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VISION SINDICALE #04 1 ISRAEL & PALESTINE 2 G7 3 NEPAL, BURMA 4 WORKERS’RIGHTS & GSP, WOMEN’S DAY 5 CAMBODIAN TEXTILE 6 G8 7 CHINA & HONG KONG 8 INTERNATIONAL COMMEMORATION DAY FOR DEAD AND INJURED WORKERS Ali Begeja Albanie – Lutter pour garder les enfants à l’école… Sur fond de prix à l’exportation cassés et de salaires indécents, des milliers d’enfants albanais éprouvent les pires difficultés à poursuivre leur scolarité. Comment les syndicats d’enseignants albanais se battent-ils pour maintenir ou ramener ces enfants à l’école, y compris les enfants de la minorité rom discriminée? Reportage. VISION SYNDICALE #04 CSI Confédération syndicale internationale Juin 2007

Albanie – Lutter pour garder les enfants à l’école…

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Des milliers d’enfants albanais éprouvent les pires difficultés à poursuivre leur scolarité. Sur fond de prix à l’exportation cassés et de salaires indécents, des milliers d’enfants albanais éprouvent les pires difficultés à poursuivre leur scolarité. Comment les syndicats d’enseignants albanais se battent-ils pour maintenir ou ramener ces enfants à l’école, y compris les enfants de la minorité rom discriminée ?

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1 ISRAEL & PALESTINE 2 G7 3 NEPAL, BURMA 4 WORKERS’RIGHTS & GSP,WOMEN’S DAY 5 CAMBODIAN TEXTILE6 G8 7 CHINA & HONG KONG 8 INTERNATIONALCOMMEMORATION DAY FOR DEAD AND INJUREDWORKERS

➔ Ali Begeja

Albanie – Lutter pour garderles enfants à l’école…Sur fond de prix à l’exportation cassés et de salaires indécents, des milliers d’enfants albanais éprouvent les pires difficultés à poursuivreleur scolarité.Comment les syndicats d’enseignants albanais se battent-ils pour maintenir ou ramener ces enfants à l’école, y compris les enfants de laminorité rom discriminée? Reportage.

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entreprise de Korça qui exporte vers l’Italie. Certaines n’ontque 14 ans. L’employeur aime engager des plus jeunes car ilne les déclare pas et ne doit donc pas payer de taxes à leursujet, et puis elles sont plus dociles. Lorsqu’un inspecteur dutravail vient, mon patron leur dit de se cacher, il n’a jamaisété coincé”.

Certaines usines albanaises emploient aussi des mineurssans le vouloir. C’est parfois le cas de l’entreprise defabrication de chaussures Bertonni, le plus grand employeurde la ville de Shkodra (nord de l’Albanie) avec 870travailleurs. Ses clients sont exclusivement italiens. Commel’explique son directeur, Paulin Radovanni: “Je ne suis pasintéressé par l’emploi de travailleuses de moins de 18 ans,elles produisent moins et je risque d’avoir des problèmesavec l’inspection du travail ou avec mes clients, qui exigentque tous les travailleurs aient plus de 18 ans. Ceci dit,certaines femmes que j’embauche me supplientd’embaucher aussi leur fille mineure. Elles disent qu’elles neveulent pas laisser leur fille seule à la maison, que c’est troprisqué, ou encore que leur famille est si pauvre qu’elle aabsolument besoin du travail de la fille. Je leurs réponds quec’est impossible, mais quelques semaine plus tard, ellesviennent avec des documents d’identité falsifiés indiquantque la fille a 18 ans ou plus!”

Ecrasée par une presse à 15 ans

La présence d’enfants dans les usines de confection detextile et de chaussures reste marginale par rapport aux

Le secteur du textile, de la confection et des chaussuresreprésentait 54% des revenus d’exportation de l’Albanie

en 2006. Il s’est développé après la chute de la dictature, enpartie grâce à l’apport d’investisseurs étrangers (lesentreprises qui existaient avant 1991 ont généralementfermé car elles n’étaient pas concurrentielles). Beaucoup deces entreprises sont des sous-traitantes de firmes basées enUnion européenne, et plus particulièrement en Italie. Ellesreçoivent la matière première importée de l’étranger et latransforment en vêtements ou chaussures dont un importantpourcentage (en général la totalité) est exporté.

Ce secteur se concentre le long des côtes d’Albanie,notamment autour des ports de Durrës et Vlora, ainsi quedans les régions de grandes villes comme Tirana (lacapitale), Korça et Shkodra. Il emploie environ 65.000personnes à l’heure actuelle. Les plus petits salaires sontd’environ 100 euros par mois, les plus hauts ne dépassentgénéralement pas 200 euros par mois (sauf pour lestravailleurs hautement qualifiés). Ces salaires sont un incitantfondamental pour les entreprises européennes, qui trouventà quelques heures de chez elles un coût salarial dix foismoins élevé. L’Albanie partage une frontière avec la Grèce, etn’est qu’à quelques heures de bateau des côtes italiennes…

Tant dans la confection que dans l’assemblage dechaussures, une partie des usines albanaises emploient desmineurs de moins de 18 ans, parfois de moins de 16 ans.“Sur les 150 travailleuses de mon usine de textile, au moins7 ont moins de 18 ans, affirme une employée d’une

Les enfants victimes des prix indécentsDes centaines d’enfants travaillent dans la confection de chaussures et de vêtements exportés d’Albanie. Les priximposés par les acheteurs internationaux expliquent en partie cette exploitation.

45 années d’isolement et 17 années de galère économique font de l’Albanie l’un des pays les plus pauvresd’Europe. Les enfants en sont les premières victimes.

L’Albanie a fonctionné, jusqu’en 1990, comme l’un des régimes les plus fermés et l’une des pires dictatures de l’Europe. Lepassage à l’économie de marché a ensuite donné lieu aux pires excès, notamment à la construction du système des “pyramides”de placement financiers qui, lorsqu’elles se sont effondrées, ont conduit à une crise sociale aiguë, à la guerre civile et àl’effondrement des institutions politiques (en 1997). Depuis, la situation politique s’est quelque peu stabilisée mais sur le planéconomique, la situation de l’Albanie est encore des plus fragiles, elle demeure l’un des pays présentant le plus de difficultéséconomiques en Europe.

Selon une étude menée en 2002 par l’Institut des statistiques d’Albanie, 25% de la population albanaise vit sous le seuil depauvreté et 5% vit dans l’extrême pauvreté, sans la possibilité de pouvoir se payer son alimentation de base. Les structuressociales en place sous la période totalitaire n’existent plus tandis que le système de sécurité sociale actuel est beaucoup trop légerpour soulager la pauvreté actuelle. Un cinquième de la population vit donc à l’étranger, et l’argent que ces migrants envoient enAlbanie représente environ 14% du produit national brut.

La montée de la pauvreté a eu des conséquences directes sur les conditions de vie des enfants albanais, qui composent une largepart de la population: sur 3,1 millions d’habitants, 1 million ont moins de 18 ans (selon les données de l’UNICEF). Malgré latradition historique et culturelle des Albanais de placer l’enfant au coeur des préoccupations familiales, de plus en plus de parentsn’accordent plus la priorité à la scolarité de leurs enfants et préfèrent les voir travailler pour contribuer au revenu familial. Outrel’insuffisance de l’action des autorités et la dégradation économique, toute une série de facteurs socio-économiques expliquentcette évolution: le manque d’écoles ou d’enseignants dans certaines régions; les dysfonctionnements familiaux; le manque deprise de conscience de l’importance de la scolarité; les vendettas (crime commis pour cause de vengeance); les discriminations àl’égard de minorités ethniques (comme les Roms); etc.

Les indicateurs sociaux sont dans le rouge

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tellement de pauvreté dans nos villages que je pourraiscollaborer avec des centaines de familles de cette façon,mais je n’ai pas suffisamment de travail à offrir à toutes.”

Beaucoup d’enfants travaillent à domicile

Aurora, une maman âgée de 38 ans, travaille chez elle avecses trois enfants pour Doniana. Elle habite un village reculéoù il n’y a quasiment pas d’emploi et ne bénéficie que d’uneallocation de 10.000 leks (80 euros) par mois suite au décèsde son mari. Elle reçoit les chaussures semi-finies de la partd’un intermédiaires. Elle reçoit 10 paires de chaussures àcoudre à la main chaque jour, chaque paire est payée 25leks (0,2 euro). Tout comme les autres familles de sonvillage, elle demande à ses enfants de l’aider, sans quoi ellene s’en sortirait pas pour les nourrir. Ses trois filles âgées de11, 12 et 14 ans s’agenouillent donc à ses côtés chaquesoir.

“Mes filles n’aiment pas ce travail, je me sens coupable deleur demander de m’aider, mais nous ne pourrions nous ensortir financièrement sans cela, explique-t-elle. C’estvraiment dur. En hiver, elles commencent à m’aider peuaprès leur retour de l’école, vers 15h, et nous terminons enfin de soirée, vers 22 ou 23h. Je les réveille le matin vers 6hpour qu’elles fassent leurs devoirs avant de partir à l’école,qui commence à 8h. Elles sont fatiguées durant les cours enraison de ce travail, mon plus grand souhait serait de trouverun emploi qui me permette de gagner assez pour leurépargner ce type d’enfance. Le week-end, nous travaillonsensemble toute la journée”.

“A l’école, on remarque vite les enfants qui travaillent”

Les trois filles d’Aurora poursuivent donc leur scolarité dansdes conditions très difficiles. L’une d’elles est dans la classede Dervish, un enseignant de langue albanaise qui estmembre du syndicat d’enseignants FSASH. “Un enseignantremarque très vite les enfants qui cousent les chaussures

65.000 travailleurs du secteur, mais un accident tragique arécemment scandalisé l’opinion publique albanaise. Le 23décembre 2006, une fille de 15 ans, Hava Haku, estdécédée d’un accident de travail dans une usine produisantdes sacs à main en carton pour des acheteurs italiens. Soninexpérience et son manque de formation expliquent sansdoute l’accident (elle a eu la tête écrasée par une presse).Ndricim Saliaj, le propriétaire de cette usine de la villecôtière de Durrës, est poursuivi en justice pour avoiremployé cette jeune fille sans autorisation de l’inspection dutravail. “Je m’étais rendu dans cette usine une semaineavant l’accident, déclare Hajdar Kanani, président de laFédération syndicale du textile, de l’habillement, du cuir etde l’artisanat (membre de la confédération KSSH), maisl’employeur avait refusé l’organisation de tout syndicat”.

Si le travail des enfants existe parfois au sein desentreprises de la confection et de la chaussure, c’est dansle travail à domicile qu’il est le plus fréquent dans cesecteur. Plusieurs entreprises albanaises sous-traitent eneffet les travaux ne nécessitant pas de machines à destravailleuses à domicile. C’est le cas par exemple chezDoniana, une entreprise de Tirana qui exporte en Italie etaux Etats-Unis. Elle emploie 1.200 personnes dans ses troisusines, mais elle collabore occasionnellement avec 1.500familles réparties dans une trentaine de villages albanais.C’est surtout le cas en hiver, lorsque l’entreprise reçoit lescommandes de fabrication des chaussures d’été, quinécessitent moins de technologie que celles portées enhiver. Elle collabore avec des intermédiaires qui distribuentle travail dans les villages.

“Je viens tous les deux jours chez Doniana pour chargerdans mon véhicule des chaussures semi-finies, expliquel’un de ces intermédiaires. Au village, j’ai une liste de 25travailleuses avec qui je collabore. Je n’ai aucun contrôlesur la façon dont elles travaillent, je ne suis pas supposésavoir si elles impliquent leurs enfants dans le travail. Il y a

“Je ne contrôle pas si desenfants travaillent pour moidepuis leur maison”

“Je reçois 3,2 euros de monacheteur italien pour une pairede simples sandales qui sontvendues environ 35 euros enUnion européenne, explique ledirecteur d’une entreprise de 80travailleuses qui produit deschaussures dans la région deKorça. C’est peu, mais l’acheteurme fournit la matière première, ilpaie aussi le transport desmarchandises. Les salairesitaliens sont 8 ou 9 fois plusélevés que dans mon entreprise,mais je dois reconnaître aussique la productivité de mestravailleuses est inférieure à celledes Italiennes. Durant les deuxpériodes de l’année où nousrecevons le plus de commandes,nous recourons au travail àdomicile de nos employées oud’autres travailleuses que nousformons au préalable. Je ne saispas si elles demandent lacontribution de leurs enfants à lamaison, ce genre de contrôle estde la responsabilité des parents,ce n’est pas la mienne” (Note:une ancienne travailleuse decette entreprise nous a confirméque des enfants sont bel et bienimpliqués)

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durant de longues heures après l’école, dit-il: ils sont plusfatigués, ils ont plus de difficultés de concentration. La filled’Aurora est exceptionnelle: elle ne se plaint jamais, elle faitde son mieux pour ne pas laisser voir sa fatigue, pour étudiercomme les autres même si elle n’en a pas le temps en raisondu travail. La pauvreté de sa maman lui pose pourtantd’autres problèmes, comme l’achat des livres”.

Dans le village d’Aurora, la moitié des filles de plus de 12 ansaident leurs parents dans la confection de chaussures. C’estle cas dans des milliers d’autres familles albanaises. Cetravail des enfants est toujours clandestin, mais beaucoupd’adultes employées à domicile ne sont pas non plusdéclarées par les intermédiaires. Elles ne sont donc pascouvertes par la sécurité sociale, personne ne cotise pour leurpension et elles ne reçoivent aucune aide en cas de maladieou de blessure. A la longue, ce genre de travail provoquepourtant des problèmes de santé: outre les doigts piqués parles aiguilles, les travailleurs inhalent les produits chimiquesdes composants des chaussures et leur vue est abîmée parde longues heures de travail minutieux souvent effectué à lalueur de la bougie (les pannes de courant sont longues et trèsfréquentes en Albanie).

Prix indécents impliquent situations moyenâgeuses

Il serait facile de blâmer les entreprises albanaises pourl’exploitation des travailleurs adultes et enfants dont elles sontcoupables, mais les responsables de ces situationsmoyenâgeuses sont aussi les grands acheteurs étrangers quiimposent aux entreprises albanaises des prix indécents. ChezFilanto par exemple, les paires de chaussures produites àTirana sont payées 4 euros à l’usine, mais revendues de 22 à30 euros dans les magasins italiens. A Skhodra, le directeurde Bertonni, qui privilégie un bon dialogue avec les syndicats,dit qu’il souhaiterait pouvoir offrir de meilleurs salaires à sestravailleurs mais que les prix imposés par les acheteurs ne luilaissent pas grande marge de manoeuvre: “Je sais que mestravailleurs ne sont pas satisfaits des salaires que je leurdonne… mais de mon côté, je ne suis pas satisfait des prixque me paient les acheteurs. Ils me fournissent la matièrepremière, puis me paient entre 1,5 et 2,5 euros par paire dechaussures assemblées. Comment pourrais-je mieuxrémunérer mes travailleurs avec des prix aussi bas?”

Engjellushe, directrice d’une usine de 60 travailleuses quifabrique des vêtements dans la ville côtière de Durrës, n’aguère plus de chance d’obtenir de meilleurs prix, de sonprincipal acheteur allemand. “Depuis le début des années 90,les prix sont restés les mêmes alors que les salairespassaient de 3.000 à 18.000 leks (24 à 143 euros) par mois.Je ne reçois pas plus de 2 ou 3 euros pour une robe, et 3euros pour une veste. La totalité de mes travailleuses sontmembres du syndicat KSSH, j’essaie de collaborer avec cedernier pour obtenir des réductions de taxe du gouvernementafin de compenser la hausse des salaires. J’investis aussidans la formation de mes travailleuses et dans de meilleuresmachines pour demeurer compétitive. C’est vraiment difficilede maintenir mon entreprise en vie, d’autant que lescoupures de courant durent en moyenne trois heures par jour,ce qui augmente mes coûts de 5%”.

Même son de cloche à Korça, dans le sud-est du pays. Unemployeur qui exporte des vêtements en Grèce a tenté denégocier de meilleurs prix avec ses principaux acheteurs.“J’explique aux acheteurs qu’avec des prix pareils, je ne peuxpayer qu’un salaire de 20.000 leks (160 euros) par mois etque je dois recourir au travail à domicile, mais ils menacentd’acheter en Chine si j’augmente mes prix. Je ne sais pass’ils le feraient car Korça n’est qu’à quelques kilomètres de lafrontière grecque, ce qui facilite la vie de mes acheteursgrecs, mais je ne veux pas prendre le risque de les perdre.J’ai plus de 110 travailleuses sous ma responsabilité”.

Dans cette situation paradoxale où les grands acheteursmondiaux peuvent se permettre d’imposer leurs prix à leursfournisseurs, il est très difficile pour l’employeur d’un payscomme l’Albanie d’offrir un salaire décent à ses travailleurs,ou d’organiser la production en éradiquant tout travaild’enfants. Les autorités albanaises sont elles confrontées àun dilemme en ce qui concerne le travail clandestin àdomicile: d’un côté, les familles ont un besoin vital de cestravaux, de l’autre le travail lourd des enfants est inacceptablemais il est presque impossible de vérifier ce qui se passe àl’intérieur des domiciles privés. La responsabilité sociale desacheteurs est invoquée par tous… Note: Les informations publiées dans cet article sont en partie issues d’une recherche menéedébut 2007 pour le syndicat hollandais FNV sur le secteur du textile, de la confection et de lachaussure en Albanie. Nous avons garanti l’anonymat à nos interlocuteurs afin de les laisserparler le plus librement possible, raison pour laquelle la plupart des noms de travailleurs oud’employeurs cités ont été modifiés ou sont restés vagues.

“ Les enfants quitravaillent tard lesoir à coudre desvêtements ou deschaussures chezeux développentsouvent desproblèmes auxyeux, et ils sonttellement fatiguésle lendemain qu’ilsrisquentd’abandonner àterme leurscolarité.

(Natasha Lubonja,représentante dela confédérationsyndicale BSPSHdans le district deKorça)

Sur 65.000 travailleurs employés dans le secteur du textile, de la confection et des chaussures en Albanie, seuls 10% sont affiliésà des syndicats. “Nous devons faire très attention avant d’organiser un syndicat dans une usine de ce secteur car le taux dechômage est élevé en Albanie, or plusieurs entreprises ont fermé leurs portes ces dernières années pour aller en Bulgarie, enRoumanie ou ailleurs. Les employeurs agitent cette menace de délocalisation internationale si les travailleurs se rapprochent d’unsyndicat”, souligne Eshtem Graci, président du Syndicat indépendant du textile, des vêtements et du cuir d’Albanie.

Un travailleur d’une usine de confection basée à Korça qui sous-traite pour une société grecque témoigne de la peur de sesyndiquer: “Ici, quand on créée un syndicat, l’employeur nous considère comme un ennemi, on peut donc être licencié. Dans notreusine, personne n’a donc le courage d’en créer. Idem pour une grève: notre mentalité permet de l’envisager, mais nous n’en avonspas le courage!” Natasha Lubonja, représentante de la confédération syndicale BSPSH dans le district de Korça, confirme cescraintes: “Parfois, les travailleurs n’osent pas nous révéler ce qui se passe réellement dans leur usine, ils craignent la répression deleurs employeurs car ils savent que nous n’allons pas rester les bras croisés”.“Certains travailleurs ont déjà été licenciés parce qu’ils nous ont fourni des informations sur le travail à domicile, et notammentl’implication d’enfants”, note de son côté Petrit Dajko, président du Syndicat indépendant de l’industrie légère et du textile (membrede BSPSH). Hajdar Kanani, président de la Fédération syndicale du textile, de l’habillement, du cuir et de l’artisanat (membre de laconfédération KSSH), tente lui d’obtenir l’accord de l’employeur avant de contacter ses travailleurs. “Une fois cet accord obtenu, iln’est plus très difficile de convaincre les travailleurs de nous rejoindre”, assure-t-il.

Pénétration syndicale très limitée

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1.400 enfants à l’école grâce aux syndicatsd’enseignantsRe-scolarisation de 450 enfants travailleurs et prévention de l’abandon scolaire de 950 autres. C’est le résultat dela motivation des enseignants qui se rendent au domicile des enfants pour convaincre leurs familles de lesscolariser.

Le travail des enfants n’est pas une conséquenceinéluctable de la pauvreté. En Albanie, l’un des pays les

plus pauvres d’Europe, les syndicats sont en train de prouverque l’énergie et la motivation des enseignants peut ramenersur les bancs de l’école tous les enfants, même les plusdéfavorisés. Leur intervention est simple: lorsque des enfantsne se présentent pas ou plus à l’école, les enseignants serendent à leur domicile et s’entretiennent avec leurs parentsdes raisons de cette non-scolarisation. Ils tentent de trouveravec eux des solutions, de les convaincre de la prioritéabsolue de l’enseignement pour le futur de l’enfant et de lafamille. L’autorité morale dont ils jouissent auprès des famillesaide généralement à convaincre les parents.

Il faut du courage aux enseignants pour se déplacer endehors de leurs heures de travail dans des familles qu’ils neconnaissent pas bien, mais l’accueil est généralement bon.“Lorsque j’arrive au domicile d’une famille, je commencetoujours par demander comment elle va, quelle est leursituation actuelle, etc., souligne Dilaver Lena, un enseignantde 58 ans actif dans la banlieue de Tirana. On m’offregénéralement un café, puis on commence à parler de l’école.Les parents comprennent que je ne fais pas ça pour moi maispour le bien de leur enfant, ils sont donc positifs par rapport àma démarche. Je me renseigne sur la famille avant d’aller lavisiter, j’essaie de savoir si ce sont les parents ou plutôt lesenfants qui dédaignent la scolarité. C’est utile car si ladémotivation vient des enfants, je demande à l’un desmeilleurs élèves de ma classe, Asqeri Peshka, dem’accompagner. Il trouvera plus facilement les mots pourconvaincre un jeune de son âge de revenir à l’école”. Asqriconfirme: “J’explique à quel point la scolarité est importante

pour se construire un futur, pour soutenir sa famille lorsquel’on sera en âge de travailler. Les adolescents me croient plusfacilement car j’ai le même âge qu’eux, je sais comment leurparler”.

La peur que l’on rie de leurs enfants

La pauvreté est souvent avancée comme première excuse parles parents qui n’envoient plus leurs enfants à l’école. “Il peuts’agir d’une fausse excuse, mais il ne faut pas sous-estimerce facteur, explique Dilaver Lena. L’école est gratuite, maiscertains parents sont honteux de ne pouvoir offrir desvêtements décents à leurs enfants, ils craignent que l’on ried’eux à l’école”. Les familles roms, dont la situationéconomique est généralement pire que celle des autresAlbanais, hésitent souvent à envoyer leurs enfants à l’école enraison de ce genre d’inégalités, surtout dans le froid de l’hiver(voir page 7). Les enseignants n’ont pas les moyens d’aiderfinancièrement les parents pauvres, mais ils peuvent trouverquelques astuces pour les soulager, par exemple en leuroffrants des livres de classe récupérés des annéesprécédentes. L’accueil de l’enfant qui revient à l’école est trèsimportant pour l’avenir de sa scolarité. “Souvent, quand unenfant revient en classe, il se sent un peu honteux, timide, ilreste en retrait des autres élèves. Nous préparons donc lesélèves à l’avance afin qu’ils accueillent très amicalement ceuxqui reviennent”.

Les enseignants doivent souvent persévérer, retourner àplusieurs reprises dans une famille pour obtenir un retour del’enfant sur les bancs scolaires. “Je me souviens de deuxfilles qui étaient dans ma classe puis qui ne sont plus venues

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aux cours, poursuit Dilaver Lena. J’ai dû rendre visite à lafamille à six ou sept reprises au cours d’une période de deuxmois avant d’obtenir leur retour à l’école. Elles ont ainsi puterminer leurs études primaires. Je doute cependant qu’ellespoursuivent leurs études au-delà: leurs parents sontoriginaires du Nord-Est de l’Albanie, une région où beaucoupde gens estiment qu’une adolescente dont le corpscommence à se développer ne doit plus aller à l’école… Ilsfont partie de cette catégorie de parents qui n’envoient plusleur fille à l’école en prétextant que le trajet n’est pas sûr, maisil s’agit souvent d’une fausse excuse. Ceci dit, s’il y a vraimentdes craintes pour la sécurité, nous essayons d’organiser unpetit groupe d’enfants qui habitent la même zone et feront letrajet ensemble. Je peux aussi demander à un représentantdes autorités qu’il m’accompagne lors d’une prochaine visitechez les parents afin de les rassurer, de leur garantir unesurveillance de la police, …”.

Des séminaires syndicaux pour réveiller les consciences

Si quelques enseignants ont toujours eu la motivation

d’entreprendre ce genre de démarches, des séminairesorganisés par les syndicats d’enseignants albanais (avec lesoutien du syndicat d’enseignants hollandais AOB) dansquatre districts du pays ont permis de sensibiliser descentaines d’autres. “Ces séminaires ont permis auxenseignants de mieux comprendre le cadre dans lequel sedéveloppe le travail des enfants, les conventionsinternationales à ce sujet, ils ont aussi permis de développerun plan d’actions concrètes pour les enseignants, souligneLavdosh Llanaj, responsable de ce projet dans la région deFieri. J’ai remarqué davantage de motivation de la part desenseignants depuis la fin du séminaire car ils comprennentmieux l’importance de leur rôle, ils voient dans quelledirection nous voulons aller. Nous avons créé des groupesd’intervention au sein des écoles en cas d’absentéismeprolongé d’un élève, ils tirent directement la sonnetted’alarme et se rendent au domicile des parents. Lesstatistiques que nous récoltons sur l’absentéisme oul’abandon scolaire nous donnent par ailleurs plus decrédibilité dans notre lobby auprès des autorités pour qu’ellesviennent en aide à ces enfants”.

Dilaver Lena, 58 ans, est enseignant depuis 36 années auniveau secondaire inférieur. Il est membre d’un grouped’enseignants créé en 2005 par le syndicat FSASH àBathora, dans la banlieue de Tirana, afin de prévenir ledécrochage scolaire des enfants et de ramener à l’écoleceux qui l’ont abandonnée. “Je menais déjà ces activités àtitre individuel avant l’implication du syndicat, mais le groupeque celui-ci a créé suscite une dynamique: davantaged’enseignants réagissent en cas de non-fréquentation del’école, nous avons reçu des formations sur le contexte plusgénéral du travail des enfants, et nous pouvons solliciter plusfacilement l’aide d’autres participants à ces formations,comme des représentants des autorités locales. Lesenseignants ont aussi créé des groupes d’intervention rapidedans les écoles et dans les classes: si l’on remarque qu’unenfant est absent depuis plusieurs jours, ces groupesinterviennent directement, ils décident qui envoyer audomicile des enfants pour voir ce qui se passe. Ca peut êtredes amis de l’enfant, un enseignant, le directeur de l’école,etc. Au niveau de mon école, le groupe d’intervention seconstitue de sept personnes (un professeur, un représentantdes parents et cinq élèves qui ont de grandes qualités desociabilité). Il existe aussi de plus petits groupesd’intervention dans chaque classe”.Dilaver Lena consacre entre trois et quatre heures chaquesemaine à ces activités de suivi des enfants en décrochagescolaire ou en risque de le devenir. “Je ne reçois aucunavantage financier pour cela, mon salaire reste fixé à 20.600Leks (164 euros) par mois, mais je suis très motivé: d’unepart, je trouve que le travail des enfants est inacceptable, orles enfants qui quittent l’école finissent généralement partravailler (vente de cigarettes en rue, lavage des voitures,construction, etc.). D’autre part, lorsque je parviens à fairerevenir un enfant à l’école et qu’il obtient de bons résultats,j’en retire une grande satisfaction, je me sens valorisé entant qu’enseignant”.

“Je me sens valorisé quand je convaincs unenfant de revenir à l’école”

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Au total, plus de 100 enseignants membres des syndicatsd’enseignants FSASH (1) et SPASH (2) ont été directementformés dans ces séminaires. Ils ont ensuite organisé desréunions dans leurs écoles respectives afin de sensibiliserdes centaines d’autres. Ce projet mis en route voici deux ansa permis à 450 enfants albanais de retrouver les bancs del’école, et à 950 autres de ne pas abandonner leur scolarité.Ces derniers étaient dans une situation qui risquait dedéboucher sur leur décrochage scolaire et leurs enseignantsont effectué des démarches auprès de leur famille pour lesinciter à persévérer dans la scolarité.

Les enseignants membres des groupes d’interventions crééspar les syndicats essaient aussi de repérer les enfants qui nesont jamais venus à l’école afin d’essayer de les y attirer.

Le petit Neim Hamzash, 12 ans, était très déçu lors de larentrée scolaire de septembre dernier: son oncle et ses

grands-parents avaient décidé de ne plus l’envoyer à l’école.Cette famille rom habitant la région de Fieri, à environ 80 kmde la capitale (Tirana), ne parvenait plus à payer les quelquesfrais liés à la scolarité de Neim. “Les autres enfants ont deplus beaux vêtements que les nôtres, ils reçoivent aussi del’argent de poche pour acheter quelques friandises, expliquel’oncle de Neim, qui a la charge de six enfants et de deuxneveux. Nous préférerions que tous nos enfants aillent àl’école, mais nous ne voulons pas qu’ils y soient humiliés enraison de notre pauvreté. Il y a une demi-heure de marche etl’hiver, sans vêtement chaud, c’est très dur pour un enfant deparcourir cette distance à pied, le long d’une routedangereuse, or les transports en commun sont trop chers”.

Le cas de Neim est typique de la situation vécue par des

C’est le cas notamment dans la commune de Bathora, situéeen banlieue de Tirana, où une large partie de la population secompose de migrants internes à l’Albanie. Ils ne sont pas tousinscrits auprès de l’administration locale et ne s’intègrent pastous dans les communautés locales, leurs enfants ne sontdonc pas facilement repérés lorsqu’ils ne fréquentent pasl’école. “Des élèves nous signalent parfois qu’ils aperçoiventdes enfants dans ce genre de situation, explique Dilaver Lena.Nous essayons d’entrer en contact avec les parents, parfoisavec le support d’un employé de l’administration qui vient luiaussi s’informer sur ce qui se passe, mais ce sont des casplus difficiles à régler”.(1) La FSASH, Fédération syndicale de l’enseignement et de la science d’Albanie, est affilié à laconfédération KSSH, membre de la CSI.(2) Le SPASH, Syndicat indépendant de l’enseignement d’Albanie, est affiliée à la confédérationBSPSH, membre de la CSI.

dizaines de milliers d’autres enfants en Albanie. Il a cependanteu de la chance: les enseignants de son école avaient assistéquelques mois plus tôt à un séminaire de sensibilisation autravail des enfants organisé par leur syndicat avec le soutiendu syndicat d’enseignants hollandais AOB, et ils avaientensuite créé un groupe d’intervention qui se rend au domiciledes élèves lorsque ceux-ci ne se présentent pas ou plus àl’école. “Nous avons pris contact avec l’association des Roms“Amarodrom”, qui nous a accompagnés lors des visites à lafamille, explique Arpile Bitri, enseignant à Fieri. Son influencemorale est importante et elle fait tout pour que les enfantsroms aillent à l’école. Le budget pour envoyer un enfant de cetâge à l’école de Fieri est d’environ 25.000 Leks (200 euros)par an pour les vêtements et les manuels, et de 500 Leks parjour pour de petites dépenses (friandises, transport, …). C’est

Les enfants roms veulent aussi aller l’écoleLes Roms sont souvent perçus comme des parents indignes qui contraignent leurs enfants à mendier. Passant outreces préjugés, les syndicats d’enseignants montrent que ce n’est pas le manque de volonté mais le poids desdiscriminations qui fait obstacle à l’école.

Photo: Ali Begeja

Page 8: Albanie – Lutter pour garder les enfants à l’école…

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quasiment impossible pour de nombreuses familles de réunirde telles sommes. Après plusieurs visites, nous avonscependant pu convaincre l’oncle de Neim de le renvoyer àl’école en lui offrant des manuels scolaires récupérés del’année dernière. Il est ainsi revenu à l’école dix jours aprèsson abandon”. Neim est très heureux d’avoir retrouvé l’école:“Je voudrais apprendre à bien lire et écrire, c’est importantpour mon avenir. J’aime beaucoup aller à l’école, y voir mesamis, …”.

7 fois plus d’enfants roms à l’école de Fieri

La multiplication d’exemples comme celui de Neim aconvaincu les syndicats d’enseignants albanais à se mobiliserplus largement en faveur d’actions spécifiques auxcommunautés roms, surtout dans la région de Fieri. Ils ont misla pression sur les autorités locales pour qu’elles créent descours de rattrapage pour les enfants roms qui n’ont quasimentjamais connu l’école. Refid Dule, président de l’Association

rom “Amarodrom”: “Sur 400 familles roms établies dans unebanlieue de Fieri, nous n’avions qu’une dizaine d’enfants quifréquentaient l’école de façon régulière en 2002. Ils sont 74actuellement, grâce aux cours de deuxième chance donnéspar des enseignants aux enfants roms qui sont trop âgés pourfréquenter les mêmes bancs que les élèves de première oudeuxième année primaire. Ce sont les autorités locales del’enseignement qui ont créé ces cours, sous la pression denotre association et des syndicats d’enseignants”.

Tout comme lorsqu’ils se rendent au domicile des enfants pourconvaincre les parents de les scolariser (voir page 5), lesenseignants qui donnent ces cours de deuxième chance nesont pas rémunérés pour ces heures supplémentaires. “Mêmesans être payés, je trouve qu’il vaut la peine de consacrerquelques heures par semaine à ces enfants car ils sont trèsdésireux d’apprendre, explique une institutrice de Fieri, AdrianaMema, 26 ans. Je me sens très utile dans mon rôled’enseignante quand je peux leur apporter cette chance”.

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De la décharge… à l’écoleGrâce à l’aide de l’OIT-IPEC, des parents roms envoient leurs enfants à l’école plutôt que de les emmener travailler aveceux sur les décharges.

Dans les grandes villes albanaises, des enfants, seuls ouaccompagnés de leurs parents, trient les détritus dans

les décharges afin de récupérer les matières qu’ils peuventvendre ensuite, un des travaux les plus dégradants auquel lesRoms sont poussés par l’extrême pauvreté. Un petit soutienextérieur suffit parfois à dissuader des parents de les aider età plutôt les placer dans une école. C’est ce qui est arrivé àKorçë, dans le sud-est de l’Albanie, où l’ONG “Ndihmë përFëmjët” (NPF – “Aider les enfants”), soutenue par leprogramme IPEC de l’OIT, est parvenue à convaincre denombreuses familles roms de scolariser leurs enfants. L’aidematérielle apportée sous forme de vêtements pour lesenfants et de nourriture a permis à certaines familles depouvoir renoncer au travail de leurs enfants, au moins pour lapériode scolaire.

Maxime, 38 ans et père de deux garçons âgés de 11 et 12ans, est l’un des parents roms qui ont décidé de donner unechance d’un futur plus heureux à leurs enfants. “Tous lesjours, je pars à 5 heures du matin dans les décharges, jusque

4 heures l’après-midi, afin de récupérer les canettes. Jereçois un dollar par kilo récolté et dans les bons jours, jepeux en récolter deux. J’ai toujours voulu que mes enfantsaillent à l’école car je ne veux pas qu’ils se retrouventcomme moi, à l’âge adulte, avec des difficultés pour lire etécrire. Le problème est que je n’avais pas d’argent pourpayer des vêtements corrects afin que mes enfants aillent àl’école. Maintenant, ils peuvent y aller, et ils nem’accompagnent plus sur les décharges que durant lesvacances scolaires, sauf lorsque NPF organise des activitésrécréatives à leur égard, comme des cours de cirque”.

Maxime et ses enfants ne sont pas tirés d’affaire pourautant: l’amélioration de leur situation économique nedépend que de la poursuite du soutien de NPF, et leurlogement est très précaire. La pièce qu’ils occupent,aménagée dans d’anciens entrepôts, est dépourvue dechauffage et les sanitaires sont partagés avec quatre autresfamilles tout aussi démunies.

Le fils de Mbarime Latifi (26 ans) , de la communauté rom de la région de Fieri, va parfois à l’école. Mais à10 ans, il travaille aussi plusieurs heures par jour dans les décharges.

“Mon fils, Luan, a 10 ans. Il devrait être en 4ème année mais il a raté ses examens à deux reprises, il n’est donc qu’en 2ème.C’est très difficile pour moi de l’envoyer à l’école: en plus des problèmes d’habillement (je n’ai pas assez d’argent pour luipayer des vêtements l’hiver), nous vivons à trois dans un logement d’une seule pièce, ce qui lui complique la tâche lors desdevoirs, et je dois lui demander de rester à la maison lorsque je trouve un travail la journée car il doit alors garder ma fille. Monmari est en Grèce pour travailler, mais il ne peut pas toujours envoyer de l’argent. Mon fils passe donc entre 2 et 3 heures parjour à la décharge de détritus, après l’école, il essaie de trouver des matériaux à recycler pour les revendre, il y va aussipendant 4 ou 5 heures durant les jours de congé. Dans un bon jour, il peut gagner 100 Leks (0,8 euro). Les enseignants etl’Association des Roms viennent me voir pour me convaincre de l’envoyer régulièrement à l’école, c’est mon plus cher souhaitcar je suis allée moi-même jusque la 8ème année, mais dans les conditions actuelles, je ne peux pas nous le permettre duranttoute l’année scolaire”.

“Je ne peux me permettre d’envoyer monfils à l’école toute l’année”