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7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique
1/23
Romantisme
Alphonse de Lamartine : l'isolement . Essai d'uneinterprtation socio-smiotiqueErich Khler
Citer ce document Cite this document :
Khler Erich. Alphonse de Lamartine : l'isolement . Essai d'une interprtation socio-smiotique. In: Romantisme, 1983,
n39. Posie et socit. pp. 97-118.
doi : 10.3406/roman.1983.4666
http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1983_num_13_39_4666
Document gnr le 20/10/2015
http://www.persee.fr/collection/romanhttp://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1983_num_13_39_4666http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1983_num_13_39_4666http://www.persee.fr/author/auteur_roman_1236http://dx.doi.org/10.3406/roman.1983.4666http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1983_num_13_39_4666http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1983_num_13_39_4666http://dx.doi.org/10.3406/roman.1983.4666http://www.persee.fr/author/auteur_roman_1236http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1983_num_13_39_4666http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1983_num_13_39_4666http://www.persee.fr/collection/romanhttp://www.persee.fr/7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique
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Erich KHLER t
Alphonse
de Lamartine
: "L'Isolement".
Essai d'une interprtation
socio-smiotique
"En
dcrivant ce qui est, le pote se
dgrade
et descend au rang de
professeur; en racontant
le
possible,
il reste fidle sa fonction; il
est
une me collective qui interroge,
qui pleure, qui
espre et
qui
devine quelquefois.
Charles
Baudelaire
Dans
la
prsente
tude, nous
nous
consacrerons
exclusivement
un pome, pome clbre,
qui
comme chacun sait,
annonce
l'apoge
du lyrisme
romantique.
Le
sous-titre
prcise l'orientation
mthodologique de cette tude
qui
prend
son dpart
dans
la
question suivante :
une
sociologie de
la
littrature historico-dialectique
et
idocritique
peut-elle
obtenir
des rsultats
dans
un genre
qui
a pour
c r ctristique
constituante
d'liminer
jusqu' la
dernire trace, le rapport entre
la
ralit historique et sociale
et
l'oeuvre
d'art
?
Il
est depuis
longtemps
manifeste que jusqu' prsent, la sociologie
de
la littrature
ne s'est consacre principalement
qu'aux
genres
mimtiques
et
a
prudemment laiss de
ct la posie.
Ses rares incursions
en
ce
domaine
ont
bien
t
couronnes
de succs, mais elle
se
rduisent rgulirement
une critique
de
fond.
Il est loin de
ma
pense de vouloir ngliger,
voire ddaigner
une
critique de
fond, mais
mon
avis,
cette
restriction prive
inutilement la
sociologie de
la
littrature
d'une vaste
sphre
de connaissance, celle de
la dimension
esthtique,
qu'il
sera
indispensable de
prendre en considration si une hermneutique matrialiste
ne veut pas se condamner pour tous les temps rester inacheve.
Je rappelle une parole
de
Georg Lukcs : "Ce qui est social, dans
la
littrature,
c'est la
forme
(1) ,
parole audacieuse,
et nous pouvons
dire
que la recherche en
sociologie de
la
littrature a
dj dmontr
qu'elle
se
laisse
appliquer avec
succs
dans
de
vastes
domaines
de
la
littrature narrative et dramatique. Mais
qu'en est-il
de
la posie
lyrique,
particulirement
celle de
l're moderne,
qui
apparat
avec
le
romantisme
?
Deux
citations de thoriciens comptents suffiront
pour nous
dmontrer
l'ampleur des difficults
que nous
rencontrons
alors. Lukcs, que nous avons
cit prcdemment, crit
dans
sa
clbre Thorie
du
roman :
(1)
Dj crit
en
1901,
voir
G.
Lukcs,
Schriften
zur
Literatur
soziologie,
ausgew.
u.
eingel. von
P.
Ludz, Neuwied
aud Spandau, Luchterhand, 3
1968,
p. 71.
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Erich Khler
"La posie est en droit d'ignorer
que
la premire
nature
est devenue pour
nous un ensemble
de
phnomnes
et, fort de
cette
ignorance, de
s'inventer
une
mythologie protiforme de la substantiate
subjective;
pour
elle
n'existe
que le
grand instant o s'ternise
soit
l'unit signifiante de la
nature
et
de l'me, soit leur
dualit galement
signifiante, la solitude, ncessaire et
accepte
de
l'me
:
arrache
la
dure
indiffrente,
dtache
du multiple
et
de son dterminisme confus, l'me, cet instant
lyrique, fige
sa plus pure
intriorit en
substance, et
la nature, trangre et
inconnaissable,
se
mue
en
un
lumineux symbole,
par
la force
de l'intriorit [...]
dans le
lyrisme
seulement, le sujet qui
soutient cette exprience devient l'unique porteur
du
sens,
l'unique
ralit
vraie
(2)."
Quand l'instant lyrique prend forme cependant, o retrouvons-nous
dans
l'oeuvre
cette seconde nature
que
Lukacs oppose
la
premire,
le
monde
des
conventions, le "milieu cr
de
la main
de
l'homme",
qui
pour l'homme
"n'est
plus un foyer", mais une "prison",
la
nature o rgne
"la
ptrification
d'un complexe
de sens devenu
tranger,
inapte dsormais
veiller l'intriorit", "ossuaire d'intrioritsortes"
(3)
?
Rpondons en premier lieu
avec
Th. W. Adorno
: "II
n'est rien dans l'art, mme
dans
le plus sublim
qui
ne
prenne
sa
source
en
ce
monde; et rien
de ce monde n'y reste
inchang
(4).
C'est encore
chez
Adorno, dans son
"Discours
sur la posie
et
la
socit"
que nous trouvons
une autre
citation
d'importance
pour
notre
question
:
Mais cette ide, l'interprtation
sociale
de la posie,ne doit pas, ce
qui
est d'ailleurs
le
cas pour toute oeuvre d'art [...]
rduire
le sens
de l'oeuvre
ce
qu'on appelle la situation de
classe
ou la position idologique de
l'oeuvre
ou
de
l'auteur.
Elle
doit
plutt
rendre
compte
de
la
socit
comme
un
Tout
qui
transparat dans
l'oeuvre
d'art
sous
la
forme
d'une
unit
en
contradiction
avec elle-mme;
en
quoi l'uvre d'art lui reste soumise,
en quoi elle la
dpasse (5)."
Quelques
lignes plus bas,
nous lisons :
"Sa
subjectivit
purifie
(de
la cration lyrique ),
ce qu'elle
exhale de
continu et d'harmonique
tmoigne du
contraire,
de la souffrance due
l'existence
alinante comme de son attachement son gard - mme
son harmonie n'est
en
fait rien d'autre
que
la
communion d'une
telle
souffrance
et d'un tel attachement
(6)."
Il
n'est
de
secret pour personne
que
Lukacs
et Adorno
s'entendaient
comme
chien
et
chat
(7),
mais
leurs
opinions
concernant
le
(2) Die Thorie des Romans. Ein geschichtsphilosophischer
Versuch
iiber
die
Formen der grossen Epik, 2me d. Neuwied, Berlin-Spandau,
Luchterhand,
1963,
p. 60-61. Texte
franais
d'aprs Georges
Lukacs.
La thorie du Roman,
trad.
p.
Jean Clairvoye, Genve, Droz, 1963, p.
56-57.
(3)
Ibid. p. 62, d.
franaise,
p. 58.
(4) sthetische
Thorie,
Frankfurt
a. M.,
Suhrkamp, 1970,
p. 209.
(5)
Dans
Th.
W.
Adorno, Noten zur Literatur, Frankfurt,
Suhrkamp,
1958,
p. 76.
(6) Ibid., p. 80-81.
(7)
Ce
n'est
pas
le
lieu
ici
d'expliquer
les
causes
et
la
nature
de
leurs
diffrends,
voir
ce propos N. Tertulian, Georges
Lukacs,
Le Sycomore, 1980, p. 184, et suiv.
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Erich Khler
pratique, si
elle veut apprhender
la
dimension esthtique.
Offre-telle ses services d'elle-mme
indpendamment
de sa tendance
se
prsenter comme super-science ? On a toute raison d'tre optimiste
quand
Algirdas
J. Greimas parle
d'une "socio-smiotique
discursive"
(10)
et
quand
Csare
Segre
assure
que
:
La
smiotique
permet
[...]
de placer correctement le
problme
des rapports entre ralit et
littrature,
et
par suite mme
celui
d'une interprtation
sociologique
du fait littraire [...]
(11) .
La sociologie
de
la littrature aussi a dj
montr
la
voie
d'une
synthse
mthodique. Peter
V.
Zima
n'a pas
tort
quand il
crit : "II
manque la sociologie de la
littrature
une
thorie
critique
du texte
qui
serait
en mesure
de
dcrire et
de
critiquer aussi bien le texte
fictionnel que
les mtatextes thoriques dans
les contextes
socio-historique
et
socio-linguistique. (12) Non
seulement
le texte,
la structure du texte
est aussi un
"fait
social".
Il nous
est impossible de ne pas faire
ntre
le postulat de
Zima d'une
sociologie
du texte
fondement
smiotique
et
d'une
critique du
discours
comme
dimension
smiotique
de
la
critique
idologique
(13).
Le
cas
particulier que reprsente
le
discours lyrique
a
naturellement sa
problmatique propre.
La ralit
socio-conomique
et
politique
radicalement transforme par
la Rvolution
et le
premier
Empire
contraint, par
l'intermdiaire
des systmes socio-culturels
mdiateurs
et en partie aussi
directement, la
littrature un conformisme
qui
entrane
la
reconstitution du
systme fonctionnel
de ses genres
dans
la
premire
phase de la Restauration
(14).
Cette transformation canalise le discours de l'individu isol,
qui
apparat
dans
la
prose prromantique
de
Rousseau
Chateaubriand
(Ren), dans
un
nouveau
sous-genre lyrique, celui de
la
"subjectivit
ubstantielle" que nous
considrons aujourd'hui encore
comme
le
prototype
de
la posie
et
que nous dsignerons comme "Posie
de
la
nature".
Le propre de la loi
de
la
transmission littraire
du social dans
le
systme
littraire est
que
le genre particulier, conformment sa fonction
spcifique,
se dlimite par rapport aux autres genres en mme temps qu'il cre le
style
particulier son genre. La
posie
des premiers romantiques est
ralise dans un code
restreint,
ce
que
l'on remarque surtout leurvocabu-
laire,
selon
qu'il inclue
certains
systmes ou mieux encore qu'il en
exclue
d'autres.
Le but des
reprsentants
de
ce
code restreint
est
de
rduire le
(10) Smiotique
et
Sciences Sociales,
Paris,
Seuil, 1976, p. 56.T
(11)
"Les structures narratives
et
l'histoire .
Revue Roumaine de
Linguistique
21 (1976) p 355,
en allemand
dans C.S. Literarische Semiotik.
Dichtung
- Zeichen
- Gesichte,
Stuttgart, Kohlhammer, 1980,
p.
141.
(12) P.V. Zima Textsoziologie, Stuttgart, Metzler, 1980,
p. 2. Voir
aussi
:
Text-
semiotik als Ideologiekritik,
d.
par
P.V.Z.,
Frankfurt
a.
M. , Suhrkamp, 1977.
(13)
On
relvera,
parmi les
tudes
nombreuses,
o Zima expose et
exprimente
sa conception qui
s'oriente essentiellement par
rapport la thorie
critique
de
"l'cole
de
Francfort , ce livre important
:
L Ambivalence romanesque -
Proust,
Kafka, Musil, Paris,
Le Sycomore, 1980.
(14)
Voir ce
propos
les rflexions
gnrales
prsentes
dans
mon article Gat-
tungssystem
und
Gesellschaftssystem , Cahiers
des
littratures
romanes
1,1977, p. 7 -22.
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L Isolement . Essaid une
interprtation
socio-smiotique 101
cercle
de
leurs auditeurs
la
minorit
qui
a
atteint la mme noblesse
d'me (15),
mais
c'est
contre toute attente leur exclusion explicite
de
toute rfrence
politique et sociale qui
est
la base de leur succs.
La
condition de cette
russite
tait que
rien ne transparaisse qui
aurait pu
tre
reconnu
comme
manifestation
des
intrts
d'un
groupe
isol.
L'effet obtenu en aurait t pour parler avec Stendhal
(Armance)
"comme un coup
de pistolet
au milieu d'un concert".
Gardons en mmoire ces rflexions thoriques sur le
genre
en
nous consacrant
maintenant
l'essai d'une interprtation
socio-smiotique de
L'Isolement.
Deux principes conduisent notre travail,
principes
qui
n'auront maintenant plus rien de surprenant : le premier
concerne le rapport entre
idiolecte
et sociolecte, le second
la
qualit
rfrentielle du texte. Je serai
aussi
bref
que possible.
1. L'idiolecte est la "parole" d'un auteur prcis dans une
uvre prcise.
En
tant que notion, c'est en fait
un
monstre
(16),
parce
que,
mme
considr
comme
style
individuel
particulier,
il
se
trouve
au
point
d'intersection
de
plusieurs,
au minimum de
deux,
sociolectes auxquels
il
participe
(17). On doit
y recourir,
parce qu'il se trouve
toujours un
sociolecte
qui
domine, et que
cette
dominance
hirarchise
l'emploi
des
autres
sociolectes,
quand elle ne va
pas
jusqu' les exclure. C'est pourquoi
nous devons
faire
une diffrence entre la smiotique
du
paradigme et
la
smiotique
du
syntagme(18). Les sociolectes
sont des
"paroles"
collectives (19) et en
tant
que
langues de
groupes
sociaux
ils
sont dj
porteurs d'idologie
par leur situation dia-stratique, au
contraire de lalangue" qui forme
leur substrat commun. Ils
ne
sont alors
plus
indiffremment la disposition du
porteur
d'idiolecte (littraire), mais ils lui
servent
dans la mesure o celui-ci peut les incorporer ainsi
que
leurs liens avec
un
systme
socio-culturel
pour tendre
la
potentialit de
connotation
de son
texte et pour
largir ainsi la champ de la
communication.
Nous
comprenons
par
consquence
l'idiolecte
comme
une
comptence
individuelle
(de langue),
labore
selon la
proportion
avec
laquelle,
en
plus
de la
dominance
de son sociolecte
propre,
elle dispose des paradigmes
d'autres sociolectes ou qu'elle les ignore pour
incompatibilit.
Ce fait
d'ignorer,
qui
implique la ngation de certains domaines, est la
consquence du fait que la structure antagoniste de la
socit
se
reflte
dans
la structure sociolectale antagoniste de la
langue et
dans sa hirarchisa-
(15)
On
pourra
ici se fier sans
rserves,
du
moins en ce
qui
concerne
les
premires
Mditations,
aux
affirmations
de
Lamartine.
(16)
Voir B.
Schlieben-Lange,
Soziolinguistik.
Eine Einfuhrung, Stuttgart, Kohl-
hammer, 1973,
p.
29.
(17)
Voir
ce
propos J. Lotman, Die Struktur
des kunstlerischen
Textes,
Frankfurt a. M ., Suhrkamp,
1973,
p.
100.
(18)
Voir
Segre, Literarische Semiotik, d. cit. p. 60.
(19)
Voir P.V.Zima,
Textsoziologie, p. 73, avec une critique
de
Greimas et
en
accord avec Bachtin, Volosinov et Medvedev : "Der
Soziolekt
erscheint als ein
auf lexikalischer und
diskursiver
(semantischer und syntaktischer) Ebene Struk-
tirierte Einheit, deren Strukturen als Ideologeme eine mehr oder
weniger
zusam-
menhngende
Ideologie
ausdrcken.
Voir aussi Maria Conti, Principi
dlia' com-
municazione let terria, Milano, 1 976, p.
33
:
"Ail'
interno
di ogni
sistema
segnico
epocale
esiste
una
gerarchia di
codificazioni
culturali
ben
note
alTemitente
e
ai
destinatari di
un
massagio,
come
dire
una
loro
sintassi;
l'importante
rendersi
conto che essa non mai
neutrale,
ideologicizzata.
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102
Erich Khler
tion dans le
texte, et
cela invitablement dans
la perspective d'une prise
de position , aussi masque qu'elle soit.
Sous cet
angle de vue la phrase
frquemment
cite
de Jakobson
selon laquelle
"la fonction potique
projette le principe d'quivalence de l'axe de la slection sur l'axe deombinaison
(20)
nous
semble
incomplte. Jakobson admet
certes
une
certaine
intentionnalit
pour
la
slection
sur
l'axe
paradigmatique,
mais
elle reste vague et indfinie. Pour nous par contre, la
question du
principe de
motivation de
cette
slection
qui,
avec les paradigmes
sociolectaux,
projette
en
mme temps
les
implications
idologiques sur l'axe
de
combin ison syntagmatique, est de premire importance. Cela signifie encore pour
nous que la stricte dichotomie substantielle
de
la
poetic
function
et
de la
referential
function
est
tout
aussi insoutenable
que la dichotomie
traditionnelle de la forme et du fond. Thoriquement nous voici ainsi dans un
premier
temps
plus proche
de la
solution
la question
de savoir
comment des
structures
sociales
extratextuelles pntrent dans le texte fictionnel potique. Pour
poursuivre notre recherche nous devons dans un second temps nous
consacrer
au
problme de la
qualit
rfrentielle du texte.
2.
Le
rfrent
de
chaque
texte
fictif
et
aussi
de
chaque
texte lyrique
est
la
ralit extratextuelle,
totalit concrte
pouvant
tre segmente ou
fragmente de mille faons.
Contrairement
ce que
propose une conception
devenue dsute de la thorie
du
reflet, cette
ralit
apparat dans
l oeuvre d'art non pas comme une
ralit
objective,
mais
comme une
ralit
imagine,
construite ,
c'est--dire
idologiquement prforme
(21).
Ce
qui est suppos tre
ralit
objective est une ralit objectivise
comme construction sociale . Seulement en
tant
que
telle,
gnratrice
de
modles,
elle dtermine en retour le faonnement de la
ralit
objective.
Nous
pouvons
soutenir
la thorie
du
reflet
non
pas en tant
que
reprsentation
de la ralit, mais seulement en tant que reprsentation
d'une
relation envers
la
ralit
(22).
Du
fait
de
cette restriction,
qui
lui donne en mme temps
la
tche de traverser
toutes
les instances de
mdiation pour
clair
cir
ainsi
leur opacit, elle recouvre dsormais une
importance qui
lui permet de fonder nouveau
sa
prtention
hermneutique
et idocritique.
Nous
diffrencions,
dans le
systme
de signes d'un texte, trois
niveaux de
rfrences o
les structures extratextuelles
sont
transpor-
(20)
Closing Statement
: Linguistics
and Poetics , dans
Th. A. Sebeok, Style
in
language, Cambridge, Mass., University Press, 1960,
p.
358.
(21)
Comparer
P.
L.
Berger,
Th.
Luckmann,
The
Social
Constructions
of
Reality,
N.
Y.,
Garden
city,
1966;
nous
utilisons
l'dition
allemande
:
Die
geselschaftliche
Konstruktion der
Wirklichkeit. Eine Thorie
der
Wissenssoziologie,
Frankfurt
a. M.,
Fischer, 41974.
(22)
Voir ce sujet les
dveloppements clarifiants
de Gerhard Neumann,
Lyrik
und Mimesis ,
dans
Sprachen der Lyrik. Festschrift fur
Hugo
Friedrich 70.
Geburtstag,
hrsg.
von E.
Khler, Frankfurt a. M. Klostermann,
1975,
p.
570-605.
Pour
Neumann, la structure , justement
en
posie, est : ein
aus
dem Text heraus-
weisendes und herauswirkendes Bewltigungsmodell
von Wirklichkeit (p.
602)
[un
modle
apte
dominer
la ralit et
qui
surpasse
le
texte par l'impact
qui
lui
est
propre
]
. Nous
partageons l'opinion de Neumann
qui
maintient (p. 594)
que la nature de la
posie
lyrique
est aussi Funktion
des dialektischen
Verhlt-
nisses von Individuum und GeseUschaft .
[une
consquence de la
relation
dialectique entre individu
et
Socit
].
Voir
aussi
l'tude rcente de Hartmut Stenzel,
"Evolution
et
fonction
critique
du
concept de
nature
dans
la
littrature
romantique
et dans
le
socialisme utopique", Romantisme,
30,
1980, p. 29 -
38.
7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique
8/23
L
Isolement >. Essai d 'une
interprtation
socio-smiotique 1
03
tes et
transformes
en structures intratextuelles, autrement
dit
o
la double qualit
rfrentielle
du
texte
extratextuelle
et
intratextuelle
se
constitue
:
l.une rfrence extratextuelle de
premier
degr
qui s'applique
toute
dsignation
directe et
dnotativement
univoque
de
faits
sociaux,
conomiques et politiques. Elle peut,
dans
notre cas elle doit mme
rester
en dehors
de
nos considrations
pour
des raisons que
nous avons
dj
mentionnes
: choix
du
genre qui
exclut
tout rapport direct avec la
ralit,
genre
d'un lyrisme de la
nature
subjectiviste dans le systme fonctionnel
nouvellement constitu des genres. La rfrence extratextuelle du premier
degr
est condamne
dans ce lyrisme
une latence d'o elle
ne peut
tre perue l'intrieur
du
systme
intratextuel
de signes
que
sous cette
forme pour laquelle la
smiotique
rserve la notion de symptme (23).
Ce
renoncement
la rfrence extratextuelle de premier degr dans
le
code du sous-genre lyrique est
compens
sur
un
second niveau du
texte
que
nous
voulons
nommer niveau
des
2.
rfrences
du second
degr. Une qualit
double caractrise
leurs
porteurs
linguistiques,
celle d'exercer une
fonction de rfrence aussi bien
extratextuelle qu'intratextuelle.
Il
s'agit ici
en
majorit,
mais
non uniquement,
de lexemes smatiquement ambivalents ou mme polyvalents,
qui
ont
en mme temps la fonction de mots-clefs, mots
conducteurs,
ou mots
thmatiques que
l'on reconnat
souvent
leur
seule
rcurrence,
mais
parfois
aussi, quand ils n'apparaissent qu'une seule fois, seulement aprs
une
analyse structurale approfondie. C'est
leur
polysmie, la
possibilit de
se
charger de
plusieurs signifis,
qu'ils doivent la
facult
de pouvoir
incorporer rfrentiellement dans
le
texte
des systmes
contemporains
susceptibles
de
connotations,
c'est--dire
aussi des paradigmes
slectionns
de
diffrents
sociolectes. Ce
sont
des
connotations au
sens
de
Hjelmslev
(24). C'est la
mme
polysmie
toujours dirige
dnotativement
par
le
contexte
dans une stratgie persuasive particulire,
par
l rendue
acceptable
pour
plusieurs
groupes sociaux, qui leur prte leur
double
qualit
rfrentielle. Ce qui caractrise
par
consquent ces porteurs de rfrence
de
second degr,
c'est
cette garantie,
si minime
soit-elle,
d'une
congruence
partielle
de plusieurs
codes
sociolectaux, congruence
qui assure
ainsi
leur
fonction de mdiation des
structures
complexes
extratextuelles
et
intratextuelles, et cela par l'intermdiaire de procds particuliers de
smantisation du systme significatif
intratextuel.
C'est le principe ainsi
dcrit, la smiose, que nous voulons tudier
au
3. niveau
de
rfrence
de
troisime degr.
Nous
nous
servirons
dans
ce
do-
domaine
des
mthodes
formalistes,
structuralistes,
de la linguistique et
de la
smiotique
du texte, sans pour autant pouvoir puiser toutes leurs
ressources.
(23) Segre par
exemple : Literarische Semiotik, p. 53. La
dfinition
du
symptme
chez
Segre
correspond celle de
R.
Barthes du signei involontaire
(24) Prolegomena zu einer
Sprachtheorie,
Munchen, Fink, 1974. Voir ce
sujet
K.
H. Spinner,
"Die
Aporien
des
Konnotationsbegriffs
in
der
Literaturse-
miotik , dans
:
A.
Eschbach
/
W.
Rader
(d.).
Literatursemiotik
I,
Methoden
-
Anly sen -
Tendenzen, Tubingen,
Narr, 1980, p.
65
-
84.
7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique
9/23
104
Erich Khler
Voici maintenant le texte,
prpar
en fonction de
notre
dessein
(25)
:' ..
L'Isolement
a
I
Souvent
sur la montagne,
l'ombre
du
vieux chne,
Au
coucher du
SOLEIL,
tristement je m'assieds ;
Je promne au hasard mes regards sur
la
plaine,
Dont
le TABLEAU changeant se droule mes pieds.
II
Ici, gronde
le
fleuve aux vagues
cwnantes,
II
serpente, et s'enfonce en un lointain obscur;
L,
le
lac immobile tend
ses eaux dormantes
O l'toile du soir se
lve dans
l'azur.
III Au sommet
de
ces
monts
couronns de bois SOMBRES,
Le
crpuscule encor
jette
un
dernier
rayon
Et
le
CHAR vaporeux
de
la reine
des
OMBRES
Monte, et
blanchit dj
les
bords de
l'horizon.
IV Cependant, s'lanant
de
la flche
gothique,
Un son
religieux se
rpand
dans les
airs,
Le voyageur s'arrte,
et la
cloche rustique
Aux derniers bruits du JOUR mle de saints concerts.
b
V
MAIS
ces
doux
TABLEAUX
mon
ME
INDIFFERANTE
N'prouve devant
eux
ni CHARME, ni transports,
Je
contemple la
TERRE,
ainsi qu'une OMBRE errante
:
Le
SOLEIL des
vivants n'chauffe plus les
morts.
VI De colline
en
colline en
VAIN
portant ma
vue,
Du sud l'aquilon,
de
l'AURORE au couchant,
Je parcours tous
les
points de l'MM/uVSE tendue,
Et
je
dis : Nulle part le bonheur ne m'
ATTEND,
VII
Que
me font ces
vallons,
ces palais, ces
chaumires
?
VAINS
objets
dont pour
MOI
le CHARME est envol;
Fleuves,
rochers,
forts,
solitudes
si
chres,
Un
seul
tre vous
manque, et
tout
est dpeupl.
VIII Que le tour du SOLEIL ou commence ou s'achve,
D'un oeil
/NDIFFERtfiVT
je le suis dans
son
cours;
En
un CIEL SOMBRE ou pur
qu'il
se
couche
ou se
lve,
Qu'importe
le SOLEIL ?
je n'ATTENDS
RIEN des
JOURS.
(25)
Abstraction
faite
de
nos
mises
en
relief,
nous reproduisons
le texte
d'aprs
l'dition
de
F.
Letessier,
Lamartine, Mditations, Paris, Gamier, 1968, p. 3 - 4.
7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique
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L Isolement . Essaid une interprtation
socio-smiotique
1
05
e
IX Quand
je pourrais le suivre
en
sa
vaste
carrire,
Mes yeux verraient
partout
le
vzde et les
dserts;
Je
ne DES/RE RIEN de
tout
ce qu'il claire,
Je
ne
demande RIEN
VMMENSE
univers.
X MAIS peut-tre
au
del
des bornes
de
sa
sphre,
Lieux o le vrai SOLEIL claire d'autres CIEUX,
Si je
pouvais
laisser ma dpouille
la
TERRE,
Ce
que
j'ai tant rv
paratrait
mes yeux ?
XI
L,
je
m'emvrerais
la
source
o
j'aspire,
L,
je
retrouverais et
l'espoir
et
l'amour,
Et ce
BIEN
IDEAL
que
toute ME DESIRE,
Et
qui
n'a pas de nom au TERRESTRE
sJOUR
XII Que ne
puis-je,
port sur
le CHAR de
AURORE,
Vague
objet
de mes voeux, m ' jusqu'
toi,
Sur la TERRE D'EXIL pourquoi rest-je ?
Il
n'est RIEN
de commun
entre IslTERRE et
MOI.
XIII
Quand la FEUILLE des bois
tombe dans
la
prairie,
Le vent du
soir s'lve
et
l'arrache
aux
vallons;
Et
MOI,
je
suis semblable
la
FEUILLE
fltrie
:
mportez-MOI
comme elle, orageux aquilons
La forme strophique est simple : le pome est
compos de
treize
quatrains
d'alexandrins
rimes croises
o
a est toujours
fminine,
b masculine. Les treize strophes s'organisent en
groupes
de
4 +
5
+ 4
strophes,
ce
qui
saute aux yeux aprs
premire
lecture cause des
deux mais qui
introduisent
la
deuxime
et la
troisime
partie
et
marquent
de faon nette
l'opposition
par
rapport
la partie
prcdente.
Cette
division en trois parties
donne
notre pome en quelque sorte
la forme d'un tryptique. C'est
seulement
en
tant
que moi
lyrique,
moi dans
lequel
s'est transform le
pote, que Lamartine
"raconte"
les phases
d'une
"mditation". Lieu : paysage de montagnes;
perspective
:
du
haut de
la
montagne s
'largissant dans la
valle
et dans la
plaine,
se
perdant dans le lointain;
moment :
le soir, au
coucher
du
soleil; faon
de
ressentir : rsum de
sensations souvent
prouves
("Souvent
sur
le montagne
... ). La
direction du
regard
du haut
vers
le bas
se transforme en opposition intrieur-extrieur
et
dans
le
contraste
moi-monde.
Nous revoici ainsi
la
macrostructure
qui
est
vidente
et
qui
a
dj
en
soi
la valeur
d'un
signe
signifiant,
celui
de l'ordre
primaire d'une
exprience problmatique de
la ralit.
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1
06
Erich Khler
Rsumons
tout fait
provisoirement
:
la premire partie
est
un
tableau,
aussi nomm
comme
tel
(V,
4),
panorama
sur un paysage
romantique idyllique
qui
prsente
au
triste pote
("tristement", I,
2)
tout ce
que la
nature
et
les hommes peuvent
lui
offrir
en
beaut,
paix,
dvotion
et en
sons
religieux
pour
le
consoler. Rien
ne
manque,
ni
la
montagne
ni
la
valle,
ni le
fleuve ni le clocher villageois
et
le
son
des cloches,
ni
le
crpuscule et la monte
de
la lune, dcors d'une
mlancolie
plutt
tendre
qu'amre. Mais dj au premier vers
de
la
deuxime partie
(V,
1), suivi d'un hyperbate plein d'effet
-
ces
doux
tableaux
se rvlent vains
et vides
pour
l'me devenue
indiffrente (mon me indiffrente). La nature
qui
s'tend jusqu'au cosmique
laisse le moi,
abandonn
au nant,
tout
fait comme une ombre
errante
(V, 3), comme quelqu'un dj
mort
en
plein
milieu
de sa vie
et qui
doute
de toute possibilit de
bonheur. Au centre
de
la deuxime
partie, nous trouvons ce vers (VIII, 4),
objet
d'admiration de
la
critique
et
dans
lequel
elle
n'a
pourtant
vu
souvent
que
la
manifestation
du bouleversement personnel de Lamartine caus par
la
mort de Julie
Charles, mort
qui
serait
en mme
temps le motif dterminant de
la
gense
de "L'Isolement"
(26) : Un seul
tre vous manque,
et tout est
dpeupl. En ralit, nous
pouvons, ici
aussi, appliquer cette loi selon
laquelle chaque thmatisation littraire de l'amour qui
ne
se limite
pas
uniquement
la sexualit est en
fait
la
rduction
gnratrice
de
sens
ou de non-sens
d'une recherche
de
l'identit, recherche
troitement
lie au rapport
de l'individu
la
socit.
L'preuve
de
commutation phonmatique pleine d'esprit
que
Giraudoux a
effectue
sur
ce vers
"Un
seul tre
vous manque, et tout est repeupl"
(27)
-
vient
encore,
dans
son
renversement
paradoxal,
confirmer
ce
fait.
Vimmense tendue
apparat vide
de
sens
Yoeil indiffrent du moi
qui
n'attend plus
rien
de
la vie (je
n'attends
rien
des
fours, VIII,
4),
ne dsire plus rien dans Vimmense univers (IX, 4),
qui
ne rencontre
partout
que
le vide et les
dserts
(IX,
2). Mais
peut-tre l'me
dpouille
de son
enveloppe
terrestre
trouvera-t-elle
le
bien idal en quittant
le terrestre sjour (IX, 4),
la terre
devenue
exil
(terre
d'exil XII,
3),
pour ce vague
objet
de mes voeux
(XII,
2) qu'on ne peut pas nommer
(qui n
'a pas
de
nom, XI, 4). La symbolique mtaphorique de l'automne,
du vent et du feuillage
qui
tombe unit dans la dernire strophe
l'aspiration
la
mort
et
l'espoir incertain d'un bonheur dans l'au-del.
La
critique
a
depuis
longtemps dcouvert toutes les
sources
possibles
et
imaginables des
nombreux motifs : Ptrarque, Rousseau,
Ossian, Millevoye, Grey, Chateaubriand entre autres, en remontant
mme jusqu' de vritables "citations".
Si
nous nous
contentons de ce
(26)
II
ne
faut pas oublier
que Lamartine pousait Elisa Birch la mme anne
o
il publiait
les
Mditations
potiques.
Anne
de gloire
et
du
bonheur
dit
F.
Letessier
de
l'anne
1
820.
(27)
La
guerre
de
Troie
n
'aura
pas
lieu,
I, 4 ,
voir
Letessier,
d.
cit., p.
468.
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108
Erich Khler
Nous constatons que les
lexemes
rcurrents
qui
s'talent sur toute
la macrostructure formelle
et
se
concentrent
dans la partie du milieu
(b)
forment
dans
leur distribution les constituantes essentielles pour
la
cohrence
du
pome en son entier.
Comme
ils sont dots (en tant
que
porteurs de
rfrences
de second
degr) d'une
rfrence de
qualit
double, on
pourra galement
leur
attribuer
en
employant
la
terminologie de
Greimas
une
fonction actantielle.
Les
analyses
suivantes
ont
alors un objectif
double
:
tudier d'une
part
ces
lexemes
dans
leur particularit
de
centres ou de point
de dpart
d'isotopies, et
d'autre part leur fonctionnement actantiel.
Une autre observation importante s'impose. La
porte
d'un
lexme-cl n'est pas lie
sa
frquence (qui
n'en
devient pas
ngligeable
pour autant) mais il
lui
suffit d'apparatre une seule
fois
et
parfois
il
ne lui
est mme
pas
ncessaire d'tre cit explicitement
si
des procds intratextuels de
smiose
adapts sont mis
en jeu.
Commenons
avec
un
exemple du
dernier
cas.
La
frquence
des
sons eu, ieu, n'aurait, mise en comparaison
avec la "langue", rien
d'extraordinaire
en
soi
si
leurs
mots-porteurs
n'apportaient pas en
majorit un poids
smantique reli
des
systmes extratextuels
et s'ils
n'taient pas pourvu de caractristiques
mtriques
et
rhtoriques
d'une
importance
particulire.
Relig/
(IV,
2)
est
la
csure, tout
comme
auparavant
vapom/x (III,
3)
et
aprs eux
(V,
2) ;
seul et
dpewpl se trouvent dans le vers central
du pome (VII,
4)
la place prcise qui leur permet
leur structure
chiasmatique
(voir
ci-dessous). Mais peut-tre introduit le premier
vers
de
la
strophe
(X,
1)
qui
fait
dbuter
la
troisime
partie,
strophe
dans
laquelle riment deux et yeux. Le deuxime vers de cette
strophe
est un chiasme phontique
trs
ingnieux :
Lieux o le vrai
soleil ckwre
d'autres deux.
Le
vrai soleil
est
en
fait Dieu,
qui,
insinu de faon
insistante ne
peut
tre nomm,
si
ce n'est
en
rfrence au
chapitre "Du
vague desassions" dans le Gnie
du Christianisme
comme Vague
objet de
mes voeux (csure,
XII,
2)
et
comme bien
idal
. . .
qui
n'a pas
de
nom (XI, 3-4).
Peut-tre
est-il trop audacieux de voir
en
bien
idal
un paragramme de
Dieu (nous
n'y
insisterons
pas).
Par
contre,
il
est
certain
que
le bien de ce syntagme est tenu
en opposition
phonmati-
que
avec le
rien
rcurrent
qui, dans une
construction parallle anapho-
rique
(Je ne dsire
rien
. . . Je
ne demande rien),
forme
une
rime
intrieure
la
csure
aux vers IX, 3 -
4, achve
la phrase
de
la mditation
sur "l'indiffrence"
(deuxime
partie,
b) et
scelle le dtachement de
tout lien terrestre
(XII,
4) (// n'est
rien de
commun entre
la
terre et
moi). Nous devons
renoncer
exposer
ici
les interfrences riches en
potentialits avec les autres
squences intratextuelles,
mais
nous
pouvons faire cette constatation : la srie phontique eu, ieu forme une
isotopie qui
dans ce cas, mme sans
lexeme
focalisant
se
rattache
un systme extratextuel
:
une religiosit contradictoire, hsitante,
vague,
religiosit qui, avec ses lments
de
mysticisme,
de
noplato-
7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique
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L Isolement
>.
Essai d une interprtation socio-smiotique 1
09
nisme
et
de rsignation n'est plus
en
mesure
d'identifier ce
bien idal
prometteur
d'identit au
Dieu
chrtien. De ce fait elle a
refoul
son
nom
dans la
langue
latente
d'o, il est
vrai, le lecteur disposition
chrtienne
peut
le retirer
sans
peine
(28).
Nous
avons
dj
dit
plus
haut
que
la
signifance
de certains lex-
mes-cls
(rfrences
du second degr) n'tait pas forcment lie
leur
rcurrence.
Nous voulons
tout d'abord
dmontrer cela
partir
du
mot
que
Lamartine a choisi comme titre :
premire
orientation
du lecteur,
en mme temps instrument subtil pour
la
stratgie
du
codage
et
pour
le
sens
des connotations (29). Nous n'avons pas l'ambition de vouloir
enrichir
la recherche des sources, mais notre intrt
pour
l'intertex-
tualit
et
pour le systme rfrentiel
de
notre texte nous
incite
penser
de
ce point
de
vue Benjamin Constant
et
Lammenais
(30).
Lamartine
n'a
pas choisi
"solitude"
("Einsamkeit"),
qui
exprime
un
tat,
mais
isolement
("Vereinsamung"),
qui
en
tant
que
driv
d'un
verbe
(isoler), dsigne un processus
en
cours. Non
pas la "solitude",
depuis Rousseau
de
connotation tout
fait positive,
voque
dans
la strophe
VII, 3 (solitudes si
chres)
pour
tre
rejete avec toute
la
topique richement
prsente
du
paysage de
l'me romantique
maintenant vide
de
sens, mais un isolement
qui
contient dj la notion
"alination".
L'ide
d'une "solitude"
choisie librement
reprsente
la
dernire possibilit de crer une vision
du monde
indpendante
des
contraintes sociales.
Cette
ide est abandonne en tant qu'illusion,
qui
ne
peut retenir
la
vague
d'une
indiffrence paralysante conforme
(28) La fin de la squence de eu qui est aussi la fin du pome, s'intgre encore
cette isotopie :
XIII,
4 (Emportez-moi comme elle, orageux
aquilons)
est
citation
de
Chateaubriand
(Ren).
(29) voir notamment sur la
smiotique
du
titre (en
ce cas souvent nglige
par
la critique)
R.
Hess, 'Titel und
Text",
Iberoromania 1 2, 1 980, p.
68
et
suiv.
(30) Adolphe
de
Benjamin Constant
est paru en
1816,
en
mme temps
Londres
et Paris. Ellnore,
la
matresse d'Adolphe n'a pas encore
succomb
ses
tourments
et
sa
maladie
dont Adolphe est la seule cause, que
le protagoniste
sait
dj
qu'il
sera
l'avenir, seul dans le dsert du monde , qu'il
voulait traverser
en toute
indpendance
j'tais dj
seul sur la terre et il
constate amrement
:
"Dj Visolement
m'atteignait . Que l'on compare
avec
Lammenais
dans la
premire partie de son Essai
sur
l'indiffrence (1817) : Je vois ces
effroyables espaces
de Vunivers qui
m'enferment, et
je me trouve
attach
un coin
de cette
vaste
tendue [...] Je ne vois
que
des infinits de toutes
parts,
qui m'engloutissent comme
un atome, et comme une ombre qui ne dure
qu'un
instant sans retour, (F.
R.
de
Lammenais,
Oeuvres
compltes,
d.
p.
L.
Le
Guillou,
t.
I,
Paris
1836,
Reprint
Genve, Slatkine
1980, p. 207).
7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique
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110
Erich Khler
la dfinition que
donne Lammenais
du "mal du
sicle"
(31).
Elle cde la
place
la
pense amre
que
mme
la
nature
-
projection antithtique
de
la "nature"
de
la
socit
-
est devenue inhabitable,
que
mme
la
nature par
consquent
se drobe
la recherche
de l'identit. L'article
dfini
indique
qu'une
exprience
collective
est
transforme
en
une
exprience personnelle exemplaire et
en mme
temps dfinitive.
Les titres sont des signaux. Notre
interprtation du
prsent titre
n'aurait cependant
jamais
t aussi catgorique si nous n'avions pas
de
bonnes
raisons
d'apercevoir en lui
le
point
de
dpart d'un
processus
de smiose complexe. Afin d'claircir
notre
propos, nous
reproduisons
typographiquement le titre
de
plusieurs manires en faisant ressortir
chaque fois
les phnomnes
d'importance
phonmatique
:
1 l'isolement
2
L'IsoLement
3
l'Isolement
4 l'iSolement
5
l'isOlement
6
l'iSOLement
7 FisoleMent
8
l'isolemENt
9
l'isoleMENt
L
'Isolement n'est pas seulement une unit signifiante
d'lments de
langue, bien plus, ce
mot
se rvle
tre
un faisceau de smes
d'o
prennent
leur dpart
des isotopies
smmiques qui
se
laissent elles-mmes
ordonner
en ciassmes. Il n'est pas possible
de
les retracer
toutes
ici,
mais
nous
en
rencontrerons
quelques-unes
pour
ainsi
dire
"en
route".
Nous portons
notre
intrt sur deux d'entre elles :
en
/
an
(numro 8)
qui
se
relient souvent
m
(numros 7
et
9)
et
sol
(numro 6) ,
galement
enregistr
dans les sries s et
/
(numros
4
et 2).
En
I
an est une des squences phoniques
redondantes de
notre
texte. Je ne veux
fatiguer
personne
en
les numrant, mais
noterai
pourtant les faits suivants. Il y a
huit
rimes en
an
/ en, trois fois
la
csure. On retrouve frquemment cette squence dans les
lexemes
rcurrents du sens desquels nous avons dj montr en partie
l'importance :
indiffrENt
(V,
1;
VIII,
2);
immENse
(VI,
3;
IX,
4);attEND
(VI,
4;
VIII,
4);
tENdue (VI, 3); tENd (II, 3). Apportent un poids
motionnel
propre,
parfois
aussi
rfrentiel
au
systme
: tristemENt (I, 2);
cumANtes (II, 1,
rime);
dormANtes
(II, 3, rime); errANte
(V,
3,
rime)
vivANts (V,
4,
csure); couchANt (VI,
2, rime);
lANcer (IV, 1;
XII, 2). Notons en passant des rptitions proches comme immENse
tENdue (VI,
3),
chANgeANt (I,
4),
cepENdANt (IV, 1),
s'lAN-
(31) Exprim ds le dbut de
rintroduction"
de YEssai
sur
l'indiffrence:
"Le sicle
plus
malade n'est pas
celui
qui se passionne pour Terreur,
mais le sicle
qui
nglige,
qui ddaigne la
vrit. Il y
a encore
de
la force, et
par consquent
de l'espoir,
l
o
Ton
aperoit
de
violents transports
:
mais lorsque
tout
mouvement
est
teint,
lorsque
le
pouls
a
cess
de
battre,
que
le
froid
a
gagn
le
coeur,
qu'attendre
alors,
qu'une prochaine et
invitable dissolution.
(Ed. cit.,
I,
p.
I
- II).
7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique
16/23
L 'Isolement >. Essai d 'une
interprtation
socio-smiotique 111
ANt (IV,
1). Dans une perspective smiotique du texte il ne
peut
y avoir aucun doute que
tous les
segments homophones, y
compris
les morphmes, sont smantiss par des lexemes,
la
plupart du temps
rcurrents avec rfrence extratextuelle, lexemes
qui
forment
eux-mmes
des
focalisations, pendant
que
d'autres,
rfrence
intratextuelle,
servent
de
pont
et
transportent le sens en
voie
de
constitution.
L'isotopie smmique en
/ an
est
souvent
relie
la squence
phonique
de
m place en allitration (en dbut
de
mot comme en
dbut
de syllabe) :
VisoleMENt (titre), tristeMENt (I, 2), cuMAN-
tes
(II,
1,
rime), dorMANtes
(II, 3,
rime),
imMENse (IX,
3; IX,
4),
comMENce (VIII,
1),
deMANde (IX,
4).
Aussi
bien pour
en I an que
pour
ment
/
man nous
constatons
que
de
la premire strophe
la
strophe IX
leur frquence
augmente et que la squence atteint
son
apoge dans un
mot que nous
avons jusqu'ici nglig :
MANque,
au
centre
du
pome, dans
le
vers
clbre
(VII, 4), sa
csure,
sans
correspondance phontique
l'intrieur
de
ce
vers
construit en
son
entier
sur
un chiasme
phonique. L'isotopie smmique trouve
son signifi
commun, son unit, qui pourrait tre montre aussi dans
la
perspective de l'quilibre
et
de
la runion
de ces classmes, dans un
manque
fondamental,
dans
une
absence.
Venons en
maintenant
sol
{ViSOLement, SOLitudes (VII, 3),
SO-
Leil) qui, comme nous l'avons dj
dit, apparat cinq
fois,
est
rparti
sur les trois groupes
de
strophes,
se
trouve
toujours
la place
mtrique
privilgie de
la
csure
et
forme dans
la strophe
VIII une rime
intrieure embrasse. Cette
rcurrence
porte par les sries s
et
/ nous
utorise
inclure
un mot
qui
a
la mme racine
tymologique,
le
patronyme
seul. Nous ne le rencontrons
qu'une
seule fois, mais
de
nouveau au
vers
VII, 4 :
Un
seul
tre
vous
manque
....
Nous
avons
parl
ci-dessus
de
l'importance
de
la squence smique eu
/
ieu, au cours
de laquelle
le nom de Dieu est
voqu
mais
reste
explicitement non-prononc.
L'interfrence de cette
squence avec
celle de
sol
/
seul donne
cet
autre
vers,
construit
en
chiasme
(X, 2),
sa structure de fond
smantique
:
LIEUx
o
le
vrai
SOLeil
claire, d'awtres cIEUx.
Ce
qui
forme le dnominateur commun des isotopies
que
nous venons
de discuter, c'est l'unicit,
l'originalit
aussi
du
moi
dans
son
abandon
qui
porte
maintenant son
"vague"
espoir
sur .une
des
plus
hautes
incarnations
de
cette unicit :
le
vrai soleil.
Ici,
en
fait,
l'opposition
fondamentale de notre
pome
est mise
en vidence
:
terre et soleil,
signes de
la
langue avec un
systme
extratextuel rfrences
multiples - et
comportant
la tension force
du
dsespoir
et
de l'espoir
du
moi. La srie des cinq occurrences de
terre prend son dbut dans
la
partie 2 (b)
(V, 3),
se concentre dans
la partie (3) (c)
et
dans
le refus
dfinitif
de
toute communaut entre
la terre
et
le moi
(XII,
4). Du fait
de
sa voyelle tonique, terre s'intgre
dans
l'abondante
srie des sons avec e ouvert,
qui
mrite notre
attention
pour diffrentes raisons. Cette
voyelle n'est
pas moins de sept fois
dans
la
rime (str.
I,
IV,
VII,
VIII
2
fois,
X),
dont une
fois
dans
le
mot terre lui-mme (X, 3). On la rencontre souvent aux
syllabes
7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique
17/23
112
Erich Khler
la csure, comme
cette
rime intrieure
de
la strophe XI, 1
2,
o elle domine deux
hmistiches
parallles avec anaphore
et
homo-
ioteleuton :
L,
je m enivrera/s . . . /
L,
je retrouvera/s. La srie est
porte smantiquement
et
renforce,
avec la formation
de
classmes,
par des mots comme : chne (1,1), promne (I, 3), pleine (I, 3), reine
(III,
3), flche
(IV,
1), airs
(IV, 5),
concerts
(IV,4),
palais
(VII,
1),
chaumires
(VII,
1), forts
(VII,
3), s'achve
(VIII,
1), se
lve (VII,
3),
ciel (VIII, 2), carrire
(IX,
1), dserts
(IX,
2), claire (X, 3; X,
2),
univers (IX, 4),
peut-tre
(X, 1), sphre (X, 1),
vra/
(X, 2), prairie -
fltrie
(XIX, 13,
qui
forment
une
rime
riche) et enfin
elle,
synecdoque
la
csure
(XIII, 4). Il ne serait
pas trop
difficile de classifier
ces exemples
nous n'avons
pas pu travailler exhaustivement
et
de
rattacher
les
classmes
aux
champs
smantiques qui se
forment
autour des
"actants"
de
la
Mditation premire. D'autres phnomnes importants sont cependant
observer
encore ce
propos.
La
squence du
e
ouvert
forme non
seulement les deux mais,
dont
nous
connaissons
dj la fonction,
elle
traverse
aussi,
et
par
deux
fois,
ces
deux
vers
construits
en
chiasme dont
l'importance particulire est dj devenue plusieurs fois manifeste :
Un seul tre vous
manque, et
tout est
dpeupl
(VII,
4)
Lieux o
le
vra/ sole/1
cla/re
d'autres
cieux
(X, 2)
(suivis des vers : Si je
pouva/s la/sser ma dpouille
la terre, / Ce
que
j'ai
tant rv parai tra/t mes yeux).
Il
nous
semble dsormais vident
que les
lments htrognes
qui
se
laissent organiser
en
classmes
se
runissent en
une
isotopie
complexe
et contradictoire en elle-mme. Nous voulons claircir ce problme
en revenant encore une fois
terre.
A
sa
premire
occurrence
(V,
3), terre apparat
dans
le regard
d'une ombre
errante,
d'une me
dj
partie qui n'a pas
encore
trouv
le chemin
du
royaume des ombres, qui, encore emprisonne dans le
corps humain,
aspire
dj fivreusement le
quitter.
Cela nous
rappelle
le
"cor
meum inquietum est" de Saint Augustin. Le
systme
extratextuel de rfrence est
double
: mythologique
et religieux.
A sa
deuxime
occurrence
(X,2), en
position de
rime, terre
est le
monde
matrie l , terrestre, auquel l'homme rend son
corps
pour contempler
l'tre
suprme
qu'on
ne
peut
pas
nommer. Systme de
rfrence
:
religiosit
mystique, non exempte d'lments de
noplatonisme,
comme le
montre
galement le
contexte o se trouve
le
syntagme terrestre sjour
(XI, 4).
Le vers
XII, 4-11
n'est rien
de
commun entre
la
terre
et moi -
contient
la consquence philosophique
de cette exprience
que
le
monde" -
signifi de terre ici
- refuse
tout
sens
la vie.
Jusqu' prsent, nous avons
laiss de
ct la
quatrime
occurrence de terre, dans le syntagme terre d'exil (XII, 3)
et
ceci parce
que
la place
spcifique de
ce syntagme dans
le
rseau
des
isotopies in-
tratextuelles
demande une analyse, parce
que
le
rattachement
de
terre
exil
qui n'apparat qu'une
seule
fois
mrite
une attention
particulire, enfin parce
que
terre ne
peut
pas
tre
rduit entirement au
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7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique
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114
Erich
Khler
Sur
le
fond d'un
rseau troit de
signes
rcurrents,
exil, qui n'apparat
qu'une seule fois,
se
profile
de
faon trs prononce.
Ce
mot
se trouve
immdiatement avant
la
csure. Son appartenance des isotopies
smmiques pertinentes
et son rattachement
terre en
font un point
d'intersection
de
squences
smantises
renforces par
deschangements intermdiaires et des interfrences. En mme temps, exil
appartient ces lexemes qualit rfrentielle double
et
dont
la
fonction
premire est
de
transposer la ralit
en formation
artistique.
Incontestablement terre et exil se dfinissent cet endroit
et
se donnent rciproquement la puissance dans
un procs de
smiose,
et
ceci un
tel
degr
que
le syntagme
qui
les relie devient le point
de convergence
d'isotopies pertinentes et forme
le
noyau
dichotomique d'un
champ
smantique
magntique.
Ici plusieurs questions se posent :
de
quelle nature est le
potentiel
d'association exil ? Quelles rfrences
le texte contient-il des
systmes
contemporains
susceptibles
de
connotations
et
leurs
registres spcifiques (paradigmes) ? Le mtatexte par l'intermdiaire
duquel
le
lecteur
contemporain concrtise le
texte est
contrairement la rception des gnrations futures
-
entr dans la
stratgie
de
production
du
texte et
du
sens l'aide
de
la
smiose intentionnelle
et en fonction
de
la comptence diastratique sociolectale
de
l'auteur.
Mme
si, au dshonneur
de
l'histoire
de l'humanit,
il y
eut
des exils
par tous les temps, la polysmie
de
exil reste nanmoins
spcifique
son poque
et nous
pouvons et devons reconstruire son
systme
rfrentiel socio-culturel.
La smiotique du paradigme
(32)
se
consacre
aux systmes
idologiques
qui transmettent
et
dterminent
la
constitution
de
la ralit.
Dans
le cas
de
notre
pome,
il
s'agit
en premier
lieu
des
systmes idologiques
filtrs
par la loi du
style
du
genre
choisi,
d'un discours religieux, c'est--dire philosophique
et
moraliste,
enferm dans le rservoir slectionn
de la tradition
littraire (idiolectal)
leur
disposition.
Ce
que
le texte cache,
en
"traduisant",
en
transformant et sublimant
une information et
un
message, ce sont
les motifs
qui
proviennent de
la
ralit
politique
et
socio-conomique. Exil
employ
comme polysme autour
de
1 8 1
8
-
mdiatis
qu'il
est
par
la couche et
le
systme sociaux
peut tre
connot
et
monosmis
(respectivement
re-dnot)
mtatextuellement par les groupes sociaux
suivants :
la
vieille aristocratie
de
l'Ancien Rgime, effectivement
exile
du
fait
de la
Rvolution;
la
noblesse
de
robe
et
la petite
noblesse
pauvre
ou dpossde, mme si
elle n'est
pas rellement exile; les
privilgis dchus du premier Empire; les groupes
progressistes de
la
Bourgeoisie qui
pendant
la
Restauration
sont
privs des avantages
acquis
pendant l're rvolutionnaire;
une gnration
qui s'en
tient,
si ce n'est plus la Rvolution, du moins l'actionnisme universel
de
l're napolonienne
et qui ressent le rtrcissement
du
champ
d'expansion et d'ascension comme une
paralysie
sociale qui
exile
toutes
les nergies.
Il
n'est pas ncessaire d'noncer
ici
les preuves
(32)
Voir
Segre.
Literarische
Semiotik,
p.
60;
cf.
P.V.
Zima, Textsemiotik
als Ideologiekritik, ouvr. cit., p. 10.
7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique
20/23
L
'Isolement
. Essai d 'une interprtation
socio-smiotique 115
d'une
disponibilit
de
ces
groupes
sociaux, envers une smantique
rfrentielle d'exil. La notion d'exil se tenait dj
la
disposition
du futur "march
des
biens symboliques"
pour
parler avec P. Bourdieu
(33). Pourtant
lequel des groupes sociaux ci-dessus nomms l'a-t-il
mise effectivement
sur
ce march ?
Il
n'est pas trop difficile
de
trouver une
rponse.
La
critique
a fait assez souvent observer
sans
pour autant en tirer toutes les
consquences
que
le
romantisme
ses dbuts est
l'oeuvre
des
potes
de
la
petite noblesse dpossde,
principalement (except
A.
de
Musset)
de
la noblesse
de
province
(34). Lamartine, dont
les
anctres sont
passs au dbut
du
XVIIIme sicle de
la "noblesse
de robe"
la
"noblesse d'pe" et
dont le pre,
troisime fils et fils
le plus pauvre
d'une
famille
trs
aise
ne lui
donna
en hritage que la maison de
campagne de
Milly et
quelques
vignobles, Lamartine
peut
tre
considr comme
un
reprsentant typique
de
cette couche sociale. C'est la
frustration
historique profonde
de
ce
groupe de la petite
noblesse
de
province,
domin par le sentiment d'impuissance, de
vide,
d'inutilit,
de
la
perte
irrvocable
de
leurs fonctions garanties dans les documents du
pass (35),
qui
leur permet de dcouvrir
l'me
romantique.
La correspondance sociologique
du
"romantisme gentilhomme"
la
"petite noblesse de province" (P. Barbris) nous semble donc
convaincante. Elle
nous permet
dsormais de tirer des
conclusions
l'gard
de
ces signifis
de
terre qui
forment
le noyau
socio-smiotique latent, cach par
la
stratgie de codage de ce lexeme recurrent :
terre,
comme les terres
d'une
famille noble, comme domaine, mais
dans
le
sens d'une transfiguration nostalgique d'un monde
patriarcal
pass
idyllique
qui
permet
de
la
poser
mtonymiquement,
en tant
que
pars pro toto
comme "nature". Qu' elle tait
domine,
qu'elle
tait "proprit" dans le sens des domaines aristocratiques-fodaux,
le
regard
du pote
du
haut
de
la
montagne
sur
le
paysage
paisible
ses
pieds (
mes pieds, X, 4), regard
qui
englobe encore tout, en
tmoigne
encore. Que
la terre n'a
plus
cette
qualit,
cela
se
traduit
dj dans tristement au I,
2
(qui reprend l'isotopie en i introduite
avec L'Isolement). Sa dsubstantialisation politique, conomique
et
sociale atteint dans
notre
pome mme
ce
qui survivait en
elle
comme
corrlation motionnelle (non sans
l'influence des physiocrates) :
la
nature. Elle
aussi, nous
le
savons
dj,
est rejete comme vide
de
sens,
quand
la
terre
devient
terre
d'exil. Si la
terre
est
pourtant
le refuge
de
"me romantique" c'est parce
que
ses connotations affectent
tous les
groupes
sociaux "isols"
et
"exils", par le fait non
ngligeable
que la
dnotation fodale
de
terre est devenue vide
et
s'est
(33.)
P.
Bourdieu, "Le march
des biens symboliques , L'Anne Sociologique,
Troisime srie,
1971,
p.
49
-
126.
(34) Par
ex.
G.
Hess, "Die
Tragdie
der
franzsischen Romantik ,
dans : Roma-
nica, Festschrift fur Fritz Neubert,
Berlin,
Akademia - Verlag, 1948, p. 139 et
suiv.,
rimprim
dans
G. Hess, Gesellschaft, Literatur, Wissenschaft. Gesammelte
Schriften, 1938- 1966,
Munchen,
Fink, 1967,
p. 156
et
suiv., p. 159; P. Barbris
dans
Manuel
d'histoire
littraire
de
la
France,
t.
IV,
1,
Paris,
Ed.
Sociales,
1972,
p.
494.
(35) Nous partageons le point
de
vue de P.
Barbris,
loc.
cit.,
p. 493.
7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique
21/23
116
Erich Khler
trouve peut-tre change smantiquement par
l'intermdiaire du
concept
d'une
"terre natale" crois avec une notion de patrie
implicitement comprise comme nationale. Ce concept commande un
nouveau
systme
de
valeurs,
issu de
la Rvolution
et de l'Empire
et
dont
la
dimension
atteint tous les groupes. Mais par ce processus
qui
met
la
disposition
d'un
"march
des
biens
symboliques"
sociologiquement
disparate le signifi transmis transsociolectalement de
terre,
initialement domaine
fodal
patriarcal, ce premier
signifi
devient
l'objet d'un doute
qui
est
d'une
importance centrale pour
la
comprhension de
la
macrostructure :
la
"forme" extrieure et syntagmatique
de
notre
pome.
La terre
dont la "nature"
sauve l'individu isol, est
peine perue
comme
nouvelle
patrie
pour
l'me
et
dans
le dsert
de la socit
qu'elle
se trouve
encore
une
fois
aline par la socit
mme.
C'est pourquoi la production du
sens de
la posie
romantique,
ds la
Mditation premire commence par se mettre en question.
La
macrostructure
des
trois
parties
de L'Isolement
peut
tre
comprise comme syllogisme, mais aussi comme figuration des trois
tapes
thse,
antithse et
synthse.
Retournons par
del
le
dcodage
multiple,
qui nous
a longuement
occup,
au niveau des idologmes
qui se trouvent plus proches
de
l'infrastructure. Les
trois
tapes
ci-
dessus nommes en mme temps
que
les trois phases
de
la
Mditation,
peuvent alors tre historises
et
caractrises de
la
faon suivante.
a) vocation nostalgique d'un monde pass qui tait bien rgl, qui avait
un sens, comme
nature
idyllique-harmonique,
b)
le prsent,
qui n'a
que
des
attitudes
d'indiffrence
opposer
l'irrvo-
cabilit de
la
perte
de
ce
monde
(36),
c) un avenir dont
on
ne
peut phis attendre
qu'il
soit encore de ce monde,
et
qui
pour cette raison est transpos dans un vague au del.
A ce niveau du texte, nous pouvons dsormais
voir
dans
quelle
mesure
s'applique la phrase d'Adorno selon laquelle les oeuvres d'art sont
"l'historiographie de leur
poque,
historiographie
qui
ne se
reconnat
pas
pour
telle (37) . Monde et
Histoire
dans la
perspective de
la
situation
existentielle
de la
petite
noblesse
de province
autour
de
1820 (38)
prennent ici leur forme pour ainsi dire
abstraite
et en mme temps
tout fait concrte, c'est--dire leur forme macrostructurelle. Nous
comprenons
maintenant
mieux
pourquoi Lukcs
pouvait
dire
que
ce
qui
est
vraiment social dans
l'art,
c'est la "forme".
Nous nous
exposons tranquillement au
reproche de rductionnisme
La
partie de
notre
analyse
qui
peut
susciter l'impression
d'un
tel rductionnisme
a t ncessaire pour dcouvrir d'o
viennent
les impulsions
qui
structurent
l'oeuvre
d'art aussi
bien
qu'elles
lui
font dpasser les limites
(36)
Diagnostiqu et dnonc par Lammenais qui, soit
dit
en passant, appartient,
lui
aussi,
une
famille
de la noblesse de province.
(37)
Asthetische
Thorie, op. cit., p. 272.
(38)
En
1836
encore, Alfred de Musset diagnostiquera la
maladie du sicle
comme l'tat d'me
des
enfants
du
sicle
entre
ce
qui
tait,
et
ce
qui
n'est
pas
encore
(1er
chap,
de sa
Confession
d'un enfant du
sicle
).
7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique
22/23
L
Isolement i. Essai
d
une
interprtation
sodo-smiotique
117
de ses
idologies (39).
C'est seulement de cette manire
que Ton
peut
lucider
la nature de la relation
de l'art
avec la ralit,
relation
que
nous
pouvons plus gnralement qualifier
de
diffrence esthtique.
Une
structure peut tre
dcrite -
et
doit Ftre
le plus
exactement
possible
mais elle ne peut
tre
comprise que comme structuration, ce
qui
ne
signifie
rien
d'autre
qu'un
retour vers
la
gense
du
texte
jusqu'
ses impulsions
premires.
Si l'on considre, comme
la smiotique
moderne de
la
littrature le propose, le texte
en
son
entier comme
un
signe
et si
l'on
inclue dans
l'analyse,
comme nous l'avons fait en dernier
lieu, sa composition, sa macrostructure, on est confront alors, comme
cela nous
est arriv, l'iconicit du
texte
(40), sa relation
homologue
une
structure
sociologique
externe, relation
qu'il est possible
d'expliquer.
Pour
finir,
nous
nous
permettrons
encore
une dernire
observation
particulire
sur
le
texte.
Le
vous
(
la place
du
me)
dans
le vers
auquel
on a
dj
eu si souvent recours {Un seul
tre vous
manque, et
tout est dpeupl) est
unique et
inattendu
dans
le
contexte (41). On
ne
peut
l'expliquer ni comme tant une
faon
gnrale
de
parler
de
la "langue" ni
uniquement
comme
produit
d'une
contrainte
ne
des
correspondances du chiasme phontique. C'est moins
un
"signe"
qu'un "symptme"
(42).
L'apostrophe dans
le
"signe involontaire"
d'un
groupe
vis qui
reste indtermin prsente le "vcu" personnel
comme modle d'une
exprience collective.
De mme qu'il n'existe
pas,
pour
une sociologie de la
littrature historique et
dialectique, la
moindre innocence
idologique
mme dans
la
plus subtile sublimation, de
mme
il
ne
peut
y
en
avoir
pour
une
sociosmiotique
dans
le
processus
de
la smiose. La dcouverte de la
subjectivit
substantielle
du lyrisme
romantique ne
provient pas d'un "quelque part"
social o
toute innovation se
perdrait
nouveau
dans
le
"nulle
part" d'un esprit
du sicle insaisissable et de
la
participation
de
ses inspirs.
Elle
provient
d'un groupe social prcis,
dont le
lieu est
dtermin
par sa
relation
avec
la totalit sociale et
dont
la production de sens
littraire
est tributaire
des
alliances
socio-culturelles rgissant sa comptence
sociolectale.
Le
systme
de
la
totalit
sociale
pris
en
situation
de
bouleversement
sculaire
et se
restructurant
de ce
fait
de fond
en
comble pose
le cadre
(39)
Voir
Adomo
: "Rede
uber
Lyrik und Gesellschaft , [...]
loc.
cit. Nous
ne
partageons cependant
pas
la conception troite
qu'y
soutient Adomo
de l'idologie
comme falsches Bewusstsein et "Luge".
(40)
Nous
employons
la notion d'icomcit dans
le
sens de J. Lotman,
ouvr.
cit., p.
41 et passim; cf.
A van
Zoest, Interprtation et
smiotique ,
dans A.
Kibdi
Varga
(d.), Thorie
de
la
littrature, Paris, Picard,
1981, p. 240
et
suv.
(41) Le
toi de XII,
2,
se
rapporte au vague
objet de
mes voeux, le bien
idal (vrai
sole)
vers
lequel
le
moi
(rimant
avec
toi)
veut
s'lancer
(m
'lancer).
(42)
Dans le sens mentionn plus haut (voir note
22).
7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique
23/23
118
Erich Khler
qui
conditionne ces nouvelles formes d'individualit (43). Au centre de
ces formes,
nous
trouvons celle de
la
subjectivit
substantielle
isole
qui
se dtache
aussitt
de
son premier groupe porteur. Grce
l'largissement par la mdiation
de
sociolectes et du systme du
potentiel
de
connotation
le
sujet
lyrique
peut alors vritablement
devenir ce
qu'il
tait dj depuis le dbut du sicle
malgr son intronisation
comme "porteur unique du
sens"
(Lukcs) :
un
sujet collectif, ou
-
selon Baudelaire
"une me collective".
(Universit
de
Fribourg-en-Brisgau)
(43)
Avec la
notion
de la
forme d'individualit (historique)
nous
nous
rfrons
L.
Sve,
Marxismus
und Thorie
der Persnlichkeit,
Frankfurt, Verlag
Marx
Blatter,
1972; cf.
ce
sujet
Ch.
Thoma-Herterich,
Zur
Kritik
der Psy
chokritik.
EineLitera-
turwissenschaftliche
Auseinandersetzung am
Beispiel franzbsischer Arbeiten,
Bern -
Frankfurt
a. M., Lang,
1976,
p.
264 et suiv.