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  ALGÉRIE : LA MACHINE DE MORT [Sélectionnez la date] ALGÉRIE : LA MACHINE DE MORT  Rapport établi par Algeria-Watch et Salah-Eddine Sidhoum , octobre 2003 

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ALGRIE : LA MACHINE DE MORT

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ALGRIE : LA MACHINE DE MORTRapport tabli par Algeria-Watch et Salah-Eddine Sidhoum , octobre 2003

ALGRIE : LA MACHINE DE MORT

ALGRIE : LA MACHINE DE MORTAPPORT T ABLI PAR AL GERI A-WAT CH ET SAL AH -EDDINE SIDHOUM , OCTOBRE 2003

Rapport tabli par Algeria-Watch et Salah-Eddine Sidhoum , octobre 2003

Sommaire

3. Les centres de dtention secrte, de torture et dexcutionsUne premire liste de 95 centresLAlgrie comporte un grand nombre de centres de dtention secrte et de torture dpendant des forces dites de scurit . En fait, dans tous les commissariats de police, brigades de gendarmerie, postes de gardes communaux et de miliciens, et dans plusieurs units de lANP principalement celles des forces spciales , la torture est pratique. Mais ce sont les services du DRS (Dpartement de renseignement et scurit) qui se distinguent particulirement dans les enlvements, les squestrations et les tortures et qui ont caus directement la mort de dizaines de milliers de personnes depuis 1992. Comme on la vu, ces services, tout au long de la sale guerre , ont assur galement la coordination des actions menes par les autres forces de scurit (ANP, police, gendarmerie nationale, milices) dans le cadre de la lutte antisubversive , en pratique principalement dirige contre des civils. Du fait du caractre secret de lorganisation de la terreur dtat et de la difficult collecter les informations fiables, on ne propose ici quune description certainement encore incomplte du dispositif des centres de dtention secrte, de torture et dexcutions extrajudiciaires, description limite sept centres du DRS, ainsi qu trois commissariats et une brigade de gendarmerie. Ces centres figurent parmi les plus importants, mais il en existe de trs nombreux autres, sans oublier ceux sur lesquels il na pas encore t possible de recueillir suffisamment dinformations. Le pays est en effet quadrill (surtout dans lAlgrois) de casernes militaires, brigades de gendarmerie, postes de polices ou de gardes communales par lesquels transitent les personnes arrtes qui y sont systmatiquement tortures avant dtre prises en charge par des agents du DRS sur place, ou dtre transfres dans lun de ses centres. Tous les endroits o est pratique la torture ne sont pas connus, mais les tmoignages de victimes et de militaires et officiers dissidents ont permis de dresser une premire liste de 96 centres (voir encadr ci-aprs). 96 centres de tortures, de dtention et de liquidation * Centres du DRS 1re rgion militaire Alger : CPMI (Centre principal militaire dinvestigations, Ben-Aknoun), Chteauneuf

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(PCO), Centre Antar (Ben-Aknoun), centre dHydra, caserne de Bouzarah, caserne de Bni-Messous, Lido (Bordj El-Kiffan) ; autres centres : Haouch-Chnou (CTRI de Blida), Centre de Boudouaou (Boumerds), Centre dit La Surette (Mda). 2e rgion militaire Centre Magenta (CTRI dOran), Centre de Relizane (rattach au CTRI dOran), Rsidence Colonna Sig (Sidi Bel-Abbs). 5e rgion militaire Constantine : Centre Bellevue (CTRI de Constantine), Mansourah ; Centre de Guelma. * Casernes militaires 1re rgion militaire An-Nadja (Alger), Villa Coopawi (Lakhdaria/Bouira), Dellys (caserne Sonipec), Ouled Assa (Boumerds), El-Milia (Jijel), Larba (Blida), Rouba (caserne Sonacome), TiziOuzou. 2e rgion militaire Oran : Centre des Amandiers, Centre de Tlilet (base militaire). * Commissariats de police 1re rgion militaire Alger : commissariat central, An-Taya, Anassers, Bab El-Oued, Bab-Ezzouar, Baraki, Belouizdad, Bourouba, Cavaignac, Chraga, Dar El-Beida, Doura, El-Harrach, ElMadania (Brigade mobile de police judiciaire), Gu de Constantine, Hussein-Dey, Kouba, Rghaa : Blida : commissariat central, Service de police judiciaire, El-Affroun, Larba, Ouled-Ayach (Brigade mobile de police judiciaire) : Boumerds : Boudouaou, Dellys, Thnia ; Mda : commissariat de Tablat ; Tipaza : Kola. 2e rgion militaire Oran : centre de Dar Al-Beda (caserne des CNS), commissariat central ; Commissariat de Tlemcen. 5e rgion militaire Constantine : commissariat central, Sidi-Mabrouk (ex-ONRB) ; commissariat de Khenchela. * Brigades de gendarmerie 1re rgion militaire Alger : An-Nadja, An-Taya, Bab-Ezzouar, Bab Jdid (Casbah), Baba-Hassan, Baraki, Chraga, Birkhadem, Bouzarah, Dergana, Reghaa, Rouba, Saoula ; An-Defla :

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Bethia ; Blida : Bougara, Meftah, Mouzaa, Ouled-Ayach ; Boumerds : Baghlia, BordjMnael, Ouled-Moussa, Sidi-Daoud ; Tipaza : Hattatba. Djelfa : Messad ; Laghouat 2e rgion militaire Mostaganem : An-Tedls. 5e rgion militaire Mila : Chelghoum El-Lad ; Souk-Ahras : Oualal ; El Tarf : Echatt. * Prisons El-Harrach (Alger), Serkadji (Alger), Berrouaghia, Blida (prison militaire), Tazoult (exLambze), Mers El-Kbir (prison militaire). Les informations qui sont prsentes ci-aprs sur chaque centre et qui sont videmment bien loin dtre compltes et exhaustives sont le rsultat dun dpouillement systmatique des tmoignages de victimes qui ont survcu aprs avoir t dtenues dans certains de ces centres, et des tmoignages de familles de personnes disparues ou victimes dexcutions sommaires aprs y avoir t amenes [1]. Les informations les plus prcises sur le fonctionnement des centres et le rle de leurs responsables ont toutefois t apportes par des militaires dserteurs, anciens du DRS ou de lANP, et des policiers dissidents [2]. Toutes ces informations ont t soigneusement recoupes et vrifies pour ltablissement du prsent rapport (des tmoignages rsums, simple titre dillustration, ont galement t rapports pour certains des centres prsents ici[3]). Dans la perspective de fournir des informations pertinentes aux instances judiciaires qui devront un jour connatre des crimes de guerre et des crimes contre lhumanit commis en Algrie depuis 1988, une attention particulire a t apporte par les auteurs de ce rapport ltablissement des responsabilits : chaque fois que des sources sres le permettaient, les noms des chefs des centres et de leurs suprieurs hirarchiques ont t indiqus, ainsi que la priode o ils peuvent tre considrs, du fait de leurs fonctions (officielles ou officieuses), comme responsables des crimes qui y ont t commis. Pour certains centres et certaines priodes, la liste des responsables en titre reste tablir. Seuls dautres tmoignages et des enqutes complmentaires permettront de le faire.

Les centres du DRSPendant toute la sale guerre , et encore ce jour, les agents des diffrentes branches du DRS ont agi en toute impunit. Ils se rendent frquemment dans les centres des nombreux services impliqus dans la rpression (police, gendarmerie, arme, gardes communales et milices) pour superviser les sances de torture ou enlever les victimes afin de les squestrer dans leurs centres, o ils sont nouveau torturs et souvent assassins. Nous rpertorions ici les principaux centres dpendant des services du DRS. LE CPMI DE BEN-AKNOUN Rattach la DCSA, le CPMI (Centre principal militaire dinvestigation) est situ dans le centre de Ben-Aknoun. Le btiment de dtention est constitu dun grand hall de rception des prisonniers. Face lentre principale, se situent une srie de cellules qui se termine sur sa partie droite par une petite salle dinterrogatoire et de tortures. la droite de lentre du

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btiment se situe la salle principale de tortures, gauche se trouvent les WC sans portes. Croquis du CPMI de Ben Aknoun Le CPMI a t dirig de 1990 mars 2001 par le colonel Athmane Tartag, dit Bachir , surnomm par certains le monstre de Ben-Aknoun . Ce centre sest notamment distingu dans larrestation dopposants civils et leur retournement, alors que sa mission est en principe spcifiquement militaire. Ds le printemps 1992, Tartag a reu linstruction de son chef, le gnral Kamel Abderrahmane, de ne plus remettre les intgristes irrcuprables la justice ; ce qui signifiait clairement carte blanche pour tuer. Mais avant, ils passaient systmatiquement par la torture [4]. Il sensuivit des expditions punitives qui firent entre 1993 et 1994 entre dix et quarante victimes par jour. De vritables escadrons de la mort ont t forms dans ce centre, chargs de poursuivre les islamistes, de les liquider et de terroriser la population[5]. Mais leur mission militaire initiale ne fut pas abandonne. Ainsi, de nombreux militaires suspects de sympathies avec le FIS ont t arrts et dtenus au CPMI de BenAknoun. En particulier, en mars 1992, plus de soixante-dix militaires (dont le plus haut grade ne dpassait pas celui de capitaine), souponns de prparer un coup dtat, ont t arrts, torturs et condamns des peines de prison allant jusqu trois ans. Certains de ces militaires ont t liquids aprs leur libration par les commandos rattachs au CPMI, dautres ont disparu . Ainsi, le sergent-chef Rabah Habib, arrt fin mars 1992, est pass par diffrentes casernes avant dtre transfr au CPMI. Sa squestration a dur trente-sept jours, et il eut subir diffrentes tortures le chiffon et des coups, qui lui causrent une fracture de lpaule. Il rencontra au CPMI de nombreux autres militaires (prs de cent cinquante), qui tous furent transfrs la prison de Bchar. Condamn trois ans de prison et libr en juin 1993, il a t radi des rangs de larme mais approch diffrentes reprises par des officiers du CPMI pour linciter collaborer. Afin dchapper aux perscutions, il a dcid de quitter lAlgrie. Le capitaine Ahmed Chouchane, lui aussi arrt en mars 1992 et condamn trois ans de prison, a t lobjet, sa sortie de prison le 31 mars 1995, dun enlvement par un commando qui lemmena au sige du CPMI. Il y fut accueilli par le colonel Bachir Tartag et le gnral Kamel Abderrahmane, qui tentrent de le persuader de collaborer avec eux en lui demandant de devenir ladjoint, la tte du GIA (Groupe islamiste arm), de Djamel Zitouni, quils lui ont prsent comme un homme contrl par le DRS [6]. Chouchane russit djouer les pressions de ses kidnappeurs et fuir le pays. En 2000, les officiers dissidents du MAOL ont rapport avec beaucoup de dtails les mthodes barbares de tortures pratiques au CPMI[7] (qui ne diffrent pas de celles pratiques dans dautres centres du DRS, Chteauneuf, Haouch-Chnou ou Magenta). larrestation, le sujet est introduit dans la voiture, sa tte est place entre ses jambes pour quil ne reconnaisse pas la destination ; une fois arriv au centre, la voiture est stationne devant la porte de la btisse qui sert de prison. Le sujet est descendu de la voiture et conduit lintrieur avec une cagoule qui est enleve une fois lintrieur. Il est ensuite dlest de tous ses vtements sous des regards humiliants, pour mettre une combinaison militaire aux odeurs nausabondes (du mme modle que celle des mcaniciens, mais de couleur verte), dj utilise par des dizaines de victimes et entache de sang. Gnralement, le nouvel arriv est accueilli par les cris et les supplices dun autre dtenu interrog dans une des salles rserves cet usage. Cest le premier choc que reoit la personne arrte, qui est ensuite soumise aux pires exactions. La suite des vnements dpend toutefois du sort rserv la personne arrte par les chefs du CMPI : selon les cas, les hommes de Tartag chargs de mener linterrogatoire se comportent diffremment, et si le sujet bnficie dune recommandation dune autorit suprieure, cest Tartag en personne qui sen charge.

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ALGRIE : LA MACHINE DE MORTSi cest la mort qui est rserve la victime, les sances de torture commencent immdiatement par des coups, et la combinaison nest mme pas ncessaire. Le cas du commandant Mohamed Abbassa, un officier de la Marine, est un exemple typique : arrt au sige du ministre de la Dfense nationale (MDN) le matin du 5 janvier 1994, il a t transport au CPMI, o il est mort deux jours plus tard. Depuis le premier jour, ce fut Tartag en personne qui soccupa de son cas. Arrt sous le motif de suspicion dappartenance une entreprise terroriste (son nom avait surgi lors dun prcdent interrogatoire avec un autre officier qui osait dire non ), cest bien sr des noms que voulait lui arracher Tartag, aid par un autre officier du CPMI (le lieutenant Mohamed ) qui prenait plaisir torturer des officiers suprieurs, gifles et coups de manche balai pour commencer. Il fut ensuite allong tout nu sur un sommier mtallique et attach par des sangles et arros dun seau deau. Le lieutenant Mohamed lui mit les lectrodes aux pieds puis aux organes gnitaux, Tartag dirigeait lopration et demandait la collaboration sous peine de poursuites de la sance de vrit. chaque fois que le courant tait branch, le lit en entier se dplaait. Et ce qui rendait Tartag plus nerveux tait le silence et la rsistance du commandant Abbassa. Et dans les rares moments de rpit, la seule rponse de Abbassa tait : Vous ne savez pas ce que vous faites lAlgrie, tes-vous seulement conscients ? Le chalumeau, le manche balai, les bouteilles, les fourchettes, toute la panoplie de la torture fut employe par Tartag et son second, et chaque fois que le commandant Abbassa perdait connaissance, Tartag devenait encore plus furieux et le lieutenant tortionnaire tait presque dans un tat de transe. Au soir de la deuxime journe, ce fut un corps mconnaissable, enfl et brl, mme aux yeux, qui rendit lme en murmurant des mots peine audibles. La dpouille neut mme pas droit un enterrement correct Tout comme dans les autres centres de torture, le supplici qui mourrait sur la table o qui tait excute sommairement par la suite tait jete dans la rue. Un nombre impressionnant dhommes a pri dans des conditions atrocement semblables, et chaque fois les corps taient jets pendant la nuit dans la rue comme des chiens que lon abat ; ils avaient quand mme droit une mention dans les colonnes des journaux du rgime : Un terroriste a t abattu durant la nuit

LE PCO DE CHTEAUNEUF Les instructions donnes aux hommes du PCO de Chteauneuf par le colonel Sman taient sans ambiguts aucune et consistaient saffranchir de toutes les rgles juridiques en vigueur, tant au niveau de la lgislation algrienne quau regard du droit international, ainsi quen a tmoign, comme on la dj voqu, lex-colonel Mohammed Samraoui : En mai 1992, lors dune runion Chteauneuf en prsence de nombreux officiers de la DCE et des responsables de lONRB, il [Smal Lamari] nous affirma : Je suis prt et dcid liminer trois millions dAlgriens sil le faut pour maintenir lordre que les islamistes menacent [8]. Chteauneuf est sans doute le lieu le plus tristement clbre de la torture en Algrie o l on broie la personne humaine , selon lexpression dun rescap de ce centre. De nombreux citoyens, venus de toutes les contres du pays, y ont dfil, des centaines de supplicis y sont morts sur le banc de ciment o ils avaient subi la question. Les personnes arrtes sont dtenues au sous-sol : de part et dautre dun long couloir de 1,20 m de large, se situent des cellules numrotes. Initialement, selon la description donne par un tmoin en 1994 (M. Chaachoua), le sous-sol comportait deux cellules de 4 m sur 2 m (accueillant chacune de quatorze trente-cinq personnes, qui ne peuvent ni bouger ni dormir, vu lexigut des lieux), deux cellules de 1,40 m sur 1,40 m (accueillant quatre sept prisonniers ; lune delles est utilise pour la torture), une grande cellule de 6 m sur 5 m (accueillant quarante cinquante personnes) et des cellules secrtes. Dans un tmoignage reu en juillet 2003 dun homme tortur en mars de la mme anne, il est fait tat damnagements rcents : ce tmoin dcrit sa cellule (n 3), situe en face des toilettes, longue de 2,50 m et large d1 m avec un sol en gerflex et des murs en faence sur une hauteur d1,50 m. Il y aurait, selon ce mme tmoin, neuf cellules de chaque ct du couloir.

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De nombreux tmoins (At-Bellouk, Belkheir) rapportent lexistence dune salle principale de torture o se trouve un banc de ciment, sur lequel est allong le supplici, et le matriel ncessaire, dont la ggne. ct de cette salle se trouvent des salles annexes plus petites, o se pratique galement la torture. Lors des annes les plus noires de la rpression, du fait de lexigut des lieux, les trs nombreux dtenus taient aussi menotts et enferms dans les toilettes ou attachs des tuyaux de radiateurs dans les couloirs. Une victime de la torture Chteauneuf (At-Chaouche Mokhtar, de Zeghara) affirme y avoir assist, en janvier 1995, la mort sous la torture dun garon de quatorze ans, dont le cartable avait t jet dans la salle de torture. Toutes les mthodes de torture, des plus primaires aux plus sophistiques, sont utilises. La bastonnade, le tabassage, lpreuve du chiffon et llectricit sont les moyens les plus banals. Sy ajoute lutilisation de matraques et stylos lectriques, du chalumeau et mme de ltau sur la tte. Un jeune homme aujourdhui exil en Allemagne, Mounir, raconte :Jai t tmoin de la mort dun prisonnier qui on avait serr la tte dans un tau jusqu clatement du crne.

Il tait habituel, au cours des sances de torture, que les tortionnaires utilisent des cassettes de ra ou daboiements de chiens pour tenter dtouffer les cris des supplicis. Rachid Mesli, avocat et militant des droits de lhomme, explique en avoir t tmoin lors de sa dtention en ces lieux en aot 1996 :Subitement, des aboiements de chiots. Mais cela dure trop longtemps et les aboiements sont forts. On dirait un enregistrement. Je regarde par louverture de la porte. Un guichet de 15x10 cm environ. Il y a un couloir dun mtre de large environ et des cellules des deux cts. Je ne peux voir distinctement que la cellule en face, lgrement dcale. Des autres, je ne peux voir que la porte. Une tte barbue apparat, puis une autre plus jeune, blonde. Je questionne : O sommes-nous ? Chteauneuf ! Bien sr ! Je le savais Qui tes-vous ? Pas de rponse. Pourquoi ces aboiements ? L, le barbu se pince les oreilles et la langue avec les doigts : Llectricit ! Cest pour quon entende pas quand ils crient trop fort !

Les tortionnaires de ce centre menacent souvent la victime de ramener son pouse, sa mre ou sa fille. Cest le cas de Belhamri dEl Harrach, arrt le 18 juin 1994 :Jai t insult ainsi que les membres de ma famille par les policiers. Ctaient des obscnits indignes. On ma menac plusieurs reprises de ramener mon pouse et ma fille pour les violer devant moi.

Cette menace a t mise excution pour de nombreuses victimes. En octobre 1993, Ahmed Chabha, de Baraki (Alger), a ainsi t sauvagement tortur devant son pouse et sa mre, quon avait ramenes du domicile pour les forcer assister aux sances de tortures. Cest le cas aussi de la famille M., de Bachdjarah (Alger), dont le pre avait t enlev par le DRS le 29 juin 1998, prs du march. Le lendemain, lpouse et les deux filles S. et N. sont arrtes et emmenes Chteauneuf. Elles y seront tortures et subiront des violences sexuelles. Au cours de leur sjour, elles entendront de leurs cellules les cris de leur mari et pre sous la torture. Lune delle, N., rencontrera son pre tran par ses tortionnaires dans le couloir, la barbe arrache et le visage brl au chalumeau. Il mourra sous la torture. Mme les enfants nont pas t pargns par ces images cauchemardesques. Le tmoignage de Mme B. Fatma-Zohra, dAlger, en apporte une preuve. Son mari avait t arrt le 5 septembre 1995. Deux jours plus tard, cette dame prend ses trois enfants de quatre, neuf et douze ans et se rend au centre de Chteauneuf la recherche de son mari. Elle y est squestre avec ses trois enfants durant vingt jours. Lpouse assistera la torture

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de son mari et sera menace de violences sexuelles. Ses enfants seront soumis durant toute la dure de la squestration aux cris des supplicis, dont leur pre. Ils en sortiront perturbs psychologiquement. Kamel B., ancien officier de police qui a travaill Chteauneuf jusquen 1997, dans un tmoignage circonstanci recueilli par Algeria-Watch en 1998[9], a confirm le caractre secret et illgal des oprations de rpression conduites par les hommes du PCO, notamment lors de ratissages des forces combines, police et arme :Le but de ce genre dopration est larrestation de terroristes recherchs par la justice et les perquisitions pour trouver des armes ou des tracts. Les personnes arrtes et recherches sont transfres au service concern, celui qui nous a envoy un avis de recherche et nous ne savons pas ce qui advient de ces personnes. Serontelles tortures, tues, emprisonnes ? Passent-elles par la justice ? Il est certain que dans chaque rgion militaire existent des centres de dtention secrets qui ne sont connus que des agents de la SM dpendants du secteur militaire. Moi, je ne les connais pas, daprs les dossiers que jai vus, je sais quil y a un centre Reggane. [] Cinq mois [dbut 1992] sont passs durant lesquels les abus de la part de la police et de la SM se sont accumuls : des arrestations collectives et arbitraires, la torture systmatique Il y avait des militaires habills en tenue de police qui effectuaient ces arrestations. Il y avait aussi beaucoup de femmes arrtes qui taient transportes dans des centres secrets pour femmes. Mais comme ces affaires concernaient le terrorisme, nous ntions pas mis au secret concernant le sort rserv ces personnes. [] Je pense que les GIA ont t crs par les services secrets. Pourquoi ? Ils savent tout sur notre travail, les pauses que nous faisons, nos codes et nos missions. Jamais un lment de ces groupes qui soit au-dessus de lmir na t arrt. Lors des accrochages que nous avions avec ces groupes, nous avons pu arrter certains de leurs membres. On nous prvient que des spcialistes vont se charger de lenqute et nous ne pouvons plus poursuivre laffaire. En ralit, lordre vient de la SM et nous ne savons pas o ils emmnent les personnes que nous avons arrtes. [] Lorsque les membres de la SM venaient chercher les suspects, ils ne prsentaient pas de papiers de transfert et lorsque nous les exigions, ils nous montraient des cartes du DRS sur lesquels les noms mentionns taient faux. Comment ai-je dcouvert cela ? Jai not certains noms et je me suis rendu au fichier pour vrifier qui ils taient. Ils taient inconnus en tant quofficiers du DRS. Lorsque jen informai le chef de la Sret, il me rpondit quil ne pouvait rien contre les militaires, quils avaient le pouvoir et quil ne pouvait quexcuter des ordres. [] Lorsquon visite les cellules des commissariats ou brigades de gendarmerie Bab-Ezzouar, Leveilley, Bourouba, Badjarah, Chteauneuf, Bab-el-Oued, Antar ou Bni-Messous, on ne peut tre que choqu par la systmatisation de la torture et ltat dans lequel se trouvent les prisonniers. Ils nont plus rien dhumain. Il y a des membres des forces de scurit qui nacceptent pas cet tat des choses et dautres qui torturent mme si on ne leur en donne pas lordre.

En janvier 1998, Robert , un policier qui stait rfugi en Grande-Bretagne un mois plus tt, a racont des scnes de tortures auxquelles il avait assist au PCO :Robert tmoigne de tortures lanne dernire dans linfme centre de police de Chteauneuf : Nous avions amen le prisonnier dans les baraques, en bas par une trappe dans le sous-sol. Il y avait l environ quinze prisonniers dans la salle de torture. Ils avaient tous les yeux bands. Un homme tait en train de pratiquer la torture avec un chalumeau et une paire de pinces. Je lai vu de mes propres yeux. Celui que nous avions amen tait ligot une chelle. Quand il ne voulait pas donner de noms, la police jetait lchelle et il tombait sur son visage. Puis ils utilisrent une bouteille casse. Il y avait aussi une machine pour tirer les torturs. Il a dcrit environ quatre-vingt-dix faons de torturer, dont llectricit avec leau pour augmenter la douleur [10].

La caserne de Chteauneuf est certainement un des centres par lequel sont passes le plus de victimes. Beaucoup dentre elles ont t squestres dans des commissariats de police ou des brigades de gendarmerie avant datterrir Chteauneuf, o les tortionnaires leur arrachent des faux aveux sous la torture.Hocine Abderrahim, trente-neuf ans, universitaire, a t arrt en septembre 1992 Dellys. Gard vue pendant trente jours, notamment Chteauneuf, il y a t tortur de plusieurs manires (technique du chiffon,

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lectricit, perceuse lectrique, bastonnades), ce qui lui a notamment provoqu un traumatisme crnien, obligeant lvacuer en urgence deux reprises sur lhpital militaire. Dans son tmoignage, il rapporte avoir t personnellement interrog par les commissaires Kraa, Tolba et Issouli, devant lesquels il fut frapp par un certain officier Talhi. Il finit par faire les aveux quon attendait de lui. Ceux-ci, films, furent montrs la tlvision algrienne : il y revendiquait lattentat de laroport dAlger, commis le 26 aot 1992. Il a t condamn mort et excut, le 31 aot 1993. Ouarti Mohamed, dix-neuf ans, demeurant aux Eucalyptus (Alger), a t arrt le 11 avril 1993 par des gendarmes son domicile. Dtenu la brigade de gendarmerie de Bab-Ezzouar, il a t ensuite transfr au centre du DRS du Hamiz, puis au centre de Chteauneuf. Sa garde vue a dur huit mois. Il a t tortur de nombreuses manires : chiffon, lectricit, brlures de lanus et du dos au fer souder, enfermement dans un frigo (chambre froide), suspension au plafond durant douze jours, flagellations. Il en a gard une paralysie dfinitive de la main droite et des troubles sphinctriens. Il fut prsent la tlvision, reconnaissant avoir assassin la malheureuse Karima Belhadj aux Eucalyptus. Aprs huit mois de squestrations et de tortures, il fut jet dans la fort et a d regagner son domicile situ plus de 20 km pied. Benmerakchi Mohamed, trente-cinq ans, chauffeur de taxi, demeurant au Climat de France (Bab el-Oued), a t arrt son domicile le 6 avril 1995 2 heures du matin par des ninjas (motif de son arrestation : il tait paru accidentellement dans un documentaire de la BBC, rediffus par Canal + le 17 dcembre 1995, voquant les violations des droits de lhomme par les forces de scurit ). Il a t dtenu six mois Chteauneuf, dont quarante jours de tortures (chiffon, lectricit, bastonnades, suspension au plafond par des menottes), qui lui ont caus des troubles psychiques et une paralysie transitoire des deux mains du fait des suspensions au plafond. Medjnoun Malik, demeurant Tizi-Ouzou, a t arrt le 28 septembre 1999 prs de son domicile, par des hommes arms de la SM. Transfr Chteauneuf, il y a t dtenu sept mois, subissant de nombreuses tortures (bastonnades, chiffon, flagellation) qui ont conduit son hospitalisation, pendant vingt-huit jours, lhpital militaire de Blida. Le 2 mai 2000, il a t incarcr la prison de Tizi-Ouzou.

LE CPO, OU CENTRE ANTAR Le centre Antar, sige du CPO (Centre principal des oprations), est situ Ben-Aknoun, en banlieue dAlger, sous la rive droite de lautoroute de Birmourad Ras, prs du parc zoologique. Il est rattach la DCE et a t dirig dans un premier temps, de 1990 mai 1992, par le commandant Amar Guettouchi, qui joua un rle essentiel dans la mise en place des premiers groupes arms islamistes contrls par le DRS [11]. Aprs sa mort en opration, un intrim de trois mois a t assur par le gnral Smal Lamari lui-mme ; et partir daot 1992, le CPO a t dirig par le colonel Farid Ghobrini, puis, partir de 1995, par le colonel Kamel Hamoud. Le service de police judiciaire du DRS sy trouve aussi. Ce centre sest spcialis dans la torture des membres des services de scurit et de larme souponns de sympathies avec le FIS. Mais de nombreux civils y sont passs aussi (Ali Benhadj, numro deux du FIS, y a ainsi pass sa premire nuit aprs son arrestation en juin 1991). Rares sont ceux qui en sont revenus, ce qui explique la raret des tmoignages. En novembre 1997, un ancien officier du DRS, tmoignant sous le pseudonyme de Joseph , ayant dsert et stant rfugi en Grande-Bretagne en 1995, a donn une longue interview deux journalistes britanniques [12], dans laquelle il expliquait notamment : Jai vu Antar, un centre de torture situ prs du parc zoologique dAlger, un il humain sur une table et dans lequel tait enfonce une fourchette. Jai vu des interrogatoires o les tortionnaires menaaient leurs victimes : Parle ou on viole ta fille. Cette dernire tait peine ge de quatorze ans. Jai rarement pass des nuits de sommeil calmes. Jai eu des cauchemars terribles. Il a dcrit galement des sances de torture llectricit auxquelles il avait assist : On attachait une personne sur un lit sans matelas, en contact direct avec les ressorts et on y faisait passer llectricit. Elle provoquait un mouvement de sifflement ctait tout le corps qui sautait sous le courant lectrique. Sman avait lhabitude daller au centre de torture du Zoo. Et mes collgues disaient : Le chef est l. Il travaille. Ce qui veut dire quil supervisait lui-mme les sances de torture.

Lex-colonel Samraoui, pour sa part, a racont ce quil a vu en juillet 1994 Antar, o il rendait une visite de courtoisie ses anciens collgues (depuis aot 1992, il tait en postePage 8

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en Allemagne) :Jappris alors, ma grande surprise, que parmi les faits darmes de mon ancienne unit figuraient dsormais les assassinats, les disparitions, les excutions extrajudiciaires de prsums terroristes. [] [Jai constat] que les jeunes officiers que javais eus sous mes ordres et qui, deux ans auparavant, taient des adolescents timides taient devenus des monstres , qui pavoisaient lide daller Sidi-Moussa pingler un islamiste arm : ils taient impatients daller larrter et lui faire la peau sil essayait de rsister ! Javoue que je nen revenais pas. taient-ils drogus ? taient-ils conditionns au point de navoir plus aucune considration pour la vie humaine ? Tout ce que je peux dire, cest que ce ntait pas un comportement normal[13].

Mohammed Samraoui rapporte galement que, partir de 1989, les militants islamistes qui staient rendus en Afghanistan pour y combattre taient arrts leur retour en Algrie et emmens au Centre Antar :Ils taient gards vue 24 heures dans les locaux de la police (au commissariat de Cavaignac ou au commissariat central du boulevard Amirouche Alger) avant dtre achemins vers le CPO au Centre Antar, pour un examen de situation approfondi. Aprs plusieurs jours de garde vue au cours de laquelle ils subissaient souvent des tortures lors des sances dinterrogatoires, ils taient, selon les cas, recruts, mis sous surveillance ou carrment arrts[14].

LE CTRI DE BLIDA, OU HAOUCH-CHNOU Le CTRI (Centre territorial de recherche et dinvestigation) de la 1 re rgion militaire, est situ Zabana, au centre de Blida. Il porte deux appellations : Centre administratif Djeridel Mohamed et Centre Bouknit. Il est nanmoins appel communment Haouch-Chnou , qui est en fait le sige du commandement de la gendarmerie nationale Blida, situ sur la route menant la commune de Chiffa, la sortie ouest de Blida. Le CTRI, dans lequel sont affectes plus de 550 personnes, est command depuis lt 1990 par le commandant (puis colonel) Mehenna Djebbar (toujours en poste en 2003), sous les ordres directs de Sman Lamari. Cest sans conteste lun des principaux centres de torture et dexcutions extrajudiciaires du DRS. Dans ce centre se trouvent aussi une compagnie du GIS (Groupement dintervention spciale) et un service de la police judiciaire, qui prte main forte au CTRI. Il est de surcrot une plaque tournante dans le recrutement et larmement des milices de la rgion. Sous la direction de Mehenna Djebbar et de son adjoint le capitaine Abdelhafidh Allouache, dit Hafidh , le CTRI de Blida sest distingu non seulement par la pratique systmatique de la torture, mais aussi par des assassinats dopposants vritables ou prsums, la mise en place descadrons de la mort et la cration de milices. Des dizaines de milliers de personnes y sont passes, et plusieurs milliers dentre elles ont t liquides, surtout dans les annes 1994-1998. Dans les premires annes de rpression, ce centre a coopr de manire trs troite avec le PCO de Chteauneuf, puisque la majorit des dtenus qui passaient par le service charg de la lutte antiterroriste taient ensuite transfrs Blida. Croquis du CTRI de BlidaKhider Mohamed a t arrt son domicile le 2 mars 1994 1 heure du matin par la police de Dellys o il passa la nuit ; puis il a t transfr au CTRI de Blida, o il fut squestr pendant trente-sept jours et a subi de terribles tortures : compltement nu, il a t attach les mains derrire le dos sur une table et il a subi le supplice du chiffon imbib deau sale (contrainte dingurgiter ce liquide infect, alternant avec des pressions sur le ventre pour provoquer le vomissement), pendant des sances rptes jusqu perdre connaissance. Il subit aussi la ggne avec des lectrodes places sur les parties intimes et le lobe des oreilles, puis la pendaison par les parties intimes au moyen dune corde fine, entranant des urines de sang. Quatre dtenus ont t tus sommairement en sa prsence cet endroit. Il sagit de Lamri Rabah, Bentouati Malik, Benchiha Rabah (mari,

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huit enfants) et Rachdi Ali.

Les tmoignages recueillis par Me Mahmoud Khlili, et publis par Algeria-Watch, montrent que ce centre sest notamment spcialis dans la technique de la suspension par le sexe ; et que la victime est souvent accueillie par un officier connu par sa phrase clbre : Ici on ne connat ni Dieu ni Amnesty International, ou tu parles ou tu meures [15] ! . En octobre 1997, un ancien membre des forces spciales de lANP, g de vingt-trois ans, tmoignant sous le pseudonyme de Reda , a racont une journaliste irlandaise [16] comment lui et ses camarades partaient en opration aprs stre drogus :Il y avait un mdecin en uniforme appel Dr Sadek qui nous en donnait [un trange liquide blanchtre]. Nous nous linjections les uns les autres. Cela vous fait sentir comme dans un rve : quand nous tuions des hommes, ctait comme si nous tuions des chats ;

et comment, aprs avoir brutalement arrt seize hommes Sidi-Moussa, en mai 1997, ils les ont conduits Blida :Il y avait une pice spciale o on torturait, appele al-Katela (la pice de la mort). Ctait comme une morgue. Nous disions : Tu as abrit et nourri des terroristes, parle-nous deux ! Nous faisons des trous dans leurs mains et dans leur corps avec une perceuse lectrique, nous brlions leur barbe. Je ne lai pas fait personnellement, mais nous tions un groupe ; mon rle tait de monter la garde.

En 2001, lex-adjudant Abdelkader Tigha, qui a travaill au CTRI de Blida de 1993 1997 (il a dsert en 1999), a expliqu Nord-Sud Export[17] comment, partir de 1993, la police est passe sous le contrle du DRS, chaque CTRI donnant des ordres aux units de police de sa rgion :Ils ont ferm des commissariats, car ils avaient peur des bombes, Mais nous, nous tions des hommes de lombre, nous ne sommes pas un service officiel. On volue sur le terrain avec des voitures et des vhicules banaliss. Rien na chang depuis 1993 jusquen 1997, ctait le mme travail, ctaient les mmes objectifs et ctaient les mmes excutions. La mthode a toujours t la mme : on identifie, on arrte les gens et on les excute. Encore maintenant, si on arrte quelquun, il est assassin, mais sous scnario.

Nord-Sud poursuit : Tigha dcrit ensuite, dans les pages de son cahier, comment ces personnes sont ensuite transfres dans les geles du service et comment se droulent les sances de torture : La nuit suivante, les dtenus sont excuts lintrieur des geles par strangulation avec des sacs de plastique. Tigha indique que, dans une phase prcdente, les dtenus taient excuts par halles (HK silencieux) devant leur domicile, mais que craignant dtre vus, le GIS et la police judiciaire ont prfr, par la suite, jeter, de nuit, les cadavres devant chez eux[18]. Djouaidia Mabrouk, n le 18 novembre 1968, demeurant Ouallel (Souk-Ahras), a t arrt le 8 mars 1997 par la brigade de gendarmerie de Ouallel. Pendant huit jours, il a subi la torture : chiffon tremp dans leau sale, ggne, coups de bton qui lui ont fracass la mchoire. Il a fini par signer un PV sous la contrainte, sans en connatre le contenu. Il a ensuite t transfr au CTRI de Blida, o il a t squestr pendant soixante jours, sans avoir t tortur. En revanche, les cinq amis arrts avec lui nont plus donn signe de vie aprs avoir t squestrs au mme endroit. Il sagit de Ahmed Azzouzi, Abdelkader Azzouzi, Toufik Mahmoudi, Youcef Mahmoudi et Djilali Adelali.

En 2002, Abdelkader Tigha a expliqu galement, avec beaucoup de prcisions, comment les responsables du CTRI de Blida ont manipul les groupes arms islamistes, en particulier le GIA de Djamel Zitouni. Et aussi comment, fin 1993, ils ont cr lOrganisation des jeunes Algriens libres (OJAL), un escadron de la mort compos de membres du DRS et responsables de centaines dassassinats[19]. Ce que confirmera dans son livre lex-colonel Mohammed Samraoui :

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ALGRIE : LA MACHINE DE MORTCest en 1995 que japprendrai la vrit sur lorigine de lOJAL, par un officier ayant fait partie des forces spciales du CCC/ALAS, le colonel Mohamed Benabdallah, qui avait t sous mes ordres en juin 1991 []. Cet officier avait activement particip la chasse aux intgristes la tte dune unit dpendant conjointement du CC/ALAS (donc recevant ses ordres directement du gnral Mohamed Lamari) et du DRS, travaillant en troite collaboration avec le CTRI de Blida. [] Le colonel Benabdallah se vantera devant moi davoir t lun des responsables de lOJAL, escadron de la mort du DRS cr linitiative du gnral Toufik. [] Le colonel Benabdallah ma aussi rvl que le commandement militaire a mis fin aux reprsailles signes sous le nom de cette organisation, car certains officiers taient rticents la poursuite de cette sale besogne et surtout parce que ce travail serait bientt confi aux patriotes et aux membres des groupes de lgitime dfense, que le commandement militaire allait armer et encadrer [20].

LE CTRI DE CONSTANTINE, OU CENTRE BELLEVUE Le CTRI de Constantine, situ dans le quartier Bellevue, a t command jusquen mai 1992 par le colonel Farid Ghobrini (qui a pris alors la tte du CPO de Ben-Aknoun, le Centre Antar). Il a t remplac cette date par le colonel Kamel Hamoud. En 1995, ce dernier quittera le Centre Bellevue pour prendre, son tour, la direction du CPO en remplacement de Ghobrini. Colonel Hamoud a t remplac par le colonel Karim. Les familles de disparus disposent dans certains cas de procs-verbaux de notification manant des services de la police judiciaire de Constantine informant que la personne arrte a t transfre vers le CTRI.Saker Salah, n le 10 janvier 1957, mari et pre de six enfants, professeur de lyce Constantine, militant du FIS, avait t lu au premier tour des lections lgislatives de dcembre 1991. Arrt le 29 mai 1994 18 h 15 son domicile par des membres de la police judiciaire, il a t atrocement tortur, transfr lhpital militaire, puis civil. sa sortie, il a t remis au CTRI de Constantine le 3 juillet 1994 (PV n 848 du 10 juillet 1994 de la police) et depuis, il a disparu. Le procureur gnral qui a reu la plainte de la famille, en juillet 1994, a dclar cette dernire que son parent tait dtenu au CTRI et quil avait t hospitalis suite aux tortures. Seridi Mostepha, trente-huit ans, mari et pre de trois enfants, professeur de collge, demeurant Guelma, a t arrt en 1993 au domicile de sa sur par des membres de lantenne locale du DRS. Il a t emmen dans leur centre Guelma avant dtre transfr au CTRI de Constantine. Laiss sans nourriture, il a t tortur plusieurs reprises durant la nuit (coups de toutes sortes, pinces aux ongles, fil au sexe, ponge deau dans la bouche, lectricit aux phalanges), selon les informations rapportes la famille. Un tmoin aurait affirm ses parents quil serait dcd sous la torture, mais le corps na jamais t remis sa famille.

LE CTRI DORAN, OU CENTRE MAGENTA Le CTRI dOran, antenne principale du DRS dans cette rgion, connu sous le nom du centre de Magenta, a t dirig de 1988 1993 par le colonel Abdelwahab , second par le commandant Boudia Mered. Ces deux officiers sont responsables des principaux enlvements qui ont eu lieu dans la rgion dOran, o ils taient notamment chargs des oprations denlvements, de tortures et de liquidation dopposants. Plusieurs personnes qui ont eu connatre ce sinistre lieu ont disparu ce jour. Aprs Abdelwahab le centre est dirig par le commandant Hamidou qui a partir de 1997 ou 1998 sera remplac par Hamou Belouisa. Ce centre est situ au cur dOran et comporte vingt-cinq cellules dun mtre carr plus trois cellules disolement. Les dtenus sont torturs par six huit agents, souvent sous lemprise des boissons alcoolises et de la drogue pour mener bien leurs interrogatoires pousss. Une spcialit est dintroduire le supplici dans le cercle de la mort , entour par les tortionnaires qui le battent avec du fil lectrique et des btons. Cette opration peut durer toute une journe avec des moments de rpit pour permettre la victime de reprendre connaissance et de rflchir. Autres mthodes utilises : technique du chiffon, ggne, strangulation, sodomisation la bouteille, viols et coups de massue sur les coudes et genoux. Une fois les sances de torture physique termines, les tortionnaires ramnent les

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victimes dans leurs cellules qui se trouvent proximit de la salle de torture. Des jours voire des mois durant, les victimes sont squestres dans leurs cellules exposes nuit et jour la lumire, contraintes dentendre les cris et gmissements des autres torturs. Les dtenus sont squestrs parfois jusqu neuf mois sous le mme rgime, avant, trs souvent, dtre excuts lintrieur ou lextrieur du centre. Le colonel Hamou tait galement responsable du centre des Amandiers, qui se trouve dans les locaux de la 2e rgion militaire, et travaillait en troite collaboration avec les forces de scurit responsables des autres centres de dtention et de torture de la rgion : le centre de Tlilet (situ sur la base militaire), le centre de Dar Al-Beida (caserne des CNS), la prison militaire de Mers El-Kbir et le commissariat central dOran, qui sert essentiellement de lieu de tri et dinterrogatoires pousss avant de livrer les personnes arrtes au centre de Magenta.Mimouna Traba, mre de cinq enfants, demeurant Oran, a t arrte le 19 mars 1996 16 h 15 son domicile, en mme temps que son mari Kaddour et son frre Mohamed, par une dizaine dagents du DRS. Elle a t squestre pendant vingt et un jours la caserne Magenta dOran et torture pendant treize jours (dshabille devant son frre et son mari, lectricit sur les oreilles, la langue et les seins, sodomisation par goulot de bouteille, menace de viol). Son mari Kaddour Belbachir a pass aussi vingt et un jours dans le mme centre, il porte des squelles dues la sodomisation par bouteille. Le frre Mohamed Traba, n le 26 mars 1955, squestr au mme endroit, a t tortur llectricit, et subi des coups de massue sur les coudes et les genoux devant sa sur et son beau-frre. Il est port disparu ce jour. Hocine Rachedi, vingt-huit ans, demeurant Relizane, a t kidnapp le 2 octobre 2002 par trois lments du DRS devant la porte de son domicile. Il a t tortur llectricit au centre du DRS de Relizane durant toute la journe du 2 octobre (ayant entran des brlures du lobe de loreille), avant dtre transfr le lendemain soir la caserne Magenta dOran.

LA VILLA COOPAWI DE LAKHDARIA Situe sur la route nationale n 5 de Lakhdaria (anciennement Palestro, environ soixantedix kilomtres lest dAlger), cette ancienne villa coloniale tait occupe pendant la guerre de libration par les militaires franais, qui y pratiquaient la torture. Elle sera, aprs lindpendance et lre de la rvolution agraire , le sige administratif de la cooprative agricole de wilaya , do son appellation COOP.A.WI. Dbut 1993, elle a t occupe par larme, retrouvant sa fonction coloniale de centre dinterrogatoire et de tortures, contrl la fois par le CLAS et le DRS. La villa, comprenant un rez-de-chausse et un tage, a alors accueilli un dtachement du 25 e rgiment de reconnaissance (25 e RR) et dagents du DRS. Le rez-de-chausse comporte cinq cellules de moins de 2 m2 chacune, pices sombres et humides, sans toilettes, dans lesquelles pouvaient tre entasses prs de huit personnes. Laccs aux cellules est cach. En octobre 1994, le Dr Salah-Eddine Sidhoum a reu un tmoignage dun dtenu de la prison dEl-Harrach, Belhadi Ali, demeurant au village Thameur, qui citait pour la premire fois cette villa de Lakhdaria et les diffrentes techniques de torture quil y avait subies. Il y a t tmoin de la mort de dix citoyens aprs dhorribles tortures, dont Tali Yahia, Kerbouche Arezki et Amrani Ahmed. En fvrier 2001, le sous-lieutenant Habib Souadia, officier du 25 e RR, a racont dans son livre La Sale Guerre les horreurs que subissaient les malheureuses victimes dans cette villa. Il cite notamment le cas de lex-maire FIS de Lakhdaria, Mohamed Yabouche, kidnapp par les agents du DRS prs de la gare de la ville :

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ALGRIE : LA MACHINE DE MORTLe soir, dans ma chambre, situe ltage au-dessus des cellules, jentendais les cris de lhomme qui suppliait ses tortionnaires. Abdelhak et ses collgues taient luvre. Le supplice a dur toute la nuit avant de reprendre la nuit suivante pour se terminer au petit matin. Et ainsi de suite pendant quinze jours. Il ne mtait plus possible de trouver le sommeil [21].

Plus loin, H. Souadia dcrit une sance de torture que pratiquaient ses collgues :En rentrant dans lappentis donnant accs aux cellules pour prvenir un officier du CMI qui tait appel au tlphone, je lai vu avec deux de ses collgues en train de torturer un malheureux : ctait un cadre de lENAD (une entreprise de la zone industrielle de Lakhdaria), qui tait souponn dtre le chauffeur de lmir Omar Chikhi. Il tait attach, entirement nu, sur un banc. Ils lui avaient nou aux pieds des fils lectriques relis une petite dynamo manivelle (du matriel russe normalement utilis pour les tlphones de campagne), quils faisaient fonctionner pour lui envoyer des dcharges. Je les ai vus aussi utiliser dautres procds : il tait battu violemment avec de longs gourdins, o encore, ils lobligeaient absorber des quantits invraisemblables deau mlange de Javel ou dautres produits dtergents. Cet homme est mort sous la torture au bout de quatre jours[22].

Les commissariats de policeDans la plupart des commissariats, la torture est pratique. La police dpend en principe de la DGSN (Direction gnrale de la sret nationale), qui a t dirige par Mhamed Tolba de mai 1991 juin 1994, puis par M. Ouadah, remplac le 20 mars 1995 par Ali Tounsi, toujours en poste ce jour. Ces responsables nont jamais engag la moindre poursuite contre les policiers tortionnaires, quils ont donc couverts en toute connaissance de cause. Dans la pratique, on la vu, la police participe la lutte antisubversive sous le contrle du DRS. Cest le cas en particulier dans trois commissariats importants o la torture est systmatique : celui de Bourouba (dans la banlieue dAlger) et, Alger mme, le commissariat central et le commissariat de Cavaignac. LE COMMISSARIAT DE BOUROUBA Situ dans le quartier populaire de Bachdjarah Alger, ce centre restera grav durant longtemps dans la conscience collective de la jeunesse de la rgion comme symbole de la terreur et de la dchance humaine. Sige de la 5e Brigade mobile de police judiciaire (BMPJ), ce commissariat a t dirig par le chef de brigade Ouled Ami Boualem qui a t tu le 22 juillet 1995. De nombreuses personnes y sont dcdes sous la torture. Ce commissariat comportait initialement deux cellules quinze vingt dtenus sentassaient dans chacune delles. En 1994, le commissaire a amnag un bureau isol en cellule de dtention des femmes et un autre bureau comme chambre coucher, o il violait les femmes dtenues et sodomisait les mineurs. Ces faits taient connus ds 1994, par plusieurs tmoignages. En octobre 1994, Le Dr Sidhoum a ainsi reu un tmoignage dun groupe de dtenus de la prison dEl-Harrach, victimes de supplices de ce commissaire. Parmi eux, Hakim Benslimane, arrt le 12 juillet 1994, squestr et tortur pendant soixante-dix jours, qui a expliqu :Yousfi Nadir tait le plus jeune parmi nous. Il avait dix-neuf ans. Cest lui qui a subi les tortures les plus atroces. Les tortionnaires ont utilis avec lui llectricit sur les parties sensibles de son corps. Le plus grave, cest quil a t sodomis par le commissaire en personne, le nomm Ouled Ami Boualem, qui paraissait tre, vu son excitation et le plaisir quil prouvait, un vritable obsd sexuel. Ce ntait pas la premire fois. Il faisait cela chaque fois quil y avait des jeunes.

Le viol semble une pratique routinire de lquipe de Bourouba. Le mme groupe de dtenus rapporte que lune des femmes dtenues a t viole en notre prsence au deuxime

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tage. Lauteur du viol est un inspecteur de police qui tait ivre ce jour-l .Nacra Lazreg, ne le 11 avril 1961, mre de six enfants, a t arrte son domicile El-Harrach le 6 dcembre 1994 minuit par des policiers du commissariat de Bourouba. Ils linforment de la mort de trois hommes, abattus par eux-mmes, dont son mari recherch, Mahfoud Koudri ; elle doit les accompagner pour lidentifier. Plus tard, la famille a appris par des tmoins que Nacra avait t torture sauvagement pendant prs de trente jours, entre autres par le commissaire Ouled Ami lui-mme. Finalement, elle aurait t excute et sa dpouille aurait t jete la dcharge publique de Oued-Smar, o elle fut retrouve avec dautres cadavres. Elle fut emmene la morgue de Bologhine et enterre sous linscription X-algrienne .

En juillet 2000, Algeria-Watch a publi une lettre ouverte de Abdelkader Reba, un officier de police affect dans ce commissariat en juin 1994 comme adjoint au chef de brigade. Il y a travaill pendant trente-quatre jours, avant dtre arrt cause dun rapport quil avait rdig sur la situation dans ce commissariat et une affaire de vol de vhicule.Javais dcouvert dans les deux cellules de la brigade entre quinze et vingt dtenus dans chacune delles, en plus dun bureau isol amnag par le chef de brigade Ouled Ami Boualem en cellule spciale pour les femmes dtenues []. Il mapparut galement de ltat des dtenus quils taient en garde vue depuis une trop longue priode, comme il me sera rvl la suite de leur interrogatoire ; la plupart dentre eux furent arrts plus de quatre mois. [] Les dtenus mapprirent encore quils ntaient nourris quune ou deux fois par semaine, avec pour menu invariable du pain et de leau. [] En plus de ces ralits, et sur la base des questions que javais poses tous les dtenus, il mest apparu que la plupart dentre eux ont t victimes dagressions sexuelles commises par lofficier de police Ouled Ami Boualem, alors mme que la quasi totalit des dtenus sont mineurs ou encore que leur ge se situe entre dix-huit et vingt ans. La mme chose pour les femmes dtenues dans le bureau spcialement amnag en cellule par le chef de brigade mobile qui en gardait personnellement la clef. Le seul tort de ces femmes tait quelles taient pouses, surs ou filles de terroristes[23].

LE COMMISSARIAT CENTRAL DALGER Situ boulevard Amirouche, en plein centre dAlger, le commissariat central comporte plusieurs cellules de dtention et salles de tortures, dans les sous-sols du btiment. Depuis 1988, il a t avec le PCO de Chteauneuf, le sige de la BMPJ dEl-Madania, les commissariats de Cavaignac et de Bourouba lun des centres de tortures les plus actifs de la capitale. Le Pr Moulay Mohamed Sad, squestr et tortur en juin 1994 dans ce commissariat, raconte y avoir retrouv sur les murs des inscriptions dAlgriens dtenus et torturs par les Franais pendant la guerre de libration. Des milliers dAlgriens connaissent les sous-sols de ce commissariat, ses cellules crasseuses et humides et ses salles de torture aux murs ensanglants. Des dizaines de citoyens y ont laiss la vie sur les bancs du supplice. Comme dans de nombreux autres commissariats, des officiers du DRS supervisent les interrogatoires et tortures. Outre les classiques preuves du chiffon et de la ggne, des actes inhumains y sont pratiqus. Le Dr Noureddine Lamdjadani, squestr et tortur dans ce commissariat partir du 17 mai 1994, relate :Au niveau des geles du commissariat central, jai eu connaissance de cas de tortures qui dpassent limagination : un jeune homme a eu le tibia dcoup la baonnette ; un autre, attach une chelle et prcipit terre plusieurs reprises jusqu avoir le crne fl, do scoulait un liquide visqueux, dautres encore avaient reu des coups de ciseaux la tte. Bouamama Nourreddine, quarante-deux ans, mari et pre de quatre enfants, a t arrt le 23 septembre 1992 2 heures du matin son domicile par des ninjas. Dtenu vingt-deux jours au commissariat central dAlger, il a t tortur de nombreuses manires (lectricit, technique du chiffon, bastonnades, arrachage de dents par tournevis, arrachage de la peau par pinces), provoquant un dme gnralis. Transfr la prison dElHarrach, il a ensuite t condamn mort par le tribunal dexception dAlger. Lafri Khaled, chirurgien, demeurant El-Harrach (Alger), a t arrt le 7 juin 1994 son domicile par des

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ALGRIE : LA MACHINE DE MORTpoliciers. Dtenu au commissariat central dAlger pendant quarante jours, il a subi des tabassages, des flagellations et le supplice du chiffon. Transfr la prison dEl-Harrach puis de Serkadji, il sera condamn trois ans de prison (il a t libr en juillet 1997 aprs avoir purg sa peine). Yousfi Nadir, dix-neuf ans, lycen, demeurant Badjarah, a t arrt le 12 juillet 1994 son domicile par des policiers. Dtenu pendant soixante-dix jours au commissariat de Bourouba puis au commissariat central dAlger, il a subi diverses tortures (lectricit, bastonnades, tentative de sodomisation par le commissaire).

LE COMMISSARIAT DE CAVAIGNAC ALGER Sige de la police dite judiciaire, le commissariat de Cavaignac est situ rue Hocine-Asselah, Alger, prs de la Poste centrale. Il a t le lieu de nombreux actes criminels commis contre des citoyens arbitrairement arrts et squestrs. L galement, de nombreux cadavres en sortiront pour tre enterrs furtivement, de nuit, sous ltiquette de X Algrien , selon de nombreux tmoignages de policiers ayant fui ces horreurs. Son sous-sol est constitu de deux salles barreaudes et de quatre cellules. Une sorte de garage fait fonction de salle de torture. Les mthodes classiques de torture y sont pratiques (chiffon, tabassage, bastonnades, lectricit, suspension par les pieds au plafond).Kazi Abdennacer, vingt-sept ans, tailleur, demeurant la cit de Diar El-Mahoul (Alger), a t arrt le 27 octobre 1992 3 heures du matin par des civils arms et cagouls. Dtenu pendant onze jours au commissariat de Cavaignac, il y a subi de nombreuses tortures (bastonnade, arrosage par eau froide, coups avec chaise mtallique, simulation dexcution avec pistolet sur la tempe, technique du chiffon, clous enfoncs dans le corps et relis du courant lectrique, brlures par des mgots de cigarettes, crachats, simulacre dexcution) qui lui ont notamment provoqu un traumatisme crnien. Il a t incarcr le 5 novembre 1992 la prison dEl-Harrach.

En octobre 1997, une ancienne policire ge de trente ans, Dalilah , rfugie Londres, a racont au journaliste britannique Robert Fisk les horreurs dont elle avait t le tmoin Cavaignac[24], o elle tait affecte :Ils excutaient des gens de 11 heures du matin jusqu la nuit, des gens qui navaient rien fait. Ils disaient simplement : Cest un terroriste , et lhomme tait tu.

Elle a racont Robert Fisk comment, en quelques mois, au moins mille hommes ont t torturs, au rythme de quelque douze par jour.Il y avait des prisonniers qui pleuraient et qui disaient : Je nai rien fait, jai le droit de voir un mdecin et un avocat. Quand ils disaient cela, ils recevaient un coup de poing sur la bouche. Souvent ceux qui taient soumis au supplice de leau mouraient : leur estomac tait trop distendu par leau ; parfois, pendant ce supplice, les tortionnaires leur enfonaient aussi un goulot dans lanus. [] Ce sont les chefs policiers qui donnaient lordre de torturer je pense quils donnaient ces ordres par tlphone, mais ils nutilisaient pas le mot de torture , ils lappelaient nakdoulou eslah, traitement spcial . Souvent les hommes mouraient sous la torture. [] Jai d signer des certificats pour faire croire quil sagissait de cadavres trouvs dans la fort. [] Jai dit lun de mes chefs, Hamid : Vous ne devez pas faire ces choses-l, car nous sommes tous des musulmans ; il devrait au moins y avoir des preuves contre ces gens-l avant que vous les tuiez. Il ma rpondu : Ma fille, tu nes pas faite pour la police. Si tu souponnes quelquun, tu dois le tuer. Cest en tuant des gens que tu obtiendras une promotion. Les sances de torture se droulaient dans un parking au sous-sol du commissariat. Tous les policiers devaient frapper les prisonniers avec leur Klach. Certains prisonniers devenaient compltement fous aprs avoir t torturs. Tous ceux qui taient conduits Cavaignac taient torturs environ 70 % des policiers voyaient tout a, ils participaient

Des citoyens torturs seront laisss sans soins. La mme inspectrice relate [25] :Au sous-sol, sept hommes moiti nus, dont un vieillard, taient terre dans une flaque de sang. Ils ont dabord eu peur de moi, puis lun dentre eux ma montr son bras : il tait horriblement brl, il avait presque un trou.

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Certains mourront, suite aux supplices subis. Sari-Ahmed Mahfoud, professeur de mdecine, arrt par la police le 2 mai 1993 sur son lieu de travail lhpital de Banem (Alger), a t dtenu douze jours Cavaignac, o il a t tortur (coups de poing, chiffon, arrosage du corps par eau froide, simulation dexcution par arme feu). Acquitt par le tribunal dexception dAlger aprs six mois de dtention prventive la prison dEl-Harrach, il a tmoign :Je tiens enfin signaler que durant ma dtention Cavaignac, un jeune citoyen g de vingt-quatre ans, originaire de Staoueli, est mort sous la torture. Il a agonis durant deux jours et a rendu lme le mardi.

Ce commissariat sera ainsi le lieu de nombreuses excutions sommaires de citoyens, tus aprs avoir t sauvagement torturs. L galement, de nombreux cadavres en sortiront pour tre jets dans la rue ou enterrs furtivement de nuit sous ltiquette de X Algrien selon de nombreux tmoignages de supplicis. Lex- inspectrice poursuit[26] :Presque chaque nuit, vers 11 heures, un prisonnier, parfois deux, est excut puis jet dehors. Aprs on dit quil est mort dans un accrochage. Dautres sont abattus pendant les transferts.

Les brigades de gendarmerieLa gendarmerie, partie intgrante de larme algrienne, est tout aussi implique dans la lutte antiterroriste . Aprs le coup dtat de janvier 1992 et le dclenchement de la rpression, des units spciales de gendarmerie sont intgres dans toutes les structures nouvellement cres. Elles sont oprationnelles dans diffrents centres, tel le PCO de Chteauneuf, ou au sein des forces combines dunits spciales de la police, arme et gendarmerie sous le commandement du CLAS. De plus en plus, cest le DRS qui va contrler les activits de la gendarmerie, comme le confirme la composition de sa direction : le gnral Benabbs Ghezael, chef de la gendarmerie de 1989 mars 1995, fait partie du quarteron de gnraux qui ont organis le coup dtat et la terreur qui a suivi. La gendarmerie est ensuite dirige par le gnral Brahim Fodhil Chrif (rput trs proche du gnral-major Mohamed Lamari) jusquen juillet 1997, puis par Tayeb Derradji, parfois prsent comme partisan du dialogue avec les islamistes. Finalement, en fvrier 2000 (au moment de llection dAbdelaziz Bouteflika la prsidence de la Rpublique), cest Ahmed Boustela qui prend le commandement de la gendarmerie. Traditionnellement implante surtout en priphrie des villes et en campagne, alors que la police est prsente dans les villes, la gendarmerie semble avoir agi dans les premiers mois de manire un peu plus autonome, avant dtre, une fois le dispositif de lutte antiterroriste mis en place, totalement assujettie au DRS. Sur le terrain, cela sest traduit par des oprations sous forme de forces combines (police, arme et gendarmerie) ou par le contact troit avec les officiers du DRS venant dans les gendarmeries interroger les suspects ou les transfrer dans leurs centres. Les ONG de dfense des droits humains disposent de nombreux tmoignages de victimes denlvements et squestration dans les locaux des brigades de gendarmerie. LA BRIGADE DE GENDARMERIE DE AN-NADJA (BIRKHADEM) Nous disposons de plusieurs tmoignages de personnes passes par cette gendarmerie. Ce qui semble la distinguer, cest le fait que les victimes qui y ont t emmenes y sont restes parfois pendant des mois, comme oublies par le personnel. Vu sa proximit de ltat-major des forces armes et les nombreux officiers du DRS en fonction dans ces lieux, ces derniers pouvaient se rendre facilement dans la gendarmerie. Croquis de la gendarmerie de BirkhademPage 16

ALGRIE : LA MACHINE DE MORT

Djemaoune Abdeslam, vingt-sept ans, restaurateur, a t arrt dans la rue le 18 mars 1994 13 heures, par des gendarmes et jet dans une salle sombre o, aprs quon lui a band les yeux, il a t tortur llectricit au niveau des doigts et du sexe. En mme temps, il recevait des coups quil ne pouvait viter. Cette torture a dur pendant une heure et les sances se sont rptes pendant une semaine environ. Puis il a t incarcr dans une cellule pendant plus de cinq mois, rong par les poux et la salet et ne recevant que tous les quelques jours un croton de pain. Attachs pendant plus de trois mois avec des menottes, ses poignets se sont infects du fait de la strangulation. Allache Tahar, instituteur, a t arrt le 1er avril 1994 suite un ratissage effectu dans son quartier. Jet dans une cellule sombre et sale sans aucune aration, il a t rgulirement bastonn et a subi des tortures par brlures de cigarettes, coups assns avec des barres de fer, sans connatre les raisons de son arrestation. Il a t incarcr dans ce lieu plus de quatre mois. Souvent, il a t oubli en raison du nombre darrestations qui sopraient chaque jour. Il lui tait interdit de se rendre aux WC, ce qui lobligeait se soulager dans la cellule. Finalement impliqu dans une affaire de terrorisme laquelle il tait entirement tranger, il a t prsent la justice et incarcr la prison dEl-Harrach. Abderrahmane Mosbah a t arrt et incarcr une premire fois en mars 1992 et dport dans un camp dinternement. Une fois libr, il a t de nouveau arrt son domicile en 1993 et emmen la brigade de gendarmerie de An-Nadja. Tortur au chiffon, il a t sodomis avec un bton. Enferm dans une cellule, il ntait pas autoris aller aux toilettes et il a t priv de nourriture et deau. Ayant pass quarante jours dans ces lieux, il comptait les jours. Pourtant il narrive pas reconstituer la priode entire.

[1] Voir notamment les rapports publis sur le site Algeria-watch cits en annexe. [2] Voir supra, note 2, les rfrences de ces tmoignages. [3] Sources : Me Mahmoud KHLILI, La Torture en Algrie (1991-2001), op. cit. ; COMIT ALGRIEN DESMILITANTS LIBRES DE LA DIGNIT HUMAINE ET DES DROITS DE LHOMME, Livre blanc contre la rpression en Algrie, tome I, Hoggar ditions, Genve, 1995.

[4] Voir Mohammed SAMRAOUI, Chronique des annes de sang, op. cit., p. 200. [5] Ibid., p. 201. [6] Voir le tmoignage prcit de Ahmed Chouchane. [7] MAOL, Affaires des gnraux , . [8] Mohammed SAMRAOUI, Chronique des annes de sang, op. cit., p. 162. [9] propos de terrorisme , . [10] John SWEENEY, Atrocits en Algrie : Nous tions les meurtriers qui ont tu pour ltat , The Observer,11 janvier 1998.

[11] Voir Mohammed SAMRAOUI, Chronique des annes de sang, op. cit., p. 172 sq. [12] John SWEENEY et Leonard DOYLE, Algerian regime responsible for massacres : Algeria regime wasbehind Paris bomb , Manchester Guardian Weekly, 16 novembre 1997.

[13] Mohammed SAMRAOUI, Chronique des annes de sang, op. cit., p. 196. [14] Ibid., p. 90. [15] Me Mahmoud KHLILI, La Torture en Algrie (1991-2001), op. cit.

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[16] Lara MARLOWE, Ex-army man saw villagers being murdering , The Irish Times, 30 octobre 1997. [17] Algrie : les rvlations dun dserteur de la SM , Nord-Sud Export, loc. cit. [18] Ibid. [19] Algrie. Dossier politique , Nord-Sud Export, loc. cit. [20] Mohammed SAMRAOUI, Chronique des annes de sang, op. cit., p. 203-205. [21] Habib SOUADIA, La Sale Guerre, op. cit., p. 108. [22] Ibid., p. 109. [23] Lettre ouverte de M. Reba propos de laffaire Taiwan , 1 er juillet 2000, .

[24] Robert FISK, Massacres in Algeria : strong evidence for Military Security responsability , TheIndependent, 30 octobre 1997.

[25] Algrie : une femme-flic raconte la sale guerre , Libration, 22 juin 1995. [26] Ibid.

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