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L'ESPACE DES LUTTES Topographie des mobilisations collectives Javier Auyero Le Seuil | « Actes de la recherche en sciences sociales » 2005/5 n o 160 | pages 122 à 132 ISSN 0335-5322 ISBN 2020840251 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2005-5-page-122.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- !Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Javier Auyero, « L'espace des luttes. Topographie des mobilisations collectives », Actes de la recherche en sciences sociales 2005/5 (n o 160), p. 122-132. DOI 10.3917/arss.160.0122 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Le Seuil. © Le Seuil. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.43.141 - 22/08/2015 10h08. © Le Seuil Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.22.43.141 - 22/08/2015 10h08. © Le Seuil

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L'ESPACE DES LUTTESTopographie des mobilisations collectivesJavier Auyero

Le Seuil | « Actes de la recherche en sciences sociales »

2005/5 no 160 | pages 122 à 132 ISSN 0335-5322ISBN 2020840251

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2005-5-page-122.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

!Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Javier Auyero, « L'espace des luttes. Topographie des mobilisations collectives », Actes de larecherche en sciences sociales 2005/5 (no 160), p. 122-132.DOI 10.3917/arss.160.0122--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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CUTRAL CO, NEUQUÉN, ARGENTINE, 1996. L’occupation des lieux publics, un enjeu de luttes.

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123ACTES DE LA RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALES numéro 160 p. 122-132

par Javier Auyero

L’espace des luttes

Tehran Pars, Iran, dans les années 1970. « Cette nuit-là,lorsque nous sommes sortis de la maison, j’ai assistéà une scène que je ne souhaite à personne de voir.Tout le quartier avait été encerclé par des militairesqui s’y étaient glissés furtivement et avaient interdità quiconque d’allumer une lumière […]. Ils s’étaientéquipés de quatre bulldozers. Ils ont contraint toutle monde à sortir des maisons et se sont ensuite misà les démolir. Tous les membres de la famille, ycompris les enfants, qui logeaient dans l’une de ceshabitations, sont montés sur le toit en criant : “Nousne sortirons pas !” Mais les militaires ont détruit lamaison. Le père de famille est tombé et la maisons’est écroulée sur lui. Dès qu’elle a vu cela, la mères’est évanouie et elle a laissé tomber l’enfant qu’elletenait dans ses bras1. »

Cette scène aurait pu aussi bien se passer dans unbidonville de Buenos Aires ou une favela de Rio de Janeiro,où les agents de l’État rasent régulièrement les enclavespauvres, en particulier celles qui sont considérées commen’ayant pas leur place dans la ville. En l’occurrence, l’épi-sode a lieu pendant les années 1970, à Javadieh, un quartierde Tehran Pars, une banlieue située au nord de Téhéran, enIran. Le squatter qui témoigne fait allusion à l’un des épisodesde la vague d’actions répressives entreprises par l’Étatcontre l’occupation illicite de terrains entre 1974 et 1977.Pendant les années 1970, de façon comparable à ce quise passe alors à Quito, à Lima, ou dans des dizaines d’autresvilles d’Amérique latine, des milliers de familles iraniennespauvres s’installent sur des terres, en exigeant ensuite de

1. Asef Bayat, Street Politics. Poor People’s Movements in Iran, New York,Columbia University Press, 1997, p. 46.2. Ibid.

l’État des garanties de possession, l’accès aux servicesde base (électricité, eau courante, systèmes d’évacuationdes eaux usées) et que leurs habitations soient améliorées.À l’été et l’automne 1977, Asef Bayat relate que « cesterrains occupés sont devenus des champs de bataille.Les équipes de démolition de la municipalité, escor-tées par des centaines de paramilitaires, et équipéesde dizaines de bulldozers, camions et jeeps militaires,procédaient à des descentes dans les implantationspour démolir les habitations illégales et empêcher qued’autres ne soient construites. […] D’ordinaire, [cesactions répressives étaient] effectuées de nuit, momentoù il était difficile d’organiser une résistance collec-tive aux démolitions – les habitants étant couchés ousortis. Les agents de la municipalité demandaient auxindividus de sortir de leurs habitations, et les bulldo-zers détruisaient les cabanes et les baraques, nelaissant qu’un amas de plaques de métal, de pneusde voiture et de briques de boue2 ». L’occupation del’espace urbain faisait l’objet d’une bataille sans fin. Dès ledépart des militaires et des agents de l’État, « les squat-ters retournaient sur les ruines de leurs abris etrassemblaient les gravats pour reconstruire leursmaisons : “Même s’ils démolissent 50 fois, nous recons-truirons”, déclarait un habitant de bidonville ». Par cequ’il appelle une « réappropriation sans bruit de l’ordi-naire », Asef Bayat décrit « la lutte silencieuse, patiente,

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longue et systématique de ces gens ordinaires, contreles puissants et les propriétaires nantis, pour survivreà la misère et améliorer leurs conditions de vie ».

Cette forme épisodique d’action collective est éminem-ment spatiale en ce qu’elle a lieu dans et par l’espace.Ainsi lors d’un mouvement de contestation, l’espace, qu’ils’agisse d’un terrain à occuper, d’obstacles à surmon-ter ou au contraire de potentiels à exploiter, doit êtrepris en compte, au point de pouvoir même être l’enjeu dela mobilisation. Et c’est le plus souvent l’un et l’autre.Les manifestants – tout comme ceux qui cherchent àcontrôler leurs mouvements – doivent modeler leur actionselon la configuration spatiale.

Durant les vingt dernières années, à partir des travauxpionniers de Michel Foucault3 et Henri Lefebvre4, desgéographes et des chercheurs en sciences sociales ontcherché à faire en sorte que l’espace soit pris en comptedans la compréhension et l’explication des phénomènessociaux5. La théorie et l’analyse sociales contemporainesréaffirment l’importance de l’espace6. Si bien qu’aujourd’huil’argument selon lequel « le social et le spatial sont insépa-rables, et la forme spatiale du social a une effectivitécausale », pour reprendre les termes de la géographeDoreen Massey7, fait l’objet d’un large consensus parmiles géographes et les sociologues : « la société est néces-sairement construite dans l’espace, et cette dimen-sion – l’organisation spatiale de la société – a des effetssur son fonctionnement ». L’espace devrait donc êtreenvisagé non seulement comme le produit des processussociaux – c’est-à-dire « socialement construit » – maiségalement comme participant de l’explication de ceux-ci, lesocial étant, en d’autres termes, « construit dansl’espace ». Doreen Massey précise ainsi que « la réparti-tion dans l’espace et les différenciations géographiquespeuvent résulter de processus sociaux, mais elles ontelles-mêmes une incidence sur le fonctionnement deces phénomènes. Le “spatial” n’est pas seulement unrésultat ; il participe également de l’explication… [Il estimportant] que les chercheurs en sciences socialesprennent conscience du fait que les processus qu’ilsétudient sont construits, et qu’ils se reproduisent etévoluent d’une façon mettant nécessairement en jeudistance, mouvement et différenciation dansl’espace8 ».

Malgré cette réaffirmation assez consensuelle de« l’importance interprétative de l’espace dans lesdomaines traditionnels de la pensée critique contem-poraine9 », les recherches consacrées aux politiques de lacontestation ont, paradoxalement, été lentes à incorporerla dimension géographique des mobilisations collectives10.Dans une étude visant à montrer précisément à quel pointla théorisation de l’espace reste absente des analyses des

mouvements de contestation, William H. Sewell estime que« la plupart des analyses n’accordent d’importanceaux considérations spatiales que lorsque celles-ci sontnécessaires pour décrire le détail d’un événementparticulier de contestation politique ou lorsqu’il s’agitd’expliquer la genèse ou le déroulement de certainsévénements. À de rares exceptions près, l’espace estperçu comme un contexte implicite et non probléma-tique, et non pas comme un élément constitutif desmouvements de contestation méritant d’être concep-tualisé en tant que tel et étudié systématiquement11 ».Comme le remarque encore Charles Tilly, les dynamiquesrenvoyant à l’espace et au lieu constituent donc en générall’arrière-fond des descriptions des politiques de la contes-tation, mais « ne jouent que rarement un rôle impor-tant dans les explications offertes par les analystes surce qui se passe12 ».

Dans un numéro récent de la revue Mobilization consa-cré justement à la place qu’occupe l’espace dans l’analysedes actions de protestation, Deborah Martin et Byron Milleravancent l’argument selon lequel l’espace et le lieu forment« l’arrière-fond contextuel tout en participant de ladynamique constitutive des processus de contesta-tion13 ». À l’instar de tous les autres phénomènes sociaux,la contestation s’inscrit dans un contexte géographiqueparticulier. Et cette structure spatiale influe sur le déroule-ment de cette pratique collective, parce qu’elle est« située14 ».

3. Michel Foucault, Surveiller et punir : naissance de la prison, Paris, Gallimard,1975 ; Michel Foucault, Power/Knowledge, Selected interviews and otherwritings, Colin Gordon (éd.), New York, Pantheon, 1980.4. Henri Lefebvre, La Production de l’espace, Paris, Anthropos, 1974 ; ManuelCastells, La Question urbaine, Paris, Maspéro, 1972.5. Edward Soja, Postmodern Geographies. The Reassertion of Space inCritical Social Theory, Londres, Verso, 1989 ; Allan Pred, Making Historiesand Constructing Human Geographies, Boulder, Westview, 1990 ; DoreenMassey et John Allen (dir.), Geography Matters, Cambridge, Mass., CambridgeUniversity Press, 1984 ; David Harvey, The Condition of Postmodernity,Cambridge, Mass., Blackwell, 1989 ; Anthony Giddens, The Constitution ofSociety, Berkeley, California University Press, 1984 ; Mark Gottdiener, TheSocial Production of Space, Austin, The University of Texas Press, 1985 ;John A. Agnew, Place and Politics: The Geographical Mediation of State andSociety, Londres, Allen & Unwin, 1987.6. E. Soja, op. cit.7. Doreen Massey, Space, Place, and Gender, Minneapolis, University ofMinnesota Press, 1994, p. 255.8. Doreen Massey, « Introduction: Geography Matters », in D. Massey et J.Allen (éds), op. cit., p. 1-11.9. E. Soja, op. cit., p. 11.10. Byron Miller et Deborah Martin, « Missing Geography: Social Movementson the Head of a Pin?», papier présenté à l’Association of American Geographers,1998, p. 3.11. William H. Sewell, « Space in Contentious Politics », in Ronald Aminzadeet al. (éds), Silence and Voice in the Study of Contentious Politics, Cambridge,Mass., Cambridge University Press, 2001, p. 51-88.12. Charles Tilly, « Spaces of Contention », Mobilization, 5, 2000, p. 135-160.13. Deborah Martin et Byron Miller, « Space and Contentious Politics »,Mobilization, 8(2), 2003, p. 143-156.14. A. Pred, op. cit., 1990.

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Pour autant, l’espace n’a pas totalement été ignoré dessciences sociales et a été intégré aux travaux pionniers dela discipline. Ainsi, dans Le Manifeste du Parti communistede Karl Marx et Friedrich Engels, c’est la concentrationdans l’espace des travailleurs qui permet leur mobilisationen tant que prolétariat industriel : « Le développement del’industrie ne fait pas qu’accroître le monde des prolé-taires ; il les concentre en masses plus importantes,leurs forces augmentent et ils en prennent davantageconscience. Les intérêts, les conditions d’existenceau sein du prolétariat s’égalisent de plus en plus, àmesure que la machine efface les différences du travailet réduit presque partout le salaire à un niveau d’uneégale médiocrité15 ». La concentration spatiale des ouvriersdans des usines a un double effet : celui, d’une part, d’aug-menter la force des classes prolétaires en tant qu’acteurpolitique et celui, d’autre part, de favoriser leur prise deconscience de la puissance qu’ils représentent collective-ment16. Marx et Engels avaient la conviction que l’actioncollective était ancrée, physiquement comme symbolique-ment, dans l’espace. Anticipant, si l’on peut dire, le conceptde « compression spatio-temporelle » forgé par DavidHarvey17, Le Manifeste du Parti communiste décline defaçon lapidaire cette dimension double de l’espace : à lafois potentiel et contrainte. Alors que les « cheminsvicinaux » du Moyen Âge retardaient « l’union destravailleurs » –et donc leur action collective–, les cheminsde fer de l’ère du capitalisme industriel facilitent l’actioncollective : « Parfois les ouvriers triomphent : victoireéphémère. Le vrai résultat de leur lutte est moins lesuccès immédiat que l’union grandissante destravailleurs. Cette union est facilitée par l’accroisse-ment des moyens de communication qui sont créés parune grande industrie et permettent aux ouvriers delocalités différentes de prendre contact. Il suffit decette prise de contact pour centraliser en une luttenationale, en une lutte de classes, les nombreusesluttes sociales qui ont partout le même caractère.Mais toute lutte de classes est politique. Et l’union queles bourgeois du Moyen Âge mettaient un siècle àétablir, avec leurs chemins vicinaux, les prolétairesmodernes, avec leurs chemins de fer, la réalisent enquelques années18. »

Le travail, devenu classique, que Joe Feagin et HarlanHahn ont consacré aux émeutes dans les ghettos noirsdes États-Unis illustre cette intégration de l’espace dans ladescription des actes de protestation19. Si, en l’occurrence,ces protestations prennent la forme d’émeutes, c’est parcequ’elles s’inscrivent dans un contexte de stigmatisation etde ségrégation urbaines. Le lieu est donc la variable déter-minant autant les modalités (degré de violence ou durée parexemple) que les enjeux des émeutes. Certaines analyses

portant sur le comportement collectif intègrent par ailleurs,dans une certaine mesure, la dimension spatiale desémeutes20. De fait, les émeutes naissent dans un « environ-nement d’interactions immédiates21 », déterminé parces facteurs que sont la ségrégation urbaine, la densitéde population, la taille de la ville, le type d’habitations, laprésence (ou l’absence) de barrières limitant les interac-tions entre individus dans la rue (chemins de fer, coursd’eau, ou encore voies rapides). De même, Miller montreque certains contextes urbains se prêtent plus que d’autresà ces « processus d’agrégation » propices à engendrerdes comportements collectifs22. L’histoire urbaine accordeégalement une certaine importance au rôle que joue l’espacedans les épisodes de contestation. Les travaux consacrésà l’histoire de France, par exemple, ont intégré cette dimen-sion spatiale dans l’analyse des processus insurrection-nels, à l’instar du travail pionnier de Roger Gould qui aétudié l’identité des communards en les inscrivant dans lecontexte géographique de l’agglomération parisienne etde ses quartiers23, ou bien encore l’analyse détaillée d’ArletteFarge et de Jacques Revel des « enlèvements d’enfants »lors des émeutes parisiennes de 175024.

Les chercheurs en sciences sociales contemporainssemblent donc s’accorder sur le fait que l’espace et le lieudevraient faire partie intégrante de l’analyse des mouve-ments de contestation25. Les auteurs tendent ainsi à souli-gner la relation de structuration réciproque qu’entretiennentl’espace, physique comme symbolique, et les mobilisationspolitiques. Ainsi, l’espace et le lieu déterminent, tout en les

15. Karl Marx et Friedrich Engels [1848], Le Manifeste du Parti communiste,Paris, 10/18, 1962, p. 29.16. Steve Smith développe un argument similaire à propos de la révolutionrusse de 1917 de Petrograd (Saint-Pétersbourg) : « Pas moins de 68 % de lamain-d’œuvre que comptait la ville travaillait au sein d’entreprises comprenantplus de mille ouvriers – un degré de concentration sans équivalent au monde.Cette concentration d’ouvriers aussi conscients politiquement qu’experts dela pratique politique dans de grandes unités de production a joué un rôle-clépour faciliter la mobilisation des classes prolétaires en 1917 » (Steve Smith,« Petrograd in 1917: the view from below », in Daniel H. Kaiser (éd.), TheWorkers’ Revolution in Russia, 1917: The View from Below, Cambridge, Mass.,Cambridge University Press, 1987).17. D. Harvey, op. cit., 1989.18. K. Marx et F. Engels, op. cit., p. 30.19. Joe Feagin et Harlan Hahn, Ghetto Revolts. The Politics of Violence inAmerican Cities, New York, Macmillan, 1973.20. Clark McPhail, Acting Together: The Organization of Crowds, New York, Aldinede Gruyter, 1992 ; «Civil Disorder Participation: A Critical Examination of RecentResearch », American Sociological Review, 36, décembre 1971, p. 1058-1073 ; The Myth of the Madding Crowd, New York, Aldine de Gruyter, 1991.21. C. McPhail, op. cit., 1971, p. 1072.22. David Miller, Introduction to Collective Behavior, Belmont, Wadsworth, 1985.23. Roger Gould, Insurgent Identities: Class, Community, and Protest in Parisfrom 1848 to the Commune, Chicago, University of Chicago Press, 1995.24. Arlette Farge et Jacques Revel, Logiques de la foule : l’affaire des enlève-ments d’enfants, Paris 1750, Paris, Hachette, 1988.25. Voir par exemple D. Smith, « Knowing Your Place: Class, Politics, andEthnicity in Chicago and Birmingham, 1890 – 1983 », in Nigel Thrift et PaulWilliams (éds), Class and Space: The Making of Urban Society, Londres,Routledge, 1987, p. 277-305.

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favorisant, l’émergence des mouvements de contestation ;en retour, ceux-ci contribuent à actualiser les potentielsqu’offre l’espace tout en le restructurant. Cette doubledimension, structurée et structurante, de l’espace et dulieu est très bien perçue par William Sewell qui, faisantallusion à deux modes particuliers de contestation – lesmouvements sociaux et les révolutions –, montre que ceux-ci sont non seulement « façonnés et contraints par l’envi-ronnement spatial dans lequel ils s’inscrivent, maisparticipent également de la production de nouvellesstructures et relations spatiales26 ».

Cet état des lieux de la recherche consacrée aux mouve-ments de contestation permettra de montrer que la dimen-sion spatiale y est déclinée selon quatre modalitésprincipales. L’espace peut tout d’abord être considérécomme étant situé dans un tissu de relations sociales.L’espace construit, d’autre part, est perçu comme entre-tenant avec les politiques de la contestation une relationdouble de potentialité et de contrainte. Ces travaux montrentégalement que l’espace détermine le quotidien comme lesactes de contestation, sans, de ce fait, qu’il y ait de ruptureentre les deux. Enfin, l’espace est considéré comme étantporteur de sens : espace-symbole, il devient lieu.

L’espace situé

L’espace est situé : il s’inscrit dans un tissu de relationssociales continues dont les modalités ont des répercus-sions sur les phénomènes sociaux. C’est ce que montrentun certain nombre de travaux importants en sciencessociales consacrés à l’étude de rapports sociaux aussidivers que les activités contre-révolutionnaires27, la culturepolitique28, les formes de domination29 ou la violencepolitique et ethnique30. Les géographes, en particulier,accordent une grande importance à cette dimension del’espace. En témoigne le travail que Paul Routledge a consa-cré au mouvement paysan Chipko qui est apparu en Indeen 1972 pour militer contre la destruction de la nature31.L’environnement y est compris comme étant tout autantphysique que symbolique et donc inscrit dans un tissu derelations sociales.

En analysant le Mouvement des paysans sans terre(MST) au Brésil, Wendy Wolford a rendu compte très préci-sément des facteurs expliquant la décision des individusqui ont fait le choix de se joindre à ce mouvement, enintégrant cette dimension située de l’espace32. Wolford a,pour ce faire, comparé deux sous-groupes du MST. Lepremier était composé d’agriculteurs provenant de petitesexploitations familiales de Santa Catarina, dans le sud duBrésil ; l’autre comprenait d’anciens agriculteurs de planta-tion qui travaillaient dans la grande propriété foncière dePernambuco, l’un des terrains de bataille du MST au nord-

est du Brésil. Pour répondre à la question de savoir« Pourquoi des individus décident-ils de se joindre auMST ? », Wolford s’est appuyée sur une théorisation del’espace ainsi que des données empiriques – en montrantainsi que le choix de participer à cette action collective aété déterminé par les relations sociales particulières qu’en-tretenaient les paysans dans le contexte spatial d’où ilsprovenaient : « Les petits agriculteurs du sud du Brésilqui ont décidé de se joindre au MST pratiquaient desformes variées de production en se situant dans unespace où les liens communautaires étaient valori-sés. La pratique quotidienne du travail de la terrepermettait de nouer et renforcer des liens familiauxet communautaires qui ont facilité leur adhésion auMST. Au contraire, dans le nord-est, il a été beaucoupplus difficile pour le MST de mobiliser de nouveauxmembres, car les liens sociaux sur les plantations decanne à sucre étaient trop faibles pour permettre lamobilisation, et l’exploitation de propriétés privées etla hiérarchie [prévalant sur ces domaines fonciers]délégitimaient [à leurs yeux] la méthode d’occupationdes terres favorisée par le MST33. »

La construction de l’espace

Le travail que Doug McAdam a consacré à la genèse et audéveloppement du mouvement des droits civils n’est certespas limité au rôle qu’y a joué l’espace34. L’auteur développecependant certaines pistes montrant comment les actionsde contestation peuvent être déterminées par l’espace, ensoulignant, en l’occurrence, que le déploiement du mouve-ment a été freiné par l’isolement rural et le système de

26. W. H. Sewell, op. cit., p. 5.27. Charles Tilly, La Vendée, Révolution et contre-révolution, Paris, LibrairieArthème Fayard, 1970.28. Robert Putnam, Making Democracy Work, Princeton, Princeton UniversityPress, 1994.29. Clifford Geertz, Negara: The Theatre State in 19th Century Bali, Princeton,Princeton University Press, 1981.30. Mary Roldan, Blood and Fire: La Violencia in Antioquia, Colombia,1946 – 1953, Durham, Duke University Press, 2002 ; Ashutosh Varshney,Ethnic Conflict and Civic Life. Hindus and Muslims in India, New Haven, YaleUniversity Press, 2002 ; R. B. Wong, « Detecting the Significance of Place »,in Charles Tilly et Robert Goodin (éds), Oxford Handbook of Contextual PoliticalAnalysis, Oxford, Oxford University Press, à paraître.31. Paul Routledge, Terrains of Resistance: Non-violent Social Movementsand the Contestation of Place in India, Westport, Praeger, 1993.32. Wendy Wolford, « Families, Fields, and Fighting for Land: The SpatialDynamics of Contention in Rural Brazil », Mobilization, 8(2), 2003, p. 157-172 ; pour un traitement détaillé de la genèse et de l’évolution du MST, voirégalement Angus Wright et Wendy Wolford, « To Inherit the Earth: The LandlessMovement and the Struggle for a New Brazil », Oakland, Food First Books,2003.33. W. Wolford, op. cit., p. 158.34. Doug McAdam, Political Process and the Development of Black Insurgency,1930 – 1970, Chicago, University of Chicago Press, 1982. Voir aussi DougMcAdam, Sidney Tarrow et Charles Tilly, Dynamics of Contention, Cambridge,Mass., Cambridge University Press, 2001.

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domination raciale. Combinée à la violence raciale, ladistance entre individus, en termes tout simplementphysiques, qu’engendre le système du métayage a consti-tué un obstacle pour la mise en place d’une action collec-tive, en interdisant cet élément essentiel de toute actioncollective : la « co-présence ». La co-présence est en effetune composante essentielle des mouvements de contes-tation populaire35, et c’est l’espace construit qui la rendpossible tout en la limitant : « Ce sont les réseaux deroutes, de rues urbaines, de canaux, de ports, dechemins de fer et d’aéroports qui conditionnent engrande partie le mouvement dans l’espace, et c’estpour cette raison que les contraintes en termes detemps et de distance (“le laps de temps que devrontprendre les personnes, les objets ou les messages àtransmettre pour se rendre d’un lieu à un autre”), aveclesquelles les mouvements sociaux doivent compo-ser, sont déterminées par l’espace construit36 ». C’estdans cette perspective que Tilly avait du reste observé, àpartir de données empiriques, les effets qu’avait l’espaceconstruit dans les zones rurales sur les activités de contre-révolution37.

L’espace oppose ainsi des obstacles physiques commeil peut ouvrir des potentiels de mobilisation. En intégrant latopographie de la ville de Pékin à l’analyse de la genèse etde l’évolution du mouvement estudiantin [voir encadré «Pékin,

Chine, 1989», p. 129], Dingxin Zhao souligne que les politiquesde la contestation sont elles-mêmes construites par l’espace:« La plupart des campus de Pékin sont séparés del’extérieur par des murs de brique, avec quelquespoints d’entrée seulement, qui sont gardés par lesforces de sécurité de l’université. Au moment dumouvement estudiantin de Pékin en 1989, aucunpolicier ou soldat n’avait jamais pénétré à l’intérieurdes campus pour réprimer les étudiants… l’existencede ces murs autour des campus a joué un rôle impor-tant dans l’évolution du mouvement38 ».

Paul Routledge, dans son étude du Mouvement pour larestauration de la démocratie au Népal (MRD), montreégalement comment l’espace construit, en déterminant lesinteractions sociales, influe sur le déroulement des actionsde contestation. Dans les années 1990, profitant en partiedu succès que connaissent alors les mouvements démocra-tiques en Europe de l’Est, les principaux partis d’opposi-tion du Népal lancent le MRD en exigeant « ledémantèlement du système Panchayat, la restaura-tion de la démocratie parlementaire et la limitationdes pouvoirs du roi à ceux de monarque constitu-tionnel39 ». Les militants participant au mouvement onttrès consciemment utilisé les potentiels qu’offrait la topogra-phie urbaine de la ville de Patan, qui servait de base d’opé-ration pour la direction clandestine du mouvement. Ils se

rencontraient ainsi sur les « Durbar », ces places urbainesde la ville de Patan, qui, parce qu’elles sont reliées entre ellespar « un réseau labyrinthique de rues […], représen-taient des espaces protégés, hors d’atteinte des forcesgouvernementales ». En outre, du fait de leur caractèreétroit, les rues de Patan « interdisaient tout déploiementen masse des forces gouvernementales, ou [celui] devéhicules armés, tout en permettant aux militantsd’échapper à la police. Le réseau de rues secondairesreliées les unes aux autres qui traversent la villepermettait aux militants d’éviter les rues principales,et de se déplacer sans risque d’une partie à l’autrede Patan ou de Patan à Katmandou40 ». C’est donc latopographie de la ville qui permettait aux militants d’avoiraccès à des espaces libres et protégés41, ce qui, selonSewell, constitue « [la condition] sine qua non des mouve-ments sociaux42 ».

Les mouvements de contestation se déroulent dansdes espaces physiques. Les militants doivent donc tireravantage des potentiels qu’offrent ces espaces, ou aucontraire composer avec leurs contraintes, en ayant recoursà des tactiques spatiales. Ce peut être, par exemple, l’uti-lisation d’« hommes de liaison », comme à Pékin en 1989.Les militants du MRD, dont les activités se situent princi-palement dans la capitale du Népal, Katmandou, et dans lesvilles de Patan, Kirtipur et Bhaktapur, situées à proximité,ont quant à eux recours, selon Paul Routledge, à deuxtactiques spatiales distinctes, celle de la « meute » et cellede l’« essaim ». « En ce qui concerne la tactique del’essaim : les manifestations se déroulaient souventdans des espaces urbains, [et les manifestantsscandaient] des slogans appelant à la fin du régimePanchayat et au rétablissement de la démocratie.Cette occupation temporaire des rues et des placesurbaines permettait aux Népalais d’exprimer physi-quement et symboliquement leur résistance au régime.Durant les manifestations, des bandes d’étudiantscommençaient des manifestations spontanées auxcoins des rues : de petits groupes d’étudiants serassemblaient dans des lieux stratégiques de la ville,

35. Charles Tilly, « Contention over Space and Place », Mobilization, 8(2),2003, p. 221-226.36. W. H. Sewell, op. cit., p. 60.37. C. Tilly, La Vendée, Révolution et contre-révolution, op. cit.38. Dingxin Zhao, « Ecologies of Social Movements: Student Mobilizationduring the 1989 Prodemocracy Movement in Beijing », American Journal ofSociology, 103(6), 1998, p. 1493-1529 (citation p. 1495).39. Paul Routledge, «A Spatiality of Resistance. Theory and practice in Nepal’srevolution of 1990 », in Steve Pile et Michael Keith (éds), Geographies ofResistance, Londres, Routledge, 1997, p. 68-86 (citation p. 74).40. Ibid., p. 78.41. Pour une analyse conceptuelle de l’expression « espace libre », voirFrancesca Polletta, « “Free Spaces” in Collective Action », Theory and Society,28, 1999, p. 1-38.42. W. H. Sewell, op. cit., p. 69.

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en clamant des slogans antigouvernementaux, en brûlantdes effigies du roi, et en distribuant des tracts du mouve-ment ; ils se dispersaient à l’arrivée de la police et serassemblaient en un autre lieu. Ces manifestations decoins de rue pouvaient se tenir simultanément dansdivers lieux, de façon à limiter les capacités de déploie-ment de la police. Les militants avaient recours à uncertain nombre de tactiques de diversion (le fait parexemple de courir dans la rue en brandissant des“mashals” [torches en feu]) afin de détourner la policedes lieux de rassemblement du mouvement43. »

Les méthodes agressives que l’organisation Act Up déploiede façon extrêmement théâtrale dans les rues44 –à l’instardes kiss-ins ou des die-ins45 – ou le parcours ritualisé desMères et Grand-mères de la Place de Mai en Argentine, dansun contexte très répressif, sont autant d’exemples de tactiquesspatiales. De même, depuis une dizaine d’années, diversgroupes en Amérique latine ont pris l’habitude de procéderà des barrages de rue pour exprimer des revendicationsdiverses – que ce soient des chômeurs argentins, ou despeuples indigènes d’Équateur et de Bolivie46.

L’espace-routine ou le quotidien de la contestation

Si les mouvements de contestation tirent une part de leurefficacité du contexte local dans lequel ils s’inscrivent, c’estaussi lui qui détermine leurs enjeux. La littérature existantemet l’accent sur le fait que l’action collective s’inscrit dansun tissu de relations sociales « normales ». Les modalitésdiverses des luttes collectives sont ainsi engendrées, etsouvent occultées par les structures spatiales ordinaires dela vie quotidienne47. Comme le montre Sewell, « les routinesspatiales de la vie quotidienne conditionnent demultiples façons les lieux et les stratégies des mouve-ments de contestation politique. Les actes de contes-tation dérivent souvent de routines spatiales amenantun grand nombre de personnes à se rassembler enun même lieu48 ». En d’autres termes, les routines spatiales– comme aller faire ses courses au marché ou se prome-ner au parc – influent directement sur la constitution et laforme que prennent les actions de contestation politique.

En retour, les politiques de la contestation « instituentdes routines spatiales particulières, selon un histo-rique et en adoptant des trajectoires qui leur sontpropres49 ». Comme l’exprime très bien le concept de« répertoire d’actions », forgé par Tilly, ces routines déter-minent les luttes collectives ultérieures. Cette notion renvoieaux modalités diverses que prend l’action collective à partirdu moment où un groupe d’individus décide d’agir collec-tivement pour défendre des intérêts communs. Il s’agit dèslors de s’interroger sur l’existence ou non d’un modèle parti-

culier d’action collective, qui conduirait les individus à expri-mer, selon un même ordinaire de la contestation, leursrevendications, quel que soit le temps ou l’espace50. SelonTilly, ces « répertoires sont des créations culturelleshéritées, mais ils n’émanent pas d’une philosophieabstraite, pas plus qu’ils ne se conforment à une propa-gande politique ; ils naissent des luttes ». La lutte collec-tive se construit en effet dans et par l’espace, comme entémoignent les types d’actions que les manifestants appren-nent à mener. « Les gens apprennent à casser des vitrespour protester, attaquer des prisonniers cloués aupilori, détruire des habitations impayées, organiserdes manifestations publiques, des meetings officiels,faire circuler des pétitions, créer des associationschargées de défendre des intérêts particuliers.Cependant, quel que soit le moment historique, ilsn’apprennent qu’un petit nombre des modalités alter-natives de l’action collective51. »

La méthode du black-out – ou coupure généralisée etvolontaire de l’électricité – est souvent employée pour expri-mer le mécontentement contre un gouvernement en parti-culier ou une certaine politique. Ainsi, en Argentine, leblack-out massif organisé dans la capitale pour protestercontre la corruption générale et les politiques néo-libéralesdu gouvernement de Menem s’est révélé extrêmementefficace52. Les black-out orchestrés au Népal montrent

43. P. Routledge, op. cit., 1997, p. 76.44. Michael Brown, « Radical Politics Out of Place? The Curious Case of ActUp Vancouver », in Steve Pile et Michael Keith (éds), Geographies of Resistance,op. cit., p. 152-167.45. Les kiss-ins sont des baisers collectifs et les die-ins des actions où desmilitants s’allongent sur le sol pour simuler leur mort (NdT).46. Maristella Svampa et Sebastián Pereyra, Entre la Ruta y el Barrio. LaExperiencia de las Organizaciones Piqueteras, Buenos Aires, Biblos, 2003 ;Suzanna Sawyer, Crude Chronicles. Indigenous Politics, Multinational Oil, andNeoliberalism in Ecuador, Durham, Duke University Press, 2004 ; AugustoBarrera, « El movimiento indígena ecuatoriano : entre los actores sociales y elsistema político », Nueva Sociedad, 182, 2002, p. 90-105 ; Diane Davis, « ThePower of Distance: Re-theorizing Social Movements in Latin America », Theoryand Society, 28, 1999, p. 585-638.47. Beth Roy, Some Trouble with Cows, Berkeley, California University Press,1994 ; James Rule, Theories of Civil Violence, Berkeley, University of CaliforniaPress, 1988 ; Javier Auyero, Contentious Lives. Two Argentine Women, TwoProtests and the Quest for Recognition, Durham, Duke University Press, 2003.48. W. H. Sewell, op. cit., p. 62.49. Ibid.50. Voir également Sidney Tarrow, « The People’s Two Rhythms: Charles Tillyand the Study of Contentious Politics », Comparative Studies in Society andHistory, 1996, p. 586-600.51. Charles Tilly, « Contentious Repertoires in Great Britain », in Mark Raugott(éd.), Repertoires and Cycles of Collective Action, Durham, Duke University Press,1995, p. 25-26.52. Anton Rosenthal, «Spectacle, Fear, and Protest. A Guide to the History ofUrban Space in Latin America », Social Science History, 24(1), 2000, p. 33-73 ;Rita Arditti, Searching for Life. The Grandmothers of the Plaza de Mayo and theDisappeared Children of Argentina, Berkeley, University of California Press,1999 ; Marguerite Guzmán Bouvard, Revolutionizing Motherhood: The Mothersof Plaza de Mayo, Wilmington, Scholarly Resources, 1994 ; Javier Auyero, «TheJudge, the Cop, and the Queen of Carnival: Ethnography, Storytelling, and the(Contested) Meanings of Protest », Theory and Society, 31(2), 2002, p. 153-89.

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« En me levant le matin, j’ai vu que des étudiants del’Institut des sciences éducatives de Pékin étaient déjà entrain de défiler sur le stade du campus. Voulant voir cequi se passait à l’université du Peuple, je m’y suis renduà vélo. Lorsque je suis arrivé, certains étudiants de l’uni-versité du Peuple étaient en train de se déplacer vers lenord pour rejoindre des étudiants de l’université de Pékin.Je les ai alors suivis. Le temps que j’arrive, des étudiantsde l’université du Peuple s’étaient déjà joints à desétudiants de l’université de Pékin et ils se dirigeaient ànouveau vers le sud de la ville. Je suis alors retourné aucroisement de l’hôtel de l’Amitié et j’ai regardé ce qui s’ypassait. Des barrages de police avaient été dressés etempêchaient la progression des étudiants de l’universitéde Communication qui venaient du sud. Lorsque le plusgros des bataillons [d’étudiants] est arrivé, ils ont faitpression des deux côtés et le barrage de police a dûvite céder… Dès que les étudiants ont débordé lespoliciers, je me suis rendu à l’Institut des sciences éduca-tives de Pékin pour voir ce qui se passait. J’ai vu quedes étudiants s’étaient assis sur les trottoirs à l’extérieur

de leur université. J’ai passé le message: rendez-vous vitedans la direction de Chegongzhuang, des étudiants desautres universités arrivent. » Mis à part les détails propres à la configuration spatialede Pékin, les allers et venues frénétiques décrites dansce témoignage auraient pu tout aussi bien être cellesd’un manifestant de Seattle ou de Bolivie. En l’occur-rence, il s’agit du témoignage d’un étudiant que le socio-logue Dingxin Zhao qualifie d’« homme de liaison ». Ceshommes de liaison n’étaient pas, au sens formel, desorganisateurs du mouvement. Il s’agissait d’étudiantsqui, étant curieux de voir ce qui se passait aux différentspoints de ralliement lors des manifestations estudian-tines de 1989, ont fini par jouer un rôle essentiel decoordination, en se déplaçant à bicyclette d’une univer-sité à l’autre. C’est la topographie même du quartier deHaidian, à Pékin, dans ou autour duquel la plupart desuniversités sont situées, à courte distance les unes desautres, qui a facilité le déplacement rapide des hommesde liaison et donc la communication entre manifestantset la diffusion des messages des chefs du mouvement.

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quant à eux très clairement la relation de continuité quiexiste entre l’organisation spatiale de la vie quotidienne etles actions de contestation. Ainsi, selon Paul Routledge : « Siles coupures d’électricité sont décidées par la direc-tion du mouvement, elles sont mises en œuvre par lescitadins. Ces derniers relaient le message de toit entoit à travers tout Katmandou […]. Dans cette ville,les habitations traditionnelles “Newar” sont construitessur trois, quatre ou cinq étages seulement. L’étagesupérieur ouvre sur une terrasse ou “kaisi”, sur laquellese déroulent un certain nombre de rituels. L’envol decerfs-volants durant le festival de Mohani, par exemple,a pour but d’envoyer un message aux dieux pour qu’ilsmettent fin à la mousson – il s’agit donc d’une commu-nication d’ordre symbolique. Ces terrasses sont égale-ment utilisées pour des activités d’ordre davantageprosaïque – comme sécher le linge ou converser entrevoisins. En faisant passer le message, de terrasse enterrasse, que la protestation devait prendre la formed’un black-out, les citadins ont donc eu recours à unespace culturel, qui jouait déjà un rôle important pourla communication tant symbolique que communau-taire. Cet espace s’est donc vu attribuer une autrefonction, qui est venue se greffer intimement auxautres. C’est sur les toits que se réalisent les rituelsreligieux, certaines activités de la vie quotidienne etde résistance. La mise en œuvre de ces dernières aété facilitée par le fait que ces habitations citadinessont situées à proximité les unes des autres, qu’ellessont peu élevées, et hors d’atteinte des forces gouver-nementales53 ».

L’espace attribut : le lieu symbolique

Dans l’article qu’elle a consacré au rôle qu’a joué BalThackeray, le dirigeant du parti nationaliste hindou ShivSena, dans l’organisation et la mise en œuvre des émeutesantimusulmans, Larissa MacFarquhar, collaboratrice auNew Yorker, décrit la campagne lancée par le parti hindouisteBharatiya Janata (BJP) pour réclamer la reconstruction d’untemple54. Cette campagne a, selon elle, eu un rôle clé dansla montée en puissance du radicalisme hindou. En effet,parce qu’ils sont porteurs de sens, certains lieux peuventêtre tout autant le terrain que l’enjeu des politiques de lacontestation. Ces lieux symboliques s’inscrivent dansl’espace et font partie intégrante de ces politiques. SelonMacFarquhar cette campagne « était axée sur la mosquéed’Ayodhya, une petite ville située dans l’État d’UttarPradesh, au nord du pays. Cette mosquée avait étéconstruite sur ce qu’on disait être le lieu de naissancedu dieu Rama. Selon certains hindous, il y aurait euun temple à la gloire de Rama sur ce lieu, que les

Mogols ont détruit en 1528 pour y ériger leur mosquée.Le BJP a décidé que cette mosquée était un affrontinsupportable pour les hindous, et qu’à ce titre elledevait être démolie ». En septembre 1990, près de100 000 hindous ont pris la mosquée d’assaut, tuant 30personnes avant que leur progression ne soit arrêtée parla police. Quelques années plus tard, « 300 000 hindousse sont réunis sur le terrain où le temple était situé,sans cette fois-ci en être empêchés. La mosquée futdétruite, et cela a ouvert un cycle de violences commu-nautaires d’une ampleur jamais égalée depuis la parti-tion55 ». Göran Therborn montre également que les lieux« sont investis de sens. En tant que tels, les lieuxménagent un champ d’action. Les lieux indiquent l’atta-chement, l’appartenance, l’attirance, la révulsion ; [cesont] des objets d’identification, d’ambition et dedésir56 ». Les objets, comme les terrains physiques, devien-nent des lieux à défendre ou attaquer, à préserver ou libérer.Mieux encore, ce sont les politiques de la contestation quiles transforment en enjeu. Le nationalisme moderne, selonTherborn, « a engendré une sacralisation extraordi-naire du territoire national, un grand nombre de lieuxdevant être soit libérés, soit défendus. On peut endénombrer un grand nombre dans la région duCaucase, de même que sur le territoire de l’ex-Yougoslavie ou dans la région de la Corne de l’Afrique.La ville de Jérusalem, ou al-Qods, n’est pas seulementle lieu sacré de trois religions : c’est aussi l’enjeusymbolique d’une lutte violente entre deux nations ».

Les lieux sont donc tout à la fois le terrain et l’enjeudes politiques de la contestation. Les actions collectives s’ins-crivent dans des lieux physiques, qui ont déjà une significationparticulière. En retour, les actions collectives contribuent àla transformation de la signification attribuée à certainslieux. Ainsi, selon Sewell : « La manifestation qui a eulieu en 1963 à Washington était partie du centrecommercial situé devant le Mémorial de Lincoln, pourune raison d’ordre symbolique évidente, Lincoln étantl’auteur de la déclaration d’Indépendance. Le succèsde cette manifestation a cependant eu un effetimprévu, en ce que le centre commercial s’est vu attri-buer un nouveau sens : il est devenu depuis lors lelieu par excellence de toutes les manifestationsd’envergure nationale. [Cette manifestation] a ouvertla voie à une longue série de manifestations de grandeenvergure, ayant des objets aussi divers que la luttecontre le nucléaire, la défense des droits des

53. P. Routledge, op. cit., p. 77.54. Larissa MacFarquhar, «The Strongman. Where is Hindu-Nationalist ViolenceLeading? », The New Yorker, 26 mai 2003, p. 50-57.55. Ibid., p. 52.56. Göran Therborn, « Why and How Place Matters », in Charles Tilly et RobertGoodin (éds), op. cit. (souligné par l’auteur).

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homosexuels, [ou celle des Afro-Américains, à l’instarde] la manifestation du “Million Man”57 ».

Cette reconfiguration symbolique de l’espace peutparfois également résulter de la violence ethnique. Ainsi,selon Veena Das : « Chaque émeute laisse son empreinte[…]. Les violences à l’encontre des Sikhs en 1984 àDelhi, ou contre les Tamils en 1983, ont été particu-lièrement traumatisantes pour l’ensemble des membresdes communautés sikhs et tamils, parce que lesviolences ont eu lieu dans des espaces considérés[jusqu’alors] comme relativement protégés. A contra-rio, les émeutes entre hindous et musulmans de 1987à Delhi sont restées confinées à la ville fortifiée, unespace dans lequel les émeutes ont traditionnelle-ment lieu et avec une certaine régularité58. » La litté-rature consacrée aux conflits intercommunautaires– notamment les travaux de Paul Brass et Beth Roy59, oude Shahid Amin60 – confirme que ces lieux symboliquessont à la fois le terrain des politiques de la contestation etl’enjeu de celles-ci. Comme l’explique encore Veena Das :« Le contrôle et la préservation des espaces sacréscontinuent à être l’enjeu symbolique des conflits inter-communautaires. »

C’est dans l’espace que viennent se loger toutes lesreprésentations partagées par les individus, tout en déter-minant l’agencement, physique comme mental, de cesderniers. Cette fonction de l’espace ne surprendrait guèreles étudiants de géographie politique, habitués à êtreconstamment attentifs à la façon dont les communautés« conçoivent et ressentent » leur environnement physiqueet à l’effet que l’agencement de ce dernier et les repré-sentations qu’en ont les individus ont sur la constitution etles modalités des actions collectives. Dans le cadre del’analyse fine et provocante, qu’elle a consacrée à la façondont les habitants de La Hague, en Normandie, gèrent laprésence d’une centrale de traitement des déchetsnucléaires dans leur environnement immédiat, FrançoiseZonabend a analysé de façon très précise cette dimensionsymbolique de l’espace : comment, s’interroge-t-elle, desindividus travaillant dans le nucléaire, et vivant aux alentours,gèrent-ils les risques que cela implique? Elle montre que c’estcette dimension symbolique qui permet d’expliquer la façondont les individus vivent dans (et agissent sur) des environ-nements à haut risque : « Une peur quotidienne ethabituelle hante La Hague. Elle est masquée par unesérie de mécanismes de défense, qui vont de l’affir-mation d’une confiance aveugle dans les autoritésindustrielles à un évitement généralisé de l’informa-tion, teinté en permanence de scepticisme à l’égardde toute information émanant des hiérarchies, enpassant par l’indifférence et la passivité. Qu’ils soientsoumis ou rebelles, soucieux ou en apparence insou-

ciants, les habitants de ce lieu sont tous en proie à lamême angoisse, à la même incertitude profonde61 ».

Ouvertures

Comme le rappelle Doreen Massey, les politiques de lacontestation ne se déploient pas « sur la tête d’uneépingle, dans un non-espace, un monde indifférenciégéographiquement62 ». Sans prétention d’exhaustivité,ce panorama de la littérature concernant la dimensionspatiale des mouvements sociaux a permis de montrer quel’espace et le lieu sont de plus en plus perçus comme jouantun rôle essentiel dans l’analyse des mouvements de contes-tation. Certaines pistes de recherche s’ouvrent alors, autourde quatre interrogations :

1) De quelle façon les politiques de la contestation sont-elles affectées par le tissu de relations sociales, politiques,culturelles et/ou économiques qui caractérisent la régionparticulière dans laquelle elles s’inscrivent ? Les modalitésde l’action collective sont-elles déterminées par les relationspolitiques existantes, par exemple la pratique informelle dupatronage ? Si tel est le cas, de quelle façon ? Cette inter-rogation est loin d’être secondaire, étant donné que laplupart des travaux consacrés aux activités de contestationcontinuent à les considérer comme marquant une ruptureavec la vie quotidienne.

2) Comment l’espace physique influe-t-il sur la constitutionet le déroulement de l’action collective ? Certaines topogra-phies urbaines sont-elles ainsi plus favorables que d’autresà certaines modalités de la contestation politique? Qu’en est-il, dans les banlieues par exemple, de cette dimensionessentielle de l’action collective qu’est la « co-présence » ?Comment les modalités de la contestation composent-ellesavec l’isolement géographique de certaines communau-tés ? Lors des pillages par exemple – ces formes épiso-diques de la contestation collective, qui restent assez peuétudiées –, comment l’emplacement des lieux pris pourcibles (celui des boutiques par exemple) influe-t-il sur laprobabilité qu’ils seront attaqués? Certains épisodes récentsde pillages tendent ainsi à montrer que ce sont plutôt lespetits détaillants, situés à proximité des habitations despilleurs, qui sont principalement pris pour cibles (alors qu’aucontraire les grands supermarchés, qui contiennent égale-

57. W. H. Sewell, op. cit., p. 65. NdT : manifestation organisée en 1995 parLouis Farrakkan, leader afro-américain de la Nation de l’Islam.58. Veena Das (éd.), Mirrors of Violence. Communities, Riots, and Survivorsin South Asia, Oxford, Oxford University Press, 1990, p. 11.59. Paul Brass, Riots and Progroms, New York, New York University Press,1996 ; Beth Roy, op. cit.60. Shahid Amin, Event, Metaphor, Memory. Chauri-Chaura 1922 – 1992,Berkeley, University of California Press, 1995.61. Françoise Zonabend, The Nuclear Peninsula, New York, CambridgeUniversity Press, 1993, p. 55.62. D. Massey, op. cit., p. 4.

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ment ce que les pilleurs recherchent et en plus grandequantité, sont séparés des autres espaces urbains, et ainsiprotégés du fait simplement de leur emplacement physique).

3) Comment et pour quelles raisons certaines modali-tés particulières de la contestation collective tendent-ellesà être reproduites dans le temps, alors que d’autres dispa-raissent après n’avoir été adoptées que brièvement ? Dequelle façon ces modalités récurrentes de la protestations’inscrivent-elles dans les pratiques routinières de la viequotidienne ? Par exemple, quelles sont les répercussionsdes pratiques routinières particulières de survie des pauvresen milieu urbain sur le type d’actions privilégié lors descrises de subsistance ?

4) Comment et pour quelles raisons certains emplace-ments se voient-ils attribuer un sens particulier suite à uneaction collective ? Selon quels processus concrets cesemplacements se voient-ils conférer du sens – commentun coin de rue ordinaire, par exemple, se voit-il transforméen mémorial populaire rappelant aux passants uneexpérience de contestation passée ?

Les géographes et les chercheurs en sciences socialess’accordent sur le fait que les mouvements de contesta-tion devraient être considérés comme des pratiques collec-tives entretenant une relation de structuration réciproqueavec l’espace dans lequel elles s’inscrivent. La contesta-tion est donc ancrée dans des contextes géographiquesexistants, qu’elle contribue à reconfigurer. Malgré ce consen-sus théorique, il y a cependant matière à ouvrir la voie à ungrand nombre de recherches empiriques, de façon à étudierles « effets de lieu » sur la genèse, les dynamiques et lesrésultats des politiques de contestation.

Traduit de l’anglais par Sara Dezalay

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