d’entretenir la mémoire populaire touten canalisant le ressentiment créé par l’occu-pation.

À leur retour, le groupe se promet de porterjusqu’à nous, sur le continent européen, la pa-role, le regard et l’existence de chacune et cha-cun d’entre eux par-delà le mur et les préjugésqui nourrissent la peur de l’autre, le rejet etl’indifférence.Sous le nom de groupe Taayoush, qui signifie« Vivre ensemble » en Arabe, ils décident deréunir et de croiser leurs récits et débutent untravail d’écriture. Présence et Action Culturelles,et plus spécifiquement Dominique Surleau(coordinatrice de la campagne « Asseoir l’es-poir »), a choisi d’accompagner l’édition de cerecueil qui ne tombe pas dans l’angélisme loins’en faut. Il donne la juste mesure de ce quevivent au quotidien ces jeunes palestiniens, la

génération Intifada. Intifada qui, contrairementà la traduction que l’on en a faite sur notrecontinent, n’est pas, souligne Leïla Shahid, Dé-léguée générale de Palestine auprès de l’Unioneuropéenne, de la Belgique et du Luxembourg,« le mot arabe pour désigner un acte de vio-lence contre quelqu’un, une guerre despierres, mais bien se re-dresser, relever la tête,re-prendre confiance en soi, ré-affirmer sondroit à vivre, le soulèvement, la résistanced’un peuple bafoué de ses droits identitaires ».

TRANSMETTRE LA BELLE RÉSISTANCE

Le 10 février 2011, au Sacré-Cœur de Lind-thout (Bruxelles), ces huit élèves et leurs pro-fesseurs ont présenté, au public venunombreux, leurs récits de voyage. Ce soir-là, lapromesse de porter leur témoignage a pris toutson sens.

Tour à tour, Sophie, Bénédicte, Marine, Dianemontent sur scène avec un aplomb hors ducommun, habitées qu’elles sont par leur enviede raconter les checkpoints, l’humiliation, l’exi-guïté de l’espace réservé à l’humain dans lecamp d’Aïda, la puanteur, l’angoisse, l’émotion,la douleur, la peur, l’insoutenable qui envahis-sent le corps et l’esprit. Alors, elles racontentla « Belle Résistance » initiée par plusieurs ar-tistes palestiniens et mise en œuvre dans di-vers camps de réfugiés.Des cris d’enfants s’en échappent, des éclatsde rire… oui, malgré l’ignorance de leursdroits, malgré le chaos et la violence quoti-dienne, la résistance culturelle s’organise. Elleest palpable, belle, joyeuse  ! Le groupeTaayoush use de talent et d’originalité pourfaire partager leur ressenti.

Laetitia, la plus âgée du groupe, explique quece livre est la traduction de leur propre résis-tance, qu’il était vital et nécessaire pour euxd’écrire ce recueil de témoignages tant ils ontvécu des choses emplies d’humanité vraie. Cesjeunes d’ici et de là-bas continuent à s’échan-ger des nouvelles par la voie du courriel trèsrégulièrement, le plus naturellement du monde.Et le groupe ne désespère pas de faire venirun jour ces jeunes palestiniens en Belgique ouen Europe. Ils sont actuellement à la recherchede moyens financiers, mais ça avance douce-ment. On croise les doigts très forts !

Sab ine Beaucamp

La Belle Résistance, « Dites-leur, pour nous… » Groupe Taayoush

Préface par Leïla ShahidPostface par Marianne BlumePAC Editions, 201110 € (commande : [email protected])www.taayoush.be/

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LA « BELLE RÉSISTANCE »,D’AÏDA à BRUXELLESHuit élèves de rhétorique accompagnés de leur professeur d’Anglais et d’un enseignantlibertaire, photographe à ses heures, se sont embarqués en 2009 dans un voyage de find’année bien singulier. Destination peu habituelle : la Palestine. Objectif : (se) rendrecompte de la situation sur place. Leur récit, aujourd’hui édité, a été présenté le 10 févrierdernier.

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ACTA, NOUVELLE RÉVOLTE DES MOINES COPISTES ?

1454 après J.-C. Dès l’annonce de l’im-pression de la première Bible, des cen-taines de moines copistes manifestentdevant le domicile de Johannes Guten-berg. Ils dénoncent une concurrence dé-loyale et une menace pour leur métier. Àcause de l’imprimerie, des milliers demoines se trouveront désormais désœu-vrés et l’Église perdra son monopole surle savoir chrétien. Le Pape use alors deson influence sur le Saint-Empire ger-manique pour interdire totalement l’im-primerie, ce qu’il obtient.Inutile d’ouvrir les livres d’histoires, cescénario est bien évidemment une fic-tion. Il appelle cependant à la réflexion: quelle serait l’étendue de notre savoir,de notre culture, l’organisation de nossociétés, si l’imprimerie n’avait jamaispu se développer et avait été restreinte,voire même interdite ?

UN ACCORD NÉGOCIÉ EN SOUS -TER-RAIN

L’Anti-Counterfeiting Trade Agreement (AccordCommercial Anti-Contrefaçon, ACAC en français)est un accord multilatéral international concer-nant la « propriété intellectuelle » au sens large(droit d’auteur, droit des marques, brevets, in-dications géographiques, etc.). Il est négocié ensecret, donc hors de tout champ démocratique,

depuis trois ans. Initié en 2008 par le Japon etles États-Unis, l’ACTA vise à créer une nouvelleorganisation internationale indépendante d’in-stitutions telles que l’OMPI (Organisation mon-diale de la propriété intellectuelle), l’OMC(Organisation mondiale du commerce) ou l’ONU(Organisation des Nations unies). Cette nouvelleentité serait seule à pouvoir amender le texteaprès sa ratification.Si cet accord venait à être adopté, il imposeraitaux pays signataires des mesures contraig-nantes afin de renforcer la lutte contre la circu-lation et le commerce de marchandisessoumises à divers droits de propriété intel-lectuelle. Il contient notamment toute une sériede dispositions visant à endiguer le partaged’œuvres immatérielles (comme la musique, lesfilms, etc.) à travers le réseau Internet.

En mai 2008, un premier document relatif al’ACTA a fuité et fut diffusé par le site WikiLeaks.Cela eut pour effet de susciter de vives critiquesde la part de la société civile quant au manquede transparence entourant les négociations,mais aussi quant aux risques d’atteintes aux li-bertés fondamentales que cet accord repré-sente.L’ACTA est négocié par l’Australie, le Canada, laCorée du Sud, les Émirats arabes unis, lesÉtats-Unis, le Japon, la Jordanie, le Maroc, leMexique, la Nouvelle-Zélande, Singapour, laSuisse et l’Union européenne (à travers la Com-mission européenne). On remarquera l’absencede pays tels que la Chine et l’Inde où la problé-matique de la contrefaçon est pourtant bienprésente.Il aura fallu attendre le 20 avril 2010, soit deuxans après le début des négociations et des de-mandes répétées du Parlement européen, pourqu’une ébauche du texte soit officiellement ren-due publique. Malgré le rappel à l’ordre du Par-lement, on ne dénombre à l’heure actuellequ’une seule autre publication officielle disponi-

ble en ligne ici :http://ustr.gov/webfm_send/2379.

INTERNET, L’ IMPRIMERIE DU XXIe S IÈ-CLE ?

Au-delà de la forme que revêt la mise au pointde l’ACTA, débattu hors de tout cadre démo-cratique par des négociateurs servant des in-térêts particuliers (principalement desindustriels), l’accord est encore bien plus préoc-cupant sur le fond. Les négociateurs, loin dechercher à adapter les « droits de propriété in-tellectuelle » aux technologies de l’information etde la communication (TIC), n’hésitent pas à re-mettre en cause l’acquis communautaire euro-péen pour sauvegarder ce qui apparaît un peuplus chaque jour comme des modèles écono-miques obsolètes ou contraires à l’intérêt com-mun.Dans le thème de la dispersion des œuvres im-matérielles, l’ACTA cible un réseau d’échangeplus que les autres : Internet. Cette démarchepart du postulat que toutes les œuvres parta-gées sans autorisation sur le Réseau représen-tent un manque à gagner pour les industries dudivertissement. Ces affirmations ont été cristallisées notammentpar un rapport de la députée européenne sar-kozyste Marielle Gallo, qui s’appuyait sur uneétude commandée par la BASCAP (un impor-tant lobby de l’industrie du divertissement di-rigé par le numéro un du groupeVivendi-Universal) dont la pertinence fut rapi-dement mise en cause par plusieurs orga-nismes. Le rapport Gallo n’hésitait pas àréclamer, sans nuance, des sanctions identiquespour les adolescents partageant de la musiqueet les mafias internationales spécialisées dansla production de faux médicaments. Il fut mal-heureusement adopté par le Parlement euro-péen le 22 septembre 2010 à l’issue d’un votedivisé.

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LA NEUTRALITÉ DU RÉSEAU REMISE ENQUESTION

Afin de cerner les enjeux liés à Internet, il estimportant de comprendre le concept de neu-tralité du Net. Il suppose que le contenu quitransite sur le réseau soit acheminé au desti-nataire sans être altéré, ni privilégié (ou discri-miné) par rapport à tout autre contenu. Cetteneutralité est l’une des caractéristiques fonda-mentales du réseau Internet (au même titre queson principe technique de télécommunicationpar paquets, par exemple) qui le placent commeagent d’une révolution sociale, économique etculturelle.La neutralité du réseau Internet est étroitementliée à la liberté d’expression et à la liberté d’ac-cès à l’information. Le réseau permet une ex-pression de ces libertés sans commune mesureavec les autres types de médias passés et ac-tuels. Celui-ci se trouve être un lieu de confron-tation des opinions et des idées, il offrepotentiellement une visibilité mondiale. Prati-quement, tout internaute a la possibilité deprendre part ou de débuter un débat public encommentant un site web existant, en ouvrantson propre blog, en contribuant avec d’autresinternautes à des projets communs, via des ou-tils collaboratifs… sans autorisation préalabled’une quelconque autorité, administration ouentreprise.

Pour qu’une telle opportunité existe et persiste,il est nécessaire que le cadre offert par le ré-seau soit transparent et digne de confiance. Sicelui-ci filtre ou altère une partie du contenu quiy transite, l’information qui y circule ne peut plusêtre considérée comme sûre et fiable. Dès lorsqu’entrent en ligne de compte la liberté d’ex-pression et la liberté d’accès à l’information,c’est-à-dire des droits fondamentaux, toute at-teinte au principe de neutralité du Net doit obli-gatoirement être légitimée. En aucun cas cettedécision ne doit être déléguée à une institutionautre que judiciaire.L’ACTA rompt cette neutralité du réseau en ten-tant d’imposer la responsabilisation des inter-médiaires techniques. Ainsi, les fournisseursd’accès à Internet se verraient contraints desurveiller le trafic pour identifier des comporte-ments potentiellement « illégaux » et les signa-ler aux sociétés de gestions des droits. Ilsauraient l’obligation juridique de restreindrel’utilisation de certains protocoles d’échange,par exemple le peer-to-peer (échange de pair àpair). Concrètement, cela reviendrait à interdirela navigation maritime au prétexte que certainsbateaux transportent des clandestins. Au-delàdu seuil de la censure que franchit allègrementcet accord, se pose une fois encore la problé-matique de l’innovation. Quel serait l’avenir denombreux logiciels libres diffusés par ce biais ?Et quel serait l’impact économique et sociétal

du non-développement de ces logiciels ? Tousles géants passés et actuels de l’Internet, ac-teurs économiques majeurs, ont pu naître etgrandir grâce à la neutralité du réseau.

L’ACTA, LA SANTE PUBL IQUE ET LESDOUANES

Un autre des aspects alarmants de l’ACTA ré-side dans l’impact qu’il pourrait avoir dans ledomaine de la santé publique. Les négocia-teurs, en utilisant la dénomination floue de« biens contrefaits », tentent d’accroître le pou-voir de contrôle des douanes.La définition de « biens contrefaits » est extrê-mement vague et englobe la notion très largede la « propriété intellectuelle ». Elle permet unamalgame entre, par exemple, des produitsdangereux pour la santé et issus du marchénoir et des médicaments génériques pour les-quels les pays du tiers-monde sont exempts debrevets (leur permettant notamment d’avoiraccès à des traitements thérapeutiques à undixième du prix demandé par l’industrie phar-maceutique). Le blocage et la confiscation desmédicaments génériques représentent unrisque sanitaire réel pour les malades en attentede soins.Parmi les autres produits soumis à la saisie parles autorités douanières, citons également lesordinateurs portables, les supports de

Creative Commons BY, Gregor Fischer

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stockage et plus généralement tout matérielélectronique contenant potentiellement des œu-vres obtenues en infraction aux droits d’auteur.De par leur absence de discernement et leurcaractère excessif, de telles mesures mettent àmal des notions aussi fondamentales que laprésomption d’innocence et le droit à la vie pri-vée. Elles pavent la route à toute sorte d’abus,à la fois par les différentes industries intéres-sées, mais également par des gouvernementspeu soucieux des droits de leurs opposants po-litiques.

LE PARLEMENT EUR OPÉEN FACE AL’ACTA

Plusieurs problèmes majeurs posés par l’ACTAont attiré l’attention du Parlement européen. Envoici une liste non exhaustive :En confiant à des sociétés privées la possibilitéde bloquer ou supprimer toute publication In-ternet sans procédure judiciaire préalable,l’ACTA menace directement la liberté d’expres-sion et la présomption d’innocence. Il ouvre laporte à des dérives telles que de la censure ;L’accord souhaite créer de nouvelles sanctionspénales sans la moindre évaluation préliminairedes risques économiques et d’innovation rela-tifs à la contrefaçon. Or, les analyses en la ma-tière sont loin d’être unanimes sur les effetssupposés de ce phénomène. Récemment, uneétude cofinancée par l’Union européenne a af-firmé que la contrefaçon de produits de luxe bé-néficiait à la fois aux consommateurs et auxmarques contrefaites. Par ailleurs, chacun esten droit de se demander s’il est légitime qu’un« accord commercial » puisse établir des sanc-tions pénales…L’ACTA considère que les fournisseurs de ser-vices Internet devraient être tenus responsa-bles des données qu’ils transmettent ouhébergent et qu’ils devraient par conséquent

surveiller et filtrer systématiquement toutes lesdonnées envoyées par leurs utilisateurs. Celareviendrait à obliger les facteurs à lire tout lecourrier qu’ils transportent afin de ne pas êtrecondamnés si l’un de leurs clients envoyait unelettre répréhensible ;En favorisant des procédures intrusives (fouillesaux frontières) et en incitant à la surveillancegénéralisée du réseau Internet, l’accord fait évi-demment peser d’importantes menaces sur ledroit à la vie privée et le secret des correspon-dances. Il est par ailleurs intéressant de souli-gner que plusieurs agences de renseignementont émis des objections envers une telle sur-veillance. Elles craignent que les citoyens met-tent en œuvre une surenchère de moyenscryptographiques afin de rétablir l’anonymat deleur correspondance si des moyens de filtrageou de surveillance devaient être mis en place.Afin de répondre directement à ces importantesmenaces, quatre eurodéputés issus de diversestendances politiques ont déposé une déclara-tion écrite demandant à ce que l’ACTA soitadapté pour mettre fin à ces problèmes. Ils rap-pelaient également que la Commission a l’obli-gation de fournir au Parlement tous lesdocuments de négociation. Adoptée à la majo-rité absolue, cette déclaration est devenue le 9septembre 2010 une position officielle du Par-lement européen.Ni la Commission européenne ni les négocia-teurs de l’ACTA n’ont tenu compte de cette dé-claration, confirmant ainsi le profond mépris desinstances démocratiques dont ils n’ont cessé defaire preuve tout au long des négociations.

QUELLE TRANSMISSION DU SAVOIRVOULONS-NOUS ?

Nous nous trouvons aujourd’hui dans unesituation semblable à celle d’il y a six siècles. Iln’est désormais plus question d’encre ou de

papier, mais bien de données numériques, deflux, de connaissance s’échangeant à traverstoute la planète. En une décennie, Internet a re-façonné les échanges mondiaux, rapprochantles civilisations, et favorisant les échanges tantmatériels qu’immatériels. Pour la première foisde son histoire, l’humanité entière échange,partage, s’informe sans frontières ni océans.Les gouvernements, comme les industries, ontété pris de court.Nous nous trouvons à l’heure d’un choix capi-tal. Comment voulons-nous désormais trans-mettre notre savoir ? De la réponse à cettequestion aboutira la société de demain.

Tex te éc r i t pa r un col lect i f de mem-bres de la NURPA

Ce texte est la version réduite d’une analyseplus développée consultable en ligne ici : h t t p : / / w w w . p a c -g.be/docs/analyses2010/analyse_16.pdf

La NURPA ou NetUsers’ Rights Protec-tion Association estun groupement ci-

toyen belge dédié à ladéfense des droits et liber-

tés des citoyens sur Internet. Elle promeutla vision d’un Internet neutre, libre, acces-sible et vecteur de progrès, fidèle aux va-leurs qui ont présidé au développement dece réseau au formidable potentiel. À cetitre, elle intervient notamment dans lesdébats touchant à la liberté d’expression,à la neutralité du Net, au droit d’auteur ouencore au respect de la vie privée.www.nurpa.be

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laurette onkelinx :LA BELGIQUE, C’EST « L’OISEAUBLEU » DE MAETERLINCK !

Laurette Onkelinx est une femme enga-gée. Vice-Première Ministre et Ministredes Affaires sociales. Elle est depuislongtemps sur tous les fronts politiques.Rencontre un peu décalée sur les inspi-rations culturelles d’une grande damede la politique belge.

La cu l ture , l ’a r t , l ’es thé t ique , es t-ceun moment de dé tente pou r to i oub ien est-ce aussi une insp ir at ion quit ’a ide dans ton combat pol i t ique  ?

Cela a été même presque plus que cela. Cela aété au commencement de tout ce qui a fait demoi ce que je suis à l’heure actuelle. Je l’ai sou-vent dit, je viens d’un milieu très modeste et jeme souviens que le contact avec la culture aété pour moi essentiel. Je suis la seule à avoirfait des études universitaires dans ma famille.Ce n’est pas un milieu qui amenait naturelle-ment vers la culture. Je me dois de dire ce queje dois, notamment aux livres.

Un roman N ina Berberova ?

Avant Nina Berberova. Je lis toujours beaucoupet tout le temps, mais il y a des livres qui ont étédes moments-clés de mon existence.

Lesquels  ?

Quand j’étais très jeune, Molière, bizarrement.Molière parce que c’était une découverte inima-ginable avec une description de gens qui me sor-taient de mon milieu avec des peinturesd’individus qui étaient pour moi un choc. J’ai vrai-ment adoré. Et puis effectivement, à la fin de l’adolescence, jecrois que cela a été la découverte de Nina Ber-berova. Je n’adore pas les romans que je trouveassez noirs avec des peintures assez sombres.Par contre, c’est son autobiographie « C’est moiqui souligne », qui est extraordinaire dans la maî-trise d’une vie. Ce sont les choix qu’on fait à titreindividuel, sur la maîtrise que l’on doit avoir sur sapropre vie. Cela a été un vrai choc.

E t au j ourd ’hu i , qu ’es t -ce que tu l ist r anqui l l emen t le d imanche ou en treles consei ls des min is tr es  ?

Je lis rarement des essais politiques, je suisdéjà là-dedans toute la journée et j’ai besoind’un peu de recul. Je viens de terminer un livre« La Dolce Vita » de Simonetta Greggio, sur l’Ita-lie de 1959 à 1979. Je le recommande. C’estexceptionnel et il donne toute une série de cléspour comprendre Berlusconi et l’Italie d’au-jourd’hui. Simonetta Greggio est une journa-liste. Elle prend des extraits de films,notamment de la Dolce Vita, elle parle de Pa-solini, de la loge P2, de tout ce qui a boule-versé l’Italie. C’est vraiment très intéressant.Mais avant cela, j’ai eu une période un peu par-ticulière. Dans le Nouvel Observateur d’il y aquelques mois, on parlait des génies contem-porains et dans ces génies on parlait de Jac-queline de Romilly qui est décédée il y a peu.J’ai donc eu ma période grecque pendant troismois. C’est inimaginable et en même temps,

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c’est tellement le berceau de toute l’Histoire.Hérodote et Thucydide, la démocratie. C’est ex-traordinaire !Mais je ne fais pas que dans la Grèce, j’aimeaussi les livres comme « La Soupière chinoise »qui est un vrai roman policier. On reste en ha-leine jusqu’au bout pour savoir qui est le cou-pable. Les « Millénium », les Camilla Läckberg,j’adore, je me plonge là-dedans. J’ai lu aussi« Katiba » de Ruffin, on vient de le revoir dansune émission avec Franz-Olivier Giesbert, Lasemaine critique, avec Nicolas Bedos. J’ai lu aussi « Le Chagrin et la Grâce » de WallyLamb. C’est assez intéressant puisque c’estaussi tout un travail autour de ce qui s’estpassé à Columbine ou « Le chagrin » de LionelDuroy qui se passe pendant la guerre. Je lis un peu de tout et quand je n’ai pas letemps d’aller à la librairie pour voir ce que jevais lire, je n’ai qu’à puiser dans ce que Marc atoujours sur sa table de nuit.

Et donc , ce la t ’ insp ir e auss i dans tonact ion pol i t ique  ? I l y a un l ien d’unecer taine manière même s ’ i l es t di f f i -c i le à expr imer entr e la l i t té ra ture etla po l i t ique  ?

C’est évident, cela ouvre l’esprit, cela permetde prendre du recul. Il y a la lecture, mais desfilms aussi. J’aime beaucoup le cinéma mêmesi je n’ai plus trop le temps d’y aller.

Un f i lm qui t ’a par t icu l ièr ement mar-qué ?

Je vais en dire trois. Indissociablement, cesfilms m’ont formé. C’était « Jonathan Livingstonle goéland », « 1900 » et « Z », le film de Costa-Gavras. Ceux-là m’ont vraiment formé. Je conti-nue à beaucoup aimer les films. Il y a des filmspour lesquels je suis en mésentente parfaiteavec mon mari qui les déteste tous les uns

après les autres. Ce sont les films de Lars vonTrier qui m’attirent beaucoup, sur la rédemp-tion par exemple.Les trois films que je t’ai cités m’ont vraimentformé comme les bouquins.Le milieu dans lequel j’ai vécu au niveau cultu-rel, de la peinture, à l’architecture, n’était pasouvert à la diversité et quand je suis arrivée àla fin du secondaire, j’ai connu des gens d’untout autre milieu. Je me souviens avoir vu chezmon copain une peinture d’Alechinsky. Je mesouviens m’être énervée sur lui en disant  :« qu’est ce que c’est cela et cela se vend cher ».Je ne comprenais pas. Je le regarde maintenantet je l’adore.On avait été à Paris à Beaubourg. Je disais :« comment peut-on exposer cela ? » Et petit àpetit, on m’a fait connaître cette forme d’art.C’est la tolérance. Cela ouvre véritablementl’esprit.

Et dans la mus ique, dans la chanson ?

Mon père est un self-made-man. Il a appris seulle piano et tous les dimanches il jouait du Cho-pin, du Strauss. J’ai donc découvert la musiqueclassique grâce à mon père. Et aussi des opé-rettes comme « La Veuve joyeuse ». Puis, j’ai appris à découvrir d’autres auteursqui correspondent plus à mon tempérament.J’aime les auteurs russes comme Rachmaninovet Tchaïkovski. C’est puissant, cela bouge danstous les sens.

E t dans la chanson moder ne au -jourd’hu i , qu’y trouves-tu par r appor tà ton ado lescence ou ta v ie d’adul teoù i l y avai t t ous les chanteur s enga-gés , Lavi l l ie r s , Béranger, Rapsat ?

Il y a eu plusieurs périodes. J’ai d’abord vécu àOugrée pas loin de Tilleur. Pourquoi je dis cela ?Parce que quand j’étais très jeune, FrédéricFrançois, Sandra Kim habitaient juste le villaged’à côté. Puis petit à petit, cela a changé. J’étais là évi-demment quand Béranger est venu en concert.Maintenant, je trouve qu’il y a une belle chan-son française qui se développe. C’est un lieucommun mais j’aime beaucoup les chansons deBénabar. Une sér ie TV amér icaine  ?

« Maison blanche », c’est ma série culte ! J’ai ditque je n’avais plus tellement le temps d’aller aucinéma et donc, soit je regarde des films à la

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maison quand je reviens tard le soir, soit desséries comme « Maison blanche » qui sont ab-solument exceptionnelles. Il faut que les gensvoient cela. Cela permet de décoder toute lapolitique américaine. On a l’impression de vivrel’avènement d’Obama. C’est une équipe autourdu Président et on comprend bien les relationsentre le Congrès, le Sénat et la Maison blanche.Mais depuis lors, j’ai regardé la série « Carlos »d’Olivier Assayas qui vient d’être primée. Unautre film que j’ai apprécié, c’est « L’armée ducrime » de Guédiguian. Et « Les piliers de laTerre » de Ken Follett.

La cu l ture , c ’es t auss i une autre c iv i -l isa t ion , de beaux voya ges . Ce sontles r encontres avec de nouve l les cu l -tures, dans un monde qui est homo-géné isé par l a cu l t ur e ang lo-saxonne ?

C’est vraiment chercher la différence. C’est êtreconfrontée à autre chose, à une autre culture,à un autre soi. Je vais donner peut-être l’exem-ple qui m’a le plus frappé. C’est le désert. C’estparticulier mais on est confronté à soi-mêmedans des moments d’immensités splendides.Cela apporte beaucoup. On voit de vraies sculp-tures par la nature. Les Giacometti, le matinquand tu te réveilles, tu les vois devant toi.Toutes ces roches balayées par le vent.Mais est-ce que je pourrais vivre sans livres,sans films, non je ne pourrais pas !

Les nouveaux médias, Facebook, Twi t-t e r, on t j oué un rô le tr ès pos i t i f auMoyen-Or ient . Ma is c’ es t auss i unou t i l d’ a tom isa t i on , d ’ ind i v idua l i sa-t ion, très super f ic ie l . Ton sent iment ?

Un peu tout cela en même temps. J’ai souventdit le rôle que cela a joué au Moyen-Orient.Dans l’ensemble des pays arabes maintenant,c’est assez exceptionnel. On peut être critiquesur Wikileaks mais c’est quand même assez in-téressant. Par contre, cela provoque énormé-ment d’isolement chez les ados, de rupturesociale. Et puis surtout, je me pose la questiondu rapport au temps. La patience disparaît. Onattendait une lettre. On l’a dans la seconde. Laréflexion est contractée, le temps est contracté.Avant, on n’avait pas de téléphone portable.C’était il n’y a pas si longtemps. Quand j’ai com-mencé la politique, je n’avais absolument pasd’ordinateur, de BlackBerry, et maintenant jeme rends compte que je fais plusieurs choses

à la fois. Je négocie, je regarde mes mails quiarrivent, je suis prête à réagir à tout. Ce n’estpas bon. Je pense que l’on n’a pas fini de ré-fléchir sur cette contraction du temps et sesconséquences sur la vie.

O l i v ie r Po i v re d ’Ar vor v ien t d ’éc r i r eun très beau l iv r e sur la cu l ture quis ’appel le «   Bug made in Fr ance , h is -to i r e d ’ une cap i tu l a t ion cu l t ure l le   » .Qu’est-ce que tu penses de ce qu’onappe l le le Mainstr eam, c’es t-à-di r e lacu l ture anglo-saxonne qui es t en tr aind ’uni fo r mi ser l e monde e t les rés i s -tances di f f i c i les que l ’Europe met enœuvre  ? Un exemple   : une vache eu-ropéenne es t s ubven t i onnée 1.000fo i s p lu s par l ’Un i on eur opéennequ’un c réa teur européen.

C’est une mauvaise politique. Nous sommes enposition défensive. C’est vrai que l’on s’est biendéfendu au niveau européen quand il s’est agique la culture soit protégée contre les règleshabituelles de concurrence européenne etcontre une intégration notamment via la direc-tive « Services ». Il y a là une défense active quia donné des résultats, mais je pense qu’il fautpartir à l’offensive. Mais pour cela, il faut êtrefier de sa propre culture.Quand on m’interroge par exemple pour le mo-ment en disant « c’est quoi la Belgique ? » « Est-ce que cela a encore un sens  ?  » On a unmodèle particulier, un modèle social de bien-être, on a une aventure commune et on a sur-tout un génie créateur commun. La Belgiqueest absolument extraordinaire dans à peu prèstoutes les disciplines. Quand tu vois au niveaude la peinture, c’est quand même la peinturebelge qui amené la lumière. La plupart desgrands peintres italiens reconnaissent notam-ment l’apport de Van Eyck. Quand tu vois qu’onest le berceau du surréalisme. Partout ! Dansla BD, dans la chanson, dans l’architecture,Horta !Je pense qu’il y a un génie belge de la création,mais si tu le demandes aux gens, ils ne le sa-vent pas ou ne le reconnaissent pas commebelge. Il faut affirmer une plus grande fierté quifait de nous ce que nous sommes. J’étais très fière quand dernièrement, pour uncommentateur russe, la Belgique, c’est « L’Oi-seau bleu » de Maeterlinck !Pour en revenir à ta question, oui je crois qu’ilfaut passer de la défensive où je trouve qu’ona bien travaillé, à l’offensive et à la fierté de

cette culture qui nous a fait ce que noussommes.

Cer tains d isent que la cu l ture est pares sence non démocra t ique , qu’e l leest éli t iste et ar is tocra t ique. Commentémanciper quand on sai t que les gensl isent t rès peu, qu’ i ls r egardent sur-tout l es sér ies t é lév is ées ou b i enqu’ i ls écouten t des chansonnettes   ?Est-ce que l ’école par exemple devraitconsac rer plus de p lace à l ’ense igne-ment a r t is t ique, à la sensib il i té à tousces cour ants- l à   ? Pas tou jour s lessciences, les mathémat iques, le quan-t i f i ab le, l ’économique  ? Quel es t tonsent iment ?

Je suis encore maman d’ados et d’une petitefille. Elle a été dans une école à discriminationpositive. On ne peut pas dire que ce soit uneécole élitiste. Et bien les moyens qu’ils avaienten discrimination positive, ils les utilisaient pourla culture. Donc elle est allée, je ne sais pascombien de fois, au théâtre, au cinéma, et jetrouve cela exceptionnel. Elle revenait à la mai-son, elle faisait des peintures, par exemple, à laMiró, à la Pollock. C’est certainement le moyenle plus intéressant dans les milieux de sociali-sation, de favoriser les visites de musées. C’estparfois chiant une visite de musée pour desgosses mais il faut trouver des formes pour lesintéresser. Je me souviens que j’emmenais mes enfantsdans de petits voyages et je passais dans unmusée. Il y a des découvertes, il y a des flashs.C’est ce qui m’est arrivée, à titre personneldans une aventure qui n’était pas collective,mais avec des amis. Moi à l’école, je n’ai pasété confrontée à la peinture contemporaine.Maintenant, ils le sont beaucoup plus. Àl’époque, c’était la télé scolaire, de temps entemps les films, Exploration du Monde. C’étaitles Jeunesses musicales. C’était intéressant etpuis il y avait des discussions, le Cinéclub, maisautour de la sculpture, la culture, la peinture,de la chanson, de la musique classique, il n’yavait rien. Or je pense que cela enrichit énor-mément.

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arnaud grégoire :CHIFFRER LE BONHEURArnaud Grégoire est le réalisateur d’unremarquable webdocumentaire «  LeBonheur brut », qui interroge la perti-nence du Produit Intérieur Brut (PIB)pour évaluer le bien-être des citoyens etqu’il met en perspective avec la poli-tique du Bouthan. Il est également as-sistant à L’Université Libre de Bruxelles,journaliste et webjournaliste pour AlterEchos et spécialisé dans les nouveauxmodes de communication. Entretien.

Dans vo t r e we bdocumenta i r e voust r a i tez de l a r echerche de nouveauxind ica teur s pour mesurer le b ien-ê tr edes c i toyens , ma is vous l iez auss i leBhou tan aux ob j ecteur s de c ro i s -sance, les CPAS aux pr at iques écono-m iques e t soc ia l es a l t e r na t i ves .Pour quo i ce thème e t que l l e a é tévotre démarche ?

J’ai travaillé pendant plus de dix ans dans lapresse économique et financière, notamment àcommenter les ouvertures et clôtures des mar-chés financiers, à donner les résultats des so-ciétés cotées en bourse et à relayer l’évolutiondes grands indicateurs. Un élément était crucial,à mettre en valeur systématiquement : qu’est-cequi est en croissance, ou au contraire, en dé-croissance ? L’idéal étant bien entendu d’afficherune « belle progression ».Il fallait que les chiffres (confiance des consom-mateurs, indice BEL 20, bénéfice après impôt,etc.) croissent. Et jamais ne se posait la ques-tion de savoir si cela était positif ou non. Commejournaliste, ce qui va de soi pour tout le mondem’a toujours semblé un peu louche et mérite in-terpellation. Puis, on a commencé à entendreparler de « décroissance ». Il m’a alors paru in-dispensable de traiter le sujet, de le creuser, d’al-ler voir ce qui se cache derrière cettesacro-sainte croissance. Et surtout de le faired’une manière telle que le récepteur de l’enquêtesur ce sujet ne se sente pas, comme c’est sou-vent le cas en matière d’économie et de macro-économie, d’emblée mis sur la touche.

L’enjeu essentiel, je crois, d’un documentairecomme celui-ci, est de rendre le plus accessi-ble possible le sujet. De permettre à chacun dese réapproprier un discours sur l’économie, dene plus être comme «  impressionné  », voirmême dans une forme de « sidération », face àla machine économique.

Face à l ’hégémon ie de l ’économienéo-c lass ique , qu i déter m ine tant lesens des pol i t iques publ iques que lescondui tes ex is tent iel les, contester lePNB n’est- ce pas por ter l a cr i t iqueau cœur même du sys tème ?

Certainement. Toucher au cœur du système està mon avis le seul moyen de bien le compren-dre. Et puis, il y a un effet domino : une foisbien saisis les enjeux derrière le calcul du PIBet la quête de sa croissance, les autres élé-ments constitutifs de notre économie tombent– dans le sens de « se révèlent » - les uns aprèsles autres, tout naturellement.

Le Bhoutan est - i l une dic tature env i -ronnementale e t cu l turel le ou une pe-t i t e é t i nce l l e a l t e r na t i ve f ace à laconcur r ence e f f r énée ent re les paysémergents e t les pays industr ial isés,e t face à l ’homogénéisat ion planétai redu mainstr eam cul turel  ?

Les deux à la fois ! Certes, le Bhoutan n’a pasencore atteint l’idéal démocratique. Maisl’avons-nous nous-mêmes atteint  ? Quisommes-nous pour leur faire la leçon  ?Et puis je me demande dans quelle mesure col-ler l’étiquette de dictature sur des pays émer-gents qui mettent en place une politique forte– jusque dans leur Constitution – de protectionde leur patrimoine environnemental, culturel,spirituel, n’est pas justement le signe de notrevolonté de prise de pouvoir sur eux.Par ailleurs, peut-être un jour serons-nous obli-gés de devenir d’une certaine façon des dicta-tures environnementales, car la nature ne nouslaissera pas le choix !

L’ ob j ect ion de c ro issance   : un rêve ,une u top ie , une i nconsc ience , ou ledébut d’un nouveau mouvement his to -r ique, encore ba lbut iant , mais sour ced ’une vér i table a l te rna t ive à la dom i-na t ion capi ta l ist e ?

La croissance étant tellement intégrée par touscomme le fondement de notre société, il mesemble salutaire que certains la remettent enquestion. Mais ce n’est qu’un début, qui a l’in-convénient, je trouve, de rester encore braquésur la notion de croissance. Il faut aller beau-coup plus loin, opérer une véritable révolutiondans notre mode de pensée, pour établir lesparadigmes fondateurs d’une société de bien-être pour tous. Edgar Morin, dans « La Voie »,en fait la démonstration magistrale. Sesconstats sont fulgurants ! Et son appel à une« métamorphose » parait vital. Donc, oui, com-mençons par remettre en question la crois-sance, c’est un bon début. Mais il y a tellementplus à faire !

Quel les sont vos sources d’inspir at ionar t ist iques et intel lectue lles qu i re joi -gnent votr e pla idoyer en f aveur d’unerecher che par l ’État d ’une quant i f i ca -t ion de la v ie heureuse  ?

La critique de notre système a été faite avecbrio par de nombreux intellectuels. Difficile, parcontre, de trouver des penseurs qui jettent lesbases d’une société nouvelle. Edgar Morin, jetrouve, vient de le faire. Christian Arnsperger aaussi développé, non seulement une critique,mais aussi une vision constructive, porteusepour l’avenir.Je suis touché par des artistes qui associentune démarche esthétique forte à un vrai dis-cours sur le monde. J’ai ainsi eu l’occasion devoir les productions ou performances dequelques artistes puissants – comme PaulMcCarthy par exemple – dont les œuvres sontparfois d’une grande violence et constituentune critique virulente de notre société.Ce qui m’intéresse aussi dans la question de

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l’art et de la pensée politique (l’éternelle ques-tion de l’artiste « engagé ») c’est qu’elle touchede près au journalisme, qui doit articuler es-thétique et discours de fond. Le sujet est polé-mique, ainsi qu’en attestent les débats autourdu fait que des photographes de guerre,comme James Nachtwey, ou du social, commeSebastiao Salgado, sont exposés comme degrands artistes contemporains. Plus proche denous, Gaël Turine adopte aussi une démarchequi relève à la fois du journalisme et de l’es-thétique.

Devant la souf fr ance , l ’exc lus ion so-c iale , la fa im ou la guer re, la not iondu bonheur n’appar aî t-el le pas, sur lep lan pol i t i que , comme une fo r me deprovocat ion   ? Aut rement d i t , nes ’agi t - i l pas au jourd ’hu i , non de f ai r ele bien, ma is d ’év i t er le p i r e ?

Nous en sommes effectivement en ce momentà éviter le pire. Et, pour ce faire, je crois qu’ilfaut en revenir à l’essentiel. Quel meilleur

moyen pour cela que de poser la question fon-damentale du bonheur et du bien-être ?On perçoit par contre très vite le risque de po-litiques qui veulent «  faire le bonheur desgens ». Et je me demande aussi dans quellemesure le discours sur le bonheur ne pourraitpas être récupéré sur le mode « l’argent ne faitpas le bonheur, donc la pauvreté du plus grandnombre n’est pas un problème et les inégalitéssont tout à fait acceptables ».

En vo t r e qua l i t é d ’ense ignant , lesnouveaux méd i as, essen t i e l lementamér ica ins , r eprésentent - i ls pou rvous, un for midable po tent iel de l ienssociaux e t cu l t ure ls ou une a tomisa-t ion super f ic ie l le et f r ivole des r e la -t ions humaines ?

Les médias ne sont jamais que des outils. Nouspouvons nous en servir aux fins les meilleurescomme les pires. Nous priver de notre respon-sabilité dans l’usage que nous faisons des mé-dias – en tant que producteur ou en tant que

consommateur - revient à nier notre liberté.Donc je crois que, tout comme vis-à-vis del’économie, il faut arrêter d’avoir un discoursde victime passive par rapport aux médias. Ilfaut d’une certaine manière reprendre la main,se les réapproprier. Je trouve que c’est d’ail-leurs ce qui est en train de se produire.Les nouveaux médias ont ceci de particulier etd’intéressant qu’ils autorisent la réponse, laréaction, et aussi la pro-activité, l’action, y com-pris collective. Les récents événements, icicomme ailleurs, en sont la preuve. Le temps dudiscours à sens unique, du haut vers le bas, entélévision comme dans les grands quotidiens,est révolu.

Propos r ecue i l l i s par Jean Cor n i l

La vidéo est consultable en ligne sur  :http://blog.lesoir.be/bonheurbrut/le-webdocumentaire/

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découvertes

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C INEMA / DVDDepar tures Un f i lm de Yo j i r o Tak i ta 2010

Si vous aimez la pureté, l’esthétique, la plas-tique des films japonais, alors vous allez ado-rer le film «Departures» du réalisateur YojiroTakita, disponible en DVD. Pour la petite his-toire, ce film a remporté l’oscar du meilleur filmétranger en 2009, ainsi que le grand prix desAmériques au festival des films du monde deMontréal et le prix du public au festival du filmd’Hawaï. Il a en outre recueilli trois récom-penses lors de la cérémonie chinoise corres-pondant aux Oscars.

Le scénario raconte comment dans la provincerurale de Yamagata, au nord du Japon, DaigoKobayashi, violoncelliste de profession, se voitobligé d’accepter un emploi par nécessité fi-nancière. Emploi qui, bien malgré lui, le conduità une entreprise de pompes funèbres. Et c’estprécisément à cet instant cinématographiqueque la diversité des émotions remonte dans lesimaginaires des spectateurs. Plongé dans cemonde peu connu, il va découvrir les rites fu-néraires propres à la culture japonaise sur fondde déclin d’une communauté rurale, tout en ca-chant à sa femme sa nouvelle activité, engrande partie taboue au Japon. Pour préparerson film, Takita a assisté à de nombreuses pré-parations et cérémonies funèbres. «Le rituelprévoit de laver le défunt, le maquiller, lui chan-ger ses vêtements. Un rituel est pratiqué afinde rappeler que ce corps était autrefois enpleine vie. Un film émouvant qui vous prend àla gorge et qui ne vous lâche plus. Sabine Beaucamp

www.depar tures- themovie .com

CINEMA / DVDSunshine C leaningUn film de Christine Jeffs2009

Pour payer l’inscription de son fils dans uneécole privée, une jeune femme de ménage créeune société de nettoyage de scènes de crimes,pour laquelle elle s’associe avec sa sœur. Aufur et à mesure, les sœurs commencent à trou-ver un sens à leur fonction sordide pour «aider»en quelque sorte des personnes à la suited’une perte d’un membre de leur famille. Maisce travail remue des souvenirs pénibles, enrapport avec le suicide de leur mère. Un filmintéressant à voir de par l’étrangeté du thèmetraité. (SB)

www.sunshinec leaning-themovie .com

ESSAI / POL ITIQUEDes idées et les rêvesArnaud MontebourgFlammarion, 2010

Depuis le Congrès de Reims, Arnaud Monte-bourg, avocat de formation est devenu parmises multiples affectations le Secrétaire nationaldu Parti socialiste à la Rénovation. C’est d’ail-leurs probablement à ce titre qu’il a sorti et as-socié un nouvel ouvrage intitulé “Des idées etdes rêves”. Dans son itinéraire politique et ré-novateur, il a lutté contre toutes formes deconservatismes et d’immobilismes, y compris àgauche, il a tenté d’implanter quelques idéesneuves. En effet, cet ouvrage rassemble lesidées pour lesquelles il s’est engagé, raconteses expériences concrètes de terrain, les té-moignages humains de quelques échecs ouréussites ainsi qu’une lecture différente desproblèmes actuels qu’il dépeint. Arnaud Mon-tebourg dans son livre ne se contente pas deconstater ou de dénoncer les problèmes, ilavance des solutions et des stratégies d’action. Ainsi, il affirme que : “l’avenir appartient tou-jours aux créatifs, à ceux qui prennent desrisques. C’est pourquoi il est nécessaire d’avoirà la fois des idées et des rêves : pas d’idéa-lisme coupé des réalités, mais pas non plus deréalisme pessimiste et frileux.” Comment dès lors bâtir la nouvelle France ?Pourquoi une telle démarche ? Démagogie,certes pas, enthousiasme, ah ça oui ! Les pro-positions politiques qu’il défend dans son ou-vrage sont le fruit de recherches sociétales etinspirées des perpétuels mouvements créatifstels ceux des associations, des syndicats, despenseurs et des chercheurs, des partis deGauche, mais également d’un spectre beau-coup plus large venant du monde entier.Selon nos origines sociales, nos expériences di-verses, notre âge, nous avons tous une idéeplus ou moins prononcée de la vie politique.L’effort comme moyen d’élever sa vie, le per-fectionnisme comme estime de soi sont desmaladies dont on ne se relève jamais. Ce sontde bonnes maladies pour l’esprit et l’action mi-litante ! (SB)

www.des ideesetdesreves.f r

S ITE WEBwww.revolut ion- f isca le .f r

découvertes

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En Belgique comme en France, le débat fiscalest enfin relancé et l’on se pose la question nonpas de taxer plus, mais bien de taxer mieux.Les économistes Camille Landais, Thomas Pi-ketty et Emmanuel Saez ont publié un véritablemanifeste intitulé Pour une révolution fiscale.Ils se basent sur une étude et des outils de cal-cul puissants, un large échantillon représenta-tif de l’ensemble des contribuables a étémodélisé, qu’ils mettent à disposition du publicvia le site www.revolution-fiscale.fr. On peut s’yrendre compte de l’injustice du système fiscalfrançais actuel, largement régressif : les bas etmoyens revenus payent proportionnellementplus d’impôts que les hauts revenus, protégéspar de nombreuses niches fiscales. Mais onpeut surtout tester grandeur nature les ré-formes possibles en la matière, de gauchecomme de droite. Celle que les auteurs prô-nent, souhaitable à bien des égards, vise à ren-verser la vapeur en rendant l’impôt de nouveauprogressif, équitable et démocratique en l’as-seyant sur une assiette plus large et en simpli-fiant sa récolte : de 2% d’impôt total sur lesrevenus (du capital et du travail) pris à lasource pour un individu gagnant 1100 € brutpar mois à 60% pour ceux qui gagnent100.000€ et plus mensuellement. Il s’agiraitainsi de faire payer proportionnellement plus lesplus hauts revenus et moins les moyens et bas-revenus. Des idées à prendre pour améliorernotre système et lutter contre les inégalités ?Aurélien Berthier

À vo i r aussi   :Pour une révolut ion f isca le , Un impôtsur le r evenu pour le XXe s ièc le Camille Landais, Thomas Piketty et EmmanuelSaezLe Seuil, La République des Idées2011

ESSAI / ECONOMIELa Grande RégressionJacques GénéreuxSeuil, 2010

Professeur à Sciences Po Paris, économistelongtemps attaché au PS français et désormaisau Parti de Gauche, Jacques Généreux sort unenouvelle contribution après la Dissociété et Lesocialisme néomoderne. La “Grande régres-sion”, c’est ce processus formidable qui a vul’optique de progrès de l’Après-guerre (“Nousvivrons mieux que nos parents”) se transfor-mer en tendance totalement inverse, en un

monde où règne l’insécurité à tous les niveauxde l’existence et où sont méthodiquement dé-construits tous les liens sociaux.L’idéologie néolibérale (ou “marchéistes”comme l’indique Généreux, tellement elles’éloigne même des préceptes libéraux tradi-tionnels) cherche à nous faire adhérer à cettedécadence écologique, sociale, morale et poli-tique en la faisant passer pour naturelle et sansalternative. Si l’auteur traite des crises à répé-tition, élément constitutif du capitalisme, c’estaussi pour rappeler qu’elles ne sont qu’un desavatars d’un mouvement régressif plus largede profondes mutations culturelles. Ainsi, lemarchéisme nous a conduit à un culte fou dumarché où sont survalorisés consumérisme -ycompris celui le plus destructeur pour l’écosys-tème- et prédation économique. Les applica-tions de cette idéologie ont créés violences etdésordres sociaux qui à leur tour renforcent lapeur de l’autre et génèrent politiques liberti-cides et replis nationaliste ou communautaires.

Écrit avec grande clarté, la « Grande Régres-sion » ne sombre jamais dans le pessimismequi stérilise l’action. Il rappelle au contrairetoutes les solutions de gauche pour en sortir,connues, concrètes et à porté de main car tout-à-fait réalisable dans le cadre d’une législaturedémocratique. Reste à élaborer le moment decette grande transformation démocratique, uneRenaissance sociale et socialiste nous sortantde la « dissociété de marché » du Moyen Âgenéolibéral.

Mais, devra-t-on attendre pour cela l’effondre-ment total de ce système en constante fuite enavant ? (AB)

ht tp: //genereux .in fo

ESSAI / SOC IOLes métamorphoses du monde asso-c iat i fMatthieu HélyPUF, 2009

Les secteurs associatifs français et belge nesont pas en tous points comparables maisnéanmoins suffisamment proches pour quecette étude de terrain du sociologue françaisMatthieu Hély puisse nous servir à faire le pointen cette Année européenne du Volontariat.En croissance constante, désormais institu-tionnalisé et articulé avec le monde « à but lu-cratif  », le monde associatif est devenu un« véritable marché du travail » qu’on continuepourtant à se représenter comme lieu oùs’exercent bénévolat et «  don de soi  ». Au travers d’une analyse des mutations del’État et de sa fonction publique, l’auteur mon-tre comment ont été confiées au secteur asso-ciatif des tâches dont il s’occupait auparavant,les salariés de l’associatif se retrouvant alorspour beaucoup aux anciens postes des fonc-tionnaires (paye et reconnaissance en moins).L’émergence de cette nouvelle fraction du sa-lariat, les travailleurs associatifs, est venubrouiller la frontière traditionnelle entre sec-teurs public et privé. Ce qui permet à l’auteurd’interroger les catégories classiques du « tra-vail » au travers des tensions qui les traversent(marchand / non-marchand, bénévolat / sala-riat).

Les paradoxes propres à cet univers ne sontpas éludés. Car l’associatif peut aussi permet-tre de « donner une âme au capitalisme » et,

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peu à peu, en délégitimant l’action de l’Etat so-cial, de substituer une action privée à une ac-tion publique d’envergure et de développertoute une idéologie d’un capitalisme « éthique ».

L’enquête traite également de l’emploi en as-sociation où se mêlent bénévolat et salariat, mi-litance et tâches rémunérées et où « don desoi » et « déni le travail » sont utilisés dans le butd’obtenir un surinvestissement des employés,du reste particulièrement précarisés et peu re-vendicatifs quant aux dégradations de leurconditions de travail. Il semble en effet très malvu de défendre son intérêt, même légitimes,dans une organisation visant l’intérêt généralou la solidarité. Signalons à cet égard que celivre a été l’un des points d’appui à la récentenaissance du premier syndicat des salariés desassociations, ASSO, qui tente justement d’inci-ter les travailleurs d’organisations qui œuvrentpour le droit des autres à revendiquer leursdroits légitimes. (AB)

h t t p : / / m a t t h i e u . h e l y. p e r s o . s f r . fht tp: //synd icat -asso.f r /

ESSAI / SOC IO / EDUCAT ION POPU-LAIREEducat ion popula i r e e t pu issanced ’agir, les processus cu l ture ls del ’émancipa t ionChristian MAUREL

L’Harmattan, Coll. Le travail social, 2010

L’éducation populaire  ? «  Ils n’en ont pasvoulu ! » dénonçait fort justement Franck Le-page dans sa conférence gesticulée. « Il faut sela réapproprier ! » revendique l’analyse perti-

nente que nous propose le sociologue Chris-tian Maurel dans ce récent ouvrage.À partir d’une définition forte de l’éducation po-pulaire, conçue comme « dimension culturelledu mouvement social qui transforme une puis-sance de soumission en une puissance d’ac-tion », l’auteur situe son actualité au cœur descrises économique, sociale écologique et poli-tique entraînant à la fois des prises deconscience qui invitent à changer le monde etdes sentiments d’impuissance qui incitent à nepas s’y engager.

En rappelant for t pertinemment que l’actionculturelle, pas plus que l’action sociale ou po-litique, n’est pas nécessairement émancipatrice,l’auteur met à jour les contradictions qui tra-versent les pratiques de l’éducation populaireen France. Il nous invite à vivre l’éducation po-pulaire comme « praxis qui transforme les indi-vidus et les rapports sociaux tout en produisantl’intelligence de ces transformations. »

Il précise ainsi de nouveaux défis, qu’il s’agissede la dimension solidaire de l’économie socialeou de la dynamique collective rendue possiblepar le développement des réseaux sociaux vir-tuels. La lecture des récents évènements, tanten Belgique qu’en Tunisie ou en Égypte, sem-ble illustrer son propos.

L’enjeu de transformation sociale suppose untravail « trans-champ » qui nous impose de faireconflit sur les contradictions. Cette praxis sup-pose évidemment d’accepter de remettre enquestion nos pratiques habituelles et consen-suelles visant nos publics, nos organisations etnos modes d’action : l’éducation populaire n’estplus toujours là où on l’attend... mais c’est pré-cisément cela qui permet sa puissance d’agir.Jean-Luc Degée

POLARJusqu’à ce que mor t s ’ensuiveRoger MartinLe Cherche-midi, 2008

Un roman policier exceptionnel qui met enscène un jeune afro-américain, refusé dansl’armée des États-Unis, et qui part à la re-cherche de la vérité sur la condamnation àmort de son grand-père lors du débarquementen Normandie en 1944. On y croise BarackObama, encore sénateur, la ségrégation racialejusqu’aux plages face aux nazis, les difficultésde l’intégration et de la discrimination positivechère aux Anglo-saxons. Palpitant, douloureux,instructif. De la grande littérature. Jean Cornil

ROMANMangez- le s i vous le voulezJean Teulé Julliard, 2009

L’histoire incroyable, et véridique, d’un jeunefrançais, dévoré par les habitants de son villagele 16 août 1870. Ce mardi-là, Alain de Moneysarrive en début d’après-midi à la foire du bourgvoisin. Quelques heures après, il est tor turé,brûlé vif et mangé par ses concitoyens. Sur fondde guerre entre la France et la Prusse, une en-tomologie de la barbarie ordinaire qui peut nousconduire tous au pire. Saisissant. (JC)

BDUne v ie ch ino isePhilippe Ôtiê et Li Kunwu (3 volumes)Kana, 2009-2010

Une impressionnante fresque en trois tomes surl’histoire autobiographique d’un jeune chinoisde Mao à aujourd’hui. Li Kunwu a d’abord été

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dessinateur de propagande et est membre duParti communiste chinois. Il raconte, avec unesensibilité extrême, son tortueux parcours, dela Révolution culturelle au Grand bond en avant,de la pauvreté des campagnes au règne du ca-pitalisme d’État. Émouvant et envoûtant. (JC)

ht tp: //www.mangakana.com/

ATLAS2033. At las des Futur s du MondeVirgine RaissonRobert Laffont, 2010

Un outil essentiel de prospective en regard despolitiques du court terme, incapables d’antici-per et de construire une vision de l’avenir. Descartes et des analyses sur ce à quoi ressem-blera la planète en 2033. Au travers desprismes, totalement liés entre eux, de la dé-mographie, des migrations, de l’alimentation,de l’eau, du climat, des énergies… Un puits deréférences et d’analyses. Essentiel pour pen-ser le monde au-delà des prochaines législa-tives. (JC)

ht tp: //www. lesfutur sdumonde.com/

ESSAI / PHILOEgobody. La f abr ique de l ’hommenouveauRobert Redeker Fayard, 2010

Une plongée sans concessions au cœur destroubles de l’homme moderne par un grandphilosophe, privé d’enseignement suite à unefatwa. De la vieillesse à Internet, de la vitesseau traitement de la mort, de la santé aux loisirs,Redeker, au travers de bien des grands philo-sophes, de Platon à Deleuze, de Rousseau àSpinoza, dresse l’archéologie d’un humain ré-duit à un corps et qui a perdu son âme. Inspirésans être ésotérique, ce livre est abordablesans devoir être docteur en philo. Il est surtoutdécapant et interpellant, car il traite de notrevie de tous les jours, de nos croyances, de nospréjugés. Salutaire pour résister à l’anthropo-logie capitaliste. (JC)

ht tp: //www.redeker. fr /

DVD / DOCUAmène ta f r aiseUn film de Philippe HubotPAC/CC Le Fourquet/Début des haricots2010

« Amène ta fraise » est le nom pour le moinsoriginal de ce DVD documentaire… mais aussi,celui d’un groupe de citoyens de Berchem(Bruxelles). Leur point commun ? Leur volontéde transformer le jardin d’une ancienne tavernemise à leur disposition en un lieu de convivia-lité et d’apprentissage. Pour trouver du sensau-delà de la culture des légumes, créer desliens, se délasser, manger sain, retourner à la

terre, prendre le temps de parler avec son voi-sin, inventer du collectif. Cette expérience meten évidence les liens entre Culture et culturepotagère. Comme tout jardin collectif, il repré-sente un projet pour et par les citoyens, aucroisement d’apprentissages de savoirs être,de savoir-faire et de vivre ensemble, et au cœurdes préoccupations actuelles de notre société.Bref, un projet central pour la culture... doncobjet concret d’action citoyenne tant pour unCentre culturel que pour un mouvement d’édu-cation permanente tel que le PAC.Ce moyen métrage de 42 minutes est une miseen images des premières étapes du projet. Du-rant tout un été, Philippe Hubot, de l’ASBL VoixPublique, a discrètement filmé cette naissance.Il retrace plus particulièrement un stage à des-tination de jeunes adultes tant au niveau del’aspect très pratique d’aménagement et deculture de la terre mais également plus prag-matique de la définition des règles de fonction-nement du groupe. C’est l’histoire de citoyensmais également de partenaires : le Centre cul-turel le Fourquet, à l’initiative du projet, PAC etle Début des Haricots. Ce DVD est un bel outil pédagogique pour ins-pirer d’autres nouvelles mobilisations collec-tives, ouvrir le débat et inviter le public àcontinuer la réflexion, mais surtout un exempled’action concrète pour changer les choses, làoù il est, avec les moyens qui sont les siens.Nadège Albaret

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Visible en ligne sur www.voixpublique.beLe DVD est disponible sur simple demande au-près de Lucrèce Monneret [email protected] Nadège Albaret - [email protected]

SPECTACLE/CIRQUECompl ic i t és…Espace Catastrophe2011

Il est rare qu’un spectacle évoque si bien sonnom. Il s’agir d’une rencontre entre 11 artisteshandicapés mentaux et 7 artistes « complices »en piste.Une déclinaison de techniques d’art de cirqueen une succession de tableaux étonnants, poé-tiques et drôles. Entre l’imprévisible et le fruitd’un long chemin parcouru ensemble. Accom-pagné avec brio par Catherine Magis, metteuseen scène et co-directrice de l’espace Catas-trophe. Une succession d’instants, remplisd’humour, d’humanité, de générosité commeun cadeau. Ces « instants » nécessitent uneécoute absolue pour permettre à la créationd’émerger. Et en cela, c’est un succès. Tousprennent des risques. Professionnels et nonprofessionnels. La confiance en l’autre et ensoi est là, filet qui permet de se dépasser. Ici, ce n’est pas le souci de performance, descénographie, de travail sur le sens qui essaiede convaincre. C’est une multitude de mo-ments qui se déclinent, se construisent, semontent, s’envolent à partir d’une base solide :celles de rencontres… Entre ceux qui maitri-sent la technique et d’autres. Qui, le temps d’untravail sérieux, ont invité des personnes « extraordinaires » à se dépasser et à s’exprimer pardes techniques circassiennes. Pas des plussimples. Et pourtant, ça marche… Les artistes

sont présents avec force et confiance face aupublic. Même aux travers de leurs fragilités.L’écoute, l’attention, la présence aux autressont palpables à travers les silences, les re-gards, les attitudes, les gestes. Et surtout, c’estdrôle. Le public rit, s’étonne, découvre, che-mine aussi l’espace temps de ce spectacle avecces 18 artistes en scène. On peut rire de boncœur. Car ce qui est donné à voir est fort decomplicité, d’humanité, de cette volonté de sedépasser, d’y croire, de prendre du plaisir en-semble et du donner du plaisir aux spectateurs. PAC est partenaire via une exposition de pho-tographies de Jean-François Rochez qui a suivile processus de création, presque depuis lespremières heures. Cette exposition accompa-gnera le spectacle qui va très prochainementpartir en tournée en Communauté françaisepuis en Europe. Un livre relatant l’expériencesera également édité par PAC sous la plume deLaurent Ancion. (NA)

www.catastrophe .be/compl ic i t es

POP / ROCKBeach HouseTeen DreamBella Union, 2010

Beach House est un duo franco-américain, unhomme, une femme. Il s’agit d’une pop lan-goureuse et onirique qui se situe dans la lignéedes héritiers de Mazzy Star ou Elysian Fields,des groupes de dream pop et de rock psyché-délique américain formés au début des années1990. « Teen Dream », titre de cet l’album ins-piré du Velvet Underground et de Jesus andMary Chain, est une véritable découverte mu-sicale, un pur plaisir à l’écoute. (SB)

www.myspace .com/beachhousemus ic

POP / ROCKPerfume GeniusLearningTurnstile / Matador Records, 2010

Le jeune américain Mike Hadreas, chanteur àtextes des Perfume Genius, à la voix fragile ettremblotante et aux effluves hésitants, proposedes notes coulées dans la tragédie, le silenceet les soupirs imprégnés, sans doute, dedrames personnels. Un album doux, intimisteet mélancolique qui se laisse écouter tout en fi-nesse. Il est accompagné de synthés et d’unpiano au son creux. Ne passez pas à côté decet excellent album. (SB)

En concert aux Nuits Botanique le 20 mai à 20h(à l’Orangerie)

ht tp: //www.myspace .com/ke wlmagik

NOUVELLE CHANSON FRANçAISEFlorent Marchet CourchevelPIAS, 2010

A 35 ans sonnant, après deux albums sortisdans l’indifférence quasi-générale, Florent Mar-chet pourrait enfin connaître très prochaine-ment sa petite consécrationd’auteur-compositeur-interprète dans le mondede la nouvelle chanson française. Sur son troi-sième CD, « Courchevel », on croise le percus-sionniste malien Mamadou Koné Prince, la voixde Jane Birkin dans le très inattendu duo« Roissy » mais aussi d’autres grands noms du«  renouveau  » comme Air, Julien Delfaud(Phoenix) et Jean-Louis Murat. Avec la sortiede « Courchevel », Florent Marchet a quitté Bar-clay pour rejoindre le label indépendant PIAS.Ne loupez pas cet artiste qui propose du folk,de la pop et de l’Indie. Enfin, on peut écoutertrès régulièrement sur la radio Pure FM, le mor-ceau intitulé « Benjamin », qui est de loin son

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meilleur, mais il a l’avantage d’être accessible àl’audimat ! De toute façon Florent Marchet onen reparlera bientôt….pour sûr. (SB)

En concert aux Nuits Botanique le 13 mai à 20h(à l’Orangerie)

www.myspace .com/f lorentmarchetmus ic

POP / ROCKPuggySomething you might likeMercury, 2010

Second album prometteur pour Puggy. « So-mething you might like » énergique et frais sontles deux adjectifs qui collent le mieux à ce CDcomposé de douze morceaux. Puggy maîtrisel’art de la pop suave et relevée, aux paroles etmélodies, certes un peu attendues, mais quis’écoutent agréablement grâce au timbre devoix de Matthew Irons. Sur certaines plages,on leur trouve des similitudes avec le groupeanglais Supergrass. A côté de ses mélodies, le

trio fait aussi vibrer ses cordes et monter sesriffs de guitares. Puggy est enfin reconnucomme un des meilleurs groupes en commu-nauté française de Belgique. A écouter d’ur-gence ! (SB)

www.myspace .com/puggyband

POP / ROCKPeter Gordon Love of life orchestra DFA records2011

Peter Gordon est un compositeur américain. Iljoue du sax, des claviers et samplers depuis ledébut de sa carrière en 1978. Il a évolué dansdifférents genres. Allant de l’expérimental aurock en passant par le jazz. En janvier 2011,voilà que l’on réédite les musiques disco kitschde l’artiste sur le label indépendant DFA. Cer-tains thèmes datent un peu, mais la plupart dutemps, c’est d’une modernité épatante, oncomprend que les DJ’S actuels aillent puiserleurs sources ici. On pourrait le comparer à unBrian Eno jazzy ou à Roxy Music. Sur le planartistique, en 1988, il était venu jouer en di-rect sur la scène de la Raffinerie du Plan K, lorsdu spectacle de Frédéric Flamand « If PyramidsWere Square », spectacle qui explorait et ex-ploitait la relation de la perspective à la réalité.(SB)

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L’AUSTERITE N’EST PAS UNE FATALITE, DES ALTERNATIVES EXISTENT !

Levée du sec re t banca ir e , impôt p ro-gress i f sur les for tunes, r estr ict ion desintérêt s no t ionnels, lu t te contre l ’év a-s ion f isca le, taxe sur les t r ansac t ionsf inanc ières…

Appuyez nos ex igences ! S ignez la pét i t ion en l igne sur  : www. lesgrosses for tunes .be

Le RJF (Réseau pour la Just ice Fisca le) es t unréseau de mouvements e t de synd ica ts quePAC a rejoint et qui mi l ite pour une plus grandejust ice f isca le.

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