Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprétation socio-sémiotique

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  • 7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique

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    Romantisme

    Alphonse de Lamartine : l'isolement . Essai d'uneinterprtation socio-smiotiqueErich Khler

    Citer ce document Cite this document :

    Khler Erich. Alphonse de Lamartine : l'isolement . Essai d'une interprtation socio-smiotique. In: Romantisme, 1983,

    n39. Posie et socit. pp. 97-118.

    doi : 10.3406/roman.1983.4666

    http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1983_num_13_39_4666

    Document gnr le 20/10/2015

    http://www.persee.fr/collection/romanhttp://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1983_num_13_39_4666http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1983_num_13_39_4666http://www.persee.fr/author/auteur_roman_1236http://dx.doi.org/10.3406/roman.1983.4666http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1983_num_13_39_4666http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1983_num_13_39_4666http://dx.doi.org/10.3406/roman.1983.4666http://www.persee.fr/author/auteur_roman_1236http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1983_num_13_39_4666http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1983_num_13_39_4666http://www.persee.fr/collection/romanhttp://www.persee.fr/
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    Erich KHLER t

    Alphonse

    de Lamartine

    : "L'Isolement".

    Essai d'une interprtation

    socio-smiotique

    "En

    dcrivant ce qui est, le pote se

    dgrade

    et descend au rang de

    professeur; en racontant

    le

    possible,

    il reste fidle sa fonction; il

    est

    une me collective qui interroge,

    qui pleure, qui

    espre et

    qui

    devine quelquefois.

    Charles

    Baudelaire

    Dans

    la

    prsente

    tude, nous

    nous

    consacrerons

    exclusivement

    un pome, pome clbre,

    qui

    comme chacun sait,

    annonce

    l'apoge

    du lyrisme

    romantique.

    Le

    sous-titre

    prcise l'orientation

    mthodologique de cette tude

    qui

    prend

    son dpart

    dans

    la

    question suivante :

    une

    sociologie de

    la

    littrature historico-dialectique

    et

    idocritique

    peut-elle

    obtenir

    des rsultats

    dans

    un genre

    qui

    a pour

    c r ctristique

    constituante

    d'liminer

    jusqu' la

    dernire trace, le rapport entre

    la

    ralit historique et sociale

    et

    l'oeuvre

    d'art

    ?

    Il

    est depuis

    longtemps

    manifeste que jusqu' prsent, la sociologie

    de

    la littrature

    ne s'est consacre principalement

    qu'aux

    genres

    mimtiques

    et

    a

    prudemment laiss de

    ct la posie.

    Ses rares incursions

    en

    ce

    domaine

    ont

    bien

    t

    couronnes

    de succs, mais elle

    se

    rduisent rgulirement

    une critique

    de

    fond.

    Il est loin de

    ma

    pense de vouloir ngliger,

    voire ddaigner

    une

    critique de

    fond, mais

    mon

    avis,

    cette

    restriction prive

    inutilement la

    sociologie de

    la

    littrature

    d'une vaste

    sphre

    de connaissance, celle de

    la dimension

    esthtique,

    qu'il

    sera

    indispensable de

    prendre en considration si une hermneutique matrialiste

    ne veut pas se condamner pour tous les temps rester inacheve.

    Je rappelle une parole

    de

    Georg Lukcs : "Ce qui est social, dans

    la

    littrature,

    c'est la

    forme

    (1) ,

    parole audacieuse,

    et nous pouvons

    dire

    que la recherche en

    sociologie de

    la

    littrature a

    dj dmontr

    qu'elle

    se

    laisse

    appliquer avec

    succs

    dans

    de

    vastes

    domaines

    de

    la

    littrature narrative et dramatique. Mais

    qu'en est-il

    de

    la posie

    lyrique,

    particulirement

    celle de

    l're moderne,

    qui

    apparat

    avec

    le

    romantisme

    ?

    Deux

    citations de thoriciens comptents suffiront

    pour nous

    dmontrer

    l'ampleur des difficults

    que nous

    rencontrons

    alors. Lukcs, que nous avons

    cit prcdemment, crit

    dans

    sa

    clbre Thorie

    du

    roman :

    (1)

    Dj crit

    en

    1901,

    voir

    G.

    Lukcs,

    Schriften

    zur

    Literatur

    soziologie,

    ausgew.

    u.

    eingel. von

    P.

    Ludz, Neuwied

    aud Spandau, Luchterhand, 3

    1968,

    p. 71.

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    Erich Khler

    "La posie est en droit d'ignorer

    que

    la premire

    nature

    est devenue pour

    nous un ensemble

    de

    phnomnes

    et, fort de

    cette

    ignorance, de

    s'inventer

    une

    mythologie protiforme de la substantiate

    subjective;

    pour

    elle

    n'existe

    que le

    grand instant o s'ternise

    soit

    l'unit signifiante de la

    nature

    et

    de l'me, soit leur

    dualit galement

    signifiante, la solitude, ncessaire et

    accepte

    de

    l'me

    :

    arrache

    la

    dure

    indiffrente,

    dtache

    du multiple

    et

    de son dterminisme confus, l'me, cet instant

    lyrique, fige

    sa plus pure

    intriorit en

    substance, et

    la nature, trangre et

    inconnaissable,

    se

    mue

    en

    un

    lumineux symbole,

    par

    la force

    de l'intriorit [...]

    dans le

    lyrisme

    seulement, le sujet qui

    soutient cette exprience devient l'unique porteur

    du

    sens,

    l'unique

    ralit

    vraie

    (2)."

    Quand l'instant lyrique prend forme cependant, o retrouvons-nous

    dans

    l'oeuvre

    cette seconde nature

    que

    Lukacs oppose

    la

    premire,

    le

    monde

    des

    conventions, le "milieu cr

    de

    la main

    de

    l'homme",

    qui

    pour l'homme

    "n'est

    plus un foyer", mais une "prison",

    la

    nature o rgne

    "la

    ptrification

    d'un complexe

    de sens devenu

    tranger,

    inapte dsormais

    veiller l'intriorit", "ossuaire d'intrioritsortes"

    (3)

    ?

    Rpondons en premier lieu

    avec

    Th. W. Adorno

    : "II

    n'est rien dans l'art, mme

    dans

    le plus sublim

    qui

    ne

    prenne

    sa

    source

    en

    ce

    monde; et rien

    de ce monde n'y reste

    inchang

    (4).

    C'est encore

    chez

    Adorno, dans son

    "Discours

    sur la posie

    et

    la

    socit"

    que nous trouvons

    une autre

    citation

    d'importance

    pour

    notre

    question

    :

    Mais cette ide, l'interprtation

    sociale

    de la posie,ne doit pas, ce

    qui

    est d'ailleurs

    le

    cas pour toute oeuvre d'art [...]

    rduire

    le sens

    de l'oeuvre

    ce

    qu'on appelle la situation de

    classe

    ou la position idologique de

    l'oeuvre

    ou

    de

    l'auteur.

    Elle

    doit

    plutt

    rendre

    compte

    de

    la

    socit

    comme

    un

    Tout

    qui

    transparat dans

    l'oeuvre

    d'art

    sous

    la

    forme

    d'une

    unit

    en

    contradiction

    avec elle-mme;

    en

    quoi l'uvre d'art lui reste soumise,

    en quoi elle la

    dpasse (5)."

    Quelques

    lignes plus bas,

    nous lisons :

    "Sa

    subjectivit

    purifie

    (de

    la cration lyrique ),

    ce qu'elle

    exhale de

    continu et d'harmonique

    tmoigne du

    contraire,

    de la souffrance due

    l'existence

    alinante comme de son attachement son gard - mme

    son harmonie n'est

    en

    fait rien d'autre

    que

    la

    communion d'une

    telle

    souffrance

    et d'un tel attachement

    (6)."

    Il

    n'est

    de

    secret pour personne

    que

    Lukacs

    et Adorno

    s'entendaient

    comme

    chien

    et

    chat

    (7),

    mais

    leurs

    opinions

    concernant

    le

    (2) Die Thorie des Romans. Ein geschichtsphilosophischer

    Versuch

    iiber

    die

    Formen der grossen Epik, 2me d. Neuwied, Berlin-Spandau,

    Luchterhand,

    1963,

    p. 60-61. Texte

    franais

    d'aprs Georges

    Lukacs.

    La thorie du Roman,

    trad.

    p.

    Jean Clairvoye, Genve, Droz, 1963, p.

    56-57.

    (3)

    Ibid. p. 62, d.

    franaise,

    p. 58.

    (4) sthetische

    Thorie,

    Frankfurt

    a. M.,

    Suhrkamp, 1970,

    p. 209.

    (5)

    Dans

    Th.

    W.

    Adorno, Noten zur Literatur, Frankfurt,

    Suhrkamp,

    1958,

    p. 76.

    (6) Ibid., p. 80-81.

    (7)

    Ce

    n'est

    pas

    le

    lieu

    ici

    d'expliquer

    les

    causes

    et

    la

    nature

    de

    leurs

    diffrends,

    voir

    ce propos N. Tertulian, Georges

    Lukacs,

    Le Sycomore, 1980, p. 184, et suiv.

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    100

    Erich Khler

    pratique, si

    elle veut apprhender

    la

    dimension esthtique.

    Offre-telle ses services d'elle-mme

    indpendamment

    de sa tendance

    se

    prsenter comme super-science ? On a toute raison d'tre optimiste

    quand

    Algirdas

    J. Greimas parle

    d'une "socio-smiotique

    discursive"

    (10)

    et

    quand

    Csare

    Segre

    assure

    que

    :

    La

    smiotique

    permet

    [...]

    de placer correctement le

    problme

    des rapports entre ralit et

    littrature,

    et

    par suite mme

    celui

    d'une interprtation

    sociologique

    du fait littraire [...]

    (11) .

    La sociologie

    de

    la littrature aussi a dj

    montr

    la

    voie

    d'une

    synthse

    mthodique. Peter

    V.

    Zima

    n'a pas

    tort

    quand il

    crit : "II

    manque la sociologie de la

    littrature

    une

    thorie

    critique

    du texte

    qui

    serait

    en mesure

    de

    dcrire et

    de

    critiquer aussi bien le texte

    fictionnel que

    les mtatextes thoriques dans

    les contextes

    socio-historique

    et

    socio-linguistique. (12) Non

    seulement

    le texte,

    la structure du texte

    est aussi un

    "fait

    social".

    Il nous

    est impossible de ne pas faire

    ntre

    le postulat de

    Zima d'une

    sociologie

    du texte

    fondement

    smiotique

    et

    d'une

    critique du

    discours

    comme

    dimension

    smiotique

    de

    la

    critique

    idologique

    (13).

    Le

    cas

    particulier que reprsente

    le

    discours lyrique

    a

    naturellement sa

    problmatique propre.

    La ralit

    socio-conomique

    et

    politique

    radicalement transforme par

    la Rvolution

    et le

    premier

    Empire

    contraint, par

    l'intermdiaire

    des systmes socio-culturels

    mdiateurs

    et en partie aussi

    directement, la

    littrature un conformisme

    qui

    entrane

    la

    reconstitution du

    systme fonctionnel

    de ses genres

    dans

    la

    premire

    phase de la Restauration

    (14).

    Cette transformation canalise le discours de l'individu isol,

    qui

    apparat

    dans

    la

    prose prromantique

    de

    Rousseau

    Chateaubriand

    (Ren), dans

    un

    nouveau

    sous-genre lyrique, celui de

    la

    "subjectivit

    ubstantielle" que nous

    considrons aujourd'hui encore

    comme

    le

    prototype

    de

    la posie

    et

    que nous dsignerons comme "Posie

    de

    la

    nature".

    Le propre de la loi

    de

    la

    transmission littraire

    du social dans

    le

    systme

    littraire est

    que

    le genre particulier, conformment sa fonction

    spcifique,

    se dlimite par rapport aux autres genres en mme temps qu'il cre le

    style

    particulier son genre. La

    posie

    des premiers romantiques est

    ralise dans un code

    restreint,

    ce

    que

    l'on remarque surtout leurvocabu-

    laire,

    selon

    qu'il inclue

    certains

    systmes ou mieux encore qu'il en

    exclue

    d'autres.

    Le but des

    reprsentants

    de

    ce

    code restreint

    est

    de

    rduire le

    (10) Smiotique

    et

    Sciences Sociales,

    Paris,

    Seuil, 1976, p. 56.T

    (11)

    "Les structures narratives

    et

    l'histoire .

    Revue Roumaine de

    Linguistique

    21 (1976) p 355,

    en allemand

    dans C.S. Literarische Semiotik.

    Dichtung

    - Zeichen

    - Gesichte,

    Stuttgart, Kohlhammer, 1980,

    p.

    141.

    (12) P.V. Zima Textsoziologie, Stuttgart, Metzler, 1980,

    p. 2. Voir

    aussi

    :

    Text-

    semiotik als Ideologiekritik,

    d.

    par

    P.V.Z.,

    Frankfurt

    a.

    M. , Suhrkamp, 1977.

    (13)

    On

    relvera,

    parmi les

    tudes

    nombreuses,

    o Zima expose et

    exprimente

    sa conception qui

    s'oriente essentiellement par

    rapport la thorie

    critique

    de

    "l'cole

    de

    Francfort , ce livre important

    :

    L Ambivalence romanesque -

    Proust,

    Kafka, Musil, Paris,

    Le Sycomore, 1980.

    (14)

    Voir ce

    propos

    les rflexions

    gnrales

    prsentes

    dans

    mon article Gat-

    tungssystem

    und

    Gesellschaftssystem , Cahiers

    des

    littratures

    romanes

    1,1977, p. 7 -22.

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    L Isolement . Essaid une

    interprtation

    socio-smiotique 101

    cercle

    de

    leurs auditeurs

    la

    minorit

    qui

    a

    atteint la mme noblesse

    d'me (15),

    mais

    c'est

    contre toute attente leur exclusion explicite

    de

    toute rfrence

    politique et sociale qui

    est

    la base de leur succs.

    La

    condition de cette

    russite

    tait que

    rien ne transparaisse qui

    aurait pu

    tre

    reconnu

    comme

    manifestation

    des

    intrts

    d'un

    groupe

    isol.

    L'effet obtenu en aurait t pour parler avec Stendhal

    (Armance)

    "comme un coup

    de pistolet

    au milieu d'un concert".

    Gardons en mmoire ces rflexions thoriques sur le

    genre

    en

    nous consacrant

    maintenant

    l'essai d'une interprtation

    socio-smiotique de

    L'Isolement.

    Deux principes conduisent notre travail,

    principes

    qui

    n'auront maintenant plus rien de surprenant : le premier

    concerne le rapport entre

    idiolecte

    et sociolecte, le second

    la

    qualit

    rfrentielle du texte. Je serai

    aussi

    bref

    que possible.

    1. L'idiolecte est la "parole" d'un auteur prcis dans une

    uvre prcise.

    En

    tant que notion, c'est en fait

    un

    monstre

    (16),

    parce

    que,

    mme

    considr

    comme

    style

    individuel

    particulier,

    il

    se

    trouve

    au

    point

    d'intersection

    de

    plusieurs,

    au minimum de

    deux,

    sociolectes auxquels

    il

    participe

    (17). On doit

    y recourir,

    parce qu'il se trouve

    toujours un

    sociolecte

    qui

    domine, et que

    cette

    dominance

    hirarchise

    l'emploi

    des

    autres

    sociolectes,

    quand elle ne va

    pas

    jusqu' les exclure. C'est pourquoi

    nous devons

    faire

    une diffrence entre la smiotique

    du

    paradigme et

    la

    smiotique

    du

    syntagme(18). Les sociolectes

    sont des

    "paroles"

    collectives (19) et en

    tant

    que

    langues de

    groupes

    sociaux

    ils

    sont dj

    porteurs d'idologie

    par leur situation dia-stratique, au

    contraire de lalangue" qui forme

    leur substrat commun. Ils

    ne

    sont alors

    plus

    indiffremment la disposition du

    porteur

    d'idiolecte (littraire), mais ils lui

    servent

    dans la mesure o celui-ci peut les incorporer ainsi

    que

    leurs liens avec

    un

    systme

    socio-culturel

    pour tendre

    la

    potentialit de

    connotation

    de son

    texte et pour

    largir ainsi la champ de la

    communication.

    Nous

    comprenons

    par

    consquence

    l'idiolecte

    comme

    une

    comptence

    individuelle

    (de langue),

    labore

    selon la

    proportion

    avec

    laquelle,

    en

    plus

    de la

    dominance

    de son sociolecte

    propre,

    elle dispose des paradigmes

    d'autres sociolectes ou qu'elle les ignore pour

    incompatibilit.

    Ce fait

    d'ignorer,

    qui

    implique la ngation de certains domaines, est la

    consquence du fait que la structure antagoniste de la

    socit

    se

    reflte

    dans

    la structure sociolectale antagoniste de la

    langue et

    dans sa hirarchisa-

    (15)

    On

    pourra

    ici se fier sans

    rserves,

    du

    moins en ce

    qui

    concerne

    les

    premires

    Mditations,

    aux

    affirmations

    de

    Lamartine.

    (16)

    Voir B.

    Schlieben-Lange,

    Soziolinguistik.

    Eine Einfuhrung, Stuttgart, Kohl-

    hammer, 1973,

    p.

    29.

    (17)

    Voir

    ce

    propos J. Lotman, Die Struktur

    des kunstlerischen

    Textes,

    Frankfurt a. M ., Suhrkamp,

    1973,

    p.

    100.

    (18)

    Voir

    Segre, Literarische Semiotik, d. cit. p. 60.

    (19)

    Voir P.V.Zima,

    Textsoziologie, p. 73, avec une critique

    de

    Greimas et

    en

    accord avec Bachtin, Volosinov et Medvedev : "Der

    Soziolekt

    erscheint als ein

    auf lexikalischer und

    diskursiver

    (semantischer und syntaktischer) Ebene Struk-

    tirierte Einheit, deren Strukturen als Ideologeme eine mehr oder

    weniger

    zusam-

    menhngende

    Ideologie

    ausdrcken.

    Voir aussi Maria Conti, Principi

    dlia' com-

    municazione let terria, Milano, 1 976, p.

    33

    :

    "Ail'

    interno

    di ogni

    sistema

    segnico

    epocale

    esiste

    una

    gerarchia di

    codificazioni

    culturali

    ben

    note

    alTemitente

    e

    ai

    destinatari di

    un

    massagio,

    come

    dire

    una

    loro

    sintassi;

    l'importante

    rendersi

    conto che essa non mai

    neutrale,

    ideologicizzata.

  • 7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique

    7/23

    102

    Erich Khler

    tion dans le

    texte, et

    cela invitablement dans

    la perspective d'une prise

    de position , aussi masque qu'elle soit.

    Sous cet

    angle de vue la phrase

    frquemment

    cite

    de Jakobson

    selon laquelle

    "la fonction potique

    projette le principe d'quivalence de l'axe de la slection sur l'axe deombinaison

    (20)

    nous

    semble

    incomplte. Jakobson admet

    certes

    une

    certaine

    intentionnalit

    pour

    la

    slection

    sur

    l'axe

    paradigmatique,

    mais

    elle reste vague et indfinie. Pour nous par contre, la

    question du

    principe de

    motivation de

    cette

    slection

    qui,

    avec les paradigmes

    sociolectaux,

    projette

    en

    mme temps

    les

    implications

    idologiques sur l'axe

    de

    combin ison syntagmatique, est de premire importance. Cela signifie encore pour

    nous que la stricte dichotomie substantielle

    de

    la

    poetic

    function

    et

    de la

    referential

    function

    est

    tout

    aussi insoutenable

    que la dichotomie

    traditionnelle de la forme et du fond. Thoriquement nous voici ainsi dans un

    premier

    temps

    plus proche

    de la

    solution

    la question

    de savoir

    comment des

    structures

    sociales

    extratextuelles pntrent dans le texte fictionnel potique. Pour

    poursuivre notre recherche nous devons dans un second temps nous

    consacrer

    au

    problme de la

    qualit

    rfrentielle du texte.

    2.

    Le

    rfrent

    de

    chaque

    texte

    fictif

    et

    aussi

    de

    chaque

    texte lyrique

    est

    la

    ralit extratextuelle,

    totalit concrte

    pouvant

    tre segmente ou

    fragmente de mille faons.

    Contrairement

    ce que

    propose une conception

    devenue dsute de la thorie

    du

    reflet, cette

    ralit

    apparat dans

    l oeuvre d'art non pas comme une

    ralit

    objective,

    mais

    comme une

    ralit

    imagine,

    construite ,

    c'est--dire

    idologiquement prforme

    (21).

    Ce

    qui est suppos tre

    ralit

    objective est une ralit objectivise

    comme construction sociale . Seulement en

    tant

    que

    telle,

    gnratrice

    de

    modles,

    elle dtermine en retour le faonnement de la

    ralit

    objective.

    Nous

    pouvons

    soutenir

    la thorie

    du

    reflet

    non

    pas en tant

    que

    reprsentation

    de la ralit, mais seulement en tant que reprsentation

    d'une

    relation envers

    la

    ralit

    (22).

    Du

    fait

    de

    cette restriction,

    qui

    lui donne en mme temps

    la

    tche de traverser

    toutes

    les instances de

    mdiation pour

    clair

    cir

    ainsi

    leur opacit, elle recouvre dsormais une

    importance qui

    lui permet de fonder nouveau

    sa

    prtention

    hermneutique

    et idocritique.

    Nous

    diffrencions,

    dans le

    systme

    de signes d'un texte, trois

    niveaux de

    rfrences o

    les structures extratextuelles

    sont

    transpor-

    (20)

    Closing Statement

    : Linguistics

    and Poetics , dans

    Th. A. Sebeok, Style

    in

    language, Cambridge, Mass., University Press, 1960,

    p.

    358.

    (21)

    Comparer

    P.

    L.

    Berger,

    Th.

    Luckmann,

    The

    Social

    Constructions

    of

    Reality,

    N.

    Y.,

    Garden

    city,

    1966;

    nous

    utilisons

    l'dition

    allemande

    :

    Die

    geselschaftliche

    Konstruktion der

    Wirklichkeit. Eine Thorie

    der

    Wissenssoziologie,

    Frankfurt

    a. M.,

    Fischer, 41974.

    (22)

    Voir ce sujet les

    dveloppements clarifiants

    de Gerhard Neumann,

    Lyrik

    und Mimesis ,

    dans

    Sprachen der Lyrik. Festschrift fur

    Hugo

    Friedrich 70.

    Geburtstag,

    hrsg.

    von E.

    Khler, Frankfurt a. M. Klostermann,

    1975,

    p.

    570-605.

    Pour

    Neumann, la structure , justement

    en

    posie, est : ein

    aus

    dem Text heraus-

    weisendes und herauswirkendes Bewltigungsmodell

    von Wirklichkeit (p.

    602)

    [un

    modle

    apte

    dominer

    la ralit et

    qui

    surpasse

    le

    texte par l'impact

    qui

    lui

    est

    propre

    ]

    . Nous

    partageons l'opinion de Neumann

    qui

    maintient (p. 594)

    que la nature de la

    posie

    lyrique

    est aussi Funktion

    des dialektischen

    Verhlt-

    nisses von Individuum und GeseUschaft .

    [une

    consquence de la

    relation

    dialectique entre individu

    et

    Socit

    ].

    Voir

    aussi

    l'tude rcente de Hartmut Stenzel,

    "Evolution

    et

    fonction

    critique

    du

    concept de

    nature

    dans

    la

    littrature

    romantique

    et dans

    le

    socialisme utopique", Romantisme,

    30,

    1980, p. 29 -

    38.

  • 7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique

    8/23

    L

    Isolement >. Essai d 'une

    interprtation

    socio-smiotique 1

    03

    tes et

    transformes

    en structures intratextuelles, autrement

    dit

    o

    la double qualit

    rfrentielle

    du

    texte

    extratextuelle

    et

    intratextuelle

    se

    constitue

    :

    l.une rfrence extratextuelle de

    premier

    degr

    qui s'applique

    toute

    dsignation

    directe et

    dnotativement

    univoque

    de

    faits

    sociaux,

    conomiques et politiques. Elle peut,

    dans

    notre cas elle doit mme

    rester

    en dehors

    de

    nos considrations

    pour

    des raisons que

    nous avons

    dj

    mentionnes

    : choix

    du

    genre qui

    exclut

    tout rapport direct avec la

    ralit,

    genre

    d'un lyrisme de la

    nature

    subjectiviste dans le systme fonctionnel

    nouvellement constitu des genres. La rfrence extratextuelle du premier

    degr

    est condamne

    dans ce lyrisme

    une latence d'o elle

    ne peut

    tre perue l'intrieur

    du

    systme

    intratextuel

    de signes

    que

    sous cette

    forme pour laquelle la

    smiotique

    rserve la notion de symptme (23).

    Ce

    renoncement

    la rfrence extratextuelle de premier degr dans

    le

    code du sous-genre lyrique est

    compens

    sur

    un

    second niveau du

    texte

    que

    nous

    voulons

    nommer niveau

    des

    2.

    rfrences

    du second

    degr. Une qualit

    double caractrise

    leurs

    porteurs

    linguistiques,

    celle d'exercer une

    fonction de rfrence aussi bien

    extratextuelle qu'intratextuelle.

    Il

    s'agit ici

    en

    majorit,

    mais

    non uniquement,

    de lexemes smatiquement ambivalents ou mme polyvalents,

    qui

    ont

    en mme temps la fonction de mots-clefs, mots

    conducteurs,

    ou mots

    thmatiques que

    l'on reconnat

    souvent

    leur

    seule

    rcurrence,

    mais

    parfois

    aussi, quand ils n'apparaissent qu'une seule fois, seulement aprs

    une

    analyse structurale approfondie. C'est

    leur

    polysmie, la

    possibilit de

    se

    charger de

    plusieurs signifis,

    qu'ils doivent la

    facult

    de pouvoir

    incorporer rfrentiellement dans

    le

    texte

    des systmes

    contemporains

    susceptibles

    de

    connotations,

    c'est--dire

    aussi des paradigmes

    slectionns

    de

    diffrents

    sociolectes. Ce

    sont

    des

    connotations au

    sens

    de

    Hjelmslev

    (24). C'est la

    mme

    polysmie

    toujours dirige

    dnotativement

    par

    le

    contexte

    dans une stratgie persuasive particulire,

    par

    l rendue

    acceptable

    pour

    plusieurs

    groupes sociaux, qui leur prte leur

    double

    qualit

    rfrentielle. Ce qui caractrise

    par

    consquent ces porteurs de rfrence

    de

    second degr,

    c'est

    cette garantie,

    si minime

    soit-elle,

    d'une

    congruence

    partielle

    de plusieurs

    codes

    sociolectaux, congruence

    qui assure

    ainsi

    leur

    fonction de mdiation des

    structures

    complexes

    extratextuelles

    et

    intratextuelles, et cela par l'intermdiaire de procds particuliers de

    smantisation du systme significatif

    intratextuel.

    C'est le principe ainsi

    dcrit, la smiose, que nous voulons tudier

    au

    3. niveau

    de

    rfrence

    de

    troisime degr.

    Nous

    nous

    servirons

    dans

    ce

    do-

    domaine

    des

    mthodes

    formalistes,

    structuralistes,

    de la linguistique et

    de la

    smiotique

    du texte, sans pour autant pouvoir puiser toutes leurs

    ressources.

    (23) Segre par

    exemple : Literarische Semiotik, p. 53. La

    dfinition

    du

    symptme

    chez

    Segre

    correspond celle de

    R.

    Barthes du signei involontaire

    (24) Prolegomena zu einer

    Sprachtheorie,

    Munchen, Fink, 1974. Voir ce

    sujet

    K.

    H. Spinner,

    "Die

    Aporien

    des

    Konnotationsbegriffs

    in

    der

    Literaturse-

    miotik , dans

    :

    A.

    Eschbach

    /

    W.

    Rader

    (d.).

    Literatursemiotik

    I,

    Methoden

    -

    Anly sen -

    Tendenzen, Tubingen,

    Narr, 1980, p.

    65

    -

    84.

  • 7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique

    9/23

    104

    Erich Khler

    Voici maintenant le texte,

    prpar

    en fonction de

    notre

    dessein

    (25)

    :' ..

    L'Isolement

    a

    I

    Souvent

    sur la montagne,

    l'ombre

    du

    vieux chne,

    Au

    coucher du

    SOLEIL,

    tristement je m'assieds ;

    Je promne au hasard mes regards sur

    la

    plaine,

    Dont

    le TABLEAU changeant se droule mes pieds.

    II

    Ici, gronde

    le

    fleuve aux vagues

    cwnantes,

    II

    serpente, et s'enfonce en un lointain obscur;

    L,

    le

    lac immobile tend

    ses eaux dormantes

    O l'toile du soir se

    lve dans

    l'azur.

    III Au sommet

    de

    ces

    monts

    couronns de bois SOMBRES,

    Le

    crpuscule encor

    jette

    un

    dernier

    rayon

    Et

    le

    CHAR vaporeux

    de

    la reine

    des

    OMBRES

    Monte, et

    blanchit dj

    les

    bords de

    l'horizon.

    IV Cependant, s'lanant

    de

    la flche

    gothique,

    Un son

    religieux se

    rpand

    dans les

    airs,

    Le voyageur s'arrte,

    et la

    cloche rustique

    Aux derniers bruits du JOUR mle de saints concerts.

    b

    V

    MAIS

    ces

    doux

    TABLEAUX

    mon

    ME

    INDIFFERANTE

    N'prouve devant

    eux

    ni CHARME, ni transports,

    Je

    contemple la

    TERRE,

    ainsi qu'une OMBRE errante

    :

    Le

    SOLEIL des

    vivants n'chauffe plus les

    morts.

    VI De colline

    en

    colline en

    VAIN

    portant ma

    vue,

    Du sud l'aquilon,

    de

    l'AURORE au couchant,

    Je parcours tous

    les

    points de l'MM/uVSE tendue,

    Et

    je

    dis : Nulle part le bonheur ne m'

    ATTEND,

    VII

    Que

    me font ces

    vallons,

    ces palais, ces

    chaumires

    ?

    VAINS

    objets

    dont pour

    MOI

    le CHARME est envol;

    Fleuves,

    rochers,

    forts,

    solitudes

    si

    chres,

    Un

    seul

    tre vous

    manque, et

    tout

    est dpeupl.

    VIII Que le tour du SOLEIL ou commence ou s'achve,

    D'un oeil

    /NDIFFERtfiVT

    je le suis dans

    son

    cours;

    En

    un CIEL SOMBRE ou pur

    qu'il

    se

    couche

    ou se

    lve,

    Qu'importe

    le SOLEIL ?

    je n'ATTENDS

    RIEN des

    JOURS.

    (25)

    Abstraction

    faite

    de

    nos

    mises

    en

    relief,

    nous reproduisons

    le texte

    d'aprs

    l'dition

    de

    F.

    Letessier,

    Lamartine, Mditations, Paris, Gamier, 1968, p. 3 - 4.

  • 7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique

    10/23

    L Isolement . Essaid une interprtation

    socio-smiotique

    1

    05

    e

    IX Quand

    je pourrais le suivre

    en

    sa

    vaste

    carrire,

    Mes yeux verraient

    partout

    le

    vzde et les

    dserts;

    Je

    ne DES/RE RIEN de

    tout

    ce qu'il claire,

    Je

    ne

    demande RIEN

    VMMENSE

    univers.

    X MAIS peut-tre

    au

    del

    des bornes

    de

    sa

    sphre,

    Lieux o le vrai SOLEIL claire d'autres CIEUX,

    Si je

    pouvais

    laisser ma dpouille

    la

    TERRE,

    Ce

    que

    j'ai tant rv

    paratrait

    mes yeux ?

    XI

    L,

    je

    m'emvrerais

    la

    source

    o

    j'aspire,

    L,

    je

    retrouverais et

    l'espoir

    et

    l'amour,

    Et ce

    BIEN

    IDEAL

    que

    toute ME DESIRE,

    Et

    qui

    n'a pas de nom au TERRESTRE

    sJOUR

    XII Que ne

    puis-je,

    port sur

    le CHAR de

    AURORE,

    Vague

    objet

    de mes voeux, m ' jusqu'

    toi,

    Sur la TERRE D'EXIL pourquoi rest-je ?

    Il

    n'est RIEN

    de commun

    entre IslTERRE et

    MOI.

    XIII

    Quand la FEUILLE des bois

    tombe dans

    la

    prairie,

    Le vent du

    soir s'lve

    et

    l'arrache

    aux

    vallons;

    Et

    MOI,

    je

    suis semblable

    la

    FEUILLE

    fltrie

    :

    mportez-MOI

    comme elle, orageux aquilons

    La forme strophique est simple : le pome est

    compos de

    treize

    quatrains

    d'alexandrins

    rimes croises

    o

    a est toujours

    fminine,

    b masculine. Les treize strophes s'organisent en

    groupes

    de

    4 +

    5

    + 4

    strophes,

    ce

    qui

    saute aux yeux aprs

    premire

    lecture cause des

    deux mais qui

    introduisent

    la

    deuxime

    et la

    troisime

    partie

    et

    marquent

    de faon nette

    l'opposition

    par

    rapport

    la partie

    prcdente.

    Cette

    division en trois parties

    donne

    notre pome en quelque sorte

    la forme d'un tryptique. C'est

    seulement

    en

    tant

    que moi

    lyrique,

    moi dans

    lequel

    s'est transform le

    pote, que Lamartine

    "raconte"

    les phases

    d'une

    "mditation". Lieu : paysage de montagnes;

    perspective

    :

    du

    haut de

    la

    montagne s

    'largissant dans la

    valle

    et dans la

    plaine,

    se

    perdant dans le lointain;

    moment :

    le soir, au

    coucher

    du

    soleil; faon

    de

    ressentir : rsum de

    sensations souvent

    prouves

    ("Souvent

    sur

    le montagne

    ... ). La

    direction du

    regard

    du haut

    vers

    le bas

    se transforme en opposition intrieur-extrieur

    et

    dans

    le

    contraste

    moi-monde.

    Nous revoici ainsi

    la

    macrostructure

    qui

    est

    vidente

    et

    qui

    a

    dj

    en

    soi

    la valeur

    d'un

    signe

    signifiant,

    celui

    de l'ordre

    primaire d'une

    exprience problmatique de

    la ralit.

  • 7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique

    11/23

    1

    06

    Erich Khler

    Rsumons

    tout fait

    provisoirement

    :

    la premire partie

    est

    un

    tableau,

    aussi nomm

    comme

    tel

    (V,

    4),

    panorama

    sur un paysage

    romantique idyllique

    qui

    prsente

    au

    triste pote

    ("tristement", I,

    2)

    tout ce

    que la

    nature

    et

    les hommes peuvent

    lui

    offrir

    en

    beaut,

    paix,

    dvotion

    et en

    sons

    religieux

    pour

    le

    consoler. Rien

    ne

    manque,

    ni

    la

    montagne

    ni

    la

    valle,

    ni le

    fleuve ni le clocher villageois

    et

    le

    son

    des cloches,

    ni

    le

    crpuscule et la monte

    de

    la lune, dcors d'une

    mlancolie

    plutt

    tendre

    qu'amre. Mais dj au premier vers

    de

    la

    deuxime partie

    (V,

    1), suivi d'un hyperbate plein d'effet

    -

    ces

    doux

    tableaux

    se rvlent vains

    et vides

    pour

    l'me devenue

    indiffrente (mon me indiffrente). La nature

    qui

    s'tend jusqu'au cosmique

    laisse le moi,

    abandonn

    au nant,

    tout

    fait comme une ombre

    errante

    (V, 3), comme quelqu'un dj

    mort

    en

    plein

    milieu

    de sa vie

    et qui

    doute

    de toute possibilit de

    bonheur. Au centre

    de

    la deuxime

    partie, nous trouvons ce vers (VIII, 4),

    objet

    d'admiration de

    la

    critique

    et

    dans

    lequel

    elle

    n'a

    pourtant

    vu

    souvent

    que

    la

    manifestation

    du bouleversement personnel de Lamartine caus par

    la

    mort de Julie

    Charles, mort

    qui

    serait

    en mme

    temps le motif dterminant de

    la

    gense

    de "L'Isolement"

    (26) : Un seul

    tre vous manque,

    et tout est

    dpeupl. En ralit, nous

    pouvons, ici

    aussi, appliquer cette loi selon

    laquelle chaque thmatisation littraire de l'amour qui

    ne

    se limite

    pas

    uniquement

    la sexualit est en

    fait

    la

    rduction

    gnratrice

    de

    sens

    ou de non-sens

    d'une recherche

    de

    l'identit, recherche

    troitement

    lie au rapport

    de l'individu

    la

    socit.

    L'preuve

    de

    commutation phonmatique pleine d'esprit

    que

    Giraudoux a

    effectue

    sur

    ce vers

    "Un

    seul tre

    vous manque, et tout est repeupl"

    (27)

    -

    vient

    encore,

    dans

    son

    renversement

    paradoxal,

    confirmer

    ce

    fait.

    Vimmense tendue

    apparat vide

    de

    sens

    Yoeil indiffrent du moi

    qui

    n'attend plus

    rien

    de

    la vie (je

    n'attends

    rien

    des

    fours, VIII,

    4),

    ne dsire plus rien dans Vimmense univers (IX, 4),

    qui

    ne rencontre

    partout

    que

    le vide et les

    dserts

    (IX,

    2). Mais

    peut-tre l'me

    dpouille

    de son

    enveloppe

    terrestre

    trouvera-t-elle

    le

    bien idal en quittant

    le terrestre sjour (IX, 4),

    la terre

    devenue

    exil

    (terre

    d'exil XII,

    3),

    pour ce vague

    objet

    de mes voeux

    (XII,

    2) qu'on ne peut pas nommer

    (qui n

    'a pas

    de

    nom, XI, 4). La symbolique mtaphorique de l'automne,

    du vent et du feuillage

    qui

    tombe unit dans la dernire strophe

    l'aspiration

    la

    mort

    et

    l'espoir incertain d'un bonheur dans l'au-del.

    La

    critique

    a

    depuis

    longtemps dcouvert toutes les

    sources

    possibles

    et

    imaginables des

    nombreux motifs : Ptrarque, Rousseau,

    Ossian, Millevoye, Grey, Chateaubriand entre autres, en remontant

    mme jusqu' de vritables "citations".

    Si

    nous nous

    contentons de ce

    (26)

    II

    ne

    faut pas oublier

    que Lamartine pousait Elisa Birch la mme anne

    o

    il publiait

    les

    Mditations

    potiques.

    Anne

    de gloire

    et

    du

    bonheur

    dit

    F.

    Letessier

    de

    l'anne

    1

    820.

    (27)

    La

    guerre

    de

    Troie

    n

    'aura

    pas

    lieu,

    I, 4 ,

    voir

    Letessier,

    d.

    cit., p.

    468.

  • 7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique

    12/23

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    108

    Erich Khler

    Nous constatons que les

    lexemes

    rcurrents

    qui

    s'talent sur toute

    la macrostructure formelle

    et

    se

    concentrent

    dans la partie du milieu

    (b)

    forment

    dans

    leur distribution les constituantes essentielles pour

    la

    cohrence

    du

    pome en son entier.

    Comme

    ils sont dots (en tant

    que

    porteurs de

    rfrences

    de second

    degr) d'une

    rfrence de

    qualit

    double, on

    pourra galement

    leur

    attribuer

    en

    employant

    la

    terminologie de

    Greimas

    une

    fonction actantielle.

    Les

    analyses

    suivantes

    ont

    alors un objectif

    double

    :

    tudier d'une

    part

    ces

    lexemes

    dans

    leur particularit

    de

    centres ou de point

    de dpart

    d'isotopies, et

    d'autre part leur fonctionnement actantiel.

    Une autre observation importante s'impose. La

    porte

    d'un

    lexme-cl n'est pas lie

    sa

    frquence (qui

    n'en

    devient pas

    ngligeable

    pour autant) mais il

    lui

    suffit d'apparatre une seule

    fois

    et

    parfois

    il

    ne lui

    est mme

    pas

    ncessaire d'tre cit explicitement

    si

    des procds intratextuels de

    smiose

    adapts sont mis

    en jeu.

    Commenons

    avec

    un

    exemple du

    dernier

    cas.

    La

    frquence

    des

    sons eu, ieu, n'aurait, mise en comparaison

    avec la "langue", rien

    d'extraordinaire

    en

    soi

    si

    leurs

    mots-porteurs

    n'apportaient pas en

    majorit un poids

    smantique reli

    des

    systmes extratextuels

    et s'ils

    n'taient pas pourvu de caractristiques

    mtriques

    et

    rhtoriques

    d'une

    importance

    particulire.

    Relig/

    (IV,

    2)

    est

    la

    csure, tout

    comme

    auparavant

    vapom/x (III,

    3)

    et

    aprs eux

    (V,

    2) ;

    seul et

    dpewpl se trouvent dans le vers central

    du pome (VII,

    4)

    la place prcise qui leur permet

    leur structure

    chiasmatique

    (voir

    ci-dessous). Mais peut-tre introduit le premier

    vers

    de

    la

    strophe

    (X,

    1)

    qui

    fait

    dbuter

    la

    troisime

    partie,

    strophe

    dans

    laquelle riment deux et yeux. Le deuxime vers de cette

    strophe

    est un chiasme phontique

    trs

    ingnieux :

    Lieux o le vrai

    soleil ckwre

    d'autres deux.

    Le

    vrai soleil

    est

    en

    fait Dieu,

    qui,

    insinu de faon

    insistante ne

    peut

    tre nomm,

    si

    ce n'est

    en

    rfrence au

    chapitre "Du

    vague desassions" dans le Gnie

    du Christianisme

    comme Vague

    objet de

    mes voeux (csure,

    XII,

    2)

    et

    comme bien

    idal

    . . .

    qui

    n'a pas

    de

    nom (XI, 3-4).

    Peut-tre

    est-il trop audacieux de voir

    en

    bien

    idal

    un paragramme de

    Dieu (nous

    n'y

    insisterons

    pas).

    Par

    contre,

    il

    est

    certain

    que

    le bien de ce syntagme est tenu

    en opposition

    phonmati-

    que

    avec le

    rien

    rcurrent

    qui, dans une

    construction parallle anapho-

    rique

    (Je ne dsire

    rien

    . . . Je

    ne demande rien),

    forme

    une

    rime

    intrieure

    la

    csure

    aux vers IX, 3 -

    4, achve

    la phrase

    de

    la mditation

    sur "l'indiffrence"

    (deuxime

    partie,

    b) et

    scelle le dtachement de

    tout lien terrestre

    (XII,

    4) (// n'est

    rien de

    commun entre

    la

    terre et

    moi). Nous devons

    renoncer

    exposer

    ici

    les interfrences riches en

    potentialits avec les autres

    squences intratextuelles,

    mais

    nous

    pouvons faire cette constatation : la srie phontique eu, ieu forme une

    isotopie qui

    dans ce cas, mme sans

    lexeme

    focalisant

    se

    rattache

    un systme extratextuel

    :

    une religiosit contradictoire, hsitante,

    vague,

    religiosit qui, avec ses lments

    de

    mysticisme,

    de

    noplato-

  • 7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique

    14/23

    L Isolement

    >.

    Essai d une interprtation socio-smiotique 1

    09

    nisme

    et

    de rsignation n'est plus

    en

    mesure

    d'identifier ce

    bien idal

    prometteur

    d'identit au

    Dieu

    chrtien. De ce fait elle a

    refoul

    son

    nom

    dans la

    langue

    latente

    d'o, il est

    vrai, le lecteur disposition

    chrtienne

    peut

    le retirer

    sans

    peine

    (28).

    Nous

    avons

    dj

    dit

    plus

    haut

    que

    la

    signifance

    de certains lex-

    mes-cls

    (rfrences

    du second degr) n'tait pas forcment lie

    leur

    rcurrence.

    Nous voulons

    tout d'abord

    dmontrer cela

    partir

    du

    mot

    que

    Lamartine a choisi comme titre :

    premire

    orientation

    du lecteur,

    en mme temps instrument subtil pour

    la

    stratgie

    du

    codage

    et

    pour

    le

    sens

    des connotations (29). Nous n'avons pas l'ambition de vouloir

    enrichir

    la recherche des sources, mais notre intrt

    pour

    l'intertex-

    tualit

    et

    pour le systme rfrentiel

    de

    notre texte nous

    incite

    penser

    de

    ce point

    de

    vue Benjamin Constant

    et

    Lammenais

    (30).

    Lamartine

    n'a

    pas choisi

    "solitude"

    ("Einsamkeit"),

    qui

    exprime

    un

    tat,

    mais

    isolement

    ("Vereinsamung"),

    qui

    en

    tant

    que

    driv

    d'un

    verbe

    (isoler), dsigne un processus

    en

    cours. Non

    pas la "solitude",

    depuis Rousseau

    de

    connotation tout

    fait positive,

    voque

    dans

    la strophe

    VII, 3 (solitudes si

    chres)

    pour

    tre

    rejete avec toute

    la

    topique richement

    prsente

    du

    paysage de

    l'me romantique

    maintenant vide

    de

    sens, mais un isolement

    qui

    contient dj la notion

    "alination".

    L'ide

    d'une "solitude"

    choisie librement

    reprsente

    la

    dernire possibilit de crer une vision

    du monde

    indpendante

    des

    contraintes sociales.

    Cette

    ide est abandonne en tant qu'illusion,

    qui

    ne

    peut retenir

    la

    vague

    d'une

    indiffrence paralysante conforme

    (28) La fin de la squence de eu qui est aussi la fin du pome, s'intgre encore

    cette isotopie :

    XIII,

    4 (Emportez-moi comme elle, orageux

    aquilons)

    est

    citation

    de

    Chateaubriand

    (Ren).

    (29) voir notamment sur la

    smiotique

    du

    titre (en

    ce cas souvent nglige

    par

    la critique)

    R.

    Hess, 'Titel und

    Text",

    Iberoromania 1 2, 1 980, p.

    68

    et

    suiv.

    (30) Adolphe

    de

    Benjamin Constant

    est paru en

    1816,

    en

    mme temps

    Londres

    et Paris. Ellnore,

    la

    matresse d'Adolphe n'a pas encore

    succomb

    ses

    tourments

    et

    sa

    maladie

    dont Adolphe est la seule cause, que

    le protagoniste

    sait

    dj

    qu'il

    sera

    l'avenir, seul dans le dsert du monde , qu'il

    voulait traverser

    en toute

    indpendance

    j'tais dj

    seul sur la terre et il

    constate amrement

    :

    "Dj Visolement

    m'atteignait . Que l'on compare

    avec

    Lammenais

    dans la

    premire partie de son Essai

    sur

    l'indiffrence (1817) : Je vois ces

    effroyables espaces

    de Vunivers qui

    m'enferment, et

    je me trouve

    attach

    un coin

    de cette

    vaste

    tendue [...] Je ne vois

    que

    des infinits de toutes

    parts,

    qui m'engloutissent comme

    un atome, et comme une ombre qui ne dure

    qu'un

    instant sans retour, (F.

    R.

    de

    Lammenais,

    Oeuvres

    compltes,

    d.

    p.

    L.

    Le

    Guillou,

    t.

    I,

    Paris

    1836,

    Reprint

    Genve, Slatkine

    1980, p. 207).

  • 7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique

    15/23

    110

    Erich Khler

    la dfinition que

    donne Lammenais

    du "mal du

    sicle"

    (31).

    Elle cde la

    place

    la

    pense amre

    que

    mme

    la

    nature

    -

    projection antithtique

    de

    la "nature"

    de

    la

    socit

    -

    est devenue inhabitable,

    que

    mme

    la

    nature par

    consquent

    se drobe

    la recherche

    de l'identit. L'article

    dfini

    indique

    qu'une

    exprience

    collective

    est

    transforme

    en

    une

    exprience personnelle exemplaire et

    en mme

    temps dfinitive.

    Les titres sont des signaux. Notre

    interprtation du

    prsent titre

    n'aurait cependant

    jamais

    t aussi catgorique si nous n'avions pas

    de

    bonnes

    raisons

    d'apercevoir en lui

    le

    point

    de

    dpart d'un

    processus

    de smiose complexe. Afin d'claircir

    notre

    propos, nous

    reproduisons

    typographiquement le titre

    de

    plusieurs manires en faisant ressortir

    chaque fois

    les phnomnes

    d'importance

    phonmatique

    :

    1 l'isolement

    2

    L'IsoLement

    3

    l'Isolement

    4 l'iSolement

    5

    l'isOlement

    6

    l'iSOLement

    7 FisoleMent

    8

    l'isolemENt

    9

    l'isoleMENt

    L

    'Isolement n'est pas seulement une unit signifiante

    d'lments de

    langue, bien plus, ce

    mot

    se rvle

    tre

    un faisceau de smes

    d'o

    prennent

    leur dpart

    des isotopies

    smmiques qui

    se

    laissent elles-mmes

    ordonner

    en ciassmes. Il n'est pas possible

    de

    les retracer

    toutes

    ici,

    mais

    nous

    en

    rencontrerons

    quelques-unes

    pour

    ainsi

    dire

    "en

    route".

    Nous portons

    notre

    intrt sur deux d'entre elles :

    en

    /

    an

    (numro 8)

    qui

    se

    relient souvent

    m

    (numros 7

    et

    9)

    et

    sol

    (numro 6) ,

    galement

    enregistr

    dans les sries s et

    /

    (numros

    4

    et 2).

    En

    I

    an est une des squences phoniques

    redondantes de

    notre

    texte. Je ne veux

    fatiguer

    personne

    en

    les numrant, mais

    noterai

    pourtant les faits suivants. Il y a

    huit

    rimes en

    an

    / en, trois fois

    la

    csure. On retrouve frquemment cette squence dans les

    lexemes

    rcurrents du sens desquels nous avons dj montr en partie

    l'importance :

    indiffrENt

    (V,

    1;

    VIII,

    2);

    immENse

    (VI,

    3;

    IX,

    4);attEND

    (VI,

    4;

    VIII,

    4);

    tENdue (VI, 3); tENd (II, 3). Apportent un poids

    motionnel

    propre,

    parfois

    aussi

    rfrentiel

    au

    systme

    : tristemENt (I, 2);

    cumANtes (II, 1,

    rime);

    dormANtes

    (II, 3, rime); errANte

    (V,

    3,

    rime)

    vivANts (V,

    4,

    csure); couchANt (VI,

    2, rime);

    lANcer (IV, 1;

    XII, 2). Notons en passant des rptitions proches comme immENse

    tENdue (VI,

    3),

    chANgeANt (I,

    4),

    cepENdANt (IV, 1),

    s'lAN-

    (31) Exprim ds le dbut de

    rintroduction"

    de YEssai

    sur

    l'indiffrence:

    "Le sicle

    plus

    malade n'est pas

    celui

    qui se passionne pour Terreur,

    mais le sicle

    qui

    nglige,

    qui ddaigne la

    vrit. Il y

    a encore

    de

    la force, et

    par consquent

    de l'espoir,

    l

    o

    Ton

    aperoit

    de

    violents transports

    :

    mais lorsque

    tout

    mouvement

    est

    teint,

    lorsque

    le

    pouls

    a

    cess

    de

    battre,

    que

    le

    froid

    a

    gagn

    le

    coeur,

    qu'attendre

    alors,

    qu'une prochaine et

    invitable dissolution.

    (Ed. cit.,

    I,

    p.

    I

    - II).

  • 7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique

    16/23

    L 'Isolement >. Essai d 'une

    interprtation

    socio-smiotique 111

    ANt (IV,

    1). Dans une perspective smiotique du texte il ne

    peut

    y avoir aucun doute que

    tous les

    segments homophones, y

    compris

    les morphmes, sont smantiss par des lexemes,

    la

    plupart du temps

    rcurrents avec rfrence extratextuelle, lexemes

    qui

    forment

    eux-mmes

    des

    focalisations, pendant

    que

    d'autres,

    rfrence

    intratextuelle,

    servent

    de

    pont

    et

    transportent le sens en

    voie

    de

    constitution.

    L'isotopie smmique en

    / an

    est

    souvent

    relie

    la squence

    phonique

    de

    m place en allitration (en dbut

    de

    mot comme en

    dbut

    de syllabe) :

    VisoleMENt (titre), tristeMENt (I, 2), cuMAN-

    tes

    (II,

    1,

    rime), dorMANtes

    (II, 3,

    rime),

    imMENse (IX,

    3; IX,

    4),

    comMENce (VIII,

    1),

    deMANde (IX,

    4).

    Aussi

    bien pour

    en I an que

    pour

    ment

    /

    man nous

    constatons

    que

    de

    la premire strophe

    la

    strophe IX

    leur frquence

    augmente et que la squence atteint

    son

    apoge dans un

    mot que nous

    avons jusqu'ici nglig :

    MANque,

    au

    centre

    du

    pome, dans

    le

    vers

    clbre

    (VII, 4), sa

    csure,

    sans

    correspondance phontique

    l'intrieur

    de

    ce

    vers

    construit en

    son

    entier

    sur

    un chiasme

    phonique. L'isotopie smmique trouve

    son signifi

    commun, son unit, qui pourrait tre montre aussi dans

    la

    perspective de l'quilibre

    et

    de

    la runion

    de ces classmes, dans un

    manque

    fondamental,

    dans

    une

    absence.

    Venons en

    maintenant

    sol

    {ViSOLement, SOLitudes (VII, 3),

    SO-

    Leil) qui, comme nous l'avons dj

    dit, apparat cinq

    fois,

    est

    rparti

    sur les trois groupes

    de

    strophes,

    se

    trouve

    toujours

    la place

    mtrique

    privilgie de

    la

    csure

    et

    forme dans

    la strophe

    VIII une rime

    intrieure embrasse. Cette

    rcurrence

    porte par les sries s

    et

    / nous

    utorise

    inclure

    un mot

    qui

    a

    la mme racine

    tymologique,

    le

    patronyme

    seul. Nous ne le rencontrons

    qu'une

    seule fois, mais

    de

    nouveau au

    vers

    VII, 4 :

    Un

    seul

    tre

    vous

    manque

    ....

    Nous

    avons

    parl

    ci-dessus

    de

    l'importance

    de

    la squence smique eu

    /

    ieu, au cours

    de laquelle

    le nom de Dieu est

    voqu

    mais

    reste

    explicitement non-prononc.

    L'interfrence de cette

    squence avec

    celle de

    sol

    /

    seul donne

    cet

    autre

    vers,

    construit

    en

    chiasme

    (X, 2),

    sa structure de fond

    smantique

    :

    LIEUx

    o

    le

    vrai

    SOLeil

    claire, d'awtres cIEUx.

    Ce

    qui

    forme le dnominateur commun des isotopies

    que

    nous venons

    de discuter, c'est l'unicit,

    l'originalit

    aussi

    du

    moi

    dans

    son

    abandon

    qui

    porte

    maintenant son

    "vague"

    espoir

    sur .une

    des

    plus

    hautes

    incarnations

    de

    cette unicit :

    le

    vrai soleil.

    Ici,

    en

    fait,

    l'opposition

    fondamentale de notre

    pome

    est mise

    en vidence

    :

    terre et soleil,

    signes de

    la

    langue avec un

    systme

    extratextuel rfrences

    multiples - et

    comportant

    la tension force

    du

    dsespoir

    et

    de l'espoir

    du

    moi. La srie des cinq occurrences de

    terre prend son dbut dans

    la

    partie 2 (b)

    (V, 3),

    se concentre dans

    la partie (3) (c)

    et

    dans

    le refus

    dfinitif

    de

    toute communaut entre

    la terre

    et

    le moi

    (XII,

    4). Du fait

    de

    sa voyelle tonique, terre s'intgre

    dans

    l'abondante

    srie des sons avec e ouvert,

    qui

    mrite notre

    attention

    pour diffrentes raisons. Cette

    voyelle n'est

    pas moins de sept fois

    dans

    la

    rime (str.

    I,

    IV,

    VII,

    VIII

    2

    fois,

    X),

    dont une

    fois

    dans

    le

    mot terre lui-mme (X, 3). On la rencontre souvent aux

    syllabes

  • 7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique

    17/23

    112

    Erich Khler

    la csure, comme

    cette

    rime intrieure

    de

    la strophe XI, 1

    2,

    o elle domine deux

    hmistiches

    parallles avec anaphore

    et

    homo-

    ioteleuton :

    L,

    je m enivrera/s . . . /

    L,

    je retrouvera/s. La srie est

    porte smantiquement

    et

    renforce,

    avec la formation

    de

    classmes,

    par des mots comme : chne (1,1), promne (I, 3), pleine (I, 3), reine

    (III,

    3), flche

    (IV,

    1), airs

    (IV, 5),

    concerts

    (IV,4),

    palais

    (VII,

    1),

    chaumires

    (VII,

    1), forts

    (VII,

    3), s'achve

    (VIII,

    1), se

    lve (VII,

    3),

    ciel (VIII, 2), carrire

    (IX,

    1), dserts

    (IX,

    2), claire (X, 3; X,

    2),

    univers (IX, 4),

    peut-tre

    (X, 1), sphre (X, 1),

    vra/

    (X, 2), prairie -

    fltrie

    (XIX, 13,

    qui

    forment

    une

    rime

    riche) et enfin

    elle,

    synecdoque

    la

    csure

    (XIII, 4). Il ne serait

    pas trop

    difficile de classifier

    ces exemples

    nous n'avons

    pas pu travailler exhaustivement

    et

    de

    rattacher

    les

    classmes

    aux

    champs

    smantiques qui se

    forment

    autour des

    "actants"

    de

    la

    Mditation premire. D'autres phnomnes importants sont cependant

    observer

    encore ce

    propos.

    La

    squence du

    e

    ouvert

    forme non

    seulement les deux mais,

    dont

    nous

    connaissons

    dj la fonction,

    elle

    traverse

    aussi,

    et

    par

    deux

    fois,

    ces

    deux

    vers

    construits

    en

    chiasme dont

    l'importance particulire est dj devenue plusieurs fois manifeste :

    Un seul tre vous

    manque, et

    tout est

    dpeupl

    (VII,

    4)

    Lieux o

    le

    vra/ sole/1

    cla/re

    d'autres

    cieux

    (X, 2)

    (suivis des vers : Si je

    pouva/s la/sser ma dpouille

    la terre, / Ce

    que

    j'ai

    tant rv parai tra/t mes yeux).

    Il

    nous

    semble dsormais vident

    que les

    lments htrognes

    qui

    se

    laissent organiser

    en

    classmes

    se

    runissent en

    une

    isotopie

    complexe

    et contradictoire en elle-mme. Nous voulons claircir ce problme

    en revenant encore une fois

    terre.

    A

    sa

    premire

    occurrence

    (V,

    3), terre apparat

    dans

    le regard

    d'une ombre

    errante,

    d'une me

    dj

    partie qui n'a pas

    encore

    trouv

    le chemin

    du

    royaume des ombres, qui, encore emprisonne dans le

    corps humain,

    aspire

    dj fivreusement le

    quitter.

    Cela nous

    rappelle

    le

    "cor

    meum inquietum est" de Saint Augustin. Le

    systme

    extratextuel de rfrence est

    double

    : mythologique

    et religieux.

    A sa

    deuxime

    occurrence

    (X,2), en

    position de

    rime, terre

    est le

    monde

    matrie l , terrestre, auquel l'homme rend son

    corps

    pour contempler

    l'tre

    suprme

    qu'on

    ne

    peut

    pas

    nommer. Systme de

    rfrence

    :

    religiosit

    mystique, non exempte d'lments de

    noplatonisme,

    comme le

    montre

    galement le

    contexte o se trouve

    le

    syntagme terrestre sjour

    (XI, 4).

    Le vers

    XII, 4-11

    n'est rien

    de

    commun entre

    la

    terre

    et moi -

    contient

    la consquence philosophique

    de cette exprience

    que

    le

    monde" -

    signifi de terre ici

    - refuse

    tout

    sens

    la vie.

    Jusqu' prsent, nous avons

    laiss de

    ct la

    quatrime

    occurrence de terre, dans le syntagme terre d'exil (XII, 3)

    et

    ceci parce

    que

    la place

    spcifique de

    ce syntagme dans

    le

    rseau

    des

    isotopies in-

    tratextuelles

    demande une analyse, parce

    que

    le

    rattachement

    de

    terre

    exil

    qui n'apparat qu'une

    seule

    fois

    mrite

    une attention

    particulire, enfin parce

    que

    terre ne

    peut

    pas

    tre

    rduit entirement au

  • 7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique

    18/23

  • 7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique

    19/23

    114

    Erich

    Khler

    Sur

    le

    fond d'un

    rseau troit de

    signes

    rcurrents,

    exil, qui n'apparat

    qu'une seule fois,

    se

    profile

    de

    faon trs prononce.

    Ce

    mot

    se trouve

    immdiatement avant

    la

    csure. Son appartenance des isotopies

    smmiques pertinentes

    et son rattachement

    terre en

    font un point

    d'intersection

    de

    squences

    smantises

    renforces par

    deschangements intermdiaires et des interfrences. En mme temps, exil

    appartient ces lexemes qualit rfrentielle double

    et

    dont

    la

    fonction

    premire est

    de

    transposer la ralit

    en formation

    artistique.

    Incontestablement terre et exil se dfinissent cet endroit

    et

    se donnent rciproquement la puissance dans

    un procs de

    smiose,

    et

    ceci un

    tel

    degr

    que

    le syntagme

    qui

    les relie devient le point

    de convergence

    d'isotopies pertinentes et forme

    le

    noyau

    dichotomique d'un

    champ

    smantique

    magntique.

    Ici plusieurs questions se posent :

    de

    quelle nature est le

    potentiel

    d'association exil ? Quelles rfrences

    le texte contient-il des

    systmes

    contemporains

    susceptibles

    de

    connotations

    et

    leurs

    registres spcifiques (paradigmes) ? Le mtatexte par l'intermdiaire

    duquel

    le

    lecteur

    contemporain concrtise le

    texte est

    contrairement la rception des gnrations futures

    -

    entr dans la

    stratgie

    de

    production

    du

    texte et

    du

    sens l'aide

    de

    la

    smiose intentionnelle

    et en fonction

    de

    la comptence diastratique sociolectale

    de

    l'auteur.

    Mme

    si, au dshonneur

    de

    l'histoire

    de l'humanit,

    il y

    eut

    des exils

    par tous les temps, la polysmie

    de

    exil reste nanmoins

    spcifique

    son poque

    et nous

    pouvons et devons reconstruire son

    systme

    rfrentiel socio-culturel.

    La smiotique du paradigme

    (32)

    se

    consacre

    aux systmes

    idologiques

    qui transmettent

    et

    dterminent

    la

    constitution

    de

    la ralit.

    Dans

    le cas

    de

    notre

    pome,

    il

    s'agit

    en premier

    lieu

    des

    systmes idologiques

    filtrs

    par la loi du

    style

    du

    genre

    choisi,

    d'un discours religieux, c'est--dire philosophique

    et

    moraliste,

    enferm dans le rservoir slectionn

    de la tradition

    littraire (idiolectal)

    leur

    disposition.

    Ce

    que

    le texte cache,

    en

    "traduisant",

    en

    transformant et sublimant

    une information et

    un

    message, ce sont

    les motifs

    qui

    proviennent de

    la

    ralit

    politique

    et

    socio-conomique. Exil

    employ

    comme polysme autour

    de

    1 8 1

    8

    -

    mdiatis

    qu'il

    est

    par

    la couche et

    le

    systme sociaux

    peut tre

    connot

    et

    monosmis

    (respectivement

    re-dnot)

    mtatextuellement par les groupes sociaux

    suivants :

    la

    vieille aristocratie

    de

    l'Ancien Rgime, effectivement

    exile

    du

    fait

    de la

    Rvolution;

    la

    noblesse

    de

    robe

    et

    la petite

    noblesse

    pauvre

    ou dpossde, mme si

    elle n'est

    pas rellement exile; les

    privilgis dchus du premier Empire; les groupes

    progressistes de

    la

    Bourgeoisie qui

    pendant

    la

    Restauration

    sont

    privs des avantages

    acquis

    pendant l're rvolutionnaire;

    une gnration

    qui s'en

    tient,

    si ce n'est plus la Rvolution, du moins l'actionnisme universel

    de

    l're napolonienne

    et qui ressent le rtrcissement

    du

    champ

    d'expansion et d'ascension comme une

    paralysie

    sociale qui

    exile

    toutes

    les nergies.

    Il

    n'est pas ncessaire d'noncer

    ici

    les preuves

    (32)

    Voir

    Segre.

    Literarische

    Semiotik,

    p.

    60;

    cf.

    P.V.

    Zima, Textsemiotik

    als Ideologiekritik, ouvr. cit., p. 10.

  • 7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique

    20/23

    L

    'Isolement

    . Essai d 'une interprtation

    socio-smiotique 115

    d'une

    disponibilit

    de

    ces

    groupes

    sociaux, envers une smantique

    rfrentielle d'exil. La notion d'exil se tenait dj

    la

    disposition

    du futur "march

    des

    biens symboliques"

    pour

    parler avec P. Bourdieu

    (33). Pourtant

    lequel des groupes sociaux ci-dessus nomms l'a-t-il

    mise effectivement

    sur

    ce march ?

    Il

    n'est pas trop difficile

    de

    trouver une

    rponse.

    La

    critique

    a fait assez souvent observer

    sans

    pour autant en tirer toutes les

    consquences

    que

    le

    romantisme

    ses dbuts est

    l'oeuvre

    des

    potes

    de

    la

    petite noblesse dpossde,

    principalement (except

    A.

    de

    Musset)

    de

    la noblesse

    de

    province

    (34). Lamartine, dont

    les

    anctres sont

    passs au dbut

    du

    XVIIIme sicle de

    la "noblesse

    de robe"

    la

    "noblesse d'pe" et

    dont le pre,

    troisime fils et fils

    le plus pauvre

    d'une

    famille

    trs

    aise

    ne lui

    donna

    en hritage que la maison de

    campagne de

    Milly et

    quelques

    vignobles, Lamartine

    peut

    tre

    considr comme

    un

    reprsentant typique

    de

    cette couche sociale. C'est la

    frustration

    historique profonde

    de

    ce

    groupe de la petite

    noblesse

    de

    province,

    domin par le sentiment d'impuissance, de

    vide,

    d'inutilit,

    de

    la

    perte

    irrvocable

    de

    leurs fonctions garanties dans les documents du

    pass (35),

    qui

    leur permet de dcouvrir

    l'me

    romantique.

    La correspondance sociologique

    du

    "romantisme gentilhomme"

    la

    "petite noblesse de province" (P. Barbris) nous semble donc

    convaincante. Elle

    nous permet

    dsormais de tirer des

    conclusions

    l'gard

    de

    ces signifis

    de

    terre qui

    forment

    le noyau

    socio-smiotique latent, cach par

    la

    stratgie de codage de ce lexeme recurrent :

    terre,

    comme les terres

    d'une

    famille noble, comme domaine, mais

    dans

    le

    sens d'une transfiguration nostalgique d'un monde

    patriarcal

    pass

    idyllique

    qui

    permet

    de

    la

    poser

    mtonymiquement,

    en tant

    que

    pars pro toto

    comme "nature". Qu' elle tait

    domine,

    qu'elle

    tait "proprit" dans le sens des domaines aristocratiques-fodaux,

    le

    regard

    du pote

    du

    haut

    de

    la

    montagne

    sur

    le

    paysage

    paisible

    ses

    pieds (

    mes pieds, X, 4), regard

    qui

    englobe encore tout, en

    tmoigne

    encore. Que

    la terre n'a

    plus

    cette

    qualit,

    cela

    se

    traduit

    dj dans tristement au I,

    2

    (qui reprend l'isotopie en i introduite

    avec L'Isolement). Sa dsubstantialisation politique, conomique

    et

    sociale atteint dans

    notre

    pome mme

    ce

    qui survivait en

    elle

    comme

    corrlation motionnelle (non sans

    l'influence des physiocrates) :

    la

    nature. Elle

    aussi, nous

    le

    savons

    dj,

    est rejete comme vide

    de

    sens,

    quand

    la

    terre

    devient

    terre

    d'exil. Si la

    terre

    est

    pourtant

    le refuge

    de

    "me romantique" c'est parce

    que

    ses connotations affectent

    tous les

    groupes

    sociaux "isols"

    et

    "exils", par le fait non

    ngligeable

    que la

    dnotation fodale

    de

    terre est devenue vide

    et

    s'est

    (33.)

    P.

    Bourdieu, "Le march

    des biens symboliques , L'Anne Sociologique,

    Troisime srie,

    1971,

    p.

    49

    -

    126.

    (34) Par

    ex.

    G.

    Hess, "Die

    Tragdie

    der

    franzsischen Romantik ,

    dans : Roma-

    nica, Festschrift fur Fritz Neubert,

    Berlin,

    Akademia - Verlag, 1948, p. 139 et

    suiv.,

    rimprim

    dans

    G. Hess, Gesellschaft, Literatur, Wissenschaft. Gesammelte

    Schriften, 1938- 1966,

    Munchen,

    Fink, 1967,

    p. 156

    et

    suiv., p. 159; P. Barbris

    dans

    Manuel

    d'histoire

    littraire

    de

    la

    France,

    t.

    IV,

    1,

    Paris,

    Ed.

    Sociales,

    1972,

    p.

    494.

    (35) Nous partageons le point

    de

    vue de P.

    Barbris,

    loc.

    cit.,

    p. 493.

  • 7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique

    21/23

    116

    Erich Khler

    trouve peut-tre change smantiquement par

    l'intermdiaire du

    concept

    d'une

    "terre natale" crois avec une notion de patrie

    implicitement comprise comme nationale. Ce concept commande un

    nouveau

    systme

    de

    valeurs,

    issu de

    la Rvolution

    et de l'Empire

    et

    dont

    la

    dimension

    atteint tous les groupes. Mais par ce processus

    qui

    met

    la

    disposition

    d'un

    "march

    des

    biens

    symboliques"

    sociologiquement

    disparate le signifi transmis transsociolectalement de

    terre,

    initialement domaine

    fodal

    patriarcal, ce premier

    signifi

    devient

    l'objet d'un doute

    qui

    est

    d'une

    importance centrale pour

    la

    comprhension de

    la

    macrostructure :

    la

    "forme" extrieure et syntagmatique

    de

    notre

    pome.

    La terre

    dont la "nature"

    sauve l'individu isol, est

    peine perue

    comme

    nouvelle

    patrie

    pour

    l'me

    et

    dans

    le dsert

    de la socit

    qu'elle

    se trouve

    encore

    une

    fois

    aline par la socit

    mme.

    C'est pourquoi la production du

    sens de

    la posie

    romantique,

    ds la

    Mditation premire commence par se mettre en question.

    La

    macrostructure

    des

    trois

    parties

    de L'Isolement

    peut

    tre

    comprise comme syllogisme, mais aussi comme figuration des trois

    tapes

    thse,

    antithse et

    synthse.

    Retournons par

    del

    le

    dcodage

    multiple,

    qui nous

    a longuement

    occup,

    au niveau des idologmes

    qui se trouvent plus proches

    de

    l'infrastructure. Les

    trois

    tapes

    ci-

    dessus nommes en mme temps

    que

    les trois phases

    de

    la

    Mditation,

    peuvent alors tre historises

    et

    caractrises de

    la

    faon suivante.

    a) vocation nostalgique d'un monde pass qui tait bien rgl, qui avait

    un sens, comme

    nature

    idyllique-harmonique,

    b)

    le prsent,

    qui n'a

    que

    des

    attitudes

    d'indiffrence

    opposer

    l'irrvo-

    cabilit de

    la

    perte

    de

    ce

    monde

    (36),

    c) un avenir dont

    on

    ne

    peut phis attendre

    qu'il

    soit encore de ce monde,

    et

    qui

    pour cette raison est transpos dans un vague au del.

    A ce niveau du texte, nous pouvons dsormais

    voir

    dans

    quelle

    mesure

    s'applique la phrase d'Adorno selon laquelle les oeuvres d'art sont

    "l'historiographie de leur

    poque,

    historiographie

    qui

    ne se

    reconnat

    pas

    pour

    telle (37) . Monde et

    Histoire

    dans la

    perspective de

    la

    situation

    existentielle

    de la

    petite

    noblesse

    de province

    autour

    de

    1820 (38)

    prennent ici leur forme pour ainsi dire

    abstraite

    et en mme temps

    tout fait concrte, c'est--dire leur forme macrostructurelle. Nous

    comprenons

    maintenant

    mieux

    pourquoi Lukcs

    pouvait

    dire

    que

    ce

    qui

    est

    vraiment social dans

    l'art,

    c'est la "forme".

    Nous nous

    exposons tranquillement au

    reproche de rductionnisme

    La

    partie de

    notre

    analyse

    qui

    peut

    susciter l'impression

    d'un

    tel rductionnisme

    a t ncessaire pour dcouvrir d'o

    viennent

    les impulsions

    qui

    structurent

    l'oeuvre

    d'art aussi

    bien

    qu'elles

    lui

    font dpasser les limites

    (36)

    Diagnostiqu et dnonc par Lammenais qui, soit

    dit

    en passant, appartient,

    lui

    aussi,

    une

    famille

    de la noblesse de province.

    (37)

    Asthetische

    Thorie, op. cit., p. 272.

    (38)

    En

    1836

    encore, Alfred de Musset diagnostiquera la

    maladie du sicle

    comme l'tat d'me

    des

    enfants

    du

    sicle

    entre

    ce

    qui

    tait,

    et

    ce

    qui

    n'est

    pas

    encore

    (1er

    chap,

    de sa

    Confession

    d'un enfant du

    sicle

    ).

  • 7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique

    22/23

    L

    Isolement i. Essai

    d

    une

    interprtation

    sodo-smiotique

    117

    de ses

    idologies (39).

    C'est seulement de cette manire

    que Ton

    peut

    lucider

    la nature de la relation

    de l'art

    avec la ralit,

    relation

    que

    nous

    pouvons plus gnralement qualifier

    de

    diffrence esthtique.

    Une

    structure peut tre

    dcrite -

    et

    doit Ftre

    le plus

    exactement

    possible

    mais elle ne peut

    tre

    comprise que comme structuration, ce

    qui

    ne

    signifie

    rien

    d'autre

    qu'un

    retour vers

    la

    gense

    du

    texte

    jusqu'

    ses impulsions

    premires.

    Si l'on considre, comme

    la smiotique

    moderne de

    la

    littrature le propose, le texte

    en

    son

    entier comme

    un

    signe

    et si

    l'on

    inclue dans

    l'analyse,

    comme nous l'avons fait en dernier

    lieu, sa composition, sa macrostructure, on est confront alors, comme

    cela nous

    est arriv, l'iconicit du

    texte

    (40), sa relation

    homologue

    une

    structure

    sociologique

    externe, relation

    qu'il est possible

    d'expliquer.

    Pour

    finir,

    nous

    nous

    permettrons

    encore

    une dernire

    observation

    particulire

    sur

    le

    texte.

    Le

    vous

    (

    la place

    du

    me)

    dans

    le vers

    auquel

    on a

    dj

    eu si souvent recours {Un seul

    tre vous

    manque, et

    tout est dpeupl) est

    unique et

    inattendu

    dans

    le

    contexte (41). On

    ne

    peut

    l'expliquer ni comme tant une

    faon

    gnrale

    de

    parler

    de

    la "langue" ni

    uniquement

    comme

    produit

    d'une

    contrainte

    ne

    des

    correspondances du chiasme phontique. C'est moins

    un

    "signe"

    qu'un "symptme"

    (42).

    L'apostrophe dans

    le

    "signe involontaire"

    d'un

    groupe

    vis qui

    reste indtermin prsente le "vcu" personnel

    comme modle d'une

    exprience collective.

    De mme qu'il n'existe

    pas,

    pour

    une sociologie de la

    littrature historique et

    dialectique, la

    moindre innocence

    idologique

    mme dans

    la

    plus subtile sublimation, de

    mme

    il

    ne

    peut

    y

    en

    avoir

    pour

    une

    sociosmiotique

    dans

    le

    processus

    de

    la smiose. La dcouverte de la

    subjectivit

    substantielle

    du lyrisme

    romantique ne

    provient pas d'un "quelque part"

    social o

    toute innovation se

    perdrait

    nouveau

    dans

    le

    "nulle

    part" d'un esprit

    du sicle insaisissable et de

    la

    participation

    de

    ses inspirs.

    Elle

    provient

    d'un groupe social prcis,

    dont le

    lieu est

    dtermin

    par sa

    relation

    avec

    la totalit sociale et

    dont

    la production de sens

    littraire

    est tributaire

    des

    alliances

    socio-culturelles rgissant sa comptence

    sociolectale.

    Le

    systme

    de

    la

    totalit

    sociale

    pris

    en

    situation

    de

    bouleversement

    sculaire

    et se

    restructurant

    de ce

    fait

    de fond

    en

    comble pose

    le cadre

    (39)

    Voir

    Adomo

    : "Rede

    uber

    Lyrik und Gesellschaft , [...]

    loc.

    cit. Nous

    ne

    partageons cependant

    pas

    la conception troite

    qu'y

    soutient Adomo

    de l'idologie

    comme falsches Bewusstsein et "Luge".

    (40)

    Nous

    employons

    la notion d'icomcit dans

    le

    sens de J. Lotman,

    ouvr.

    cit., p.

    41 et passim; cf.

    A van

    Zoest, Interprtation et

    smiotique ,

    dans A.

    Kibdi

    Varga

    (d.), Thorie

    de

    la

    littrature, Paris, Picard,

    1981, p. 240

    et

    suv.

    (41) Le

    toi de XII,

    2,

    se

    rapporte au vague

    objet de

    mes voeux, le bien

    idal (vrai

    sole)

    vers

    lequel

    le

    moi

    (rimant

    avec

    toi)

    veut

    s'lancer

    (m

    'lancer).

    (42)

    Dans le sens mentionn plus haut (voir note

    22).

  • 7/24/2019 Alphonse de Lamartine: "L'Isolement" : essai d'une interprtation socio-smiotique

    23/23

    118

    Erich Khler

    qui

    conditionne ces nouvelles formes d'individualit (43). Au centre de

    ces formes,

    nous

    trouvons celle de

    la

    subjectivit

    substantielle

    isole

    qui

    se dtache

    aussitt

    de

    son premier groupe porteur. Grce

    l'largissement par la mdiation

    de

    sociolectes et du systme du

    potentiel

    de

    connotation

    le

    sujet

    lyrique

    peut alors vritablement

    devenir ce

    qu'il

    tait dj depuis le dbut du sicle

    malgr son intronisation

    comme "porteur unique du

    sens"

    (Lukcs) :

    un

    sujet collectif, ou

    -

    selon Baudelaire

    "une me collective".

    (Universit

    de

    Fribourg-en-Brisgau)

    (43)

    Avec la

    notion

    de la

    forme d'individualit (historique)

    nous

    nous

    rfrons

    L.

    Sve,

    Marxismus

    und Thorie

    der Persnlichkeit,

    Frankfurt, Verlag

    Marx

    Blatter,

    1972; cf.

    ce

    sujet

    Ch.

    Thoma-Herterich,

    Zur

    Kritik

    der Psy

    chokritik.

    EineLitera-

    turwissenschaftliche

    Auseinandersetzung am

    Beispiel franzbsischer Arbeiten,

    Bern -

    Frankfurt

    a. M., Lang,

    1976,

    p.

    264 et suiv.