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r ANNALES DU CERCLE HUTOIS DES SCIENCES ET BEAUX-ARTS TOME XLVI 117e AN N ÉE 1992

ANNALES - uliege.be. ACHSBA.pdfHistoire du diocèse et de la principauté de Liège pendant le X llt et le XIV siècle, Liège, 1891, p. 483-496. - J. BASTIN, La politique intérieure

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rANNALES

DU

CERCLE HUTOISDES

SCIENCES ET BEAUX-ARTS

TOME XLVI

117e ANNÉE

1992

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UNE RUPTURE ENTRE LES HUTOIS ET ADOLPHE DE LA MARCK, PRINCE-ÉVÊQUE DE LIÈGE

(1343-1344).UN PRÉLAT ET UNE VILLE FACE À LEUR POLITIQUE^

par

Alain M ARCHANDISEAspirant du F.N .R.S.

De 1297 à 1316, la ville de Huy vécut au rythme de troubles politiques intermittents. Aux émeutes « démocratiques » de la fin du XlIIe siècle succédè­rent toutes les querelles de partis qui enflammèrent la principauté au début du XIVe siècle. L’évêque de Liège prit part, directement ou indirectement, à tous ces affrontements, et ses prises de position suscitèrent parfois la réprobation de ses sujets hutois. Certes, en 1316, les dissensions s’évanouissent mais l’accalmie n’est que provisoire®. Dès 1343, en effet, «le torchon brûle» à nouveau® entre

(1) Les sigles employés dans cet article sont: A.C.H.S.B.A. - Annales du Cercle hutois des Sciences et Beaux-Arts; B.C.R.H. - Bulletin de la Commission royale d’Histoire; B.I.A.L. - Bulletin de l ’Institut archéologique liégeois; B.S.A.H.D.L. - Bulletin de la Société d ’Art et d’Histoire du Diocèse de Liège. - C.S.L. - S t BORMANS, E. SC H O O LM EESTERS, E. PONCELET, Cartulaire de l ’Eglise Saint-Lambert à Liège, 6 voL, Bruxelles, 1893-1933. - F.A.M. - E. PONCELET, Le livre des fiefs de l ’Eglise de Liège sous Adolphe de la Marck, Bruxelles, 1898. - F.E.M. - E. PONCELET, Lesfeudataires de la principauté de Liège sous Englebert de la Marck, Bruxelles, 1949. - R.C.L. - E. FAIRON, Régestes de la Cité de Liège, L 1-2, Liège, 1937. - R.O.P.L. - St. BORMANS, Recueil des Ordonnances de la Principauté de Liège, l 's é r ., 974-1508, Bruxelles, 1876.

(2) Sur la vie politique hutoise de 1297 à 1343, cfr A. J ORIS, Les émeutes démocratiques à Huy à la fin du X III' siècle, A.C.H.S.B.A., t. 22, fasc. 4, 1949, p. 239-253. - ID., Huy et les pre­miers conflits liégeois du XIVe siècle (1312-1316), ibid., t. 24, fasc. 2, 1952, p. 141-156. - ED., Recherches sur le patriciat urbain de Huy au moyen âge ( - JO R IS , Patridat urbain), ibid., t 23, 1950, p. 144-15L - ID., La ville de Huy au moyen âge. Des origines à la fin du XIV' siècle ( - JO R IS , Ville de Huy), Paris, 1959, p. 464-466.

(3) On trouvera un exposé succinct des événements de 1343-1344 dans JO R IS , Ville de Huy; p. 466-467. - JO R IS, Patriciat urbain, p. 152-154. - J . L E JE U N E , Liège et son Pays. Naissance d ’une patrie (XIII'-XTV siècles) ( - L E JE U N E , Liège et son Pays), Liège, 1948, p. 365-369. - G. KU RTH , La Cité de Liège au moyen âge (- KURTH, Cité de Liège), L 2, Bruxelles-Liège, 1910, p. 59-67. - C.

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les Hutois et leur évêque, Adolphe de la Marck(4). L’entente cordiale qui, jusqu’alors, unissait la cité mosane au prélat liégeois vole en éclats. Survient alors, dans la principauté, une crise très grave, dont les conséquences seront pour le moins funestes. Les événements qui secouèrent le Pays de Liège à cette époque sont des plus édifiants pour l’historien. D’une part, ils lui permettent d’analyser la politique de l’évêque de Liège et, partant, d’en souligner toute l’ha­bileté. ïïs lui donnent, par ailleurs, l’occasion de mettre en lumière, à travers l’une de leurs expressions les mieux affirmées, les tendances traditionnelles de la politique hutoise. Aussi nous a-t-il semblé utile de faire un récit détaillé de tous ces événements et, bien évidemment, d’en dégager les principaux enseigne­ments.

*★ ★

Tout bien considéré, il apparaît clairement que l’agitation des années 1343- 1344 trouve son origine lointaine dans la situation monétaire qui régnait à l’épo­que de l’évêque Hugues de Chalon (1296-1301)(5). C’est donc par une mise au point critique, à propos de cette question particulièrement embrouillée(6), que nous entamerons notre exposé(7).

DE BORMAN, Les échevins de la souveraine justice de Liège, t 1, Liège, 1892, p. 135-138. - J . DARIS, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège pendant le X llt et le XIV siècle, Liège, 1891, p. 483-496. - J . BASTIN, L a politique intérieure et extérieure d’Adolphe de la Marck, Leodium, t 25, 1932, p. 43-45.

(4) Adolphe de ta Marck, prince-évêque de Liège (1313-1344). Cfr S. FIN CK, Adolphe de la Marck, prince-évêque de Liège (1313-1344), mém. de lie. en Histoire dactyL, Université de Liège, Liège, 1988-1989. - N. REIM ANN, Die Grafen von der Mark und die geistlichen Territorien der Kôlner Kirchenprovinz (1313-1368) ( = REIM ANN, Grafen von der Mark), Dortmund, 1973, p. 11, 15-49, 50, 53, 54, 62-67, 72, 75, 84-87, 93, 94, 121-128. - Chr. RENARDY, Les maîtres universitaires du diocèse de Liège. Répertoire biographique (1140-1350), Paris, 1981, p. 167. - BASTIN, op. cit., p. 7-21, 35-46.

(5) A son propos, cfr D. BOERM ANS, Hughes de Chalon, évêque de Liège, 1296-1301, mém. de lie. en Histoire dactyL, Université de Liège, Liège, 1973-1974. - RENARDY, op. cit., p. 310-312 (avec bibliog. an t). - A. JO R IS , Art. Hugues de Chalon, Dictionnaire d ’histoire et de géographie ecclé­siastique, sous presse. - E. SC H O O LM EESTER S, Hugues de Châlon, évêque de Liège, Leodium, t 5, 1906, p. 47-52.

(6) Le système monétaire en vigueur au moyen âge nous apparaît, à nous hommes contem­porains, non-spécialistes, comme extrêmement complexe. Les médiévaux, qui baignaient continuel­lement dans ce régime monétaire, devaient, pour leur pan , très bien s’y reconnaître. D en allait probablement de même des Britanniques à l’époque où ils usaient d’un système duodécimal - avant 1971 -, comportant un grand nombre d’espèces différentes.

(7) Sur la situation monétaire sous Hugues de Chalon, en particulier, en 1297, ce dont il va être plus particulièrement question infra, cfr J . DE C H E ST R E T DE H A N EFFE, Numismatique de la principauté de Liège et de ses dépendances (Bouillon, Looz), depuis leur annexion, Bruxelles, 1890, p. 150-15L - ED., L a question monétaire au pays de Liège sous Hugues de Châlon, Adolphe et Engle- bert de la Marck, Revue belge de numismatique et de sigillographie, L 43, 1886, p. 285-289. - H. FR E R E, Monnaies de l’évêque de Liège frappées à Huy et à Statte ( - FR E R E, Huy-Statte), ibid,

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Selon l’opinion généralement reçue, fondée principalement sur la Chronique de Jean de Hocsem(8) et accessoirement sur le Myreur des Histors de Jean d’Outre- meuse(9), Hugues de Chalon aurait fait frapper à Statte en 1297 des deniers de billon - appelés « stallefrais » par Jean d’Outremeuse - , monnaie rapidement entraînée dans un processus de dévaluation.

Au terme d’un article très serré(10), prenant davantage en compte les propos de la Chronique de 140lU) et des actes diplomatiques, H. Frère, qui est, à l’heure actuelle, le meilleur spécialiste wallon en matière de numismatique et d’histoire monétaire, pose diverses conclusions que nous pensons pouvoir résumer comme suit:

1) Contrairement au propos de Jean d’Outremeuse, le stalofreal n’a rien à voir avec un denier de billon. C’est au contraire une bonne monnaie d’argent,

t. 108, 1962, p. 122-137. - ID., Le bourgeois et les premiers florins liégeois, ibid, t. 103, 1957, p. 92-93. C fr égalem ent, A. GRUNZW EIG, Les incidences internationales des mutations monétaires de Philippe le Bel, Le Moyen Age, t. 59, 1953, p. 129-13L

(8) JE A N DE HOCSEM , Chronique, éd. G. KU RTH (- HOCSEM ), Bruxelles, 1927, p. 93-94, 312-313. Certes, Hocsem est contemporain de ce marasme monétaire de 1297, dont il va être question ci-après, mais, à ce moment-là, il n’est pas à Liège. Il réside en effet à Paris et à Orléans depuis 1296 et ne rentrera à Liège qu’en 1308. Pour le cas qui nous occupe, Hocsem n’est donc pas témoin oculaire et c’est rétrospectivement qu’il relate les faits puisqu’il commence à rédiger sa chronique en 1334. A ce propos, cfr S. BALAU, Les sources de l ’histoire de Liège au moyen âge (- BALAU, Sources), Bruxelles, 1903, p. 499-513, en particulier, p. 500. - HOCSEM , p. XÜ-XIII,xxxvn-xxxvm.

(9) JE A N D ’O U TREM EU SE, Ly Myreur des Histors, éd. A. BORGNET, t. 5, Bruxelles, 1867, p. 529. Même si, «prudemment maniée, l’oeuvre de Jean d’Outremeuse fournit nombre de renseignements qui méritent créance » [E VERCAUTEREN, Luttes sociales à Liège (X llf et XIV siè­cles) (- V ERCAUTEREN, Luttes sociales), 2 ' éd., Bruxelles, 1946, p. 115], elle n’en est pas moins émaillée d ’allégations fantaisistes dont il faut se défier. Dans notre cas, il faut en outre tenir compte du fait que les événements de 1297 sont de cent ans antérieurs à la date à laquelle il com­mença à rédiger sa chronique, soit ca 1395. Cfr G. KU RTH , Etude critique sur Jean d’Outre­meuse, Mémoire de l ’Académie royale de Belgique. Classe des Lettres, 2 ' sér., t. 7, 1910, p. 1-107. - BALAU, Sources, p. 559-574. - ID., Comment Jean d’Outremeuse écrit l’histoire, B.C.R.H., t 71, 1902, p. 227-259. - Cfr également les études mentionnées à la a 17.

(10) Il s’agit de FR ER E, Huy-Statte, p. 122-137.(11) Cette chronique, particulièrement riche pour l’historien de Huy (cfr, par ex., A. JO R IS,

Politique internationale et difficultés commerciales. Un procès contre Huy en 1310, A.C.H.S.B.A., L 24, 1953, p. 195. - ID., L a visite à Huy de Richard de Comouailles, roi des Romains (29 décem­bre 1258), Le Moyen Age, t 64, 1958, p. 271-283), porte ce titre parce que le récit est brutalement interrompu à l’année 1402. L a partie de la chronique où sont rapportés les faits relatifs à 1297 a été rédigée ca 1313. Sur cette chronique, cfr BALAU, Sources, p. 533-538. - J . L E JE U N E , L a «Chroni­que liégeoise de 1402» et Henri de Dinant (1253-1256), Etudes sur l ’histoire du Pays mosan au moyen âge, Mélanges Félix Rousseau, Bruxelles, 1958, p. 413-432. - ID., A propos de l’art mosan... Renier, l’orfèvre et les fonts de Notre-Dame, Anciens Pays et Assemblées d ’Etats, L 3, 1952, p. 3-27, et surtout p. 11-15. - ID., L’enlèvement de Jean de Flandre, évêque de Liège, ou comment on écrit l’histoire et comment un droit se constitue, ibid, p. 71-89, et surtout, p. 71-74. - J . - L KU PPER, Note sur Henri de Dinant, B.I.A .L , L 98, 1986, p. 339-349.

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unanimement appréciée par le public, notamment par le chapitre de Saint-Lam- bert<12).

2) Une monnaie de billon fut effectivement frappée en 1297. H s’agit d’un esterlin duquel le chapitre cathédral se plaignit avec acrimoniecl3).

Quoi qu’il en soit de ces manoeuvres monétaires que l’on attribua, à tort ou à raison, à Hugues de Chalon, et qui lui valurent une réputation d’évêque « faux-monnayeur reste qu’à cette époque, dans la principauté de Liège, avaient cours plusieurs devises, soit réellement frappées, soit comme monnaie de compte. On distinguait notamment: 1) le vieux gros aussi appelé gros tournois, 2) le denier liégeois, de bonne monnaie ou de cens, unité forte, tendant progres­sivement à devenir une monnaie de compte, et enfin 3) le denier nouveau ou tournois, monnaie frappée, beaucoup plus faible(1J\ De fait, par rapport aux autres monnaies, ce dernier perdit une bonne part de sa valeur, de sorte qu’à la fin du XIII' siècle, il fallait deux deniers nouveaux pour payer un denier de

(12) FR E R E, Huy-Statte, p. 123-125, 136.(13) FR ER E, Huy-Stattc, p. 136-137. C ’est peut-être à Statte que cet esterlin a été émis.

Quoi qu’il en soit, râtelier monétaire de Siatte, qui fonctionna de 1297 à 1312. au plus lard (FR ER E, Huy-Statte, p. 116), fabriqua très probablement une monnaie considérée comme de mau­vais aloi. C ’est très exactement ce qui est dit dans une bulle pontificale datée de 1301 (cfr SC H O O LM EESTER S, op. cit., p. SI) et ce qui appert du dicton populaire wallon t Or di cou di filou, manoye di Statte» [cité par A. JO R IS, Les émeutes démocratiques à Huy à la fin du XÜI* siècle, A .C .H .S.B .A ., t. 22, 1949, p. 240 n. 5, rapportant des propos de M .E Discry. Si l’expression «ô r di cou, ârdjint d ’filou» est attestée et est utilisée soit pour se moquer de quelqu’un qui porte beaucoup de bijoux en or (cfr 3. HAUST, Dictionnaire liégeois, Liège, 1933, p. 444 ( Le dialecte wallon de Luge, 2* part.), soit pour désigner de la fausse monnaie (cfr J . WISIMUS, Dictionnaire populaire ■wallon-français en dialecte verviétois, Verviers, 1947, p. 305), nous ne connaissons pas l’origine du second membre du proverbe (i manoye di Statte »), ni les fondements historiques de celui-ci].

(14) Cette appellation est indue tout d’abord parce qu’Hugues de Chalon ne multiplia pas, semble-t-il, les mutations monétaires (FR E R E, Huy-Statte, p. 125, 131, 137). Par ailleurs, cette politique monétaire, très souvent commandée par des conditions économiques difficiles - une famine monétaire consécutive à un accroissement du volume des échanges (cfr à ce propos, par ex., M, BLOCH, Esquisse d’une histoire monétaire de l’Europe, Cahiers des Annales, t 9, 1954, p. 40- 77, en particulier, p. 63-65. - E GRAUS, L a crise monétaire du 14' siècle, Revue belge de Philologie et d ’HUtoire, t 29, 1951, p. 445-454, et surtout p. 453-454) -, il ne fut ni le premier, ni le seul évê­que de Liège à l’appliquer (cfr J .L . K U PFER , Otbert de Liège: les manipulations monétaires d’un évêque d’Empire à l’aube du XH* siècle, Le Moyen Age, t. 86, 1980, p. 353-385. - E. PONCELET, Actes de Hugues de Pierreponi (1200-1229), Bruxelles, 1941, p. LXII-LXIII) et d’autres chefs d ’Etats en firent un usage bien plus intensif. C ’est le cas, notamment, du roi de France Philippe TV le Bel [cfr J . FAVIER, Philippe le Bel, Paris, 1978, p. 170-206, 549-550 (et la bibliog. ant_)J, Enfin, que révêque de Liège ait fû t frapper des monnaies de mauvais aloi ou qu’il ait imposé certains cours forcés ne doit pas surprendre car, parmi les droits régaliens détenus par le prince de Liège, se trou­vait celui de battre monnaie (cfr J .L . KUPPER, Liège et l ’Eglise impériale (X f-X lf sièclesX Paris, 1981, p. 454. - H. FR E R E , Le droit de monnaie de Vévêque de Liège, Revue numismatique, 6‘ sér., t. 8, 1966, p. 70-88).

(15) FRERE, Huy-Statte, p. 125-135. - H. FR ER E, Le bourgeois et les premiers florins lié­geois, Revue belge de numismatique et de sigillographie, t. 103, 1957, p. 92-93.

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Liège. Le gros tournois représentait, quant à lui, six deniers liégeois ou douze deniers nouveaux. Dès la fin du XIIIe siècle, ce ne furent plus douze mais seize deniers nouveaux qui équivalurent à un gros tournois.

Dans un tel marasme monétaire, le payement des cens ne laissa pas de pro­voquer des frictions au sein de la population. En effet, pour six deniers de cens, tout créancier réclamait un gros tournois ou seize deniers nouveaux. En clair, il souhaitait être payé en ancienne monnaie ou en monnaie nouvelle, à sa valeur réelle. En revanche, le débiteur, lui, entendait payer en monnaie nouvelle mais à la valeur à laquelle il la gagnait, c’est-à-dire à sa valeur nominale, soit six deniers nouveaux pour six deniers de cens. En 1297, toutefois, une sentence des éche- vins liégeois mit un terme à ces divergences d’appréciation en décrétant que, désormais, le gros tournois vaudrait huit deniers liégeois et ce dernier deux deniers nouveaux. Dorénavant, donc, pour huit deniers de cens, chaque débiteur devait acquitter seize deniers nouveaux ou un gros tournois. Telle était la situa­tion monétaire à la fin du XIIIe siècle(16). C’est sa dégradation durant la première moitié du XIVe siècle qui provoqua, en 1343, une rupture entre la ville de Huy et Adolphe de la Marck(17).

Dès l’avènement d’Adolphe (1313), le denier nouveau, décidément bien fai­ble, perdit à nouveau de sa valeur à telle enseigne qu’à Huy, dès les années 1325-

(16) HOCSEM , p. 93-94, 312-313. Lorsqu’il affirme qu’Hugues de Chalon a fait frapper un denier de billon à Statte, en 1297, Hocsem se trompe ou, tout au moins, il n’y a aucune preuve de ce qu’il avance. Cela ne signifie pas pour autant que tout ce qu’il dit est faux. Tout d ’abord, il évo­que l'effondrement du denier nouveau par rapport aux autres monnaies. Cette tendance est bien réelle: elle transparait également au travers des actes (FR E R E, Huy-Statte, p. 131-135). Par ail­leurs, la situation monétaire du moment, notamment la distorsion entre les monnaies, devait immanquablement engendrer des troubles, notamment en ce qui concerne le payement des cens. Ce que dit Hocsem à ce propos ne nous semble dès lors pas sujet à caution.

(17) A ce sujet, les sources principales sont HO CSEM , p. 312-330 et JE A N D ’OUTRE- M EU SE, Chronique abrégée ( - J . D ’O U TREM EU SE), éd. E. FAIRON, dans S. BALAU et E. FAI- RON, Chroniques liégeoises, t 2, Bruxelles, 1931, p. 147-159). Cette dernière chronique comporte un récit très circonstancié des événements de 1343-1344 mais la chronologie en est complètement bou­leversée (à son propos, cfr J . L E JE U N E , Jean d’Outremeuse, le quatrième livre du «Myreur des histors» et de la «Chronique en bref», Annuaired'Histoire liégeoise, t 4, 1951, p. 457-525). - ID. Une source méconnue : la « Chronique en bref » de Jean d’Outremeuse, Revue belge de Philologie et d ’His- toire, t. 34, 1956, p. 985-1020). On glanera également quelques détails dans MATHEAS DE LEW IS, Chronicon Leodiense ( - MATHIAS D E LEW IS), éd. S t BORMANS, Liège, 1865, p. 110- 112. - LEVOLD D E NORTHOF, Chronicon a Marka (Die Chronik der Grafen von der Mark) (- LEVO LD DE NORTHOF), éd. E ZSCH A ECK, SS. Rerum Germanicarum, nova sériés, 2 ' éd., t 6, 1955, p. 81-82. - CO R N EILLE DE ZANTFLIET, Chronicon (- CO RN EILLE DE Z A N TFLIET), éd. M ARTENE et DURAND, dans ID., Veterum scriplorum et monumeniarum ... amplissima colleciio, t. 5, Paris, 1729, coL 234-239. A propos de toutes ces chroniques, cfr BALAU, Sources, p. 537-546, 524-527, 605-619).

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1328, le gros tournois équivalut à 18 deniers nouveaux. Bien entendu, les Hutois refusèrent d’appliquer le cours du tournois fixé par l’édit scabinal de 1297 (1 gros - 16 deniers nouveaux) et réglèrent leurs cens au taux de 1 pour 18(18). Cette attitude, contraire aux intérêts des créanciers, l’évêque en tête, favorisait d’autant plus les Hutois qu’ils pratiquaient le grand commerce international19). Les échanges commerciaux avec l’étranger leur fournissaient des gros tournois de bonne monnaie en quantité tandis que, pour un même cens, ils acquittaient moins de gros que tous les autres débiteurs de la principauté(20). Et pourtant, durant 18 ans, de 1325 à 1343, les Hutois vécurent en bonne intelligence avec leur évêque. II est vrai qu’Adolphe de la Marck était alors aux prises avec les Lié­geois. Le soutien de la cité hutoise lui était trop précieux pour qu’il les obligeât à rentrer dans le rang521). Mais ce traitement de faveur ne pouvait être étemel. En 1343, en effet, les Hutois se virent contraints par l’évêque d’observer, eux aussi, le cours de la monnaie fixé par Liège. Le revirement d’Adolphe est de taille. D s’explique pourtant aisément. En 1343, toutes les séditions ont été matées: Adolphe est tout-puissant. H n’a donc plus à ménager les Hutois. D’autre part, en homme politique averti, Adolphe sait très bien qu’accorder trop de faveurs à un groupe social, c’est poser les bases d’un futur Etat dans l’Etat c’est-à-dire d’un danger potentiel; c’est par ailleurs créer des conditions favorables à la montée du mécontentement, voire de la révolte, chez tous ceux qui ne sont pas privilégiés. Adolphe en tire les conséquences. Il oblige les Hutois à appliquer le droit et fait citer quarante-trois d’entre eux devant les échevins de Liège(22).

S’efforçant, dans un premier temps, de négocier une solution pacifique, la ville de Huy proposa à l’évêque une somme de 12 000 florins(23), en compensa­tion des pertes subies en matière de cens(24). Appelé à donner son avis sur la transaction, le chapitre de Saint-Lambert y consentit, pour autant qu’elle soit

(18) HOCSEM , p. 312-313. Les explications données par J . D ’O U TREM EU SE, p. 147, quant à l’origine du conflit, sont assez confuses.

(19) Cfr JO R1S, Ville de Huy, p. 245-264. - A. JO R IS , Un problème d’histoire mosane: la prospérité de Huy aux environs de 1300, Le Moyen Age, t 58, 1952, p. 347-36L

(20) Pour les Hutois, appliquer le cours du gros fixé à Liège, c’était payer, pour 18 deniers de cens, non pas 1 gros mais 1,125 gros, soit 1 gros de plus pour 144 deniers de cens (8 selon le cours hutois, 9 selon le cours liégeois).

(21) A ce propos, cfr JO R IS , Patriciat urbain, p. 150-152. - ID., Ville de Huy, p. 465-466. - LE JE U N E , Liège et son Pays, p. 338-366.

(22) HOCSEM , p. 313. - J . D ’O U TR EM EU SE, p. 148-149.(23) Devant tant d’abnégation, on ne peut s’empêcher de penser que, même en payant des

arriérés de 12 000 florins, les Hutois faisaient encore un bénéfice substantiel.(24) Cet argent était donc destiné à combler la différence entre la somme que les Hutois

avaient payée en matière de cens et celle qu’ils auraient dû acquitter. Selon J . D ’O U TREM EU SE, p. 148, en contrepartie des 12 000 florins, les Hutois réclamaient, en outre, que le tarif préférentiel dont ils usaient pour le payement des cens soit maintenu et que leurs libertés soient confirmées.

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amendée. Les tréfonciers étaient en effet conscients du fait que, dans ce marché, seul Pévêque tirait son épingle du jea Les autres créanciers, en particulier la col­légiale et les établissements religieux hutois, étaient en revanche gravement lésés. Le chapitre demanda donc, pour prix de la paix, que les 12 000 florins soient équitablement répartis entre l’évêque et les autres percepteurs de cens(23). Rien ne permet d’affirmer qu’étouffé par les scrupules, l’évêque ait refusé de se laisser acheter. Il n’empêche que les transactions avortèrent, probablement parce que les Hutois jugèrent inacceptable l’attitude de certains conseillers de l’évêque - Jean de Langdris, Renaud de Ghore et Herman de Revel(26) -, qui avaient exigé d’eux des pots-de-vin. Les tentatives de conciliation n’ayant pas abouti, les Hutois abandonnèrent la manière douce pour une réaction musclée. Ils rejetèrent leur souverain légitime et, le 8 mai 1343, à Louvain, ils signèrent un traité d’alliance(27) avec le plus puissant prince voisin, le duc de

(25) C ’est notamment Hocsem qui s ’opposa à une solution au seul bénéfice de Pévêque. Cfr HO CSEM , p. 313.

(26) Ces trois noms sont avancés par J . D ’O U TREM EU SE, p. 149. Jean de Langdris est fré­quemment cité dans l’entourage militaire d’Adolphe de la Marck. Echevin de Liège et maréchal de l’évêque de 1338 au 7 janvier 1344, il est banni le 31 mars 1344 pour avoir oeuvré à la suppression du Tribunal des XXII. Il rentrera en grâce sous Englebert de la Marck mais ne récupéra jamais sa charge de maréchal (cfr E. PONCELET, Les maréchaux d’armée de l ’évêché de Liège, Liège, 1903, p. 118-121 (du tiré-à-part). - D E BORMAN, op. cit ( a 3), p. 192-194. - C.S.L., t. 3, p. 46, 139, 143, 581 ; L 4, p. 5, 53, 79. - F.A.M., passim. - F.E.M ., passim. Herman de Revel fut écuyer et maître d’hôtel d ’Adolphe de la Marck. Il est cité de 1339 au 8 septembre 1344, au plus tôt (cfr C.S.L., t 3, p. 561, 562. - F.A.M., p. XII, 397, 401, 404-407. - E. PONCELET, Les sénéchaux de l’Evêché de Liège, B.S.A.H.D.L., t. 11, 1902, p. 317 a L Quant à Renaud de Ghore, il fut chanoine (1329) et écolâtre de la collégiale Saint-Jean de Liège, chanoine de Cologne (1333), de Saint-Lambert (1335- 1365), coûtre de Walcourt (1335-1344), prévôt de Notre-Dame de Huy (1337-1338) et de Saint- Dénis de Liège (1346), chanoine de Saint-Paul, de Saint-Martin et de Notre-Dame d’Aix-la- Chapelle. Il mourut en 1365 (cfr A. MARCHANDISSE, L ’obituaire de la cathédrale Saint-Lambert de Liège, Bruxelles, 1991, p. 32 a 186 (et bibliographie). Il est probable que, dans l’avenir, nous puis­sions préciser la biographie de ces conseillers épiscopaux. Nous y reviendrons dans notre thèse de doctorat consacrée, en partie du moins, à l’entourage des évêques de Liège. B. FISE N , SanctaLegia Romanae ecclesiae filia sive historianm ecclesiae leodiensis pars secundo, Liège, 1696, p. 98, mentionne, outre ces trois personnages, Jean Polarde (identifié à la n. 82) et Gérard Greven, chanoine de Saint-Denis, ce dernier étant complètement inconnu. FAIRON, dans J . D ’O U TR EM EU SE, p. 149 a 4, signale que Fisen a trouvé ces noms dans le Myreur de J . d ’Outremeuse, en l’occurrence, nécessairement dans le Quatrième Livre. Cette affirmation ne tient plus puisque, comme l’a très bien montré J . L E JE U N E (op. c it a 17), il n’y a jamais eu de Quatrième Livre.

(27) HOCSEM , p. 314. - J . D ’O U TREM EU SE, p. 149-150. - LEVOLD DE NORTHOF, p. 8L L a confedemtio du 8 mai 1343 est éditée dans R.C.L., t 1, p. 334-339. Analyses dans A. VER- KOOREN, Inventaire des chartes et canulaires des duchés de Brabant et de Limbourg et des Pays d ’Outre- Meuse, t. 2, Ie partie, Chartes originales et vidimées, Bruxelles, 1911, p. 126-127. - C.S.L., t. 6, p. 94. -E. FAIRON, Chartes confisquées aux bonnes villes du pays de Liège et du comté de Looz après la bataille d’Othée (1408) ( - FAIRON, Chartes confisquées), Bruxelles, 1937, p. 161. L ’acte étant incontestable­ment daté du 8 mai 1343, il n’y a plus lieu d’ajouter foi à une autre date parfois avancée (le 4 mai 1343) (cfr HOCSEM , p. 314 n. 3).

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Brabantf281, Jean Iü(29). Dans ce pacte à caractère synallagmatique, les deux par­ties contractantes promirent de s’aider mutuellement contre leurs ennemis com­muns, l’évêque, la Cité, le chapitre et les échevins de Liège. Durant les périodes d’hostilité, la ville de Huy accueillera le duc et les siens, ceux-ci agissant de même à l’égard des Hutois. Le duc s’engage en outre à protéger deux de leurs acquis les plus chers : leurs franchises, libertés, cotisâmes, usaiges, maniemens et gou- vememens de cens et de rentes ainsi que leur autonomie judiciaire face au corps sca- binal liégeois. Enfin, les deux alliés lutteront de concert pour ne plus être assi­gnés devant la justice épiscopale(30).

A l’annonce de ce pacte, l’évêque de Liège convoqua d’urgence une réunion des Etats(31). Ceux-ci l’engagèrent à nouer au plus tôt une alliance avec Thierry de Heinsberg, comte de Looz(32). Il convient de rappeler ici que, depuis 1336, existait un contentieux à propos de la succession au comté de Looz. Le dernier comte, Louis IV, étant décédé sans descendance légitime, Thierry de Heinsberg^3), son plus proche parent, par ailleurs beau-frère de l’évêque de

(28) Comme le rappelle très justement J . LEJEUNE dans Liège et son Pays, p. 366, le duc de Brabant renouvelle en quelque sorte l’engagement qu’il avait pris lorsque, comme duc de Lotharin­gie, il souscrivait la charte de 1066. A ce propos, cfr A. JORIS, Huy et sa charte de franchise (1066). Antécédents. Signification. Problèmes, Bruxelles, 1966, en particulier, p. 32-33.

(29) Jean IH, duc de Brabant (1312-1355), fils du duc Jean II (t 1312) et de Marguerite d’York ( f 1335). Cfr E.I. STRUBBE - L. VOET, De chronologie van de middeleeuwen en de moderne tijden in de Nederlanden, Anvers-Amsterdam, 1960, p. 358. - P AVONDS, Brabant àjdens de regering van Hertogjfan III (1312-1356). De grote politieke krisissen, Bruxelles, 1984.

(30) L’exacte volonté est, selon l’expression employée, « d’abroger li vougemens de Liege». On a peu de précisions sur le sens exact du terme vo(u)(g)ement (du lat. vocare, appeler). Il est probable qu’il faille entendre par là une assignation devant une cour épiscopale (cfr R.C.L., L 1, p. 57L - E GODEFROY, Dictionnaire de l ’ancienne langue française et de tous les dialectes du IX‘ au XIV siècle, t. 8, Paris, 1895, p. 275-276. - W. VON WARTBURG, Franzôsisches Etymologisches Wôrterbuch, t. 14, Bâle, 1961, p. 588). Quelle est cette cour, de façon très précise? Plutôt que de l’Anneau du Palais (C.S.L., t. 6, p. 94), on peut penser qu’il s’agit ici de la Paix de Dieu (cfr LEJEUNE, Liège et son Pays, p. 113 ; c’est également l’opinion du Prof. A. Joris, que nous avons interrogé à ce propos), à moins que l’expression, peut-être évasive à dessein, ne désigne la juridiction épiscopale dans son ensemble, avec ses diverses instances saisies selon la nature du délit Cfr également n. 92.

(31) Les termes employés sont patria pour HOCSEM, p. 314, et pays pour J . D’OUTRE­MEUSE, p. 150, termes désignant les Etats au XIVe siècle. A ce propos, cfr J. LEJEUNE, Les notions de «patria» et d’«episcopatus» dans le diocèse et le pays de Liège du XI' au XIVe siècle, Anciens Pays et Assemblées d’Etats, t. 8, 1955, p. 1-53 et, en particulier, p. 3. Cfr également l’ouvrage récent, il est vrai d’un apport limité en ce qui concerne le cas liégeois, de Th. EICHENBERGER, Patria. Studien zur Bedeutung des Wortes im Mittelalter (6.-12. Jahrhundert), Sigmaringen, 1991, p. 231, 233-235.

(32) HOCSEM, p. 314-315. - J. D’OUTREMEUSE, p. 150.(33) Thierry de Heinsberg, comte de Looz (1336-1361), fils de Mathilde de Looz [soeur de

Louis IV de Looz ( f 1336)] et de Godefroid III de Heinsberg, Blankenberg et Wassenberg. CfrSTRUBBE-VOET, op. cit., p. 377. - J. BAERTEN, Art. Diederik van Heinsberg, Nationaal biogra-

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Liège(34), revendiquait le comté. Or, le droit voulait que, tombée en déshérence, la terre de Looz fasse retour à l’Eglise de Liège et à son chef, l’évêque. Les divers protagonistes se livrèrent bien évidemment à une lutte farouche à laquelle participèrent non seulement l’évêque de Liège, plutôt favorable à Heinsberg, mais aussi le Saint-Siège(35). Les diverses phases de ce conflit sont trop connues par ailleurs pour que nous les détaillions ici(36). Soulignons simplement que le 8 mai 1343, dans le traité ratifié par les Hutois et Jean III de Brabant, la cité mosane s’était engagée à soutenir Thierry de Heinsberg et à le maintenir sur son trône(37).

Ainsi donc, pour revenir à notre propos de tout à l’heure, le 15 mai 1343, la patina conseilla à l’évêque de s’allier à Heinsberg, d’en faire son vassal et de gagner du même coup sa fidélité. Malgré l’opposition d’une partie des chanoines cathédraux, Adolphe finit par abonder dans ce sens. Il fut malheureusement pris de vitesse: le comte de Looz venait de s’allier au Brabant<38).

Voilà donc l’évêque de Liège dans une situation bien embarrassante. H se trouve en effet confronté à une coalition pour le moins puissante. Elle réunit le duc de Brabant, le comte de Looz et les Hutois, bientôt rejoints par le comte de Namur^9'. Quant au comte de Hainautf405, gendre du duc de Brabant, on le dit

fisch Woordenboek, t. 2, Bruxelles, 1966, col. 175-177. - ID., Het graafschap Loon (11‘U-14(U eeuw), Assen, 1969, p. 141-148 et passim. - LE JE U N E , Liège et son Pays, p. 123-130 et passim. - J . DARIS, Histoire de la bonne ville, de l ’église et des comtes de Looz, suivie de biographies lossaines, t. 1, Liège, 1864, p. 536-554.

(34) Thierry de Heinsberg avait épousé Cunégonde, soeur d’Adolphe. Cfr REIM ANN, Gra- fen von der Mark, p. 48 et a 240 et tableau en fin de volume.

(35) Sur le rôle du Saint-Siège dans la guerre de succession de Looz, cfr G. KURTH, Liège et la Cour de Rome au XIVe siècle, Bulletin de l ’Institut historique belge de Rome, L 2, 1922, p. 8-10. - M M ARTENS, L a politique de Clément VI (1342-1352) dans les principautés belges d’après les registres aux lettres secrètes, ibid., t. 24, 1947-1948, p. 15-17.

(36) Cfr les études citées à la n. 32. C fr également J . LYNA, Het standpunt van prins-bis- schop Adolf van der Marck in de eerste Loonse successieoorlog, Publications de la Société historique et archéologique dans le Limbourg {Miscellanea P.J.M . Van GILS), t. 85, 2, 1949, p. 387-394. - FINCK, op. cit. ( a 4), p. 127-135.

(37) R.C .L., L 2, p. 334-335.(38) HOCSEM , p. 315. - J . D ’O U TREM EU SE, p. 150.(39) Guillaume I", comte de Namur (1337-1391), fils du comte Jean Ier ( f 1330) et de Marie

d’ Artois ( f 1366), frère des comtes Jean H, Guy II et Philippe HL Cfr STRUBBE-VOET, op. cil (n. 29), p. 387. Le texte du pacte entre les souverains brabançon et namurois est mentionné par Ch. PIOT, Inventaire des chartes des comtes de Namur, anciennement déposées au château de cette ville, Bruxelles, 1890, p. 196, n° 67L Cfr l’analyse dans VERKOOREN, op. cit. (n. 27), p. 127-128. Cfr également HOCSEM , p. 314 n. 3. J . D ’O U TREM EU SE, p. 150, affirme, à tort, qu’il y eut une alliance entre les chefs des Etats liégeois et namurois.

(40) Guillaume H, comte de Hainaut - comte de Hollande, sous le nom de Guillaume IV - (1337-1345), époux de Jeanne de Brabant, fille de Jean n i, duc de Brabant Cfr STRUBBE-VOET,

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plutôt favorable aux Brabançons(41lCerné de toutes parts, Adolphe ne pourra faire face à l’alliance ennemie s’il

n’obtient pas le soutien financier et militaire de la Cité de Liège, une Cité par ailleurs assez mal disposée à son égard puisqu’entretemps, elle a découvert la prévarication des officiers épiscopaux(42). Aussi, pour s’assurer cet appui vital, Pévêque de Liège dut-il faire des concessions. H fut tout d’abord forcé de consentir à la répression des malversations commises par ses ofïiciers(43). A cet effet, une commission formée des comtes de Berg(44), de la Marck(45) et de Hai- naut ainsi que des représentants du chapitre cathédral, de la noblesse et de la bourgeoisie(46), élabora un texte fameux, connu sous le nom de Lettre des XXH(47). Selon les termes de cette loi, prononcée le 6 juin 1343, les conseillers épiscopaux, déposés, feront l’objet d’une enquête de moralité et seront sanction­

op. cit., p. 367, 370. - R.R. POST, Art. Willem IV, NieuwNederlandsch biografisch Woordenboek, t. 10, Leyde, 1937, col. 1213. Par ailleurs, l’attitude de tous ces princes est à replacer dans le contexte politique international du temps, qui est celui des débuts de la Guerre de Cent Ans. Si Adolphe de la Marck est l’indéfectible allié du roi de France Philippe de Valois, tant le duc de Brabant que le comte de Hainaut appartiennent, quant à eux, au parti anglo-allemand. Guillaume de Hainaut a,d’ailleurs, des liens familiaux très étroits avec les souverains anglais et allemand. En effet, ses deuxsoeurs, Philippine et Marguerite, avaient épousé respectivement Edouard III d’Angleterre et l ’em­pereur Louis de Bavière. Cfr H. PIREN N E, Histoire de Belgique des origines à nos jours, L 1, Bruxelles, 1948, p. 270-271, 312-314, 344. -L E JE U N E , Liège et son Pays, p. 68-73.

(41) LEVO LD D E NORTHOF, p. 81-82.(42) HO CSEM , p. 315-316. - J . D ’O U TREM EU SE, p. 154.(43) HO CSEM , p. 316. - J . D ’O U TREM EU SE, p. 151-155.(44) Adolphe V III/IX - l’ordre dans la titulature est fluctuant -, comte de Berg (1308-1343),

fils d’Henri, seigneur de Windeck-Berg et d’Agnès, fille d ’Englebert I", comte de la Marck. Il est le cousin germain de l’évêque de Liège. Cfr REIMANN, Grafen von derMark (n. 4), p. 11, 23-26, 38, 42, 46, 55, 66, 84, 85, 89. - H. DAHM, A rt Adolf VL (VUL), Neue Deutsche Biographie, L 1, Berlin, 1953, p. 76-77. - J . D E C H E ST R E T DE H A N EFFE, Histoire de la maison de la Marck y compris les Clives de la seconde race, Liège, 1898, p. 12, 17.

(45) Adolphe II, comte de la Marck (1328-1346), fils du comte Englebert II et de Mathilde d’Aremberg. Il épousa Marguerite de Clèves (+ ap. 1348), fille de Thierry VIII de Cièves et de Mar­guerite de Gueldre. D est le neveu d’Adolphe, évêque de Liège. C fr DE C H E ST R E T DE H A N EFFE, op. cit., p. 28-29. - REIMANN, Grafen von derMark, p. 24, 26, 45, 46, 55, 58, 60, 61, 64, 67, 72, 84-92, 122, 128, 130.

(46) Le comte de Hainaut était arrivé à Liège le 1er juin, à la demande de la noblesse lié­geoise. Le texte mis au point par la commission fut présenté à l’évêque le 2 juin. Cfr HOCSEM , p. 316-317. Chez J . D ’O U TREM EU SE, p. 151-155, la chronologie des événements est complètement erronée. Il inverse notamment dans le temps la lettre des XXII, datée d ’après le 23 juillet (sic) et celle de Saint-Jacques. En outre, il truffe son récit de détails adventices qui, certes, rendent le texte très vivant, mais dont il est difficile, par ailleurs, de vérifier la véracité. Il est toutefois un fait avéré, sobrement, par HOCSEM , p. 316, c’est le ballet diplomatique que connut l’année 1343 notamment dans le chef des Liégeois, un intense bourdonnement fait d’allées et venues, de rencon­tres bilatérales, dans le but d’établir ou de proroger certaines trêves.

(47) Ce texte est perdu. On en connaît toutefois l’adresse, la suscription, le salut, le préam­bule et la date - le 6 juin 1343 - par un acte du 19 juin 1343, dans lequel Adolphe de la Marck et le chapitre de Saint-Lambert déclarent qu’en instaurant le Tribunal des XXII (cfr infra), ils n’ont en

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nés s’il est avéré qu’ils ont enfreint les devoirs de leur charge. Désormais, conseillers et officiers seront recrutés parmi les hommes intègres de la Patrie. En outre, afin de pallier d’éventuels «dérapages», est instituée une sorte de conseil des sages: le Tribunal des XXü(48). Formée en majorité de représentants des Bonnes Villes(49), cette assemblée, élue à vie{50), aura pour tâche essentielle de statuer sur les plaintes introduites contre des officiers publics, pour déni de jus­tice ou « menée contre-droit »(51).

Restreint dans son pouvoir par les garde-fous appliqués à celui de ses offi­ciers^^, Adolphe de la Marck dut, en outre, accepter un infléchissement dans le sens démocratique, du régime politique qu’il avait imposé par le passé(53). Démo­cratique, telle est, en effet, la nature des mesures consignées dans le Lettre de Saint-Jacques que l’évêque ratifia le 1er juillet 1343(54).

aucun cas voulu porter atteinte aux droits de l’abbé de Saint-Trond. Cfr Ch. PIOT, Cartulaire de l ’abbaye de Saint-Trond, t. 1, Bruxelles, 1870, p. 487 - R.O .P.L., p. 247. Analyse dans R.C .L., t. 1, p. 339.

(48) Sur le Tribunal des XXII, on citera, une fois pour toutes, l’excellent ouvrage de Ph. BOUCHAT, Le Tribunal des XXII au XVHI' siècle, Anciens Pays et Assemblées d’Etats, t. 85, 1986, p. 57-63.

(49) Outre quatre représentants du chapitre cathédral liégeois et quatre chevaliers de la Prin­cipauté, le Tribunal comportait quatorze membres issus de la Cité et des Bonnes Villes (quatre représentants de Liège, deux de Huy, de Tongres, de Saint-Trond, de Dinant, un de Fosses et un de Bouillon). Cfr MATHIAS DE LEW IS, p. 110-111.

(50) Cette stipulation suscita l’âpre réprobation de certains (de tous les chanoines, selon J . D ’O U TREM EU SE, p. 155), notamment de Jean de Hocsem, qui tenait l’élection à vie pour dange­reuse et lui préférait l’annalité, excipant d’exemples historiques (notamment Pannalité de la charge consulaire à Rome). Malgré un plaidoyer éloquent, il semble qu’Hocsem ne soit pas parvenu à imposer son point de vue: omnes sequaces episcopi, tanquam mures in decipula capti, acceptèrent que les juges des XXII exercent leur charge à titre viager. Cfr HOCSEM , p. 317-319. Toutefois, selon CO RN EILLE DE ZAN TFLIET, col. 236, c ’est l’annalité qui a prévalu. Plutôt que de voir dans le propos de Zantfliet - cfr KU RTH , Cité de Liège, t. 2, p. 62 et a 1 - un emprunt au décidément très pratique Quatrième Livre du Myreur de Jean d’Outremeuse, il est peut-être plus raisonnable de pen­ser que Zantfliet attribue, à tort, aux XXII de 1343, les caractéristiques du Tribunal de son époque (milieu du XVe siècle). De fait, à ce moment-là, la charge de juge des XXII était devenue annuelle. Cfr BOUCHAT, op. cil, p. 67, 73, 79.

(51) Cfr HOCSEM , p. 317. - MATHIAS D E LEW IS, p. 110-111. - J . D ’O U TR EM EU SE, p. 154-155.

(52) A travers ses collaborateurs, c ’est l’évêque de Liège lui-même qui se voit entravé dans son action politique, ceci par un corps de juges souverains, ayant de très larges compétences, dont les décisions sont sans contrôle et sans appel, et, qui plus est, qui est nommé à vie.

(53) En 1331, par ladite «Réformation d’Adolphe», Pévêque de Liège imposa un régime autoritaire. A ce propos, cfr VERCAU TEREN , Luttes sociales, p. 89-90. - L E JE U N E , Liège et son Pays, p. 364-365. - BASTIN, op. cit. (n. 3), p. 11-20.

(54) Hocsem, célèbre « virtuose de l’omission» 0 . L E JE U N E , L’enlèvement de Jean de Flan­dres, évêque de Liège, ou comment on écrit l’histoire et comment un droit se constitue, Anciens Pays et Assemblées d ’Etats, t. 3, 1952, p. 72), ne parle pas de la Lettre de Saint-Jacques. La teneur de ce texte législatif est décrite dans VERCAUTEREN, Luttes sociales, p. 93-94. - KU RTH , Cité de

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Tandis qu’à Liège, Adolphe se démenait pour se concilier l’appui des Lié­geois, les Hutois ne restaient pas inactifs. Le 3 juin, la communauté hutoise ban­nissait treize personnes(5}) - maire, échevins, clercs - probablement parce qu’elle les tenait pour les représentants urbains de l’autorité épiscopale(56). Considérés, dorénavant, comme des étrangers et privés de leur statut de bourgeois, les ban­nis ne pouvaient recouvrer leurs prérogatives sans l’assentiment du duc de Bra- bant<57).

Liège, t. 2, p. 63-64. Signalons simplement la suppression de la «loi de Murmure», article 13 de la Réformation d’Adolphe, qui menaçait de très lourdes sanctions quiconque appelait à la sédition, sous toutes ses formes. Le texte est édité dans R.O .P.L., p. 248-250. Analyse dans R.C .L., t. 1, p. 339-340. C fr également J . D ’O U TR EM EU SE, p. 152-153. - LEVOLD DE NORTHOF, p. 82.

(55) Il s’agit de Hubin Harduin [échevin de Huy de 1341 à 1346 et de Liège de 1346 à 1360, f ca 1360 (cfr D E BORMAN, op. cil(n. 3), p. 196. - M. YANS, Les échevins de Huy. Biogra­phie des échevins et des maires de Huy-Grande, Liège, 1952, p. 72, 397-399. - Obitmire de la collégiale Notre-Dame de Huy, éd. J.D E C K E R S et Chr. RENARDY, Bruxelles, 1975, p. 237. -C.S.L., t. 6, p. 117)], Jean S év erin [cité dès 1334, maire de Huy-Petite en 1341, échevin de Huy de 1343 à 1354, homme de fie f de la principauté de liège (cfr YANS, op. cit., p. 57-59. - JO R IS , Ville de Huy, p. 327, 366, 372, n. 213. - DECKERS-RENARDY,op. cil, p. 24. - C.S.L., l 4, p. 34 ; t. 6, p. 406)], Hanekin Harduin [homme allodial, cité le 20 avril et le 9 septembre 1334 (cfr C.S.L., t 4, p. 34. - F.A.M., p. 394)], Jacquemin le Hurier (maître en 1325, échevin de Huy de 1335 à 1343 (cfr YANS, op. cit., p. 49-5L - JO R IS , op. cil, p. 365, 372 n. 211, 381, 437 n. 174. - D ECK ERS- RENARDY, op. cit., p. 221. - C.S.L., t 3, p. 302, 447)], Pierre de Horion [échevin de Huy de 1314 à 1358, maire de 1321 à 1331 (cfr YANS, op. cil, p. 39-42, 395. - F.A.M., passim. - C.S.L., t. 3, p. 288, 289, 330, 443. - JO R IS , op. cit., p. 369, 372 a 211, 379 n. 263, 437 n.174. - D ECK ERS- RENARDY, op. cit., p. 31)], Wéri le Hardi [cité en 1327, comme villicus le 25 janvier 1330, comme homme allodial en 1345 (cfr C.S.L., t 3, p. 330, 331 ; t. 4, p. 34. - F.A.M., p. 315)], Domi- tien (M iasars) Borivins [cité dès 1316, échevin de Huy de 1338 à 1348 (cfr YANS, op. cit., p. 55- 56. - JO R IS , op. cit., p. 305 n. 408, 365, 436 a 168. - DECKERS-RENARDY, op. cü., p. 17. - C.S.L., L 3, p. 302, 447, 534)], Jean Mottet [échevin de Huy de 1319 à 1349, maître en 1316, en 1325 et en 1327 (cfr A. M ARCHANDISSE, Les actes de fondation de l’hôpital Mottet, à Huy (XIVe siècle), B.C.R.H ., t. 155, 1989, p. 263-278 (bibliog.)], Gilles le Clockier [mayeur de Huy en 1298 et 1299 (?), bourgmestre en 1307, échevin de 1298 à 1350 (cfr MARCHANDISSE, op. cil, p. 278 et a 29 (bibliog.)], Arnoul de Warnant [échevin de Huy de 1336 à 1371, échevin de Liège de 1366 à 1371, maire de Huy de 1360 à 1362 (cfr YANS, op. cil, p. 51-53, 400. - DE BOR­MAN, op. cit. p. 216. - JO R IS , op. cil, p. 284 a 288, 369, 375, 379 n. 260-261, 437 a l7 4 . - C.S.L., t. 4, p. 202, 286, 435. - DECKERS-RENARDY, op. cit., p. 173)], Jean Obers [échevin de Huy de 1338 à 1351 (cfr YANS, op. cit., p. 53-55. - C.S.L., t. 4, p. 34. - JO R IS , op. cit., p. 368 n. 186, 372 n. 211, 437 n. 174. - DECKERS-RENARDY, op. cit., p. 84, 96)], Colard Hanorei* dit le Clerc [un échevin de Wanze portant ce nom est cité le 19 janvier 1350 (cfr G. HANSOTTE, Inventaire des archives de l ’abbaye de Neufmoustier (1125-1530), t. 1, Bruxelles, 1960, p. 123, n° 55)] et Jacquemin de Pitey [un personnage de ce nom est cité, sans qualification, en 1316, 1319, 1322 et 1323 (cfr F.A.M., p. 83, 92, 173, 266)].

(56) Signalons, par exemple, que Pirlot de Horion, durant son exil, fut employé par Adolphe de la Marck dans les affaires de l’Etat liégeois. P de Horion était donc probablement très proche de l’évèque de Liège. Cfr YANS, op. cit., p. 39-42.

(57) Le texte est publié par A. WAUTERS, Analectes de diplomatique, B.C.R.H., 4 ' sér., t. 10, 1882, p. 100-102. Analyse dans VERKOOREN, op. cit. (n. 27), p. 128. - FAIRON, Chartes confisquées, p. 184-185.

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Au début de juillet 1343, il semble que l'affrontement armé entre les belligé­rants soit désormais inévitable : le duc de Brabant est pour le moins menaçant, les Hutois ont pris des mesures radicalement hostiles à leur évêque et ce dernier a obtenu des Liégeois qu’ils l’aident à écraser le Brabant^8).

Et pourtant, le contentieux trouva momentanément une solution pacifique. Dès le 12 juillet, déjà, le pape Clément VI(59) lançait un appel pressant aux diffé­rentes parties. Au duc de Brabant, il ordonnait de ne plus soutenir les Hutois, à ceux-ci de reconnaître à nouveau l’autorité de leur évêque et à ce dernier de trai­ter ses adversaires avec magnanimité(60). En outre, le pape envoya l’un de ses émissaires, l’évêque Jean de Forli(61), afin de mettre bon ordre dans toute cette histoire(S2). Dans le même temps, le comte de Hainaut apparaissait de plus en plus comme un interlocuteur valable pour une médiation entre les divers antago­nistes. Toutefois, selon lui, aucune paix n’était envisageable s’il n’obtenait, par avance, les procès engagés à Avignon contre Thierry de Heinsberg(63). L’idée de lier une éventuelle pacification de la principauté à un règlement de la succession de Looz ne suscita guère l’enthousiasme. La noblesse et certains chanoines, en particulier Hocsem, alléguèrent que pour la question lossaine, la décision souve­raine appartenait au Saint-Père. Quant au peuple liégeois, il répugnait à céder le comté de Looz à Heinsberg(64). En fin de compte, le chapitre de Saint-Lambert, tellement bien « noyauté » par l’évêque, fit peu de cas de l’opinion de Hocsem et remit les procès pontificaux entre les mains d’Adolphe, celui-ci les confiant, à son tour, au comte de Hainaut655. Toutefois, le 6 août 1343, alors qu’il acceptait solennellement que Guillaume de Hainaut et son oncle, Jean de Beaumont(66),

(58) Moyennant les concessions énoncées supra Cfr J . D ’O U TREM EU SE, p. 151-152.(59) Clément VI, pape (1342-1352). Cfr G. MOLLAT, Les papes d’Avignon (1305-1378), 9e

éd., Paris, 1949, p. 84-96. - B. GUILLEM AIN, La cour pontificale d ’Avignon (1309-1376). Etude d’une société, Paris, 1962, p. 137-141 et passim.

(60) Les documents sont édités par U. BER LIER E, Lettres de Clément VI (1342-1352), t. 1, ( 1342-1346), Analecta Vaticano-Belgica, t. 6, Rome-Bruxelles-Paris, 1924, p. 316-323, n° 922-926. Sur la politique pontificale à cette époque, cfr également M ER TEN S, op. cit. (n. 35), p. 15-16.

(61) Jean HI, évêque de Forli (1342-1346) puis de Viterbe. Cfr C. EU B EL, Hierarchia catho- lica.., t. 1, Münster, 1898, p. 263. - B. GAMS, Sériés episcoporum ecclesiae catholicae, Ratisbonne, 1873, p. 697. - U. BE R LIER E , Suppliques de Clément VI(1342-1352), Analecta Vaticano-Belgica, t. 1, Rome-Bruges-Paris, 1906, p. 157, n° 673.

(62) HO CSEM , p. 322. - J . D ’O U TREM EU SE, p. 156.(63) HO CSEM , p. 319-320. - J . D ’O U TREM EU SE, p. 155.(64) HO CSEM , p. 320-322. - J . D ’O U TREM EU SE, p. 155.(65) HOCSEM , p. 322. - J . D ’O U TREM EU SE, p. 155.(66) Jean, seigneur de Beaumont ( f 1356), fils de Jean Ier d’Avesnes, comte de Hainaut, et de

Philippine de Luxembourg, frère de Guillaume Ier, comte de Hainaut II épousa Marguerite de Nesle ( f 1350). Cfr, à son propos, S.A. WALLER ZEPER, Jan van Henegouwen, heervan Beaumont. Bÿdrage toi de Geschiedenis der Nederlanden in de eerste helft der veertiende eeuia, La Haye, 1914.

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soient les arbitres du différend qui l’opposait aux Hutois(67), Adolphe de la Marck eut soin de préciser qu’en aucun cas, il ne leur reconnaissait le droit de statuer sur la succession de Looz(68).

C’est le 8 août que fut scellée la fameuse Paix de Duras(69). Cet édit est assez important pour que nous en résumions les principales clauses. En ce qui concerne les Hutois, tout d’abord, leur alliance avec le Brabant est rompue. Franchises et libertés sont confirmées au même titre que leur autonomie judi­ciaire: les Hutois seront jugés à Huy, par des échevins hutois, hormis pour les causes relevant de la franchise de Liège. Quant aux cens, ils seront payés selon les taux pratiqués auparavant. Les Hutois qui devinrent bourgeois sans le consentement de l’évêque conserveront cette qualité. Enfin, les patriciens hutois bannis en juin sont réintégrés. Le duc de Brabant, quant à lui, obtient de ne plus être cité devant une cour épiscopale mais l’évêque conserve sa juridiction spiri­tuelle sur les terres du duc, lequel doit continuer à lui rendre l’hommage féodal. Outre quelques paragraphes relatifs au comté de Namur, la paix de Duras com­porte certaines clauses très lourdes de conséquences, clauses qui, en fait, ren­daient la paix de Duras caduque avant même d’avoir été ratifiée. Enfreignant l’interdiction lancée par le chef de l’Etat liégeois, les arbitres prirent, en effet, certaines dispositions à propos de la succession de Looz. Thierry de Heinsberg conservait son comté pour lequel il devait faire hommage à l’évêque de liège. Ce dernier levait les excommunications et les interdits fulminés contre lui et s’arrangeait, par ailleurs, pour que toutes ces décisions soient confirmées par le siège apostolique.

Il est à peine besoin de préciser que ces dernières mesures ne firent pas l’unanimité. Le chapitre cathédral liégeois scella la paix de Duras, certes, mais malgré les pressions exercées par certains chanoines, il entendit continuer à

(67) HOCSEM , p. 322. Les 4 et 6 août 1343, la ville de Huy et l’évêque de Liège déclarèrent qu’ils remettaient la solution de leurs différends entre les mains de Guillaume et Jean de Hainaut Cfr R.O.P.L., p. 254 n. L - L. D EV ILLER S, Cartulaire des comtes de Hainaut, de l ’avènement de Guil­laume II à la mon de Jacqueline de Bavière, t 1, Bruxelles, 1881, p. 205-206.

(68) HOCSEM , p. 322: Et ipse illos in continenti iradidit comiti Hanonie, in quem compromiserat, et in dominum Johannem avunculum tpsius comitis, excepto negocio comitatus Losensis. - R.O .P.L., p. 254-255 n. 1 : nous sommes compromis et compromettons [...] en nobles hommes monseigneur Guilheame, conte de Haynault, de Hollande, de Zelande, [...J, corne en arbitres arbitrateurs ou amiables compositeurs, de tous les debatz qui esmeitz sont entre nous [...], honnis le débat de la conté de Looz.

(69) Le texte est édité dans R.O .P.L. p. 254-260. - C.S.L., t 4, p. 9-16. Analyse dans D EV ILLERS, op. cit., p. 208-209. - FAIRON, Chartes confisquées, p. 188-189. Sur la Paix de Duras ou de Hainaut, cfr M. YANS, Le texte hutois de la Paix de Hainaut (8 Août 1343), A.C.H.S.B.A., t 24, fasc. 1, 1951, p. 22-46. - ID., Le texte namurois de la Paix de Hainaut (1343), Etudes d ’Histoire et d ’Archéologie Namuroises dédiées à Ferdinand Courtoy, Namur, 1952, p. 425-430.

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dénoncer solennellement l’usurpation dont faisait l’objet le comté de Looz. Se taire, selon lui, c’était cautionner la cession illicite d’un bien appartenant à l’Eglise de Liège(70). Quant à Adolphe de la Marck, s’il accepta la sentence arbi­trale (17 août)(71), si même il confirma les clauses relatives à Huy (18 août)(72), il rejeta, en revanche, les décisions portant sur le comté de Looz(73). Bien plus, dans deux missives envoyées les 4 et 14 septembre au pape Clément VI, Adolphe réaffirma que ni lui, ni le chapitre de Saint-Lambert ne confirmaient la paix de Hainaut, dans ses paragraphes relatifs au pays lossain. En outre, de nouvelles sanctions devaient être prises contre celui qui s’était fait l’allié du Brabant, l’éternel ennemi de l’Eglise de Liège. Il requit, en outre, l’aide des cardinaux, non seulement contre Heinsberg mais aussi contre le duc de Brabant, le comte de Hainaut et tous ceux qui souhaitaient voir Heinsberg confirmé dans sa dignité comtale(74). C’est par l’intermédiaire de l’évêque de Forli, légat pontifi­cal, que Clément VI acquiesça aux demandes des dignitaires liégeois. Jean de Brabant et les Hutois furent excommuniés et leurs terres placées sous interdit, ce dont ils se plaignirent amèrement au souverain pontife(73).

Ainsi donc, le conflit que l’on croyait définitivement jugulé grâce à la Paix de Duras, allait-il reprendre de plus belle, somme toute à l’avantage de l’évêque de Liège. La dernière année de son épiscopat fut en effet celle de toutes les ven­geances. En février, Adolphe manoeuvra si bien qu’il réussit à supprimer le Tri­bunal des XXII(76). Menaces à l’appui, il exigea d’abord des quatre chanoines membres des XXII, qu’ils renonçassent à leur fonction. Les représentants de la Cité furent forcés d’agir de même, instigués, probablement, par le maître des Petits, le drapier Jean Jacquemotf775. Ce dernier avait promis d’aider l’évêque si, en contrepartie, celui-ci acceptait de supprimer l’une des deux foires qui se tenaient annuellement à Liège et qui étaient particulièrement préjudiciables aux

(70) HOCSEM , p. 322-323. - J . D ’O U TREM EU SE, p. 156.(71) Analyse dans FAIRON, Chartes confisquées, p. 192.(72) Texte édité dans R.O .P.L., p. 26L Analyse dans FAIRON, Chartes confisquées, p. 185-

186.(73) Cfr a 7L(74) HOCSEM , p. 323-328. - J . D ’O U TREM EU SE, p. 156.(75) HOCSEM , p. 328. - J . D ’O U TREM EU SE, p. 156.(76) Cfr HOCSEM , p. 328-329. - J . D ’O U TREM EU SE, p. 156-157. - MATHIAS DE

LEW IS, p. 111-112.(77) Jean Jacquemot est cité comme drapier en 1350 et en 1351 (C.S.L., t. 4, p. 128, 137; t.

6, p. 337-339. - M FRANCKSON, Les bourgmestres de Liège au Moyen-Age. Des origines à la Paix de Saint-Jacques (1487), t 2, Les hommes, mém. de lie. en Histoire dactyl., Liège, 1982-1983, p. 143.

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drapiers(78). Adolphe avait accepté le marché(79). Les chanoines et les bourgeois furent bien forcés de restituer la lettre des XXII à l’évêque. On imagine aisément la joie qui habita Adolphe lorsqu’il la déchira(80).

A l’annonce de l’abrogation des XXII, le peuple et la noblesse se déchaînè­rent contre ceux qui, par leurs manigances, avaient rendu tout cela possible(81). Tous les « fricoteurs », Jean Jacquemot en tête(82), furent bannis et le chapitre cathédral fut appelé à pratiquer de même à l’égard des chanoines qui, après enquête, seraient reconnus coupables. Quelques mois plus tard, le 27 juin exac­tement, Guillaume de Hainaut et Jean de Beaumont revinrent une nouvelle fois à Liège, accompagnés du roi de Bohème(83). Déplorant le fait que leur sentence arbitrale ait été tenue pour quantité négligeable, ils exigèrent du chapitre de Saint-Lambert qu’il reconnût la paix c’est-à-dire la cession de Looz à Heinsberg. Le chapitre refusa, bien évidemment. Rendus furieux par tant de rebuffades, les

(78) [...] Nondinis isiis pluribus pannis advectis, suos ita care, ut consueverant, vendere nequiverunt (HOCSEM , p. 329). La foire de Liège, fondée à une date inconnue, fut dédoublée en 1339 par Adolphe de la Marck. Elle se tenait du 17 septembre au 10 octobre et du 28 avril au 21 mai (cfr P D E SP IEG E LER , La draperie de Liège des origines à 1468, le Moyen Age, t. 85, 1979, p. 65-68).

(79) Ce n’est qu’en 1350 que l’une des foires fut, en quelque sorte, supprimée (BOUCHAT, op. cit., p. 62 n. 42. - L E JE U N E , Liège et son Pays, p. 369 n. 140). Le 24 octobre 1350, en effet, Englebert de la Marck groupa les deux foires en une seule, laquelle se tenait du 24 septembre au 17 octobre, soit durant 24 jours (D E SP IEG E LER , op. cit., p. 66). Quoi qu’il en soit, il semble qu’en 1343, Adolphe de la Marck n’ait pas honoré sa parole.

(80) KU RTH , Cité de Liège, t. 2, p. 65, parle de deux actes déchirés par l’évêque, l’un éma­nant des chanoines, l ’autre de la Cité. HO CSEM , p. 328 et MATHIAS D E LEW IS, p. 112 parlent de liftjteras; J . D ’O U TR EM EU SE, p. 157, de lettre. Si deux des groupes représentés aux XXII avaient possédé, chacun, «leur» lettre des XXII, on peut penser que les autres, les Hutois, par exemple, eussent également eu la leur. Or, nous n’avons aucune trace de tels actes. S ’ils avaient existé, nous pensons, par ailleurs, que les chroniqueurs auraient mentionné leur destruction sans laquelle les XXII ne pouvaient être tenus pour supprimés. Dans le cas qui nous occupe, littems est probablement employé dans un sens classique. H s’agit du pluriel de tittera, lettre d’alphabet, soit un ensemble de lettres, donc un écrit, un acte.

(81) HOCSEM , p. 329. - J . D ’O U TREM EU SE, p. 157. - MATHIAS D E LEW IS, p. 112 (selon ce dernier, qui tamem postea redierunt).

(82) Furent également bannis Jean de Langdris (identifié à la n. 26) et son beau-frère, Jean Polarde, échevin de Liège de 1337 à 1366, maïeur de 1337 à 1344, chevalier dès 1355, f avant le 16 novembvre 1367). Cfr DE BORMAN, op. cit. (n. 3), p. 191-192. - JA C Q U ES D E HEMRICOURT, Oeuvres (- HEM RICOURT), éd. C. DE BORMAN, A. BAYOT, E. PONCELET, L 1, Bruxelles, 1910, p. 373 et n. 2 ; t. 2, Bruxelles, 1925, p. 334. - C.S.L. L 3, p. 528; t. 4, p. 3, 138, 208, 229, 231, 235, 278, 281, 289, 293, 309, 314, 348, 361, 396, 413, 435, 590).

(83) Jean l’Aveugle, comte de Luxembourg et roi de Bohême (1310-1346), fils de l’empereur Henri VII de Luxembourg ( f 1313) et de Marguerite de Brabant ( f 1311), tante du duc Jean de Brabant. Cfr STRUBBE-VOET, op. cit. (n. 29), p. 381. - G. TRAUSCH, Le Luxembourg. Emergence d’un Etat et d ’une Nation, Anvers, 1989, p. 91-93 et a 25-27 (avec bibliogr. ant).

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princes quittèrent Liège en proférant des menaces. Peu après, le comte de Hai­naut exigea que des émissaires du chapitre et de la Cité se présentent devant lui à Fexhe, le 20 juillet Toutefois il tomba malade et l’entrevue fut ajournée sine dié-S4\ En fait, le conflit n’allait pas trouver de solution définitive sous le règne d’Adolphe de la Marck. H allait au contraire être exacerbé à la suite des décisions que l’évêque prit sur son lit de mort II n’ordonna rien moins qu’une expédition punitive contre les Hutois. Ces derniers venaient de se rendre à liège, le 26 octobre, pour protester contre le non-respect, de la part de l’évêque, des engage­ments qu’il avait pris à leur égard, en ratifiant puis en confirmant la paix de Duras. Ils retournaient chez eux lorsqu’ils furent attaqués par le bailli de Hes- baye(85), sur ordre d’Adolphe qui résidait alors à Clermont-sous-Huy. L’échau- fourrée tourna à l’avantage des Hutois(86). C’est donc par un échec qu’Adolphe termina son règne: il meurt le 3 novembre 1344(87).

★★ ★

Nous venons de brosser un tableau assez détaillé des événements qui jalon­nèrent les années 1343-1344. H est temps, à présent, de nous élever au-dessus des faits et de dresser, autant que faire se peut, un bilan des politiques menées par les deux parties principales du conflit: l’évêque de Liège, d’une part; les Hutois, d’autre part.

Evoquons tout d’abord l’évêque(88). H apparaît dès l’abord qu’Adolphe de la Marck a commis des maladresses. Celles-ci ne résident peut-être pas dans sa volonté de supprimer aux Hutois des privilèges indus, des faveurs qui, potentiel­

(84) HO CSEM , p. 329-330. - J . D ’O U TREM EU SE, p. 157-158(85) Louis Marteau de Milmort {Mirmonté), seigneur de la Neuville (1340), chevalier (1360),

bailli de Hesbaye en 1344, f av. le 30 avril 1365. Cfr DE BORMAN, op. cit., p. 394 - F.A.M., p. XXIV, 454. - HEMRICOURT, t. 1, p. 110, 112-114, 215, 282, 286; t. 2, p. 299 ; t. 3, Bruxelles, 1931, p. C L X X X m , 156). Pour une notice détaillée sur ce personnage, cfr M. FRANCKSON, Les Bourgmestres de Liège au Moyen-Age. Des origines à la Paix de Saint-Jacques (1487), t. 2, Les Hommes, mém. de lie en Histoire, Université de Liège, Liège, 1982-1983, p. 154-155.

(86) HO CSEM , p. 330. - J . D ’O U TREM EU SE, p. 159 (le récit de ce dernier est particuliè­rement précis et détaillé).

(87) Pour tous les détails relatifs au décès d’Adolphe de la Marck, cfr A. M ARCHANDISSE, L ’obituaire de la cathédrale Saint-Lambert de Liège (X f-X V siècles), Bruxelles, 1991, p. 152-153 et n. 972.

(88) On lira avec profit les remarques pertinentes de M YANS, dans Le texte namurois de la Paix de Hainaut (1343), Etudes d’Histoire et d ’Archéologie Namuroises dédiées à Ferdinand Courtoy, Namur, 1952, p. 425-430, article ou sont évoquées certaines des idées développées infra.

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lement, pouvaient susciter des troubles. Ce n’est peut-être pas non plus pour son choix du moment, de l’instant propice, qu’il faut incriminer l’évêque de Liège. Quand agir, sinon lorsque l’on est tout-puissant et délivré de tout lien politique ? Quoi qu’il en soit, il est certainement un domaine dans lequel Adolphe de la Marck a manqué de réalisme politique, c’est dans son appréciation des réactions hutoises. Il a soit surestimé l’attachement des Hutois à sa personne, soit sous- estimé leur particularisme politique et partant, la violence avec laquelle ils ont répliqué dès lors qu’ils ont compris que les mesures prises par l’évêque faisaient peser de lourdes menaces sur leurs libertés d’une part, sur leur indépendance judiciaire, d’autre part.

Toutefois, si initialement, Adolphe a commis des erreurs d’appréciation, cela suffit-il pour dresser un bilan négatif ou, tout au moins, mitigé de son atti­tude dans la suite du conflit ? En d’autres termes, faut-il considérer ses décisions politiques subséquentes comme ineptes ? Doit-on, comme le dit G. Kurth, « attri­buer ses concessions de 1343 à la maladie à laquelle il devait bientôt succomber, qui minait dès lors cette nature énergique et brisait sa force de résistance » ? Autre interprétation : « ne cédait-il qu’en apparence et avec l’intention de révo­quer ses concessions » ? Faut-il enfin souligner qu’Adolphe accepta la lettre des XXn avec une «résignation étonnante» de la part d’un homme qui, «en 1324, avait repoussé avec indignation, un projet beaucoup plus anodin »(89)?

De ces questions, nous dirons que, selon nous, elles ne sont pas bien posées ou qu’elles méritent, à tout le moins, d’être nuancées. En fait, nous pensons que dans l’action politique épiscopale, il convient de distinguer deux phases bien dis­tinctes qui, à notre avis, doivent être appréciées différemment.

Première phase: Adolphe suscite la révolte des Hutois. S ’engage alors un processus de guerre partiellement responsable des concessions épiscopales (Let­tres des XXD et de Saint-Jacques). Que faut-il voir en Adolphe de la Marck? Un homme étonnamment résigné? Un vieillard sénile et moribond? Un politique retors? Non pas. Adolphe n’est alors rien d’autre qu’un homme politique placé devant un ultimatum. La coalition qui se dresse devant lui est puissante. La cité accepte de l’aider mais elle met ses conditions. C’est de bonne guerre, d’autant

(89) KU RTH , Cité de Liège, t. 2, p. 62-63.

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que l’attitude, habituelle m ais toujours difficilem ent a d m iss ib le ^ , des conseil­lers épiscopaux a pour le m oins ém oussé leur fidélité à l’égard de l ’évêque. De deux choses l’une : ou Adolphe paie le prix dem andé, ou il accepte de subir les conséquences de son refu s: les Liégeois ne l ’aideront pas, voire rejoindront les coalisés. Adolphe s’est résigné, certes, m ais il n’y a là rien d’étonnant. Il n’avait pas le choix: il fallait «sau ver les m eubles». C ’est pourquoi il concédera deux textes législatifs qui lui sont défavorables ou qui, du m oins, ont été présentés com m e te l M ais, en définitive, qu’en est-il exactem ent de ces concessions ?

L a lettre de Saint-Jacques apporte des am endem ents au régim e im posé par Adolphe en 1331, et m et en place un absolutism e que l’on peut qualifier de pon­déré. Pour l ’évêque, c ’est une défaite, certes m ais la défaite n’eût-elle pas encore été bien plus am ère si le régim e absolutiste avait été rem placé par une dém ocra­tie radicale, com parable à celle qui existait en 1313(91)?

Q uant à la Lettre des X X II, là encore, pour l’évêque, c ’est un échec. Reste que sept m ois après son installation, le tribunal des X X II est supprim é par Adolphe, sans difficulté, sans contrepartie, sans recours véritable pour ses adver­saires.

Au vu de ce que nous venons de dire, force nous est de constater que pour un hom m e obligé de jeter du lest, Adolphe de la M arck s ’en est tiré à bon compte. Il parviendra m êm e à retourner la situation à son avantage. L a seconde phase de son action politique, en particulier la signature de la Paix de D uras, en est une preuve flagrante. E n effet, ce texte qu’il sem ble signer à contrecoeur, ne lui est rien m oins que favorable.

E n m atière judiciaire, tout d ’abord. Selon la Paix de D uras, certes, d ’endroit des vogemens touchant le dit duc et ses pays [...] , nous disons et prononçons que por ce

(90) Sur la prévarication en général et en particulier, dans la principauté de Liège, cfr l’ex­cellent article de M A . ARNOULD, L ’origine historique des pots-de-vin, Académie royale de Belgique, Bulletin de la Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques, 5e sér., t. 62, 1976, p. 216-267 et S. DEM OULIN, Vénalité, brigue et concussion dans les villes mosanes au moyen âge, Mem. de lie. en His­toire dactyl., Université de Liège, Liège, 1989-1990, en particulier, p. 107-111 (et la bibliog., notamment les travaux d’ A. D ERV ILLE et de M BOONE).

(91) C ’est l’opinion défendue par KURTH, Cité de Liège, t. 2, p. 64-65: «en 1343, les conquêtes de la liberté communale [...] se distinguent par leur modération. Elles ne retournent pas au radicalisme démocratique de 1313. Entre ce régime et celui de la réaction conservatrice de 1331, la Lettre de Saint-Jacques représente un moyen terme heureux»

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qu’il ne fut fait einssi que ordené fu, qui li dux et ses pays en soient à tous jours tenu quite etpaisïblè;92). Ainsi donc, le duc de Brabant, tout comme les Hutois d’ailleurs(93), est libre de ce que l’on définira comme une assignation devant une justice épi- scopale. Cela signifie-t-il pour autant que l’évêque de Liège perd tout compé­tence judiciaire sur le Brabant et sur son prince ? Certes non. D est immédiate­ment précisé que li evesque, li archidiacre et official, doyen et leur ministre quel qu’il soient, gowent de leur juridiction spirituelle es pays du duc, en le maniéré que li ditte lpais] de Hasselt contienP*\ L’évêque conserve donc sur le Brabant, mais égale­ment sur le Namurois et sur le comté de Looz(95), la juridiction spirituelle, c’est- à-dire, en clair, un droit d’immixtion dans les affaires intestines de ces pays, une justice tellement floue que peuvent en relever tout et n’importe quoi.

Que dire à présent de l’aspect politique de la Paix d’août 1343 ? Là encore, elle se conclut au bénéfice du prince liégeois. Certes, le duc de Brabant se voit confirmé dans sa possession de la terre de Herstal(96), mais sa qualité de fidelis noster et major etpotentior inter fideles acclesie nostre predicté9T>, bref son état d’infé­riorité par rapport au prélat liégeois est consigné dans la Paix de Hainaut puis­que si le duc de Brabant doit estre en l ’ommaige des evesque de Liège, einssi que li eves­que maintient, que li dux en face son devoi/9S).

Une victoire politique sur le Brabant, la Paix de Hainaut l’est assurément A l’égard de Huy, par contre, les résultats sont moins favorables à l’évêque qui,

(92) A rt 2 de la Paix de Duras, dans R.O .P.L., p. 256. - C.S.L., t. 4, p. 10-IL Nous avonsdit plus haut qu’il était très délicat de déterminer le sens exact du terme vogemens. Il s ’agit, en toutcas, d’une citation à comparaître devant une cour épiscopale. S ’il s ’avère que vogemens désigne la Paix de Dieu, la concession faite au duc de Brabant, soit la suppression des vogemens, restera théori­que et sans effet - on oublie d ’ailleurs trop souvent qu’il ne suffit pas qu’une paix soit signée pour que toutes ses clauses soient respectées - puisque, en 1356, le Brabant se voit obligé de renoncer à une sentence de l’empereur Charles IV qui exemptait les Brabançons de justices situées en-dehors du duché (cfr L E JE U N E , Liège et son Pays, p. 113-114). Par ailleurs, la juridiction de la Paix ne sera supprimée qu’en 1468 ( à ce propos, cfr A. JO R IS , Observations sur la proclamation de la Trêve de Dieu à Liège à la fin du X I' siècle, Recueil de la Société Jean Bodin, 1.14 (La Paix), 1962, p. 503-545 et surtout p. 536-537). Cfr encore la n. 30.

(93) Se li cas dont on le vorroit vogier n’estoit fait et avenus devens le franchise de Liège: art. 19 de la Paix de Duras, dans R.O .P.L., p. 259. - C.S.L., t. 4, p. 14.

(94) A rt 2 de la Paix de Duras, dans R.O.P.L., p. 256. - C.S.L., t 4, p. IL(95) A rt 15 et 26 de la Paix de Duras, dans R.O.P.L., p. 258, 260. - C.S.L., t 4, p. 13,16.(96) A rt 3 de la Paix de Duras, dans R.O .P.L., p. 257. - C.S.L., L 4, p. 11 Le duc de Bra­

bant est, pour quelques fiefs, le vassal de l ’évêque de Liège. Par ailleurs, sur le problème de Hers- tal, cfr A. U YTTEBRO U CK, Le gouvernement du duché de Brabant au bas moyen âge (1355-1430), t. 1, Bruxelles, 1975, p. 60-61 et bibliog. p. 60 n. 93.

(97) Cfr R .C .L , L 1, p. 184.(98) Art. 8 de la Paix de Duras, dans R.O.P.L., p. 257. - C.S.L., L 4, p. 12.

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som m e toute, est som m é de confirm er certains acquis hutois. R este que le pro­blèm e crucial pour le ch ef de l’E ta t liégeois, soit la sécession hutoise, trouve une solution heureuse. L ’union brabançonne-hutoise, appartient désorm ais au passé ; H uy a réintégré les rangs(99).

A côté de tout ceci, il est, nous semble-t-il, une vertu suprêm e que l’on doit reconnaître à la Paix de H ainaut et, plus largem ent, aux décisions politiques prises durant ces quelques sem aines, c ’est d ’avoir savam m ent entretenu, à l ’égard de l’épineux contentieux lossain, le flou artistique, qui fu t toujours un principe directeur dans la politique de l’évêque de Liège. Rappelons les faits. Adolphe accepte la m édiation de son vassal hennuyer m ais précise qu’il ne devra en aucun cas être question du com té de Looz. Exclure celui-ci de toute tran sac­tion, c’était pour Adolphe la perspective de se concilier, en tout cas, de ne pas s ’aliéner la C ité , la noblesse liégeoise, le chapitre de Sain t-Lam bert m ais aussi le pape C lém ent VI, qui tenait le destin du com té de L ooz entre ses m ains, et, par delà le Vicaire du C hrist, le roi de France Philippe VI de Valois, qui m archait de concert avec le pape et était égalem ent l’ allié de toujours de l’évêque de L iège(100). L a Paix de D uras ne tient pas com pte de la restriction ém ise par Adolphe ? Q u’à cela ne tienne ! C ette infraction lui donne toute latitude pour ne pas la respecter, si tel est son in térêt Toutefois, si, en définitive, il se voyait contraint de respecter toutes les clauses de la Paix de H ainaut, à quoi accorde- rait-il son assentim ent, sinon à un règlem ent conform e à ses intentions initiales, c ’est-à-dire conclu à l ’avantage de son beau-frère, Thierry de Heinsberg^101'?

A insi donc, après avoir sacrifié, sans alacrité, à la politique de la « lim itation des dégâts »(102), ceci par quelques com prom is particulièrem ent douloureux^035, Adolphe de la M arck redresse la barre en parvenant à annihiler certaines de ses concessions d ’une part, en concluant une paix aux term es particulièrem ent avantageux, d ’ autre part. H ne nous sem ble dès lors pas illégitime de qualifier de p ositif le bilan politique d ’Adolphe de la M arck, au term e de ces deux années dif­ficiles.

Venons-en, enfin, à la seconde partie de cette conclusion. Q u’en est-il exac­tem ent des idées politiques des H utois ? Poser cette question à propos des événe­m ents qui nous occupent, m arqués par le coup de force de m ai 1343, revient à

(99) A rt 24 de la Paix de Duras, dans R.O .P.L., p. 260. - C.S.L., t 4, p. 15.(100) Cfr FTNCK, op. cit. ( a 4), p. 108-110. Clément VI entretenait d’excellents rapports

avec Philippe VI de Valois, ceci dès avant son accession au souverain pontificat [cfr MOLLAT, op. ciL (n. 58), p. 85-86 et n. 6, 394-397. - R. CA ZELLES, La société politique et la crise de la royauté sous Philippe de Valois, Paris, 1958, p. 70, 109]. Mécontenter l’un, c’était risquer de se heurter à l’autre.

(101) C fr les études citées aux a 33 et 36.(102) L’expression est de YANS, op. c it (n. 88), p. 426.(103) Ressentis comme tels par Pévêque (cfr notamment MATHIAS DE LEW IS, p. 11L -

C O R N EILLE DE ZANTFLIET, col. 236).

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s’interroger sur le point de savoir si, dans l’esprit des Hutois, a pu germer l’idée d’une patrie, d’une communauté d’intérêts de tous les sujets de l’évêque de Liège. Certes, dans le beau livre qu’il a consacré à l’histoire du Pays de Liège aux XIIT et XIVe siècles, J . Lejeune avance que « la formation et la stabilisation de principautés territoriales n’ont pas laissé de donner aux Liégeois le sentiment d’appartenir à une communauté distincte. Quel que soit leur attachement à leur ville, à leur lignage, à leur métier et si différents qu’ils puissent être par l’origine et l’intérêt, ceux qui sont nés entre les frontières du pays de Liège ne sont ni Brabançons, ni Namurois, ni Luxembourgeois004̂ ». Et il ajoute: « [...] Fossois, Dinantais, Couvinois ou Liégeois ont pris conscience d’avoir des intérêts com­muns [...] »(105). Les Hutois peuvent-ils s’insérer dans cette énumération ? Il nous faut bien répondre par la négative eu égard non seulement à la scission de mai 1343 mais également aux actes politiques posés par les Hutois dès la fin du XIIIe siècle. Bien loin d’être un acte impromptu, l’alliance avec le Brabant est une décision délibérée, inscrite dans une politique cohérente, dont les buts princi­paux sont premièrement, la protection des intérêts politiques et économiques hutois, et, deuxièmement, l’accession à une certaine autonomie. La volonté d’at­teindre ces deux objectifs conduisit la ville de Huy à pratiquer une politique sin­gulière, irréductible à celle de Liège, d’une part, étrangère à toute fidélité défini­tive, d’autre part006).

Ainsi, en 1299-1300, des émeutes démocratiques opposent l’oligarchie patri­cienne opulente à la communitas des petits commerçants et artisans, cette der­nière réclamant son accession au pouvoir politique et une plus juste répartition de la richesse économique. Se constituent alors deux communautés d’intérêts, l’une réunissant I’évêque et les métiers, la seconde, les patriciats hutois et lié­geois, cette dernière association politique et financière se doublant d’une solida­rité de caste(107). Au début du XIVe siècle, le Prince de Liège et les Hutois sont deux des principaux antagonistes d’une querelle de partis impitoyable - la guerre des Awans et des Waroux - puis, après la Paix d’Hanzinelle (20 août 1314)(108), d’autres affrontements au cours desquels les deux cités mosanes se rapprochè-

(104) LE JE U N E , Liège et son Pays, p. 47L(105) Ibid., p. 474.(106) De même que sur tout ce qui suit, cfr les diverses études mentionnées à la n. 2.(107) A ce propos, cfr A. JO R IS , Les émeutes démocratiques à Huy à la fin du XIIIe siècle,

A.C.H.S.B.A., t. 22, fasc. 4, 1949, p. 239-253.(108) En décrétant qu’en terme de lois et franchises, les échevins de Huy étaient seuls com­

pétents, en soustrayant, par conséquent, les échevins de Huy au pouvoir de leurs émules liégeois, la Paix d’Hanzinelle témoigne des tendances particularistes, ici, en matière judiciaire, de la politique hutoise. Cfr A. JO R IS, Huy et les premiers conflits liégeois du XIV1 siècle (1312-1316), ibid., t. 24, fasc. 2, 1952, p. 149 et n. 41.

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re n t E n 1324, toutefois, Adolphe de la M arck se heurte à la C ité de L iège et H uy, cette ville qui, hier, était son ennemie, va devenir son alliée la plus fidèle*1095. Au cours de tous ces affrontem ents, ce n’est p as le patriotism e qui a guidé les H utois. S ’allient-ils à L iè g e ? H n’y a jam ais là qu’une conjonction tem ­poraire de deux rivales à l ’encontre d ’un adversaire com m un. Boudent-ils l ’al­liance u rb ain e? C ’est qu’alors leurs intérêts ne sont pas m enacés. E n fin , font-ils cause com m une avec le P rin ce? D n’y a point là de fidélité, ni de générosité, m ais une volonté clairem ent affirm ée, celle de préserver des intérêts, celle de conserver, de conquérir ou de reconquérir des libertés, celle d ’obtenir un renfor­cem ent de l ’indépendance judiciaire, voire une autonom ie urbaine totale. C ’est dans ce clim at particulariste qu’est signé le pacte du 8 m ai 1343. L es H utois n ’ont p lus confiance en leur Prince. L e ch ef de l’E ta t ne répond plus à leurs aspirations. H a violé leurs franchises et a porté atteinte à leur liberté. Pragm ati­ques et opportunistes, les H utois tirent les conséquences et prennent une déci­sion politique antipatriotique par excellence. Ils se détournent du pouvoir légi­tim e et se placent dans la m ouvance, non seulem ent économ ique, m ais égale­m ent politique du duché de Brabant, lequel - ce n’en est que plus grave - n’est p as n’im porte quel adversaire de l’évêque de L iège, m ais est considéré com m e l’ennem i héréditaire de la Principauté.

E n conclusion, lorsque l ’on considère les décisions politiques de Huy, une ville qui, m anifestem ent, ne prend en com pte que ses seuls intérêts, une cité dans laquelle, constam m ent, l’évêque de L iège doit rem ettre sa souveraineté sur le m étier, il nous sem ble délicat d ’affirm er que ses actes participent d ’un senti­m ent national ou d ’une conscience patriotique. B ien loin d ’être prégnants, l ’un et l ’autre sont encore à un stade em bryonnaire et le m oins que l’on puisse dire est que leur éclosion, à Huy, en tout cas, se fait dans la douleur^1050.

(109) Cfr JO R IS, op. cit., p. 141-156. - JO R IS, Patricia! urbain, p. 148-152.(110) Au terme d’un exposé relatif à des événements de cent cinquante ans antérieurs à l’épi­

sode de 1343, J .L . Kupper aboutissait à des conclusions pratiquement similaires aux nôtres. En 1203 comme en 1343-1344, l’évêque de Liège trouve dans des agglomérations urbaines telles que Huy, certains avantages, certes, mais également de multiples difficultés, auxquelles il s ’efforce, tant bien que mal, de trouver des solutions très souvent remises en question. Cfr J .L . KUPPER, Le sou­lèvement des Hutois contre l’évêque de Liège Hugues de Pierrepont en 1203. Contribution à l’his­toire sociale et économique du pays mosan, A.C.H.S.B.A., x. 39, 1985, p. 165-176, et surtout p. 176.

( * ) Nous tenons à exprimer nos plus vifs remerciements à MM. les Professeurs A. Joris et J .L . Kupper, qui ont accepté de relire ces quelques pages et les ont enrichies de leurs peninentes suggestions.

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