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Arabes en France / Arabes de France

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« Deux peuples se côtoient et vont l’un sur un rivage, l’autre sur l’autre rivage parallèle. Une mer les sépare. Cette mer, c’est la mer mentale primordiale, la Mer des Mers en quelque sorte : la Méditerranée. Sur la rive sud de la Méditerranée, il y a, majoritaires à partir de la fin du VIIe siècle A.D., les Arabes ; sur sa rive nord, parmi d’autres peuples qui seront dits un jour européens, il y a les (bientôt) Français. Ces deux peuples, séparés géographiquement par la mer, qui est divinité, seront souvent rapprochés et parfois même réunis par l’autre déesse qui gère le destin des communautés humaines : l’histoire. Il faudrait, dans certaines circonstances, écrire certains mots déterminants avec une initiale majuscule : la Géographie et l’Histoire, entités mêlées à la conscience des hommes et qui brassent leur destin, sont dans le cas des Arabes et des Français comme deux poumons qui leur permettent de respirer le même air partageable. » (Salah Stétié)

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L’histoire est tissée de confrontations fertiles. Quand le choc des évé-

nements rejoint les annales, il devient difficile de faire la part de ce

que l’on a donné, pris ou reçu entre cultures et civilisations. Le poète

indien Rabindranah Tagore évoquait « la morsure vivifiante de l’Oc-

cident ». On peut se demander si l’Occident, l’Europe, et plus singu-

lièrement la France ont suffisamment jaugé à sa juste valeur l’apport

culturel et scientifique du monde arabo-musulman.

En France, les premières approches avec cet univers datent du

ixe siècle. Elles furent dans l’esprit du temps, guerrières, et la langue

française en porte témoignage : Sarrazin, un mot frôlant le fantasme,

et 732, une date plus qu’emblématique. La recherche historique a fait

justice de certaines interprétations hâtives. Mais il est certain que les

relations entre la France et le monde arabo-musulman plongent leurs

racines très loin dans le temps.

Au XIIe siècle, Haroun al-Rachid, le calife de Bagdad, échangeait

des cadeaux avec Charlemagne. Le premier éléphant à fouler le sol

français était en ivoire et il est conservé à la Bibliothèque nationale

de France… Au XVIIe siècle, avec la campagne d’Égypte de Bonaparte,

se nouaient pour très longtemps des relations tumultueuses et proli-

Des siècles de confrontations fertiles

histoire

Egyptiens et Européens sur la GrandePyramide de Gizeh, tombeau de Khéops,vers 1880. Construite vers –2500, elle estl’une des Sept Merveilles du Monde.

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En juillet 1860, les troubles confessionnels du Mont Liban sesont étendus à Damas. Des musulmans et des druzes attaquent lesquartiers chrétiens. Abdel Kader doit même s’interposer par la forceavec les membres de sa suite, pour protéger les familles chrétiennesvenues se réfugier en nombre dans le quartier des Algériens. AbdelKader reçut la grand-croix de la Légion d’honneur et d’autres marquesde reconnaissance venant du monde entier (notamment du pape, dutsar de Russie, etc.), en remerciement de cet acte de protection deschrétiens de Damas. En 1869, il participa aux festivités de l’inaugu-ration du canal de Suez aux côtés de l’impératrice Eugénie. Il ne re-tourna jamais dans son pays natal où il est considéré comme étant àl’origine de la nation algérienne moderne.

L’Émir Abdelkader a dans la ville de Lyon (7e arr.), un square àson nom. La municipalité, en partenariat avec le consulat générald’Algérie à Lyon, avait organisé une commémoration pour le bicen-tenaire de la naissance de l’Émir (1808-2008). Depuis 2006, uneplace du 5e arrondissement de Paris, située non loin de l’Institut dumonde arabe, porte elle aussi le nom de l’Émir. En février 2008 untimbre français à l’effigie de l’Émir Abdelkader, avait été émis.

Mgr Pavy, évêque d’Alger, successeur de Mgr Dupuch, avait vouluexprimer son admiration à l’Émir pour la noblesse de son attitude, illui a fait adresser une lettre de remerciement à laquelle l’Émir réponditen ces termes :

Louange à Dieu seul !

À sa grandeur le très estimé Louis Antoine Octave Pavy, évêque d’Alger. Je de-

mande au Dieu Très haut pour votre grandeur la lumière par laquelle on peut

discerner les choses et distinguer par leurs causes ce qui est préjudiciable de ce

qui est avantageux.

Votre lettre éloquente et votre brillant message me sont bien parvenus. Ce que

nous avons fait de bien avec les chrétiens, nous nous devions de le faire, par fi-

délité à la foi musulmane et pour respecter les droits de l ’humanité. Car toutes

les créatures sont la famille de Dieu et les plus aimés de Dieu sont ceux qui sont

les plus utiles à sa famille. 67

Portrait de l’Emir Abdelkader, fait au Cairedurant son exil.

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Afrique du Nord (Algérie, Maroc, Tunisie) et en Afrique sub-saha-

rienne. Les régiments de tirailleurs algériens (RTA). ont contribué

aux titres de gloire de l’armée française. Formant la majeure partie de

l’infanterie, ils ont participé la libération de l’Europe. et ont donc été

les plus exposés dans les combats. Les tirailleurs algériens participèrent

aux combats les plus durs et les plus meurtriers de la seconde guerre

mondiale dont: la bataille du Monte Cassino, la libération de Marseille

et Toulon, la bataille des Vosges, la libération de l’Alsace- et la cam-

pagne d’Allemagne. Sur les 409 000 hommes mobilisés d’Afrique du

Nord, on estime que 11 200 soldats ont été tués, morts au combat

pour la France.

« Trois ans de gamelles, de boue, des périls partagés,des compagnons morts ici ou là, en ltalie, sur les côtesde Provence, en Franche-Comté, dans les plainesd’Alsace : la fraternité des ormes, au rique de fairesourire certains, n’est pas une vaine expression quandla guerre paraît juste. [...] Mais, au retour, pour lesAlgériens, après cette grande épopée, ce fut le retour àzéro, la non-citoyenneté, quand ce n’était pas, commedans le Constantinois, les armes retournées contre eux.[...] Un sang versé pour rien, des morts inutiles,et, à tout jamais perdue, la dernière chance de vivre ensemble. »Jean Pélegri, romancier, cité par Benjamin Stora.« Les Etés perdus », Le Seuil, 1999.

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« Mohamed T. est à la tête d’une nombreuse famille ; il est aussi mon ami. Noble de caractère, qu’il fût aide-berger

dans son douar ou immigré dans la zone portuaire, Mohamed conservait de ses ancêtres la stature naturelle

des pères de tribu. Lorsqu’il reçoit dans son huitième étage du bâtiment C, quartier Nord, derrière l’autoroute,

un coussin brodé suffit pour transformer le F4 en salon d’alcade andalou digne de ses invités. »

Jean-Marie Lamblard, Rhapsodie méditerranéenne

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de la pelote basque : le jeu de paume, lequel, à l’origine, se jouait jus-tement « à main nue » ?…

Alcool, café, sucre, tasse, mazagran, sorbet…C’est dans le domaine de l’art culinaire que la langue arabe a

marqué le plus concrètement notre quotidien. Rien qu’en évoquantles noms des recettes et des épices, l’eau vous vient à la bouche ! Enmatière de contenu, mais aussi de contenant : avec le café, le moka, lesucre, ou même le sorbet, on a la tasse et le mazagran ; avec le jusd’orange, l’alcool ou le sirop, on a la carafe, etc. Autant de termes quel’histoire nous a légués pour désigner des boissons ou des ustensilesdevenus si familiers que l’on ne se soucie plus de leurs origines. Cen’est plus de l’intégration, c’est littéralement de l’assimilation !…

Lascar, ramdam, fanfaron, mascarade, caïd…Faire la nouba, faire le zouave ou le fanfaron, c’est un peu faire du

ramdam, même sur Internet, puisque, désormais, le mot est officielle-ment donné pour remplacer buzz ! Et que l’on se fasse traiter de lascar,de crouille, de maboul ou de caïd, que l’on se joigne à la fanfare ou à lasarabande, que l’on avance masqué ou que l’on fasse dans l’algarade etla mascarade, on aura toujours affaire à la langue arabe, sans le savoir,un peu comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir…

Nouba, timbale, tambour, guitare, luth…Une légende, rapportée par André Chouraqui, dit que le mot

« musique » viendrait non plus de « muse » mais de « Moïse » : enfrappant le rocher de son bâton, comme le lui ordonnait la voix céleste,Moïse fit jaillir de l’eau, douze jets exactement. La voix, rendue enarabe, dit : « Ya Moussa esqui ! » (Ô Moïse, donne à boire !), ce qui, parcontraction, donnera « Moussiqui  », « Moussiquiya  » : musique !…Ce n’est qu’une légende, mais pour le spécialiste de la Bible et du Co-ran, ce sont ces douze jets qui auraient inspiré les douze modes de lamusique arabe. De là vient la nouba, suite interprétée «  à tour derôle ». Sans tambour ni trompette, mais jamais sans guitare, luth et au-tres timbales…

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Nuque.

Persiennes entr’ouvertes.

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ouvrages de technique, de science ou de philosophie.

Ces œuvres avaient été produites, des siècles aupara-

vant, dans les aires culturelles de la Méditerranée orien-

tale et de l’Asie Centrale. On peut considérer au-

jourd’hui que les apports dans ces domaines (constitués

à la fois de savoir-faire et de savoirs savants), sont es-

sentiellement grecs, indiens, persans et mésopotamiens,

avec quelques contributions provenant de Chine et

d’Égypte qui font encore l’objet de discussions entre

spécialistes.

À l ’heure du déclin des empires romain, perse et by-zantin, on a assisté à un déplacement prodigieux dela vie intellectuelle vers Bagdad. S’agit-il, comme leprétendent certains, de simples emprunts par les Arabesà ces civilisations ou d’une transmission enrichie parde nouveaux acquis scientif iques propres à ces der-niers ?

Il faut d’abord préciser qu’en dehors de quelques

apports individuels, l’empire romain n’a pas eu une tra-

dition scientifique au sens où on l’entend aujourd’hui.

Quant aux empires persan et byzantin, leurs apports

respectifs dans le démarrage des activités scientifiques

en pays d’islam ont été modestes, au vu des sources et

des informations qui nous sont parvenues. Les héritages identifiés

par les bibliographes et les hommes de science eux-mêmes provenaient

d’abord de l’Inde et de la Mésopotamie. Mais, c’est surtout la pro-

duction grecque qui a nourri les premières activités scientifiques en

arabe.

En ce qui concerne la manière dont les premiers scientifiques

ont pris connaissance des héritages anciens, il s’agit d’un phénomène

d’appropriation qui a consisté à rechercher les sources du savoir, c’est-

à-dire des manuscrits qui étaient conservés dans les bibliothèques

privées ou publiques des territoires nouvellement conquis. La seconde

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Horloge automate d’Al-Djazari (XIIe s.).Ingénieur prolixe, on lui doit de nombreuses inventions oudéveloppements, notamment dans le domaine de l’hydraulique.

Noria contemporaine, au Muséumd’histoire naturelle de Toulouse.

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765-768 : Relations diplomatiquesentre Pépin le Bref et le calife al-Mansûr.

786-809 : Hârûn al-Rashid, calife.793 : Raid sur Narbonne.797-807 : Relations diplomatiques

entre Charlemagne et le califeHârûn al-Rashid.

813-833 : Règne d’al-Ma’mûn,septième calife abbasside, qui mèneune active politique culturelle. Essordes sciences et des lettres grâce au mécénat califal. Sous son règne,hégémonie de la théologiemu’tazilite et ensuite sous Mu’tasim(833-842). Elle s’appuie sur la logique et le rationalisme visant à combiner foi et raison.

832 : Fondation de Bayt – al-Hikma,la Maison de la sagesse à Baghdad,sous le patronage d’al-Ma’mûn, où fut dressée la première carte du monde.

838 : Début des raids sarrasins en Provence.

863-863 : Échanges diplomatiquesentre l’émir de Cordoue et Charlesle Chauve.

870 : Mort d’al-Kindî (né en 801)premier philosophe arabe.

Vers 890 : Début de l’établissementsarrasin du Fraxinet.

Vers 900 : Muhammad ibn Moussa al-Khawarizmi publie un Traitéd’algèbre dont le titre est à l’originemême du mot algèbre.

Al-Bàttani (Albaténius), astronomearabe, écrit le premier traité de trigonométrie moderne s’avérantbeaucoup plus complet quel’Almageste de Ptolémée.

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800 : Charlemagne est sacré empereurà Rome.

801: Prise de Barcelone par les Francs.Vers 820 : Début des raids normands.842 : Serment de Strasbourg entre

Charles le Chauve et Louis le Germanique, plus ancientémoignage écrit des languesfrançaise et allemande.

843 : Partage de l’Empire : Charles IIle Chauve premier roi de Francieoccidentale.

877 : Mort de Charles le Chauve.881 : Séquence de sainte Eulalie, plus

ancien poème conservé en langued’oïl : début de la littératurefrançaise.

909 : Fondation de l’abbaye de Cluny.Le savoir scientifique commence à parvenir en Europe par Cordoue.

799 : En Afrique, création du royaumedu Kanem à l’est du lac Tchad.Établissement entre le IXe et XIIe s.d’Arabes et de Persans en Afriqueorientale et à Zanzibar.

800 : En Chine, apparition de la monnaie volante, billets à ordre.

868 : Impression sur papier du plusancien livre bouddhique encoreconservé.

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Il détermine de façon précise la longueur de l’année tropique et la précession des équinoxes.

Al-Razi (Rhazès), médecin persancompose une encyclopédie médicalede vingt volumes, premièredescription de la variole.

909 : Fondation du califat fatimide en Tunisie.

909-1171 : Règne des Fatimides,ismaïliens (un des courants chiites),sur l’Ifrîqiya puis l’Égypte, quidevient califat après la fondationdu Caire (969). À leur apogée, ils contrôlent l’Ifrîqiya, la Sicile,l’Égypte, une partie de la péninsulearabique et une partie de la Syrie.

Au Xe s., la bibliothèque de Cordouedans l’Espagne musulmane, compte600000 manuscrits. C’est davantageque le nombre total de livres danstoute la France de l’époque.

922 : Martyre du poète mystique al-Hallâj, victime des intrigues de la cour abasside de Bagdad,exécuté après neuf annéesd’emprisonnement.

925 : Mort d’al-Râzi, philosophe et médecin.

929 : Abd al-Rahman III se proclamecalife à Cordoue.

943 : Raids contre les côteschrétiennes.

933 : Abû ‘Abd Allah al-Khwaazmi,auteur de la première encyclopédie,Mafâtih al-‘ulûm.

950 : Mort d’al-Farâbi, philosophe.969 : Conquête de l’Égypte

par les Fatimides.980 : Naissance d’Avicenne, Ibn Sina,

philosophe, médecin et physicien. 211

Séjour d’érudits européens dans la bibliothèque de Cordoue. Gerbert d’Aurillac, futur pape connusous le nom de Sylvestre II, futenvoyé en 940, à 17 ans, dans leNord de l’Espagne, alors chrétienne.On ne sait s’il s’est rendu à Cordoue.

965-970 : Gerbert d’Aurillac,introduit en Occident l’usage des chiffres arabes.

987-996 : Règne d’Hugues Capet.

932 : Impression par le procédé de la xylographie des classiques de l’antiquité chinoise.

950 : En Méso-Amérique, la civilisation maya estprogressivement suplantée par la civilisation des Toltèques.

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res.

frISBN 978-2-86266-626-6

35 €

ARABESFRANCENE

DE

Ahmed Djebbar, Salah Guemriche, Abdelmadj id Kaouah, Salah Stétié

« Deux peuples se côtoient et vont l’un sur un rivage, l’autre sur l’autre rivage parallèle. Une mer les sépare. Cette mer, c’est la mer mentale primordiale, la Mer des Mers en quelque sorte : la Méditerranée. Sur la rive sud de la Méditerranée, il y a, majoritaires à partir de la fin du VIIe siècle A.D., les Arabes ; sur sa rive nord, parmi d’autres peuplesqui seront dits un jour européens, il y a les (bientôt) Français. Ces deuxpeuples, séparés géographiquement par la mer, qui est divinité, serontsouvent rapprochés et parfois même réunis par l’autre déesse qui gère le destin des communautés humaines : l’histoire. Il faudrait, dans certaines circonstances, écrire certains mots déterminants avec une initiale majuscule : la Géographie et l’Histoire, entités mêlées à la conscience des hommes et qui brassent leur destin, sont dans le cas des Arabes et des Français comme deux poumons qui leur permettent de respirer le même air partageable. » (Salah Stétié)