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Arno Münster Ernst Bloch et Walter Benjamin : éléments d'analyse d'une amitié difficile In: L Homme et la société, N. 69-70, 1983. Actualité des philosophes de l'École de Francfort. pp. 55-77. Citer ce document / Cite this document : Münster Arno. Ernst Bloch et Walter Benjamin : éléments d'analyse d'une amitié difficile. In: L Homme et la société, N. 69-70, 1983. Actualité des philosophes de l'École de Francfort. pp. 55-77. doi : 10.3406/homso.1983.2139 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/homso_0018-4306_1983_num_69_1_2139

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  • Arno Mnster

    Ernst Bloch et Walter Benjamin : lments d'analyse d'uneamiti difficileIn: L Homme et la socit, N. 69-70, 1983. Actualit des philosophes de l'cole de Francfort. pp. 55-77.

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    Mnster Arno. Ernst Bloch et Walter Benjamin : lments d'analyse d'une amiti difficile. In: L Homme et la socit, N. 69-70,1983. Actualit des philosophes de l'cole de Francfort. pp. 55-77.

    doi : 10.3406/homso.1983.2139

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/homso_0018-4306_1983_num_69_1_2139

  • ernst bloch et waiter benjamin :

    lments d'analyse d une

    amiti difficile

    ARNO MUNSTER

    A premire vue, les biographies inteUectueUes, Uttraires et phUosophiques de Walter Benjamin et d'Ernst Bloch semblent tre marques par un grand nombre de points communs. Issus d'un milieu famiUal et culturel fortement marqu par l'assimUation qui atteint son apoge en Allemagne, au dbut du XXe sicle, intellectuellement

    forms par les traditions de l'universit aUemande domine, entre 1890' et 1914, par le (no>kantisme (1) et la philosophie vitaUste,

    attirs . par les courants mystico-rvolutionnaires-utopiques se rpandant de la Russie de Dostoevski vers l'Europe centrale ; pas moins attirs par le romantisme allemand (2) que par la mystique juive (3) ; fascins par le projet d'une nouvelle esthtique labore dans l'horizon d'une phUosophie de l'histoire ils voluent tous deux, aprs la traverse d'une phase pr-marxiste se terminant, chez. E. Bloch (4), en 1918/19, chez.W. Benjamin (5), en 1924, vers le marxisme. Rejoignant le camp marxiste, Us ne renoncent cependant pas compltement une tradition de pense marque par la thologie (6) (une thologie rebeUe se mettant au service des opprims) et la prdominance de la mtaphysique ; en tant que penseurs judo-germaniques discrimins et perscuts par l'antismitisme se rangeant volontairement dans l'opposition radicale contre le prussianisme miUtariste de GuUlaume II Us sont tous les deux exUs en Suisse, pendant la premire guerre mondiale, puis migrs, chappant aux perscutions des nazis. En tant qu'expatris, profondment enracins dans la langue et la culture allemande, Us crivent plus de la moiti de leur uvre en exU.

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    C'est en exil qu'et Ueu leur premire rencontre (7) personneUe Berne, en mars-avril 1919. Le sjour de Benjamin dans la capitale suisse tait motiv par un projet prcis : sa soutenance de thse (3e cycle) sur le concept de critique d'art dans le romantisme allemand qui eut Ueu, l'universit de Berne, en 1919, sous la direction de Richard Herbertz. Ernst Bloch tait dj install en Suisse, Interlaken depuis avril 1917, charg par Max Weber et L'Archive des Sciences Sociales d'une mission d'enqute et de recherches portant sur les Programmes politiques et les utopies en Suisse recherches qui dbouchent sur la pubUcation d'un long article sous ce mme titre dans L'Archive ... en 1918/19 (8). Paralllement ce travaU de chercheur, Ernst Bloch y exerait une activit poUtique (joumaustique) considrable en tant que collaborateur permanent de la Freie Zeitung, organe de l'opposition allemande anti- kaiser en exU o U fustigeait, dans une srie d'articles (9) qui rvlent un Ernst Bloch extrmement francophile et dvou la cause de la dmocratie occidentale, la poUtique anti-dmocratique, expansionniste et no-coloniaUste du Reich et de sa caste dirigeante, les Junkers. Cette premire rencontre concidait presque avec la parution de L'Esprit de l'utopie (1918) dont W. Benjamin a t un des premiers lecteurs. L'admiration que W. Benjamin prouve pour cet ouvrage tait cependant, comme le tmoignent les lettres de W. Benjamin Gershom Scholem et Ernst Schoen, mitige. N'ayant reu un exemplaire du Uvre d 'Ernst Bloch qu'en t 1919, Benjamin n'tudia ce Uvre d'une manire systmatique que dans la premire semaine du mois de septembre de cette mme anne. (Cf. Lettre Gerhard Scholem de Klosters du 15. IX. 1919 !).

    Communiquant l'objet singuUer de sa lecture G. Scholem (dans cette mme lettre prcite, de Klosters, du 15 septembre 1919), Walter Benjamin fait l'loge de l'auteur pour lequel U avoue une profonde amiti tout en exprimant quelques rserves l'gard de l'ouvrage. Annonant son intention de pubUer ventuellement un compte-rendu de ce Uvre, U semble dcid s'abstenir de certaines critiques mme svres touchant au contenu et aux affirmations de l'uvre : Malheureusement, tout ne peut pas tre approuv, dit-il, et parfois une certaine inquitude me surprend. (Correspondance Walter Benjamin, tome I, d. allemande, p. 217).

    Ces considrations critiques vont culminer dans la lettre crite quatre jours plus tard Ernst Schoen (galement de Klosters), le 19. 10. 1919, o W. Benjamin fait tat de certains dsaccords poUtiques entre lui et Bloch (motivs apparemment par le refus de

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    Benjamin l'gard de toutes les tendances poUtiques (sauf les tendances clairement utopico-mystico-anarchisantes ) et o il affirme, tout en reconnaissant qu'Ernst Bloch a t l'homme, le personnage le plus important qu'U ait pu rencontrer pendant son sjour en Suisse, d'avoir trouv d'normes dfauts (ungeheure Mngel) dans VEsprit de l'Utopie. Mais en mme temps W. Benjamin relativise son jugement en constatant qu'il s'agit du seul livre auquel U pourrait se mesurer lui-mme en tant qu'expression vritablement synchronique et contemporaine, car l'auteur rpond seul et rpond phUosophiquement de cette question, alors que presque tout ce que nous Usons aujourd'hui de nos contemporains qui se soumette une pense phUosophique est driv, est ml et ne se donne nuUe part saisir au Ueu d'une responsabilit personnelle, conduisant tout au plus la source du mal que cela reprsente (11). (Correspondance, tome I (1910-1928), Paris, Aubier-Montai- 1979, p. 202 traduit par Guy Petit dmange). -

    Mais quels dfauts, W. Benjamin fait-il allusion ? Tout porte croire que, mises part les divergences d'ordre poUtique en 1918, E. Bloch et Georges Lukacs avaient dj franchi le Rubicon en affirmant leur enthousiasme pour la Rvolution d'octobre et en adhrant, des degrs divers de militantisme phUosophico-poUtique, la vision rvolutionnaire du bolchvisme et du luxembourgisme. Mais W. Benjamin se tenait encore l'cart : ce n'est qu'en 1924, aprs la rencontre avec Asja Lacis, que Benjamin commencera manifester un intrt srieux pour le marxisme la problmatique du poUtique, de l'actuaUt du judasme et des dsaccords philosophiques figurent au centre des divergences auxquelles Benjamin ne fait souvent allusion que d'une faon nigmatique et qu'Ernst Bloch (12) a mme tendance taire compltement, en se barricadant derrire l'affirmation de la continuit d'une amiti jamais srieusement mise en cause. C'est dans sa lettre Gerhard Scholem du 13 fvrier 1920 que Benjamin est le plus expUcite dans l'explication de ces dsaccords : outre une remarque ngative concernant l'indiscutable christologie dploye, s'opposant presque au messianisme juif, dans L'Esprit de l'Utopie, Benjamin y attaque Bloch sur le terrain de la phUosophie mme, et lui reproche l'incohrence de sa thorie de la connaissance. Pour un membre de la Socit des tudes kantiennes (Kantgeselleschaft) laquelle W. Benjamin avait adhr en 1 920, les oscillations d'Ernst Bloch dans ce domaine allant de l'apologie du mysticisme pur (dans le sens d'une mtaphysique de l'intriorit se perdant dans des cercles auto-concentriques) jusqu' l'affirmation hrtique (aux yeux des no-kantiens)

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    que ce qui, d'aprs Kant est hors de porte de notre possibiUt de connaissance objective, savoir la chose-en-soi, serait identique l'imagination objective (13) pr-existant dans la subjectivit du sujet et s'extriorisant dans la tension latence-tendance utopique, ne pouvaient provoquer que de l'irritation sinon de la rprobation. Et les neuf dernires Ugnes du compte-rendu de l'Esprit de l'Utopie que W. Benjamin avait crit en hiver 1919/20, durant son exU en Suisse (14) malheureusement ce texte auquel Benjamin attachait la plus grande importance et qui tait destin la pubUcation, n'a jamais t pubU et le manuscrit est perdu ! n'avaient que la fonction d'exprimer et de rsumer ce refus du Uvre dans ses prmisses thoriques, un refus en bloc mais retenu. (Lettre de W. Benjamin G. Scholem du 13 fvrier 1920, Correspondance, tome I, p. 218). Quelques Ugnes plus loin, W. Benjamin est encore plus catgorique en souUgnant que (sa) manire de penser sur le plan phUosiphique n'a rien voir avec celle-l (15) ; Bloch aurait donn avec ce Uvre quelque chose de prcipit, de surfait (16) (Lettre Scholem du 13 fvrier 1920). Mais devant le danger apparent de se lancer ainsi dans une polmique impitoyable contre quelqu'un qu'il considre pourtant comme son ami et pour lequel U a beaucoup d'estime sur le plan personnel, Benjamin s'impose lui-mme la modration et une certaine auto-censure en adoucissant ses propos critiques par les remarques suivantes : .

    Mais j'avais trouv nos conversations d'Interlaken tant de chaleur, tant de possibiUts m 'exprimer, me faire comprendre, tre compris que je sacrifie cette critique son exprience ... (17) (Op. cit., p. 216-217).

    Il y avait cependant, outre les divergences d'ordre philosophique ci-dessus mentionnes, d'autres points de dsaccord entre E. Bloch et W. Benjamin concernant le judasme, le mouvement sioniste naissant en gnral et la poUtique. Sur ce dernier point les diffrences de vue et d'apprciation dans le domaine poUtique Gershom Scholem nous informe dans ses souvenirs : Au cours de ses entretiens avec Ernst Bloch et Hugo Bail, remarque-t-il ce propos, Benjamin se trouve confront avec le problme d'une ventuelle activit poUtique, activit qu'il se refusait exercer, au moins dans le sens suggr par ses interlocuteurs. La Rpublique des Conseils de Munich, fonde en avril 1919, le laissa indiffrent, mis part le fait qu'il fut trs mu, ultrieurement, d'apprendre l'arrestation de FUx Noeggerath, qu'U estimait hautement pour ses ides philosophiques, accus d'avoir particip cette fondation. De mme l'avnement d'un rgime communiste en Hongrie ne l'meut gure,

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    et U parle ce propos d'garement infantile ; cependant, U se faisait du souci pour le sort de Georg Lukacs, l'ami le plus intime d'Ernst Bloch, dont on pensait alors ( tort) qu'U avait t arrt et risquait mme d'tre fusill (18). (G. Scholem, Walter Benjamin, Histoire d'une amiti,. Paris, Calmann-Lvy, 1981, p. 98-99). Or, Ernst Bloch qui, depuis 1917, avait t trs influenc par les ides phUosophiques et poUtiques de Gustav Landauer qui joua un rle eminent dans la RpubUque des Conseils de Bavire et dont il s'inspira pour formuler son propre projet mystique-utopico-r- volutionnaire (Cf. E. Bloch : Thomas Mnzer, . thologien de la Rvolution) se sentait dj, ce moment, poUtiquement trs proche du mouvement spartakiste et ne cachait pas son admiration pour la rvolution bolchevique en Russie et pour. Lnine. Comme Georg Lukacs, mais beaucoup moins influenc par le sorlisme que ce dernier, U voit dans ces mouvements, insurrectionnels la chance reUe pour l'avnement d'une nouvelle re :de l'humanit Ubre dsormais des chanes de l'oppression, un grand moment historique pour la raUsation d'une nouveUe thique utopico-romantique- rvolutionnaire, authentiquement fraterneUe. Or, W^ Benjamin tait ce moment indiffrent aux ides de Landauer, U rcusait Martin Buber (19) (dont les Trois discours sur le judasme avaient cependant influenc G. Landauer lors de la rdaction de son Appel au sociaUsme (Aufruf zum Sozialismus, 1911) et se tenait apparemment l'cart des activits bolcheviques-lninistes et spartakistes qui commenaient pntrer dans l'horizon de l'intel- Ugentsia de gauche allemande en 1918/19. Ignorant Tactique et thique et l'engagement poUtique de G. Lukacs dans la RpubUque des ConseUs hongrois, en 1919, U n'avait de l'estime que pour le Lukacs pr-marxiste , auteur de la Mtaphysique de la tragdie et de la Thorie du roman et voyait, comme le signale t Scholem dans le volume des Ecrits politiques de Dostoevski qu'il possdait dans l'dition Piper, l'crit poUtique le plus important qu'il connt (20) (G. Scholem, Op. cit., p. 98/99). Bien entendu, Ernst Bloch a t, lui aussi* sensible au mysticisme russe la Dostoevski son Thomas Mnzer, thologien de la Rvolution en tmoigne comme le chapitre Figures universeUes de la rencontre de soi ou ; eschatologie- de l'Esprit de l'utopie (1918) -s o Ernst Bloch se rfre expressment . Dostoevski en dfinissant le motif fondamental de l'idologie sociaUste comme suit : donner, en dehors des heures de travaU, chaque homme sa misre, son ennui, son indigence, sa pnurie et sa pnombre propres, sa lumire enseveUe, appelante, lui donner une vie la Dostoevski, afin

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    qu'avant tout U soit en accord avec lui-mme, avec son engagement mo: rai et poUtique, quand tombent les muraUles du corps, de ce corps du monde qui nous protgeait des dmons, donc quand s'croulent les bastions du royaume rig temporeUement. (Esprit de l'Utopie, Paris, 1977, p. 322), mais cet appel au mysticisme de la souffrance, au salut dans et par la souffrance selon Dostoevski, s'enchevtre chez Ernst Bloch avec l'esprance landaurienne de l'avnement, sous le signe du sociaUsme, de la Rpublique fraternelle mondiale, d'une nouveUe EgUse instituant la fraternit entre les hommes dans une sorte de confdration spirituelle qui confirme neuf les signes flamboyants et unitaires d'un compagnonnage humain (21). (Esprit de l'Utopie, chap. Karl Marx, la mort et l'apocalypse, trad, franaise, Paris, 1977, p. 322).

    Quand il rencontre Ernst Bloch en Suisse, en 1919, la fin de la premire guerre mondiale, W. Benjamin, bien qu'attir par les ides de Dostoevski et les rfrences eschatologiques-apocalyptiques (juives) dans la phUosophie de l'histoire biochienne, n'est pas (encore) sur cette longueur d'onde ce qui expUque son neutralisme poUtique relatif cette poque.

    Mais c'est paradoxalement au sujet de la question du judasme que le conflit thorique ou le malentendu entre le jeune Bloch et Walter Benjamin va atteindre son apoge. Ayant eu le premier contact avec le judasme (Ernst Bloch provenait, comme Gershom Scholem et Walter Benjamin, d'une famille juive aUemande assimile !) en 1908, pendant son sjour Wurzbourg o U soutint sa thse sur Rickert (auprs du professeur Oswald Klpe) et o U a frquent comme le rvle la correspondance indite d'Ernst Bloch avec Georges Lukacs la famUle du rabbin Schlesinger. Ernst Bloch. commence manifester dans les annes qui suivent surtout pendant la priode 1911-1913 un intrt de plus en plus accru pour le hassidisme, la mystique juive et le judasme. Cet intrt, cette fascination par la dcouverte des sources et des traditions mystiques du judasme, s'accompagnant d'un intrt flou pour le mouvement sioniste naissant, atteignant dj une certaine force organisationnelle, la veille de la premire guerre mondiale, se traduit, chez Ernst Bloch, par la rdaction, en hiver 1912/13, du texte Symbol : Die Juden, texte qu'Ernst Bloch a ddi son pouse Else von Stritzky et qui figure dans la premire dition de l'Esprit de l'Utopie (1918). (Il n'a pas t repris dans la seconde dition de ce Uvre pubUe en 1923), mais U figure bien dans le recueil d'essais qu'Ernst Bloch publie galement en 1923, sous le titre Durch de Wste (Traverse du dsert) rdit chez Suhrkamp, Francfort, en 1977, pp. 122- 140).

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    Ce texte est maints gards significatif pour la pense du jeune Ernst Bloch : commenant par les paroles L'orgueU d'tre juif se rveUle nouveau (Neu erwacht der Stolz, jdisch zu sein), l'essai se prsente comme une pice justificative supplmentaire la thse de l'enracinement profond de la pense d'Ernst Bloch dans les traditions du judasme, de l'importance du messianisme pour la gense de son systme phUosophique. (G. Scholem rapporte dans ses Souvenirs que W. Benjamin lui aurait confi, peu de temps aprs sa premire rencontre avec Ernst Bloch, Interlaken, en Suisse, que Bloch tait en train de prparer son uvre principale System des theoritischen Messianismus (Systme du messianisme thorique), titre qui lui faisait ouvrir grands les yeux (22). (Cf. Gershom Scholem, W. Benjamin : Histoire d'une amiti, p. 97). U lui aurait dit aussi que Bloch tait trs ouvert aux questions relatives au judasme, sans toutefois pouvoir prciser qu'eUe tait son attitude sur ces questions. Et Scholem poursuit : En tout cas, ds le printemps 1919, leur relation devint suffisamment intime pour que Benjamin parlt, de moi Bloch, la suite de quoi U me demanda de venir l'accompagner un jour Interlaken. Il me raconta par aUleurs que Bloch lui avait parl d'un projet de rdaction d'un Systme global de la phUosophie (23) et avait prvu que, dans ce cadre, lui, Benjamin, pourrait tenir le rle de spciaUste de la thorie des catgories (24)

    La visite commune de W. Benjamin et de Scholem Ernst Bloch Interlaken, en Suisse, le 18 mai 1919, se solde cependant par une dception mutueUe : Le courant ne passa pas entre Scholem et Bloch malgr le fait que cette visite amicale dura de six heures du soir jusqu' trois heures du matin et que le. judasme ait t pratiquement le seul sujet de la conversation (25). Ce qui fit qu' aprs cette visite, G. Scholem nota dans son journal, non sans une certaine amertume ; La conversation avec lui tait assez intressante, mais en dernire analyse mes ides ont peu de choses en commun avec les siennes. Parfois, je sentais un vritable mur de bton s'lever entre nous. A propos de Benjamin, U dit que celui-ci tait un analyste des formes. Je ne sais pas moi-mme, du moins pour le moment, si j'irai le revoir, bien que notre discussion ait t srieuse et profonde (26). (Gershom Scholem: Walter Benjamin .Histoire d'une amiti, Paris, Calmann-Lvy, 1 98 1 , p. 98).

    Sans confirmer une quelconque appartenance l'orthodoxie juive, Bloch fait . pourtant preuve, .dans, ce texte,, de son refus de la manie de l'assimilation et U. fait plutt l'apologie de la grandeur de TinteUectuaUt et de la supriorit morale et spirituelle

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    juives en soulignant la volont *- caractristique pour la judit de transformer la vie en puret, spirituaUt et unit (27), qualits par lesqueUes le juste s'assurait la supriorit. Il affirme aussi le plus grand attachement au motif messianique du judasme, cette orientation vers un but messianique non encore existant visant l'au-del du monde (28). Citant la Haggada, la Gemara, le Uvre des prophtes, Ernst Bloch prsente le peuple juif comme un peuple agit d'une manire passionne par des impulsions reUgieuses (ein ... von religisen Impulsen durchschtteltes Volks (29) dont le penchant vers l'intriorisation et la mystique semble tre U l'histoire douloureuse de sa dispersion (30). Mais simultanment, cette apothose de la tradition messianique du peuple juif s'accompagne de la critique de ce que Bloch appelle le tra- ditionnalisme formaliste (31) et le disme abstrait du judasme orthodoxe auxquels U a tendance opposer le prophtisme plus humain des hassidim et mme la doctrine du faux messie Mar- cion (32). (Cf. Bloch, Op. cit., p. 138). Ce que Bloch vise, c'est un tiers, une force reUgieuse et psychique capable de dborder, de briser les bornes de ce formaUsme en s'intgrant aussi les (meilleures valeurs d'un christianisme hrtique, injustement ignor par l'orthodoxie ; car : l'me ... trop large pour se laisser enfermer dans de telles Umites ... regarde loin au-del (de ces bornes) et elle sera en mesure de saluer le centre (33).

    Et pourquoi nier Jsus, en tant que symbole de l'amour et de l'intriorit ? La raction de Walter Benjamin et de Gershom Scholem cet article d'Ernst Bloch a t extrmement ngative. Ainsi, W. Benjamin, crit-U, sous le choc que la lecture de ces pages d'Ernst Bloch (figurant dans la premire dition de L 'Esprit de l'utopie lui avait caus, Gerhard Scholem, le 13 fvrier 1920 : En ce qui concerne Ernst Bloch, je donnerais quelque chose pour la possibUit de pouvoir en parler avec vous oralement ; mais tant que ce ne sera pas possible, je ne dirais que ceci : Je suis tout fait d'accord avec votre critique du chapitre Les Juifs, (Die Juden), et comme dans cette prise de position le savoir qui me manque ne joue pas un rle primordial, j'ai ds le dbut exprim l-dessus la mme opinion que vous. Je n'ai rien rajouter votre jugement. Dans ma critique (allusion de W. Benjamin au long compte-rendu critique de l'Esprit de l'Utopie qui n'a pas paru, A.M.), j'ai, je l'espre, mis en relief d'une manire gentUle mon refus radical ue cette pense (34).

    Sans que les raisons de ce refus soient spcifies ultrieurement dans cette correspondance avec G. Scholem, U n'y a pas le moindre doute que c'tait cette volont perceptible chez Bloch de percer l'horizon du judasme et d'y intgrer des lments de la christologje

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    qui avait provoqu sa rprobation. Ce transbordement dont Bloch se fait l'avocat et qui tait suspect

    de synchrtisme, s'inscrivait en porte--faux contre la volont expUcite du jeune mouvement sioniste de contre-carrer les tendances assimUatrices par le retour forc un judo-centrisme. Or, Walter Benjamin qui, ds 1913, avait t en contact avec le mouvement de jeunesse sioniste Jeune Jude (Jung-Juda) (auquel Gershom Scholem appartenait), Walter Benjamin qui. avait galement en 1913 une correspondance importante sur les questions du j

    udasme avec Kurt Tuchler et Ludwig Strauss (35) (celle avec Kurt Tuchler est malheureusement perdue) et qui avait eudel914l915, une Uaison avec la fille d'un professeur de Vienne (Leon Kellner) qui tait sioniste et le proche ami de Theodor Herzl (36),. Benjamin tait beaucoup plus sensible ce mouvement d'un renouveau du judasme (accentuant la rupture avec le christianisme et le monde chrtien en gnral) qu'Ernst Bloch. Dans la lettre prcite G. Scholem, W. Benjamin y. fait clairement allusion en parlant, tout la fois du paragraphe exprimant son refus catgorique des thses biochiennes, de la sduction la vrit (37) qu'U aurait perue lors de la lecture de la critique des thses de Bloch sur le judasme par G. Scholem.

    Nous ignorons les ractions immdiates d'Ernst Bloch ces attaques la correspondance E. Bloch W. Benjamin et W.. Benjamin E. Bloch des annes 20 et 30 n'a pas t conserve mais U est hors, de doute que ces polmiques ont eu comme consquence qu'Ernst Bloch s'est lentement, mais constamment loign, dans les annes suivantes, du judasme traditionaUste et du sionisme (auquel U n'avait jamais rellement adhr), sans cesser de s'inspirer de la mystique juive tX de la Kabbale. Mais cette affinit. de pense, avec Benjamin, brouUle quelque peu par des fausses notes et des polmiques sur le vrai visage du judasme, devient plus transparente lors de la rdaction, par Ernst Bloch,. du Uvre Hritage de ce temps (1935) qui comporte plus d'une allusion aux travaux .thoriques de W. Benjamin (38). Mais fait surprenant ! .-* dans les passages respectifs d'Hritage de ce temps se rfrant W. Benjamin, U n'est plus du tout question du judasme et des vieiUesquereUes relatives au messianisme authentique du peuple, juif et de Panti-smitisme mtaphysique . d'un Marcion (Cf^ E. Bloch, Traverse du dsert (Durch die Wrste\ 1923, p. 138) ; Us se rfrent plutt explicitement l'essai de Benjamin sur Paris -r- .capitale du XIXe. sicle et aux travaux prparatifs de Benjamin sur les Passages (39). . .

    Ds 1923, aprs la pubUcation des Tableaux parisiens, W. Ben-

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    jamin s'tait efforc de rassembler dans le cadre d'un vaste projet appel les Passages parisiens, les signes et les symboles de la modernit dans le but de faire redcouvrir la mythologie moderne dans la ferie dialectique du XIXe sicle.

    En concentrant son analyse sur l'aspect fantasmagorique de ce sicle marqu par l'essor de l'industrie et du machinisme, mais aussi par d'pres luttes poUtiques et sociales par l'enrichissez- vous du Second Empire, mais aussi par son antithse radicale (avorte) : l'insurrection blanquiste , Benjamin voulait, par ce travaU de dchiffrement du sens d'un monde clat en objets fragments et en de multiples facettes d'Ulusions, contribuer une histoire matrialiste du XIXe sicle (40). Mais en tant qu'historien qui refuse l'attitude contemplative de l'historicisme, il s'efforce d'tablir, dans sa lecture, dans son interprtation critique et dialectique de ces phnomnes, le rapport de constellation critique Uant les fragments du pass au temps prsent. C'est dans le cadre d'une telle conception de la prsence du pass dans le temps prsent et de l'accumulation de l'exprience d'un pass devenu dj, en large partie, mythologie, dans les configurations du prsent que W. Benjamin dfinit et emploie le concept des images dialectiques (41). (Cf. la tche du traducteur, Ges. Schr., vol. IV, 1, p. 7 sqq.).

    A la lumire de cette mthodologie destine rendre conscientes les images dialectiques dans leur fonction pour le prsent, le XIXe sicle avec sa production de marchandises, son essor industriel,, ses configurations architecturales, ses conspirations et ses luttes sociales est transfigur ; et, comme le souUgne, juste titre, Rolf Tiedemann, l'utopie de ces configurations voire la civUisation elle-mme, qui les a produites, deviennent fantasmagorie (42), une fantasmatorie qui a des traits. tout fait angoissants (43), inquitants ... signes annonciateurs des futures catastrophes de l'humanit.

    Rolf Tiedemann a soulign aussi la parent de cette interprtation benjaminienne des fantasmagories avec celle donne par Louis- Auguste Blanqui dans son dernier crit L 'ternit par les astres, en souUgnant que Benjamin y avait t trs touch, trs attir par le fait que l'humanit entire y est considre comme damne. Tout fait nouveau qu'eUe pourrait attendre, se dvoUera comme ayant dj exist depuis longtemps. Il sera aussi peu capable de la rdempter qu'une nouvelle mode pourrait contribuer au renouveau de la socit. La spculation cosmique de Blanqui nous enseigne que l'humanit sera aussi longtemps livre son angoisse mythique

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    que la fantasmagorie y trouvera sa place (44). . La thorie benjaminienne de la continuit des uvres du pass dans le temps prsent (Jetztzeit) est galement objet de rflexion dans la pense d'Ernst Bloch qui souligne, dans Hritage de ce temps, que. toute hermneutique du pass s'inscrit dans un temps prsent,, et ce temps prsent n'est pas toujours dfini, comme le souUgne Mandred Frank (45) dans ses Cours sur la nouveUe mythologie, comme un topo historico-chronologique prcis, mais plutt comme horizon smantique, comme horizon d'une vision du monde qui pr-dtermine, d'une manire irrversible, notre regard sur le pass (46). Chaque retour au pass est motiv par les impratifs du prsent, se nourrit, pour ainsi dire, d'une sorte de rservoir de significations du prsent.

    Dans le bref chapitre intitul FaUles romantiques (Romantische HakienbUdung) d'Hritage de ce temps (47), Ernst Bloch rend hommage, en se rfrant indirectement Sens unique cette archologie du pass entame par W. Benjamin, en citant avec sympathie le regard positif de Benjamin sur les petites perceptions (48). Mais simultanment, Bloch qui ne partage pas du tout le pessimisme de Benjamin, sa fascination pour le concept d'angoisse mythique et l'ide de l'ternel retour d'Auguste Blanqui (comportant une norme mfiance l'gard du nouveau !), nous met en garde contre le passisme et contre le culte de l'archasme romantique dont le regard reste fix sur un pass faussement idalis. Il veut corriger la perspective en chargeant le concept de pass conserv d'une signification immanente vers l'advenant, vers le futur. Traitant toutes les tendances rgressives rebrousse-poU, U dit au sujet du conte et du roman de colportage :

    L enivrement n'est l que pour faire passer le mensonge, mais la ferie qui est en lui, le roman de colportage la recherche du bonheur, l rgression vers les dbuts de la vie,. et mme l'ivresse devant la fort, l'ivresse panique devant la mer, comportent, malgr eux, des traits de rbeUion.. Le conte veut s'arracher la lgende populaire o un envotement l'a enferm. L'utopie du premier commencement veut s'arracher l'archasme de la simple prhistoire. Ou bien celle-ci est irrmdiablement perdue et a disparu, ou bien elle dsigne l'enkystement d'lments abandonns en route, non-advenus. Et la signification permanente de ces lments dfinis de faon romantique n'est pas eUe-mme . romantique quand elle se dvoUe. C'est au contraire l'intention. qui habite le non-advenu, le non-encore-advenu, bref, ce n'est pas le pass conserv, mais le cap maintenu du futur (49) (Hritage de ce temps, traduction : Jean

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    Lacoste, Paris, 1 978, p. 1 52). A vrai dire, cette critique vise moins les conceptions de W. Benja

    min que celles du surraUsme qui, comme le souUgne Rolf Tiedemann (50) dans son introduction au tome I des Passages Parisiens, a tendance loigner les imageries surrelles dans un pass romantique au Ueu d'actualiser, de concrtiser les images dialectiques du pass pour le prsent. Benjamin, par contre, veut les rapprocher le plus possible du prsent, les concrtiser. Le rve et l'enivrement semblent lui faire dcouvrir un nouveau champ d'exprience o le moi (je) communiquait directement avec les choses, dans une espce de rapport mimtique d'un corps l'autre (51). R. Tiedemann, Op. cit., p. 1 8) Ainsi Benjamin entend-il transgresser, en faisant recours la mthode exprimentale psychique-onirique, les Umites poses par la thorie de la connaissance kantienne, en restituant la plnitude du concept d'exprience des philosophies antrieures et les expriences de la thologie (52). (R. Tiedemann, Op. cit., p. 18). Ernst Bloch qui considre le rve surtout le rve diurne comme l'aspect le plus important de la conscience anticipante (53) semble tre quelque peu rticent l'gard de cette thorie mimtique ben- jaminienne : U lui oppose sa propre thorie du rver-en-avant (54) (nach vorwrts trumen) qui tabUt un Uen direct entre le rve diurne (dont le rve conscient, l'tat veill) et la capacit du sujet de connatre et de saisir les potentiaUts immanentes de la matire et du monde rel permettant sa transformation dans le sens de la r-ac- tivation/raUsation de ces potentiaUts utopiques tendancielles, pas encore extriorises, pas encore ralises.

    Cette transgression du rver (dans et avec les choses) vers un rver-en-avant est beaucoup moins manifeste, et moins radicale chez W. Benjamin, mme si Benjamin voulait, par l'application du modle du rve au XIXe sicle (R. Tiedemann) arracher cette poque au muse du pass, mme s'U voulait dmontrer que les fantasmagories du XIXe sicle ne sont que l'expression de l'imagination (figurative, ornementale et mtaphorique) d'un inconscient collectif qui en rvant ainsi, transgresse ses propres Umites historiques pour atteindre le prsent (56). Cette conception dialectique pass/prsent applique par W. Benjamin au modle historique du XIXe sicle n'exclut pas du tout un projet rvolutionnaire, mais - labors au sein d'une conception philosophico-thologique, messianique et es- chatologique de l'histoire qui va s'enchevtrer au cours des annes 20 avec les perspectives rvolutionnaires dveloppes par le matrialisme historique ces deux projets ne sont pas identiques.

    Plus enracins dans les traditions du messianisme judaque, la

  • E. BLOCH ET W. BENJAMIN : UNE AMITIE DIFFICILE 67

    thorie du bouleversement de l'ordre existant de Benjamin est plus proche des conceptions d'un anarchisme messianique (ayant aussi subi l'influence du sorUsme) que ceUe d'Ernst Bloch, mme si L'Esprit de l'Utopie est encore marqu par l'influence de l'anarchisme mystique de G. Landauer. Mais au cours des annes 20, la pense d'Ernst Bloch subit une volution, une transformation vers un systme de messianisme thorique o le contenu strictement thologique de ce messianisme disparat progressivement pour rapparatre, sous une forme scularise, en tant que catgorie phUosophique, en tant qu'affect d'attente de l'avnement d'un monde meUleur, sous le signe du devenir-phUosophique du monde et du devenir-monde de la phUosophie, comme U apparat en tant que but et fin de l'histoire de l'humanit dans la vision marxienne (scularise) de la rdemption du monde, de l'aUnation et de l'exploitation. Cette transformation de l'espoir messianique en affect d'attente se cristalUse, chez Bloch, dans le concept du non encore (57) qui devient la catgorie centrale de VOntologie Du Non-Encore- Etre dans le Principe Esprance. Cette ontologie du non-encore-tre prsuppose l'existence d'un devenir-utopique dans l'tant, l'tat de latence, qui peut et doit tre rveille par l'activit du sujet percevant les possibUits concrtes de latence, qui peut et doit tre rveUle par l'activit du sujet percevant les possibilits concrtes de la transformation du rel-existant l'horizon de l'tant. Ce travaU, raUs l'aide de la catgorie du possible (58), permettra de faire apparatre les contenus utopiques (cachs ou : non encore rvls) et la concrtisation de ces images utopiques dans une nouveUe pratique mancipatrice individuelle ou collective. Cette conception de l'mancipation, mme si elle rcuse le gra- dualisme et la realpolitik social-dmocrates, comme aussi les conceptions du marxisme vulgaire dans ce domaine, n'est plus concentre sur l'image d'un acte subit et ncessairement violent de l'mancipation collective. La question de la forme et du moment historique a t laisse ouverte par E. Bloch. Il insiste cependant beaucoup sur l'aspect anthropologique de la rdemption de l'humanit si longtemps attendue : la rvlation du vrai visage humain de l'homme allant de pair avec la rsurrection de la nature, de sa nature ncessairement mutile, dforme, non encore raUse dans le monde de l'aUnation et de la rification (59).

    Walter Benjamin, par contre, semble vouloir oprer, en ce qui concerne sa propre vision rvolutionnaire, une sorte de synthse entre la vision apocalyptique de la rdemption propre au messianisme judaque avec les images historiques (dialectiques) des secousses rvolutionnaires du XIXe sicle. Lecteur passionn des

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    crits de Blanqui et surtout de L 'Eternit par les astres (60), U semble tre fascin par les conspirations et tentatives insurrectionnelles du parti blanquiste tout au long du XIXe sicle en France, en tant qu'exemples significatifs de vouloir briser, par un acte insurrectionnel subit et violent, la continuit de l'histoire. (Cf. le chapitre consacr lTiaussmanisation, aux luttes des barricades dans le tome 1er et les Chap. Conspirations, compagnonnage, Le mouvement social et la Commune dans le tome II des Passages Parisiens, Ges. Schriften, I, 1, pp. 179-210 ; V, 2 : pp. 745-763 ; 852- 898 ; 949-956). Ce regard spcifique sur le pass rvolutionnaire du XIXe sicle a trouv sa justification et son coroUaire thorique dans les Thses Philosophiques de L'Histoire o Benjamin dfinit la thorie de la connaissance du (nouveau) matriaUsme historique en tant qu'effort, en tant que tentative de faire sauter de la continuit historique une priode spcifique de l'histoire, d'interrompre la continuit homogne de l'histoire pour mettre l'preuve l'exprience que l'poque entire conserve dans les faits singuUers du pass et que le cours de l'histoire lui-mme serait conserv dans l'poque (61). (Cf. W. Benjamin, Ges. Schr., I, pp. 701- 703 ; et : Op. cit., II, 2, p. 468). C'est pourquoi U a tendance considrer les tentatives insurrectionneUes blanquistes comme des arrts messianiques de courte dure rythmant le cours d'une histoire qui ne cesse de se rpter par l'ternel retour du mme et qui a probablement le destin d'achever ce processus par une grande catastrophe finale.

    En tant qu'archologue de lliistoke dont le regard est tourn vers le XIXe sicle franais, W. Benjamin s'efforce de dmystifier les (fausses) apparences afin de connatre-dans les faits historiques la vraie substance natureUe, la vraie image qui peut aussi revtir la forme d'une image rapide, fugitive.. Ainsi affirme-t-U, dans les premires esquisses des Passages parisiens (Ges. Schr., V, 2, p. 1034) que toutes les catgories philosophiques de l'histoire doivent tre pousses jusqu' leur point d'indiffrence. Pas de catgorie historique sans sa substance natureUe, pas de (catgorie) naturelle sans (son) fUtrage historique (62). .. .

    La connaissance de la vrit historique,; continue W. Benjamin, dans ce mme paragraphe des esquisses pour les Passages, n'est possible qu'en tant que dmystification de l'apparence (Schein). ; mais cette suppression (Aufhebung) ne signifiera pas volatisation, actualisation de l'objet (historique), mais peut prendre la forme de la configuration d'une image rapide, fugitive. L'image rapide la place de la bonhomie scientifique. .Cette configuration d'une image rapide concide avec l'agnostisation (Agnos-

  • E. BLOCH ET W. BENJAMIN : UNE AMITIE DIFFICILE 69

    zierung) du maintenant dans les choses. Mais pas (avec) l'avenir ... L'apparence qui se trouve ainsi conserve/supprime (auf- gehoben) est celle disant que l'ancien est dans le prsent (le maintenant). En vrit : le prsent (Jetzt) (est) l'image la plus intime du pass (63). (Op. cit., p. 1035).

    Transpose sur le plan des luttes sociales et des luttes de classes au XIXe sicle, cette dmystification des apparences signifierait, entre autres, de considrer les luttes rvolutionnaires comme expression de la volont momentanment concentre de librer le monde de son dplacement (Entstellung) (I. Wolfahrt), comme expression de la faible force messianique dont sont dots les opprims dans leur lutte presque dsespre contre l'oppression, mais aussi contre le cours de l'histoire.

    Examiner l'histoire sous cet angle, dmystifier les apparences, dceler la substance cache dans ces images fugitives qui peuvent revtir la forme de moments foudroyants interrompant la continuit de l'histoire, signifie donc, pour W. Benjamin, considrer la matire, les faits de l'histoire la hauteur de ses tats d'exception se sont inscrits dans l'histoire de l'humanit comme de rares moments de dfi l'gard de l'utopie catastrophique, d'une histoire qui court plutt, comme W. Benjamin semble tre de plus en plus persuad, au moment de la rdaction des Thses philosophiques de. l'histoire (qui concidait avec la monte du. fascisme en Europe), vers une nouveUe barbarie. Et dans ce pessimisme niant la possibilit d'un rel progrs dans l'histoire,, W.. Benjamin rejoint le vieux Blanqui qui, purgeant sa dernire longue peine d'emprisonnement au Fort du Taureau (en Bretagne), commence mettre srieusement en cause, dj moralement et physiquement bris par 30 .ans de prison, l'optimisme rvolutionnaire de sa jeunesse de l'poque de son activit incessante et stimulatrice au sein des Socits Secrtes (64) destine parachever au milieu du XIX e sicle, en prparant le renversement des rgimes conservateurs en place, par la voie insurrectionnelle, le projet babouviste d'une socit galitaire , en affirmant, dans L'Eternit Par les Astres (65) (1872), le non-fond de toute croyance-pseudo-scientifique dans un quelconque progrs dans l'histoire de l'humanit. .

    A cette vision tragique de l'histoire, Ernst Bloch oppose, avec le Principe Esprance, une conception plus dynamique, plus confiante dans l'accomplissement du processus historique,, du destin du monde, dans une utopie positive.. Croyant en la ncessit d'une logique intrieure de la processualit du monde qui permettra, certes, non sans dtour et sans dceptions invitables sur le chemin

  • 70 ARNO MUNSTER .

    la concrtisation progressive du non-encore-ad-venu et l'humanisation finale du monde par la. rsurrection de la nature et l'avnement du Royaume de la Libert, Bloch lance, en affirmant un optimisme militant (66), un dfi l'gard de l'utopie ngative d'un catastro- phisme final qui se dlecte dans la contemplation des images des ruines de l'humanit et de l'horreur. Bien que cette vision apocalyptique ait encore t la sienne lors de la rdaction, de. L 'Esprit de l'Utopie (67),. Bloch l'abandonne progressivement, aprs la publication du Thomas Mnzer - thologien de la Rvolution (1921) et aprs la seconde dition de L'Esprit de l'Utopie (.1923), en faveur d'une conception de l'histoire plus marxiste. (Cf. le chapitre, sur les Thses de Marx sur Feuerbach (68) dans le tome I et le chapitre sur les utopies sociales dans le tome II du Principe Esprance, la thmatique apocalyptique fait brusquement sa rapparition sous la forme du sous-chapitre Rsurrection bibUque et apocalypse (d. allemande, Francfort 1959, p. 1323-1333) dans le cadre d'une longue rflexion consacre aux images (utopiques) -de l'esprance xontre la mort. L aussij E. Bloch essaie de donner l'apocalypse un sens diffrent de l'interprtation benjaminienne . en mettant l?accent sur les aspects. salutaires dans l'apocalypse bibUque, savok les catgories fondamentales du Nouveau Testament .': Rios -Zo - lumire - vie, en invoquant l'image du chteau baign, de lumire (symboUsant la Jrusalem cleste) surplombant l'image de l'enfer (69).

    En refusant le pessimisme benjaminien dans. le domaine de la phUosophie de lliistoke et des. perspectives historiques de l'humanit moderne, Ernst Bloch rcuse aussi la rduction, chez Benjamin,, de l'esprance rvolutionnake, l'image de brefs, arrts messianiques interrompant la continuit de Fhistoke par une concentration excessive . d'nergie de (contre) / violence .* des opprims dans une dure de temps minimum. Ainsi, U est plus < que significatif, qu'Ernst Bloch n'voque pas une seule, fois.. dans le chapitre Hiroglyphes du XIXe sicle chapitre o Bloch se rfre expliciter ment aux recherches benjaminiennes. sur ce sicle >.: en lui-mme ptri de rves, de mlanges et de rumeurs ; au sicle dont le souve- nk aujourd'hui ne fait qu'expUcjter le pass (70) (Bloch., Op. cit,, p. 353) - le thme, de lTiaussmanisation de Paris, celui des. barricades ou des insurrections blanquistes. Le nom de Blanqui est mme compltement banni, alors que W. Benjamin consacre au chef mythique des Socits Secrtes, l'Enferm, ses conspkations et ses luttes et projets, plusieurs dizaines de pages dans les Passages Parisiens (71). Plus encore, le putschisme comme toute etrat

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    condamn par Ernst Bloch (72) au dbut du tome III du Principe Esprance. Cette critique vise, certes, en premier lieu, Georges Sorel et les actions des anarcho-syndicalistes contre lesquelles E. Bloch formule le reproche d'avoir utopis la violence en tant que force cratrice (P.E., III, d. allemande, p. 1 1 06) et d'avok ainsi influenc indkectement le fascisme. Mais on pourrait aussi comprendre cette critique catgorique du sorlisme par Ernst Bloch comme une mise-en-cause indirecte, mais claire du blanquisme qui exprime lui-aussi, sur le fond historique du XIXe sicle franais, cette impatience rvolutionnaire trs spontane, volontariste et prte brler les tapes en considrant la classe opprime

    proltarienne comme moteur de l'histoire, moteur qui, s'U est prmaturment mis en marche, risque de prcipiter cette mme classe dans un chec poUtique total (73). (Ce qui tait, le sort des conspkations et insurrections blanquistes tout au long du XIXe sicle).

    Paradoxalement et en dpit des nombreuses affinits de pense avec W. Benjamin que rvle cet ouvrage la ractionN de W. Benjamin l'gard d'Hritage de ce Temps d'Ernst Bloch tait trs ngative. Etait-elle le rsultat du dsaccord total de Benjamin l'gard de l'ensemble des thses sociologico-phUosophiques nonces par E. Bloch dans cet ouvrage ? Ou doit-elle plutt tre ramene au fait que le chapitre prcit du Uvre comme l'ouvrage en gnral comportait un grand nombre de citations de Sens unique qui n'taient pas toujours clairement indiques en tant que teUes dans le texte biochien ?

    Il est difficUe de trancher cette question avec une certitude scientifique normative absolue ; mais la lumire de la correspondance de W. Benjamin avec Alfred Cohn, Gershom Scholem, Th. W. Adorno et Bertold Brecht, la conviction se fraie le chemin que de graves dsaccords d'ordre poUtico-phUosophique (et mme d'ordre priv !) ont d motiver le jugement si svre de l'auteur de Sens Unique sur quelqu'un qui avait pourtant tout fait l'toffe pour tre son frre spirituel. En ce qui concerne les divergences d'ordre poUtique, W. Benjamin y fait clairement allusion dans sa lettre Alfred Cohn de San Remo du 8 fvrier 1935 o U formule l'gard de l'ouvrage le grave reproche ... qu'U ne correspond en aucune manire la situation de sa parution, mais surgit aussi dplac qu'un seigneur qui, venu inspecter une rgion dvaste par un tremblement de terre, n'aurait pour commencer rien faire de plus press que de demander ses gens de drouler les tapis.de Perse qu'U a apports ici et l un peu mits dj, d'tendre,, ici et l dj dcolors, les brocards et tissus damasss. U va de soi que Bloch a d'excellentes

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    intentions et de grandes ides. Mais U se refuse les mettre en uvre en les pensant. En pareille situation dans un Ueu frapp par la misre , U ne reste plus au grand seigneur qu' livrer ses tapis comme couvertures, fake couper des manteaux dans ses riches toffes et envoyer la fonte sa vaisselle sompteuse (74). (Correspondance, II, p. 151-152).

    Autre remarque encore plus lancinante et rvlatrice ce sujet, dans la lettre de W. Benjamin Alfred Cohn, crite de Paris, le 1 8 juUlet 1935 ! Rsumant ses impressions de la lecture d'Hritage de ce Temps, W. Benjamin n'hsite pas constater que la lecture du chapitre Hiroglyphes du XIXe sicle de Bloch l'aurait rendu quelque peu farouche. Et U continue : Je me suis du reste expliqu avec lui. Et si j'avais fake face au rude problme de tirer nos relations de l'tat critique des dernires annes, sans le laisser dans l'incertitude quant ma position, essentiellement ngative et trs ngative, sur son dernier Uvre, je peux esprer, rserves faites de ractions imprvisibles et tardives de sa part, avoir rsolu le problme. Cela exigerait videmment, de son ct aussi, une grande loyaut et je suis heureux de l'avok trouve (75) (Correspondance, vol. II, Paris, Aubier-Montaigne, 1 978, p. 1 69).

    Les formulations choisies par W. Benjamin pour exprimer ses griefs ne peuvent tre interprtes que comme constat amer d'une incomprhension et de dsaccords dans de multiples domaines, sans que cela puisse exclure pour autant la possibilit, l'hypothse d'une ventuelle rconcUiation (aprs expUcation des diffrends). Mais eu gard la tonaUt de la lettre de W. Benjamin Gretel Adorno du 14 dcembre 1939 comportant encore des remarques critiques l'gard de Bloch, (Cf. Corresp., II, p. 315 !), tout porte croire que cette rconcUiation n'a jamais rellement eu Ueu. Fuyant tous les deux le nazisme, mais choisissant des itinraires diffrents, conduisant l'un l'exU en terre sre, aux tats-Unis, l'autre au suicide la frontire franco-espagnole , Bloch et Benjamin, grandis tous les deux sous l'orbite phUosophique et thologique du messianisme judaque et du matriaUsme dialectique, tentant tous deux une synthse de ces deux courants qui comportent un grand nombre de points communs, mais aussi d'normes diffrences, se sont- ils spars pour jamais en France, en 1935, aprs le Congrs Antifasciste pour la Dfense de la Culture, en tant que frres ennemis ?

    La correspondance de Benjamin au moins tmoigne pour cette hypothse dsUlusionnante ; mais l'uvre des deux grands penseurs n'en tmoigne pas moins en faveur d'affinits slectives d'ordre

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    phUosophique (et mme thologique) qui ne devraient pas tre prises en dehors de toute considration.

    NOTES

    (1) Cest en 1908 qu'Ernst Bloch soutient sa Thse, chez Oswald Kulpe, Wurzbourg, sur l'uvre du no-kantien Rickert : Rickert und das Problem der modernen Erkennt- nistheorie (Rickert et le problme de la thorie de la connaissance., de l'pistmologie\ moderne), - thse dans laquelle il essaie de mettre en relief les limites et les failles de l'- pistmologie no-kantienne et de lui opposer assi une autre conception de la philosophie de l'histoire-plus hglienne. (Des extraits significatifs de ce premier texte philosophique cohrent d'Ernst Bloch ont t publi dans le volume supplmentaire aux Oeuvres compltes d'Ernst Bloch en 16 volumes (chez Suhrkamp) Tendenz-Latenz-Utopie, Francfort, 1978, pp. 55-107.) En ce qui concerne l'analyse de la Thse d'Ernst Bloch sur Rickert, cf. aussi : Arno Munster, Utopie, Messianismus und Apokalypse im Frhwerk von Ernst Blcoch, Francfort, Suhrkamp, 1982, pp. 45-52 ! - Chez Walter Benjamin, une grande partie de sa Thse Sur le concept de critique d'art dans le romantisme allemand* (Der Begriff der Kunstkritik in der deutschen Romantik) (W.B., Ges. Schr., I, 1 (d. par R. Tiedemann et H. Schweppenhuser), Francfort, 1974, p. 7 122) consacre l'pistmologie - et en particulier au concept de l'auto-rflexion chez Fichte et chez Schlegel tmoigne galement du grand attachement de W. Benjamin l'hritage du kantisme. (Cf. W.B., Op. cit., pp. 20/21 sqq.)

    (2) Cf. l'vocation constante des concepts philosophiques de l'art de Schlegel dans la Thse de W. Benjamin : Sur le concept de critique d 'art dans le romantisme allemand, Ges. Schr., 1, 1, pp. 37 sqq. En se rfrant explicitement Novalis, Ernst Bloch intitule le dernier sous-chapitre de la deuxime grande partie de L'Esprit de l'Utopie La forme de la question inconstructible - L 'apparition Sais ; et dans le chapitre prcdent consacr la Mtaphysique de la tragdie de G. Lukacs, le nom de Novalis est encore une fois cit i l'occasion d'une rflexion philosophico-littraire sur le caractre tragique. (Cf. Ernst Bloch, L'Esprit de l'Utopie, Gallimard 1977, pp. 271-275 ; Op. cit., p. 266).

    (3) Les concepts de la schechina, du Tikkquo et du Kiddush haschemsont rgulirement voqus par Ernst Bloch, dans L'Esprit de l'Utopie (Cf. E.B., Op. cit., p. 262 sqq.). - Cf. aussi le chapitre Symbole - les Juifs* (Symbol - die Juden), in : L'Esprit de l'Utopie (d. allemande, 1re dition, 1918) et, in : Durch die Wrste (la traverse du dsert), (Berlin, 1923), Fancfort, 1977, pp. 122-140.

    (4) Cette conversion au marxisme* a t provoque, chez Ernst Bloch par la confluence d'vnements historiques tels que : la victoire des bolcheviques en Russie, la rvolution de novembre, Spartakus et la Rvolution des conseils de Munich, en Allemagne. U. avait des liens personnels avec Gustav Landauer qui tait un des principaux responsables de la Rpublique des Conseils de Bavire.

    (5) Chez Benjamin, c'tait la rencontre avec Asja Lacis qui dirigeait un thtre rvolutionnaire-proltarien pour enfants Leningrad qui provoqua, selon ses propres tmoignages, son intrt pour et son passage des positions proches du matrialisme historique et dialectique. Cf. W. Benjamin : Muskauer Tagebuch (Journal de Afoscow),Francfort, d. Suhrkamp, 1980, p. 154 sqq.)

    (6) Cf. W. Benjamin : Sur le concept de l'histoire et Fragment thologico-potttique, in : Illuminationen, Francfort, 1977, pp. 251-263. - Dans le premier paragraphe du Fragment thologico-politique, W. Benjamin rejoint l'argumentation d'Ernst Bloch - exprime dans le chapitre Karl Marx, la mort et l'apocalypse de L'Esprit de l'Utopie, - que le Royaume de Dieu ne serait pas le Telos de la dynamis historique, mais sa fin et que la conception messianique-religieuse de la finalit de l'histoire serait incompatible avec une interprtation thocratique. (Cf. WS, Op. cit., p. 262).

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    (7) D'aprs Ernst Bloch, la premire rencontre avec W. Benjamin aurait eu lieu en automne, hiver 1918, Berne, en Suisse (Cf. T. W. Adorno, E. Bloch, Max Rychner, G. Scholem, Jean Selz, G. Holz, Ernst Fischer : Uber Walter Benjamin, Francfort, 1968, p. 16 !) ; mais d'aprs les souvenirs de Gershom Scholem, cette rencontre aurait eu lieu bien plus tard, en mars/avril 1919. Ce fut par l'entremise de Hugo Bail, crit-il, que Benjamin fit, en mars ou avril 1919, la connaissance d'Ernst Bloch qui vivait alors Interlaken et qui avait galement collabor la Frte Zeitung pendant la guerre. (G. Scholem : Walter Benjamin : Histoire d'une amiti, Paris, Calmn-Lvy, 1981, p. 97). Cette date tant en contradiction avec les indications donnes par Ernst Bloch, nous estimons qu'il est lgitime d'admettre l'erreur chez Bloch, car Scholem est en mesure de justifier la date de cette rencontre par une note dans son journal la date d'avril 1919 indiquant que Benjamin lui aurait racont avoir fait la connaissance de Bloch il y a quelques semaines - c'est--dire en mars 1919. (Cf, G. Scholem, Op: cit., p. 97). ,

    (8). Cet article a t republi, sous le titre Uber einige Friedensprogramme in der Schweiz, dans le vol. XI des Oeuvres compltes d'Ernst Bloch JPolitische Messungen, Pest- zeit Vormarz (Mesures politiques, temps pestifirs, Vormarz" ( ~ ravant-quarante-huit), Francfort, 1970, pp. 46-59.

    (9) Ces articles devraient tre publis prochainement, aux ditions Suhrkamp, sous le titre Kein 191 7 ohne 1 789 (Pas de 1917- dans 1789 !) par les soins de Martin Korol.

    (10) Cf. Walter Benjamin : Correspondance (trad. : Guy Petitdemange), Paris, Aubier- Montaigne, 1979, tome I (1910-1928), p. 202. . .

    (11) Cf. W.Benjamin :Cb/rpofjdace, tome 1, Paris,19f9, p. 202. . (12) Cf. les affirmations trs logieuses d'Ernst Bloch sur Walter Benjamin in : Tagtrume

    vom Aufrchten Gang. (Rves diurnes ..J d. par A. Munster, Francfort, Suhrkamp, 1977, pp. 48-51. Ernst Bloch y fait allusion ses entretiens en commun, sur le romantisme allemand, pendant ses rencontres avec W. Benjamin, en Suisse et en: Italie (Positano), 'Origine du drame baroque, tallemand et Sens Unique. Ernst Bloch fait quand mme un peu allusion au caractre grotesque et excentrique de son ami, son dsespoir et son suicide qui aurait t une' solution proche de sa vie . (E J ., Op: cit., p. 52).

    (13) Cf. le manuscrit de jeunesse d'Ernst Bloch Uber die Kraft und ihr Wesen (Puissance et Essence.-*- 1902) reproduit in : Fhilosophische ufsatze Essais Philosophiques), Oeuvres compltes, tome X, Francfort, 1969, p. 5 ; Cf. aussi : Tagtrume .. Francfort 1977, pp. 28- 29.

    (14) Cf. Lettre d WJJ. G. Scholem du 13 fvrier 1920, Correspondance, tome I, p. 216) !

    (15) Op! dt, p/216 ; (16) Op. cit., p. 216/217 ; (17) Op. cit., p. 216/217 ; (18) G. Scholem : Walter Benjamin .-Histoire d'une amiti, Paris, Calmann-Lvy, 1981,

    pp. 98-99; (19) Cf. G. Scholem, Op. cit., p. 95 sqq. - Comme le souligne G. Scholem, cet ouvrage

    de Martin Buber tait trs important pour l'idologie de la jeunesse sioniste de l'poque. (Op. cit., p: 95).

    (20) G. Scholem, Op. cit., p. 98-99 ; (21) Cf. L'Esprit de l'Utopie, ch. Karl Marx, la mort et l'apocalypse*, (1923), trad. :

    Anne-Marie Lang et Catherine Prion-Audard, Paris, Gallimard 1977, p. 322). , (22) Cf. G. Scholem et W. Benjamin, Histoire d 'une amiti,, p. 97 . (23) Allusion au Systme d'une philosophie axiomatique en 4 volumes dont Ernt Bloch

    parle dans sa lettre Georges Lukacs du 24 avril 1911 et qui devrait avoir la disposition suivante : . . 1 Sagesse de la vie (actuelle) ; 2 Philosophie de l'histoire (philosophie de la nature/ philosophie de l'histoire de la philo

    sophie de la nature).

  • E. BLOCH ET W. BENJAMIN : UNE AMITIE DIFFICILE 75

    3 Le Seigneur et Tordre de Dieu ou : l'tant axiomatique de la substance ; 4 Le salut et le royaume du sens artistique en tant qu'esthtique de l'ide. Cette lettre-indite- de la correspondance Ernst bloch-Lukacs est cite dans mon ouvrage : Utopie, Messianismus und Apokalypse im Friihwerk von Ernt Bloch, Francfort, d. Suhrkamp, 1982, p. 77.

    (24) Ce projet d'une collaboration n*a jamais t ralis. (25) Cf. G. Scholem, Op. cit., p. 98. (26) Cf. G. Scholem, Op. cit., p. 98. (27) Ernst Bloch, Durch die Wste ..., p. 125 ; (28) E. Bloch, Op. cit., p. 126 ; (29) E. Bloch, Op. cit. p. 124 ; (30) E. Bloch, Op. cit., p. 135 i (31) E. Bloch, Op: cit., p. 137 ; (32) E. Bloch, Op. cit., p. 138 : (33) Le terme centre utilis par E. Bloch - et difficilement comprhensible dans

    ce contexte - ne peut-tre interprt que comme allusion au milieu chrtien environnant, au christianisme. (A.M.)

    (34) W. Benjamin, Correspondance, tome I, p. 21 8. (35) Cf. G. Scholem, W. Benjamin - Histoire d'une amiti, p. 7-9. (36) Cf. G. Scholem, Op. cit., p. 9 ; (37) Walter Benjamin : Correspondance, tome I, p. 216. . (38) Cf. Surtout ie chapitre Hiroglyphes du XIX e sicle in : Hritage de ce temps,

    trad. : Jean Lacoste, Paris, 1978, pp. 352-358. (39) Cf. Ernst Bloch : Hritage de ce temps, Paris 1978, pp. 353-354. Bloch y voque,

    comme W. Benjamin, l'volution des forces productrices en France, aprs 1830 : le machinisme, ... des tentatives surprenantes qui utilisent le verre, le fer, un espace ar et sans limites, il cite Giedion, voque l'anarchie des styles dans f omementalisme d XIXe . sicle, etc. etc. (Cf , Op. cit., pp. 353-354).

    (40) Cf. W. Benjamin : das Pas sage n-Werk, Ges. Schriften V, 1-2, d. par Rolf Tiedemann, Francfort, 1982. .

    (41) Cf. W. Benjamin : La tche du traducteur, Ges. Schr., vol. IV, 1, p. 7 sqq. (42) Rolf Tiedemann : Studien zur Philosophie Walter Baniamins, Francfort, 1973,

    p. 130. (43) R. Tiedemann, Op. cit., p. 130i (44) Cf. R. Tiedemann, Op. cit., p. 130. (45) Cf. Manfred Frank : Der Kommende Gott. Vorlesungen uber die Neue Mythologie,

    Francfort Suhrkamp, 1982, p. 28. (46) Frank, Op: cit., p. 28 ; (47) Cf. Ernst Bloch : Hritage de ce temps (traduction : Jean Lacoste), Paris, Payot

    1978, p. 150-152. (48) Op. cit., p. 152 ; (49) Op. cit., p. 152 ; (50) Rolf Tiedemann : Introduction aux Passages parisiens : Das Passagen-Werkt Ges.

    Schriften, V, 1, Francfort 1982, p. 19. (51) R. Tiedemann, Op. cit., p. 18 ; (52) R. Tiedemann, Op. cit. , p. 18 ; (53) Cf. Ernst Bloch : Le Principe Esprance, tome I, Premire partie, ch. 14 : La dis

    tinction fondamentale entre les rves veills et les rves nocturnes. La ralisation dissimule de souhaits anciens dans le rve nocturne, la fabulation et l'anticipation dans les rves veills. Op. cit., trad, franaise : Franoise Wuilmart, Paris, Gallimard, 1976, pp. 99-142.

    (54) Cf. Ernst Bloch : Le Principe Estprance, tome III ; Das Prinzip Hoffhung, voL III (d. allemande), Francfort 1959, pp. 1616-1622 : sous-chapitre Traum nach vorwarts,

  • 76 ARNO MUNSTER

    Nchternheit, Enthusiasmus und ihre Einheit (Rve-en-avant, sobrit, enthousiasme et son unit) du chapitre Karl Marx und die Menschlichkeit (Karl Marx et l'humanit). (Le tome III du Principe Esprance n'a pas encore t traduit et publi en langue franaise !)

    (55) Rolf Tiedemann, Op. cit., p. 18 ; (56) Tiedemann, Op. cit., p. 17 ; (57) Cf. Ernst Bloch : Le Principe Esprance, tome I, trad. : Franoise Wuilmart) Paris,

    Gallimard 1976, chap. 15 : La dcouverte du Non-encore-conscient en tant que nouvelle classe de la conscience et classe de la conscience du nouveau .... Op. cit., pp. 142-216.

    (58) Cf. Le Principe Esprance, Tome I, chap. 18 : Les diffrentes couches de la catgorie de la possibiUt*, pp. 270-300.

    (59) Cf. Le Principe Esprance, tome III, d. allemande, pp. 1616-1628. (60) L'ternit par les Astres de Blanqui est voque plusieurs reprises reprises par

    W. Benjamin dans les Passages Parisiens Cf. WJB., Das Passagen-Werk, Ges. Schr. V, 1, Francfort 1982, pp. 168-169. Page 169 il caractrise cet crit du vieux Blanqui de la faon suivante : In dieser Schrift ist der Himmel ausgespannt, an dem die Menschen des 19. Jahr- hunderts die Sterne stehen sehen. (Dans cet crit s'tend le ciel o les hommes du XIXe sicle verront les toiles. Il me semble significatif que W. Benjamin fait immdiatement le rapprochement avec Charles Baudelaire qui, dans les Litanies de Satan (Baudelaire : Oeuvres, d. Le Dantec, vol. I, Paris 1931, p. 138) a sans aucun doute voulu faire allusion au personnage hroique de l'Enferm en crivant : Toi qui fait au proscrit ce regard calme et haut. Et Benjamin commente : In der Tat gibt es ja von Baudelaire eine aus dem Gedchtnis vollfhrte Zeichnng, die den Kopf von Blanqui darstellt (Il existe en effet un dessin de Baudelaire o, s'inspirant de sa mmoire, il fait le portrait de Blanqui.) (Cest moi-mme qui traduit ces affirmations de WJJ.. - A.M.) Dans sa post-face k la rdition de L'ternit par les Astres - faite, en 1972, par les soins de la Socit encyclopdique franaise et les Editions de la Tte des Feuilles - Miguel Abensour souligne le mrite de W. Benjamin d'avoir fait sortir Blanqui des catgories o blanquistes et anti-blanquistes prtendaient le ranger. Sans se rfrer aux Passages, Abensour remarque aussi que l'ombre de Blanqui* apparat encore en filigrane dans le dernier texte de Benjamin, Sur le concept d'Histoire et que praticien du collage, Benjamin fait comme s'il dtournait les armes forges par Blanqui contre le positivisme afin de porter ses propres coups ceux qui s'panchent au bordel de l'historicisme. (in blanqui : Instructions pour une prise d'armes. - L'Eternit par les astres. Paris, 1972, p. 206.).

    (61) Cf. Sur le concept de l'histoire, in : W.B., Ges. Schr. I, p. 701-703. (62) W.B., Das Passagen-Werk, Ges. Schr. V, 2, p. 1034. (63) W.B., Op: cit., Ges. Schr. V, 2, p. 1035. (64) Cf. ce propos : Louis-Auguste Blanqui : Ecrits sur la rvolution. Oeuvres complt

    es, Tome 1 : Textes politiques et lettres de prison, prsent et annot par Arno Munster, Paris, Ed. Galile, 1977, pp. 63 sqq. '

    (65) Le texte original de L'ternit par les astres est conserv dans le Fonds Blanqui de la Bibliothque Nationale dans les Nouvelles Acquisitions Franaises (N.A.Fr.) 9 585. La liasse- o figure cette hypothse eosmogonique comporte, outre ce texte clbre, un grand. nombre de notes et de fragments relatifs la cosmogonie de Laplace et l'astronomie en gnral qui seront publis dans l'dition des Oeuvres de Louis-Auguste Blanqui en 8 volumes devant paratre aux ditions d la Documentation Internationale.

    (66). Cf. Le Principe Esprance, tome I, ch. 17, sous-chapitre optimisme militant, les catgories front, novum, ultimum Op. cit., pp. 239-247.

    (67) Cf. L'Esprit de l'Utopie, Gallimard 1977, pp. 234-230. (68) Cf. Le Principe Esprance, tome I, Paris 1976, chap. 19 : La transformation

    du monde ou les onze thses de Marx sur Feuerbach, pp. 301-345. (69) Le Principe Esprance, tome III, d. allemande, Francfort 1959, p. 1332-1333. (70) Cf. Hritage de ce temps, Paris, 1978, p. 353. (71) Cf. W3., Das Passagen-Werk, Ges. Schr. V. 2, pp. 745-763 ; pp. 892-897 ; p. 955 ;

  • E. BLOCH ET W. BENJAMIN : UNE AMITIE DIFFICILE 77

    W. Benjamin ne cite jamais Blanqui selon les manuscrits conservs la Bibliothque Nationale, mais le plus souvent d'aprs la biographie de Gustave Geoffroy (L'Enferm, Paris 1897) et les tudes et travaux sur Blanqui et le blanquisme d Maurice Dommanget. (A.M.)

    (72) Ernst Bloch : Le Principe Esprance, d. allemande, tome III pp. 1 108 sqq. (73) Cf. la critique de la statgie blanquiste (et no-blanquiste) par Rosa Luxemburg, in :

    R.L., crits politiques (Politische Schriften), tome III, Francfort, 1968, pp. 62 sqq. Dans cet article dirig contre les no-blanquistes russes et contre les membres du parti bolchevique qui taient sympathisants du blanquisme, Rosa Luxemburg s'en prend surtout la foi en la toute-puissance du politique ... et en la toute-puissance en la supriorit physique pure : barricade, chafauds ... qui sont, ses yeux, caractristiques de la vision blanquiste de la Rvolution Sociale. (Cf. R.L, Op. cit. p. 76-77). - Cf. ce sujet aussi notre introduction/prsentation : L.-A. Blanqui : crits sr la rvolution. Textes politiques et lettres de prison. (Oeuvres Compltes, tome 1), Paris, Galile, 1977, p. 46-48.

    (74) Walter Benjamin : Correspondance (traduction : Guy Petitdemange), Paris 1978, tome II, pp. 151-152.

    (75) W. Benjamin, Op. cit., p. 169.

    InformationsAutres contributions de Arno MnsterVoir aussi:Lwy Michael. Arno Mnster, Figures de l'utopie dans la pense d'Ernst Bloch, Paris, Aubier, 1985 . In: L Homme et la socit, N. 77, 1985. Racisme, antiracisme, tranges, trangers. p. 242.

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