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Culture Coréenne N o 79 Automne / Hiver 2009 Dossier spécial “ Hommage à André Fabre”

CultureAssimil,Lecoréensanspeine(Paris, 1999,XXI+561p.+4cassettes (maintenant4CD).Lalinguistique neluiavaitpasfaitabandonnerlalit-térature.IlcollaboraainsiavecMine

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CultureCoréenneNo79 Automne / Hiver 2009

한국문화

Dossier spécial“ Hommage à André Fabre”

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Le tigre, fascinant félin à multiples facettes, occupe une place de choix dans l’imagerie coréenne.Peinture ancienne anonyme du GahoeMinhwa Museum de Séoul. -Voir nos articles p.8 et p.31-

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L’ actualité culturelle

No 79 Automne / Hiver 2009Sommaire

Festival des 3 Continents 2009, deux films coréens en compétitionet Shin Dong-il en or pour la première européenne de Bandhobi

Le Festival « Rêves d’enfants » au Centre Culturel Coréen- 23-28 novembre 2009 -

Interviews

Nouveautés

Les réalisateurs Ounie Lecomte etYang Ik-june :« Créer, c’est toujours parler de l’enfance »

Voyages, tourisme

Le Gahoe Minhwa Museum de Séoul

Livres et DVD à découvrir

Directeur de la publication : Choe Junho

Comité éditorial :Lee Seung-Yoo, Georges Arsenijevic, Jeong Eun-Jin,Park Jeong-yoon

Ont participé à ce numéro :Marc Orange, Dauphine Scalbert, Adrien Gombeaud,Juliette Morillot, Jeong Eun-Jin, Michel le Naour,Pierre-Emmanuel Roux, Véronique Blin, DominiqueRoland, Jérôme Baron, Jacques Batilliot, Ariane Perrin

La Corée et les Coréens

Dossier spécial

IsangYun : un exemple d’œcuménisme musical

Le tigre chez les Coréens : un personnage aux multiples facettes

Éditorial2

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L’art numérique coréen : première grande présentationen France au Centre des Arts d’Enghien-les-Bains

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André Fabre : un parcours remarquable3

Hommages de quelques anciens étudiants6

Culture Coréenne est une publication duCentre Culturel Coréen2, avenue d’Iéna-75116 ParisTél. 01 47 20 83 86 / 01 47 20 84 15

Focus sur la Corée du Sud au 15e Festival Mondial desThéâtresde Marionnettes – Charleville-Mézières, 18-27 septembre 2009

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La 2e édition du Festival « Rêves d’enfants »,qui s’est déroulée au Centre Culturel Coréendu 23 au 28 novembre 2009, a remporté,cette année encore, un beau succès. Photo :concert pédagogique « Magie des percus-sions coréennes », par l’ensemble « Les son-neurs de mondes ».-Voir notre article p.22.-

Quelques idées pour passer une soirée dépaysante en Corée

Hommage à André Fabre

Tous les anciens numéros de notre revue sont consultablessur notre nouveau site Internet www.culturecoreenne.fr www.coree-culture.org

Les festivités en Corée en 2010

Conception et graphisme : H.V.COM

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Éditorial

été nous a apporté une bien triste nouvelle puisquenous avons appris fin juillet le décès de M. André

Fabre, survenu à Perpignan où ce grand professeur etcoréanologue, ami de la Corée, s’était retiré en 1998,après avoir pris sa retraite.

Nombre d’entre vous connaissaient André Fabre qui a,durant une carrière d’enseignant de plus de trente ans,formé à l’INALCO plusieurs générations d’étudiants.En outre, M. Fabre a toujours entretenu avec le CentreCulturel Coréen des liens privilégiés et nous nous ho-norons d’avoir publié dans « Culture Coréenne » nom-bre de ses articles (vous pouvez d’ailleurs tous lesretrouver sur notre site Internet www.cultureco-reenne.fr). M. Fabre avait également, durant sa carrière,donné à plusieurs reprises des conférences dans notreCentre, dont la dernière, « Histoire de la Corée », avait eulieu le 5 mars 2008 dans le cadre de notre cycle « Cultureet civilisation coréennes ».

Compte tenu de la renommée du disparu (célèbre pro-fesseur, linguiste, traducteur de plusieurs grands romansemblématiques de la littérature coréenne, auteur de ma-nuels d’apprentissage du coréen et du seul livre récentsur l’histoire de la Corée*...), des efforts qu’il avait dé-ployés tout au long de sa vie pour mieux faire connaîtreen France notre pays, sa langue et sa culture, et eu égardaux liens amicaux que nous entretenions avec lui depuisde longues années et de l’affection qu’avaient pour luises étudiants, nous avons voulu lui rendre un dernierhommage en lui consacrant un dossier spécial dans cenuméro.

Puis, dans notre rubrique « La Corée et les Coréens »,nous nous intéresserons, en cette année du tigre qui ar-rive, à ce fascinant félin à multiples facettes qui occupeune place de choix dans l’imagerie coréenne. Par ailleurs,nous vous proposerons un article très documenté etcomplet sur la vie et l’œuvre d’Isang Yun, sans doute le

compositeur coréen le plus connu dans le monde. Enfin,nous évoquerons, à travers un texte plutôt original, lespojang macha, les jjimjil bang et les norae bang, lieuxque les Occidentaux découvrent lors de leur séjour enCorée et qui font le charme du mode de vie à la coréenne.

Quant à notre rubrique « L’actualité culturelle », nous yaborderons la participation -remarquée et remarquable-de quatre compagnies coréennes au dernier FestivalMondial des Théâtres de Marionnettes de CharlevilleMézières (18-27 septembre), le Festival « Rêves d’en-fants » qui a été au Centre, cette année encore, une belleréussite (23-28 novembre), ainsi que le succès du réali-sateur Shin Dong-il et de son film Bandhobi au Festi-val des 3 Continents de Nantes (24 novembre-1er

décembre), sans oublier un article sur l’art numériquecoréen qui sera à l’honneur à partir d’avril prochain, puisdans le cadre du festival « Bains numériques » (juin2010), au Centre des Arts d’Enghien-les-Bains.

Enfin, dans notre rubrique « Interviews », nous vousprésenterons deux jeunes cinéastes, Ounie Lecomte etYang Ik-june, ayant respectivement réalisé Une vie touteneuve et Breathless, deux premiers films superbes pri-més dans les festivals et largement salués par la critiquefrançaise (le premier vient de sortir en France, la sortiedu second est prévue pour fin avril ).

Je vous souhaite à tous une très bonne lecture et une ex-cellente année du tigre !

CHOE JunhoDirecteur de la publication

*Histoire de la Corée, Ed. Langues & Monde - L’Asiathèque, Paris 2000

Chers amis,

L’

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Dossier spécial

ndré Fabre nous a quittés le 27juillet dernier dans sa soixante-

dix-septième année. Coréanologuerenommé, il appartenait sinon à lapremière génération d’enseignants decoréen du moins à la deuxième.En effet, Charles Haguenauer et LiOgg furent les deux premiers ensei-gnants de coréen. On doit au premierla création d’un certificat d’étudescoréennes à la Sorbonne puis del’enseignement du coréen à l’Écolenationale des langues orientales(Langues O) devenue depuis l’Institutnational des langues et civilisationsorientales (INALCO). Il y eut d’abordun enseignement de coréen auxLangues O, puis ensuite cet ensei-gnement fut sanctionné par un di-plôme obtenu après trois ansd’études. Le premier diplômé decoréen le fut en 1963. Li Ogg, quantà lui, vint en France en 1956, à la

demande de Charles Haguenauer etenseigna le coréen à la Sorbonne (ilfut lecteur à la faculté des lettres del’université de Paris de 1956 à 1969)et aux Langues O où il fut chargé deconférence puis répétiteur de 1959à 19691.

Après avoir fait ses études secon-daires au lycée Arago de Perpignan,ville dont il était originaire, AndréFabre monte à Paris. Attiré par l’Ex-trême-Orient, il s’inscrit à l’Écolenationale des langues orientales enjaponais, en chinois et également enrusse. Il sera respectivement diplôméde ces trois langues en 1954, 1956 et1957. A noter que, pour le russe,il suivait également des cours à laSorbonne où il obtiendra unelicence (1957). En 1955, il fut undes premiers à obtenir le certificatd’études japonaises à la Sorbonneet, en 1960, il obtint celui d’étudescoréennes.Après avoir accompli son servicemilitaire, il est nommé secrétairegénéral du Centre d’études chinoisesde l’École pratique des hautes études(EPHE), centre dirigé alors par le lin-guiste et sinologue Alexis Rygaloff.

André Fabre :un parcours remarquable

Par Marc ORANGECoréanologue, président de l’AFPEC

(Association française pour l’étude de la Corée )

André Fabre discutant avec un collègue coréen lors du premier colloque de l’AKSE, Londres, 1977.

André Fabre recevant le Prix Culturel France-Corée 2000 des mains de M. Kwon In Hyuk,Ambassadeur de Corée en France.

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Le professeur Charles Haguenauer,qui avait eu André Fabre comme étu-diant, avait remarqué ses qualités delinguiste et il avait réussi à le persua-der d’aller en Corée. Il adressa, en1961, une demande au gouvernementcoréen en vue d’obtenir une boursed’études en échange d’un enseigne-ment qu’André Fabre aurait pu donnerà l’université des langues étrangèresHan’guk. Il fallut une année pourattendre la réponse, négative : leministre coréen de l’Éducation nepouvait sur son budget 1963 disposerde crédits destinés à des étudiantsétrangers. A la suite de ce refus, mon-sieur Chambard, qui était alorsambassadeur à Séoul, décidad’écrire à la Direction des affairesculturelles au Quai d’Orsay pourexpliquer le grand intérêt qu’il portaità ce que André Fabre puisse venir enCorée. Finalement, c’est en 1963 quecelui-ci fut envoyé par le ministère desAffaires étrangères comme lecteur àl’université des langues étrangères. Iloccupa, dans le même temps, lesfonctions d’adjoint culturel à l’ambas-sade de France.Il profita de son séjour en Corée

pour suivre, parallèlement à sontravail, des cours à la Graduate Schoolde l’université nationale de Séoul. En1967, il obtint un Master of Arts enlinguistique avec un mémoire, rédigéen coréen, sur les mots expressifs en

coréen moderne (la version françaisese trouve à la bibliothèque del’INALCO sous le titre Les motsexpressifs en coréen moderne). C’estaussi à cette époque qu’il s’exerça à latraduction de plusieurs nouvelles co-réennes (quatre d’entre elles (Quand lesarrasin refleurit de Yi Hyo-seok,Printemps ? Printemps de Kim Yu-jeong, Les grues de Hwang Sun-weon, Une balle perdue de YiBeom-seon) furent publiées, en 1970 àSéoul, par Le Centre coréen du P.E.N.Club international dans un ouvrageintitulé Contes et pièces de théâtremoderne de la Corée).A son retour en France en 1968,

André Fabre occupa un poste deformateur au CREDIF, organisme dé-pendant de l’École nationale supé-

rieure de Saint-Cloud,jusqu’à son élection en1969 à la chaire de coréencréée à ce moment-là auxLangues O. C’est au CRE-DIF qu’il avait obtenu, en1963, un diplôme d’ensei-gnement du français parles méthodes audiovi-suelles.Après ces débuts brillants,André Fabre a poursuivisa carrière de chercheur etd’enseignant jusqu’à sa re-traite en 1998, contri-

buant ainsi à la formation de plusieursgénérations d’étudiants. Il a égalementdonné de multiples conférences sur laCorée, tant en France qu’à l’étranger.André Fabre n’a cessé, tout au long

de sa carrière, de s’intéresser auxquestions de linguistique mais aussid’ethnolinguistique : standardisationde la langue coréenne, oppression decette langue pendant la colonisationjaponaise, coréen du Nord et coréendu Sud, emprunt de langues à d’autreslangues (à ce sujet on peut citerl’article très documenté « Trois écri-tures à base de caractères chinois : leidu (Corée), les kana (Japon) et le chunôm (Viet Nam) », Asiatiche Studien/Etudes asiatiques, vol. XXXIV-2-1980, p. 206-225). Dans le cadre de sesétudes de la langue coréenne, il s’estintéressé aux communautés coréennesvivant à l’étranger, principalementcelles de l’Asie centrale2, qui parlentun coréen, le koryeo mal, présentantun certain nombre de différences aveccelui parlé dans la péninsule. Il s’inté-ressait également au catalan et y voyaitquelquefois des similitudes avec lecoréen.Il est l’auteur, avec Shim Seung-ja,

d’un Manuel de coréen publié en1995 (Paris, l’Asiathèque, collectionLangues et mondes, 270 p. + 1 CD) etégalement, en collaboration avec SongEui-jong, d’un volume de la collection

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Roman traduit par André Fabre

André Fabre en 1978

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Assimil, Le coréen sans peine (Paris,1999, XXI+561 p. + 4 cassettes(maintenant 4 CD). La linguistiquene lui avait pas fait abandonner la lit-térature. Il collabora ainsi avec MineHi-sik à la traduction du premiertome de la célèbre saga de PakKyong-ni, La terre (Paris, Belfond,1994, 600 p). Œuvre complexe oùapparaissent nombre de personnages(la traduction fournit un index decinq pages des personnages pouraider le lecteur francophone à s’y re-trouver), elle retrace, à partir de 1897,la vie de trois générations de Coréens.André Fabre aimait aussi faire

connaître la Corée. Si, en 1986, il pu-blia un petit guide, Corée du Sud(Paris, Marcus, collection Poche-voyageMarcus, 1986, 64 p.), il s’attaquaplus tard à un travail beaucoup plusimportant, une histoire de la Corée.En 1988, il publia La grande histoirede la Corée (Paris, Lausanne, éditionsFavre, 391 p.). Ce livre ne connutqu’une diffusion réduite : il resta peude temps en librairie à la suite de lafaillite de son éditeur, faillite presqueconcomitante à la sortie du livre.Mais, un peu plus de douze ans plustard, il publia une Histoire de laCorée (Paris, l’Asiathèque, collection

Langues et mondes, 419 p.). Repre-nant son ouvrage précédent, il pro-céda à une révision complète.Profitant d’un voyage en Corée, àl’invitation du ministère coréen de laCulture, des Sports et du Tourisme,il put, par exemple, accéder à de nou-veaux documents concernant des dé-couvertes archéologiques récentes etremanier ainsi totalement le chapitresur la préhistoire. Il réactualisa aussison texte et ajouta une partie impor-tante concernant l’histoire coréennerécente (rencontre de Kim Dae-junget de Kim Jong-il, par ex.). Ce livreest également richement illustré,doté de cartes et d’un index fort utile.Bien qu’il ait fait l’objet d’un certainnombre de critiques, il reste à ce jourl’histoire générale de la Corée la plusrécente et une source d’informationsprécieuses pour qui s’intéresse à laCorée.A la fin de sa carrière, André Fabre

fut sollicité pour enseigner auKazakhstan. Il avait d’ailleurs le titrede Professeur émérite de l’universitéQyzylorda, université située dans laprovince éponyme.Rappelons qu’André Fabre occupadiverses fonctions administratives àl’INALCO et qu’il fut notamment

président de l’AKSE (Associationfor Korean Studies in Europe) de1987 à 1990. En 2000, lui fut aussiattribué le prix culturel France-Coréepour une meilleure connaissance enFrance de l’histoire de la civilisationdu Pays du matin calme. Ce prix luifut remis par M. Kwon In Hyuk alorsambassadeur de Corée en France.

Même si, après sa retraite, sonactivité diminua, il garda un certainnombre de liens avec d’anciens étu-diants, avec des institutions commele Centre culturel coréen, et il restasollicité pour donner des conférences,tant à Paris qu’en province, et parti-ciper à des colloques.Ces quelques lignes n’ont pas la pré-tention de retracer de façon exhaustivela carrière d’André Fabre ni de citertous ses écrits. Ce n’était pas unbavard, il parlait rarement de lui-même et ne faisait guère de publicitélorsqu’il publiait un article ou allaitfaire une conférence. On espèrecependant que tous ceux qui l’ontpeu ou pas connu pourront apprécierla place qu’il a tenue dans les étudescoréennes en France.

1 On notera que la création du diplôme decoréen se fit très rapidement. D’autreslangues eurent moins de chance. On peutciter, à titre anecdotique, le cas du mongol.Louis Rochet (1813-1878), qui fut le pre-mier enseignant de mongol, écrivit à l’ad-ministrateur de l’école (1er juillet 1874) puisau ministre de l’Instruction publique (20mars 1875) : «... c’est dire combien laconnaissance de ces deux langues [mongolet mandchou] deviendrait nécessaire au-jourd’hui que la Chine du Nord est ouverteau commerce, à nos Missionnaires et auxétudes scientifiques et littéraires. » Malgréces arguments, le diplôme de mongol ne futinstitué qu’en 1967, deux ans après l’ou-verture des relations diplomatiques entre laMongolie et la France.2 Il s’agit de populations coréennes qui vi-vaient dans la partie orientale de l’Union so-viétique (proche de la Corée - région duPrimorié (Vladivostok, Nakhodka) et deKhabarovsk) et dont Staline décida le dé-placement vers plusieurs républiques d’Asiecentrale afin de participer à leur développe-ment économique.

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André Fabre intervenant dans le cadre du colloque de l’AKSE, Berlin, 1993.

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En l’absence de manuels de coréen, André Fabre avait rédigépour nous aux Langues’O un recueil de textes courts et parfoisdrôles, des leçons de grammaire, un lexique de coréen, un lexiqued’idéogrammes... Nous suivions ses cours d’histoire, de linguis-tique, de structure de la langue. Même en cours, il était habitépar la constance de la recherche académique, c’était elle, la fidèlecompagne du chercheur, celle qui l’accompagnera jusqu’à sondernier jour, constante.

Notre premier lexique de 1500 caractères chinois est précieux declarté et de sobriété. Il n’y avait annexé que la préface au HunminJeongeum, signée en 1447 par le roi Sejong qui y offrait lehangeul au peuple coréen… et à nous aussi. Nous partions pourun voyage entre la pure simplicité de cet alphabet et l’infinie com-plexité de la langue coréenne. Les cadeaux que nous faisait notreprofesseur étaient sa passion pour le travail et un ardent etgénéreux sens de l’humanité.

Je me souviens avec bonheur de notre cours de traduction :c’était “La terre” de Pak Kyong-ni. Nous traduisions la vie deshommes, les récoltes d’automne et l’angoisse de la soudure, lesancêtres veillant sur la tranquillité de la maisonnée... Je revoismon professeur. Il lit le texte, sa traduction, il explique le vo-cabulaire, il écrit les caractères sur le tableau vert, il est infailli-ble, il écrit comme un dictionnaire -c’était avant l’ordinateur -,son poignet le guide, mécanique. Je regarde le tableau, copie surmon cahier, je pars dans le texte et m’arrête, je regarde MonsieurFabre, j’admire comme la passion s’est emparée de lui et commel’homme s’est laissé happer par la passion. Il continue d’écrire parcoeur sur le tableau vert.

Après l’université, nos échanges sont devenus épistolaires, cartesde voeux, nouvelles de nos familles, de nos travaux. Andrém’avait envoyé le catalogue des poteries catalanes, des souvenirsde son enfance. Il aimait être au courant de mon travail. Il mecommuniquait aussi les nouvelles des républicains espagnols ;ceux-ci, je crois, alors qu’il était très petit (en 1936) lui auronttransmis le germe de cette attirance fondatrice vers la terre et sesracines, la problématique de l’exil, de la faim, de la justice.

Il y a peu, j’ai reçu sa traduction de « Sur la route de Smolensk »de Boulat Okujawa que j’écoutais alors. Le poème-chanson finitainsi :

André Fabre, notre professeur.Dauphine Scalbert, céramiste Adrien Gombeaud, journaliste

La route de Smolensk,comme tes yeux à toi

Deux étoiles du soir d’un bleu,d’un bleu, d’un bleu.

Le dernier message d’André sur l’ordi était bref ( peut-être était-il sur la route de Smolensk ?) :« Que la poésie bourdonne longtemps encore. Amitiés. André ».

uelques souvenirs à partager avec Marie-Hélène,Ange, les étudiants...

e 20 juillet, je reçus sur mon téléphoneportable unpetitmot d’André Fabre :«Nepouvant voyager, je voyage dans ma tête enécrivant mes mémoires ». Préférant ne pasévoquer son état de santé, il avait porté àmaconnaissance un nouveau projet : l’histoirede sa vie, envisagée comme un voyage. J’ap-pris sa mort onze jours plus tard et je prisaussitôt le train pour Perpignan, songeantà ma première rencontre avec le grandAndré Fabre. Le début d’un voyage…C’était il y a une douzaine d’années. En cetemps-là, je l’appelais encore MonsieurFabre. Devant le tableau noir, comme àchaque rentrée, il commença son coursainsi : « Le coréen, c’est de l’acharne-ment».Avec ses sourcils épais, ses cheveuxblancs hérissés, il avait l’air sévère. Pourtant,lorsqu’on passait un oral avec lui,MonsieurFabre était souvent aussi nerveux que nous.Un été, nous nous sommes retrouvés avecquelques étudiants dans un petit café deSéoul. Il avait posé sur la table son précieuxcarnet. Le touriste lambda prenait desphotos, Monsieur Fabre, lui, notait desexpressions. Grammairien pickpocket, ilvolait des phrases dans le métro ou à l’arrêtdu bus. On retrouverait plus tard cesphrases à Paris, écrites à la craie sur letableau. Il s’amuserait à les disséquer enverbes, sujets, prépositions… à y puiser denouvelles onomatopées toujours plus sur-prenantes. Ce qui l’émerveillait surtout,c’était de découvrir des constructions nou-velles. Il aimait cette langue en perpétuelleévolution qui ne se laissait pas enfermerdans une grammaire définitive.Une languequi le poussait à « l’acharnement ».Après un voyage très important pour lui auKazakhstan,Monsieur Fabre prit sa retraite.A l’initiative de Patrick Maurus, il donnason « dernier cours » dans une salle bon-dée. Sur l’esplanade de l’université Dau-phine, je lui demandais ce qu’il comptaitfaire de son temps. Il me répondit : « J’aiencore des comptes à régler avec la guerred’Espagne». Il passa la porte de l’universitésans se retourner.Quelques semaines plus tard, je reçus unecarte postale de Perpignan,monMaîtremepriait de l’appeler désormais André. Ayantrencontré Monsieur Fabre à la fin de sacarrière, j’eus ainsi le privilège de devenirl’ami d’André. Nous nous voyions lorsqu’ilmontait à Paris, dans des cafés de St.Michelou dans des restaurants chinois de Belle-ville. Nous nous écrivions régulièrement. Ilavait une calligraphie merveilleuse, une

écriture à la fois souple et énergique, dontil était très fier. Cependant, je crois que j’enappris beaucoup plus sur lui et sur sa voca-tion de coréanologue lors de promenadesdans sa ville de Perpignan. Au fil des ruesqu’André avait tant fréquentées dans sonenfance, nous basculions sans prévenird’une artère commerçante bourgeoise duquartier St. Jean à cette fameuse rue gitanede l’Anguille où le linge flotte au vent, oùl’on bavarde au pas des portes en regardantles mômes fumer des clopes. Derrièrela ville, s’étendent les Pyrénées et le montCanigou. Au-delà commence l’Espagne.André adorait le village de Salses et saforteresse, les terrains de jeux de sa jeunesseoù il emmenait désormais ses petits-enfants.Il me racontait qu’il y avait là autrefois unmarais. D’un côté du marais, on parlaitcatalan. De l’autre, s’ouvrait le mondeoccitan. Je compris alors qu’avant dedevenirMonsieur Fabre, le grand spécialistede la culture et de la langue coréenne,André avait déjà vécu entre les frontières. SiMonsieur Fabre avait consacré sa vie à laCorée, un pays plusmarqué qu’aucun autrepar les divisions, c’est parce qu’André étaitd’abord catalan. Il me raconta les feux de laSt. Jean, quand chaque 23 juin,Catalans duNord et du Sud transforment le Canigouenunphare étincelant dans la nuit.Aupetitmatin, le vent disperse les dernières cendres.Chacun rentre chez soi, sur son versant desPyrénées. André avait choisi la Corée car ilse sentait profondément attaché au peuplecatalan qui partage une même langue, unemême culture, mais qui vit des deux côtésd’une frontière Nord / Sud. En Corée, ildevait retrouver une frontière plus infran-chissable encore, un Nord et un Sudtranchés à la hache. Quant à la guerred’Espagne, l’histoire de sa famille lui avaitenseigné les lâchetés, les trahisons qu’impli-quent les conflits de ce genre. En étudiantlaCorée, il avait croisé lesmêmes bassesses,la même violence. Son « Histoire de laCorée » est donc un ouvrage aussi person-nel qu’académique. A travers la Corée,André aborde la fatalité des divisions,la complexité, la douleur des frontières, lecourage et la peur, l’absurdité des guerresfratricides. Avait-il passé tant d’années enCorée pourmieux comprendre son pays etles siens ? En le voyant s’éloigner sur lesplanches de l’universitéDauphine, j’ai long-temps cru qu’après son dernier cours,Mon-sieur Fabre rentrait enfin chez lui. Peut-êtrequ’André n’est jamais vraiment parti.

L’homme sans frontières

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Ecrit parAndré Fabre

àRivesaltes en 2008

Rituel Final

SélèneMoki faisait des pointes. Ilétait une danseuse étoile à titre pro-visoire, mais il n’avait guère le choixs’il voulait attraper la boîte deconserve qui se trouvait, comme parhasard, sur le sommet du rayonnageinaccessible à la superette.

Voilà, la proie était dans le caddy,le caddy avait franchi la caisse, lajournée avait été bonne, il avait bienrigolé avec les copains au café. Lacaissière lui rendit son sourire et ilrentra chez lui.

Il descendit lentement l’échelle duNautilus. Le silence l’accueillit.Le sous-marin était totalementvide, l’équipage était mort depuislongtemps. Il se laissa tomber dansle fauteuil et regarda à traversl’énorme hublot de sa mémoire. Despoissons passaient en bandes, en ban-dits, en trains de déportés, de pri-sonniers, de personnes déplacées. Ilssoulevaient la vase etSélèneMokivit apparaître des rails ivres de ca-hots sous les armes à cliquetis.

Sa grosse maison noire d’où ne sor-tait aucune voix humaine étaitcomme une épave oubliée.

uand le Centre culturel coréen m’a sollici-tée afin d’écrire un petit article en hommageà André Fabre, j’ai hésité. André était unhomme pudique, discret qui détestait lesfeux des projecteurs. Ne s’était-il pas exilé àPerpignan pour quitter Paris et ses monda-nités ? « La vieille grenouille que je suis aregagné son puits et est bien décidée à y de-meurer tout au fond. » Après réflexion, je mesuis laissée convaincre. Après tout, depuis lepremier jour de 1980 où j’avais fait saconnaissance, il n’avait jamais cessé de mesoutenir en tant que professeur de coréenpuis en tant qu’ami. « Suivez votre instinctet vos convictions quoi que les esprits cha-grins puissent en penser ». J’ai donc accepté,certaine de son approbation posthume.

D’ailleurs, la mort n’était pas un sujet tabou.André avait relu récemment « Ce cher dis-paru » d’Evelyn Vaughn, où « l’auteur semoque avec raison de la bienséance funé-raire et des défunts trop gominés, une cartede visite coincée entre les gencives et les lè-vres pour qu’ils partent avec un sourire éter-nel. » Et conclu : « l’anticonformisme est unbien nécessaire. »

Mais où commencer ? J’ai ouvert mon ordi-nateur et suis restée ébahie de l’énorme cor-respondance que je découvrais : près de 350e-mails en moins de deux années… Dese-mails gais, tendres, érudits, ironiques,caustiques, relus avec émotion et admiration.Au cours des années, André Fabre, le prof.,était devenu Sélène Moki, un ami proche etun confident. Et aujourd’hui encore, le soir,quand la nuit tombe, la tentation de repren-dre nos discussions d’ « oiseaux nocturnes,passionnés et brisés » est toujours là, àportée de clavier et de souris…

Son départ pourtant, André me l’avait an-noncé, de vive voix, un soir de juillet.« Juliette, votre roman Les larmes bleues seramon dernier livre. De tous les livres que j’ailus, c’est lui que j’emporterai avec moi » Puisil avait ri. « Je ne suis plus qu’un tubedigestif et un champ de tir pour missiles àinsuline mais, rassurez-vous, je garde lemoral et suis bien décidé à ne pas me laisserabattre et contre-attaquer la maladie. Unguérilléro de la guerre d’Espagne a écrit qu’ilne faut jamais entrer dans le schéma où onest le lapin pourchassé par le chasseur, maisremonter vers le chasseur et lui en faire voirde toutes les couleurs… »

Nous avions prévu de nous retrouver enaoût à Perpignan, et de partager, en compa-gnie de ses chats Mayday, « la séductrice auxgrands yeux verts à la Garbo » et Blitz« le matou-mec catastrophe », un dînercatalan : « côtelettes d’agneau au thym et,pour dessert, des figues noires , des « coll desenyora » qu’on peut traduire par « cou degente dame ». Des figues au « cou » si effiléqu’elles faisaient rêver les paysannes cata-lanes plutôt baraquées, comme dans lestableaux de Miro ». André devait aussi, si latramontane le permettait, me montrer lesPyrénées au lointain, et me faire découvrirLux Aeterna de György Ligeti un composi-teur qu’il aimait beaucoup pour « son talentet son anticonformisme ».

Sans doute aurions-nous parlé des heures.Peut-être pas de Corée, mais de musique, delittérature. Ou peut être de « son obsessionla plus ancienne », la guerre d’Espagne. « Elleremue toujours en moi des sentiments trèsforts qui me portent parfois au bord deslarmes », ou encore des analogies entre lemassacre de Katyn et celui de Paracuellos delJarama, « la Blitzkrieg s’est-elle inspirée de laguerre d’Espagne ? », ou peut-être aussi de sarecherche sur la naissance des nationalismesen Extrême-Orient.

Mais nous aurions avant tout abordé notrepassion commune, l’écriture. Car derrièrel’érudit, le chercheur, vivait en silence SélèneMoki, le poète… « Ecrire pour moi est plusqu’une thérapie, c’est prouver qu’on existeface au rouleau compresseur des idéesreçues, des clichés et des bonnes intentionsqui, en fait, n’en sont pas. Je ne suis pas uncoureur de fond qui écrit roman sur roman,mais, dans mon petit carré, j’aime écrire,j’aime écrire le français. Et pourtant, le cata-lan que me parlaient ma nounou et magrand-mère est toujours resté pour moi lalangue de la tendresse et, quand je ne mesens pas bien, je m’enferme à double tour,mets ma chaîne au maximum et écoute deschansons catalanes… Ecrire en catalan restemon rêve secret. Ça me fait penser à l’his-toire de l’œuf et de la poule. Qui a com-mencé ? Dans mon cas, c’est un peu plussimple : si je réussis à écrire, français oucatalan, la mort sera le dessert. Mais si onsert la mort en entrée…. »

A défaut de figues à long cou, la mort futdonc le dessert pour Sélène Moki.

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Les figues et la mortJuliette Morillot, écrivaine

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Un symbole de la Corée

ans ses écrits destinés à insufflerun sentiment de dignité et de fierté

à ses compatriotes tombés en 1910sous le joug de la colonisation japo-naise, l’historien et poète modernisteChoe Nam-seon (1890-1957) tente deleur faire prendre conscience de lagrandeur de leur peuple. Il aime à ceteffet citer l’ouvrage chinois intituléShanhaijing, « le Livre des monts et desmers », recueil de données géogra-phiques et de légendes de l’antiquitéchinoise qui mentionne la Corée dansles termes suivants : « Les habitants dece pays des sages sont parés d’un habitet d’un chapeau élégants et portent unsabre. Ils se font servir par deux grandstigres au magnifique pelage. »

D’après Choe Nam-seon – et il n’estpas le seul à le dire – le tigre constituevéritablement un symbole de la Corée.Les premières traces de son existencedans la péninsule coréenne remonte-raient à la préhistoire. L’expression « dutemps où les tigres fumaient… » équi-vaut à « vieux comme Mathusalem »dans la langue française. En mêmetemps que cette ancienneté dans la ré-gion, leur grand nombre explique sansdoute la place que ce seigneur des fé-lins occupait, jusqu’à une date ré-cente, dans la culture coréenne, que cesoit dans la peinture ou dans la littéra-ture. On en aurait encore vu au débutdu XXe siècle s’aventurer dans le do-

maine du palais royal et il existaitmême, paraît-il, une unité spéciale dontla mission était de les capturer. Maisque les touristes se rassurent : de nosjours, les tigres se font plus discrets etil faut se rendre au Grand Parc deSéoul, au sud de la capitale, pour as-sister au repas des fauves qui bondis-sent contre la paroi rocheuse de leurenclos pour saisir les quartiers deviande qu’on leur jette, à la grande joiedu public jeune et moins jeune.Le tigre est considéré par les Coréenscomme le roi de tous les animaux,comme l’est le lion en Occident. Saférocité lui vaut les nombreuses re-présentations que l’on trouvait dans leshabitats traditionnels et qui étaient cen-sées jouer un rôle d’exorcisme et deprotection. Sur les portails des maisons,on collait très souvent des dessins detigre et de dragon ou, à défaut, les idéo-grammes qui les désignent, c’est-à-direho (hu en chinois) et yong (long) – ca-ractères qu’il n’est d’ailleurs pas rare detrouver dans les prénoms masculins.Ces animaux, symboles d’autorité et depuissance, figuraient aussi comme mo-tifs dans les broderies des tuniques queportaient les hauts fonctionnaires. Par ailleurs, une dent ou une griffe dutigre pouvait servir de talisman. Si sapeau était très appréciée en tant qu’élé-ment décoratif, des archives nous ap-prennent que la médecine traditionnelletirait autrefois bénéfice de tous lescomposants de son corps, tels que

chair, poils, sang, yeux, dents, or-ganes génitaux... et même de ses excré-ments. Mais le tigre est aussi enCorée un animal sacré, représenté àcôté d’un sage dans les peintures àcaractère syncrétique qui ornent fré-quemment les temples bouddhiques.

Un roi des animaux aux caracté-r ist iques anthropomorphes

Fort et rapide, le tigre reste indétrôna-ble dans l’imaginaire coréen, dans le-quel il apparaît souvent doté d’unesprit ouvert et d’une humeur joviale. Hodori, mascotte des Jeux Olympiquesde Séoul de 1988, et Wangbomi, sym-bole de la ville de Séoul de 1998 à unedate récente, constituent deux représen-tations populaires inspirées d’une longuetradition picturale mettant en scène untigre enjoué.

Car l’animal n’est pas seulementsacré, on lui confère aussi destraits de comportement hu-mains. Sa proximité dumonde de l’homme –l’image d’un voya-geur qui ren-contre unt ig reest

Le tigre chez les Coréens :un personnage aux multiples facettes

Par JEONG Eun-Jin, docteur ès le_res, chercheuse en coréanologie, traductrice, journaliste

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fréquente dans les récits coréens, pro-bablement parce qu’elle reflétait autre-fois une certaine réalité – en a fait unêtre presque banal, quoique pourvud’attributs complexes, contrairement audragon, créature fabuleuse jouissantd’une suprématie absolue, supérieure àcelle du grand félin. On peut supposerque cette volonté d’humaniser le tigre,bien réel lui, voire de le tourner en ri-dicule, a été la conséquence d’un désirde conjurer la peur qu’il provoquait.

En fait, tout a commencé avec le mythede Dangun, tel qu’il apparaît dans leSamguk yusa, « Evénements mémora-bles des trois royaumes », un ouvrageécrit à la fin du XIIIe siècle. Il y est écritque Hwanung, fils du dieu du ciel, des-cend sur la terre dans le but de la gou-verner. A son arrivée, il rencontre unetigresse et une ourse qui veulent deve-nir humaines. Hwanung leur fait subirune épreuve en leur donnant de l’ail etde l’armoise, dont elles devront senourrir exclusivement pendant centjours. La première capitule quelquesjours plus tard, alors que l’ourse, elle,

fait montre d’une grande endu-rance. Elle tient

jusqu’au bout de l’épreuve et se trans-forme en une femme qui va donner àHwanung un fils appelé Dangun ; cesera le fondateur légendaire de laCorée.

Les Coréens seraient donc les descen-dants d’une ourse, non d’une tigresse.Pourtant, fort mais peu gracieux, leplantigrade est moins populaire que letigre dans le folklore national. Ce der-nier, en revanche, a bénéficié des res-sources d’une imagination plus riche etplus complexe. Dans les proverbes ani-maliers coréens, par exemple, il occupela deuxième place (10,8%), tout de suiteaprès le chien (13,3%)1. En France,« quand on parle du loup, on en voit laqueue », mais en Corée, c’est plutôt « letigre (qui) s’amène quand on parle delui ». Si « l’homme laisse son nom aprèssa mort, le tigre sa peau », il est notoirequ’« un hôte de mai et de juin fait pluspeur qu’un tigre », parce que les récoltesétant épuisées, on n’a plus rien à lui offrir.

Mais c’est surtout dans les récits, orauxou écrits, que le tigre est ridiculisé etqu’il apparaît à la fois craintif et naïf.Le Tigre et le Kaki, par exemple, estune histoire encore très prisée de nosjours par les enfants coréens. Un tigreaffamé s’approche d’une maison. Il en-tend de l’autre côté de la porte un en-fant pleurer et sa grand-mère essayer dele calmer. Elle profère d’abord des me-naces : « Si tu continues à pleurer, çava faire venir un tigre », mais le petitn’est point impressionné. Elle finitalors par lui dire : « Tiens, voilà unkaki. Cesse de pleurer ! », et c’est lesuccès instantané. Le tigre, qui a toutentendu sans voir la scène, se dit quece kaki doit être un personnage autre-ment plus redoutable que lui pour quel’enfant ait aussitôt obtempéré, et ils’enfuit à toute allure ! Dans une autre

histoire tout aussi célèbre, le tigre se faitberner par un lapin qu’il a attrapé et quilui propose en hors-d’œuvre des gâ-teaux de pierre tout chauds.

Plus confucéen qu’un confucianis te

Mais le tigre se voit parfois attribuerdes vertus humaines, voire confu-céennes. Ainsi, il n’est pas ingrat. Unhomme extrait une épingle à cheveuxde la gueule d’un de ces fauves. Celui-ci,pour le remercier, lui indique un en-droit, probablement favorable selon lepung su (feng shui, en chinois). Quand,plus tard, son père décède, l’hommel’enterre à cet emplacement et c’estpour lui le début d’une vie faste. Dansune autre histoire, témoin d’un acte depiété filiale, le tigre oublie sa nature vo-race : un fils part à la recherche de poils

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La Corée et les Coréens

Peinture coréenne anonyme, 18e siècle

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de sourcils de tigre, censés guérir la ma-ladie dont souffre sa mère. Celui qu’ilfinit par trouver est sur le point de bon-dir pour le dévorer, quand l’homme semet à lui expliquer la situation et le sup-plie d’accéder à sa requête. Emu par cegrand courage que motive la piété filiale,l’animal le prend alors sur son dos pourle raccompagner jusque chez lui. Letigre est également, dans l’imagerie co-réenne, sensible à l’esprit de sacrifice.Ainsi, un homme rencontre un moinequi lui annonce que le fils unique d’uncertain Kim sera mangé par un tigre quipourra alors se métamorphoser en hu-main. Il ajoute que, si cela se sait avant,ce sera lui, à qui il a fait cette révélation,qui sera sacrifié à la place du jeune Kim.En proie à un douloureux dilemme,l’homme finit par tout raconter à ce der-nier. Le tigre se présente en effet devantlui, mais lui laisse la vie sauve, en disant :« Tu es mon ennemi car tu m’as faitrater l’occasion de devenir humain, maistu es un homme véritable, comme onn’en voit plus beaucoup… »

C’est au tigre que Pak Jiwon (1737-1805) – une des figures majeures dumouvement appelé sirhak qui, auXVIIIe siècle, tente en Corée de moder-niser à différents échelons le systèmepolitique et social – confie le soin deporter un regard critique sur la classedominante de son époque, dans Hojil,« la Brimade du tigre », une des nom-breuses histoires brèves que contientson Yolha ilgi, « Journal de Jehol ».Celle-ci raconte qu’un jour, un tigrecherche une proie humaine pour sondîner. On lui propose un médecin ou unchamane, mais il les juge l’un commel’autre incomestibles, parce qu’ils ontprobablement ôté la vie à de nombreusespersonnes, le premier en testant sur ellesce dont lui-même n’était pas sûr et le se-cond en leur faisant de fausses pro-

messes. L’évocation d’un « confucianisteaux cinq saveurs » fait enfin saliver lefauve. Il en rencontre un de renom, entrain de patauger dans un tas d’excré-ments dans lequel il est tombé alors qu’ilfuyait devant cinq jeunes gens, dont lamère, une veuve à la petite vertu, avaitavec lui un rendez-vous galant. En sepinçant le nez, le roi des animaux lui faitalors un long sermon dans lequel il luireproche en particulier son hypocrisie.

Le tigre sera à l’honneur en l’an lunaire2010, qui commencera le 14 février pro-chain du calendrier solaire (sous le signede la Saint-Valentin, donc). Parmi les

douze signes de l’astrologie chinoise, cer-tains sont particulièrement appréciés desCoréens, car jugés fastes – leur annéevoyant même une croissance du nom-bre des naissances et des mariages ! Toutcomme le dragon ou le cheval, le tigreest de ceux-là, sauf peut-être… pour lesfemmes, dont la venue au monde placéesous ses auspices annonce une destinéemouvementée ou, en tout cas, selon unecroyance machiste, un gi (qi en chinois)jugé trop vigoureux pour être porté parle sexe dit faible.

Bonne année du tigre à tous… et àtoutes !

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1 D’après O Segil, « Le tigre tel qu’il apparaît dans la littérature orale », cité par Seong Uje, « Que signifie le tigre pour les Coréens ? », Sisa journal, n. 428, 08/01/1998.

Sansin, l’esprit de la montagne, est souvent représenté avec un tigre à ses côtés (peinture anonyme, musée Gahoe de Séoul).

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oréen de naissance et Allemand d’adop-tion, le compositeur Isang Yun (1917-

1995) s’est éteint en Allemagne où il a passétrente ans de sa vie. Son œuvre considérable(plus de cent opus) exprime la synthèse entrel’Orient et l’Occident : il imprègne sa pro-fonde connaissance des techniques modernesde composition à la vision récurrente de lamusique traditionnelle de son pays dont ilperpétue l’esprit par le biais de la philosophieséculaire du taoïsme. La vie d’Isang Yun ne fut pas un longfleuve tranquilleRien ne prédisposait Isang Yun à connaître lesbouleversements qu’il a vécus. Né le 17 sep-tembre 1917 près du port de Tongyong enCorée, fils de l’écrivain Kihyon Yun, sa vie au-rait pu se dérouler selon un schéma classique,loin des tourments dont il sera l’objet. Samère, enceinte, rêve d’un dragon qui s’envolevers le ciel, ce qui, pour les Coréens, signifieune existence bénie des dieux. Pourtant, ledragon est blessé et n’arrivera jamais à son but.Est-ce la prémonition d’une carrière qui seconstruira au gré des vicissitudes politiques,au risque même de porter atteinte à ses jours ?Très tôt, il se montre intéressé par les sons quil’entourent, ceux de la mer toute proche et desbruits de la nature. La rencontre avec l’orgued’une église déclenche sa vocation et il entre-prend des études de violon puis de violon-celle. Dès l’adolescence, Yun compose desmusiques pour films muets, mais l’écoute duQuatuor à cordes de Maurice Ravel lui ouvrirades horizons insoupçonnés. Il n’en continuepas moins d’explorer la musique de son pays,en particulier les Pansori qui sont des récitschantés des heures durant par une seule voix.Sa précocité le destine à la musique dont ilperfectionne l’apprentissage au Conservatoirede Séoul auprès d’un professeur formé en Al-lemagne à la musique post-romantique de Ri-chard Strauss et à celle, plus conceptuelle, dePaul Hindemith. Son père le contraint à par-tir au Japon en 1935 pour y poursuivre desétudes de commerce, mais en réalité il s’ins-crit au Conservatoire d’Osaka où il acquiertdes bases dans le domaine de la composition.Rentré en 1937 en Corée à la suite du décès

de sa mère, il enseigne à l’Ecole de Musiquede Tongyong mais repart au Japon pour étu-dier auprès d’Ikenouchi Tomohiro, féru demusique occidentale et plus particulièrementfrançaise. Les années de guerre le mobilisenten Corée au nom de la défense de son paysoccupé, sous domination japonaise. Résistant,il est fait prisonnier politique en 1944 mais re-trouve des activités de 1945 à 1956 commedirecteur d’un orphelinat, puis professeur demusique et lecteur à l’Université de Séoul,tout en fondant un quatuor à cordes (il en estle violoncelliste). En 1950, au moment du dé-clenchement de la guerre de Corée, il épouseSoo-Ja Lee, professeur de coréen et enseignel’histoire de la musique à l’Université de la villeportuaire de Busan tout en créant une asso-ciation de compositeurs mise en sommeil enraison des événements. De 1950 à 1953, il secontente de publier des séries de mélodiessous le titre de « Dalmoori », écrit des comp-tines pour enfants et achève une Première So-nate pour violoncelle et piano tout en rédigeantses premiers écrits théoriques qui témoignentd’un réel talent d’écrivain dont un roman ul-térieur gardera la trace. Dans un article inti-tulé : « Problèmes de composition de lamusique d’aujourd’hui » (1954), il défendl’importance de la musique traditionnelle co-réenne comme moteur essentiel de la com-position et sa participation à de nombreusesmanifestations attire l’attention. En 1955, avecson Premier Quatuor à cordes et un Trio pourpiano, il obtient le Prix de la Culture de Séoul.Conscient de sa méconnaissance profondede la création contemporaine occidentale, enparticulier la musique dodécaphonique – sesœuvres restent en effet assez proches de Ri-chard Strauss –, il décide en 1956, à l’âge detrente-neuf ans, de partir en Europe, laissantfemme et enfants. Sa première étape est Parisoù l’un de ses amis étudie le violon. AuConservatoire, il suit les cours de Tony Aubin(composition) et Pierre Revel (théorie) maisne peut poursuivre en raison de difficultés fi-nancières. Toutefois, ce bref séjour lui per-mettra de s’ouvrir à un nouveau monde –celui de Messiaen, Jolivet, Dutilleux, Tans-mann, Sauguet …– et de satisfaire son amourdes arts plastiques dans les musées de la capi-

tale. Il s’installe ensuite en Allemagne pour yrencontrer Joseph Rufer (connu en Coréepar une traduction de son livre « La compo-sition du dodécaphonisme ») et décide devivre à Berlin jusqu’en 1959 où il fréquenteBoris Blacher qui jouera pour lui le rôle d’unmentor affectueux et formateur, amoureux dela culture asiatique et de la Chine où il avaitrésidé. De cette rencontre naît le sentimentque la culture coréenne peut être un fermentpour son œuvre future. Il inscrit sa religion (lebouddhisme et à travers lui le taoïsme) dansses propres modes de pensée. Deux œuvresfondatrices (Fünf Klavierstück de 1958 etMusik für sieben Instrumente de 1959) sont res-pectivement jouées aux Festivals Gaudeamusde Billthoven aux Pays-Bas et de Darmstadten Allemagne. Enregistrées par la télévisionde Francfort et transmises par les chaînes detélévision européennes, Yun reçoit la com-mande d’une pièce symphonique du respon-sable de la musique contemporaine à latélévision de Berlin. En 1960, il s’installe àFreiburg où sa femme le rejoint l’année sui-vante. Malgré des conférences sur les mu-siques asiatiques et des compositions pourdiverses chaînes allemandes (il participe à denombreux concours sans obtenir les récom-

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Isang Yun : un exemple d’œcuménisme musicalLa Corée et les Coréens

Par Michel LE NAOUR, critique musical

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penses qu’il attend), il peine à sortir des en-nuis pécuniaires. Cependant, une pièce inti-tulée Loyang pour orchestre de chambre(1962) reçoit un accueil très favorable de lapart du public.

Un événement en 1963 va faire basculer savie. Il décide de se rendre avec sa femme enCorée du Nord pour y rencontrer un amidont il n’a plus de nouvelles depuis la fin de laguerre de Corée, et surtout, il rêve de décou-vrir in vivo l’une des merveilles de l’art rupes-tre coréen : le Sasindo de Gangseo (datantdu VIe siècle) qu’il connaissait par une repro-duction fragmentaire. Fasciné par cette œuvrefondée sur la théorie des cinq éléments (fer,bois, eau, feu et terre) représentée par des ani-maux symboliques (dragon, tigre, tortue, ser-pent, phénix), il en conservait pieusementchez lui une représentation depuis de longuesannées. De retour de ce voyage, il obtient laBourse de la Fondation Ford qui lui permetde vivre de son propre travail à Berlin et deréunir sa famille en rapatriant ses deux enfants.En 1967, le régime dictatorial du PrésidentJunghee Park, venu au pouvoir par un coupd’état six ans plus tôt, le fait enlever par sa po-lice secrète sous le prétexte fallacieux d’être unespion à la solde de la Corée du Nord.Condamné à mort puis à la détention à vie, ilest libéré deux ans plus tard grâce à la pressioninternationale et à l’intervention de nombreuxmusiciens (Ligeti, Stockhausen, Stravinski,Karajan, Klemperer, Menuhin). Le pianistechilien Claudio Arrau annule même son réci-tal à Séoul en signe de protestation. Désor-mais, durant les vingt-six ans qui lui restent àvivre, il adoptera l’Allemagne commedeuxième patrie et en obtiendra la nationalitéen 1971. Professeur de composition auConservatoire de Hanovre, il occupe la mêmefonction à l’Académie des arts de Berlin entre1970 et 1985. S’efforçant de traduire entermes de technique occidentale les pratiquesd’exécution et de poétique asiatiques, il n’enconserve pas moins pour son pays natal et sonpeuple un attachement qui se manifeste parun engagement pour la démocratisation de laCorée du Sud et la réunification de son paysainsi que l’abolition de la torture et de la peinede mort. Membre des Académies de Beaux-Arts de Hambourg et Berlin et de l’Académieeuropéenne des Arts et des Sciences à Salz-bourg, membre honoraire de la Société in-ternationale de musique contemporaine,docteur honoris causa de l’Université de Tü-bingen (1985), récipiendaire de la Médaille

Goethe du Goethe-Institut à Munich, il ac-quiert une réputation internationale qui s’ex-prime en particulier dans la composition desa Première Symphonie (1983) pour le cen-tième anniversaire de l’Orchestre Philharmo-nique de Berlin qui sera à l’origine de l’écriturede quatre autres Symphonies entre 1984 et1987. La Cinquième d’entre elles, sur despoèmes de Nelly Sachs, se présente telle unevaste fresque avec baryton solo (Dietrich Fi-scher-Dieskau en sera le soliste) : « une ode àla paix dans laquelle on peut voir un prolon-gement au Chant de la Terre de Mahler »(Alain Pâris). Il meurt à Berlin le 3 novembre1995 à l’âge de soixante dix-huit ans avecle sentiment, comme l’écrivait MarcelProust que : « La vérité suprême de la vieest dans l’art ». Enterré dans une tombed’honneur fournie par le Sénat de sa villed’adoption, Isang Yun, plus que tout autrecompositeur, a été un passeur entre l’Orientet l’Occident, en portant au plus haut degrél’idée qu’au-delà des frontières territorialeset humaines, le monde, entendu comme uncosmos, est inclassable dans une catégoriearistotélicienne. « La vérité intérieure est, enréalité, une musique du cosmos. Réaliste, j’aieu deux expériences… Pour moi, il y a l’Asiedu passé combinée à l’Europe d’aujourd’hui.Mon but n’est pas celui lié à une connexionartificielle, mais je suis naturellementconvaincu de l’unité de ces deux éléments.Pour cette raison, il est impossible de classerma musique comme étant soit européenne,soit asiatique, je suis exactement au milieu…Dans le cosmos, il n’y a ni Est, ni Ouest. »(Conversation avec Bruce Duffie en juillet1987).

Une œuvre protéiforme qui reste à explorer

« Le caractère narratif et descriptif propre à lamusique occidentale échappe à l’esprit d’uneœuvre qui se fait de plus en plus abstraite etprivilégie les degrés de tension, la densitésonore liés au principe de la dialectiquetaoïste. A partir de motifs, d’une note ou d’untimbre, il éclaire le flux musical sous diffé-rentes facettes. » (1). Pourtant, Isang Yunprétendait qu’au fur et à mesure de son par-cours créateur, son œuvre devenait de plus enplus compréhensible et que la qualité de sym-pathie pour l’humanité en général et pourl’homme en particulier y était de plus en plusprésente. S’il ne reconnaît plus les œuvres an-térieures à son arrivée en Europe comme fai-sant partie de son langage personnel sujet à

de multiples avatars, sur la centaine de parti-tions qu’il a publiées, il rejette tout ce qui re-lève d’une première période marquée par lepost-romantisme et refuse de réviser lecontenu de ses œuvres antérieures, bien qu’ilait conservé au plus profond de sa mémoireses souvenirs d’enfance et les caractèresessentiels de la musique traditionnellecoréenne. La première manière qu’il recon-naît se conçoit à travers un mariage entre latechnique sérielle et le langage expressionnisteoù les instruments occidentaux ont la meil-leure part. Musique pour sept instruments(1959), le Quatuor à cordes n° 3 exécuté à Co-logne en 1960, Colloïdes sonores pour cordes(1961) Loyang (1962), Concertino pour accor-déon et quatuor à cordes (1963) et des piècespour orchestre comme Symphonische Szenen(créé en 1961 à Darmstadt), Fluktuationen(1964), Réak pour orchestre (entendu à Do-naueschingen en 1966), sont typiques de samanière fondée sur la technique sérielle, uneorchestration dense agrémentée d’instru-ments coréens. Tuyaux sonores pour orgue(1967) fait appel à des procédés inédits etaventureux, le rapprochant de ses contempo-rains Ligeti, Kagel et surtout Messiaen. D’au-tre part, ses opéras joués à Nuremberg, Kiel,Munich à partir de sujets orientaux décon-certent le public occidental, aussi bien que DerTraum des Liu-Tung (1965-1968), Di Witwedes Schmetterling (1968), Geisterliebe (1969-1970), et surtout Sim Tjong (1971-1972), lé-gende coréenne créée aux Jeux olympiquesde Munich. Glissés pour violoncelle (1970),Dimensionen (1971), annoncent un retour àdes formes plus classiques et un intérêt mar-qué pour la forme concertante et le tempéra-ment tonal. Le langage sériel dont il fait usagen’empêche pas sa musique de sonner parfoiscomme celle de Richard Strauss ou de com-positeurs néo-classiques. Parmi les concertoscréés par les plus grands solistes du moment,il faut retenir : le Concerto pour violoncelle et or-chestre (1976), par Siegfried Palm au Festivalde Royan, Concerto pour flûte (1977), par Karl-heing Zöller, le Double Concerto pour hautboiset harpe (1977) par Heinz et Ursula Holliger,le Concerto pour hautbois (1990), le Concertopour clarinette (1982) et 3 Concertos pourviolon (1981-1986-1992). Yun applique enréalité l’expérience du concerto pour violon-celle à divers instruments avec une volontécertaine de reproduire ce qui en fit le succès.Le caractère un peu répétitif forme un corsetimmuable dans lequel chaque instrument selove comme dans un écrin mouvant. Pro-

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gressivement, le timbre occupe une place dé-terminante dans sa technique de compositionet le lien qui existe entre son œuvre et celle deClaude Debussy se fait de plus en plus pré-gnant : « Ce sont Bartók, Strauss et Debussyqui m’ont beaucoup influencé pourconstruire mon langage musical. Le rythmede Stravinski me paraît trop primitif, l’idée etles pensées raisonnables de Schoenberg meparaissent trop intellectuelles. Mais la couleurde Debussy me plaît beaucoup. Je pense quela musique de Debussy n’est pas splendide ex-térieurement, mais elle a une lumière inté-rieure. Son langage est à la fois sensible etfroid. De cette froideur qui garde une dis-tance. Ces caractères peuvent correspondre àma musique, c’est-à-dire la spatialité et leconcret du son, le rapprochement et l’éloi-gnement imaginaires, le lien harmonieuxentre lumière et ombre, le mouvement dansl’immobilité, etc. Le calme et la tranquillité dela musique de Debussy peuvent se retrouverdans ma musique ; ainsi la sienne et la miennesont-elles semblables par cet aspect. »(Conférence donnée en Allemagne, juillet1986). « A la différence des tenants de la sériepure et dure, Yun adapte son langage aux be-soins expressifs, et sa grammaire enfreint sou-vent le principe rigoureux du système parun usage souple, voire de plus en plus adouciqui tient compte du raffinement propre à lamusique post-impressionniste française. »(2). On sait qu’en 1889, lors de l’Expositionuniverselle de Paris, Debussy découvrit les ins-truments et les musiques indonésiens qui of-frirent un instrumentarium révolutionnairepar la combinaison des timbres, les réson-nances harmoniques très riches. Sa décou-verte de nouveaux territoires sonores, la miseen perspective de la gamme par tons permi-rent une représentation plus synoptique dumonde et furent un déclencheur pour toutela musique occidentale. L’exotisme, l’orienta-lisme, se fondèrent désormais sur des identitésculturelles où le métissage, le syncrétisme, re-posaient sur la multiethnicité en changeant lerapport entre Occident et Orient. La visionde Yun dépasse cette simple prise deconscience, et en dehors des formes occiden-tales, il n’a jamais cessé de se rattacher à la tra-dition et aux instruments dont elle est issue :en témoigne Garak pour flûte et piano(1963), Piri pour hautbois ou clarinette(1971), Gong-Hu pour harpe et cordes(1984), Mugung-Dong pour vents, percussionet contrebasses (1986) et Sori pour flûte(1988), souvenirs visuels et sonores de son

enfance, des chants de pêcheurs et des chantsdu chamanisme. Les principes qui le motiventpartent d’une conception où le son existe déjà.Dans une conférence donnée à Salzbourg en1993 intitulée Poetik, il s’explique à ce sujet :« Nous autres Asiatiques pensons que le sonest déjà présent dans l’univers et l’espace. Lesgens peuvent écouter les sons de la nature,même s’ils ne peuvent pas écouter tous lessons. Nous devons comprendre cela du pointde vue du taoïsme. Le son existe dans cet uni-vers depuis toujours. Le son emplit l’espacemême. Les Occidentaux croient que le son estcréé par des gens. Mais ces sons humains li-mitent les possibilités de la musique. Bien évi-demment, il faut des hommes pour écrire lamusique. Mais les compositeurs asiatiques

écrivent la musique, chacun à sa manière, enrecevant le son de l’espace. Ils composent lamusique comme s’ils utilisaient des antennes,ils reçoivent le son de l’univers puis ils écriventla musique selon leur personnalité et leursdons… Les Asiatiques pensent qu’on n’écritpas la musique mais qu’on donne naissance àla musique. » Son style est profondémentancré dans le visuel, ce qui explique qu’il s’yréfère sans cesse. Par exemple, le Sasindo deGangseo qui lui attira tant d’ennuis est l’occa-sion de composer une musique où les cou-leurs coïncident avec des instruments à partirde lignes courbes. Il conçoit ainsi le mouve-ment dans l’immobilité, la pluralité dansl’unité, les principes mâles et femelles rejoi-gnant, par un dessin compositionnel com-plexe, les courbes que l’on retrouve partoutdans la nature et qui sont synonymes de vie.Chaque animal des cercles de la fresque mu-rale structure ainsi une construction mélo-dique vallonnée.

Isang Yun n’est certes pas le seul compositeurcoréen. Sa compatriote Younghi Pagh-Paan,

née en 1945 et elle aussi installée en Alle-magne depuis 1974, travaille dans le « tempsdu rêve » en s’inspirant du folklore et de lapoésie de son pays. Toutefois, par l’universa-lisme de la synthèse qu’il réalise, la spécificitéorganique de sa création qui enveloppe leTout, Isang Yun atteint l’esprit de la « mu-sique absolue », loin des perspectives artis-tiques éclatées d’une époque de fractures.L’art, pour Yun, concerne la société tout en-tière dans une vision humaniste fondée sur latolérance, l’intérêt et le souci de chacun. Lecredo qu’il défend se heurte à la modélisationet à l’impact de la globalisation contempo-raine. Ses dernières œuvres s’inscrivent dansune mouvance faite de spéculation mais aussid’un désir de rejoindre le cosmos à traversl’unicité. Les Quatuor à cordes n° 4 (1988) etn° 6 (1992), Tapis pour quintette à cordes(1987), 7 Etudes pour violoncelle (1993), Engelin Flammen (1994), Memento pour orchestreavec Epilog pour soprano solo, chœur defemmes et cinq instruments (1995) sont l’ex-pression d’une musique qui vient de l’imagi-naire et s’adresse à l’imaginaire. Elle occupeune place majeure dans l’histoire de la mu-sique du XXe siècle. Par sa rencontre avecdeux cultures en apparence antagonistes, Yunréussit à créer un espace personnel qui resteencore à explorer et mériterait, au moins dansnotre Hexagone, un intérêt accru tant dans ledomaine du concert que dans celui de l’enre-gistrement. Si l’Allemagne continue de luirendre hommage, si la Corée commence àprendre conscience de sa dimension univer-selle après l’avoir ostracisé pour des raisonspolitiques, la France ne semble pas se mettreau diapason de son génie créateur. Le tempsse fera juge de l’exception qu’il représente. Eneffet, chez Isang Yun, point de transcendance,mais une recherche de symbiose entre le ciel,la terre et l’homme puisque le Tao, ni dieu nimatière, offre un chemin où le Tout inclut etrégit deux autres totalités: le yin et le yang.Sa musique fondée sur une éthique a tenté,sans aucun doute, de réaliser la quadrature ducercle et d’obtenir – comme les alchimistesdu Moyen Âge et le Docteur Faust – la pierrephilosophale, prenant en exemple l’apho-risme de Confucius pour qui : « Le plus grandvoyageur est celui qui a su faire au moins unefois le tour de lui-même ».

(1), (2) Alain Pâris : Dictionnaire des musiciens – article IsangYun – Encyclopaedia Universalis, 2009. L’écriture de cet article doit beaucoup à Dong Jun Kim : Etudecomparative entre Images de Yun et le Sasindo de Gangseo – Mé-moire de Master 1 de Musique, Université de Paris Sorbonne (2007).

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Quelques idées pour passer une soirée dépaysante en Corée

Pierre-Emmanuel ROUX, chargé de cours à l’INALCO

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Aux plaisirs des papilles en feu : les pojang macha

la nuit tombée, les quartiers animésdes villes coréennes sont envahis

par des pojang macha. Ces deux motsdésignaient à l’origine une « roulotte bâ-chée » faisant référence à une anciennetradition de marchands ambulants. Denos jours, chevaux et roulottes ont cédéla place à des camionettes, à de gros cha-riots ou même à de simples tables. Ilreste tout de même l’essentiel : la bâche,de préférence orange vif, pour ne pasmanquer d’attirer les chalands. Malgrécette évolution, le nom d’origine s’estperpétué, donnant ainsi à cette véritableinstitution un côté nostalgique tout enrenforçant son caractère populaire. Nirestaurants, ni bars, ni même gargotes,les pojang macha offrent une manièreunique de boire et de se restaurer jusqu’àl’aube. Mais tous n’ont pas le même pro-fil. Certains servent d’abord des colla-tions tandis que d’autres sont avant toutdes débits de boisson très particuliers.

Il y a ainsi de petits pojang macha exigusdévolus à une restauration rapide que lesCoréens appellent « cuisine de rue » (gil-geori eumsik). Ils ouvrent dans l’après-midi, à certains coins de rue ou bien auxpieds des établissements scolaires, dansl’attente des collégiens et lycéens à l’in-tercours. Les plus typiques demeurent

cependant ceux qui, alignés côte à côte,parfois par dizaines, attirent passants ettouristes grâce à leurs odeurs alléchanteset leur air convivial. Les plus connussont, en l’espèce, immanquablementceux situés sur la grande avenue Jongno,dans le centre historique de Séoul. Aupremier rang de leurs spécialités setrouve sans conteste le tteokbokki. Ils’agit de petits bâtonnets de pâte deriz (tteok) associés à de la pâte de pois-son dans une sauce de piment rouge, fi-nement sucrée. Ce plat basique estvolontiers enrichi par toutes sortes d’ac-compagnements : œufs durs, raviolis,boudin coréen (sundae), ou encore ali-ments frits – nos préférés –, depuis leslégumes et les calmars jusqu’aux vermi-celles enroulés dans une feuille d’algue(gimmari). C’est un plat à savourer depréférence dans la rue, non seulementen raison du savoir-faire inégalable desajumma* qui les tiennent, mais peut-êtreégalement parce qu’un plat donné ne s’ap-précie que dans une ambiance particulière.

Le tteokbokki n’est évidemment pasl’unique spécialité de ces pojang macha.Il faut aussi se laisser tenter par les bro-chettes de poulet pimentées sans sur-sauter quand l’ajumma brandit sonsécateur, cette dernière attendant seule-ment qu’un morceau de viande soit in-gurgité de manière à couper la tige enbois qui marque la limite du morceau

suivant. Pour ceux dont les papillestrembleraient à la simple vue du piment,ils peuvent toujours se rabattre sur unegalette de fruits de mer (pajeon) ou,mieux encore, sur des brochettes depâte de poisson (odeng) accompagnéesde leur bouillon à base de poireaux et denavets. Signalons également que denombreuses ajumma, en particulier àSéoul, n’hésitent pas à créer très réguliè-rement de nouveaux menus aussi origi-naux que succulents pour attirer lesclients et faire ainsi face à la concurrencedes chariots voisins.

Mais dans l’imaginaire de nombreuxCoréens, les vrais pojang macha corres-pondent plutôt à ces larges bâches outentes, toujours dans les mêmes teintesorangées, où l’on s’attable à partir dumilieu de la soirée pour partager unverre, ou plutôt quelques bouteilles.L’alcool emblématique ici se nommesoju, ce tord-boyaux national à base deriz, ou parfois de patates douces voirede certaines céréales, à ingurgiter cul-sec, façon vodka. Les estomacs « fra-giles » se replieront sur la bière et lemakgeolli, un alcool de riz d’aspect lai-teux qui peut très vite donner mal à latête s’il est de mauvaise qualité. Ce der-nier reste tout de même notre préférédans ce genre de situation, car c’est leseul susceptible de calmer quelque peul’ardeur de tout buveur invétéré.

La Corée et les Coréens

La Corée du Sud n’est pas, loin s’en faut, réputée pour la folie de sa vie nocturne. Rares sontles casinos et les endroits branchés singulièrement originaux. Pourtant, de nombreuses villesne connaissent pas le repos. Séoul elle-même ne ferme jamais l’œil, ne fût-ce que pour unesieste. Les opportunités ne manquent donc pas pour ceux qui souhaitent passer une soiréedépaysante dans la capitale ou dans les centres urbains de province, surtout s’ils sont ac-compagnés de bons amis coréens. L’auteur de ces quelques lignes l’a, pour sa part, vérifié àmaintes reprises depuis une dizaine d’années qu’il vit à l’heure de Séoul, et c’est pourquoiil vous invite à présent à découvrir trois des incontournables de la vie nocturne coréenne.

À

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Ce genre de pojang macha est d’abordfait pour boire et refaire le monde, maisc’est aussi un lieu où l’on mange im-manquablement, car tout Coréen qui serespecte est incapable de s’enivrer sansavoir quelque chose dans l’estomac…histoire pour certains d’avaler quelquesverres de plus. C’est d’ailleurs pour cetteraison que les plats consommés dans cecontexte sont appelés anju, c’est-à-direaliments qui « retiennent l’alcool ». Dessoupes, des gésiers et des pieds de porccaramélisés, du crabe et des coquillages,tel est le menu généralement uniformedes pojang macha.

Il est peut-être utile de rappeler ici à tousceux qui découvriraient la Corée unconseil de première importance : celuid’éviter les dîners copieux et trop arro-sés. Loin de toute considération diété-tique, cette préconisation est à prendreen tant que mesure de prévention. Il estgénéralement impossible de prévoirquand finira une soirée, c’est-à-dire nonseulement jusqu’à quelle heure, maisdans quel état il faudra éponger l’alcoolavec les anju. Il faut aussi garder en mé-moire le fait que les Coréens ne tiennentpas en place, phénomène qui s’accentuela nuit tombée sous l’emprise du soju.En d’autres termes, le pojang machan’est qu’une étape de la soirée. Elle peutaussi bien faire immédiatement suite audîner que précéder le passage dans unbar à bière ou dans un noraebang, autrespécificité de la vie nocturne coréenne.

Aux joies de l’égosillement : les noraebang

On ne naît pas forcément chanteur,mais on le devient toujours plus oumoins au contact de la Corée. La raisonest évidemment liée à l’immense succèsdu karaoké en Extrême-Orient depuisson apparition au Japon dans les années1980, tandis qu’il restait chez nous unphénomène marginal. Les Coréens luiont donné un nom poétique, celui denoraebang, dont le sens littéral estchambre à chansons ou encore salle oùl’on chante. Rappelons en brièvement le

principe : pendant que sur un écran dé-filent les paroles d’une chanson, unebande son électronique en joue la mu-sique. Le client muni d’un micro chantealors en suivant le texte, censé le main-tenir dans le rythme sur la télévision.

Le noraebang coréen est bien différentdu karaoké tel qu’il se pratique sous noslatitudes. En Occident, c’est un bar quidispose d’une scène sur laquelle lesclients viennent chanter en public. EnCorée, les karaokés se situent générale-ment en sous-sol et se présentent sous laforme d’un long couloir bordé de portesdonnant sur les « chambres à chan-sons ». Ces dernières ressemblent à deminuscules salons ayant pour seule dé-coration un ou plusieurs sofas autourd’une table basse, ainsi qu’un écrangéant de télévision disposé au fond de

la pièce, de manière à ce que chaque par-ticipant puisse voir les images et suivreles paroles des chansons.

Une séance au noraebang reproduit gé-néralement le scénario suivant : en débutde soirée, les chanteurs tentent de s’ap-pliquer et de rester dans les règles de lamusique. Mais plus le temps passe, plusles participants hurlent dans le microtout en chantant de plus en plus faux.La boisson y joue un rôle certain, maisla machine aussi, car la sono est installéede façon à donner même au chanteur leplus médiocre les airs d’un Pavarotti depacotille. Nulle crainte donc à avoir icisur ses piètres talents de cantateur ou decantatrice. L’important, c’est bien departiciper et personne ne juge vraimentle chanteur qu’on écoute plutôt d’uneoreille distraite et bienveillante.. Sensa-tion est toutefois créée lorsqu’un(e)blond(e) aux yeux bleus s’égosille avecl’un des derniers tubes coréens. Il fautalors s’attendre, nous en avons person-nellement fait l’expérience, à quelquesbouches bées, voire à des yeux doux à lasortie du karaoké.

Les Coréens fréquentent donc les no-raebang pour chanter mais aussi – etsurtout – pour s’évader, bien qu’ils’agisse d’un endroit totalement clos.L’absence d’ouverture sur l’extérieur, lafaible lumière, le rythme des chansons,les bimbos siliconnées en bikinis sur uneplage californienne que l’on voit défilersur l’écran : tout est fait pour oublier letemps et l’espace, pour créer une cer-taine intimité, chose bien rare dans cettesociété coréenne actuelle ou à peu prèstout se fait en commun, comme c’estd’ailleurs le cas dans les jjimjilbang, der-nière étape de notre parcours nocturne.

Aux chaleurs de la Corée :les jjimjilbang

Pour finir une soirée bien arrosée outout simplement une journée bien rem-plie, rien de tel que de prendre le che-min d’un jjimjilbang. Il s’agit pardéfinition d’un sauna sec – littéralementd’« une chambre à transpirer » – maisc’est en fait bien plus que cela. On pour-rait plutôt le définir comme une formule

Le noraebang en famille.

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de bien-être faisant la synthèse du sauna,du bain public et d’une station thermaled’eau chaude, à laquelle il faut encoreajouter toute une série de services dontle principal consiste en un pied-à-terrepour la nuit. C’est cet original cocktail deservices qui a permis aux jjimjilbang deconnaître un succès foudroyant depuisleur apparition dans la péninsule il y aune quinzaine d’années, contraignantdès lors les vieux bains publics (mo-gyoktang) à mettre la clé sous la porteou à se reconvertir. Aujourd’hui de nom-breux motels, souffrant d’une piètre ré-putation de « love hotels » s’inspirentégalement des jjimjilbang en proposantdes saunas et des bains, histoire de mon-ter un peu en gamme.

Toujours très accueillants, les jjimjilbangsont ouverts à toute heure du jour et de lanuit pour le prix dérisoire de quelquesmilliers de wons, ce qui est une autre cléde leur succès populaire. On y vient enfamille avec ses enfants, entre jeunes tour-tereaux ou tout simplement entre amispour passer un bon moment ensemble,mais on y croise aussi occasionnellementdes hommes mis à la porte par leurépouse à la suite d’une dispute conjugale.

La première impression que donne lejjimjilbang est celle d’un établissementthermal coréen, à la seule différencequ’on se voit remettre à l’entrée un tee-shirt et un short en plus d’une clé de ca-sier et d’une serviette. Comme dans unesource thermale où la pudeur est, rappe-lons-le, superflue, on commence par sedéshabiller et se laver, assis sur un mi-nuscule tabouret entouré d’inconnus af-fairés à leurs ablutions et à l’arrachage deleur peau morte sous une montagne demousse. Une fois rincé, on peut alorsprofiter des plaisirs du bain coréen en seprélassant dans différents petits bassinsdont la température varie de 20 à 45°C,sans oublier de reproduire le même ri-tuel avant de sortir de l’établissement.Mais le bain n’est qu’une étape prélimi-naire – ou finale – car, à peine séché, onenfile short et tee-shirt pour gagner lapartie centrale et mixte de l’établisse-ment. Le jjimjilbang est généralementcentré sur une salle commune autour de

laquelle se répartissent plusieurs salles desauna, dont chacune possède ses parti-cularités. Certaines prodiguent les bien-faits de la terre jaune, d’autres celles dujade, du bois de cyprès ou de je ne saisquel produit au nom incompréhensiblede la pharmacopée traditionnelle coréenne.Il y en a aussi pour toutes les températureset pour tous les goûts, depuis la chambreglaciale jusqu’à la fournaise à 90°C.

Le jjimjilbang offre aussi un service nonnégligeable, celui du toit pour un prixdéfiant toute concurrence. En effet, plu-sieurs chambres communes ou séparéespour hommes et femmes sont prévues, àcet effet, en périphérie de la grande sallecommune où se trouve bien souvent unécran géant diffusant, la nuit durant, lesdernières extravagances de célèbres hu-moristes coréens. Il ne faut, par consé-quent, pas s’attendre à un hôtel de luxe.Évidemment pas de lit, ni même le plussouvent de yo, ce fin matelas coréenassez proche du futon japonais. Pas decouverture non plus du fait de la chaleurambiante fournie par les différents sau-nas. Tout au plus un oreiller, en duvet ouen bois, à poser sur le sol en parquet.Malgré ce côté quelque peu rudimen-taire, nous avons personnellement faitdes jjimjilbang notre pied-à-terre favorien Corée, lorsque nous quittons notrelogement habituel de Daejeon. À chaqueentrée monte d’ailleurs la remémoration

de toutes ces nuits où, simple étudiant,nous faisions encore la cour à cette per-sonne qui est aujourd’hui devenue« notre femme » (uri jibsaram), puisquetel est l’expression consacrée en Corée.

Pour conclure, et en attendant que sorteun jour un simili guide Michelin des jjim-jilbang coréens, nous voudrions, par ex-périence personnelle, déconseiller cesgrands établissements du centre deSéoul, répartis sur plusieurs étages etdont il y a pléthore d’informations sur latoile. Ce sont généralement de véritablesruches bruyantes dont l’activité ne s’ar-rête à aucun moment de la nuit avecleurs restaurants, salles de jeu et bornesInternet, centre fitness, salon de coif-fure, petite bibliothèque et autres ser-vices inutiles. À moins d’aimer les bainsde foule nocturnes, on leur préférerasans hésitation les jjimjilbang des quar-tiers résidentiels de la capitale – beau-coup plus reposants, moins fréquentéset meilleur marché –, ou encore les mo-destes établissements des petites villes deprovince, car ce sont ces derniers qui ontsu garder l’essentiel et faire fi du super-flu pour vous faire passer la plus dépay-sante et relaxante des nuits coréennes.

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*Ajumma, qui signifie tante, est le nom donné en Coréeà toutes les femmes d’une quarantaine ou d’une cin-quantaine d’années que l’on connaît peu ou pas du tout.

Détente au jjimjilbang.

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otée d’un grand festival internationalqui, chaque année, se déroule à

Chuncheon, à 100 km de Séoul, la Corée,nourrie d’une forte tradition marionnet-tique, connaît actuellement un engoue-ment tout particulier pour cet art. Elleprévoit même la création d’une école ins-pirée de celle de Charleville (ENSAM,Ecole Nationale Supérieure des Arts de laMarionnette), patrie mondiale du genre etsiège de l’IIM (Institut International de laMarionnette), tête de pont en matière derecherche et de formation.

Riche en innovations, la production co-réenne ne cesse de voir éclore de nom-breux projets : l’édition 2008 du Festivalde Chuncheon a réuni plus de cinquantecompagnies nationales !

Charleville-Mézières, au nord-est de laFrance, se devait de lui faire honneur. Ce

fut une bien jolie « Première » ! Encréant un « focus » sur la Corée, Anne-Françoise Cabanis, directrice du festival, asouhaité « renouveler l’image des théâtresde marionnettes et écrire une nouvellepage de l’histoire de cet art toujours enmutation et en ébullition, débordant d’in-ventivité ». Privilégiant ainsi, par l’accueilde plusieurs spectacles d’une mêmecontrée, d’en dresser un « petit état de lamarionnette ». La Corée en présenta qua-tre, de quatre compagnies différentes,mais partageant toutes une poésie et unedélicatesse hors du commun. Spectaclesemprunts, aussi, d’une certaine nostalgied’un temps révolu, d’une tristesse généréepar de doux souvenirs anciens, balayés parun quotidien âpre et dur, parfois marquépar la guerre, toujours en proie à des riva-lités et querelles sans fin… Revue de dé-tail : A la frontière de la ville, coupée en

deux par les beaux méandres de la Meuseséparant Charleville de Mézières, le Théâ-tre Ro.Gi.Narae et ses marionnettes surtable ou à tiges, son théâtre d’ombres etd’objets, nous offrit, dans la jolie salle Mo-zart, Le Bûcheron et la jeune fille céleste :Un bûcheron vivant avec sa mère sur unemontagne lointaine, sauva un jour un cerf,poursuivi par les chasseurs. Pour le remer-cier, ce dernier lui confie un secret lui per-mettant de se marier avec une jeune fillecéleste. Au fil de l’histoire, le spectateurdécouvre les traditions coréennes, dans undécor aux couleurs et costumes typiquesdu pays.

Adapté d’un ancien conte coréen, l’his-toire de ce bûcheron et de sa belle jeunefemme est très populaire en Corée. Autourdu thème de la piété familiale, cespectacle nous parle d’évasion et d’idéal.Manipulées à vue par les artistes HongYong-min, Ko Eun-kyeong et Lee Ju-hee,les marionnettes, faites de papier, dansent

au son d’insectes et de musique tradition-nelle, dans un chatoiement de couleurséblouissantes.

Toujours à la salle Mozart, les marion-nettes à tiges de la Compagnie Ulgul GwaUlgul (« le théâtre face à face »), mani-pulées par No Eun-Ha et Kim Do-Hee, en-tonnèrent La chanson de l’horrible Kong-Ji ,

Focus sur la Corée du Sud au XVe Fest iva l M o n d i a l d e s T h é â t r e s d e M a r i o n n e t t e s

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Le bûcheron et la jeune fille céleste, par le Théâtre Ro.Gi.Narae.

D

Par Véronique BLIN, journaliste

Charleville-Mézières, 18-27 septembre 2009

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née d’un célèbre conte de fées coréen. Ellesnous parlent d’espoir, évoquent la terre etles couleurs du printemps, recréant l’his-toire de cette vilaine marâtre en utilisant dusable, des branchages, du papier et des mé-lodies traditionnelles coréennes. Etonnant.

Hors les murs cette fois, au Centre Culturelde Nouzonville, dans la proche banlieue deCharleville-Mézières, le ton fut plus graveavec la Compagnie Art Stage, San. Théâ-tre « fantastique » sur le thème de laguerre et des drames qu’elle engendre,L’Histoire de Dallae aborde avec une infi-nie délicatesse et une poésie admirables,le problème de la séparation des membresd’une même famille, éparpillée suite auconflit. Dallae, petite poupée articuléetouchante à craquer, comme vivante,raconte le chagrin de l’absence, aiguisépar le souvenir des moments de bonheurpartagés, ultime recours contre la tristesseet unique bien qui lui reste…

Dans un style très original de manipula-tion, où marionnettes et acteurs jouent en-semble sur scène, ce spectacle, en dépit deson douloureux épilogue, laisse au cœurl’empreinte d’une émotion bouleversante.Gardons pour la fin l’œuvre la plus em-

blématique du rapprochement naissant ettrès prometteur entre Charleville-Mézièreset la Corée. Ce « pont entre deux rives »est parfaitement incarné en la personne deEun Young Kim Pernelle : diplômée de lapremière promotion de l’ENSAM, elle est,depuis, retournée à Séoul, sa ville d’ori-gine. Adaptant à sa manière le fameuxtexte de Georges Pérec Je me souviens… ,

elle se l’est approprié en rapatriant de samémoire ses souvenirs d’antan.

Dans la charmante salle de Nevers, enplein centre-ville, à deux pas de la splen-dide Place Ducale, puis à celle Dubedout,aux confins de ladite, elle a ouvert pournous, avec sa Compagnie La Boule Bleue,le joli livre de sa jeunesse.

Sous la forme d’un « pop-up », son théâ-tre de papier tourne les pages en relief desévènements marquants qui ont jalonné savie : « Je me souviens de Mi-ok, la filledu marchand de gaufres, avec qui j’aigoûté ces gâteaux si moelleux en forme depoisson »… « Je me souviens du jour oùtoute la famille était rassemblée devantl’écran noir et blanc pour regarder NeilArmstrong marcher sur la lune »…

Eun Young se souvient de son école situéesur la colline ; du mont qui s’appelle« Buffle allongé » ; de ses frères qui al-laient chercher l’eau du puits, en portantdeux seaux en balancier sur leurs épaules ;de la confection des fameux « Kimchi »,arme secrète de la cuisine coréenne.Page après page, les silhouettes de papier

découpé en grand format évoquent l’en-fance, dans les années 60, le temps de l’in-souciance, celui des arts de la table… Maisaussi le regret de voir que « sa » ville, au-trefois calme et tranquille, avait tantchangé… Les échangeurs d’autoroutesayant pris la place des ruelles autrefoispaisibles et les multiples lignes de métro,celle du temps où il faisait bon marcher…

Reste pour le spectateur, au bout ducompte, le savoureux « souvenir » d’unassortiment alléchant comme une fonduecoréenne. Un pur régal !

A la différence de celle de l’Occident, sou-vent encline à des « happy end » confi-nant au conte de fées, où tout estfinalement beau dans le meilleur desmondes…, la marionnettique asiatique, no-toirement coréenne, n’a pas peur de ses dé-mons, les conviant fréquemment dans sesspectacles, comme pour mieux les dénon-cer… Par ce biais, l’esprit critique est enmarche et, partant, celui de résistance…

Gageons que cette collaboration franco-coréenne porte haut les couleurs des artsde la marionnette !

L’actualité culturelle

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La chanson de l'horrible Kong-Ji, par la Compagnie Ulgul Gwa Ulgul (« le théâtre face à face »).

Photo : Dreamy

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omment un professionnel de l’artpourrait-il ignorer l’ascension pro-

gressive de la Corée du Sud sur la scèneinternationale, depuis ces dernières dé-cennies, et ne pas être tenté un jour devoyager vers Séoul ?

Il y a dans ce pays, et dans sa cultureune énergie féconde, dont certainsfruits nées de l’hybridation entre lesarts, les sciences et les technologies,sont en passe de devenir demain, nos“ kimchi “ favoris.

Aucune exploration n’échappe, dans cedomaine, à l’appétit créatif des auteurscoréens, comme en témoignent lesoeuvres foisonnantes issues des arts vi-suels, des installations interactives. Cer-tains d’entre eux, aidés de leur palettedigitale, revisitent les friches architec-turales issues du monde du travail, du“ring politique et médiatique “ . Maisrassurons nous, la nature réapparaîtdans ces paysages, traversant même unbéton de certitudes, pour faire émer-ger les pouces d’un fleur en 3D, c’est àdire en trois lettres, celles d’un déve-loppement digital et durable.

On pressent bien à Séoul, que la pro-bable rencontre entre les arts et lestechnologies se joue sur la mise enscène de la société du futur, à traversl’exploration de nouveaux usages. Lesindustries coréennes,véritables leadersmondiaux dans les domaines des télé-communications, à l’exemple de ESKE,et de l’image pour SAMSUNG ou LG,

l’ont bien compris. Car nous savons,désormais, qu’une avance technolo-gique, la meilleure soit elle aujourd’hui,jouera une partie de son avenir, sur lescontenus numériques. Les artistes asso-ciés à la recherche et au développe-ment, peuvent ainsi devenir lesmarqueurs de ce changement de civili-sation. Les universités de Corée sonttrès bien placées dans ce challenge in-ternational, en se situant comme de vé-ritables pépinières d’excellence. Elles leseront d’autant mieux, que l’on sait queles enjeux du numérique s’exerceront

bientôt, notamment dans les champs dela réalité virtuelle et augmentée.

Mais le lien entre le numérique et lacréation est loin de s’arrêter, en Corée,aux arts visuels. Il se poursuit dans ledomaine du spectacle vivant. Le Per-forming Art of Seoul, est devenu,comme on le sait, l’incontournable ren-

dez-vous international de la scène pourl’Asie. La programmation y est rigou-reuse, avec des découvertes, et l’on senty poindre, comme « la digitale émer-gence ». Le monde chorégraphiquecontemporain a su, dans ce médium,fixer son centre de gravité autour de lamatière corporelle, et bien au-delà, parses prolongements visuels, sensoriels,tactiles, et sonores. Comprenons nous,il s’agit ici de l’utilisation de la techno-logie, au service de la captation sensi-ble et poétique de l’art du mouvement.On pourrait ainsi compléter cette ma-

L’Art numérique coréen : première grande

présentation en France au Centre des Arts d’Enghien-les-BainsPar Dominique ROLAND, directeur du Centre des Arts d’Enghien-les-Bains,

directeur du Festival International des Arts Numériques, coordinateur du RAN (Réseau des Arts Numériques).

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Dominique Roland.

C

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L’actualité culturelle

nière d’être si particulière de la dansecoréenne, à travers son lexique com-posé de postures empruntées à la rue,et d’un travail basé sur la respiration.On peut ainsi découvrir, chez de nou-veaux talents, le curieux mixage d’es-thétiques occidentales et des artstraditionnels et, pour d’autres, d’unerecherche issue du chamanisme.

C’est pour toutes ces raisons, sans ou-blier celles concernant nos projets àvenir, que le Centre des Arts d’En-ghien-les-Bains accueille, pour la pre-mière fois en France, en 2010, uneexposition d’art numérique du NABICENTER de Séoul (membre du RAN,le réseau des arts numériques ). L’ ins-titution présentera, entre avril et juin2010, des oeuvres visuelles, et sonores,vidéos, interactives pour la plupart, etavant tout représentatives de la créationen Corée.

Cette première étape préfigurera l’ou-verture, en juin, du 5e Festival Interna-

tional des Arts Numériques (Bains Nu-mériques), avec la sortie d’une publica-tion spécifique en français, et en coréen,cela va de soi. En effet, cet évènementdont la programmation se constitued’un forum professionnel de trois com-pétitions réunissant 22 pays (danse tech-nologies, arts visuels, et contenus de lamobilité), se déroulera également dansl’espace urbain, avec des concerts demusique électronique, installations, per-formances, ciné concerts, et plus parti-culièrement avec un focus sur la Corée .

Le festival inaugure le 12 juin prochainun événement inédit, de télé présenceréunissant autour d’une scénographie,par écran interposé, un banquet inter-actif entre Séoul et Enghien-les-Bains.Sur un fond panoramique, nous visua-liserons depuis la France le fleuve Han,et depuis Séoul, le lac d’Enghien lesBains. Puis, deux chefs cuisiniers, uncoréen et un français, et leurs équipes,se réuniront dans un face-à-face culi-naire, pour réaliser devant un auditoire

intercontinental, une performance cu-linaire à partir de mêmes produits de lamer. Un service accompagnera, entemps réel, les mets sur chaque lieu fu-sionnant en un même espace “aug-menté” de rencontre, entre Paris etSéoul. Les convives coréens et françaiseux aussi réunis dans un face-à-face, neseront séparés alors que par la surfacesensible d’un écran. Le festin s’enrichirad’un concert live en France du groupecoréen BEE BEING, et à Séoul, demanière synchronisée, d’un rite chama-nique. Enfin deux solos dansés se su-perposeront à la scène, en s’inspirantdu répertoire de gestes des cuisiniersproposé à chacun des danseurs.

Mais ce calendrier de coopération,certes ambitieux, ne se conclura pasavec cette nouvelle année, puisque leFestival International des Arts Numé-riques aura lieu en Corée en 2011, etSéoul deviendra alors la capitale mon-diale de la création, et de l’innovationnumérique.

Le Centre des Arts d’Enghien-les-Bains, l’un des hauts lieux de l’art numérique, présentera au sein de son célèbre festival « Bains numériques » (5e édition :du 11 au 19 juin 2010) une programmation coréenne de grande envergure, qui constituera une première en France.

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“ Magie des percussions coréennes ”, concert pédagogique

“ Merci pour ce magnifique spectacle, chacun yavait mis toute son énergie et tout son cœur. Nous

étions imprégnés de tout le bonheur que les musiciensavaient à jouer tous les quatre ensemble. Je trouve trèsimportant que les enfants connaissent d’autre cultures,cela leur permet d’appréhender le monde dans unecompréhension internationale enrichissante pourtous…Le spectacle d’une très grande qualité ar-tistique et pédagogique n’a pu que donner l’en-vie d’en savoir plus. J’ai eu du mal à empêcher

les élèves de reproduire les rythmes dans lemétro !...”

Mme Murielle Sautelet, profes-seur Ecole Active Bilingue Jeannine

Manuel, Paris 15e

Le Festival « Rêves d’enfants » au Centre Culturel Coréen, du 23 au 28 novembre 2009

La 1re édition de notre festival « Rêves d’enfants », spécialement destinée autout jeune public, avait remporté, en novembre 2008, un grand succès.Nous avions accueilli en cette occasion au Centre Culturel Coréen de nom-breuses classes d’écoles primaires parisiennes et n’avons d’ailleurs, à notregrand regret, pas pu répondre à toutes les demandes de réservation.La 2e édition de ce festival fut également très attrayante, avec cinq événe-ments de qualité dont deux nouveaux ateliers particulièrement intéres-sants : « Jeong-i jeop-ki », l’art du pliage du papier, et un atelier « Chantsde Corée » au sein duquel les enfants ont pu apprendre quelques ai rs po-pulaires chers au cœur des Coréens.Les événements proposés, stimulant l’imaginaire, suscitant le rêve et favo-risant parfois la concentration, ont passionné les petits Parisiens et beau-coup intéressé les professeurs. Ils nous l’ont dit ou écrit, tous lestémoignages exprimant un réel enthousiasme pour ce festival des minots, lepremier du genre à avoir été organisé à Paris par le Centre Culturel Coréen.

G. A.

Atelier Jeong-gi Jeop-ki

“Le Centre culturel coréen est un lieu agréable,qui invite au calme, avec des hôtesses d’accueil sou-

riantes et posées…La salle était très bien préparée ; plusieurs tables de 4 à 6

élèves, et sur chaque table, des petits papiers de couleur pré-découpés, et un joli petit panier comprenant des décorations.D’emblée, les élèves étaient sous le charme de cette présenta-tion. L’objet à réaliser était une guirlande de Noël. Les étapes dela réalisation de cette guirlande, bien expliquées par l’anima-trice, étaient décomposées sur un écran et reprises par deux hô-tesses, qui circulaient dans la salle pour aider les enfants. Laséance a été très bien menée, le temps parfaitement maî-trisé et chaque enfant est reparti avec son objet. Parents

accompagnateurs et enfants ont été ravis de cette acti-vité, accomplie dans le calme et la concentration.”

Mme Marie Bonnet, professeurEcole élémentaire Emeriau, Paris 15e

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Atelier « Chants de Corée »

“Après avoir été accueillis de manière trèschaleureuse par le personnel du Centre cul-turel, les élèves de CP (6ans) et de CE 2 (8ans) ont été plongés dans un univers sonore quileur était complètement inconnu et qui leur apermis une ouverture sur la culture co-réenne…Beaucoup d’attention de la part desélèves car la musicienne a su très vite captiver leurattention malgré la barrière de la langue et ces der-niers sont facilement entrés dans le monde musical

coréen…”

M. Bruno Le Clerc, directeur, Ecole Brancion, Paris 15e

Atelier«Voyage au pays des contes coréens»

“…La conteuse a raconté avec « esprit » et « corps » demagnifiques légendes. Les élèves de Cm 1 / Cm 2 furent sub-

jugués ! Ils souhaitent emmener leurs parents, frères et sœurs !… Nous avons, en réécriture, travaillé sur la structure des contes :

en Culture humaniste les légendes, en Géographie la Corée, et enHistoire, l’histoire du pays. Un exposé est envisagé pour clore les sé-quences…Nous vous remercions pour cette matinée agréable et ins-tructive.”

Mme Suchet, professeur - Ecole Paul Valéry, Paris 16e

Et quelques phrases des enfants :« J’aime beaucoup la musique coréenne, elle est

entraînante et donne envie de danser. »« Les instruments faisaient un son merveil-

leux, j’ai préféré le kkwaengwari. »

Et quelques phrases envoyées par les enfants :« Merci pour le spectacle, j’ai adoré !»« Génial ! Je conseille aux au-tres écoles d’y aller vite,

Super, bravo ! GrosBisous !!! »

L’actualité culturelle

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’ascendant certain du cinéma asia-tique sur la compétition du Festival

des 3 Continents, s’il n’a jamais été dé-menti, s’était jusque-là manifesté plus dis-crètement que lors de cette 31e édition àtravers huit des douze films invités. Parmieux, deux films en provenance de Coréedu Sud, Treeless Moutain (2008) de KIMSo-yong (sortie française le 30 décembreprochain) et Bandhobi (2009) de SHINDong-il, inédit en Europe, qui s’est vu dé-cerner la Montgolfière d’or 2009, succé-dant à de jeunes cinéastes désormaisattendus, Zhao Liang (Chine) en 2007, etEnrique Rivero (Mexique) en 2008.

La présence de ces deux films à Nantesreste essentiellement liée à la qualité despropositions cinématographiques queporte chacun d’entre eux, bien distinctesl’une de l’autre. Précisons, alors que le Fes-tival des 3 Continents entretient une re-lation de longue date et presque pionnièreen France avec le cinéma coréen, que lavitalité de cette cinématographie au coursde la décennie écoulée attise notre curio-sité et nous incite chaque fois à regarderde plus près une production diversifiéequi souffle un vent de matin froid sur lepays du soleil levant. Seule une (inexpli-cable) carence d’ambition coréenne sur leterrain du cinéma documentaire sembleatténuer la régulière inspiration du moment.

Au rang des signes les plus prégnants ducinéma coréen récent, la récurrence du

motif familial comme repère soumis àl’épreuve de sa propre dissolution. Cetébranlement semble atteindre les films entoute indépendance de leur polarité im-prégnant des réalisations destinées augrand public (action, thriller, fantastique)et des œuvres du cinéma dit « d’auteur ».Le cadre référent du monde adulte appa-raît le plus souvent sous un jour incons-tant, celui d’une faillibilité chronique etmaladive. A la suite de nombreux autres,le nouveau film de Bong Joon-ho, un thril-ler sèchement intitulé Mother, se chargede préciser le trait avec plus de netteté etaussi une véritable audace. Par voie deconséquence, de nombreuses figures en-fantines et adolescentes à la dérive occu-pent ou traversent fréquemment l’espacedes films à des niveaux variables. Cesprésences réitérées interrogent inélucta-blement les évolutions contemporaines etaccélérées d’une société au risque de ladésunion, avec un ordre de valeurs etd’usages qui la caractérisait jusque-là. Sicette inquiétude profonde suscite un in-térêt sur le plan cinématographique, c’estsurtout qu’elle se donne chez les cinéastes

les plus inspirés à l’écart de toute inten-tion moralisatrice. Les deux films sélec-tionnés à Nantes en constituent deuxpreuves exemplaires.

Treeless Mountain

Le second film de KIM So-yong fait enquelque sorte suite au très autobiogra-phique In Between Days, réalisé en 2006,qui évoquait la délicate adaptation d’unejeune coréenne à sa nouvelle vie améri-caine. En remontant le fil d’une histoirepersonnelle jusqu’à de lourds souvenirsd’enfance, Treeless mountain n’est déter-miné par aucune volonté d’explication gé-nérale ou de mise en accusation. Décidéeà retrouver un mari disparu sans donnerde nouvelles, une jeune femme confie sesdeux fillettes à une tante éloignée, isoléeet alcoolique. Le film s’attache à témoi-gner, en suivant à hauteur d’enfants dansles plis du quotidien (on est un peu sidérépar la manière dont KIM So-yong par-vient à diriger ses actrices de quatre et sixans), de l’endurance de deux petites hé-roïnes plus inquiètes que glorieuses à lasuite d’un abandon. « Garde un œil sur

Festival des 3 Continents 2009, deux films coréens encompétition et Shin Dong-il en or pour la première européenne de Bandhobi

Par Jérôme BARON, Co-programmateur sélection officielle et compétition, Festival des 3 Continents - Nantes

Ⓒ F3C/JG.Aubert.

Ⓒ F3C/JG.Aubert.

Shin Dong-il, dont le film Bandhobi a remporté laMontgolfière d’or du Festival des 3 Continents 2009.

Cérémonie de remise des prix du Festival des 3 Continents. Shin Dong-il aux côtés de Jean-Marc Ayrault,député-maire de Nantes, et des membres du jury. A gauche : Philippe Reilhac, directeur général du festival.

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Bin » ordonne la mère de Jin à la plus âgéede ses deux fillettes après que l’autre sefut éloignée, suivie par la caméra, du lieuoù elles devaient attendre ensemble. C’estbien la simple et stricte posture du film,attentif aux visages et aux réactions desenfants, que de ne pas les lâcher en at-tendant le retour du jour (les longs plansfixes sur ces ciels changeants qui vien-nent ponctuer le récit) où une autorité ras-surante et compréhensive, celle d’unegrand-mère tout entière contenue dansses gestes et quelques mots simples,pourra se substituer à l’attention précisedu cinéma. En suivant ces deux enfantsballottées d’un grand ensemble de Séoul,où elles vivent avec leur mère, au quartierpopulaire de la tante peu affectueuse qui,pour un temps, les recueille, Kim So-yongfilme au plus juste le glissement perma-nent de l’inquiétude à l’espoir et les dé-ceptions aussi des fillettes dans dessituations dont elles ne comprennent,hors de tout repère familier, ni les déter-minations ni les incidences. Il leur faudraretrouver derrière la rudesse et le dénue-ment de la vie rurale, la générosité natu-relle et sans calcul d’une figure maternellepremière et fondatrice pour que leursoient restitués leur enfance et le senti-ment d’être à nouveau de ce monde. Encreux, ce sont les absences masculines, ré-duites à quelques apparitions furtives, quirévèlent à la fois la ténacité des femmes etleurs tourments.

Bandhobi

La rencontre d’une lycéenne solitaire etindolente, Min-suh (la formidable débu-tante Baek Jin-hee), pas plus en phaseavec sa mère qu’avec les études, et d’untravailleur migrant originaire du Bangla-desh, Karim, escroqué par son employeur,aurait pu laisser craindre le pire et ouvrirla voie au plus lénifiant des plaidoyers. Lepremier défi relevé par Shin Dong-il estde faire exister derrière ces deux parfaitsalibis pour les bons sentiments de vérita-bles personnages dont la trajectoire (etcelle du film) est déviée par leur rencontreimprévue : Min-suh, mal intentionnée,dérobe les papiers de Karim avant qu’il nela suive pour la contraindre à les lui ren-dre. L’expérience de la relation à l’autre vatransformer la molle et boudeuse Min-suh et le droit et pudique Karim. L’un etl’autre vont s’apprendre à traverser dumieux qu’ils peuvent, et ensemble, lesépreuves que leur situation respectiveleurs réserve. Sur un canevas a priori desplus prévisibles -il a co-écrit le scénarioavec Lee Chang-won-, Shin Dong-il opèrepar une succession de discrets et inatten-dus déplacements du point de vue. Enrenversant habilement les tonalités denombreuses scènes (ce qui n’est pas sansrappeler parfois la manière d’un FrankCapra), il tire le film sur le terrain de la sa-tire sociale douce-amère : lorsque Karimdemande à Min-suh de lui restituer sespapiers, celle-ci menace de porter plainte

pour tentative d’agression sexuelle, plusloin, un patron s’excuse auprès de ses em-ployés migrants de ne pouvoir payer lessalaires qu’ils attendent et touche en pleincœur ces hommes éloignés de leursfemmes en leur rappelant l’amour qu’ilporte à la sienne à la veille de leur anni-versaire de mariage ; enfin, alors qu’elles’engage comme masseuse pour payer sescours de soutien, l’un des premiers clientsde Min-suh n’est autre qu’un professeurdu lycée qu’elle fréquente… Avec une dis-tance inspirée, la mise en scène seconcentre principalement sur des pointsde frictions. Min-suh et Karim marchent,beaucoup, passant d’un dérèglementstructurel à un désordre affectif (les rela-tions de Min-suh avec sa mère et sonbeau-père), mais en y engageant chaquefois plus d’eux-mêmes. Plutôt que de lesréduire à l’accablement, ces situationsconstruisent les personnages et précisentles contours des êtres qu’ils souhaitentdevenir (elle), et rester (lui). S’ils sont sou-vent en position de faiblesse, ils avancentsans désarmer, et aussi bien que Min-suhet Karim, colère et dérision finissent parfaire bon ménage. Sans doute, ce Ban-dhobi, quatrième long métrage de ShinDong-il, est-il le plus accompli du réalisa-teur. Une question pourtant reste encoresans réponse et nous y sommes sensi-bles : ce film qui a rencontré un très vifengouement du public nantais parvien-dra-t-il à susciter l’intérêt d’un distribu-teur français ?

L’actualité culturelle

Scène du film Bandhobi.

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-Culture Coréenne : Pouvez-vous nousfaire un résumé de votre parcours person-nel et professionnel ?

-Ounie Lecomte : Je suis née en Corée, àSéoul. J’ai été adoptée par une famille fran-çaise alors que j’avais une dizaine d’années.Je suis arrivée en 1976 en France, où j’aigrandi et où je vis. J’ai parlé le coréen, maisc’est une langue que j’ai totalement perdue.Quant à mon parcours professionnel, j’aicommencé à m’intéresser au cinéma à l’âgede 19 ans, lorsque j’ai répondu à une an-nonce pour jouer dans un court métrage.J’ai démarré en jouant de petits rôles dansdes films un peu amateurs. Parallèlement,j’ai fait des études de design, de stylisme demode. Puis je suis devenue costumière decinéma, un métier situé en quelque sorte àla confluence de ces deux activités.

-C. C. : Quand le projet de réaliser Une vietoute neuve vous est-il venu ?

-O. L. : En fait, l’envie de réaliser un longmétrage m’est venue assez tard, en mêmetemps que celle d’écrire un scénario. J’avaisauparavant, en 2001, tourné et produit

seule un court métrage, Quand le Nord estd’accord - qui n’avait rien à voir, je le pré-cise, avec la Corée du Nord, mais traitait del’avortement. Ensuite, j’ai entrepris d’écrireun scénario de long métrage qui parlaitd’une petite fille confrontée à la disparitionde son père, au cours d’une baignade enmer. L’histoire se déroulait en France.C’était un peu abstrait et j’ai été assez rapi-dement victime d’ un blocage. En relisantce texte quelques années plus tard, je mesuis rendu compte qu’il essayait d’exprimerquelque chose d’inconscient, en rapportavec ma propre histoire. Je me suis alors de-mandé s’il ne fallait pas la raconter plus di-rectement, en partant de ce qui m’étaitréellement arrivé.

-C. C. : Pour les lecteurs qui n’auront pasencore vu le film, qui sort en France en jan-vier 2010 dans une cinquantaine de salles,pouvez-vous résumer brièvement le sujetde votre film, Une vie toute neuve?

-O. L. : C’est l’histoire d’une petite co-réenne de neuf ans. Au début, son pèrel’emmène dans un orphelinat. Elle va peu àpeu réaliser qu’il l’a abandonnée et qu’elle

ne le reverra plus. Le film décrit son che-minement psychologique dans cet orpheli-nat, où elle va d’abord résister à l’idée del’abandon, pour être finalement obligéed’accepter cette fatalité et son adoption.

-C. C. : On peut dire que vous n’avez pasreculé devant la difficulté, en réalisant votrepremier long métrage à l’étranger, en tour-nant dans une langue que vous ne maîtri-sez pas, et qui plus est avec des enfantscomme acteurs ! Comment les choses sesont-elles passées ?

-O. L. : C’est vrai que, vus de l’extérieur, lesfacteurs que vous citez semblent autantd’obstacles, mais aucun n’était insurmonta-ble. Mon intention n’était pas de faire uneoeuvre coréenne. Ce qui compte, c’est l’his-toire, le sujet. Les acteurs parlent en coréenet l’histoire se passe en Corée, mais ça n’enfait pas un film coréen. Je ne crois pas tropà la nationalité en termes de création. Lelangage du cinéma est universel et pour laréalisation même, il n’y a pas eu de pro-blèmes de compréhension avec l’équipecoréenne. Quant aux questions de commu-

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Ounie Lecomte : retour en Corée

Les réalisateurs Ounie Lecomte et Yang Ik-june :« Créer, c’est toujours parler de l’enfance »*

Oumie Lecomte à Cannes avec ses jeunes actrices (mai 2009).

Deux films tout à fait remarquables vont sortir dans les salles françaises au début de l’année 2010 : Une vie toute neuve, de OunieLecomte, et Breathless, de Yang Ik-june, premiers longs métrages de deux jeunes réalisateurs qui, outre le talent, ont en partaged’être tous deux nés en Corée, même si la première est à présent française. Si beaucoup de choses les séparent dans leurs parcourset leurs modes d’expression respectifs, tous deux ont en commun d’avoir puisé leur inspiration dans une enfance blessée.

*Jean Genet.

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nication courante, il y avait tout simplementdes interprètes. Les difficultés que vousavez citées, je les ai plutôt vécues commedes challenges stimulants.

-C. C. : Parlez-nous un peu de vos jeunesacteurs, qui sont merveilleux. Est-ce que cesont des « professionnels » ? Comment lesavez-vous recrutés ? Quelles sont les parti-cularités d’un tournage avec des enfants ?

-O. L. : La plupart n’avaient jamais joué,notamment Kim Saeron, la petite fille quitient le rôle principal, celui de Jinhee. Ilexiste en Corée un grand nombred’agences pour les enfants qui veulent de-venir acteurs. Il y avait donc plutôt duchoix. Mais il est assez rapidement apparuque ces enfants qui suivaient des cours decomédie reproduisaient des stéréotypes, cequi fait que le casting a duré très longtemps.Ce que j’ai trouvé formidable, ça a été detravailler avec des gosses qui n’avaient au-cune expérience, qui étaient très spontanésdans leur jeu. La petite Kim Saeron, on l’atrouvée deux semaines seulement avant ledébut du tournage. J’avais envie de faireconfiance à la part plus ou moins incons-ciente de ce qui allait se passer en elle, debénéficier de sa fraîcheur. Il y a bien sûr euun travail de peaufinage à partir de ce quelivraient spontanément ces enfants, maispas d’étude psychologique préalable despersonnages comme on peut le faire avecdes acteurs adultes. Je n’ai pas procédé aveceux à une approche cérébrale du jeu, car lesenfants ne l’intellectualisent pas.

-C. C. : Lee Chang-dong, le célèbre réalisa-teur coréen, a été étroitement associé à cetteentreprise originale. Comment avez-vousfait sa connaissance et quel a été son rôle?

-O. L. : Il a été le producteur coréen de cefilm. J’ai fait sa connaissance quand il estvenu présenter à Paris son film Secret suns-hine, à l’automne 2007. A l’époque, j’avaisla première version du scénario d’ Une vietoute neuve. Je n’avais pas encore eu de re-tour de lecture par un Coréen et j’en avaisbesoin. J’ai pu rencontrer Lee Chang-donget lui exposer mon projet. Il est retournéen Corée ; je lui ai envoyé mon texte, qu’ila lu. A partir de là, nous avons eu une cor-

respondance par mails dans laquelle il acommenté ce scénario, qu’il ne trouvait pastotalement abouti. Notre collaboration adonc commencé de façon assez naturellepar des échanges de points de vue. Nousavons retravaillé le scénario ensemble et demanière tout aussi naturelle, il est devenule producteur coréen du film.

-C. C. : Avez-vous rencontré des difficultésde financement et de distribution, commec’est généralement le cas pour un premierlong métrage ?

-O. L. : Le film entre dans le cadre de l’ac-cord de coproduction franco-coréen signéil y a quelques années. Sans entrer dans lesdétails techniques, cela veut dire qu’il a lesdeux nationalités, ce qui donne des avan-tages au niveau de la distribution. Mais, lefait qu’il ait été tourné presque à 100 % enlangue coréenne excluait toute possibilitéd’obtenir une subvention d’Etat, qui n’estaccordée qu’aux oeuvres réalisées au moinsà 50 % en langue française. Je n’ai pas da-vantage reçu une aide financière en Corée,où la production repose beaucoup plus surla notion d’investissement à rentabiliser, lelabel « film d’auteur » n’annonçant pas for-cément un succès commercial. Les pre-miers financements sont venus dudistributeur français et de Canal +. Mais aubout du compte, j’ai connu un parcoursassez typique pour un tout premier film.

-C. C. : Une vie toute neuve -dont le titrecoréen est Yeohaengja, « Une voyageuse »-est sorti en Corée fin octobre 2009. Quel ac-cueil la critique et le public lui ont-ils réservé ?

-O. L. : Le film a eu une excellente presse,de très bonnes critiques… mais il paraît quepersonne ne les lit ! Quant à la sortie ensalles, elle a été un peu confidentielle. Cequi marche là-bas, c’est surtout le cinémacommercial pour grand public, les filmsd’action et les grandes comédies. Il faut direque les spectateurs coréens sont très jeunes,entre 16 et 25 ans en majorité. De ce quej’ai pu voir, il n’y a pas la même cinéphilie,la même diversité de cultures cinématogra-phiques qu’en Europe. Il est donc difficilede remplir les salles avec un sujet un peusensible et surtout, sans acteurs connus.

- C. C. : Votre film a été présenté dans diffé-rents festivals internationaux où il s’est vu at-tribuer un certain nombre de distinctions…

-O. L. : Il a d’abord été projeté à Cannes,en sélection officielle mais hors compéti-tion. L’accueil a été excellent. C’était évi-demment très important, car cettemanifestation bénéficie d’une couverturemédiatique considérable. Le film a par ail-leurs obtenu le prix du festival de filmspour la jeunesse d’Amsterdam et le prix dumeilleur film asiatique du festival de Tokyo.

-C. C. : Ce tournage, dont vous avez précé-demment minimisé les difficultés, apparaîtnéanmoins comme un défi que vous avezrelevé grâce à un désir profond. Quelle im-pression globale en retirez-vous ? Quelbilan tireriez-vous, au point de vue person-nel, de cet épisode ?

-O. L. : Pour moi, ce tournage a été uneaventure vraiment extraordinaire. Il a étél’occasion d’une expérience humaine trèsforte, parce que c’était un retour en Corée,un moyen de recréer par le cinéma un lienavec mon pays d’origine. Pouvoir dépasserla barrière de la langue pour le faire a étéextrêmement enrichissant. Et rencontrer àprésent dans des festivals des gens d’autrespays, d’autres cultures qui se déclarent tou-chés par ce film, c’est la plus grande des ré-compenses.

Propos recueillis par Jacques BATILLIOT

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Les réalisateurs Ounie Lecomte et Yang Ik-june :« Créer, c’est toujours parler de l’enfance »*

Interviews

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-Culture Coréenne : Qu’est-ce qui vous aamené au cinéma, d’abord en tant qu’ac-teur, puis comme réalisateur ? Quel a étévotre parcours ?

-Yang Ik-june : Je n’ai pas choisi le métierd’acteur parce que j’avais une admirationparticulière pour ça. Quand j’étais ado-lescent, j’étais entouré d’amis qui s’inté-ressaient beaucoup au showbiz. J’avaisdes copains qui avaient fait leurs débutsen tant que chanteurs alors que nousétions encore au collège ! Je les enviais,bien sûr, et je leur disais naïvement :« Vous avez publié un album, moi je seraiacteur ; on se reverra à la télévision. »C’est ainsi que j’ai commencé à m’inté-resser au métier d’acteur. Mais rétros-pectivement, je me rends compte quec’était surtout parce que j’avais besoind’exprimer certaines choses, de « dé-nouer les nœuds ». J’ai commencé à en-visager sérieusement une carrière unefois à l’université où j’ai reçu une forma-

tion de comédien. J’ai ensuite tourné dansune trentaine de courts métrages et dansune dizaine de films à caractère commer-cial. Mais les rôles qu’on me confiait neme permettaient pas vraiment de me dé-fouler. Alors je me suis dit : pourquoi nepas réaliser moi-même un film ?

-C. C. : Il y a beaucoup d’acteurs talen-tueux en Corée. Comment expliquez-vouscela ? Est-ce un don chez les Coréens ? LaCorée est-elle un pays d’acteurs ?

-Y. I.-j. : Il faut dire que les films coréensque vous avez l’occasion de voir en Oc-cident sont probablement les meilleurs.Song Kang-ho et Choi Min-sik, parexemple, qui sont très connus même àl’étranger, sont des acteurs qui ontquelque chose de plus que les autres,quelque chose d’assez fort. Ils ont unstyle de jeu plutôt extériorisé, qui reflèteune caractéristique qu’on trouve assezfréquemment chez les Coréens : ils ca-chent leurs sentiments, mais ils explosentassez facilement ! Ils sont capables d’unemontée d’énergie instantanée. Expriméedans le jeu, cette particularité donnequelque chose d’assez fougueux.

C. C. : Le fait de vous mettre en scènevous-même dans Breathless, dont le titreoriginal coréen est Ttongpari, sans réali-sateur pour vous diriger, vous a-t-il poséun problème ?

Y. I.-j. : Pas particulièrement, car j’ai unelongue expérience d’acteur et par ailleurs,je l’avais déjà fait pour un court métrage.En revanche, il faut beaucoup bouger,pour être à la fois à l’intérieur et à l’exté-rieur du champ. Des gens qui assistentau tournage peuvent se dire : « Mais il nese pose jamais, celui-là ! » Certes, ça peutêtre un inconvénient, mais personnelle-ment, je vois plutôt ça comme un avan-tage. En Corée, le réalisateur estconsidéré comme le grand patron, qu’ilfaut révérer ; mais le fait que je jouaisavec eux mettait les autres interprètesplus à l’aise. Ils me traitaient en copain.Ils me parlaient sur un ton familier, medonnaient des tapes dans le dos, ce quidétendait considérablement l’atmo-sphère. Il m’arrivait d’oublier mon rôle àforce de m’occuper des autres acteurs, deveiller à ce qu’ils soient émotionnelle-ment prêts. Je me mettais dans le champet je criais à quelqu’un : « Tu dis : « Ac-tion ! » », mais je l’arrêtais aussitôt : « At-tends ! Je n’ai pas appris mes répliques.Passe-moi le script ! » J’essayais alors deles mémoriser en une ou deux minutes –ce n’est pas parce que je les avais écritesque je les connaissais forcément par

cœur… Ceci dit, je ne faisais pas répéternon plus les autres comédiens. Je tenaissurtout à ce qu’ils soient psychologique-ment dans le rôle. Je pense que cela acontribué au réalisme du film. En toutcas, pour moi, le fait de ne pas avoir pré-paré mon jeu à l’avance m’a permis d’ex-primer quelque chose d’assez brut, deplus authentique sans doute.

-C. C. : Vous avez produit vous-mêmevotre film ?

-Y. I.-j. : Oui, et ça n’a pas été le plus fa-cile ! J’ai commencé par emprunter despetites sommes à mes proches. Par lasuite, j’ai trouvé un producteur qui étaitprêt à me financer, mais cela m’aurait ex-posé à trop de contraintes -il voulait enparticulier que je change les acteurs etpour moi, il n’en était pas question - etj’ai préféré garder ma liberté. Résultat :pendant toute la durée de la réalisation,j’ai commencé mes journées en passantdes coups de fil pour trouver un peud’argent et pouvoir continuer. Il m’estmême arrivé de devoir interrompre letournage, rappelant l’équipe dès quej’avais trouvé quelques ressources. Cedont je suis le plus fier, c’est d’avoir enfinpu payer récemment tous ceux quiavaient collaboré à ce film, grâce aux re-cettes !

C. C. : Breathless raconte l’histoire d’unhomme plein de rancœur à l’égard de sonpère et qui, recouvreur de dettes dansune bande de voyous, s’exprime surtoutà travers la violence. Mais le sujet centralde ce film me paraît être la famille et lesperturbations que la société moderne yintroduit. Etes-vous d’accord avec cepoint de vue ?

Y. I.-j. : Absolument. Avant sa sortie enCorée, le distributeur coréen voulait fairela promotion du film en le présentantcomme l’histoire, le destin d’un homme.Je lui ai alors dit que, même si le person-nage que j’incarne, Sang-hoon, y appa-raît au premier plan, je voulais queBreathless soit annoncé comme un filmsur la famille. Il ne m’a pas écouté, bien

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Yang Ik-June, réalisateur-scénariste-producteur-interprète

Yang Ik-june, un remarquable acteur dans un trèsbeau film sombre et dramatique.

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sûr ! J’ai fait ce film en pensant beaucoupà la mienne, surtout à mon père et à l’in-fluence qu’il avait exercée sur ma vie.

C. C. : S’agit-il alors d’une catharsis per-sonnelle ? Ou avez-vous voulu délivrerun message au public coréen en dénon-çant une certaine désagrégation de lacellule familiale ?

Y. I.-j. : J’ai initialement conçu Breathlesscomme une libération personnelle, maisle public y a en effet vu ce genre de mes-sage. Beaucoup se sont identifiés au per-sonnage, déclarant que cette oeuvre leuravait permis de réfléchir sur leur proprevie. J’ai eu beaucoup de témoignages ence sens sur ma page personnelle d’Inter-net et certains me remerciaient. J’ai tout àcoup réalisé que je n’avais pas été le seulà connaître ces désordres familiaux. Onm’a dit que le film portait un message so-cial, mais ce n’était pas vraiment mon but.C’est seulement après, quand on m’a ditce genre de choses, que j’ai commencé demon côté à y réfléchir. On parle peu de laviolence conjugale, un sujet qui constituepartout dans le monde une sorte detabou. Je pense que même si les détailsdiffèrent, le problème est le même danstous les pays et que c’est pour cela quemon film parle aussi aux spectateursétrangers. Il faut amener ce fléau au grandjour pour faire évoluer la situation.

C. C. : Comment les critiques ont-ilsréagi à votre film ?

Y. I.-j. : Très positivement. Quand il aété montré au public pour la premièrefois, au festival de Pusan 2008, il a suscitéun réel enthousiasme. Le public a su dé-chiffrer les sentiments que j’avais voulufaire partager et qui sont sous-jacentsdans des scènes ultra violentes, commecelles où l’on voit un père ou des femmesbrutalisés.

C. C. : Votre film a reçu un nombre im-pressionnant de récompenses. Pouvez-vous nous en citer quelques-unes ?

Y. I.-j. : Tiger Award du Meilleur film auFestival de Rotterdam ; Grand Prix etPrix de la Critique internationale au Fes-tival du film asiatique de Deauville… EnCorée, Prix de la mise en scène attribuépar l’Association des critiques cinémato-graphiques à Pusan ; Prix du jeune réali-sateur décerné par le journal Pusan ilbo ;Prix du bureau coréen de la Fédérationdes critiques cinématographiques… Entout, vingt-cinq prix à l’étranger et quatreen Corée.

C. C . : De ces deux métiers, acteur etréalisateur, lequel vous a apporté le plus

de satisfactions ? Quels sont vos projetspour l’avenir?

Y. I.-j. : Je suis acteur depuis longtemps,mais on ne m’avait jamais proposé le rôleque j’avais toujours rêvé de jouer. C’étaitfrustrant, mais cette frustration m’a fina-lement été bénéfique quand je suis passéderrière la caméra, car je me suis investià fond. Cette expérience a eu un côtédouloureux, car le film parlait de moi ;mais par ailleurs, elle m’a servi d’exutoire.Je suis heureux d’avoir vécu cette doubleexpérience. Quant à l’avenir… Je pensecontinuer à vivre de la manière qui mesemble la plus fidèle à ce que je suis. Entout cas, je voudrais avant tout rester uncinéphile, continuer à faire des filmsselon mon cœur, tout en essayant d’ap-porter quelque chose aux autres.

Propos recueillis par Jacques BATILLIOT

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Yang Ik-June, réalisateur-scénariste-producteur-interprète

Le ^lm « Breathless » était présenté en avant première, lors de la soirée d’ouverture à l’Action Christine du4e Festival Franco-Coréen du Film (du 4 au 17 novembre 2009), dont Yang Ik-june fut l’un des invités d’honneur.

Breathless, de Yang Ik-juneSortie repoussée à avril 2010

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es Coréens, étant très attachés à leur culture et leur patri-moine, organisent chaque année, à travers le pays, de nom-

breux festivals et évènements portant sur la culture et lesspécialités de chaque région.

Ainsi, parmi les festivités à ne pas manquer, la cérémonieJongmyo Jerye a lieu chaque année le 1er dimanche de mai (2mai 2010) au sanctuaire royal Jongmyo à Séoul. Aujourd’hui,ce rituel d’hommage aux ancêtres est perpétué une fois paran, selon un strict protocole, dans une ambiance solennelle etmajestueuse. La musique et la danse, qui font partie du rituel,conservent intacte sa mise en scène authentique.

Parmi les autres festivités coréennes à ne pas manquer, le fes-tival des lanternes à Séoul, qui aura lieu du 14 au 23 mai 2010,commémore l’anniversaire de Bouddha. Plus de 100 000 lan-ternes de lotus envahissent en cette occcasion certains quar-tiers de Séoul, formant une belle vague lumineuse, symbolede paix et d’harmonie.

Les autres régions de Corée ne sont pas en reste. Ainsi, du 3au 12 septembre 2010, le Ginseng sera mis à l’honneur àGeumsan lors d’un festival célébrant cette racine magique. Unemultitude de produits à base de Ginseng, reconnu à travers lemonde pour ses propriétés toniques et revigorantes, sera alorsproposée sous toutes ses formes : racines fraîches ou séchées,en poudre, sous forme de thé, en extrait concentré…

Du 24 septembre au 3 octobre, Andong sera aussi en fête lorsdu traditionnel festival international de la danse masquée. Denombreuses troupes coréennes et étrangères seront présentesen cette occasion et laisseront des souvenirs inoubliables auxvisiteurs.

Pour plus d’informations et pour consulter le calendrier desfestivals : www.visitkorea.or.kr.

Les fe s t iv i t é s en Corée en 2010

Sources : Office National du Tourisme CoréenTél : 01.45.38.71.23 / E-mail : [email protected]

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Voyages, tourisme

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orsqu’à Séoul vous vous trouvezdu côté de Jongno, n’hésitez pas

à aller vous promener dans le quar-tier Gahoe. Là, au détour de char-mantes ruelles à l’ancienne, vousaurez la chance de découvrir leGahoe Minhwa Museum, MuséeGahoe des Peintures Populaires, quiest aujourd’hui le plus importantmusée privé consacré à la préserva-tion et à l’exposition du patrimoinechamanique coréen. Créé en 2002par Yoon Yeolsu, directeur et pro-priétaire des collections, il présente enalternance, dans une belle maisontraditionnelle, plus de 1.500 piècesconstituant le fonds, dont 250 pein-tures chamaniques (musindo), 750amulettes (bujeok), environ 150ouvrages anciens et 250 objets diversliés aux pratiques chamaniques,divinations, rituels, toutes ces piècesdatant de la fin XIXe jusqu’aumilieu du XXe siècle. Le MuséeGahoe se consacre à la réalisationde programmes pédagogiques,d’expositions et de catalogues (unebonne vingtaine à ce jour), afin depréserver et mieux faire connaître desœuvres rares d’une culture populairecoréenne toujours vivante. En atten-dant la présentation en France dequelques-uns de ces frêles trésors,nous avons le plaisir de vous en offrirsur cette page quelques images.(d’après Ariane Perrin, Arts of Asia, juillet 2008)pour tous renseignements : www.gahoemuseum.org

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Photos © Gahoe Minhwa Museum

L e G a h o e M i n h w a M u s e u m d e S é o u l

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Roman traduit du coréen par Choi Mikyung et Jean-Noël JuttetNous sommes à la fin du 19e siècle. En ces temps de disette et de corruption, la traite des enfants est un com-merce qui alimente un trafic mafieux dans toute l’Asie du sud-est. Shim Chong, adolescente vendue, vaconnaître tous les aléas d’un négoce sexuel florissant, des rives du fleuve Jaune aux ports de Shanghai, Tai-wan ou Singapour… Son parcours initiatique s’inscrit de façon magistrale dans une impressionnante sagades métiers de la prostitution à une période charnière, où l’Asie, sur fond de guerre de l’opium et de traficd’armes, s’ouvre aux impérialismes occidentaux. En romancier au souffle épique, Hwang Sok-yong -grandauteur coréen traduit et lu dans le monde entier- nous livre une somptueuse fresque romanesque.

-Ed. Zulma-

Georges Ziegelmeyer et Byon Jeong-won ont traduit de Jo Jong-nae un livre-monde comprenant deux cy-cles qui totalisent vingt-deux volumes. Leur auteur, animé du souffle des grands classiques, est considérécomme l’un des grands contemporains des lettres coréennes.Ces deux cycles, Arirang et La chaîne des monts Taebaek, ont rallié des millions de lecteurs de la péninsule…Jo Jong-nae est souvent proposé au Nobel de littérature pour avoir su fixer dans cette immense symphoniepubliée en français chez L’Harmattan, le destin de la nation coréenne de la fin du 19e siècle aux années1980. Dans cet ouvrage, G. Ziegelmeyer nous conte les deux cycles que le lecteur français peut se procu-rer. Nous y découvrirons un peuple à la culture et aux traditions millénaires et une fresque romanesque ex-ceptionnelle.

-Ed. L’Harmattan-

Avant l’ouverture de la Corée aux puissances occidentales -dans les années 1880- et l’arrivée de voya-geurs « professionnels », ce sont les marins et missionnaires qui ont, peu à peu, fait connaître en Francele Royaume Ermite. Ce sont leurs témoignages que propose Connaissance par les îles, jusqu’au momentdu premier affrontement militaire du Pays du Matin clair avec une nation occidentale, en l’occurrence laFrance, en 1866. Henri Zuber, officier de marine et peintre, en a offert un bref récit qui donne à voirpour la première fois en France, par le texte et par l’image, la Corée et les Coréens : il signe là l’acte denaissance de la littérature viatique française sur la péninsule…Un singulier parcours à travers l’histoire desrelations franco-coréennes de la fin du 18e siècle au dernier tiers du 19e siècle, et un ouvrage extrêmementdocumenté…

-Ed. Jaimimage- Ouvrage vendu par correspondance. Commandes et informations :[email protected] ou sur www.jaimimage.com

Livres

Les Guides Belles Lettres des Civilisations proposent un voyage dans le temps et l’espace (Egypte, Grèce,Rome, etc.) et s’adressent aux étudiants, aux curieux d’histoire et de civilisations, aux voyageurs…Le Royaume Ermite : ainsi les Occidentaux dénommaient-ils la Corée au 19e siècle, qu’ils confondaient sou-vent avec la Chine et le Japon. Il y régnait toutefois une dynastie, alors vieille de plus de quatre siècles, quiavait choisi le confucianisme comme idéologie et édifié selon ses conceptions un état original, le Choson. Cettepetite terre du bout du monde, secrète et mystérieuse, mérite d’être considérée comme l’une des grandes ci-vilisations de l’Asie lointaine dont cet ouvrage de Francis Macouin permet de découvrir différents aspects.

-Ed. Les Belles Lettres-

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Voici un jeune chat errant, qui doit affronter les difficultés de la vie après la disparition de sa mère. Voiciune adolescente solitaire et renfermée qui vit seule avec sa grand-mère. Tous deux se rencontrent dans unparc, et aussitôt, le chat croit reconnaître en elle un de ces êtres de légende qui comprennent le langage deschats. C’est sûr, ils sont faits l’un pour l’autre. Mais les choses ne sont pas aussi simples, et c’est le chat quidevra apprivoiser cette adolescente un peu sauvage…Une belle histoire d’amitié entre un chat et une fille quiapprennent ensemble à affronter la vie… Et une occasion de découvrir la Corée et la vie de sa capitaleSéoul, où se déroule l’histoire.

-Ed. Philippe Picquier-

Traduit du coréen par Choi Mikyung et Jean-Noël JuttetJoueur, voleur, buveur, Byon Gangsoé, dont le nom signifie «rigide comme le fer», fait preuve d’une grandesanté sexuelle. Jusqu’au jour où il rencontre une jeune et belle veuve sur laquelle pèse une malédiction : tousceux qui l’approchent passent de vie à trépas. Et, malgré ses dons, Byon rejoint la cohorte de moines, sal-timbanques, mendiants ou fonctionnaires qui, dans l’espoir d’une luxurieuse union, prêtent leur concoursà de fort joyeuses funérailles. De réputation sulfureuse, à la paillardise bon enfant, ce classique coréen ano-nyme, plein de poésie et tissé d’humour noir, transmis de siècle en siècle, permet d’inverser le tragique dela mort en rabelaisienne comédie.

-Ed. Zulma-

DVD« Failan », de Song Hye-sungLee Kang-jae, truand raté, sort de prison.Un jour, alors qu’il allait se constituer pri-sonnier à la place de son chef de bande,la police se présente à son domicile et luiannonce la mort de sa femme, Failan,épousée pour quelques billets. Au traversd’objets personnels, Lee Kang-jae décou-vre une femme jusqu’alors inconnue.Toute sa vie se trouve alors remise enquestion.Un film brutal et mélancolique redéfinis-sant les contours du mélodrame coréen.

-Spectrum Films-

« Le Bon, la Brute et le Cinglé », de Kim Jee-woonLes années 1930 en Mandchourie. LeCinglé vole une carte au trésor à unhaut dignitaire japonais. La Brute,tueur à gages réputé, est payé pour ré-cupérer cette carte. Le Bon veut, lui, re-trouver le détenteur de la carte pourempocher la prime. Un seul parviendraà ses fins, s’il réussit à anéantir l’arméejaponaise, les voyous chinois, les ban-dits coréens et ses deux autres adver-saires.

-TF1 Vidéos-

« Souvenir », d’Im Kwon-taekYoo-bong, un chanteur traditionnel co-réen souffrant de n’avoir jamais connu lagloire, enseigne le chant à sa fille, Song-hwa, et le tambour à Dong-ho, son beau-fils. Voyageant de représentation enreprésentation, tous trois parcourent lesroutes du pays. Un jour, Dong-ho s’en-fuit, abandonnant derrière lui la musiqueet sa demi-sœur qu’il aime en secret. Bienplus tard, dans une taverne de Sunhak, levillage où il avait quitté Song-hwa,Dong-ho apprend que son beau-père estmort et part à la recherche de sa bien-aimée tout en se remémorant le passé.

-Warner Home Vidéo France-

« The Chaser », de Na Hong-jinJoong-ho, ancien flic devenu proxénète,reprend du service lorsqu’il se rendcompte que ses prostituées disparaissentles unes après les autres. Très vite, il réa-lise qu’elles avaient toutes rencontré lemême client. Joong-ho se lance alorsdans une chasse à l’homme, persuadéqu’il peut encore sauver Mi-jin, la der-nière proie du tueur.Réalisé de main de maître, « The Chaser »a obtenu le Grand Prix Action Asia au Fes-tival du Film Asiatique de Deauville 2009.

-M6 Vidéo-

Nouveautés

Bien sûr, cette sélection ne peut être exhaustive. Pour toute information complémentaire surles publications coréennes en France, merci de contacter notre bibliothèque au 01 47 20 83 86

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